Déclaration commune de MM. les juges Ranjeva, Shi, Koroma et Parra-Aranguren

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472

DÉCLARATION COMMUNE DE MM. LES JUGES
RANJEVA, SHI, KOROMA ET PARRA-ARANGUREN

[Traduction]

L’accès à la Cour, une question «pré-préliminaire» — La Cour a déjà
conclu qu’elle n’était pas ouverte au défendeur à l’époque pertinente et elle n’a
jamais statué de manière définitive en sens contraire — L’invocation de
l’affaire Mavrommatis est erronée parce que cette affaire ne concernait pas
l’accès à la Cour et que, dans la présente espèce, la question n’est pas d’ordre
procédural, le défaut n’est pas limité dans le temps et il touche le défen-
deur et non pas le demandeur — Nécessité d’établir la compétence à la
date du dépôt de la requête — Importance fondamentale de l’égalité

entre les parties — Défaut d’accès du défendeur à la Cour invoqué anté-
rieurement par le demandeur lui-même — Cohérence entre les arrêts —
Impossibilité de fonder la compétence sur la déclaration de 1992 — Défaut
de compétence.

1. En tant que membres de la Cour qui avons tous quatre siégé dans le
cadre de la procédure de 1996 consacrée aux exceptions préliminaires en

l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie) ,et
dont l’un avait aussi participé à la procédure de 1993 sur les mesures
conservatoires en cette affaire, force nous est de relever que jamais,
entre 1992 et 2000, la Cour n’a déclaré de manière définitive que la Serbie

— le défendeur dans la présente espèce — avait effectivement l’accès
nécessaire pour pouvoir soumettre un différend à la Cour. En fait, elle a
délibérément éludé la question de savoir si elle était ouverte à cet Etat.
Dans son arrêt de 2004 sur la Licéité de l’emploi de la force (Serbie-
et-Monténégro c. Italie) , la Cour a jugé que, avant 2000, la Serbie n’était

pas admise à porter une affaire devant elle (exceptions préliminaires,
C.I.J. Recueil 2004 (III) , p. 910, par. 114). Aussi sommes-nous contraints
de joindre cette déclaration à l’arrêt qui, à notre avis, non seulement
manque de validité et de cohérence juridiques, mais est même contra
legem et indéfendable. La Cour n’est pas fondée à exercer sa compétence
sur la base d’une interprétation contra legem d’une convention comme la

Charte des Nations Unies ou le Statut de la Cour. Une telle décision
s’inscrit forcément hors de la légalité. Il est regrettable que la Cour, dont
le rôle est de dire le droit, ait adopté pareille position.
2. Selon nous, la question cruciale sur laquelle la Cour devait statuer à
ce stade de l’instance était celle de savoir si le défendeur, la Serbie, avait

accès à elle à l’époque pertinente, c’est-à-dire le 2 juillet 1999, date du
dépôt de la requête faisant état de violations de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide. Non seulement cette
question passe avant celle, préliminaire, de la compétence, mais elle est

64 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL . COMMUNE ) 473

fondamentale, la Cour ne pouvant exercer sa fonction judiciaire qu’à
l’égard des Etats admis à se présenter devant elle.
3. La question de savoir si un Etat a, au regard du Statut, la capacité

d’ester devant la Cour revêt une importance primordiale, puisqu’elle
détermine si la Cour a compétence pour statuer sur un différend porté
devant elle. Selon le Statut, en effet, un Etat doit avoir accès à la Cour
pour pouvoir participer à une procédure contentieuse, et l’autorité juri-
dictionnelle de la Cour est limitée aux Etats admis à ester devant elle

(voir Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I) , p. 295, par. 36
(contenant la conclusion suivante: «[a]insi la Cour se doit-elle d’examiner
la question [de savoir si une partie a le droit de se présenter devant
elle]»)).

4. Dans son arrêt en l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force
(Serbie-et-Monténégro c. Belgique) , la Cour est parvenue à la conclusion
que voici:

«au moment où il a déposé sa requête pour introduire la présente
instance devant [elle], le 29 avril 1999, le demandeur en l’espèce, la
Serbie-et-Monténégro, n’était pas membre de l’Organisation des

Nations Unies ni, dès lors, en cette qualité, partie au Statut de la
Cour internationale de Justice. Par voie de conséquence, la Cour
n’était pas ouverte à la Serbie-et-Monténégro sur la base du para-
graphe 1 de l’article 35 du Statut.» (Ibid., p. 314-315, par. 91.)

Partant, si, à la date du dépôt de sa requête, le 29 avril 1999, la Serbie-
et-Monténégro n’était ni membre de l’Organisation des Nations Unies
ni partie au Statut et n’avait donc pas accès à la Cour au titre du para-

graphe 1 de l’article 35 de celui-ci, elle ne pouvait pas davantage avoir
accès à elle le 2 juillet 1999, date à laquelle le Gouvernement de la
Croatie déposa sa requête en l’espèce. Les autres décisions rendues par la
Cour dans le cadre d’instances parallèles militent en ce sens, ou du moins
ne s’opposent pas à cette conclusion (voirApplication de la convention pour

la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt , C.I.J. Recueil 1996 (II),
p. 623, par. 47 (où la Cour conclut à sa compétence sans examiner la ques-
tion de l’accès, que les Parties n’avaient pas soulevée);Demande en revi-

sion de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’ Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaire (sYougoslavie
c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 31, par. 71 (où la
Cour conclut que l’admission de la République fédérale de Yougoslavie
er
à l’Organisation des Nations Unies le 1 novembre 2000 «ne p[ouvai]t
avoir rétroactivement modifié la situationsui generis» de cet Etat au sein
de l’Organisation); Application de la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-
Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 90-91, par. 115-116 (où la

Cour se déclare compétente à l’égard de la Serbie en vertu du principe de

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l’autorité de la chose jugée, tel qu’appliqué à l’arrêt de 1996 sur la com-
pétence, sans entreprendre l’analyse du statut de la Serbie ou de son accès

à la Cour); et p. 266-275, opinion dissidente commune de MM. les juges
Ranjeva, Shi et Koroma (où il est souligné que la question de l’accès à la
Cour n’avait pas été réglée dans l’arrêt rendu en 1996 au sujet de la com-
pétence, puisqu’elle n’avait pas été soulevée expressément par les Parties,
où la question est réexaminéede novo et où il est conclu que la République

fédérale de Yougoslavie n’était pas membre de l’Organisation des
Nations Unies à la date de l’introduction de l’instance et n’avait donc pas
accès à la Cour à l’époque pertinente) (le juge Parra-Aranguren n’avait
pas pris part à cette décision pour des raisons qui sont connues de la

Cour)).
5. Ainsi, dans aucun de ses arrêts antérieurs la Cour n’a conclu de
manière définitive qu’elle était ouverte à la Serbie-et-Monténégro
entre 1992 et 2000 et, dans les instances relatives à la Licéité de l’emploi
de la force, elle a au contraire conclu de façon définitive qu’elle ne lui

était pas ouverte. Nonobstant ces conclusions, la Cour a cependant
déclaré dans le présent arrêt qu’elle était fondée à exercer sa compétence
en l’espèce, même si, à la date du dépôt de la requête le 2 juillet 1999, le
défendeur n’était ni membre de l’Organisation des Nations Unies ni par-

tie au Statut de la Cour et n’avait donc pas accès à celle-ci. Pour parvenir
à sa conclusion dans la présente instance, la Cour s’est fondée sur
l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine , dans le cadre de
laquelle la Cour permanente de Justice internationale avait statué qu’un
traité définissant certaines des normes de forme et de fond qui étaient en

cause (le protocole XII du traité de Lausanne) pouvait être appliqué au
différend bien qu’il fût entré en vigueur seulement après le dépôt de la
requête. Selon cet arrêt:

«Même si, avant cette époque, la juridiction de la Cour n’existait
pas pour la raison que l’obligation internationale visée ... n’était pas
encore en vigueur, il aurait été toujours possible, pour la partie

demanderesse, de présenter à nouveau sa requête, dans les mêmes
termes, après l’entrée en vigueur du Traité de Lausanne.» (Arrêt
n 2, 1924, C.P.J.I. série A n o 2, p. 34.)

L’arrêt poursuit en ces termes: «[m]ême si la base de l’introduction d’ins-
tance était défectueuse pour la raison mentionnée, ce ne serait pas une
raison suffisante pour débouter le demandeur de sa requête»(ibid.), ajou-

tant: «[l]a Cour, exerçant une compétence internationale, n’est pas tenue
d’attacher à des considérations de forme la même importance qu’elles
pourraient avoir dans le droit interne» (ibid.; les italiques sont de nous).
Selon le présent arrêt, la Cour devrait ainsi considérer que la Serbie avait

accès à elle puisque, conformément à la logique de l’affaireMavrommatis,
le fait que la Serbie n’avait pas la qualité de membre de l’Organisation des
Nations Unies à l’époque pertinente peut être considéré comme un défaut
procédural purement temporaire auquel cet Etat aurait remédié le
1er novembre 2000 en devenant un nouveau Membre de l’Organisation.

