Opinion individuelle de M. Schwebel, président (traduction)

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096-19981204-JUD-01-01-EN
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096-19981204-JUD-01-00-EN
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470

OPINION INDIVIDUELLE DE M. SCHWEBEL, PRÉSIDENT

[Traduction}

Les réserves aux déclarations d'acceptation de la juridiction de la Cour
émisesen vertu de la clause facultative peuvent exclure des mesures et actions
de l'Etat déclarant susceptibles d'êtreillicites en droit international - La
réserve2 d) du Canada ne laissant pas à la libre appréciationde cet Etat la
détermination de la compétenceet n'étantdonc pas incompatible avec le para­
graphe 6 de l'article 36 du Statut, la Cour a donc eu toute latitude pour exa­
miner la question de sa compétence- Contrairement àl'argument du conseil de
l'Espagne, la réservecanadienne ne peut pas êtreconsidéréecomme entachéede
«nullité» et ne pouvant« s'appliqueràrien»- Toutefois, si pour les besoins de
l'argumentation, on interprétait la réservede la sorte, il en découlerait que la
réserve2 d),sans laquelle le Canada n'auraitpas fait de nouvelle déclaration,ne
saurait êtreséparéede l'ensemble de la déclaration- Si la réserve2d) est nulle
ou n'apas d'effet, iln va de mêmede l'ensemble de la déclarationcanadienne,
ce qui prive du mêmecoup la Cour de toute compétenceen l'espèce.

1. Tout en souscrivant au raisonnement et à la conclusion énoncés
dans l'arrêtde la Cour, j'estime devoir ajouter les observations ci-après,
eu égardaux arguments que l'Espagne a avancésdans son exposé.

2. L'un des principaux arguments avancéspar l'Espagne en la présente
instance est que l'interprétation de la réserve formulée au para­
graphe 2 d) de la déclaration canadienne du 10mai 1994, présentéepar le

Canada, selon les mots mêmesde l'Espagne, comme «l'unique et authen­
tique interprétation de sa réserve» (mémoirede l'Espagne, par. 39), est
incompatible avec le Statut de la Cour. Dans son mémoire, l'Espagne
conclut qu'il y a ou qu'il peut y avoir non seulement des réserves anti­
statutaires, mais aussi des interprétations antistatutaires de certaines
réserves(par. 39). Lors de la procédure orale, un conseil de l'Espagne a
ainsi affirméqu'il suffisait que la Cour constate

«une incompatibilité avec ... l'article 36, paragraphe 6 [du Statut,
ou avec] ... l'articl2, paragraphe 4 [de la Charte], pour rejeter non
la validité de la réserve, que nous n'avons jamais demandée,
mais l'interprétation strictement unilatérale qu'en fait le Canada»

(CR98/13, p. 64).
Lors de la mêmeaudience, un autre conseil de l'Espagne a fait valoir que

«l'intention subjective du Canada ne correspond pas nécessairement
aux prescriptions objectives du droit international. Si ces prescrip­
tions indiquent que les actes qui entravent la liberté des mers ne
peuvent jamais êtrelégitimementconsidéréscomme des «mesures de
conservation et de gestion», il en découleque la réservecanadienne

42 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. IND. SCHWEBEL) 471

est nullepro tanta. Elle n'a pas abouti au résultat qu'elle visait -
pour la simple raison que les mots qu'elle utilise ne peuvent êtreuti­
lisésdans ce contexte de manière compatible avec le droit interna­
tional.» (CR98/13, p. 37.)

