Opinion individuelle de M. le juge Abraham

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124-20071213-JUD-01-06-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE ABRAHAM

Accord avec la partie de l’arrêt qui concerne les divers aspects du différend
autres que la souveraineté sur les trois îles — Désaccord sur ce dernier aspect —
Principale difficulté de l’affaire: tracer la ligne entre les questions qui relèvent
de la phase préliminaire et celles qui ne doivent être tranchées qu’après les
débats au fond — Caractère inhabituel, à cet égard, des dispositions du pacte de

Bogotá — Date à laquelle il convient de se placer pour apprécier si les condi-
tions de l’article VI du pacte sont remplies — Question de savoir si un traité
entaché de nullité peut être regardé comme en vigueur au sens de l’article VI —
Question de la validité du traité de 1928 soulevant des difficultés que la Cour
n’était pas à même d’aborder avec tous les éléments nécessaires au stade pré-
liminaire — Première exception ne présentant pas, dans cette mesure, un ca-
ractère exclusivement préliminaire — Caractère exclusif du pacte de Bogotá
pour le règlement judiciaire des différends entre les Etats parties au pacte —
Impossibilité d’affirmer qu’il ne subsiste plus de différend entre les Parties sur
la question de souveraineté sur les trois îles sans dénaturer la notion de
différend — Nécessité d’éviter la confusion entre le fond et la compétence.

1. Dans cette affaire, le demandeur — le Nicaragua — a invoqué deux
titres de juridiction dont chacun, à l’en croire, suffirait à établir la com-
pétence de la Cour: l’article XXXI du pacte de Bogotá et les déclarations

facultatives faites par les deux Parties sur la base de l’article 36 du Statut
de la Cour permanente de Justice internationale. Le défendeur — la
Colombie — a contesté l’une et l’autre des deux bases de compétence
invoquées et demandé à la Cour de se déclarer incompétente.
2. La Cour a examiné cette exception d’incompétence, d’abord en tant

qu’elle visait à combattre l’invocation de l’article XXXI du pacte de
Bogotá (c’est ce qu’elle a appelé par commodité la «première exception
préliminaire»), puis en tant qu’elle contestait l’invocation des déclara-
tions facultatives (ce qu’elle a appelé la «seconde exception prélimi-
naire»). Pour chacune des deux exceptions (ou branches de l’exception)
ainsi définies, la Cour a procédé à son examen en distinguant, comme elle

le devait, entre les différents objets (ou «aspects», comme les qualifie
l’arrêt) du différend. Il est évident, en effet, que lorsqu’elle est saisie d’une
demande portant simultanément sur plusieurs objets la Cour peut très
bien être compétente pour statuer sur certains d’entre eux seulement. Il
en résulte qu’en pareil cas, lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur une

exception préliminaire d’incompétence, elle ne saurait se livrer à un exa-
men global, mais doit rechercher si l’exception est fondée (et, corréla-
tivement, si sa compétence est établie) pour chacun des objets (ou
«aspects») de la demande.
3. Cette démarche a conduit la Cour, à bon droit selon moi, à distin-

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guer dans les revendications du Nicaragua trois «aspects» susceptibles de

faire l’objet d’un traitement distinct au regard de la question de compé-
tence: la souveraineté sur les trois îles nommément désignées à l’article
premier du traité de 1928 conclu entre les deux Parties (San Andrés, Pro-
videncia et Santa Catalina); la souveraineté sur les autres formations
maritimes en litige; enfin, la délimitation maritime suivant une ligne

médiane entre les côtes des deux Etats.
En ce qui concerne la «première exception d’incompétence», la Cour a
conclu que l’article XXXI du pacte de Bogotá lui donnait un titre de
compétence pour connaître des deuxième et troisième aspects ainsi dis-
tingués — et que, dans cette mesure, l’exception devait être rejetée; mais

que, en revanche, cette disposition, combinée avec les autres dispositions
pertinentes du pacte de Bogotá, ne lui permettait pas de connaître de la
revendication du Nicaragua relative aux «trois îles» — et que, dans cette
mesure, l’exception devait être accueillie.

En ce qui concerne la «seconde exception d’incompétence», la Cour a
conclu, d’une part, que les déclarations facultatives ne lui fournissaient
pas non plus une base de compétence pour connaître de la question de la
souveraineté sur les «trois îles», d’autre part, et fort logiquement, qu’elle
n’avait pas besoin d’examiner cette exception en ce qui concerne les

autres aspects du différend, dès lors qu’elle avait précédemment conclu
que, pour ceux-ci, elle tirait de l’article XXXI du pacte du Bogotá un titre
de compétence se suffisant à lui-même.
4. Je suis d’accord tant avec le dispositif qu’avec les motifs essentiels
de l’arrêt pour ce qui concerne les aspects du différend autres que la sou-

veraineté sur les «trois îles»: la Cour est compétente pour en connaître
sur la base du pacte de Bogotá, et elle n’avait pas besoin, dès lors, de
s’interroger sur l’existence d’un autre titre de compétence qu’auraient pu
lui fournir, le cas échéant, les déclarations facultatives.
En revanche, je suis au regret d’avoir à me séparer nettement de l’arrêt

pour ce qui est du traitement qu’il applique à la revendication du Nica-
ragua relative à la souveraineté sur les «trois îles». En effet, j’ai voté
contre le point 1 a) du dispositif qui retient à cet égard l’exception
d’incompétence, car je pense que la Cour aurait dû déclarer que l’excep-
tion ne possédait pas, dans les circonstances de l’affaire, un caractère

exclusivement préliminaire — pour autant qu’elle concernait cet aspect
du différend. Et, si je partage la conclusion selon laquelle la Cour n’a pas
compétence pour connaître de la même question sur la base des déclara-
tions facultatives (j’ai voté en faveur du point 2 a) du dispositif), c’est
pour des raisons tout à fait différentes de celles qui sont exprimées dans

l’arrêt, lesquelles me paraissent juridiquement inconsistantes.
5. Avant d’entrer quelque peu dans le détail des raisons qui sont les
miennes, je voudrais caractériser en quelques mots la principale difficulté
à laquelle la Cour s’est trouvée confrontée dans cette affaire (à ce stade de
la procédure), et qu’elle n’est pas bien parvenue, selon moi, à résoudre. Il

s’agit de la difficulté consistant à tracer la ligne de partage entre les ques-
tions qui relèvent purement des exceptions préliminaires, que la Cour peut

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et doit trancher dès le stade préliminaire de la procédure, et celles qui tou-
chent au fond, que la Cour doit réserver pour ne les trancher que plus
tard, après que les parties auront pu plaider complètement leur cause.

6. Certes, cette difficulté n’est ni nouvelle ni inhabituelle. Nous savons
bien que les questions de compétence, les questions de recevabilité et les
questions de fond ne sont pas des catégories séparées de façon hermé-
tique, et que pour statuer sur une exception d’incompétence ou d’irreceva-
bilité il est parfois nécessaire d’«effleurer» le fond du litige, comme l’a

reconnu la Cour permanente de Justice internationale dès 1925 (Certains o
intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, compétence, arrêt n 6,
1925, C.P.J.I., série A n 6, p. 15). La Cour ne peut pas se dérober à la
nécessité dans laquelle elle se trouve parfois d’aborder des points de fond

dont peuvent dépendre sa compétence ou la recevabilité de la requête,
mais, en même temps, elle doit se garder de juger le fond du différend dans
l’arrêt par lequel elle est censée répondre à des exceptions d’incompétence
ou d’irrecevabilité, la procédure au fond étant suspendue. C’est bien pour-

quoi l’article 79, paragraphe 9, du Règlement n’enferme pas la Cour dans
le choix binaire d’accueillir ou de rejeter l’exception qui lui est présentée
par le défendeur, mais lui permet aussi de déclarer que l’exception ne pré-
sente pas un caractère exclusivement préliminaire, ce qui signifie qu’il ne
pourra en être décidé qu’après les débats au fond. De ces dispositions, la

Cour avait fait en général, jusqu’à présent, une application caractérisée par
le doigté et le discernement.
7. Il n’en va pas ainsi dans la présente affaire. Cela est dû d’abord, à
mon sens, au fait que la Cour s’est trouvée en présence de dispositions

assez inhabituelles, qui ont exercé sur elle un fâcheux effet d’entraînement
auquel elle n’a pas su résister.
Je veux parler des dispositions combinées des articles VI et XXXIV du
pacte de Bogotá. L’article VI dispose que les procédures de règlement
judiciaire, que le pacte vise à favoriser, ne pourront pas s’appliquer,

notamment, «aux questions déjà réglées au moyen d’une entente entre les
parties», pas plus qu’à «celles régies par des accords ou traités en vigueur
à la date de signature du présent pacte». Et l’article XXXIV précise que,
si l’on se trouve dans un cas visé à l’article VI, la Cour internationale de

Justice devra se déclarer «incompétente pour juger le différend».
8. En quoi ces dispositions sont-elles inhabituelles? Non pas, certes, en
ce qu’elles expriment la volonté des Etats qui ont négocié le pacte de ne
pas permettre que des procédures judiciaires soient utilisées pour cher-

cher à remettre en cause des situations réglées par des traités en vigueur.
Quel Etat accepterait que les droits qu’il tient d’un traité dûment appli-
cable soient contestés à la faveur d’une procédure judiciaire? Et quel juge
international accepterait d’être sollicité en vue de faire échec au principe
pacta sunt servanda ? Que l’on sache, les procédures de règlement judi-

ciaire sont destinées à permettre aux traités ou accords en vigueur entre
les parties de produire leurs pleins effets (dans la mesure où le différend
se situe dans le champ d’application de tels traités ou accords), et non
à empêcher leur mise en Œuvre.

