Déclaration de M. le juge Greenwood

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103-20120619-JUD-01-03-EN
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103-20120619-JUD-01-00-EN
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391

DÉCLARATION DE M. LE JUGE GREENWOOD

[Traduction]

1. Même si c’est dans l’exercice de sa protection diplomatique queg la
Guinée a saisi la Cour, la présente espèce concerne essentiellegment les
droits de l’homme de M. Diallo. Les dommages-intérêts que la Cour a
ordonné à la République démocratique du Congo (RDC) de vergser à la
Guinée, et dont le montant a été établi en fonction de la pegrte subie par
M. Diallo, sont destinés à indemniser ce dernier, et non l’Etat augquel il

ressortit. Comme la Cour l’a dit dans son arrêt de 2010 (Ahmadou Sadio
Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 692), la RDC s’est rendue coupable de
violations graves contre les droits de l’homme de M. Diallo : celui-ci a été,
illicitement et arbitrairement, détenu puis expulsé du pays où il résidait

depuis longtemps, et ce, sans la moindre possibilité de faire valoir gses
droits ou de liquider ses affaires avant son départ forcé. En cognformité
avec les principes bien établis en droit, il incombe donc sans aucun gdoute
à la RDC de réparer la perte et le dommage qu’ont causés cesg faits illicites
à M. Diallo. Les Parties n’ayant pu se mettre d’accord sur le montant dge

l’indemnité, la Guinée a, dans la présente phase de la procégdure, réclamé
une somme totale de plus de 11,5 millions de dollars des Etats-Unis ; or
la Cour vient d’ordonner à la RDC de lui verser 95 000 dollars des
Etats-Unis, soit moins de un pour cent de la somme demandée. Il importe
d’expliquer clairement pourquoi la Guinée s’est vu octroyer uneg indem -
nité qui paraît a priori si modeste.

2. La première raison est à rechercher dans les deux arrêts rendusg par
la Cour en 2007 et en 2010. Dans sa décision du 24 mai 2007 (Ahmadou
Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 582), la Cour a
ainsi dit que la Guinée n’avait pas qualité pour agir relativemgent aux

atteintes qui auraient été portées aux droits des deux sociégtés de M. Diallo,
Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre (voir ibid., p. 614-616, par. 86-94).
Dans son arrêt du 30 novembre 2010 (Ahmadou Sadio Diallo (République
de Guinée c. République démocratique du Congo), fond, arrêt, C.I.J. Recueil
2010 (II), p. 693), elle a rejeté la demande de la Guinée en ce qu’elle avaigt

trait à la violation des droits de M. Diallo en tant qu’associé de ces socié -
tés (voir ibid., p. 673-690, par. 99-159). Dans les deux cas, la position de
la Cour reposait sur le principe établi dans l’affaire de la Barcelona Trac ‑
tion, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne) (deuxième
phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 35), principe qui découle du postulat
élémentaire voulant que les droits, biens et dettes d’une société à respon -

sabilité limitée sont distincts de ceux de ses actionnaires et queg l’Etat
auquel ressortit un actionnaire ne peut, dans le cadre de l’exercice gde la

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protection diplomatique, demander une indemnisation qu’à raison degs
droits de ce dernier et non de ceux de la société. Dans le mémogire qu’elle

a déposé au cours de la présente phase de l’instance, toutefgois, la Guinée
a réclamé 4,36 millions de dollars des Etats-Unis au titre de la déprécia -
tion des parts détenues par M. Diallo dans les deux sociétés. Or, si la
formulation est différente, cette réclamation recouvre essentielglement celle
que la Cour a déjà rejetée, et elle doit en conséquence subir le même sort.

3. La seconde raison qui explique le montant relativement modeste de
l’indemnité octroyée à la Guinée réside dans l’insugffisance des preuves
présentées à l’appui de la demande formée au titre du domgmage matériel
censément subi par M. Diallo. La Guinée a réclamé plus de 7 millions de
dollars des Etats-Unis à raison de la perte de revenus et de biens person -
nels subie par l’intéressé. Pour avoir gain de cause sur ce point, il eût fallu

qu’elle démontrât que M. Diallo avait effectivement subi la perte alléguée
et que celle-ci avait été causée par les faits illicites imputables à la gRDC.
Or elle n’a produit aucune preuve à cet effet. S’agissant de gla perte de
revenus, par exemple, il n’y a pas le moindre élément permettangt de savoir
ce que gagnait M. Diallo avant et après sa détention et son expulsion de

RDC. Si, comme le soutient la Guinée, ce dernier avait touché, àg titre de
gérant des deux sociétés, une rémunération substantielle gavant son arres -
tation, les archives des sociétés et, vraisemblablement, les documgents ban -
caires et fiscaux de l’intéressé auraient pu l’attester. Or, gsans pour autant
laisser entendre que ces documents avaient disparu ou que M. Diallo

n’avait pu y avoir accès, la Guinée n’a produit aucun justifigcatif de cette
nature, alors qu’elle a présenté, s’agissant d’autres aspects de l’affaire, une
quantité considérable de documents émanant des sociétés.
4. De fait, comme le relève l’arrêt (par. 42-43), les quelques éléments de
preuve disponibles donnent à penser que, du moins en 1995, M. Diallo
ne touchait plus les revenus allégués au stade actuel par la Guinége, et que

les deux sociétés n’étaient plus en mesure de les lui verserg. A l’étape des
exceptions préliminaires, la Guinée avait affirmé, au rebours gde la posi -
tion qu’elle a fait valoir dans la présente phase de l’instanceg, que M. Diallo
était «déjà dans le dénuement» avant même d’être mis en détention par la
RDC. Elle avait notamment soumis un certificat obtenu par M. Diallo le

12 juillet 1995, soit environ quatre mois avant sa première détention, dans
lequel ce dernier était «déclaré indigent temporaire, insolvable et dépourvu
de tout appui vital après examen de son dossier ». Dans la présente phase,
la Guinée a tenté de minimiser l’importance de ce document, maigs je ne
crois pas que celui-ci puisse être écarté aussi facilement. S’gil s’agit d’un

constat véridique et exact de la situation de M. Diallo, cela signifie que ce
dernier ne tirait pas de revenus de ses sociétés au moment où igl a été mis
en détention, revenus qu’il ne peut donc avoir perdus en raison deg son
incarcération. Dans l’hypothèse contraire, le certificat aurait été obtenu
de manière frauduleuse, ce qui rendrait hautement suspecte toute dégclara -
tion qu’aurait pu faire M. Diallo à propos de ses biens ou de ses revenus.

