Opinion individuelle de M. Kooijmans (traduction)

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096-19981204-JUD-01-04-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. KOOIJMANS

[Traduction]

L'arrêttémoigne delafaiblesse intrinsèque dusystème de la clausefaculta-
tive- Réservesaux déclarations d'acceptationde lajuridiction obligatoirefor-
mulées envertu duparagraphe2 de l'article36 du Statut - Laformulation de
telles réservesn'ajamais été contestée à condition de ne pas êtreincompatible
avec leStatut lui-même - En concluant quela réserve canadienne est valide,la
Coura interprété correctemenlte droit - Le Canadaaformulésa réserve dans
le but d'empêcherla Cour d'examiner la licéitéd'actes qu'il s'apprêtait à
accomplir - Cohérencede cette démarcheavec sapréférence déclarée pouunr
règlementjudiciaire - Le libre choix des moyens et l'acceptationde lajuridic-
tion obligatoire- Le système de la clausefacultative fait partie intégrante du

Statut et en est un élémene tssentiel. Rôle de la Couràcet égard - Lajuridic-
tion obligatoire n'est passimplement unmoyenparmi d'autresde régler desdg-
férendsjuridiques.

1. J'ai votéen faveur de la décision dela Cour selon laquelle elle n'a
pas compétencepour se prononcer sur le différendqui lui a étésoumis
par l'Espagne, ce litige étantcouvert par la réserveformulée à l'alinéad)
du paragraphe 2 de la déclaration d'acceptation de la juridiction obliga-
toire de la Cour formulée par le Canada le 10mai 1994. Mais c'est le

cŒurlourd que j'ai émiscevote, car j'ai vivement conscience que cet arrêt
- s'il est sans nul doute conforme au droit international en son état
actuel - témoigne dela faiblesseintrinsèquedu systèmede lajuridiction
obligatoire, dit aussi système de la clause facultative, mis en place en
vertu du paragraphe 2 de l'article 36du Statut, tel qu'ila pris forme au fil
du temps.

2. Quoique ce systèmeait été institué en 1920puis confirméen 1945
en tant qu'expression du principe selon lequel le règlementjudiciaire des
différendsjuridiques internationaux est souhaitable et doit être recher-
chési d'autres modes de règlement ont échouéou n'ont pu permettre de
trouver une solution, on est loin d'approcher de cet idéaldans la pra-

tique.
3. Il est vraiment paradoxal que la Société desNations, alors même
qu'elle s'efforçaitd'amener les Etats à accepter lajuridiction de la Cour,
ait donné son aval à la formulation de réserves à cette acceptation (quoi-
que le paragraphe 3 de l'article 36 du Statut n'autorise pas expressément
un Etat déclarant à formuler de telles réserves):ce faisant, elle a affaibli

le systèmequ'elle essayait de renforcer.
Le recours aux réservesétaitdevenu sicourant et servait des objectifs si
divers qu'en 1955,M. Humphrey Waldock fit cette mise en garde:

((l'attitude des Etats à l'égard dela clause facultativerisque de dégé- COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.IND.KOOIJMANS) 490

nérer pour devenir simplement de l'opportunisme, si ceux-ci for-
mulent, annulent et modifient leurs déclarations au gré de leurs
intérêtsimmédiats))'[traduction du Greffe].

4. Le droit des Etats d'assortir de réserves leurdéclarationd'accepta-
tion est reconnu depuis longtemps; bien plus, il n'a jamais été contesté,
comme en témoignele fait que l'on n'a mêmepas jugé nécessairede
l'incorporer expressémentau Statut lorsque la présenteCour a étéinsti-
tuée,en 1945. A la conférencede San Francisco, le sous-comitéD du
comitéIV11a déclaré,dans son rapport en date du 31 mai 1945:

«On sait que l'article 36 (du Statut) a constamment étéinterprété
dans le passé commepermettant aux Etats acceptant la compétence
de la Cour d'accompagner cette déclaration de réserves.Le sous-

comitéa considérécette interprétationcommedésormaisfixée.Il a, en
conséquence,jugé superflu de modifier leparagraphe 3 de l'article 36
en y mentionnant expressémentla facultépour les Etats de formuler
des réserves.2

5. Depuis cette époque,le seulpoint qui a étécontroverséà cet égardest
celui de savoir si des réservesincompatibles avec le Statut lui-mêmesont
recevables.Quoique la Cour n'ait elle-mêmjeamais pris positionà ce sujet,
la question des réservesdites «automatiques» et de leur validitéau titre du
Statut a fait l'objet devifsdébatsl'occasion del'affairerelatiàeCertains
empruntsnorvégiens et de l'affairede l'lnterhandel.SelonM. Lauterpacht et
plusieurs desescollègues, leparagraphe 6 de l'article36 du Statut autorise
expressémentla Cour et non 1'Etatdéclarant à décidersi la Cour est com-
pétente pour connaître d'un différend. Une réserveaux termes de laquelle

1'Etatdéclarantse réservele droit de décidersi un litige relèveintrinsèque-
ment de sa juridiction nationale est ((contraiàune disposition expresse))
du Statut et doit par conséquent êtrconsidérée commn eon valide.
6. Dans l'opinion individuelle restée célèbre qu'ial rédigàepropos de
l'affaire relative Certains emprunts norvégiens,M. Lauterpacht n'a
cependant à aucun moment mis en doute le droit des Etats de faire des
réserves,pour autant que celles-cine puissent pas êtreconsidérées comme
contraires au Statut.Il a explicitement déclaré:

«En acceptant la juridiction de la Cour, les gouvernements sont
libres de la limiter de façon radicale.peut en résulterque le champ
d'application de l'acceptation de lajuridiction de la Cour soit réduit
àpeu de choses. Les gouvernements ont, en tant que dépositairesdes
intérêtsqui leur sont confiés, pleinement le droit d'agir de cette

manière.»

