Opinion individuelle de M. Kooijmans (traduction)

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090-20031106-JUD-01-05-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE KOOIJMANS

[Traduction]

Cadre factuel - Relations politiques entre les Parties avant et pendant la
guerre entre l'Iran et l'Iraq (1980-1988) - Guerre despétroliers et navigation

neutre - Attaques contre les plates-formes - Embargo des Etats-Unis - Il
n'est pas fait état du traité de 1955 à cette époque.
Compétence limitée de la Cour - La seule question à résoudre est de savoir
si le paragraphe 1 de l'article X du traité a étéviolé - Nature de l'alinéa d) du
paragraphe 1 de l'article XX du traité et son interprétation - La question n'est
pas de savoir si les Etats- Unis ont agi au titre de la légitime défense - Ordre
des arguments dans la motivation de la Cour.
L'alinéa d) du paragraphe I de l'article XX n'est pas pertinent aux fins d'une

décision sur la demande - La première constatation du dispositzyn'autorise pas
la décision formulée à titre de conclusion Jinale - La Cour énonce un obiter
dictum dans le dispositzy de l'arrêt.
La liberté de commerce n'a pas souffert des actions menées contre lesplates-
formes - Effet de l'embargo décrété par les Etats-Unis - Commerce indirect.
Analyse des mesures nécessaires à la protection d'intérêts vitaux en matière
de sécurité - Critère du caractère raisonnable - Critère de la licéité - Rôle
du droit international général - Imputabilité à l'Iran de certains incidents -

Rôle des plates-formes - Les actions des Etats-Unis sont-elles une réaction
adaptée à une menace dirigée contre les intérêts en matière de sécurité.

1. J'ai voté pour le dispositif de l'arrêt car je souscris à ce qu'il énonce
quant au fond. Je suis d'avis que les actions militaires menées par les
Etats-Unis le 19 octobre 1987 et le 18 avril 1988 contre les plates-formes
pétrolières iraniennes ne constituaient pas une violation des dispositions

du paragraphe 1 de l'article X du traité de 1955 conclu entre les Etats-
Unis et l'Iran parce que ces actions n'ont pas porté atteinte à la liberté de
commerce entre les territoires des Parties et je suis donc d'avis qu'il faut
rejeter la demande de l'Iran. De même,je suis d'avis que l'Iran n'a pas

violé l'obligation que le même article lui imposait en ce qui concerne la
liberté de commerce et de navigation entre les territoires des Parties et
j'estime donc qu'il faut par conséquent rejeter la demande reconvention-
,nelle des Etats-Unis. En outre, je partage les vues de la Cour quand

celle-ci dit que les actions des Etats-Unis ne sauraient êtrequalifiées de
mesures nécessaires à la protection de leurs intérêts vitaux en matière de
sécuritéau sens de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX du traité.
2. Je vote toutefois avec énormément d'hésitation. Si j'hésite ainsi,

c'est parce qu'à mon sens, bien quej'adhère au dispositif quant au fond,
la construction de l'arrêt n'est conforme ni à ce qu'on attendrait de la PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP.IND.KOOIJMANS) 247

Cour ni à sa pratique habituelle. Cette construction n'est pas équilibrée,
ne tient pas suffisamment compte du cadre factuel de l'affaire et ne

répond pas avec précision, dans la transparence, à la demande de 1'Etat
demandeur ni à la défense de 1'Etat défendeur, mêmesi leurs arguments
sont examinés dans le détail.
3. Mon principal souci, toutefois, au moment de voter était que le dis-
positif ne répond pas immédiatement à la demande formulée par le
demandeur mais commence par énoncer une constatation qui n'est pas
indispensable pour la décision que formule la Cour sur cette demande,
créant par là l'impression' qu'elle est néanmoins indispensable à cette fin.
J'ai vérifiéle dispositif de tous les arrêts rendus par la Cour et par sa
devancière, la Cour permanente de Justice internationale, en matière

contentieuse et il n'y a pas un seul dispositif qui commence par une cons-
tatation ne déterminant pas directement la réponse donnée à la demande.
Il n'est certespas inhabituel que le dispositif d'un arrêtcontienne des élé-
ments ne répondant pas directement à des points soulevés dans la
demande, mais les paragraphes en question ou bien sont adressés aux
deux parties (Activités militaires etparamilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. Etats- Unis d'Amérique), fond, arrêt, C.I. J. Recueil
1986, p. 149, par. 292, point 16; Ile de KasikililSedudu (Botswana1
Namibie), arrêt,C.1J. Recueil 1999 (II), p. 1108, par. 104, poin3)),ou bien

sont des observations formulées par la Cour au sujet de droits existants
appartenant à l'une des parties ou d'obligations contractées par l'une des
parties (Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et
Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I. J. Recueil2001, p. 117, par.
252, point 2) b) ; LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d'Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil2001, p. 516, par. 118, point 6; Frontière terrestre et mari-
time entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinéeéqua-
toriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 457, par. 325, point
V) C)). Dans l'affaire des Otages, il est énoncéau paragraphe 1 du dis-
positif une constatation (violation par le défendeur des obligations lui
incombant au titre du droit international général)qui ne correspond pas

directement à la demande formulée par 1'Etat demandeur dans sa conclu-
sion finale, mais cette demande est préalablement accueillie in toto (Per-
sonnel diplomatique et consulaire des Etats- Unis à Téhéran,C.I.J. Recueil
1980, p. 44, par. 1).
Il est toutefois sans précédent dans l'histoire des deux Cours qu'une
demande formulée contre un Etat défendeur soit rejetée alors que précé-
demment, dans le même paragraphe, le défendeur est dit avoir agi de
façon illicite alors mêmeque cette constatation ne détermine pas le rejet
de la demande, n'est pas mêmepertinente pour le rejet et n'est pas jugée
comme telle. On peut voir dans ce novum un précédent qui à mon avis est

extrêmement dangereux car il soulève des questions quant à la portée
d'un arrêtde la Cour, par exemple sur le caractère de resjudicata propre
à ses décisions.
4. J'ai jugé utile d'indiquer comment, à mes yeux, il aurait fallu abor-
der un différend qui est né parce qu'il y a eu recours à la force mais a été PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP.IND.KOOIJMANS) 248

porté devant la Cour comme une infraction à la liberté de commerce
garantie par voie de traité.
Je donnerai tout d'abord un aperçu du cadre factuel; je dirai ensuite
quelle est la nature de l'affaire portée devant laCour telle qu'elle est défi-
nie par la demande et la demande reconventionnelle; en dernier lieu, je
m'arrêterai sur un certain nombre de questions évoquéesdans la motiva-
tion de l'arrêt.

5. Les conditions entourant les actions militaires menées contre les
plates-formes pétrolières,actions qui correspondent à la question centrale
opposant les Parties, sont connues et sont relatées aux paragraphes 23 et
24 de l'arrêt. Il y a néanmoins lieu, semble-t-il, de rappeler les aspects
politiques de la guerre qui a fait rage pendant huit ans entre l'Iran et
l'Iraq et l'effet que cette guerrea produit sur les relations entre l'Iran et
les Etats-Unis qui étaient déjà tendues.
6. Les relations entre les Etats-Unis et l'Iran avaient étéexcellentes

jusqu'au début de 1979, date à laquelle le régime du shah fut renversé. Le
traité d'amitié, de commerce et de droits consulairesconclu en 1955 entre
l'Iran et les Etats-Unis témoignait de ces bonnes relations, lesquelles se
sont aigries quand le gouvernement qui prit le pouvoir à la suite de la
révolution islamique a accusé les Etats-Unis de s'immiscer depuis long-
temps dans les affaires intérieures de l'Iran. Puis les relations entre les
deux pays n'ont cesséde se dégrader pour atteindre leur niveau le plus
bas à la suite de la saisie de l'ambassade des Etats-Unis et de la prise
d'otages à Téhéranqui eut lieu en novembre 1979.
7. Cette crise prit fin avec la libération des derniers otages au début de
1981 et avec un règlement diplomatique revêtant la forme de la déclara-
tion d'Alger du 19janvier 1981 ; celle-ci a aboutià la création du Tribu-
nal des réclamations Etats-UnisIIran qui siège à La Haye et n'est pas
encore au terme de sa mission. En dépit de ce règlement, les relations
entre les deux pays sont restéestendues; les relations diplomatiques, rom-
pues après la prise d'otages, n'ont pas étérétablies.
8. Entre-temps, l'Iran est entré en guerre avec un pays limitrophe
quand il fut envahi par les forces militaires iraquiennes le 22 septembre
1980. Il est de notoriété publique que le Conseil de sécuritéa mis du
temps à réagir: ce n'est qu'en 1987 que le Conseil a constaté une rupture
de la paix et adopté une résolution au titre du chapitre VI1 de la Charte
(la résolution 598 (1987) en date du 20 juillet 1987). Jusqu'à cette date le
Conseil s'était borné à en appeler au cessez-le-feu et à un plus grand res-
pect des règles du droit international humanitaire violées de façon patente
au cours de cette guerre; mais le Conseil n'a toutefois pas imputé de vio-
lation précise ni à l'une nià l'autre des Parties.
9. .L'Iran, qui estimait être victime d'agression, a attribué cette passi-
vité du Conseil à la partialité d'un certain nombre d'Etats Membres des PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP.IND.KOOIJMANS)
249

Nations Unies particulièrement influents, notamment les pays arabes et
les Etats-Unis, qu'il accusait de soutenir en fait l'Iraq et d'empêcher le
Conseil de sécuritéde prendre des mesures efficaces pour mettre fin à la
guerre. L'Iran a notamment accusé le Koweït, l'Arabie saoudite et les
Etats-Unis de donner à l'Iraq les moyens de continuer à recourir à la
force dans l'illégalitéet de ne pas respecter les obligations leur incombant
en leur qualité d'Etats neutres. L'Iran toutefois ne niait pas que lesdits

Etats eussent bien la qualité de puissances officiellement neutres.
10. En 1984, la guerre qui jusqu'alors s'était principalement déroulée
sur terre s'étendit au golfe Persique quand l'Iraq commença de s'attaquer
au commerce pétrolier iranien, lequel fournissait à l'Iran les moyens
financiers de soutenir son effort de guerre. L'Iraq se mit à attaquer des
navires qui se rendaient dans des ports iraniens et qui en revenaient pour
porter atteinte aux exportations pétrolièresde l'Iran. Ce fut le début de ce
qu'on appela la guerre des pétroliers, qui dura jusqu'au cessez-le-feu
d'août 1988 et au cours de laquelle l'Iran réagit de son côté en attaquant

ou en minant des navires en provenance de ports koweïtiens ou saoudiens,
ou bien se rendant dans ces ports.
11. Tout en niant être responsable de tel ou tel autre incident, l'Iran
n'en a pas moins déclaréouvertement avoir le droit de prendre des me-
sures à l'encontre de navires neutres commerçant avec l'aennemi ».
D'après une liste produite par le service d'information maritime du
Lloyd's (contre-mémoire des Etats-Unis, annexe 9)' ce sont au total cinq
cent quarante-quatre navires l qui ont ainsi étéattaqués pendant la guerre

et l'écrasante majorité d'entre eux battaient pavillon neutre. D'après ce
service du Lloyd's, plus de deux cents de ces incidents peuvent à partir de
mars 1984 êtreattribués aux forces militaires iraniennes. Cette évolution
de la situation explique qu'un certain nombre d'Etats ont envoyé des
navires de guerre dans la région pour protéger la navigation internatio-
nale et assurer la poursuite du commerce international dans le Golfe.
12. C'est dans ce contexte et sur cette toile de fond que se situent les
attaques lancées par les Etats-Unis contre les plates-formes pétrolières.
Les relations déjà tendues entre l'Iran et les Etats-Unis étaient restées

extrêmement mauvaises au cours des premières annéesde la guerre, l'Iran
accusant les Etats-Unis de soutenir sans même le dissimuler l'agresseur
iraquien et les Etats-Unis accusant l'Iran de violer de façon flagrante les
lois de la neutralité et de la guerre sur mer.
Non seulement les Etats-Unis mais aussi d'autres Etats exprimaient en
outre périodiquement par les voies diplomatiques l'inquiétude profonde
que suscitait chez eux le comportement de l'Iran à l'égard des navires
neutres. En outre, le le' juin 1984, le Conseil de sécurité, saisi d'une
plainte formulée par un certain nombre d'Etats arabes à l'encontre de
l'Iran, a adopté une résolution dans laquelle il demandait à tous les Etats

l La liste qui recense cinq cent quarante-six incidents comprend ausles attaques
lancées par les Etats-Unis contles plates-formes pétrolières.de respecter le droit de libre navigation dans le Golfe (résolution 552
(1984)). Ni l'Iran ni l'Iraq n'étaient nommément citésdans le dispositif de
cette résolution, mais l'Iran estima que cette résolution n'était encore
qu'un nouvel exemple de la partialité du Conseil de sécuritépuisque la
guerre des pétroliers était due à l'initiative de l'Iraq.
13. Il est apparemment incontestable d'après les rapports établis par
des sources indépendantes comme des associations internationales de la
marine marchande qu'au cours de cette guerre des pétroliers l'Iraq et
l'Iran ont l'un et l'autre manifesté le plus parfait mépris pour les règlesà
respecter au profit des navires marchands neutres. Peu importe finale-
ment que tous les cas répertoriés dans le Lloyd's List soient effectivement
imputables à l'Iran; ce qui est pertinent, c'est que le non-respect par
l'Iran des règles de la guerre sur mer est trop bien documenté pour qu'on
puisse en faire abstraction ou pour qu'on puisse le nier. D'autre part,
d'après le Lloyd's List, seuls trois navires battant pavillon des Etats-Unis,
dont deux pétroliers battant depuis peu désormais pavillon koweïtien,
auraient étéattaqués par l'Iran avant la destruction des plates-formesde
Salman et de Nasr; cela rend moins crédible la thèse des Etats-Unis
quand ces derniers plaident que leurs navires étaient des cibles privilé-
giées.La bataille se livrait peut-être quasiment tous les jours sur le plan
verbal et diplomatique, mais ce n'est pas avant octobre 1987 que ces
fâcheuses relations politiques ont pris la forme d'une confrontation mili-
taire.
14. J'ai cru bon de dresser ce cadre factuelparce qu'il montre bien que,
à l'époque des actions dirigéescontre les plates-formes, les Parties ne Pen-
saientvraiment pas le moins du monde au traité d'amitié, de commerce et
de droits consulaires de 1955. C'est ce que prouve le fait que, dans sa
lettre au Conseil de sécurité,l'Iran a qualifié ces actions d'«actes d'agres-
sion» tandis que les Etats-Unis les qualifiaient d'«actions menées dans
l'exercice du droit naturel de légitime défense)).
15. Le 29 octobre 1987, le président des Etats-Unis a promulgué un
décret présidentiel, 1'Executive Order 12613, intitulé « Décret interdisant
les importations en provenance d'Iran» afin de ((garantir que les impor-
tations américaines de biens et services iraniens ne contribueront pas au
financement du terrorisme ou d'autres actions agressives contre le com-

merce maritime des nations non belligérantes » (contre-mémoire des Etats-
Unis, annexe 138). Il n'est nulle part dans ce décret fait état du traité de
1955, et moins encore de l'alinéa d) du paragraphe 1 de son article XX,
pour justifier cette suspensionpartielle du traité. Età l'époque l'Iran n'a
pas non plus protesté contre l'embargo en faisant valoir que cette mesure
n'était pas conforme au traité de 1955.
16. Pourtant, en 1992, quand il a déposésa requête introductive d'ins-
tance contre les Etats-Unis, l'Iran s'est fondé sur la clause compromis-
soire figurant à l'article XXI dudit traité puisque cette clause définit la
seule base de compétence qu'il fût possible de conférer à la Cour.
Dans leur exception préliminaire, les Etats-Unis ont soutenu que ce
traité de 1955 ne s'applique pas à des questions concernant l'emploi de la PLATES-FORME PSTROLIÈRES (OP.IND. KOOIJMANS) 251

force et que par conséquent la Cour n'était pas compétente pour
connaître de la demande iranienne.
Dans son arrêt du 12 décembre 1996, la Cour dit que l'alinéa d) du
paragraphe 1 de l'article XX du traité n'est pas une clause d'exclusion

empêchant la Cour de se prononcer sur la licéitéde mesures prises pour
protéger des intérêts vitaux de l'une des parties en matière de sécurité,
mais constitue un moyen de défense au fond.
«La violation, par l'emploi de la force, d'un droit qu'une partie

tient du traité est tout aussi illicite que le serait sa violation par la
voie d'une décision administrative ou par tout autre moyen. Les
questions relatives à l'emploi de la force ne sont donc pas exclues en
tant que telles du champ d'application du traité de 1955. L'argumen-
tation exposée sur ce point par les Etats-Unis doit de ce fait être
écartée.>>(Plates-formes pétrolières (République islamique d'Iran c.
Etats- Unis d'Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.1.J. Recueil
I996 (II), p. 811-812, par. 21.)

La Cour en outre conclut que la destruction des plates-formespétrolières
est susceptible de porter atteinte à la liberté de commerce garantie par le
paragraphe 1 de l'article X du traité et que sa licéitéest dès lors suscep-
tible d'être appréciée au regard de ce paragraphe.

17. La principale question portée devant la Cour est donc de savoir si
les Etats-Unis, quand ils ont détruit à deux reprises des plates-formes
pétrolières iraniennes, ont violé l'obligation leur incombant au titre du
paragraphe 1 de l'articlX du traité de 1955. Ce n'est pas de savoir si les
Etats-Unis ont agi en violation des obligations leur incombant au titre de
la Charte des Nations Unies etlou du droit coutumier général. La situa-
tion est ici très manifestement différente de celle qui existait dans l'affaire
des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci,
dans laquelle la Cour était compétente pour examiner les deux questions

puisque sa base de compétence était beaucoup plus large et qu'une clause
compromissoire identique figurant dans un traité bilatéral conclu par le
Nicaragua et les Etats-Unis ne faisait que s'ajouter à la compétence fon-
dée sur l'acceptation de ladite compétence par les Parties en vertu de
déclarations unilatérales faites au titre du paragraphe 2 de l'article 36 du
Statut. Malgré les similitudes qui existent entre l'affaire Nicaragua et
l'affaire que la Cour examine aujourd'hui, il ne faut jamais perdre de vue
cette différence fondamentale puisque, en l'espèce, la compétence de la
Cour est infiniment plus limitée.
18. Sa compétence étant donc beaucoup plus étroite, il eût étélogique

que la Cour établisse tout d'abord si la destruction des plates-formes
constituait effectivement une violation des dispositions du paragraphe 1
de l'articleX du traité, puisque dans sa demande l'Iran avait soutenu que PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP.IND.KOOIJMANS) 252

par leurs actions les Etats-Unis avaient porté atteinte à la liberté de com-
merce garantie au titre de ladite disposition entre les territoires des
Parties. Une fois que cette question aurait reçu une réponse positive, la

Cour aurait été tenue d'établir si l'action ainsi menée par les Etats-Unis
était une mesure nécessaire à la protection de leurs intérêts vitaux en
matière de sécuritéau sens de l'alinéa d) du paragraphe 1de l'article XX
du traité. C'est là l'approche que la Cour a adoptée en 1986 dans l'affaire
Nicaragua quand elle a dit que

«la possibilité d'invoquer les clauses de cet article [il s'agit de l'ali-
néa d) du paragraphe 1 de l'article XXI du traité d'amitié de 1956
qui est identique à l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX du
traité de 19551doit êtreexaminée dèslors qu'une contradiction appa-
raît entre certaines conduites des Etats-Unis et les dispositions per-
tinentes du traité» (Activités militaires et paramilitaires au Nicara-
gua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), fond,
arrêt, C.1.J. Recueil 1986, p. 117, par. 225 ;les ,italiques sont de
moi).

