Opinion dissidente de M. Bennouna, juge ad hoc

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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC BENNOUNA

Appréciation du titre juridique et des effectivités à la date critique en août
1960 — L’effectivité peut compléter un titre imprécis — En vertu du titre juri-
dique, la frontière se situe à la rive gauche du fleuve Niger — La lettre de Ray-
nier du 27 août 1954 a rappelé le titre du Dahomey, établi en 1900 — Les
effectivités du Bénin prévalent à la date critique sur celles du Niger et

confirment la fixation de la frontière à la rive gauche du fleuve Niger — Incom-
pétence de la Chambre pour se prononcer sur le tracé de la frontière sur les
ponts qui enjambent le Niger (reliant Gaya à Malanville).

1. Je ne peux souscrire à la première, à la seconde et à la troisième
conclusion de la Chambre sur le tracé de la frontière entre le Bénin et le
Niger, dans le secteur du fleuve Niger, et l’appartenance des îles qui s’y

trouvent, selon lesquelles:
Premièrement:

«Dit que la frontière entre la République du Bénin et la Répu-
blique du Niger dans le secteur du fleuve Niger suit le tracé
suivant:

— la ligne des sondages les plus profonds du chenal navigable prin-
cipal de ce fleuve, à partir de l’intersection de ladite ligne avec la
ligne médiane de la rivière Mékrou jusqu’au point de coordon-

nées 11°52′29″ de latitude nord et 3°25′34″ de longitude est;
— à partir de ce point, la ligne des sondages les plus profonds du
chenal navigable gauche, jusqu’au point de coordonnées
11°51′55″ de latitude nord et 3°27′41″ de longitude est, où la
frontière s’écarte de ce chenal et passe à gauche de l’île de Kata
Goungou, pour rejoindre ensuite le chenal navigable principal au

point de coordonnées 11°51′41″ de latitude nord et 3°28′53″ de
longitude est;
— à partir de ce dernier point, la ligne des sondages les plus pro-
fonds du chenal navigable principal du fleuve jusqu’à la frontière
des Parties avec le Nigeria;

et que la ligne frontière passe, d’amont en aval, par les points, numé-
rotés de 1 à 154, dont les coordonnées sont indiquées au para-
graphe 115 du présent arrêt.»

Deuxièmement:

«Dit qu’en conséquence les îles situées sur le fleuve Niger appar-
tiennent à la République du Bénin ou à la République du Niger ainsi
qu’indiqué au paragraphe 117 du présent arrêt.»

66153 DIFFÉREND FRONTALIER (OP .DISS. BENNOUNA )

Troisièmement:

«Dit que la frontière entre la République du Bénin et la Répu-
blique du Niger sur les ponts reliant Gaya et Malanville suit le tracé

de la frontière dans le fleuve.»
Je n’adhère pas non plus aux motifs qui fondent ces conclusions.

2. Je souscris, par contre, à la quatrième conclusion de la Chambre sur
le tracé de la frontière entre le Bénin et le Niger dans le secteur de la
rivière Mékrou, selon laquelle:

«Dit que la frontière entre la République du Bénin et la République
du Niger dans le secteur de la rivière Mékrou suit la ligne médiane

de cette rivière, à partir de l’intersection de cette ligne avec la
ligne des sondages les plus profonds du chenal navigable princi-
pal du fleuve Niger, jusqu’à la frontière des Parties avec le Burkina
Faso.»

J’adhère également aux motifs qui fondent cette conclusion.
3. Avant d’en venir aux raisons qui ne m’ont pas permis de souscrire

aux trois premières conclusions de la Chambre, je souhaite, en ma qualité
de juge ad hoc, rappeler l’analyse pertinente, et que je partage, de sir
Elihu Lauterpacht, au sujet du rôle dévolu à cette catégorie de juges, dans
l’opinion individuelle qu’il a rendue dans le cadre de la procédure d’indi-

cation de mesures conservatoires, en l’affaire relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bos-
nie-Herzégovine c. Yougoslavie), ordonnance du 13 septembre 1993 ,etoù
il écrit notamment:

«tout en étant tenu par son devoir d’impartialité, le juge ad hoc joue

un rôle particulier. Selon moi, il est spécialement tenu de veiller à ce
que, dans toute la mesure possible, chacun des arguments pertinents
de la partie qui l’a désigné ait été pleinement pris en considération au
cours de l’examen collégial et soit, en fin de compte, reflété — à

défaut d’être accepté — dans sa propre opinion individuelle ou
dissidente...» (C.I.J. Recueil 1993, p. 409, par. 6.) 1

4. Avant de se pencher sur ces trois conclusions de la Chambre sur la
frontière dans le secteur du fleuve Niger, l’attribution des îles qui s’y

trouvent et le tracé de la frontière sur les ponts reliant Gaya à Malan-
ville, il convient de bien préciser comment, à notre avis, s’articule le droit
applicable au différend, surtout que celui-ci concerne le legs colonial
qui date de près de quarante-cinq ans.

1Sur le rôle du juge ad hoc, Thomas Franck est allé dans le même sens, dans son
opinion dissidente en l’affaire relative à la Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau
Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002 , p. 693-695.

67154 DIFFÉREND FRONTALIER (OP. DISS.BENNOUNA )

I. L E DROIT APPLICABLE AU DIFFÉREND

5. Les Parties se sont mises d’accord, à l’article 6 du compromis de

saisine de la Cour, en date du 15 juin 2001, sur le droit applicable:
«Les règles et principes du droit international qui s’appliquent au

différend sont ceux énumérés au paragraphe 1 de l’article 38 du sta-
tut de la Cour internationale de Justice, y compris le principe de la
succession d’Etats aux frontières héritées de la colonisation, à savoir,
l’intangibilité desdites frontières.»

6. Aux termes de ce texte, la Chambre est appelée à rechercher quel
était le titre territorial, en se fondant sur le legs colonial tel qu’il découle

de l’état du droit colonial à «la date critique» du passage des deux
Parties à la souveraineté internationale. Mais dans la mesure où le prin-
cipe de l’uti possidetis juris est de caractère dispositif, les Parties pouvant
y déroger de par leur commune volonté, le compromis n’exclut pas la

prise en compte par la Chambre des engagements internationaux des
deux Etats indépendants. Elle est chargée, en effet, d’appliquer les règles
et principes de droit international énumérés à l’article 38 de son Statut,
soit en particulier «les conventions internationales, soit générales, soit
spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les Etats en

litige».
7. La Chambre est amenée, en priorité, à examiner le legs colonial, le
droit édicté par la puissance coloniale et ses propres engagements inter-
nationaux, ainsi que l’exercice de l’autorité publique dans les colonies,

avant d’en arriver aux normes du droit international qui lient les deux
Parties, au lendemain de leurs indépendances.

La logique de cette démarche est de fixer l’état de la frontière, à la date
critique, et la configuration territoriale des deux nouveaux Etats, avant

de s’interroger sur leurs engagements postérieurs confirmant ou infirmant
(et dans quelle mesure), le legs colonial.

8. Les Parties ont donc désigné, à priori, une norme de substance, le

legs colonial, que la Chambre se doit de rechercher, en premier lieu,
avant de se demander si d’autres engagements lient les Parties, au lende-
main de leurs indépendances. Celles-ci intervenues, respectivement, les 1 er
et 3 août 1960, pour le Bénin et le Niger, font que la date critique, pour

la détermination du legs colonial se situe à cette période, au début de ce
mois d’août 1960.
9. La date critique, essentielle pour l’application du principe de l’uti
possidetis juris, permet au juge de s’assurer à quel moment il doit se pla-
cer pour apprécier l’héritage colonial et de se prononcer en conséquence

sur les frontières des Etats en cause. C’est en particulier à ce moment là
que le juge doit se livrer à la recherche des moyens de preuve, même s’il
peut éventuellement les préciser par référence à des réalités postérieures
aux indépendances:

68155 DIFFÉREND FRONTALIER (OP. DISS.BENNOUNA )

«La Chambre peut aussi tenir compte ... d’éléments de preuve

documentaire qui découlent d’effectivités postérieures à l’indépen-
dance quand elle estime que ces éléments apportent des précisions
sur la frontière de l’uti possidetis juris...» (Différend frontalier ter-
restre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras),C.I.J. Recueil
1992, p. 399, par. 62.)

10. S’agissant de deux pays, le Bénin et le Niger, qui relevaient, avant
1960, de la même puissance coloniale, la France, la Chambre est appelée

à déterminer les délimitations administratives entre les deux colonies,
telles qu’elles résultaient du droit colonial français, à la date critique.
11. Lorsque le droit international se réfère au legs colonial, et donc à
l’état du droit qui le régit, au moment du passage aux indépendances,
c’est bien dans le but de stabiliser les frontières héritées du colonisateur et

d’éviter ainsi que les nouveaux Etats ne se livrent à des querelles et même
à des affrontements destructeurs. Ainsi que l’a souligné la Cour dans
l’affaire du Différend frontalier (Burkina-Faso/République du Mali) :

«C’est le besoin vital de stabilité pour survivre, se développer
et consolider progressivement leur indépendance dans tous les
domaines qui a amené les Etats africains à consentir au respect
des frontières coloniales ...» (Arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 567,
par. 25.)

12. C’est bien pour cela que la limite transmise aux nouveaux Etats est
celle qui existait à «la date critique» de leurs indépendances, sans qu’il

soit nécessaire d’aller chercher les différentes évolutions que le droit a pu
connaître, tout au long de la période coloniale. Ainsi que l’a souligné la
Cour dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du
Mali) précitée:

«Le droit international — et par conséquent le principe de l’uti
possidetis — est applicable au nouvel Etat (en tant qu’Etat) non pas
avec effet rétroactif mais immédiatement et dès ce moment-là. Il lui
est applicable en l’état, c’est-à-dire à «l’instantané» du statut terri-

torial existant à ce moment-là. Le principe de l’uti possidetis gèle le
titre territorial; il arrête la montre sans lui faire remonter le temps.»
(C.I.J. Recueil 1986, p. 568, par. 30; les italiques sont dans l’original.)

13. C’est donc en août 1960, date critique, que le titre juridique ou les
effectivités doivent être appréciées en l’occurrence, dans le différend qui
oppose le Bénin au Niger, et non par référence à une pratique coloniale
antérieure de quelques années ou décennies et se présentant comme une

parenthèse, au sein de la période coloniale, interrompue avant les indé-
pendances.
14. Le droit colonial n’est pas pris en lui-même comme fondement du
titre territorial, mais simplement comme «un élément de fait» une affirma-
tion du titre édicté par le colonisateur et donc une preuve du legs colonial.

15. Il est vrai, néanmoins que, dans la recherche «du fait colonial» à la

69156 DIFFÉREND FRONTALIER OP .DISS. BENNOUNA )

date critique, la Chambre donne la priorité au titre, concrétisé par le droit
colonial, sur l’effectivité, c’est-à-dire l’administration réelle du territoire

contesté par telle ou telle autorité coloniale.
La Cour a explicité les relations entre titre juridique et effectivité dans
l’affaire relative au Différend frontalier (Burkina Faso/République du
Mali) précitée:

«Dans l’éventualité où l’«effectivité» ne coexiste avec aucun titre
juridique, elle doit inévitablement être prise en considération. Il est

enfin des cas où le titre juridique n’est pas de nature à faire appa-
raître de façon précise l’étendue territoriale sur laquelle il porte.
Les «effectivités» peuvent alors jouer un rôle essentiel pour indi-
quer comment le titre est interprété dans la pratique.» (C.I.J.

Recueil 1986, p. 587, par. 63.)
16. Certes, en l’absence totale de titre juridique, il reviendra au juge de

se référer à l’état des effectivités, ce qui lui donne nécessairement une plus
grande marge d’appréciation du poids à accorder à telle ou telle pratique
administrative. Il s’agit là des effectivités «à la date critique». Si donc la
pratique des autorités administratives a connu un net changement à cette

date, la Chambre est tenue d’en prendre acte, en temps que legs colonial;
surtout si cette nouvelle pratique procède de l’intention et de la volonté,
non contestées, d’agir en tant que détenteur exclusif du pouvoir sur la
portion de territoire en litige.