'C. H. M. Waldock, ((Decline of the Optional Clause)), British Year Book of Interna-
tional Law,ol. 32, 1955-1956,p. 283.
UNCZO, XIII, p. 564, doc. 702.
Certains emprunts norvégiens,arrêt,C.1.J. Recueil 1957, p. 46. COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. IND. KOOIJMANS) 491

La Cour a adopté un point de vue semblable dans l'affaire des Acti-
vités militaireset paramilitaires au Nicaraguaet contre celui-ci (Nicara-
gua c. Etats-Unis d'Amérique) lorsqu'elle a déclaré:

«Les déclarations d'acceptation de lajuridiction obligatoire de la
Cour sont des engagements facultatifs, de caractère unilatéral, que
les Etats ont toute libertéde souscrireou de ne pas souscrire.L'Etat
est libre en outre soit de faire une déclaration sans condition et sans

limite de durée, soit de l'assortir de conditions ou de réserves.>b4
(Citéau paragraphe 54 du présentarrêt.)
7. Je n'ai d'ailleurs observé,dans la doctrine, nulle tendanceà limiter

la licéité- notion qui n'a rien à voir avec celle d'opportunité - des
réservesfaites aux déclarations d'acceptation (à l'exception des réserves
portant atteinte au Statut). Je ne peux donc que partager l'opinion de la
Cour, expriméeau paragraphe 54 de l'arrêt,selon laquelle «[l]efait qu'un
Etat puisse éprouverdes doutes quant à la compatibilité de certains de
ses actes avec le droit international ne constitue pas une exception au
principe du consentement àlajuridiction de la Cour et àla libertéde for-
muler des réserves)).La Cour est tenue d'appliquer le droit tel qu'il estet

je n'ai trouvénulle trace, dans la pratique des Etats, de quoi que ce soit
qui contredise l'opinion de la Cour.
8. Pourtant, je suis convaincu que les choses ne doivent pas en rester
là. Le Canada a, en l'espèce, modifiésa déclaration d'acceptation et
introduit une nouvelle réserve dans le but précis d'empêcherla Cour
d'examiner la licéitéd'une action qu'il s'apprêtait entreprendre. L'éven-
tail des réservesémisesest vaste, mais il est rare qu'un Etat ait modifié
une déclaration parce qu'il prévoyait qu'un certain différendallait être
porté devantla Cour. Merrills en cite trois exemples: en 1954,l7Austra-

lie a modifiésa déclarationen prévisiond'un litige avecle Japon à propos
des pêchesde perles; en 1955,le Royaume-Uni a émisune réserveen vue
de prévenirune procédure à propos de l'arbitrage Buraini; enfin, en 1970,
le Canada a émisune nouvelle réserveconcernant la promulgation de la
loi sur la prévention de la pollution des eaux de l'Arctique. La réserve
faite par le Canada en 1994peut désormais s'ajouter à cette liste.
9. L'incertitude ou- selon lestermes utiliséspar la Cour - lesdoutes
éprouvéspar un Etat quant à la compatibilitédes actes qu'il projette avec

le droit international, doutes qui l'ont amené à déposer une nouvelle
réserve,ont fort bien étédécritspar le premier ministre du Canada de
l'époque alors qu'il exposaitla raison d'êtrede la réserveémise à propos
de la loi sur la prévention de la pollution des eaux de l'Arctique. Le
8 avril 1970,il déclaraità la Chambre des communes:

Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c. Etats-Unis d'Amérique), compétence et recev,rrêt,C.I.J. Recueil 1984, p. 418,
par. 59.
J. G. Merrills, «The Optional Clause Today)), British Year Book of International
Law, vol. 50, 1979,p. 94. COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.IND. KOOIJMANS) 492

((Mais le Canada n'est pas disposé à s'engagerdans des actions en
justice avec d'autres Etats sur des questions vitales lorsque le droit
est insuffisant ou inexistant et n'offre donc pas de fondement solide
pour une décision de justice.Nous avons donc présenté cette nou-
velle réserve..qui porte sur des aspects du droit de la mer qui sont
peu développésou inadéquats. ))

C'estun raisonnement analogue qui sembleêtre à la base de la réserve
de 1994.

10. Ainsiqu'ilressort clairement de la déclarationprécitée, unEtat qui
prend une initiativeunilatérale dans un domaine où le droit international
semble en pleine évolutiona bien conscience que son action est proba-
blement de nature à susciter des litiges avec d'autres Etats. Il peut préfé-
rer que ces différendssoient régléspar d'autres moyens que la voiejudi-
ciaireparce qu'il estimeque cesmoyens permettront peut-être de trouver
une solution qui sera en fin de compte plus satisfaisante pour tous les
Etats intéressés. Enl'état actueldu droit international, lesEtats sont par-
faitement fondés àagir ainsi. Au paragraphe 56 de son arrêt, laCour se
réfère à cet égardau principe du libre choix des moyens consacrépar

l'article3 de la Charte.
11. Mais en l'espèce,le Canada avait effectivement fait un choix et
s'étaitde fait engagé à recourir à un mode particulier de règlementdes
différends enacceptant la juridiction obligatoire de la Cour. Il est vrai
qu'il avait expressémentstipulé, dans sa déclarationde 1985,qu'il pou-
vait àtout moment abroger son acceptation de lajuridiction obligatoire
de la Cour, ou compléter,modifier ou retirer les réservesformuléesdans
sa déclaration;c'est précisémencte qu'il a fait lorsqu'il a déposésa nou-
velle déclarationle 10mai 1994.
12. Un Etat qui a la faculté d'abrogerà tout moment son acceptation

de lajuridiction obligatoire de la Cour est du mêmecoup en droit de limi-
ter l'étendue decette acceptation. La question que l'on doit àmon avis
soulever n'a donc aucune portée juridique mais paraît néanmoinslégi-
time. Cette question, qui se pose en l'espèce(mais non pour la première
fois), est la suivante: jusqu'à quel point un Etat peut-il renforcer le sys-
tèmede lajuridiction obligatoire par le dépôt d'une déclaration d'accep-
tation tout en faisant des réservesqui en diminuent l'efficacité?
13. Le systèmede la clause facultative a étéinstituéafin de trouver un
compromis entre les Etats qui étaient favorables a un systèmeglobal de

règlementjudiciaireobligatoireet les autres Etats (uneminorité) quiesti-
maient que ce n'était pas(encore) souhaitable et que par conséquent
c'était irréalisable. Lorsqu'unEtat accepte la juridiction obligatoire en
déposant une déclaration d'acceptation,il indique par la qu'il considère
qu'un règlementjudiciaire estle mode de règlementpar une tierce partie

-
Citédans R. St. J. Macdonald, «The New Canadian Declaration of Acceptance of the
Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice)), Canadian Yearbook of
International Law, vol. 8, 1970,p. 3.

64 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. IND.KOOIJMANS) 493

le plus approprié pour les différendsd'ordre juridique qui ne peuvent être
réglés à l'amiable. Il peut assortir cette acceptation de certaines condi-
tions et réserves,rejoignant ainsi les Etats qui estimaient qu'un système
global était prématuré. En limitantla portée dela juridiction de la Cour
de manière excessive, on porte atteinte a la crédibilitédu système tout
entier; la sincéritédeYEtat déclarant qui se dit favorableà la juridiction
obligatoire s'en trouve elle aussi implicitement atténuée.
14. On a étéamenédans le passé à dkplorer, comme le faisait M. Wal-

dock cité plus haut, cette attitude de certains Etats qui restreignent la
compétencede la Cour de manière radicale. Or un problème d'un tout
autre ordre mais cependant comparable se pose si un Etat accepte la juri-
diction de la Cour de manière assez généreuse,puis à un moment donné,
la prive de toute compétencepour un litige dont il prévoitla survenue, en
modifiant sa déclaration. La confiance témoignéepar un Etat à l'égard
du systèmejudiciaire et de la Cour, attestée par le fait qu'il accepte de
soumettre un large éventail de différendsjuridiques pouvant se produire
mais non imminents à un règlement judiciaire, est dans une certaine
mesure neutraliséepar le fait qu'il soustraitla juridiction de la Cour un
différenddont il prévoitla survenue et donc probablement imminent.

