Opinion individuelle de M. le juge Keith

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143-20120203-JUD-01-02-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE KEITH

[Traduction]

1. Je souscris aux conclusions de la Cour et, dans une large mesure,
aux motifs exposés dans l’arrêt. La présente opinion a pour pobjet de
mettre l’accent sur le fait que les règles du droit international preconnais -
sant ou non l’immunité d’un Etat étranger devant les juridicptions d’un
autre Etat sont solidement fondées sur des principes de droit internatio -
nal et des politiques de l’ordre juridique international. J’entendps ainsi

enrichir l’analyse exhaustive et convaincante de la pratique étatipque à
laquelle s’est livrée la Cour.
2. L’un des principes fondamentaux du droit international en cause
dans le domaine à l’examen est celui de l’égalité souverapine des Etats ; il
s’agit du premier principe énoncé à l’article 2 de la Charte des

Nations Unies. En vertu de ce principe, tel que développé dans la déclap -
ration de 1970 relative aux principes du droit international touchant les
relations amicales et la coopération entre les Etats conformément pà la
Charte des Nations Unies, tous les Etats ont des droits et devoirs égaux
et sont juridiquement égaux (résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée géné -

rale). Dans les affaires qui soulèvent des questions ayant trait àp l’immu -
nité des Etats, ce principe ainsi que les droits et obligations qui epn
découlent s’appliquent par définition à deux Etats, à spavoir l’Etat du for,
où l’action en cause est engagée, et l’Etat étranger, quip est — ou est censé
être — l’Etat défendeur. La compétence des juridictions du premiepr
découle de la souveraineté de celui-ci. Si le tribunal concernép a compé -

tence pour connaître du différend porté devant lui lorsque lep défendeur
est une personne physique ou morale, pourquoi devrait-il en être autrpe -
ment lorsque le défendeur est un Etat étranger ? A cela s’opposent cepen-
dant les principes de l’égalité souveraine et de l’indépepndance de l’Etat
étranger, lesquels étayent l’immunité ; l’on ne saurait en effet exercer un

pouvoir de juridiction sur un égal.
3. La question est donc de savoir comment ces deux propositions
peuvent être conciliées. A cet égard, les décisions rendues par des juridic -
tions nationales, les lois adoptées par des parlements nationaux, les traités
— et les réformes législatives, processus diplomatiques et négocipations qui

y conduisent —, la pratique d’autres Etats — qui a été largement exami -
née dans le présent arrêt — ainsi que la doctrine fournissent certains élé -
ments de réponse. Dans ces différents contextes, une attention pparticulière
a toujours été accordée à la nature de l’acte qui fait l’pobjet de l’instance,
et tel continue d’être le cas. Pour l’exprimer en des termes gépnéraux, la
question est de savoir si l’acte en question est de nature publique, pautre -

ment dit s’il doit être considéré comme constituant l’exeprcice, par l’Etat,
de son autorité souveraine, ou s’il s’agit d’un acte à caractère privé, qui ne

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peut être distingué de celui de toute autre personne agissant dansp le cadre

du droit local. Dans le premier cas, la nécessité de respecter la psouverai -
neté d’un autre Etat ainsi que certaines considérations relativpes à la notion
de réciprocité et à d’éventuels risques pour les relationps internationales
peuvent revêtir la plus haute importance et donner à penser que l’pimmu -
nité s’impose. Dans le second cas, les similitudes entre les actes de l’Etat

étranger et ceux d’autres personnes agissant dans le cadre du droipt natio-
nal ainsi que les droits et obligations correspondants de l’autre parptie
(non étatique) à l’instance peuvent donner à penser qu’pil convient d’écar-
ter l’immunité. Il peut en être ainsi, par exemple, si l’actpe en cause revêt

un caractère commercial ou transactionnel ; s’il s’agit d’un délit ou d’un
quasi-délit supposé au regard du droit local, commis sur le territpoire de
l’Etat du for ; ou si l’action engagée a trait à des biens situés sur le tperri -
toire de cet Etat. Les réponses qui ont été apportées en fonpction de ces
éléments ont changé et, à n’en pas douter, continueront dpe changer avec

le temps, et ce, dans le sens d’une restriction de l’immunité. pEn la présente
espèce, l’Italie soutenait que la position adoptée par ses tribpunaux était
conforme à cette tendance. L’Allemagne contestait cet argument.
4. Ces questions se sont fait jour il y a deux siècles. Afin de le dépmon -
trer, je prendrai pour exemples deux décisions judiciaires datant du
e
XIX siècle ainsi qu’une résolution adoptée par l’Institut de pdroit interna-
tional. Si j’ai retenu ces exemples parmi bien d’autres, c’est pparce qu’ils
mettent en lumière tant les principes que les autres facteurs que j’pai men-
tionnés; ils montrent que la common law et les juristes issus de cette culture

— souvent considérés comme ayant souscrit à la concepteon de l’immunité
absolue jusqu’à une période bien avancée du XX siècle — avaient, tout
comme leurs homologues issus d’autres systèmes juridiques, admis tprès tôt
qu’il convenait de mettre en balance lesdits facteurs ; par ailleurs, ces
exemples divisent fort commodément le droit en deux parties: les domaines

dans lesquels les tribunaux de l’Etat du for sont fondés à exerpcer leur com -
pétence à l’égard d’un Etat étranger, et ceux où ils ne le peuvent pas en
raison de l’immunité dont jouit cet Etat. J’ai bien évidemmepnt conscience
qu’il est inhabituel, dans la pratique de la Cour et de sa devancièpre, de se
fonder sur des décisions rendues par des juridictions nationales. Toutefois,

ainsi que cela ressort du présent arrêt, la Cour a à juste titrpe accordé à
pareilles décisions un rôle essentiel. C’est qu’en effet, pdans le domaine du
droit qui est à l’examen, ce sont ces décisions, ainsi que la réaction — ou
l’absence de réaction — de l’Etat étranger, qui constituent une partie

importante de la pratique étatique. De surcroît, le raisonnement spuivi par
les juges à la lumière des principes pertinents est fort préciepux.
5. Je commencerai par me référer aux vues exposées il y a deux cents
ans par le Chief Justice Marshall, lequel s’exprimait au nom de la Cour
suprême des Etats-Unis d’Amérique. En l’affaire Schooner Exchange c.

McFaddon (11 US 116 (1812)), il a commencé par indiquer ce qui suit :
«La compétence des tribunaux est une branche de ce qui appar -

tient à la nation en tant que pouvoir souverain indépendant.

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6 CIJ1031.indb 131 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 163

Le pouvoir de juridiction de la nation à l’intérieur de son proppre
territoire est nécessairement exclusif et absolu. Il ne peut faire l’objet

d’aucune restriction qui ne soit imposée par la nation elle-mêmpe.
Toute restriction de ce pouvoir de juridiction qui serait imposée parp
une source extérieure impliquerait une diminution équivalente de lpa
souveraineté de la nation ainsi qu’une ingérence équivalentep de la
puissance étrangère qui aurait imposé cette limitation dans la psphère

souveraine de la nation. » (11 US 116, p. 136.)
Le Chief Justice Marshall a ensuite passé en revue différents exemples de

consentement de l’Etat territorial fondés, selon lui, sur l’usapge commun et
sur l’opinion commune découlant de cet usage. Soixante ans plus tard, un
juge anglais, sir Robert Phillimore, a rejeté l’invocation de l’immunité par
le khédive d’Egypte. Il a commencé son examen de l’immunité de juridic -
tion du prince étranger en

«expos[ant] avec précision les fondements sur lesquels repose ce pri -
vilège. Il ressort des principes énoncés dans la jurisprudence pgénérale

que le fait qu’une personne ou un bien soit présent à l’intéprieur des
limites d’un Etat fonde la compétence des tribunaux de cet Etat… Ce
principe ne vaut ni pour le prince souverain ni pour son représen -
tant; cette dernière règle s’applique de manière absolue lorsqu’pil
s’agit de leur personne et, lorsqu’il s’agit de leurs biens, au moins

pour autant que le bien en question est en rapport avec la dignité dep
leur rang et l’exercice de leurs fonctions publiques.
Sur quels fondements ce privilège repose-t-il ? Certainement pas
sur le fait que le souverain posséderait, de par sa souveraineté, pun
droit absolu à en bénéficier ; pareil droit ne serait en effet pas compa -

tible avec le droit du souverain territorial… Le véritable fondement
de l’immunité est le consentement et l’usage des Etats indéppendants,
lesquels ont universellement accordé cette immunité de juridictionp
afin de permettre au représentant de la souveraineté d’un Etapt étran -
ger de s’acquitter de ses fonctions avec dignité et en toute liberpté,

sans être entravé par une quelconque action en justice. » (The Char ‑
kieh (1873), LR 4 A & E 59, p. 88.)

Les références faites par ces juges à l’usage commun et à l’opinion com -
mune qui en découle incitent à penser que le consentement de l’pEtat terri-
torial commençait à être considéré comme une fiction; selon ma perception
du développement du droit, la conciliation entre les souverainetésp concur -
rentes a alors cessé de reposer sur l’idée du consentement, tandis que

d’autres facteurs susmentionnés, et notamment la nature de l’acte en cause,
ont été pris en considération. L’effet conjugué de ce dpernier facteur, du
consentement (implicite) et de considérations de principe ressort lpui aussi
de ces deux décisions, dans lesquelles les juges ont exposé des siptuations où
la souveraineté territoriale pouvait l’emporter sur celle de l’pEtat étranger.

6. Le Chief Justice Marshall s’est ainsi penché sur ce qu’il considérait
comme un cas manifestement différent, à savoir celui des biens pprivés du

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6 CIJ1031.indb 133 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 164

prince. Selon le Chief Justice Marshall, lorsqu’il acquiert un bien à titre
privé dans un pays étranger, un prince pourrait être considéré « comme

soumettant ce bien à la juridiction territoriale dudit Etat ; il peut être
considéré comme ayant, dans cette mesure, renoncé à sa qualipté de prince,
comme étant devenu un simple particulier » (11 US 116, p. 145); ou bien,
pourrait-on ajouter, les éléments de souveraineté, d’égalpité, d’indépen -
dance et de dignité font en pareil cas défaut, et le consentement p— celui,

cette fois, de l’Etat étranger, qui est généralement implicite — peut,
dès lors, être considéré comme consistant à refuser l’immunitpé. De la
même manière, sir Robert Phillimore a mis l’accent sur le fait que le
navire qui faisait l’objet de l’instance dont il était saisi «p servait aux fins
ordinaires du commerce. Il appartenait à ce que l’on peut qualifiper de
flotte commerciale.» (LR 4 A & E 59, p. 99.) Il avait préalablement indi -

qué ce qui suit :
«L’objet du droit international, dans ce domaine comme dans

d’autres, n’est ni de commettre des injustices ni d’empêcher qu’il soit
fait droit à une juste demande, mais de substituer au recours ordinaipre
aux tribunaux — lorsque pareil recours risquerait de porter atteinte à
la dignité des représentants d’un Etat étranger ou de les enptraver dans
l’exercice de leurs fonctions — les négociations intergouvernemen -

tales, quoique celles-ci puissent être dilatoires et que l’issue ppuisse en
être lointaine et incertaine. Si, en revanche, le procès ne prépsente pas
l’inconvénient susmentionné, alors tant l’objet du droit intpernational
que celui du droit commun sont atteints: s’agissant du premier, par le
respect de la dignité personnelle et de la commodité du souverain ;

s’agissant du second, par l’administration de la justice.
Les exceptions universellement reconnues à la règle générale de
l’immunité souveraine démontrent, à l’examen, le bien-fondé de cette
proposition. Il est par exemple admis que l’immunité de juridictiopn ne
s’applique pas aux immeubles. Cela peut s’expliquer par le fait qupe le
propriétaire de pareils biens est à ce point intégré dans lep système

juridique de l’Etat dans lequel ceux-ci se trouvent que l’inconvénient
que cela constitue, d’une manière générale, pour les Etats dpe recon -
naître l’exemption de juridiction l’emporte sur l’avantage qpui fonde
cette exemption en d’autres matières. Une autre raison est cependapnt
assurément … que pareil procès peut être mené sans qu’il soit besoin

de signifier la citation au souverain et sans que cela n’affecte pd’une
quelconque manière un bien personnel qui serait nécessaire à l’pexer -
cice de ses fonctions. L’exemption de juridiction doit donc être écar -
tée, que ce soit pour l’une des raisons susmentionnées, ou encopre pour
une troisième, à savoir que le fait d’acquérir un immeuble emporte

renonciation à ce privilège.» (LR 4 A & E 59, p. 97-98.)
7. Le premier de ces deux paragraphes met fort utilement en lumière la
distinction entre l’obligation de fond qui incombe à l’Etat éptranger et les

moyens procéduraux ou institutionnels par lesquels cette obligation dpoit
être exécutée; il est satisfait à la «juste demande», dans un cas, par le biais