17. Mais dans le cas de l’existence d’un titre juridique qui laisse indé-
terminé le tracé de la limite, il revient au juge d’apprécier dans quelle
mesure le comportement des autorités administratives, à la date critique,
permet de connaître l’interprétation authentique du titre en question; ce

qui revient à savoir, selon les termes précités de la Cour, «comment le
titre est interprété dans la pratique». L’effectivité sert, dans ce cas, non à
se substituer à un titre défaillant, mais à compléter un titre imprécis.

II. LA FRONTIÈRE DANS LE SECTEUR DU FLEUVE N IGER ET LA QUESTION
DE L APPARTENANCE DES ÎLES DE CE FLEUVE

18. Dans le secteur du fleuve Niger, le Bénin a démontré, à notre avis,
l’existence d’un titre juridique, dont le contenu et la portée, à la date cri-
tique, permettent de situer la frontière entre les deux Etats, à la rive
gauche du fleuve Niger (A).
D’autre part, dans la mesure où la Chambre a conclu à l’inexistence

d’un titre juridique en faveur de l’une ou l’autre des Parties, elle aurait dû
faire prévaloir, à la date critique, les effectivités du Bénin (B).

A. En vertu du titre juridique, la frontière se situe à la rive gauche

19. Avant d’en venir au titre juridique proprement dit, il convient de
rappeler brièvement les conditions historiques de la création, par la

70157 DIFFÉREND FRONTALIER (OP. DISS.BENNOUNA )

France, des colonies du Bénin (Dahomey) et du Niger, ce qui éclaire le

tracé de leurs limites.
20. Ce qu’il faut retenir de cette histoire c’est la priorité de la création
de la colonie du Dahomey sur celle du Bénin . Avec comme point

de départ des comptoirs dans le golfe du Bénin, en 1885, la France a
cherché à atteindre le fleuve Niger et au-delà le Soudan et ses autres
possessions en Afrique. La «colonie du Dahomey et dépendances»,
créée par décret du 22 octobre 1894, sera étendue jusqu’au fleuve Niger et

au-delà, par le rattachement d’un nouveau «cercle du Moyen Niger»,
par arrêté du 11 août 1898. Cette opération a été rendue possible à
la suite de la conclusion par la France d’un traité de protectorat avec
le roi du Dendi (dont le royaume s’étendait des deux côtés du fleuve

Niger), le 21 octobre 1897. Deux ans plus tard la colonie du Dahomey
fut incorporée à l’Afrique occidentale française (AOF) par décret du
17 octobre 1899.
21. Quant à la colonie du Niger, elle trouve son origine dans la

création, par arrêté du gouverneur de l’AOF, du 23 juillet 1900, d’un
troisième territoire militaire:

«Il est créé un troisième territoire militaire dont le chef lieu sera
établi à Zinder. Ce territoire s’étendra sur les régions de la rive

gauche du Niger de Say au lac Tchad qui ont été placées dans la
sphère d’influence française par la Convention du 14 juin 1898.»
(Mémoire du Niger, annexes, série B, B.12.)

22. Ainsi, même si les limites de la future colonie du Niger se sont

encore précisées par cet arrêté, il en est au moins une qui ne changera pas
c’est la «rive gauche du Niger», ou encore la limite méridionale du
territoire.
23. Un décret du 20 décembre 1900 viendra confirmer les termes de cet

arrêté, qui a procédé à la désignation d’un territoire militaire, en le sous-
trayant du «cercle du Moyen Niger» (ancien pays Dendi) qui s’étendait
sur les deux rives.
24. Il a fallu attendre le décret du président de la République du

13 octobre 1922 pour que la «colonie autonome» du Niger soit créée à
partir du «territoire civil», qui a succédé au «territoire militaire».
25. Il convient de relever qu’une carte de l’AOF publiée en 1922, au
lendemain de la création de la colonie du Niger, fait passer clairement la

frontière à la rive gauche du fleuve Niger (mémoire du Niger, annexes,
série D, carte n 28), confirmant ainsi que cette colonie, créée notamment
par soustraction de certains territoires relevant du Dahomey, l’a été à

2
La chambre de la Cour rappelle et souligne (arrêt, par. 34) que la colonie du Daho-
mey «englobait, dans la région concernée par le présent différend, des territoires situés sur
les deux rives du fleuve Niger» mais elle n’en tire aucune conséquence au niveau de la
délimitation et de la référence dans les textes de 1900 à «la rive gauche du fleuve Niger»
comme limite.

71158 DIFFÉREND FRONTALIER (OP .DISS .BENNOUNA )

partir d’une ligne constituée par la rive gauche du fleuve; le restant de

celui-ci étant considéré comme partie intégrante de ce pays.
26. Tel est l’arrière-plan historique qui permet de comprendre l’évolu-
tion ultérieure de la question des limites entre les deux colonies et surtout

les incertitudes qui l’ont caractérisée, tout au moins jusqu’en 1954, date
d’une interprétation claire et partagée des premiers textes fondateurs de
la politique coloniale dans la région, adoptés en 1900.

27. En effet, la continuité coloniale française aidant, les administra-
teurs successifs n’ont retenu que le «cours du fleuve Niger» comme
limite, surtout que, dès le départ, l’administration coloniale a décidé que
la gestion du fleuve Niger, de Niamey à Gaya, sera assurée dans la conti-

nuité (partie proprement nigérienne et partie frontalière). Il s’agissait
d’une gestion déléguée par le gouverneur général de l’AOF, d’abord aux
autorités du Niger ensuite, à partir de 1934, à celles du Dahomey.

28. On ne s’étonnera pas dès lors que personne ne s’est plus soucié des
textes de 1900 et de la fixation de la limite administrative entre les deux
colonies, à la rive gauche du fleuve, puisque le seul intérêt de prime abord

de la délimitation, à savoir la gestion de la navigation sur le fleuve, était
aux mains de l’autorité coloniale centrale.

29. Quant au modus vivendi de 1914, qui ne nous est parvenu que par

«ouï-dire», il serait le fait d’administrateurs locaux, aux prises à partir de
1914, avec des différends entre pasteurs sur quelques îles du fleuve. Il est
en tous cas établi que ces administrateurs locaux n’ont reçu aucune
réponse de leurs supérieurs au sujet de ce prétendu modus vivendi, visant

à prendre comme limite le milieu du chenal principal du fleuve et à dis-
tribuer les îles en conséquence. S’agissant, de toutes façons, d’un arran-
gement au niveau local pour le règlement des différends entre Peulhs des
deux rives, fréquentant les îles du fleuve, le modus vivendi en question, qui

n’a pas été approuvé par les responsables des deux colonies, ne pouvait ni
être invoqué comme un titre juridique ni créer une effectivité dont l’un ou
l’autre des Etats indépendants pourrait se prévaloir . Il s’agissait pour ces

autorités locales de s’entendre sur les populations qui relèvent de la com-
pétence personnelle de chacune d’entre elles et non de trancher un conflit
de limites et d’attribution d’espaces territoriaux, ce qui n’était manifeste-
ment pas de leur ressort.

30. Les administrateurs retenaient le fleuve Niger, comme limite phy-

3 La Cour dans l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) a
considéré:

«les actes en cause ont été exclusivement le fait d’autorités locales provinciales ... la
Cour juge difficile d’admettre que ces actes émanant d’autorités locales aient annulé
et neutralisé l’attitude uniforme et constante des autorités centrales siamoises à
l’égard du tracé de la frontière indiqué sur la carte» (fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962,
p. 30).

72159 DIFFÉREND FRONTALIER (OP. DISS.BENNOUNA )

sique entre les deux colonies, et se souciaient peu de la position exacte de
celle-ci, à la rive, à la ligne médiane, ou au thalweg. C’est probablement
ce qui explique que les arrêtés du 7 décembre 1934 et du 27 octobre 1938,

«portant réorganisation territoriale de la colonie du Dahomey», se soient
référés au «cours du Niger» pour la limite au nord-est du cercle fronta-
lier de Kandi.
Ces textes, dont le souci premier était l’harmonisation économique et
administrative, ont ignoré cependant la pratique des autorités locales des

deux rives, depuis 1913, pour régler les différends entre Peulhs qui fai-
saient paître leurs troupeaux sur les îles.
31. Mais cette pratique n’a pas permis d’éviter de nombreux incidents
de pacage sur les îles, ceux-ci entraînant parfois l’intervention des gardes

de l’une ou de l’autre des colonies. C’est à la suite de l’un de ces incidents,
qui a amené les gardes du Dahomey à rétablir l’ordre sur une île en face
de Gaya (Niger), que le chef de cette subdivision, sous couvert du com-
mandant du cercle de Dosso, a demandé au gouverneur du Niger, par

lettre du 23 juillet 1954, «tous renseignements utiles sur les îles du fleuve
appartenant au Niger ou au Dahomey» (contre-mémoire du Niger,
annexe C120).
32. Parallèlement, le commandant du cercle de Kandi (Dahomey) s’est
enquis, de son côté, auprès du gouverneur de la colonie, M. Bonfy, de

l’appertenance de l’île située en face de Gaya. Ce dernier, par une lettre
du 1 juillet 1954, n’a souvenir que des arrêtés de 1934 et de 1938 et
estime que ces textes sont «muets sur la question» puisqu’ils se réfèrent
au «cours du Niger». Mais il reconnaît que le problème de l’apparte-

nance a été posé à plusieurs reprises car selon lui:
«tout le long des rives du fleuve un constant mouvement de popula-

tion s’est produit selon les saisons ou l’état des pâturages ou lorsqu’il
s’agissait d’échapper au paiement de l’impôt, de la taxe sur le bétail
ou du droit de pacage» (lettre n o 992/APA, mémoire du Bénin,
annexe 66).

Pour la première fois, des administrateurs reconnaissent l’inefficience
du modus vivendi pour régler les différends entre Peulhs, et soulèvent

auprès de leur supérieur hiérarchique, la question de la répartition terri-
toriale des îles entre les deux colonies.
33. En réponse au chef de la subdivision de Gaya, le gouverneur par
intérim Raynier, par lettre du 27 août 1954, l’informe que

«la limite du Territoire du Niger est constituée de la ligne par des
plus hautes eaux, côté rive gauche du fleuve, à partir du village de

Bandofay jusqu’à la frontière de Nigéria. En conséquence, toutes les
îles situées dans cette partie du fleuve font partie du Territoire du
Dahomey.» (Lettre n 3722/APA, mémoire du Bénin, annexe 67.)

34. Le gouverneur Raynier n’a tout de même pas inventé cette limite à
la rive gauche, surtout qu’elle n’opère pas en faveur de la colonie qu’il
administre. A notre avis, il ne l’a fait qu’en ayant à l’esprit les textes fon-

73160 DIFFÉREND FRONTALIER OP .DISS. BENNOUNA )

dateurs de 1900 et les conditions de la création de la colonie du Niger.
C’est pour cela que cette lettre du gouverneur n’a de sens que si on la relie
à ces textes, même si ceux-ci n’y sont pas référenciés. Le gouverneur du

Niger ne peut avoir répondu à la légère, sachant que sa lettre aura des
conséquences sur le terrain.
35. La lettre du gouverneur Raynier du 27 août 1954 n’est pas une
simple missive interne à la colonie du Niger, ne pouvant avoir aucun effet
en dehors de celle-ci. Le commandant du cercle de Dosso (Niger), desti-

nataire de la lettre, l’a répercutée le 27 octobre suivant sur son alter ego
de l’autre côté du fleuve, le commandant du cercle de Kandi (Dahomey),
précisant que «la limite territoriale ... donne satisfaction entière au Daho-
mey» et lui demandant s’il ne voit pas «d’inconvénients à ce que ces ins-

tallations [de la subdivision de oaya sur les îles] soient maintenues, au
moins provisoirement» (lettre n 576, mémoire du Bénin, annexe 68).