19. Dans l'arrêt qu'elle rend en l'espèce, la Cour n'a pas suivi cette
approche, laquelle, selon ce qu'elle dit elle-même,n'était pas «dicté[e]par
l'économie du traité» (arrêt, par. 37) [et j'interprète ici le terme ((écono-
mie» comme étant synonyme de «construction»]. On peut en effet sou-
tenir que les deux dispositions, le paragraphe 1de l'article X et l'alinéad)
du paragraphe 1 de l'article XX, sont des dispositions de fond indépen-
dantes; ce n'est contesté par aucune des deux Parties. Elles admettent
l'une et l'autre que l'ordre dans lequel la Cour examine ces deux dispo-
sitions relève de discrétion et que, au cas où elle examinerait en premier
comment les Etats-Unis pratiquent l'emploi de la force pour conclureque
les actions menées contre les plates-formes sont conformes à l'alinéa d)
du paragraphe 1de l'article XX, la question de savoir s'il y a violation du
paragraphe 1de l'article X ne se poserait plus.
20. En l'espèce, la Cour a retenu cette seconde approche; elle explique
cette décision en faisant observer «que le différend initial entre les Parties
portait sur la licéité desactions menées par les Etats-Unis àla lumière du
droit international relatifà l'emploi de la force». Il est exact qu'à
l'époque aucune des deux Parties n'a fait état du traité de 1955. Et il est
tout aussi exact, comme la Cour le fait aussi observer, qu'en la présente
espèce les Etats-Unis ont continué d'affirmer que l'exercice du droit de
légitime défense justifiait leurs actions. Mais les Etats-Unis ont égale-
ment plaidé que ce n'était pas là une question sur laquelle la Cour avait
à se prononcer. Lors de la procédure orale, le conseil des Etats-Unis
a clairement déclaré que

«la compétencede la Cour se limite à la question de la nécessité des
actions des Etats-Unis pour la protection de leurs intérêtsessentiels
de sécurité; cette compétence [de la Cour] ne s'étend pas à la ques- tion de la licéitéde ces actions au regard des règles gouvernant le
recours à la force et à la légitime défense))(CR 2003112, p. 26).

21. La Cour a dûment pris note de cette position des Etats-Unis (arrêt,
par. 39). Elle fait néanmoins observer que, lorsqu'une mesure adoptée au

titre de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX est invoquée pour jus-
tifier que soient prises au nom de la légitime défense des mesures impli-
quant l'emploi de la force, l'interprétation et l'application de cette dispo-
sition supposent nécessairement une appréciation des conditions d'exer-
cice de la légitime défense au regard du droit international généralet que,
par conséquent, la compétence qui lui est conférée l'autorise aussi à
déterminer si une action présentée comme justifiée (par l'alinéa d) du
paragraphe 1 de l'article XX) constituait ou non un recours illicite à la
force au regard de la Charte des Nations Unies et du droit international
coutumier. Et la Cour ajoute judicieusement qu'elle n'a ((que la compé-

tence que lui confère le paragraphe 2 de l'article XXI du traité de 1955))
(arrêt, par. 40 et 42).
22. Mais je suis loin d'être certain que la Cour ait fidèlement respecté
cet engagement.Dès le paragraphe suivant, la Cour observe qu'en l'espèce
la question de savoir si les mesures adoptées étaient nécessaires recoupe
en partie celle de leur validité en tant qu'actes de légitime défense. Et la
Cour cite immédiatement l'arrêt rendu en 1986 dans l'affaire Nicaragua
dans laquelle elle a relevé que les critères de nécessitéet de proportion-
nalité doivent être respectés pour qu'une mesure puisse être qualifiée
d'acte de légitime défense. Mais la Cour s'exprimait ainsi alors qu'elle

était saisie d'un différend portant sur la licéitédu recours à la force en
droit international coutumier dont elle avait à connaître au titre du para-
graphe 2 de l'article 36 du Statut. Cela ne veut pas dire que cette déclara-
tion est sans pertinence pour l'interprétation de l'alinéa d) du para-
graphe 1 de l'article XX du traité de 1955, mais cela paraît préluder à un
examen des actions des Etats-Unis se situant à peu près exclusivement
dans l'optique du droit de légitime défense en droit international général.
Il n'est donc pas surprenant que la Cour dise au paragraphe 50 de l'arrêt
qu'elle ((portera ..en premier lieu son attention sur les faits de nature à
confirmer ou à infirmer le bien-fondé de l'affirmation des Etats-Unis

selon laquelle ceux-ci auraient exercé leur droit de légitime défense )>(les
italiques sont de moi).
23. Mais on s'engage là dans la mauvaise direction. Car ce n'est pas là
la demande présentéeà la Cour, celle-ci devant décider si les actions diri-
gées contre les plates-formes peuvent être qualifiées de mesures néces-
saires à la protection des intérêtsdes Etats-Unis sur le plan de la sécurité
au sens de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX du traité de 1955 et
non pas à chercher si ces mesures étaient justifiées au titre de la légitime
défense en droit international. On peut évidemment admettre que, au cas
où ces mesures impliquent l'emploi de la force, les règles du droit inter-

national général sont alors pertinentes pour répondre à la question de
savoir si ces mesures peuvent êtrequalifiées de ((nécessaires)).Mais c'est PLATES-FORME PSTROLIÈRES (OP. IND. KOOIJMANS) 254

là tout autre chose que de soumettre directement ces questions au critère
des règles généralesde droit applicables à l'emploi de la force. La relation
est à mes yeux jugée comme il convient dans la décision que le Tribunal
des réclamations Etats-UnisIIran a rendue dans l'affaire Amoco Interna-

tional Finance lorsque le Tribunal dit en ce qui concerne le traité de 1955
que «les règles du droit coutumier peuvent servir ...à établir le sens
de termes qui ne sont pas définis dans son texte ou, plus généralement,
pour faciliter l'interprétation et la mise en Œuvre de ses dispositions))
(15 Iran- US CTR 189, p. 222, par. 112).
24. Or, la Cour considère les actions des Etats-Unis à peu près exclu-
sivement dans l'optique du droit de légitime défense et ne revient qu'assez
tard au texte mêmede l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX (arrêt,
par. 73). Ce faisant, la Cour prend pour point de départ les lettres adres-
séesau Conseil de sécuritépar le représentant permanent des Etats-Unis

après chacun des deux incidents considérés, lettres qui s'inspirent imman-
quablement du texte de la Charte et qui n'auraient quasi certainement
pas fait état de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX du traité de
1955 même si les Etats-Unis avaient rattaché audit traité les actions diri-
géescontre les plates-formes. Ce sont ces lettres dont les Etats-Unis n'ont
évidemment pas voulu s'écarter en l'espèce qui servent constamment de
critère d'évaluation du comportement des Etats-Unis.
25. En conséquence, la Cour est finalement amenée à conclure au
paragraphe 78 de l'arrêt que les actions menées par les forces américaines
contre les plates-formes pétrolières constituaient un recours à la force

armée ne pouvant être considéréau regard du droit international relatif à
cette question comme des actes de légitime défense et ne relevaient donc
pas de la catégorie des mesures prévues à l'alinéa d) du paragraphe 1 de
l'articleXX du traité de 1955 (les italiques sont de moi). Mais comme
l'avait fait observer avec raison dans son opinion le juge Jennings en
l'affaire Nicaragua :

«La question ...n'est pas de savoir si ces mesures sont justifiées en
droit international en tant que mesures prises à titre de légitime
défense ..; il s'agit de savoir si ces mesures constituent ou non une
violation du traité. )) (Activités militaires et paramilitaires au Nica-
ragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats- Unis d'Amérique), fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 541.)

26. Quand la Cour fait écho à ce texte dans son dispositif lorsqu'elle
dit que les actions dirigées contre les plates-formes ne sauraient être jus-
tifiées en tant que mesures nécessaires à la protection des intérêts vitaux
des Etats-Unis sur le plan de la sécurité «tel qu'interprété à la lumière du
droit international relatif à l'emploi de la force)) (les italiques sont de
moi), elle s'exprime à mes yeux d'une manière plus conforme à la vraie
nature de sa compétence.

27. On peut toutefois se poser la question de savoir si cette constata-
tion a bien sa place dans le dispositif étant donné qu'elle est sans perti-
nence pour la décision finale que la Cour formule sur la demande ira- PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP. IND. KOOIJMANS) 255

nienne, laquelle est que les actions dirigées contre les plates-formes n'ont
pas porté atteinte à la liberté de commerce entre les territoires des Parties
dans le secteur pétrolier.
28. A cet égard, il faut se souvenirque la Cour dit au paragraphe 34 de
l'arrêt:

«Si en la présente espèce la Cour est convaincue ...[que] les
actions menées contre les plates-formes pétrolières étaient ...des
((mesures ...nécessaires ...à la protection des intérêts vitaux [des
Etats-Unis] ...sur le plan de la sécurité » ...elle doit en conclure
qu'aucune violation du paragraphe 1 de l'article X du traité n'a été
établie.»

La Cour a toutefois abouti à la conclusionopposée (conclusion àlaquelle
je souscris): les actions dirigées contre les plates-formes ne constituent
pas des «mesures» au sens de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX.
Cette conclusion ne libère par conséquent pas la Cour de l'obligation dis-
tincte d'examiner si ces actions ont porté atteinte à la liberté de commerce
au sens du paragraphe 1 de l'article X.
29. D'un point de vue procédural, l'examen par la Cour de l'alinéa d)
du paragraphe 1 de l'article XX a perdu toute pertinence pour la décision
relative à la demande, cet examen ayant simplement pour effet qu'il faut
se prononcer sur ladite demande à partir d'arguments concernant le para-
graphe 1 de l'article X lui-même. Et d'un point de vue plus pratique, on
peut dire que la Cour se serait épargné beaucoup de peine si elle avait
adopté l'approche qu'elle a retenue en 1986 dans l'affaire Nicaragua et
avait abordé en premier lieu l'examen du paragraphe 1 de l'article X. En
la présente espèce, la Cour aurait constaté (comme elle l'a fait du reste)
qu'il n'y avait pas violation du paragraphe 1 de l'article X et qu'il était
possible de faire abstraction de toute la question de l'alinéa d) du para-
graphe 1 de l'article XX, conclusion totalement opposée à celle de 1986.
30. Je n'entends pas reprocher à la Cour d'avoir décidéd'examiner
minutieusement la question de la licéité des actions dirigées contre les
plates-formes au regard de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX. Je
ne suis pas non plus certain que la Cour ait eu tort d'examiner en premier
lieu cette question pour s'intéresser ensuite seulement à la grande ques-
tion d'une violation éventuelle du paragraphe 1 de l'article X, mêmesi, à
posteriori, on peut dire que c'était là l'approche la plus logique et par
conséquent la plus opportune. Mais la logique pure ne donne pas tou-
jours la solution la plus opportune.
31. Comme la Cour le dit bien: l'ordre dans lequel il faut considérer
les deux articles du traité n'est pas dicté par la construction de ce dernier
(ou son «économie», comme dit la Cour): l'article XX n'est pas une
clause d'irresponsabilité. La Cour pouvait s'engager dans une voie ou
bien dans l'autre. On peut discuter du point de savoir si l'on peut encore
parler de défense au fond (comme la Cour l'a fait en 1996 et le fait encore
au paragraphe 33 de son arrêt) lorsque ce moyen est invoqué avant le
stade du fond, mais à mon avis ce n'est pas indispensable. La Cour peutchoisir en toute liberté la voie à suivre et peut motiver ce choix. En la
présente espèce, la Cour invoque pour principal argument le fait que les
mesures prises par les Etats-Unis consistaient à recourir à la force et que

la licéitédesdites mesures avait fait l'objet d'intenses débats entre les
Parties.
32. Il est exact en effet que cette question de la licéité desactions des
Etats-Unis a occupé.une place considérable dans les thèses des Parties et
que la Cour est donc largement fondée à prendre particulièrement en
considération lesdites thèses. Mais le fait que la licéitéde l'emploi de la
force par les Etats-Unis ait tenu une telle place dans les thèses des Parties
ne signifie pas que cette question représentait le différend porté devant la
Cour. Ce différend portait sur le point de savoir si les Etats-Unis avaient
violé le paragraphe 1 de l'article X du traité relatià la liberté de com-
merce entre les territoires des Parties. La Cour n'était pas dotée de deux
titres de compétence, un titre concernant le paragraphe 1 de l'article X et
l'autre titre concernant l'alinéad) du paragraphe 1 de l'article XX. L'ali-
néad) du paragraphe 1de l'article XX n'a de pertinence que par rapport
au paragraphe 1 de l'article X. Toute la question de l'alinéa d) du para-
graphe 1 de l'article XX aurait pu être pertinente pour le règlement final
du différend, mais, une fois constaté que tel n'était pas le cas, ce ne pou-
vait plus êtrele terrain sur lequel la Cour pouvait fonder son arrêt. Le
prononcé de la Cour à cet égard ne devrait donc pas faire partie du dis-
positif qui exprime la décision relativeà la demande de 1'Etat demandeur
et l'on pouvait amplement répondre à cette demande en examinant iso-
lément le paragraphe 1 de l'article X.
33. Si l'on peut parler de ((l'économied'un traité)),on peut incontes-
tablement aussi évoquer «l'économie d'un arrêt». Et s'agissant de l'éco-
nomied'un arrêt,la première règle à respecter est de ne pas mêlermotiva-
tion et dispositif.Dans son dispositif, l'arrêt énonce la décision adoptée
au sujet des conclusions finales.

«La conclusion finale d'une partie àune affaire consiste à énoncer
la demande qu'elle formule en l'espèce, ou à laquelle elle veut que la
Cour réponde, et elle n'énonce pas les motifs au titre desquels la
Cour doit à son avis se prononcer sur ladite conclusion. »2

La conclusion finale de l'Iran était simple et claire (arrêt, par. 20) et la
Cour répond comme il convient à ladite conclusion dans la seconde par-
tie du paragraphe 1 du dispositif. La première partie dudit paragraphe est
superflue: elle introduit un obiter dictum dans le dispositif d'un arrêt.

34. Cela ne veut pas dire que, dans la motivation, la Cour ne doit pas
tenir compte des principales thèses des Parties. Sir Hersch Lauterpacht
approuve la façon de faire de la Cour dans les termes suivants:

Sir Gerald Fitzmaurice, The Law and Procedure of the International Court of Justice,
1986,vol. II, p. 578. «En règle générale,la Cour a minutieusement examiné les ques-
tions soulevées par les Parties dans leurs écritureset leurs plaidoiries
dans la mesure où c'était indispensable pour expliquer ses décisions.
Et la Cour procède ainsi mêmesi l'arrêtou l'avis peut être fondé sur
une base plus étroite que celle qui a été retenue. »3

A cet égard, le présent arrêt n'aurait pas déçu sir Hersch Lauterpacht.
Mais celui-ci n'aurait certainement pas souscrit à la présence dans le dis-
positif d'un argument qui ne motive pas directement la décision.
35. La place éminente qui est ainsi donnée à l'alinéa d) du para-
graphe 1 de l'article XX et l'interprétation qui en est faite du point de vue
du droit international généraldans le cadre mêmede la première partie du
paragraphe 1 du dispositif auront inévitablement pour effet que l'arrêt,
pour le lecteur, porte plus sur la licéitéde l'emploi de la force que sur la
violation vel non d'un traité de commerce. Reste à savoir quelle leçon en
tireront les Etats qui sont parties à des traités comparables assortis d'une
clause compromissoire.

36. L'argumentation de la Cour me paraît convaincante et juridique-
ment bien étayéequand la Cour aboutit à la conclusion que les actions
dirigées contre les plates-formes ne sauraient être considérées comme
ayant porté atteinte à la liberté de commerce du pétrole entre les terri-
toires des Parties.
En particulier, je partage l'idéeque les plates-formesn'étaient pas seu-
lement des sites d'extraction de pétrole mais participaient aussi au trans-
port de biens destinés à l'exportation et que par conséquent, en principe,
leur destruction portait atteinte à la liberté de commerce protégéepar le
paragraphe 1 de l'article X du traité de 1955. C'est toutefois le fait que
cette protection du commerce entre les territoires des Parties est donc
limitée, associé au fait qu'il n'existait aucun commerce de pétrole produit
sur les plates-formes entre les territoires des Parties parce qu'il n'existait
pas de production pétrolière sur les plates-formes à l'époque des at-
taques, ou parce que l'embargo imposé au titre du décret 12613 des Etats-
Unis était entré en vigueur, qui doivent porter à conclure qu'il n'a pas été
concrètement porté atteinte à cette liberté du commerce.
37. L'Iran plaide que la question clé à laquelle il faut répondre porte
non sur les dommages subis concrètement mais sur la violation de la
liberté de pratiquer le commerce en généralet l'argumentation n'est en
principe pas sans intérêt, mais il ne faut pas oublier que le traité de1955
est un traité bilatéral énumérant les obligations précises que chacune des
Parties contracte vis-à-vis de l'autre. Ce serait aller trop loin que d'inter-

Sir Hersch Lauterpacht, The Development of International Law by the International
Court, 1982, p. ;1les italiques sont de moi. PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP.IND.KOOIJMANS) 258

préter l'expression «liberté de commerce » si largement qu'elle s'applique-
rait mêmeau commerce de marchandises dont la production, l'achat ou
la vente n'auraient lieu qu'ultérieurement.
38. De même, quand l'Iran soutient que le décret officiel des Etats-

Unis (Executive Order) imposant l'embargo commercial comportait une
exception en faveur des ((produits pétroliers raffinés à partir de brut ira-
nien dans un pays tiers», ce qui permet de continuer à pratiquer le com-
merce du pétrole, l'Iran paraît oublier qu'un traité bilatéral ne peut être
censé protéger qu'un commerce qu'il soit possible de reconnaître et
d'identifier. Reconnaître » signifie qu'il doit exister une transaction com-
merciale ou une sériede transactions de ce type qui rattache directement
les territoires des Parties ; ((identifier » signifie qu'il doit êtrepossible de
prouver que l'objet de ces transactions se déplace depuis le territoire de
l'une des Parties pour gagner le territoire de l'autre.

La Cour a raison de conclure (arrêt, par. 97) que ce que l'Iran qualifie
de ((commerceindirect » ne désigne pas le commerce pratiqué entre l'Iran
et les Etats-Unis mais le commerce pratiqué par chacune des Parties avec
des intermédiaires de sorte que chacun des deux pays n'est pas respon-
sable de la phase des transactions à laquelle il ne participe pas.
Sur l'obligation qui est faite de pouvoir ((identifier)) l'objet de la tran-
saction, c'est l'expert de l'Iran lui-même, le professeur Odell, qui dit de
l'industrie pétrolière d'aval du pays tiers qu'elle parvient avec un maxi-
mum d'efficacité à «dénationaliser » le pétrole brut.

((Comme chaque baril de ce pétrole brut est converti en toute une
gamme de produits ...il est [désormais] impossible à tout pays qui
accueille ces produits de prouver que le brut dont ils sont issus

n'était pas soumis à embargo, du moins en partie. » (Rapport Odell,
p. 9, réplique de l'Iran, vol. III.)

Cette «dénationalisation» est clairement établie dans les études rela-
tives aux importations générales et aux importations de produits de
consommation présentées par les Etats-Unis, lesquelles désignent l'Iran
comme le pays d'origine du pétrole brut importé (jusqu'au moment où
l'embargo fut véritablement en vigueur) maisjamais comme le pays d'ori-
gine de produits pétroliers dérivés (à partir de pétrole brut), que ce soit
avant ou après l'instauration de l'embargo (contre-mémoire des Etats-
Unis, annexe 141). Cet état de choses est également conforme à la pra-
tique commerciale internationale, laquelle attribue généralement l'origine
soit au pays où le bien a étéacquis dans son intégralité, soit au pays où le

bien a subi sa dernière transformation importante; les dérivéspétroliers
relèvent de cette seconde catégorie4.
39. En ce qui concerne la demande reconventionnelle des Etats-Unis,
j'adhère pleinement aux vues de la Cour: pour qu'elle établisse qu'il y a

Michael J. Trebilcock et Robert Howse, The Regulation of International Trade, 1999,
p. 128.

101violation de l'obligation de respecter la liberté de commerce et la naviga-
tion, l'auteur de la demande doit prouver que l'objet des atteintes dues
aux actes incriminés participait effectivement de ce commerce ou de cette

navigation entre les territoires des parties. Si l'auteur de la demande ne
parvient pas à donner cette preuve, sa demande n'est plus fondée, indé-
pendamment de la question de savoir si les actes incriminéspeuvent être
imputés à la partie adverse ou si l'auteur de la demande peut se prévaloir
des prétendues atteintes. La Cour pouvait donc raisonner assez simple-
ment et je ne trouve rien à redire à sa motivation.
40. Quand, par ailleurs, les Etats-Unis reprochent à l'Iran d'avoir créé
dans le Golfe une situation particulièrement dangereuse qui a favorisé
l'augmentation des coûts de la main-d'Œuvre et des assurances, pareille
demande ne peut êtreaccueillie que si son auteur prouve l'existence de
dommages directement liés à une atteinte concrète à la liberté de com-

merce et de navigation entre les territoires des parties. Deaugmentations
de prix qui ne sont pas dues directement à ce type d'atteinte sont insuf-
fisantes à cette fin.
41. La motivation de l'arrêtporte pour sa plus grande part sur la ques-
tion de savoir si les actions des Etats-Unis peuvent être considérées
comme des actes de légitime défense et par conséquent comme des me-
sures nécessaires à la protection de leurs intérêts vitaux sur le plan de la
sécurité(arrêt, par. 78).
42. Comme je l'ai dit, l'approche adoptée par la Cour consiste à mettre
la charrue avant les bŒufs. La Cour commence comme elle le doit en
disant qu'elle a compétence pour interpréter et appliquer l'alinéa d) du
paragraphe 1 de l'articleXX (arrêt, par. 33)' mais elle le fait en appli-

quant immédiatement les critères de la légitime défense au titre de la
Charteet du droit coutumier, et poursuit dans cette voie jusqu'au moment
où elle aboutit à la conclusion qu'elle formule au paragraphe 78.
43. L'approche à adopter consistait à mon sens à examiner de près le
sens des mots ((nécessaires à la protection des intérêts vitaux de [la]
Haute Partie contractante sur le plan de la sécurité))figurant à l'alinéa d)
du paragraphe 1 de l'article XX du traité. En 1986, la Cour a dit à ce
sujet :

«La Cour doit ...se prononcer sur le caractère raisonnable du
péril encouru par ces ((intérêtsvitaux en ce qui concerne la sécurité ))
et ensuite sur le caractère non seulement utile mais ((nécessaire)) des
mesures présentées comme destinées à en assurer la protection.»
(Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats- Unis d'Amérique), fond, arrêt, C.1.J. Recueil
1986, p. 117, par. 224.)