Par ailleurs, les preuves soumises à la Cour au stade du fond établissent
que les deux sociétés avaient déjà cessé toute activitég commerciale plu -

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sieurs années avant l’arrestation et l’expulsion de M. Diallo, de sorte qu’il
serait pour le moins surprenant qu’elles aient pu lui verser, en 1995, un

revenu annuel de 300 000 dollars des Etats-Unis.
5. Dans ces conditions, j’estime que la Cour n’avait d’autre choixg que
de rejeter la demande de la Guinée au titre de la perte de revenus. Il nge s’agit
pas d’une affaire où elle aurait été fondée à s’agppuyer sur des considérations
d’équité pour octroyer une indemnité. J’admets que de telgles considérations

puissent intervenir lorsque le demandeur est dans l’impossibilité gde fournir
les preuves voulues. Cependant, tel n’est pas le cas en l’espècge. La Guinée
a bien produit des éléments de preuve en ce qui concerne tant la sitguation
financière de M. Diallo que celle des deux sociétés, mais ces éléments tendengt
plutôt à battre en brèche qu’à étayer sa position. Les principes d’équité
ne sont pas destinés à combler les lacunes du dossier du demandeur,

en suppléant à l’absence d’éléments de preuve qui auraiengt pu être pro -
duits s’ils avaient véritablement existé: il ne faut pas confondre équité et
alchimie.
6. A une réserve près, il en va de même de la demande formée aug titre
de la perte de biens personnels qu’aurait subie M. Diallo. La partie la

plus importante de cette réclamation concernait un certain nombre
d’objets de valeur, tels que des œuvres d’art et des bijoux, qui auraient
disparu de l’appartement de M. Diallo. Rien pourtant ne prouve que
M. Diallo ait jamais possédé de tels objets, que ceux-ci se soient trouvés
dans son appartement au moment de son expulsion ni que leur perte ait

été le résultat de cette mesure. Cela dit, il ressort clairement du dossier
que M. Diallo a été expulsé sans avoir la possibilité de prendre les dispo -
sitions voulues en ce qui concerne ses biens personnels, et que la RDC ng’a
rien fait pour protéger son appartement. Dans ces conditions, j’adgmets
qu’une perte a été subie, c’est pourquoi je me suis prononcé en faveur de
l’octroi d’une indemnité de 10 000 dollars des Etats-Unis pour ce chef de

préjudice.
7. Reste alors la demande concernant le dommage immatériel ou moral.
A l’évidence, une indemnisation s’impose pour ce chef. L’arrgêt (au par. 18)
confirme que le préjudice subi à ce titre est indemnisable en droitg interna -
tional, reprenant les propos de l’arbitre saisi des affaires Lusitania (Nations

Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. VII, p. 32), qui a observé que les
préjudices immatériels «sont très réels [et que] le seul fait qu’ils sont diffi-
ciles à mesurer ou à estimer en valeurs monétaires ne les rend gpas moins
réels » (ibid., p. 40). Etant donné la nature même de ce type de dommage,
on ne saurait exiger d’éléments de preuve spécifiques, et la gdétermination

du montant de l’indemnité ne peut reposer que sur les principes égquitables.
Cela posé, de même que la difficulté de l’évaluer ne rengd pas le dommage
moins réel, de même la difficulté et l’absence de critèrges précis en matière de
fixation du montant ne rendent pas moins nécessaire, à cet égardg, de procé -
der selon certains principes. Il ne s’agit pas de choisir un montant garbi -
traire, mais d’appliquer des principes qui, à tout le moins, permegttront au

lecteur de l’arrêt de saisir les facteurs qui auront conduit la Cogur à arrêter
tel ou tel montant. De plus, ces principes doivent être susceptibles gd’appli -

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cation constante et cohérente, de façon que le montant fixé puisgse être
considéré comme juste non seulement eu égard aux faits de l’gespèce, mais
par comparaison avec d’autres affaires.
8. Comme c’est la première fois, depuis l’affaire du Détroit de Corfou
(Royaume‑Uni c. Albanie) (fixation du montant des réparations, arrêt,

C.I.J. Recueil 1949, p. 171), qu’elle est appelée à chiffrer des dommages-
intérêts, il est tout à fait opportun que la Cour, reconnaissangt qu’elle a
peu à tirer de sa propre jurisprudence en la matière, procède àg un examen
minutieux de celle d’autres juridictions internationales, surtout les cours
spécialisées dans les droits de l’homme, qui ont une grande expgérience de

l’évaluation de dommages-intérêts dans des circonstances semblables à
celles de la présente affaire. Le droit international n’est pas gun ensemble
disparate de corps de règles spécialisés et indépendants lesg uns des autres,
mais un système unique et cohérent, au sein duquel chaque juridictgion

internationale a la possibilité et même le devoir de s’appuyer gsur la juris -
prudence des autres, sans être pour autant tenue d’aboutir aux mêgmes
conclusions.
9. L’examen de cette jurisprudence, toutefois, montre que les sommes
accordées au titre du dommage moral sont généralement peu élgevées ;

quelques exemples suffiront. Pour ce qui est de la détention, la Cour euro -
péenne des droits de l’homme, dans l’affaire Al‑Jedda c. Royaume‑Uni
(Grande Chambre, requête n o 27021/08, arrêt n 27021/08), a jugé qu’une
somme de 25 000 euros (soit environ 36000 dollars des Etats-Unis, selon le