36. Le commandant du cercle de Kandi, M. Daguzay, devait, de son

côté, en informer, par lettre du 12 novembre 1954, le gouverneur du
Dahomey en ajoutant qu’il émettait «un avis favorable au maintien de la
tolérance laissée aux Nigériens d’y maintenir leurs installations».
37. Cette série de correspondances se termine par une lettre du gou-
verneur du Dahomey à son homologue du Niger, prenant acte de la

limite de la colonie du Niger à la rive gauche du fleuve, et se déclarant
disposé à ne pas contester «les droits coutumiers des habitants du Niger
sur certaines de ces îles» ni à soulever la question des «installations» exis-
tantes, et demandant finalement «les références des textes ou accords
o
déterminant ces limites» (lettre n 2475/APA du 11 décembre 1954,
mémoire du Bénin, annexe 70).
Manifestement le gouverneur du Dahomey ne s’est pas livré à des
recherches au-delà des arrêtés «imprécis» de 1934 et 1938. Quant au gou-
verneur du Niger, il n’a pas jugé nécessaire de répondre à sa requête.

38. Il n’en demeure pas moins que les administrateurs ont admis la
fixation de la frontière à la rive gauche du fleuve Niger, renouant ainsi
avec les textes fondateurs de 1900. Quant à la lettre de 1954, elle est inter-
venue dans un contexte d’incertitude totale quant à l’appartenance, à

l’une ou l’autre des colonies, des différentes îles sur le fleuve, seule ques-
tion réellement en litige dans la détermination de la frontière entre les
deux colonies. Les administrateurs s’occupaient jusque-là des droits des
populations qui se déplaçaient sur les îles et non des droits territoriaux

des colonies.
39. On s’est demandé pourquoi la lettre du gouverneur Raynier, du
27 août 1954, s’en est tenue à la limite «entre la localité de Bandofay et la
frontière du Niger». En réalité, il s’agit précisément de la partie du fleuve
où sont situées les îles objets du litige. Au demeurant, c’est lorsque la

terre en litige a plus d’importance que la navigation et qu’au surplus le
cours du fleuve est instable qu’on a eu recours à la limite à la rive, notam-
ment au cours de la période coloniale.
On retrouve également, au cours de cette même période, «la limite à la

74161 DIFFÉREND FRONTALIER OP .DISS. BENNOUNA )

rive» définie comme «la ligne des plus hautes eaux», ce qui exclut toute

revendication des berges inondées. Le Bénin n’a d’ailleurs réclamé, à la
faveur de cette définition, aucun droit sur une quelconque portion du ter-
ritoire du Niger sur la rive gauche.
40. A notre avis, la lettre de Raynier du 27 août 1954 est venue rap-
peler le titre du Dahomey, établi en 1900, sur la partie frontalière du

fleuve avec le Niger et sur les îles qui s’y trouvent. La réaction que cette
lettre a suscitée montre l’inexistence d’un titre concurrent en 1954 et
jusqu’en août 1960, «date critique» pour l’appréciation du différend ter-
ritorial entre le Bénin et le Niger.
En effet, si le modus vivendi de 1914 ne pouvait constituer un titre juri-

dique, les arrêtés de 1934 et de 1938, quant à eux, en se référant au
«cours du fleuve», sans précision, n’avaient aucune vocation à fixer la
frontière entre les deux colonies, même s’ils rappellent le cadre de celle-ci.

B. Les effectivités du Bénin prévalent, à la date critique, sur celles du
Niger, pour la fixation de la frontière à la rive gauche

41. Si la Chambre n’a pu voir dans la lettre du gouverneur Raynier
«une confirmation» d’une limite, qui selon elle n’a pas été établie en

1900, elle n’en ajoute pas moins qu’elle a «toutefois conscience que la
lettre du 27 août 1954 a pu produire certaines effectivités» (arrêt, par.
65 et 67). C’est ce qui amènera la Chambre à consacrer des développe-
ments distincts (arrêt, par. 89 et suiv.) à «la question des effectivités
pour la période allant de 1954 à la date critique de 1960», reconnaissant

que pendant cette période «le Dahomey a de plus en plus souvent pré-
tendu détenir le droit d’administrer l’île de Lété».
42. C’est en effet par référence à la lettre de 1954 que les administra-
teurs vont exprimer de plus en plus clairement l’animus, leur volonté
d’agir en tant que détenteurs exclusifs de l’autorité territoriale sur les îles

du fleuve et en particulier sur la plus importante et la plus significative
d’entre elles, l’île de Lété. Cette volonté s’exprimait notamment au tra-
vers de la perception de taxes, pour les droits de pacage, par les adminis-
trateurs du Dahomey et par l’intervention des gardes de cette colonie, en
cas de contestation ou d’incident, en vue de rétablir l’ordre.

Le meilleur témoignage de cet état de fait a été fourni en 1964 par
l’administrateur Daguzay qui a administré le cercle de Kandi:

«A cette époque [1954-1956], le territoire du Niger et les habitants
de la subdivision de Gaya considéraient bien que l’île de l’ETE (sic)
appartenait au Dahomey; pour prouver leurs sentiments amicaux les
habitants de Malanville [Dahomey] permettaient à ceux de Gaya d’y

faire paître leurs troupeaux. Il n’y avait donc à l’époque aucune
contestation.» (Mémoire du Bénin, annexe 87.)

43. Il est établi, en tout cas, à partir de 1954 que les administrateurs du
Dahomey se comportaient sur l’île de Lété en autorités territoriales,

75162 DIFFÉREND FRONTALIER (OP. DISS.BENNOUNA )

prélevant les taxes et intervenant pour le maintien de l’ordre comme le

relève la Chambre elle-même (arrêt, par. 90 et suiv.).
Qu’il y ait eu pendant la même période des séquelles des pratiques pré-
cédentes telles que le maintien de l’île de Lété sur la liste des bureaux de
vote du Niger, ceci tient aux pesanteurs d’administrations lentes à s’adap-
ter à la nouvelle situation née de l’échange des correspondances de 1954.

Or, ce qui compte, pour la preuve de l’uti possidetis juris, c’est «l’ins-
tantané territorial», soit le dernier état des effectivités et de la perception
du statut du territoire en litige. Et celles-ci incontestablement penchaient
du côté de l’appartenance des îles, et notamment de l’île de Lété, au
Dahomey.

44. La Chambre est consciente du profond changement intervenu en
1954 et des changements intervenus dans les effectivités, au cours de la
période 1954-1960 et elle admet que «la situation n’est pas aussi claire»
qu’auparavant (arrêt, par. 100). Pourtant, sous l’effet de la pratique née

du pseudo modus vivendi de 1914, elle donnera l’avantage aux effectivités
du Niger et se prononcera en faveur «de la ligne des sondages les plus
profonds du fleuve Niger» comme frontière entre les deux colonies, sans
prouver que celle-ci a été maintenue et respectée, après 1954, et qu’elle
l’était à la «date critique» en 1960.

45. Certes, comme le rappelle la Chambre (arrêt, par. 102), on ne peut
transposer purement et simplement «le concept d’intention et de volonté
d’agir à titre de souverain» pour apprécier le comportement de la puis-
sance coloniale dans ses colonies et donc les effectivités. Cela ne veut pas
dire pourtant qu’il ne faille pas le faire en l’adaptant à la situation d’une

puissance coloniale, car c’est le seul moyen de distinguer entre les actes de
tolérance (comme ceux à l’égard des Peulhs pratiquant le pâturage) et
l’exercice de l’autorité territoriale.
46. Il est certain que la coexistence entre les droits territoriaux et la
simple tolérance d’autres populations, dans l’île de Lété, peut créer des

tensions et même dégénérer en graves incidents, comme ceux qui ont
entraîné dans la nuit du 29 juin 1960 la mort de quatre Peulhs et l’incen-
die de plusieurs habitations.
C’est le commandant du cercle de Kandi qui devait informer le
ministre de l’intérieur du Dahomey, comme le relève la Chambre (arrêt,

par. 96), que l’ordre avait été rétabli, même si l’unité de police installée
sur l’île provenait des deux colonies (ce qui au demeurant se justifie par
les affrontements des populations des deux rives). Quoi qu’il en soit, le
premier ministre du Dahomey, invoquant la lettre de 1954, devait consi-
dérer le 29 juillet 1960, que la question territoriale était déjà réglée.

Il nous paraît de ce fait, que «l’instantané» territorial plaidait pour un
legs colonial sur l’île de Lété en faveur du Dahomey.

47. Je considère, en conclusion, que la frontière entre le Bénin et le

Niger, dans le secteur du fleuve Niger, se situe à la rive gauche du fleuve
Niger, sur la base du titre juridique établi en 1900, et réaffirmé clairement

76163 DIFFÉREND FRONTALIER OP .DISS. BENNOUNA )

dans les relations entre les deux colonies en 1954. Il en découle l’appar-
tenance de toutes les îles du fleuve Niger au Bénin. D’autre part, les
effectivités sur les îles de 1954 à 1960 attestent également cette appar-

tenance.
48. Quant à la question du tracé de la frontière sur les deux ponts qui
enjambent le fleuve Niger (reliant Gaya à Malanville), je ne peux me ral-
lier à l’interprétation que fait la Chambre du compromis du 15 juin 2001,
estimant que, ces ponts faisant partie «du secteur du fleuve Niger», elle

est habilitée à se prononcer à leur sujet.
Le compromis doit être interprété stricto sensu comme concernant le
fleuve Niger (colonne d’eau et rives, y compris les îles); si les Parties
entendaient que la Chambre procédât également au tracé de la frontière

sur les ponts, ils l’auraient spécifié comme ils l’ont fait pour les îles. Aussi,
j’estime que la Chambre a outrepassé sa compétence et le mandat qui
lui a été confié par les Parties en traçant la frontière sur les ponts qui
enjambent le fleuve; d’autant plus qu’il n’existait pas, à notre connais-

sance, de différend entre les Parties sur ce tracé, au moment de la
conclusion du compromis et de la saisine de la Chambre.
Il appartient aux Parties de faire produire à l’arrêt tous ses effets, y
compris la coopération sur le fleuve et la délimitation de la frontière sur
les ponts qui enjambent ou viendraient à enjamber le fleuve.

49. Certes, le Bénin et le Niger ne sont responsables, ni l’un ni l’autre,
du passé colonial qu’ils ont hérité à leur indépendance. Il est cependant à
l’honneur de ces deux pays d’avoir choisi la voie du règlement judiciaire
de leur différend frontalier et de s’être engagés à poursuivre leur coopéra-

tion sur les cours d’eau frontaliers que sont le Niger et la Mékrou, quel
que soit l’arrêt de la Chambre.

(Signé) Mohamed B ENNOUNA .

77

Bilingual Content

152

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC BENNOUNA

Appréciation du titre juridique et des effectivités à la date critique en août
1960 — L’effectivité peut compléter un titre imprécis — En vertu du titre juri-
dique, la frontière se situe à la rive gauche du fleuve Niger — La lettre de Ray-
nier du 27 août 1954 a rappelé le titre du Dahomey, établi en 1900 — Les
effectivités du Bénin prévalent à la date critique sur celles du Niger et

confirment la fixation de la frontière à la rive gauche du fleuve Niger — Incom-
pétence de la Chambre pour se prononcer sur le tracé de la frontière sur les
ponts qui enjambent le Niger (reliant Gaya à Malanville).

1. Je ne peux souscrire à la première, à la seconde et à la troisième
conclusion de la Chambre sur le tracé de la frontière entre le Bénin et le
Niger, dans le secteur du fleuve Niger, et l’appartenance des îles qui s’y

trouvent, selon lesquelles:
Premièrement:

«Dit que la frontière entre la République du Bénin et la Répu-
blique du Niger dans le secteur du fleuve Niger suit le tracé
suivant:

— la ligne des sondages les plus profonds du chenal navigable prin-
cipal de ce fleuve, à partir de l’intersection de ladite ligne avec la
ligne médiane de la rivière Mékrou jusqu’au point de coordon-

nées 11°52′29″ de latitude nord et 3°25′34″ de longitude est;
— à partir de ce point, la ligne des sondages les plus profonds du
chenal navigable gauche, jusqu’au point de coordonnées
11°51′55″ de latitude nord et 3°27′41″ de longitude est, où la
frontière s’écarte de ce chenal et passe à gauche de l’île de Kata
Goungou, pour rejoindre ensuite le chenal navigable principal au

point de coordonnées 11°51′41″ de latitude nord et 3°28′53″ de
longitude est;
— à partir de ce dernier point, la ligne des sondages les plus pro-
fonds du chenal navigable principal du fleuve jusqu’à la frontière
des Parties avec le Nigeria;

et que la ligne frontière passe, d’amont en aval, par les points, numé-
rotés de 1 à 154, dont les coordonnées sont indiquées au para-
graphe 115 du présent arrêt.»