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L’originalité des dispositions précitées ne se trouve donc pas dans le

refus qu’elles expriment, et qui irait même sans dire, d’une remise en
cause des traités conclus entre les Etats parties au pacte — pour autant
qu’ils soient valides, point sur lequel je reviendrai plus loin. Elle réside
exactement dans le fait suivant: la circonstance que les dispositions d’un
traité en vigueur fassent obstacle aux prétentions qu’un Etat soumet à

la Cour constitue pour celle-ci une cause d’incompétence, selon l’ar-
ticle XXXIV du pacte, alors que dans le régime général une telle cir-
constance justifierait le rejet au fond desdites prétentions.
Autrement dit, le système particulier du pacte transforme en une ques-
tion de compétence ce qui, dans le régime général (par exemple, lorsque la

Cour est saisie sur la seule base des déclarations facultatives), serait une
pure question de fond, celle de savoir si la revendication d’un Etat à
l’égard d’un autre est conforme ou contraire aux dispositions convention-
nelles applicables dans leurs relations mutuelles.

9. Ici, par exemple, la question de savoir si le traité de 1928 attribue à
la Colombie la souveraineté sur les îles et autres formations maritimes
revendiquées par le Nicaragua, de même que celle de savoir si ledit traité
règle la délimitation maritime, comme le prétend la Colombie, selon une
ligne de partage différente de celle que réclame le Nicaragua, seraient

traitées, ordinairement, comme des questions de fond, et certainement
pas comme des questions ayant trait à la compétence de la Cour. Mais,
vues à travers le prisme du pacte de Bogotá, elles deviennent (aussi) des
questions de compétence, puisqu’elles touchent au point de savoir si la
demande du Nicaragua porte sur des matières qui ont été «réglées» ou

qui sont «régies» par des traités en vigueur. La confusion entre le fond et
la compétence devient ainsi, dans une certaine mesure, inévitable.
10. La Cour n’aurait cependant pas dû y succomber autant qu’elle l’a
fait. Certes, elle devait appliquer les dispositions pertinentes du pacte de
Bogotá, au moment où elle examinait l’exception d’incompétence du

défendeur visant à contester l’existence du titre de juridiction que le
demandeur prétendait fonder sur ledit pacte. Mais il lui appartenait aussi
de veiller au respect des principes fondamentaux qui gouvernent sa pro-
cédure, tels qu’ils se déduisent de son Statut et de son Règlement,
d’autant plus que le pacte de Bogotá renvoie lui-même au Statut de la

Cour (comme le relève à bon droit l’arrêt, par. 59). Au nombre de ces
principes fondamentaux figure la distinction entre ce qui doit relever de
l’examen préliminaire de la compétence et de la recevabilité, et ce qui ne
peut être décidé qu’à l’issue des débats au fond.
11. Nul doute que la tâche de la Cour n’était pas facile, puisqu’elle

consistait à trouver le juste équilibre, la meilleure conciliation possible,
entre les dispositions spéciales du pacte de Bogotá et les principes essen-
tiels qui gouvernent sa procédure, alors que les unes et les autres ne
paraissent pas, pour dire le moins, immédiatement en harmonie.
Comment la Cour s’est-elle acquittée de sa tâche? D’une manière qui,

selon moi, n’est pas satisfaisante. A plusieurs reprises, l’arrêt tranche,
sans nécessité aucune, des questions de fond que la Cour aurait été plus

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avisée de réserver pour la suite de la procédure. Elle n’a donc pas fait de
son mieux pour maintenir, autant que possible, la séparation entre l’exa-
men de la compétence et le jugement du fond. La confusion atteint son
comble, selon moi, avec la réponse que donne la Cour à la seconde excep-

tion préliminaire, dans laquelle, alors que l’on ne se trouve plus dans le
cadre du pacte de Bogotá, elle s’appuie sur des motifs de fond pour décli-
ner sa compétence.
Je vais reprendre à présent ces différents points, et quelques autres.

I. PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

12. Par sa première exception préliminaire (ou la première branche de
son exception préliminaire unique, mais cela importe peu), la Colombie a

contesté que le pacte de Bogotá fournisse à la Cour une base de compé-
tence en la présente affaire, au motif que les questions soulevées par le
Nicaragua dans sa demande ont toutes été réglées par le traité de 1928 et
le protocole de 1930 (ou plutôt, pour reprendre les termes exacts de l’ar-

ticle VI du pacte de Bogotá, que ces questions sont «régies» par lesdits
traité et protocole, mais je suis d’accord avec le paragraphe 39 de l’arrêt
lorsqu’il indique qu’aucune distinction n’est à faire pour les besoins de
l’espèce entre «régies» et «réglées»).
13. L’article VI du pacte n’interdisant d’appliquer les procédures de

règlement judiciaire qu’aux questions régies (ou réglées) par «des accords
ou traités en vigueur à la date de la signature du présent pacte», la Cour
a eu à se demander, pour répondre à cette exception, si le traité de 1928
était «en vigueur» à la date qui est ainsi visée, soit le 30 avril 1948.
Mais, à cet égard, la Cour n’avait pas les mêmes obligations selon que

l’on considère, d’une part, la partie de la demande relative aux trois îles
expressément mentionnées à l’article premier du traité de 1928 (San
Andrés, Providencia et Santa Catalina) et, d’autre part, les autres aspects
du différend — c’est-à-dire tout le reste.

Je commencerai par les «autres aspects», bien que l’arrêt ne les traite
qu’après la question des trois îles, ce que je n’entends nullement critiquer,
l’ordre étant indifférent.

A. Les aspects du différend autres que la souveraineté sur les trois
îles: le reste de l’archipel de San Andrés, les cayes de Roncador,
Quitasueño et Serrana, la délimitation maritime

14. En ce qui concerne ces divers aspects du différend, j’adhère pleine-

ment à la conclusion de l’arrêt selon laquelle aucun d’entre eux ne saurait
être regardé comme ayant été «réglé» ou «régi» par le traité de 1928,
contrairement à la thèse de la Colombie.
15. Il en résulte une conséquence importante: à l’égard de ces aspects
du différend, il n’était pas nécessaire pour la Cour de se prononcer sur le

point de savoir si le traité de 1928 était «en vigueur» en 1948, ni, a for-

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tiori, s’il a été conclu dans des conditions propres à affecter sa validité.

En effet, pour que la compétence de la Cour soit écartée, en applica-
tion des articles VI et XXXIV combinés du pacte de Bogotá (en d’autres
termes, pour que la Cour accueille une exception d’incompétence fondée
sur ces dispositions), il faut que deux conditions soient cumulativement
remplies:

— que la question soumise à la Cour par l’Etat demandeur soit régie (ou
réglée) par un traité liant les deux Parties; et

— que ce traité ait été «en vigueur» à la date de signature du pacte, soit
1948.

Si la première de ces deux conditions n’est pas remplie, et elle ne l’est
pas pour tous les aspects du différend autres que la souveraineté sur les
trois îles susmentionnées, il n’est pas nécessaire de rechercher si la seconde
condition est remplie. Bien que l’arrêt examine le «point de savoir si le

traité de 1928 était en vigueur en 1948» — et qu’il y réponde par l’affir-
mative — avant de passer à l’examen des différentes demandes du Nica-
ragua, aussi bien celle relative à la souveraineté sur les «trois îles» que les
autres, il est manifeste que, pour ces dernières, la réponse donnée à la
question précitée est sans aucun effet, puisque l’arrêt explique ensuite

qu’en ce qui les concerne rien n’est réglé par le traité.
J’approuve donc la conclusion de la Cour en ce qui concerne les
«autres aspects» du différend, alors même que je considère, comme je
l’expliquerai plus loin, que la Cour n’aurait pas dû se prononcer dès
maintenant sur la question de savoir si le traité de 1928 était «en

vigueur».
16. Il y a cependant un point qui n’est pas tout à fait évident.
Ce point est abordé au début de l’examen de la première exception pré-
liminaire (par. 45-52), et il concerne à la vérité l’ensemble des questions
débattues dans le cadre de la première exception, aussi bien la compé-

tence de la Cour pour connaître de la question des «trois îles» que sa
compétence pour connaître des «autres aspects» du différend. Il s’agit de
la question de savoir si la première exception de la Colombie présentait
un caractère exclusivement préliminaire , et si, par suite, il devait y être
répondu complètement dès le stade actuel de la procédure.