taux de change en vigueur à la date du prononcé de cet arrêt) gétait suffisante
pour une détention qui avait duré plus de trois ans (arrêt du g7 juillet 2011,
International Law Reports, vol. 147, p. 107). Dans l’affaire Lupsa c. Rouma ‑
nie (requête n 10337/04, arrêt du 8 juin 2006), la même juridiction a statué
que la somme de 15 000 euros (environ 19000 dollars des Etats-Unis, selon

le taux de change en vigueur à la date du prononcé de cet arrêt) constituait
une indemnité équitable pour les dommages tant moraux que matérgiels
subis par un homme qui avait été expulsé illicitement de l’Egtat défendeur, où
il avait fondé une famille et mis sur pied une entreprise au cours degs qua -
torze années qu’il y avait passées. De son côté, la Cour ginteraméricaine des

droits de l’homme a accordé, dans l’affaire Gutiérrez‑Soler c.Colombie (arrêt
du 12 septembre 2005), la somme de 100 000 dollars des Etats-Unis à un
homme qui avait été contraint sous la torture à signer de faux aveux, persé -
cuté pour une infraction qu’il n’avait pas commise et séparég de sa famille

pendant si longtemps qu’il avait perdu contact avec son enfant durantg plu -
sieurs années. Par ailleurs, l’arrêt rendu par le Tribunal du dgroit de la mer
dans l’affaire du Navire « Saiga » (n o 2) (Saint‑Vincent‑et‑les‑Grenadines c.
Guinée) (arrêt du 1 erjuillet 1999, International Law Reports, vol. 120, p. 143)
est d’autant plus intéressant que, dans cette affaire, la Guinége faisait valoir

que l’indemnité à payer à raison du dommage moral découlagnt d’une déten -
tion illicite ne devait pas dépasser 100dollars des Etats-Unis par jour. Or ce
montant, qui semble avoir été établi à la lumière de sentgences arbitrales
rendues plusieurs décennies auparavant, est d’un tout autre ordre que les
sommes réclamées par la Guinée en l’espèce.

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6 CIJ1032.indb 145 26/11/13 09:37 ahmadou sadio diallo (dgécl. greenwood) 395

10. Je ne doute pas que le traitement infligé par la RDC à M. Diallo
constitue une violation grave de ses droits, qui lui a causé un dommage

moral considérable. Quatre facteurs me semblent entrer en jeu pour l’géva -
luation du dommage découlant de cette violation. Premièrement,
M. Diallo a été détenu pendant un total de soixante-douze jours, sans la
moindre explication ou possibilité de faire valoir ses droits. Deuxiègme -
ment, il a été expulsé de manière arbitraire, mesure qui, eng l’espèce, est

aggravée par le fait que la RDC était le pays où il résidaitg et travaillait
depuis plus de trente ans (soit la presque totalité de sa vie d’agdulte), occu-
pant une position respectée dans la société et le milieu des affaires. Troi -
sièmement, dans son arrêt de 2010, la Cour a conclu que l’expulsion de
M. Diallo était destinée à empêcher ce dernier d’exercer desg poursuites
au nom de ses deux sociétés (C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 669, par. 82). Il se

trouve que je n’étais pas d’accord avec cette conclusion (voirg p. 720-723,
par 18-23 de la déclaration commune que le juge Keith et moi-même
avons jointe à l’arrêt), mais, puisque la Cour en a décidég ainsi, ce facteur
doit de toute évidence être pris en considération dans l’égvaluation des
dommages. Enfin, il me semble que le montant des dommages-intérêts

doit tenir compte du temps qui s’est écoulé depuis les faits eng litige.
M. Diallo a été mis en détention en 1995 et expulsé de RDC au début
de 1996, c’est-à-dire il y a plus de seize ans. Ce retard peut s’expliquer de
diverses façons (notamment la prorogation de délai demandée pagr la Gui -
née pour le dépôt de ses écritures), mais je reconnais qu’gil constitue un

facteur d’aggravation. Tout ce qui précède vient appuyer la congclusion
voulant que le traitement infligé à M. Diallo lui a causé souffrances et
humiliation, et a porté atteinte à sa réputation, ce qui justifige l’octroi
d’une indemnité substantielle au titre du dommage moral.
11. Cela dit, la somme octroyée par la Cour à cet égard dépasse gce à
quoi on aurait pu s’attendre eu égard aux indemnités accordéges par les

autres juridictions internationales, en particulier les plus accoutuméges à
déterminer l’indemnité à verser à raison de violations degs droits de
l’homme. C’est pourquoi j’aurais été enclin à accorderg une somme infé -
rieure à celle qui est fixée par l’arrêt. Je n’ai pas votég contre le point 1 du
dispositif, puisque mon désaccord avec cette conclusion de la Cour pogrte

sur une question de degré et non de principe. Quoi qu’il en soit, gje me dois
de signaler que, parmi les affaires mettant en jeu la violation de drogits de
l’homme, la présente est loin d’être la plus grave. Si la sogmme de
85 000 dollars des Etats-Unis constitue une juste réparation du dommage
moral subi par M. Diallo, l’ordre de grandeur à envisager dans le cas

d’une personne torturée ou forcée d’assister à l’exégcution de membres de
sa famille devrait être autrement plus important.

(Signé) Christopher Greenwood.

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DECLARATION OF JUDGE GREENWOOD

1. Although Guinea has brought this case in the exercise of its right of
diplomatic protection, the case is in substance about the human rights of
Mr. Diallo. The damages which the Court has ordered the Democratic
Republic of the Congo (“the DRC”) to pay to Guinea are calculategd by
reference to the loss suffered by Mr. Diallo and are intended for his ben -
efit, not that of the State. As the Court held in its 2010 Judgment,

(Ahmadou Sadio Diallo (Republic of Guinea v. Democratic Republic of the
Congo), Merits, Judgment, I.C.J. Report 2010 (II), p. 692), the DRC
committed serious violations of Mr. Diallo’s human rights. He was
unlawfully and arbitrarily detained and expelled from the country in
which he had long been resident without any semblance of due process

and without being given the opportunity to wind up his affairs before he
was forced out of the country. In accordance with long-established legal
principle, there can thus be no doubt that the DRC must compensate for
the loss and damage which those unlawful acts caused Mr. Diallo. The
Parties having failed to agree upon the amount of compensation, Guinea

now seeks a total of more than US$11.5 million. The Court has ordered
the DRC to pay US$95,000, a sum amounting to less than one per cent of
that claim. It is important to be clear about why Guinea has recovered
what seems at first sight to be so little.

