Opinion individuelle de M. Kooijmans (traduction)

Document Number
094-19980611-JUD-01-05-EN
Parent Document Number
094-19980611-JUD-01-00-EN
Document File
Bilingual Document File

OPINION INDIVIDUELLE DE M. KOOIJMANS

[Traduction]

Questionde savoirsi un différendexiste entre les Parties ausujet duprolon-
gement de lafrontière maritime au-delàdupoint G - Aucune demandespéci-
fique n'a étéprésentéepar ledemandeur à la date du dépôtde la requête qui
s'est heurtéeà l'oppositionmanifeste du défendeur- La septième exception
préliminaire auraidt û être partie accueillie La huitième exceptionpréli-
minaire est par conséquent sans objet Opportunitéjudiciaire, requête unila-
téraleet droits et intérêtsEtats tiers dans des affaires de délimitationde
frontières maritimes.

1. J'ai votéen faveur des alinéas3 et 4 du dispositif qui énoncent que
la Cour a compétencepour statuer sur le différendet que la requêtedu
Cameroun est recevable. Toutefois, cela ne veut pas dire que je souscrive

à toutes les conclusions de la Cour concernant chacune des exceptions
préliminairessoulevéespar le Nigéria.J'aivoté contrela conclusionde la
Cour, qui est indiquée à l'alinéa1g) rejetant la septième exceptionpré-
liminaire. Par voie de conséquence,j'ai dû voter aussi contre la conclu-
sion énoncée par la Cour à l'alinéa2 selon laquelle la huitième exception
préliminaire n'a pas, dans les circonstances de l'espèce,un caractère
exclusivementpréliminaire. Je souhaite exposer ci-dessous mon point de

vue concernant ces questions.
2. Dans sa septième exceptionpréliminaire,le Nigéria a soutenuqu'il
n'existe pas entre les deux Parties de différendjuridique concernant la
délimitation de la frontière maritime, qui se prêterait actuellementà une
décisionde la Cour. A cet égard,le Nigérias'est fondésur deux argu-
ments: en premier lieu, il a soutenu qu'il n'est pas possible de déterminer
la frontière maritime avant de se prononcer sur le titre concernant la
presqu'île de Bakassi. Je partage entièrement l'avis de la Cour selon

lequel, puisque le Cameroun a aussi demandé à la Cour de statuer sur la
question du titre relatià la presqu'île de Bakassi,leproblèmesoulevépar
le Nigériaest une question de méthode et que cette question relèvedu
pouvoir discrétionnaire de la Cour de décidercomment elle veut traiter
ces deux problèmes (paragraphe 106de l'arrêt).
3. Le second argument du Nigéria estque la demande de délimita-
tion maritime est irrecevable en l'absencede négociationspréalables suf-

fisantes concernant la frontière maritime au-delà du point G. Le Nigéria
ne conteste pas que de nombreusesnégociationsaient eu lieu au sujet du
tracéde la frontière à partir des atterrages de Bakassi jusqu'au point G,
négociationsquiont abouti à la déclaration deMaroua, dont le caractère
obligatoire est contestépar le Nigéria.Le Nigériane nie donc pas qu'il
existeun différendjuridique entre lesParties concernant ce segment de la
frontière. Mais il soutient qu'il n'y a jamais eu de négociationsignifica-tives sur la détermination dela frontière entre le oint G et «la limite des
zones maritimes que le droit international place sous la juridiction res-
pective des Parties)), alors que de telles négociationssont prescrites au
paragraphe 2 tant de l'article 74 que de l'article 83 de la convention de
1982sur le droit de la mer.
4. J'estime que, quelle que soit la conclusion que l'on puissetirer de
l'interprétation de ces articles de la convention sur le droit de la mer
quant à la nécessitéde mener des négociations préalablesavant qu'une
question de délimitationmaritime puisse êtresoumise unilatéralementau
règlementpar tierce partie, il faut que de telles négociations aient des

chances d'aboutir à un accord. En l'espèce, ilest clair que ces négocia-
tions n'auraient pas pu conduire àun résultat positif. On peut considérer
que le différendqui s'estdéveloppé à propos de la valeurjuridique de la
déclaration de Maroua rendait vaines des négociations concernant la
continuation vers le large de la ligne convenuedans cette déclaration. Et
cette situation a étéaggravéepar le différendqui est népar la suite au
sujet du statut juridique de la presqu'île de Bakassi. Dès lors que des
négociationsne peuvent pas aboutir, elles ne sauraient êtreconsidérées
comme une condition préalableau sensdes articles 74 et 83de la conven-
tion de 1982,mêmesi l'on interprète ces articles comme rendant indis-
pensables de telles négociations.
5. Le Nigéria soutient encore que les négociationsqui ont abouti à la
déclaration deMaroua ne traitaient que de la délimitation dece que les
deux Parties,à l'époque, considéraienctomme leur mer territoriale et que

les négociationsbilatérales n'ont jamaisétécenséescouvrir aussi la déli-
mitation de la zone économique exclusive et du plateau continental
(exceptions préliminairesdu Nigéria,p. 119, CR9812, p. 41). Quel qu'ait
été le caractère, et surtout l'intensité, denégociationsplus généralescee
genre, la thèsedu Cameroun selon laquelle les négociations qui ont eu
lieu depuis 1970ont toujours visé à délimiterl'ensemble de la frontière
maritime est à mon avis exacte. Cela ressort du fait que déjà, dans la
déclaration de lacommission mixte chargéede la délimitationde la fron-
tière Nigéria-Camerounde juin 1971, il est dit que la délimitation de la
frontière maritime devra êtreeffectuée entemps utile et comprendre la
délimitationde la frontière sur le plateau continental conformément à la
convention de Genèvede 1958sur le plateau continental (exceptionspré-
liminaires du Nigéria,annexe 21, p. 240). De plus, dèscette époque,il
avait été recommandé :

(([d']attirer l'attention des chefs d7Etat du Cameroun et du Nigéria
au sujet d'une actionà prendre au cas où les plateaux continentaux
du Nigéria,du Cameroun et de la Guinée équatoriale auraientun
point commun)) (ibid., annexe 21, p. 241).

Par la suite, mêmeaprèsl'échecdes négociationsconsécutifau différend
sur la déclarationde Maroua, l'action en question a étépréciséeet devait
prendre la forme d'«une réuniontripartite)) chargée d'examinerla ques- tion de la détermination du tripoint, condition essentielle pour pouvoir
procéder à la délimitation des frontières maritimes entre les trois Etats
(troisième session de la réunion conjointe Nigéria-Cameroun d'experts
des questions frontalières, août 1993,exceptions préliminairesdu Nigé-
ria, annexe 55, p. 465).
6. Je partage l'avis de la Cour selon lequel l'absencealléguéde négo-
ciations préalables suffisantesne saurait faire obstaclela recevabilitéde
la demande du Cameroun, mais je ne peux la suivre quand elle rejette la

septième exception préliminairedans sa totalité.Acet égard,il y a lieu de
rappeler la formulation employéepar le Nigéria, selon laquelleil n'existe
pas de différendjuridique concernantla délimitationde la frontièremari-
time entre les deux Parties, qui se prêteraittuellementa une décisionde
la Cour (lesitaliques sont de moi). Le Statut dit explicitementque la Cour
est compétenteen ce qui concerne le règlementdes différends(art. 38,
par. 1, art. 36, par.2; cette dernièredisposition est aussi applicable en
l'espèce).Pour que la Cour ait compétence,il est donc d'une importance
essentiellede déterminersiun différendexisteet, dans l'affirmative,d'iden-
tifier le différenden question. Ainsi que. Rosenne l'a écrit:

«La notion de différenda pour fonction d'exprimer par un vo-
cablejuridique séparéla question à propos de laquelle la Cour a le
pouvoir de prendre une décision judiciaire qui s'impose de façon
définitiveet obligatoire aux parties.'
Et la Cour elle-mêmea dit dans les affaires des Essais nucléaires:

«La Cour, comme organejuridictionnel,a pour tâche de résoudre
des différendsexistants entre Etats. L'existence d'un différend est
donc la condition première de l'exercicede sa fonction judiciaire.»
(Essais nucléaires(Australie c. France), arrêt, C.IJ.. Recueil 1974,
p. 270-271,par. 55.)