Deuxièmement:

«Dit qu’en conséquence les îles situées sur le fleuve Niger appar-
tiennent à la République du Bénin ou à la République du Niger ainsi
qu’indiqué au paragraphe 117 du présent arrêt.»

66 152

DISSENTING OPINION OF JUDGE AD HOC BENNOUNA

[Translation]

Determination of legal title and effectivité at critical date in August 1960 —
Effectivité can supplement imprecise title — Legal title places boundary on left
bank of River Niger — Raynier letter of 27 August 1954 referred back to Daho-
mey’s title established in 1900 — Effectivités of Benin take precedence at criti-
cal date over those of Niger and confirm location of boundary on left bank of

River Niger — Chamber lacking jurisdiction to rule on course of boundary on
bridges over River Niger (between Gaya and Malanville).

1. I cannot agree with the Chamber’s first, second and third findings as
below, regarding the course of the boundary between Benin and Niger in
the River Niger sector and the question of which Party the islands therein

belong to:
Firstly:

“Finds that the boundary between the Republic of Benin and the
Republic of Niger in the River Niger sector takes the following
course:

— the line of deepest soundings of the main navigable channel of
that river, from the intersection of the said line with the median
line of the River Mekrou until the point situated at co-ordinates

11°52′29″ latitude North and 3°25′34″ longitude East;
— from that point, the line of deepest soundings of the left navi-
gable channel until the point located at co-ordinates 11°51′55″
latitude North and 3°27′41″ longitude East, where the boundary
deviates from this channel and passes to the left of the island of
Kata Goungou, subsequently rejoining the main navigable chan-

nel at the point located at co-ordinates 11°51′41″ latitude North
and 3°28′53″ longitude East;
— from this latter point, the line of deepest soundings of the main
navigable channel of the river as far as the boundary of the
Parties with Nigeria;

and that the boundary line, proceeding downstream, passes through
the points numbered from 1 to 154, the co-ordinates of which are
indicated in paragraph 115 of the present Judgment.”

Secondly:

“Finds that the islands situated in the River Niger therefore belong
to the Republic of Benin or to the Republic of Niger as indicated in
paragraph 117 of the present Judgment.”

66153 DIFFÉREND FRONTALIER (OP .DISS. BENNOUNA )

Troisièmement:

«Dit que la frontière entre la République du Bénin et la Répu-
blique du Niger sur les ponts reliant Gaya et Malanville suit le tracé

de la frontière dans le fleuve.»
Je n’adhère pas non plus aux motifs qui fondent ces conclusions.

2. Je souscris, par contre, à la quatrième conclusion de la Chambre sur
le tracé de la frontière entre le Bénin et le Niger dans le secteur de la
rivière Mékrou, selon laquelle:

«Dit que la frontière entre la République du Bénin et la République
du Niger dans le secteur de la rivière Mékrou suit la ligne médiane

de cette rivière, à partir de l’intersection de cette ligne avec la
ligne des sondages les plus profonds du chenal navigable princi-
pal du fleuve Niger, jusqu’à la frontière des Parties avec le Burkina
Faso.»

J’adhère également aux motifs qui fondent cette conclusion.
3. Avant d’en venir aux raisons qui ne m’ont pas permis de souscrire

aux trois premières conclusions de la Chambre, je souhaite, en ma qualité
de juge ad hoc, rappeler l’analyse pertinente, et que je partage, de sir
Elihu Lauterpacht, au sujet du rôle dévolu à cette catégorie de juges, dans
l’opinion individuelle qu’il a rendue dans le cadre de la procédure d’indi-

cation de mesures conservatoires, en l’affaire relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bos-
nie-Herzégovine c. Yougoslavie), ordonnance du 13 septembre 1993 ,etoù
il écrit notamment:

«tout en étant tenu par son devoir d’impartialité, le juge ad hoc joue

un rôle particulier. Selon moi, il est spécialement tenu de veiller à ce
que, dans toute la mesure possible, chacun des arguments pertinents
de la partie qui l’a désigné ait été pleinement pris en considération au
cours de l’examen collégial et soit, en fin de compte, reflété — à

défaut d’être accepté — dans sa propre opinion individuelle ou
dissidente...» (C.I.J. Recueil 1993, p. 409, par. 6.) 1

4. Avant de se pencher sur ces trois conclusions de la Chambre sur la
frontière dans le secteur du fleuve Niger, l’attribution des îles qui s’y

trouvent et le tracé de la frontière sur les ponts reliant Gaya à Malan-
ville, il convient de bien préciser comment, à notre avis, s’articule le droit
applicable au différend, surtout que celui-ci concerne le legs colonial
qui date de près de quarante-cinq ans.

1Sur le rôle du juge ad hoc, Thomas Franck est allé dans le même sens, dans son
opinion dissidente en l’affaire relative à la Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau
Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002 , p. 693-695.

67 FRONTIER DISPUTE (DISS.OP .BENNOUNA ) 153

Thirdly:

“Finds that the boundary between the Republic of Benin and the
Republic of Niger on the bridges between Gaya and Malanville fol-

lows the course of the boundary in the river.”
Nor do I accept the reasoning underlying these findings.

2. On the other hand, I agree with the fourth finding of the Chamber
on the course of the boundary between Benin and Niger in the River
Mekrou sector, namely:

“Finds that the boundary between the Republic of Benin and the
Republic of Niger in the River Mekrou sector follows the median

line of that river, from the intersection of the said line with the
line of deepest soundings of the main navigable channel of the
River Niger as far as the boundary of the Parties with Burkina
Faso.”

I likewise agree with the reasoning underlying this finding.
3. Before turning to the reasons which have prevented me from agree-

ing with the Chamber’s first three findings, I should like, in my capacity
as judge ad hoc, to recall Sir Elihu Lauterpacht’s pertinent analysis of the
role of ad hoc judges, to which I entirely subscribe, in his separate
opinion in the provisional measures phase of the case concerning Appli-

cation of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime
of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro), Order
of 13 September 1993, where he stated inter alia :

“consistently with the duty of impartiality by which the ad hoc judge

is bound, there is still something specific that distinguishes his role.
He has, I believe, the special obligation to endeavour to ensure that,
so far as is reasonable, every relevant argument in favour of the
party that has appointed him has been fully appreciated in the

course of collegial consideration and, ultimately, is reflected —
though not necessarily accepted — in any separate or dissenting
opinion . . .” (I.C.J. Reports 1993, p. 409, para. 6.) 1

4. Before I address these three findings of the Chamber concerning the
boundary in the River Niger sector and the attribution of the islands

therein, and the course of the boundary on the Gaya-Malanville bridges,
I consider that it is necessary to examine in detail the law applicable to
the dispute, particularly since this involves the colonial heritage, which
dates from almost 45 years ago.

1On the role of the judge ad hoc, Thomas Franck took a similar view in his dissenting
opinion in the case concerning Sovereignty over Pulau Ligitan and Pulau Sipadan (Indo-
nesia/Malaysia), Judgment, I.C.J. Reports 2002 , pp. 693-695.

67154 DIFFÉREND FRONTALIER (OP. DISS.BENNOUNA )

I. L E DROIT APPLICABLE AU DIFFÉREND

5. Les Parties se sont mises d’accord, à l’article 6 du compromis de

saisine de la Cour, en date du 15 juin 2001, sur le droit applicable:
«Les règles et principes du droit international qui s’appliquent au

différend sont ceux énumérés au paragraphe 1 de l’article 38 du sta-
tut de la Cour internationale de Justice, y compris le principe de la
succession d’Etats aux frontières héritées de la colonisation, à savoir,
l’intangibilité desdites frontières.»

6. Aux termes de ce texte, la Chambre est appelée à rechercher quel
était le titre territorial, en se fondant sur le legs colonial tel qu’il découle

de l’état du droit colonial à «la date critique» du passage des deux
Parties à la souveraineté internationale. Mais dans la mesure où le prin-
cipe de l’uti possidetis juris est de caractère dispositif, les Parties pouvant
y déroger de par leur commune volonté, le compromis n’exclut pas la

prise en compte par la Chambre des engagements internationaux des
deux Etats indépendants. Elle est chargée, en effet, d’appliquer les règles
et principes de droit international énumérés à l’article 38 de son Statut,
soit en particulier «les conventions internationales, soit générales, soit
spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les Etats en

litige».
7. La Chambre est amenée, en priorité, à examiner le legs colonial, le
droit édicté par la puissance coloniale et ses propres engagements inter-
nationaux, ainsi que l’exercice de l’autorité publique dans les colonies,

avant d’en arriver aux normes du droit international qui lient les deux
Parties, au lendemain de leurs indépendances.

La logique de cette démarche est de fixer l’état de la frontière, à la date
critique, et la configuration territoriale des deux nouveaux Etats, avant

de s’interroger sur leurs engagements postérieurs confirmant ou infirmant
(et dans quelle mesure), le legs colonial.

8. Les Parties ont donc désigné, à priori, une norme de substance, le

legs colonial, que la Chambre se doit de rechercher, en premier lieu,
avant de se demander si d’autres engagements lient les Parties, au lende-
main de leurs indépendances. Celles-ci intervenues, respectivement, les 1 er
et 3 août 1960, pour le Bénin et le Niger, font que la date critique, pour

la détermination du legs colonial se situe à cette période, au début de ce
mois d’août 1960.
9. La date critique, essentielle pour l’application du principe de l’uti
possidetis juris, permet au juge de s’assurer à quel moment il doit se pla-
cer pour apprécier l’héritage colonial et de se prononcer en conséquence

sur les frontières des Etats en cause. C’est en particulier à ce moment là
que le juge doit se livrer à la recherche des moyens de preuve, même s’il
peut éventuellement les préciser par référence à des réalités postérieures
aux indépendances:

68 FRONTIER DISPUTE (DISS.OP. BENNOUNA ) 154

I. THE LAW A PPLICABLE TO THE D ISPUTE

5. In Article 6 of the Special Agreement of 15 June 2001 seising the

Court of the matter, the Parties concurred on the law applicable:
“The rules and principles of international law applicable to the

dispute are those set out in Article 38, paragraph 1, of the Statute of
the International Court of Justice, including the principle of State
succession to the boundaries inherited from colonization, that is to
say, the intangibility of those boundaries.”

6. Under the terms of this provision the Chamber must seek to ascer-
tain what the territorial title was, basing itself on the colonial heritage

according to colonial law at the “critical date” of the passage of the two
Parties to international sovereignty. However, inasmuch as the principle
of uti possidetis juris is of a dispositive character, and the Parties are able
to derogate from it by joint agreement, the Special Agreement does not

preclude the Chamber from taking account of international obligations
undertaken by the two independent States. Thus the Court is called upon
to apply the rules and principles of international law set out in Article 38
of its Statute, that is to say, in particular, “international conventions
whether general or particular, establishing rules expressly recognized by

the contesting States”.
7. The Chamber must begin by examining the colonial legacy, namely
the law promulgated by the colonial Power and the international obli-
gations undertaken by it, as well as the manner in which public authority

was exercised in the colonies, before turning to the norms of interna-
tional law binding the two Parties following their accession to indepen-
dence.
The logic of this approach is to determine the course of the boundary
at the critical date and the territorial configuration of the two new States,

before considering any subsequent obligations entered into by them
which confirm or deny the colonial heritage (and to what extent they
do so).
8. The Parties have thus designated as primary source a substantive

body of law, the colonial heritage, which the Chamber must examine
first, before considering whether there are other obligations which have
become binding on the Parties following independence. Benin and Niger
achieved independence on 1 and 3 August 1960 respectively, which means

that the critical date for determination of the colonial heritage falls
within this period, at the beginning of August 1960.
9. The critical date, which is essential for purposes of applying the uti
possidetis juris principle, enables the Court to ascertain to what point in
time it must refer in order to determine the colonial heritage and rule

accordingly on the boundaries of the States in question. It is in particular
in relation to that point in time that the Court must engage in its search
for evidence, even if it may have to clarify that evidence by reference to
material facts subsequent to independence:

68155 DIFFÉREND FRONTALIER (OP. DISS.BENNOUNA )

«La Chambre peut aussi tenir compte ... d’éléments de preuve

documentaire qui découlent d’effectivités postérieures à l’indépen-
dance quand elle estime que ces éléments apportent des précisions
sur la frontière de l’uti possidetis juris...» (Différend frontalier ter-
restre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras),C.I.J. Recueil
1992, p. 399, par. 62.)

