Opinion individuelle de M. Kooijmans (traduction)

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098-19991213-JUD-01-05-EN
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098-19991213-JUD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. KOOIJMANS

(Truduction]

Lu den~unu'c s,ubsidiaire dela Natnibie,fondée sur laprescription acquisitive
- Rece~~abilir- Les ccrtgles et principes du droit international» inivqués
dans le cotnpronlis- Conduite ultirieure et prescription acquisitive.
Le communiqui u' e usane - Engagements réciproquesliés au règlement du
d(/fji!rc.nd- Lcs eaux errtourcmt/'îlefont partie d'un tour Ntdépendammentde la
situationcl rafrontitre- L'utilisation de ces eau..rest a.ssimilableaux utilisa-
tions autres que la navigation- Convention sur le droit des utilisations des
cours d'eau irztrrnationiluù~ des fitinsuutres que la navigatio- Les rtglcs
d'Helsinki - Principe tfe 1'utili.sutio équitableet rui.sonnuble.

1. J'ai votépour le dispositif de l'arrêt,mais je m'estime tenu de for-
muler quelques observations car je suis dans l'impossibilitéde souscrire à
certains des motifs exposéspar la Cour. Je tiens en outre à complétersur
plusieurs points les conclusions de la Cour au sujet de l'utilisation des
eaux entourant I'îlede KasikiliISedudu.

2. Je souscrisà la conclusion de la Cour aux termes de laquelle la fron-
tière entre leBotswana et la Namibie suit la ligne des sondages les plus
profonds dans le chenal nord du fleuveChobe autour de I'îlede Kasikilil

Sedudu, et que ladite île fait partie du territoire du Botswana.
3. Cette conclusion découlede l'interprétation donnéepar la Cour du
traité anglo-allemand du 1" juillet 1890 et est conforme à l'article 1du
compromis du 15févirier1996 par lequel les Parties ont prié laCour de
déterminer,sur la base du traité anglo-allemand et des règleset principes
du droit international, la frontière entre elles autour de l'îlede Kasikilil

Sedudu ainsi que le statut juridique de cette île.
4. A mon avis, la Cour n'aurait toutefois pas dû fonder en même
temps sa conclusion relative au statut juridique de I'îlesur l'idéeque la
Namibie n'a pas vraiment établiqu'elle tient son titre sur I'îlede Kasikilil
Sedudu non seulement du traité de 1890mais aussi, à titre subsidiaire, de
la doctrine de la prescription, et que, par conséquent, cetterevendication
ne saurait être accept'ée(paragraphes 99 et 101de l'arrêt).

5. Je ne refuse pas l'analyse que la Cour fait de cette demande ni la
façon dont elle apprkcie les moyens par lesquels la Namibie défend sa
thèse; à mon avis, toiutefois, il aurait fallu déclarer immédiatement cette
demande irrecevable. ÎLE DE KASIKILI~SEDUDU (OP.IND.KOOIJMANS) 1145

6. Au cours de la procédure écritecomme au cours de la procédure
orale, la Namibie a prétenduqu'elle est habilitéeàexercer la souveraineté
sur I'îlede KasikiliISedudu sous l'effet d'un titre subsidiaire, totalement
indépendant des dispositions du traité de 1890, c'est-à-dire la prescrip-

tion. I'acauiescement e:t/oula reconnaissance. D'a~rèscette thèse. lecom-
promis, iarce qu'il invoque à l'article 1 les règléset principes du droit
international, autorise. expressément ou implicitement la Cour à appli-
quer la doctrine de la prescription acquisitive et justifier ainsi de façon
distincte que la souverainetésur I'îlerevientà la Namibie.
7. De son côté, le conseil du Botswana a dit qu'il serait ((contraire
au bon sens de présumerqu'invoquer sous une forme généraleles ((règles
et principes du droil international)) a nécessairement plus de poids
qu'invoquer un certaiin accord international qui définit la frontière en
question».
8. Pour la Cour, le compromis, en faisant étatdes ((règleset principes
du droit international»,l'autorise non seulement à interpréterle traitéde

1890 à la lumière de ces règleset principes mais également à faire une
application indépendante desdits règleset principes de sorte que le com-
promis ne lui interdit pas de connaître des arguments relatifs à la pres-
cription (par. 93).
9. Malgréle respect que je lui dois, le raisonnement de la Cour ne me
paraît pas convaincarit. Et l'on ne trouve guère d'éclaircissement à I'ar-
ticle III du compromis qui nous dit que les règleset principes du droit
international qui s'appliquent au différendsont ceux qui sont énumérés
au paragraphe 1de l'article 38du Statut de la Cour; ce fait permet sim-
le ment de réfuter.comme la Cour le dit iustement elle-même.la thèsedu
Botswana quand celui-ci soutient que le compromis autorisé la Cour à
n'appliquer que les règles et principes du droit international relatifs à

l'interprétation des traités.
10. Mais ce renvoi aux règleset principes du droit international qui
figure à l'articl1, tel qu'il est précisé à l'article III du compromis,
n'ajoute rien à la liberté d'action que son Statut accorde déjà à la
Cour. Dans l'affaire du Plateau continental (Tunisie/Jarnalririya arabe
libyenne), la Cour dii:ceci:

((Pour rechercher les principes et règlespertinents applicablesà la
délimitation, la Cour est tenue, bien entendu, de s'inspirer de toutes
les sources dedrloitviséesà l'article 38, paragraphe 1, de son Statut
dont l'alinéaa) lui prescrit d'appliquer les dispositions du compro-
mis.» (C.I.J. Recueil 1982, p. 37, par. 23.)

11. Or, dans leur compromis, les Parties prient la Cour de déterminer,
sur la base du traité de 1890et des règleset principes du droit interna-
tional - sans dissocier le second élémentdu premier - la frontière entre
la Namibie et le Botswana autour de l'îlede KasikiliISedudu ainsi que le
statut juridique de cette île là encore, sans dissocier le second élément
du premier. ILE DE E.ASIKILI/SEDU(D OP.IND. KOOIJMANS) 1146

A mon avis par conséquent, le compromis interdit à la Cour d'appli-
quer les règles et principes du droit international indépendamment du
traité. C'est le traité qui détermine la frontière. Si elle s'abstient d'inter-

préter etd'appliquer le traité, la Cour ne peut pas déterminer la frontière
et le statut juridique de I'île ainsi que le compromis la prie de le faire.

12. Le compromis impose deux tâches à la Cour: la première consiste
à déterminer la frontière entre la Namibie et le Botswana autour de l'île
de KasikiliISedudu et la seconde consiste à déterminer le statut juridique

de l'île. L'ordre logiq~ieimpose, semble-t-il, de répondre d'abord à la pre-
mière question. A cet-tefin, la Cour doit déterminer sur la base du traité
anglo-allemand si c'est le chenal nord ou le chenal sud qui correspond au
chenal principal ou qui contient ce chenal principal. Une fois cette déter-
mination opérée,la seconde question a implicitement trouvé elle aussi sa
réponse: si le chenal riord est le chenal principal, I'îlefait partie du terri-
toire du Botswana; si c'est le chenal sud qui est le chenal principal, I'île

fait partie de la Namiibie; autrement dit, l'île accompagne la frontière.
13. La seconde question, celle du statut juridique de I'île, ne peut à
mon avis recevoir de réponseindépendante de la première question que si
la Cour avait conclu A l'impossibilitéd'interpréter utilement les disposi-
tions du traité ou bien avait conclu que les parties au traité ont indiqué
par leur comportemerit que les dispositions du traitéont perdu toute per-

tinence. En pareil cas, on se trouve face à la situation opposée: c'est-à-
dire que la réponseà la première question est implicitement donnéepar la
réponse à la seconde question telle que nous venons de l'indiquer: le titre
sur I'île détermine l'emplacement de la frontière et ce résultat est indé-
pendant des dispositions du traitémais certainement pas indépendant du
traité. D'un point de vue théorique, pareille procédure n'est pas du tout

impensable.
14. Dans la sentenlre rendue dans l'affaire de L'île de Palrnus, l'arbitre
unique, Max Huber. dit ceci:

«les Etats limitrophes peuvent fixer par traité les limites de leur
propre souverairieté, mêmedans des régions où, comme l'intérieur
de continents à peine explorés, cette souveraineté se manifeste à
peine, et c'est airisi que chacun d'eux peut empêcherl'autre de péné-
trer sur son territoire. S'il n'existecependant aucune ligne conven-
tionnelle d'une précision topographique suffisante ou s'il y a des
lacunes dans les frontières autrement établies, ou si une ligne

conventionnelle donne lieu à des doutes, ... l'exercice réel,continu
et pacifique des fonctions étatiques est, en cas de litige, le critérium
correct et naturel de la souveraineté territoriale.)) (Revue gkt?érrrle
de droit international public (RGDIP) , p. 165-166.)