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6 CIJ1031.indb 135 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 165

d’une procédure judiciaire et, dans l’autre, par la négociatpion entre Etats.
Cette distinction est essentielle en droit d’une manière généprale, et elle l’est

plus particulièrement en la présente espèce (voir le point 3 de la section III
de l’arrêt). Le second paragraphe, outre qu’il rappelle d’aputres cas dans
lesquels la souveraineté territoriale l’emporte, étaye cette copnclusion.
8. Dans le projet de règlement international sur la compétence des tri -
bunaux dans les procès contre les Etats, souverains ou chefs d’Etapt étran-

gers, adopté en 1891 par l’Institut de droit international, figure une liste
exhaustive de six cas dans lesquels des actions judiciaires peuvent être
intentées contre des Etats étrangers. Sur cette liste sont mentionpnées
les actions en dommages-intérêts nées d’un délit ou d’un qpuasi-délit
commis sur le territoire de l’Etat du for (art. 4, para. 6). Cette liste est

immédiatement suivie d’une interdiction de pareilles actions, notapmment
en ce qui concerne les actes de souveraineté (art. 5). Une approche simi -
laire ressort de la résolution relative à l’immunité de juripdiction et d’exéc-u
tion des Etats, que l’Institut a adoptée un siècle plus tard, Mp. Ian Brownlie
ayant exercé les fonctions de rapporteur (« Les aspects récents de l’immu-

nité de juridiction et d’exécution des Etats», 1991). Cette résolution énonce
neuf critères indicatifs de la compétence des tribunaux ou autres organpes
de l’Etat du for, et cinq critères indiquant le contraire. Parmi les premiers
figurent les actions « concernant le décès ou les dommages corporels de
personnes ainsi que la perte ou les dommages aux biens, imputables à des

activités d’un Etat étranger ou de ses agents dans les limites pde la compé-
tence interne de l’Etat du for » (art. 2, par. 3, al. e)). Parmi les seconds
critères, indicatifs de l’incompétence, sont mentionnés : 1) « [l]a relation
entre l’objet du différend et la légalité des opérations de l’Etat défendeur
au regard du droit international public» (art. 2, par. 3, al. b)) ; et 2) le fait

que «[l]es organes de l’Etat du for ne devraient pas se déclarer compéptents
pour enquêter sur le contenu ou la mise en œuvre des politiques dep l’Etat
défendeur en matière de relations extérieures, de défense naptionale ou de
sécurité publique» (art. 2, par. 3, al. d)).
9. Cette résolution a été adoptée quelques semaines à peine après que

la Commission du droit international (CDI) eut achevé son projet d’par -
ticles sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs bienps, projet
qui a été à la base de la convention des Nations Unies de 2004. En 1991,
la CDI a précisé que restait généralement valide le commentapire qu’elle
avait adopté en 1980, lequel était fondé sur l’examen d’une grande partie

de la pratique étatique, y compris la législation, les actes de l’exécutif et
les décisions judiciaires, les traités et nombre d’autres sources faisant
autorité. Ce commentaire, qui figurait sous l’intitulé « Fondement ration-
nel de l’immunité des Etats », se lisait comme suit :

«Les arguments les plus convaincants que l’on puisse avancer à
l’appui du principe de l’immunité des Etats se trouvent dans lep droit
international tel qu’il se dégage des usages et de la pratique desp Etats,

exprimés en termes de souveraineté, d’indépendance, d’épgalité et de
dignité des Etats. Toutes ces notions semblent s’unir pour constitpuer

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6 CIJ1031.indb 137 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 166

une base juridique ferme sur laquelle se fonde l’immunité souveraipne.

L’immunité des Etats découle de la souveraineté. Deux sujetsp égaux
ne peuvent exercer leur volonté ou leur autorité souveraine l’upn
sur l’autre : par in parem imperium non habet. » (Annuaire de la Com ‑
mission du droit international (ACDI), 1980, vol. II (deuxième par -
tie), p. 152, par. 55 du commentaire relatif à l’article 6 ; ibid., 1991,

vol. II (deuxième partie), p. 23, par. 1 du commentaire relatif à l’ar -
ticle 5).

10. Tout au long de ses travaux sur le sujet, la CDI a continué d’éptablir
la distinction entre public et privé — pour utiliser un raccourci — qui
s’était fait jour au début du XIX siècle. Dans la première sphère, les prin-
cipes d’égalité souveraine, d’indépendance, de récipropcité et de dignité, les

risques éventuels pour les relations internationales et, le cas écphéant, le
fait que l’Etat territorial ait (implicitement) consenti à renonpcer à sa com-
pétence territoriale l’emportaient. Dans la seconde sphère, l’pEtat étranger,
en agissant de fait comme une personne privée dans le cadre du systèpme
juridique local, soit se soumettait lui-même au droit et au systèmpe judi -

ciaire locaux, soit y devenait assujetti. La CDI, en rédigeant les hupit dis -
positions qui figurent aujourd’hui dans la troisième partie, intitulée
«Procédures dans lesquelles les Etats ne peuvent pas invoquer l’immpu -
nité», de la convention des Nations Unies, a opéré un choix entre ces

deux hypothèses. L’expression «l’Etat est considéré comme ayant consenti
à l’exercice de » la compétence locale, qui figurait dans quatre de ces dis -
positions, a ainsi été remplacée par l’expression «l’Etat ne peut invoquer»
l’immunité de juridiction devant ce tribunal (ACDI, 1991, vol. II
(deuxième partie), p. 34, par. 2 du commentaire relatif à l’article 10).

Il n’est donc plus question de consentement implicite ou fictif de l’pEtat
étranger; les propositions étayant la souveraineté territoriale prennent
désormais la forme d’énoncés de droit général.
11. A la lumière de ce qui précède, j’examinerai à présentp les faits qui
sont au cœur des actions engagées devant les tribunaux italiens. Lpes forces

allemandes ont infligé des souffrances indicibles au peuple italipen au cours
de la période allant du mois de septembre 1943 jusqu’à la libération de
l’Italie, en mai 1945. L’Allemagne reconnaît ces faits et leur caractère illi -
cite, précisant qu’elle admet pleinement sa responsabilité pourp ces ter -

ribles événements. Les tribunaux italiens sont-ils alors fondésp à exercer
leur compétence à l’égard d’actions se rapportant à ceps faits et engagées
contre l’Allemagne ? Comment la contradiction entre des souverainetés
égales peut-elle être levée ?
12. L’une des réponses avancées par l’Italie était fondée psur la règle du

délit ou du quasi-délit local. Ainsi que cela a été précipsé, cette règle est
admise de longue date, au moins dans la doctrine ; de toute évidence, les
actes en cause dans la présente affaire seraient illégaux au regpard de tout
système juridique national, et illicites en droit international. Quelple est
cependant la portée de ladite règle ? Ses formulations en 1891 et 1991 par

l’Institut de droit international requièrent un élément territorial, à savoir

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6 CIJ1031.indb 139 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 167

que l’acte en question ait été commis sur le territoire ou dansp les limites
de la compétence interne de l’Etat du for (voir par. 8 ci-dessus). Ce même

élément est énoncé de façon plus détaillée à l’article 12 de la convention
des Nations Unies de 2004 :

«A moins que les Etats concernés n’en conviennent autrement, un
Etat ne peut invoquer l’immunité de juridiction devant un tribunalp
d’un autre Etat, compétent en l’espèce, dans une procédurpe se rap -
portant à une action en réparation pécuniaire en cas de décèps ou
d’atteinte à l’intégrité physique d’une personne, ou epn cas de dom -

mage ou de perte d’un bien corporel, dus à un acte ou à une omipssion
prétendument attribuables à l’Etat, si cet acte ou cette omissipon se
sont produits, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autpre
Etat et si l’auteur de l’acte ou de l’omission était préspent sur ce terri -
toire au moment de l’acte ou de l’omission. »

13. La disposition précitée ainsi que le commentaire y relatif de la CDI
mettent l’accent sur le caractère à la fois local et privé dpe la procédure judi-
ciaire en question. Le droit local doit prévoir un droit à répapratio ;l’auteur

doit avoir été présent sur le territoire au moment où l’apcte s’est produi;tet
celui-ci doit s’y être produit en totalité ou en partie. Selon pla CDI, l’excep -
tion à la règle de l’immunité « n’est applicable qu’aux cas dans lesquels
l’Etat intéressé aurait été tenu de réparer en vertu dpe la lex loci delicti com‑
missi»; le tribunal le plus indiqué est celui de l’Etat où l’acte pa été commi;s

et la dérogation à la règle de l’immunité permettrait d’pempêcher qu’une
compagnie d’assurance puisse se retrancher derrière l’immunitép de l’Etat
(les dommages susceptibles d’être couverts seront, pour la pluparpt, assu -
rables) (ACDI, 1991, vol. II (deuxième partie), p. 44-45, par. 2-4 du com -
mentaire relatif à l’article 12). La règle figurant à l’article 12, à supposer
qu’elle énonce le droit international coutumier, ainsi que le fondpement sur

lequel elle repose n’ont manifestement pas trait aux actes délictupels ou quasi
délictuels commis ailleurs, en l’espèce en dehors de l’Italipe.
14. La CDI est également d’avis que les assassinats politiques (s’pils ont
été commis à l’instigation de l’Etat ou si celui-ci en avpait connaissance, je
présume) tomberaient sous le coup de cette disposition. Cela paraîpt fondé,

quoique pareil acte puisse, d’une certaine manière, être considéré comme
étant de nature proprement publique ou gouvernementale ; selon toute
vraisemblance, il s’agirait aussi d’une violation grave du droit lpocal, qui
engagerait la responsabilité civile et donnerait lieu à une actionp devant les
tribunaux locaux. Pour en revenir au point de départ énoncé parp le Chief

Justice Marshall, celui de la compétence exclusive des juridictions dpu sou -
verain local, rien ne justifie, selon moi, du point de vue de l’épgalité souve-
raine, de l’indépendance, de la dignité, de la réciprocitép ou des risques
éventuels pour les relations internationales, ou encore du consentemepnt
implicite du souverain territorial, de refuser que soit exercée la copmpé -
tence à l’égard de pareille violation du droit interne.