7. Tout au long de leur histoire, la Cour actuelle et sa devancièrese
sont attachéesavecla plus grande attention a déterminerce qu'est un dif-
férendqui se prête à un règlementjudiciaire. Leurs conclusions ont été
rappeléesdans le présentarrêtau paragraphe 87, où la Cour traite de la
cinquièmeexception préliminaire.La Cour seréfère,dans ce paragraphe,
aux affaires du Sud-Ouest africain dans lesquelles elle a déclaréqu'«[il1
faut démontrer quela réclamationde l'unedes parties seheurte à l'oppo-
sition manifeste de l'autre»(Sud-Ouest africain,exceptionspréliminaires,
arrêt,C.I.J. Recueil 1962, p. 328). Il est aussi fait référenàeune autre

déclaration de la Cour, à savoir que ((l'existenced'un différendinterna-
tional demande à êtreétablie objectivement))(Interprétationdes traités
de paix conclus avecla Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première
phase, avis consultat$ C.1J. Recueil 1950, p. 74). Ces deux déclarations
ont récemment été rappelées dans l'arrêt quela Cour a rendu dans

lShabtai Rosenne, The Law and Practiceof the InternationalCourt,1920-1996, 1997,
p. 519.

85 FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.KOOIJMANS) 357

l'affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil 1995,
p. 100,par. 22).Aprèsune analyse laborieuse, la Cour est parvenue, en ce
qui concerne la cinquièmeexception préliminaire, à la conclusion qu'il
existe un différendentre les deux Parties, du moins en ce qui concerne les
fondements juridiques de l'ensemble dela frontière existante, bien qu'il
ne soit pas encore possible d'en déterminer l'étendue exacte. Je souscris
pleinement àcette conclusion.
8. A mon avis, la Cour aurait dû appliquer les mêmescritères à la
question de savoir s'ilexisteun différendentre le Cameroun et le Nigéria
sur la délimitationde la frontière maritime du point G à la limite exté-
rieure des différenteszones maritimes. Certes, le Nigérian'a pas soulevé

cette question en tant que moyen distinct, de sorte que le Cameroun n'a
pas jugébon d'essayer de préciserl'objet exact de ce différend. A mon
sens, cela ne dispense pas la Cour de déterminerproprio motu s'ilexiste
un différendqui fait l'objet de la requête.Comme la Cour l'a dit dans les
affaires duSud-Ouest africain :

«La simple affirmation ne suffit pas pour prouver l'existenced'un

différend,tout comme le simplefait que Sexistenced'un différend est
contestéene prouve pas que ce différendn'existe pas.» (Sud-Ouest
africain, exceptionspréliminaires,arrêt,C.I.J. Recueil 1962, p. 328.)
Sur quoi la Cour, indépendamment des arguments des Parties, a décidé
qu'un différend existait.Il appartient doncà la Cour d'«établir objecti-
vement» s'ilexiste un différendinternational.

9. Dans sa requête déposéle e 29 mars 1994,le Cameroun a prié
«la Cour ...

f) Afin d'éviterla survenance de tout différendentre les deux Etats
relativement à leur frontière maritime ...de procéderau prolon-
gement du tracé de[cette]frontière...avecla Républiquefédérale
du Nigériajusqu'à la limite des zones maritimes que le droit
international place sous leurjuridiction respective.
Aucun autre moyen juridique étayant cette demande ni aucun autre
détailpermettant de la fonder n'ont été fournisdans la requêtequi, dece

fait ne semble guère satisfaire, pour ce qui concerne cette partie de la
demande, aux conditions énoncéesau paragraphe 2 de l'article 38 du
Règlementde la Cour.
Dans son mémoire,daté du 16juin 1994, le Cameroun a précisésa
demande en priant la Cour de dire et juger:
«c) Que la limite des zones maritimes relevant respectivement de la
République du Cameroun et de la République fédéraledu

Nigériasuit le tracé suivant:

- du point G, cette limite s'infléchitensuite vers le sud-ouest
dans la directionindiquéepar lespointsG, H, 1,J et K repré- sentés sur le croquis figurant à la page 556 du présent
mémoire et qui répond à l'exigence d'une solution équi-
table, jusqu'à la limite extérieuredes zones maritimes que
le droit international place sous la juridiction respective
des deux Parties.»
A la page 556du mémoireestreproduite une carte intitulée«La délimita-
tion équitable))surlaquelle les divers points mentionnésdans les conclu-

sions ont étéindiqués;un mémorandumexplicatif sur l'emplacement de
ces points figure aux paragraphes 5.107 à 5.128 du mémoire.
10. La date critiqueà retenir pour déterminersi la Cour est compé-
tente et si une requêteest recevable et, par conséquent, pour dire si un
différendexisteest celledu dépôt dela requête.C'est là un point constant
de la jurisprudence de la Cour, qu'elle a récemmentconfirmédans son
arrêt du27 février 1998 sur les exceptions préliminaires dans l'affaire
Lockerbie (Questionsd'interprétationet d'applicationde la convention de
Montréalde 1971 résultantde l'incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya
arabe libyenne c. Etats-Unis d'Amérique), C.I.J. Recueil 1998, p. 128-
129,par. 36, et p. 130-131,par. 43). Est-il vraiment possible de dire que
lejour où la requêtea été déposé ile avait en cequi concerne la frontière
maritime au-delà du point G une réclamationdu Camerounqui «se heur-
t[aità l'opposition manifeste))du Nigéria,un ((désaccordsur un point

de droit ou de fait, un conflit, une opposition de thèsesjuridiques ou
d'intérêts))entreles Parties?
11. Le Nigéria a soulevéla question de l'inexistence d'un différend
uniquement dans le contexte d'une prétendue absence de négociations
antérieures,mais il a néanmoins appelél'attention de la Cour sur le fait
que le Cameroun ne lui avaitjamais présentéde réclamationspécifiqueen
ce qui concerne la continuation de la ligne frontière projetée au-delà
du point G. Dans ses exceptions préliminaires,le Nigériaa déclaré:

«Pour sa part, le Nigérian'a pas encore eu l'occasion d'étudier,
dans le cadre de négociationsdiplomatiques, une seule proposition
visant à délimiter les zones maritimes respectives ...au-delà du
((point GD.Il n'a euconnaissance de la véritable positiondu Came-
roun au sujet de la délimitationau-delàdu((point GDqu'aumoment
où il a reçu le mémoire.)) (Exceptions préliminaires du Nigéria,
p.120,par. 7.15; les italiques sont de moi.)
12. Si M. Rosenne a raison de dire que l'existenced'un différendpeut

êtreétablieen examinant les positions des parties, telles qu'ellesressor-
tent de la chronologie des discussions diplomatiques de la question2,
celle-cipeut-elle nous apprendre rien de plus qu'il existe manifestement
un désaccordquant à la localisation du point G, qui est lepoint de départ
de la frontière maritime «prolongée», et que les Parties conviennent de
reconnaître que pour procéder à la délimitationde leurs zones maritimes

Op. cit., p. 519. FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.KOOIJMANS) 359

la participation d'Etats tiers, en particulier de la Guinée équatoriale,est
essentiellepour établirle tracéde leurs frontières maritimes (exceptions
préliminairesdu Nigéria, annexe 55, p. 465), ce qu'elles ont confirmé
encore en 1993, bien aprèsla naissance du différendconcernant le carac-
tèreobligatoirede la déclaration de Maroua?
Comment le contenu d'un tel différend peut-ilêtredécriten termes

juridiques? Quelles sont les réclamationsjuridiques opposéesqui autori-
seraient la Cour àrendre une décisionjudiciaire ayant force obligatoire et
définitiveà l'égarddes Parties? Peut-on véritablementdire qu'il «existe
un différendjuridique qui se prêteraitactuellement à une décisionde la
Cour »?
13. Il y a lieu de relever aussi que- dans la mesure où il existe un
différend relatifà la frontière «prolongée» au-delà du point G - l'en-
semblede la question est occultépar le fait que c'estprécisément la loca-
lisation contestéedu point G qui est déterminante pour le règlementde