Le conseil de l'Espagne ajoutait:
«2) La réservecanadienne n'a aucune réalitéou validitéobjective en
droit international et elle ne devrait pas êtreconsidéréepar la
Cour comme ayant pour effet de faire obstacle à la requêtede
l'Espagne, sauf si on lui reconnaît une telle réalitéou validité

En conséquence, la «réserve sur la conservation» n'exclut rien,
parce qu'ellene trouve pas à s'appliquer. Il est déplacé,de la part du
Canada, de demander que son intention subjective s'impose à la
Cour. L'intention subjective peut êtreimportante, si ce n'est déci­
sive, pour ce qui est de la question de l'objet et du but d'une réserve
dans «l'esprit» de l'Etat déclarant. Mais suivre l'argument du
Canada jusqu'à permettre que cette intention subjective s'impose ...
serait ... violer paragraphe 6 de l'article 36 du Statut.» (CR 98113,

p. 48, par. 61.)
3. Ces arguments de l'Espagne- qui présentent peut-êtreau demeu­
rant un certain manque de cohérence- me paraissent peu convaincants,
pour les raisons suivantes.
4. Si l'Espagne tente de faire valoir qu'une réserveest inopérante dans

la mesure où elle exclut des mesures ou actions de l'Etat déclarant qui
sont illicites en droit international, je ne saurais la suivre dans son rai­
sonnement. Ainsi que la Cour le reconnaît dans son arrêt,l'objectif ou
l'un des objectifs des Etats déclarants qui formulent une réservepeut pré­
cisément êtred'exclure la compétence de la Cour pour telles de leurs
actions qui pourraient êtreou qui sont contestables en droit. Si, en fai­
sant des réserves,les Etats ne pouvaient exclure de la compétencede la
Cour que les mesures et actions incontestablement licites et s'illeur était
interdit d'exclure sa compétencepour des mesures ou actions illicites ou
susceptibles d'êtrequalifiéesd'illicites, la raison d'êtredes réservesdispa­
raîtrait en grande partie.
5. Pour le motif égalementexposédans l'arrêtde la Cour, la thèsede
l'Espagne selon laquelle la réservecanadienne telle qu'interprétée par le
Canada priverait la Cour de la possibilitéde se prononcer sur sa propre

compétenceet violerait dèslors le paragraphe 6 de l'article 36 de son Sta­
tut est infondée. Les délibérationsde la Cour, et l'arrêtauquel elles ont
abouti, démontrent amplement que la Cour a eu toute latitude pour exa­
miner la question de sa compétence. La Cour a conclu qu'elle n'est pas
compétente, pour les raisons méticuleusementexposéesdans l'arrêtet qui
n'ont rien à voir avec l'idéeque la réservelaisserait à l'Etat la libre appré­
ciation de la compétence.
6. Je ne saurais davantage accepter l'argument selon lequel le para­
graphe 2 d) de la réserve, qui, tel qu'interprétépar le Canada, exclut

43 COMPÉTENCE PÉCHERIES (OP. IND. SCHWEBEL) 472

(selon ses termes mêmes)«les différends auxquels pourraient donner lieu
les mesures de gestion et de conservation adoptées par le Canada pour les
navires pêchant dans la zone de réglementation de l'OPAN, telle que
définie ... et l'exécution de telles mesures» ne s'appliquerait à «rien»,
comme l'a affirmé un conseil de l'Espagne. Ainsi qu'il est exposé dans

l'arrêtde la Cour, ces mesures ne sont pas moins des mesures de conser­
vation et de gestion parce qu'elles tendent à s'appliquer- et que de par
leur libelléet de par la réglementation relative à leur exécution, s'appli­
quent effectivement- «dans la zone de réglementation de l'OPAN ...»
non seulement aux navires apatrides ou battant pavillon de complai­

sance, mais aussi aux autres navires étrangers.
7. Mais mêmesi l'on admettait, pour les besoins de l'argumentation,
que les affirmations de l'Espagne sont fondées et que puisque le Canada
interprète sa réservecomme s'appliquant à tout navire pêchantdans la
zone de réglementation de l'OPAN, cette réserveest dépourvue de vali­

ditéet qu'elle «est nulle» et «ne trouve pas à s'appliquer», cela ne signifie
pas pour autant que la Cour est compétente pour connaître de la plainte
de l'Espagne. Au contraire, il s'ensuit que la Cour n'a aucune compétence
puisque la nullitéou l'absence d'effet de l'alinéad) du paragraphe 2 de la
réserveentraîne la nullitéou l'absence d'effet de l'ensemble de la déclara­
tion canadienne.