2. The first reason can be found in the Court’s two earlier Judgments
in 2007 and 2010. In its Judgment of 24 May 2007 (Ahmadou Sadio Diallo
(Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), p. 582), the Court held
that Guinea lacked standing to claim in respect of alleged infringementsg

of the rights of Mr. Diallo’s two companies, Africom-Zaire and Africon -
tainers-Zaire (see ibid., pp. 614-616, paras. 86-94). In its Judgment of
30 November 2010 (Ahmadou Sadio Diallo (Republic of Guinea v. Demo ‑
cratic Republic of the Congo), Merits, Judgment, I.C.J. Report 2010 (II),
p. 693), the Court rejected Guinea’s claims for violation of Mr. Diallo’s

rights as associé in the companies (see ibid., pp. 673-690, paras. 99-159).
Both of these rulings were based on an application of the principle in
Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgium v.
Spain) (Second Phase, Judgment, I.C.J. Reports 1970, p. 35). At the heart
of the Barcelona Traction principle is the elementary proposition that the
rights, assets and liabilities of a limited company are separate and disgtinct

from those of its shareholders and that a State exercising diplomatic prgo -
tection of a shareholder may claim only in respect of the rights of the g

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DÉCLARATION DE M. LE JUGE GREENWOOD

[Traduction]

1. Même si c’est dans l’exercice de sa protection diplomatique queg la
Guinée a saisi la Cour, la présente espèce concerne essentiellegment les
droits de l’homme de M. Diallo. Les dommages-intérêts que la Cour a
ordonné à la République démocratique du Congo (RDC) de vergser à la
Guinée, et dont le montant a été établi en fonction de la pegrte subie par
M. Diallo, sont destinés à indemniser ce dernier, et non l’Etat augquel il

ressortit. Comme la Cour l’a dit dans son arrêt de 2010 (Ahmadou Sadio
Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 692), la RDC s’est rendue coupable de
violations graves contre les droits de l’homme de M. Diallo : celui-ci a été,
illicitement et arbitrairement, détenu puis expulsé du pays où il résidait

depuis longtemps, et ce, sans la moindre possibilité de faire valoir gses
droits ou de liquider ses affaires avant son départ forcé. En cognformité
avec les principes bien établis en droit, il incombe donc sans aucun gdoute
à la RDC de réparer la perte et le dommage qu’ont causés cesg faits illicites
à M. Diallo. Les Parties n’ayant pu se mettre d’accord sur le montant dge

l’indemnité, la Guinée a, dans la présente phase de la procégdure, réclamé
une somme totale de plus de 11,5 millions de dollars des Etats-Unis ; or
la Cour vient d’ordonner à la RDC de lui verser 95 000 dollars des
Etats-Unis, soit moins de un pour cent de la somme demandée. Il importe
d’expliquer clairement pourquoi la Guinée s’est vu octroyer uneg indem -
nité qui paraît a priori si modeste.

2. La première raison est à rechercher dans les deux arrêts rendusg par
la Cour en 2007 et en 2010. Dans sa décision du 24 mai 2007 (Ahmadou
Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 582), la Cour a
ainsi dit que la Guinée n’avait pas qualité pour agir relativemgent aux

atteintes qui auraient été portées aux droits des deux sociégtés de M. Diallo,
Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre (voir ibid., p. 614-616, par. 86-94).
Dans son arrêt du 30 novembre 2010 (Ahmadou Sadio Diallo (République
de Guinée c. République démocratique du Congo), fond, arrêt, C.I.J. Recueil
2010 (II), p. 693), elle a rejeté la demande de la Guinée en ce qu’elle avaigt

trait à la violation des droits de M. Diallo en tant qu’associé de ces socié -
tés (voir ibid., p. 673-690, par. 99-159). Dans les deux cas, la position de
la Cour reposait sur le principe établi dans l’affaire de la Barcelona Trac ‑
tion, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne) (deuxième
phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 35), principe qui découle du postulat
élémentaire voulant que les droits, biens et dettes d’une société à respon -

sabilité limitée sont distincts de ceux de ses actionnaires et queg l’Etat
auquel ressortit un actionnaire ne peut, dans le cadre de l’exercice gde la

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6 CIJ1032.indb 139 26/11/13 09:37 392 ahmadou sadio diallo (dgecl. greenwood)

shareholder, not those of the company. In its Memorial in the present
phase, however, Guinea sought US$4.36 million in compensation for

what it claimed was the diminution of the value of Mr. Diallo’s share -
holding in the companies. Although couched in different language, thisg
claim is in substance the same as the claims already rejected by the Cougrt
and thus has to be dismissed.

3. The second reason for the comparatively small sum recovered by
Guinea lies in the lack of evidence presented in support of the claim fogr
material damage allegedly sustained by Mr. Diallo. Guinea claimed in
excess of US$7 million for loss of earnings and loss of Mr. Diallo’s per -
sonal property. For Guinea to succeed in that claim, it had to produce
evidence which demonstrated that Mr. Diallo had sustained the loss

claimed and that that loss had been caused by the unlawful acts of the
DRC. Guinea has not, however, produced any evidence to that effect. Ifg
one takes the claim for loss of earnings, there is no evidence whatsoevegr
of what Mr. Diallo was earning prior to, or following, his detention and
expulsion from the DRC. If, as Guinea maintains, he was being paid a

substantial salary as gérant of the two companies prior to his arrest, then
that fact would have been recorded in the accounts of the companies and,g
presumably, have been reflected in Mr. Diallo’s bank account records and
tax records. Guinea has produced none of these documents. Nor has
Guinea suggested that they no longer exist or are not accessible to

Mr. Diallo, whereas Guinea has produced considerable numbers of docu -
ments from the two companies regarding other aspects of the case.