ce différend.Certes,on peut dire qu'ils'agitlà tout autant d'une question
de méthode pour ce qui concerne le rapport entre le titre contesté sur
Bakassi et le premier segment de la frontière maritime jusqu'au point G
et que l'ordre dans lequel les différents problèmesseront traitésrelèvedu
pouvoir discrétionnairede la Cour. Mais ici, l'emplacement despoints H
à K est indissolublement lié à la localisation du point G telle que déter-
minéedans la déclaration de Maroua. Toute détermination par la Cour
qui serait différentede ce que demande le Cameroun serait susceptible de

saper entièrementcette demande en ce qui concerne la continuation vers
le large de la frontière maritime, dans le cas où ladite demande, telle que
reformuléedans son mémoire, serait acceptéecomme un élémenf taisant
partie du différend.
14. Certes, la situation aurait étébien différentesi les deux Parties
avaient conclu un accord visant à soumettre à la Cour la question de la
déterminationde la frontièremaritime et s'étaienttrouvéesen mesure de
faire valoir leurs arguments différentsou opposés,en demandant à la
Cour soit de définirles principes et les règlesjuridiques applicablesà la

délimitationdes zones maritimes, soit d'effectuer elle-même cette délimi-
tation. 11aurait alors étédifficilà la Cour d'éviter voirede refuser de
prendre une telle décision mêms ei les élémentsconstitutifs du différend
n'étaient pas formulés dans des termes très clairsou précis.
La situation serait toutefois bien différente- et uuèresouhaitable à
mon avis - si la Cour peut être unilatéralementsaisie par un Etat d'une
demande tendant à déterminer une frontière maritime dans des zones
plus lointaines si les négociationsavec un autre Etat concernant la déli-

mitation des zones plus proches de la côte n'ont pas abouti, sans qu'il y
ait une nette divergencede vues quant aux critèresjuridiquesà appliquer
aussi à ces zones plus éloignées.
15. Pour toutes ces raisons, je pense que la Cour n'aurait pas dû
conclure que la septièmeexceptionpréliminaire devaitêtrerejetée danssa
totalité,mais qu'elle aurait dû êtreen partie retenue; il n'existe pas de
différendd'ordre juridique entre les Parties relatif au prolongementde lafrontière maritime au-delà du point G, selon les prévisionsdu para-
graphe 2 de l'article36 du Statut.

16. Ma position à ce sujet a aussi ses conséquencessur mon vote
concernant la huitième exceptionpréliminaire.Je partage l'opinion dela
Cour selon laquelle le problème desdroits et des intérêts d'Etats tiers ne
se pose que pour le prolongement de la frontière maritime vers le large
au-delà du point G et que le différend relatif la frontière entre les atter-
rages de la presqu'île de Bakassi et le point G ne met pas en cause les
droits et intérêts'Etats tiers (paragraphe 115de l'arrêt).
Puisque, àmon avis, la Cour aurait dû s'abstenir de s'attacherà déter-
miner la frontière maritime au-delà du point G en retenant partiellement
la septième exceptionpréliminaire,je ne pouvais pas non plus voter en
faveur de la conclusion de la Cour relative à la huitièmeexception, qui
aurait dû, selon moi, êtredéclarée sans objet.

17. Il ne faudrait pas interpréterce qui précède commeimpliquant que

je ne suis pas d'accord avec la conclusion de la Cour selon laquelle une
exception de cette nature n'a pas en soi un caractère exclusivementpré-
liminaire et qu'il ne pourrait être statué scelle-ci qu'au stade du fond.
J'estime, toutefois, que dans la présente affaire, la Cour, pour des rai-
sons d'opportunitéjudiciaire, pouvait ou mêmedevait déjàin liminelitis
accueillircette exception au lieu de réservercette possibilitéla phase du
fond.
18. Le Nigéria, danssa huitième exception préliminaire,a indiqué que
«la question de la délimitation maritime met nécessairementen cause les
droits et lesintérêts'Etats tiers et la demandeà ce sujet est irrecevable.»
Dans le présentarrêt,la Cour

((note que la situation géographique des territoires des autres Etats
riverains du golfe de Guinée, eten particulier de la Guinée équato-
riale et de Sao Tomé-et-Principe,démontrequ'en touteprobabilitéle
prolongement de la frontière maritime entre les Parties vers le large
au-delà du point G finira par atteindre les zones maritimes dans les-
quelles les droits et intérêts du Cameroun et du Nigériachevauche-

ront ceux d'Etats tiers. Ainsi, les droits et intérêtsd'Etats tiers
seront, semble-t-il, touchéssi la Cour fait droit à la demande du
Cameroun.)) (Par. 116;les italiques sont de moi.)

Cela amènela Cour à conclure qu'elle
«ne saurait exclure que l'arrêt demandépar le Cameroun puisse
avoir sur lesdroits et intérêdes Etats tiersune incidencetelleque la

Cour serait empêchée derendre sa décisionen l'absence de ces
Etats..» (ibid.).

Toute cette argumentation tourne donc, semble-t-il,sur la volonté deces
Etats tiers d'exercerleur droit d'intervention que leur confèrel'article 62
du Statut dans la présente instance. 19. Dans l'affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne1
Malte), la Cour a déclaré
((qu'aucune compétencen'a été conférée à la Cour pour déterminer
les principes et les règlesrégissantles délimitationsavec les Etats
tiers, ni pour décider si lesprétentions des Parties en dehors de la
zone en question l'emportent sur les prétentionsdes Etats tiers de la
région».

La conclusion logique de la constatation de la Cour était que sa décision

«ne doit porter que sur la zone où, selon les indications qu'ellea
données à la Cour, l'Italie n'émetpas de prétentions sur le plateau
continental. La Cour, ayant été informéd ees prétentions de I'Ita-
lie..accorde ainsià l'Italiela protection qu'ellerecherchait.»(C.I.J.
Recueil 1985, p. 26, par. 2; les italiques sont de moi.)

20. Dans les affaires de délimitationde frontièremaritime, la connais-
sance du point de vue des Etats tiers concernés est donc absolument
indispensable pour que la Cour puisse s'acquitter de sa fonction judiciaire
si une affaire a été soumisepar un compromis. Cela aurait étéd'autant
plus le cas en ce qui concerne la position de la Guinéeéquatoriale, si
l'affaire avait étésoumise par un compromis, étantdonné queles deux
Parties avaient considéréaue la détermination du tri~oint était une
condition essentielleà la diimitation des frontières maiitimes entre les
trois pays. Si la Cour avait étésaisie par un compromis, la présente
affaire aurait, mis à part les facteurs géographiques, correspondu à
l'affaire LibyelMalte.
21. La présenteaffaire a toutefois étésoumise par une requête unila-
téraleen vertu du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut. Le demandeur

prie la Cour de déterminerla frontièremaritime avec le défendeur,alors
qu'il a lui-même, commele défendeur, admis qu'unetelle délimitation
exigeait la participation d'un Etat tiers et des négociationsavec celui-ci.
Dans de telles conditions, il ne semble ni approprié ni raisonnable de
«forcer» un Etat tiersà exposer sesvues et sa position par le biais d'une
intervention en vertu de l'article 62 avant mêmeque des négociations
aveclesEtats voisins aient commencé.Bienentendu, il est loisible à1'Etat
tiers de ne pas intervenir, mais dans ce cas la Cour pourrait être -
et dans la présenteaffaire selon toute probabilité serai- empêchéd ee
rendre un arrêtcomme le lui avait demandéle demandeur. En l'absence
d'une demande commune des deux Parties en l'espèce,des considérations
d'opportunitéjudiciaire auraient pu amener la Cour à déciderde retenir
la huitième exception préliminaire à la phase préliminairede la présente
instance.

(Signé) Pieter H. KOOIJMANS.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF JUDGE KOOIJMANS

Whether there is a dispute between the Parties as to the continuation of the
maritime boundary beyondpoint G - No speciJicclaim raised by Applicant at
date of filing of Application which waspositively opposed by Respondent -
Seventh preliminary objectionshould have beenpartially upheld - Eighth pre-
liminary objection consequently withoutobject - Judicial propriety, unilateral
application and rights and interests of third States in cases of delimitation

maritime boundary.