10. S’agissant de deux pays, le Bénin et le Niger, qui relevaient, avant
1960, de la même puissance coloniale, la France, la Chambre est appelée

à déterminer les délimitations administratives entre les deux colonies,
telles qu’elles résultaient du droit colonial français, à la date critique.
11. Lorsque le droit international se réfère au legs colonial, et donc à
l’état du droit qui le régit, au moment du passage aux indépendances,
c’est bien dans le but de stabiliser les frontières héritées du colonisateur et

d’éviter ainsi que les nouveaux Etats ne se livrent à des querelles et même
à des affrontements destructeurs. Ainsi que l’a souligné la Cour dans
l’affaire du Différend frontalier (Burkina-Faso/République du Mali) :

«C’est le besoin vital de stabilité pour survivre, se développer
et consolider progressivement leur indépendance dans tous les
domaines qui a amené les Etats africains à consentir au respect
des frontières coloniales ...» (Arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 567,
par. 25.)

12. C’est bien pour cela que la limite transmise aux nouveaux Etats est
celle qui existait à «la date critique» de leurs indépendances, sans qu’il

soit nécessaire d’aller chercher les différentes évolutions que le droit a pu
connaître, tout au long de la période coloniale. Ainsi que l’a souligné la
Cour dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du
Mali) précitée:

«Le droit international — et par conséquent le principe de l’uti
possidetis — est applicable au nouvel Etat (en tant qu’Etat) non pas
avec effet rétroactif mais immédiatement et dès ce moment-là. Il lui
est applicable en l’état, c’est-à-dire à «l’instantané» du statut terri-

torial existant à ce moment-là. Le principe de l’uti possidetis gèle le
titre territorial; il arrête la montre sans lui faire remonter le temps.»
(C.I.J. Recueil 1986, p. 568, par. 30; les italiques sont dans l’original.)

13. C’est donc en août 1960, date critique, que le titre juridique ou les
effectivités doivent être appréciées en l’occurrence, dans le différend qui
oppose le Bénin au Niger, et non par référence à une pratique coloniale
antérieure de quelques années ou décennies et se présentant comme une

parenthèse, au sein de la période coloniale, interrompue avant les indé-
pendances.
14. Le droit colonial n’est pas pris en lui-même comme fondement du
titre territorial, mais simplement comme «un élément de fait» une affirma-
tion du titre édicté par le colonisateur et donc une preuve du legs colonial.

15. Il est vrai, néanmoins que, dans la recherche «du fait colonial» à la

69 FRONTIER DISPUTE (DISS.OP. BENNOUNA ) 155

“The Chamber may have regard also . . . to documentary evidence
of post-independence effectivités when it considers they afford indi-
cations in respect of the . . . uti possidetis juris boundary . . .” (Land,
Island and Maritime Frontier Dispute (El Salvador/Honduras: Nica-

ragua intervening), Judgment, I.C.J. Reports 1992 , p. 399, para. 62.)

10. Given that these are two countries, Benin and Niger, which before

1960 were subject to the sovereignty of the same colonial Power, France,
the Chamber’s task is to determine the administrative boundaries between
the two colonies according to French colonial law at the critical date.
11. When international law refers to the colonial heritage, and hence

to the state of the law governing that heritage at the time of indepen-
dence, its aim in so doing is to stabilize the boundaries inherited from the
colonial Power and thus prevent new States from becoming involved in
disputes, or even destructive confrontations. Thus, as the Court empha-
sized in the Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali) case,

“[t]he essential requirement of stability in order to survive, to
develop and gradually to consolidate their independence in all

fields, has induced African States judiciously to consent to the
respecting of colonial frontiers” ( Judgment, I.C.J. Reports 1986,
p. 567, para. 25).

12. It follows that the boundary transmitted to the new States is that
which existed at “the critical dates” of their independence, and it is
unnecessary to go into the various changes which the law may have
undergone over the colonial period. As the Court stated in the case

of the Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali) cited above:

“International law — and consequently the principle of uti possi-

detis — applies to the new State (as a State) not with retroactive
effect, but immediately and from that moment onwards. It applies to
the State as it is, i.e., to the ‘photograph’ of the territorial situation
then existing. The principle of uti possidetis freezes the territorial

title; it stops the clock, but does not put back the hands.” (I.C.J.
Reports 1986, p. 568, para. 30; emphasis in original.)
13. Thus it is in August 1960, the critical date, that the legal title or

effectivités have to be determined in this dispute between Benin and
Niger, and not by reference to a colonial practice some years or decades
prior to that time, which may be regarded as a parenthesis that occurred
within the colonial period and came to an end before independence.

14. Colonial law is not to be considered in itself as basis of the terri-
torial title; it is simply “an element of fact” — confirmation of the title
promulgated by the colonial Power, and hence evidence of the colonial
heritage.

15. Nonetheless, in seeking to ascertain “the colonial fact” at the criti-

69156 DIFFÉREND FRONTALIER OP .DISS. BENNOUNA )

date critique, la Chambre donne la priorité au titre, concrétisé par le droit
colonial, sur l’effectivité, c’est-à-dire l’administration réelle du territoire

contesté par telle ou telle autorité coloniale.
La Cour a explicité les relations entre titre juridique et effectivité dans
l’affaire relative au Différend frontalier (Burkina Faso/République du
Mali) précitée:

«Dans l’éventualité où l’«effectivité» ne coexiste avec aucun titre
juridique, elle doit inévitablement être prise en considération. Il est

enfin des cas où le titre juridique n’est pas de nature à faire appa-
raître de façon précise l’étendue territoriale sur laquelle il porte.
Les «effectivités» peuvent alors jouer un rôle essentiel pour indi-
quer comment le titre est interprété dans la pratique.» (C.I.J.

Recueil 1986, p. 587, par. 63.)
16. Certes, en l’absence totale de titre juridique, il reviendra au juge de

se référer à l’état des effectivités, ce qui lui donne nécessairement une plus
grande marge d’appréciation du poids à accorder à telle ou telle pratique
administrative. Il s’agit là des effectivités «à la date critique». Si donc la
pratique des autorités administratives a connu un net changement à cette

date, la Chambre est tenue d’en prendre acte, en temps que legs colonial;
surtout si cette nouvelle pratique procède de l’intention et de la volonté,
non contestées, d’agir en tant que détenteur exclusif du pouvoir sur la
portion de territoire en litige.

17. Mais dans le cas de l’existence d’un titre juridique qui laisse indé-
terminé le tracé de la limite, il revient au juge d’apprécier dans quelle
mesure le comportement des autorités administratives, à la date critique,
permet de connaître l’interprétation authentique du titre en question; ce

qui revient à savoir, selon les termes précités de la Cour, «comment le
titre est interprété dans la pratique». L’effectivité sert, dans ce cas, non à
se substituer à un titre défaillant, mais à compléter un titre imprécis.

II. LA FRONTIÈRE DANS LE SECTEUR DU FLEUVE N IGER ET LA QUESTION
DE L APPARTENANCE DES ÎLES DE CE FLEUVE

18. Dans le secteur du fleuve Niger, le Bénin a démontré, à notre avis,
l’existence d’un titre juridique, dont le contenu et la portée, à la date cri-
tique, permettent de situer la frontière entre les deux Etats, à la rive
gauche du fleuve Niger (A).
D’autre part, dans la mesure où la Chambre a conclu à l’inexistence

d’un titre juridique en faveur de l’une ou l’autre des Parties, elle aurait dû
faire prévaloir, à la date critique, les effectivités du Bénin (B).

A. En vertu du titre juridique, la frontière se situe à la rive gauche

19. Avant d’en venir au titre juridique proprement dit, il convient de
rappeler brièvement les conditions historiques de la création, par la

70 FRONTIER DISPUTE DISS.OP. BENNOUNA ) 156

cal date, the Chamber will accord precedence to the legal title, as embod-

ied in colonial law, over the effectivité, namely the fact that the disputed
territory was administered in practice by a particular colonial authority.
The Court explained the relationship between legal title and effectivité

in the case concerning the Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of
Mali), from which I have already quoted:

“In the event that the effectivité does not co-exist with any legal
title, it must invariably be taken into consideration. Finally, there
are cases where the legal title is not capable of showing exactly the

territorial expanse to which it relates. The effectivités can then play
an essential role in showing how the title is interpreted in practice.”
(I.C.J. Reports 1986, p. 587, para. 63.)

16. Certainly, in the total absence of any legal title, the judge must
examine the state of the effectivités, which necessarily gives him a greater

margin of discretion in determining the weight to be accorded to a par-
ticular administrative practice. These are effectivités “at the critical date”.
Thus, if the practice of the administrative authorities underwent a clear

change at that date, the Chamber must take account of such change as
part of the colonial heritage; particularly if this new practice stems from
an uncontested intention and will to act as exclusive holder of authority
over the portion of territory in dispute.

17. However, where a legal title exists but leaves the course of the
boundary undetermined, it is for the judge to consider to what extent the
conduct of the administrative authorities at the critical date can provide
an authentic interpretation of the title in question; that is to say, using

the language of the Court which I have just cited, “how the title is inter-
preted in practice”. In this case the effectivité serves not to replace a
defective title, but to complete an imprecise title.

II. THE B OUNDARY IN THE RIVER N IGER SECTOR AND THE Q UESTION OF
THE O WNERSHIP OF THE ISLANDS IN THAT RIVER

18. In the River Niger sector, Benin has in my view demonstrated the
existence of a legal title whose content and scope, at the critical date,
enable the Chamber to place the boundary between the two States on the

left bank of the River Niger (A).
Furthermore, in so far as the Chamber found that neither Party had
any legal title, it ought to have accorded precedence at the critical date to
the effectivités of Benin (B).

A. The Legal Title Places the Boundary on the Left Bank

19. Before addressing the legal title proper, it is helpful briefly to recall

the historical circumstances surrounding the creation by France of the

70157 DIFFÉREND FRONTALIER (OP. DISS.BENNOUNA )

France, des colonies du Bénin (Dahomey) et du Niger, ce qui éclaire le

tracé de leurs limites.
20. Ce qu’il faut retenir de cette histoire c’est la priorité de la création
de la colonie du Dahomey sur celle du Bénin . Avec comme point

de départ des comptoirs dans le golfe du Bénin, en 1885, la France a
cherché à atteindre le fleuve Niger et au-delà le Soudan et ses autres
possessions en Afrique. La «colonie du Dahomey et dépendances»,
créée par décret du 22 octobre 1894, sera étendue jusqu’au fleuve Niger et

au-delà, par le rattachement d’un nouveau «cercle du Moyen Niger»,
par arrêté du 11 août 1898. Cette opération a été rendue possible à
la suite de la conclusion par la France d’un traité de protectorat avec
le roi du Dendi (dont le royaume s’étendait des deux côtés du fleuve

Niger), le 21 octobre 1897. Deux ans plus tard la colonie du Dahomey
fut incorporée à l’Afrique occidentale française (AOF) par décret du
17 octobre 1899.
21. Quant à la colonie du Niger, elle trouve son origine dans la

création, par arrêté du gouverneur de l’AOF, du 23 juillet 1900, d’un
troisième territoire militaire:

«Il est créé un troisième territoire militaire dont le chef lieu sera
établi à Zinder. Ce territoire s’étendra sur les régions de la rive

gauche du Niger de Say au lac Tchad qui ont été placées dans la
sphère d’influence française par la Convention du 14 juin 1898.»
(Mémoire du Niger, annexes, série B, B.12.)