66 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE DÉCL . COMMUNE ) 475

6. En concluant, sur la base de l’obiter dictum énoncé en l’affaire
Mavrommatis, qu’elle est ouverte au défendeur et compétente à son
endroit, la Cour fait une mauvaise application du principe formulé par sa
devancière. La présente instance ne se prête pas à l’approche adoptée

dans l’affaire Mavrommatis car, dans cette affaire, l’accès à la Cour
n’était pas en cause. En réalité, la Cour permanente n’avait pas abordé et
encore moins réglé la question de savoir si l’Etat concerné était admis à
ester devant elle, pas plus qu’elle ne s’était prononcée sur le statut d’un
Etat Membre. En fait, le raisonnement appliqué dans l’affaire Mavrom-

matis n’avait en aucune façon trait à la compétence de la Cour perma-
nente, qui était fondée sur les articles 11 et 26 du mandat pour la Pales-
tine, et non sur le protocole XII. La Cour s’était déclarée compétente sur
la base des articles 11 et 26 du mandat (arrêt n° 2, 1924, C.P.J.I. série A
n° 2, p. 29) avant même d’aborder l’analyse du protocole XII (ibid.¸

p. 34; voir également ibid., p. 31 (où il est indiqué que c’est l’article 11 du
mandat, et non le protocole XII, qui constitue «précisément la disposi-
tion sur laquelle [sa] juridiction se fonde»)). Le protocole XII servait uni-
quement à préciser la compétence prévue à l’article 11 du mandat en
exposant certaines règles de forme et de fond supplémentaires (ibid.,

p. 31: «Dans cet ordre d’idées, le Protocole vient compléter les disposi-
tions du Mandat à l’instar d’un Règlement qui, visé par une loi, constitue
indirectement une partie de celle-ci.»). Le défaut procédural qui était en
cause dans l’affaire Mavrommatis ne tenait donc pas à un vice de la
clause juridictionnelle elle-même, et il n’était certainement pas lié à une

question d’accès à la Cour.
7. Qui plus est, la question n’est pas ici d’ordre «procédural» (en ce
qu’il s’agirait de savoir ce qu’une partie a déposé ou peut déposer),
comme c’était le cas dans l’affaire Mavrommatis, mais revêt incontesta-
blement un caractère préliminaire et fondamental (touchant au statut de

cette partie en vertu de la Charte des Nations Unies et du Statut de la
Cour). Une partie peut certes remédier à un défaut procédural, mais elle
ne saurait modifier purement et simplement une caractéristique fonda-
mentale du statut juridique de la partie adverse. Ce fait, qui a d’une cer-
taine façon échappé à l’attention de la majorité, est quelque peu occulté

dans la présente affaire par l’application rétrospective du dictum Mavrom-
matis à une situation qui s’est réglée entre-temps (si l’on examine rétro-
spectivement le statut de la Serbie). En fait, la logique Mavrommatis était
censée s’appliquer de manière prospective, en particulier pour couvrir des
défauts d’ordre procédural auxquels le demandeur pouvait remédier ex
ante en déposant une nouvelle requête corrigée. Tel n’est pas le cas dans

la présente affaire, où est en cause au contraire une question fondamen-
tale qui ne pouvait se résoudre que ex post. En appliquant le principe
Mavrommatis de manière rétroactive, la majorité crée un dangereux pré-
cédent qui met en péril le caractère définitif de l’ensemble de ses arrêts,
toute décision juridictionnelle pouvant être remise en question à la suite

de l’évolution des circonstances.
8. En outre, l’arrêt Mavrommatis et tous ceux qui s’inscrivent dans sa

67 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .COMMUNE ) 476

lignée se rapportaient à des défauts dont l’effet était très limité dans le
temps. Par exemple, dans le cas de l’arrêt rendu en 1996 par la Cour sur
les exceptions préliminaires en l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Yougosla-

vie, le défaut procédural concerné avait été corrigé après neuf jours seu-
lement (Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions pré-
liminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 612, par. 24). Appliquer le
même principe à un défaut durable tel que celui qui est en cause en

l’espèce, c’est pour la Cour ouvrir dangereusement une brèche dans sa
jurisprudence en matière de compétence, au détriment du caractère cer-
tain et définitif de ses décisions. S’il pouvait être remédié aux défauts pro-
céduraux même des années plus tard, en effet, la compétence de la Cour
pourrait être remise en question à l’infini, y compris dans des affaires

considérées depuis longtemps comme définitivement réglées. Le présent
arrêt ne pose aucune limite à cette incertitude. Selon la jurisprudence éta-
blie de la Cour, sa compétence dans une affaire doit exister au moment du
dépôt de la requête.

9. De surcroît, la conception Mavrommatis des défauts procéduraux a
été appliquée jusqu’ici dans des cas où soit le demandeur, soit les deux
parties, mais non pas le seul défendeur, ne satisfaisaient pas à l’une des
conditions nécessaires pour que la Cour pût se déclarer compétente à la
date de l’introduction de l’instance (voir le présent arrêt, par. 84).

Lorsqu’une requête est imparfaite et que le demandeur peut y remédier
simplement en la déposant une nouvelle fois, la doctrine Mavrommatis
prévoit en toute logique que la Cour ne devrait pas y faire obstacle à
cause d’une simple imperfection procédurale qui pourrait aisément être
corrigée par le demandeur. Ainsi, dans l’affaire relative à Certains inté-

rêts allemands en Haute-Silésie polonaise , la Cour permanente avait
affirmé «ne [pas] pou[voir] s’arrêter à un défaut de forme qu’il dépendrait
de la seule Partie intéressée de faire disparaître »( compétence, arrêt n 6,
1925, C.P.J.I. série A n° 6 , p. 14; les italiques sont de nous). Le cas pré-
sent, dans lequel le défendeur ne satisfaisait pas à l’une des conditions

préalables nécessaires pour que la Cour puisse se déclarer compétente à la
date de l’introduction de l’instance, est radicalement différent puisque la
Cour ne pouvait en aucun cas savoir à ladite date si le demandeur serait
un jour en mesure de déposer une requête en bonne et due forme. Cela

dépendait du statut du défendeur, lui-même suspendu à la décision de la
communauté internationale (de le reconnaître ou non en tant qu’Etat
Membre de l’Organisation des Nations Unies). Ce qui est en cause dans
la présente affaire, ce n’est donc pas un simple «défaut de forme» pou-
vant être corrigé dans une nouvelle requête déposée par la partie respon-

sable de l’instrument défectueux.
10. Au lieu de s’appuyer sur l’affaire Mavrommatis pour confirmer sa
compétence maintenant qu’il est clair que le défendeur est finalement
devenu un Etat admis à ester devant elle, la Cour aurait dû, au sujet de
cette question qui n’a décidément rien de procédural, déterminer si, au

regard de son Statut et de sa jurisprudence, les Parties avaient accès à elle

68 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE DÉCL . COMMUNE ) 477

à l’époque pertinente. Ainsi, la Cour devait se conformer au principe fon-
damental selon lequel, pour une telle appréciation, elle devait se placer à
la date à laquelle la Croatie avait déposé sa requête. Comme elle le rap-
pelle à juste titre dans le présent arrêt, elle a maintes fois répété que «[s]a

compétence ... doit normalement s’apprécier à la date du dépôt de l’acte
introductif d’instance » (par. 79 (les italiques sont de nous), citant les
affaires relatives à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 613, par. 26,

et aux Questions d’interprétation et d’application de la convention de
Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya
arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 26, par. 44). Pourtant, dans le présent arrêt, la
Cour a choisi deux stratégies différentes pour contrevenir à ce principe

fondamental. Tout d’abord, elle affirme que sa compétence peut être
reconsidérée à la date de son examen de l’affaire, déclarant:

«ce qui importe, c’est que, au plus tard à la date à laquelle la Cour
statue sur sa compétence, le demandeur soit en droit, s’il le souhaite,
d’introduire une nouvelle instance dans le cadre de laquelle la
condition qui faisait initialement défaut serait remplie» (arrêt,
par. 85).

Ainsi formulée, cette proposition semble présenter une contradiction
interne. La majorité cherche à jouer sur les deux tableaux. D’une part,

elle déclare qu’il importe peu que la Cour n’ait pas eu compétence
ratione personae à l’égard de la Serbie lorsque la Croatie a déposé sa
requête, que ce n’est qu’une question de pure forme et que, la Serbie
étant à présent partie au Statut de la Cour, celle-ci peut exercer sa com-
pétence. D’autre part, elle déclare n’attacher aucune importance au fait

que la Serbie a formulé par la suite une réserve à l’article IX de la
convention sur le génocide, l’important étant que, à la date du dépôt de
la requête, cette réserve n’existait pas encore. La Cour ne peut dans une
même affaire adopter sur sa compétence tantôt un point de vue et tantôt
un autre.

Ensuite, la Cour affirme aussi pouvoir réexaminer sa compétence en se
plaçant à la date du mémoire, concluant que, puisque la requête de la
Croatie était «un texte bref d’une dizaine de pages» (ibid., par. 90), alors
que son mémoire, présenté après que la Serbie eut obtenu l’accès à la
Cour, était «un document de 414 pages» (ibid.), il lui serait en quelque
sorte loisible de réexaminer l’accès à la date du mémoire, celui-ci traitant

d’aspects nouveaux. La jurisprudence de la Cour n’appuie ni l’une ni
l’autre de ces approches. En dépit de ces deux tentatives visant à modi-
fier la date à laquelle doit être appréciée la compétence de la Cour et à
prendre en considération soit la date du dépôt du mémoire, soit celle de
l’examen de l’affaire, le principe fondamental n’en demeure pas moins

— et il est du reste reconnu dans le présent arrêt — que l’accès à la
Cour doit s’apprécier à la date du dépôt de la requête.

69 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .COMMUNE ) 478

11. En bref, lorsque le demandeur introduisit l’instance contre le défen-
deur en 1999, ce dernier n’était pas partie au Statut de la Cour et celle-ci
ne lui était donc pas ouverte. C’est un fait auquel il ne peut être remédié
par application de l’approche adoptée par la Cour permanente dans

l’affaire Mavrommatis.
12. En décidant d’exercer sa compétence dans la présente affaire, la
Cour non seulement transgresse de manière flagrante les dispositions de
la Charte des Nations Unies, de son propre Statut, de la résolution 47/1
de l’Assemblée générale et de la résolution 777 du Conseil de sécurité,

mais également fait fi d’un des principes fondamentaux de la justice inter-
nationale, celui de l’égalité entre le demandeur et le défendeur. Déclarer
que la Cour peut exercer sa compétence parce que le défendeur a ulté-
rieurement été admis à l’Organisation des Nations Unies, ce qui aurait eu
pour effet de valider la requête, c’est négliger le fait que, n’étant ni membre

de l’Organisation ni partie au Statut, la Serbie-et-Monténégro n’était pas
habilitée à engager devant la Cour une instance contre la Croatie sans
le consentement de cette dernière. D’ailleurs, lorsque l’Etat qui est défen-
deur en l’espèce voulut agir contre d’autres Etats dans les instances rela-
tives à la Licéité de l’emploi de la force , cette fois en qualité de deman-

deur, la Cour déclara qu’elle ne lui était pas ouverte et qu’elle ne pouvait
donc exercer sa compétence.
13. Il convient également de noter que, en fait, le demandeur lui-même
a pris antérieurement pour position que le défendeur n’avait pas qualité
pour ester devant la Cour à l’époque pertinente. Dans une lettre adressée

au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies en mai 1999 au
sujet de l’exercice de sa compétence par la Cour, le demandeur s’était en
effet exprimé en ces termes:

«Etant donné qu’une nouvelle demande d’admission à l’Organisa-

tion des Nations Unies, conformément à l’article 4 de la Charte des
Nations Unies, n’a pas à ce jour été présentée par la République
fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) et que celle-ci n’a
pas été admise comme membre de l’Organisation, la République
fédérale de Yougoslavie ne peut être considérée comme étant ipso

facto partie au Statut de la Cour en vertu du paragraphe 1 de l’ar-
ticle 93 de la Charte des Nations Unies. La République fédérale de
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) n’est pas non plus devenue par-
tie au Statut de la Cour en vertu du paragraphe 2 de l’article 93 de la
Charte, qui énonce que les Etats qui ne sont pas membres de l’Orga-
nisation peuvent devenir parties au Statut de la Cour internationale

de Justice dans des conditions qui sont déterminées, dans chaque
cas, par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de
sécurité. En outre, la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) n’a pas accepté la juridiction de la Cour dans les
conditions prévues dans la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité

et adoptées par le Conseil en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés
par le paragraphe 3 de l’article 35 du Statut de la Cour.» (Lettre

70 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .COMMUNE ) 479

datée du 27 mai 1999, adressée au Secrétaire général par les repré-
sentants permanents de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de la
Slovénie et de l’ex-République yougoslave de Macédoine auprès de
l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, doc. A/53/992,

7 juin 1999.)