1. 1have voted in favour of paragraphs 3 and 4 of the dispositif,which
state that the Court has jurisdiction to adjudicate upon the dispute and
that Cameroon's Application is admissible. That does not mean, how-
ever, that 1 support the Court's findings with regard to each and every
preliminary objection raised by Nigeria. 1voted against the Court's con-
clusion in subparagraph 1 (g) that the seventh preliminary objection
must be rejected. Consequently, 1 had to vote also against the Court's
conclusion in paragraph 2 that the eighth preliminary objection does not
have, in the circumstances of the case, an exclusivelypreliminary charac-

ter. In the following 1wish to set out my viewpoints with regard to these
matters.
2. In its seventh preliminaryobjection, Nigeria submitted that there is
no legal dispute concerning delimitation of the maritime boundary
between the two Parties which is at the present time appropriatefor reso-
lution by the Court. In this respect, Nigeria relied on two arguments; in
the first place it contended that no determination of a maritimeboundary
is possible prior to the determination of title in respect of the Bakassi

Peninsula. 1 fully share the Court's view that, since Cameroon has also
requested the Court to decide on the question of the title to the Bakassi
Peninsula, the issue raised by Nigeria is a question of method and that it
lies within the Court's discretion how to deal with these two issues
(paragraph 106 of the Judgrnent).

3. Nigeria's second argument is that the issue of maritime delimitation
is inadmissible in the absence of sufficient prior negotiations with regard

to the maritime boundary beyond point G. Nigeria does not contest that
extensive negotiations have taken place with regard to the course of the
boundary from the landfall on Bakassi to point G; these negotiations led
to the Declaration of Maroua, the binding character of which is con-
tested by Nigeria. Nigeria does not deny, therefore, that there is a legal
dispute between the Parties concerning that part of the boundary. It con-
tends, however, that there never have been serious negotiations on the OPINION INDIVIDUELLE DE M. KOOIJMANS

[Traduction]

Questionde savoirsi un différendexiste entre les Parties ausujet duprolon-
gement de lafrontière maritime au-delàdupoint G - Aucune demandespéci-
fique n'a étéprésentéepar ledemandeur à la date du dépôtde la requête qui
s'est heurtéeà l'oppositionmanifeste du défendeur- La septième exception
préliminaire auraidt û être partie accueillie La huitième exceptionpréli-
minaire est par conséquent sans objet Opportunitéjudiciaire, requête unila-
téraleet droits et intérêtsEtats tiers dans des affaires de délimitationde
frontières maritimes.

1. J'ai votéen faveur des alinéas3 et 4 du dispositif qui énoncent que
la Cour a compétencepour statuer sur le différendet que la requêtedu
Cameroun est recevable. Toutefois, cela ne veut pas dire que je souscrive

à toutes les conclusions de la Cour concernant chacune des exceptions
préliminairessoulevéespar le Nigéria.J'aivoté contrela conclusionde la
Cour, qui est indiquée à l'alinéa1g) rejetant la septième exceptionpré-
liminaire. Par voie de conséquence,j'ai dû voter aussi contre la conclu-
sion énoncée par la Cour à l'alinéa2 selon laquelle la huitième exception
préliminaire n'a pas, dans les circonstances de l'espèce,un caractère
exclusivementpréliminaire. Je souhaite exposer ci-dessous mon point de

vue concernant ces questions.
2. Dans sa septième exceptionpréliminaire,le Nigéria a soutenuqu'il
n'existe pas entre les deux Parties de différendjuridique concernant la
délimitation de la frontière maritime, qui se prêterait actuellementà une
décisionde la Cour. A cet égard,le Nigérias'est fondésur deux argu-
ments: en premier lieu, il a soutenu qu'il n'est pas possible de déterminer
la frontière maritime avant de se prononcer sur le titre concernant la
presqu'île de Bakassi. Je partage entièrement l'avis de la Cour selon

lequel, puisque le Cameroun a aussi demandé à la Cour de statuer sur la
question du titre relatià la presqu'île de Bakassi,leproblèmesoulevépar
le Nigériaest une question de méthode et que cette question relèvedu
pouvoir discrétionnaire de la Cour de décidercomment elle veut traiter
ces deux problèmes (paragraphe 106de l'arrêt).
3. Le second argument du Nigéria estque la demande de délimita-
tion maritime est irrecevable en l'absencede négociationspréalables suf-

fisantes concernant la frontière maritime au-delà du point G. Le Nigéria
ne conteste pas que de nombreusesnégociationsaient eu lieu au sujet du
tracéde la frontière à partir des atterrages de Bakassi jusqu'au point G,
négociationsquiont abouti à la déclaration deMaroua, dont le caractère
obligatoire est contestépar le Nigéria.Le Nigériane nie donc pas qu'il
existeun différendjuridique entre lesParties concernant ce segment de la
frontière. Mais il soutient qu'il n'y a jamais eu de négociationsignifica-determination of the boundary between point G and "the limit of the
maritime zones which international law places under the Parties' respec-
tivejurisdiction", whereas such negotiations are prescribed by Articles 74
and 83, paragraphs 2, of the 1982Convention on the Law of the Sea.

4. 1 am of the opinion that, whatever must be held of the interpreta-
tion of these Articles of the Law of the Sea Convention with respect to
the necessity of prior negotiations before a maritime delimitation issue
may be unilaterally submitted to third-party settlement, such negotia-
tions must have the possibility of leading to an agreement. In the present
case, negotiations clearly could not have led to a positive result. The dis-
pute which has developed on the legal value of the Maroua Declaration
may be said to have made negotiations on the seaward continuance of
the line agreed upon in that Declaration futile. And this situation has
been aggravated by the subsequent dispute about the legal status of the
Bakassi Peninsula. If negotiations cannot lead to results, they cannot be
seen as a necessary pre-condition in the meaning of Articles 73 and 84 of
the 1982 Convention, even if these Articles were to be interpreted as
making such negotiations indispensable.

5. Nigeria further contends that the negotiations leading to the Mar-
oua Declaration only dealt with the delimitation of what both Parties at
the time considered to be their territorial sea and that the bilateralego-
tiations were never intended to cover also the delimitation of the exclu-
sive economic zone and the continental shelf (PreliminaryObjections of
Nigeria, p. 119; CR9812, p. 41). Whatever the character, and, in particu-
lar, the intensity of such more general negotiations, Cameroon's claim
that the negotiations which had taken place since 1970had always been
carried out with a view to delimiting the whole of the maritime boundary
is in my view correct. This is borne out by the fact that already in the
Declaration of the Nigeria-Cameroon Joint Boundary Commission
of June 1971it is stated that the delimitation of the maritime boundary
should be done in due course to include the delimitation of the boundary
in the continental shelf in accordance with the 1958Geneva Convention
on the Continental Shelf (Preliminary Objections of Nigeria, Ann. 21,
p. 240). Moreover, even at that early moment, it was recognized that:

"since the Continental Shelvesof Nigeria, Cameroon and Equatorial
Guinea would appear to have a common area, the attention of the
Heads of State of Cameroon and Nigeria should be drawn to this
fact so that appropriate action might be taken" (ibid., Ann. 21,
p. 241).

At a later stage, even after the breakdown of the negotiations as a result
of the dispute over the Maroua Declaration, such appropriate action was
specifiedas taking the form of a "tripartite meeting" to examine the issuetives sur la détermination dela frontière entre le oint G et «la limite des
zones maritimes que le droit international place sous la juridiction res-
pective des Parties)), alors que de telles négociationssont prescrites au
paragraphe 2 tant de l'article 74 que de l'article 83 de la convention de
1982sur le droit de la mer.
4. J'estime que, quelle que soit la conclusion que l'on puissetirer de
l'interprétation de ces articles de la convention sur le droit de la mer
quant à la nécessitéde mener des négociations préalablesavant qu'une
question de délimitationmaritime puisse êtresoumise unilatéralementau
règlementpar tierce partie, il faut que de telles négociations aient des

chances d'aboutir à un accord. En l'espèce, ilest clair que ces négocia-
tions n'auraient pas pu conduire àun résultat positif. On peut considérer
que le différendqui s'estdéveloppé à propos de la valeurjuridique de la
déclaration de Maroua rendait vaines des négociations concernant la
continuation vers le large de la ligne convenuedans cette déclaration. Et
cette situation a étéaggravéepar le différendqui est népar la suite au
sujet du statut juridique de la presqu'île de Bakassi. Dès lors que des
négociationsne peuvent pas aboutir, elles ne sauraient êtreconsidérées
comme une condition préalableau sensdes articles 74 et 83de la conven-
tion de 1982,mêmesi l'on interprète ces articles comme rendant indis-
pensables de telles négociations.
5. Le Nigéria soutient encore que les négociationsqui ont abouti à la
déclaration deMaroua ne traitaient que de la délimitation dece que les
deux Parties,à l'époque, considéraienctomme leur mer territoriale et que