15. Le systèmede la clause facultative est fragile. Les grandes espé-
rances des fondateurs de la Cour permanente de Justiceinternationale ne
se sont pas concrétisées. L'espoir de voirs'instaurer un dispositif global
dejuridiction obligatoire a étéau plus haut dans les annéestrente mais à
présent,le mieux que l'on puisse dire est qu'il s'agit d'un idéal dontil faut
tenter de se rapprocher. Il n'en reste pas moins que de plus en plus
d'Etats se tournent vers la Cour, et que le nombre d'entre eux qui ont
déposé unedéclaration d'acceptation progresse lentement mais sûrement.
Dans ces conditions, j'estime que la Cour n'aurait pas outrepassé son
mandat en appelant l'attention sur la fragilité du dispositif de juridiction
obligatoire qui, prenant la forme du systèmede la clause facultative,fait
partie du Statut et en est un élément essentiel,et sur les dangers qui

pèsent sur lui. J'en suis d'autant plus convaincuque dans l'arrêt qu'elle a
rendu récemmentdans l'affaire de la Frontièreterrestreet maritime entre
le Cameroun et le Nigéria,exceptionspréliminaires,arrêt,C.I.J. Recueil
1998, la Cour a mis en exergue - sur un plan certes strictementjuridique
- l'importance de ce système.
16. On conviendra d'embléeque le système de la juridiction obliga-
toire n'est pas, ainsi que le croyaient de nombreux Etats en 1922et 1945,
la cléd'un monde pacifique et bien organisé.Mais il ne faut en aucun cas
sous-estimer le rôle crucial qu'il joue en tant que dispositif de règlement
des différendset plus généralement entant qu'élément del'ordre mon-
dial.A cet égard,il est peut-êtrebon de rappeler ce que déclara M. Bin

Cheng lors de la conférence del'association du droit international orga-
nisée àTokyo en 1964,en réponsea un collèguequi avait fait valoir qu'il
existait d'autres modes de règlement des différends internationaux qui
étaient probablement tout aussibons que les décisionsdes instancesjudi-
ciaires internationales. La déclaration de. Chengpeut paraître un peu COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.IND.KOOIJMANS) 494

trop catégorique,mais ellecomporte des élémentssur lesquels il convient
à mon avis de bien réfléchir,et peut-être davantage aujourd'hui qu'en
1964.
17. Voici ce que M. Cheng déclarait à cette occasion:

((L'acceptation de lajuridiction obligatoire des tribunaux interna-

tionaux n'est pas seulement une question de procédure, c'est aussi
une question de fond. En réalitée ,llemodifie lanature du droit régis-
sant les relations internationales. On peut considérerqu'il existe ...
différentsdegrésdu droit international. Tout d'abord, il y a un droit
international qui s'applique par auto-interprétation, lorsque lesEtats
n'ont pas acceptél'obligation de s'enremettre à un tribunal interna-
tional. En pareil cas, lorsqu'un litige seprésente,chaquepartie est en
droit de défendre sapropre interprétation du droit. ))

18. Il ajoutait:

((Mais lorsqu'un Etat a acceptépar avance l'obligation de s'en

remettre aux décisionsd'une instance judiciaire internationale, il ne
peut plus agir ainsi.Il doit toujours se comporter de telle sorte que,
s'il est appeléà comparaître devant ce tribunal, sa conduite ait au
moins une chance raisonnable d'être considérée commeacceptable.
En d'autres termes, lorsqu'un Etat accepte à l'avance de devoir en
référerà la Cour internationale ou rechercher un règlement d'arbi-
trage, le droit international qui lui est applicable change de nature.
On peut le qualifier de droit se prêtant à une décision judiciaire ou
arbitrale, et il est d'un ordre infiniment supérieurau droit interna-

tional de type auto-interprétatif.))

M. Cheng concluait :

«le règlement judiciaire obligatoire n'est pas simplement un moyen
comme un autre de réglerles différendsinternationaux. Il fait passer
le droit applicable entre les Etats concernésdu stade auto-interpré-
tatif au stade supérieur,celui où un recours judiciaire est possible»7

19. Ce point de vue semble être partagépar un autre éminentauteur
qui a appelé l'attention surle fait que:

«la fréquencedes règlements non judiciaires dans le systèmejuri-
diqueinterne résultepeut-êtreen partie de l'existencederecoursjudi-
ciaires; chaque partie sait qu'en cas d'échec de la recherche d'une
solution amiable, l'autre partie peut en référeraux tribunaux, avec

toutes les incertitudesque cela comporte ...Bien plus, la perspective
de devoir en venir en définitiveàun règlementjudiciaire influenéces-

International Law Association, ReportoftheFiftv-FiConferencT e,kyo, 1964,
p. 43-44.

66 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.IND.KOOIJMANS) 495

sairement sur la conception qu'ont du droit les parties; elles seront
inévitablementamenées à négocieret àconsidérerles différentespro-
positions de règlement en tenant compte de la façon dont elles pen-

sent qu'un tribunal tranchera. »8
20. Je n'irai certainement pas jusqu'à dire que le point de vue exposé
dans ces citations trouve pleinement son illustration dans le systèmede la

clause facultative tel qu'il s'est développéjusqu'à présent. Mais je suis
absolument convaincu que la substance de ce qu'elles expriment - à
savoir le fait que lajuridiction obligatoire n'est pas simplement un moyen
comme un autre de réglerdes différendsjuridiques - doit servir de réfé-
rence à la Cour lorsqu'elle réfléchitau systèmede la clause facultative.
Etant donné que l'arrêtde la Cour - aussi inéluctablesoit-il- ne nous

rapproche en rien des critères qualitatifs que je viens d'évoquer,c'est à
regret que j'ai votéen faveur de cette décision dela Cour; j'ai jugé néces-
saire de faire part de mes inquiétudes qui ne se limitent nullement à la
présenteaffaire.

(Signé) P. H. KOOIJMANS.

