Opinion individuelle de Mme la juge Sebutinde

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118-20150203-JUD-01-09-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M me LA JUGE SEBUTINDE

[Traduction]

Compétence ratione temporis en vertu de l’article IX de la convention sur le
génocide —Désaccord sur le point 1 du dispositif — La RFY (Serbie) ne pouvait
être liée par la convention sur le génocide avant le 27 avril 1992, date à laquelle elle

est devenue Partie contractante par voie de succession — Les différ▯ ends visés à
l’article IX de la convention sur le génocide doivent porter sur l’interprét▯ ation, l’ap
plication et l’exécution de la Convention par les Parties contra▯ ntes relativement
à des actes attribuables à ces Etats— La RFSY, à laquelle le demandeur attribue
des actes commis avant le 27 avril 1992, est une entité qui n’existe plus et n’est plus
Partie contractante — La responsabilité de la RFY (Serbie), en tant que l’un des

Etats successeurs, à raison d’actes commis antérieurement au 27▯ avril 1992, soit
avant qu’elle ne devienne un Etat ou une partie à la convention sur le génocide, ne
relève pas ratione temporis de la compétence de la Cour aux termes de l’article IX.
Nécessité de faire preuve de circonspection avant d’accorder un▯e valeur probante
à la décision d’un tribunal pénal international de ne pas po▯rter d’accusation de
génocide contre tel ou tel individu, ou de tirer des conclusions de p▯areille déci‑

sion — Aux termes du Statut du TPIY, l’instruction des dossiers et l’▯exercice de
poursuites relèvent uniquement du pouvoir discrétionnaire et des p▯rérogatives du
procureur, sans qu’il soit tenu de divulguer les motifs de ses déc▯isio— A la dif‑
férence des décisions judiciaires, les décisions du procureur t▯endant à retenir ou à
exclure un chef d’accusation à l’égard d’un individu sont▯ des décisions d’ordre exé ‑
cutif fondées sur les éléments de preuve prima facie disponibles et n’emportent

aucune conclusion générale ou définitive quant aux faits — Dans l’exercice de son
pouvoir discrétionnaire, le procureur est influencé par de multipl▯es facteurs sans
rapport avec les éléments de preuve disponibles — En conséquence, la Cour doit
faire preuve de circonspection avant d’accorder une valeur probante a▯ux décisions
du TPIY de ne pas porter contre certains individus d’accusation de gé▯nocide décou‑
lant du conflit en Croatie, ou d’en tirer des conclusions.

Introduction

1. Je suis d’accord avec la décision de la Cour de rejeter la demandeh de
la Croatie et la demande reconventionnelle de la Serbie, et j’ai donch voté
pour les points 2 et 3 du dispositif de l’arrêt. Cependant, j’ai voté contre

le point 1, par lequel la majorité «[r]ejette la deuxième exception d’incom -
pétence soulevée par la Serbie et dit que [la] compétence [de la Cour] pour
connaître de la demande de la Croatie s’étend aux faits antéhrieurs au

27 avril 1992 » (par. 524), ne pouvant souscrire à cette conclusion ni au
raisonnement qui la motive. A mon avis, pour les raisons que j’exposeh
dans la présente opinion, la deuxième exception préliminaire àh la demande
de la Croatie aurait dû être retenue.

2. Je suis également en désaccord avec la majorité sur une questiohn secon -
daire, sans incidence sur l’issue de l’affaire, mais qui mérite hnéanmoins qu’on

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s’y arrête plus en détail; il s’agit du choix qu’a fait la Cour d’accorder une
valeur probante aux décisions du procureur du Tribunal pénal interhnational
pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) de porter ou non contre certains individus des

accusations du crime de génocide, ou de tirer des déductions de cehs décisions.
Dans les affaires comme celle-ci (touchant des allégations de génocide ou de
violations graves du droit international pénal ou humanitaire qui onth déjà
fait l’objet de procès devant un tribunal pénal international eht de décisions

de celui-ci), la Cour internationale de Justice devrait, à mon avis, faire prheuve
d’une extrême circonspection avant d’accorder quelque valeur prhobante à de
telles décisions judiciaires, ou d’en tirer des conclusions, lorsqu’elle ne connaît
pas les raisons qui les motivent. J’estime que, dans le présent arhrêt, la déduc
tion que tire la Cour de ce que certaines des poursuites engagées devhant le

TPIY à la suite du conflit qui a eu lieu en Croatie n’ont pas déhbouché sur
des inculpations du chef de génocide, alors qu’elle n’a pas éhlucidé les raisons
motivant ces décisions, relève largement de la spéculation, au hrisque de
mener à des conclusions regrettables. Les contradictions qui caractéhrisent le
traitement de cette question dans l’arrêt ne font que la compliquehr davantage

(voir arrêt, par.187, 440 et 461). J’expose mon point de vue plus en détail
dans les paragraphes qui suivent.

I. L’exception d’incomphétence Ratione tempoRis et d’irrecevabilité

des demandes de la Croathie soulevée par la Serhbie

3. La deuxième exception préliminaire aux demandes de la Croatie
soulevée par la Serbie à l’alinéa a) du point 2 de ses conclusions finales
était que «les demandes se rapportant à des actes ou omissions antérieurs

au 27 avril 1992 ne rel[e]v[ai]ent pas de la compétence de la Cour et
[étaient] irrecevables». Selon la Serbie, la plupart des actes allégués de
génocide visés par les demandes de la Croatie (112 sur 120) éhtaient surve -
nus avant le 27 avril 1992, soit avant que la RFY (Serbie) n’ait commencé

à exister. La Serbie soutenait donc que, même si la Cour venait àh juger
que des actes antérieurs au 27 avril 1992 pouvaient lui être attribués, elle
devrait rejeter la demande de la Croatie fondée sur ces actes faute d’être
compétente ratione temporis pour connaître de ceux-ci. La Croatie rejetait
entièrement cet argument.

4. Dans son arrêt de 2008, la Cour a noté que la deuxième exception
préliminaire de la Serbie était présentée à la fois commeh une « exception
d’incompétence» et une « exception d’irrecevabilité des demandes » (Appli ‑
cation de la convention pour la prévention et la répression du cri▯me de géno ‑
cide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil

2008, p. 456, par. 120; les italiques sont de moi). Notant également que
cette exception comprenait deux questions liées, la Cour a dit ce quih suit :

« La première [question] est celle de savoir si la Cour a compétenceh
pour déterminer si des violations de la convention sur le génocideh ont
été commises, à la lumière des faits antérieurs à la date à laquelle la

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7 CIJ1077.indb 801 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (op. inhd. sebutinde) 402

RFY a commencé à exister en tant qu’Etat distinct, ayant à che titre
la capacité d’être partie à cet instrument ; cela revient à se demander
si les obligations en vertu de la Convention étaient opposables à hla

RFY antérieurement au 27 avril 1992. La seconde question, qui
porte sur la recevabilité de la demande concernant ces faits, et qui ha
trait à l’attribution, est celle des conséquences à tirer quhant à la res-
ponsabilité de la RFY à raison desdits faits en vertu des règlehs géné-

rales de la responsabilité de l’Etat. Pour que la Cour puisse se
prononcer sur chacune de ces questions, elle devra disposer de
davantage d’éléments.» (C.I.J. Recueil 2008, p. 460, par. 129.)

5. Dans le même arrêt, par onze voix contre six, la Cour a dit que lah
deuxième exception préliminaire de la Serbie « n’a[vait] pas … un carac-
tère exclusivement préliminaire » et que, dans ces circonstances, elle ne

pouvait statuer sur cette question in limine litis (ibid., p. 466, par. 146).
Aussi la Cour a -t-elle réservé sa décision sur ce point pour le stade du
fond.
6. Selon moi, la deuxième exception de la Serbie soulevait des obstaclesh
insurmontables à la recevabilité de la demande de la Croatie relathive aux

actes allégués avoir été commis avant le 27 avril 1992, c’est-à-dire avant
que la RFY (Serbie) ne devienne partie à la convention sur le géhnocide.
Certes, comme l’a dit la Cour dans son arrêt de 2008, « la convention sur
le génocide ne contient aucune disposition expresse limitant sa compéh -

tence ratione temporis» (ibid., p. 458, par. 123), mais j’estime que cer -
taines conclusions de la Cour dans cet arrêt, ainsi que les faits de hla
présente espèce, vont à l’encontre du point de vue de la majhorité dans le
présent arrêt, selon lequel « [la] compétence [de la Cour] pour connaître
de la demande de la Croatie s’étend aux faits antérieurs au 27 avril 1992»

(par. 524). J’expose ci-après les raisons de mon désaccord.
7. Premièrement, la Cour a déterminé sans équivoque dans son arhrêt
de 2008 que la Serbie était, par voie de succession, devenue partie àh la
convention sur le génocide le 27 avril 1992. Elle a dit ce qui suit:

«[A] compter de cette date , la RFY serait liée, en tant que partie,
par les obligations découlant de toutes les conventions multilatérhales

auxquelles la RFSY était partie au moment de sa dissolution, à
moins, bien sûr, que celle -ci n’eût formulé de manière régulière des
réserves limitant ses obligations. Il est constant que la convention hsur
le génocide faisait partie de ces conventions et que la RFSY n’avahit
formulé aucune réserve à son égard. La RFY a donc accepté en 1992

les obligations découlant de cette convention… Dans le contexte dehs
événements qui se sont produits, cela signifie que la déclarahtion et la
note de 1992 ont eu l’effet d’une notification de succession de lha RFY
à la RFSY à l’égard de la convention sur le génocide. » (Application

de la convention pour la prévention et la répression du crime de g▯éno ‑
cide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2008, p. 454-455, par. 117 ; les italiques sont de moi.)