les négociationsbilatérales n'ont jamaisétécenséescouvrir aussi la déli-
mitation de la zone économique exclusive et du plateau continental
(exceptions préliminairesdu Nigéria,p. 119, CR9812, p. 41). Quel qu'ait
été le caractère, et surtout l'intensité, denégociationsplus généralescee
genre, la thèsedu Cameroun selon laquelle les négociations qui ont eu
lieu depuis 1970ont toujours visé à délimiterl'ensemble de la frontière
maritime est à mon avis exacte. Cela ressort du fait que déjà, dans la
déclaration de lacommission mixte chargéede la délimitationde la fron-
tière Nigéria-Camerounde juin 1971, il est dit que la délimitation de la
frontière maritime devra êtreeffectuée entemps utile et comprendre la
délimitationde la frontière sur le plateau continental conformément à la
convention de Genèvede 1958sur le plateau continental (exceptionspré-
liminaires du Nigéria,annexe 21, p. 240). De plus, dèscette époque,il
avait été recommandé :

(([d']attirer l'attention des chefs d7Etat du Cameroun et du Nigéria
au sujet d'une actionà prendre au cas où les plateaux continentaux
du Nigéria,du Cameroun et de la Guinée équatoriale auraientun
point commun)) (ibid., annexe 21, p. 241).

Par la suite, mêmeaprèsl'échecdes négociationsconsécutifau différend
sur la déclarationde Maroua, l'action en question a étépréciséeet devait
prendre la forme d'«une réuniontripartite)) chargée d'examinerla ques-of the determination of the triple point as an essential condition for the
delimitation of the maritime borders between the three countries (Third
Session of the Nigeria-Cameroon Joint Meeting of Experts on Boundary
Matters, August 1993,Preliminary Objectionsof Nigeria, Ann. 55,p. 465).

6. Althoueu 1share the Court's view that the alleeeu absence of suffi-
cient prior negotiations is no impediment for the admissibility of Cam-
eroon's claim, 1 cannot follow the Court when it says that it, conse-
quently, rejects the seventh preliminary objection in its entirety. In this
respect, it is necessary to recall Nigeria's formulation that there is no
legal dispute concerningdelimitation of the maritime boundary between

the two Parties which is at thepresent time appropriatefor resolutionby
the Court (emphasis added). The Statute of the Court explicitly states
that its jurisdiction is concerned with the decision on disputes (Art. 38,
para. 1, and Art. 36, para. 2; the latter is also applicable in the present
case). For the Court to have jurisdiction it is therefore of vital impor-
tance to determine whether there is a dispute and in the affirmative case
to identify such dispute. As Professor p os en naes:
"The function of the concept of dispute is to express in a legally

discrete term the matter in connection with which the Court is
empowered to make a judicial decision having final and binding
force on the parties." '
And the Court itself stated in the Nuclear Tests cases:

"The Court, as a court of law, is called upon to resolve existing
disputes between States. Thus the existence of a dispute is the pri-
mary condition for the Court to exercise its judicial function."
(Nuclear Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports
1974, pp. 270-271,para. 55.)
7. During their history, the present Court and its predecessor have
given great attention to determine what a dispute, which lends itself for

judicial decision,is. Their findingshave been recalled in the present Judg-
ment (para. 87) where the Court deals with the fifth preliminary objec-
tion. The Court there refers to the South West Africa cases where it
stated that "[ilt must be shown that the claim of one party is positively
opposed by the other" (South West Africa, Preliminary Objections, Judg-
ment, I. C.J. Reports 1962, p. 328). It also referred to another statement
by the Court, namely "[wlhether there exists an international dispute is a
matter for objective determination" (Interpretation of Peace Treaties
with Bulgaria, Hungary and Romania, First Phase, Advisory Opinion,
I.C.J. Reports 1950, p. 74).Both statements wererecently repeated in the
Judgment in the East Timor (Portugal v. Australia) case, I.C.J. Reports
1995, p. 100,para. 22).After a painstaking analysis, the Court came with

ShabtaiRosenne,The Law and Practice of the International Court, 1920-1996, 1997,
p. 519. tion de la détermination du tripoint, condition essentielle pour pouvoir
procéder à la délimitation des frontières maritimes entre les trois Etats
(troisième session de la réunion conjointe Nigéria-Cameroun d'experts
des questions frontalières, août 1993,exceptions préliminairesdu Nigé-
ria, annexe 55, p. 465).
6. Je partage l'avis de la Cour selon lequel l'absencealléguéde négo-
ciations préalables suffisantesne saurait faire obstaclela recevabilitéde
la demande du Cameroun, mais je ne peux la suivre quand elle rejette la

septième exception préliminairedans sa totalité.Acet égard,il y a lieu de
rappeler la formulation employéepar le Nigéria, selon laquelleil n'existe
pas de différendjuridique concernantla délimitationde la frontièremari-
time entre les deux Parties, qui se prêteraittuellementa une décisionde
la Cour (lesitaliques sont de moi). Le Statut dit explicitementque la Cour
est compétenteen ce qui concerne le règlementdes différends(art. 38,
par. 1, art. 36, par.2; cette dernièredisposition est aussi applicable en
l'espèce).Pour que la Cour ait compétence,il est donc d'une importance
essentiellede déterminersiun différendexisteet, dans l'affirmative,d'iden-
tifier le différenden question. Ainsi que. Rosenne l'a écrit:

«La notion de différenda pour fonction d'exprimer par un vo-
cablejuridique séparéla question à propos de laquelle la Cour a le
pouvoir de prendre une décision judiciaire qui s'impose de façon
définitiveet obligatoire aux parties.'
Et la Cour elle-mêmea dit dans les affaires des Essais nucléaires:

«La Cour, comme organejuridictionnel,a pour tâche de résoudre
des différendsexistants entre Etats. L'existence d'un différend est
donc la condition première de l'exercicede sa fonction judiciaire.»
(Essais nucléaires(Australie c. France), arrêt, C.IJ.. Recueil 1974,
p. 270-271,par. 55.)

7. Tout au long de leur histoire, la Cour actuelle et sa devancièrese
sont attachéesavecla plus grande attention a déterminerce qu'est un dif-
férendqui se prête à un règlementjudiciaire. Leurs conclusions ont été
rappeléesdans le présentarrêtau paragraphe 87, où la Cour traite de la
cinquièmeexception préliminaire.La Cour seréfère,dans ce paragraphe,
aux affaires du Sud-Ouest africain dans lesquelles elle a déclaréqu'«[il1
faut démontrer quela réclamationde l'unedes parties seheurte à l'oppo-
sition manifeste de l'autre»(Sud-Ouest africain,exceptionspréliminaires,
arrêt,C.I.J. Recueil 1962, p. 328). Il est aussi fait référenàeune autre

déclaration de la Cour, à savoir que ((l'existenced'un différendinterna-
tional demande à êtreétablie objectivement))(Interprétationdes traités
de paix conclus avecla Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première
phase, avis consultat$ C.1J. Recueil 1950, p. 74). Ces deux déclarations
ont récemment été rappelées dans l'arrêt quela Cour a rendu dans

lShabtai Rosenne, The Law and Practiceof the InternationalCourt,1920-1996, 1997,
p. 519.

85regard to the fifth preliminary objection to the conclusion that a dispute
exists between the two Parties, at least as regards the legal bases of the
whole of the existing boundary, although it is not yet possible to deter-
mine its exact scope. 1fully subscribe to that conclusion.

8. In my view, the Court should have applied the same criteria with
regard to the question whether a dispute exists between Cameroon and
Nigeria as to the delimitation of the maritime boundary from point G to
the outer limit of the various maritime zones. It is undoubtedly true that
Nigeria has not raised this point as a separate argument and that, con-
sequently, Cameroon has not seen fit to try and define the exact subject-
matter of this dispute. This does, in my opinion, not relievethe Court of
the task to determine proprio motu whether there existsa dispute which is
the subject of the Application. As the Court said in the South West
Africa cases :

"A mere assertion is not sufficientto prove the existence of a dis-
pute any more than a mere denial of the existence of the dispute
proves its non-existence." (South West Africa, Preliminary Objec-
tions, Judgment, I.C.J. Reports 1962, p. 328),

whereupon the Court, independently of the arguments of the Parties,
decided that a dispute existed. Itis therefore for the Court to "objectively
determine whether there exists an international dispute".
9. In its Application, filed on 29 March 1994,Cameroon requested
"the Court . . .