8. Avant de déposer la présente déclaration d'acceptation, le 10 mai
1994, le Canada était liépar sa déclaration antérieure du 10 septembre
1985. Cette déclaration contenait la clause suivante, reprise dans la décla­
ration du 10 mai 1994:

«3) Le Gouvernement du Canada se réserveégalementle droit de
compléter, modifier ou retirer à tout moment l'une quelconque des
réservesformulées ci-dessus, ou toutes autres réservesqu'il pourrait
formuler par la suite, moyennant une notification adresséeau Secré­

taire généralde l'Organisation des Nations Unies, les nouvelles
réserves,modifications ou retraits devant prendre effet à partir de la
date de ladite notification.»

9. En application de la réserveprécitée,le Canada a ajouté à sa décla­
ration du 10 septembre 1985 ce qui figure dans sa déclaration du 10 mai
1994, à savoir uniquement et exclusivement la réserve formulée à l'ali­
néa d) du paragraphe 2. Mais pour ce faire, il ne s'est pas contenté de

déposer un amendement à sa déclaration antérieure qui serait restée en
vigueur. Au lieu de cela, le Canada a, au paragraphe 1 de sa déclaration
du 10 mai 1994, notifiél'abrogation de son acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour déclaréele 10 septembre 1985. Au paragraphe 2, le
Canada a déclaréaccepter comme obligatoire la juridiction de la Cour en
ce qui concerne tous les différends autres que les différends spécifiésaux

alinéas a), b), c) et d). Etant donné que les alinéas a), b) etc) y sont
formulés dans des termes exactement identiques à ceux de la déclaration
de 1985, il est clair que la seule raison qui a amené le Canada à abroger
ladite déclaration et à faire une nouvelle déclaration était d'ajouter les

44 COMPÉTENC PÉECHERIE (OP.IND.SCHWEBEL) 473

dispositions figurant àl'alinéad) du paragraphe 2. De plus, ces disposi­
tions ne comportent aucune des expressions consacréestelles que «sans
convention spéciale»ou «sous condition de réciprocité»,qui ne font que
reprendre les termes du Statut. L'alinéad) du paragraphe 2 n'est pas seu­
lement une disposition importante de la déclaration canadienne, elle en
est un élémentessentiel en l'absence duquel ou sans lequel il n'aurait pas
étéfait de nouvelle déclaration.
10. La Cour a reconnu «le lien étroitet nécessairequi existe toujours

entre une clause juridictionnelle et les réservesdont elle fl'objet»(Pla­
teau continental de lamer Egée, arrêt,C.I.J. Recuei/1978, p. 33). Il peut
cependant se présenter des cas d'application de la clause juridictionnelle
où ce lien peut êtredissous. L'un de ces cas, comme il a étésuggéréplus
haut, concerne telle ou telle disposition superflue. D'autres instances judi­
ciaires ou comitésont fait usage de cette facultéde dissolution à propos
de certaines conventions relatives à la protection des droits de l'homme.
Je ne m'aventurerai pas à donner mon opinion sur le bien-fondé d'une
dissolution de ce lien en pareilles circonstances, mais la Cour se trouve
placée dans un tout autre contexte. Lorsque, comme c'est le cas en
l'espèce,la réserveest présentéepar l'Etat déclarant comme une clause

essentielle faute delaquelle- ou sans laquelle -la déclaration n'aurait
pas étéfaite, il n'est pas loisibàela Cour de traiter cette réservecomme
nulle ou sans effet tout en considérant que le reste de la déclarationest en
vigueur. Si la réserveformulée à l'alinéad) du paragraphe 2 est nulle ou
dépourvue d'effet, la déclaration faite par le Canada le 10 mai 1994 est
elle aussi nulle ou dépourvue d'effet. Si l'argument de l'Espagne concer­
nant les conséquences de l'interprétation de la réserve donnée par le
Canada est retenu, il s'ensuit qu'il n'y a absolument aucun fondement en
l'espèceà la compétencede la Cour.

(Signé) Stephen M. SCHWEBEL.