15. J'estime qu'en l'espèce lesconditions indiquéesdans cette sentence
arbitrale ne sont pas réunies. Pour la détermination de la frontière, le
compromis invoque expressément le traité anglo-allemand de 1890. La
précisiontopographique suffisante ne fait pas défautdans les dispositions R LEDE KASIKILI/SEDU(D OUP.IND. KOOIJMANS) 1147

conventionnelles, comme c'étaitle cas, par exemple, dans le différend
frontalier entre l'Argentine et leChilialena, International Law Reports,

vol. 38, p. 89 et suiv.). La Cour n'a pas pour tâche de déterminer où se
situe le chenal principal du fleuveChobe, elledoit simplement déterminer
lequel des deux chenaux entourant I'îlede Kasikili correspond au chenal
principal ou contient le chenal principal et ce qui forme son thalweg. Et
il est possible que la ligne conventionnelle donne lieu des doutes, mais
on ne peut pas lever ces doutes de façon raisonnable et argumentée en
choisissant une apprclche totalement différente qui laisse de côtéles dis-
positions du traité.
16. L'illogismede l'argumentation de la Namibie quand celle-ciplaide
sa thèsesubsidiaire est confirmépar le fait que cette demande non fondée
sur le traité repose pratiquement sur les mêmesmotifs que ceux par les-
quels elle étayela demande qu'elle fonde sur le traité, qui consistent à

dire que, par leur conduite ultérieure, les parties ont confirmé qu'elles
donnaient du traitéde 1890la mêmeinterprétation (voir le paragraphe 71
de l'arrêt).
17. Ces motifs sont les suivants: le maintien du contrôle et deutilisa-
tion de l'île par les Masubia du Caprivi oriental, l'exercicede la juridic-
tion sur I'îlepar les autoritésappelées administrer la bande de Caprivi
et le silence persistant de la partie adverse et de ses prédécesseurs. Après
avoir examiné les ar,guments de la Namibie, la Cour conclut de façon
parfaitement justifiéeque ces faits ne sont pas constitutifs d'une pratique
ultérieurement suivie au sens de l'article 31, paragraphe 3 b) de la
convention de 1969sur le droit des traités(paragraphe 75 de l'arrêt).
18. C'est par les mêmesargumentsque la Namibie soutient à titre sub-
sidiaire avoir établi sa souverainetésur I'îledeasikiliISedudu par voie

de prescription acquisitive (voir le paragraphe 90 de l'arrêt). LaCour est,
quant àelle, d'avis que la Namibie n'est pas parvenueà prouver que des
actes d'autorité étatiquequ'elle aurait accomplis en ce qui concerne I'île
l'autorisent à prétendre avoir acquis un titre par prescription (para-
graphes 98 et 99 de l'arrêt).
19. Cette conclusion laisse toutefois sansrénonse une auestion: si la
Namibie avait pu prouver que les conditions à remplir pour justifier
l'acquisition d'un titrepar prescription, tellesqu'ellessont définiesaupara-
graphe 94 de l'arrêt, avaientbel et bien été remplies, est-ceque cela
n'aurait pas étéconstitutif d'une conduite ultérieurement suivie égale-
ment? Aurait-on vraiment pu imaginer qu'il fût possible de répondre
favorablement à la Namibie quand celle-ci prétend avoir acquis un titre
par prescription et de lui répondreen même-tempspar la négativequand

elle plaide la conduite ultérieure? A mon sens, cela voudrait dire que la
Cour, après avoir dit qu'en vertu des dispositions du traité de 1890 la
frontière se situe daris le chenal nord. aurait dû se servir de sa rénoàse
la seconde question concernant le statut juridique de I'îlepour consolider
sa réponse li.la premièrequestion. A mon avis, il serait extrêmementarti-
ficiel d'interpréter le compromis comme autorisant la Cour à adopter
cette façon de faire. LEDE I<:ASIKILI/SEDU (OPU.IND.KOOIJMANS) 1148

20. A mon avis, par conséquent,la Cour aurait dû refuser d'accueillir
la demande subsidiairccde la Namibie et aurait dû la déclarerirrecevable.

21. J'ai votépour le paragraphe 3 du dispositif de l'arrêt quiporte sur
l'utilisation des deux chenaux autour du Chobe autour de l'île deKasi-
kililsedudu et repose :surla conclusion retenue par la Cour qui est que les
Parties ont souscrit vis-à-visune de l'autre des engagementà cet égard.
22. 11me paraît utile de faire observer que ces engagements figurent
dans le communiquéde Kasane adoptéle 24 mai 1992,document dont le
principal élémentest que les Parties conviennent d'un commun accord de
régler pacifiquement'leurdifférendfrontalier. Ces engagements sont par
conséquent indissolul-)lementliàsla décisionque les Parties ont adoptée
et qui consiste faire établirla frontièred'abord par une équipe d'experts
techniques désignésconjointement et ensuite, cette équipe conjointe
n'ayant pu aboutir, clela faire déterminer par la Cour internationale de
Justice sur la base du compromis du 15février 1996.Ens'acquittant de sa
tâche qui consiste donc à déterminerla frontière ainsi que le statut juri-
dique de l'îlede KasikiliISedudu, la Cour peut et doit examiner le com-

promis dans son contexte ainsi que les déclarations et les circonstances
entourant le compromis.
23. En sus de ce que la Cour dit aux paragraphes 102et 103de l'arrêt,
je tiens à formuler certaines observations qui pourraient orienter la
conduite ultérieure desParties et les aiderà situer leurs relations réci-
proques dans une perspective plus large. Ces observations s'inspirent de
décisions récentesconcernant les règleset principes du droit international
qui ont trait aux utilisations des cours d'eau internationaux, en parti-
culier l'utilisation équitableet raisonnable de leurs ressources.
24. Ces considéral.ionsn'ont rienà voir avec la détermination de la
frontière entre les Parties. La Cour ne peut pas s'en inspirer pour situer
ailleurs ou déplacer la frontière si, d'après les dispositions du traité, la
frontière correspond nécessairementau thalweg du chenal nord. Mêmesi
elles traduisent les règleset principes du droit international invoquésdans
le compromis, ces considérations ne peuvent que renvoyer aux engage-

ments contractés par les Parties dans le cadre de l'action qu'elles ont
menéepour régler pacifiquement leur différend etaux relations qu'elles
entretiennent actuelbcment et entretiendrontà l'avenir. Comme la Cour
l'a fait observer: «II ne s'agit pas simplement d'arriveà une solution
équitable, mais d'arriverà une solution équitable qui repose sur le droit
applicable))(Compétence en matière de pêcheries,C.I.J. Recueil 1974,
p. 33, par. 78; p. 2012,par. 69).
25. A la hauteur de l'île de KasikiliISedudu, on peut dire du fleuve
Chobe qu'il fait partie d'un((cours d'eau)) au sens de la convention de
1997sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux LE DE K.ASIKILI/SEDU (DPU.IND.KOOIJMANS) 1149

des fins autres que lai navigation. A l'alinéaa) de l'article 2 de cette
convention, le cours d'eau est définide la façon suivante:

((L'expression ((cours d'eau)) s'entend d'un systèmed'eaux de sur-
face et d'eaux souterraines constituant, du fait de leurs relations phy-
siques, un ensemble unitaire et aboutissant normalement à un point
d'arrivéecommun. »

26. L'idéequ'un systèmede cours d'eau représenteainsi un ensemble
unitaire avaitdéjàétéreconnue par l'Institut de droit international dans
la résolution deSalztiour" de 1961 sur l'utilisation des eaux internatio-
nales non maritimes (la navigation exceptée)(Annuaire de l'Institut de
droit international, vol. 49, deuxièmepartie (1961), p. 372 et suiv.). Dans
cette résolution, qui lut adoptéea l'unanimité, l'Institut vise les ((eaux
faisant partie d'un cours d'eau ou d'un bassin hydrographiquequi s'étend
sur le territoire de deux ou plusieurstats». A l'article 2, l'Institut fait
observer que le droit qu'a tout Etat d'utiliser leseaux qui traversent ou
bordent son territoire(a pour limite le droit d'utilisation des autres Etats

intéressésau mêmecours d'eau ou bassin hydrographique)),tandis qu'aux
termes de I'article, +:siles Etats sont en désaccordsur la portéede leurs
droits d'utilisation, le règlementse fera sur la base de l'équitétenant
compte notamment dleleurs besoins respectifs, ainsi que des autres cir-
constances propres ail cas d'espèce)).
27. En 1966, à sa cinquante-deuxième conférence,l'International Law
Association a adopté. à huit abstentions près seulement, ce qu'onappelle
les règlesd'Helsinki sur les utilisations des eaux des fleuves internatio-
naux (ILA, Report of the Fifty Second Conference, Helsinki 1966,
Londres 1967, p. 484 et suiv.). II s'agit deseaux des bassins de drainage
internationaux, ce type de bassin étant définià l'article II comme «une
zone géographique s'étendantsur deux ou plusieurs Etats et déterminée

par les limites de l'aire d'alimentation du réseauhydrographique, y com-
pris les eaux de surface et les eaux souterraines, aboutissant en un point
commun ».
Les règlesd'Helsinki sont beaucoup plus détailléesque la résolutionde
Salzbourgadoptée par l'Institut en 1961et à certains égards,ellessont en
quelque sorte le précurseur dela convention des Nations Unies de 1997.
En ce qui concerne le principe de l'utilisation équitable deces eaux, l'ar-
ticle IV dispose: «Cl?aque Etat du bassin a, sur son territoire, un droit
de participation raisonnable et équitable aux avantages que présente
I'utilisation deseaux d'un bassin de drainage international.
28. On peut donc dire que, sur le plan de la doctrine, le principe de
l'utilisation équitabledes ressources hydrauliques partagées par plusieurs

