Déclaration de M. le juge Keith

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124-20071213-JUD-01-07-EN
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124-20071213-JUD-01-00-EN
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921

DÉCLARATION DE M. LE JUGE KEITH

[Traduction]

1. J’approuve la décision de la Cour ainsi que, pour l’essentiel, les
motifs exposés. Par cette déclaration, j’entends principalement souligner

un aspect important de la fonction de la Cour, consistant à régler confor-
mément au droit international les différends qui lui sont soumis. La Cour
a le pouvoir et la responsabilité, lorsqu’elle peut valablement le faire, de
trancher à un stade préliminaire toute question en litige entre les parties
si le règlement de l’affaire en est facilité. Ce pouvoir et cette responsabi-

lité, qui découlent du principe de bonne administration de la justice, ont
par exemple été exercés dans les affaires citées au paragraphe 49 de l’arrêt
de la Cour; ils sont également reflétés dans les termes généraux de la pre-
mière phrase du paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la Cour,
régissant les exceptions préliminaires, tel qu’initialement adopté en 1972.
Ils peuvent servir à sauvegarder les droits et intérêts des parties, notam-

ment ceux de la partie qui affirme qu’une question en litige a cessé de se
poser. La Cour ne doit pas laisser sans solution immédiate et renvoyer à
des débats ultérieurs une question qui, dans les circonstances particulières
de l’espèce, peut être valablement tranchée à ce stade préliminaire.
2. Les Parties sont en désaccord sur le point de savoir si la question de
la souveraineté sur les trois îles nommément désignées a été réglée en

vertu des dispositions du traité de 1928. Cette question se pose à l’égard
de chacune des deux bases de compétence autonomes invoquées par le
Nicaragua.
3. Je considère que la Cour peut valablement décider, comme elle l’a
fait et pour les raisons qu’elle avance, que la question de la souveraineté

était réglée en 1948 en faveur de la Colombie, au sens de l’article VI du
pacte de Bogotá. Il ne subsistait pas de différend. Pour essentiellement les
mêmes raisons, s’agissant du deuxième chef de juridiction, il n’existe plus
en ce qui concerne cette question de différend visé par le paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut de la Cour et par les déclarations des Parties faites
en vertu de celui-ci, ainsi que la Cour le déclare également. Il s’ensuit

qu’aucune des deux bases de juridiction invoquées par le Nicaragua ne
fonde la compétence de la Cour pour connaître de cette question.
4. Aux premier et troisième paragraphes, j’ai employé l’adverbe «vala-
blement» pour faire ressortir le fait que le pouvoir et la responsabilité de
trancher la question ne sont pas illimités. Ainsi qu’elle l’a souvent déclaré,

la Cour doit, en tant qu’organe judiciaire et cour de justice, demeurer
fidèle à sa vocation judiciaire (par exemple, les Jugements du Tribunal
administratif de l’OIT sur requêtes contre l’Unesco, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1956, p. 77 et 84). En particulier, elle doit disposer des élé-
ments qui lui sont nécessaires pour trancher la question selon le droit, et

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doit conférer à chaque partie les mêmes droits de présenter ses conclu-
sions et éléments de preuve sur cette question et de réfuter les arguments
invoqués contre elle. Je ne doute pas que ces deux conditions sont rem-

plies en l’espèce s’agissant des trois îles nommément désignées au sujet
desquelles la Cour a statué.

(Signé) Kenneth K EITH .

94

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921

DECLARATION OF JUDGE KEITH

1. I agree with the decision of the Court and in essence with the rea-
sons it gives. My principal purpose in preparing this declaration is to

emphasize an important aspect of the function of the Court in deciding in
accordance with international law disputes submitted to it. The Court
has the power and the responsibility, when it may properly do so, to
decide at a preliminary stage of a case a matter in dispute between the
Parties if deciding that matter will facilitate the resolution of the case.

That power and responsibility arise from the principle of the good
administration of justice, and are illustrated by the cases the Court cites
in paragraph 49 of its Judgment; they are also reflected in the broad
terms of the first sentence of paragraph 1 of Article 79 of the Rules of
Court, regulating preliminary objections, as originally adopted in 1972.
The power and responsibility may be used to safeguard the rights and

interests of the Parties, particularly those which contend that a matter is
no longer a live one. The Court should not leave unresolved for later and
further argument a matter which in the particular circumstances of the
case may be properly decided at that earlier stage.
2. The Parties disagree on the question whether the matter of sover-
eignty over the three named islands was settled by and in accordance with

the terms of the 1928 Treaty. That question arises in respect of each of
the two autonomous sources of jurisdiction invoked by Nicaragua.