44. Le choix des termes est à mon sens ici assez heureux. Quand la
Cour doit se prononcer sur le risque encouru par les intérêts vitaux sur le
plan de la sécurité, c'est du ((caractère raisonnable)) du péril que l'on
parle; s'agissant des ((mesures prises)), la Cour dit qu'il ne suffit pas
qu'elles soient réputées ((utiles)), il faut qu'elles soient nécessaires. Celasemble dire que, en ce qui concerne les mesures prises, il faut recourir à
un critère plus strict que celui qui consistà apprécier le périlencouru par
les intérêts vitaux sur le plan de la sécurité.La distinction paraît justifiée
en raison de la latitude à réserver aux autorités du pays. Evaluer ce que
sont les intérêts vitaux sur le plan de la sécuritéet apprécier si lesdits inté-
rêtssont en danger constituent avant tout, par définition, une question
politique qu'il n'est guère possible de remplacer par une appréciation
judiciaire. Ce n'est qu'au cas où l'évaluation politique est manifestement
déraisonnable (ce qui pourrait nous mettre au bord de l'«abus de pou-
voir ») qu'une interdiction judiciaire seraitjustifiée. Le choix des moyens
à retenir pour protéger ces intérêtsrépondra lui aussi à des motivations
politiques, mais ce choix se prête beaucoup plus à l'examen judiciaire et
donc à un critère plus strict car les moyens choisis retentissent directe-
ment sur les intérêts etles droits d'autrui. En outre,les moyens propres à

la protection d'intérêts font généralement l'objet de prescriptions juri-
diques d'autant plus stricteset plus contraignantes que la loi accorde plus
d'importance aux intérêtset aux droits qui risquent d'être mis en cause.
45. En la présente espèce, les Etats-Unis ont conclu que lancer des at-
taques au missile sur des navires battant pavillon américain, poser des mines
sur le trajet de ces navires ainsi que d'autres actions mettant en danger des
navires neutres menaçaient leurs intérêtsvitaux sur le plan de la sécurité.
Ici,j'ai du mal à appliquer le critère du caractèreraisonnable et àconclure
que l'appréciation de la situation par les Etats-Unis ne répond pas au cri-
tère. N'importe quel autre Etat se trouvant dans la mêmesituation aurait
pu aboutir à la même conclusion et la réaction d'un grand nombre
d'autres pays confirme notre appréciation sur ce point.
46. Face à cette menace pesant sur leurs intérêts vitaux en matière de
sécurité, les Etats-Unis ont (à la différence d'autres Etats) décidéde
renoncer à exercer des pressions, diplomatiques notamment, et d'opter
pour une réaction impliquant le recours à la force. Ce faisant, les Etats-
Unis ont choisi des moyens dont l'emploi est nécessairement soumis à des
normesjuridiques strictes,puisque l'interdiction de recourir à la force est
censée avoir un caractère impératif. La latitude qui revient aux Etats-
Unis est par conséquent infiniment plus limitée qu'elle ne serait au cas où
les Etats-Unis auraient choisi, par exemple, d'adopter des mesures éco-
nomiques.
47. Cela nous amène à la question de savoir quels sont les critères à
appliquer quand il faut s'en remettre à l'appréciation de la licéitéd'une
mesure. A cet égard, les Etats-Unis font valoir que le traité de 1955 revêt
une spécificité,un caractère de lex specialis,et que par conséquent il n'est
pas possible d'appliquer le critère de légitime défenseinspiré de la Charte.
Comme le dit à ce sujet le conseil des Etats-Unis:

«Le critère de la licéité desmesures américaines au regard du traité
de 195.5n'est pas la légitime défense, elle est la nécessitéde ces me-
sures pour la protection d'intérêtessentiels en matière de sécuritéPar
conséquent, dèslorsque les mesures reprochées auxEtats-Unisétaient PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP.IND.KOOIJMANS) 261

nécessaires à la protection de leurs intérêtsessentiels sur le plan de la

sécurité, elles étaient licites au regard de l'article X du traité de
1955.» (CR 2003112, p. 19; les italiques sont dans l'original.)

48. Il est en principe justifié d'adopter pareille position mais cela
revient néanmoins à éluder le problème. La compétence de la Cour est
limitée à l'interprétation et à l'application du traité de 1955; la Cour ne
peut par conséquent pas établir si certains actes sont contraires aux dis-
positions de la Charte et aux règles coutumières du droit de légitime
défense. Mais ni l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX lui-même ni
aucune autre disposition du traité ne contient d'élémentspermettant à la
Cour d'appliquer le critère de la licéitéquand elle se pose la question de
savoir si des mesures prises pour protéger les intérêts vitaux en matière de
sécurité sont effectivement nécessaires. La Cour n'a donc pas d'autre

choix que de faire appel à cette fin au droit international général.
49. Le droit international généralest donc indispensable en tant que
norme d'interprétation des dispositions du traité de 1955. Si les mesures
prises consistent notamment à recourir à la force, ce sont donc les règles
relatives à l'emploi de la force auxquelles il faut faire appel pour per-
mettre à la Cour d'apprécier la licéitédesdites mesures. Le conseil des Etats-
Unis avait raison quand il disait que si les mesures prises par les Etats-
Unis sont censées êtrenécessaires pour protéger leurs intérêts vitaux en
matière de sécurité, il n'y a pas lieu de poser la question de savoir si ces
mesures sont prises également au titre de la légitime défense. Mais pour

aboutir à la première conclusion énoncée, il n'est pas possible de faire
abstraction du droit de légitime défense.
50. A mon sens, l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Nicaragua est
un très bon exemple à cet égard. Au sujet de l'embargo commercial dont
elle avait déjà dit qu'il était en contradiction avec l'article XIX (l'article
relatif à la liberté de commerce) du traité d'amitié, de commerce et de
navigation de 1956 (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci (Nicaragua c. Etats- Unis d'Amérique), fond, arrêt, C.1.J.
Recueil 1986, p. 140, par. 279)' la Cour a posé la question de savoir si
l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XXI empêchait que l'embargo fût

injustifié.La Cour a commencé par appliquer le critère du caractère rai-
sonnable et a abouti à une conclusion négative:
((Faute du moindre élément d'information indiquant comment les

politiques suivies par le Nicaragua seraient devenues en fait une
menace pour les ((intérêtsvitaux de sécurité)) en mai 1985, alors
qu'elles étaient constantes et constamment critiquées par les Etats-
Unis depuis quatre ans, la Cour n'est pas en mesure de conclure que
l'embargo était ((nécessaire» à la protection de ces intérêts.» (Ibid.,
p. 141 et 142, par. 282.)

Si la prétendue menace visant les intérêts«vitaux» en matière de sécurité
ne peut pas êtreréputée avoir un caractère raisonnable, les mesures prises
ne sont eo ipso pas nécessaires. 51. En ce qui concerne le minage des ports nicaraguayens et les at-
taques dirigées contre les ports et les installations pétrolières,lCour (en
vertu de la compétence conférée par le paragraphe 2 de l'article 36 du
Statut) avait déjà jugé que ces actes constituaient un emploi illicite de la
force en droit coutumier. Appréciant les mêmes actes sous l'angle de l'ali-
néa d) du paragraphe 1 de l'article XI du traité d'amitié, de commerce et
de navigation de 1956, la Cour s'est bornée à dire que ces actes «ne sau-
raient en aucun cas êtrejustifiés par la nécessitéde protéger les intérêts
vitaux de sécuritédes Etats-Unis)) (C.Z.J. Recueil 1986, p. 141, par. 282).
De toute évidence, en appliquant le critère de licéitéaux mesures prises
par les Etats-Unis pour protéger leurs intérêts vitaux en matière de sécu-
rité, la Cour a appliqué la mêmenorme que lorsqu'elle avait examiné les
mêmesactes du point de vue de la licéitédu recours à la force en droit
coutumier. S'ils ne pouvaient pas être justifiés en droit coutumier, ces
actes «ne sauraient » êtrejustifiés en vertu de l'alinéad) du paragraphe 1
de l'article XXI.
52. En ce qui concerne les aspects juridiques de l'alinéad) du para-
graphe 1 de l'article XX du traité de 1955, l'approche àretenir està mon
sens la suivante:

a) La Cour n'est pas compétente pour établir si la destruction des
plates-formes pétrolières peut ou non êtrejustifiée au titre de la légi-
time défense.
b) Quand elle établit si une mesure est «nécessaire à la protection des
intérêts vitaux [d'une] Haute Partie contractante sur le plan de la
sécurité», la Cour doit tout d'abord appliquer le critère du caractère
raisonnable à la question de savoir s'il existe une menace plausible à
l'encontre desdits intérêts quijustifie certaines mesures de protection.
Comme je l'ai déjàdit, j'estime effectivement qu'en l'espèce lesEtats-
Unis étaient fondés à soutenir que leurs intérêts vitaux en matière de
sécuritéétaient en danger. Le fait que d'autres Etats se trouvant dans
une situation comparable ont émis des protestations sur le plan diplo-
matique et pris des mesures de protection sous la forme d'une pré-
sence militaire dans le Golfeprouve que le sentimentgénéralétait que
des intérêtsimportants, vitaux, étaient en jeu.
c) Le fait que les Etats-Unis ont décidéde prendre des mesures consis-
tant notamment à recourir à la force impose à la Cour d'apprécier si
ces mesures sont licites au regard des règles du droit international
général relatifà l'emploi de la force. L'alinéa d) du paragraphe 1 de
l'article XX n'interdit pas totalement l'emploi de la force. Le critère
de licéitéque la Cour doit appliquer doit donc êtrefondé sur l'idée
que par hypothèse le recours à la force est interdit sauf s'il peut être
justifié au regard du droit international généraldont le principe de
légitime défense est un élémentimportant.

53. Les Etats-Unis évoquent souvent la conduite généralement illicite
de l'Iran pendant la guerre des pétroliers mais ne contestent pas que les
attaques lancées contre les plates-formes pétrolières ont étémenées enréaction à deux incidents particuliers. Le 16 octobre 1987, le pétrolier
battant pavillon des Etats-Unis Sea Isle City a étéfrappé par un missile;

trois jours après,la plate-forme de Reshadat a étéattaquée et détruite. Le
14 avril 1988, la frégate des Etats-Unis Samuel B. Roberts a heurté une
mine; cinq jours après, les plates-formes de Salman et de Nasr ont été
attaquées et détruites. La première question à laquelle il faut répondre
par conséquent est de savoir si ces incidents sont bien imputables à l'Iran.
54. Je souscris aux vues de la Cour quand elle estime que les Etats-
Unis n'ont pas pu produire de preuves convaincantes établissant que
l'attaque au missile lancée contre le Sea Isle City peut êtreimputée à
l'Iran. Incontestablement l'attaque a augmenté les dangers pour la sécu-
ritédes navires des Etats-Unis et autres navires neutres, mais la thèse des

Etats-Unis quand ces derniers soutiennent qu'il faut imputer l'augmenta-
tion du danger à l'Iran, et que par conséquent les Etats-Unis avaient le
droit de recourir à la force, ne saurait êtreacceptée. Comme il faut sou-
mettre le recours à la force à un critère de licéitétrès strict, il n'est pas
possible de se contenter à titre de justification de simples probabilités ni
mêmede quasi-certitudes ; les Etats-Unis pouvaient faire appel et auraient
dû faire appel à d'autres moyens de protection de leurs intérêts en
matière de sécurité. La destruction des plates-formes de Reshadat et
Resalat ne peut donc pas êtrejustifiée au titre des mesures nécessaires à la

protection des intérêts vitaux des Etats-Unis.
55. La question de savoir si l'attaque au missile lancée contre le Sea
Isle City et certains autres incidents évoqués par les Etats-Unis (arrêt,
par. 64) constituaient une agression armée à l'encontre des Etats-Unis
eux-mêmes, les autorisant à exercer le droit de légitime défense, est à mes
yeux moins pertinente. Comme aucun de ces incidents ne peut être
imputé avec certitude à l'Iran, des mesures de rétorsion consistant notam-
ment à recourir à la force à l'encontre de cet Etat ne peuvent en vertu
d'aucune normejuridique mériter d'être qualifiées de mesures nécessaires.
56. Il en va autrement en ce qui me concerne pour le minage de I'USS
Samuel B. Roberts. J'admets que les Etats-Unis ont fourni assez de

preuves permettant de conclure que le navire en question a été heurtépar
une mine iranienne et que l'incident peut être imputéà l'Iran, lequel, en vio-
lation des règles de la guerre en mer, avait minéles eaux internationales sans
en aviser les navires neutres. Le fait que, dans les jours qui ont suivi l'acci-
dent, des mines ont été trouvéesdans le voisinage immédiat qui avaient
étéancrées, qui portaient les numéros de sérieparticuliers des mines ira-
niennes et qui avaient manifestement étémouillées depuis peu prouve à
mes yeux sans plus aucun doute raisonnable que c'est une mine iranienne
que le Samuel B. Roberts a heurtée. C'est une autre question que de savoir
si ce navire était très précisément ciblé.Le fait que les mines découvertes

n'étaient pas encore recouvertes de végétation marine, ce qui signifie
qu'elles étaient mouillées depuis peu, peut indiquer que le navire était bel
et bien ciblé. Toutefois, comme on ne dispose pas d'autres indications plus
précises, en ce qui concerne par exemple la date exacte du mouillage de ces
mines, on ne peut répondre à cette question de façon définitive. PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP.IND. KOOIJMANS) 264

57. Mais il faut répondre à la question de savoir si le fait que les Etats-
Unis fussent fondés à imputer à l'Iran la responsabilité du minage du
Samuel B. Roberts les autorisait à lancer une action militaire contre les
plates-formes de Salman et de Nasr. Il convient de rappeler ici que les
attaques lancées contre les plates-formes participaient d'une opération
plus importante, dont le nom de code était ((mante religieuse)),laquelle
était également dirigée contre la marine de guerre iranienne. Il est sans
pertinence pour la présente espèce qui est limitée à la destruction des
plates-formes de chercher à savoir si, sous cet aspect, l'opération était
ou non illicite en droit international général.
58. Les motifs pour lesquels les Etats-Unis ont attaqué les plates-
formes peuvent se ramener à ce que dit à ce propos le généralCrist dans
une déclaration que les Etats-Unis ont produite au nombre de leurs pièces:

(J'estimais que le meilleur moyen de réduire la capacité offensive
de l'Iran à l'encontre des navires marchands américains consistait à
gênerleurs moyens d'observation de nos forces, bref à leur enlever
leurs yeux. Les plates-formespétrolièresoffshorede l'Iran étaient un
moyen d'observation extrêmement précieux pour qui voulait organi-
ser et soutenir des attaques contre nous... Ces plates-formes étaient
un site de planification d'attaques menées par les forces iraniennes
contre le trafic maritime dans le Golfe. ))(Contre-mémoire des Etats-
Unis, annexe 44.)

Au sujet de cet argument, je rappellerai ce que la Cour disait dans
l'affaire Nicaragua (la citation figureeau paragraphe 49 ci-dessus) qui est
que la Cour doit apprécier si les mesures présentées comme visant à pro-
téger les intérêtsen question sont non pas seulement utiles mais encore
((nécessaires».
59. Je suis comme la Cour d'avis que les moyens de preuve présentés
au sujet de l'activité militairedes plates-formes ne sont pas parfaitement
satisfaisants, en particulier en ce qui concerne les plates-formes de Sal-
man et de Nasr qui furent la cible des actions menées par les Etats-Unis
après que le Samuel B. Roberts eut heurté une mine. Il est permis de dou-
ter que les plates-formes aient été aussi innocentes que l'Iran le prétend.
Mais je ne trouve pas convaincants les élémentsde preuve présentés par
les Etats-Unis pour établir leur caractère offensif. A ce sujet, il convient
de relever aussi que les Etats-Unis, lors de leurs nombreuses démarches
diplomatiques, n'ont jamais dit que les plates-formes étaient un élément
important des menaces pesant sur les navires neutres, alors qu'ils par-
laient constamment de missiles Silkworm (((vers à soie»), de mouillage de
mines, d'attaques menées par des hélicoptères et par des vedettes.
60. On peut donc se demander si la destruction des plates-formes de
Salman et de Nasr peut être vraiment considérée comme la réaction la
mieux adaptée au minage du Samuel B. Roberts, d'autant que rien n'in-

dique que lesdites plates-formes aient joué un rôle quelconque dans le
mouillage des mines que le navire a heurtées et dans l'organisation de
l'attaque dont il a été victime. 61. En 1980, Roberto Ago, alors rapporteur de la Commission du
droit international sur la responsabilité des Etats, écrivait au sujet de la
légitime défense considérée comme circonstance excluant l'illicéité:

((On peut d'ailleurs dire que les exigences de la nécessité >)et de la
proportionnalité >)de l'action menée en légitime défense ne sont que
les deux faces d'une même médaille. L'état de légitime défense ne
vaudra comme raison d'exclusion de l'illicéitédu comportement de
1'Etat que si ce dernier ne pouvait pas atteindre le résultat visé par
un comportement différent, n'impliquant aucun emploi de la force
armée ou pouvant se réduire à un emploi plus restreint de cette
force.» (Annuaire de la Commission du droit international, 1980,

vol. II, première partie, p. 67.)
62. Indépendamment du point de savoir si le minage du Samuel B.
Roberts représentait une attaque armée dirigée contre les Etats-Unis qui
les autorisait à réagir par la légitime défense, la question pertinente est de

savoir si les Etats-Unis ne pouvaient pas atteindre le résultat visé (c'est-
à-dire la protection de leurs intérêts vitaux en matière de sécurité)par un
comportement différent,n'impliquant aucun emploi de la force armée ou
pouvant se réduire à un emploi plus restreint de cette force, par exemple
des actions dirigées contre des unités de la marine de guerre notoirement
utilisées pour le mouillage de mines (de telles actions faisaient partie de
l'opération dite de la ((mante religieuse», mais leur licéitééchappe à la
compétence de la Cour).
Vu l'incertitude qui entoure le rôle des plates-formes dans le mouillage

des mines et les graves dommages infligés aux intérêts économiques de
l'Iran, je ne suis pas convaincu que la destruction des plates-formes de
Salman et de Nasr soit bien conforme à la norme que je viens d'évoquer
ni que cette destruction puisse êtrequalifiée de mesure nécessaire à la pro-
tection des intérêts vitaux des Etats-Unis en matière de sécurité.J'ai du
mal à ne pas croire qu'en réalitél'intention de punir était prioritaire.
63. Pour conclure (et sans avoir à vérifier minutieusement - comme la
Cour l'a fait - si toutes les conditions de la légitime défense sont bien
remplies), je suis d'avis que les attaques lancées contre les plates-formes

pétrolières ne peuvent pas être considérées comme des mesures néces-
saires à la protection des intérêtsvitaux des Etats-Unis en matière de sécu-
rité, même si l'on interprète ces intérêts en un sens large. En ce qui
concerne la destruction de la plate-forme de Reshadat, l'attaque lancée
contre le Sea Isle City ne peut pas être considérée avec le degré voulu de
certitude comme imputable à l'Iran; en ce qui concerne le Samuel B.
Roberts, le minage à mon sens est imputable à l'Iran, mais la destruction
des plates-formes de Salman et de Nasr ne peut pas être considérée
comme une réaction adaptée, c'est-à-dire comme une réaction nécessaire

et proportionnée.

(Signé) Pieter H. KOOIJMANS.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF JUDGE KOOIJMANS

Factual context - Political relations between Parties before and during Iran-
Iraq war (1980-1988) - Tanker War and neutral shipping - Attacks against

platforms - United States embargo - 1955 Treaty not mentioned at the time.

Limited jurisdiction of the Court - Sole issue whether Article X, para-
graph 1, has been violated - Character and interpretation of Article XX, para-
graph I (d) - Question is not whether United States acted in self-defence -
Order of arguments in reasoning.