Etats bénéficiait éjàd'un soutien considérablequand la Commission du
droit international a inscrit en 1971son programme général laquestion
de «l'utilisation des cours d'eau internationauxà des fins autres que la
navigation P.
29. Dans la présente espèce,d'aprèsles écritures,il est clair qu'autour
de l'îlede KasikiliISedudu, leseaux sont presque exclusivement utiliséàsdes fins touristiques. Les touristes sont transportés par bateaux à fond
plat (principalement mais non pas exclusivement dans le chenal sud) pour
observer les animaux sauvages dans le parc animalier du Chobe situéau

sud du fleuve et sur l'iilede KasikiliISedudu que les animaux gagnent fré-
quemment a la nage. La navigation qui existe a cet endroit n'a pratique-
ment rien a voir avec le transport fluvial au sens normal du terme ((navi-
gation)), lequel vise le transport parbateau sur un fleuve d'un endroit à
un autre. L'utilisation qui est faite des eaux entourant l'île de Kasikilil
Sedudu correspond plutôt aux utilisations des cours d'eau à des fins
autres que la navigation au sens de la convention de 1997.

30. En 1929 déjà, la Cour permanente de Justice internationale avait
soulignéqu'il existait une communauté d'intérêts chez tousles Etats rive-
rains aux fins de la navigation, a l'exclusion de tout privilège d'un rive-
rain quelconque par rapport aux autres (Juridiction rerritor.iule de lu
Commission internufionale de I'Oder, urrêtno 16, 1929, C.P.J.I. sérieA
no23, p. 27). Dans l'affaire GubCikovo-Nugymuros, la Cour actuelle a fait
observer à ce propos que «le développement moderne du droit interna-

tional a renforcé ce principe également pour les utilisations des cours
d'eau internationaux a des fins autres que la navigation, comme en
témoigne l'adoption par l'Assemblée généraledes Nations Unies, le
21 mai 1997.de la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours
d'eau internationaux à des fins autres que la navigation)) (C.I.J. Recueil
1997, p. 56, par. 85).

31. Cette convention de 1997 n'est pas encore entrée en vigueur et il
faudra très vraisemblablement attendre plusieurs annéespour que soient
déposésles trente-cinq instruments de ratification indispensables. Et rien
ne semble indiquer que les Parties en l'espèceaient l'intention de se lier
par ladite conventiori.
Cela ne veut toutefois pas dire qu'un certain nombre des principes for-
mulésdans cette convention ne soient pas déjà devenus partie intégrante

du corps mêmedu droit international.
32. Au paragraphe 1 de son commentaire sur l'article 5de la conven-
tion de 1997, lequel porte sur le principe de l'utilisation et participation
équitable et raisonnable, la Commission du droit international fait obser-
ver ceci:

((L'article 5 &nonce les droits et les devoirs fondamentaux des
Etats en ce qui concerne l'utilisation des cours d'eau internationaux

a des fins autres que la navigation. L'un des principaux en est la
règlebien établiede l'utilisation équitable, qui est formulée et déve-
loppéeau paragraphe 1.»

Et la Commission poursuit:

«l'étude de tous les élémentsdont on dispose comme preuve de
l'existence d'une pratique générale desEtats, acceptéecomme étant
le droit, en ce qluiconcerne les utilisations des cours d'eau interna-
tionaux a des fins autres que la navigation ... montre que la doctrine LE DE K.ASIKILI/SEDU (DPU.IND.KOOIJMANS) 1151

de l'utilisation équitableest admise, dans la grande majoritédes cas,

en tant que principe général edt irecteur du droit pour déterminerles
droits et les obligations des Etats dans ce domaine» (par. 10).
33. Tant l'article 5 de la convention de 1997que l'article IV des règles

d'Helsinki prévoientapparemment une limitation territoriale en ce sens
que les Etats du cours d'eau (dans les règlesd'Helsinki, ce sont les(Etats
du bassin») ont droit sur leur territoire à une part raisonnable et équi-
table des avantages que présentel'utilisation deseaux d'un cours d'eau
international l.
Les deux instruments rejettent clairement toutefois ce qu'on appelle la
((doctrineHarmon » suivant laquelle I'Etat peut sans réserve revendiquer
le droit d'utiliser les eaux d'un fleuve international traversant son terri-
toire et en disposera son gré.
D'atlrèsle commentaire relatif à l'article IV des règlesd'Helsinki. cette
"
doctrine Harmon n'a jamais ététrès largement adoptée par les Etats, a
étérejetéepar pratiquement tous ceux qui ont eu l'occasion de s'exprimer
à ce sujet et le commentaire indique ensuite que tout Etat du bassin jouit
de droits égauxen nature et correspondant a ceux de chaque Etat du
même bassin.
34. D'après les engagements qu'elles ont contractés dans le commu-
niqué de Kasane en date du 24 mai 1992 (voir le paragraphe 102 de
l'arrêt),les Parties ont implicitement reconnu qu'à la hauteur de I'îlede
KasikiliISedudu, le fleuve Chobe fait partie d'un ensemble unitaire, indé-
pendamment de l'emplacement exact de la frontière tel que la Cour le

déterminera.
35. Le chenal sud riedevient pas brutalement une voie d'eau intérieure
dès lors qu'ila étédécidéque c'est le chenal nord qui est ou qui contient
le «chenal principal)) au sens du traitéde 1890,mêmesi ce chenal sud est
intégralement en territoire botswanais. Le chenal sud continue de faire
partie d'un systèmed'eaux de surface et d'eaux souterraines qui, du fait
de leurs relations physiques, constituent un ensemble unitaire.
36. Quand elles s'occuperont a l'avenir desutilisations des eaux entou-
rant I'île deKasikiliISedudu, les Parties devront s'inspirer des régieset
des principes consacrlSspar la convention de 1997ainsi que par les règles

d'Helsinki. Ellesne devront pas oublier que, comme l'a dit la Commis-
sion du droit international, «la règlede l'utilisation équitable et raison-
nable repose sur des fondements solides, et sert de base au devoir des
Etats de participer de façon équitable et raisonnable à l'utilisationà la
mise en valeur et à la1protection des cours d'eau internationaux)).
37. Cette règleest désormais très largement acceptéepour les utilisa-
tions des cours d'eauiinternationaux, tant à des fins de navigation qu'a
des fins autres que la navigation. En vue d'une plus large application de

'Au paragraphe 2 de son commentairesur l'article 5de la convention de 1997,la Com-
mission du droit international fait observer que cet article est sans doute énoncé comme
une obligation mais qu'il énonce aussioit correspondant.la règle,l'article 6 de la convention de 1997 énumère sous forme d'une
liste non exhaustivele:<facteurs a tenir pour pertinents aux fins d'une uti-
lisation équitableet raisonnable.
38. Il est clair que l'utilisation des eaux entourant l'île de Kasikilil
Sedudu à des fins touristiques est devenue avec le temps beaucoup plus
importante du point de vue économique que l'utilisation de l'île elle-
même,par exemple a des fins agricoles; c'est aussi ce dont témoignele
communiquéde Kasane. Mais cet intérêé t conomiqueactuel qui procède
de I'écotourismepeut lui-mêmeêtreéphémère. Il serait par conséquent

utile que les Parties situent toute coopération ultérieuredans un cadre
plus large et plusénkral.Il y a lieu de rappeler a cet égard que,dans le
préambulede sa résolution de 1961,l'Institut de droit international fait
observer que, «dans l'utilisation deseaux intéressantplusieurs Etats, cha-
cun d'eux peut obtenir, par des consultations, des plans établisen com-
mun et des concessiclns réciproques, les avantages d'un aménagement
plus rationnel d'une richesse naturelle)).