14. Compte tenu de ce qui précède, en s’affirmant aujourd’hui compé-
tente dans la présente affaire, la Cour contredit non seulement ses conclu-
sions antérieures, mais aussi la position adoptée expressément à l’époque

pertinente par le demandeur. Partant, non seulement cet arrêt risque
d’être considéré comme injustifié, voire contra legem, mais il est égale-
ment contraire à la situation factuelle telle que le demandeur l’avait pré-
sentée antérieurement.
15. Enfin, une observation reste à formuler au sujet de la cohérence

entre les arrêts de la Cour. A trois reprises au moins, la Cour répète que
les décisions rendues dans le cadre d’instances antérieures (n’opposant
pas exactement les mêmes parties) ne sont pas revêtues de l’autorité de la
chose jugée au titre de l’article 59 de son Statut, mais qu’elle «ne s’écar-
tera pas de sa jurisprudence établie, sauf si elle estime avoir pour cela des

raisons très particulières» (arrêt, par. 53; voir également par. 54 et 76).
La Cour relève aussi que c’est la position adoptée par les deux Parties au
présent différend (ibid., par. 71). Toutefois, les efforts qu’elle fait à cet
égard dans l’arrêt pour établir des différences avec l’affaire jugée en 2004
ne sont guère convaincants. Elle déclare tout d’abord que, en 2004, le

demandeur n’avait pas soulevé la question de l’accès, contrairement à ce
qu’a fait le demandeur en l’espèce (ibid., par. 88-89). Cela n’emporte pas
la conviction: l’accès n’est pas une condition à laquelle il peut être satis-
fait sur simple requête du demandeur (surtout lorsqu’il s’agit de l’accès de
la partie adverse!); c’est plutôt une qualité fondamentale qui tient au sta-

tut d’une partie et qui est requise par la Charte et par le Statut de la
Cour. Si la Serbie n’avait pas accès à la Cour en 2004, la Croatie ne peut
absolument pas lui offrir cet accès dans la présente affaire simplement en
présentant à la Cour une demande en ce sens. La Cour cherche également
à établir une distinction avec l’affaire jugée en 2004 en soutenant qu’«[i]l

était clair [dans cette affaire-là, par opposition à la présente instance] que
la Serbie-et-Monténégro n’avait pas l’intention de maintenir ses de-
mandes sous la forme de nouvelles requêtes» (ibid., par. 89). Ce postulat
de la Cour constitue encore une bien piètre base sur laquelle fonder
une distinction d’une telle importance, la Cour ne tenant pas compte
du fait que le demandeur ne pouvait pas déposer de nouvelle requête à

cause de la réserve émise par la Serbie à la convention sur le génocide.
16. Puisque le défendeur en l’instance ne satisfaisait pas aux conditions
requises pour être admis à ester devant la Cour à l’époque où le deman-
deur introduisit la présente instance, en 1999, la Cour ne saurait exercer
une compétence qui ne lui a pas été conférée. En d’autres termes, les

conditions nécessaires pour que la Cour exerce sa compétence dans la
présente affaire — qu’elle ait à la fois compétence ratione personae,

71 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE DÉCL . COMMUNE ) 480

ratione materiae et ratione temporis — n’étaient pas réunies et la Cour
était donc totalement dépourvue de compétence à l’époque, et elle l’est
encore aujourd’hui. Cette conclusion est également conforme à la réso-

lution 55/12, par laquelle l’Assemblée générale a admis la Serbie-et-
Monténégro à l’Organisation des Nations Unies et en vertu de laquelle cet
Etat est devenu partie au Statut. Par conséquent, le présent arrêt n’est pas
seulement contra legem, et donc impropre à fonder la compétence de la
Cour, il est aussi contraire à sa jurisprudence. Si le défendeur n’avait pas

accès à la Cour lorsqu’il déposa ses requêtes contre certains Etats en 1999,
comme l’a jugé la Cour en 2004, il ne saurait être réputé avoir eu cet accès
en tant que défendeur lorsque, toujours en 1999, la Croatie déposa elle-
même une requête à son encontre.
17. Outre ces vues que nous venons d’exposer sur les questions concer-

nant l’accès à la Cour, nous exprimons aussi nos préoccupations quant à
la position de la Cour sur sa compétence, qu’elle juge établie sur la base
de la déclaration faite le 27 avril 1992 au sujet d’engagements que «la
République fédérative socialiste de Yougoslavie a[vait] pris à l’échelon

international», selon laquelle la RFY «rest[erait] liée par toutes ses obli-
gations» (arrêt, par. 44). Premièrement, cette déclaration avait été for-
mulée sur la base d’une prétendue continuité de l’Etat qui ne fut finale-
ment pas reconnue par les Nations Unies, et notamment par le deman-
deur, et cette déclaration ne peut pas dès lors fonder la compétence de la

Cour. Deuxièmement, l’analyse que fait la Cour de la validité de la décla-
ration repose sur une prémisse fausse. En effet, la Cour déclare que, à
l’époque de la déclaration, la République fédérale de Yougoslavie «pré-
tendait ... être l’Etat continuateur de la RFSY, et ne renonça pas à son
statut de partie à la Convention même lorsqu’il devint manifeste que cette

thèse ne prévaudrait pas» (ibid., par. 111). Cette déclaration de la Cour
est factuellement inexacte. Bien au contraire — et la Cour le relève
d’ailleurs un peu plus loin dans son arrêt (ibid., par. 116) —, le
6 mars 2001, la République fédérale de Yougoslavie revint expressément
sur la déclaration du 27 avril, dans les termes suivants:

«Maintenant qu’il est établi que la République fédérale de You-
goslavie n’a succédé ni le 27 avril 1992 ni à aucune autre date ulté-
rieure à la République fédérative socialiste de Yougoslavie en sa

qualité de partie à la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide et dans ses droits et obligations découlant de
cette convention ...
E N CONSÉQUENCE , je présente au nom du Gouvernement de la
République fédérale de Yougoslavie cette notification d’adhésion à

la convention pour la prévention et la répression du crime de géno-
cide.» (Notification d’adhésion de la République fédérale de You-
goslavie à la convention sur le génocide, 6 mars 2001, Demande en
revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Applica-
tion de la convention pour la prévention et la répression du crime

de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions pré-

72 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .COMMUNE ) 481

liminaires (Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil
2003, p. 25, par. 52.)

Ainsi, non seulement la République fédérale de Yougoslavie s’est rétrac-
tée de sa déclaration du 27 avril, mais le fait qu’elle ait adhéré à la
convention sur le génocide oblige à conclure qu’elle reconnaissait égale-

ment ne pas y avoir été partie à l’époque pertinente. Troisièmement,
quand bien même, par hypothèse, cette déclaration pourrait constituer
une base de compétence pour la Cour, ce serait une base incomplète puis-
que, ainsi que nous l’avons exposé au début de la présente déclaration,

il n’a pas été établi qu’une condition préalable fondamentale à l’exercice
de cette compétence — à savoir l’accès de la Serbie à la Cour — était
remplie.
18. En somme, étant fermement convaincus à la fois que la Cour

n’était pas ouverte à la Serbie à l’époque pertinente (et était donc incom-
pétente ratione personae) et que la déclaration faite le 27 avril par cet
Etat ne suffit pas à lui conférer compétence, nous concluons que la Cour
n’a en aucune manière compétence pour connaître de l’affaire.

(Signé) Raymond R ANJEVA .

(Signé) S HI Jiuyong.
(Signé) Abdul G. K OROMA .

(Signé) Gonzalo P ARRA -A RANGUREN .

73

Bilingual Content

472

JOINT DECLARATION OF JUDGES RANJEVA, SHI, KOROMA
AND PARRA-ARANGUREN

“Pre-preliminary” nature of access to the Court — The Court has already
determined that the Respondent lacked access to it during the relevant time and
has never definitively determined that Serbia had access — Reliance on the
Mavrommatis case is misguided because Mavrommatis did not concern access
to the Court, the issue in the present case is not procedural, the defect in the
present case is not short-lived, and the defect in the present case concerns
the Respondent rather than the Applicant — Jurisdiction must be assessed at
the time of the filing of the Application — Fundamental importance of the

equality of the Parties — The Applicant itself has previously argued that the
Respondent lacked access — Consistency of Judgments — Jurisdiction cannot
be founded on 1992 declaration — Jurisdiction lacking.