17. A mes yeux, la réponse n’était pas évidente, même pour les aspects
du différend autres que la souveraineté sur les «trois îles» (en ce qui
concerne ce dernier aspect, je reviendrai un peu plus loin sur la question).
En effet, en déclarant que le traité de 1928 n’a réglé aucune des ques-
tions dont il s’agit (le reste de l’archipel, les trois cayes, la délimitation

maritime), la Cour se prononce sur des points qui non seulement ne sont
pas étrangers au fond de l’affaire, mais qui se trouvent même, au moins
pour partie, au cŒur des arguments que les Parties s’apprêtent vraisem-
blablement à présenter à la Cour dans les débats sur le fond. Par exemple,
en ce qui concerne la délimitation maritime, une partie substantielle de la

thèse de la Colombie sur le fond est tirée du traité de 1928 et du protocole
de 1930 dans l’interprétation (que je suis d’accord avec l’arrêt pour ne pas

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trouver convaincante) qu’en donne la défenderesse. En écartant cette

interprétation, et en le faisant en termes catégoriques (par. 120), il est
clair que la Cour fait plus qu’«effleurer» — pour reprendre le terme
employé dans la jurisprudence classique — des questions de fond.
18. Cela étant dit, je suis d’accord avec l’arrêt pour considérer qu’il ne
suffit pas que l’examen d’une exception d’incompétence place la Cour

dans la nécessité de prendre position sur certaines questions de fond pour
que, ipso facto, la Cour soit empêchée de statuer sur ladite exception dans
la phase préliminaire, et qu’elle soit tenue de «joindre l’exception au
fond» (selon l’ancienne rédaction du Règlement) ou d’en renvoyer l’exa-
men jusqu’à la décision suivant les débats sur le fond en déclarant qu’elle

ne possède pas un caractère «exclusivement préliminaire» (selon l’actuelle
formule). La jurisprudence de la Cour contredit nettement une approche
aussi restrictive de l’«exception préliminaire».
19. Il n’en reste pas moins que se posait à la Cour, une fois de plus, la

question de savoir ce qu’il faut entendre par une exception qui «n’a pas
dans les circonstances de l’espèce un caractère exclusivement prélimi-
naire», au sens de l’article 79, paragraphe 9, du Règlement.
20. J’adhère, pour l’essentiel, à la formule qui figure au paragraphe 51
de l’arrêt, et qui distingue un principe et des exceptions.

Le principe est qu’«une partie qui soulève des exceptions préliminaires
a droit à ce qu’il y soit répondu au stade préliminaire». Ce n’est donc que
dans des circonstances particulières que la Cour doit renvoyer à plus tard
(après les débats au fond) l’examen d’une exception d’incompétence ou

d’irrecevabilité.
L’arrêt identifie ensuite deux exceptions au principe sus-énoncé (à mon
avis, il est imprudent de présenter, comme le fait l’arrêt, ces deux excep-
tions comme limitatives, car on ne saurait exclure d’autres circonstances
particulières; mais ce sont sans doute les plus importantes). La première

concerne le cas où la Cour ne dispose pas de tous les éléments nécessaires
pour se prononcer sur les questions soulevées, notamment parce qu’elle
n’aurait pas été suffisamment éclairée par le débat entre les parties au
cours de la phase préliminaire. En pareil cas, la sagesse commande de ne
pas trancher à la légère des questions qui ne pourront être envisagées

dans tous leurs aspects qu’après que les parties auront été à même de pré-
senter complètement leurs arguments sur le fond. La seconde exception
vise le cas où le fait de répondre à l’exception préliminaire équivaudrait à
trancher le différend (ou certains éléments du différend) au fond. Selon
moi, cette exception au principe s’impose plus encore lorsque la Cour

serait portée à rejeter l’exception préliminaire que lorsqu’elle serait tentée
de l’accueillir. Car, dans le premier cas, la Cour laisserait se poursuivre
une procédure dont l’issue serait en fait «préjugée» par les motifs de
l’arrêt préliminaire (même si, formellement, le dispositif de celui-ci se
borne à permettre à la Cour de procéder à l’examen du fond), de telle

sorte que la procédure subséquente serait privée de tout intérêt pra-
tique — si la Cour s’estime liée par les motifs de son arrêt sur l’excep-

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tion — ou que la Cour s’exposerait au risque de se contredire — si elle ne

s’estime pas liée. Une telle situation serait, évidemment, hautement indé-
sirable.
21. En appliquant ces critères — que je crois justes—àa l première
exception préliminaire en tant qu’elle est relative aux aspects du différend
autres que la souveraineté sur les «trois îles», je pense que la Cour a eu

raison d’estimer qu’il n’existait en l’espèce aucune circonstance particu-
lière justifiant qu’elle ne statuât pas dès maintenant sur l’exception pour
la rejeter.
Certes, la procédure se poursuivra sur le fond, alors que la Cour, dans
son arrêt préliminaire, a pris parti sur des arguments non dénués d’impor-

tance du point de vue de la démonstration que cherche à faire la Colom-
bie pour établir le bien-fondé de ses prétentions. Mais on ne peut pas dire
que la solution au fond est «prédéterminée» dans une mesure telle qu’il
ne reste presque plus rien, ou trop peu de choses, à débattre utilement par

la suite.
Une fois que l’on a dit, par exemple, que la délimitation maritime ne
résulte pas directement du traité de 1928, il reste à déterminer les bases et
les modalités d’une telle délimitation, c’est-à-dire, tout de même, l’essen-
tiel du différend sur ce point. Et je ne crois pas non plus que l’on se

trouve dans l’autre cas: la Cour a été suffisamment éclairée par les débats
entre les Parties pour pouvoir affirmer avec des arguments solides que
tous ces aspects du différend ne sont pas réglés par le traité de 1928, et il
est peu probable que les débats qui vont suivre apportent, à cet égard, des
éléments de nature à infirmer l’appréciation de la Cour.

22. Il reste une dernière question qui revêt à mes yeux une grande
importance, mais que l’arrêt s’abstient de trancher, selon moi à juste titre.
Il s’agit de la question de savoir si et dans quelle mesure les positions
qu’adopte la Cour sur des points de fond dans les motifs (mais non pas,
par construction, dans le dispositif) de son arrêt sur les exceptions préli-

minaires s’imposent aux parties lorsqu’elles viennent ensuite plaider sur le
fond, et s’imposent à la Cour elle-même dans son arrêt final.
Il s’agit là d’une question fort délicate. A n’en pas douter, lorsque la
Cour prend parti sur des points de fond dans l’arrêt préliminaire, les posi-
tions qu’elle adopte ne sauraient rester sans incidence sur la manière dont

le fond pourra ultérieurement être débattu entre les parties. Cela ne signi-
fie pas pour autant qu’il soit forcément interdit aux parties de rouvrir (ou
de poursuivre) le débat sur ces points de fond, dans la dernière phase de
la procédure, et à la Cour de modifier ses appréciations y relatives si on
lui fournit de bonnes raisons à cette fin.

La question est difficile. Ce n’est pas dans son arrêt sur la compétence
que la Cour doit la trancher, car ce n’est d’aucune utilité aux fins de la
décision sur les exceptions préliminaires. C’est dans l’arrêt sur le fond que
la Cour sera appelée le cas échéant — c’est-à-dire si une Partie plaide sur
un point de fond examiné dans l’arrêt préliminaire—àse prononcer sur

la portée de l’autorité qui s’attache à son arrêt antérieur. C’est pourquoi
je ne souhaite pas exprimer une opinion sur ce point dès maintenant.

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B. La partie du différend relative à la souveraineté sur les trois îles:

San Andrés, Providencia et Santa Catalina

23. Pour cette partie du différend, il est clair que la question a été
«réglée», ou est «régie», par le traité de 1928. La Cour devait donc se
poser la question de savoir si ce traité était «en vigueur à la date de la
signature» du pacte de Bogotá, au sens de l’article VI du pacte. Répondre
à cette question supposait de régler deux questions préliminaires: premiè-

rement, à quelle(s) date(s) faut-il se placer pour apprécier la réalisation de
la condition posée à l’article VI? Deuxièmement, un traité peut-il être
regardé comme «en vigueur» au sens de cette disposition si sa conclusion
a été entachée d’un vice de nature à affecter sa validité? Si la réponse à
cette deuxième question était négative, la Cour avait alors à se demander

si elle devait prendre parti dès l’arrêt préliminaire sur les arguments du
Nicaragua relatifs à la nullité du traité.

1. A quelle(s) date(s) faut-il se placer?

24. Le paragraphe 73 de l’arrêt répond à cette question en relevant que
l’article VI mentionne la «date de la conclusion du pacte», et que cette

date est 1948. Le paragraphe 81 est plus explicite encore: il indique que
1948 est la «date à retenir aux fins de déterminer si les dispositions de
l’article VI de ce pacte, qui prévoient une exception à la compétence
dévolue à la Cour en vertu de son article XXXI, trouvent à s’appliquer».
Cela permet ensuite à la Cour d’ajouter (par. 82, dernier alinéa) que

«la question de savoir si le traité a pris fin en 1969 est sans perti-
nence quant à sa compétence, étant donné que le point déterminant ...
est celui de savoir si le traité de 1928 était en vigueur à la date de la

signature dudit pacte, c’est-à-dire en 1948, et non en 1969».
25. Cette motivation me paraît trop abrupte. Il me semble qu’une

interprétation raisonnable de l’article VI du pacte de Bogotá, quant à la
date pertinente, ne peut pas être absolument symétrique, et qu’il y a lieu
de distinguer deux cas.
Si le traité dont se prévaut la partie qui invoque l’incompétence de la
Cour (le défendeur) n’était pas en vigueur en 1948, alors il convient, pour

cette seule raison, de rejeter l’exception; peu importe que le traité en
cause ait été en vigueur à une date antérieure à 1948 (mais plus à cette
date), ou même qu’il ait été conclu postérieurement à 1948 — mais anté-
rieurement à l’introduction de l’instance devant la Cour. Cette dernière
circonstance aura certes une influence sur la solution du litige au fond,

mais elle ne fait pas obstacle à la compétence de la Cour.
Si, au contraire, le traité était en vigueur en 1948 (et qu’il règle la ques-
tion qui fait l’objet du différend), il me semble que la Cour ne devrait se
déclarer incompétente que si ce traité était toujours en vigueur à la date
de l’introduction de l’instance . Dans ce cas, il n’y a pas une seule date qui

soit pertinente, mais deux. En effet, l’interprétation contraire — celle que
retient l’arrêt, et qui peut se réclamer d’une lecture littérale de l’ar-

83912 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP. IND. ABRAHAM )

ticle VI — aboutit à des conséquences déraisonnables, dont on ne peut pas

supposer qu’elles aient été voulues par les rédacteurs du pacte de Bogotá.
Cela signifierait que la Cour ne serait pas compétente pour connaître
d’un différend qui porterait sur une question réglée par un traité en
vigueur en 1948, alors même que ce traité aurait cessé d’être en vigueur
(par exemple, parce qu’il aurait été abrogé d’un commun accord entre les

parties) entre 1948 et la date de la saisine de la Cour. Il est vraiment dif-
ficile de penser que les Etats qui ont conclu le pacte de Bogotá, et qui ont
poursuivi le but de favoriser autant que possible le règlement judiciaire
des différends entre eux, aient pu vouloir une conséquence aussi étrange.
Aussi, selon moi, faut-il comprendre l’article VI comme faisant obstacle à

la compétence de la Cour dans le cas où la question en litige est régie par
un traité en vigueur en 1948 (cela est écrit), pourvu que ledit traité soit
toujours en vigueur à la date de l’introduction de l’instance (cela est sous-
entendu).