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7 CIJ1077.indb 803 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (op. inhd. sebutinde) 403

8. Selon la conclusion énoncée en 2008 par la Cour, la RFY (Serbie)h, à
compter du 27 avril 1992, avait assumé une nouvelle identité, distincte de
celle de l’Etat prédécesseur (la RFSY), qui avait cessé d’hexister immédia-

tement avant cette date. La Cour a constaté que la prétention de
continuité de la Serbie, formulée à l’origine dans la déclaration du
27 avril 1992, avait été rejetée par la communauté internationale, quhi
considérait que la Serbie ne pouvait occuper la place de l’ex -Yougoslavie

aux Nations Unies, et devait demander son admission en tant que nouvel
Etat, comme l’exigeaient la résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité et
la résolution 47/1 de l’Assemblée générale des Nations Unies. Ce n’est h
qu’après avoir satisfait à cette exigence que la Serbie a éthé admise à
l’Organisation des Nations Unies le 1 ernovembre 2000 en tant que nou-

vel Etat.
9. A la lumière de cette seule constatation, l’idée que la RFY (Sherbie)
pouvait assumer la responsabilité de faits illicites de l’Etat prédécesseur
(la RFSY) paraît indéfendable. Elle le semble encore plus si l’hon considère
que, selon l’accord sur les questions de succession conclu par les anciennes

républiques yougoslaves de Croatie, Slovénie, Bosnie -Herzégovine et
Macédoine le 29 juin 2001 et accepté par la Serbie -et-Monténégro, les
cinq républiques se voient comme « également souveraines en tant
qu’Etats successeurs de l’ancienne République fédérative hsocialiste de
Yougoslavie ».

10. Deuxièmement, il faut rappeler que la demande de la Croatie est
fondée exclusivement sur le droit des traités et que la compétehnce de la
Cour repose sur le consentement des Etats parties. Dans la présente
affaire, la Serbie a reconnu la compétence de la Cour en vertu de la
convention sur le génocide à compter de la date à laquelle elleh est devenue

partie à celle-ci et non avant (Application de la convention pour la préven ‑
tion et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008 , p. 455, par. 117). Ainsi, bien que
l’articleIX de la convention sur le génocide (la clause compromissoire

dont la Cour tire sa compétence en l’espèce) ne prévoie aucune limite
ratione temporis , rien dans la Convention ne permet de déduire l’intention
de lui conférer un effet rétroactif. En outre, cette disposition dohit être
interprétée à la lumière de l’ensemble de la Convention eht conformément
à la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, à la convention

de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités de 1978 et au
projet d’articles de la commission du droit international (CDI) surh la res-
ponsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite de 2001 (« les
Articles de la CDI »). L’article 28 de la convention de Vienne sur le droit
des traités stipule ce qui suit :

«A moins qu’une intention différente ne ressorte du traité ou ne h
soit par ailleurs établie, les dispositions d’un traité ne lienht pas une

partie en ce qui concerne un acte ou fait antérieur à la date d’entrée
en vigueur de ce traité au regard de cette partie ou une situation qui
avait cessé d’exister à cette date.» (Les italiques sont de moi.)

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11. De même, l’article 23 de la convention de Vienne sur la succession
d’Etats en matière de traités, qui porte sur les effets d’uneh notification de
succession analogue à celle qui figure dans la déclaration de lah Serbie,
prévoit ce qui suit:

«1. A moins que le traité n’en dispose autrement ou qu’il n’ehn soit
autrement convenu, un Etat nouvellement indépendant qui fait une
notification de succession conformément à l’article 17 ou au para -

graphe 2 de l’article 18 est considéré comme partie au traité à comp ‑
ter de la date de la succession d’Etats ou à compter de la date de
l’entrée en vigueur du traité, si cette date est postérieureh.» (Les ita -
liques sont de moi.)

12. En outre, l’article13 des Articles de la CDI précise que « [l]e fait de
l’Etat ne constitue pas une violation d’une obligation internationale à
moins que l’Etat ne soit lié par ladite obligation au moment où le fait se
produit».
13. Si l’on applique ces principes à la convention sur le génocide,h il est

clairque la compétence de la Cour en vertu de l’article IX ne s’étend
qu’aux actes postérieurs à l’entrée en vigueur de la Convhention entre les
parties à un différend. Cette interprétation est étayée pahr la jurisprudence
récente de la Cour, par exemple en l’affaire Géorgie c. Fédération de Rus ‑
sie et l’affaire Belgique c.énégal. A mon avis, en concluant que la com-
pétence de la Cour pour connaître de la demande de la Croatie «h s’étend

aux faits antérieurs au 27 avril 1992» (arrêt, par. 524), la majorité a
conféré à l’article IX de la Convention un élément de rétroactivité qui ne
concorde pas avec les principes cardinaux ci-dessus. Je ne suis pas non h
plus convaincue par le raisonnement avancé dans l’arrêt à l’happui de cette
conclusion. Ce raisonnement présuppose en effet que la Cour a compéh -

tence pour connaître de questions relatives à la succession d’Ehtats à des
obligations de la RFSY pouvant découler de violations de la Conventiohn
commises alors que la RFSY existait encore, questions qui auraient pu
être pertinentes si la Cour avait, en 2008, considéré la Serbie comme Etat
continuateur de la RFSY plutôt qu’Etat successeur.
14. Aux paragraphes 90 à 99 de l’arrêt, la Cour présente une analyse

juste des dispositions de la convention sur le génocide, à laquellhe elle pro -
cède à la lumière des travaux préparatoires et de sa jurisprhudence, et
conclut que les dispositions de fond de la Convention « n’imposent, rela-
tivement aux actes censés avoir été commis avant que l’Etat hconcerné ne
devienne partie à celle-ci, aucune obligation à ce dernier » ibid., par. 100).
Vu cette conclusion sans ambiguïté aucune, je trouve indéfendabhle la

position adoptée ensuite par la majorité, à savoir que
«le différend entre également dans le champ [de l’article IX] dans la
mesure où il se rapporte à des actes qui seraient antérieurs [ahu

27 avril 1992,] [c’est-à-dire antérieurs à la date à laquelle la Serbie est
devenue partie à la Convention], et [que la Cour] a compétence pour
connaître de la demande de la Croatie dans son ensemble » (ibid.,
par. 117).

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15. Le point de vue de la majorité repose sur deux prémisses ; la première
est que le différend entre les Parties est un différend relatif àh «’interpréta-
tion, l’application ou l’exécution des dispositions de fond de hla convention

sur le génocide », notamment un différend concernant « la responsabilité
d’un Etat en matière de génocide », comme le veut l’article IX. La deuxième
est que la question de savoir si les actes dont se plaint la Croatie sonht
contraires à la convention sur le génocide et si, dans l’affirhmative, ils étaient

attribuables à la RFSY et ont donc engagé sa responsabilité, «h entr[e] sans
contredit dans le champ de la compétence ratione materiae prévue à l’ar -
ticleIX» (arrêt, par. 113). A mon sens, ces deux prémisses sont dénuées de
pertinence pour déterminer si la Cour a compétence ratione temporis en
vertu de l’articleX de la Convention. Premièrement, le différend visé à l’a-hr

ticleIX doit être un différend entre Parties contractantes, en l’occurrence la
Serbie et la Croatie. La RFSY, à laquelle la Croatie attribue les acthes all-é
gués, n’existe plus et n’est plus Partie contractante. Deuxièhmement, l’article
concerne les différends relatifs à l’interprétation, à l’happlication et à l’exé-cu
tion de la Convention par les Parties contractantes. Dans la présenteh affaire,

ce différend devait concerner la responsabilité de la Serbie à rhaison d’actes
directement attribuables à cet Etat en tant que Partie contractante, het non
d’actes attribuables à la RFSY, Etat prédécesseur. A cet éhgard, le raisonne -
ment et la conclusion de la majorité introduisent dans l’article IX de subtiles
considérations de succession d’Etats à la responsabilité — interprétation

qui, à mon humble avis, n’est pas étayée par le texte de la hConvention. Pour
toutes ces raisons, je suis en désaccord avec la majorité. J’enh viens mainte -
nant à la seconde partie de mon opinion individuelle.

II. Les déductions à tirerh de la décision d’un prohcureur
de ne pas retenir conthre certains individush le chef
d’accusation de génochide

16. La valeur probante à accorder à différents documents émanant hde
décisions du Tribunal pénal international pour l’ex -Yougoslavie (TPIY) a
été examinée par la Cour dans son arrêt de 2007 (Application de la conven ‑
tion pour la prévention et la répression du crime de génocide (▯Bosnie‑
Herzégovine c. Serbie‑et‑Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I),

p. 43). Bien que les conclusions formulées dans cet arrêt doivent êhtre lues
à la lumière de «la large mesure d’accord entre les Parties » sur ce point et
compte tenu de ce qu’elles ne sont pas res judicata pour la présente affaire,
la Croatie et la Serbie les ont généralement acceptées en l’espèce. En par -
ticulier, à propos des chefs qui sont retenus dans un acte d’accushation ou

en sont retirés, la Cour s’est prononcée comme suit :
« Le demandeur a accordé un certain poids aux actes d’accusation

établis par le procureur [du TPIY]. Toutefois, les allégations qui y sont
formulées par le procureur ne sont rien de plus que les allégationhs d’une
partie. Elles doivent encore être examinées dans le cadre des difféhrentes

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7 CIJ1077.indb 809 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (op. inhd. sebutinde) 406

étapes indiquées ci-dessus. Le procureur peut décider de retirer les accu-
sations de génocide et celles-ci peuvent également être écartées au pro-
cès. Dès lors, l’on ne saurait, en règle générale, acchorder de poids au fait

que tel ou tel chef figure dans un acte d’accusation. Ce qui, en rehvanche,
peut être important, c’est la décision prise par le procureur, hd’emblée
ou par modification de l’acte d’accusation, de ne pas inclure ou de ret-i
rer le chef de génocide.» (C.I.J. Recueil 2007 (I), p.132, par. 217.)