1. We, as four remaining Members of the Court who took part in the
1996 proceedings on preliminary objections in the Application of the

Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
(Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia) case, and one of whom also par-
ticipated in the 1993 proceedings on the indication of provisional meas-
ures in that case, are constrained to point out that at no time between
1992 and 2000 did the Court ever definitively declare that Serbia — the

Respondent in the present case — had the necessary access to bring a
dispute before the Court. In fact, the Court deliberately avoided the issue
of whether Serbia had access to it. In its 2004 Judgment on the Legality
of Use of Force (Serbia and Montenegro v. Italy), the Court held that at
a time prior to 2000 Serbia lacked access to bring a case to the Court

(Preliminary Objections, I.C.J. Reports 2004 (III) , p. 910, para. 114).
We are therefore constrained to append the following declaration to this
Judgment, which, in our opinion, not only lacks legal validity and con-
sistency but is even contra legem and untenable. This Court is not en-
titled to exercise jurisdiction based on a contra legem interpretation of a
convention, such as the United Nations Charter or the Statute of the

Court. Any such Judgment cannot but be extra-legal. It is regrettable
that this Court, as a court of law, should have taken such a position.

2. In our view, the crucial question which the Court has to determine
in this phase of the proceedings is whether the Respondent, Serbia, had

access to the Court at the relevant time, namely at the filing on 2 July 1999
of the Application alleging breaches of the Convention on the Prevention
and Punishment of the Crime of Genocide. This question is both pre-
preliminary to the issue of jurisdiction and also fundamental, as the

64 472

DÉCLARATION COMMUNE DE MM. LES JUGES
RANJEVA, SHI, KOROMA ET PARRA-ARANGUREN

[Traduction]

L’accès à la Cour, une question «pré-préliminaire» — La Cour a déjà
conclu qu’elle n’était pas ouverte au défendeur à l’époque pertinente et elle n’a
jamais statué de manière définitive en sens contraire — L’invocation de
l’affaire Mavrommatis est erronée parce que cette affaire ne concernait pas
l’accès à la Cour et que, dans la présente espèce, la question n’est pas d’ordre
procédural, le défaut n’est pas limité dans le temps et il touche le défen-
deur et non pas le demandeur — Nécessité d’établir la compétence à la
date du dépôt de la requête — Importance fondamentale de l’égalité

entre les parties — Défaut d’accès du défendeur à la Cour invoqué anté-
rieurement par le demandeur lui-même — Cohérence entre les arrêts —
Impossibilité de fonder la compétence sur la déclaration de 1992 — Défaut
de compétence.

1. En tant que membres de la Cour qui avons tous quatre siégé dans le
cadre de la procédure de 1996 consacrée aux exceptions préliminaires en

l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie) ,et
dont l’un avait aussi participé à la procédure de 1993 sur les mesures
conservatoires en cette affaire, force nous est de relever que jamais,
entre 1992 et 2000, la Cour n’a déclaré de manière définitive que la Serbie

— le défendeur dans la présente espèce — avait effectivement l’accès
nécessaire pour pouvoir soumettre un différend à la Cour. En fait, elle a
délibérément éludé la question de savoir si elle était ouverte à cet Etat.
Dans son arrêt de 2004 sur la Licéité de l’emploi de la force (Serbie-
et-Monténégro c. Italie) , la Cour a jugé que, avant 2000, la Serbie n’était

pas admise à porter une affaire devant elle (exceptions préliminaires,
C.I.J. Recueil 2004 (III) , p. 910, par. 114). Aussi sommes-nous contraints
de joindre cette déclaration à l’arrêt qui, à notre avis, non seulement
manque de validité et de cohérence juridiques, mais est même contra
legem et indéfendable. La Cour n’est pas fondée à exercer sa compétence
sur la base d’une interprétation contra legem d’une convention comme la

Charte des Nations Unies ou le Statut de la Cour. Une telle décision
s’inscrit forcément hors de la légalité. Il est regrettable que la Cour, dont
le rôle est de dire le droit, ait adopté pareille position.
2. Selon nous, la question cruciale sur laquelle la Cour devait statuer à
ce stade de l’instance était celle de savoir si le défendeur, la Serbie, avait

accès à elle à l’époque pertinente, c’est-à-dire le 2 juillet 1999, date du
dépôt de la requête faisant état de violations de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide. Non seulement cette
question passe avant celle, préliminaire, de la compétence, mais elle est

64473 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JOINT DECL .)

Court can exercise its judicial function only in respect of those States
which have access to it.
3. Whether a State has the capacity under the Statute to be a party to
proceedings before the Court is an issue of primordial importance, as it

governs whether the Court may exercise jurisdiction over a dispute
brought before it. Under the Court’s Statute, a State must have access to
the Court in order to participate in a contentious case; the Court’s juris-
dictional authority is limited to those States with access to it. (See Legal-
ity of Use of Force (Serbia and Montenegro v. Belgium), Preliminary

Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2004 (I) , p. 295, para. 36, (con-
cluding that “[t]he function of the Court to enquire into the matter [of a
party’s access to the Court is]. . . mandatory upon the Court. . .”)).

4. In its Judgment in the Legality of Use of Force (Serbia and Mon-

tenegro v. Belgium) case, the Court reached the conclusion that:

“at the time of filing of its Application to institute the present pro-
ceedings before the Court on 29 April 1999, the Applicant in the
present case, Serbia and Montenegro, was not a Member of the
United Nations, and, consequently, was not, on that basis, a State
party to the Statute of the International Court of Justice. It follows

that the Court was not open to Serbia and Montenegro under Arti-
cle 35, paragraph 1, of the Statute.” (Ibid., pp. 314-315, para. 91.)

Thus, if Serbia and Montenegro at the time of filing of its Application on
29 April 1999 was neither a Member of the United Nations nor a party to
the Statute, and therefore did not have access to the Court under Arti-
cle 35, paragraph 1, of the Statute, then it could not have had access to
the Court in the present case when the Government of Croatia filed its

Application on 2 July 1999. The Court’s other Judgments dealing with
parallel proceedings either support or, at the very least, do not contradict
this finding. (See Application of the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugo-
slavia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II) ,

p. 623, para. 47 (concluding that the Court had jurisdiction over the case
without considering the question of access, which the Parties had not
raised); Application for Revision of the Judgment of 11 July 1996 in the
Case concerning Application of the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugo-
slavia), Preliminary Objections (Yugoslavia v. Bosnia and Herzegovina),

Judgment, I.C.J. Reports 2003 , p. 31, para. 71 (concluding that the
admission of the Federal Republic of Yugoslavia to the United Nations
on 1 November 2000 “cannot have changed retroactively the sui generis
position” of the Federal Republic of Yugoslavia within the Organiza-
tion); Application of the Convention on the Prevention and Punishment of

the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montene-
gro), Judgment, I.C.J. Reports 2007 (I) , pp. 90-91, paras. 115-116 (find-

65 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL . COMMUNE ) 473

fondamentale, la Cour ne pouvant exercer sa fonction judiciaire qu’à
l’égard des Etats admis à se présenter devant elle.
3. La question de savoir si un Etat a, au regard du Statut, la capacité

d’ester devant la Cour revêt une importance primordiale, puisqu’elle
détermine si la Cour a compétence pour statuer sur un différend porté
devant elle. Selon le Statut, en effet, un Etat doit avoir accès à la Cour
pour pouvoir participer à une procédure contentieuse, et l’autorité juri-
dictionnelle de la Cour est limitée aux Etats admis à ester devant elle

(voir Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I) , p. 295, par. 36
(contenant la conclusion suivante: «[a]insi la Cour se doit-elle d’examiner
la question [de savoir si une partie a le droit de se présenter devant
elle]»)).

4. Dans son arrêt en l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force
(Serbie-et-Monténégro c. Belgique) , la Cour est parvenue à la conclusion
que voici:

«au moment où il a déposé sa requête pour introduire la présente
instance devant [elle], le 29 avril 1999, le demandeur en l’espèce, la
Serbie-et-Monténégro, n’était pas membre de l’Organisation des

Nations Unies ni, dès lors, en cette qualité, partie au Statut de la
Cour internationale de Justice. Par voie de conséquence, la Cour
n’était pas ouverte à la Serbie-et-Monténégro sur la base du para-
graphe 1 de l’article 35 du Statut.» (Ibid., p. 314-315, par. 91.)

Partant, si, à la date du dépôt de sa requête, le 29 avril 1999, la Serbie-
et-Monténégro n’était ni membre de l’Organisation des Nations Unies
ni partie au Statut et n’avait donc pas accès à la Cour au titre du para-

graphe 1 de l’article 35 de celui-ci, elle ne pouvait pas davantage avoir
accès à elle le 2 juillet 1999, date à laquelle le Gouvernement de la
Croatie déposa sa requête en l’espèce. Les autres décisions rendues par la
Cour dans le cadre d’instances parallèles militent en ce sens, ou du moins
ne s’opposent pas à cette conclusion (voirApplication de la convention pour

la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt , C.I.J. Recueil 1996 (II),
p. 623, par. 47 (où la Cour conclut à sa compétence sans examiner la ques-
tion de l’accès, que les Parties n’avaient pas soulevée);Demande en revi-

sion de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’ Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaire (sYougoslavie
c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 31, par. 71 (où la
Cour conclut que l’admission de la République fédérale de Yougoslavie
er
à l’Organisation des Nations Unies le 1 novembre 2000 «ne p[ouvai]t
avoir rétroactivement modifié la situationsui generis» de cet Etat au sein
de l’Organisation); Application de la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-
Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 90-91, par. 115-116 (où la

Cour se déclare compétente à l’égard de la Serbie en vertu du principe de

65474 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JOINT DECL .)

ing that the Court had jurisdiction over Serbia by virtue of the doctrine
of res judicata as applied to the 1996 jurisdictional Judgment, without
entering into an analysis of Serbia’s status or access); and pp. 266-275,
joint dissenting opinion of Judges Ranjeva, Shi and Koroma (emphasiz-

ing that the question of access to the Court had not been settled by the
1996 Judgment on jurisdiction in that case because it had not been spe-
cifically raised by the Parties; re-examining the question de novo; and
concluding that the Federal Republic of Yugoslavia had not been a
Member of the United Nations at the time the case was filed, and there-

fore had no access to the Court at the relevant time) (Judge Parra-
Aranguren did not take part in that Judgment for reasons known to the
Court).)
5. Thus, in none of its prior Judgments has the Court concluded
definitively that Serbia and Montenegro had access to it in the period

between 1992 and 2000, and in the Legality of Use of Force cases it con-
cluded definitively that the State did not have such access. These findings
notwithstanding, the Court has held in the present Judgment that it is
entitled to exercise jurisdiction in this matter, even though at the filing of
the Application on 2 July 1999 the Respondent was neither a Member of

the United Nations nor a party to the Statute of the Court, and therefore
lacked access to the Court. To reach its conclusion in the present case,
the Court has relied on the Mavrommatis Palestine Concessions case,
where the Permanent Court of International Justice held that a treaty
defining certain procedural and substantive norms at issue (Protocol XII

of the Treaty of Lausanne) could be applied to the dispute even though it
had not come into force until after the Application was filed. According
to that Judgment:

“Even assuming that before that time the Court had no jurisdic-
tion because the international obligation referred to. . . was not yet
effective, it would always have been possible for the applicant to re-

submit his application in the same terms after the coming into force
of the Treaty of Lausanne. . .” (Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J.,
Series A, No. 2, p. 34).