Richard Bilder, ((International Dispute Settlement and the Role of International
Adjudication)),dans. Fisler Damrosch, dir. pub]., The International Court of Justice at
a Crossroads,1987,p. 159-160.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF JUDGE KOOlJMANS

Judgment bears testimony to inherent weaknessof optional clausesystem -
Reservationsto declarationsof acceptanceof compulsory jurisdictionundevAr-
ticle36,paragraph2, of the Statute - Making of such reservationsneverbeen
controversial if not inconsistent with theStatute itself - Court'sfinding that
Canada's reservation is validcorrect interpretationof the law - Canada'sres-
ervation madetoprevent the Courtfrom scrutinizing the legalityof an actionit
intended to undertake - Consistency ofsuchpolicy withexpressedpreference
for judicial settlement - Free choice of means and acceptanceof compulsory
jurisdiction - Optional Clause system an integral and essential part of the
Statute. Role of the Courtinthis respect - Compulsoryjurisdiction not just
another method of settling legal disputes.

1. 1have voted in favour of the Court's findingthat it has no jurisdic-
tion to adjudicate upon the dispute submitted by Spain sincethis dispute
comes within the terms of the reservation contained in paragraph 2 (d)
of the Canadian declaration of acceptance of the Court's compulsory
jurisdiction of 10May 1994.1 have done so, however,with a heavy heart,
since 1 am fully aware that this Judgrnent - although undoubtedly in

conformity with international law as it presently stands - bears testi-
mony to the inherent weakness of the system of compulsoryjurisdiction
under Article 36, paragraph 2, of the Statute, also called the optional
clause system, as it has developed in the course of time.

2. Although this system was established in 1920 and reconfirmed in
1945as an expression of the idea that the settlement of international legal
disputes by adjudication is desirable and should be sought if other
methods of dispute-settlement have failed or are unable to proffer a
solution, it hardly has come near to that ideal in actual practice.

3. It is ironical indeed that the League of Nations, in its efforts to
encourageacceptance of the Court's jurisdiction, endorsedthe making of
reservations to such acceptance(although Article 36, paragraph 3, of the
Statute does not formally authorize a declarant State to make such res-
ervations), but by so doing weakened the system it tried to strengthen.

The use of reservations became so widespread and so varied that Pro-
fessor Humphrey Waldock in 1955warned that:

"the attitude of States towards the optional clause may degenerate OPINION INDIVIDUELLE DE M. KOOIJMANS

[Traduction]

L'arrêttémoigne delafaiblesse intrinsèque dusystème de la clausefaculta-
tive- Réservesaux déclarations d'acceptationde lajuridiction obligatoirefor-
mulées envertu duparagraphe2 de l'article36 du Statut - Laformulation de
telles réservesn'ajamais été contestée à condition de ne pas êtreincompatible
avec leStatut lui-même - En concluant quela réserve canadienne est valide,la
Coura interprété correctemenlte droit - Le Canadaaformulésa réserve dans
le but d'empêcherla Cour d'examiner la licéitéd'actes qu'il s'apprêtait à
accomplir - Cohérencede cette démarcheavec sapréférence déclarée pouunr
règlementjudiciaire - Le libre choix des moyens et l'acceptationde lajuridic-
tion obligatoire- Le système de la clausefacultative fait partie intégrante du

Statut et en est un élémene tssentiel. Rôle de la Couràcet égard - Lajuridic-
tion obligatoire n'est passimplement unmoyenparmi d'autresde régler desdg-
férendsjuridiques.

1. J'ai votéen faveur de la décision dela Cour selon laquelle elle n'a
pas compétencepour se prononcer sur le différendqui lui a étésoumis
par l'Espagne, ce litige étantcouvert par la réserveformulée à l'alinéad)
du paragraphe 2 de la déclaration d'acceptation de la juridiction obliga-
toire de la Cour formulée par le Canada le 10mai 1994. Mais c'est le

cŒurlourd que j'ai émiscevote, car j'ai vivement conscience que cet arrêt
- s'il est sans nul doute conforme au droit international en son état
actuel - témoigne dela faiblesseintrinsèquedu systèmede lajuridiction
obligatoire, dit aussi système de la clause facultative, mis en place en
vertu du paragraphe 2 de l'article 36du Statut, tel qu'ila pris forme au fil
du temps.

2. Quoique ce systèmeait été institué en 1920puis confirméen 1945
en tant qu'expression du principe selon lequel le règlementjudiciaire des
différendsjuridiques internationaux est souhaitable et doit être recher-
chési d'autres modes de règlement ont échouéou n'ont pu permettre de
trouver une solution, on est loin d'approcher de cet idéaldans la pra-

tique.
3. Il est vraiment paradoxal que la Société desNations, alors même
qu'elle s'efforçaitd'amener les Etats à accepter lajuridiction de la Cour,
ait donné son aval à la formulation de réserves à cette acceptation (quoi-
que le paragraphe 3 de l'article 36 du Statut n'autorise pas expressément
un Etat déclarant à formuler de telles réserves):ce faisant, elle a affaibli

le systèmequ'elle essayait de renforcer.
Le recours aux réservesétaitdevenu sicourant et servait des objectifs si
divers qu'en 1955,M. Humphrey Waldock fit cette mise en garde:

((l'attitude des Etats à l'égard dela clause facultativerisque de dégé- into one of pure opportunism, declarations being made, cancelled
and varied as the immediate interests of States may dictate"'.

4. The right of a State to make reservations to its declaration of

acceptance has long been recognized; in point of fact it never has been
even controversial. This is confirmed by the fact that it was not even con-
sidered necessary to incorporate it explicitly in the Statute when in 1945
the present Court was established. The San Francisco Conference Sub-
committee D to Committee IV11stated in its Report of 31 May 1945:

"As is well known, the article (Article 36 of the Statute) has con-
sistently been interpreted in the past as allowing states accepting the
jurisdiction of the Court to subject their declarations to reservations.
The Subcommittee has considered suchinterpretation asbeing hence-
forth established. It has therefore been considered unnecessary to
modify paragraph 3 in order to make express reference to the right
of the States to make such reser~ations."~

5. Sincethat time controversy only has arisen with regard to the ques-
tion whether reservations inconsistent with the Statute itself are admis-
sible. Although the Court itself never took position with regard to that
question, both in the Norwegian Loans case and the Interhandel case the
so-called "automatic reservation" and its validity under the Statute was a
matter for livelydebate. According to Judge Lauterpacht and some of his
colleagues, Article 36, paragraph 6, of the Statute explicitly authorized
the Court and not the declarant State to decide whether in the event of a

dispute the Court has jurisdiction. A reservation in which the declarant
State reserves for itself the right to determine whether a dispute is essen-
tially within its national jurisdiction is "contrary to an expressprovision"
of the Statute and therefore must be deemed invalid.
6. In his famous separate opinion in the Norwegian Loans case Judge
Lauterpacht did not doubt, however, for one moment the right of a State
to make reservations which cannot be deemed to be contrary to the
Statute. He explicitly stated:

"In accepting the jurisdiction of the Court Governments are free
to limit its jurisdiction in a drastic manner. As a result there may be
little left in the Acceptance which is subject to the jurisdiction of the
Court. This the Governments, as trustees of the interests entrusted
to them, are fully entitled to do."3

C. H. M. Waldock, "Decline of the Optional Clause", British YearBook of Interna-
tional Law, Vol. 32, 1955-1956,p. 283.
UNCIO, XIII, p. 559, doc. 702.
Certain NorwegianLoans, Judgment, I.C.J. Reports 1957, p. 46. COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.IND.KOOIJMANS) 490

nérer pour devenir simplement de l'opportunisme, si ceux-ci for-
mulent, annulent et modifient leurs déclarations au gré de leurs
intérêtsimmédiats))'[traduction du Greffe].