(Signé) P. H. KOOIJMANS.

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OPINION INDIVIDUELLE DE M. KOOIJMANS

(Truduction]

Lu den~unu'c s,ubsidiaire dela Natnibie,fondée sur laprescription acquisitive
- Rece~~abilir- Les ccrtgles et principes du droit international» inivqués
dans le cotnpronlis- Conduite ultirieure et prescription acquisitive.
Le communiqui u' e usane - Engagements réciproquesliés au règlement du
d(/fji!rc.nd- Lcs eaux errtourcmt/'îlefont partie d'un tour Ntdépendammentde la
situationcl rafrontitre- L'utilisation de ces eau..rest a.ssimilableaux utilisa-
tions autres que la navigation- Convention sur le droit des utilisations des
cours d'eau irztrrnationiluù~ des fitinsuutres que la navigatio- Les rtglcs
d'Helsinki - Principe tfe 1'utili.sutio équitableet rui.sonnuble.

1. J'ai votépour le dispositif de l'arrêt,mais je m'estime tenu de for-
muler quelques observations car je suis dans l'impossibilitéde souscrire à
certains des motifs exposéspar la Cour. Je tiens en outre à complétersur
plusieurs points les conclusions de la Cour au sujet de l'utilisation des
eaux entourant I'îlede KasikiliISedudu.

2. Je souscrisà la conclusion de la Cour aux termes de laquelle la fron-
tière entre leBotswana et la Namibie suit la ligne des sondages les plus
profonds dans le chenal nord du fleuveChobe autour de I'îlede Kasikilil

Sedudu, et que ladite île fait partie du territoire du Botswana.
3. Cette conclusion découlede l'interprétation donnéepar la Cour du
traité anglo-allemand du 1" juillet 1890 et est conforme à l'article 1du
compromis du 15févirier1996 par lequel les Parties ont prié laCour de
déterminer,sur la base du traité anglo-allemand et des règleset principes
du droit international, la frontière entre elles autour de l'îlede Kasikilil

Sedudu ainsi que le statut juridique de cette île.
4. A mon avis, la Cour n'aurait toutefois pas dû fonder en même
temps sa conclusion relative au statut juridique de I'îlesur l'idéeque la
Namibie n'a pas vraiment établiqu'elle tient son titre sur I'îlede Kasikilil
Sedudu non seulement du traité de 1890mais aussi, à titre subsidiaire, de
la doctrine de la prescription, et que, par conséquent, cetterevendication
ne saurait être accept'ée(paragraphes 99 et 101de l'arrêt).

5. Je ne refuse pas l'analyse que la Cour fait de cette demande ni la
façon dont elle apprkcie les moyens par lesquels la Namibie défend sa
thèse; à mon avis, toiutefois, il aurait fallu déclarer immédiatement cette
demande irrecevable.1145 KASIKILI~SEDUDU ISLAND (SEP.OP.KOOIJMANS)

6. In the written and oral proceedings Namibia has claimed that there
is an alternative ground - entirely independent of the terms of the 1890
Treaty - by which it is entitled to sovereignty over KasikiliISedudu
Island, viz., prescription, acquiescence andlor recognition. It contended
that the Special Agreement, by referring in its Article 1 to the rules and
principles of international law, explicitly or implicitly allowed the Court
to apply the doctrine of acquisitive prescription as a separate ground for
Namibia's sovereignty over the Island.

7. For its part, counsel for Botswana maintained that it would be
"contrary to common sense to presume that the general reference to 'the
rules and principles of international law'should prevail over the reference
to a specific international agreement which deJinesthe boundury in ques-
tion" (emphasis in original).
8. The Court is of the view that the reference in the Special Agreement
to the "rules and principles of international law" not only authorizes the
Court to interpret the 1890 Treaty in the light of those rules and prin-
ciples but also to apply them independently and that, consequently, the

Special Agreement does not preclude the Court from examining argu-
ments relating to prescription (para. 93).
9. With al1due respect, 1do not find the Court's reasoning persuasive.
The fact that Article III of the Special Agreement states that the rules
and principles of international law applicable to the dispute shall be those
set forth in the provisions of Article 38, paragraph 1, of the Court's
Statute can hardly be called enlightening; it only refutes - as the Court
correctly states - Botswana's argument that the Special Agreement
allows the Court to apply only the rules and principles of international

law concerning treaty interpretation.

10. But this reference in Article 1, as specified in Article III of the
Special Agreement does not add anything to what the Court is not
already entitled to do by the Statute. In the case of Continental Shev
(TunisialLibyan Arab Jamahiriya) the Court stated:

"While the Court is, of course, bound to have regard to al1the
legal sources specified in Article 38, paragraph 1, of the Statute
of the Court in determining the relevant principles and rules appli-
cable to the delimitation, it is also bound, in accordance with para-
graph 1 (a), of that Article, to apply the provisions of the Special

Agreement." (I.C.J. Reports 1982, p. 37, para. 23.)
11. In the Special Agreement the Parties ask the Court to determine,
on the basis of the 1890Treaty and the rules and principles of interna-
tional law - without dissociating the latter from the former - the

boundary between Namibia and Botswana around KasikiliISedudu Island
and the legal status of the Island - again, without dissociating the latter
from the former. ÎLE DE KASIKILI~SEDUDU (OP.IND.KOOIJMANS) 1145

6. Au cours de la procédure écritecomme au cours de la procédure
orale, la Namibie a prétenduqu'elle est habilitéeàexercer la souveraineté
sur I'îlede KasikiliISedudu sous l'effet d'un titre subsidiaire, totalement
indépendant des dispositions du traité de 1890, c'est-à-dire la prescrip-

tion. I'acauiescement e:t/oula reconnaissance. D'a~rèscette thèse. lecom-
promis, iarce qu'il invoque à l'article 1 les règléset principes du droit
international, autorise. expressément ou implicitement la Cour à appli-
quer la doctrine de la prescription acquisitive et justifier ainsi de façon
distincte que la souverainetésur I'îlerevientà la Namibie.
7. De son côté, le conseil du Botswana a dit qu'il serait ((contraire
au bon sens de présumerqu'invoquer sous une forme généraleles ((règles
et principes du droil international)) a nécessairement plus de poids
qu'invoquer un certaiin accord international qui définit la frontière en
question».
8. Pour la Cour, le compromis, en faisant étatdes ((règleset principes
du droit international»,l'autorise non seulement à interpréterle traitéde

1890 à la lumière de ces règleset principes mais également à faire une
application indépendante desdits règleset principes de sorte que le com-
promis ne lui interdit pas de connaître des arguments relatifs à la pres-
cription (par. 93).
9. Malgréle respect que je lui dois, le raisonnement de la Cour ne me
paraît pas convaincarit. Et l'on ne trouve guère d'éclaircissement à I'ar-
ticle III du compromis qui nous dit que les règleset principes du droit
international qui s'appliquent au différendsont ceux qui sont énumérés
au paragraphe 1de l'article 38du Statut de la Cour; ce fait permet sim-
le ment de réfuter.comme la Cour le dit iustement elle-même.la thèsedu
Botswana quand celui-ci soutient que le compromis autorisé la Cour à
n'appliquer que les règles et principes du droit international relatifs à

l'interprétation des traités.
10. Mais ce renvoi aux règleset principes du droit international qui
figure à l'articl1, tel qu'il est précisé à l'article III du compromis,
n'ajoute rien à la liberté d'action que son Statut accorde déjà à la
Cour. Dans l'affaire du Plateau continental (Tunisie/Jarnalririya arabe
libyenne), la Cour dii:ceci:

((Pour rechercher les principes et règlespertinents applicablesà la
délimitation, la Cour est tenue, bien entendu, de s'inspirer de toutes
les sources dedrloitviséesà l'article 38, paragraphe 1, de son Statut
dont l'alinéaa) lui prescrit d'appliquer les dispositions du compro-
mis.» (C.I.J. Recueil 1982, p. 37, par. 23.)