The Judgment went on to state: “Even if the grounds on which the insti-
tution of proceedings was based were defective for the reason stated, this
would not be an adequate reason for the dismissal of the applicant’s suit”
(ibid.), and then: “The Court, whose jurisdiction is international, is not
bound to attach to matters of form the same degree of importance which

they might possess in municipal law.” (Ibid.; emphasis added.) According
to the present Judgment, the Court should thus consider that Serbia has
access to it because, following the logic of the Mavrommatis case, Ser-
bia’s non-membership in the United Nations at the relevant time can be
treated as a mere temporary procedural defect which was cured on

1 November 2000 when it became a new Member of the United Nations.

66 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL . COMMUNE ) 474

l’autorité de la chose jugée, tel qu’appliqué à l’arrêt de 1996 sur la com-
pétence, sans entreprendre l’analyse du statut de la Serbie ou de son accès

à la Cour); et p. 266-275, opinion dissidente commune de MM. les juges
Ranjeva, Shi et Koroma (où il est souligné que la question de l’accès à la
Cour n’avait pas été réglée dans l’arrêt rendu en 1996 au sujet de la com-
pétence, puisqu’elle n’avait pas été soulevée expressément par les Parties,
où la question est réexaminéede novo et où il est conclu que la République

fédérale de Yougoslavie n’était pas membre de l’Organisation des
Nations Unies à la date de l’introduction de l’instance et n’avait donc pas
accès à la Cour à l’époque pertinente) (le juge Parra-Aranguren n’avait
pas pris part à cette décision pour des raisons qui sont connues de la

Cour)).
5. Ainsi, dans aucun de ses arrêts antérieurs la Cour n’a conclu de
manière définitive qu’elle était ouverte à la Serbie-et-Monténégro
entre 1992 et 2000 et, dans les instances relatives à la Licéité de l’emploi
de la force, elle a au contraire conclu de façon définitive qu’elle ne lui

était pas ouverte. Nonobstant ces conclusions, la Cour a cependant
déclaré dans le présent arrêt qu’elle était fondée à exercer sa compétence
en l’espèce, même si, à la date du dépôt de la requête le 2 juillet 1999, le
défendeur n’était ni membre de l’Organisation des Nations Unies ni par-

tie au Statut de la Cour et n’avait donc pas accès à celle-ci. Pour parvenir
à sa conclusion dans la présente instance, la Cour s’est fondée sur
l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine , dans le cadre de
laquelle la Cour permanente de Justice internationale avait statué qu’un
traité définissant certaines des normes de forme et de fond qui étaient en

cause (le protocole XII du traité de Lausanne) pouvait être appliqué au
différend bien qu’il fût entré en vigueur seulement après le dépôt de la
requête. Selon cet arrêt:

«Même si, avant cette époque, la juridiction de la Cour n’existait
pas pour la raison que l’obligation internationale visée ... n’était pas
encore en vigueur, il aurait été toujours possible, pour la partie

demanderesse, de présenter à nouveau sa requête, dans les mêmes
termes, après l’entrée en vigueur du Traité de Lausanne.» (Arrêt
n 2, 1924, C.P.J.I. série A n o 2, p. 34.)

L’arrêt poursuit en ces termes: «[m]ême si la base de l’introduction d’ins-
tance était défectueuse pour la raison mentionnée, ce ne serait pas une
raison suffisante pour débouter le demandeur de sa requête»(ibid.), ajou-

tant: «[l]a Cour, exerçant une compétence internationale, n’est pas tenue
d’attacher à des considérations de forme la même importance qu’elles
pourraient avoir dans le droit interne» (ibid.; les italiques sont de nous).
Selon le présent arrêt, la Cour devrait ainsi considérer que la Serbie avait

accès à elle puisque, conformément à la logique de l’affaireMavrommatis,
le fait que la Serbie n’avait pas la qualité de membre de l’Organisation des
Nations Unies à l’époque pertinente peut être considéré comme un défaut
procédural purement temporaire auquel cet Etat aurait remédié le
1er novembre 2000 en devenant un nouveau Membre de l’Organisation.

66475 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JOINT DECL .)

6. For the Court to conclude, on the basis of this obiter dictum in
the Mavrommatis case, that the Respondent has access to it and it has
jurisdiction over the Respondent is a misapplication of the Permanent
Court’s comment. The present case does not lend itself to the approach
taken in Mavrommatis, because the Mavrommatis case did not concern

access. Indeed, the Permanent Court did not consider, let alone decide,
the issue of whether the State in question had access to the Court, nor
did it rule on the status of a Member State. In fact, the Mavrommatis
reasoning as applied in that case was not even technically concerned
with the jurisdiction of the Permanent Court, which was based on
Articles 26 and 11 of the Mandate for Palestine, not on Protocol XII.

The Court determined it had jurisdiction based on Articles 26 and 11 of
the Mandate (Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2 ,p .9)
before it even entered into its discussion of Protocol XII (ibid.,p.34;see
also ibid., p. 31 (stating that Article 11 of the Mandate, not Protocol XII,
is “the very clause from which the Court derives its jurisdiction”)).

Protocol XII served merely to complement the jurisdictional grant in
Article 11 of the Mandate through the provision of additional procedural
and substantive rules (ibid., p. 31: “In this respect, the Protocol is the
complement of the provisions of the Mandate in the same way as a set
of regulations alluded to in a law indirectly form part of it.”). The
procedural defect at issue in Mavrommatis, therefore, did not concern

an imperfection in the jurisdictional clause itself, and it certainly
did not concern an issue of access to the Court.

7. Moreover, the issue in the present case is not “procedural” (con-
cerning what a party has filed or could file), as it was in Mavrommatis,

but is decidedly preliminary and fundamental (concerning the
status of that party under the Charter of the United Nations and
the Statute of the Court). A party can correct a procedural error, but
cannot simply change a fundamental characteristic of the opposing
party’s legal status. This fact, which somehow escaped the attention

of the majority, is somewhat obscured in the present case by the
retrospective application of the Mavrommatis dictum to a situation
which has since resolved itself (i.e.,examining Serbia’s status
retrospectively). In fact, the logic of the Mavrommatis approach
was meant to be applied prospectively, in particular to excuse
procedural imperfections that the applicant could rectify ex ante

by re-filing a corrected application. Such is not the situation in the
present case, which involves, rather, a fundamental question which
is only known to resolve itself ex post. In applying the Mavrommatis
principle retroactively, the majority sets a dangerous precedent
that threatens the finality of all of the Court’s judgments, as any

jurisdictional decision could be reopened further to new
developments.

8. Further, Mavrommatis and all of its progeny dealt with very short-

67 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE DÉCL . COMMUNE ) 475

6. En concluant, sur la base de l’obiter dictum énoncé en l’affaire
Mavrommatis, qu’elle est ouverte au défendeur et compétente à son
endroit, la Cour fait une mauvaise application du principe formulé par sa
devancière. La présente instance ne se prête pas à l’approche adoptée

dans l’affaire Mavrommatis car, dans cette affaire, l’accès à la Cour
n’était pas en cause. En réalité, la Cour permanente n’avait pas abordé et
encore moins réglé la question de savoir si l’Etat concerné était admis à
ester devant elle, pas plus qu’elle ne s’était prononcée sur le statut d’un
Etat Membre. En fait, le raisonnement appliqué dans l’affaire Mavrom-

matis n’avait en aucune façon trait à la compétence de la Cour perma-
nente, qui était fondée sur les articles 11 et 26 du mandat pour la Pales-
tine, et non sur le protocole XII. La Cour s’était déclarée compétente sur
la base des articles 11 et 26 du mandat (arrêt n° 2, 1924, C.P.J.I. série A
n° 2, p. 29) avant même d’aborder l’analyse du protocole XII (ibid.¸

p. 34; voir également ibid., p. 31 (où il est indiqué que c’est l’article 11 du
mandat, et non le protocole XII, qui constitue «précisément la disposi-
tion sur laquelle [sa] juridiction se fonde»)). Le protocole XII servait uni-
quement à préciser la compétence prévue à l’article 11 du mandat en
exposant certaines règles de forme et de fond supplémentaires (ibid.,

p. 31: «Dans cet ordre d’idées, le Protocole vient compléter les disposi-
tions du Mandat à l’instar d’un Règlement qui, visé par une loi, constitue
indirectement une partie de celle-ci.»). Le défaut procédural qui était en
cause dans l’affaire Mavrommatis ne tenait donc pas à un vice de la
clause juridictionnelle elle-même, et il n’était certainement pas lié à une

question d’accès à la Cour.
7. Qui plus est, la question n’est pas ici d’ordre «procédural» (en ce
qu’il s’agirait de savoir ce qu’une partie a déposé ou peut déposer),
comme c’était le cas dans l’affaire Mavrommatis, mais revêt incontesta-
blement un caractère préliminaire et fondamental (touchant au statut de

cette partie en vertu de la Charte des Nations Unies et du Statut de la
Cour). Une partie peut certes remédier à un défaut procédural, mais elle
ne saurait modifier purement et simplement une caractéristique fonda-
mentale du statut juridique de la partie adverse. Ce fait, qui a d’une cer-
taine façon échappé à l’attention de la majorité, est quelque peu occulté

dans la présente affaire par l’application rétrospective du dictum Mavrom-
matis à une situation qui s’est réglée entre-temps (si l’on examine rétro-
spectivement le statut de la Serbie). En fait, la logique Mavrommatis était
censée s’appliquer de manière prospective, en particulier pour couvrir des
défauts d’ordre procédural auxquels le demandeur pouvait remédier ex
ante en déposant une nouvelle requête corrigée. Tel n’est pas le cas dans

la présente affaire, où est en cause au contraire une question fondamen-
tale qui ne pouvait se résoudre que ex post. En appliquant le principe
Mavrommatis de manière rétroactive, la majorité crée un dangereux pré-
cédent qui met en péril le caractère définitif de l’ensemble de ses arrêts,
toute décision juridictionnelle pouvant être remise en question à la suite

de l’évolution des circonstances.
8. En outre, l’arrêt Mavrommatis et tous ceux qui s’inscrivent dans sa

67476 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JOINT DECL .)

lived defects. For example, in the Court’s 1996 Judgment on Preliminary
Objections in Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia, the procedural
defect at issue was remedied after merely nine days (Application of the
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide

(Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia), I.C.J. Reports 1996 (II) , p. 612,
para. 24). To apply the same principle to a long-lasting defect like the one
in the present case would create a jurisprudential slippery slope in respect
of the Court’s jurisdiction, to the detriment of judicial certainty and final-
ity. If procedural defects could be rectified even years later, the Court’s

jurisdiction would be open to endless challenge, even with regard to cases
long considered to have been definitively settled. The present Judgment
proposes no limit to this uncertainty. According to the Court’s settled
jurisprudence, its jurisdiction in a case must exist at the time of filing the
Application.