Article XX, paragraph I (d), not relevant for decision on claim - First jînd-

ing of dispositif no ground for disposition on final submission - Obiter dictum
in operative part of Judgment.

Freedom of commerce not adversely affected by actions against platforms -
Effect of United States embargo - Indirect commerce.
Analysis of measures necessary to protect essential security interests - Test
of reasonableness - Legality test - Role of general international law -

Attributability to Iran of incidents - Role of platforms - Whether United
States actions are appropriate response to threat to security interests.

1. 1 have voted in favour of the operative part of the Judgment since 1
agree with the substance of what is said there. 1 am of the view that the

military actions of the United States against the Iranian oil platforms on
19 October 1987 and 18 April 1988 did not constitute a violation of
Article X, paragraph 1, of the 1955 Treaty between the United States and
Iran since they did not adversely affect freedom of commerce between the

territories of the Parties and that consequently Iran's claim must be
dismissed. Likewise, 1 am of the view that Iran did not violate its obli-
gation under that same Article concerning freedom of commerce and
navigation between the territories of the Parties and that the counter-

claim of the United States must therefore be dismissed. Moreover, 1share
the Court's view that the United States actions cannot be qualified as
measures necessary to protect its essential security interests in the sense
of Article XX, paragraph 1 (d), of the Treaty.

2. 1cast my vote with considerable hesitation however. This hesitation
arises from my view, despite my support for the substance of the opera-
tive part, that the structure of the Judgment is not in keeping either with OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE KOOIJMANS

[Traduction]

Cadre factuel - Relations politiques entre les Parties avant et pendant la
guerre entre l'Iran et l'Iraq (1980-1988) - Guerre despétroliers et navigation

neutre - Attaques contre les plates-formes - Embargo des Etats-Unis - Il
n'est pas fait état du traité de 1955 à cette époque.
Compétence limitée de la Cour - La seule question à résoudre est de savoir
si le paragraphe 1 de l'article X du traité a étéviolé - Nature de l'alinéa d) du
paragraphe 1 de l'article XX du traité et son interprétation - La question n'est
pas de savoir si les Etats- Unis ont agi au titre de la légitime défense - Ordre
des arguments dans la motivation de la Cour.
L'alinéa d) du paragraphe I de l'article XX n'est pas pertinent aux fins d'une

décision sur la demande - La première constatation du dispositzyn'autorise pas
la décision formulée à titre de conclusion Jinale - La Cour énonce un obiter
dictum dans le dispositzy de l'arrêt.
La liberté de commerce n'a pas souffert des actions menées contre lesplates-
formes - Effet de l'embargo décrété par les Etats-Unis - Commerce indirect.
Analyse des mesures nécessaires à la protection d'intérêts vitaux en matière
de sécurité - Critère du caractère raisonnable - Critère de la licéité - Rôle
du droit international général - Imputabilité à l'Iran de certains incidents -

Rôle des plates-formes - Les actions des Etats-Unis sont-elles une réaction
adaptée à une menace dirigée contre les intérêts en matière de sécurité.

1. J'ai voté pour le dispositif de l'arrêt car je souscris à ce qu'il énonce
quant au fond. Je suis d'avis que les actions militaires menées par les
Etats-Unis le 19 octobre 1987 et le 18 avril 1988 contre les plates-formes
pétrolières iraniennes ne constituaient pas une violation des dispositions

du paragraphe 1 de l'article X du traité de 1955 conclu entre les Etats-
Unis et l'Iran parce que ces actions n'ont pas porté atteinte à la liberté de
commerce entre les territoires des Parties et je suis donc d'avis qu'il faut
rejeter la demande de l'Iran. De même,je suis d'avis que l'Iran n'a pas

violé l'obligation que le même article lui imposait en ce qui concerne la
liberté de commerce et de navigation entre les territoires des Parties et
j'estime donc qu'il faut par conséquent rejeter la demande reconvention-
,nelle des Etats-Unis. En outre, je partage les vues de la Cour quand

celle-ci dit que les actions des Etats-Unis ne sauraient êtrequalifiées de
mesures nécessaires à la protection de leurs intérêts vitaux en matière de
sécuritéau sens de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX du traité.
2. Je vote toutefois avec énormément d'hésitation. Si j'hésite ainsi,

c'est parce qu'à mon sens, bien quej'adhère au dispositif quant au fond,
la construction de l'arrêt n'est conforme ni à ce qu'on attendrait de lawhat would be expected of the Court or with the Court's usual practice.
It is not well balanced, does not sufficiently reflect the factual context of
the case and is not a transparent, well-defined reply to the Applicant's
claim and the Respondent's defence, even if their arguments are compre-
hensively dealt with.

3. My main reason of concern, however, upon casting my vote was
that the operative part does not immediately respond to the claim as for-
mulated by the Applicant, but starts with a finding not essential to the
Court's decision on that claim, thereby creating the impression that it
nevertheless was essential for that purpose. 1 have checked the operative
parts of al1judgments of this Court and its predecessor, the Permanent
Court of International Justice, in contentious cases and none of them
starts with a finding that is not determinative for the Court's disposition
of the claim. Although it is not unusual for the dispositif of a judgment to
contain elements which do not respond directly to points raised in the

claim, such paragraphs either are addressed to both parties (Military and
Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United
States of America), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986, p. 149,
para. 292 (1 6) ;KasikililSedudu Island (BotswanalNamibia), Judgment,
1.C.J. Reports 1999 (II), p. 1108, para. 104 (3)) or are observations by
the Court concerning existing rights belonging to or obligations under-
taken by one of the parties (Maritime Delimitation and Territorial Ques-
tions between Qatar and Bahrain (Qatar v. Bahrain), Merits, Judgment,
I. C.J. Reports 2001, p. 117, para. 252 (2) (b) ;LaGrand (Germany v.
United States of America), Judgment, 1.C.J. Reports 2001, p. 516,

para. 118 (6); Land and Maritime Boundary between Cameroon and
Nigeria (Cameroon v. Nigeria: Equatorial Guinea intervening), Judg-
ment, I. C.J. Reports 2002, p. 457, para. 325 (V) (C)). In the Hostages
case, paragraph 1 of the dispositifcontained a finding (a violation by the
Respondent of its obligations under general international law) which did
not directly correspond to the Applicant's claim in the final submission
but that claim itself was first upheld in toto (United States Diplornatic
and Consular Staff in Tehran, 1.C.J. Reports 1980, p. 44, para. 1).

It is, however, unprecedented in the history of both Courts for a claim
against a Respondent to be rejected while earlier in the same paragraph
the Respondent is found to have acted unlawfully even though that find-
ing is not - and is not said to be - determinative or even relevant for
the dismissal of the claim. This novum can be seen as setting a precedent
which in my view is a highly hazardous one since it raises questions about
the scope of a judgment of the Court, for example, with regard to its res
judicata character.

4. 1 have found it necessary to set out what in my opinion would have
been the appropriate approach to deal with a dispute which originated in PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP.IND.KOOIJMANS) 247

Cour ni à sa pratique habituelle. Cette construction n'est pas équilibrée,
ne tient pas suffisamment compte du cadre factuel de l'affaire et ne

répond pas avec précision, dans la transparence, à la demande de 1'Etat
demandeur ni à la défense de 1'Etat défendeur, mêmesi leurs arguments
sont examinés dans le détail.
3. Mon principal souci, toutefois, au moment de voter était que le dis-
positif ne répond pas immédiatement à la demande formulée par le
demandeur mais commence par énoncer une constatation qui n'est pas
indispensable pour la décision que formule la Cour sur cette demande,
créant par là l'impression' qu'elle est néanmoins indispensable à cette fin.
J'ai vérifiéle dispositif de tous les arrêts rendus par la Cour et par sa
devancière, la Cour permanente de Justice internationale, en matière

contentieuse et il n'y a pas un seul dispositif qui commence par une cons-
tatation ne déterminant pas directement la réponse donnée à la demande.
Il n'est certespas inhabituel que le dispositif d'un arrêtcontienne des élé-
ments ne répondant pas directement à des points soulevés dans la
demande, mais les paragraphes en question ou bien sont adressés aux
deux parties (Activités militaires etparamilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. Etats- Unis d'Amérique), fond, arrêt, C.I. J. Recueil
1986, p. 149, par. 292, point 16; Ile de KasikililSedudu (Botswana1
Namibie), arrêt,C.1J. Recueil 1999 (II), p. 1108, par. 104, poin3)),ou bien

sont des observations formulées par la Cour au sujet de droits existants
appartenant à l'une des parties ou d'obligations contractées par l'une des
parties (Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et
Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I. J. Recueil2001, p. 117, par.
252, point 2) b) ; LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d'Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil2001, p. 516, par. 118, point 6; Frontière terrestre et mari-
time entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinéeéqua-
toriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 457, par. 325, point
V) C)). Dans l'affaire des Otages, il est énoncéau paragraphe 1 du dis-
positif une constatation (violation par le défendeur des obligations lui
incombant au titre du droit international général)qui ne correspond pas

directement à la demande formulée par 1'Etat demandeur dans sa conclu-
sion finale, mais cette demande est préalablement accueillie in toto (Per-
sonnel diplomatique et consulaire des Etats- Unis à Téhéran,C.I.J. Recueil
1980, p. 44, par. 1).
Il est toutefois sans précédent dans l'histoire des deux Cours qu'une
demande formulée contre un Etat défendeur soit rejetée alors que précé-
demment, dans le même paragraphe, le défendeur est dit avoir agi de
façon illicite alors mêmeque cette constatation ne détermine pas le rejet
de la demande, n'est pas mêmepertinente pour le rejet et n'est pas jugée
comme telle. On peut voir dans ce novum un précédent qui à mon avis est

extrêmement dangereux car il soulève des questions quant à la portée
d'un arrêtde la Cour, par exemple sur le caractère de resjudicata propre
à ses décisions.
4. J'ai jugé utile d'indiquer comment, à mes yeux, il aurait fallu abor-
der un différend qui est né parce qu'il y a eu recours à la force mais a ététhe use of force but was brought to the Court as a violation of treaty-
guaranteed freedom of commerce.
1will first give an overview of the factual context ; 1 will then deal with
the character of the case before the Court as defined by the claim and

counter-claim; finally,1will consider a number of issues dealt with in the
reasoning of the Judgment.

5. The circumstances surrounding the military actions against the oil
platforms, which are the main issue of the dispute between the Parties,
are well known and have been described in paragraphs 23 and 24 of the
Judgment. Nevertheless, it seems useful to recall the political aspects of

the war that raged for eight years between Iran and Iraq and the impact
this war had on the already strained relations between Iran and the
United States.
6. Relations between the United States and Iran had been excellent
until the beginning of 1979 when the Shah's régime was toppled. The
1955 Treaty of Amity, Economic Relations and Consular Rights exem-
plifiedthese warm relations, which, however, turned Sour when the gov-
ernment which came to power after the Islamic Revolution accused the
United States of long-time interference in the interna1 affairs of Iran.
Relations between the two countries plummeted to an all-time low after

the seizure of and hostage-taking in the American Embassy in Tehran in
November 1979.

7. This crisis came to an end upon the release of the remaining hos-
tages in the beginning of 1981 and by a diplomatic settlement by means
of the Algiers Declarations of 19 January 1981, which led to the estab-
lishment of the Iran-United States Claims Tribunal in The Hague (which
has not yet completed its task). Notwithstanding the settlement, relations
remained tense; diplomatic relations between the two countries, which
had been severed after the hostage-taking, were not resumed.

8. In the meantime, Iran became involved in a war with its neighbour
when it was invaded by Iraqi military forces on 22 September 1980. It is
common knowledge that the Security Council was lax in taking action:
only in 1987 did it determine that there was a breach of the peace and
adopt a resolution under Chapter VI1 of the Charter (resolution 598
(1987) of 20 July 1987). Until then it had confined itself to calling for a
ceasefire and for greater respect for the rules of international humani-
tarian law, of which there were gross breaches during the war; it did
not however attribute specific violations to either of the Parties.

9. Iran, which considered itself to be the victim of aggression, ascribed
this passivity on the part of the Council to the partiality of a number of PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP.IND.KOOIJMANS) 248

porté devant la Cour comme une infraction à la liberté de commerce
garantie par voie de traité.
Je donnerai tout d'abord un aperçu du cadre factuel; je dirai ensuite
quelle est la nature de l'affaire portée devant laCour telle qu'elle est défi-
nie par la demande et la demande reconventionnelle; en dernier lieu, je
m'arrêterai sur un certain nombre de questions évoquéesdans la motiva-
tion de l'arrêt.

5. Les conditions entourant les actions militaires menées contre les
plates-formes pétrolières,actions qui correspondent à la question centrale
opposant les Parties, sont connues et sont relatées aux paragraphes 23 et
24 de l'arrêt. Il y a néanmoins lieu, semble-t-il, de rappeler les aspects
politiques de la guerre qui a fait rage pendant huit ans entre l'Iran et
l'Iraq et l'effet que cette guerrea produit sur les relations entre l'Iran et
les Etats-Unis qui étaient déjà tendues.
6. Les relations entre les Etats-Unis et l'Iran avaient étéexcellentes

jusqu'au début de 1979, date à laquelle le régime du shah fut renversé. Le
traité d'amitié, de commerce et de droits consulairesconclu en 1955 entre
l'Iran et les Etats-Unis témoignait de ces bonnes relations, lesquelles se
sont aigries quand le gouvernement qui prit le pouvoir à la suite de la
révolution islamique a accusé les Etats-Unis de s'immiscer depuis long-
temps dans les affaires intérieures de l'Iran. Puis les relations entre les
deux pays n'ont cesséde se dégrader pour atteindre leur niveau le plus
bas à la suite de la saisie de l'ambassade des Etats-Unis et de la prise
d'otages à Téhéranqui eut lieu en novembre 1979.
7. Cette crise prit fin avec la libération des derniers otages au début de
1981 et avec un règlement diplomatique revêtant la forme de la déclara-
tion d'Alger du 19janvier 1981 ; celle-ci a aboutià la création du Tribu-
nal des réclamations Etats-UnisIIran qui siège à La Haye et n'est pas
encore au terme de sa mission. En dépit de ce règlement, les relations
entre les deux pays sont restéestendues; les relations diplomatiques, rom-
pues après la prise d'otages, n'ont pas étérétablies.
8. Entre-temps, l'Iran est entré en guerre avec un pays limitrophe
quand il fut envahi par les forces militaires iraquiennes le 22 septembre
1980. Il est de notoriété publique que le Conseil de sécuritéa mis du
temps à réagir: ce n'est qu'en 1987 que le Conseil a constaté une rupture
de la paix et adopté une résolution au titre du chapitre VI1 de la Charte
(la résolution 598 (1987) en date du 20 juillet 1987). Jusqu'à cette date le
Conseil s'était borné à en appeler au cessez-le-feu et à un plus grand res-
pect des règles du droit international humanitaire violées de façon patente
au cours de cette guerre; mais le Conseil n'a toutefois pas imputé de vio-
lation précise ni à l'une nià l'autre des Parties.
9. .L'Iran, qui estimait être victime d'agression, a attribué cette passi-
vité du Conseil à la partialité d'un certain nombre d'Etats Membres desinfluential United Nations member States, notably the Arab countries
and the United States, and accused them of in fact supporting Iraq and
preventing the Security Council from taking meaningful measures to
bring the war to an end. Iran accused Kuwait, Saudi Arabia and the

United States in particular of enabling Iraq to continue its unlawful use
of force and of not respecting their duties as neutral States. It did not,
however, deny these States their status as formally neutral powers.

10. In 1984 the war, which until then had been mainly a land war,
spread to the Persian Gulf when Iraq started harming Iran's oil trade,
which provided the latter with the finances to sustain its war efforts. Iraq
attacked ships on their way to and from Iranian ports in order to hinder
Iran's oil exports. This was the beginning of the Tanker War, which
lasted until the ceasefire in August 1988 and during which Iran retaliated

by attacking or mining ships coming from or destined for Kuwaiti and
Saudi ports.

11. Although Iran denied responsibility for individual incidents, it
nevertheless openly stated that it was entitled to take action against
neutral ships trading with the "enemy".
According to a list produced by Lloyd's Maritime Information Service
(Counter-Memorial of the United States, Exhibit 9), a total of 544 shipsl
were attacked during the war, the overwhelming majority of them sailing

under a neutral flag. According to Lloyd's, more than 200 of these inci-
dents from March 1984 onward could be attributed to Iranian military
forces. These developments caused a number of States to send warships
to the region in order to protect international shipping and continued
international trade through the Gulf.

12. It is in this context and against this backdrop that the United
States attacks against the oil platforms took place. The already tense
relations between Iran and the United States had remained extremely bad
during the first years of the war, Iran blaming the United States for its
alleged undisguised support of the aggressor Iraq and the United States

accusing Iran of blatantly violating the laws of neutrality and of naval
warfare.
Not only the United States but also other States did, however, regu-
larly express through diplomatic channels their deep concern about Iran's
behaviour vis-à-vis neutral shipping. Moreover, on 1 June 1984 the Secu-
rity Council, acting on a complaint by a number of Arab States against
Iran, adopted a resolution calling upon al1 States to respect the right of
free navigation in the Gulf area (resolution 552 (1984)). Although neither

' The list of 546 incidents includes the United States attacksthe oil platforms.

92 PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP.IND.KOOIJMANS)
249

Nations Unies particulièrement influents, notamment les pays arabes et
les Etats-Unis, qu'il accusait de soutenir en fait l'Iraq et d'empêcher le
Conseil de sécuritéde prendre des mesures efficaces pour mettre fin à la
guerre. L'Iran a notamment accusé le Koweït, l'Arabie saoudite et les
Etats-Unis de donner à l'Iraq les moyens de continuer à recourir à la
force dans l'illégalitéet de ne pas respecter les obligations leur incombant
en leur qualité d'Etats neutres. L'Iran toutefois ne niait pas que lesdits

Etats eussent bien la qualité de puissances officiellement neutres.
10. En 1984, la guerre qui jusqu'alors s'était principalement déroulée
sur terre s'étendit au golfe Persique quand l'Iraq commença de s'attaquer
au commerce pétrolier iranien, lequel fournissait à l'Iran les moyens
financiers de soutenir son effort de guerre. L'Iraq se mit à attaquer des
navires qui se rendaient dans des ports iraniens et qui en revenaient pour
porter atteinte aux exportations pétrolièresde l'Iran. Ce fut le début de ce
qu'on appela la guerre des pétroliers, qui dura jusqu'au cessez-le-feu
d'août 1988 et au cours de laquelle l'Iran réagit de son côté en attaquant

ou en minant des navires en provenance de ports koweïtiens ou saoudiens,
ou bien se rendant dans ces ports.
11. Tout en niant être responsable de tel ou tel autre incident, l'Iran
n'en a pas moins déclaréouvertement avoir le droit de prendre des me-
sures à l'encontre de navires neutres commerçant avec l'aennemi ».
D'après une liste produite par le service d'information maritime du
Lloyd's (contre-mémoire des Etats-Unis, annexe 9)' ce sont au total cinq
cent quarante-quatre navires l qui ont ainsi étéattaqués pendant la guerre

et l'écrasante majorité d'entre eux battaient pavillon neutre. D'après ce
service du Lloyd's, plus de deux cents de ces incidents peuvent à partir de
mars 1984 êtreattribués aux forces militaires iraniennes. Cette évolution
de la situation explique qu'un certain nombre d'Etats ont envoyé des
navires de guerre dans la région pour protéger la navigation internatio-
nale et assurer la poursuite du commerce international dans le Golfe.
12. C'est dans ce contexte et sur cette toile de fond que se situent les
attaques lancées par les Etats-Unis contre les plates-formes pétrolières.
Les relations déjà tendues entre l'Iran et les Etats-Unis étaient restées

extrêmement mauvaises au cours des premières annéesde la guerre, l'Iran
accusant les Etats-Unis de soutenir sans même le dissimuler l'agresseur
iraquien et les Etats-Unis accusant l'Iran de violer de façon flagrante les
lois de la neutralité et de la guerre sur mer.
Non seulement les Etats-Unis mais aussi d'autres Etats exprimaient en
outre périodiquement par les voies diplomatiques l'inquiétude profonde
que suscitait chez eux le comportement de l'Iran à l'égard des navires
neutres. En outre, le le' juin 1984, le Conseil de sécurité, saisi d'une
plainte formulée par un certain nombre d'Etats arabes à l'encontre de
l'Iran, a adopté une résolution dans laquelle il demandait à tous les Etats

l La liste qui recense cinq cent quarante-six incidents comprend ausles attaques
lancées par les Etats-Unis contles plates-formes pétrolières.Iran nor Iraq was mentioned by name in the operative part, Iran con-
sidered this resolution another illustration of the Council's bias, since
the Tanker War had been started by Iraq.