4. Le droit des Etats d'assortir de réserves leurdéclarationd'accepta-
tion est reconnu depuis longtemps; bien plus, il n'a jamais été contesté,
comme en témoignele fait que l'on n'a mêmepas jugé nécessairede
l'incorporer expressémentau Statut lorsque la présenteCour a étéinsti-
tuée,en 1945. A la conférencede San Francisco, le sous-comitéD du
comitéIV11a déclaré,dans son rapport en date du 31 mai 1945:

«On sait que l'article 36 (du Statut) a constamment étéinterprété
dans le passé commepermettant aux Etats acceptant la compétence
de la Cour d'accompagner cette déclaration de réserves.Le sous-

comitéa considérécette interprétationcommedésormaisfixée.Il a, en
conséquence,jugé superflu de modifier leparagraphe 3 de l'article 36
en y mentionnant expressémentla facultépour les Etats de formuler
des réserves.2

5. Depuis cette époque,le seulpoint qui a étécontroverséà cet égardest
celui de savoir si des réservesincompatibles avec le Statut lui-mêmesont
recevables.Quoique la Cour n'ait elle-mêmjeamais pris positionà ce sujet,
la question des réservesdites «automatiques» et de leur validitéau titre du
Statut a fait l'objet devifsdébatsl'occasion del'affairerelatiàeCertains
empruntsnorvégiens et de l'affairede l'lnterhandel.SelonM. Lauterpacht et
plusieurs desescollègues, leparagraphe 6 de l'article36 du Statut autorise
expressémentla Cour et non 1'Etatdéclarant à décidersi la Cour est com-
pétente pour connaître d'un différend. Une réserveaux termes de laquelle

1'Etatdéclarantse réservele droit de décidersi un litige relèveintrinsèque-
ment de sa juridiction nationale est ((contraiàune disposition expresse))
du Statut et doit par conséquent êtrconsidérée commn eon valide.
6. Dans l'opinion individuelle restée célèbre qu'ial rédigàepropos de
l'affaire relative Certains emprunts norvégiens,M. Lauterpacht n'a
cependant à aucun moment mis en doute le droit des Etats de faire des
réserves,pour autant que celles-cine puissent pas êtreconsidérées comme
contraires au Statut.Il a explicitement déclaré:

«En acceptant la juridiction de la Cour, les gouvernements sont
libres de la limiter de façon radicale.peut en résulterque le champ
d'application de l'acceptation de lajuridiction de la Cour soit réduit
àpeu de choses. Les gouvernements ont, en tant que dépositairesdes
intérêtsqui leur sont confiés, pleinement le droit d'agir de cette

manière.»

'C. H. M. Waldock, ((Decline of the Optional Clause)), British Year Book of Interna-
tional Law,ol. 32, 1955-1956,p. 283.
UNCZO, XIII, p. 564, doc. 702.
Certains emprunts norvégiens,arrêt,C.1.J. Recueil 1957, p. 46. A similar viewpoint was taken by the Court in the case concerning
Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicara-
gua v. United States of Amevica) when it stated:

"Declarations of acceptance of the compulsoryjurisdiction of the
Court are facultative, unilateral engagements, that States are abso-
lutely free to make or not to make. In making the declaration a State
is equally free either to do so unconditionally and without limit of
time for its duration, or to qualify it with conditions or reserva-
ti~ns."~ (Quoted in paragraph 54 of the present Judgment.)

7. Nor have 1 found in doctrine a tendency to limit the legality -
which is something entirely different from the desirability - of making
reservations to declarations of acceptance (with the exception of reserva-
tions encroaching upon the Statute). 1 therefore cannot but share the

viewof the Court, expressedin paragraph 54of the Judgment, that "[tlhe
fact that a State may lack confidence as to the compatibility of certain of
its actions with international law does not o~erate as an exce~tion to the
principle of consent to the jurisdiction of the Court and the'freedom to
enter reservations". The Court has to apply the law as it is and 1have not
found a scrap of evidence in State practice that contradicts the Court's
view.
8. Yet, 1 strongly feel that things should not be left at that. In the
present case Canada has modified its declaration of acceptance and intro-
duced a new reservation precisely to prevent the Court from scrutinizing

the legality of an action it intended to undertake. In spite of the wide
range of reservations made, it was only seldom that a State modified its
declaration in anticipation of a certain dispute reaching the Court. Mer-
rills mentions three examples :in 1954Australia modified its declaration
in view of a dispute with Japan over pearl fisheries, in 1955the United
Kingdom entered a reservation to prevent proceedings in respect of the
Buraini arbitration and in 1970 Canada added a reservation regarding
the enactment of the Arctic Waters Pollution PreventionAct. To this list
of examples may now be added the 1994Canadian reservation.

9. The doubt. or - as the Court ~uts it - the lack of confidence
about the compatibility of intended a&on with international law which
led to the making of a new reservation, was well expressed by the then
Prime Minister of Canada in explanation of the reservation made with
regard to the Arctic Waters Pollution PreventionAct. On 8April 1970he
stated in the House of Commons:

Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua(Nicaragua v. United
States of America), Jurisdiction andissibility,Judgrnent,1.C.J. Reports 1984,p. 418,
para. 59.
J. G. Merrills, "The Optional Clause Today", British Year Book of International
Law, Vol. 50, 1979,p. 94. COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. IND. KOOIJMANS) 491

La Cour a adopté un point de vue semblable dans l'affaire des Acti-
vités militaireset paramilitaires au Nicaraguaet contre celui-ci (Nicara-
gua c. Etats-Unis d'Amérique) lorsqu'elle a déclaré:

«Les déclarations d'acceptation de lajuridiction obligatoire de la
Cour sont des engagements facultatifs, de caractère unilatéral, que
les Etats ont toute libertéde souscrireou de ne pas souscrire.L'Etat
est libre en outre soit de faire une déclaration sans condition et sans

limite de durée, soit de l'assortir de conditions ou de réserves.>b4
(Citéau paragraphe 54 du présentarrêt.)
7. Je n'ai d'ailleurs observé,dans la doctrine, nulle tendanceà limiter

la licéité- notion qui n'a rien à voir avec celle d'opportunité - des
réservesfaites aux déclarations d'acceptation (à l'exception des réserves
portant atteinte au Statut). Je ne peux donc que partager l'opinion de la
Cour, expriméeau paragraphe 54 de l'arrêt,selon laquelle «[l]efait qu'un
Etat puisse éprouverdes doutes quant à la compatibilité de certains de
ses actes avec le droit international ne constitue pas une exception au
principe du consentement àlajuridiction de la Cour et àla libertéde for-
muler des réserves)).La Cour est tenue d'appliquer le droit tel qu'il estet

je n'ai trouvénulle trace, dans la pratique des Etats, de quoi que ce soit
qui contredise l'opinion de la Cour.
8. Pourtant, je suis convaincu que les choses ne doivent pas en rester
là. Le Canada a, en l'espèce, modifiésa déclaration d'acceptation et
introduit une nouvelle réserve dans le but précis d'empêcherla Cour
d'examiner la licéitéd'une action qu'il s'apprêtait entreprendre. L'éven-
tail des réservesémisesest vaste, mais il est rare qu'un Etat ait modifié
une déclaration parce qu'il prévoyait qu'un certain différendallait être
porté devantla Cour. Merrills en cite trois exemples: en 1954,l7Austra-

lie a modifiésa déclarationen prévisiond'un litige avecle Japon à propos
des pêchesde perles; en 1955,le Royaume-Uni a émisune réserveen vue
de prévenirune procédure à propos de l'arbitrage Buraini; enfin, en 1970,
le Canada a émisune nouvelle réserveconcernant la promulgation de la
loi sur la prévention de la pollution des eaux de l'Arctique. La réserve
faite par le Canada en 1994peut désormais s'ajouter à cette liste.
9. L'incertitude ou- selon lestermes utiliséspar la Cour - lesdoutes
éprouvéspar un Etat quant à la compatibilitédes actes qu'il projette avec

le droit international, doutes qui l'ont amené à déposer une nouvelle
réserve,ont fort bien étédécritspar le premier ministre du Canada de
l'époque alors qu'il exposaitla raison d'êtrede la réserveémise à propos
de la loi sur la prévention de la pollution des eaux de l'Arctique. Le
8 avril 1970,il déclaraità la Chambre des communes:

Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c. Etats-Unis d'Amérique), compétence et recev,rrêt,C.I.J. Recueil 1984, p. 418,
par. 59.
J. G. Merrills, «The Optional Clause Today)), British Year Book of International
Law, vol. 50, 1979,p. 94. "Canada is not prepared however to engage in litigation with

other Statesconcerning vital issueswhere the law is eitherinadequate
or non-existent and thus does not provide a firm basis for judicial
decision. We have therefore submitted this new reservation ... relat-
ing to those areas of the law of the sea which are undeveloped or
inadequate."

A similar reasoning seems to lie at the basis of theCanadian 1994res-
ervation.
10. As is clear from this statement, a State taking unilateral action on
a matter where international law apparently is in a state of flux iswell
aware of the probability that such actions may lead to disputes with other
States. It may prefer to settlesuch disputes by other means than judicial
settlement because it is convinced that such other means may lead to a
resolution of the issue which in the end will be more satisfactory for al1
States concerned. Under present international law States are perfectly
entitled to take such a position. In paragraph 56 of the Judgment the
Court refers in this respect to the principle of the free choice of means
contained in Article 33 of the Charter.

11. In the present case, however, Canada had made its choice and had
made a commitment to a particular method of dispute settlement by
acceptingthe compulsoryjurisdiction of the Court. It is true that it had
explicitly stipulated in its declaration of 1985 that it could at any time
terminate its acceptance of the Court's jurisdiction or add to, amend or
withdraw the reservations contained in its declaration and that was
exactly what Canada did when it deposited its new declaration on
10 May 1994.
12. A State which is free to terminate its acceDtance of the Court's
compulsoryjurisdiction at any time by the same token is legally free to
limit the scope of that acceptance. The question which in my opinion
must be put has, therefore, no legal purport but seemsnevertheless legiti-

mate. The question which presents itself in the present case (but not for
the first time) is: how far can a State go in strengthening the system of
compulsoryjurisdiction by depositing a declaration of acceptance while
at the same time making reservations which impair its effectiveness?
13. The optional clause system was set up as a compromise between
those States that favoured a comprehensive system of compulsory judi-
cial settlement and (a minority of) other States which felt that this was
not (yet) desirable and therefore not achievable. A State which has
accepted the compulsory jurisdiction by depositing a declaration of
acceptanceindicatesthereby that it considers judicial settlement to be the
most appropriate method of third party settlement for legal disputes if

Quoted in R. St. J. Macdonald, "The New Canadian Declaration of Acceptance of
the Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice",Yearbook
of International Law, Vol. 8, 1970,p. 3. COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.IND. KOOIJMANS) 492

((Mais le Canada n'est pas disposé à s'engagerdans des actions en
justice avec d'autres Etats sur des questions vitales lorsque le droit
est insuffisant ou inexistant et n'offre donc pas de fondement solide
pour une décision de justice.Nous avons donc présenté cette nou-
velle réserve..qui porte sur des aspects du droit de la mer qui sont
peu développésou inadéquats. ))

C'estun raisonnement analogue qui sembleêtre à la base de la réserve
de 1994.

10. Ainsiqu'ilressort clairement de la déclarationprécitée, unEtat qui
prend une initiativeunilatérale dans un domaine où le droit international
semble en pleine évolutiona bien conscience que son action est proba-
blement de nature à susciter des litiges avec d'autres Etats. Il peut préfé-
rer que ces différendssoient régléspar d'autres moyens que la voiejudi-
ciaireparce qu'il estimeque cesmoyens permettront peut-être de trouver
une solution qui sera en fin de compte plus satisfaisante pour tous les
Etats intéressés. Enl'état actueldu droit international, lesEtats sont par-
faitement fondés àagir ainsi. Au paragraphe 56 de son arrêt, laCour se
réfère à cet égardau principe du libre choix des moyens consacrépar

l'article3 de la Charte.
11. Mais en l'espèce,le Canada avait effectivement fait un choix et
s'étaitde fait engagé à recourir à un mode particulier de règlementdes
différends enacceptant la juridiction obligatoire de la Cour. Il est vrai
qu'il avait expressémentstipulé, dans sa déclarationde 1985,qu'il pou-
vait àtout moment abroger son acceptation de lajuridiction obligatoire
de la Cour, ou compléter,modifier ou retirer les réservesformuléesdans
sa déclaration;c'est précisémencte qu'il a fait lorsqu'il a déposésa nou-
velle déclarationle 10mai 1994.
12. Un Etat qui a la faculté d'abrogerà tout moment son acceptation

de lajuridiction obligatoire de la Cour est du mêmecoup en droit de limi-
ter l'étendue decette acceptation. La question que l'on doit àmon avis
soulever n'a donc aucune portée juridique mais paraît néanmoinslégi-
time. Cette question, qui se pose en l'espèce(mais non pour la première
fois), est la suivante: jusqu'à quel point un Etat peut-il renforcer le sys-
tèmede lajuridiction obligatoire par le dépôt d'une déclaration d'accep-
tation tout en faisant des réservesqui en diminuent l'efficacité?
13. Le systèmede la clause facultative a étéinstituéafin de trouver un
compromis entre les Etats qui étaient favorables a un systèmeglobal de

règlementjudiciaireobligatoireet les autres Etats (uneminorité) quiesti-
maient que ce n'était pas(encore) souhaitable et que par conséquent
c'était irréalisable. Lorsqu'unEtat accepte la juridiction obligatoire en
déposant une déclaration d'acceptation,il indique par la qu'il considère
qu'un règlementjudiciaire estle mode de règlementpar une tierce partie

-
Citédans R. St. J. Macdonald, «The New Canadian Declaration of Acceptance of the
Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice)), Canadian Yearbook of
International Law, vol. 8, 1970,p. 3.