9. Additionally, the Mavrommatis procedural-defect approach has
been applied where it has been the applicant or both parties, but not the

respondent alone, which failed to fulfil one of the conditions necessary
for the Court to find jurisdiction at the date the proceedings were insti-
tuted (see the present Judgment, para. 84). Where an application is
imperfect and the applicant could perfect and merely re-file it, logically
the Mavrommatis doctrine holds that the Court should not bar the appli-

cation because of a mere procedural imperfection easily rectifiable by the
applicant. For example, in the Certain German Interests in Polish Upper
Silesia case, the Permanent Court emphasized that “the Court cannot
allow itself to be hampered by a mere defect of form, the removal of
which depends solely on the Party concerned ”( Jurisdiction, Judgment

No. 6, 1925, P.C.I.J., Series A, No. 6 , p. 14; emphasis added). The
present situation, in which the Respondent failed to fulfil one of the pre-
conditions necessary for the Court to find jurisdiction at the date the pro-
ceedings were instituted, is entirely different, because the Court can in no
way have known at the date of filing whether the Applicant would ever

be in a position to file a procedurally correct Application. This depended
on the status of the Respondent, which in turn depended on actions of
the international community (in granting or withholding recognition of
the Respondent as a Member State of the United Nations). Thus, the
present case does not involve a “mere” procedural defect susceptible of
correction in a fresh application made by the same party responsible for

the defective instrument.

10. Instead of relying on the Mavrommatis case to uphold the Court’s
jurisdiction now that it is clear that the Respondent ultimately became a
State with access to the Court, the Court should, with respect to this

decidedly non-procedural matter, have determined whether, under its
Statute and jurisprudence, the Parties had access to it at the relevant

68 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .COMMUNE ) 476

lignée se rapportaient à des défauts dont l’effet était très limité dans le
temps. Par exemple, dans le cas de l’arrêt rendu en 1996 par la Cour sur
les exceptions préliminaires en l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Yougosla-

vie, le défaut procédural concerné avait été corrigé après neuf jours seu-
lement (Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions pré-
liminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 612, par. 24). Appliquer le
même principe à un défaut durable tel que celui qui est en cause en

l’espèce, c’est pour la Cour ouvrir dangereusement une brèche dans sa
jurisprudence en matière de compétence, au détriment du caractère cer-
tain et définitif de ses décisions. S’il pouvait être remédié aux défauts pro-
céduraux même des années plus tard, en effet, la compétence de la Cour
pourrait être remise en question à l’infini, y compris dans des affaires

considérées depuis longtemps comme définitivement réglées. Le présent
arrêt ne pose aucune limite à cette incertitude. Selon la jurisprudence éta-
blie de la Cour, sa compétence dans une affaire doit exister au moment du
dépôt de la requête.

9. De surcroît, la conception Mavrommatis des défauts procéduraux a
été appliquée jusqu’ici dans des cas où soit le demandeur, soit les deux
parties, mais non pas le seul défendeur, ne satisfaisaient pas à l’une des
conditions nécessaires pour que la Cour pût se déclarer compétente à la
date de l’introduction de l’instance (voir le présent arrêt, par. 84).

Lorsqu’une requête est imparfaite et que le demandeur peut y remédier
simplement en la déposant une nouvelle fois, la doctrine Mavrommatis
prévoit en toute logique que la Cour ne devrait pas y faire obstacle à
cause d’une simple imperfection procédurale qui pourrait aisément être
corrigée par le demandeur. Ainsi, dans l’affaire relative à Certains inté-

rêts allemands en Haute-Silésie polonaise , la Cour permanente avait
affirmé «ne [pas] pou[voir] s’arrêter à un défaut de forme qu’il dépendrait
de la seule Partie intéressée de faire disparaître »( compétence, arrêt n 6,
1925, C.P.J.I. série A n° 6 , p. 14; les italiques sont de nous). Le cas pré-
sent, dans lequel le défendeur ne satisfaisait pas à l’une des conditions

préalables nécessaires pour que la Cour puisse se déclarer compétente à la
date de l’introduction de l’instance, est radicalement différent puisque la
Cour ne pouvait en aucun cas savoir à ladite date si le demandeur serait
un jour en mesure de déposer une requête en bonne et due forme. Cela

dépendait du statut du défendeur, lui-même suspendu à la décision de la
communauté internationale (de le reconnaître ou non en tant qu’Etat
Membre de l’Organisation des Nations Unies). Ce qui est en cause dans
la présente affaire, ce n’est donc pas un simple «défaut de forme» pou-
vant être corrigé dans une nouvelle requête déposée par la partie respon-

sable de l’instrument défectueux.
10. Au lieu de s’appuyer sur l’affaire Mavrommatis pour confirmer sa
compétence maintenant qu’il est clair que le défendeur est finalement
devenu un Etat admis à ester devant elle, la Cour aurait dû, au sujet de
cette question qui n’a décidément rien de procédural, déterminer si, au

regard de son Statut et de sa jurisprudence, les Parties avaient accès à elle

68477 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JOINT DECL .)

time. Thus, the Court was required to proceed from the fundamental
premise that the determination was to be made at the time Croatia filed
its Application. As the Court rightly observes in the present Judgment, it
has reiterated in numerous precedents that: “the jurisdiction of the Court

must normally be assessed on the date of the filing of the act instituting
proceedings” (para. 79; emphasis added, citing Application of the Con-
vention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bos-
nia and Herzegovina v. Yugoslavia), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 1996 (II) , p. 613, para. 26; Questions of Interpretation

and Application of the 1971 Montreal Convention arising from the Aerial
Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United Kingdom),
Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998 , p. 26, para. 44).
Yet, the Court in the present Judgment chose two different strategies to
contravene this fundamental principle. First, it argued that jurisdiction

could be reconsidered as of the date of the Court’s consideration of the
case, stating:

“What matters is that, at the latest by the date when the Court
decides on its jurisdiction, the applicant must be entitled, if it so
wishes, to bring fresh proceedings in which the initially unmet con-
dition would be fulfilled” (Judgment, para. 85).

As stated, this proposition would appear to be fundamentally self-
contradictory. The majority is trying to have it both ways. It states, on the

one hand, that it does not matter that the Court did not have jurisdiction
ratione personae over Serbia when Croatia filed its Application, that it is
just a matter of form, and that, since Serbia is a party to the Statute of
the Court now, the Court can exercise jurisdiction. On the other hand, it
states that it is irrelevant that Serbia later entered a reservation to Arti-

cle IX of the Genocide Convention because what matters is that, at the
time the Application was filed, this reservation did not yet exist. The
Court cannot take one approach to jurisdiction on one issue and a dif-
ferent approach to jurisdiction on another issue in the same case.

Second, the Court also argued that jurisdiction could be reconsidered
as of the date of the Memorial, concluding that because Croatia’s Appli-
cation was “a short text comprising some ten pages” (ibid., para. 90),
while its Memorial, presented after Serbia gained access to the Court,
was “a document of 414 pages” (ibid.), this somehow allows for recon-
sideration of access at the date of the Memorial because the Memorial

thus breaks new ground. The Court’s jurisprudence does not support
either of these alternative approaches. Despite these two attempts to
change the date at which access to the Court is to be determined to either
the date of the Memorial or the date of the Court’s consideration of the
case, the fundamental premise remains — and the present Judgment

acknowledges — that access to the Court is to be determined as of the
date of the filing of the Application.

69 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE DÉCL . COMMUNE ) 477

à l’époque pertinente. Ainsi, la Cour devait se conformer au principe fon-
damental selon lequel, pour une telle appréciation, elle devait se placer à
la date à laquelle la Croatie avait déposé sa requête. Comme elle le rap-
pelle à juste titre dans le présent arrêt, elle a maintes fois répété que «[s]a

compétence ... doit normalement s’apprécier à la date du dépôt de l’acte
introductif d’instance » (par. 79 (les italiques sont de nous), citant les
affaires relatives à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 613, par. 26,

et aux Questions d’interprétation et d’application de la convention de
Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya
arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 26, par. 44). Pourtant, dans le présent arrêt, la
Cour a choisi deux stratégies différentes pour contrevenir à ce principe

fondamental. Tout d’abord, elle affirme que sa compétence peut être
reconsidérée à la date de son examen de l’affaire, déclarant:

«ce qui importe, c’est que, au plus tard à la date à laquelle la Cour
statue sur sa compétence, le demandeur soit en droit, s’il le souhaite,
d’introduire une nouvelle instance dans le cadre de laquelle la
condition qui faisait initialement défaut serait remplie» (arrêt,
par. 85).

Ainsi formulée, cette proposition semble présenter une contradiction
interne. La majorité cherche à jouer sur les deux tableaux. D’une part,

elle déclare qu’il importe peu que la Cour n’ait pas eu compétence
ratione personae à l’égard de la Serbie lorsque la Croatie a déposé sa
requête, que ce n’est qu’une question de pure forme et que, la Serbie
étant à présent partie au Statut de la Cour, celle-ci peut exercer sa com-
pétence. D’autre part, elle déclare n’attacher aucune importance au fait

que la Serbie a formulé par la suite une réserve à l’article IX de la
convention sur le génocide, l’important étant que, à la date du dépôt de
la requête, cette réserve n’existait pas encore. La Cour ne peut dans une
même affaire adopter sur sa compétence tantôt un point de vue et tantôt
un autre.