11. Or, dans leur compromis, les Parties prient la Cour de déterminer,
sur la base du traité de 1890et des règleset principes du droit interna-
tional - sans dissocier le second élémentdu premier - la frontière entre
la Namibie et le Botswana autour de l'îlede KasikiliISedudu ainsi que le
statut juridique de cette île là encore, sans dissocier le second élément
du premier.1146 KASIKILI~SEDUDU ~SLAND (SEP.OP.KOOIJMANS)

In my opinion, therefore, the Special Agreement precludes the Court
from applyingthe rules and principles of international law independently
of the Treaty. It is the Treaty which determines the boundary. Without
interpreting and applying the Treaty the Court is not able to determine
the boundary and the legal status of the Island as it is requested to do by
the Special Agreement.
12. The Special Agreement asks the Court to do two things: first, to
determine the boundary between Namibia and Botswana around Kasikilil
Sedudu Island, and, second, to determine the legal status of the Island.
The logical order seemsto be to answer the first question first. In order to
do so the Court must on the basis of the Anglo-German Treaty deter-
mine whether the northern or the southern channel is or contains the
main channel. Once that determination has taken place, the second ques-

tion is implicitly answered as well: if the northern channel is the main
channel, the Island belongs to the territory of Botswana; if the southern
channel is the main channel, it is part of Namibia; in other words, the
Island goes with the boundary.
13. The second question, that of the legal status of the Island, can in
my opinion only be answered independently of the first question if the
Court would have concluded that the terms of the Treaty cannot possibly
be interpreted in a meaningful way, or that the parties to the Treaty by
their conduct have indicated that the terms of the Treaty have lost their
relevance. In that case a reverse situation presents itself: the answer to
the first question is implicitly given by the preceding answer to the second
question: the title over the Island determines the location of the bound-
ary and it does so irrespective of the terms of the Treaty, but certainly not
independently of the Treaty. In theory such a procedure would not be
unthinkable.

14. In his award in the Island of Palmus case the sole Arbitrator,
Judge Max Huber, stated that

"neighbouring states may by convention fix limits to their own
sovereignty, even in regions such as the interior of scarcely explored
continents where such sovereignty is scarcely manifested, and in this
way each may prevent the other from penetration of its territory ...
If, however, no conventional line of sufficient topographical preci-
sion exists or if there are gaps in the frontiers otherwise established,
or if a conventional line leaves room for doubt .. .the actual con-
tinuous and peaceful display of state functions is in case of dispute
the sound and natural criterium of territorial sovereignty." (Reports

of International Arbitral Aivurds (RIAA), Vol. II,p. 840.)

15. In my opinion, the conditions mentioned in the Award are not met
in the dispute before the Court. For the determination of the boundary
the Special Agreement explicitly refers to the 1890Anglo-German Treaty.
There is no lack of sufficient topographical precision in the conventional ILE DE E.ASIKILI/SEDU(D OP.IND. KOOIJMANS) 1146

A mon avis par conséquent, le compromis interdit à la Cour d'appli-
quer les règles et principes du droit international indépendamment du
traité. C'est le traité qui détermine la frontière. Si elle s'abstient d'inter-

préter etd'appliquer le traité, la Cour ne peut pas déterminer la frontière
et le statut juridique de I'île ainsi que le compromis la prie de le faire.

12. Le compromis impose deux tâches à la Cour: la première consiste
à déterminer la frontière entre la Namibie et le Botswana autour de l'île
de KasikiliISedudu et la seconde consiste à déterminer le statut juridique

de l'île. L'ordre logiq~ieimpose, semble-t-il, de répondre d'abord à la pre-
mière question. A cet-tefin, la Cour doit déterminer sur la base du traité
anglo-allemand si c'est le chenal nord ou le chenal sud qui correspond au
chenal principal ou qui contient ce chenal principal. Une fois cette déter-
mination opérée,la seconde question a implicitement trouvé elle aussi sa
réponse: si le chenal riord est le chenal principal, I'îlefait partie du terri-
toire du Botswana; si c'est le chenal sud qui est le chenal principal, I'île

fait partie de la Namiibie; autrement dit, l'île accompagne la frontière.
13. La seconde question, celle du statut juridique de I'île, ne peut à
mon avis recevoir de réponseindépendante de la première question que si
la Cour avait conclu A l'impossibilitéd'interpréter utilement les disposi-
tions du traité ou bien avait conclu que les parties au traité ont indiqué
par leur comportemerit que les dispositions du traitéont perdu toute per-

tinence. En pareil cas, on se trouve face à la situation opposée: c'est-à-
dire que la réponseà la première question est implicitement donnéepar la
réponse à la seconde question telle que nous venons de l'indiquer: le titre
sur I'île détermine l'emplacement de la frontière et ce résultat est indé-
pendant des dispositions du traitémais certainement pas indépendant du
traité. D'un point de vue théorique, pareille procédure n'est pas du tout

impensable.
14. Dans la sentenlre rendue dans l'affaire de L'île de Palrnus, l'arbitre
unique, Max Huber. dit ceci:

«les Etats limitrophes peuvent fixer par traité les limites de leur
propre souverairieté, mêmedans des régions où, comme l'intérieur
de continents à peine explorés, cette souveraineté se manifeste à
peine, et c'est airisi que chacun d'eux peut empêcherl'autre de péné-
trer sur son territoire. S'il n'existecependant aucune ligne conven-
tionnelle d'une précision topographique suffisante ou s'il y a des
lacunes dans les frontières autrement établies, ou si une ligne

conventionnelle donne lieu à des doutes, ... l'exercice réel,continu
et pacifique des fonctions étatiques est, en cas de litige, le critérium
correct et naturel de la souveraineté territoriale.)) (Revue gkt?érrrle
de droit international public (RGDIP) , p. 165-166.)

15. J'estime qu'en l'espèce lesconditions indiquéesdans cette sentence
arbitrale ne sont pas réunies. Pour la détermination de la frontière, le
compromis invoque expressément le traité anglo-allemand de 1890. La
précisiontopographique suffisante ne fait pas défautdans les dispositions1147 KASIKILI~SEDUDU ISLAND (SEP.OP.KOOIJMANS)

provisions, like e.g., in the Pulena case (Argentine-Chile Frontier case,
38 International Law Reports, pp. 89 ff.). The Court does not have to
find where the main channel of the River Chobe is located, it merely
has to determine which of the two channels around Kasikili Island is
or contains the main channel and what forms its thalweg. And the con-
ventional line may leaveroom fordoubt, but that doubt cannot be solved
in a reasonable and arguable way by choosing a completely different
approach which ignores the terms of the Treaty.

16. The inconsistency of Namibia's arguments in respect of its alter-
native claim is borne out by the fact that this non-Treaty-based claim
rests on virtually thesame grounds which it has submitted for its Treaty-
based claim that the parties by their subsequent conduct have confirmed
their agreement regarding the interpretation of the 1890 Treaty (see
para. 71 of the Judgment).

17. These grounds are: continued control and use of the Island by the
Masubia of Eastern Caprivi, the exercise of jurisdiction over it by the
governing authorities in the Caprivi Strip, and the continued silence
of the other Party and its predecessors. After examining Namibia's
arguments the Court with good reason concludes that these facts do
not constitute subsequent practice within the meaning of Article 31,para-
graph 3 (b), of the 1969 Convention on the Law of Treaties (para. 75
of the Judgment).
18. These same arguments lie at the basis of Namibia's alternative
claim that it has obtained sovereignty over KasikiliISedudu Island by

acquisitive prescription (see para. 90 of the Judgment). The Court is of
the view that Namibia has failed to prove that acts of State authority
carried out with regard to the Island justify its claim to prescriptive
title (paras. 98 and 99).

19. That conclusion, however, leaves unanswered one question. If
Namibia had been able to prove that the requirements for acquisitive pre-
scription, as referred to in paragraph 94 of the Judgment, had been
fulfilled, would that not have constituted subsequent practice as well?
Would it have been conceivable indeed to evaluate Namibia's claim to
prescriptive title positively and at theme time to evaluate its claim con-
cerning subsequent practice negatively? In my vie~ that would mean that
the Court, after having found that according to the terms of the 1890
Treaty the boundary isin the northern channel, would have been expected
to use its answer to the second question concerning the legal status of the
Island in order to trump its answer to the first question. In my opinion it
would be highly artificial to read the Special Agreement as enabling the
Court to do so. R LEDE KASIKILI/SEDU(D OUP.IND. KOOIJMANS) 1147

conventionnelles, comme c'étaitle cas, par exemple, dans le différend
frontalier entre l'Argentine et leChilialena, International Law Reports,

vol. 38, p. 89 et suiv.). La Cour n'a pas pour tâche de déterminer où se
situe le chenal principal du fleuveChobe, elledoit simplement déterminer
lequel des deux chenaux entourant I'îlede Kasikili correspond au chenal
principal ou contient le chenal principal et ce qui forme son thalweg. Et
il est possible que la ligne conventionnelle donne lieu des doutes, mais
on ne peut pas lever ces doutes de façon raisonnable et argumentée en
choisissant une apprclche totalement différente qui laisse de côtéles dis-
positions du traité.
16. L'illogismede l'argumentation de la Namibie quand celle-ciplaide
sa thèsesubsidiaire est confirmépar le fait que cette demande non fondée
sur le traité repose pratiquement sur les mêmesmotifs que ceux par les-
quels elle étayela demande qu'elle fonde sur le traité, qui consistent à