26. Je n’adhère donc pas au raisonnement exposé au paragraphe 82: je
pense que la Cour, pour répondre à la première exception préliminaire en
ce qui concerne les «trois îles» — ce dont elle aurait dû s’abstenir selon
moi, pour des raisons que j’exposerai au point 3 ci-après —, ne pouvait
pas se borner à rechercher si le traité de 1928 était en vigueur en 1948, en

déclarant inopérant l’argument du Nicaragua selon lequel le traité—àle
supposer valide — a pris fin en 1969.

27. La Cour ne paraît d’ailleurs pas avoir été elle-même vraiment
convaincue par son interprétation, puisque au paragraphe 89 elle fait

exactement ce que, au paragraphe 82, elle a annoncé qu’elle ne ferait
pas: elle se prononce sur l’argument du Nicaragua relatif à la prétendue
extinction du traité de 1928 par suite de sa violation en 1969 par la
Colombie, l’écartant au motif que, même si cela était exact, «cela ne chan-
gerait rien à la souveraineté de la Colombie sur les [trois] îles» — c’est-

à-dire non seulement en 1948, date du pacte de Bogotá, mais aujourd’hui
encore. Mais, s’il était vrai que pour décider de la compétence de la Cour
il faut se placer exclusivement en 1948 et rechercher quelles questions
étaient réglées à cette date par des traités en vigueur, pourquoi la Cour
aurait-elle éprouvé le besoin d’ajouter l’affirmation, non dénuée d’impor-

tance, qui figure au paragraphe 89? Puisque je ne saurais expliquer cette
apparente contradiction par un manque de cohérence de la part de mes
collègues, je dois bien supposer que la Cour a voulu ici, tout simplement,
régler le fond du différend. Ce faisant, elle est sortie du rôle qui est le sien
à ce stade de la procédure.

2. Un traité privé de validité peut-il être regardé comme «en vigueur»
en 1948 au sens de l’article VI du pacte?

28. Pour combattre l’exception de la Colombie tirée de l’article VI du

pacte, le Nicaragua a soutenu que le traité de 1928 ne pouvait être
regardé comme «en vigueur» en 1948, et ne pouvait avoir réglé aucune

84913 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP. IND. ABRAHAM )

question, dès lors qu’il avait été conclu dans des conditions de nature à le

rendre invalide.
29. L’argument du Nicaragua, sur ce point, n’est opérant que si l’on
commence par admettre qu’un traité ne peut avoir été «en vigueur» au
sens de l’article VI que s’il n’est pas entaché de nullité; autrement dit,
qu’il ne suffit pas qu’il ait été formellement en vigueur, c’est-à-dire

que, étant entré initialement en vigueur selon ses propres stipulations, il
n’ait fait l’objet, à la date pertinente (1948), d’aucune procédure d’abro-
gation, de dénonciation ou de suspension.
30. La Cour ne traite pas expressément cette question. Mais l’arrêt la
résout implicitement, puisque, après avoir examiné l’argument du Nica-

ragua, il conclut (par. 81) que «le traité de 1928 était valide et en vigueur
à la date de la conclusion du pacte de Bogotá en 1948». En d’autres
termes, la Cour semble bien admettre qu’un traité ne saurait être en vi-
gueur au sens de l’article VI, à la date pertinente, s’il n’était pas, à la

même date, valide.
31. J’approuve la position de la Cour sur l’interprétation de la notion
de «traité en vigueur», quoique je regrette qu’elle ne se soit pas expliquée
plus clairement sur ce point.
Un traité n’est en vigueur qu’à partir du moment où il est apte à pro-

duire ses pleins effets juridiques à l’égard des parties (ou, réciproquement,
il ne produit ses pleins effets juridiques qu’à partir du moment de son
entrée en vigueur). Or, selon l’article 69, paragraphe 1, de la convention
de Vienne sur le droit des traités, qui exprime sans aucun doute le droit
coutumier, «[l]es dispositions d’un traité nul n’ont pas de force juri-

dique», d’où il résulte qu’un traité entaché de l’une des causes de nul-
lité définies par la convention de Vienne — pour autant qu’elle codifie la
coutume — ne saurait être regardé comme «en vigueur», dans le sens
ordinaire du terme.
32. Peut-être la proposition qui précède pourrait-elle être nuancée

pour ce qui concerne les causes de nullité visées aux articles 46 à 50 de la
convention de Vienne, qui entraînent une nullité «relative», laquelle ne
peut être constatée que si elle a été invoquée par la partie qui y a intérêt
(la partie «victime»), selon la procédure décrite à l’article 65. A l’égard
de ces causes de nullité, on pourrait soutenir à la rigueur qu’un traité

entaché de l’une d’entre elles demeure en vigueur aussi longtemps, au
moins, que la partie qui pourrait le faire ne l’a pas invoquée (et
peut-être, d’ailleurs, ne l’invoquera-t-elle jamais). Mais même cette
proposition n’est pas évidente, car la nullité d’un traité, une fois consta-
tée (par exemple judiciairement), entraîne en principe, et quelle qu’en

soit la cause, des effets rétroactifs ab initio, sous réserve des tempéra-
ments prévus à l’article 69, paragraphe 2, de la convention de Vienne.

33. En tout cas, il me paraît qu’on ne saurait regarder comme ayant
été à un quelconque moment «en vigueur» un traité entaché d’une nullité

absolue, ce que soutient le Nicaragua — à tort ou à raison, mais à tort
selon l’arrêt — au sujet du traité de 1928.

85914 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP.IND . ABRAHAM )

Sans doute cette interprétation aurait-elle pu être écartée, ou contre-

dite, s’il y avait eu de sérieuses raisons de comprendre l’expression «trai-
tés en vigueur», dans le contexte particulier de l’article VI du pacte de
Bogotá, dans un sens différent. Mais la Cour n’en a pas trouvé. Il aurait
fallu pour cela pouvoir établir que l’intention des Etats ayant élaboré le
pacte avait été d’interdire à un Etat de contester, à l’occasion des procé-

dures de règlement judiciaire des différends, la validité de tout traité for-
mellement en vigueur en 1948. Une telle intention ne se présume pas. Elle
n’a pas été démontrée.
34. Cela étant, la Cour, sur la base de l’interprétation qu’elle a retenue
de la notion de «traité en vigueur», s’est engagée dans l’examen de la

thèse du Nicaragua alléguant la nullité (ou l’invalidité, je ne fais guère la
différence) du traité de 1928. Cela l’a conduite, sans se prononcer direc-
tement sur les deux causes de nullité invoquées par le demandeur, à cons-
tater que le Nicaragua avait constamment reconnu la validité du traité en

question dans les cinquante années suivant sa conclusion, et qu’il était
donc à présent privé du droit d’invoquer la nullité du traité pour quelque
cause que ce soit (par. 77-80).
Ce faisant, la Cour a pris parti sur un point de fond d’une grande com-
plexité; je pense qu’elle aurait mieux fait de s’en abstenir à ce stade de la

procédure. Cela m’amène au point suivant.

3. La Cour devait-elle prendre parti sur la question de la validité du

traité de 1928 dès le stade de la décision sur les exceptions
préliminaires?

35. Nous en revenons aux critères permettant d’apprécier si une excep-
tion présente, ou non, un caractère exclusivement préliminaire.
36. Au paragraphe 51 de l’arrêt, la Cour, après avoir énoncé les deux

cas dans lesquels elle doit s’abstenir de se prononcer immédiatement sur
une exception (elle ne disposerait pas de tous les éléments nécessaires, ou
bien cela équivaudrait à trancher le fond du différend), ajoute qu’elle «ne
se trouve en l’espèce dans aucune de ces deux situations».
Je crois au contraire que, en ce qui concerne la question de la validité

du traité et ses effets quant à la souveraineté sur les «trois îles», la Cour
se trouvait dans l’un et l’autre de ces deux cas.
37. En premier lieu, il est manifeste que, en statuant comme elle l’a
fait, la Cour a réglé définitivement, et réglé au fond, le différend relatif
aux «trois îles». Que nous dit l’arrêt — supposé ne se prononcer que sur

la compétence de la Cour? Que le traité de 1928 a attribué à la Colombie
la souveraineté sur les trois îles nommément désignées à son article pre-
mier. Que le Nicaragua ne saurait à présent invoquer quelque cause de
nullité du traité, à supposer même qu’une telle cause pût être décelée à
l’origine, en raison de son comportement postérieur pendant une longue

période. Qu’enfin, même si le traité avait pris fin en 1969 comme le pré-
tend le Nicaragua, cela ne changerait rien à la permanence des effets juri-