15. Les actes commis au cours d’un conflit armé sont en revanche, àp
mon sens, d’une tout autre nature. Ce sont des actes commis au niveaup

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6 CIJ1031.indb 141 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 168

international et interétatique, revêtant un caractère souverainp et ayant

trait, pour reprendre les termes employés dans les textes de l’Insptitut de
droit international (voir par. 8 ci-dessus), à la mise en œuvre de la poli -
tique de l’Etat défendeur en matière de relations extérieureps, de défense
nationale ou de sécurité publique, actes qui doivent donc être pappréciés
au regard du droit international. Ces actes ne doivent pas être princpipale-

ment appréciés au regard du droit national, et ce, bien qu’ils ppuissent
aussi constituer des violations du droit pénal local, dans la mesure poù y
sont incorporées des dispositions du droit international, celles, parp
exemple, qui définissent ou énoncent des crimes à raison desqpuels la res -

ponsabilité des individus peut être engagée et à l’égaprd desquels ceux-ci ne
peuvent pas jouir de l’immunité.
16. Dans son commentaire, la CDI se contente d’indiquer que son pro-
jet d’article 12 « ne s’applique pas … à des situations liées à des conflits
armés » (ACDI, 1991, vol. II (deuxième partie), p. 48, par. 10 du commen-

taire relatif à l’article 12). Quoiqu’il eût été utile que fût précisé dans pla
convention des Nations Unies, comme c’est le cas dans la convention
européenne, que cet instrument ne s’applique pas à des demandesp liées à
des conflits armés ou à des actes commis par des forces armées (conven -
tion européenne de 1972 sur l’immunité des Etats, art. 3), le président du

comité spécial a, dans la déclaration présentant le rapport pde son comité
sur le projet de convention qu’il a faite le 25 octobre 2004, suivi la position
de la CDI en indiquant clairement que l’une des questions qui avaientp été
posées était celle de savoir si la convention s’appliquait aux pactivités mili-

taires, ajoutant qu’il avait toujours été généralement adpmis que tel n’était
pas le cas (A/C6/59/SR13, par. 36 ; voir également la référence figurant
dans le dernier alinéa du préambule de la résolution 59/38 de l’Assemblée
générale, par laquelle a été adoptée la convention, à la « déclaration faite
par le président du comité spécial »). La Norvège et la Suède, lorsqu’elles

ont ratifié la convention, ont explicitement indiqué qu’ellesp la compre -
naient ainsi. Selon moi, il ressort de la déclaration du présidentp du comité
spécial que l’exclusion des réclamations se rapportant à des conflits armés
allait presque de soi.
17. Un autre élément venant étayer cette exclusion est l’analogipe avec

les dispositions du droit national qui, dans bien des pays, ont commencé
par reconnaître l’immunité de juridiction absolue des Etats devpant leurs
propres tribunaux, avant de la limiter. Au sujet de la première pépriode, la
CDI a indiqué ce qui suit :

«C’est au XIX siècle que la doctrine de l’immunité des Etats s’est
imposée dans la pratique d’un grand nombre d’Etats. Dans les jupridic -

tions de « common law», notamment au Royaume-Uni et aux Etats-
Unis d’Amérique, le principe selon lequel les Etats étrangers npe tombent
pas sous le coup de la juridiction de l’Etat territorial a, dans une plarge
mesure, été influencé par la notion d’immunité traditiopnnelle du souve -
rain local, qui n’a rien à voir avec l’application de la notionp de court-oi

sie internationale ou comitas gentium. Au Royaume-Uni, en tout cas, la

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6 CIJ1031.indb 143 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 169

doctrine de l’immunité souveraine est le résultat direct de l’pusage consti-

tutionnel anglais exprimé par la maxime « Le Roi ne peut pas être pour -
suivi devant ses propres tribunaux». Il était donc constitutionnellement
impossible de traduire en justice le souverain national… L’immunitpé de
la couronne fut plus tard étendue aux souverains des autres nations opu
aux souverains étrangers avec lesquels, à un stade ultérieur dep dévelop -

pement du droit, les Etats étrangers ont été identifiés. » (ACDI, 1980,
vol. II (deuxième partie), p. 140-141, par. 9.)

Dès 1932, les auteurs du projet de convention de Harvard sur la compép -
tence des tribunaux à l’égard des Etats étrangers, projet qupi fit l’objet de
recherches approfondies et fut rédigé avec le plus grand soin, éptaient
cependant en mesure d’indiquer ce qui suit :

«Les exceptions [à la règle de l’immunité absolue] sont apparpues
lorsque les nécessités liées à la vie moderne se sont modifipées et multi -
pliées. Un nombre croissant d’Etats ont alors adopté des lois aputorisant

que des personnes privées engagent contre eux des actions judiciairesp
devant leurs propres tribunaux. Aussi le vieux principe anglais selon
lequel le souverain ne saurait mal faire a-t-il perdu bien de sa force epn
tant que théorie juridique applicable. » (AJIL, vol. 26 (1932), sup.,
p. 527-528; texte collectif dont Philip C. Jessup fut le rapporteur.)

Un certain nombre d’exceptions à l’immunité étaient ainsip énumérées
dans ce projet. Vingt ans plus tard, M. Hersch Lauterpacht a poursuivi

cette analogie avec le droit national en se référant à des chanpgements
législatifs récents dans les pays de common law limitant l’immunité de
l’Etat du for devant ses propres tribunaux (« The Problem of the Jurisdic -
tional Immunities of Foreign States », BYBIL, vol. 28 (1951), p. 220-221,
p. 233-235). Nombre de ces changements visaient, en se référant aux prinp -

cipes de l’Etat de droit et de l’égalité de l’Etat et de pses citoyens devant le
droit, à mettre l’Etat dans la même situation que l’individup dans le cadre
d’un procès. Pour reprendre la distinction établie plus haut, cpes nouvelles
lois avaient pour objet de soumettre l’Etat à la compétence desp tribunaux
dans le cadre d’actions de droit privé ; en revanche, elles ne permettaient

pas que soient engagées contre l’Etat des actions ayant trait aux actes de
ses forces armées agissant dans le cadre de sa défense, ni même dans un
cadre plus général. Pareilles questions étaient régies sur lpe plan national
par des politiques générales telles que celles concernant les penspions de
guerre et d’autres mesures tendant à la réinsertion des membresp des forces

armées démobilisés (voir, per exemple, P. W. Hogg et P. J. Monahan,
Liability of the Crown, 3 éd., 2000, 7 (6) b)). Quoiqu’il ne faille pas pro -
longer par trop ce parallèle avec les actes privés, il est intéressant de rele -
ver qu’en Italie, ainsi que Sompong Sucharitkul, le premier rapporteur
spécial de la CDI l’a précisé en 1959,

«la doctrine de l’immunité de l’Etat a également, en règlep générale,
été appliquée par les tribunaux italiens au XIX esiècle. Dès le départ,

ces tribunaux ont cependant adopté une conception restrictive de

74

6 CIJ1031.indb 145 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 170

l’immunité fondée sur la double personnalité de l’Etat. Cpela résultait
essentiellement de ce que, en Italie, le souverain local lui-même éptait

soumis à la compétence du juge italien à l’égard des acteps accomplis
à titre privé. » (State Immunities and Trading Activities in Internatio ‑
nal Law, 1959, p. 11.)

18. Sur le plan international, les réclamations relatives aux dommages
et pertes de guerre contre d’anciens belligérants sont, en pratique, trpaitées
dans le cadre de négociations et d’accords interétatiques, ce qpu’attestent, en
la présente espèce, les traités de 1947 et de 1961 (voir paragraphes 22

et 24-25 de l’arrêt); dans ces accords, ces réclamations sont examinées d’une
manière générale et souvent réciproque, et non au cas par caps, en recher -
chant ou non l’existence d’une faute. De par cette pratique internationale
sont reconnues les conséquences des importants ravages que provoquentp les
grands conflits armés. Ces ravages, auxquels s’ajoute la nécepssité impé -
rieuse, pour les anciens Etats belligérants, de reconstruire leurs sociétés et

leurs économies — nécessité reconnue par ladite pratique —, semblent
rendre totalement irréaliste la thèse de l’Italie, telle qu’painsi exposé:e

«Lorsque les Etats (aussi bien l’Etat des victimes que celui qui est p
responsable des violations) négocient de[s] accords [ayant trait aux
dommages de guerre], ils doivent veiller à ce que : a) toutes les caté -
gories de victimes des crimes de guerre (si ce n’est la totalité des vic -
times individuelles) soient visées; b) il existe des ressources suffisantes

afin que la réparation soit plus que symbolique; c) il existe des méca -
nismes appropriés permettant de s’assurer que les victimes ont épté
indemnisées. Il ne serait donc pas suffisant qu’un Etat se contenpte
d’affirmer que l’autre partie avait consenti à renoncer à tpoutes les
réclamations en échange d’une somme d’argent. Il doit êtrpe garanti
que le montant est suffisant et approprié ; des critères doivent être

prévus pour l’identification des victimes et pour la répartitpion du
montant entre ces dernières.» (Contre-mémoire de l’Italie, par. 5.26.)

Comment aurait-il bien pu être satisfait aux exigences énoncéesp aux
points a) et b) en Europe, après six années d’une guerre acharnée ? Dans
la pratique, l’ensemble des réparations perçues ont, le plus sopuvent, été
utilisées par les Etats à des fins de reconstruction générpale, ce qui est d’ail-
leurs tout à fait compréhensible. Enfin, le point c) n’est pas une obliga -

tion reconnue en droit, et elle ne l’est pas toujours en fait.
19. Se référant, pour l’essentiel, à de nombreux accords de rèpglement
d’après guerre conclus par les Etats-Unis d’Amérique à trpavers l’histoire,
Louis Henkin a précisé ce qui suit :

«les gouvernements ont traité ces réclamations privées comme s’il
s’agissait de leurs propres réclamations, les utilisant dans le capdre de
négociations internationales comme autant d’atouts ou de jokers dapns
un jeu de cartes. Dans les accords de règlement, les réclamations

découlant de créances privées ont été agrégées, ou passociées, à d’autres
réclamations qui, à l’origine, étaient de nature intergouvernementale;

75

6 CIJ1031.indb 147 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 171

dans ce cadre, des concessions peuvent être faites en ce qui concernep

une catégorie de réclamations en échange de concessions concernpant
une autre catégorie, ou en raison de considérations politiques plups
générales sans lien avec une quelconque créance. En conséquepnce, à
moins qu’ils n’en disposent autrement, les accords de règlementp inter -
nationaux effacent généralement la créance privée sous-jacpente, met-

tant ainsi fin à toute possibilité de recours en vertu du droit pnational…
Le plus souvent, rien ne garantissait que le règlement global étaipt
la meilleure « affaire», que les citoyens n’étaient pas sacrifiés à
d’autres intérêts nationaux ni, c’est certain, que le particpulier était
totalement indemnisé. » (Foreign Affairs and the US Constitution,
e
2 éd. (1996), p. 300.)
La Cour d’appel des Etats-Unis d’Amérique pour le district de Cpolumbia

a récemment cité la première partie de ce passage et, s’agispsant des « consi-
dérations politiques plus générales », rappelé ce qu’avaient indiqué les
Etats-Unis d’Amérique en 1952 au sujet du traité de paix conclu l’année
précédente avec le Japon :

«De toute évidence, le fait d’insister pour que soient versées dpes répa
rations proportionnelles aux revendications formées par les pays vic -
times et leurs nationaux anéantirait l’économie du Japon, supprpimerait

tout crédit dont ce pays peut encore bénéficier aujourd’hupi, annihilerait
toute initiative de son peuple et engendrerait la misère et le chaos,p ter
reau sur lequel le mécontentement et le communisme risqueraient alorsp
de se développer.» (Joo c. Japan (2005), 413 F. 3d 45, p. 52.)

Cette pratique établie de fort longue date, qui reconnaît les dureps réalités
d’après guerre ainsi que la nécessité, pour les anciens Etats ennemis,
d’établir de nouvelles relations, étaye fermement la conclusion selon

laquelle un ancien Etat belligérant ne saurait, sans son consentementp, être
soumis à la compétence d’un tribunal étranger dans des affpaires telles que
celles qui faisaient l’objet de la présente instance.
20. Pour conclure, je soulignerai de nouveau que le présent arrêt ne nie
nullement la responsabilité de l’Allemagne pour les atroces violatpions du

droit international qu’elle a commises à l’encontre de citoyensp italiens
entre 1943 et 1945. D’ailleurs, pour reprendre les termes employés par son
agent devant la Cour, l’Allemagne « a reconnu sa pleine responsabilité à
l’égard des terribles événements qui se sont déroulés ppendant la seconde
guerre mondiale». Ce n’est cependant pas cette responsabilité, ni les obliga -

tions qui en découlent, dont la Cour a eu à connaître. Ce dont la Cour a eu
à connaître, c’est uniquement la prétention de l’Allemagnpe à l’immunité de
juridiction devant les tribunaux italiens à l’égard des actionsp fondées sur
lesdits événements qui ont été engagées contre elle par dpes citoyens italiens.

(Signé) Kenneth Keith.

76

6 CIJ1031.indb 149 22/11/13 12:25

Bilingual Content

161

SEPARATE OPINION OF JUDGE KEITH

1. I agree with the conclusions the Court has reached and largely with
its reasons. My purpose in preparing this opinion is to emphasize how thpe
rules of international law recognizing or not the immunity of a foreign p
State from the jurisdiction of the courts of another State are firmly pbased
on principles of international law and on policies of the international p
legal order. That emphasis is designed to supplement the exhaustive and

persuasive discussion of State practice included in the Judgment.