dire que, par leur conduite ultérieure, les parties ont confirmé qu'elles
donnaient du traitéde 1890la mêmeinterprétation (voir le paragraphe 71
de l'arrêt).
17. Ces motifs sont les suivants: le maintien du contrôle et deutilisa-
tion de l'île par les Masubia du Caprivi oriental, l'exercicede la juridic-
tion sur I'îlepar les autoritésappelées administrer la bande de Caprivi
et le silence persistant de la partie adverse et de ses prédécesseurs. Après
avoir examiné les ar,guments de la Namibie, la Cour conclut de façon
parfaitement justifiéeque ces faits ne sont pas constitutifs d'une pratique
ultérieurement suivie au sens de l'article 31, paragraphe 3 b) de la
convention de 1969sur le droit des traités(paragraphe 75 de l'arrêt).
18. C'est par les mêmesargumentsque la Namibie soutient à titre sub-
sidiaire avoir établi sa souverainetésur I'îledeasikiliISedudu par voie

de prescription acquisitive (voir le paragraphe 90 de l'arrêt). LaCour est,
quant àelle, d'avis que la Namibie n'est pas parvenueà prouver que des
actes d'autorité étatiquequ'elle aurait accomplis en ce qui concerne I'île
l'autorisent à prétendre avoir acquis un titre par prescription (para-
graphes 98 et 99 de l'arrêt).
19. Cette conclusion laisse toutefois sansrénonse une auestion: si la
Namibie avait pu prouver que les conditions à remplir pour justifier
l'acquisition d'un titrepar prescription, tellesqu'ellessont définiesaupara-
graphe 94 de l'arrêt, avaientbel et bien été remplies, est-ceque cela
n'aurait pas étéconstitutif d'une conduite ultérieurement suivie égale-
ment? Aurait-on vraiment pu imaginer qu'il fût possible de répondre
favorablement à la Namibie quand celle-ci prétend avoir acquis un titre
par prescription et de lui répondreen même-tempspar la négativequand

elle plaide la conduite ultérieure? A mon sens, cela voudrait dire que la
Cour, après avoir dit qu'en vertu des dispositions du traité de 1890 la
frontière se situe daris le chenal nord. aurait dû se servir de sa rénoàse
la seconde question concernant le statut juridique de I'îlepour consolider
sa réponse li.la premièrequestion. A mon avis, il serait extrêmementarti-
ficiel d'interpréter le compromis comme autorisant la Cour à adopter
cette façon de faire.1148 KASIKILI~SEDUDU ISLAND (SEP.OP. KOOIJMANS)

20. In my view, therefore, the Court should have refused to entertain
Namibia's alternative claim and should have declared it inadmissible.

21. I have voted in favour of paragraph 3 of the dispositifof the Judg-
ment which deals with the use of the two branches of the Chobe around
KasikiliISedudu Island and is based on the Court's finding that the
Parties have undertaken commitments to one another in this respect.
22. It seems relevant to point out that these undertakings are part of
the Kasane Communiqué of 24 May 1992,a document which has as its
main element the agreement between the Parties to settle the boundary
dispute peacefully. These undertakings therefore are indissolubly linked
to the Parties'decision to have the boundary determined, first byajointly
appointed Team of Technical Experts and subsequently, after the failure
of the Joint Team to reach a conclusion, by the International Court of
Justice on the basis of the Special Agreement of 15 February 1996. In
carrying out its task of determining the boundary and the legal status of
Kasikili/Sedudu Island, the Court can and must consider the Special
Agreement in its context together with the surrounding statements and

circumstances.

23. In addition to what the Court has said in paragraphs 102and 103,
1wish to make some observations which could provide guidance to the
Parties for further conduct and dace their mutual relations in a wider
perspective. These observations are based on recent developments of the
rules and principles of international law concerning the uses of interna-
tional watercourses and in particular those concerning the equitable and
reasonable utilization of their resources.
24. Such considerations have no place in determining the boundary
between the Parties. The Court cannot relocate or shift the boundary on
such grounds if according to the terms of the Treaty itmust be taken to
be the thalweg of the northern channel. While reflecting the rules and
principles of international law. referred to in the Special Agreement,
these considerations can merely focus on the undertakings of the Parties
entered into in the context of their efforts to settle the dispute peacefully

and on their present and future relations. As the Court has observed: "It
is not a matter of finding simply an equitable solution, but an equitable
solution derived from the applicable law" (Fisheri Jtrrisdiction1.C.J.
Rtlports 1974, p. 33, para. 78; p. 202, para. 69).

25. The Chobe River around KasikiliISedudu Island can be said
to be part of a "watercourse" in the sense of the 1997 Convention on
the Law of the Non-navigational Uses of International Watercourses. LEDE I<:ASIKILI/SEDU (OPU.IND.KOOIJMANS) 1148

20. A mon avis, par conséquent,la Cour aurait dû refuser d'accueillir
la demande subsidiairccde la Namibie et aurait dû la déclarerirrecevable.

21. J'ai votépour le paragraphe 3 du dispositif de l'arrêt quiporte sur
l'utilisation des deux chenaux autour du Chobe autour de l'île deKasi-
kililsedudu et repose :surla conclusion retenue par la Cour qui est que les
Parties ont souscrit vis-à-visune de l'autre des engagementà cet égard.
22. 11me paraît utile de faire observer que ces engagements figurent
dans le communiquéde Kasane adoptéle 24 mai 1992,document dont le
principal élémentest que les Parties conviennent d'un commun accord de
régler pacifiquement'leurdifférendfrontalier. Ces engagements sont par
conséquent indissolul-)lementliàsla décisionque les Parties ont adoptée
et qui consiste faire établirla frontièred'abord par une équipe d'experts
techniques désignésconjointement et ensuite, cette équipe conjointe
n'ayant pu aboutir, clela faire déterminer par la Cour internationale de
Justice sur la base du compromis du 15février 1996.Ens'acquittant de sa
tâche qui consiste donc à déterminerla frontière ainsi que le statut juri-
dique de l'îlede KasikiliISedudu, la Cour peut et doit examiner le com-

promis dans son contexte ainsi que les déclarations et les circonstances
entourant le compromis.
23. En sus de ce que la Cour dit aux paragraphes 102et 103de l'arrêt,
je tiens à formuler certaines observations qui pourraient orienter la
conduite ultérieure desParties et les aiderà situer leurs relations réci-
proques dans une perspective plus large. Ces observations s'inspirent de
décisions récentesconcernant les règleset principes du droit international
qui ont trait aux utilisations des cours d'eau internationaux, en parti-
culier l'utilisation équitableet raisonnable de leurs ressources.
24. Ces considéral.ionsn'ont rienà voir avec la détermination de la
frontière entre les Parties. La Cour ne peut pas s'en inspirer pour situer
ailleurs ou déplacer la frontière si, d'après les dispositions du traité, la
frontière correspond nécessairementau thalweg du chenal nord. Mêmesi
elles traduisent les règleset principes du droit international invoquésdans
le compromis, ces considérations ne peuvent que renvoyer aux engage-

ments contractés par les Parties dans le cadre de l'action qu'elles ont
menéepour régler pacifiquement leur différend etaux relations qu'elles
entretiennent actuelbcment et entretiendrontà l'avenir. Comme la Cour
l'a fait observer: «II ne s'agit pas simplement d'arriveà une solution
équitable, mais d'arriverà une solution équitable qui repose sur le droit
applicable))(Compétence en matière de pêcheries,C.I.J. Recueil 1974,
p. 33, par. 78; p. 2012,par. 69).
25. A la hauteur de l'île de KasikiliISedudu, on peut dire du fleuve
Chobe qu'il fait partie d'un((cours d'eau)) au sens de la convention de
1997sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux1149 KASIKILI~SEDUDU ISLAND (SEP.OP.KOOIJMANS)

Article 2 (a) of that Convention givesthe following definition ofa water-
course:
"'Watercourse' means a system of surface waters and ground-
waters constituting by virtue of their physical relationship a unitary

whole and normally flowing into a common terminus."

26. This idea of a watercourse-system as a unitary whole was already
recognized by the Institut de droit international in its 1961 Salzburg
Resolution on the utilization of non-maritimeinternational waters (except
for navigation) (Annuaire de l'Institut de droit international, Vol. 49,
Part II (1961), pp. 381ff.). In this Resolution, which was adopted
unanimously, the Institute referred to "waters which form part of a
watercourse or hydrographic basin which extends over the territory of

two or more States". In Article 2 the Institut observes that the right of a
State to utilize waters which traverse or border its territory "is limited by
the right of utilization of other States interested in theame watercourse
or hydrographic basin", whereas Article 3 states that "if States are in
disagreement over the scope of the right of utilization, settlement will
take place on the basis of equity, taking particular account of their respec-
tive needs, as well as of other pertinent circumstances".