13. It seems indisputable in the light of reports from independent
sources like international shipping associations that during the Tanker
War both Iraq and Iran disregarded the rules on neutral shipping on a
massive scale. Whether al1 the cases itemized on Lloyd's List as Iranian
attacks are indeed attributable to Iran is less relevant than the fact that
Iran's non-compliance with the rules of naval warfare is too well docu-
mented to ignore or deny. On the other hand, according to Lloyd's List,
only three United States flagged ships, two of them recently reflagged
Kuwaiti tankers, suffered alleged attacks by Iran before the destruction

of the Salman and Nasr platforms; this renders the contention by the
United States that its ships were specifically targeted less credible. A ver-
bal and diplomatic battle may have been going on on a nearly daily basis,
but the bad political relations did not, until October 1987, translate into
a military confrontation.

14. 1 have thought it useful to describe the factual context since it suf-

ficiently illustrates that at the time the actions against the platforms took
place nothing was further from the minds of the Parties than the 1955
Treaty on Amity, Economic Relations and Consular Rights. This is evi-
denced by the fact that Iran in its letter to the Security Council called
these actions "acts of aggression" whereas the United States called them
"actions taken in the exercise of the inherent right of self-defence".
15. On 29 October 1987, the President of the United States promul-
gated Executive Order 12613, entitled "Prohibiting imports from Iran",
in order: "to ensure that United States imports of Iranian goods and
services will not contribute financial support to terrorism or to further
aggressive actions against non-belligerent shipping" (Counter-Memorial

of the United States, Exhibit 138). Nowhere in the Order is there any
mention of the 1955 Treaty, let alone any reference to its Article XX,
paragraph 1 (d), as a justification for the Treaty's partial suspension.
Nor did Iran at the time protest against the embargo as a measure not in
conformity with the 1955 Treaty.

16. Yet in 1992, when Iran filed its Application instituting proceedings
against the United States, it did so on the basis of the compromissory
clause contained in Article XXI of that Treaty, since that clause provided
the only possible ground for the Court's jurisdiction.

In its preliminary objections, the United States contended that the
1955 Treaty does not apply to questions concerning the use of forcede respecter le droit de libre navigation dans le Golfe (résolution 552
(1984)). Ni l'Iran ni l'Iraq n'étaient nommément citésdans le dispositif de
cette résolution, mais l'Iran estima que cette résolution n'était encore
qu'un nouvel exemple de la partialité du Conseil de sécuritépuisque la
guerre des pétroliers était due à l'initiative de l'Iraq.
13. Il est apparemment incontestable d'après les rapports établis par
des sources indépendantes comme des associations internationales de la
marine marchande qu'au cours de cette guerre des pétroliers l'Iraq et
l'Iran ont l'un et l'autre manifesté le plus parfait mépris pour les règlesà
respecter au profit des navires marchands neutres. Peu importe finale-
ment que tous les cas répertoriés dans le Lloyd's List soient effectivement
imputables à l'Iran; ce qui est pertinent, c'est que le non-respect par
l'Iran des règles de la guerre sur mer est trop bien documenté pour qu'on
puisse en faire abstraction ou pour qu'on puisse le nier. D'autre part,
d'après le Lloyd's List, seuls trois navires battant pavillon des Etats-Unis,
dont deux pétroliers battant depuis peu désormais pavillon koweïtien,
auraient étéattaqués par l'Iran avant la destruction des plates-formesde
Salman et de Nasr; cela rend moins crédible la thèse des Etats-Unis
quand ces derniers plaident que leurs navires étaient des cibles privilé-
giées.La bataille se livrait peut-être quasiment tous les jours sur le plan
verbal et diplomatique, mais ce n'est pas avant octobre 1987 que ces
fâcheuses relations politiques ont pris la forme d'une confrontation mili-
taire.
14. J'ai cru bon de dresser ce cadre factuelparce qu'il montre bien que,
à l'époque des actions dirigéescontre les plates-formes, les Parties ne Pen-
saientvraiment pas le moins du monde au traité d'amitié, de commerce et
de droits consulaires de 1955. C'est ce que prouve le fait que, dans sa
lettre au Conseil de sécurité,l'Iran a qualifié ces actions d'«actes d'agres-
sion» tandis que les Etats-Unis les qualifiaient d'«actions menées dans
l'exercice du droit naturel de légitime défense)).
15. Le 29 octobre 1987, le président des Etats-Unis a promulgué un
décret présidentiel, 1'Executive Order 12613, intitulé « Décret interdisant
les importations en provenance d'Iran» afin de ((garantir que les impor-
tations américaines de biens et services iraniens ne contribueront pas au
financement du terrorisme ou d'autres actions agressives contre le com-

merce maritime des nations non belligérantes » (contre-mémoire des Etats-
Unis, annexe 138). Il n'est nulle part dans ce décret fait état du traité de
1955, et moins encore de l'alinéa d) du paragraphe 1 de son article XX,
pour justifier cette suspensionpartielle du traité. Età l'époque l'Iran n'a
pas non plus protesté contre l'embargo en faisant valoir que cette mesure
n'était pas conforme au traité de 1955.
16. Pourtant, en 1992, quand il a déposésa requête introductive d'ins-
tance contre les Etats-Unis, l'Iran s'est fondé sur la clause compromis-
soire figurant à l'article XXI dudit traité puisque cette clause définit la
seule base de compétence qu'il fût possible de conférer à la Cour.
Dans leur exception préliminaire, les Etats-Unis ont soutenu que ce
traité de 1955 ne s'applique pas à des questions concernant l'emploi de laand that consequently the Court lacked jurisdiction to entertain Iran's
claim.
In the Judgment of 12 December 1996, the Court held that Article XX,
paragraph 1 (d), is not an exclusion clause barring the Court from test-

ing the lawfulness of measures taken to protect a party's essential security
interest, but a defence on the merits.

"A violation of the rights of one party under the Treaty by means
of the use of force is as unlawful as would be a violation by admin-

istrative decision or by any other means. Matters relating to the use
of force are therefore not per se excluded from the reach of the
Treaty of 1955. The arguments put forward on this point by the
United States must therefore be rejected." (Oil Platforms (Islamic
Republic of Iran v. United States of America), Preliminary Objec-
tion, Judgment, 1.C.J. Reports 1996 (II), pp. 811-812, para. 21 .)

The Court further concluded that the destruction of the oil platforms was
capable of having an adverse effect upon the freedom of commerce guar-
anteed by Article X, paragraph 1, of the Treaty and that its lawfulness
could be evaluated in relation to that paragraph.

17. The main issue before the Court is thus whether the United States,
by destroying Iranian oil platforms on two occasions, violated its obliga-
tion under Article X, paragraph 1, of the 1955 Treaty. It is not whether
the United States acted in violation of its obligations under the United
Nations Charter andlor general customary law. This is in striking con-
trast to the case concerning Military and Paramilitary Activities in and
ugainst Nicaragua where the Court had jurisdiction to consider both
questions since the basis of its jurisdiction was much broader and an
identical compromissory clause in a bilateral treaty between Nicaragua
and the United States was merely additional to the jurisdiction based

upon acceptance thereof by the Parties by virtue of unilateral declara-
tions made under Article 36, paragraph 2, of the Statute. In spite of the
similarities between the Nicaragua case and the present case, this essen-
tial difference should be kept in mind continuously since in the present
case the Court's jurisdiction is considerably more limited.

18. In view of the more limited scope of the Court's jurisdiction, it
would have been logical for the Court first to have ascertained whether

the destruction of the platforms was indeed a violation of Article X,
paragraph 1, since in its claim Iran had submitted that the United States PLATES-FORME PSTROLIÈRES (OP.IND. KOOIJMANS) 251

force et que par conséquent la Cour n'était pas compétente pour
connaître de la demande iranienne.
Dans son arrêt du 12 décembre 1996, la Cour dit que l'alinéa d) du
paragraphe 1 de l'article XX du traité n'est pas une clause d'exclusion

empêchant la Cour de se prononcer sur la licéitéde mesures prises pour
protéger des intérêts vitaux de l'une des parties en matière de sécurité,
mais constitue un moyen de défense au fond.
«La violation, par l'emploi de la force, d'un droit qu'une partie

tient du traité est tout aussi illicite que le serait sa violation par la
voie d'une décision administrative ou par tout autre moyen. Les
questions relatives à l'emploi de la force ne sont donc pas exclues en
tant que telles du champ d'application du traité de 1955. L'argumen-
tation exposée sur ce point par les Etats-Unis doit de ce fait être
écartée.>>(Plates-formes pétrolières (République islamique d'Iran c.
Etats- Unis d'Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.1.J. Recueil
I996 (II), p. 811-812, par. 21.)

La Cour en outre conclut que la destruction des plates-formespétrolières
est susceptible de porter atteinte à la liberté de commerce garantie par le
paragraphe 1 de l'article X du traité et que sa licéitéest dès lors suscep-
tible d'être appréciée au regard de ce paragraphe.

17. La principale question portée devant la Cour est donc de savoir si
les Etats-Unis, quand ils ont détruit à deux reprises des plates-formes
pétrolières iraniennes, ont violé l'obligation leur incombant au titre du
paragraphe 1 de l'articlX du traité de 1955. Ce n'est pas de savoir si les
Etats-Unis ont agi en violation des obligations leur incombant au titre de
la Charte des Nations Unies etlou du droit coutumier général. La situa-
tion est ici très manifestement différente de celle qui existait dans l'affaire
des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci,
dans laquelle la Cour était compétente pour examiner les deux questions

puisque sa base de compétence était beaucoup plus large et qu'une clause
compromissoire identique figurant dans un traité bilatéral conclu par le
Nicaragua et les Etats-Unis ne faisait que s'ajouter à la compétence fon-
dée sur l'acceptation de ladite compétence par les Parties en vertu de
déclarations unilatérales faites au titre du paragraphe 2 de l'article 36 du
Statut. Malgré les similitudes qui existent entre l'affaire Nicaragua et
l'affaire que la Cour examine aujourd'hui, il ne faut jamais perdre de vue
cette différence fondamentale puisque, en l'espèce, la compétence de la
Cour est infiniment plus limitée.
18. Sa compétence étant donc beaucoup plus étroite, il eût étélogique

que la Cour établisse tout d'abord si la destruction des plates-formes
constituait effectivement une violation des dispositions du paragraphe 1
de l'articleX du traité, puisque dans sa demande l'Iran avait soutenu queactions had negatively affected freedom of commerce between the terri-
tories of the Parties as guaranteed under that provision. Once that ques-
tion had been answered in the affirmative, the Court would have been
obliged to determine whether the action taken by the United States was a
measure necessary to protect its essential security interests in the sense of

Article XX, paragraph 1 (d), of the Treaty. This approach was followed
by the Court in 1986 in the Nicaragua case when it said that

"the possibility of invoking the clauses of that Article [Art. XXI,
para. 1 (d), of the 1956 Treaty of Friendship which is identical to
Art. XX, para. 1 (d), of the 1955 Treaty] must be considered once it
is apparent that certain forms of conduct by the United States would
otherwise be in conflict with the relevant provisions of the Treaty"
(Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua

(Nicaragua v. United States of America), Merits, Judgment, 1.C.J.
Reports 1986, p. 1 17, para. 225 ;emphasis added).

19. In the present Judgment, the Court has not followed this approach,
which, according to the Court, was not "dictated by the economy [a term
which 1understand to be synonymous with 'the structure'] of the Treaty"
(Judgment, para. 37). It can indeed be maintained that both Article X,
paragraph 1, and Article XX, paragraph 1 (d), are substantive, free-
standing provisions; this is not contested by either of the Parties. They
agree that the order in which the Court deals with the two provisions is a

matter for the discretion of the Court and that if the Court were to deal
first with the use of force as practised by the United States and to con-
clude that the actions against the platforms were in conformity with
Article XX, paragraph 1 (d), the question whether Article X, para-
graph 1, was violated would no longer arise.

20. In the present case, the Court has chosen this second approach; it
has explained this by pointing to the fact that "the original dispute
between the Parties related to the legality of the actions of the United
States in the light of international law on the use of force". It is true that

neither of the Parties made any reference at the time to the 1955 Treaty.
And it is equally true that, as the Court points out, during the recent pro-
ceedings the United States continued to maintain that it had justifiably
acted in exercise of the right of self-defence. But the United States also
observed that this was not a question for the Court to pass upon. During
the oral proceedings, counsel for the United States explicitly stated that

"the jurisdiction of the Court is confined to the issue of whether the
actions of the United States were necessary in order to protect its

essential security interests; that jurisdiction [of the Court] does not PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP.IND.KOOIJMANS) 252

par leurs actions les Etats-Unis avaient porté atteinte à la liberté de com-
merce garantie au titre de ladite disposition entre les territoires des
Parties. Une fois que cette question aurait reçu une réponse positive, la

Cour aurait été tenue d'établir si l'action ainsi menée par les Etats-Unis
était une mesure nécessaire à la protection de leurs intérêts vitaux en
matière de sécuritéau sens de l'alinéa d) du paragraphe 1de l'article XX
du traité. C'est là l'approche que la Cour a adoptée en 1986 dans l'affaire
Nicaragua quand elle a dit que

«la possibilité d'invoquer les clauses de cet article [il s'agit de l'ali-
néa d) du paragraphe 1 de l'article XXI du traité d'amitié de 1956
qui est identique à l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX du
traité de 19551doit êtreexaminée dèslors qu'une contradiction appa-
raît entre certaines conduites des Etats-Unis et les dispositions per-
tinentes du traité» (Activités militaires et paramilitaires au Nicara-
gua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), fond,
arrêt, C.1.J. Recueil 1986, p. 117, par. 225 ;les ,italiques sont de
moi).

19. Dans l'arrêt qu'elle rend en l'espèce, la Cour n'a pas suivi cette
approche, laquelle, selon ce qu'elle dit elle-même,n'était pas «dicté[e]par
l'économie du traité» (arrêt, par. 37) [et j'interprète ici le terme ((écono-
mie» comme étant synonyme de «construction»]. On peut en effet sou-
tenir que les deux dispositions, le paragraphe 1de l'article X et l'alinéad)
du paragraphe 1 de l'article XX, sont des dispositions de fond indépen-
dantes; ce n'est contesté par aucune des deux Parties. Elles admettent
l'une et l'autre que l'ordre dans lequel la Cour examine ces deux dispo-
sitions relève de discrétion et que, au cas où elle examinerait en premier
comment les Etats-Unis pratiquent l'emploi de la force pour conclureque
les actions menées contre les plates-formes sont conformes à l'alinéa d)
du paragraphe 1de l'article XX, la question de savoir s'il y a violation du
paragraphe 1de l'article X ne se poserait plus.
20. En l'espèce, la Cour a retenu cette seconde approche; elle explique
cette décision en faisant observer «que le différend initial entre les Parties
portait sur la licéité desactions menées par les Etats-Unis àla lumière du
droit international relatifà l'emploi de la force». Il est exact qu'à
l'époque aucune des deux Parties n'a fait état du traité de 1955. Et il est
tout aussi exact, comme la Cour le fait aussi observer, qu'en la présente
espèce les Etats-Unis ont continué d'affirmer que l'exercice du droit de
légitime défense justifiait leurs actions. Mais les Etats-Unis ont égale-
ment plaidé que ce n'était pas là une question sur laquelle la Cour avait
à se prononcer. Lors de la procédure orale, le conseil des Etats-Unis
a clairement déclaré que

«la compétencede la Cour se limite à la question de la nécessité des
actions des Etats-Unis pour la protection de leurs intérêtsessentiels
de sécurité; cette compétence [de la Cour] ne s'étend pas à la ques- extend to the issue of the legality of those actions in light of the rules
governing the use of force and self-defence" (CR 2003112, p. 26).

21. The Court has duly taken note of this position of the United States
(para. 39 of the Judgment). It observes, however, that when a measure
taken under Article XX, paragraph 1 (d), is invoked to justify actions

involving the use of force, allegedly in self-defence, the interpretation and
application of that Article will necessarily entai1 an assessment of the
conditions of legitimate self-defence under general international law and
that, consequently, its jurisdictionextends to the determination whether
action (under Article XX, paragraph 1 (dl) was or was not an unlawful
use of force, by reference to the provisions of the United Nations Charter
and customary international law. And the Court thoughtfully adds "that
its jurisdiction remains limited to that conferred on it by Article XXI,
paragraph 2, of the 1955 Treaty" (paras. 40 and 42 of the Judgment).

22. 1 seriously doubt, however, whether the Court has faithfully stuck
to this declared intention. Already in the next paragraph the Court
observes that in the present case the question whether measures taken
under Article XX, paragraph 1 (d), were necessary overlaps with the
question of their validity as acts of self-defence. And then the Court
immediately cites the 1986 Nicaragua Judgment, where it said that the
criteria of necessity and proportionality must be met if a measure is to be
qualified as self-defence. That statement, however, was made in the con-
text of the Court's dealing with the dispute concerning the lawfulness of
the use of force under customary international law as submitted to the

Court under Article 36, paragraph 2, of the Statute. That does not mean
that that statement is irrelevant for the interpretation of Article XX,
paragraph 1 (d), but it seems to pave the way for a nearly exclusive con-
sideration of the United States actions in the light of the right of self-
defence under general international law. It can therefore corne as no
surprise when the Court says in paragraph 50 that it will "first concen-
trate on the facts tending to show the validity or otherwise of the claim to
exercise the vight of self-defence" (emphasis added).

23. But that is putting the shoe on the wrong foot. For this is not the

claim before the Court, which has to decide whether the actions against
the platform can be qualified as measures necessary to protect the United
States security interests in the sense of Article XX, paragraph 1 (d), of
the 1955 Treaty, not whether they werejustified as measures taken in self-
defence under international law. It can be readily admitted that if these
measures involve the use of force, the rules of general international law
become relevant for the question whether these measures can qualify as
being "necessary". But that is something completelydifferent fromputting
these measures directly to the test of the general rules of law on the use of tion de la licéitéde ces actions au regard des règles gouvernant le
recours à la force et à la légitime défense))(CR 2003112, p. 26).

21. La Cour a dûment pris note de cette position des Etats-Unis (arrêt,
par. 39). Elle fait néanmoins observer que, lorsqu'une mesure adoptée au

titre de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX est invoquée pour jus-
tifier que soient prises au nom de la légitime défense des mesures impli-
quant l'emploi de la force, l'interprétation et l'application de cette dispo-
sition supposent nécessairement une appréciation des conditions d'exer-
cice de la légitime défense au regard du droit international généralet que,
par conséquent, la compétence qui lui est conférée l'autorise aussi à
déterminer si une action présentée comme justifiée (par l'alinéa d) du
paragraphe 1 de l'article XX) constituait ou non un recours illicite à la
force au regard de la Charte des Nations Unies et du droit international
coutumier. Et la Cour ajoute judicieusement qu'elle n'a ((que la compé-

tence que lui confère le paragraphe 2 de l'article XXI du traité de 1955))
(arrêt, par. 40 et 42).
22. Mais je suis loin d'être certain que la Cour ait fidèlement respecté
cet engagement.Dès le paragraphe suivant, la Cour observe qu'en l'espèce
la question de savoir si les mesures adoptées étaient nécessaires recoupe
en partie celle de leur validité en tant qu'actes de légitime défense. Et la
Cour cite immédiatement l'arrêt rendu en 1986 dans l'affaire Nicaragua
dans laquelle elle a relevé que les critères de nécessitéet de proportion-
nalité doivent être respectés pour qu'une mesure puisse être qualifiée
d'acte de légitime défense. Mais la Cour s'exprimait ainsi alors qu'elle

était saisie d'un différend portant sur la licéitédu recours à la force en
droit international coutumier dont elle avait à connaître au titre du para-
graphe 2 de l'article 36 du Statut. Cela ne veut pas dire que cette déclara-
tion est sans pertinence pour l'interprétation de l'alinéa d) du para-
graphe 1 de l'article XX du traité de 1955, mais cela paraît préluder à un
examen des actions des Etats-Unis se situant à peu près exclusivement
dans l'optique du droit de légitime défense en droit international général.
Il n'est donc pas surprenant que la Cour dise au paragraphe 50 de l'arrêt
qu'elle ((portera ..en premier lieu son attention sur les faits de nature à
confirmer ou à infirmer le bien-fondé de l'affirmation des Etats-Unis

selon laquelle ceux-ci auraient exercé leur droit de légitime défense )>(les
italiques sont de moi).
23. Mais on s'engage là dans la mauvaise direction. Car ce n'est pas là
la demande présentéeà la Cour, celle-ci devant décider si les actions diri-
gées contre les plates-formes peuvent être qualifiées de mesures néces-
saires à la protection des intérêtsdes Etats-Unis sur le plan de la sécurité
au sens de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX du traité de 1955 et
non pas à chercher si ces mesures étaient justifiées au titre de la légitime
défense en droit international. On peut évidemment admettre que, au cas
où ces mesures impliquent l'emploi de la force, les règles du droit inter-

national général sont alors pertinentes pour répondre à la question de
savoir si ces mesures peuvent êtrequalifiées de ((nécessaires)).Mais c'estforce. The relationship is in my opinion aptly reflected in the decision of
the Iran-United States Claims Tribunal in tlde Amoco International
Finance case when it said with regard to the 1955 Treaty that "the rules
of customary law may be useful . .. to ascertain the meaning of undefined
terms in its text or, more generally, to aid interpretation and implementa-
tion of its provisions" (15 Iran- US CTR 189, p. 222, para. 112).