86915 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP .IND .ABRAHAM )

diques de celles de ses dispositions qui attribuent à la Colombie la sou-

veraineté sur les «trois îles». Et que, en conséquence, la Cour ne
s’occupera plus désormais de la partie du différend relative aux trois îles
en question.
Que faut-il de plus pour considérer que «le fait de répondre à l’excep-
tion préliminaire équivau[t] à trancher le différend, ou certains de ses élé-

ments, au fond», selon la formule qui définit l’un des deux cas dans
lesquels, selon la Cour elle-même, elle devrait s’abstenir de statuer sur
l’exception?
38. Pour justifier son choix, la Cour relève, au paragraphe 51, que la
question de la validité du traité «ne constitu[e] pas l’objet du différend au

fond», et qu’«[i]l s’agit en fait d’une question préliminaire qu’elle doit
trancher afin de déterminer si elle a compétence»: ainsi, il n’y aurait,
dans les motifs qu’elle adopte, nul empiétement sur le fond du différend.
Il est difficile d’être convaincu par ces justifications. Il est exact, selon

moi, que la question de la validité du traité ne constitue pas l’objet même
du différend. Sur ce point, j’adhère au raisonnement de l’arrêt, et
j’approuve la première des deux propositions précitées. Mais pas la
seconde: il est tout à fait erroné de présenter la question de la validité du
traité comme étant seulement une question préliminaire à la détermina-

tion de la compétence de la Cour; c’est aussi, et surtout, une question qui
commande la solution du différend au fond, dans l’argumentation du
Nicaragua. Et, en la tranchant, la Cour fait donc nécessairement plus que
de se prononcer sur sa compétence.
39. A vrai dire, malgré les observations qui précèdent, j’aurais pu me

rallier à la démarche de la Cour sur ce point si la question de la validité
du traité de 1928 avait appelé une réponse simple, et que la solution se fût
imposée avec évidence.
Après tout, comme je l’ai dit, c’est le pacte de Bogotá lui-même qui
crée une confusion, rendue dans une certaine mesure inévitable, entre le

fond et la compétence. Et j’ai aussi indiqué plus haut qu’il me semblait
moins critiquable que la Cour se prononce sur des points de fond en vue
de statuer sur une exception préliminaire lorsqu’elle accueille celle-ci, car
en pareil cas l’arrêt met un point final au procès (sur tout ou partie des
questions qui forment l’objet du différend).

40. Mais il y a plus grave: pour trancher la question de la validité du
traité de 1928, la Cour a dû prendre parti sur des points de droit et de fait
d’une grande complexité, à propos desquels le débat entre les Parties ne
s’était pas encore suffisamment développé à ce stade, et sur lesquels, par
suite, elle «ne dispos[ait] pas de tous les éléments nécessaires». Elle se

trouvait donc aussi dans l’autre des deux cas dans lesquels, selon sa
propre définition, elle devrait s’abstenir de décider sur l’exception.
41. Pour rejeter l’argument du Nicaragua tiré de la nullité du traité de
1928, la Cour se livre d’abord à un exposé détaillé du comportement du
Nicaragua entre 1928 et 1980, date à laquelle il a pour la première fois

officiellement argué de la nullité du traité (par. 78 et 79).
42. Elle en tire ensuite une conséquence de droit au paragraphe 80: le

87916 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP .IND .ABRAHAM )

Nicaragua ne peut plus, dès lors, se prévaloir de l’invalidité du traité de

1928 pour affirmer qu’il n’était pas en vigueur en 1948. Cela lui permet
de conclure au paragraphe 81 que le traité «était valide et en vigueur»
en 1948.
Il est clair que la Cour a entendu faire ici application de la règle selon
laquelle un Etat ne peut plus invoquer une cause de nullité d’un traité si,

après avoir eu connaissance de cette cause — et avoir été ainsi mis à
même de la dénoncer —, il doit, à raison de sa conduite subséquente, être
considéré comme ayant acquiescé à la validité du traité.
43. Je n’aurais rien à objecter à une telle motivation si le Nicaragua
s’était borné à invoquer, en tant que cause de nullité du traité de 1928,

la prétendue méconnaissance, au moment de la conclusion du traité,
de ses propres règles constitutionnelles. La solution s’imposerait alors
clairement.
44. Mais le Nicaragua a aussi invoqué la nullité qui résulterait, selon

lui, de la contrainte sous laquelle il se trouvait placé en 1928, du fait de
l’occupation d’une partie de son territoire par les forces armées des Etats-
Unis, et qui aurait altéré son libre arbitre.
A cet égard, la motivation de l’arrêt soulève une difficulté majeure.

45. En effet, selon la convention de Vienne, qui doit sans doute être
regardée comme exprimant sur ce point le droit coutumier actuel des trai-
tés, la règle qui fait obstacle à ce qu’un Etat invoque une cause de nullité
lorsque, par son comportement ultérieur, il a acquiescé à la validité du
traité ne s’applique pas dans le cas de la nullité absolue découlant de ce

que le traité a été conclu sous la contrainte résultant de la menace ou de
l’emploi de la force en violation des principes du droit international
incorporés, à présent, dans la Charte des Nations Unies. C’est ce qui se
déduit de la combinaison des articles 45 et 52 de la convention de Vienne.
La solution retenue par la Cour dans la présente affaire est donc incom-

patible avec le droit actuel des traités.
46. Cela ne signifie pas pour autant que cette solution soit nécessaire-
ment erronée. Car, en l’espèce, ce ne sont ni la convention de Vienne ni le
droit coutumier actuel des traités qui s’appliquent, puisqu’il s’agit d’appré-
cier la validité d’un traité conclu en 1928 et appliqué sans contestation

jusqu’en 1980.
On pourrait soutenir qu’en 1928 la contrainte résultant de la menace
ou de l’emploi de la force ne constituait pas une cause de nullité d’un
traité international. Même si l’on écarte la proposition précédente, on
pourrait aussi soutenir (avec plus de raison selon moi) que le droit cou-

tumier applicable à l’époque considérée ne donnait pas à ladite nullité un
caractère absolu, de telle sorte qu’elle pouvait être couverte par le com-
portement subséquent de l’Etat victime, ce qui ne serait plus le cas
aujourd’hui.
47. Le problème, c’est que l’arrêt n’explique rien de tout cela, en

grande partie parce que ces points n’ont pas été vraiment débattus à ce
stade de la procédure. Le Nicaragua, qui a soulevé l’argument de la nul-

88917 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP. IND. ABRAHAM )

lité du traité, s’est réservé expressément d’y revenir pour le développer
dans les débats au fond, ce qui ne m’apparaît pas de sa part une démar-
che imprudente ou illégitime car, comme je l’ai dit plus haut, il est clair
que ce point touchait au moins autant au fond qu’à la compétence.

48. Dès lors, il me semble que, par les motifs qu’elle a retenus, la Cour
est entrée de manière un peu légère dans une matière extrêmement déli-
cate et d’une grande importance, celle du droit international des traités,
qu’elle l’a fait sans donner d’explication suffisante sur le fondement de la
solution adoptée, et sans nécessité aucune, puisqu’il lui aurait été facile de

réserver ces questions pour la suite de la procédure.
49. Je crains donc que sur ce point l’arrêt rendu, loin de clarifier le
droit applicable, ne contribue à jeter un peu de confusion: telle n’est pas
l’idée que je me fais de la mission de la Cour, et c’est pourquoi je ne m’y
suis pas associé.

* * *

II. SECONDE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

50. L’examen de la «seconde exception préliminaire» ne présentait
plus d’intérêt que pour la partie du différend concernant la souveraineté
sur les «trois îles». Pour le reste du différend, en effet, la Cour s’étant

reconnue compétente sur la base du pacte de Bogotá, il ne lui était pas
utile de rechercher s’il pouvait exister une autre base de compétence — les
déclarations facultatives — qui eût été en tout état de cause superféta-
toire: c’est ce qu’exprime le paragraphe 132, en des termes que j’approuve
pleinement.

51. Un argument aurait permis d’accueillir cette seconde exception
sans qu’il soit besoin de décider si les déclarations du Nicaragua et de
la Colombie continuaient à produire effet à la date d’introduction de
l’instance et si la réserve ratione temporis figurant dans la déclaration

colombienne s’appliquait en l’espèce: c’est l’argument tiré du caractère
exclusif du pacte de Bogotá comme base de compétence de la Cour pour
connaître de différends entre des Etats parties au pacte.
Je considère pour ma part cet argument comme convaincant. L’arrêt
l’écarte pour les motifs qui figurent aux paragraphes 133 à 136, lesquels

me paraissent particulièrement faibles.
52. Le paragraphe 133 se borne à constater que, dans son arrêt de
1988 sur l’affaire relative à des Actions armées frontalières et transfron-
talières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité , la Cour

n’a pas écarté la thèse selon laquelle les déclarations facultatives de l’ar-
ticle 36 pourraient constituer une base de compétence distincte et suffisante
entre Etats parties au pacte. C’est parfaitement exact, et cela signifie que
la Colombie a eu tort de plaider le contraire, en sollicitant à l’excès le sens
de l’arrêt de 1988. Mais cela ne fournit aucun argument en faveur de la

thèse que la Cour, en 1988, n’a pas écartée. Elle ne l’a pas écartée, certes,

89918 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP.IND .ABRAHAM )

mais elle ne l’a pas davantage approuvée. On se trouve donc en présence

d’un point de droit à propos duquel la jurisprudence antérieure est
muette (puisqu’il a été réservé), et il faudrait par conséquent donner les
raisons pour lesquelles ce point devrait être tranché aujourd’hui dans un
sens plutôt que dans l’autre.
53. C’est ce que ne fait pas l’arrêt. Car le paragraphe 134 n’en dit pas