2. A basic principle of international law at play in this area of law is
the principle of sovereign equality of States, the first principle decplared in
Article 2 of the Charter of the United Nations. In terms of the elabora -

tion of that principle in the 1970 Declaration on Principles of Interna -
tional Law concerning Friendly Relations and Co-operation among States
in accordance with the Charter of the United Nations, all States have
equal rights and duties and are juridically equal (General Assembly reso -
lution 2625 (XXV)). By definition, in cases raising issues of State immu -

nity, that principle and the rights and obligations arising from it applpy to
two States — the State of the forum where the case is being brought and
the foreign State which is the defendant or intended defendant. The juris -
diction of the courts of the former State arises from the sovereignty ofp
that State. If the particular court has jurisdiction over the matter bropught
before it when the defendant is an individual or a legal person, why

should the fact that the defendant be a foreign State make a difference ?
But to the contrary are the sovereign equality and the independence of
the foreign State, principles supporting immunity : an equal cannot have
jurisdiction over an equal.

3. How are those two propositions to be reconciled ? Answers are to be
found in the decisions given by national courts, the laws passed by
national parliaments, the treaties and the law reform and the diplomatic
processes and negotiations leading to them, and other State practice,

much of it reviewed in the Judgment in this case, as well as in scholarlpy
writing. The answers have given and continue to give particular attention
to the character of the act at issue in the litigation. In broad terms, pis the
act an act of a public character or, in other words, to be seen as the epxer -
cise of the sovereign authority of the State, or is the act one of a pripvate
character, indistinguishable from the act of any other person acting undper

the local law ? In the former case, the need for respect for another sover -
eignty, the ideas of reciprocity and the possible risks to internationalp rela -

66

6 CIJ1031.indb 128 22/11/13 12:25 161

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE KEITH

[Traduction]

1. Je souscris aux conclusions de la Cour et, dans une large mesure,
aux motifs exposés dans l’arrêt. La présente opinion a pour pobjet de
mettre l’accent sur le fait que les règles du droit international preconnais -
sant ou non l’immunité d’un Etat étranger devant les juridicptions d’un
autre Etat sont solidement fondées sur des principes de droit internatio -
nal et des politiques de l’ordre juridique international. J’entendps ainsi

enrichir l’analyse exhaustive et convaincante de la pratique étatipque à
laquelle s’est livrée la Cour.
2. L’un des principes fondamentaux du droit international en cause
dans le domaine à l’examen est celui de l’égalité souverapine des Etats ; il
s’agit du premier principe énoncé à l’article 2 de la Charte des

Nations Unies. En vertu de ce principe, tel que développé dans la déclap -
ration de 1970 relative aux principes du droit international touchant les
relations amicales et la coopération entre les Etats conformément pà la
Charte des Nations Unies, tous les Etats ont des droits et devoirs égaux
et sont juridiquement égaux (résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée géné -

rale). Dans les affaires qui soulèvent des questions ayant trait àp l’immu -
nité des Etats, ce principe ainsi que les droits et obligations qui epn
découlent s’appliquent par définition à deux Etats, à spavoir l’Etat du for,
où l’action en cause est engagée, et l’Etat étranger, quip est — ou est censé
être — l’Etat défendeur. La compétence des juridictions du premiepr
découle de la souveraineté de celui-ci. Si le tribunal concernép a compé -

tence pour connaître du différend porté devant lui lorsque lep défendeur
est une personne physique ou morale, pourquoi devrait-il en être autrpe -
ment lorsque le défendeur est un Etat étranger ? A cela s’opposent cepen-
dant les principes de l’égalité souveraine et de l’indépepndance de l’Etat
étranger, lesquels étayent l’immunité ; l’on ne saurait en effet exercer un

pouvoir de juridiction sur un égal.
3. La question est donc de savoir comment ces deux propositions
peuvent être conciliées. A cet égard, les décisions rendues par des juridic -
tions nationales, les lois adoptées par des parlements nationaux, les traités
— et les réformes législatives, processus diplomatiques et négocipations qui

y conduisent —, la pratique d’autres Etats — qui a été largement exami -
née dans le présent arrêt — ainsi que la doctrine fournissent certains élé -
ments de réponse. Dans ces différents contextes, une attention pparticulière
a toujours été accordée à la nature de l’acte qui fait l’pobjet de l’instance,
et tel continue d’être le cas. Pour l’exprimer en des termes gépnéraux, la
question est de savoir si l’acte en question est de nature publique, pautre -

ment dit s’il doit être considéré comme constituant l’exeprcice, par l’Etat,
de son autorité souveraine, ou s’il s’agit d’un acte à caractère privé, qui ne

66

6 CIJ1031.indb 129 22/11/13 12:25 162 jurisdictional immunpities of the state (sepp. op. keith)

tions may have major significance and indicate that immunity is availapble.

In the latter case, the similarities of the foreign State’s acts to tphe acts of
other persons under local law and the correlative rights and obligationsp of
the other (non-State) party in the litigation may indicate that immunity
should not be available. That may be so if, for instance, the act is of pa
commercial or trading character ; or the act is an alleged delict or tort

under local law committed on the territory of the forum State ; or the
action relates to locally situated property. The answers, based on thosep
matters, have changed over time and no doubt will continue to change, in
the direction of a narrowing of immunity. In this case, Italy contends tphat

the position taken by its courts conforms with that narrowing. Germany
argues to the contrary.

4. Those matters began to appear 200 years ago. To demonstrate that,
I take from the nineteenth century two judgments and a resolution

adopted by the Institut de droit international. I make those choices fropm
the many available because they highlight the principles and the other
factors I have mentioned ; they show that the common law and lawyers
from that tradition — often represented as adhering to a rule of absolute

immunity well into the twentieth century — had, along with those in
other jurisdictions, early recognized the balance of the factors mentionped;
and they usefully present the law in two parts : those areas where the local
courts have jurisdiction over foreign States and those where they do notp
because of the immunity of the foreign State. I do of course appreciate p

that it is unusual in the practice of this Court and its predecessor to pdraw
on the decisions of national courts. But, as appears from the Judgment in
this case, the Court, for good reason, does give such decisions a major p
role. In this area of law it is such decisions, along with the reaction,p or
not, of the foreign State involved, which provide many instances of State

practice. Further, the reasoning of the judges by reference to principlep is
of real value.

5. I begin with Chief Justice Marshall, speaking 200 years ago for the
United States Supreme Court. In Schooner Exchange v. McFaddon
(11 US 116 (1812)), he began with these propositions :

“The jurisdiction of courts is a branch of that which is possessed

by the nation as an independent sovereign power.

67

6 CIJ1031.indb 130 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 162

peut être distingué de celui de toute autre personne agissant dansp le cadre

du droit local. Dans le premier cas, la nécessité de respecter la psouverai -
neté d’un autre Etat ainsi que certaines considérations relativpes à la notion
de réciprocité et à d’éventuels risques pour les relationps internationales
peuvent revêtir la plus haute importance et donner à penser que l’pimmu -
nité s’impose. Dans le second cas, les similitudes entre les actes de l’Etat

étranger et ceux d’autres personnes agissant dans le cadre du droipt natio-
nal ainsi que les droits et obligations correspondants de l’autre parptie
(non étatique) à l’instance peuvent donner à penser qu’pil convient d’écar-
ter l’immunité. Il peut en être ainsi, par exemple, si l’actpe en cause revêt

un caractère commercial ou transactionnel ; s’il s’agit d’un délit ou d’un
quasi-délit supposé au regard du droit local, commis sur le territpoire de
l’Etat du for ; ou si l’action engagée a trait à des biens situés sur le tperri -
toire de cet Etat. Les réponses qui ont été apportées en fonpction de ces
éléments ont changé et, à n’en pas douter, continueront dpe changer avec

le temps, et ce, dans le sens d’une restriction de l’immunité. pEn la présente
espèce, l’Italie soutenait que la position adoptée par ses tribpunaux était
conforme à cette tendance. L’Allemagne contestait cet argument.
4. Ces questions se sont fait jour il y a deux siècles. Afin de le dépmon -
trer, je prendrai pour exemples deux décisions judiciaires datant du
e
XIX siècle ainsi qu’une résolution adoptée par l’Institut de pdroit interna-
tional. Si j’ai retenu ces exemples parmi bien d’autres, c’est pparce qu’ils
mettent en lumière tant les principes que les autres facteurs que j’pai men-
tionnés; ils montrent que la common law et les juristes issus de cette culture

— souvent considérés comme ayant souscrit à la concepteon de l’immunité
absolue jusqu’à une période bien avancée du XX siècle — avaient, tout
comme leurs homologues issus d’autres systèmes juridiques, admis tprès tôt
qu’il convenait de mettre en balance lesdits facteurs ; par ailleurs, ces
exemples divisent fort commodément le droit en deux parties: les domaines

dans lesquels les tribunaux de l’Etat du for sont fondés à exerpcer leur com -
pétence à l’égard d’un Etat étranger, et ceux où ils ne le peuvent pas en
raison de l’immunité dont jouit cet Etat. J’ai bien évidemmepnt conscience
qu’il est inhabituel, dans la pratique de la Cour et de sa devancièpre, de se
fonder sur des décisions rendues par des juridictions nationales. Toutefois,

ainsi que cela ressort du présent arrêt, la Cour a à juste titrpe accordé à
pareilles décisions un rôle essentiel. C’est qu’en effet, pdans le domaine du
droit qui est à l’examen, ce sont ces décisions, ainsi que la réaction — ou
l’absence de réaction — de l’Etat étranger, qui constituent une partie

importante de la pratique étatique. De surcroît, le raisonnement spuivi par
les juges à la lumière des principes pertinents est fort préciepux.
5. Je commencerai par me référer aux vues exposées il y a deux cents
ans par le Chief Justice Marshall, lequel s’exprimait au nom de la Cour
suprême des Etats-Unis d’Amérique. En l’affaire Schooner Exchange c.

McFaddon (11 US 116 (1812)), il a commencé par indiquer ce qui suit :
«La compétence des tribunaux est une branche de ce qui appar -

tient à la nation en tant que pouvoir souverain indépendant.

67

6 CIJ1031.indb 131 22/11/13 12:25 163 jurisdictional immunpities of the state (sepp. op. keith)

The jurisdiction of the nation within its own territory is necessarily
exclusive and absolute. It is susceptible of no limitation not imposed

by itself. Any restriction upon it, deriving validity from an external
source, would imply a diminution of its sovereignty to the extent of thep
restriction, and an investment of that sovereignty to the same extent inp
that power which could impose such restriction.” (11 US 116, 136.)

He then examined what he referred to as several instances of consent of p

the territorial State tested by common usage, and by common opinion,
growing out of that usage. Sixty years later, an English judge, Sir Rob -
ert Phillimore, rejected a plea of immunity made by the Khedive of Egypt.
He began his examination of the immunity of the sovereign prince from
the court’s jurisdiction, by

“stat[ing] with precision the foundation upon which this privilege
rests. Upon principles of general jurisprudence the presence of a per -

son or of property within the limits of a State founds the jurisdiction p
of the tribunals of that State . . . The sovereign prince or his repre -
sentative is exempted from the operation of this principle, absolutely, p
so far as his person is concerned, and with respect to his property, at p
least so far as that property is connected with the dignity of his posi -

tion and the exercise of his public functions.

Upon what grounds is this exemption allowed ? Not upon the pos-
session on behalf of the sovereign of any absolute right in virtue of
his sovereignty to this exemption ; such a right on his part would be

incompatible with the right of the territorial sovereign . . . The true
foundation is the consent and usage of independent States, which
have universally granted this exemption from local jurisdiction in
order that the functions of the representative of the sovereignty of a
foreign State may be discharged with dignity and freedom, unembar -

rassed by any of the circumstances to which litigation might give
rise.” (The Charkieh (1873), LR 4 A & E 59, 88.)

The references by the judges to common usage and common opinion aris -
ing out of that usage tend to suggest that the consent of the territoriapl
State was coming to be seen as a fiction. The reconciliation between tphe
competing sovereignties, in my understanding of the development of the
law, ceased to rely on ideas of consent, but weighed the other matters

mentioned above and, in particular, the character of the act in issue. The
combination of that matter, (implied) consent, and principle may be sepen
in a second feature of the two judgments in which the judges indicated
situations in which territorial sovereignty may prevail over the sover -
eignty of the foreign State.