(f) In order to prevent any dispute arising between the two States
concerning their maritime boundary . . to prolong the course
of [this] boundary with the Federal Republic of Nigeria up to
the limit of the maritime zones which international law places
under their respectivejurisdictions."

No further legal grounds for this request nor any other details under-
pinning it were provided in the Application which, therefore, hardly
seems to meet the conditions of Article 38, paragraph 2, of the Rules of
Court as far as this part of the claim is concerned.

In its Memorial, dated 16June 1994,Cameroon specified its request by
asking the Court to adjudge and declare:

"(c) That the boundary of the maritime zones appertaining respec-
tivelyto the Republic of Cameroon and to the Federal Repub-
lic of Nigeria follows the following course:
...........................
- from point G that boundary then swings south-westward
in the direction which is indicated by points G, H, 1, J FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.KOOIJMANS) 357

l'affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil 1995,
p. 100,par. 22).Aprèsune analyse laborieuse, la Cour est parvenue, en ce
qui concerne la cinquièmeexception préliminaire, à la conclusion qu'il
existe un différendentre les deux Parties, du moins en ce qui concerne les
fondements juridiques de l'ensemble dela frontière existante, bien qu'il
ne soit pas encore possible d'en déterminer l'étendue exacte. Je souscris
pleinement àcette conclusion.
8. A mon avis, la Cour aurait dû appliquer les mêmescritères à la
question de savoir s'ilexisteun différendentre le Cameroun et le Nigéria
sur la délimitationde la frontière maritime du point G à la limite exté-
rieure des différenteszones maritimes. Certes, le Nigérian'a pas soulevé

cette question en tant que moyen distinct, de sorte que le Cameroun n'a
pas jugébon d'essayer de préciserl'objet exact de ce différend. A mon
sens, cela ne dispense pas la Cour de déterminerproprio motu s'ilexiste
un différendqui fait l'objet de la requête.Comme la Cour l'a dit dans les
affaires duSud-Ouest africain :

«La simple affirmation ne suffit pas pour prouver l'existenced'un

différend,tout comme le simplefait que Sexistenced'un différend est
contestéene prouve pas que ce différendn'existe pas.» (Sud-Ouest
africain, exceptionspréliminaires,arrêt,C.I.J. Recueil 1962, p. 328.)
Sur quoi la Cour, indépendamment des arguments des Parties, a décidé
qu'un différend existait.Il appartient doncà la Cour d'«établir objecti-
vement» s'ilexiste un différendinternational.

9. Dans sa requête déposéle e 29 mars 1994,le Cameroun a prié
«la Cour ...

f) Afin d'éviterla survenance de tout différendentre les deux Etats
relativement à leur frontière maritime ...de procéderau prolon-
gement du tracé de[cette]frontière...avecla Républiquefédérale
du Nigériajusqu'à la limite des zones maritimes que le droit
international place sous leurjuridiction respective.
Aucun autre moyen juridique étayant cette demande ni aucun autre
détailpermettant de la fonder n'ont été fournisdans la requêtequi, dece

fait ne semble guère satisfaire, pour ce qui concerne cette partie de la
demande, aux conditions énoncéesau paragraphe 2 de l'article 38 du
Règlementde la Cour.
Dans son mémoire,daté du 16juin 1994, le Cameroun a précisésa
demande en priant la Cour de dire et juger:
«c) Que la limite des zones maritimes relevant respectivement de la
République du Cameroun et de la République fédéraledu

Nigériasuit le tracé suivant:

- du point G, cette limite s'infléchitensuite vers le sud-ouest
dans la directionindiquéepar lespointsG, H, 1,J et K repré- and K represented on the sketch-map on page 556 of this
Memorial and meets the requirements for an equitable
solution, up to theouter limit of the maritime zones which
international law places under the respectivejurisdictions

of the two Parties."
On page 556of the Memorial a map was reproduced entitled "La Délimi-
tation Equitable" on which the various points mentioned in the submis-
sions were indicated; an explanatory memorandum on the location of
these points is contained in paragraphs 5.107 to 5.128 of the Memorial.
10. The critical date for the Court having jurisdiction and for the
admissibility of an Application and, therefore, of the determination of
the existenceof a dispute is that of the Application's filing.This has been
the established jurisprudence of the Court and has been recently con-

firmed in the Judgment of 27 February 1998on the Preliminary Objec-
tions in the Lockerbie case (Questions of Interpretation and Application
of the 1971 Montreal Convention arising from the Aerial Incident ut
Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. UnitedStates of America), I.C.J.
Reports 1998, pp. 128-129,para. 36, and pp. 130-131,para. 43). Can it
really be said that at the day the Application was filed there was with
regard to the maritime boundary beyond point G a claim of Cameroon
which was "positively opposed" by Nigeria, a "disagreement on a point
of law or fact, a conflict of legal viewsor interests" between the Parties?

11. Although Nigeriadid raise the matter of the non-existence of a dis-
pute only in the context of an alleged absence of prior negotiations, it
nevertheless drew the Court's attention to the fact that it hadnever been
presented with a specificclaim by Cameroon with regard to the continua-
tion of the projected boundary line beyond point G. In its preliminary
objections it stated:

"Nigeria for its part has not yet had the opportunity to consider,
in the context of diplomatic negotiations, any proposa1 for the
delimitation of the respectivemaritime zones . . beyond 'point G'.
It learned of Cameroon's actual position as to delimitation beyond
'point G' only when it receivedthe Memorial." (Preliminary Objec-
tions of Nigeria, p. 120,para. 7.15; emphasis added.)

12. If Rosenne is correct in saying that the existence of a dispute may
be established from the examination of the positions of the parties, as
expressedin the diplomatichistory of the matter2,what more do welearn
from that diplomatichistory than that there is a clear disagreement about
the location of point G, the starting point of the "prolonged" maritime
boundary, and the fact that the Parties agree that for the delimitation of
their maritime zones the involvement of third countries, in particular

Op. cit., p. 519. sentés sur le croquis figurant à la page 556 du présent
mémoire et qui répond à l'exigence d'une solution équi-
table, jusqu'à la limite extérieuredes zones maritimes que
le droit international place sous la juridiction respective
des deux Parties.»
A la page 556du mémoireestreproduite une carte intitulée«La délimita-
tion équitable))surlaquelle les divers points mentionnésdans les conclu-

sions ont étéindiqués;un mémorandumexplicatif sur l'emplacement de
ces points figure aux paragraphes 5.107 à 5.128 du mémoire.
10. La date critiqueà retenir pour déterminersi la Cour est compé-
tente et si une requêteest recevable et, par conséquent, pour dire si un
différendexisteest celledu dépôt dela requête.C'est là un point constant
de la jurisprudence de la Cour, qu'elle a récemmentconfirmédans son
arrêt du27 février 1998 sur les exceptions préliminaires dans l'affaire
Lockerbie (Questionsd'interprétationet d'applicationde la convention de
Montréalde 1971 résultantde l'incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya
arabe libyenne c. Etats-Unis d'Amérique), C.I.J. Recueil 1998, p. 128-
129,par. 36, et p. 130-131,par. 43). Est-il vraiment possible de dire que
lejour où la requêtea été déposé ile avait en cequi concerne la frontière
maritime au-delà du point G une réclamationdu Camerounqui «se heur-
t[aità l'opposition manifeste))du Nigéria,un ((désaccordsur un point

de droit ou de fait, un conflit, une opposition de thèsesjuridiques ou
d'intérêts))entreles Parties?
11. Le Nigéria a soulevéla question de l'inexistence d'un différend
uniquement dans le contexte d'une prétendue absence de négociations
antérieures,mais il a néanmoins appelél'attention de la Cour sur le fait
que le Cameroun ne lui avaitjamais présentéde réclamationspécifiqueen
ce qui concerne la continuation de la ligne frontière projetée au-delà
du point G. Dans ses exceptions préliminaires,le Nigériaa déclaré:

«Pour sa part, le Nigérian'a pas encore eu l'occasion d'étudier,
dans le cadre de négociationsdiplomatiques, une seule proposition
visant à délimiter les zones maritimes respectives ...au-delà du
((point GD.Il n'a euconnaissance de la véritable positiondu Came-
roun au sujet de la délimitationau-delàdu((point GDqu'aumoment
où il a reçu le mémoire.)) (Exceptions préliminaires du Nigéria,
p.120,par. 7.15; les italiques sont de moi.)
12. Si M. Rosenne a raison de dire que l'existenced'un différendpeut

êtreétablieen examinant les positions des parties, telles qu'ellesressor-
tent de la chronologie des discussions diplomatiques de la question2,
celle-cipeut-elle nous apprendre rien de plus qu'il existe manifestement
un désaccordquant à la localisation du point G, qui est lepoint de départ
de la frontière maritime «prolongée», et que les Parties conviennent de
reconnaître que pour procéder à la délimitationde leurs zones maritimes

Op. cit., p. 519.359 LAND AND MARITIM.E BOUNDARY (SEP. OP.KOOIJMANS)

Equatorial Guinea, is essential to the delineation of their maritime

borders (PreliminaryObjections of Nigeria, Ann. 55, p. 465), an under-
standing which was confirmed as late as 1993, long after the dispute
about the binding character of the Maroua Declaration emerged?

How can the subject-matter of such a dispute be described in legal
terms?What are the opposing legal claims which empower the Court to
make a judicial decision having final and binding force on the Parties?
Can it really be said that there "is a legal dispute which is at the present
time appropriate for resolution by the Court"?

13. Itdeserves mentioning also that - in so far as there would be a

dispute as to the "prolonged" boundary beyond point G - the whole
issue is obfuscated by the fact that it is exactly the contested location of
point G which is determinative for the settlement of that dispute. Now it
may be said that this is as much a matter of method as the relationship
between the disputed title to Bakassi and the initial leg of the maritime
boundary up till point G and that the order in which the various issues
will be dealt with lies within the discretion of the Court. Here, however,
the position of points H-K are indissolubly linked with the location of
point G as established in the Maroua Declaration. Any determination by
the Court, which is differentfrom Cameroon's claim, willtotally unsettle
its claim with regard to the seawardcontinuation of the maritime bound-

ary in case the specific claim, as rephrased in its Memorial, would be
accepted as an element of the dispute.

14. Al1this would have been different, of course, if the two Parties had
concluded an agreement to submit the matter of the determination of the
maritime boundary to the Court and had been able to plead their differ-
ing or opposing views, asking the Court either to define the legal prin-
ciples and rules applicable to the delimitation of the maritime zones or
to determine it itself. It would have been difficult for the Court to avoid
or even refuse to give such a decision, even if the constituent elements of
the dispute were not worded in very clear or precise terms.

It is, however,quite another matter - and hardly desirable in my view
- if the Court can be unilaterally seised by a State with the request to
determine a maritime boundary in more remote zones, if negotiations
with another State on the delimitation of more in-shore areas have been
unsuccessful, without a clear difference of viewson the legal criteriafor
the delimitation in these more remote zones as well.

15. For al1these reasons, 1 am of the opinion that the Court should
not have concluded that the seventh preliminary objection must be

rejected in its entiretybut that it should have been partially sustained;
there does not exist a legal dispute between the Parties as to the continua- FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.KOOIJMANS) 359

la participation d'Etats tiers, en particulier de la Guinée équatoriale,est
essentiellepour établirle tracéde leurs frontières maritimes (exceptions
préliminairesdu Nigéria, annexe 55, p. 465), ce qu'elles ont confirmé
encore en 1993, bien aprèsla naissance du différendconcernant le carac-
tèreobligatoirede la déclaration de Maroua?
Comment le contenu d'un tel différend peut-ilêtredécriten termes

juridiques? Quelles sont les réclamationsjuridiques opposéesqui autori-
seraient la Cour àrendre une décisionjudiciaire ayant force obligatoire et
définitiveà l'égarddes Parties? Peut-on véritablementdire qu'il «existe
un différendjuridique qui se prêteraitactuellement à une décisionde la
Cour »?
13. Il y a lieu de relever aussi que- dans la mesure où il existe un
différend relatifà la frontière «prolongée» au-delà du point G - l'en-
semblede la question est occultépar le fait que c'estprécisément la loca-
lisation contestéedu point G qui est déterminante pour le règlementde

ce différend.Certes,on peut dire qu'ils'agitlà tout autant d'une question
de méthode pour ce qui concerne le rapport entre le titre contesté sur
Bakassi et le premier segment de la frontière maritime jusqu'au point G
et que l'ordre dans lequel les différents problèmesseront traitésrelèvedu
pouvoir discrétionnairede la Cour. Mais ici, l'emplacement despoints H
à K est indissolublement lié à la localisation du point G telle que déter-
minéedans la déclaration de Maroua. Toute détermination par la Cour
qui serait différentede ce que demande le Cameroun serait susceptible de

saper entièrementcette demande en ce qui concerne la continuation vers
le large de la frontière maritime, dans le cas où ladite demande, telle que
reformuléedans son mémoire, serait acceptéecomme un élémenf taisant
partie du différend.
14. Certes, la situation aurait étébien différentesi les deux Parties
avaient conclu un accord visant à soumettre à la Cour la question de la
déterminationde la frontièremaritime et s'étaienttrouvéesen mesure de
faire valoir leurs arguments différentsou opposés,en demandant à la
Cour soit de définirles principes et les règlesjuridiques applicablesà la

délimitationdes zones maritimes, soit d'effectuer elle-même cette délimi-
tation. 11aurait alors étédifficilà la Cour d'éviter voirede refuser de
prendre une telle décision mêms ei les élémentsconstitutifs du différend
n'étaient pas formulés dans des termes très clairsou précis.
La situation serait toutefois bien différente- et uuèresouhaitable à
mon avis - si la Cour peut être unilatéralementsaisie par un Etat d'une
demande tendant à déterminer une frontière maritime dans des zones
plus lointaines si les négociationsavec un autre Etat concernant la déli-

mitation des zones plus proches de la côte n'ont pas abouti, sans qu'il y
ait une nette divergencede vues quant aux critèresjuridiquesà appliquer
aussi à ces zones plus éloignées.
15. Pour toutes ces raisons, je pense que la Cour n'aurait pas dû
conclure que la septièmeexceptionpréliminaire devaitêtrerejetée danssa
totalité,mais qu'elle aurait dû êtreen partie retenue; il n'existe pas de
différendd'ordre juridique entre les Parties relatif au prolongementde lation of the maritime boundary beyond point G, as is required by
Article 36, paragraph 2, of the Statute.
16. This position also has its consequences for my vote on the eighth
preliminaryobjection. 1share the Court's viewthat the problem of rights
and interests of third States only arises for the prolongation of the mari-
time boundary seawards beyond point G and that the dispute as to the
boundary between the landfall on the Bakassi Peninsula and point G

does not concern the rights and interests of third States (para. 115 of the
Judgrnent).
Sincein my opinion the Court should have refrained from taking upon
itself the task of determining the maritime boundary beyond point G by
partially upholding the seventh preliminary objection, 1 could not vote
for the Court's conclusion with regard to the eighth objection either,
since this objection, in my view, should have been declared without
object.
17. This may not be interpreted as implying that 1 disagree with the
Court's finding that an objection of this character in se does not possess
an exclusively preliminary character and can only be decided upon in
connection with the merits.
1feel, however, that in the present case the Court, for reasons ofjudi-
cial propriety, could or even should already in limine litis have sustained
this objection instead of reserving that possibility for the phase of the
merits.
18. Nigeria, in its eighthpreliminaryobjection,stated "[tlhat the ques-

tion of maritime delimitation necessarily involves the rights and interests
of third Statesand is inadmissible beyond point G".
In the present Judgment the Court
"notes that the geographical location of the territories of the other

States bordering the Gulf of Guinea, and in particular Equatorial
Guinea and Sao Tome and Principe, demonstrates that it is evident
that the prolongation of the maritime boundary between the Parties
seawards beyond point G will eventually run into maritime zones
where the rights and interests of Cameroon and Nigeria willoverlap
those of third States. It thus appears that rights and interests of third
States will become involved if the Court accedes to Cameroon's
request." (Para. 116 ;emphasis added.)