4. Indeed, as the Judgment records (at paras. 42-43), such evidence as
there is suggests that, at least by 1995, Mr. Diallo was not in receipt of
the income which Guinea now asserts he was receiving and that the two

companies were in no position to pay him such an income. In the pre -
liminary objections phase of the case, Guinea asserted, in marked con -
trast to the position which it now takes, that Mr. Diallo was “already
impoverished” before he was detained by the DRC. In particular, Guinega
submitted a certificate obtained by Mr. Diallo on 12 July 1995, i.e., some

four months before he was first detained, in which he was “declared tem -
porarily destitute, insolvent and lacking any means of subsistence”. gIn the
present phase of the proceedings, Guinea has sought to minimize the sig -
nificance of this document but I do not think it can so easily be dismissged.
If it was an honest and accurate statement of Mr. Diallo’s affairs, then he

was not receiving an income from his companies before he was detained
and could not, therefore, have lost that income as a consequence of his g
detention; if it was not an honest and accurate statement, then it would
appear to have been obtained by fraud, in which case it raises serious
questions about whether any reliance can be placed upon assertions ema -
nating from Mr. Diallo about his income or assets. In addition, the

evidence before the Court at the merits phase of the case establishes thgat
both companies had ceased trading activities several years before

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6 CIJ1032.indb 140 26/11/13 09:37 ahmadou sadio diallo (dgécl. greenwood) 392

protection diplomatique, demander une indemnisation qu’à raison degs
droits de ce dernier et non de ceux de la société. Dans le mémogire qu’elle

a déposé au cours de la présente phase de l’instance, toutefgois, la Guinée
a réclamé 4,36 millions de dollars des Etats-Unis au titre de la déprécia -
tion des parts détenues par M. Diallo dans les deux sociétés. Or, si la
formulation est différente, cette réclamation recouvre essentielglement celle
que la Cour a déjà rejetée, et elle doit en conséquence subir le même sort.

3. La seconde raison qui explique le montant relativement modeste de
l’indemnité octroyée à la Guinée réside dans l’insugffisance des preuves
présentées à l’appui de la demande formée au titre du domgmage matériel
censément subi par M. Diallo. La Guinée a réclamé plus de 7 millions de
dollars des Etats-Unis à raison de la perte de revenus et de biens person -
nels subie par l’intéressé. Pour avoir gain de cause sur ce point, il eût fallu

qu’elle démontrât que M. Diallo avait effectivement subi la perte alléguée
et que celle-ci avait été causée par les faits illicites imputables à la gRDC.
Or elle n’a produit aucune preuve à cet effet. S’agissant de gla perte de
revenus, par exemple, il n’y a pas le moindre élément permettangt de savoir
ce que gagnait M. Diallo avant et après sa détention et son expulsion de

RDC. Si, comme le soutient la Guinée, ce dernier avait touché, àg titre de
gérant des deux sociétés, une rémunération substantielle gavant son arres -
tation, les archives des sociétés et, vraisemblablement, les documgents ban -
caires et fiscaux de l’intéressé auraient pu l’attester. Or, gsans pour autant
laisser entendre que ces documents avaient disparu ou que M. Diallo

n’avait pu y avoir accès, la Guinée n’a produit aucun justifigcatif de cette
nature, alors qu’elle a présenté, s’agissant d’autres aspects de l’affaire, une
quantité considérable de documents émanant des sociétés.
4. De fait, comme le relève l’arrêt (par. 42-43), les quelques éléments de
preuve disponibles donnent à penser que, du moins en 1995, M. Diallo
ne touchait plus les revenus allégués au stade actuel par la Guinége, et que

les deux sociétés n’étaient plus en mesure de les lui verserg. A l’étape des
exceptions préliminaires, la Guinée avait affirmé, au rebours gde la posi -
tion qu’elle a fait valoir dans la présente phase de l’instanceg, que M. Diallo
était «déjà dans le dénuement» avant même d’être mis en détention par la
RDC. Elle avait notamment soumis un certificat obtenu par M. Diallo le

12 juillet 1995, soit environ quatre mois avant sa première détention, dans
lequel ce dernier était «déclaré indigent temporaire, insolvable et dépourvu
de tout appui vital après examen de son dossier ». Dans la présente phase,
la Guinée a tenté de minimiser l’importance de ce document, maigs je ne
crois pas que celui-ci puisse être écarté aussi facilement. S’gil s’agit d’un

constat véridique et exact de la situation de M. Diallo, cela signifie que ce
dernier ne tirait pas de revenus de ses sociétés au moment où igl a été mis
en détention, revenus qu’il ne peut donc avoir perdus en raison deg son
incarcération. Dans l’hypothèse contraire, le certificat aurait été obtenu
de manière frauduleuse, ce qui rendrait hautement suspecte toute dégclara -
tion qu’aurait pu faire M. Diallo à propos de ses biens ou de ses revenus.

Par ailleurs, les preuves soumises à la Cour au stade du fond établissent
que les deux sociétés avaient déjà cessé toute activitég commerciale plu -

72

6 CIJ1032.indb 141 26/11/13 09:37 393 ahmadou sadio diallo (dgecl. greenwood)

Mr. Diallo was arrested and expelled, so that it would be surprising, to
say the least, if they had been paying him a salary of US$300,000 a yearg

in 1995.
5. In these circumstances, I believe the Court had no option but to
dismiss Guinea’s claim for loss of earnings. It is not a case in which the
Court would have been justified in making an award based on equitable
considerations. I accept that such considerations may have a role in

claims for material damage where the claimant is unable to produce evi -
dence. However, that is not the case here. Guinea has produced evidence g
regarding the finances of both Mr. Diallo and the two companies but it is
evidence which undermines, rather than sustains, its claim. Equitable
principles should not be used to make good the shortcomings in a clai -
mant’s case by being substituted for evidence which could have been pgro-

duced if it actually existed : equity is not alchemy.