22. Ainsi, même si les limites de la future colonie du Niger se sont

encore précisées par cet arrêté, il en est au moins une qui ne changera pas
c’est la «rive gauche du Niger», ou encore la limite méridionale du
territoire.
23. Un décret du 20 décembre 1900 viendra confirmer les termes de cet

arrêté, qui a procédé à la désignation d’un territoire militaire, en le sous-
trayant du «cercle du Moyen Niger» (ancien pays Dendi) qui s’étendait
sur les deux rives.
24. Il a fallu attendre le décret du président de la République du

13 octobre 1922 pour que la «colonie autonome» du Niger soit créée à
partir du «territoire civil», qui a succédé au «territoire militaire».
25. Il convient de relever qu’une carte de l’AOF publiée en 1922, au
lendemain de la création de la colonie du Niger, fait passer clairement la

frontière à la rive gauche du fleuve Niger (mémoire du Niger, annexes,
série D, carte n 28), confirmant ainsi que cette colonie, créée notamment
par soustraction de certains territoires relevant du Dahomey, l’a été à

2
La chambre de la Cour rappelle et souligne (arrêt, par. 34) que la colonie du Daho-
mey «englobait, dans la région concernée par le présent différend, des territoires situés sur
les deux rives du fleuve Niger» mais elle n’en tire aucune conséquence au niveau de la
délimitation et de la référence dans les textes de 1900 à «la rive gauche du fleuve Niger»
comme limite.

71 FRONTIER DISPUTE (DISS.OP .BENNOUNA ) 157

colonies of Benin (Dahomey) and Niger, which will throw light on the

course of their boundaries.
20. What should be noted from this historical background is that the
creation of the colony of Dahomey predated that of Niger . In 1885,
starting from its trading posts in the Bight of Benin, France attempted to

reach the River Niger, and beyond it Sudan and its other possessions in
Africa. The “colony of Dahomey and dependencies”, created by decree
of 22 October 1894, was by arrêté of 11 August 1898 extended as far as
the River Niger and beyond by incorporation of a new “cercle of Moyen-

Niger”. This became possible following the conclusion on 21 October
1897 of a treaty of protection between France and the King of Dendi
(whose kingdom extended to both sides of the Niger). Two years later, by
an arrêté of 17 October 1899, the colony of Dahomey was incorporated

into French West Africa (AOF).

21. The colony of Niger originates in an arrêté of the Governor of
French West Africa of 23 July 1900 creating a third military territory:

“There is hereby created a third military territory, the administra-
tive centre of which shall be established at Zinder. This territory
encompasses the areas on the left bank of the Niger between Say and
Lake Chad that were placed within the French sphere of influence by

the Convention of 14 June 1898.” (Memorial of Niger, Annexes,
Series B, B.12.)

22. Thus, while the boundaries of the future colony of Niger are not
yet defined in this arrêté, there is one at least which will not change,
namely the “left bank of the Niger”, or indeed the territory’s southern

boundary.
23. The terms of this arrêté were confirmed by a decree of 22 Decem-
ber 1900, which created a military territory by detaching it from the
“cercle of Moyen-Niger” (the former Dendi kingdom), which extended

over both banks.
24. It was not until the decree of the President of the Republic of
13 October 1922 that the “autonomous colony” of Niger was created out
of the “civil territory”, which had replaced the “military territory”.

25. It should be noted that a map of French West Africa published in
1922, shortly after the creation of the colony of Niger, clearly places the
boundary on the left bank of the River Niger (Memorial of Niger,
Annexes, Series D, map No. 28), thus confirming that this colony,

created inter alia by detaching certain territories from Dahomey, started

2The Chamber recalls and emphasizes (paragraph 34 of the Judgment) that the colony
of Dahomey “encompassed, in the region concerned by the recent dispute, territories situ-
ated on both banks of the River Niger”, but it draws no conclusion from this in relation
to the delimitation and to the reference in the instruments of 1900 to “the left bank of the
River Niger” as the boundary.

71158 DIFFÉREND FRONTALIER (OP .DISS .BENNOUNA )

partir d’une ligne constituée par la rive gauche du fleuve; le restant de

celui-ci étant considéré comme partie intégrante de ce pays.
26. Tel est l’arrière-plan historique qui permet de comprendre l’évolu-
tion ultérieure de la question des limites entre les deux colonies et surtout

les incertitudes qui l’ont caractérisée, tout au moins jusqu’en 1954, date
d’une interprétation claire et partagée des premiers textes fondateurs de
la politique coloniale dans la région, adoptés en 1900.

27. En effet, la continuité coloniale française aidant, les administra-
teurs successifs n’ont retenu que le «cours du fleuve Niger» comme
limite, surtout que, dès le départ, l’administration coloniale a décidé que
la gestion du fleuve Niger, de Niamey à Gaya, sera assurée dans la conti-

nuité (partie proprement nigérienne et partie frontalière). Il s’agissait
d’une gestion déléguée par le gouverneur général de l’AOF, d’abord aux
autorités du Niger ensuite, à partir de 1934, à celles du Dahomey.

28. On ne s’étonnera pas dès lors que personne ne s’est plus soucié des
textes de 1900 et de la fixation de la limite administrative entre les deux
colonies, à la rive gauche du fleuve, puisque le seul intérêt de prime abord

de la délimitation, à savoir la gestion de la navigation sur le fleuve, était
aux mains de l’autorité coloniale centrale.

29. Quant au modus vivendi de 1914, qui ne nous est parvenu que par

«ouï-dire», il serait le fait d’administrateurs locaux, aux prises à partir de
1914, avec des différends entre pasteurs sur quelques îles du fleuve. Il est
en tous cas établi que ces administrateurs locaux n’ont reçu aucune
réponse de leurs supérieurs au sujet de ce prétendu modus vivendi, visant

à prendre comme limite le milieu du chenal principal du fleuve et à dis-
tribuer les îles en conséquence. S’agissant, de toutes façons, d’un arran-
gement au niveau local pour le règlement des différends entre Peulhs des
deux rives, fréquentant les îles du fleuve, le modus vivendi en question, qui

n’a pas été approuvé par les responsables des deux colonies, ne pouvait ni
être invoqué comme un titre juridique ni créer une effectivité dont l’un ou
l’autre des Etats indépendants pourrait se prévaloir . Il s’agissait pour ces

autorités locales de s’entendre sur les populations qui relèvent de la com-
pétence personnelle de chacune d’entre elles et non de trancher un conflit
de limites et d’attribution d’espaces territoriaux, ce qui n’était manifeste-
ment pas de leur ressort.

30. Les administrateurs retenaient le fleuve Niger, comme limite phy-

3 La Cour dans l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) a
considéré:

«les actes en cause ont été exclusivement le fait d’autorités locales provinciales ... la
Cour juge difficile d’admettre que ces actes émanant d’autorités locales aient annulé
et neutralisé l’attitude uniforme et constante des autorités centrales siamoises à
l’égard du tracé de la frontière indiqué sur la carte» (fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962,
p. 30).

72 FRONTIER DISPUTE (DISS.OP .BENNOUNA ) 158

from a line constituted by the left bank of the river, the remainder of the

river being regarded as an integral part of Dahomey.
26. Such is the historical background, which provides the key to an
understanding of the subsequent development of the issue of the bounda-
ries between the two colonies, and in particular the uncertainties by

which it was characterized, at least until 1954, when there was a clear and
agreed interpretation of the original founding instruments, adopted in
1900, that provided the basis for colonial policy in the region.
27. Thus, with French colonial continuity playing its part in the pro-

cess, successive officials simply adopted the “course of the River Niger”
as the boundary, particularly as the colonial administration had decided
from the outset that the River Niger, from Niamey to Gaya, would be
managed as a continuous whole (the section within Niger proper and

the boundary section). Management of the river was delegated by the
Governor-General of French West Africa first to the authorities of Niger
and then, from 1934, to those of Dahomey.
28. It is thus hardly surprising that henceforth no one concerned them-

selves with the instruments of 1900, or with the fact that the administra-
tive boundary between the two colonies had been fixed on the left bank
of the river, since the sole major interest of any delimitation, namely
management of navigation on the river, was in the hands of the central

colonial authorities.
29. As regards the modus vivendi of 1914, which we know of only by
“hearsay”, it would appear to derive from action by local officials, faced
from 1914 with disputes between pastoralists over certain islands in the

river. It is in any event clear that these local officials received no response
from their superiors in regard to this purported “modus vivendi”, which
sought to take as the boundary the centre of the river’s main channel and
to attribute the islands accordingly. Given that this was in any case a

local arrangement for the settlement of disputes between Peuhls from the
two banks visiting the islands in the river, the modus vivendi in question,
which was never approved by the competent authorities of the two colo-
nies, could neither be relied on as a legal title nor create an effectivité on
3
which one or other of the independent States might rely . The concern of
these local officials was to reach agreement regarding the local popula-
tion for whom each of them was personally responsible and not to settle
a dispute over borders and attribution of territory, which were manifestly

matters outside their competence.
30. Administrators adopted the River Niger as the physical boundary

3In the case concerning the Temple of Preah Vihear (Cambodia v. Thailand), the
Court stated:

“[T]he acts concerned were exclusively the acts of local, provincial, authorities . . .
[T]he Court finds it difficult to regard such local acts as overriding and negativing the
consistent and undeviating attitude of the central Siamese authorities to the frontier
line as mapped.” (Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1962 , p. 30.)

72159 DIFFÉREND FRONTALIER (OP. DISS.BENNOUNA )

sique entre les deux colonies, et se souciaient peu de la position exacte de
celle-ci, à la rive, à la ligne médiane, ou au thalweg. C’est probablement
ce qui explique que les arrêtés du 7 décembre 1934 et du 27 octobre 1938,

«portant réorganisation territoriale de la colonie du Dahomey», se soient
référés au «cours du Niger» pour la limite au nord-est du cercle fronta-
lier de Kandi.
Ces textes, dont le souci premier était l’harmonisation économique et
administrative, ont ignoré cependant la pratique des autorités locales des

deux rives, depuis 1913, pour régler les différends entre Peulhs qui fai-
saient paître leurs troupeaux sur les îles.
31. Mais cette pratique n’a pas permis d’éviter de nombreux incidents
de pacage sur les îles, ceux-ci entraînant parfois l’intervention des gardes

de l’une ou de l’autre des colonies. C’est à la suite de l’un de ces incidents,
qui a amené les gardes du Dahomey à rétablir l’ordre sur une île en face
de Gaya (Niger), que le chef de cette subdivision, sous couvert du com-
mandant du cercle de Dosso, a demandé au gouverneur du Niger, par

lettre du 23 juillet 1954, «tous renseignements utiles sur les îles du fleuve
appartenant au Niger ou au Dahomey» (contre-mémoire du Niger,
annexe C120).
32. Parallèlement, le commandant du cercle de Kandi (Dahomey) s’est
enquis, de son côté, auprès du gouverneur de la colonie, M. Bonfy, de

l’appertenance de l’île située en face de Gaya. Ce dernier, par une lettre
du 1 juillet 1954, n’a souvenir que des arrêtés de 1934 et de 1938 et
estime que ces textes sont «muets sur la question» puisqu’ils se réfèrent
au «cours du Niger». Mais il reconnaît que le problème de l’apparte-

nance a été posé à plusieurs reprises car selon lui:
«tout le long des rives du fleuve un constant mouvement de popula-

tion s’est produit selon les saisons ou l’état des pâturages ou lorsqu’il
s’agissait d’échapper au paiement de l’impôt, de la taxe sur le bétail
ou du droit de pacage» (lettre n o 992/APA, mémoire du Bénin,
annexe 66).

Pour la première fois, des administrateurs reconnaissent l’inefficience
du modus vivendi pour régler les différends entre Peulhs, et soulèvent

auprès de leur supérieur hiérarchique, la question de la répartition terri-
toriale des îles entre les deux colonies.
33. En réponse au chef de la subdivision de Gaya, le gouverneur par
intérim Raynier, par lettre du 27 août 1954, l’informe que

«la limite du Territoire du Niger est constituée de la ligne par des
plus hautes eaux, côté rive gauche du fleuve, à partir du village de

Bandofay jusqu’à la frontière de Nigéria. En conséquence, toutes les
îles situées dans cette partie du fleuve font partie du Territoire du
Dahomey.» (Lettre n 3722/APA, mémoire du Bénin, annexe 67.)