6. Chief Justice Marshall looked at what he saw as a manifestly dis -
tinct situation. That situation concerned the private property of the

68

6 CIJ1031.indb 132 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 163

Le pouvoir de juridiction de la nation à l’intérieur de son proppre
territoire est nécessairement exclusif et absolu. Il ne peut faire l’objet

d’aucune restriction qui ne soit imposée par la nation elle-mêmpe.
Toute restriction de ce pouvoir de juridiction qui serait imposée parp
une source extérieure impliquerait une diminution équivalente de lpa
souveraineté de la nation ainsi qu’une ingérence équivalentep de la
puissance étrangère qui aurait imposé cette limitation dans la psphère

souveraine de la nation. » (11 US 116, p. 136.)
Le Chief Justice Marshall a ensuite passé en revue différents exemples de

consentement de l’Etat territorial fondés, selon lui, sur l’usapge commun et
sur l’opinion commune découlant de cet usage. Soixante ans plus tard, un
juge anglais, sir Robert Phillimore, a rejeté l’invocation de l’immunité par
le khédive d’Egypte. Il a commencé son examen de l’immunité de juridic -
tion du prince étranger en

«expos[ant] avec précision les fondements sur lesquels repose ce pri -
vilège. Il ressort des principes énoncés dans la jurisprudence pgénérale

que le fait qu’une personne ou un bien soit présent à l’intéprieur des
limites d’un Etat fonde la compétence des tribunaux de cet Etat… Ce
principe ne vaut ni pour le prince souverain ni pour son représen -
tant; cette dernière règle s’applique de manière absolue lorsqu’pil
s’agit de leur personne et, lorsqu’il s’agit de leurs biens, au moins

pour autant que le bien en question est en rapport avec la dignité dep
leur rang et l’exercice de leurs fonctions publiques.
Sur quels fondements ce privilège repose-t-il ? Certainement pas
sur le fait que le souverain posséderait, de par sa souveraineté, pun
droit absolu à en bénéficier ; pareil droit ne serait en effet pas compa -

tible avec le droit du souverain territorial… Le véritable fondement
de l’immunité est le consentement et l’usage des Etats indéppendants,
lesquels ont universellement accordé cette immunité de juridictionp
afin de permettre au représentant de la souveraineté d’un Etapt étran -
ger de s’acquitter de ses fonctions avec dignité et en toute liberpté,

sans être entravé par une quelconque action en justice. » (The Char ‑
kieh (1873), LR 4 A & E 59, p. 88.)

Les références faites par ces juges à l’usage commun et à l’opinion com -
mune qui en découle incitent à penser que le consentement de l’pEtat terri-
torial commençait à être considéré comme une fiction; selon ma perception
du développement du droit, la conciliation entre les souverainetésp concur -
rentes a alors cessé de reposer sur l’idée du consentement, tandis que

d’autres facteurs susmentionnés, et notamment la nature de l’acte en cause,
ont été pris en considération. L’effet conjugué de ce dpernier facteur, du
consentement (implicite) et de considérations de principe ressort lpui aussi
de ces deux décisions, dans lesquelles les juges ont exposé des siptuations où
la souveraineté territoriale pouvait l’emporter sur celle de l’pEtat étranger.

6. Le Chief Justice Marshall s’est ainsi penché sur ce qu’il considérait
comme un cas manifestement différent, à savoir celui des biens pprivés du

68

6 CIJ1031.indb 133 22/11/13 12:25 164 jurisdictional immunpities of the state (sepp. op. keith)

prince. A prince, by acquiring private property in a foreign country, mapy
possibly be considered, he said, “as subjecting that property to the pterrito -

rial jurisdiction ; he may be considered as so far laying down the prince,
and assuming the character of a private individual” (11 US 116, 145) ; or,
it may be added, the elements of sovereignty, equality, independence andp
dignity are absent and the consent, this time of the foreign State and gpen -
erally implicit, may, with that absence, be seen as denying immunity.

Similarly, Sir Robert Phillimore focused on the fact that the vessel which
was the subject of the proceeding before him was “employed for the orpdi -
nary purposes of trading. She belongs to what may be called a commer -
cial fleet.” (LR 4 A & E 59, 99.) He had earlier said :

“The object of international law, in this as in other matters, is notp

to work injustice, not to prevent the enforcement of a just demand,
but to substitute negotiations between governments, though they
may be dilatory and the issue distant and uncertain, for the ordinary
use of courts of justice in cases where such use would lessen the
dignity or embarrass the functions of the representatives of a foreign

State; and if the suit takes a shape which avoids this inconvenience,
the object both of international and of ordinary law is attained — of
the former, by respecting the personal dignity and convenience of the
sovereign; of the latter, by the administration of justice to the sub -
ject.

The universally acknowledged exceptions to the general rule of the
sovereign’s immunity when examined prove the truth of this propo -
sition. For instance, the exemption from suit is admitted not to apply
to immoveable property. One reason may be that the owner of such
property has so incorporated himself into the jural system of the

state in which he holds such property, that the argument of general
inconvenience to States from allowing the exemption outweighs the
argument from convenience on which the exemption in other matters
is bottomed. But another reason surely is . . . that such a suit can be
carried on without the necessity of serving process upon the sove -

reign, or of interfering in any way with such personal property as
may be requisite for the due discharge of his functions. The exemp -
tion must be taken away for one of three reasons, either those which
I have suggested, or a third, that the acquisition of immoveable pro -
perty amounts to a waiver of privilege.” (LR 4 A & E 59, 97-98.)

7. The first of those two paragraphs valuably highlights the distinction p
between the substantive obligation of the foreign State and the proce -

dural or institutional means by which it is to be enforced or pursued — in
the one case the “just demand” was pursued through a court processp and

69

6 CIJ1031.indb 134 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 164

prince. Selon le Chief Justice Marshall, lorsqu’il acquiert un bien à titre
privé dans un pays étranger, un prince pourrait être considéré « comme

soumettant ce bien à la juridiction territoriale dudit Etat ; il peut être
considéré comme ayant, dans cette mesure, renoncé à sa qualipté de prince,
comme étant devenu un simple particulier » (11 US 116, p. 145); ou bien,
pourrait-on ajouter, les éléments de souveraineté, d’égalpité, d’indépen -
dance et de dignité font en pareil cas défaut, et le consentement p— celui,

cette fois, de l’Etat étranger, qui est généralement implicite — peut,
dès lors, être considéré comme consistant à refuser l’immunitpé. De la
même manière, sir Robert Phillimore a mis l’accent sur le fait que le
navire qui faisait l’objet de l’instance dont il était saisi «p servait aux fins
ordinaires du commerce. Il appartenait à ce que l’on peut qualifiper de
flotte commerciale.» (LR 4 A & E 59, p. 99.) Il avait préalablement indi -

qué ce qui suit :
«L’objet du droit international, dans ce domaine comme dans

d’autres, n’est ni de commettre des injustices ni d’empêcher qu’il soit
fait droit à une juste demande, mais de substituer au recours ordinaipre
aux tribunaux — lorsque pareil recours risquerait de porter atteinte à
la dignité des représentants d’un Etat étranger ou de les enptraver dans
l’exercice de leurs fonctions — les négociations intergouvernemen -

tales, quoique celles-ci puissent être dilatoires et que l’issue ppuisse en
être lointaine et incertaine. Si, en revanche, le procès ne prépsente pas
l’inconvénient susmentionné, alors tant l’objet du droit intpernational
que celui du droit commun sont atteints: s’agissant du premier, par le
respect de la dignité personnelle et de la commodité du souverain ;

s’agissant du second, par l’administration de la justice.
Les exceptions universellement reconnues à la règle générale de
l’immunité souveraine démontrent, à l’examen, le bien-fondé de cette
proposition. Il est par exemple admis que l’immunité de juridictiopn ne
s’applique pas aux immeubles. Cela peut s’expliquer par le fait qupe le
propriétaire de pareils biens est à ce point intégré dans lep système

juridique de l’Etat dans lequel ceux-ci se trouvent que l’inconvénient
que cela constitue, d’une manière générale, pour les Etats dpe recon -
naître l’exemption de juridiction l’emporte sur l’avantage qpui fonde
cette exemption en d’autres matières. Une autre raison est cependapnt
assurément … que pareil procès peut être mené sans qu’il soit besoin

de signifier la citation au souverain et sans que cela n’affecte pd’une
quelconque manière un bien personnel qui serait nécessaire à l’pexer -
cice de ses fonctions. L’exemption de juridiction doit donc être écar -
tée, que ce soit pour l’une des raisons susmentionnées, ou encopre pour
une troisième, à savoir que le fait d’acquérir un immeuble emporte

renonciation à ce privilège.» (LR 4 A & E 59, p. 97-98.)
7. Le premier de ces deux paragraphes met fort utilement en lumière la
distinction entre l’obligation de fond qui incombe à l’Etat éptranger et les

moyens procéduraux ou institutionnels par lesquels cette obligation dpoit
être exécutée; il est satisfait à la «juste demande», dans un cas, par le biais

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6 CIJ1031.indb 135 22/11/13 12:25 165 jurisdictional immunpities of the state (sepp. op. keith)

in the other the available means was negotiation between States. That
distinction between right and process is critical in the law in general pand

in the present case in particular (see Part III (3) of the Judgment). The
second paragraph, in addition to recalling other instances where territop -
rial sovereignty prevails, gives reasons for that result.
8. The Institut de droit international in 1891 in its draft International
Rules on the jurisdiction of courts over proceedings against foreign

States, sovereigns and heads of State provided an exhaustive list of sixp
situations in which court actions against foreign States were permitted.p
Included on that list were actions for damages arising from a delict or p
quasi delict committed on the territory of the forum State (Art. 4 (6)).
That list was immediately followed by a bar, among other things, on

actions brought against acts of sovereignty (Art. 5). A similar approach
can be seen in the resolution on State immunity in relation to jurisdictpion
and enforcement adopted by the Institut a century later with Ian Brown-
lie as the Rapporteur (“Contemporary Problems concerning the Immu -
nity of States in relation to Questions of Jurisdiction and Enforcement”

(1991)). Nine criteria are listed as indicating that judicial and othper organs
of the forum State have jurisdiction and five as giving the opposite ipndica -
tion. Among the first are proceedings “concerning the death of, or pper -
sonal injury to, a person, or loss of or damage to tangible property, whpich
are attributable to activities of a foreign State and its agents within the

national jurisdiction of the forum State” (Art. 2 (2) (e)). Among the lat -
ter indications, tending to deny jurisdiction, are (1) “the relatiopn between
the subject-matter of the dispute and the validity of the transactions of
the defendant State in terms of public international law” (Art. 2 (3) (b)),
and (2) “the organs of the forum State should not assume the competence

to inquire into the content or implementation of the foreign, defence and
security policies of the defendant State” (Art. 2 (3) (d)).