45

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470

SEPARATE OPINION OF PRESIDENT SCHWEBEL

Reservations to declarations accepting the Court's jurisdiction under the
optional clause may exclude measures and actions by the declarant that may be
illegal under internationalaw- Canadian reservation 2 (d), not being a "self­
judging" reservation inconsistent with Article 36, paragraph 6, of the Statute,
has permitted the Court to freely consider whether it has jurisdiction - Con­
trary to argument of Spain's counsel, the Canadian reservation cannat be inter­
preted as a "nullity" applicable to "nothing"- However, arguendo, were it so
interpreted, the result would be that reservation 2 (d), but for which Canada
would not have introduced a new declaration, cannat be severed from the dec­
laration as a whole - If reservation 2 d)falls orfa ils, so does the whole of the
Canadian declaration, thus depriving the Courtof any basis ofjurisdiction in the
case.

1. I am in agreement with the reasoning as weil as the conclusion of
the Court's Judgment. I feel bound, however, to add the following obser­
vations, in view of arguments which have found a place in Spain's exposi­
tion.
2. A principal contention of Spain in these proceedings is that the res­
ervation set out in paragraph 2 ( d) of the Canadian declaration of

10 May 1994, as interpreted by Canada to be, in Spain's words, "the sole
authentic interpretation of its reservation" (Memorial of Spain, para. 39),
is incompatible with the Statute of the Court. In its Memorial, Spain con­
eludes that there are or may be "not just anti-statutory reservations;
there are also anti-statutory interpretations of certain reservations"
(para. 39). A counsel for Spain in the oral hearings thus maintained that
the Court

"would only need to find that there is incompatibility with ... Ar­
ticle 36, paragraph 6 [of the Statute], ... Article 2, paragraph 4 [of
the Charter], to reject not the validity of the reservation, which we
have never called for, but the strictly unilateral interpretation Canada
makes of it" (CR 98/13, p. 64 [translation by the Registry ]).

Another counsel of Spain at the same sitting argued that,

"Canada's subjective intent does not have to correspond with the
objective requirements of international law. If those requirements
indicate that acts of interference with the freedom of the seas can
never properly be classified as being 'conservation and management
measures', it follows that the Canadian reservation is pro tanto a

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OPINION INDIVIDUELLE DE M. SCHWEBEL, PRÉSIDENT

[Traduction}

Les réserves aux déclarations d'acceptation de la juridiction de la Cour
émisesen vertu de la clause facultative peuvent exclure des mesures et actions
de l'Etat déclarant susceptibles d'êtreillicites en droit international - La
réserve2 d) du Canada ne laissant pas à la libre appréciationde cet Etat la
détermination de la compétenceet n'étantdonc pas incompatible avec le para­
graphe 6 de l'article 36 du Statut, la Cour a donc eu toute latitude pour exa­
miner la question de sa compétence- Contrairement àl'argument du conseil de
l'Espagne, la réservecanadienne ne peut pas êtreconsidéréecomme entachéede
«nullité» et ne pouvant« s'appliqueràrien»- Toutefois, si pour les besoins de
l'argumentation, on interprétait la réservede la sorte, il en découlerait que la
réserve2 d),sans laquelle le Canada n'auraitpas fait de nouvelle déclaration,ne
saurait êtreséparéede l'ensemble de la déclaration- Si la réserve2d) est nulle
ou n'apas d'effet, iln va de mêmede l'ensemble de la déclarationcanadienne,
ce qui prive du mêmecoup la Cour de toute compétenceen l'espèce.

1. Tout en souscrivant au raisonnement et à la conclusion énoncés
dans l'arrêtde la Cour, j'estime devoir ajouter les observations ci-après,
eu égardaux arguments que l'Espagne a avancésdans son exposé.