17. Il semble découler de ce prononcé que la décision prise par le hproc-u
reur de ne pas inclure le chef de génocide dans un acte d’accusation du TPIY

peut contribuer à infirmer la responsabilité d’un Etat à rhaison d’actes de
génocide. Je ne suis pas d’accord avec cette proposition. Dans le hprésent
arrêt en tout cas, la majorité semble, d’une part, avoir accordhé un certain
poids au fait que «le procureur du TPIY n’a jamais inculpé d’individus pour
génocide à l’encontre de la population croate dans le contexte hdu conflit

armé qui s’est déroulé» (arrêt, par. 440), tandis que, dans un autre passage,
la Cour déclare qu’« elle n’a pas entendu faire de l’absence de poursuite une
preuve décisive de l’inexistence du génocide, mais … a estimhé qu’il pouvait
s’agir d’un élément important à prendre en considératihon » (ibid., par. 187).
Outre le problème que soulève l’application apparente, dans cesh deux pas -

sages, de critères différents d’établissement de la preuve, jh’estime que la Cour
doit être prudente avant d’accorderquelque poids que ce soit à ces décisions
ou d’en tirer des déductions, essentiellement pour les raisons quih ont été
expliquées de façon exhaustive par la Croatie dans ses plaidoiriesh en la p-ré

sente instance. Ces raisons, auxquelles je souscris, sont principalementh liées
au caractère discrétionnaire, par nature, des décisions du prochureur et à la
distinction fondamentale à opérer entre la responsabilité pénale d’individus
pour certains crimes au regard du droit international humanitaire, d’hune
part, et la responsabilité de l’Etat pour une série de faits ilhlicites au regard de

la convention sur le génocide qui ont été commis par des acteurhs multiples,
d’autre part. Pour plus de commodité, ces raisons sont résuméhes ci -après.

1. Le pouvoir discrétionnaire du procureur

18. En vertu du paragraphe 1 de l’article 16 du Statut du TPIY, le pro -

cureur est responsable de l’instruction des dossiers et de l’exerchice de la
poursuite contre les auteurs de crimes. Le procureur du TPIY, à l’instar de
tout procureur, jouit d’un large pouvoir discrétionnaire tant pourh engager
et mener l’instruction d’une affaire qu’à l’égard des chhefs à retenir dans

l’acte d’accusation. Dans l’exercice de son pouvoir discrétihonnaire, le pro -
cureur n’est pas tenu de révéler, même à la défense, lhes raisons qui l’amènent
à prendre ses décisions. Selon le paragraphe 1 de l’article 18 du Statut du
TPIY, le procureur peut ouvrir une information d’office ou sur la foi des
renseignements obtenus de toutes sources. Il lui incombe d’obtenir lehs él- é

ments de preuve disponibles et de décider s’il existe (prima facie) une
preuve suffisante pour engager des poursuites. Dès le départ, ce hsont donc
les éléments de preuve déjà disponibles qui influent sur l’instruction et,

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7 CIJ1077.indb 811 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (op. inhd. sebutinde) 407

ensuite, sur la décision du procureur concernant les chefs d’accushation. En
outre, étant donné que le TPIY a compétence sur les personnes, hil est éga -
lement inévitable que l’information ouverte par le procureur metteh l’accent

sur les activités d’un ou de plusieurs individus. L’informationh est fondée sur
les éléments de preuve déjà disponibles et ne comporte aucunhe constatation
générale ni définitive quant aux faits. Il s’agit, dès hle départ, d’une infor-a
tion ouverte sur un ou plusieurs individus dans le but de déterminer hs’il
existe prima facie des preuves permettant de les inculper d’un délit quel -

conque. En ce sens, l’information a une portée relativement étrhoite.
19. En outre, le pouvoir discrétionnaire du procureur s’exerce sur
d’autres plans. Par exemple, il est clair que ni le Statut ni le Rèhglement de
procédure et de preuve du TPIY n’imposent au procureur l’obligation
d’ouvrir une information ou d’engager des poursuites. Celui -ci n’est pas

non plus tenu d’engager des poursuites pour les chefs d’accusationh les
plus graves qui ressortent de tous les éléments de preuve recueillhis dans
une affaire. Le procureur est libre de qualifier la conduite d’un inhculpé
selon les chefs qu’il juge appropriés. La vaste majorité des crhimes au
regard du droit international sont très graves, mais ils ne peuvent phas tous

faire l’objet de poursuites. Le TPIY, dans l’affaire Mucić, a souligné l’am-
pleur du pouvoir discrétionnaire du procureur en matière d’enquhêtes et
d’accusations, et aussi mentionné les « ressources humaines et financières
limitées» dont il dispose, ce qui signifie que l’on ne peut s’attendre, « de
façon réaliste », à ce que le procureur « poursuive chacun des contre -

venants». Cette constatation vaut aussi pour le choix des chefs d’accusa -
tion. En réalité, l’exercice par le procureur de son pouvoir dihscrétionnaire
de poursuite peut être influencé par un très grand nombre de hfacteurs, qui
ne sauraient influer sur l’examen par la Cour de questions qui lui hsont
soumises. Ces facteurs sont, entre autres, le coût et la longueur desh procé -

dures et la difficulté de leur gestion, la disponibilité des téhmoins, voire la
possibilité ou non d’arrêter l’inculpé. Il n’est pas rare que le procureur
renonce à inculper un individu non pas faute d’éléments de phreuve
concluants, mais, plus prosaïquement, parce qu’un témoin clé n’est pas en
mesure de fournir les éléments de preuve nécessaires ou n’esht pas disposé

à les fournir du tout ou selon des conditions acceptables pour le trihbunal.
On ne saurait tirer de décisions influencées par un pareil ensemhble de cir-
constances de conclusions raisonnables sur la commission d’un crime.

2. La prérogative du procureur en matière d’accusation

20. Deuxièmement, à la différence de ses homologues de certains tribhu -
naux internes, le procureur du TPIY n’est nullement tenu de motiver shes
décisions relatives aux chefs d’accusation qu’il retient ou nonh contre des
individus ou à l’égard de certains crimes ; d’ailleurs, il ne l’a fait pour
aucune des affaires pertinentes pour les questions dont est saisie la Couhr.

En conséquence, il n’y a aucun moyen de savoir si le procureur a, haprès
examen, estimé que certains actes ne constituaient pas un crime de géhno-
cide, ou s’il n’a pas retenu le génocide comme chef d’accusation pour une

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tout autre raison. Ainsi, il faut considérer la valeur probante d’une telle
décision comme minime, étant donné que les décisions du prochureur sont
de nature non pas judiciaire mais exécutive, et ne comportent aucune

constatation définitive quant aux faits.

3. Distinction entre la responsabilité pénale individuelle
et la responsabilité de l’Etat

21. Enfin, la décision d’engager des poursuites contre un individu peut

être motivée par des raisons sans aucun rapport avec la question dhe la
responsabilité de l’Etat pour violation de la convention sur le géhnocide. Ce
qui est encore plus fondamental, c’est que le TPIY et la Cour sont sahisis de
questions juridiques tout à fait différentes ; les réponses qu’ils y apportent
respectivement ne sauraient donc avoir une incidence les unes sur les

autres. Le TPIY examine des questions liées à la responsabilité d’individus
pour certains crimes, et non à la responsabilité de l’Etat àh raison d’une
accumulation de crimes. Le champ de l’examen auquel procède le TPIY se
limite aux actes d’un inculpé considérés au regard de chacunh des chefs
d’accusation. Il s’agit là d’un petit élément, ou d’hune pièce du puzzle, dans

le tableau beaucoup plus large que la Cour était appelée à examiner, à
savoir l’incidence cumulative sur un groupe protégé d’une séhrie de crimes,
perpétrés systématiquement contre une large fraction de la population
dans une zone géographique étendue, par un grand nombre d’auteuhrs,
dont certains ou tous ne peuvent être identifiés ni traduits devant le TPIY

pour la part qu’ils ont prise aux événements. La Cour peut et dhoit avoir
une vue d’ensemble de la totalité des éléments de preuve, y hcompris les
constatations du TPIY. Elle est de plus saisie d’éléments de prheuve sup -
plémentaires qui n’ont pas figuré parmi les preuves à charhge dans les
affaires portées devant le TPIY, et sur lesquels elle peut se prononcehr. Par

exemple, la destruction totale de la ville de Vukovar et de sa populatiohn
civile ne figurait pas dans l’acte d’accusation en l’affaire Mrkšić, non plus
que les meurtres et les actes de torture commis à Velepromet. La Courh
dispose également des conclusions de tribunaux croates sur les déphlace -
ments forcés génocidaires dans des affaires comme celles de Koprivna et de

Velimir, ainsi que des condamnations que la chambre de la cour de district
de Belgrade chargée des crimes de guerre a prononcées contre les auteurs
serbes d’atrocités commises en Croatie. Elle est donc beaucoup miehux pl-a
cée que le procureur du TPIY, voire que le TPIY lui -même, pour détermi-
ner si la totalité des crimes commis constituait un génocide. Pour conclure,

la Cour internationale de Justice devrait, à mon humble avis, se monthrer
extrêmement circonspecte avant d’accorder un poids quelconque àh la dé- ci
sion d’un procureur d’inculper ou non un individu d’un crime ouh de crimes
particuliers alors qu’elle ignore les motifs de cette décision.

(Signé) Julia S ebutinde.

409

7 CIJ1077.indb 815 18/04/16 08:54

Bilingual Content

400

SEPARATE OPINION OF JUDGE SEBUTINDE

Jurisdiction ratione temporis under Article IX of the Genocide Convention —
Disagreement with paragraph (1) of the operative clause — The FRY (Serbia)
cannot be bound by the Genocide Convention prior to 27 April 1992, the date when

by succession it became a Contracting Party — Disputes under Article IX of the
Genocide Convention must relate to the interpretation, application and f▯ulfilment
of the Convention by the Contracting Parties and in relation to acts att▯ributable to
those States — The SFRY to which the Applicant attributes the acts committed
prior to 27 April 1992 is an entity no longer in existence and is no longer a Con
tracting Party — The responsibility of the FRY (Serbia), as one of the successor

States, for acts committed prior to 27 April 1992 before it became a State or party
to the Genocide Convention is not a matter within the Court’s jurisdictioratione
temporis under Article IX.
Caution required in drawing inference from or according evidential weigh▯t to a
decision of an international criminal tribunal not to charge an individu▯al with geno
cide— Under the ICTY Statute, the decision to investigate and prosecute is so▯lely

within the Prosecutor’s discretion and prerogative with no obligation▯ to disclose
the reasons therefor — Unlike judicial decisions, the prosecutorial decision to
include or exclude a particular charge against an individual is an execu▯tive one
based on available prima facie evidence at the time and involves no general or
definitive finding of fact — Prosecutorial discretion is influenced by a wide range
of factors not connected to availability of evidence— Consequently, the Court

should be cautious in placing any evidential weight on or drawing infere▯nce from
the ICTY decision not to charge individuals with genocide arising out of▯ the con
flict in Croatia.