6. With one qualification, the same is true of the claim for the alleged
loss of Mr. Diallo’s personal effects. Most of this claim related to a num -

ber of valuable items, such as works of art or jewellery, allegedly takegn
from Mr. Diallo’s apartment. Yet there is no evidence that Mr. Diallo
ever owned such items, that they were in his apartment at the time of higs
expulsion or that they were lost as a result of that expulsion. Nevertheg -
less, it is clear from the record that Mr. Diallo was expelled without being

given the opportunity to take care of his personal property and that no g
attempt was made by the DRC to safeguard his apartment. In these cir -
cumstances, I accept that some loss must have been sustained and have
voted in favour of the award of US$10,000 in respect of that head of
claim.

7. That leaves the claim for non-material or moral damage. An award of
compensation is plainly required under this heading. The Judgment
(at para. 18) cites the opinion of the umpire in the Lusitania cases (United
Nations, Reports of International Arbitral Awards, Vol. VII, p. 32) that

injury for such damage is recoverable in international law. That opiniong
adds that “[s]uch damages are very real, and the mere fact that they are
difficult to measure or estimate by money standards makes them none theg
less real” (ibid., p. 40). The nature of such damage means that specific evi -
dence cannot be required and that the assessment of compensation can onlgy

be based upon equitable principles. Nevertheless, just as the damages arge no
less real because of the difficulty of estimating them, so the determingation of
compensation should be no less principled because the task is difficultg and
imprecise. What is required is not the selection of an arbitrary figure bgut the
application of principles which at least enable the reader of the judgmegnt to
discern the factors which led the Court to fix the sum awarded. Moreover,g

those principles must be capable of being applied in a consistent and coghe -
rent manner, so that the amount awarded can be regarded as just, not

73

6 CIJ1032.indb 142 26/11/13 09:37 ahmadou sadio diallo (dgécl. greenwood) 393

sieurs années avant l’arrestation et l’expulsion de M. Diallo, de sorte qu’il
serait pour le moins surprenant qu’elles aient pu lui verser, en 1995, un

revenu annuel de 300 000 dollars des Etats-Unis.
5. Dans ces conditions, j’estime que la Cour n’avait d’autre choixg que
de rejeter la demande de la Guinée au titre de la perte de revenus. Il nge s’agit
pas d’une affaire où elle aurait été fondée à s’agppuyer sur des considérations
d’équité pour octroyer une indemnité. J’admets que de telgles considérations

puissent intervenir lorsque le demandeur est dans l’impossibilité gde fournir
les preuves voulues. Cependant, tel n’est pas le cas en l’espècge. La Guinée
a bien produit des éléments de preuve en ce qui concerne tant la sitguation
financière de M. Diallo que celle des deux sociétés, mais ces éléments tendengt
plutôt à battre en brèche qu’à étayer sa position. Les principes d’équité
ne sont pas destinés à combler les lacunes du dossier du demandeur,

en suppléant à l’absence d’éléments de preuve qui auraiengt pu être pro -
duits s’ils avaient véritablement existé: il ne faut pas confondre équité et
alchimie.
6. A une réserve près, il en va de même de la demande formée aug titre
de la perte de biens personnels qu’aurait subie M. Diallo. La partie la

plus importante de cette réclamation concernait un certain nombre
d’objets de valeur, tels que des œuvres d’art et des bijoux, qui auraient
disparu de l’appartement de M. Diallo. Rien pourtant ne prouve que
M. Diallo ait jamais possédé de tels objets, que ceux-ci se soient trouvés
dans son appartement au moment de son expulsion ni que leur perte ait

été le résultat de cette mesure. Cela dit, il ressort clairement du dossier
que M. Diallo a été expulsé sans avoir la possibilité de prendre les dispo -
sitions voulues en ce qui concerne ses biens personnels, et que la RDC ng’a
rien fait pour protéger son appartement. Dans ces conditions, j’adgmets
qu’une perte a été subie, c’est pourquoi je me suis prononcé en faveur de
l’octroi d’une indemnité de 10 000 dollars des Etats-Unis pour ce chef de

préjudice.
7. Reste alors la demande concernant le dommage immatériel ou moral.
A l’évidence, une indemnisation s’impose pour ce chef. L’arrgêt (au par. 18)
confirme que le préjudice subi à ce titre est indemnisable en droitg interna -
tional, reprenant les propos de l’arbitre saisi des affaires Lusitania (Nations

Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. VII, p. 32), qui a observé que les
préjudices immatériels «sont très réels [et que] le seul fait qu’ils sont diffi-
ciles à mesurer ou à estimer en valeurs monétaires ne les rend gpas moins
réels » (ibid., p. 40). Etant donné la nature même de ce type de dommage,
on ne saurait exiger d’éléments de preuve spécifiques, et la gdétermination

du montant de l’indemnité ne peut reposer que sur les principes égquitables.
Cela posé, de même que la difficulté de l’évaluer ne rengd pas le dommage
moins réel, de même la difficulté et l’absence de critèrges précis en matière de
fixation du montant ne rendent pas moins nécessaire, à cet égardg, de procé -
der selon certains principes. Il ne s’agit pas de choisir un montant garbi -
traire, mais d’appliquer des principes qui, à tout le moins, permegttront au

lecteur de l’arrêt de saisir les facteurs qui auront conduit la Cogur à arrêter
tel ou tel montant. De plus, ces principes doivent être susceptibles gd’appli -

73

6 CIJ1032.indb 143 26/11/13 09:37 394 ahmadou sadio diallo (dgecl. greenwood)

merely by reference to the facts of this case, but by comparison with otgher
cases.