24. The Court, however, considers the United States actions nearly
exclusively in the light of the right of self-defence and returns only at
a rather late stage to the terms of Article XX, paragraph 1 (d) (para. 73
of the Judgment). In doing so, it takes as its point of departure the
letters sent to the Security Council by the United States Permanent Repre-
sentative after each of the two incidents, letters that were inevitably
worded in Charter-language and mostiaertainly would not have referred
to Article XX, paragraph 1 (d), of the 1955 Treaty even if the United
States had linked the actions against the platforms with that Treaty. It
is these letters, from which the United States understandably did not
distance itself in the present proceedings, which are constantly réferred

to as yardsticks for the evaluation of the conduct of the United States.
25. The result is that the Court in paragraph 78 of the Judgrnent con-
cludes that the actions carried out by United States forces against the oil
platforms constituted recourse to armed force not qualifying, under inter-
national law on the question, as acts of self-defence, and thus did not fa11
within the category of measures contemplated by Article XX, para-
graph 1 (d), of the 1955 Treaty (emphasis added). But as Judge Jennings
pointedly said in his opinion in the Nicaragua case:

"The question .. .is not ... whether such measures are justified in
international law as action taken in self-defence .. .;the question is
whether the measures in question are, or are not, in breach of the
Treaty." (Military and Paramilitary Activities in and against Nica-
ragua (Nicaragua v. United States of America), Merits, Judgment,
1.C.J. Reports 1986, p. 541.)

26. The parallel finding of the Court in the dispositzx where it is said
that the actions against the platforms cannot be justified as measures
necessary to protect the essential security interests of the United States
"as interpreted in the light of international law on the use of force"
(emphasis added), is in my opinion phrased in a way which is more in
conformity with the proper character of the Court's jurisdiction.

27. The question may, however, be raised whether this finding should

have a place in the dispositifin view of the fact that it is not relevant for
the Court's ultimate decision on Iran's claim, viz. that the actions against PLATES-FORME PSTROLIÈRES (OP. IND. KOOIJMANS) 254

là tout autre chose que de soumettre directement ces questions au critère
des règles généralesde droit applicables à l'emploi de la force. La relation
est à mes yeux jugée comme il convient dans la décision que le Tribunal
des réclamations Etats-UnisIIran a rendue dans l'affaire Amoco Interna-

tional Finance lorsque le Tribunal dit en ce qui concerne le traité de 1955
que «les règles du droit coutumier peuvent servir ...à établir le sens
de termes qui ne sont pas définis dans son texte ou, plus généralement,
pour faciliter l'interprétation et la mise en Œuvre de ses dispositions))
(15 Iran- US CTR 189, p. 222, par. 112).
24. Or, la Cour considère les actions des Etats-Unis à peu près exclu-
sivement dans l'optique du droit de légitime défense et ne revient qu'assez
tard au texte mêmede l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX (arrêt,
par. 73). Ce faisant, la Cour prend pour point de départ les lettres adres-
séesau Conseil de sécuritépar le représentant permanent des Etats-Unis

après chacun des deux incidents considérés, lettres qui s'inspirent imman-
quablement du texte de la Charte et qui n'auraient quasi certainement
pas fait état de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX du traité de
1955 même si les Etats-Unis avaient rattaché audit traité les actions diri-
géescontre les plates-formes. Ce sont ces lettres dont les Etats-Unis n'ont
évidemment pas voulu s'écarter en l'espèce qui servent constamment de
critère d'évaluation du comportement des Etats-Unis.
25. En conséquence, la Cour est finalement amenée à conclure au
paragraphe 78 de l'arrêt que les actions menées par les forces américaines
contre les plates-formes pétrolières constituaient un recours à la force

armée ne pouvant être considéréau regard du droit international relatif à
cette question comme des actes de légitime défense et ne relevaient donc
pas de la catégorie des mesures prévues à l'alinéa d) du paragraphe 1 de
l'articleXX du traité de 1955 (les italiques sont de moi). Mais comme
l'avait fait observer avec raison dans son opinion le juge Jennings en
l'affaire Nicaragua :

«La question ...n'est pas de savoir si ces mesures sont justifiées en
droit international en tant que mesures prises à titre de légitime
défense ..; il s'agit de savoir si ces mesures constituent ou non une
violation du traité. )) (Activités militaires et paramilitaires au Nica-
ragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats- Unis d'Amérique), fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 541.)

26. Quand la Cour fait écho à ce texte dans son dispositif lorsqu'elle
dit que les actions dirigées contre les plates-formes ne sauraient être jus-
tifiées en tant que mesures nécessaires à la protection des intérêts vitaux
des Etats-Unis sur le plan de la sécurité «tel qu'interprété à la lumière du
droit international relatif à l'emploi de la force)) (les italiques sont de
moi), elle s'exprime à mes yeux d'une manière plus conforme à la vraie
nature de sa compétence.

27. On peut toutefois se poser la question de savoir si cette constata-
tion a bien sa place dans le dispositif étant donné qu'elle est sans perti-
nence pour la décision finale que la Cour formule sur la demande ira-the platforms did not infringe the freedom of commerce in oil between
the territories of the Parties.

28. In this respect, it may be recalled that the Court in paragraph 34 of

the Judgment said that
"If in the present case the Court is satisfied . . that the actions
against the oil platforms were ... 'measures . .. necessary to protect
[the] essential security interests' of the United States . .. it must hold
that no breach of Article X, paragraph 1, of the Treaty has been

established."

The Court came, however, to the opposite conclusion (a conclusion
which 1share) :the actions against the platforms do not qualify as "meas-
ures" under Article XX, paragraph 1 (d). That conclusion, therefore,

does not release the Court from the separate task of considering whether
the actions adversely affected the freedom of commerce in the sense of
Article X, paragraph 1.
29. From a procedural point of view the Court's consideration of
Article XX, paragraph 1 (d), became irrelevant for the decision on the
claim, its effect merely being that that claim had to be decided on
arguments material to Article X, paragraph 1, itself. And from a more
practical point of view, one could say that the Court could have spared
itself a lot of work if it had taken the same approach as it had taken
in 1986 in the Nicaragua case and had dealt first with Article X, para-
graph 1. In the present case the Court would have found (as it actually

did) that there was no violation of Article X, paragraph 1, and the
whole issue of Article XX, paragraph 1 (d), could have been left aside,
an outcome which is totally different from that reached in 1986.

30. It is not my intention to criticize the Court for the fact that it
decided to deal in depth with the lawfulness of the actions against the
platforms under Article XX, paragraph 1 (d). Nor do 1 seriously doubt
the Court's wisdom in taking up this issue first and considering only at
a later stage the main issue of a violation of Article X, paragraph 1,
although with hindsight it can be said that that would have been the

more logical and, therefore, the more desirable approach. But pure logic
does not always provide the most desirable solution.

31. As the Court correctly states: the order in which the two Articles
must be dealt with is not dictated by the structure (or "economy" as the
Court calls it) of the Treaty: Article XX is not an exoneration clause. The
Court was free to go either way. Whether it is still correct to speak of a
defence on the merits (as the Court did in 1996 and still does in para-
graph 33 of the Judgment) if the defence is taken up before the merits is
debatable but is in my view not essential. The Court is free to choose
which way to go and to give its reasons for that choice. In the present PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP. IND. KOOIJMANS) 255

nienne, laquelle est que les actions dirigées contre les plates-formes n'ont
pas porté atteinte à la liberté de commerce entre les territoires des Parties
dans le secteur pétrolier.
28. A cet égard, il faut se souvenirque la Cour dit au paragraphe 34 de
l'arrêt:

«Si en la présente espèce la Cour est convaincue ...[que] les
actions menées contre les plates-formes pétrolières étaient ...des
((mesures ...nécessaires ...à la protection des intérêts vitaux [des
Etats-Unis] ...sur le plan de la sécurité » ...elle doit en conclure
qu'aucune violation du paragraphe 1 de l'article X du traité n'a été
établie.»

La Cour a toutefois abouti à la conclusionopposée (conclusion àlaquelle
je souscris): les actions dirigées contre les plates-formes ne constituent
pas des «mesures» au sens de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX.
Cette conclusion ne libère par conséquent pas la Cour de l'obligation dis-
tincte d'examiner si ces actions ont porté atteinte à la liberté de commerce
au sens du paragraphe 1 de l'article X.
29. D'un point de vue procédural, l'examen par la Cour de l'alinéa d)
du paragraphe 1 de l'article XX a perdu toute pertinence pour la décision
relative à la demande, cet examen ayant simplement pour effet qu'il faut
se prononcer sur ladite demande à partir d'arguments concernant le para-
graphe 1 de l'article X lui-même. Et d'un point de vue plus pratique, on
peut dire que la Cour se serait épargné beaucoup de peine si elle avait
adopté l'approche qu'elle a retenue en 1986 dans l'affaire Nicaragua et
avait abordé en premier lieu l'examen du paragraphe 1 de l'article X. En
la présente espèce, la Cour aurait constaté (comme elle l'a fait du reste)
qu'il n'y avait pas violation du paragraphe 1 de l'article X et qu'il était
possible de faire abstraction de toute la question de l'alinéa d) du para-
graphe 1 de l'article XX, conclusion totalement opposée à celle de 1986.
30. Je n'entends pas reprocher à la Cour d'avoir décidéd'examiner
minutieusement la question de la licéité des actions dirigées contre les
plates-formes au regard de l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX. Je
ne suis pas non plus certain que la Cour ait eu tort d'examiner en premier
lieu cette question pour s'intéresser ensuite seulement à la grande ques-
tion d'une violation éventuelle du paragraphe 1 de l'article X, mêmesi, à
posteriori, on peut dire que c'était là l'approche la plus logique et par
conséquent la plus opportune. Mais la logique pure ne donne pas tou-
jours la solution la plus opportune.
31. Comme la Cour le dit bien: l'ordre dans lequel il faut considérer
les deux articles du traité n'est pas dicté par la construction de ce dernier
(ou son «économie», comme dit la Cour): l'article XX n'est pas une
clause d'irresponsabilité. La Cour pouvait s'engager dans une voie ou
bien dans l'autre. On peut discuter du point de savoir si l'on peut encore
parler de défense au fond (comme la Cour l'a fait en 1996 et le fait encore
au paragraphe 33 de son arrêt) lorsque ce moyen est invoqué avant le
stade du fond, mais à mon avis ce n'est pas indispensable. La Cour peutcase, the Court gave as its main argument the fact that the United States
measures involved the use of force and that the lawfulness of these
measures had been fiercely disputed between the Parties.

32. It is indeed true that the issue of the lawfulness of the United
States actions covered a major part of the Parties' arguments and that
therefore much pleads for the Court taking special note of these argu-

ments. But the fact that the lawfulness of the use of force as practised by
the United States was fiercely disputed between the Parties does not mean
that that issue was the dispute before the Court. That dispute was
whether the United States had violated Article X, paragraph 1, concern-
ing freedom of commerce between the territories of the Parties. The
Court did not have two heads of jurisdiction: one concerning Article X,
paragraph 1, and one concerning Article XX, paragraph 1 (d).
Article XX, paragraph 1 (d), is only relevant in its connection with
Article X, paragraph 1. The whole matter of Article XX, paragraph 1 (d),
could have been relevant for the definitive settlement of that dispute,

but once it was found not to be, it was no longer a ground upon which
the Court could base its Judgment. The Court's finding in this respect
therefore should not be part of the dispositif, which is a decision on the
Applicant's claim, and that claim could be sufficiently disposed of by
considering Article X, paragraph 1, in its own right.

33. There may be an "economy of a treaty" but there certainly is also
an "economy of a Judgment". The first law of that latter economy is not
to mix up reasoning and dispositzx The operative part of a judgment is
the disposition on the final submissions.

"A party's final submission in a case consists of a statement of
what it claims in the case, or is requiring from the Court, and not of
the reasoning by reference to which it maintains that the Court
should act in accordance with the submission."*

Iran's final submission was simple and clear (see paragraph 20 of the
Judgment) and the Court adequately replied to that submission in the
second part of paragraph 1 of the dispositif.The first part of that para-
graph is redundant: it introduces an obiter dictum into the operative part
of a judgment.
34. That does not mean that the Court's reasoning should not reflect
the main arguments of the Parties. Sir Hersch Lauterpacht notes with
approval that :

Sir Gerald FitzmauricThe Law and Procedure of the International Court of Justice,
1986, Vol. II, p. 578.

99choisir en toute liberté la voie à suivre et peut motiver ce choix. En la
présente espèce, la Cour invoque pour principal argument le fait que les
mesures prises par les Etats-Unis consistaient à recourir à la force et que

la licéitédesdites mesures avait fait l'objet d'intenses débats entre les
Parties.
32. Il est exact en effet que cette question de la licéité desactions des
Etats-Unis a occupé.une place considérable dans les thèses des Parties et
que la Cour est donc largement fondée à prendre particulièrement en
considération lesdites thèses. Mais le fait que la licéitéde l'emploi de la
force par les Etats-Unis ait tenu une telle place dans les thèses des Parties
ne signifie pas que cette question représentait le différend porté devant la
Cour. Ce différend portait sur le point de savoir si les Etats-Unis avaient
violé le paragraphe 1 de l'article X du traité relatià la liberté de com-
merce entre les territoires des Parties. La Cour n'était pas dotée de deux
titres de compétence, un titre concernant le paragraphe 1 de l'article X et
l'autre titre concernant l'alinéad) du paragraphe 1 de l'article XX. L'ali-
néad) du paragraphe 1de l'article XX n'a de pertinence que par rapport
au paragraphe 1 de l'article X. Toute la question de l'alinéa d) du para-
graphe 1 de l'article XX aurait pu être pertinente pour le règlement final
du différend, mais, une fois constaté que tel n'était pas le cas, ce ne pou-
vait plus êtrele terrain sur lequel la Cour pouvait fonder son arrêt. Le
prononcé de la Cour à cet égard ne devrait donc pas faire partie du dis-
positif qui exprime la décision relativeà la demande de 1'Etat demandeur
et l'on pouvait amplement répondre à cette demande en examinant iso-
lément le paragraphe 1 de l'article X.
33. Si l'on peut parler de ((l'économied'un traité)),on peut incontes-
tablement aussi évoquer «l'économie d'un arrêt». Et s'agissant de l'éco-
nomied'un arrêt,la première règle à respecter est de ne pas mêlermotiva-
tion et dispositif.Dans son dispositif, l'arrêt énonce la décision adoptée
au sujet des conclusions finales.

«La conclusion finale d'une partie àune affaire consiste à énoncer
la demande qu'elle formule en l'espèce, ou à laquelle elle veut que la
Cour réponde, et elle n'énonce pas les motifs au titre desquels la
Cour doit à son avis se prononcer sur ladite conclusion. »2

La conclusion finale de l'Iran était simple et claire (arrêt, par. 20) et la
Cour répond comme il convient à ladite conclusion dans la seconde par-
tie du paragraphe 1 du dispositif. La première partie dudit paragraphe est
superflue: elle introduit un obiter dictum dans le dispositif d'un arrêt.

34. Cela ne veut pas dire que, dans la motivation, la Cour ne doit pas
tenir compte des principales thèses des Parties. Sir Hersch Lauterpacht
approuve la façon de faire de la Cour dans les termes suivants:

Sir Gerald Fitzmaurice, The Law and Procedure of the International Court of Justice,
1986,vol. II, p. 578. "In general, the Court has examined, with exacting care, the issues
raised by the Parties in their pleadings so far as this has been neces-
sary for explaining its decisions. This it has done even if the Judg-
ment or Opinion could be made to rest on a narrower ground than
that actually adopted."

In this respect the present Judgment would certainly not have disappointed
Sir Hersch. But he most certainly would not have endorsed the inclusion of
an argument in the dispositif which is not a ground for the decision.
35. But the inevitable effect of the prominent place given to Article XX,
paragraph 1 (dl, and its interpretation in the light of general inter-
national law, combined with the first part of paragraph 1 of the dis-
positif,is that the Judgment reads more like a judgment on the legality of
the use of force than as one on the violation vel non of a commercial
treaty. One can only wonder what the effect will be on States which are

parties to comparable treaties with a compromissory clause.

36. 1 find the Court's argument leading to the conclusion that the
actions against the platforms cannot be said to have infringed the free-
dom of commerce in oil between the territoriesof the Parties persuasive
and legally well argued.

In particular, 1 share the view that the platforms were not merely sites
for the extraction of oil, but also were involved in the transport of goods
destined to be exported and that therefore in principle their destruction
affected adversely the freedom of commerce as protected by Article X,
paragraph 1, of the 1955 Treaty. It is, however, the limitation of that pro-
tection to commerce between the territories of the Parties in combination
with the fact that no actual commerce in oil produced at the platforms
was taking place between these territories because they did not at the
time of the attack produce oil or because the embargo imposed by United

States Executive Order 12613 had taken effect, which must lead to the
conclusion that there was no actual infringement of that freedom of com-
merce.
37. Although Iran's argument that the key issue is not the damage in
practice but the violation of the freedom in general to engage in com-
merce is theoretically not without merit, it has to be kept in mind that
the 1955 Treaty is a bilateral treaty enumerating the Parties' specific
obligations vis-à-vis each other. It would go too far to interpret the
term freedom of commerce in such a broad way that it would encom-

Sir Hersch Lauterpacht,The Development of InternationaLaw by the International
Court, 1982, p. 6;emphasis added.

1O0 «En règle générale,la Cour a minutieusement examiné les ques-
tions soulevées par les Parties dans leurs écritureset leurs plaidoiries
dans la mesure où c'était indispensable pour expliquer ses décisions.
Et la Cour procède ainsi mêmesi l'arrêtou l'avis peut être fondé sur
une base plus étroite que celle qui a été retenue. »3

A cet égard, le présent arrêt n'aurait pas déçu sir Hersch Lauterpacht.
Mais celui-ci n'aurait certainement pas souscrit à la présence dans le dis-
positif d'un argument qui ne motive pas directement la décision.
35. La place éminente qui est ainsi donnée à l'alinéa d) du para-
graphe 1 de l'article XX et l'interprétation qui en est faite du point de vue
du droit international généraldans le cadre mêmede la première partie du
paragraphe 1 du dispositif auront inévitablement pour effet que l'arrêt,
pour le lecteur, porte plus sur la licéitéde l'emploi de la force que sur la
violation vel non d'un traité de commerce. Reste à savoir quelle leçon en
tireront les Etats qui sont parties à des traités comparables assortis d'une
clause compromissoire.

36. L'argumentation de la Cour me paraît convaincante et juridique-
ment bien étayéequand la Cour aboutit à la conclusion que les actions
dirigées contre les plates-formes ne sauraient être considérées comme
ayant porté atteinte à la liberté de commerce du pétrole entre les terri-
toires des Parties.
En particulier, je partage l'idéeque les plates-formesn'étaient pas seu-
lement des sites d'extraction de pétrole mais participaient aussi au trans-
port de biens destinés à l'exportation et que par conséquent, en principe,
leur destruction portait atteinte à la liberté de commerce protégéepar le
paragraphe 1 de l'article X du traité de 1955. C'est toutefois le fait que
cette protection du commerce entre les territoires des Parties est donc
limitée, associé au fait qu'il n'existait aucun commerce de pétrole produit
sur les plates-formes entre les territoires des Parties parce qu'il n'existait
pas de production pétrolière sur les plates-formes à l'époque des at-
taques, ou parce que l'embargo imposé au titre du décret 12613 des Etats-
Unis était entré en vigueur, qui doivent porter à conclure qu'il n'a pas été
concrètement porté atteinte à cette liberté du commerce.
37. L'Iran plaide que la question clé à laquelle il faut répondre porte
non sur les dommages subis concrètement mais sur la violation de la
liberté de pratiquer le commerce en généralet l'argumentation n'est en
principe pas sans intérêt, mais il ne faut pas oublier que le traité de1955
est un traité bilatéral énumérant les obligations précises que chacune des
Parties contracte vis-à-vis de l'autre. Ce serait aller trop loin que d'inter-

Sir Hersch Lauterpacht, The Development of International Law by the International
Court, 1982, p. ;1les italiques sont de moi.pass also the trade in goods only to be produced or to be traded at a
later stage.