Introduction

1. I concur with the Court’s decision rejecting both Croatia’s claim h
and Serbia’s counter -claim, and have in this regard voted in favour of
points (2) and (3) of the operative paragraph. However, I have voted

against point (1) of the operative paragraph in which the majority
“[R]ejects the second jurisdictional objection raised by Serbia and fihnds
that its jurisdiction to entertain Croatia’s claim extends to acts prhior to

27 April 1992” (para. 524) as I am unable to subscribe either to this find -
ing or the reasoning behind it. In my view, and for the reasons containehd
in this opinion, Serbia’s second preliminary objection to Croatia’hs claim
should have been upheld.

2. A secondary issue on which I disagree with the majority, is one that
does not affect the final outcome of the case but one which, nonetheleshs,

401

7 CIJ1077.indb 798 18/04/16 08:54 400

OPINION INDIVIDUELLE DE M me LA JUGE SEBUTINDE

[Traduction]

Compétence ratione temporis en vertu de l’article IX de la convention sur le
génocide —Désaccord sur le point 1 du dispositif — La RFY (Serbie) ne pouvait
être liée par la convention sur le génocide avant le 27 avril 1992, date à laquelle elle

est devenue Partie contractante par voie de succession — Les différ▯ ends visés à
l’article IX de la convention sur le génocide doivent porter sur l’interprét▯ ation, l’ap
plication et l’exécution de la Convention par les Parties contra▯ ntes relativement
à des actes attribuables à ces Etats— La RFSY, à laquelle le demandeur attribue
des actes commis avant le 27 avril 1992, est une entité qui n’existe plus et n’est plus
Partie contractante — La responsabilité de la RFY (Serbie), en tant que l’un des

Etats successeurs, à raison d’actes commis antérieurement au 27▯ avril 1992, soit
avant qu’elle ne devienne un Etat ou une partie à la convention sur le génocide, ne
relève pas ratione temporis de la compétence de la Cour aux termes de l’article IX.
Nécessité de faire preuve de circonspection avant d’accorder un▯e valeur probante
à la décision d’un tribunal pénal international de ne pas po▯rter d’accusation de
génocide contre tel ou tel individu, ou de tirer des conclusions de p▯areille déci‑

sion — Aux termes du Statut du TPIY, l’instruction des dossiers et l’▯exercice de
poursuites relèvent uniquement du pouvoir discrétionnaire et des p▯rérogatives du
procureur, sans qu’il soit tenu de divulguer les motifs de ses déc▯isio— A la dif‑
férence des décisions judiciaires, les décisions du procureur t▯endant à retenir ou à
exclure un chef d’accusation à l’égard d’un individu sont▯ des décisions d’ordre exé ‑
cutif fondées sur les éléments de preuve prima facie disponibles et n’emportent

aucune conclusion générale ou définitive quant aux faits — Dans l’exercice de son
pouvoir discrétionnaire, le procureur est influencé par de multipl▯es facteurs sans
rapport avec les éléments de preuve disponibles — En conséquence, la Cour doit
faire preuve de circonspection avant d’accorder une valeur probante a▯ux décisions
du TPIY de ne pas porter contre certains individus d’accusation de gé▯nocide décou‑
lant du conflit en Croatie, ou d’en tirer des conclusions.

Introduction

1. Je suis d’accord avec la décision de la Cour de rejeter la demandeh de
la Croatie et la demande reconventionnelle de la Serbie, et j’ai donch voté
pour les points 2 et 3 du dispositif de l’arrêt. Cependant, j’ai voté contre

le point 1, par lequel la majorité «[r]ejette la deuxième exception d’incom -
pétence soulevée par la Serbie et dit que [la] compétence [de la Cour] pour
connaître de la demande de la Croatie s’étend aux faits antéhrieurs au

27 avril 1992 » (par. 524), ne pouvant souscrire à cette conclusion ni au
raisonnement qui la motive. A mon avis, pour les raisons que j’exposeh
dans la présente opinion, la deuxième exception préliminaire àh la demande
de la Croatie aurait dû être retenue.

2. Je suis également en désaccord avec la majorité sur une questiohn secon -
daire, sans incidence sur l’issue de l’affaire, mais qui mérite hnéanmoins qu’on

401

7 CIJ1077.indb 799 18/04/16 08:54 401 application of genochide convention (sep. ohp. sebutinde)

warrants elaboration, namely, the decision of the Court to give evidential
weight to or draw an inference from a prosecutorial decision to charge ohr
not to charge individuals for the crime of genocide before the Interna -

tional Criminal Tribunal for the former Yugoslavia (ICTY). In cases ofh
this kind (i.e., cases involving allegations of genocide or grave violahtions
of international criminal or humanitarian law that have already been the
subject of the processes and decisions of an international criminal courht)

the International Court of Justice should, in my respectful view, be
extremely cautious in giving any kind of weight to or drawing any infer -
ence from such a prosecutorial decision, in the absence of reasons for
such decision. It is my considered opinion that, in the present Judgment,
the inference that the Court draws from the absence of charges of geno -

cide in certain ICTY indictments relating to the conflict in Croatia, hwith-
out the Court having established the underlying reasons therefor, is highhly
speculative and can lead to undesirable conclusions. The contradictory
manner in which the Judgment approaches this question only serves to
further complicate the issue (see Judgment, paras. 187, 440 and 461).

Ielaborate my reasons below.

I. Serbia’s Objection to thhe Court’s Jurisdictioh natione tempoRis

and to the Admissibilithy of Croatia’s Claims

3. Serbia’s second preliminary objection to Croatia’s claims as statehd
in Serbia’s final submission 2(a) is that, “claims based on acts and omis -
sions which took place prior to 27 April 1992 are beyond the jurisdiction

of this Court and [are] inadmissible”. According to Serbia, the bulk hof the
alleged acts of genocide comprising Croatia’s claims (i.e., 112 out of
120 alleged acts), took place prior to 27 April 1992, before the FRY (Ser -
bia) came into existence. Serbia thus contends that even if the Court where

to find that acts pre -dating 27 April 1992 could be attributed to Serbia,
Croatia’s claim based on those acts would still fail for the Court lahcking
jurisdiction ratione temporis. Croatia rejects this argument in its entirety.

4. The Court, in its 2008 Judgment, noted that Serbia’s second pre -
liminary objection was an “objection to jurisdiction” on the one hand,
and “one going to the admissibility of the claims” , on the other (Applica ‑
tion of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of ▯
Genocide (Croatia v. Serbia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Re‑p

orts 2008, p. 456, para. 120; emphasis added). Observing that the objec -
tion entailed two interrelated issues, the Court stated as follows:

“The first issue is that of the Court’s jurisdiction to determinhe
whether breaches of the Genocide Convention were committed in the
light of the facts that occurred prior to the date on which the FRY

402

7 CIJ1077.indb 800 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (op. inhd. sebutinde) 401

s’y arrête plus en détail; il s’agit du choix qu’a fait la Cour d’accorder une
valeur probante aux décisions du procureur du Tribunal pénal interhnational
pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) de porter ou non contre certains individus des

accusations du crime de génocide, ou de tirer des déductions de cehs décisions.
Dans les affaires comme celle-ci (touchant des allégations de génocide ou de
violations graves du droit international pénal ou humanitaire qui onth déjà
fait l’objet de procès devant un tribunal pénal international eht de décisions

de celui-ci), la Cour internationale de Justice devrait, à mon avis, faire prheuve
d’une extrême circonspection avant d’accorder quelque valeur prhobante à de
telles décisions judiciaires, ou d’en tirer des conclusions, lorsqu’elle ne connaît
pas les raisons qui les motivent. J’estime que, dans le présent arhrêt, la déduc
tion que tire la Cour de ce que certaines des poursuites engagées devhant le

TPIY à la suite du conflit qui a eu lieu en Croatie n’ont pas déhbouché sur
des inculpations du chef de génocide, alors qu’elle n’a pas éhlucidé les raisons
motivant ces décisions, relève largement de la spéculation, au hrisque de
mener à des conclusions regrettables. Les contradictions qui caractéhrisent le
traitement de cette question dans l’arrêt ne font que la compliquehr davantage

(voir arrêt, par.187, 440 et 461). J’expose mon point de vue plus en détail
dans les paragraphes qui suivent.

I. L’exception d’incomphétence Ratione tempoRis et d’irrecevabilité

des demandes de la Croathie soulevée par la Serhbie

3. La deuxième exception préliminaire aux demandes de la Croatie
soulevée par la Serbie à l’alinéa a) du point 2 de ses conclusions finales
était que «les demandes se rapportant à des actes ou omissions antérieurs

au 27 avril 1992 ne rel[e]v[ai]ent pas de la compétence de la Cour et
[étaient] irrecevables». Selon la Serbie, la plupart des actes allégués de
génocide visés par les demandes de la Croatie (112 sur 120) éhtaient surve -
nus avant le 27 avril 1992, soit avant que la RFY (Serbie) n’ait commencé

à exister. La Serbie soutenait donc que, même si la Cour venait àh juger
que des actes antérieurs au 27 avril 1992 pouvaient lui être attribués, elle
devrait rejeter la demande de la Croatie fondée sur ces actes faute d’être
compétente ratione temporis pour connaître de ceux-ci. La Croatie rejetait
entièrement cet argument.