2. L'un des principaux arguments avancéspar l'Espagne en la présente
instance est que l'interprétation de la réserve formulée au para­
graphe 2 d) de la déclaration canadienne du 10mai 1994, présentéepar le

Canada, selon les mots mêmesde l'Espagne, comme «l'unique et authen­
tique interprétation de sa réserve» (mémoirede l'Espagne, par. 39), est
incompatible avec le Statut de la Cour. Dans son mémoire, l'Espagne
conclut qu'il y a ou qu'il peut y avoir non seulement des réserves anti­
statutaires, mais aussi des interprétations antistatutaires de certaines
réserves(par. 39). Lors de la procédure orale, un conseil de l'Espagne a
ainsi affirméqu'il suffisait que la Cour constate

«une incompatibilité avec ... l'article 36, paragraphe 6 [du Statut,
ou avec] ... l'articl2, paragraphe 4 [de la Charte], pour rejeter non
la validité de la réserve, que nous n'avons jamais demandée,
mais l'interprétation strictement unilatérale qu'en fait le Canada»

(CR98/13, p. 64).
Lors de la mêmeaudience, un autre conseil de l'Espagne a fait valoir que

«l'intention subjective du Canada ne correspond pas nécessairement
aux prescriptions objectives du droit international. Si ces prescrip­
tions indiquent que les actes qui entravent la liberté des mers ne
peuvent jamais êtrelégitimementconsidéréscomme des «mesures de
conservation et de gestion», il en découleque la réservecanadienne

42471 FISHERIES JURISDICTION (SEP. OP. SCHWEBEL)

nullity.lt did not achieve what it had set out to achieve ~ for the
simple reason that the words it used are impossible to use in their
context consistent with international law." (CR 98/13, p. 37.)

Spain's counsel continued:
"(2) The Canadian reservation has no objective reality or validity
under international law, and should not be given effect by the
Court to block Spain's application unless such objective valid­

ity or reality can be given to it
The 'conservation reservation' therefore excludes nothing, since it
can apply to nothing. Itis inappropriate for Canada to demand that
its subjective intent control the Court. That intent may be important
if not conclusive on the question of the object and purpose of a res­
ervation in the 'mind' of a declarant State. But to follow Canada's

argument so far as to make that subjective intent controlling ...
would ... violate Article 36, paragraph 6, of the Statute." (CR98/13,
p. 48, para 61.)

3. I find the foregoing arguments of Spain~ which may not be wholly

consistent ~ unpersuasive for the following reasons.

4. If Spain means to maintain that a reservation is ineffective in so far
as it excludes measures or actions by the declarant State that are illegal
under international law, I cannot agree. As the Court's Judgment
acknowledges, the very purpose, or one of the purposes, of States in mak­
ing reservations may be to debar the Court from passing upon actions of
the declarant State that may be or are legally questi01;iable.If States by
their reservations could withhold jurisdiction only where their measures
and actions are incontestably legal, and not withhold jurisdiction where
their measures or actions are illegal or arguably illegal, rouch of the

reason for making reservations would disappear.

5. For the reason also stated in the Judgment of the Court, the conten­
tion of Spain that Canada's reservation as Canada interprets it deprives
the Court of the authority to decide whether the Court has jurisdiction,
and hence violates Article 36, paragraph 6, of its Statute, is without
merit. The proceedings in the Court and the resultant Judgment more
than amply demonstrate that the Court has freely considered whether it
has jurisdiction. The Court has concluded, for the reasons meticulously
setout in the Judgment which have nothing to do with "self-judging" res­

ervations, that it has not.

6. Nor can I agree that reservation 2 (d), as interpreted by Canada to
apply (as its terms provide) to "disputes arising out of or concerning con-

43 COMPÉTENCE PÊCHERIES (OP. IND. SCHWEBEL) 471

est nullepro tanta. Elle n'a pas abouti au résultat qu'elle visait -
pour la simple raison que les mots qu'elle utilise ne peuvent êtreuti­
lisésdans ce contexte de manière compatible avec le droit interna­
tional.» (CR98/13, p. 37.)