34. Le gouverneur Raynier n’a tout de même pas inventé cette limite à
la rive gauche, surtout qu’elle n’opère pas en faveur de la colonie qu’il
administre. A notre avis, il ne l’a fait qu’en ayant à l’esprit les textes fon-

73 FRONTIER DISPUTE (DISS.OP .BENNOUNA ) 159

between the two colonies, and were little concerned as to its precise loca-

tion — on the bank, on the median line or at the thalweg. This is in all
probability why the arrêtés of 7 December 1934 and 27 October 1938,
“reorganizing the territorial divisions of the colony of Dahomey”, referred
to the “course of the Niger” as the north-eastern boundary of the frontier
cercle of Kandi.

However, these texts, whose primary concern was economic and admin-
istrative harmonization, took no account of the practice adopted since
1914 by local officials on both banks in order to settle disputes between
Peuhls who grazed their herds on the islands.
31. Nevertheless, that practice did not suffice to prevent numerous dis-

putes over grazing on the islands, which sometimes required intervention
by security forces from one or other of the colonies. It was after one of
these incidents, which had required intervention by Dahomeyan forces in
order to restore order on an island opposite Gaya (Niger), that the head

of that subdivision wrote to the Governor of Niger on 23 July 1954,
through the commandant of the cercle of Dosso, asking for “all relevant
information regarding the islands in the river belonging to Niger or to
Dahomey” (Counter-Memorial of Niger, Annex C120).
32. At the same time, the commandant of the cercle of Kandi (Daho-

mey) wrote to the Governor of the colony, Mr. Bonfy, asking to whom
the island located opposite Gaya belonged. In a letter of 1 July 1954, the
latter stated that he could recall only the arrêtés of 1934 and 1938 and
that these instruments were “silent on the question”, referring simply to
the “course of the Niger”. However, he acknowledged that the problem

of ownership of the islands had arisen a number of times, because
“all along the river’s banks there are constant population move-

ments according to the seasons or to grazing conditions, or when the
inhabitants seek to escape payment of income or livestock taxes
or grazing charges” (letter No. 992/APA, Memorial of Benin,
Annex 66).

For the first time, administrators recognized the ineffectiveness of the
modus vivendi for settling disputes between Peuhls and raised with their
superiors the question of the territorial attribution of the islands between

the two colonies.
33. In reply to the head of the Gaya subdivision, Governor ad interim
Raynier informed him by letter of 27 August 1954 that

“[t]he boundary of the Territory of Niger is constituted by the line of
highest water, on the left bank of the river, from the village of
Bandofay to the frontier of Nigeria [and that] [c]onsequently all the
islands situated in this part of the river form part of the Territory of

Dahomey” (letter No. 3722/APA, Memorial of Benin, Annex 67).
34. However, Governor Raynier did not invent this boundary on the

left bank, particularly as it was unfavourable to the colony under his
administration. In our view, he was simply taking account of the found-

73160 DIFFÉREND FRONTALIER OP .DISS. BENNOUNA )

dateurs de 1900 et les conditions de la création de la colonie du Niger.
C’est pour cela que cette lettre du gouverneur n’a de sens que si on la relie
à ces textes, même si ceux-ci n’y sont pas référenciés. Le gouverneur du

Niger ne peut avoir répondu à la légère, sachant que sa lettre aura des
conséquences sur le terrain.
35. La lettre du gouverneur Raynier du 27 août 1954 n’est pas une
simple missive interne à la colonie du Niger, ne pouvant avoir aucun effet
en dehors de celle-ci. Le commandant du cercle de Dosso (Niger), desti-

nataire de la lettre, l’a répercutée le 27 octobre suivant sur son alter ego
de l’autre côté du fleuve, le commandant du cercle de Kandi (Dahomey),
précisant que «la limite territoriale ... donne satisfaction entière au Daho-
mey» et lui demandant s’il ne voit pas «d’inconvénients à ce que ces ins-

tallations [de la subdivision de oaya sur les îles] soient maintenues, au
moins provisoirement» (lettre n 576, mémoire du Bénin, annexe 68).

36. Le commandant du cercle de Kandi, M. Daguzay, devait, de son

côté, en informer, par lettre du 12 novembre 1954, le gouverneur du
Dahomey en ajoutant qu’il émettait «un avis favorable au maintien de la
tolérance laissée aux Nigériens d’y maintenir leurs installations».
37. Cette série de correspondances se termine par une lettre du gou-
verneur du Dahomey à son homologue du Niger, prenant acte de la

limite de la colonie du Niger à la rive gauche du fleuve, et se déclarant
disposé à ne pas contester «les droits coutumiers des habitants du Niger
sur certaines de ces îles» ni à soulever la question des «installations» exis-
tantes, et demandant finalement «les références des textes ou accords
o
déterminant ces limites» (lettre n 2475/APA du 11 décembre 1954,
mémoire du Bénin, annexe 70).
Manifestement le gouverneur du Dahomey ne s’est pas livré à des
recherches au-delà des arrêtés «imprécis» de 1934 et 1938. Quant au gou-
verneur du Niger, il n’a pas jugé nécessaire de répondre à sa requête.

38. Il n’en demeure pas moins que les administrateurs ont admis la
fixation de la frontière à la rive gauche du fleuve Niger, renouant ainsi
avec les textes fondateurs de 1900. Quant à la lettre de 1954, elle est inter-
venue dans un contexte d’incertitude totale quant à l’appartenance, à

l’une ou l’autre des colonies, des différentes îles sur le fleuve, seule ques-
tion réellement en litige dans la détermination de la frontière entre les
deux colonies. Les administrateurs s’occupaient jusque-là des droits des
populations qui se déplaçaient sur les îles et non des droits territoriaux

des colonies.
39. On s’est demandé pourquoi la lettre du gouverneur Raynier, du
27 août 1954, s’en est tenue à la limite «entre la localité de Bandofay et la
frontière du Niger». En réalité, il s’agit précisément de la partie du fleuve
où sont situées les îles objets du litige. Au demeurant, c’est lorsque la

terre en litige a plus d’importance que la navigation et qu’au surplus le
cours du fleuve est instable qu’on a eu recours à la limite à la rive, notam-
ment au cours de la période coloniale.
On retrouve également, au cours de cette même période, «la limite à la

74 FRONTIER DISPUTE (DISS.OP .BENNOUNA ) 160

ing texts of 1900 and of the circumstances in which the colony of Niger

was created. That is why the Governor’s letter only makes sense if read in
conjunction with those texts, even though it makes no specific reference
to them. The Governor of Niger could not have given his response
lightly, knowing that his letter would have consequences on the ground.
35. Governor Raynier’s letter of 27 August 1954 is not a simple com-

munication internal to the colony of Niger, incapable of having any
effect outside it. On 27 October, the commandant of the cercle of Dosso
(Niger), to whom the letter was addressed, passed it on to his counterpart
on the other side of the river, the commandant of the cercle of Kandi
(Dahomey), explaining that “the territorial boundary . . . is entirely

favourable to Dahomey” and asking him if he would have “any objection
to these facilities [facilities of Gaya subdivision located on the island]
being retained there, at least for the time being” (letter No. 576, Memo-
rial of Benin, Annex 68).

36. The commandant of the cercle of Kandi, Mr. Daguzay, passed this
information to the Governor of Dahomey in a letter of 12 November
1954, adding that he was “in favour of continuing to allow Niger to
retain its facilities there”.
37. This correspondence ends with a letter from the Governor of

Dahomey to his counterpart in Niger, taking note of the fact that the
boundary of the colony of Niger was located on the left bank of the river
and declaring himself prepared not to dispute “the customary rights of
the inhabitants of Niger over certain of these islands”, or to raise the
question of the existing “facilities”, and requesting finally “references to

the instruments or agreements determining those boundaries” (letter
No. 2475/APA of 11 December 1954, Memorial of Benin, Annex 70).
Clearly, the Governor of Dahomey did not conduct any research going
beyond the “imprecise” arrêtés of 1934 and 1938, whilst the Governor of
Niger did not see fit to reply to his enquiry.

38. The fact remains that administrators accepted that the boundary
lay on the left bank of the River Niger, thus going back to the founding
texts of 1900. The letter of 1954 was written in a context of total uncer-
tainty regarding the attribution as between the colonies of the various
islands in the river, which was the only question really at issue in the

determination of the boundary between the two colonies. Up to that time
administrators had concerned themselves with the rights of the local
population moving to and from the islands and not with the territorial
rights of the two colonies.
39. It has been asked why Governor Raynier’s letter of 27 August

1954 restricted itself to the boundary “between Bandofay and the frontier
with Nigeria”. In reality, it was precisely along this stretch of the river
that the disputed islands were located. Moreover, it was when the land in
dispute was of greater importance than navigation, and the course of the
river was in any case unstable, that boundaries were placed on river

banks, particularly during the colonial period.
Furthermore, during this same period we find “the boundary on the

74161 DIFFÉREND FRONTALIER OP .DISS. BENNOUNA )

rive» définie comme «la ligne des plus hautes eaux», ce qui exclut toute

revendication des berges inondées. Le Bénin n’a d’ailleurs réclamé, à la
faveur de cette définition, aucun droit sur une quelconque portion du ter-
ritoire du Niger sur la rive gauche.
40. A notre avis, la lettre de Raynier du 27 août 1954 est venue rap-
peler le titre du Dahomey, établi en 1900, sur la partie frontalière du

fleuve avec le Niger et sur les îles qui s’y trouvent. La réaction que cette
lettre a suscitée montre l’inexistence d’un titre concurrent en 1954 et
jusqu’en août 1960, «date critique» pour l’appréciation du différend ter-
ritorial entre le Bénin et le Niger.
En effet, si le modus vivendi de 1914 ne pouvait constituer un titre juri-

dique, les arrêtés de 1934 et de 1938, quant à eux, en se référant au
«cours du fleuve», sans précision, n’avaient aucune vocation à fixer la
frontière entre les deux colonies, même s’ils rappellent le cadre de celle-ci.

B. Les effectivités du Bénin prévalent, à la date critique, sur celles du
Niger, pour la fixation de la frontière à la rive gauche

41. Si la Chambre n’a pu voir dans la lettre du gouverneur Raynier
«une confirmation» d’une limite, qui selon elle n’a pas été établie en

1900, elle n’en ajoute pas moins qu’elle a «toutefois conscience que la
lettre du 27 août 1954 a pu produire certaines effectivités» (arrêt, par.
65 et 67). C’est ce qui amènera la Chambre à consacrer des développe-
ments distincts (arrêt, par. 89 et suiv.) à «la question des effectivités
pour la période allant de 1954 à la date critique de 1960», reconnaissant

que pendant cette période «le Dahomey a de plus en plus souvent pré-
tendu détenir le droit d’administrer l’île de Lété».
42. C’est en effet par référence à la lettre de 1954 que les administra-
teurs vont exprimer de plus en plus clairement l’animus, leur volonté
d’agir en tant que détenteurs exclusifs de l’autorité territoriale sur les îles

du fleuve et en particulier sur la plus importante et la plus significative
d’entre elles, l’île de Lété. Cette volonté s’exprimait notamment au tra-
vers de la perception de taxes, pour les droits de pacage, par les adminis-
trateurs du Dahomey et par l’intervention des gardes de cette colonie, en
cas de contestation ou d’incident, en vue de rétablir l’ordre.

Le meilleur témoignage de cet état de fait a été fourni en 1964 par
l’administrateur Daguzay qui a administré le cercle de Kandi:

«A cette époque [1954-1956], le territoire du Niger et les habitants
de la subdivision de Gaya considéraient bien que l’île de l’ETE (sic)
appartenait au Dahomey; pour prouver leurs sentiments amicaux les
habitants de Malanville [Dahomey] permettaient à ceux de Gaya d’y

faire paître leurs troupeaux. Il n’y avait donc à l’époque aucune
contestation.» (Mémoire du Bénin, annexe 87.)