4. Dans son arrêt de 2008, la Cour a noté que la deuxième exception
préliminaire de la Serbie était présentée à la fois commeh une « exception
d’incompétence» et une « exception d’irrecevabilité des demandes » (Appli ‑
cation de la convention pour la prévention et la répression du cri▯me de géno ‑
cide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil

2008, p. 456, par. 120; les italiques sont de moi). Notant également que
cette exception comprenait deux questions liées, la Cour a dit ce quih suit :

« La première [question] est celle de savoir si la Cour a compétenceh
pour déterminer si des violations de la convention sur le génocideh ont
été commises, à la lumière des faits antérieurs à la date à laquelle la

402

7 CIJ1077.indb 801 18/04/16 08:54 402 application of genochide convention (sep. ohp. sebutinde)

came into existence as a separate State, capable of being a party in its
own right to the Convention ;this may be regarded as a question of
the applicability of the obligations under the Genocide Convention

to the FRY before 27 April 1992. The second issue, that of admissi -
bility of the claim in relation to those facts, and involving questions h
of attribution, concerns the consequences to be drawn with regard to
the responsibility of the FRY for those same facts under the general

rules of State responsibility. In order to be in a position to make any h
findings on each of these issues, the Court will need to have more
elements before it.” (I.C.J. Reports 2008, p. 460, para. 129.)

5. By a majority vote of eleven to six, the Court considered that Ser -
bia’s second preliminary objection “[did] not . . . possess an exclusively
preliminary character”, and that in the circumstances the Court couldh not

decide on that objection in limine litis (ibid., p. 466, para. 146). Thus, the
Court reserved its decision thereon for the merits stage of the proceed -
ings.
6. In my view, Serbia’s second objection poses insurmountable obsta -
cles to the admissibility of Croatia’s claim relating to acts that allegedly

took place before 27 April 1992, i.e., before the FRY or Serbia became a
party to the Genocide Convention. Whilst I agree with the Court’s viehw
in the 2008 Judgment that “there is no express provision in the Genocide
Convention limiting its jurisdiction ratione temporis” (ibid., p. 458,

para. 123), I am of the view that certain findings of the Court in that
Judgment, as well as the facts of this case, dictate against the view
expressed by the majority in the present Judgment that “its jurisdiction to
entertain Croatia’s claim extends to acts prior to 27 April 1992”
(para. 524). The following are my reasons.

7. First, the Court authoritatively determined in its 2008 Judgment
that Serbia had, by way of succession, become a party to the Genocide
Convention on 27 April 1992. The Court stated that

“from that date onwards the FRY [Serbia] would be bound by the
obligations of a party in respect of all the multilateral conventions toh

which the SFRY had been a party at the time of its dissolution, sub -
ject of course, to any reservations lawfully made by the SFRY limit -
ing its obligations. It is common ground that the Genocide Convention
was one of these conventions, and that the SFRY had made no res -
ervation to it ; thus the FRY in 1992 accepted the obligations of that

Convention . . . In the events that have occurred, this signifies that
the 1992 declaration and Note had the effect of a notification of suc -
cession by the FRY to the SFRY in relation to the Genocide Con -
vention.” (Application of the Convention on the Prevention and

Punishment of the Crime of Genocide (Croatia v. Serbia), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2008, pp. 454-455, para. 117 ;
emphasis added.)

403

7 CIJ1077.indb 802 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (op. inhd. sebutinde) 402

RFY a commencé à exister en tant qu’Etat distinct, ayant à che titre
la capacité d’être partie à cet instrument ; cela revient à se demander
si les obligations en vertu de la Convention étaient opposables à hla

RFY antérieurement au 27 avril 1992. La seconde question, qui
porte sur la recevabilité de la demande concernant ces faits, et qui ha
trait à l’attribution, est celle des conséquences à tirer quhant à la res-
ponsabilité de la RFY à raison desdits faits en vertu des règlehs géné-

rales de la responsabilité de l’Etat. Pour que la Cour puisse se
prononcer sur chacune de ces questions, elle devra disposer de
davantage d’éléments.» (C.I.J. Recueil 2008, p. 460, par. 129.)

5. Dans le même arrêt, par onze voix contre six, la Cour a dit que lah
deuxième exception préliminaire de la Serbie « n’a[vait] pas … un carac-
tère exclusivement préliminaire » et que, dans ces circonstances, elle ne

pouvait statuer sur cette question in limine litis (ibid., p. 466, par. 146).
Aussi la Cour a -t-elle réservé sa décision sur ce point pour le stade du
fond.
6. Selon moi, la deuxième exception de la Serbie soulevait des obstaclesh
insurmontables à la recevabilité de la demande de la Croatie relathive aux

actes allégués avoir été commis avant le 27 avril 1992, c’est-à-dire avant
que la RFY (Serbie) ne devienne partie à la convention sur le géhnocide.
Certes, comme l’a dit la Cour dans son arrêt de 2008, « la convention sur
le génocide ne contient aucune disposition expresse limitant sa compéh -

tence ratione temporis» (ibid., p. 458, par. 123), mais j’estime que cer -
taines conclusions de la Cour dans cet arrêt, ainsi que les faits de hla
présente espèce, vont à l’encontre du point de vue de la majhorité dans le
présent arrêt, selon lequel « [la] compétence [de la Cour] pour connaître
de la demande de la Croatie s’étend aux faits antérieurs au 27 avril 1992»

(par. 524). J’expose ci-après les raisons de mon désaccord.
7. Premièrement, la Cour a déterminé sans équivoque dans son arhrêt
de 2008 que la Serbie était, par voie de succession, devenue partie àh la
convention sur le génocide le 27 avril 1992. Elle a dit ce qui suit:

«[A] compter de cette date , la RFY serait liée, en tant que partie,
par les obligations découlant de toutes les conventions multilatérhales

auxquelles la RFSY était partie au moment de sa dissolution, à
moins, bien sûr, que celle -ci n’eût formulé de manière régulière des
réserves limitant ses obligations. Il est constant que la convention hsur
le génocide faisait partie de ces conventions et que la RFSY n’avahit
formulé aucune réserve à son égard. La RFY a donc accepté en 1992

les obligations découlant de cette convention… Dans le contexte dehs
événements qui se sont produits, cela signifie que la déclarahtion et la
note de 1992 ont eu l’effet d’une notification de succession de lha RFY
à la RFSY à l’égard de la convention sur le génocide. » (Application

de la convention pour la prévention et la répression du crime de g▯éno ‑
cide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2008, p. 454-455, par. 117 ; les italiques sont de moi.)

403

7 CIJ1077.indb 803 18/04/16 08:54 403 application of genochide convention (sep. ohp. sebutinde)

8. The Court’s conclusion in 2008 implies that with effect from
27 April 1992, the FRY (Serbia) took on a separate identity, distinct from
that of its predecessor (the SFRY), the latter having ceased to exist himme -

diately before that date. The Court recognized the fact that Serbia’sh claim
of continuity as originally formulated in the 27 April 1992 declaration
had been rejected by the international community which insisted that
Serbia could not continue the membership of the former Yugoslavia at

the United Nations but had to apply for fresh membership in its own
right as required by Security Council resolution 777 (1992) and General
Assembly resolution 47/1. It was after Serbia complied with this require -
ment that the new State was admitted to the United Nations on 1 Novem-
ber 2000.

9. In light of this finding alone, the notion that the FRY (Serbia) couhld
conceivably assume responsibility for the wrongful acts of its predecesshor
State (SFRY), seems untenable. That notion seems even more untenable
when one considers that in the Agreement on Succession Issues concluded h

by the former Yugoslav Republics of Croatia, Slovenia, Bosnia and Her -
zegovina and Macedonia on 29 June 2001 and accepted by Serbia and
Montenegro, all the five Republics consider themselves as “being inh sov-
ereign equality [as] successor States to the former Socialist Federal
Republic of Yugoslavia”.

10. Secondly, it must be recalled that Croatia’s claim is solely based onh
treaty law and that the jurisdiction of this Court is founded on consenth of
States parties. In the present case, Serbia recognized the jurisdiction hof
the Court under the Genocide Convention with effect from the date it
became a party to that Convention and not before (see Application of the

Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
(Croatia v. Serbia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Rep ‑
orts 2008 ,. 455, para. 117). Thus, although Article IX of the Genocide
Convention (the compromissory provision from which the Court in this

case derives its jurisdiction) contains no limitations ratione temporis, there
is nothing in the Convention to suggest an intention to give it retroacthive
effect. Moreover, that provision must be construed in light of the whole h
Convention and in conformity with the Vienna Convention on the Law
of Treaties, 1969 (VCLT), the Vienna Convention on Succession of States

in Respect of Treaties, 1978 (VCSSRT), and the ILC Draft Articles on
Responsibility of States for Internationally Wrongful Acts (2001) (“ILC
Articles”). Article28 of the VCLT provides that :

“Unless a different intention appears from the treaty or is otherwise h
established, its provisions do not bind a party in relation to any act

or fact which took place or any situation which ceased to exist before
the date of the entry into force of the treaty with respect to that party.”
(Emphasis added.)

404

7 CIJ1077.indb 804 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (op. inhd. sebutinde) 403

8. Selon la conclusion énoncée en 2008 par la Cour, la RFY (Serbie)h, à
compter du 27 avril 1992, avait assumé une nouvelle identité, distincte de
celle de l’Etat prédécesseur (la RFSY), qui avait cessé d’hexister immédia-

tement avant cette date. La Cour a constaté que la prétention de
continuité de la Serbie, formulée à l’origine dans la déclaration du
27 avril 1992, avait été rejetée par la communauté internationale, quhi
considérait que la Serbie ne pouvait occuper la place de l’ex -Yougoslavie

aux Nations Unies, et devait demander son admission en tant que nouvel
Etat, comme l’exigeaient la résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité et
la résolution 47/1 de l’Assemblée générale des Nations Unies. Ce n’est h
qu’après avoir satisfait à cette exigence que la Serbie a éthé admise à
l’Organisation des Nations Unies le 1 ernovembre 2000 en tant que nou-

vel Etat.
9. A la lumière de cette seule constatation, l’idée que la RFY (Sherbie)
pouvait assumer la responsabilité de faits illicites de l’Etat prédécesseur
(la RFSY) paraît indéfendable. Elle le semble encore plus si l’hon considère
que, selon l’accord sur les questions de succession conclu par les anciennes

républiques yougoslaves de Croatie, Slovénie, Bosnie -Herzégovine et
Macédoine le 29 juin 2001 et accepté par la Serbie -et-Monténégro, les
cinq républiques se voient comme « également souveraines en tant
qu’Etats successeurs de l’ancienne République fédérative hsocialiste de
Yougoslavie ».