27. In 1966 at its Fifty-Second Conference the International Law
Association adopted, with only eight abstentions, the so-called Helsinki
Rules on the Uses of the Waters of International Rivers (ILA, Report of
the Fifty Second Conference, Helsinki, 1966,London, 1967,pp. 484 ff.).
These refer to the waters of an international drainage basin which in
Article II is defined as"a geographical area extending over two or more
States determined by the watershed limits of the system of waters, includ-
ing surface and underground waters, flowing into a common terminus".

The Helsinki Rules are far more detailed than the Institut's 1961Salz-
burg Resolution and in certain respects can be called a precursor of the

1997 United Nations Convention. With regard to the principle of equi-
table utilization Article IV states: "Each basin State is entitled, within its
territory, to a reasonable and equitable share in the beneficial uses of the
waters of an international drainage basin".

28. It can, therefore, be said that in doctrine there was already over-
whelming support for the principle of the equitable utilization of shared
water resources when in 1971the International Law Commission included
the topic "The Non-navigational Uses of International Watercourses" in
its general programme of work.

29. From the pleadings in the present case it is clear that the waters
around KasikiliISedudu Island are nearly exclusivelyused for tourist pur- LE DE K.ASIKILI/SEDU (DPU.IND.KOOIJMANS) 1149

des fins autres que lai navigation. A l'alinéaa) de l'article 2 de cette
convention, le cours d'eau est définide la façon suivante:

((L'expression ((cours d'eau)) s'entend d'un systèmed'eaux de sur-
face et d'eaux souterraines constituant, du fait de leurs relations phy-
siques, un ensemble unitaire et aboutissant normalement à un point
d'arrivéecommun. »

26. L'idéequ'un systèmede cours d'eau représenteainsi un ensemble
unitaire avaitdéjàétéreconnue par l'Institut de droit international dans
la résolution deSalztiour" de 1961 sur l'utilisation des eaux internatio-
nales non maritimes (la navigation exceptée)(Annuaire de l'Institut de
droit international, vol. 49, deuxièmepartie (1961), p. 372 et suiv.). Dans
cette résolution, qui lut adoptéea l'unanimité, l'Institut vise les ((eaux
faisant partie d'un cours d'eau ou d'un bassin hydrographiquequi s'étend
sur le territoire de deux ou plusieurstats». A l'article 2, l'Institut fait
observer que le droit qu'a tout Etat d'utiliser leseaux qui traversent ou
bordent son territoire(a pour limite le droit d'utilisation des autres Etats

intéressésau mêmecours d'eau ou bassin hydrographique)),tandis qu'aux
termes de I'article, +:siles Etats sont en désaccordsur la portéede leurs
droits d'utilisation, le règlementse fera sur la base de l'équitétenant
compte notamment dleleurs besoins respectifs, ainsi que des autres cir-
constances propres ail cas d'espèce)).
27. En 1966, à sa cinquante-deuxième conférence,l'International Law
Association a adopté. à huit abstentions près seulement, ce qu'onappelle
les règlesd'Helsinki sur les utilisations des eaux des fleuves internatio-
naux (ILA, Report of the Fifty Second Conference, Helsinki 1966,
Londres 1967, p. 484 et suiv.). II s'agit deseaux des bassins de drainage
internationaux, ce type de bassin étant définià l'article II comme «une
zone géographique s'étendantsur deux ou plusieurs Etats et déterminée

par les limites de l'aire d'alimentation du réseauhydrographique, y com-
pris les eaux de surface et les eaux souterraines, aboutissant en un point
commun ».
Les règlesd'Helsinki sont beaucoup plus détailléesque la résolutionde
Salzbourgadoptée par l'Institut en 1961et à certains égards,ellessont en
quelque sorte le précurseur dela convention des Nations Unies de 1997.
En ce qui concerne le principe de l'utilisation équitable deces eaux, l'ar-
ticle IV dispose: «Cl?aque Etat du bassin a, sur son territoire, un droit
de participation raisonnable et équitable aux avantages que présente
I'utilisation deseaux d'un bassin de drainage international.
28. On peut donc dire que, sur le plan de la doctrine, le principe de
l'utilisation équitabledes ressources hydrauliques partagées par plusieurs

Etats bénéficiait éjàd'un soutien considérablequand la Commission du
droit international a inscrit en 1971son programme général laquestion
de «l'utilisation des cours d'eau internationauxà des fins autres que la
navigation P.
29. Dans la présente espèce,d'aprèsles écritures,il est clair qu'autour
de l'îlede KasikiliISedudu, leseaux sont presque exclusivement utiliséàs1150 KASIKILI/SEDU IDLAND (SEP. OP. KOOIJMANS)

poses. Tourists are carried by flat-bottomed boats (mainly, but not exclu-
sively in the southern channel) to view the wild animals in the Chobe
Game Park south of the river, and on KasikiliISedudu Island to which
these animals regularly cross. Such navigation as there is has virtually
nothing to do with fluvial transport in the normal sense of the word
"navigation", as this is understood to mean transport by boat in a river
from one place to another. The use which is made of the waters around
KasikiliISedudu Island is more similar to the non-navigational uses of
watercourses in the sense of the 1997Convention.

30. Already in 1929 the Permanent Court of International Justice
stressed the community of interest for navigation purposes of al1riparian
States and the exclusion of any preferential privilege of any of them in
relation to the others (Territorial Jurisdiction of the International Conî-
mission of the River Oder, Judgment No. 16, 1929, P.C.I.J., Series A,
No. 23, p. 27). In the GabCi'kovo-Nagymuroscase the present Court
observed that "modern development of international law has streng-
thened this principle for non-navigational uses of international water-
courses as well, as evidenced by the adoption of the Convention of
21 May 1997on the Law of the Non-Navigational Uses of International
Watercourses by the United Nations General Assembly" (1.C.J. Reports
1997, p. 56, para. 85).

31. The 1997Convention has not yet entered into force and it willtake

in al1probability a number of years before the 35 instruments of ratifica-
tion necessary for its entry into force have been deposited. Nor is there
any indication that the Parties before the Court have the intention to
become bound by its provisions.
This does not mean, however, that a number of the principles, which
are formulated in the Convention, have not yet become part of the corpus
of international law.
32. In paragraph 1of its commentary on Article 5 of the 1997Conven-
tion, which deals with the principle of equitable and reasonable utiliza-
tion and participation, the International Law Commission observes:

"Article 5 sets out the fundamental rights and duties of States with
regard to the utilization of international watercourses for purposes
other than navigation. One of the most basic of these is the well-
established rule of equitable utilization, which is laid down and
elaborated upon in paragraph 1 ."

And the Commission continues by saying that

"a survey of al1available evidence of the general practice of States,
accepted as law, in respect of the non-navigational uses of interna-
tional watercourses . .. reveals that there is overwhelming support
for the doctrine of equitable utilisation as a generalrule of law fordes fins touristiques. Les touristes sont transportés par bateaux à fond
plat (principalement mais non pas exclusivement dans le chenal sud) pour
observer les animaux sauvages dans le parc animalier du Chobe situéau

sud du fleuve et sur l'iilede KasikiliISedudu que les animaux gagnent fré-
quemment a la nage. La navigation qui existe a cet endroit n'a pratique-
ment rien a voir avec le transport fluvial au sens normal du terme ((navi-
gation)), lequel vise le transport parbateau sur un fleuve d'un endroit à
un autre. L'utilisation qui est faite des eaux entourant l'île de Kasikilil
Sedudu correspond plutôt aux utilisations des cours d'eau à des fins
autres que la navigation au sens de la convention de 1997.

30. En 1929 déjà, la Cour permanente de Justice internationale avait
soulignéqu'il existait une communauté d'intérêts chez tousles Etats rive-
rains aux fins de la navigation, a l'exclusion de tout privilège d'un rive-
rain quelconque par rapport aux autres (Juridiction rerritor.iule de lu
Commission internufionale de I'Oder, urrêtno 16, 1929, C.P.J.I. sérieA
no23, p. 27). Dans l'affaire GubCikovo-Nugymuros, la Cour actuelle a fait
observer à ce propos que «le développement moderne du droit interna-

tional a renforcé ce principe également pour les utilisations des cours
d'eau internationaux a des fins autres que la navigation, comme en
témoigne l'adoption par l'Assemblée généraledes Nations Unies, le
21 mai 1997.de la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours
d'eau internationaux à des fins autres que la navigation)) (C.I.J. Recueil
1997, p. 56, par. 85).