9. That resolution was adopted just a few weeks after the International

Law Commission had completed its draft articles on jurisdictional immu -
nities of States and their property, the draft which became the basis ofp the
2004 United Nations Convention. In 1991 the Commission reaffirmed as
still generally applicable the commentary it had adopted in 1980, a com -
mentary based on a review of much State practice, including legislation,p

executive action and court decisions, treaties, and many authorities. Thpe
commentary said this, under the heading “Rational Basis of State Immu -
nity” :

“The most convincing arguments in support of the principle of
State immunity may be found in international law as evidenced in
the usage and practice of States and as expressed in terms of the

sovereignty, independence, equality and dignity of States. All these
notions seem to coalesce, together constituting a firm international

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6 CIJ1031.indb 136 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 165

d’une procédure judiciaire et, dans l’autre, par la négociatpion entre Etats.
Cette distinction est essentielle en droit d’une manière généprale, et elle l’est

plus particulièrement en la présente espèce (voir le point 3 de la section III
de l’arrêt). Le second paragraphe, outre qu’il rappelle d’aputres cas dans
lesquels la souveraineté territoriale l’emporte, étaye cette copnclusion.
8. Dans le projet de règlement international sur la compétence des tri -
bunaux dans les procès contre les Etats, souverains ou chefs d’Etapt étran-

gers, adopté en 1891 par l’Institut de droit international, figure une liste
exhaustive de six cas dans lesquels des actions judiciaires peuvent être
intentées contre des Etats étrangers. Sur cette liste sont mentionpnées
les actions en dommages-intérêts nées d’un délit ou d’un qpuasi-délit
commis sur le territoire de l’Etat du for (art. 4, para. 6). Cette liste est

immédiatement suivie d’une interdiction de pareilles actions, notapmment
en ce qui concerne les actes de souveraineté (art. 5). Une approche simi -
laire ressort de la résolution relative à l’immunité de juripdiction et d’exéc-u
tion des Etats, que l’Institut a adoptée un siècle plus tard, Mp. Ian Brownlie
ayant exercé les fonctions de rapporteur (« Les aspects récents de l’immu-

nité de juridiction et d’exécution des Etats», 1991). Cette résolution énonce
neuf critères indicatifs de la compétence des tribunaux ou autres organpes
de l’Etat du for, et cinq critères indiquant le contraire. Parmi les premiers
figurent les actions « concernant le décès ou les dommages corporels de
personnes ainsi que la perte ou les dommages aux biens, imputables à des

activités d’un Etat étranger ou de ses agents dans les limites pde la compé-
tence interne de l’Etat du for » (art. 2, par. 3, al. e)). Parmi les seconds
critères, indicatifs de l’incompétence, sont mentionnés : 1) « [l]a relation
entre l’objet du différend et la légalité des opérations de l’Etat défendeur
au regard du droit international public» (art. 2, par. 3, al. b)) ; et 2) le fait

que «[l]es organes de l’Etat du for ne devraient pas se déclarer compéptents
pour enquêter sur le contenu ou la mise en œuvre des politiques dep l’Etat
défendeur en matière de relations extérieures, de défense naptionale ou de
sécurité publique» (art. 2, par. 3, al. d)).
9. Cette résolution a été adoptée quelques semaines à peine après que

la Commission du droit international (CDI) eut achevé son projet d’par -
ticles sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs bienps, projet
qui a été à la base de la convention des Nations Unies de 2004. En 1991,
la CDI a précisé que restait généralement valide le commentapire qu’elle
avait adopté en 1980, lequel était fondé sur l’examen d’une grande partie

de la pratique étatique, y compris la législation, les actes de l’exécutif et
les décisions judiciaires, les traités et nombre d’autres sources faisant
autorité. Ce commentaire, qui figurait sous l’intitulé « Fondement ration-
nel de l’immunité des Etats », se lisait comme suit :

«Les arguments les plus convaincants que l’on puisse avancer à
l’appui du principe de l’immunité des Etats se trouvent dans lep droit
international tel qu’il se dégage des usages et de la pratique desp Etats,

exprimés en termes de souveraineté, d’indépendance, d’épgalité et de
dignité des Etats. Toutes ces notions semblent s’unir pour constitpuer

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6 CIJ1031.indb 137 22/11/13 12:25 166 jurisdictional immunpities of the state (sepp. op. keith)

legal basis for State immunity. State immunity is derived from sov-
ereignty. Between two co-equals, one cannot exercise sovereign will

or authority over the other: par in parem imperium non habet.” (Year‑
book of the International Law Commission(YBILC), 1980, Vol. II (2),
p. 156, para. 55 of commentary to draft Article 6 ; ibid., 1991,
Vol. II (2), pp. 22-23, para. 5 of commentary to Article 5.)

10. Throughout its work on the topic, the Commission continued to

draw the distinction, which had been appearing since early in the nine -
teenth century between the public and the private, to use that shorthand.
In the former sphere, the principles of sovereign equality, independencep,
reciprocity and dignity, possible risks to international relations, and, if
needed, the (implied) consent of the territorial State to the waiving pof its

territorial jurisdiction prevailed. In the latter, the foreign State, by operat-
ing in effect as a private person within the local legal system, eithepr sub -
jected itself to the local law and judicial system or became subject to pthat
law and system. A choice between those alternatives was made by the
International Law Commission in its drafting of the eight provisions

which now appear in Part III of the United Nations Convention under
the heading “Proceedings in which State Immunity Cannot Be Invoked”p.
The phrase “the State is considered to have consented to the exercisep of”
the local jurisdiction which had been included in four of the provisionsp in
that part was replaced by the phrase “the State cannot invoke” immunity

from that jurisdiction (YBILC, 1991, Vol. II (2), p. 34, para. 2 of com -
mentary to Article 10). The implied or fictional consent of the foreign
State has gone. The propositions supporting territorial sovereignty now p
appear as statements of general law.

11. With that consideration of principle in mind, I go to the facts
which lie at the heart of the claims brought before the Italian courts. pGer -
man forces inflicted untold suffering on the Italian people during tphe
period from September 1943 until the liberation of Italy in May 1945.
Germany acknowledges those facts and their illegality and says that it

accepts full responsibility for those terrible events. May the Italian cpourts
exercise jurisdiction over claims, based on those facts, brought againstp
Germany? How is the contest of equal sovereignties to be resolved ?

12. One answer proposed by Italy was based on the local tort or delict
rule. As indicated, that rule has been long recognized, at least in doctrine ;
the acts in issue in this case would be plainly unlawful under any conceiv -
able system of national law, as well as under international law. But whapt
is the extent of that rule ? The 1891 and 1991 formulations by the Institut

de droit international require a territorial element : that the wrong was
committed in the territory or within the national jurisdiction of the foprum

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6 CIJ1031.indb 138 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 166

une base juridique ferme sur laquelle se fonde l’immunité souveraipne.

L’immunité des Etats découle de la souveraineté. Deux sujetsp égaux
ne peuvent exercer leur volonté ou leur autorité souveraine l’upn
sur l’autre : par in parem imperium non habet. » (Annuaire de la Com ‑
mission du droit international (ACDI), 1980, vol. II (deuxième par -
tie), p. 152, par. 55 du commentaire relatif à l’article 6 ; ibid., 1991,

vol. II (deuxième partie), p. 23, par. 1 du commentaire relatif à l’ar -
ticle 5).

10. Tout au long de ses travaux sur le sujet, la CDI a continué d’éptablir
la distinction entre public et privé — pour utiliser un raccourci — qui
s’était fait jour au début du XIX siècle. Dans la première sphère, les prin-
cipes d’égalité souveraine, d’indépendance, de récipropcité et de dignité, les

risques éventuels pour les relations internationales et, le cas écphéant, le
fait que l’Etat territorial ait (implicitement) consenti à renonpcer à sa com-
pétence territoriale l’emportaient. Dans la seconde sphère, l’pEtat étranger,
en agissant de fait comme une personne privée dans le cadre du systèpme
juridique local, soit se soumettait lui-même au droit et au systèmpe judi -

ciaire locaux, soit y devenait assujetti. La CDI, en rédigeant les hupit dis -
positions qui figurent aujourd’hui dans la troisième partie, intitulée
«Procédures dans lesquelles les Etats ne peuvent pas invoquer l’immpu -
nité», de la convention des Nations Unies, a opéré un choix entre ces

deux hypothèses. L’expression «l’Etat est considéré comme ayant consenti
à l’exercice de » la compétence locale, qui figurait dans quatre de ces dis -
positions, a ainsi été remplacée par l’expression «l’Etat ne peut invoquer»
l’immunité de juridiction devant ce tribunal (ACDI, 1991, vol. II
(deuxième partie), p. 34, par. 2 du commentaire relatif à l’article 10).

Il n’est donc plus question de consentement implicite ou fictif de l’pEtat
étranger; les propositions étayant la souveraineté territoriale prennent
désormais la forme d’énoncés de droit général.
11. A la lumière de ce qui précède, j’examinerai à présentp les faits qui
sont au cœur des actions engagées devant les tribunaux italiens. Lpes forces

allemandes ont infligé des souffrances indicibles au peuple italipen au cours
de la période allant du mois de septembre 1943 jusqu’à la libération de
l’Italie, en mai 1945. L’Allemagne reconnaît ces faits et leur caractère illi -
cite, précisant qu’elle admet pleinement sa responsabilité pourp ces ter -

ribles événements. Les tribunaux italiens sont-ils alors fondésp à exercer
leur compétence à l’égard d’actions se rapportant à ceps faits et engagées
contre l’Allemagne ? Comment la contradiction entre des souverainetés
égales peut-elle être levée ?
12. L’une des réponses avancées par l’Italie était fondée psur la règle du

délit ou du quasi-délit local. Ainsi que cela a été précipsé, cette règle est
admise de longue date, au moins dans la doctrine ; de toute évidence, les
actes en cause dans la présente affaire seraient illégaux au regpard de tout
système juridique national, et illicites en droit international. Quelple est
cependant la portée de ladite règle ? Ses formulations en 1891 et 1991 par

l’Institut de droit international requièrent un élément territorial, à savoir

71

6 CIJ1031.indb 139 22/11/13 12:25 167 jurisdictional immunpities of the state (sepp. op. keith)

State (see para. 8 above). The same element appears in a more detailed
form in Article 12 of the 2004 United Nations Convention :

“Unless otherwise agreed between the States concerned, a State
cannot invoke immunity from jurisdiction before a court of another
State which is otherwise competent in a proceeding which relates to
pecuniary compensation for death or injury to the person, or damage
to or loss of tangible property, caused by an act or omission which is

alleged to be attributable to the State, if the act or omission occurredp
in whole or in part in the territory of that other State and if the
author of the act or omission was present in that territory at the time p
of the act or omission.”

13. The whole emphasis in the text of Article 12 and the International
Law Commission commentary on it is on the local character of that legal p
proceeding as well as on its private nature. There must be a right underp

local law to compensation; the actor must have been in the territory when
the act occurred ; and that act must have occurred there in whole or in
part. According to the Commission, the exception to immunity is “applpi-
cable only to cases or circumstances in which the State concerned would p
have been liable under the lex loci delicti commissi” ; a local court is the

most convenient; and the rule of non-immunity would prevent the possi -
bility of the insurance company hiding behind the cloak of State immu -
nity (most of the injury and damages likely to be covered will be insurpable)
(YBILC, 1991, Vol. II (2), pp. 44-45, paras. 2-4 of commentary to
Article 12). The proposition stated in Article 12, assuming it to be a state-

ment of customary international law, and its rationale plainly do not
address delictual or tortious acts committed elsewhere, in this case out -
side Italy.
14. The Commission also contemplates that political assassinations (at
the direction or with the knowledge of the foreign State, I assume) woupld

be covered. I can see the force of that even though the act might be saipd
in one sense to be of a very public, governmental, character ; it is likely
also to be a serious breach of the local law giving rise to civil liabilpity and
proceedings in the local courts. To return to the beginning point, as stated
by Chief Justice Marshall, of the exclusive jurisdiction of the courts opf the
local sovereign, I can see no justification in terms of equal sovereigpnty,

independence, dignity, reciprocity or possible risks to international repla -
tions, or the implied consent of the territorial sovereign for denying
jurisdiction in respect of that violation of the law of the land.