Le conseil de l'Espagne ajoutait:
«2) La réservecanadienne n'a aucune réalitéou validitéobjective en
droit international et elle ne devrait pas êtreconsidéréepar la
Cour comme ayant pour effet de faire obstacle à la requêtede
l'Espagne, sauf si on lui reconnaît une telle réalitéou validité

En conséquence, la «réserve sur la conservation» n'exclut rien,
parce qu'ellene trouve pas à s'appliquer. Il est déplacé,de la part du
Canada, de demander que son intention subjective s'impose à la
Cour. L'intention subjective peut êtreimportante, si ce n'est déci­
sive, pour ce qui est de la question de l'objet et du but d'une réserve
dans «l'esprit» de l'Etat déclarant. Mais suivre l'argument du
Canada jusqu'à permettre que cette intention subjective s'impose ...
serait ... violer paragraphe 6 de l'article 36 du Statut.» (CR 98113,

p. 48, par. 61.)
3. Ces arguments de l'Espagne- qui présentent peut-êtreau demeu­
rant un certain manque de cohérence- me paraissent peu convaincants,
pour les raisons suivantes.
4. Si l'Espagne tente de faire valoir qu'une réserveest inopérante dans

la mesure où elle exclut des mesures ou actions de l'Etat déclarant qui
sont illicites en droit international, je ne saurais la suivre dans son rai­
sonnement. Ainsi que la Cour le reconnaît dans son arrêt,l'objectif ou
l'un des objectifs des Etats déclarants qui formulent une réservepeut pré­
cisément êtred'exclure la compétence de la Cour pour telles de leurs
actions qui pourraient êtreou qui sont contestables en droit. Si, en fai­
sant des réserves,les Etats ne pouvaient exclure de la compétencede la
Cour que les mesures et actions incontestablement licites et s'illeur était
interdit d'exclure sa compétencepour des mesures ou actions illicites ou
susceptibles d'êtrequalifiéesd'illicites, la raison d'êtredes réservesdispa­
raîtrait en grande partie.
5. Pour le motif égalementexposédans l'arrêtde la Cour, la thèsede
l'Espagne selon laquelle la réservecanadienne telle qu'interprétée par le
Canada priverait la Cour de la possibilitéde se prononcer sur sa propre

compétenceet violerait dèslors le paragraphe 6 de l'article 36 de son Sta­
tut est infondée. Les délibérationsde la Cour, et l'arrêtauquel elles ont
abouti, démontrent amplement que la Cour a eu toute latitude pour exa­
miner la question de sa compétence. La Cour a conclu qu'elle n'est pas
compétente, pour les raisons méticuleusementexposéesdans l'arrêtet qui
n'ont rien à voir avec l'idéeque la réservelaisserait à l'Etat la libre appré­
ciation de la compétence.
6. Je ne saurais davantage accepter l'argument selon lequel le para­
graphe 2 d) de la réserve, qui, tel qu'interprétépar le Canada, exclut

43472 FISHERIES JURISDICTION (SEP. OP. SCHWEBEL)

servation and management measures taken by Canada with respect to
vessels fishing in the NAFO Regulatory Area, as defined ... and the
enforcement of such measures" can, as a counsel for Spain contended,
"apply to nothing". Those measures, as explained in the Court's Judg­
ment, are no less measures of conservation and management because
they are meant to apply, and by their terms and the regulations imple­
menting those terms, do apply, "in the NAFO Regulatory Area ... "not

only to vessels that are stateless or fiyingfiags of convenience but to other
foreign vessels.

7. But if it were to be accepted, arguendo, that the foregoing conten­
tions of Spain are correct, and that, by reason of Canada's interpreting
its reservation to apply to any vessel fishing in the NAFO Regulatory
Area, the reservation lacks validity and is "a nullity" and "can apply
to nothing", it does not follow that the Court has jurisdiction over
Spain's cause of action. On the contrary, it follows that the Court is
altogether without jurisdiction since the nullity or ineffectiveness of

reservation 2 ( d) entails the nullity or ineffectiveness of the Canadian
declaration as a whole.

8. Before filing its current declaration of 10 May 1994, Canada was
bound by an anterior declaration of 10September 1985.That declaration
contained the following clause, which is reproduced in the declaration of
10 May 1994:

"(3) The Government of Canada also reserves the right at any
time, by means of a notification addressed to the Secretary-General
of the United Nations, and with effect as from the moment of such
notification, either to add to, amend or withdraw any of the fore­
going reservations, or any that may hereafter be added."