38. Likewise, Iran's argument that the United States Executive Order
imposing the embargomade an exception for "petroleum products refined
from Iranian crude oil in a third country", thus allowing commerce in oil

to continue, tends to ignore that a bilateral treaty can only be expected to
protect recognizable and identifiable trade. "Recognizable" means that
there must be a commercial transaction or a set of such transactions
which directly connect the territories of the Parties; identifiable means
that the object of these transactions can be demonstrated as moving from
the territory of one Party to that of the other.

The Court rightly concludes (para. 97 of the Judgment) that what is

called "indirect commerce" by Iran is not commerce between Iran and
the United States, but commerce of each of them with intermediaries
which prevent them from bearing responsibility for the transactional
phase in which they are not involved.
As for the requirement of "identifiability", itis Iran's expert, Professor
Odell, himself who describes the third country's downstream oil industry
as being capable of most effectively "de-nationalizing" the crude oil
moving into it.

"The conversion of each barre1 of that crude into a slate of

products .. . [makes] it impossible for any recipient of such products
to demonstrate that those products were not derived in part from a
crude which was embarg&d." (Odell Report, p. 9, ~eil~ of Iran,
Vol. III.)

This "denationalizing" effect is clearly demonstrated by the surveys of
United States General Imports and Imports for Consumption presented
by the United States, which mention Iran as the country of origin of
imported crude oil (until the embargo became truly effective), but never
as the country of origin of (crude) oil derivatives, whether before the issu-
ance of the embargo or thereafter (Counter-Memorial of the United
States, Exhibit 141). This is also in conformity with international trade

practice, which tends to base determinations of origin either on the coun-
try where the good was wholly obtained or the country where the good
underwent its last substantial transformation ; oil derivates fa11 in the
latter category4.

39. As for the counter-claim of the United States, 1 fully share the
Court's view that in order for it to determine the existence of a violation

-
Michael J. Trebilcockand Robert Howse, The Regulation of International Trade,
1999, p. 128. PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP.IND.KOOIJMANS) 258

préter l'expression «liberté de commerce » si largement qu'elle s'applique-
rait mêmeau commerce de marchandises dont la production, l'achat ou
la vente n'auraient lieu qu'ultérieurement.
38. De même, quand l'Iran soutient que le décret officiel des Etats-

Unis (Executive Order) imposant l'embargo commercial comportait une
exception en faveur des ((produits pétroliers raffinés à partir de brut ira-
nien dans un pays tiers», ce qui permet de continuer à pratiquer le com-
merce du pétrole, l'Iran paraît oublier qu'un traité bilatéral ne peut être
censé protéger qu'un commerce qu'il soit possible de reconnaître et
d'identifier. Reconnaître » signifie qu'il doit exister une transaction com-
merciale ou une sériede transactions de ce type qui rattache directement
les territoires des Parties ; ((identifier » signifie qu'il doit êtrepossible de
prouver que l'objet de ces transactions se déplace depuis le territoire de
l'une des Parties pour gagner le territoire de l'autre.

La Cour a raison de conclure (arrêt, par. 97) que ce que l'Iran qualifie
de ((commerceindirect » ne désigne pas le commerce pratiqué entre l'Iran
et les Etats-Unis mais le commerce pratiqué par chacune des Parties avec
des intermédiaires de sorte que chacun des deux pays n'est pas respon-
sable de la phase des transactions à laquelle il ne participe pas.
Sur l'obligation qui est faite de pouvoir ((identifier)) l'objet de la tran-
saction, c'est l'expert de l'Iran lui-même, le professeur Odell, qui dit de
l'industrie pétrolière d'aval du pays tiers qu'elle parvient avec un maxi-
mum d'efficacité à «dénationaliser » le pétrole brut.

((Comme chaque baril de ce pétrole brut est converti en toute une
gamme de produits ...il est [désormais] impossible à tout pays qui
accueille ces produits de prouver que le brut dont ils sont issus

n'était pas soumis à embargo, du moins en partie. » (Rapport Odell,
p. 9, réplique de l'Iran, vol. III.)

Cette «dénationalisation» est clairement établie dans les études rela-
tives aux importations générales et aux importations de produits de
consommation présentées par les Etats-Unis, lesquelles désignent l'Iran
comme le pays d'origine du pétrole brut importé (jusqu'au moment où
l'embargo fut véritablement en vigueur) maisjamais comme le pays d'ori-
gine de produits pétroliers dérivés (à partir de pétrole brut), que ce soit
avant ou après l'instauration de l'embargo (contre-mémoire des Etats-
Unis, annexe 141). Cet état de choses est également conforme à la pra-
tique commerciale internationale, laquelle attribue généralement l'origine
soit au pays où le bien a étéacquis dans son intégralité, soit au pays où le

bien a subi sa dernière transformation importante; les dérivéspétroliers
relèvent de cette seconde catégorie4.
39. En ce qui concerne la demande reconventionnelle des Etats-Unis,
j'adhère pleinement aux vues de la Cour: pour qu'elle établisse qu'il y a

Michael J. Trebilcock et Robert Howse, The Regulation of International Trade, 1999,
p. 128.

101of the obligation to respect freedom of commerce and navigation, the
claimant must demonstrate that the objects affected by such violating
acts were actually involved in such commerce or navigation between
the territories of the parties. If theclaimant fails to substantiate this, the
ground for the claim falls away irrespective of the question whether the
violating acts can be attributed to the other party or whether the claim-

ant could act for the allegedly affected targets. The Court's reasoning
could therefore be rather straightforward and 1 find no fault with it.

40. As for the United States generic claim based on the alleged respon-
sibility of Iran for the creation of a particularly unsafe situation in the
Gulf which led to higher labour and insurance costs, such a claim can
only be upheld if the claimant demonstrates damages which are directly
linked to a concrete infringement of the freedom of commerce and navi-
gation between the parties' territories. Increased costs which are not
directly caused by such an infringement are insufficient for such purpose.

41. The most voluminous part of the reasoning in the Judgment deals
with the question whether the United States actions could qualify as acts
of self-defence and thus as measures necessary to protect its essential
security interests (Judgment, para. 78).

42. As 1 said before, the approach taken by the Court is putting the
cart before the horse. The Court rightly starts by saying that it is its com-
petence to interpret and apply Article XX, paragraph 1 (d) (Judgment,
para. 33), but it does so by directly applying the criteria of self-defence
under Charter law and customary law and continues to do so until it

reaches its conclusion in paragraph 78.

43. The proper approach in my view would have been to scrutinize
the meaning of the words "necessary to protect the essential security
interests" in Article XX, paragraph 1 (d). In 1986 the Court said in
this respect :

"The Court has . . to assess whether the risk run by these 'essen-
tial security interests'is reasonable, and secondly, whether the meas-
ures presented as being designed to protect these interests are not
merely useful but 'necessary'." (Military and Paramilitary Activities
in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States of America),
Merits, Judgment, I. C.J. Reports 1986, p. 117, para. 224.)

44. In my opinion, this is a rather felicitous choice of words. With
regard to the assessment of the risk run by the essential security interests,
the term "reasonableness" is used; with regard to the "measures taken",
the Court States that it is not sufficient that they may be deemed "useful"
but that they must be necessary. This seems to indicate that with regardviolation de l'obligation de respecter la liberté de commerce et la naviga-
tion, l'auteur de la demande doit prouver que l'objet des atteintes dues
aux actes incriminés participait effectivement de ce commerce ou de cette

navigation entre les territoires des parties. Si l'auteur de la demande ne
parvient pas à donner cette preuve, sa demande n'est plus fondée, indé-
pendamment de la question de savoir si les actes incriminéspeuvent être
imputés à la partie adverse ou si l'auteur de la demande peut se prévaloir
des prétendues atteintes. La Cour pouvait donc raisonner assez simple-
ment et je ne trouve rien à redire à sa motivation.
40. Quand, par ailleurs, les Etats-Unis reprochent à l'Iran d'avoir créé
dans le Golfe une situation particulièrement dangereuse qui a favorisé
l'augmentation des coûts de la main-d'Œuvre et des assurances, pareille
demande ne peut êtreaccueillie que si son auteur prouve l'existence de
dommages directement liés à une atteinte concrète à la liberté de com-

merce et de navigation entre les territoires des parties. Deaugmentations
de prix qui ne sont pas dues directement à ce type d'atteinte sont insuf-
fisantes à cette fin.
41. La motivation de l'arrêtporte pour sa plus grande part sur la ques-
tion de savoir si les actions des Etats-Unis peuvent être considérées
comme des actes de légitime défense et par conséquent comme des me-
sures nécessaires à la protection de leurs intérêts vitaux sur le plan de la
sécurité(arrêt, par. 78).
42. Comme je l'ai dit, l'approche adoptée par la Cour consiste à mettre
la charrue avant les bŒufs. La Cour commence comme elle le doit en
disant qu'elle a compétence pour interpréter et appliquer l'alinéa d) du
paragraphe 1 de l'articleXX (arrêt, par. 33)' mais elle le fait en appli-

quant immédiatement les critères de la légitime défense au titre de la
Charteet du droit coutumier, et poursuit dans cette voie jusqu'au moment
où elle aboutit à la conclusion qu'elle formule au paragraphe 78.
43. L'approche à adopter consistait à mon sens à examiner de près le
sens des mots ((nécessaires à la protection des intérêts vitaux de [la]
Haute Partie contractante sur le plan de la sécurité))figurant à l'alinéa d)
du paragraphe 1 de l'article XX du traité. En 1986, la Cour a dit à ce
sujet :

«La Cour doit ...se prononcer sur le caractère raisonnable du
péril encouru par ces ((intérêtsvitaux en ce qui concerne la sécurité ))
et ensuite sur le caractère non seulement utile mais ((nécessaire)) des
mesures présentées comme destinées à en assurer la protection.»
(Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats- Unis d'Amérique), fond, arrêt, C.1.J. Recueil
1986, p. 117, par. 224.)

44. Le choix des termes est à mon sens ici assez heureux. Quand la
Cour doit se prononcer sur le risque encouru par les intérêts vitaux sur le
plan de la sécurité, c'est du ((caractère raisonnable)) du péril que l'on
parle; s'agissant des ((mesures prises)), la Cour dit qu'il ne suffit pas
qu'elles soient réputées ((utiles)), il faut qu'elles soient nécessaires. Celato the measures taken a stricter test must be used than with regard to the
assessment that essential security interests are at risk. There seem to be

good reasons for such a distinction with regard to the margin of discre-
tion to be left to governmental authorities. The evaluation of what essen-
tial security interests are and whether they are in jeopardy is first and
foremost a political question and can hardly be replaced by a judicial
assessment. Only when the political evaluation is patently unreasonable
(which might bring us close to an "abuse of authority") is a judicial ban
appropriate. And although the choice of means to be taken in order to
protect those interests will also be politically motivated, that choice lends
itselfmuch more to judicial review and thus to a stricter test, since the
means chosen directly affect the interests and rights of others. Moreover,

the means by which interests may be protected are usually subjected to
legal prescriptions that are stricter and more compelling as the interests
and rights that may be affected are deemed more important by the law.

45. In the case before the Court the United States has concluded that
a missile attack on and the mining of ships flying its flag combined with
other acts endangering neutral shipping are a threat to its essential secu-
rity interests.1 find it difficult to apply the test of reasonableness and to
conclude that the American assessment cannot stand that test. Any other

government finding itself in the same situation might have come to the
same conclusion and the reactions of a large number of other govern-
ments confirm that assessment.

46. Confronted with this threat to its essential security interests the
United States decided (unlike other States) no longer to use diplomatic
and other political pressure, but to opt for a reaction which involved the
use of force. By doing so, it opted for means the use of which must be
subjected to strict legal norms, since the prohibition of force is considered
to have a peremptory character. The measure of discretion to which the

United States is entitled is therefore considerably more limited than if it
had chosen, for instance, the use of economic measures.

47. This brings us to the question which criteria must be used when the
legality test is applied. In this respect, the United States claims that the
1955 Treaty is a lex specialis and that consequently the criterion of
the Charter-based notion of self-defence cannot be applied. As counsel
for the United States stated:

"The standard for determining the lawfulness under the 195.5
Treaty of the United States action is not self-defence; it is the need
to take these actions to protect essential security interests. Conse-
quently, if the action with which the United States is reproachedsemble dire que, en ce qui concerne les mesures prises, il faut recourir à
un critère plus strict que celui qui consistà apprécier le périlencouru par
les intérêts vitaux sur le plan de la sécurité.La distinction paraît justifiée
en raison de la latitude à réserver aux autorités du pays. Evaluer ce que
sont les intérêts vitaux sur le plan de la sécuritéet apprécier si lesdits inté-
rêtssont en danger constituent avant tout, par définition, une question
politique qu'il n'est guère possible de remplacer par une appréciation
judiciaire. Ce n'est qu'au cas où l'évaluation politique est manifestement
déraisonnable (ce qui pourrait nous mettre au bord de l'«abus de pou-
voir ») qu'une interdiction judiciaire seraitjustifiée. Le choix des moyens
à retenir pour protéger ces intérêtsrépondra lui aussi à des motivations
politiques, mais ce choix se prête beaucoup plus à l'examen judiciaire et
donc à un critère plus strict car les moyens choisis retentissent directe-
ment sur les intérêts etles droits d'autrui. En outre,les moyens propres à

la protection d'intérêts font généralement l'objet de prescriptions juri-
diques d'autant plus stricteset plus contraignantes que la loi accorde plus
d'importance aux intérêtset aux droits qui risquent d'être mis en cause.
45. En la présente espèce, les Etats-Unis ont conclu que lancer des at-
taques au missile sur des navires battant pavillon américain, poser des mines
sur le trajet de ces navires ainsi que d'autres actions mettant en danger des
navires neutres menaçaient leurs intérêtsvitaux sur le plan de la sécurité.
Ici,j'ai du mal à appliquer le critère du caractèreraisonnable et àconclure
que l'appréciation de la situation par les Etats-Unis ne répond pas au cri-
tère. N'importe quel autre Etat se trouvant dans la mêmesituation aurait
pu aboutir à la même conclusion et la réaction d'un grand nombre
d'autres pays confirme notre appréciation sur ce point.
46. Face à cette menace pesant sur leurs intérêts vitaux en matière de
sécurité, les Etats-Unis ont (à la différence d'autres Etats) décidéde
renoncer à exercer des pressions, diplomatiques notamment, et d'opter
pour une réaction impliquant le recours à la force. Ce faisant, les Etats-
Unis ont choisi des moyens dont l'emploi est nécessairement soumis à des
normesjuridiques strictes,puisque l'interdiction de recourir à la force est
censée avoir un caractère impératif. La latitude qui revient aux Etats-
Unis est par conséquent infiniment plus limitée qu'elle ne serait au cas où
les Etats-Unis auraient choisi, par exemple, d'adopter des mesures éco-
nomiques.
47. Cela nous amène à la question de savoir quels sont les critères à
appliquer quand il faut s'en remettre à l'appréciation de la licéitéd'une
mesure. A cet égard, les Etats-Unis font valoir que le traité de 1955 revêt
une spécificité,un caractère de lex specialis,et que par conséquent il n'est
pas possible d'appliquer le critère de légitime défenseinspiré de la Charte.
Comme le dit à ce sujet le conseil des Etats-Unis:

«Le critère de la licéité desmesures américaines au regard du traité
de 195.5n'est pas la légitime défense, elle est la nécessitéde ces me-
sures pour la protection d'intérêtessentiels en matière de sécuritéPar
conséquent, dèslorsque les mesures reprochées auxEtats-Unisétaient were necessary to protect its essential security interests, they were
lawful with respect to Article X of the 1955 Treaty." (CR 2003112,
p. 19; emphasis in the original.)

48. This position, although formally correct, is nevertheless question
begging. The Court's jurisdiction is limited to the interpretation and
application of the 1955 Treaty; it cannot therefore determine whether
certain acts are contrary to the Charter provisions and the customary
rules of the law on self-defence. But neither Article XX, paragraph 1 (dj,
itself nor any other provision of the Treaty contains elements which
enable the Court to apply the legality test with regard to the question
whether measures, taken to protect the essential security interests, are
necessary indeed. The Court, therefore, has no choice but to rely for this
purpose on the body of general international law.

49. General international law is therefore indispensable as a standard
of interpretation of the provisions of the 1955 Treaty. If the measures
taken involve the use of force, it is therefore the rules on the use of force
which have to be called in in order to enable the Court to appreciate the
lawfulness of these measures. Counsel for the United States was right
when he said that if the United States measures are deemed to be neces-
sary to protect its essential security interests, there is no need to ask
whether these measures were also taken in the exercise of self-defence.
But in order to come to the first conclusion, the law on the right of self-

defence cannot be disregarded.

50. The Court's Judgment in the Nicaragua case is in my opinion
highly illustrative in this respect. With regard to the trade embargo,
which had already been found to be contrary to Article XIX (the Article
on freedom of commerce) of the 1956 FCN Treaty (Military and Para-
military Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States
of America j, Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986, p. 140, para. 279),
the Court asked the question whether its wrongfulness was precluded by
Article XXI, paragraph 1 (dj. The Court first applied the test of reason-

ableness and came to a negative conclusion :

"Since no evidence at al1 is available to show how Nicaraguan

policies had in fact become a threat to 'essential security interests' in
May 1985, when these policies had been consistent, and consistently
criticized by the United States, for four years previously, the Court
is unable to find that the embargo 'was necessary' to protect those
interests." (Ibid., p. 141, para. 282.)

If the alleged threat to the "essential" security interests cannot be deemed
reasonable, the measures taken are eo ipso not necessary. PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP.IND.KOOIJMANS) 261

nécessaires à la protection de leurs intérêtsessentiels sur le plan de la

sécurité, elles étaient licites au regard de l'article X du traité de
1955.» (CR 2003112, p. 19; les italiques sont dans l'original.)

48. Il est en principe justifié d'adopter pareille position mais cela
revient néanmoins à éluder le problème. La compétence de la Cour est
limitée à l'interprétation et à l'application du traité de 1955; la Cour ne
peut par conséquent pas établir si certains actes sont contraires aux dis-
positions de la Charte et aux règles coutumières du droit de légitime
défense. Mais ni l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XX lui-même ni
aucune autre disposition du traité ne contient d'élémentspermettant à la
Cour d'appliquer le critère de la licéitéquand elle se pose la question de
savoir si des mesures prises pour protéger les intérêts vitaux en matière de
sécurité sont effectivement nécessaires. La Cour n'a donc pas d'autre

choix que de faire appel à cette fin au droit international général.
49. Le droit international généralest donc indispensable en tant que
norme d'interprétation des dispositions du traité de 1955. Si les mesures
prises consistent notamment à recourir à la force, ce sont donc les règles
relatives à l'emploi de la force auxquelles il faut faire appel pour per-
mettre à la Cour d'apprécier la licéitédesdites mesures. Le conseil des Etats-
Unis avait raison quand il disait que si les mesures prises par les Etats-
Unis sont censées êtrenécessaires pour protéger leurs intérêts vitaux en
matière de sécurité, il n'y a pas lieu de poser la question de savoir si ces
mesures sont prises également au titre de la légitime défense. Mais pour

aboutir à la première conclusion énoncée, il n'est pas possible de faire
abstraction du droit de légitime défense.
50. A mon sens, l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Nicaragua est
un très bon exemple à cet égard. Au sujet de l'embargo commercial dont
elle avait déjà dit qu'il était en contradiction avec l'article XIX (l'article
relatif à la liberté de commerce) du traité d'amitié, de commerce et de
navigation de 1956 (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci (Nicaragua c. Etats- Unis d'Amérique), fond, arrêt, C.1.J.
Recueil 1986, p. 140, par. 279)' la Cour a posé la question de savoir si
l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article XXI empêchait que l'embargo fût

injustifié.La Cour a commencé par appliquer le critère du caractère rai-
sonnable et a abouti à une conclusion négative:
((Faute du moindre élément d'information indiquant comment les

politiques suivies par le Nicaragua seraient devenues en fait une
menace pour les ((intérêtsvitaux de sécurité)) en mai 1985, alors
qu'elles étaient constantes et constamment critiquées par les Etats-
Unis depuis quatre ans, la Cour n'est pas en mesure de conclure que
l'embargo était ((nécessaire» à la protection de ces intérêts.» (Ibid.,
p. 141 et 142, par. 282.)

Si la prétendue menace visant les intérêts«vitaux» en matière de sécurité
ne peut pas êtreréputée avoir un caractère raisonnable, les mesures prises
ne sont eo ipso pas nécessaires. 51. With regard to the mining of Nicaraguan ports and the attacks
on ports and oil installations, the Court had (by virtue of its jurisdic-
tion under Article 36, paragraph 2, of the Statute) already found that

these acts amounted to an unlawful use of force under customary law.
When dealing with these same acts in the context of Article XXI, para-
graph 1 (d), of the FCN Treaty, the Court confined itself to saying that
these "cannot possibly be justified as 'necessary' to protect the essential
security interests of the United States" (I.C.J. Reports 1986, p. 141,
para. 282).
Evidently, in applying the legality test to the measures taken by the
United States in order to protect its essential security interests, the Court
used the same standard as it had applied when dealing with these acts
from the viewpoint of the lawfulness of the use of force under customary

law. If they could not bejustified under customary law, they cannot "pos-
sibly" be justified under Article XXI, paragraph 1 (d).