This leads the Court to the conclusion that it

"cannot rule out the possibility that the impact of the judgment
required by Cameroon on the rights and interests of the third States
could be such that the Court would be prevented from rendering it
in the absence of these States . . .(ibid.).

The pivot on which everything hinges, therefore, seems to be the willing-
ness of such third States to exercise their right to intervene under
Article 62 of the Statute in the present proceedings.frontière maritime au-delà du point G, selon les prévisionsdu para-
graphe 2 de l'article36 du Statut.

16. Ma position à ce sujet a aussi ses conséquencessur mon vote
concernant la huitième exceptionpréliminaire.Je partage l'opinion dela
Cour selon laquelle le problème desdroits et des intérêts d'Etats tiers ne
se pose que pour le prolongement de la frontière maritime vers le large
au-delà du point G et que le différend relatif la frontière entre les atter-
rages de la presqu'île de Bakassi et le point G ne met pas en cause les
droits et intérêts'Etats tiers (paragraphe 115de l'arrêt).
Puisque, àmon avis, la Cour aurait dû s'abstenir de s'attacherà déter-
miner la frontière maritime au-delà du point G en retenant partiellement
la septième exceptionpréliminaire,je ne pouvais pas non plus voter en
faveur de la conclusion de la Cour relative à la huitièmeexception, qui
aurait dû, selon moi, êtredéclarée sans objet.

17. Il ne faudrait pas interpréterce qui précède commeimpliquant que

je ne suis pas d'accord avec la conclusion de la Cour selon laquelle une
exception de cette nature n'a pas en soi un caractère exclusivementpré-
liminaire et qu'il ne pourrait être statué scelle-ci qu'au stade du fond.
J'estime, toutefois, que dans la présente affaire, la Cour, pour des rai-
sons d'opportunitéjudiciaire, pouvait ou mêmedevait déjàin liminelitis
accueillircette exception au lieu de réservercette possibilitéla phase du
fond.
18. Le Nigéria, danssa huitième exception préliminaire,a indiqué que
«la question de la délimitation maritime met nécessairementen cause les
droits et lesintérêts'Etats tiers et la demandeà ce sujet est irrecevable.»
Dans le présentarrêt,la Cour

((note que la situation géographique des territoires des autres Etats
riverains du golfe de Guinée, eten particulier de la Guinée équato-
riale et de Sao Tomé-et-Principe,démontrequ'en touteprobabilitéle
prolongement de la frontière maritime entre les Parties vers le large
au-delà du point G finira par atteindre les zones maritimes dans les-
quelles les droits et intérêts du Cameroun et du Nigériachevauche-

ront ceux d'Etats tiers. Ainsi, les droits et intérêtsd'Etats tiers
seront, semble-t-il, touchéssi la Cour fait droit à la demande du
Cameroun.)) (Par. 116;les italiques sont de moi.)

Cela amènela Cour à conclure qu'elle
«ne saurait exclure que l'arrêt demandépar le Cameroun puisse
avoir sur lesdroits et intérêdes Etats tiersune incidencetelleque la

Cour serait empêchée derendre sa décisionen l'absence de ces
Etats..» (ibid.).

Toute cette argumentation tourne donc, semble-t-il,sur la volonté deces
Etats tiers d'exercerleur droit d'intervention que leur confèrel'article 62
du Statut dans la présente instance. 19. In the case concerningthe Continental Shelf (Libyan Arab Jama-
hiriyalMalta) the Court stated that it

"has not been endowed with jurisdiction to determine what prin-
ciples and rules govern delimitations with third States, or whether
the claims of the Parties outside that area prevail over the claims
of those third States in the region".

This was the logical conclusion of the Court's finding that its decision

"must be confined to the area in which, as the Court has been
informed by Italy, that State has no claims to continental shelf
rights. The Court, having been informed of Italy's claims, . . .thus
ensures Italy the protection it sought." (I.C.J. Reports 1985, p. 26,
para. 21 ;emphasis added.)
20. In delimitation of maritime boundary cases, therefore, knowledge
of the viewpoints of third States involved is quintessential for the Court

to enable it to perform its judicial task as requested by the parties if an
application has been brought by Agreement. That would be evenmore so
with regard to the position of Equatorial Guinea, if the present case had
been brought by Agreement, in view of the fact that both parties had
considered the determination of the triple point an essentialcondition for
the delimitation of the maritime borders between the three countries. If
there had been an Application by Agreement, the present case would,
apart from geographicalfactors, have reflected the LibyalMalta case.

21. The present case, however, has been brought by unilateral applica-
tion under Article 36,paragraph 2, ofthe Statute. The Applicant requests
the Court to determine the maritime boundary with the Respondent,
whereas it has itself, together with the Respondent, admitted that such
delimitation requires the involvement of, and thus negotiations with, a

third State.Under such conditions it does not seemproper or reasonable
to "compel" that third State to exposeits viewsand its position by means
of an intervention under Article 62 even before negotiations with the
neighbouring States have begun. Of course, the third State is free not to
intervenebut in that case the Court could - and in the present casein al1
probability would - be prevented from renderingthe judgrnent required
by the Applicant. Since there is no agreed request by both Parties, con-
siderations of judicial propriety could in the present case have led the
Court to the decision to uphold the eighth preliminary objection in the
preliminary phase of the proceedings.

(Signed) Pieter H. KOOIJMANS. 19. Dans l'affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne1
Malte), la Cour a déclaré
((qu'aucune compétencen'a été conférée à la Cour pour déterminer
les principes et les règlesrégissantles délimitationsavec les Etats
tiers, ni pour décider si lesprétentions des Parties en dehors de la
zone en question l'emportent sur les prétentionsdes Etats tiers de la
région».

La conclusion logique de la constatation de la Cour était que sa décision

«ne doit porter que sur la zone où, selon les indications qu'ellea
données à la Cour, l'Italie n'émetpas de prétentions sur le plateau
continental. La Cour, ayant été informéd ees prétentions de I'Ita-
lie..accorde ainsià l'Italiela protection qu'ellerecherchait.»(C.I.J.
Recueil 1985, p. 26, par. 2; les italiques sont de moi.)

20. Dans les affaires de délimitationde frontièremaritime, la connais-
sance du point de vue des Etats tiers concernés est donc absolument
indispensable pour que la Cour puisse s'acquitter de sa fonction judiciaire
si une affaire a été soumisepar un compromis. Cela aurait étéd'autant
plus le cas en ce qui concerne la position de la Guinéeéquatoriale, si
l'affaire avait étésoumise par un compromis, étantdonné queles deux
Parties avaient considéréaue la détermination du tri~oint était une
condition essentielleà la diimitation des frontières maiitimes entre les
trois pays. Si la Cour avait étésaisie par un compromis, la présente
affaire aurait, mis à part les facteurs géographiques, correspondu à
l'affaire LibyelMalte.
21. La présenteaffaire a toutefois étésoumise par une requête unila-
téraleen vertu du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut. Le demandeur

prie la Cour de déterminerla frontièremaritime avec le défendeur,alors
qu'il a lui-même, commele défendeur, admis qu'unetelle délimitation
exigeait la participation d'un Etat tiers et des négociationsavec celui-ci.
Dans de telles conditions, il ne semble ni approprié ni raisonnable de
«forcer» un Etat tiersà exposer sesvues et sa position par le biais d'une
intervention en vertu de l'article 62 avant mêmeque des négociations
aveclesEtats voisins aient commencé.Bienentendu, il est loisible à1'Etat
tiers de ne pas intervenir, mais dans ce cas la Cour pourrait être -
et dans la présenteaffaire selon toute probabilité serai- empêchéd ee
rendre un arrêtcomme le lui avait demandéle demandeur. En l'absence
d'une demande commune des deux Parties en l'espèce,des considérations
d'opportunitéjudiciaire auraient pu amener la Cour à déciderde retenir
la huitième exception préliminaire à la phase préliminairede la présente
instance.

(Signé) Pieter H. KOOIJMANS.

Document file FR
Document Long Title

Opinion individuelle de M. Kooijmans (traduction)

Links