64such disputes cannot be solved amicably. It may subject this acceptance

to certain conditions and reservations thereby moving into the direction
of those States which found a comprehensive system a bridge too far. By
limiting the scope of the Court's jurisdiction in an excessive way, the
credibility of the system itselfs affected; as a result the declarant State's
sincerity in supporting the idea of compulsory jurisdiction is implicitly
attenuated as well.
14. In the past this attitude of certain States which limited the Court's
jurisdiction in a drastic way has led to laments similar to that of Profes-
sor Waldock quoted earlier. A completely differentbut nevertheless com-
parable problempresents itself,however, when a Stateacceptsthe Court's
jurisdiction in a rather generous way, but at a given moment by modify-
ing its declaration deprives the Court of jurisdiction over an anticipated
dispute. The confidence in the judicial system and the Court exemplified
by the willingness to submit a wide range of conceivable but not immi-

nent legal disputes to judicial settlement is to a certain extent neutralized
by the exemption from the Court's jurisdiction of an anticipated and
therefore probably imminent dispute.

15. The optional clause system is a fragile system. The high expecta-
tions of the founders of the Permanent Court of International Justice
have not come true. The prospects of a comprehensive system of com-
pulsoryjurisdiction reached their peak in the 1930sbut at present it may
at best be called a beckoning ideal. Nevertheless, an increasingnumber of
States are finding their way to the Court and also the number of States
which have deposited a declaration of acceptance is slowly but steadily
increasing. Under these circumstances it would in my opinion not have
been beyond the Court's mandate to draw attention to the fragility of the
system of compulsory jurisdiction which in the form of the optional

clause system is an integral and essential part of the Statute and to the
risks to which it is exposed.This al1the more so since in its recent Judg-
ment in the case concerning the Land and Maritime Boundary between
CameroonandNigeria, Preliminary Objections,Judgment, I.C.J. Reports
1998, the Court emphasized - be it on a strictly legal bas-s the impor-
tance of that system.

16. It may be readily admitted that the system of compulsory adju-
dication is not the key to a peaceful and well-organizedworld which it
was considered to be by many States in 1922and 1945.Neverthelessits
crucial role in a system of dispute settlement and in a world-order in
general should by no means be underrated. In this respect it may be
appropriate to recall what was said by Professor Bin Cheng during the

Conference of the International Law Association held in Tokyo in 1964
in response to a colleague who had said that there are methods of
settlement of international disputes which are probably just as good
as international adjudication. Maybe Professor Cheng's statement may
sound too categorical; it nevertheless contains elements which in my COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. IND.KOOIJMANS) 493

le plus approprié pour les différendsd'ordre juridique qui ne peuvent être
réglés à l'amiable. Il peut assortir cette acceptation de certaines condi-
tions et réserves,rejoignant ainsi les Etats qui estimaient qu'un système
global était prématuré. En limitantla portée dela juridiction de la Cour
de manière excessive, on porte atteinte a la crédibilitédu système tout
entier; la sincéritédeYEtat déclarant qui se dit favorableà la juridiction
obligatoire s'en trouve elle aussi implicitement atténuée.
14. On a étéamenédans le passé à dkplorer, comme le faisait M. Wal-

dock cité plus haut, cette attitude de certains Etats qui restreignent la
compétencede la Cour de manière radicale. Or un problème d'un tout
autre ordre mais cependant comparable se pose si un Etat accepte la juri-
diction de la Cour de manière assez généreuse,puis à un moment donné,
la prive de toute compétencepour un litige dont il prévoitla survenue, en
modifiant sa déclaration. La confiance témoignéepar un Etat à l'égard
du systèmejudiciaire et de la Cour, attestée par le fait qu'il accepte de
soumettre un large éventail de différendsjuridiques pouvant se produire
mais non imminents à un règlement judiciaire, est dans une certaine
mesure neutraliséepar le fait qu'il soustraitla juridiction de la Cour un
différenddont il prévoitla survenue et donc probablement imminent.

15. Le systèmede la clause facultative est fragile. Les grandes espé-
rances des fondateurs de la Cour permanente de Justiceinternationale ne
se sont pas concrétisées. L'espoir de voirs'instaurer un dispositif global
dejuridiction obligatoire a étéau plus haut dans les annéestrente mais à
présent,le mieux que l'on puisse dire est qu'il s'agit d'un idéal dontil faut
tenter de se rapprocher. Il n'en reste pas moins que de plus en plus
d'Etats se tournent vers la Cour, et que le nombre d'entre eux qui ont
déposé unedéclaration d'acceptation progresse lentement mais sûrement.
Dans ces conditions, j'estime que la Cour n'aurait pas outrepassé son
mandat en appelant l'attention sur la fragilité du dispositif de juridiction
obligatoire qui, prenant la forme du systèmede la clause facultative,fait
partie du Statut et en est un élément essentiel,et sur les dangers qui

pèsent sur lui. J'en suis d'autant plus convaincuque dans l'arrêt qu'elle a
rendu récemmentdans l'affaire de la Frontièreterrestreet maritime entre
le Cameroun et le Nigéria,exceptionspréliminaires,arrêt,C.I.J. Recueil
1998, la Cour a mis en exergue - sur un plan certes strictementjuridique
- l'importance de ce système.
16. On conviendra d'embléeque le système de la juridiction obliga-
toire n'est pas, ainsi que le croyaient de nombreux Etats en 1922et 1945,
la cléd'un monde pacifique et bien organisé.Mais il ne faut en aucun cas
sous-estimer le rôle crucial qu'il joue en tant que dispositif de règlement
des différendset plus généralement entant qu'élément del'ordre mon-
dial.A cet égard,il est peut-êtrebon de rappeler ce que déclara M. Bin

Cheng lors de la conférence del'association du droit international orga-
nisée àTokyo en 1964,en réponsea un collèguequi avait fait valoir qu'il
existait d'autres modes de règlement des différends internationaux qui
étaient probablement tout aussibons que les décisionsdes instancesjudi-
ciaires internationales. La déclaration de. Chengpeut paraître un peuopinion consider full consideration, maybe today even more than was
the case in 1964.