Ensuite, la Cour affirme aussi pouvoir réexaminer sa compétence en se
plaçant à la date du mémoire, concluant que, puisque la requête de la
Croatie était «un texte bref d’une dizaine de pages» (ibid., par. 90), alors
que son mémoire, présenté après que la Serbie eut obtenu l’accès à la
Cour, était «un document de 414 pages» (ibid.), il lui serait en quelque
sorte loisible de réexaminer l’accès à la date du mémoire, celui-ci traitant

d’aspects nouveaux. La jurisprudence de la Cour n’appuie ni l’une ni
l’autre de ces approches. En dépit de ces deux tentatives visant à modi-
fier la date à laquelle doit être appréciée la compétence de la Cour et à
prendre en considération soit la date du dépôt du mémoire, soit celle de
l’examen de l’affaire, le principe fondamental n’en demeure pas moins

— et il est du reste reconnu dans le présent arrêt — que l’accès à la
Cour doit s’apprécier à la date du dépôt de la requête.

69478 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JOINT DECL .)

11. In a nutshell, when the Applicant instituted proceedings against
the Respondent in 1999, the Respondent was not a party to the Statute of
the Court and therefore had no access to the Court. This fact cannot be
rectified by recourse to the approach taken by the Permanent Court in

the Mavrommatis case.
12. In choosing to exercise jurisdiction in the present case, the Court
will not only be in flagrant violation of the provisions of the United
Nations Charter, the Statute of the Court, General Assembly resolu-
tion 47/1, and Security Council resolution 777, but will also be ignoring

one of the fundamental principles of international justice, that of equality
between the applicant and the respondent. Stating that the Court can
exercise jurisdiction because the Respondent has subsequently been admit-
ted to the United Nations, and that this thus validates the Application, is
to ignore the fact that as a non-Member State of the United Nations and

non-party to the Statute of the Court, Serbia and Montenegro was not
entitled to institute proceedings before the Court against Croatia without
the latter’s consent. Indeed, when the Respondent in the present case
attempted to do so against other States in the Legality of Use of Force
cases, this Court ruled that the present Respondent as Applicant in those

cases had no access to the Court and that the Court therefore could not
exercise its jurisdiction.
13. It should also be noted that, indeed, the Applicant itself has pre-
viously taken the position that the Respondent lacked the capacity to
participate in proceedings before the Court at the relevant time. In a let-

ter addressed to the Secretary-General of the United Nations in May 1999,
concerning the question of the Court’s exercise of jurisdiction, the Appli-
cant stated as follows:

“Since a new application for membership in the United Nations,

pursuant to Article 4 of the Charter of the United Nations, has not
been made by the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Mon-
tenegro) to date, and it has not been admitted to the United Nations,
the Federal Republic of Yugoslavia therefore cannot be considered
to be ipso facto a party to the Statute of the Court by virtue of Arti-

cle 93, paragraph 1, of the Charter of the United Nations. Neither
has the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Montenegro)
become a contracting party of the Statute of the Court under Arti-
cle 93, paragraph 2, of the Charter, which states that a non-member
State can only become a contracting party of the International
Court of Justice’s Statute under conditions set by the General Assem-

bly on the recommendation of the Security Council on a case-by-
case basis. Furthermore, the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia
and Montenegro) has not accepted the jurisdiction of the Court
under the conditions provided for in Security Council resolution 9
(1946) and adopted by the Council by virtue of powers conferred on

it by article 35, paragraph 3, of the Statute of the Court.” (Letter
dated 27 May 1999 from the Permanent Representatives of Bosnia

70 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .COMMUNE ) 478

11. En bref, lorsque le demandeur introduisit l’instance contre le défen-
deur en 1999, ce dernier n’était pas partie au Statut de la Cour et celle-ci
ne lui était donc pas ouverte. C’est un fait auquel il ne peut être remédié
par application de l’approche adoptée par la Cour permanente dans

l’affaire Mavrommatis.
12. En décidant d’exercer sa compétence dans la présente affaire, la
Cour non seulement transgresse de manière flagrante les dispositions de
la Charte des Nations Unies, de son propre Statut, de la résolution 47/1
de l’Assemblée générale et de la résolution 777 du Conseil de sécurité,

mais également fait fi d’un des principes fondamentaux de la justice inter-
nationale, celui de l’égalité entre le demandeur et le défendeur. Déclarer
que la Cour peut exercer sa compétence parce que le défendeur a ulté-
rieurement été admis à l’Organisation des Nations Unies, ce qui aurait eu
pour effet de valider la requête, c’est négliger le fait que, n’étant ni membre

de l’Organisation ni partie au Statut, la Serbie-et-Monténégro n’était pas
habilitée à engager devant la Cour une instance contre la Croatie sans
le consentement de cette dernière. D’ailleurs, lorsque l’Etat qui est défen-
deur en l’espèce voulut agir contre d’autres Etats dans les instances rela-
tives à la Licéité de l’emploi de la force , cette fois en qualité de deman-

deur, la Cour déclara qu’elle ne lui était pas ouverte et qu’elle ne pouvait
donc exercer sa compétence.
13. Il convient également de noter que, en fait, le demandeur lui-même
a pris antérieurement pour position que le défendeur n’avait pas qualité
pour ester devant la Cour à l’époque pertinente. Dans une lettre adressée

au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies en mai 1999 au
sujet de l’exercice de sa compétence par la Cour, le demandeur s’était en
effet exprimé en ces termes:

«Etant donné qu’une nouvelle demande d’admission à l’Organisa-

tion des Nations Unies, conformément à l’article 4 de la Charte des
Nations Unies, n’a pas à ce jour été présentée par la République
fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) et que celle-ci n’a
pas été admise comme membre de l’Organisation, la République
fédérale de Yougoslavie ne peut être considérée comme étant ipso

facto partie au Statut de la Cour en vertu du paragraphe 1 de l’ar-
ticle 93 de la Charte des Nations Unies. La République fédérale de
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) n’est pas non plus devenue par-
tie au Statut de la Cour en vertu du paragraphe 2 de l’article 93 de la
Charte, qui énonce que les Etats qui ne sont pas membres de l’Orga-
nisation peuvent devenir parties au Statut de la Cour internationale

de Justice dans des conditions qui sont déterminées, dans chaque
cas, par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de
sécurité. En outre, la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) n’a pas accepté la juridiction de la Cour dans les
conditions prévues dans la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité

et adoptées par le Conseil en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés
par le paragraphe 3 de l’article 35 du Statut de la Cour.» (Lettre

70479 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JOINT DECL .)

and Herzegovina, Croatia, Slovenia and the former Yugoslav Repub-
lic of Macedonia to the United Nations addressed to the Secretary-
General, United Nations doc. A/53/992, 7 June 1999.)

14. In the light of the foregoing, for the Court now to decide that it
has jurisdiction in this case is inconsistent not only with its earlier find-
ings but also with the express position of the Applicant in this case at the

relevant times. Hence, not only may this Judgment be seen as unjustified
and even contra legem, but it is also in contradiction with the factual situ-
ation as previously characterized by the Applicant.

15. Finally, a point should be made about the consistency of the

Court’s judgments. On at least three occasions, the Court reiterates that
decisions taken in previous proceedings (not involving exactly the same
parties) are not res judicata under Article 59 of the Statute of the Court,
but that the Court “will not depart from its settled jurisprudence unless it
finds very particular reasons to do so” (Judgment, para. 53; see also

paras. 54 and 76). The Court also notes that this is the position taken by
both of the Parties to the present dispute (ibid., para. 71). However, the
present Judgment addresses this issue through weak attempts to distin-
guish the 2004 Judgment. First, it reasons that the Applicant in 2004 did
not raise the issue of access while the Applicant in this case did (ibid.,

paras. 88-89). This is unconvincing: access is not a condition which may
be satisfied merely upon request by the applicant (and certainly not
access for the opposing party!); rather, it is a fundamental characteristic
that arises out of a party’s status and is required by the Charter and the
Statute of the Court. If Serbia lacked access to the Court in 2004, Croatia

absolutely cannot provide it with access in the present case simply by
making a request to the Court to that effect. The Court also attempts to
distinguish the 2004 case by arguing that “[i]t was clear [in that case, con-
trary to the present case] that Serbia and Montenegro did not have the
intention of pursuing its claims by way of new applications” (ibid.,

para. 89). This assumption by the Court is also an unconvincing basis on
which to rest such an important distinction, as the Court overlooks the
fact that the Applicant could not file a new application because of Ser-
bia’s reservation to the Genocide Convention.

16. Since the Respondent in this case did not fulfil the conditions
required to gain access to the Court at the time when the Applicant insti-
tuted proceedings in 1999, the Court cannot exercise a jurisdiction that
has not been conferred on it. In other words, the conditions for the Court

to exercise jurisdiction in this case — the concordance of jurisdiction
ratione personae, ratione materiae and ratione temporis — were not met

71 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .COMMUNE ) 479

datée du 27 mai 1999, adressée au Secrétaire général par les repré-
sentants permanents de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de la
Slovénie et de l’ex-République yougoslave de Macédoine auprès de
l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, doc. A/53/992,

7 juin 1999.)