9. In implementation of the foregoing reservation, Canada added to
its declaration of 10 September 1985 what appears in its declaration of
10May 1994,namely and solely, reservation 2 ( d). But it did not do this
by way of transmitting an amendment to the earlier declaration which
remained in force. Rather, in paragraph 1 of its declaration of 10 May
1994, Canada gave notice of termination of its acceptance of the Court's
compulsory jurisdiction made on 10 September 1985. In paragraph 2, it
declared the acceptance by Canada of the Court's jurisdiction over ali
disputes other than those specified in subparagra phs (a), (b), (c) and

(d). Since subparagraphs (a), (b) and ( c)are found in exactly the same
terms in the 1985 declaration, it is clear that the only reason of Canada
for terminating that declaration, and for making a new declaration, was
to add the provisions of subparagraph ( d). Moreover, those provisions
do not comprise routine recitations, such as "without special agreement"

44 COMPÉTENCE PÉCHERIES (OP. IND. SCHWEBEL) 472

(selon ses termes mêmes)«les différends auxquels pourraient donner lieu
les mesures de gestion et de conservation adoptées par le Canada pour les
navires pêchant dans la zone de réglementation de l'OPAN, telle que
définie ... et l'exécution de telles mesures» ne s'appliquerait à «rien»,
comme l'a affirmé un conseil de l'Espagne. Ainsi qu'il est exposé dans

l'arrêtde la Cour, ces mesures ne sont pas moins des mesures de conser­
vation et de gestion parce qu'elles tendent à s'appliquer- et que de par
leur libelléet de par la réglementation relative à leur exécution, s'appli­
quent effectivement- «dans la zone de réglementation de l'OPAN ...»
non seulement aux navires apatrides ou battant pavillon de complai­

sance, mais aussi aux autres navires étrangers.
7. Mais mêmesi l'on admettait, pour les besoins de l'argumentation,
que les affirmations de l'Espagne sont fondées et que puisque le Canada
interprète sa réservecomme s'appliquant à tout navire pêchantdans la
zone de réglementation de l'OPAN, cette réserveest dépourvue de vali­

ditéet qu'elle «est nulle» et «ne trouve pas à s'appliquer», cela ne signifie
pas pour autant que la Cour est compétente pour connaître de la plainte
de l'Espagne. Au contraire, il s'ensuit que la Cour n'a aucune compétence
puisque la nullitéou l'absence d'effet de l'alinéad) du paragraphe 2 de la
réserveentraîne la nullitéou l'absence d'effet de l'ensemble de la déclara­
tion canadienne.

8. Avant de déposer la présente déclaration d'acceptation, le 10 mai
1994, le Canada était liépar sa déclaration antérieure du 10 septembre
1985. Cette déclaration contenait la clause suivante, reprise dans la décla­
ration du 10 mai 1994:

«3) Le Gouvernement du Canada se réserveégalementle droit de
compléter, modifier ou retirer à tout moment l'une quelconque des
réservesformulées ci-dessus, ou toutes autres réservesqu'il pourrait
formuler par la suite, moyennant une notification adresséeau Secré­

taire généralde l'Organisation des Nations Unies, les nouvelles
réserves,modifications ou retraits devant prendre effet à partir de la
date de ladite notification.»

9. En application de la réserveprécitée,le Canada a ajouté à sa décla­
ration du 10 septembre 1985 ce qui figure dans sa déclaration du 10 mai
1994, à savoir uniquement et exclusivement la réserve formulée à l'ali­
néa d) du paragraphe 2. Mais pour ce faire, il ne s'est pas contenté de

déposer un amendement à sa déclaration antérieure qui serait restée en
vigueur. Au lieu de cela, le Canada a, au paragraphe 1 de sa déclaration
du 10 mai 1994, notifiél'abrogation de son acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour déclaréele 10 septembre 1985. Au paragraphe 2, le
Canada a déclaréaccepter comme obligatoire la juridiction de la Cour en
ce qui concerne tous les différends autres que les différends spécifiésaux

alinéas a), b), c) et d). Etant donné que les alinéas a), b) etc) y sont
formulés dans des termes exactement identiques à ceux de la déclaration
de 1985, il est clair que la seule raison qui a amené le Canada à abroger
ladite déclaration et à faire une nouvelle déclaration était d'ajouter les