plus, à cet égard, que le paragraphe 133. Il ne fait que reprendre, sous une
forme différente, l’idée selon laquelle l’arrêt de 1988 n’a pas tranché la
question dans le sens plaidé par la Colombie. On attend toujours les rai-
sons qui justifient que la question soit tranchée dans l’autre sens.
54. Les trouve-t-on au paragraphe suivant (il serait temps, puisque

c’est le dernier précédant la conclusion)?
Pas vraiment: le paragraphe 135 se borne à citer le dictum, de caractère
général, de l’arrêt de la CPJI de 1939 dans l’affaire de la Compagnie
d’électricité de Sofia et de Bulgarie , affaire dans laquelle on chercherait

en vain un rapport avec les dispositions très particulières du pacte de
Bogotá. Ce dictum énonce que, lorsque des engagements multiples ont été
contractés par les Etats en faveur de la juridiction obligatoire de la Cour,
lesdits engagements doivent s’additionner plutôt que se neutraliser
mutuellement. Idée incontestablement juste en règle générale, mais qui

ne tient compte d’aucune des spécificités du pacte de Bogotá. L’arrêt
ne répond donc pas aux arguments de la Colombie, en particulier ceux
exposés au paragraphe 126, arguments que pour ma part je trouve
convaincants.
55. En particulier, la formule très spécifique figurant à l’article XXXIV

du pacte, selon laquelle, si la Cour se déclare incompétente pour juger un
différend, pour l’une des causes d’incompétence mentionnées aux ar-
ticles V, VI et VII, ce différend «sera déclaré terminé», me paraît exclure
clairement que la Cour puisse être saisie du même différend sur la base
d’un autre titre de compétence à la suite d’un arrêt par lequel elle aurait

décliné sa compétence sur la base du pacte de Bogotá. Par suite, cette
disposition me paraît également faire obstacle, logiquement, à ce qu’un
différend soit soumis à la Cour par un Etat partie au pacte de Bogotá
contre un autre Etat partie sur la base d’un titre de compétence autre que
le pacte lui-même, ou encore sur la base, simultanément, du pacte et d’un

autre titre de compétence, comme en l’espèce.
56. Plus généralement, je comprends le pacte de Bogotá, compte tenu
de ses dispositions particulières et de son économie générale, comme
ayant institué entre les Etats parties un mécanisme de règlement judiciaire
des différends devant la Cour internationale de Justice exclusif de tout

autre, dans sa portée comme dans ses limites, rendant ainsi inopérantes,
dans les rapports entre Etats parties au pacte (mais seulement dans ces
rapports), les déclarations facultatives que lesdits Etats peuvent avoir
faites par ailleurs sur la base de l’article 36, paragraphe 2, du Statut
de la Cour.

57. L’arrêt retient l’interprétation contraire. Cependant, il parvient
également à la conclusion (que je partage) que la Cour n’est pas compé-

90919 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP. IND. ABRAHAM )

tente pour connaître de la question de la souveraineté sur les «trois îles»

sur la base des déclarations facultatives, mais pour un motif qui, je dois
l’avouer, me plonge dans un abîme de perplexité.
C’est que, explique la Cour au paragraphe 138, il ne subsiste plus
de différend entre les Parties sur la question de la souveraineté sur les
trois îles.

58. Une telle affirmation, outre qu’elle me paraît contraire au bon sens
le plus élémentaire — mais il est vrai que le bon sens des uns n’est pas
forcément celui des autres —, repose sur une dénaturation complète, et
fort préoccupante, de la notion même de «différend».
59. Voici que se présentent devant la Cour deux Etats qui revendi-

quent l’un et l’autre la souveraineté sur les mêmes îles. L’un d’eux affirme
(apparemment à bon droit) qu’il possède cette souveraineté depuis qu’elle
lui a été reconnue par un traité conclu entre les deux Etats en cause.
L’autre répond (sans doute à tort, mais ce n’est pas la question ici) que ce

traité est nul depuis l’origine, et que de toute façon, même s’il était valide
initialement, il a cessé depuis lors d’être en vigueur, si bien qu’il ne peut
plus lui être opposé en tant que titre de souveraineté.
Ne trouve-t-on pas ici tous les éléments caractéristiques d’un différend
susceptible d’être soumis à la décision judiciaire? Non, répond tranquil-

lement la Cour: il n’y a plus de différend.
60. La raison donnée par le paragraphe 138 — car il y en a une — est
que le différend n’existe plus car il a été réglé par le traité de 1928, pour
les raisons qui ont été exposées à l’occasion de l’examen de la première
exception préliminaire.

N’est-il pas évident qu’on se trouve là en présence d’une confusion
complète entre le fond et la compétence?
61. Je laisse de côté la question, tout à fait secondaire, de savoir si
l’absence de différend réel et actuel entre les parties constitue une cause
d’incompétence de la Cour ou un cas d’irrecevabilité de la demande, ce

qui, à vrai dire, ne fait guère de différence.
62. Ce que le traité de 1928 a pu régler — à supposer qu’il l’ait fait de
manière valide —, c’est le différend qui existait à l’époque entre les deux
Etats. Mais il n’a pas réglé, et ne pouvait évidemment pas régler, le dif-
férend tel qu’il se présente aujourd’hui à la Cour, et qu’on ne saurait

confondre avec le précédent. Certes, l’objet est le même: c’est la souve-
raineté sur les trois îles. Mais la cause n’est pas la même: car le différend
actuel est né de ce que l’un des deux Etats parties au traité s’est mis à
prétendre — assez tardivement, il est vrai — que son consentement à être
lié avait été obtenu, à l’époque, par l’exercice de la contrainte.

63. En vérité, ce que signifie réellement le paragraphe 138, c’est qu’il
ne servirait à rien que la Cour retienne sa compétence pour statuer sur cet
aspect de l’affaire, parce que l’on connaît d’avance la solution qu’elle
serait encline à lui apporter, étant donné les motifs par lesquels elle a fait
partiellement droit à la première exception préliminaire.

Certes. Mais cela ne démontre aucunement la disparition du différend
entre les Parties; cela ne fait que renforcer, plutôt, l’idée que la Cour

91920 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP .IND .ABRAHAM )

aurait mieux fait de s’abstenir de statuer comme elle l’a fait sur la pre-

mière exception, et de renvoyer l’examen des points en discussion après
les débats au fond.
64. Une dernière remarque: la Cour eût-elle procédé d’abord à l’exa-
men du titre de compétence, fondé sur les déclarations facultatives,

qu’elle n’aurait certainement pas pu l’écarter par les motifs qu’elle retient
ici, et qui sont entièrement tirés de la réponse qu’elle fait sur le terrain du
pacte de Bogotá. On croyait jusqu’à présent que l’ordre d’examen des
titres de compétence était, en droit, indifférent quant au bien-fondé de

chacun de ces titres. Ici, il est clair qu’il ne l’est pas: n’est-ce pas parce
que quelque chose ne va pas dans le raisonnement de la Cour?
65. Il reste à espérer que certains Etats défendeurs liés par une déclara-
tion facultative ne prendront pas prétexte, à l’avenir, de ce fâcheux pré-

cédent pour contester, à titre préliminaire, la compétence de la Cour par
des arguments de fond; que la Cour saura circonscrire la solution adop-
tée dans notre affaire aux circonstances particulières de l’espèce; qu’en
somme, le présent arrêt, sur ce point, ne fera pas jurisprudence.

(Signé) Ronny A BRAHAM .

92

Bilingual Content

903

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE ABRAHAM

Accord avec la partie de l’arrêt qui concerne les divers aspects du différend
autres que la souveraineté sur les trois îles — Désaccord sur ce dernier aspect —
Principale difficulté de l’affaire: tracer la ligne entre les questions qui relèvent
de la phase préliminaire et celles qui ne doivent être tranchées qu’après les
débats au fond — Caractère inhabituel, à cet égard, des dispositions du pacte de

Bogotá — Date à laquelle il convient de se placer pour apprécier si les condi-
tions de l’article VI du pacte sont remplies — Question de savoir si un traité
entaché de nullité peut être regardé comme en vigueur au sens de l’article VI —
Question de la validité du traité de 1928 soulevant des difficultés que la Cour
n’était pas à même d’aborder avec tous les éléments nécessaires au stade pré-
liminaire — Première exception ne présentant pas, dans cette mesure, un ca-
ractère exclusivement préliminaire — Caractère exclusif du pacte de Bogotá
pour le règlement judiciaire des différends entre les Etats parties au pacte —
Impossibilité d’affirmer qu’il ne subsiste plus de différend entre les Parties sur
la question de souveraineté sur les trois îles sans dénaturer la notion de
différend — Nécessité d’éviter la confusion entre le fond et la compétence.