10. Deuxièmement, il faut rappeler que la demande de la Croatie est
fondée exclusivement sur le droit des traités et que la compétehnce de la
Cour repose sur le consentement des Etats parties. Dans la présente
affaire, la Serbie a reconnu la compétence de la Cour en vertu de la
convention sur le génocide à compter de la date à laquelle elleh est devenue

partie à celle-ci et non avant (Application de la convention pour la préven ‑
tion et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008 , p. 455, par. 117). Ainsi, bien que
l’articleIX de la convention sur le génocide (la clause compromissoire

dont la Cour tire sa compétence en l’espèce) ne prévoie aucune limite
ratione temporis , rien dans la Convention ne permet de déduire l’intention
de lui conférer un effet rétroactif. En outre, cette disposition dohit être
interprétée à la lumière de l’ensemble de la Convention eht conformément
à la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, à la convention

de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités de 1978 et au
projet d’articles de la commission du droit international (CDI) surh la res-
ponsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite de 2001 (« les
Articles de la CDI »). L’article 28 de la convention de Vienne sur le droit
des traités stipule ce qui suit :

«A moins qu’une intention différente ne ressorte du traité ou ne h
soit par ailleurs établie, les dispositions d’un traité ne lienht pas une

partie en ce qui concerne un acte ou fait antérieur à la date d’entrée
en vigueur de ce traité au regard de cette partie ou une situation qui
avait cessé d’exister à cette date.» (Les italiques sont de moi.)

404

7 CIJ1077.indb 805 18/04/16 08:54 404 application of genochide convention (sep. ohp. sebutinde)

11. Similarly, Article 23 of the VCSSRT which deals with the effects of
a notification of succession such as the one contained in Serbia’s hdeclara-
tion provides that :

“(1) Unless the treaty otherwise provides or it is otherwise agreed,
a newly independent State which makes a notification of succession

under Article 17 or Article 18, paragraph 2, shall be considered a
party to the treaty from the date of the succession of States or from
the date of entry into force of the treaty, whichever is the later date.h”
(Emphasis added.)

12. Furthermore, Article 13 of the ILC Articles provides that “[a]n act
of a State does not constitute a breach of an international obligation
unless the State is bound by the obligation in question at the time the hact

occurs”.
13. Applying the above principles to the Genocide Convention, it is
clear that the Court’s jurisdiction under Article IX extends only to acts
that occurred subsequent to the entry into force of the Convention as
between the parties. This view is supported by recent jurisprudence of thhe

Court, for example in Georgia v. Russian Federation and in Belgium v.
Senegal. In my view, by concluding that the Court’s jurisdiction to enter -
tain Croatia’s claim “extends to acts prior to 27 April 1992” (Judgment,
para. 524), the majority of the Court accorded to Article IX of the Con -
vention a retroactive construction ; one not supported by the above cardi-
nal principles. I am also not persuaded by the reasoning given in the

present Judgment in support of such a conclusion. That construction in
effect presupposes that the Court has jurisdiction to deal with issues ofh
State succession to obligations of the SFRY which may have arisen as a
consequence of breaches of the Convention when the SFRY was still in
existence ; which issues may have been relevant if the Court had in 2008

deemed Serbia to be a continuator of the SFRY rather than a successor
State.
14. The Judgment correctly analyses the provisions of the Genocide
Convention in paragraphs 90 to 99 in light of its travaux préparatoires
and the Court’s jurisprudence, before concluding that its substantiveh pro -

visions “do not impose upon a State obligations in relation to acts said to
have occurred before that State became bound by the Convention” ( ibid.,
para. 100). In light of such an unequivocal conclusion, I find untenable
the position that the majority adopts thereafter, finding that

“to the extent that the dispute concerns acts said to have occurred
before [27 April 1992] [i.e., before Serbia became a party to the Con -
vention], it also falls within the scope of ArticleX and that the Court

therefore has jurisdiction to rule upon the entirety of Croatia’s clahim”
(ibid., para. 117).

405

7 CIJ1077.indb 806 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (op. inhd. sebutinde) 404

11. De même, l’article 23 de la convention de Vienne sur la succession
d’Etats en matière de traités, qui porte sur les effets d’uneh notification de
succession analogue à celle qui figure dans la déclaration de lah Serbie,
prévoit ce qui suit:

«1. A moins que le traité n’en dispose autrement ou qu’il n’ehn soit
autrement convenu, un Etat nouvellement indépendant qui fait une
notification de succession conformément à l’article 17 ou au para -

graphe 2 de l’article 18 est considéré comme partie au traité à comp ‑
ter de la date de la succession d’Etats ou à compter de la date de
l’entrée en vigueur du traité, si cette date est postérieureh.» (Les ita -
liques sont de moi.)

12. En outre, l’article13 des Articles de la CDI précise que « [l]e fait de
l’Etat ne constitue pas une violation d’une obligation internationale à
moins que l’Etat ne soit lié par ladite obligation au moment où le fait se
produit».
13. Si l’on applique ces principes à la convention sur le génocide,h il est

clairque la compétence de la Cour en vertu de l’article IX ne s’étend
qu’aux actes postérieurs à l’entrée en vigueur de la Convhention entre les
parties à un différend. Cette interprétation est étayée pahr la jurisprudence
récente de la Cour, par exemple en l’affaire Géorgie c. Fédération de Rus ‑
sie et l’affaire Belgique c.énégal. A mon avis, en concluant que la com-
pétence de la Cour pour connaître de la demande de la Croatie «h s’étend

aux faits antérieurs au 27 avril 1992» (arrêt, par. 524), la majorité a
conféré à l’article IX de la Convention un élément de rétroactivité qui ne
concorde pas avec les principes cardinaux ci-dessus. Je ne suis pas non h
plus convaincue par le raisonnement avancé dans l’arrêt à l’happui de cette
conclusion. Ce raisonnement présuppose en effet que la Cour a compéh -

tence pour connaître de questions relatives à la succession d’Ehtats à des
obligations de la RFSY pouvant découler de violations de la Conventiohn
commises alors que la RFSY existait encore, questions qui auraient pu
être pertinentes si la Cour avait, en 2008, considéré la Serbie comme Etat
continuateur de la RFSY plutôt qu’Etat successeur.
14. Aux paragraphes 90 à 99 de l’arrêt, la Cour présente une analyse

juste des dispositions de la convention sur le génocide, à laquellhe elle pro -
cède à la lumière des travaux préparatoires et de sa jurisprhudence, et
conclut que les dispositions de fond de la Convention « n’imposent, rela-
tivement aux actes censés avoir été commis avant que l’Etat hconcerné ne
devienne partie à celle-ci, aucune obligation à ce dernier » ibid., par. 100).
Vu cette conclusion sans ambiguïté aucune, je trouve indéfendabhle la

position adoptée ensuite par la majorité, à savoir que
«le différend entre également dans le champ [de l’article IX] dans la
mesure où il se rapporte à des actes qui seraient antérieurs [ahu

27 avril 1992,] [c’est-à-dire antérieurs à la date à laquelle la Serbie est
devenue partie à la Convention], et [que la Cour] a compétence pour
connaître de la demande de la Croatie dans son ensemble » (ibid.,
par. 117).

405

7 CIJ1077.indb 807 18/04/16 08:54 405 application of genochide convention (sep. ohp. sebutinde)

15. The majority view is premised upon two grounds : first, that the
dispute between the Parties concerns “the interpretation, applicationh and
fulfilment of the provisions of the Genocide Convention”, includingh “the

responsibility of a State for genocide” as required by Article IX. The sec-
ond ground is that the question whether or not the acts complained of byh
Croatia were contrary to the Genocide Convention and if so, whether
they were attributable to and thus engaged the responsibility of the

SFRY, “are matters falling squarely within the scope ratione materiae of
the jurisdiction provided for by Article IX” (Judgment, para. 113). In my
view, both grounds are irrelevant in assessing the Court’s jurisdictihon
ratione temporis under Article IX of the Convention. First, the dispute
referred to in Article IX must be between Contracting Parties, in this

case, Serbia and Croatia. The SFRY, to which Croatia attributes the actsh
complained of, is no longer in existence and is no longer a Contracting h
Party. Secondly, the dispute envisaged under that Article must concern
the interpretation, application and fulfilment of the Convention by thhe
Contracting Parties. In the present case, it should concern Serbia’s h

responsibility for acts directly attributable to that State as a Contracting
Party, and not to the SFRY, a predecessor State. In this regard, the
majority reasoning and conclusion introduces subtle issues of State suc -
cession to responsibility into Article IX, which interpretation, in my
respectful opinion, is not supported by the Convention. For all the abovhe

reasons, I disagree with the majority. This brings me to the second poinht
of my separate opinion.