17. On that occasion Professor Cheng said:
"The acceptance of the compulsory jurisdiction of international

tribunals is not only a question of procedure, but is also one of sub-
stance. It changes in fact the nature of the law which governs inter-
national relations. We may divide international law into ...different
grades. First of al1there is international law on the auto-interpreta-
tion level. That is when States have not accepted the duty to go
before an international tribunal. In such a situation when a dispute
arises each party is entitled to maintain its own interpretation of the
law."

18. He went on to say:

"But when a State accepts in advance the duty to submit to inter-
national adjudication, it is no longer able to act in that way. It must
always behave in such manner that, if brought before the court, its
conduct stands at least a fair chance of being upheld. In other
words, where a State accepts in advance the duty to go to the Inter-
national Court or to go to arbitration, the international law that is
applicable to it becomes different in nature. One may cal1this law
justiciable or arbitrable law. It is very much superior in quality to
the auto-interpretation type of international law."

And Professor Cheng concluded :

"compulsory adjudication is not just another method of settling
international disputes. It raises the international law applicable
between the States concerned from the auto-interpretation to the
justiciable grade"'.

19. This view seemsto be shared by another learned author who drew
attention to the fact that the

"prevalence of non-judicial settlement in the domestic legal system
may result in part from the availability of judicial settlement; each
party knows that the cost of its failure to settle may be the other
party's recourse to the courts, with al1the uncertainty that entails...
Indeed, the prospect of eventual judicial decision necessarily affects
the way the parties think about the law; inevitably,they willbargain

International Law Association, Report of the Fifty-First Conference, Tokyo, 1964,
pp. 43-44.

66 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.IND.KOOIJMANS) 494

trop catégorique,mais ellecomporte des élémentssur lesquels il convient
à mon avis de bien réfléchir,et peut-être davantage aujourd'hui qu'en
1964.
17. Voici ce que M. Cheng déclarait à cette occasion:

((L'acceptation de lajuridiction obligatoire des tribunaux interna-

tionaux n'est pas seulement une question de procédure, c'est aussi
une question de fond. En réalitée ,llemodifie lanature du droit régis-
sant les relations internationales. On peut considérerqu'il existe ...
différentsdegrésdu droit international. Tout d'abord, il y a un droit
international qui s'applique par auto-interprétation, lorsque lesEtats
n'ont pas acceptél'obligation de s'enremettre à un tribunal interna-
tional. En pareil cas, lorsqu'un litige seprésente,chaquepartie est en
droit de défendre sapropre interprétation du droit. ))

18. Il ajoutait:

((Mais lorsqu'un Etat a acceptépar avance l'obligation de s'en

remettre aux décisionsd'une instance judiciaire internationale, il ne
peut plus agir ainsi.Il doit toujours se comporter de telle sorte que,
s'il est appeléà comparaître devant ce tribunal, sa conduite ait au
moins une chance raisonnable d'être considérée commeacceptable.
En d'autres termes, lorsqu'un Etat accepte à l'avance de devoir en
référerà la Cour internationale ou rechercher un règlement d'arbi-
trage, le droit international qui lui est applicable change de nature.
On peut le qualifier de droit se prêtant à une décision judiciaire ou
arbitrale, et il est d'un ordre infiniment supérieurau droit interna-

tional de type auto-interprétatif.))

M. Cheng concluait :

«le règlement judiciaire obligatoire n'est pas simplement un moyen
comme un autre de réglerles différendsinternationaux. Il fait passer
le droit applicable entre les Etats concernésdu stade auto-interpré-
tatif au stade supérieur,celui où un recours judiciaire est possible»7

19. Ce point de vue semble être partagépar un autre éminentauteur
qui a appelé l'attention surle fait que:

«la fréquencedes règlements non judiciaires dans le systèmejuri-
diqueinterne résultepeut-êtreen partie de l'existencederecoursjudi-
ciaires; chaque partie sait qu'en cas d'échec de la recherche d'une
solution amiable, l'autre partie peut en référeraux tribunaux, avec

toutes les incertitudesque cela comporte ...Bien plus, la perspective
de devoir en venir en définitiveàun règlementjudiciaire influenéces-

International Law Association, ReportoftheFiftv-FiConferencT e,kyo, 1964,
p. 43-44.

66 and assess the value of various settlementproposals in terms of how
they think a court will de~ide."~

20. 1certainly do not contend that what is contained in the above quo-

tations is fully reflected in the optional clause system as it has developed
until today. Nevertheless 1strongly feelthat the gist of that content, viz.,
that compulsoryjurisdiction is more than just another method of settling
legal disputes, should function as a point of reference for the Court's
evaluation of the optional clause system. Since the Court's Judgment -
inevitable as it is - does not bring us any nearer to the qualitative
criteria referred to here, 1 have voted for the finding of the Court with

dismay ;1found it necessary to giveexpression to my disquiet which is in
no way restricted to the present case.

(Signed) P. H. KOOIJMANS.

Richard Bilder, "International Dispute Settlement and the Role of International
Adjudication", in. Fisler Damrosch (ed.), The International Court of Justice ut a Cross-
roads, 1987,pp. 159-160. COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP.IND.KOOIJMANS) 495

sairement sur la conception qu'ont du droit les parties; elles seront
inévitablementamenées à négocieret àconsidérerles différentespro-
positions de règlement en tenant compte de la façon dont elles pen-

sent qu'un tribunal tranchera. »8
20. Je n'irai certainement pas jusqu'à dire que le point de vue exposé
dans ces citations trouve pleinement son illustration dans le systèmede la

clause facultative tel qu'il s'est développéjusqu'à présent. Mais je suis
absolument convaincu que la substance de ce qu'elles expriment - à
savoir le fait que lajuridiction obligatoire n'est pas simplement un moyen
comme un autre de réglerdes différendsjuridiques - doit servir de réfé-
rence à la Cour lorsqu'elle réfléchitau systèmede la clause facultative.
Etant donné que l'arrêtde la Cour - aussi inéluctablesoit-il- ne nous

rapproche en rien des critères qualitatifs que je viens d'évoquer,c'est à
regret que j'ai votéen faveur de cette décision dela Cour; j'ai jugé néces-
saire de faire part de mes inquiétudes qui ne se limitent nullement à la
présenteaffaire.

(Signé) P. H. KOOIJMANS.

Richard Bilder, ((International Dispute Settlement and the Role of International
Adjudication)),dans. Fisler Damrosch, dir. pub]., The International Court of Justice at
a Crossroads,1987,p. 159-160.

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Opinion individuelle de M. Kooijmans (traduction)

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