1. Dans cette affaire, le demandeur — le Nicaragua — a invoqué deux
titres de juridiction dont chacun, à l’en croire, suffirait à établir la com-
pétence de la Cour: l’article XXXI du pacte de Bogotá et les déclarations

facultatives faites par les deux Parties sur la base de l’article 36 du Statut
de la Cour permanente de Justice internationale. Le défendeur — la
Colombie — a contesté l’une et l’autre des deux bases de compétence
invoquées et demandé à la Cour de se déclarer incompétente.
2. La Cour a examiné cette exception d’incompétence, d’abord en tant

qu’elle visait à combattre l’invocation de l’article XXXI du pacte de
Bogotá (c’est ce qu’elle a appelé par commodité la «première exception
préliminaire»), puis en tant qu’elle contestait l’invocation des déclara-
tions facultatives (ce qu’elle a appelé la «seconde exception prélimi-
naire»). Pour chacune des deux exceptions (ou branches de l’exception)
ainsi définies, la Cour a procédé à son examen en distinguant, comme elle

le devait, entre les différents objets (ou «aspects», comme les qualifie
l’arrêt) du différend. Il est évident, en effet, que lorsqu’elle est saisie d’une
demande portant simultanément sur plusieurs objets la Cour peut très
bien être compétente pour statuer sur certains d’entre eux seulement. Il
en résulte qu’en pareil cas, lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur une

exception préliminaire d’incompétence, elle ne saurait se livrer à un exa-
men global, mais doit rechercher si l’exception est fondée (et, corréla-
tivement, si sa compétence est établie) pour chacun des objets (ou
«aspects») de la demande.
3. Cette démarche a conduit la Cour, à bon droit selon moi, à distin-

75 903

SEPARATE OPINION OF JUDGE ABRAHAM

[Translation]

Agreement with the part of the Judgment dealing with the various aspects of
the dispute other than sovereignty over the three islands — Disagreement as to
this last aspect — Main difficulty in the case: drawing the line between those
issues appertaining to the preliminary phase and those which cannot be decided
until after the proceedings on the merits — Unusualness, in this regard, of the

provisions of the Pact of Bogotá — Date by reference to which it should be
determined whether the conditions in Article VI of the Pact have been fulfilled
— Question whether an invalid treaty can be regarded as being in force for pur-
poses of Article VI — Question of the validity of the 1928 Treaty creating dif-
ficulties which the Court was unable to address with all the necessary informa-
tion at the preliminary stage — Exclusiveness of the Pact of Bogotá in respect
of judicial settlement of disputes between States parties to the Pact — Impos-
sibility of asserting, without distorting the notion of dispute, that there is no
extant dispute between the Parties as to sovereignty over the three islands —
Need to avoid confusing the merits and jurisdiction.

1. In this case the Applicant — Nicaragua — invoked two bases of
jurisdiction, each of which sufficient, in its view, to establish the jurisdic-
tion of the Court: Article XXXI of the Pact of Bogotá and the Parties’

optional declarations under Article 36 of the Statute of the Permanent
Court of International Justice. The Respondent — Colombia — disputed
both bases and asked the Court to find that it lacked jurisdiction.

2. The Court considered this objection to jurisdiction first as asserted

against reliance on Article XXXI of the Pact of Bogotá (this is what the
Court has called, for the sake of convenience, the “first preliminary
objection”) and then as asserted against reliance on the optional clause
declarations (which it has called the “second preliminary objection”). The
Court examined each of the two objections (or prongs of a single objec-
tion) as thus defined by distinguishing, as indeed it needed to do, the vari-

ous subject-matters (or “aspects”, as they are called in the Judgment) of
the dispute. It is obvious that, when a claim dealing simultaneously with
a number of subjects is before the Court, the Court may very well have
jurisdiction over only some of them. It follows that, where the Court is
called upon to rule on a preliminary objection to jurisdiction in such a

case, it cannot limit itself to an examination in the aggregate but must
ascertain as to each subject-matter (or “aspect”) of the claim whether the
objection is well founded (and, correlatively, whether the Court’s juris-
diction has been established).
3. This approach led the Court, rightly in my opinion, to distinguish

75904 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP .IND .ABRAHAM )

guer dans les revendications du Nicaragua trois «aspects» susceptibles de

faire l’objet d’un traitement distinct au regard de la question de compé-
tence: la souveraineté sur les trois îles nommément désignées à l’article
premier du traité de 1928 conclu entre les deux Parties (San Andrés, Pro-
videncia et Santa Catalina); la souveraineté sur les autres formations
maritimes en litige; enfin, la délimitation maritime suivant une ligne

médiane entre les côtes des deux Etats.
En ce qui concerne la «première exception d’incompétence», la Cour a
conclu que l’article XXXI du pacte de Bogotá lui donnait un titre de
compétence pour connaître des deuxième et troisième aspects ainsi dis-
tingués — et que, dans cette mesure, l’exception devait être rejetée; mais

que, en revanche, cette disposition, combinée avec les autres dispositions
pertinentes du pacte de Bogotá, ne lui permettait pas de connaître de la
revendication du Nicaragua relative aux «trois îles» — et que, dans cette
mesure, l’exception devait être accueillie.

En ce qui concerne la «seconde exception d’incompétence», la Cour a
conclu, d’une part, que les déclarations facultatives ne lui fournissaient
pas non plus une base de compétence pour connaître de la question de la
souveraineté sur les «trois îles», d’autre part, et fort logiquement, qu’elle
n’avait pas besoin d’examiner cette exception en ce qui concerne les

autres aspects du différend, dès lors qu’elle avait précédemment conclu
que, pour ceux-ci, elle tirait de l’article XXXI du pacte du Bogotá un titre
de compétence se suffisant à lui-même.
4. Je suis d’accord tant avec le dispositif qu’avec les motifs essentiels
de l’arrêt pour ce qui concerne les aspects du différend autres que la sou-

veraineté sur les «trois îles»: la Cour est compétente pour en connaître
sur la base du pacte de Bogotá, et elle n’avait pas besoin, dès lors, de
s’interroger sur l’existence d’un autre titre de compétence qu’auraient pu
lui fournir, le cas échéant, les déclarations facultatives.
En revanche, je suis au regret d’avoir à me séparer nettement de l’arrêt

pour ce qui est du traitement qu’il applique à la revendication du Nica-
ragua relative à la souveraineté sur les «trois îles». En effet, j’ai voté
contre le point 1 a) du dispositif qui retient à cet égard l’exception
d’incompétence, car je pense que la Cour aurait dû déclarer que l’excep-
tion ne possédait pas, dans les circonstances de l’affaire, un caractère

exclusivement préliminaire — pour autant qu’elle concernait cet aspect
du différend. Et, si je partage la conclusion selon laquelle la Cour n’a pas
compétence pour connaître de la même question sur la base des déclara-
tions facultatives (j’ai voté en faveur du point 2 a) du dispositif), c’est
pour des raisons tout à fait différentes de celles qui sont exprimées dans

l’arrêt, lesquelles me paraissent juridiquement inconsistantes.
5. Avant d’entrer quelque peu dans le détail des raisons qui sont les
miennes, je voudrais caractériser en quelques mots la principale difficulté
à laquelle la Cour s’est trouvée confrontée dans cette affaire (à ce stade de
la procédure), et qu’elle n’est pas bien parvenue, selon moi, à résoudre. Il

s’agit de la difficulté consistant à tracer la ligne de partage entre les ques-
tions qui relèvent purement des exceptions préliminaires, que la Cour peut

76 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP. OP. ABRAHAM ) 904

three “aspects” of Nicaragua’s case capable of being dealt with separately

in respect of the jurisdictional issue: sovereignty over the three islands
named in Article I of the 1928 Treaty between the Parties (San Andrés,
Providencia and Santa Catalina); sovereignty over the other disputed
maritime features; and, lastly, the maritime delimitation along the median
line between the coasts of the two States.

In respect of the “first objection to jurisdiction”, the Court concluded
that Article XXXI of the Pact of Bogotá afforded it a title of jurisdiction
over the second and third aspects as thus distinguished — and that the
objection had to be rejected pro tanto; but that the Article, in joint opera-

tion with the other relevant provisions of the Pact of Bogotá, did not pro-
vide a basis for the Court to entertain Nicaragua’s claim to the “three
islands” — and that the objection had to be upheld to this extent.

In respect of the “second objection to jurisdiction”, the Court con-
cluded, first, that the optional clause declarations similarly failed to pro-
vide any basis for its jurisdiction to decide the issue of sovereignty over
the “three islands” and, second, that logic dictated that it need not exam-
ine this objection in respect of the other aspects of the dispute, as it had

already concluded that Article XXXI of the Pact of Bogotá conferred
upon it a sufficient title of jurisdiction over them.

4. I concur both in the operative clause and in the core reasoning in
the Judgment in respect of those aspects of the dispute other than sov-

ereignty over the “three islands”: the Court has jurisdiction over them
pursuant to the Pact of Bogotá, and there was therefore no need to con-
sider whether it was afforded a further title of jurisdiction by the optional
clause declarations.
On the other hand, I regret having to part ways with the Judgment in

respect of its treatment of Nicaragua’s claim to sovereignty over the
“three islands”. Indeed, I voted against subparagraph 1 (a) of the opera-
tive clause, upholding the objection to jurisdiction on this point, for I
believe that the Court should have declared that, in the circumstances of
the case, the objection did not possess an exclusively preliminary charac-

ter — in so far as it concerned this aspect of the dispute. And, while also
concluding that the Court lacks jurisdiction over that question under the
optional declarations (I voted in favour of subparagraph 2 (a) of the
operative clause), I do so for reasons completely different from those set
out in the Judgment, which strike me as juridically flimsy.

5. Before going into my reasons in some detail, I wish to devote a few
words to describing the main difficulty encountered by the Court in this
case (at this stage in the proceedings), one which in my opinion it did not
resolve very successfully. That was to draw the line between issues falling

strictly within the ambit of preliminary objections, which the Court can
and must decide in the preliminary stage of the proceedings, and those

76905 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP .IND .ABRAHAM )

et doit trancher dès le stade préliminaire de la procédure, et celles qui tou-
chent au fond, que la Cour doit réserver pour ne les trancher que plus
tard, après que les parties auront pu plaider complètement leur cause.