8. As this is the first occasion on which the Court has had to assess
damages since the Corfu Channel case (United Kingdon v. Albania)
(Assessment of the Amount of Compensation, Judgment, I.C.J. Reports
1949, p. 171), it is entirely appropriate that the Court, recognizing that

there is very little in its own jurisprudence on which it can draw, has gmade
a thorough examination of the practice of other international courts andg
tribunals, especially the main human rights jurisdictions, which have
extensive experience of assessing damages in cases with facts very similar
to those of the present case. International law is not a series of fragmented
specialist and self-contained bodies of law, each of which functions in

isolation from the others ; it is a single, unified system of law and each
international court can, and should, draw on the jurisprudence of other g
international courts and tribunals, even though it is not bound necessargily
to come to the same conclusions.
9. A study of those judgments, however, shows that the sums awarded

for moral damage are usually quite small. A few examples must suffice.
So far as detention is concerned, the European Court of Human Rights
in Al‑Jeddav. United Kingdom (Grand Chamber, application No. 27021/08,
judgment No. 27021/08) considered a figure of €25,000 (equivalent to
approximately US$36,000 at the rate of exchange on the date of that

judgment) sufficient for a detention which lasted more than three yeargs
(judgment of 7 July 2011, 147 International Law Reports 107). In Lupsa v.
Romania (application No. 10337/04, judgment of 8 June 2006), the same
Court considered that a sum of €15,000 (approximately US$19,000 at tghe
rate of exchange on the date of that judgment) was equitable in respectg of
both moral and material damage in the case of a man who was unlawfully

expelled from the respondent State after residing there for fourteen years,
during which he had founded a family and established a business in the
country. The Inter-American Court of Human Rights in Gutiérrez‑
Soler v. Colombia (judgment of 12 September 2005) awarded US$100,000
to a man who had been tortured into signing a false confession, persecutged

for an offence he had not committed and separated from his family for gso
long that he lost all contact with his child for several years. It is algso
instructive to look at the case of M/V “Saiga” (No. 2) (Saint Vincent and
the Grenadines v. Guinea) (judgment of 1 July 1999, 120 International
Law Reports 143) before the International Tribunal for the Law of the

Sea. In that case, Guinea argued that compensation for moral damage in
relation to unlawful detention should not exceed US$100 per day. While
that figure seems to have been derived from arbitral awards given severalg
decades earlier, it stands in marked contrast to the sums claimed by Guig -
nea in the present case.

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6 CIJ1032.indb 144 26/11/13 09:37 ahmadou sadio diallo (dgécl. greenwood) 394

cation constante et cohérente, de façon que le montant fixé puisgse être
considéré comme juste non seulement eu égard aux faits de l’gespèce, mais
par comparaison avec d’autres affaires.
8. Comme c’est la première fois, depuis l’affaire du Détroit de Corfou
(Royaume‑Uni c. Albanie) (fixation du montant des réparations, arrêt,

C.I.J. Recueil 1949, p. 171), qu’elle est appelée à chiffrer des dommages-
intérêts, il est tout à fait opportun que la Cour, reconnaissangt qu’elle a
peu à tirer de sa propre jurisprudence en la matière, procède àg un examen
minutieux de celle d’autres juridictions internationales, surtout les cours
spécialisées dans les droits de l’homme, qui ont une grande expgérience de

l’évaluation de dommages-intérêts dans des circonstances semblables à
celles de la présente affaire. Le droit international n’est pas gun ensemble
disparate de corps de règles spécialisés et indépendants lesg uns des autres,
mais un système unique et cohérent, au sein duquel chaque juridictgion

internationale a la possibilité et même le devoir de s’appuyer gsur la juris -
prudence des autres, sans être pour autant tenue d’aboutir aux mêgmes
conclusions.
9. L’examen de cette jurisprudence, toutefois, montre que les sommes
accordées au titre du dommage moral sont généralement peu élgevées ;

quelques exemples suffiront. Pour ce qui est de la détention, la Cour euro -
péenne des droits de l’homme, dans l’affaire Al‑Jedda c. Royaume‑Uni
(Grande Chambre, requête n o 27021/08, arrêt n 27021/08), a jugé qu’une
somme de 25 000 euros (soit environ 36000 dollars des Etats-Unis, selon le

taux de change en vigueur à la date du prononcé de cet arrêt) gétait suffisante
pour une détention qui avait duré plus de trois ans (arrêt du g7 juillet 2011,
International Law Reports, vol. 147, p. 107). Dans l’affaire Lupsa c. Rouma ‑
nie (requête n 10337/04, arrêt du 8 juin 2006), la même juridiction a statué
que la somme de 15 000 euros (environ 19000 dollars des Etats-Unis, selon

le taux de change en vigueur à la date du prononcé de cet arrêt) constituait
une indemnité équitable pour les dommages tant moraux que matérgiels
subis par un homme qui avait été expulsé illicitement de l’Egtat défendeur, où
il avait fondé une famille et mis sur pied une entreprise au cours degs qua -
torze années qu’il y avait passées. De son côté, la Cour ginteraméricaine des

droits de l’homme a accordé, dans l’affaire Gutiérrez‑Soler c.Colombie (arrêt
du 12 septembre 2005), la somme de 100 000 dollars des Etats-Unis à un
homme qui avait été contraint sous la torture à signer de faux aveux, persé -
cuté pour une infraction qu’il n’avait pas commise et séparég de sa famille

pendant si longtemps qu’il avait perdu contact avec son enfant durantg plu -
sieurs années. Par ailleurs, l’arrêt rendu par le Tribunal du dgroit de la mer
dans l’affaire du Navire « Saiga » (n o 2) (Saint‑Vincent‑et‑les‑Grenadines c.
Guinée) (arrêt du 1 erjuillet 1999, International Law Reports, vol. 120, p. 143)
est d’autant plus intéressant que, dans cette affaire, la Guinége faisait valoir

que l’indemnité à payer à raison du dommage moral découlagnt d’une déten -
tion illicite ne devait pas dépasser 100dollars des Etats-Unis par jour. Or ce
montant, qui semble avoir été établi à la lumière de sentgences arbitrales
rendues plusieurs décennies auparavant, est d’un tout autre ordre que les
sommes réclamées par la Guinée en l’espèce.