3. I consider that the Court may properly decide, as it has and for the
reasons it gives, that in terms of Article VI of the Pact of Bogotá that

matter of sovereignty was settled in favour of Colombia as at 1948. There
was no extant dispute. For essentially the same reasons, to turn to the
second head of jurisdiction, there is now no dispute in respect of that
matter, as required by Article 36, paragraph 2, of the Statute of the Court
and the Parties’ declarations made under it, as again the Court rules. It
follows that the Court does not have jurisdiction in respect of that matter

under either head of jurisdiction invoked by Nicaragua.

4. In the first and third paragraphs I have used the adverb “properly”
to indicate a limit on the power and responsibility to decide. As the Court
has often declared, it must as a judicial body and a court of justice

remain faithful to the requirements of its judicial character (e.g. Judg-
ments of the Administrative Tribunal of the ILO upon Complaints Made
against Unesco, Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1956, pp. 77, 84). In
particular, it must have before it the material which it needs to decide the
matter according to law, and it must accord to each Party equal rights to

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DÉCLARATION DE M. LE JUGE KEITH

[Traduction]

1. J’approuve la décision de la Cour ainsi que, pour l’essentiel, les
motifs exposés. Par cette déclaration, j’entends principalement souligner

un aspect important de la fonction de la Cour, consistant à régler confor-
mément au droit international les différends qui lui sont soumis. La Cour
a le pouvoir et la responsabilité, lorsqu’elle peut valablement le faire, de
trancher à un stade préliminaire toute question en litige entre les parties
si le règlement de l’affaire en est facilité. Ce pouvoir et cette responsabi-

lité, qui découlent du principe de bonne administration de la justice, ont
par exemple été exercés dans les affaires citées au paragraphe 49 de l’arrêt
de la Cour; ils sont également reflétés dans les termes généraux de la pre-
mière phrase du paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la Cour,
régissant les exceptions préliminaires, tel qu’initialement adopté en 1972.
Ils peuvent servir à sauvegarder les droits et intérêts des parties, notam-

ment ceux de la partie qui affirme qu’une question en litige a cessé de se
poser. La Cour ne doit pas laisser sans solution immédiate et renvoyer à
des débats ultérieurs une question qui, dans les circonstances particulières
de l’espèce, peut être valablement tranchée à ce stade préliminaire.
2. Les Parties sont en désaccord sur le point de savoir si la question de
la souveraineté sur les trois îles nommément désignées a été réglée en

vertu des dispositions du traité de 1928. Cette question se pose à l’égard
de chacune des deux bases de compétence autonomes invoquées par le
Nicaragua.
3. Je considère que la Cour peut valablement décider, comme elle l’a
fait et pour les raisons qu’elle avance, que la question de la souveraineté

était réglée en 1948 en faveur de la Colombie, au sens de l’article VI du
pacte de Bogotá. Il ne subsistait pas de différend. Pour essentiellement les
mêmes raisons, s’agissant du deuxième chef de juridiction, il n’existe plus
en ce qui concerne cette question de différend visé par le paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut de la Cour et par les déclarations des Parties faites
en vertu de celui-ci, ainsi que la Cour le déclare également. Il s’ensuit

qu’aucune des deux bases de juridiction invoquées par le Nicaragua ne
fonde la compétence de la Cour pour connaître de cette question.
4. Aux premier et troisième paragraphes, j’ai employé l’adverbe «vala-
blement» pour faire ressortir le fait que le pouvoir et la responsabilité de
trancher la question ne sont pas illimités. Ainsi qu’elle l’a souvent déclaré,

la Cour doit, en tant qu’organe judiciaire et cour de justice, demeurer
fidèle à sa vocation judiciaire (par exemple, les Jugements du Tribunal
administratif de l’OIT sur requêtes contre l’Unesco, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1956, p. 77 et 84). En particulier, elle doit disposer des élé-
ments qui lui sont nécessaires pour trancher la question selon le droit, et

93922 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (DECL . KEITH )

present its evidence and submissions on that matter and to rebut the
material presented against it. I have no doubt that both requirements are
satisfied in this case in respect of the matter relating to the three named

islands on which the Court has ruled.

(Signed) Kenneth K EITH .

94 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (DÉCL .KEITH ) 922

doit conférer à chaque partie les mêmes droits de présenter ses conclu-
sions et éléments de preuve sur cette question et de réfuter les arguments
invoqués contre elle. Je ne doute pas que ces deux conditions sont rem-

plies en l’espèce s’agissant des trois îles nommément désignées au sujet
desquelles la Cour a statué.

(Signé) Kenneth K EITH .

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Déclaration de M. le juge Keith

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