15. Acts committed in the course of armed conflict between States, are,
in my view, of a markedly different kind. They are acts at the internap -

72

6 CIJ1031.indb 140 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 167

que l’acte en question ait été commis sur le territoire ou dansp les limites
de la compétence interne de l’Etat du for (voir par. 8 ci-dessus). Ce même

élément est énoncé de façon plus détaillée à l’article 12 de la convention
des Nations Unies de 2004 :

«A moins que les Etats concernés n’en conviennent autrement, un
Etat ne peut invoquer l’immunité de juridiction devant un tribunalp
d’un autre Etat, compétent en l’espèce, dans une procédurpe se rap -
portant à une action en réparation pécuniaire en cas de décèps ou
d’atteinte à l’intégrité physique d’une personne, ou epn cas de dom -

mage ou de perte d’un bien corporel, dus à un acte ou à une omipssion
prétendument attribuables à l’Etat, si cet acte ou cette omissipon se
sont produits, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autpre
Etat et si l’auteur de l’acte ou de l’omission était préspent sur ce terri -
toire au moment de l’acte ou de l’omission. »

13. La disposition précitée ainsi que le commentaire y relatif de la CDI
mettent l’accent sur le caractère à la fois local et privé dpe la procédure judi-
ciaire en question. Le droit local doit prévoir un droit à répapratio ;l’auteur

doit avoir été présent sur le territoire au moment où l’apcte s’est produi;tet
celui-ci doit s’y être produit en totalité ou en partie. Selon pla CDI, l’excep -
tion à la règle de l’immunité « n’est applicable qu’aux cas dans lesquels
l’Etat intéressé aurait été tenu de réparer en vertu dpe la lex loci delicti com‑
missi»; le tribunal le plus indiqué est celui de l’Etat où l’acte pa été commi;s

et la dérogation à la règle de l’immunité permettrait d’pempêcher qu’une
compagnie d’assurance puisse se retrancher derrière l’immunitép de l’Etat
(les dommages susceptibles d’être couverts seront, pour la pluparpt, assu -
rables) (ACDI, 1991, vol. II (deuxième partie), p. 44-45, par. 2-4 du com -
mentaire relatif à l’article 12). La règle figurant à l’article 12, à supposer
qu’elle énonce le droit international coutumier, ainsi que le fondpement sur

lequel elle repose n’ont manifestement pas trait aux actes délictupels ou quasi
délictuels commis ailleurs, en l’espèce en dehors de l’Italipe.
14. La CDI est également d’avis que les assassinats politiques (s’pils ont
été commis à l’instigation de l’Etat ou si celui-ci en avpait connaissance, je
présume) tomberaient sous le coup de cette disposition. Cela paraîpt fondé,

quoique pareil acte puisse, d’une certaine manière, être considéré comme
étant de nature proprement publique ou gouvernementale ; selon toute
vraisemblance, il s’agirait aussi d’une violation grave du droit lpocal, qui
engagerait la responsabilité civile et donnerait lieu à une actionp devant les
tribunaux locaux. Pour en revenir au point de départ énoncé parp le Chief

Justice Marshall, celui de la compétence exclusive des juridictions dpu sou -
verain local, rien ne justifie, selon moi, du point de vue de l’épgalité souve-
raine, de l’indépendance, de la dignité, de la réciprocitép ou des risques
éventuels pour les relations internationales, ou encore du consentemepnt
implicite du souverain territorial, de refuser que soit exercée la copmpé -
tence à l’égard de pareille violation du droit interne.

15. Les actes commis au cours d’un conflit armé sont en revanche, àp
mon sens, d’une tout autre nature. Ce sont des actes commis au niveaup

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6 CIJ1031.indb 141 22/11/13 12:25 168 jurisdictional immunpities of the state (sepp. op. keith)

tional, inter-State level, of a sovereign nature relating to the implementa -
tion of foreign, security and defence policies of the defendant State anpd

are to be assessed according to international law, to return to the termps of
the Institut texts (see para. 8 above). Those acts are not acts to be assessed
primarily by reference to local law, although they might also involve
breaches of local criminal law so far as it incorporates provisions of inter-
national law, for instance creating or declaring crimes for which indivipdu -

als may be individually responsible and in respect of which they are notp
likely to have immunity.

16. The International Law Commission commentary states flatly that
its draft Article 12 does not “apply to situations involving armed con -
flicts” (YBILC, 1991, Vol. II (2), p. 46, para. 10 of commentary to
Article 12). While it would have been helpful had the United Nations Con-
vention made it express, as the European Convention does, that the Con -

vention does not apply to claims arising from armed conflicts or from p
actions of the armed forces (1972 European Convention on State Immu -
nity, Art. 31), the statement of 25 October 2004 by the Chairman of the
Ad Hoc Committee when introducing the report of that Committee on
the draft Convention follows the Commission’s position and is clear : one

of the issues that had been raised was whether military activities were p
covered by the Convention ; the general understanding had always pre -
vailed that they were not (A/C6/59/SR13, para. 36 ; see also the reference
in the last preambular paragraphs of General Assembly resolution 59/38,
adopting the Convention, to the “statement of the Chairman of the Ad

Hoc Committee”). Norway and Sweden when ratifying the Convention
have made explicit their understandings to similar effect. The Chairmapn’s
statement indicates to me that the exclusion of war claims went almost
without saying.

17. Also supporting that exclusion is the analogy provided by national
law which in many countries at first recognized the absolute immunity pof
States from proceedings in their own courts, and later limited it. The IpLC
said this about the earlier period :

“It was in the nineteenth century that the doctrine of State immu -

nity came to be established in the practice of a large number of States.
In common law jurisdictions, especially in the United Kingdom and
the United States of America, the principle that foreign States are
immune from the jurisdiction of the territorial States has to a large
extent been influenced by the traditional immunity of the local sov -

ereign, apart altogether from the application of international comity
or comitas gentium. In the United Kingdom, at any rate, the doctrine

73

6 CIJ1031.indb 142 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 168

international et interétatique, revêtant un caractère souverainp et ayant

trait, pour reprendre les termes employés dans les textes de l’Insptitut de
droit international (voir par. 8 ci-dessus), à la mise en œuvre de la poli -
tique de l’Etat défendeur en matière de relations extérieureps, de défense
nationale ou de sécurité publique, actes qui doivent donc être pappréciés
au regard du droit international. Ces actes ne doivent pas être princpipale-

ment appréciés au regard du droit national, et ce, bien qu’ils ppuissent
aussi constituer des violations du droit pénal local, dans la mesure poù y
sont incorporées des dispositions du droit international, celles, parp
exemple, qui définissent ou énoncent des crimes à raison desqpuels la res -

ponsabilité des individus peut être engagée et à l’égaprd desquels ceux-ci ne
peuvent pas jouir de l’immunité.
16. Dans son commentaire, la CDI se contente d’indiquer que son pro-
jet d’article 12 « ne s’applique pas … à des situations liées à des conflits
armés » (ACDI, 1991, vol. II (deuxième partie), p. 48, par. 10 du commen-

taire relatif à l’article 12). Quoiqu’il eût été utile que fût précisé dans pla
convention des Nations Unies, comme c’est le cas dans la convention
européenne, que cet instrument ne s’applique pas à des demandesp liées à
des conflits armés ou à des actes commis par des forces armées (conven -
tion européenne de 1972 sur l’immunité des Etats, art. 3), le président du

comité spécial a, dans la déclaration présentant le rapport pde son comité
sur le projet de convention qu’il a faite le 25 octobre 2004, suivi la position
de la CDI en indiquant clairement que l’une des questions qui avaientp été
posées était celle de savoir si la convention s’appliquait aux pactivités mili-

taires, ajoutant qu’il avait toujours été généralement adpmis que tel n’était
pas le cas (A/C6/59/SR13, par. 36 ; voir également la référence figurant
dans le dernier alinéa du préambule de la résolution 59/38 de l’Assemblée
générale, par laquelle a été adoptée la convention, à la « déclaration faite
par le président du comité spécial »). La Norvège et la Suède, lorsqu’elles

ont ratifié la convention, ont explicitement indiqué qu’ellesp la compre -
naient ainsi. Selon moi, il ressort de la déclaration du présidentp du comité
spécial que l’exclusion des réclamations se rapportant à des conflits armés
allait presque de soi.
17. Un autre élément venant étayer cette exclusion est l’analogipe avec

les dispositions du droit national qui, dans bien des pays, ont commencé
par reconnaître l’immunité de juridiction absolue des Etats devpant leurs
propres tribunaux, avant de la limiter. Au sujet de la première pépriode, la
CDI a indiqué ce qui suit :

«C’est au XIX siècle que la doctrine de l’immunité des Etats s’est
imposée dans la pratique d’un grand nombre d’Etats. Dans les jupridic -

tions de « common law», notamment au Royaume-Uni et aux Etats-
Unis d’Amérique, le principe selon lequel les Etats étrangers npe tombent
pas sous le coup de la juridiction de l’Etat territorial a, dans une plarge
mesure, été influencé par la notion d’immunité traditiopnnelle du souve -
rain local, qui n’a rien à voir avec l’application de la notionp de court-oi

sie internationale ou comitas gentium. Au Royaume-Uni, en tout cas, la

73

6 CIJ1031.indb 143 22/11/13 12:25 169 jurisdictional immunpities of the state (sepp. op. keith)

of sovereign immunity has been a direct result of the British consti -
tutional usage expressed in the maxim ‘The King cannot be sued in

his own courts’. To implead the national sovereign was therefore a
constitutional impossibility . . . The immunity of the Crown was later
extended to cover also the sovereign heads of other nations, or foreign p
sovereigns with whom at a subsequent stage of legal development
foreign States have been identified.” (YBILC, 1980, Vol. II (2), p. 144,

para. 9.)
But by 1932 it was possible for those responsible for the extensively

researched and carefully prepared Harvard draft convention on the Com -
petence of Courts in regard to foreign States to say that

“Exceptions [to the rule of absolute immunity] . . . have made their
appearance as the necessities of modern life have changed and devel -
oped. More and more States have adopted legislation by which they
have submitted to suits by private persons in their own courts. The
old English principle that the King can do no wrong has lost much

of its force as an operative legal doctrine.” ((1932) 26 AJIL
Supp. 527-528 ; the text was prepared by a group with Profes -
sor Philip C. Jessup as reporter.)

The draft accordingly included a number of exceptions to immunity.
Twenty years later, Professor Hersch Lauterpacht pressed the national
law analogy with reference to recent legislative changes in common law
countries limiting the immunity of the local state from court proceedings

(“The Problem of the Jurisdictional Immunities of Foreign States”p
(1951), 28 BYBIL 220-221, 233-235). Many of those changes in national
law had as their purpose, with reference to the principles of the rule opf
law and the equality of the State and its citizens under the law, the plac -
ing of the State as litigant in the same position as the individual as lpiti -
gant. To recall the distinction made earlier in this opinion, the new

legislation was concerned with the State being made subject to jurisdic -
tion in respect of private law claims. That legislation did not, by contprast,
allow claims arising from actions of the armed forces of the State in
defence of the State or even more broadly. Such matters were dealt with
at the national level by general policies such as war pensions and other

measures for the rehabilitation of returned members of the armed forces.
(See e.g., P. W. Hogg and P. J. Monahan, Liability of the Crown,
3rd ed., 2000, 7 (6) (b).) While that parallelism with private acts is not to
be pressed beyond its limits, it is of interest, as Sompong Sucharitkul, the
ILC’s first special Rapporteur wrote in 1959, that in Italy

“[t]he doctrine of State immunity was also generally applied by Ita -

lian courts in the nineteenth century. But at the very beginning, Ita -
lian courts adopted a restrictive view of immunity based upon the

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6 CIJ1031.indb 144 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 169

doctrine de l’immunité souveraine est le résultat direct de l’pusage consti-

tutionnel anglais exprimé par la maxime « Le Roi ne peut pas être pour -
suivi devant ses propres tribunaux». Il était donc constitutionnellement
impossible de traduire en justice le souverain national… L’immunitpé de
la couronne fut plus tard étendue aux souverains des autres nations opu
aux souverains étrangers avec lesquels, à un stade ultérieur dep dévelop -

pement du droit, les Etats étrangers ont été identifiés. » (ACDI, 1980,
vol. II (deuxième partie), p. 140-141, par. 9.)

Dès 1932, les auteurs du projet de convention de Harvard sur la compép -
tence des tribunaux à l’égard des Etats étrangers, projet qupi fit l’objet de
recherches approfondies et fut rédigé avec le plus grand soin, éptaient
cependant en mesure d’indiquer ce qui suit :

«Les exceptions [à la règle de l’immunité absolue] sont apparpues
lorsque les nécessités liées à la vie moderne se sont modifipées et multi -
pliées. Un nombre croissant d’Etats ont alors adopté des lois aputorisant

que des personnes privées engagent contre eux des actions judiciairesp
devant leurs propres tribunaux. Aussi le vieux principe anglais selon
lequel le souverain ne saurait mal faire a-t-il perdu bien de sa force epn
tant que théorie juridique applicable. » (AJIL, vol. 26 (1932), sup.,
p. 527-528; texte collectif dont Philip C. Jessup fut le rapporteur.)