II. The Inference to Be Drawnh from a Prosecutorial
Decision not to Charge hIndividuals
for Genocide

16. The probative value to be accorded to various documents emanat -
ing from judgments of the International Criminal Tribunal for the formerh
Yugoslavia (ICTY) was discussed by the Court in its 2007 Judgment
(Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro),

Judgment, I.C.J. Reports 2007 (I) , p.43). While those findings must be
read in light of the “broad measure of agreement between the Parties”h on
this point and the fact that the findings are not res judicata for the present
case, Croatia and Serbia have generally accepted them in the present pro -
ceedings. In particular, the Court stated regarding charges included or h

excluded in an indictment, as follows :
“The Applicant placed some weight on indictments filed by the

[ICTY] Prosecutor. But the claims made by the Prosecutor in the
indictments are just that — allegations made by one party. They have
still to proceed through the various phases outlined earlier. The Pros -

406

7 CIJ1077.indb 808 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (op. inhd. sebutinde) 405

15. Le point de vue de la majorité repose sur deux prémisses ; la première
est que le différend entre les Parties est un différend relatif àh «’interpréta-
tion, l’application ou l’exécution des dispositions de fond de hla convention

sur le génocide », notamment un différend concernant « la responsabilité
d’un Etat en matière de génocide », comme le veut l’article IX. La deuxième
est que la question de savoir si les actes dont se plaint la Croatie sonht
contraires à la convention sur le génocide et si, dans l’affirhmative, ils étaient

attribuables à la RFSY et ont donc engagé sa responsabilité, «h entr[e] sans
contredit dans le champ de la compétence ratione materiae prévue à l’ar -
ticleIX» (arrêt, par. 113). A mon sens, ces deux prémisses sont dénuées de
pertinence pour déterminer si la Cour a compétence ratione temporis en
vertu de l’articleX de la Convention. Premièrement, le différend visé à l’a-hr

ticleIX doit être un différend entre Parties contractantes, en l’occurrence la
Serbie et la Croatie. La RFSY, à laquelle la Croatie attribue les acthes all-é
gués, n’existe plus et n’est plus Partie contractante. Deuxièhmement, l’article
concerne les différends relatifs à l’interprétation, à l’happlication et à l’exé-cu
tion de la Convention par les Parties contractantes. Dans la présenteh affaire,

ce différend devait concerner la responsabilité de la Serbie à rhaison d’actes
directement attribuables à cet Etat en tant que Partie contractante, het non
d’actes attribuables à la RFSY, Etat prédécesseur. A cet éhgard, le raisonne -
ment et la conclusion de la majorité introduisent dans l’article IX de subtiles
considérations de succession d’Etats à la responsabilité — interprétation

qui, à mon humble avis, n’est pas étayée par le texte de la hConvention. Pour
toutes ces raisons, je suis en désaccord avec la majorité. J’enh viens mainte -
nant à la seconde partie de mon opinion individuelle.

II. Les déductions à tirerh de la décision d’un prohcureur
de ne pas retenir conthre certains individush le chef
d’accusation de génochide

16. La valeur probante à accorder à différents documents émanant hde
décisions du Tribunal pénal international pour l’ex -Yougoslavie (TPIY) a
été examinée par la Cour dans son arrêt de 2007 (Application de la conven ‑
tion pour la prévention et la répression du crime de génocide (▯Bosnie‑
Herzégovine c. Serbie‑et‑Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I),

p. 43). Bien que les conclusions formulées dans cet arrêt doivent êhtre lues
à la lumière de «la large mesure d’accord entre les Parties » sur ce point et
compte tenu de ce qu’elles ne sont pas res judicata pour la présente affaire,
la Croatie et la Serbie les ont généralement acceptées en l’espèce. En par -
ticulier, à propos des chefs qui sont retenus dans un acte d’accushation ou

en sont retirés, la Cour s’est prononcée comme suit :
« Le demandeur a accordé un certain poids aux actes d’accusation

établis par le procureur [du TPIY]. Toutefois, les allégations qui y sont
formulées par le procureur ne sont rien de plus que les allégationhs d’une
partie. Elles doivent encore être examinées dans le cadre des difféhrentes

406

7 CIJ1077.indb 809 18/04/16 08:54 406 application of genochide convention (sep. ohp. sebutinde)

ecutor may, instead, decide to withdraw charges of genocide or they
may be dismissed at trial. Accordingly, as a general proposition the
inclusion of charges in an indictment cannot be given weight. What

may however be significant is the decision of the Prosecutor, either
initially or in an amendment to an indictment, not to include or to
exclude a charge of genocide.” (I.C.J. Reports 2007 (I), p. 132,
para. 217.)

17. The implication of the above statement by the Court, is that the
decision of a prosecutor not to include a charge of genocide in an ICTY

indictment may assist in disproving the existence of the responsibility of a
State for acts of genocide. This is a proposition with which I do not agree.
Certainly in the present Judgment, the majority appears, in one part, toh
have placed some weight on the fact that “the ICTY Prosecutor has nevher
charged any individual on account of genocide [committed] against the

Croat population in the context of the armed conflict which took placeh”
(Judgment, para. 440), while, in another passage, the Court states that
“[t]he Court did not intend to turn the absence of charges into decisive
proof that there had not been genocide, but took the view that this facthor
may be of significance and would be taken into consideration” (ibid.,

para. 187). Apart from the problematic fact that these two passages appear
to apply two different evidential standards, my view is that this Court
should be cautious in attaching any evidential weight to or drawing infer -
ences from such decisions, essentially for the reasons thoroughly explaihned

by Croatia in its oral submissions in this case. Those reasons, with whihch
I agree, relate mainly to the inherently discretionary nature of prosecuhto-
rial decisions and to the fundamental distinction between individual crihm -i
nal responsibility for specific crimes under international humanitariahn law,
on the one hand, and State responsibility for a series of wrongful acts

committed by multiple actors, under the Genocide Convention, on the
other. For ease of reference those reasons are summarized below.

1. Prosecutorial discretion

18. Under Article 16 (1) of the ICTY Statute, responsibility is vested in

the ICTY Prosecutor for the investigation and prosecution of crimes. Theh
ICTY Prosecutor, like any other prosecutor, has a wide discretion both ihn
commencing and conducting an investigation, and in relation to the
charges to be included in an indictment. In exercising that discretion, hthe

Prosecutor is not obligated to reveal the reasons behind the decisions hhe
or she takes, not even to the Defence. Under Article 18 (1) of the ICTY
Statute, the ICTY Prosecutor may initiate investigations ex officio or on
the basis of information from any source. It is for the Prosecutor to access
the available evidence and decide whether there is a sufficient (prima

facie) basis to proceed. Thus, from the very outset, it is the availablhe evi-
dence at that stage that will influence the investigations and, in turn, influ-
ence any prosecutorial decision about the charge. Furthermore, since theh

407

7 CIJ1077.indb 810 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (op. inhd. sebutinde) 406

étapes indiquées ci-dessus. Le procureur peut décider de retirer les accu-
sations de génocide et celles-ci peuvent également être écartées au pro-
cès. Dès lors, l’on ne saurait, en règle générale, acchorder de poids au fait

que tel ou tel chef figure dans un acte d’accusation. Ce qui, en rehvanche,
peut être important, c’est la décision prise par le procureur, hd’emblée
ou par modification de l’acte d’accusation, de ne pas inclure ou de ret-i
rer le chef de génocide.» (C.I.J. Recueil 2007 (I), p.132, par. 217.)

17. Il semble découler de ce prononcé que la décision prise par le hproc-u
reur de ne pas inclure le chef de génocide dans un acte d’accusation du TPIY

peut contribuer à infirmer la responsabilité d’un Etat à rhaison d’actes de
génocide. Je ne suis pas d’accord avec cette proposition. Dans le hprésent
arrêt en tout cas, la majorité semble, d’une part, avoir accordhé un certain
poids au fait que «le procureur du TPIY n’a jamais inculpé d’individus pour
génocide à l’encontre de la population croate dans le contexte hdu conflit

armé qui s’est déroulé» (arrêt, par. 440), tandis que, dans un autre passage,
la Cour déclare qu’« elle n’a pas entendu faire de l’absence de poursuite une
preuve décisive de l’inexistence du génocide, mais … a estimhé qu’il pouvait
s’agir d’un élément important à prendre en considératihon » (ibid., par. 187).
Outre le problème que soulève l’application apparente, dans cesh deux pas -

sages, de critères différents d’établissement de la preuve, jh’estime que la Cour
doit être prudente avant d’accorderquelque poids que ce soit à ces décisions
ou d’en tirer des déductions, essentiellement pour les raisons quih ont été
expliquées de façon exhaustive par la Croatie dans ses plaidoiriesh en la p-ré

sente instance. Ces raisons, auxquelles je souscris, sont principalementh liées
au caractère discrétionnaire, par nature, des décisions du prochureur et à la
distinction fondamentale à opérer entre la responsabilité pénale d’individus
pour certains crimes au regard du droit international humanitaire, d’hune
part, et la responsabilité de l’Etat pour une série de faits ilhlicites au regard de

la convention sur le génocide qui ont été commis par des acteurhs multiples,
d’autre part. Pour plus de commodité, ces raisons sont résuméhes ci -après.

1. Le pouvoir discrétionnaire du procureur

18. En vertu du paragraphe 1 de l’article 16 du Statut du TPIY, le pro -

cureur est responsable de l’instruction des dossiers et de l’exerchice de la
poursuite contre les auteurs de crimes. Le procureur du TPIY, à l’instar de
tout procureur, jouit d’un large pouvoir discrétionnaire tant pourh engager
et mener l’instruction d’une affaire qu’à l’égard des chhefs à retenir dans

l’acte d’accusation. Dans l’exercice de son pouvoir discrétihonnaire, le pro -
cureur n’est pas tenu de révéler, même à la défense, lhes raisons qui l’amènent
à prendre ses décisions. Selon le paragraphe 1 de l’article 18 du Statut du
TPIY, le procureur peut ouvrir une information d’office ou sur la foi des
renseignements obtenus de toutes sources. Il lui incombe d’obtenir lehs él- é

ments de preuve disponibles et de décider s’il existe (prima facie) une
preuve suffisante pour engager des poursuites. Dès le départ, ce hsont donc
les éléments de preuve déjà disponibles qui influent sur l’instruction et,

407

7 CIJ1077.indb 811 18/04/16 08:54 407 application of genochide convention (sep. ohp. sebutinde)

jurisdiction of the ICTY is over individuals, it is also inevitable that any
investigation started by the ICTY Prosecutor must focus on the activitiehs
of one or more identified individuals. Such an investigation is based hon

available evidence at the time and involves no general or definitive finding
of fact. It is from the outset an investigation into an individual or inhdi -
viduals, intended to ascertain whether there is prima facie evidence to h
charge them with any offence. In that sense, the investigation will follow
a relatively narrow course.