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6 CIJ1032.indb 145 26/11/13 09:37 395 ahmadou sadio diallo (dgecl. greenwood)

10. I have no doubt that the treatment accorded to Mr. Diallo by the
DRC was a serious violation of his human rights which caused substan -

tial moral damage. Four factors seem to be relevant in assessing damages
for this violation. First, Mr. Diallo was detained for a total of 72 days,
without any semblance of due process or even explanation. Secondly, he
was arbitrarily expelled. This breach is more serious than most cases ofg
expulsion, because the DRC was the country in which Mr. Diallo had

made his home and his career for over thirty years — almost the whole of
his adult life — and in which he had a respected place in business and in
society. Thirdly, in its 2010 Judgment, the Court found that Mr. Diallo’s
expulsion was designed to prevent him from pursuing litigation on behalfg
of his two companies (I.C.J. Reports 2010 (II), p. 669, para. 82). Although
I did not agree with that conclusion (see pp. 720-723, paras. 18-23 of the

joint declaration of Judge Keith and myself), the Court having made that
finding, it is plainly a factor which has to be taken into account in theg
assessment of damages. Lastly, it seems to me appropriate that the awardg
of damages reflects the fact that there has been a considerable delay gsince
the events in question. Mr. Diallo was detained in 1995 and expelled from

the DRC at the beginning of 1996; it is now more than sixteen years later.
There are various explanations for that delay (including Guinea’s regquest
for an extension of time for filing its pleadings) but I accept that theg delay
is an aggravating factor. All of these factors sustain the finding that
Mr. Diallo’s treatment caused him suffering, humiliation and loss of

reputation and justify a substantial award in respect of moral damage.

11. Nevertheless, the sum awarded by the Court in respect of moral
damage is higher than might be expected when one bears in mind the

sums awarded by other international courts and tribunals, especially
those with the most extensive experience of determining compensation forg
violations of human rights. I would therefore have been inclined to awargd
a somewhat smaller sum than that determined by the Judgment. I have
not voted against paragraph 61 (1) of the Judgment, because my diffe -

rence with the conclusions reached by the Court is one of degree, ratherg
than principle. Nevertheless, I feel compelled to note that this case isg very
far from being one of the gravest cases of human rights violations. If
US$85,000 is an appropriate sum to compensate for Mr. Diallo’s moral
damage, the sum which is required in a case where, for example, a persong

has been tortured or forced to witness the murder of family members
would have to be several magnitudes higher.

(Signed) Christopher Greenwood.

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6 CIJ1032.indb 146 26/11/13 09:37 ahmadou sadio diallo (dgécl. greenwood) 395

10. Je ne doute pas que le traitement infligé par la RDC à M. Diallo
constitue une violation grave de ses droits, qui lui a causé un dommage

moral considérable. Quatre facteurs me semblent entrer en jeu pour l’géva -
luation du dommage découlant de cette violation. Premièrement,
M. Diallo a été détenu pendant un total de soixante-douze jours, sans la
moindre explication ou possibilité de faire valoir ses droits. Deuxiègme -
ment, il a été expulsé de manière arbitraire, mesure qui, eng l’espèce, est

aggravée par le fait que la RDC était le pays où il résidaitg et travaillait
depuis plus de trente ans (soit la presque totalité de sa vie d’agdulte), occu-
pant une position respectée dans la société et le milieu des affaires. Troi -
sièmement, dans son arrêt de 2010, la Cour a conclu que l’expulsion de
M. Diallo était destinée à empêcher ce dernier d’exercer desg poursuites
au nom de ses deux sociétés (C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 669, par. 82). Il se

trouve que je n’étais pas d’accord avec cette conclusion (voirg p. 720-723,
par 18-23 de la déclaration commune que le juge Keith et moi-même
avons jointe à l’arrêt), mais, puisque la Cour en a décidég ainsi, ce facteur
doit de toute évidence être pris en considération dans l’égvaluation des
dommages. Enfin, il me semble que le montant des dommages-intérêts

doit tenir compte du temps qui s’est écoulé depuis les faits eng litige.
M. Diallo a été mis en détention en 1995 et expulsé de RDC au début
de 1996, c’est-à-dire il y a plus de seize ans. Ce retard peut s’expliquer de
diverses façons (notamment la prorogation de délai demandée pagr la Gui -
née pour le dépôt de ses écritures), mais je reconnais qu’gil constitue un

facteur d’aggravation. Tout ce qui précède vient appuyer la congclusion
voulant que le traitement infligé à M. Diallo lui a causé souffrances et
humiliation, et a porté atteinte à sa réputation, ce qui justifige l’octroi
d’une indemnité substantielle au titre du dommage moral.
11. Cela dit, la somme octroyée par la Cour à cet égard dépasse gce à
quoi on aurait pu s’attendre eu égard aux indemnités accordéges par les

autres juridictions internationales, en particulier les plus accoutuméges à
déterminer l’indemnité à verser à raison de violations degs droits de
l’homme. C’est pourquoi j’aurais été enclin à accorderg une somme infé -
rieure à celle qui est fixée par l’arrêt. Je n’ai pas votég contre le point 1 du
dispositif, puisque mon désaccord avec cette conclusion de la Cour pogrte

sur une question de degré et non de principe. Quoi qu’il en soit, gje me dois
de signaler que, parmi les affaires mettant en jeu la violation de drogits de
l’homme, la présente est loin d’être la plus grave. Si la sogmme de
85 000 dollars des Etats-Unis constitue une juste réparation du dommage
moral subi par M. Diallo, l’ordre de grandeur à envisager dans le cas

d’une personne torturée ou forcée d’assister à l’exégcution de membres de
sa famille devrait être autrement plus important.

(Signé) Christopher Greenwood.

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6 CIJ1032.indb 147 26/11/13 09:37

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Document Long Title

Déclaration de M. le juge Greenwood

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