Un certain nombre d’exceptions à l’immunité étaient ainsip énumérées
dans ce projet. Vingt ans plus tard, M. Hersch Lauterpacht a poursuivi

cette analogie avec le droit national en se référant à des chanpgements
législatifs récents dans les pays de common law limitant l’immunité de
l’Etat du for devant ses propres tribunaux (« The Problem of the Jurisdic -
tional Immunities of Foreign States », BYBIL, vol. 28 (1951), p. 220-221,
p. 233-235). Nombre de ces changements visaient, en se référant aux prinp -

cipes de l’Etat de droit et de l’égalité de l’Etat et de pses citoyens devant le
droit, à mettre l’Etat dans la même situation que l’individup dans le cadre
d’un procès. Pour reprendre la distinction établie plus haut, cpes nouvelles
lois avaient pour objet de soumettre l’Etat à la compétence desp tribunaux
dans le cadre d’actions de droit privé ; en revanche, elles ne permettaient

pas que soient engagées contre l’Etat des actions ayant trait aux actes de
ses forces armées agissant dans le cadre de sa défense, ni même dans un
cadre plus général. Pareilles questions étaient régies sur lpe plan national
par des politiques générales telles que celles concernant les penspions de
guerre et d’autres mesures tendant à la réinsertion des membresp des forces

armées démobilisés (voir, per exemple, P. W. Hogg et P. J. Monahan,
Liability of the Crown, 3 éd., 2000, 7 (6) b)). Quoiqu’il ne faille pas pro -
longer par trop ce parallèle avec les actes privés, il est intéressant de rele -
ver qu’en Italie, ainsi que Sompong Sucharitkul, le premier rapporteur
spécial de la CDI l’a précisé en 1959,

«la doctrine de l’immunité de l’Etat a également, en règlep générale,
été appliquée par les tribunaux italiens au XIX esiècle. Dès le départ,

ces tribunaux ont cependant adopté une conception restrictive de

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6 CIJ1031.indb 145 22/11/13 12:25 170 jurisdictional immunpities of the state (sepp. op. keith)

double personality of the State. This was principally because in Italy
the local sovereign himself was subject to the jurisdiction of an Ita -

lian judge in respect of acts performed in his private capacity.” (State
Immunities and Trading Activities in International Law, 1959, p. 11.)

18. At the international level, claims in respect of war damages and
losses against former belligerents are in practice dealt with by inter-State
negotiations and agreements, as shown in the present case by the treatieps
of 1947 and 1961 (see paragraphs 22 and 24-25 of the Judgment) ; such
agreements deal with the claims of loss on a general footing, often on ap

reciprocal basis and not by way of individual claims, whether based on
fault or not. That international practice recognizes consequences of thep
widespread devastation and destruction that follow major armed con -
flicts. That destruction, along with the overwhelming need for former pbe-l
ligerent States to reconstruct their societies and their economies, as

recognized in that practice, makes completely impracticable, as best as I
understand the matter, the Italian proposition in these terms :

“States (both the State of the victims and the State which is responp -
sible for the violations) when negotiating . . . agreements [for war
damages] must ensure that (a) all categories of (if not all individual)
victims of war crimes are covered ; (b) there be sufficient financial
means to make the reparation more than symbolic ; (c) there be
appropriate mechanisms for ensuring that the reparation is made to

the victims. Thus, it would not be sufficient for a State just to say tphat
the counterpart agreed to waive all claims in exchange for a sum of
money. There must be certainty that the sum of money is sufficient
and appropriate ; there must be criteria for the identification of vic -
tims and for its distribution to victims.” (Counter-Memorial of Italy,

para. 5.26.)

How could the stated requirements (a) and (b) possibly be satisfied in
Europe following six years of unrelenting warfare ? In practice any repa -
ration received has often, and understandably, been used by States for
general recovery purposes. And (c) is not an obligation recognized in law
or always in fact.

19. Professor Louis Henkin, referring primarily to many post-war
settlement agreements concluded by the United States throughout its
history, has said that :

“governments have dealt with such private claims as their own, trea-
ting them as national assets, and as counters, ‘chips’, in internationapl
bargaining. Settlement agreements have lumped, or linked, claims
deriving from private debts with others that were intergovernmental

in origin, and concessions in regard to one category of claims might
be set off against concessions in the other, or against larger politicpal

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6 CIJ1031.indb 146 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 170

l’immunité fondée sur la double personnalité de l’Etat. Cpela résultait
essentiellement de ce que, en Italie, le souverain local lui-même éptait

soumis à la compétence du juge italien à l’égard des acteps accomplis
à titre privé. » (State Immunities and Trading Activities in Internatio ‑
nal Law, 1959, p. 11.)

18. Sur le plan international, les réclamations relatives aux dommages
et pertes de guerre contre d’anciens belligérants sont, en pratique, trpaitées
dans le cadre de négociations et d’accords interétatiques, ce qpu’attestent, en
la présente espèce, les traités de 1947 et de 1961 (voir paragraphes 22

et 24-25 de l’arrêt); dans ces accords, ces réclamations sont examinées d’une
manière générale et souvent réciproque, et non au cas par caps, en recher -
chant ou non l’existence d’une faute. De par cette pratique internationale
sont reconnues les conséquences des importants ravages que provoquentp les
grands conflits armés. Ces ravages, auxquels s’ajoute la nécepssité impé -
rieuse, pour les anciens Etats belligérants, de reconstruire leurs sociétés et

leurs économies — nécessité reconnue par ladite pratique —, semblent
rendre totalement irréaliste la thèse de l’Italie, telle qu’painsi exposé:e

«Lorsque les Etats (aussi bien l’Etat des victimes que celui qui est p
responsable des violations) négocient de[s] accords [ayant trait aux
dommages de guerre], ils doivent veiller à ce que : a) toutes les caté -
gories de victimes des crimes de guerre (si ce n’est la totalité des vic -
times individuelles) soient visées; b) il existe des ressources suffisantes

afin que la réparation soit plus que symbolique; c) il existe des méca -
nismes appropriés permettant de s’assurer que les victimes ont épté
indemnisées. Il ne serait donc pas suffisant qu’un Etat se contenpte
d’affirmer que l’autre partie avait consenti à renoncer à tpoutes les
réclamations en échange d’une somme d’argent. Il doit êtrpe garanti
que le montant est suffisant et approprié ; des critères doivent être

prévus pour l’identification des victimes et pour la répartitpion du
montant entre ces dernières.» (Contre-mémoire de l’Italie, par. 5.26.)

Comment aurait-il bien pu être satisfait aux exigences énoncéesp aux
points a) et b) en Europe, après six années d’une guerre acharnée ? Dans
la pratique, l’ensemble des réparations perçues ont, le plus sopuvent, été
utilisées par les Etats à des fins de reconstruction générpale, ce qui est d’ail-
leurs tout à fait compréhensible. Enfin, le point c) n’est pas une obliga -

tion reconnue en droit, et elle ne l’est pas toujours en fait.
19. Se référant, pour l’essentiel, à de nombreux accords de rèpglement
d’après guerre conclus par les Etats-Unis d’Amérique à trpavers l’histoire,
Louis Henkin a précisé ce qui suit :

«les gouvernements ont traité ces réclamations privées comme s’il
s’agissait de leurs propres réclamations, les utilisant dans le capdre de
négociations internationales comme autant d’atouts ou de jokers dapns
un jeu de cartes. Dans les accords de règlement, les réclamations

découlant de créances privées ont été agrégées, ou passociées, à d’autres
réclamations qui, à l’origine, étaient de nature intergouvernementale;

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6 CIJ1031.indb 147 22/11/13 12:25 171 jurisdictional immunpities of the state (sepp. op. keith)

considerations unrelated to debts. In result, except as an agreement

might provide otherwise, international claims settlements generally
wipe out the underlying private debt, terminating any recourse under
domestic law as well . . .

Often there was no assurance that the lump sum settlement was
the best ‘deal’ that citizens were not sacrificed to some other pnational
interest; often, surely, one could not be certain that the private party
recovered the full ‘value’ of his (her) claim.” (Foreign Affairs and the

US Constitution, 2nd ed., 1996, p. 300.)
The United States Court of Appeals for the District of Columbia recentlyp

quoted the first part of that passage and, in terms of “larger poliptical con -
siderations”, recalled a position stated in 1952 by the United States in
relation to the Peace Treaty with Japan of 1951 :

“Obviously insistence upon payment of reparations in any propor-
tion commensurate with the claims of the injured countries and their
nationals would wreck Japan’s economy, dissipate any credit that it

may possess at present, destroy the initiative of its people, and createp
misery and chaos in which the seeds of discontent and communism
would flourish.” (Joo v. Japan (2005) 413 F. 3d 45, 52.)

That very long-established practice, recognizing harsh post-war realities
and the need for former enemy States to establish new relationships,
strongly supports the conclusion that a former belligerent State may notp

be subject, without its consent, to the jurisdiction of a foreign court pin
cases such as those which are the subject of the present proceedings.

20. To conclude, I emphasize again that the Judgment in the present
case does not in any way deny the responsibility of Germany for the

dreadful violations of international law it committed against Italian cipti -
zens between 1943 and 1945. Germany has indeed, in the words of its
Agent before the Court, “accepted full responsibility [for] the terripble war
time events”. But that responsibility, along with the related obligatpions, is
not before the Court. What is before the Court is only Germany’s claipm

to immunity from the jurisdiction of Italian courts over the proceedings
based on those events brought against it by individual Italian citizens.p

(Signed) Kenneth Keith.

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6 CIJ1031.indb 148 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. ipnd. keith) 171

dans ce cadre, des concessions peuvent être faites en ce qui concernep

une catégorie de réclamations en échange de concessions concernpant
une autre catégorie, ou en raison de considérations politiques plups
générales sans lien avec une quelconque créance. En conséquepnce, à
moins qu’ils n’en disposent autrement, les accords de règlementp inter -
nationaux effacent généralement la créance privée sous-jacpente, met-

tant ainsi fin à toute possibilité de recours en vertu du droit pnational…
Le plus souvent, rien ne garantissait que le règlement global étaipt
la meilleure « affaire», que les citoyens n’étaient pas sacrifiés à
d’autres intérêts nationaux ni, c’est certain, que le particpulier était
totalement indemnisé. » (Foreign Affairs and the US Constitution,
e
2 éd. (1996), p. 300.)
La Cour d’appel des Etats-Unis d’Amérique pour le district de Cpolumbia

a récemment cité la première partie de ce passage et, s’agispsant des « consi-
dérations politiques plus générales », rappelé ce qu’avaient indiqué les
Etats-Unis d’Amérique en 1952 au sujet du traité de paix conclu l’année
précédente avec le Japon :

«De toute évidence, le fait d’insister pour que soient versées dpes répa
rations proportionnelles aux revendications formées par les pays vic -
times et leurs nationaux anéantirait l’économie du Japon, supprpimerait

tout crédit dont ce pays peut encore bénéficier aujourd’hupi, annihilerait
toute initiative de son peuple et engendrerait la misère et le chaos,p ter
reau sur lequel le mécontentement et le communisme risqueraient alorsp
de se développer.» (Joo c. Japan (2005), 413 F. 3d 45, p. 52.)

Cette pratique établie de fort longue date, qui reconnaît les dureps réalités
d’après guerre ainsi que la nécessité, pour les anciens Etats ennemis,
d’établir de nouvelles relations, étaye fermement la conclusion selon

laquelle un ancien Etat belligérant ne saurait, sans son consentementp, être
soumis à la compétence d’un tribunal étranger dans des affpaires telles que
celles qui faisaient l’objet de la présente instance.
20. Pour conclure, je soulignerai de nouveau que le présent arrêt ne nie
nullement la responsabilité de l’Allemagne pour les atroces violatpions du

droit international qu’elle a commises à l’encontre de citoyensp italiens
entre 1943 et 1945. D’ailleurs, pour reprendre les termes employés par son
agent devant la Cour, l’Allemagne « a reconnu sa pleine responsabilité à
l’égard des terribles événements qui se sont déroulés ppendant la seconde
guerre mondiale». Ce n’est cependant pas cette responsabilité, ni les obliga -

tions qui en découlent, dont la Cour a eu à connaître. Ce dont la Cour a eu
à connaître, c’est uniquement la prétention de l’Allemagnpe à l’immunité de
juridiction devant les tribunaux italiens à l’égard des actionsp fondées sur
lesdits événements qui ont été engagées contre elle par dpes citoyens italiens.

(Signé) Kenneth Keith.

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Opinion individuelle de M. le juge Keith

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