44473 FISHERIEJSURISDICTIO (NEP.OP.SCHWEBEL)

and "on condition of reciprocity", which duplicate those of the Statute.
Subparagraph 2 ( d) introduces an entirely new, specifie and purpose­
ful reservation. It follows that the reservation contained in sub­
paragraph 2 ( d) is not only an important but an essential provision of
Canada's declaration, but for which, or without which, no new dec­
laration would have been made.

10. The Court has accepted "the close and necessary link that a1ways
exists between a jurisdictional clause and reservations to it" (Aegean Sea
Continental Shelf, Judgment, IC.J. Reports 1978, p. 33). Yet there may
be cases of jurisdictional adherence where that link may be severed. One

such has been suggested above, where a provision is redundant. Sever­
ability has been applied by other courts or committees in respect of cer­
tain human rights conventions. While venturing no opinion on the ten­
ability of severability in such circumstances, those are not the circum­
stances now before the Court. When, as in this case, the reservation has
been treated by the declarant State as an essentia1one but for which- or
without which- the declaration would not have been made, the Court is
not free to treat the reservation as invalid or ineffective, while treating the
remainder of the declaration to be in force. If reservation 2 (d) falls or
fails, so must the Canadian declaration of 10 May 1994fall or fail. If the
Spanish argument is accepted on the results to be attached to Canada's
interpretation of the reservation, it follows that there is no basis whatever
in this case for the jurisdiction of the Court.

(Signed) Stephen M. SCHWEBEL.

45 COMPÉTENC PÉECHERIE (OP.IND.SCHWEBEL) 473

dispositions figurant àl'alinéad) du paragraphe 2. De plus, ces disposi­
tions ne comportent aucune des expressions consacréestelles que «sans
convention spéciale»ou «sous condition de réciprocité»,qui ne font que
reprendre les termes du Statut. L'alinéad) du paragraphe 2 n'est pas seu­
lement une disposition importante de la déclaration canadienne, elle en
est un élémentessentiel en l'absence duquel ou sans lequel il n'aurait pas
étéfait de nouvelle déclaration.
10. La Cour a reconnu «le lien étroitet nécessairequi existe toujours

entre une clause juridictionnelle et les réservesdont elle fl'objet»(Pla­
teau continental de lamer Egée, arrêt,C.I.J. Recuei/1978, p. 33). Il peut
cependant se présenter des cas d'application de la clause juridictionnelle
où ce lien peut êtredissous. L'un de ces cas, comme il a étésuggéréplus
haut, concerne telle ou telle disposition superflue. D'autres instances judi­
ciaires ou comitésont fait usage de cette facultéde dissolution à propos
de certaines conventions relatives à la protection des droits de l'homme.
Je ne m'aventurerai pas à donner mon opinion sur le bien-fondé d'une
dissolution de ce lien en pareilles circonstances, mais la Cour se trouve
placée dans un tout autre contexte. Lorsque, comme c'est le cas en
l'espèce,la réserveest présentéepar l'Etat déclarant comme une clause

essentielle faute delaquelle- ou sans laquelle -la déclaration n'aurait
pas étéfaite, il n'est pas loisibàela Cour de traiter cette réservecomme
nulle ou sans effet tout en considérant que le reste de la déclarationest en
vigueur. Si la réserveformulée à l'alinéad) du paragraphe 2 est nulle ou
dépourvue d'effet, la déclaration faite par le Canada le 10 mai 1994 est
elle aussi nulle ou dépourvue d'effet. Si l'argument de l'Espagne concer­
nant les conséquences de l'interprétation de la réserve donnée par le
Canada est retenu, il s'ensuit qu'il n'y a absolument aucun fondement en
l'espèceà la compétencede la Cour.

(Signé) Stephen M. SCHWEBEL.

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Opinion individuelle de M. Schwebel, président (traduction)

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