14. Compte tenu de ce qui précède, en s’affirmant aujourd’hui compé-
tente dans la présente affaire, la Cour contredit non seulement ses conclu-
sions antérieures, mais aussi la position adoptée expressément à l’époque

pertinente par le demandeur. Partant, non seulement cet arrêt risque
d’être considéré comme injustifié, voire contra legem, mais il est égale-
ment contraire à la situation factuelle telle que le demandeur l’avait pré-
sentée antérieurement.
15. Enfin, une observation reste à formuler au sujet de la cohérence

entre les arrêts de la Cour. A trois reprises au moins, la Cour répète que
les décisions rendues dans le cadre d’instances antérieures (n’opposant
pas exactement les mêmes parties) ne sont pas revêtues de l’autorité de la
chose jugée au titre de l’article 59 de son Statut, mais qu’elle «ne s’écar-
tera pas de sa jurisprudence établie, sauf si elle estime avoir pour cela des

raisons très particulières» (arrêt, par. 53; voir également par. 54 et 76).
La Cour relève aussi que c’est la position adoptée par les deux Parties au
présent différend (ibid., par. 71). Toutefois, les efforts qu’elle fait à cet
égard dans l’arrêt pour établir des différences avec l’affaire jugée en 2004
ne sont guère convaincants. Elle déclare tout d’abord que, en 2004, le

demandeur n’avait pas soulevé la question de l’accès, contrairement à ce
qu’a fait le demandeur en l’espèce (ibid., par. 88-89). Cela n’emporte pas
la conviction: l’accès n’est pas une condition à laquelle il peut être satis-
fait sur simple requête du demandeur (surtout lorsqu’il s’agit de l’accès de
la partie adverse!); c’est plutôt une qualité fondamentale qui tient au sta-

tut d’une partie et qui est requise par la Charte et par le Statut de la
Cour. Si la Serbie n’avait pas accès à la Cour en 2004, la Croatie ne peut
absolument pas lui offrir cet accès dans la présente affaire simplement en
présentant à la Cour une demande en ce sens. La Cour cherche également
à établir une distinction avec l’affaire jugée en 2004 en soutenant qu’«[i]l

était clair [dans cette affaire-là, par opposition à la présente instance] que
la Serbie-et-Monténégro n’avait pas l’intention de maintenir ses de-
mandes sous la forme de nouvelles requêtes» (ibid., par. 89). Ce postulat
de la Cour constitue encore une bien piètre base sur laquelle fonder
une distinction d’une telle importance, la Cour ne tenant pas compte
du fait que le demandeur ne pouvait pas déposer de nouvelle requête à

cause de la réserve émise par la Serbie à la convention sur le génocide.
16. Puisque le défendeur en l’instance ne satisfaisait pas aux conditions
requises pour être admis à ester devant la Cour à l’époque où le deman-
deur introduisit la présente instance, en 1999, la Cour ne saurait exercer
une compétence qui ne lui a pas été conférée. En d’autres termes, les

conditions nécessaires pour que la Cour exerce sa compétence dans la
présente affaire — qu’elle ait à la fois compétence ratione personae,

71480 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JOINT DECL.)

and the Court, therefore, wholly lacked jurisdiction at the time and still
lacks it today. This conclusion is also in conformity with General Assem-
bly resolution 55/12, admitting Serbia and Montenegro to membership of

the United Nations and by virtue of which Serbia and Montenegro
became a party to the Statute. Consequently, the Court’s present Judg-
ment is not only contra legem and therefore inadmissible to provide a
basis for the Court’s jurisdiction, but it also contradicts the Court’s juris-
prudence. If the Respondent lacked access to the Court when it filed its

Applications against some States in 1999, as the Court held in 2004, it
cannot be deemed to have had access to the Court as Respondent when
Croatia filed its Application against it, also in 1999.

17. In addition to our views on the foregoing issues concerning access,

we also express concern regarding the Court’s position on jurisdiction,
which it concludes is established based on the declaration made on
27 April 1992 regarding commitments that “the SFR of Yugoslavia
assumed internationally. . . [to remain] bound by all obligations. . .”

(Judgment, para. 44). First, this declaration was made on the basis of a
claimed State continuity which, as it turned out, was not accepted by the
United Nations, including the Applicant, and thus such a declaration
cannot form the basis of the Court’s jurisdiction. Second, the Court’s
analysis of the validity of the declaration is based on a flawed premise.

The Court states that the Federal Republic of Yugoslavia at the time of
the declaration “was then claiming to be the continuator State of the
SFRY, but it did not repudiate its status as a party to the Convention
even when it became apparent that that claim would not prevail. . .”
(ibid., para. 111; emphasis added). The Court’s statement is factually

inaccurate. Quite the contrary — and as the Court even notes later in its
Judgment (ibid., para. 116) — on 6 March 2001 the Federal Republic of
Yugoslavia specifically repudiated the 27 April declaration, stating that:

“N OW it has been established that the Federal Republic of Yugo-
slavia has not succeeded on April 27, 1992, or on any later date, to
treaty membership, rights and obligations of the Socialist Federal

Republic of Yugoslavia in the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide. . .

THEREFORE , I am submitting on behalf of the Government of the
Federal Republic of Yugoslavia this notification of accession to the

Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide. . .” (Notification of Accession to the Genocide Conven-
tion by the Federal Republic of Yugoslavia, 6 March 2001, Applica-
tion for Revision of the Judgment of 11 July 1996 in the Case con-
cerning Application of the Convention on the Prevention and

Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v.

72 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE DÉCL . COMMUNE ) 480

ratione materiae et ratione temporis — n’étaient pas réunies et la Cour
était donc totalement dépourvue de compétence à l’époque, et elle l’est
encore aujourd’hui. Cette conclusion est également conforme à la réso-

lution 55/12, par laquelle l’Assemblée générale a admis la Serbie-et-
Monténégro à l’Organisation des Nations Unies et en vertu de laquelle cet
Etat est devenu partie au Statut. Par conséquent, le présent arrêt n’est pas
seulement contra legem, et donc impropre à fonder la compétence de la
Cour, il est aussi contraire à sa jurisprudence. Si le défendeur n’avait pas

accès à la Cour lorsqu’il déposa ses requêtes contre certains Etats en 1999,
comme l’a jugé la Cour en 2004, il ne saurait être réputé avoir eu cet accès
en tant que défendeur lorsque, toujours en 1999, la Croatie déposa elle-
même une requête à son encontre.
17. Outre ces vues que nous venons d’exposer sur les questions concer-

nant l’accès à la Cour, nous exprimons aussi nos préoccupations quant à
la position de la Cour sur sa compétence, qu’elle juge établie sur la base
de la déclaration faite le 27 avril 1992 au sujet d’engagements que «la
République fédérative socialiste de Yougoslavie a[vait] pris à l’échelon

international», selon laquelle la RFY «rest[erait] liée par toutes ses obli-
gations» (arrêt, par. 44). Premièrement, cette déclaration avait été for-
mulée sur la base d’une prétendue continuité de l’Etat qui ne fut finale-
ment pas reconnue par les Nations Unies, et notamment par le deman-
deur, et cette déclaration ne peut pas dès lors fonder la compétence de la

Cour. Deuxièmement, l’analyse que fait la Cour de la validité de la décla-
ration repose sur une prémisse fausse. En effet, la Cour déclare que, à
l’époque de la déclaration, la République fédérale de Yougoslavie «pré-
tendait ... être l’Etat continuateur de la RFSY, et ne renonça pas à son
statut de partie à la Convention même lorsqu’il devint manifeste que cette

thèse ne prévaudrait pas» (ibid., par. 111). Cette déclaration de la Cour
est factuellement inexacte. Bien au contraire — et la Cour le relève
d’ailleurs un peu plus loin dans son arrêt (ibid., par. 116) —, le
6 mars 2001, la République fédérale de Yougoslavie revint expressément
sur la déclaration du 27 avril, dans les termes suivants:

«Maintenant qu’il est établi que la République fédérale de You-
goslavie n’a succédé ni le 27 avril 1992 ni à aucune autre date ulté-
rieure à la République fédérative socialiste de Yougoslavie en sa

qualité de partie à la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide et dans ses droits et obligations découlant de
cette convention ...
E N CONSÉQUENCE , je présente au nom du Gouvernement de la
République fédérale de Yougoslavie cette notification d’adhésion à

la convention pour la prévention et la répression du crime de géno-
cide.» (Notification d’adhésion de la République fédérale de You-
goslavie à la convention sur le génocide, 6 mars 2001, Demande en
revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Applica-
tion de la convention pour la prévention et la répression du crime

de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions pré-

72481 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JOINT DECL.)

Yugoslavia), Preliminary Objections (Yugoslavia v. Bosnia and
Herzegovina), Judgment, I.C.J. Reports 2003 , p. 25, para. 52).

Thus, not only did the Federal Republic of Yugoslavia repudiate the
27 April declaration, but its action of acceding to the Genocide Conven-
tion cannot but lead to the conclusion that it also accepted that it was not

a party to the Genocide Convention during the relevant time. Third, even
if, hypothetically, this declaration could provide a basis for the Court’s
jurisdiction, it would not be a complete basis because, as discussed in the
beginning of this declaration, a fundamental pre-condition to its exer-

cise — Serbia’s access to the Court — has not been established.

18. In conclusion, because we are firmly convinced both that Serbia

lacked access to the Court at the relevant time (and thus the Court lacked
jurisdiction ratione personae) and that Serbia’s 27 April declaration is not
sufficient to give the Court jurisdiction, we conclude that the Court is
wholly lacking jurisdiction to hear the case.

(Signed) Raymond R ANJEVA .

(Signed) S HI Jiuyong.
(Signed) Abdul G. K OROMA .

(Signed) Gonzalo P ARRA -A RANGUREN .

73 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .COMMUNE ) 481

liminaires (Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil
2003, p. 25, par. 52.)

Ainsi, non seulement la République fédérale de Yougoslavie s’est rétrac-
tée de sa déclaration du 27 avril, mais le fait qu’elle ait adhéré à la
convention sur le génocide oblige à conclure qu’elle reconnaissait égale-

ment ne pas y avoir été partie à l’époque pertinente. Troisièmement,
quand bien même, par hypothèse, cette déclaration pourrait constituer
une base de compétence pour la Cour, ce serait une base incomplète puis-
que, ainsi que nous l’avons exposé au début de la présente déclaration,

il n’a pas été établi qu’une condition préalable fondamentale à l’exercice
de cette compétence — à savoir l’accès de la Serbie à la Cour — était
remplie.
18. En somme, étant fermement convaincus à la fois que la Cour

n’était pas ouverte à la Serbie à l’époque pertinente (et était donc incom-
pétente ratione personae) et que la déclaration faite le 27 avril par cet
Etat ne suffit pas à lui conférer compétence, nous concluons que la Cour
n’a en aucune manière compétence pour connaître de l’affaire.

(Signé) Raymond R ANJEVA .

(Signé) S HI Jiuyong.
(Signé) Abdul G. K OROMA .

(Signé) Gonzalo P ARRA -A RANGUREN .

73

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Déclaration commune de MM. les juges Ranjeva, Shi, Koroma et Parra-Aranguren

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