31. Cette convention de 1997 n'est pas encore entrée en vigueur et il
faudra très vraisemblablement attendre plusieurs annéespour que soient
déposésles trente-cinq instruments de ratification indispensables. Et rien
ne semble indiquer que les Parties en l'espèceaient l'intention de se lier
par ladite conventiori.
Cela ne veut toutefois pas dire qu'un certain nombre des principes for-
mulésdans cette convention ne soient pas déjà devenus partie intégrante

du corps mêmedu droit international.
32. Au paragraphe 1 de son commentaire sur l'article 5de la conven-
tion de 1997, lequel porte sur le principe de l'utilisation et participation
équitable et raisonnable, la Commission du droit international fait obser-
ver ceci:

((L'article 5 &nonce les droits et les devoirs fondamentaux des
Etats en ce qui concerne l'utilisation des cours d'eau internationaux

a des fins autres que la navigation. L'un des principaux en est la
règlebien établiede l'utilisation équitable, qui est formulée et déve-
loppéeau paragraphe 1.»

Et la Commission poursuit:

«l'étude de tous les élémentsdont on dispose comme preuve de
l'existence d'une pratique générale desEtats, acceptéecomme étant
le droit, en ce qluiconcerne les utilisations des cours d'eau interna-
tionaux a des fins autres que la navigation ... montre que la doctrine1151 KASIKILI/SEDU IDLAND (SEP.OP.KOOIJMANS)

the determination of the rights and obligations ofstates in this field"
(para. 10).

33. Both Article 5 of the 1997Convention and Article IV of the 1966
Helsinki Rules seemingly contain a territorial limitation by providing
that watercourse States (Helsinki Rules: basin States) in their territories
are entitled to a reasonable and equitableshare of the uses and benefits of
an international watercourse '.

Both instruments, however, clearly reject the so-called "Harmon Doc-

trine" which embodies the claim that a State has the unqualified right to
utilize and dispose of the waters of an international river flowingthrough
its territory.
The comment on Article IV of the Helsinki Rules states that the Har-
mon Doctrine has never had a wide following among Statesand has been
rejected by virtually al1States which have had occasion to speak out on
the point and it continues by saying that eachbasin State has rights equal
in kind and correlative with those of each CO-basinState.

34. By the commitments contained in the Kasane Communiqué of
24 May 1992 (see para. 102of the Judgment) the Parties have implicitly
recognized that the Chobe River around KasikililSedudu Island ispart of
a unitary whole, irrespective of the exact location of the boundary as a
result of the determination by the Court.

35. The southern channel does not al1of a sudden turn into an interna1

water once it is decided that the northern channel is or contains the
"main channel" in the terms of the 1890 Treaty, even if the former is
wholly within Botswana territory. It continues to be part of a system of
surface waters and groundwaters which by virtue of their physical rela-
tionship constitute a unitary whole.
36. In their future dealings concerning the uses of the waters around
KasikiliISedudu Island the Parties should let themselves be guided by the
rules and principles as embodied in the 1997Convention and in the Hel-
sinki Rules. They should keep in mind that, as the International Law
Commission said, "the rule of equitable and reasonable utilization rests
on sound foundations and provides a basis for the duty of States to par-
ticipate in the use and development and protection of an international
watercourse in an equitable and reasonable manner".
37. This rule has now been widely accepted both for the navigational
and the non-navigational usesof international watercourses. For a further

implementation of the rule, Article 6 of the 1997Convention enumerates

'In paragraph 2 of its commentary on Article 5, the ILC observes that this Article,
although cast in terms of an obligation, also expresses the correlative entitlement. LE DE K.ASIKILI/SEDU (DPU.IND.KOOIJMANS) 1151

de l'utilisation équitableest admise, dans la grande majoritédes cas,

en tant que principe général edt irecteur du droit pour déterminerles
droits et les obligations des Etats dans ce domaine» (par. 10).
33. Tant l'article 5 de la convention de 1997que l'article IV des règles

d'Helsinki prévoientapparemment une limitation territoriale en ce sens
que les Etats du cours d'eau (dans les règlesd'Helsinki, ce sont les(Etats
du bassin») ont droit sur leur territoire à une part raisonnable et équi-
table des avantages que présentel'utilisation deseaux d'un cours d'eau
international l.
Les deux instruments rejettent clairement toutefois ce qu'on appelle la
((doctrineHarmon » suivant laquelle I'Etat peut sans réserve revendiquer
le droit d'utiliser les eaux d'un fleuve international traversant son terri-
toire et en disposera son gré.
D'atlrèsle commentaire relatif à l'article IV des règlesd'Helsinki. cette
"
doctrine Harmon n'a jamais ététrès largement adoptée par les Etats, a
étérejetéepar pratiquement tous ceux qui ont eu l'occasion de s'exprimer
à ce sujet et le commentaire indique ensuite que tout Etat du bassin jouit
de droits égauxen nature et correspondant a ceux de chaque Etat du
même bassin.
34. D'après les engagements qu'elles ont contractés dans le commu-
niqué de Kasane en date du 24 mai 1992 (voir le paragraphe 102 de
l'arrêt),les Parties ont implicitement reconnu qu'à la hauteur de I'îlede
KasikiliISedudu, le fleuve Chobe fait partie d'un ensemble unitaire, indé-
pendamment de l'emplacement exact de la frontière tel que la Cour le

déterminera.
35. Le chenal sud riedevient pas brutalement une voie d'eau intérieure
dès lors qu'ila étédécidéque c'est le chenal nord qui est ou qui contient
le «chenal principal)) au sens du traitéde 1890,mêmesi ce chenal sud est
intégralement en territoire botswanais. Le chenal sud continue de faire
partie d'un systèmed'eaux de surface et d'eaux souterraines qui, du fait
de leurs relations physiques, constituent un ensemble unitaire.
36. Quand elles s'occuperont a l'avenir desutilisations des eaux entou-
rant I'île deKasikiliISedudu, les Parties devront s'inspirer des régieset
des principes consacrlSspar la convention de 1997ainsi que par les règles

d'Helsinki. Ellesne devront pas oublier que, comme l'a dit la Commis-
sion du droit international, «la règlede l'utilisation équitable et raison-
nable repose sur des fondements solides, et sert de base au devoir des
Etats de participer de façon équitable et raisonnable à l'utilisationà la
mise en valeur et à la1protection des cours d'eau internationaux)).
37. Cette règleest désormais très largement acceptéepour les utilisa-
tions des cours d'eauiinternationaux, tant à des fins de navigation qu'a
des fins autres que la navigation. En vue d'une plus large application de

'Au paragraphe 2 de son commentairesur l'article 5de la convention de 1997,la Com-
mission du droit international fait observer que cet article est sans doute énoncé comme
une obligation mais qu'il énonce aussioit correspondant.1152 KASIKILI~SEDUDU ISLAND (SEP.OP.KOOIJMANS)

in a non-exhaustive way the factors which are relevant to equitable and
reasonable utilization.

38. It is clear that the use of the waters around KasikiliISedudu Island
for touristpurposes has in the course of time become far more important
from an economic point of view than the use of the Island itself, e.g., for
cultivation purposes; this is also exemplified by the Kasane Communi-
qué. But even the present economic interest resulting from eco-tourism

may be of a transient character. It would, therefore, be commendable if
the Parties would place any further co-operation in a wider and more
general framework. In this respect it may be recalled that in the Preamble
to its 1961Resolution the Institut de droit international observes that "in
the utilization of waters of interest to several States, each of them can
obtain, by consultation, by plans established in common and by reci-
procal concessions, the advantages of a more rational exploitation of a
natural resource".la règle,l'article 6 de la convention de 1997 énumère sous forme d'une
liste non exhaustivele:<facteurs a tenir pour pertinents aux fins d'une uti-
lisation équitableet raisonnable.
38. Il est clair que l'utilisation des eaux entourant l'île de Kasikilil
Sedudu à des fins touristiques est devenue avec le temps beaucoup plus
importante du point de vue économique que l'utilisation de l'île elle-
même,par exemple a des fins agricoles; c'est aussi ce dont témoignele
communiquéde Kasane. Mais cet intérêé t conomiqueactuel qui procède
de I'écotourismepeut lui-mêmeêtreéphémère. Il serait par conséquent

utile que les Parties situent toute coopération ultérieuredans un cadre
plus large et plusénkral.Il y a lieu de rappeler a cet égard que,dans le
préambulede sa résolution de 1961,l'Institut de droit international fait
observer que, «dans l'utilisation deseaux intéressantplusieurs Etats, cha-
cun d'eux peut obtenir, par des consultations, des plans établisen com-
mun et des concessiclns réciproques, les avantages d'un aménagement
plus rationnel d'une richesse naturelle)).

(Signé) P. H. KOOIJMANS.

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Opinion individuelle de M. Kooijmans (traduction)

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