43. Il est établi, en tout cas, à partir de 1954 que les administrateurs du
Dahomey se comportaient sur l’île de Lété en autorités territoriales,

75 FRONTIER DISPUTE DISS. OP. BENNOUNA ) 161

bank” being defined as “the line of highest water”, excluding any claim to

flooded banks. Benin has, moreover, never sought to use this definition
of the boundary in order to lay claim to any portion of Niger’s territory
on the left bank.
40. I consider that Raynier’s letter of 27 August 1954 constituted a
reminder that Dahomey had title, as established in 1900, over the bound-

ary portion of the river with Niger and over the islands situated therein.
The reaction to this letter shows that there was no competing title in 1954
and right up to August 1960, the “critical date” for determination of the
territorial dispute between Benin and Niger.
Thus, while the modus vivendi of 1914 could not constitute a legal title,

the arrêtés of 1934 and 1938, by referring to the “course of the river”,
without further precision, were not intended to fix the boundary between
the two colonies, although they described its general course.

B. The Effectivités of Benin Prevail at the Critical Date over Those of
Niger, and Place the Boundary on the Left Bank

41. Whilst the Chamber was unable to discover any “confirmation” of
a boundary in the letter from Governor Raynier, since in its view no

boundary was established in 1900, it nonetheless adds that it is, “how-
ever, aware of the fact that the letter of 27 August 1954 may have led to
certain effectivités“ (Judgment, paras. 65 and 67). The Chamber accord-
ingly devoted a separate section of its reasoning (Judgment, paras. 89 et
seq.) to “the effectivités in the period from 1954 until the critical date in

1960”, acknowledging that during this period “the claims of Dahomey to
be entitled to administer the island of Lété became more frequent”.
42. It was thus by reference to the 1954 letter that administrators
expressed with increasing clarity an “animus” or intention to act as exclu-
sive holders of territorial authority over the islands in the river, and in

particular the most important and significant one, Lété Island. That
intention was demonstrated in particular in the levying of taxes in respect
of grazing rights by officials from Dahomey and in the intervention of
the colony’s security forces to restore order in the event of disputes or
incidents.

The best evidence of this situation was furnished in 1964 by Comman-
dant Daguzay, who was responsible for the administration of the cercle
of Kandi:

“At that time [1954-1956], the Territory of Niger and the inhabi-
tants of the Subdivision of Gaya certainly considered that the Island
of l’ETE (sic) belonged to Dahomey; in order to demonstrate their
friendship, the inhabitants of Malanville [Dahomey] permitted those

of Gaya to use the island for grazing. There was thus no dispute at
that time.” (Memorial of Benin, Annex 87.)

43. It has been established, in any event, that from 1954 onwards offi-
cials from Dahomey exercised territorial authority over Lété Island,

75162 DIFFÉREND FRONTALIER (OP. DISS.BENNOUNA )

prélevant les taxes et intervenant pour le maintien de l’ordre comme le

relève la Chambre elle-même (arrêt, par. 90 et suiv.).
Qu’il y ait eu pendant la même période des séquelles des pratiques pré-
cédentes telles que le maintien de l’île de Lété sur la liste des bureaux de
vote du Niger, ceci tient aux pesanteurs d’administrations lentes à s’adap-
ter à la nouvelle situation née de l’échange des correspondances de 1954.

Or, ce qui compte, pour la preuve de l’uti possidetis juris, c’est «l’ins-
tantané territorial», soit le dernier état des effectivités et de la perception
du statut du territoire en litige. Et celles-ci incontestablement penchaient
du côté de l’appartenance des îles, et notamment de l’île de Lété, au
Dahomey.

44. La Chambre est consciente du profond changement intervenu en
1954 et des changements intervenus dans les effectivités, au cours de la
période 1954-1960 et elle admet que «la situation n’est pas aussi claire»
qu’auparavant (arrêt, par. 100). Pourtant, sous l’effet de la pratique née

du pseudo modus vivendi de 1914, elle donnera l’avantage aux effectivités
du Niger et se prononcera en faveur «de la ligne des sondages les plus
profonds du fleuve Niger» comme frontière entre les deux colonies, sans
prouver que celle-ci a été maintenue et respectée, après 1954, et qu’elle
l’était à la «date critique» en 1960.

45. Certes, comme le rappelle la Chambre (arrêt, par. 102), on ne peut
transposer purement et simplement «le concept d’intention et de volonté
d’agir à titre de souverain» pour apprécier le comportement de la puis-
sance coloniale dans ses colonies et donc les effectivités. Cela ne veut pas
dire pourtant qu’il ne faille pas le faire en l’adaptant à la situation d’une

puissance coloniale, car c’est le seul moyen de distinguer entre les actes de
tolérance (comme ceux à l’égard des Peulhs pratiquant le pâturage) et
l’exercice de l’autorité territoriale.
46. Il est certain que la coexistence entre les droits territoriaux et la
simple tolérance d’autres populations, dans l’île de Lété, peut créer des

tensions et même dégénérer en graves incidents, comme ceux qui ont
entraîné dans la nuit du 29 juin 1960 la mort de quatre Peulhs et l’incen-
die de plusieurs habitations.
C’est le commandant du cercle de Kandi qui devait informer le
ministre de l’intérieur du Dahomey, comme le relève la Chambre (arrêt,

par. 96), que l’ordre avait été rétabli, même si l’unité de police installée
sur l’île provenait des deux colonies (ce qui au demeurant se justifie par
les affrontements des populations des deux rives). Quoi qu’il en soit, le
premier ministre du Dahomey, invoquant la lettre de 1954, devait consi-
dérer le 29 juillet 1960, que la question territoriale était déjà réglée.

Il nous paraît de ce fait, que «l’instantané» territorial plaidait pour un
legs colonial sur l’île de Lété en faveur du Dahomey.

47. Je considère, en conclusion, que la frontière entre le Bénin et le

Niger, dans le secteur du fleuve Niger, se situe à la rive gauche du fleuve
Niger, sur la base du titre juridique établi en 1900, et réaffirmé clairement

76 FRONTIER DISPUTE (DISS.OP. BENNOUNA ) 162

collecting taxes and intervening to restore order, as the Chamber itself

notes (Judgment, paras. 90 et seq.).
The fact that, during the same period, certain prior practices were con-
tinued, such as the retention of Lété Island on the list of Niger’s polling
stations, can be explained by the slowness of the administration in adapt-
ing to the new situation resulting from the 1954 exchange of letters.

However, what counts in order to establish the uti possidetis juris is the
“photograph of the territory”, that is to say, the latest state of the effec-
tivités and of how the status of the territory at issue was perceived. And
those elements unquestionably tip the balance in favour of attribution of
the islands, and in particular Lété Island, to Dahomey.

44. The Chamber is aware of the significant development that occurred
in 1954 and of the changes in the effectivités during the period 1954-1960,
acknowledging that “[t]he situation is less clear” than before (Judgment,
para. 100). However, influenced by the practice arising from the so-called

“modus vivendi” of 1914, the Chamber gives preference to the effectivités
of Niger and finds that the boundary between the two colonies follows
“the line of deepest soundings in the River Niger”, without showing that
such a boundary was retained and respected after 1954, or that this was
still the case at the “critical date” in 1960.

45. True, as the Chamber recalls (Judgment, para. 102), the “concept
of the intention and will to act as sovereign” cannot purely and simply be
“transplanted” in order to assess the conduct of a colonial authority in its
colonies, and thus the effectivités. However, that does not mean to say
that this should not be done by adapting the concept to the situation of

a colonial authority, for that is the only way to distinguish between acts
of toleration (for example, in regard to grazing by the Peuhls) and the
exercise of territorial authority.
46. There is no doubt that the coexistence of territorial rights on Lété
Island with simple toleration of members of other groups was capable of

creating tension and even degenerating into serious incidents, such as
those which, during the night of 29 June 1960, led to the death of four
Peuhls and the burning of several dwellings.
It was, as the Chamber notes (Judgment, para. 96), the commandant of
the cercle of Kandi who was responsible for informing the Minister of

the Interior of Dahomey that order had been restored, even though the
police unit stationed on the island came from both colonies (which was
justified by the fact that the clashes involved inhabitants from both
banks). In any event, the Prime Minister of Dahomey, citing the 1954
letter, considered on 29 July 1960 that the territorial question had already

been settled.
It is therefore apparent to me that, according to the territorial
“photograph”, the colonial heritage with respect to Lété Island was in
favour of Dahomey.
47. I accordingly conclude that the boundary between Benin and

Niger in the River Niger sector is situated on the left bank of the River
Niger, on the basis of the legal title established in 1900 and clearly

76163 DIFFÉREND FRONTALIER OP .DISS. BENNOUNA )

dans les relations entre les deux colonies en 1954. Il en découle l’appar-
tenance de toutes les îles du fleuve Niger au Bénin. D’autre part, les
effectivités sur les îles de 1954 à 1960 attestent également cette appar-

tenance.
48. Quant à la question du tracé de la frontière sur les deux ponts qui
enjambent le fleuve Niger (reliant Gaya à Malanville), je ne peux me ral-
lier à l’interprétation que fait la Chambre du compromis du 15 juin 2001,
estimant que, ces ponts faisant partie «du secteur du fleuve Niger», elle

est habilitée à se prononcer à leur sujet.
Le compromis doit être interprété stricto sensu comme concernant le
fleuve Niger (colonne d’eau et rives, y compris les îles); si les Parties
entendaient que la Chambre procédât également au tracé de la frontière

sur les ponts, ils l’auraient spécifié comme ils l’ont fait pour les îles. Aussi,
j’estime que la Chambre a outrepassé sa compétence et le mandat qui
lui a été confié par les Parties en traçant la frontière sur les ponts qui
enjambent le fleuve; d’autant plus qu’il n’existait pas, à notre connais-

sance, de différend entre les Parties sur ce tracé, au moment de la
conclusion du compromis et de la saisine de la Chambre.
Il appartient aux Parties de faire produire à l’arrêt tous ses effets, y
compris la coopération sur le fleuve et la délimitation de la frontière sur
les ponts qui enjambent ou viendraient à enjamber le fleuve.

49. Certes, le Bénin et le Niger ne sont responsables, ni l’un ni l’autre,
du passé colonial qu’ils ont hérité à leur indépendance. Il est cependant à
l’honneur de ces deux pays d’avoir choisi la voie du règlement judiciaire
de leur différend frontalier et de s’être engagés à poursuivre leur coopéra-

tion sur les cours d’eau frontaliers que sont le Niger et la Mékrou, quel
que soit l’arrêt de la Chambre.

(Signé) Mohamed B ENNOUNA .

77 FRONTIER DISPUTE DISS. OP. BENNOUNA ) 163

reaffirmed in relations between the two colonies in 1954. Consequently,
all the islands in the River Niger belong to Benin. Moreover, the effecti-
vités on the islands from 1954 to 1960 also support such an attribution.

48. Turning to the question of the course of the boundary on the two
bridges which cross the River Niger, I cannot agree with the Chamber’s
interpretation of the Special Agreement of 15 June 2001, when it con-
siders that, since those bridges form part of the “River Niger sector”,

it is entitled to rule on the matter.
The Special Agreement must be interpreted stricto sensu as concerning
the River Niger (waterway and banks, including the islands); if the
Parties had intended the Chamber also to fix the course of the boundary

on the bridges, they would have stipulated this as they did for the islands.
I thus consider that the Chamber has exceeded its jurisdiction and the
mandate entrusted to it by the Parties in fixing the boundary on the
bridges which cross the river.

It is for the Parties to ensure that full effect is given to the Judgment,
including with respect to co-operation on the river and the delimitation
of the boundary on any present or future bridges crossing it.

49. It is true that neither Benin nor Niger is responsible for the colo-
nial history that they inherited on independence. The two countries
should be credited for having sought a judicial settlement of their border
dispute and for having undertaken to pursue their co-operation in respect

of the boundary rivers, the Niger and the Mekrou, whatever the terms of
the Judgment rendered by the Chamber.

(Signed) Mohamed B ENNOUNA .

77

Document file FR
Document Long Title

Opinion dissidente de M. Bennouna, juge ad hoc

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