52. As far as the legal aspects of Article XX, paragraph 1 (d), of the
1955 Treaty are concerned, the correct approach in my view is the
following :

(a) The Court has no jurisdiction to determine whether the destruction
of the oil platforms can or cannot be justified as acts of legitimate
self-defence.
(b) When determining whether a measure is "necessary to protect
a party's essential security interests" the Court must first apply
the test of reasonableness with regard to the question whether there
existed a plausible threat to these interests justifying certain pro-
tective measures. As already said, 1 am satisfied that in the
present case the United States could with good reason argue that

its essential security interests were at risk. The fact that other
States in a comparable situation made diplomatic protests and took
protective measures by means of a military presence in the Gulf
is evidence of a general perception that important and essential
interests were at stake.

(c) The fact that the United States decided to take measures involving
the use of force makes it necessary for the Court to assess their
legality in the light of the rules of general international law on the
use of force. The use of force is not excluded by Article XX, para-

graph 1 (d). The legality test to be applied by the Court must there-
fore be based on the presumption that the use of force is prohibited
unless it can be justified under general international law of which the
principle of legitimate self-defence is an important element.

53. Although the United States often refers to Iran's unlawful
behaviour in general during the Tanker War, it does not contest that
the attacks on the oil platforms were a reaction to two specific incidents. 51. En ce qui concerne le minage des ports nicaraguayens et les at-
taques dirigées contre les ports et les installations pétrolières,lCour (en
vertu de la compétence conférée par le paragraphe 2 de l'article 36 du
Statut) avait déjà jugé que ces actes constituaient un emploi illicite de la
force en droit coutumier. Appréciant les mêmes actes sous l'angle de l'ali-
néa d) du paragraphe 1 de l'article XI du traité d'amitié, de commerce et
de navigation de 1956, la Cour s'est bornée à dire que ces actes «ne sau-
raient en aucun cas êtrejustifiés par la nécessitéde protéger les intérêts
vitaux de sécuritédes Etats-Unis)) (C.Z.J. Recueil 1986, p. 141, par. 282).
De toute évidence, en appliquant le critère de licéitéaux mesures prises
par les Etats-Unis pour protéger leurs intérêts vitaux en matière de sécu-
rité, la Cour a appliqué la mêmenorme que lorsqu'elle avait examiné les
mêmesactes du point de vue de la licéitédu recours à la force en droit
coutumier. S'ils ne pouvaient pas être justifiés en droit coutumier, ces
actes «ne sauraient » êtrejustifiés en vertu de l'alinéad) du paragraphe 1
de l'article XXI.
52. En ce qui concerne les aspects juridiques de l'alinéad) du para-
graphe 1 de l'article XX du traité de 1955, l'approche àretenir està mon
sens la suivante:

a) La Cour n'est pas compétente pour établir si la destruction des
plates-formes pétrolières peut ou non êtrejustifiée au titre de la légi-
time défense.
b) Quand elle établit si une mesure est «nécessaire à la protection des
intérêts vitaux [d'une] Haute Partie contractante sur le plan de la
sécurité», la Cour doit tout d'abord appliquer le critère du caractère
raisonnable à la question de savoir s'il existe une menace plausible à
l'encontre desdits intérêts quijustifie certaines mesures de protection.
Comme je l'ai déjàdit, j'estime effectivement qu'en l'espèce lesEtats-
Unis étaient fondés à soutenir que leurs intérêts vitaux en matière de
sécuritéétaient en danger. Le fait que d'autres Etats se trouvant dans
une situation comparable ont émis des protestations sur le plan diplo-
matique et pris des mesures de protection sous la forme d'une pré-
sence militaire dans le Golfeprouve que le sentimentgénéralétait que
des intérêtsimportants, vitaux, étaient en jeu.
c) Le fait que les Etats-Unis ont décidéde prendre des mesures consis-
tant notamment à recourir à la force impose à la Cour d'apprécier si
ces mesures sont licites au regard des règles du droit international
général relatifà l'emploi de la force. L'alinéa d) du paragraphe 1 de
l'article XX n'interdit pas totalement l'emploi de la force. Le critère
de licéitéque la Cour doit appliquer doit donc êtrefondé sur l'idée
que par hypothèse le recours à la force est interdit sauf s'il peut être
justifié au regard du droit international généraldont le principe de
légitime défense est un élémentimportant.

53. Les Etats-Unis évoquent souvent la conduite généralement illicite
de l'Iran pendant la guerre des pétroliers mais ne contestent pas que les
attaques lancées contre les plates-formes pétrolières ont étémenées enOn 16 October 1987 the United States-flagged tanker Sea Isle City was hit
by a missile; three days later the Reshadat platform was attacked and
destroyed. On 14 April 1988 the United States frigate Samuel B. Roberts
struck a mine; five days later the Salman and Nasr platforms were
attacked and destroyed. The first question to be answered, therefore, is

whether these incidents were attributable to Iran.

54. 1share the Court's view that the United States has not been able to
submit convincing evidence that the missile attack on the Sea Isle City
can be attributed to Iran. Although this attack undoubtedly increased the
security risks for United States and other neutral shipping, the conten-
tion by the United States that this increased risk must be attributed to
Iran and consequently entitled the United States to use force, cannot be
accepted. In view of the fact that the use of force must be subjected to a
strict legality test, probabilitiesor even near certainties do not suffice as

justification; the United States could and should have taken recourse to
other means to protect its security interests. The destruction of the
Reshadat and Resalat platforms therefore does not qualify as measures
necessary to protect the essential interests of the United States.

55. The question whether the missile attack on the Sea Isle City and
other incidents mentioned by the United States (see paragraph 64 of
the Judgment) constituted an armed attack on the United States itself,

entitling it to exercise the right of self-defence, is in my view less rele-
vant. Since none of these incidents can with certainty be attributed to
Iran, a retaliatory measure involving the use of force against the State
cannot by any legal standards be called a measure that is necessary.

56. The case is different in my opinion with regard to the mining of the
USS Samuel B. Roberts. 1 am satisfied that the United States has pro-
vided sufficient evidence to justify the conclusion that the Samuel B.
Roberts was hit by an Iranian mine and that this can be attributed to Iran,
which, in violation of the rules of naval warfare, had laid mines in inter-

national waters without notifying neutral shipping. The fact that in the
days after the accident mines were found in the immediate neighbour-
hood which were moored, carried the distinctive serial numbering of Ira-
nian mines and had evidently been laid recently, proves in my view
beyond any reasonable doubt that the Samuel B. Roberts was struck by
an Iranian mine. It is another question whether the Samuel B. Roberts
was specifically targeted. The fact that the mines found were not yet
encrusted with marine growth and thus had been laid recently might be
an indication that this was the case. However, since no more precise data

are available, as for example the exact date of the minelaying, that
question cannot be answered definitively.réaction à deux incidents particuliers. Le 16 octobre 1987, le pétrolier
battant pavillon des Etats-Unis Sea Isle City a étéfrappé par un missile;

trois jours après,la plate-forme de Reshadat a étéattaquée et détruite. Le
14 avril 1988, la frégate des Etats-Unis Samuel B. Roberts a heurté une
mine; cinq jours après, les plates-formes de Salman et de Nasr ont été
attaquées et détruites. La première question à laquelle il faut répondre
par conséquent est de savoir si ces incidents sont bien imputables à l'Iran.
54. Je souscris aux vues de la Cour quand elle estime que les Etats-
Unis n'ont pas pu produire de preuves convaincantes établissant que
l'attaque au missile lancée contre le Sea Isle City peut êtreimputée à
l'Iran. Incontestablement l'attaque a augmenté les dangers pour la sécu-
ritédes navires des Etats-Unis et autres navires neutres, mais la thèse des

Etats-Unis quand ces derniers soutiennent qu'il faut imputer l'augmenta-
tion du danger à l'Iran, et que par conséquent les Etats-Unis avaient le
droit de recourir à la force, ne saurait êtreacceptée. Comme il faut sou-
mettre le recours à la force à un critère de licéitétrès strict, il n'est pas
possible de se contenter à titre de justification de simples probabilités ni
mêmede quasi-certitudes ; les Etats-Unis pouvaient faire appel et auraient
dû faire appel à d'autres moyens de protection de leurs intérêts en
matière de sécurité. La destruction des plates-formes de Reshadat et
Resalat ne peut donc pas êtrejustifiée au titre des mesures nécessaires à la

protection des intérêts vitaux des Etats-Unis.
55. La question de savoir si l'attaque au missile lancée contre le Sea
Isle City et certains autres incidents évoqués par les Etats-Unis (arrêt,
par. 64) constituaient une agression armée à l'encontre des Etats-Unis
eux-mêmes, les autorisant à exercer le droit de légitime défense, est à mes
yeux moins pertinente. Comme aucun de ces incidents ne peut être
imputé avec certitude à l'Iran, des mesures de rétorsion consistant notam-
ment à recourir à la force à l'encontre de cet Etat ne peuvent en vertu
d'aucune normejuridique mériter d'être qualifiées de mesures nécessaires.
56. Il en va autrement en ce qui me concerne pour le minage de I'USS
Samuel B. Roberts. J'admets que les Etats-Unis ont fourni assez de

preuves permettant de conclure que le navire en question a été heurtépar
une mine iranienne et que l'incident peut être imputéà l'Iran, lequel, en vio-
lation des règles de la guerre en mer, avait minéles eaux internationales sans
en aviser les navires neutres. Le fait que, dans les jours qui ont suivi l'acci-
dent, des mines ont été trouvéesdans le voisinage immédiat qui avaient
étéancrées, qui portaient les numéros de sérieparticuliers des mines ira-
niennes et qui avaient manifestement étémouillées depuis peu prouve à
mes yeux sans plus aucun doute raisonnable que c'est une mine iranienne
que le Samuel B. Roberts a heurtée. C'est une autre question que de savoir
si ce navire était très précisément ciblé.Le fait que les mines découvertes

n'étaient pas encore recouvertes de végétation marine, ce qui signifie
qu'elles étaient mouillées depuis peu, peut indiquer que le navire était bel
et bien ciblé. Toutefois, comme on ne dispose pas d'autres indications plus
précises, en ce qui concerne par exemple la date exacte du mouillage de ces
mines, on ne peut répondre à cette question de façon définitive. 57. Nevertheless, the question must be answered whether the fact that
the United States could with good reason assume that Iran was respon-
sible for the mining of the Samuel B. Roberts entitled it to take military
action against the Salman and Nasr platforms. In this respect, it may be

recalled that the attacks on the platforms were part of a larger operation,
code named "Praying Mantis", which was also directed against the
Iranian Navy. Whether that part of the operation was wrongful under
general international law is not relevant for the present case, the scope of
which is confined to the destruction of the platforms.

58. The reasons given by the United States for attacking the platforms
can be summarized in the words of General Crist in a statement, which
was provided by the United States as an exhibit:

"1 believed the best way of undermining Iran's ability to attack
US forces was to degrade their ability to observe Our forces - in
effect put out their eyes. Iran's offshore oil platforms were extremely
valuable eyes for directing and supporting attacks against us . . .
They were used as a staging facility for attacks by Iranian forces
in Gulf Shipping." (Counter-Memorial of the United States,

Exhibit 44.)

With regard to this argument, it may be relevant to recall what the Court

said in the Nicaragua case, and which was quoted in paragraph 49 above,
viz. that the Court has to assess whether the measures presented as being
designed to protect these interests are not merely useful but "necessary".

59. 1 share the Court's view that the evidence concerning the military
functions of the platforms is not entirely satisfactory, in particular with
regard to the Salman and Nasr platforms, which were the target of the
United States actions after the mining of the Samuel B. Roberts. Whether
they had such an innocuous character as Iran contends may be open to
doubt. But 1do not find convincing the evidence submitted by the United

States to testify to their offensive character. In this regard, it is also worth
mentioning that the United States never referred in its many diplomatic
démarches to the platforms as an important element in the threat to
neutral shipping, whereas it regularly referred to Silkworm missiles,
mining, attacks by helicopters and gunboats.

60. This raises the question whether the destruction of the Salman and
Nasr platforms can be considered with good reason the most appropriate
reaction to the mining of the Samuel B. Roberts, in particular in view of

the fact that there is no indication that these platforms played a role in
the laying of the mines and in staging the attack against the Samuel B.
Roberts. PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES (OP.IND. KOOIJMANS) 264

57. Mais il faut répondre à la question de savoir si le fait que les Etats-
Unis fussent fondés à imputer à l'Iran la responsabilité du minage du
Samuel B. Roberts les autorisait à lancer une action militaire contre les
plates-formes de Salman et de Nasr. Il convient de rappeler ici que les
attaques lancées contre les plates-formes participaient d'une opération
plus importante, dont le nom de code était ((mante religieuse)),laquelle
était également dirigée contre la marine de guerre iranienne. Il est sans
pertinence pour la présente espèce qui est limitée à la destruction des
plates-formes de chercher à savoir si, sous cet aspect, l'opération était
ou non illicite en droit international général.
58. Les motifs pour lesquels les Etats-Unis ont attaqué les plates-
formes peuvent se ramener à ce que dit à ce propos le généralCrist dans
une déclaration que les Etats-Unis ont produite au nombre de leurs pièces:

(J'estimais que le meilleur moyen de réduire la capacité offensive
de l'Iran à l'encontre des navires marchands américains consistait à
gênerleurs moyens d'observation de nos forces, bref à leur enlever
leurs yeux. Les plates-formespétrolièresoffshorede l'Iran étaient un
moyen d'observation extrêmement précieux pour qui voulait organi-
ser et soutenir des attaques contre nous... Ces plates-formes étaient
un site de planification d'attaques menées par les forces iraniennes
contre le trafic maritime dans le Golfe. ))(Contre-mémoire des Etats-
Unis, annexe 44.)

Au sujet de cet argument, je rappellerai ce que la Cour disait dans
l'affaire Nicaragua (la citation figureeau paragraphe 49 ci-dessus) qui est
que la Cour doit apprécier si les mesures présentées comme visant à pro-
téger les intérêtsen question sont non pas seulement utiles mais encore
((nécessaires».
59. Je suis comme la Cour d'avis que les moyens de preuve présentés
au sujet de l'activité militairedes plates-formes ne sont pas parfaitement
satisfaisants, en particulier en ce qui concerne les plates-formes de Sal-
man et de Nasr qui furent la cible des actions menées par les Etats-Unis
après que le Samuel B. Roberts eut heurté une mine. Il est permis de dou-
ter que les plates-formes aient été aussi innocentes que l'Iran le prétend.
Mais je ne trouve pas convaincants les élémentsde preuve présentés par
les Etats-Unis pour établir leur caractère offensif. A ce sujet, il convient
de relever aussi que les Etats-Unis, lors de leurs nombreuses démarches
diplomatiques, n'ont jamais dit que les plates-formes étaient un élément
important des menaces pesant sur les navires neutres, alors qu'ils par-
laient constamment de missiles Silkworm (((vers à soie»), de mouillage de
mines, d'attaques menées par des hélicoptères et par des vedettes.
60. On peut donc se demander si la destruction des plates-formes de
Salman et de Nasr peut être vraiment considérée comme la réaction la
mieux adaptée au minage du Samuel B. Roberts, d'autant que rien n'in-

dique que lesdites plates-formes aient joué un rôle quelconque dans le
mouillage des mines que le navire a heurtées et dans l'organisation de
l'attaque dont il a été victime. 61. The International Law Commission's Rapporteur on State Respon-
sibility, Roberto Ago, wrote in 1980 concerning self-defence as a circum-

stance precluding wrongfulness :
"In fact, the requirements of the 'necessity' and 'proportionality'
of the action taken in self-defence can simply be described as two
sides of the same coin. Self-defence will be valid as a circumstance
precluding the wrongfulness of the conduct of the State only if that

State was unable to achieve the desired result by different conduct
involving either no use of armed force at al1 or merely its use on a
lesser scale." ( Yearbook of tlze International Law Commission, 1980,
Vol. II, Part One, p. 69.)

62. Regardless of whether the mining of the Samuel B. Roberts con-
stituted an armed attack on the United States, entitling it to act in self-
defence, the relevant question is whether the United States was unable to
achieve the desired result (the protection of its essential security interests)
by different conduct, involving either no use of armed force at al1 or
merely its use on a lesser scale, for example by actions against naval
vessels known to be involved in minelaying (such actions were part of
operation "Praying Mantis", but their lawfulness is beyond the
Court's jurisdiction).

In view of the uncertainty about the platforms' role in the minelaying
and the severe damage inflicted upon Iran's economic interests, I am not
convinced that the destruction of the Salman and Nasr platforms is in
conformity with the standard just mentioned or that it can be called a
measure necessary to protect the essential security interests of the United
States. 1 find it hard to avoid the impression that in reality a punitive
intent prevailed.
63. In conclusion (and without having to scrutinize - as the Court
did - whether al1 requirements of the law of self-defence are fulfilled), 1

am of the view that the attacks on the oil platforms cannot be seen as
measures necessary to protect the essential security interests of the United
States, even if these interests are construed in a broad sense. With regard
to the destruction of the Reshadat platform, the attack on the Sea Isle
City cannot be said with sufficient certainty to be attributable to Iran; in
the case of the Samuel B. Roberts the mining in my view is attributable to
Iran, but the destruction of the Salman and Nasr platforms cannot be
seen as an appropriate, in the sense of a necessary and proportionate,
response.

(Signed) Pieter H. KOOIJMANS. 61. En 1980, Roberto Ago, alors rapporteur de la Commission du
droit international sur la responsabilité des Etats, écrivait au sujet de la
légitime défense considérée comme circonstance excluant l'illicéité:

((On peut d'ailleurs dire que les exigences de la nécessité >)et de la
proportionnalité >)de l'action menée en légitime défense ne sont que
les deux faces d'une même médaille. L'état de légitime défense ne
vaudra comme raison d'exclusion de l'illicéitédu comportement de
1'Etat que si ce dernier ne pouvait pas atteindre le résultat visé par
un comportement différent, n'impliquant aucun emploi de la force
armée ou pouvant se réduire à un emploi plus restreint de cette
force.» (Annuaire de la Commission du droit international, 1980,

vol. II, première partie, p. 67.)
62. Indépendamment du point de savoir si le minage du Samuel B.
Roberts représentait une attaque armée dirigée contre les Etats-Unis qui
les autorisait à réagir par la légitime défense, la question pertinente est de

savoir si les Etats-Unis ne pouvaient pas atteindre le résultat visé (c'est-
à-dire la protection de leurs intérêts vitaux en matière de sécurité)par un
comportement différent,n'impliquant aucun emploi de la force armée ou
pouvant se réduire à un emploi plus restreint de cette force, par exemple
des actions dirigées contre des unités de la marine de guerre notoirement
utilisées pour le mouillage de mines (de telles actions faisaient partie de
l'opération dite de la ((mante religieuse», mais leur licéitééchappe à la
compétence de la Cour).
Vu l'incertitude qui entoure le rôle des plates-formes dans le mouillage

des mines et les graves dommages infligés aux intérêts économiques de
l'Iran, je ne suis pas convaincu que la destruction des plates-formes de
Salman et de Nasr soit bien conforme à la norme que je viens d'évoquer
ni que cette destruction puisse êtrequalifiée de mesure nécessaire à la pro-
tection des intérêts vitaux des Etats-Unis en matière de sécurité.J'ai du
mal à ne pas croire qu'en réalitél'intention de punir était prioritaire.
63. Pour conclure (et sans avoir à vérifier minutieusement - comme la
Cour l'a fait - si toutes les conditions de la légitime défense sont bien
remplies), je suis d'avis que les attaques lancées contre les plates-formes

pétrolières ne peuvent pas être considérées comme des mesures néces-
saires à la protection des intérêtsvitaux des Etats-Unis en matière de sécu-
rité, même si l'on interprète ces intérêts en un sens large. En ce qui
concerne la destruction de la plate-forme de Reshadat, l'attaque lancée
contre le Sea Isle City ne peut pas être considérée avec le degré voulu de
certitude comme imputable à l'Iran; en ce qui concerne le Samuel B.
Roberts, le minage à mon sens est imputable à l'Iran, mais la destruction
des plates-formes de Salman et de Nasr ne peut pas être considérée
comme une réaction adaptée, c'est-à-dire comme une réaction nécessaire

et proportionnée.

(Signé) Pieter H. KOOIJMANS.

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Document Long Title

Opinion individuelle de M. Kooijmans (traduction)

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