19. Furthermore, the discretion of a prosecutor also operates at other
levels. For example, it is plain that neither the ICTY Statute nor the
ICTY Rules of Procedure and Evidence impose an obligation on the
Prosecutor either to investigate or to prosecute. Nor is there an obligahtion

to pursue the most serious charges available on the totality of the evi -
dence in any given case. The Prosecutor is free to characterize the con -
duct of an accused under any appropriate heading. In international law, h
the vast majority of crimes are very serious but not all can be pursued.h
The ICTY, in the Mucić case, emphasized the breadth of prosecutorial

discretion as to investigations and indictments and the “finite humhan and
financial resources” available which means that the Prosecutor “hcannot
realistically be expected to prosecute every offender”. This principleh
applies equally in respect of the choice of charge. The reality is that ha very
wide range of factors may influence the discretion to prosecute which hcan -

not have any material significance for the determination of issues befhore
this Court. These include cost, length, manageability, availability of whit-
nesses and sometimes availability of the accused. It is not uncommon forh
a prosecutor to decide not to bring charges against an individual, not
because a conclusion has been reached on the basis of the evidence but, h

much more pragmatically, on the basis that a key witness is unable or
unwilling to provide the necessary evidence, either at all, or on condithions
acceptable to the Court. No sensible inference about the commission of ah
crime can be drawn from that set of circumstances.

2. The Prosecutor’s prerogative to charge

20. Secondly, unlike the position in some domestic jurisdictions, the
ICTY Prosecutor is under no obligation to give reasons for decisions
whether or not to charge particular persons or particular crimes ; and as
a matter of fact, the ICTY Prosecutor has not done so in any case rele -
vant to the issues before this Court. There is therefore simply no way

of telling whether the Prosecutor reached a considered evaluation that
particular events did not amount to the crime of genocide or, alterna -
tively, whether charges were not brought for some other wholly unrelatedh

408

7 CIJ1077.indb 812 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (op. inhd. sebutinde) 407

ensuite, sur la décision du procureur concernant les chefs d’accushation. En
outre, étant donné que le TPIY a compétence sur les personnes, hil est éga -
lement inévitable que l’information ouverte par le procureur metteh l’accent

sur les activités d’un ou de plusieurs individus. L’informationh est fondée sur
les éléments de preuve déjà disponibles et ne comporte aucunhe constatation
générale ni définitive quant aux faits. Il s’agit, dès hle départ, d’une infor-a
tion ouverte sur un ou plusieurs individus dans le but de déterminer hs’il
existe prima facie des preuves permettant de les inculper d’un délit quel -

conque. En ce sens, l’information a une portée relativement étrhoite.
19. En outre, le pouvoir discrétionnaire du procureur s’exerce sur
d’autres plans. Par exemple, il est clair que ni le Statut ni le Rèhglement de
procédure et de preuve du TPIY n’imposent au procureur l’obligation
d’ouvrir une information ou d’engager des poursuites. Celui -ci n’est pas

non plus tenu d’engager des poursuites pour les chefs d’accusationh les
plus graves qui ressortent de tous les éléments de preuve recueillhis dans
une affaire. Le procureur est libre de qualifier la conduite d’un inhculpé
selon les chefs qu’il juge appropriés. La vaste majorité des crhimes au
regard du droit international sont très graves, mais ils ne peuvent phas tous

faire l’objet de poursuites. Le TPIY, dans l’affaire Mucić, a souligné l’am-
pleur du pouvoir discrétionnaire du procureur en matière d’enquhêtes et
d’accusations, et aussi mentionné les « ressources humaines et financières
limitées» dont il dispose, ce qui signifie que l’on ne peut s’attendre, « de
façon réaliste », à ce que le procureur « poursuive chacun des contre -

venants». Cette constatation vaut aussi pour le choix des chefs d’accusa -
tion. En réalité, l’exercice par le procureur de son pouvoir dihscrétionnaire
de poursuite peut être influencé par un très grand nombre de hfacteurs, qui
ne sauraient influer sur l’examen par la Cour de questions qui lui hsont
soumises. Ces facteurs sont, entre autres, le coût et la longueur desh procé -

dures et la difficulté de leur gestion, la disponibilité des téhmoins, voire la
possibilité ou non d’arrêter l’inculpé. Il n’est pas rare que le procureur
renonce à inculper un individu non pas faute d’éléments de phreuve
concluants, mais, plus prosaïquement, parce qu’un témoin clé n’est pas en
mesure de fournir les éléments de preuve nécessaires ou n’esht pas disposé

à les fournir du tout ou selon des conditions acceptables pour le trihbunal.
On ne saurait tirer de décisions influencées par un pareil ensemhble de cir-
constances de conclusions raisonnables sur la commission d’un crime.

2. La prérogative du procureur en matière d’accusation

20. Deuxièmement, à la différence de ses homologues de certains tribhu -
naux internes, le procureur du TPIY n’est nullement tenu de motiver shes
décisions relatives aux chefs d’accusation qu’il retient ou nonh contre des
individus ou à l’égard de certains crimes ; d’ailleurs, il ne l’a fait pour
aucune des affaires pertinentes pour les questions dont est saisie la Couhr.

En conséquence, il n’y a aucun moyen de savoir si le procureur a, haprès
examen, estimé que certains actes ne constituaient pas un crime de géhno-
cide, ou s’il n’a pas retenu le génocide comme chef d’accusation pour une

408

7 CIJ1077.indb 813 18/04/16 08:54 408 application of genochide convention (sep. ohp. sebutinde)

reason. In that regard, the evidential significance of such a decisionh
should be minimal, since the Prosecutor’s decisions are not judicial but
executive in status, and involve no definitive finding of fact.

3. Distinguishing individual criminal responsibility
and State responsibility

21. Lastly, a decision to prosecute an individual may well be made for

reasons wholly unconnected to the question of State responsibility for
violation of the Genocide Convention. More fundamentally than that,
the ICTY and this Court are asked to address entirely different legal
questions ; the answers to which should not be determinative of each
other. The ICTY is concerned with individual responsibility for particulhar

crimes, not State responsibility for an accumulation of crimes. The
ICTY’s scope of inquiry is limited to the operations of one accused ihn
relation to each charge. That represents a small segment or puzzle -piece
in the much larger picture that this Court is asked to consider, namely,h
the cumulative impact on a protected group of a series of crimes, systemh -

atically perpetrated on a large section of the population, over a wide gheo-
graphical area, by a large number of perpetrators, some or all of whom
cannot be identified and brought to justice before the ICTY for their hpart
in events. This Court is able to, and must, take a global view of all the
evidence, including findings already made by the ICTY. It also has befhore

it, and is able to rule on, additional evidence that was not the subjecth of
charges before the ICTY. For example, the total destruction of the city hof
Vukovar and its civilian population was not charged in the Mrkšić indict -
ment ; nor were the killings and torture at Velepromet. Also before this
Court are findings of genocidal forcible displacement by the Croatian

national courts in cases such as Koprivna and Velimir, along with convic-
tions by the Belgrade District Court War Crimes Chamber of Serbian
perpetrators of atrocities in Croatia. This Court is in a far better position
than the ICTY Prosecutor, and indeed the ICTY itself, to assess whether
the totality of the crimes committed amounted to genocide. In conclu -

sion, the International Court of Justice should, in my respectful view, hbe
extremely cautious in giving any kind of weight to a prosecutorial deci -
sion to charge or not charge a particular individual for a particular crhime
or crimes, in the absence of reasons for such a decision.

(Signed) Julia Sebutinde.

409

7 CIJ1077.indb 814 18/04/16 08:54 application de convehntion génocide (op. inhd. sebutinde) 408

tout autre raison. Ainsi, il faut considérer la valeur probante d’une telle
décision comme minime, étant donné que les décisions du prochureur sont
de nature non pas judiciaire mais exécutive, et ne comportent aucune

constatation définitive quant aux faits.

3. Distinction entre la responsabilité pénale individuelle
et la responsabilité de l’Etat

21. Enfin, la décision d’engager des poursuites contre un individu peut

être motivée par des raisons sans aucun rapport avec la question dhe la
responsabilité de l’Etat pour violation de la convention sur le géhnocide. Ce
qui est encore plus fondamental, c’est que le TPIY et la Cour sont sahisis de
questions juridiques tout à fait différentes ; les réponses qu’ils y apportent
respectivement ne sauraient donc avoir une incidence les unes sur les

autres. Le TPIY examine des questions liées à la responsabilité d’individus
pour certains crimes, et non à la responsabilité de l’Etat àh raison d’une
accumulation de crimes. Le champ de l’examen auquel procède le TPIY se
limite aux actes d’un inculpé considérés au regard de chacunh des chefs
d’accusation. Il s’agit là d’un petit élément, ou d’hune pièce du puzzle, dans

le tableau beaucoup plus large que la Cour était appelée à examiner, à
savoir l’incidence cumulative sur un groupe protégé d’une séhrie de crimes,
perpétrés systématiquement contre une large fraction de la population
dans une zone géographique étendue, par un grand nombre d’auteuhrs,
dont certains ou tous ne peuvent être identifiés ni traduits devant le TPIY

pour la part qu’ils ont prise aux événements. La Cour peut et dhoit avoir
une vue d’ensemble de la totalité des éléments de preuve, y hcompris les
constatations du TPIY. Elle est de plus saisie d’éléments de prheuve sup -
plémentaires qui n’ont pas figuré parmi les preuves à charhge dans les
affaires portées devant le TPIY, et sur lesquels elle peut se prononcehr. Par

exemple, la destruction totale de la ville de Vukovar et de sa populatiohn
civile ne figurait pas dans l’acte d’accusation en l’affaire Mrkšić, non plus
que les meurtres et les actes de torture commis à Velepromet. La Courh
dispose également des conclusions de tribunaux croates sur les déphlace -
ments forcés génocidaires dans des affaires comme celles de Koprivna et de

Velimir, ainsi que des condamnations que la chambre de la cour de district
de Belgrade chargée des crimes de guerre a prononcées contre les auteurs
serbes d’atrocités commises en Croatie. Elle est donc beaucoup miehux pl-a
cée que le procureur du TPIY, voire que le TPIY lui -même, pour détermi-
ner si la totalité des crimes commis constituait un génocide. Pour conclure,

la Cour internationale de Justice devrait, à mon humble avis, se monthrer
extrêmement circonspecte avant d’accorder un poids quelconque àh la dé- ci
sion d’un procureur d’inculper ou non un individu d’un crime ouh de crimes
particuliers alors qu’elle ignore les motifs de cette décision.

(Signé) Julia S ebutinde.

409

7 CIJ1077.indb 815 18/04/16 08:54

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Document Long Title

Opinion individuelle de Mme la juge Sebutinde

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