6. Certes, cette difficulté n’est ni nouvelle ni inhabituelle. Nous savons
bien que les questions de compétence, les questions de recevabilité et les
questions de fond ne sont pas des catégories séparées de façon hermé-
tique, et que pour statuer sur une exception d’incompétence ou d’irreceva-
bilité il est parfois nécessaire d’«effleurer» le fond du litige, comme l’a

reconnu la Cour permanente de Justice internationale dès 1925 (Certains o
intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, compétence, arrêt n 6,
1925, C.P.J.I., série A n 6, p. 15). La Cour ne peut pas se dérober à la
nécessité dans laquelle elle se trouve parfois d’aborder des points de fond

dont peuvent dépendre sa compétence ou la recevabilité de la requête,
mais, en même temps, elle doit se garder de juger le fond du différend dans
l’arrêt par lequel elle est censée répondre à des exceptions d’incompétence
ou d’irrecevabilité, la procédure au fond étant suspendue. C’est bien pour-

quoi l’article 79, paragraphe 9, du Règlement n’enferme pas la Cour dans
le choix binaire d’accueillir ou de rejeter l’exception qui lui est présentée
par le défendeur, mais lui permet aussi de déclarer que l’exception ne pré-
sente pas un caractère exclusivement préliminaire, ce qui signifie qu’il ne
pourra en être décidé qu’après les débats au fond. De ces dispositions, la

Cour avait fait en général, jusqu’à présent, une application caractérisée par
le doigté et le discernement.
7. Il n’en va pas ainsi dans la présente affaire. Cela est dû d’abord, à
mon sens, au fait que la Cour s’est trouvée en présence de dispositions

assez inhabituelles, qui ont exercé sur elle un fâcheux effet d’entraînement
auquel elle n’a pas su résister.
Je veux parler des dispositions combinées des articles VI et XXXIV du
pacte de Bogotá. L’article VI dispose que les procédures de règlement
judiciaire, que le pacte vise à favoriser, ne pourront pas s’appliquer,

notamment, «aux questions déjà réglées au moyen d’une entente entre les
parties», pas plus qu’à «celles régies par des accords ou traités en vigueur
à la date de signature du présent pacte». Et l’article XXXIV précise que,
si l’on se trouve dans un cas visé à l’article VI, la Cour internationale de

Justice devra se déclarer «incompétente pour juger le différend».
8. En quoi ces dispositions sont-elles inhabituelles? Non pas, certes, en
ce qu’elles expriment la volonté des Etats qui ont négocié le pacte de ne
pas permettre que des procédures judiciaires soient utilisées pour cher-

cher à remettre en cause des situations réglées par des traités en vigueur.
Quel Etat accepterait que les droits qu’il tient d’un traité dûment appli-
cable soient contestés à la faveur d’une procédure judiciaire? Et quel juge
international accepterait d’être sollicité en vue de faire échec au principe
pacta sunt servanda ? Que l’on sache, les procédures de règlement judi-

ciaire sont destinées à permettre aux traités ou accords en vigueur entre
les parties de produire leurs pleins effets (dans la mesure où le différend
se situe dans le champ d’application de tels traités ou accords), et non
à empêcher leur mise en Œuvre.

77 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP. OP. ABRAHAM ) 905

involving the merits, which the Court must reserve for subsequent deci-

sion after the Parties have had the opportunity to plead their cases in
full.
6. There is, of course, nothing new or unusual about this difficulty. It
is a known fact that jurisdictional issues, admissibility issues and substan-
tive issues are not hermetically separated categories and that, in answer-

ing an objection to jurisdiction or admissibility, the Court is sometimes
obliged to “touch upon” the merits of the dispute, as the Permanent
Court of International Justice recognized as early as 1925 (Certain Ger-
man Interests in Polish Upper Silesia, Jurisdiction, Judgment No. 6,
1925, P.C.I.J., Series A, No. 6, p. 15). The Court cannot shy away from

the occasional need to take up substantive points on which its jurisdiction
or the admissibility of an application may hinge, but it must at the same
time be careful to avoid deciding the dispute on the merits in the judg-
ment in which it is supposed to deal with objections to jurisdiction or

admissibility, the proceedings on the merits being suspended. Indeed, this
is why Article 79, paragraph 9, of the Rules of Court does not restrict the
Court to the binary choice of either upholding or rejecting a respondent’s
objection, but also gives it the option of declaring that the objection does
not possess an exclusively preliminary character, meaning that it can only

be decided after the proceedings on the merits. In general, the Court had,
until now, been adroit and judicious in applying these provisions.

7. It has not been so in the present case. In my view, this is ascribable
primarily to the fact that the Court succumbed to the unfortunate influ-

ence of the unusual provisions it had to deal with.

I am referring to Articles VI and XXXIV of the Pact of Bogotá read in
conjunction. Article VI provides that the procedures for judicial settle-
ment, which the Pact seeks to foster, may not be applied to, among other

things, “matters already settled by arrangement between the parties” or
“which are governed by agreements or treaties in force on the date of the
conclusion of the present Treaty”. Article XXXIV states that, in cases
described in Article VI, the International Court of Justice must declare
itself “to be without jurisdiction to hear the controversy”.

8. In what way are these provisions unusual? Certainly not in express-
ing the desire on the part of the States having negotiated the Pact to pre-
vent the judicial procedures from being used to upset states of affairs
established by treaties in force. What State would accept seeing its rights
under a duly applicable treaty contested in legal proceedings? And what

international court would agree to being asked to frustrate the principle
pacta sunt servanda ? To the best of our knowledge, the judicial settle-
ment procedures are aimed at giving full effect to treaties or agreements
in force between the Parties (in so far as the dispute lies within the scope
of the treaties or agreements), not at impeding their implementation.

77906 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP. IND. ABRAHAM )

L’originalité des dispositions précitées ne se trouve donc pas dans le

refus qu’elles expriment, et qui irait même sans dire, d’une remise en
cause des traités conclus entre les Etats parties au pacte — pour autant
qu’ils soient valides, point sur lequel je reviendrai plus loin. Elle réside
exactement dans le fait suivant: la circonstance que les dispositions d’un
traité en vigueur fassent obstacle aux prétentions qu’un Etat soumet à

la Cour constitue pour celle-ci une cause d’incompétence, selon l’ar-
ticle XXXIV du pacte, alors que dans le régime général une telle cir-
constance justifierait le rejet au fond desdites prétentions.
Autrement dit, le système particulier du pacte transforme en une ques-
tion de compétence ce qui, dans le régime général (par exemple, lorsque la

Cour est saisie sur la seule base des déclarations facultatives), serait une
pure question de fond, celle de savoir si la revendication d’un Etat à
l’égard d’un autre est conforme ou contraire aux dispositions convention-
nelles applicables dans leurs relations mutuelles.

9. Ici, par exemple, la question de savoir si le traité de 1928 attribue à
la Colombie la souveraineté sur les îles et autres formations maritimes
revendiquées par le Nicaragua, de même que celle de savoir si ledit traité
règle la délimitation maritime, comme le prétend la Colombie, selon une
ligne de partage différente de celle que réclame le Nicaragua, seraient

traitées, ordinairement, comme des questions de fond, et certainement
pas comme des questions ayant trait à la compétence de la Cour. Mais,
vues à travers le prisme du pacte de Bogotá, elles deviennent (aussi) des
questions de compétence, puisqu’elles touchent au point de savoir si la
demande du Nicaragua porte sur des matières qui ont été «réglées» ou

qui sont «régies» par des traités en vigueur. La confusion entre le fond et
la compétence devient ainsi, dans une certaine mesure, inévitable.
10. La Cour n’aurait cependant pas dû y succomber autant qu’elle l’a
fait. Certes, elle devait appliquer les dispositions pertinentes du pacte de
Bogotá, au moment où elle examinait l’exception d’incompétence du

défendeur visant à contester l’existence du titre de juridiction que le
demandeur prétendait fonder sur ledit pacte. Mais il lui appartenait aussi
de veiller au respect des principes fondamentaux qui gouvernent sa pro-
cédure, tels qu’ils se déduisent de son Statut et de son Règlement,
d’autant plus que le pacte de Bogotá renvoie lui-même au Statut de la

Cour (comme le relève à bon droit l’arrêt, par. 59). Au nombre de ces
principes fondamentaux figure la distinction entre ce qui doit relever de
l’examen préliminaire de la compétence et de la recevabilité, et ce qui ne
peut être décidé qu’à l’issue des débats au fond.
11. Nul doute que la tâche de la Cour n’était pas facile, puisqu’elle

consistait à trouver le juste équilibre, la meilleure conciliation possible,
entre les dispositions spéciales du pacte de Bogotá et les principes essen-
tiels qui gouvernent sa procédure, alors que les unes et les autres ne
paraissent pas, pour dire le moins, immédiatement en harmonie.
Comment la Cour s’est-elle acquittée de sa tâche? D’une manière qui,

selon moi, n’est pas satisfaisante. A plusieurs reprises, l’arrêt tranche,
sans nécessité aucune, des questions de fond que la Cour aurait été plus

78 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP.OP .ABRAHAM ) 906

The originality of the provisions in question thus does not lie in the

rejection which they articulate, and which would even be self-evident, of
any challenge to treaties concluded between the States parties to the Pact
— provided that those treaties are valid, a point to which I shall return.
It lies precisely in the following: the fact that the provisions of a treaty in
force defeat the claims made by a State before the Court is a ground,

under Article XXXIV of the Pact, for the Court’s lack of jurisdiction,
whereas under the general régime this fact would justify rejecting the
claims on the merits.
In other words, in the special system established by the Pact, what
would be strictly a question on the merits under the general régime (for

example, where the Court is seised solely on the basis of optional clause
declarations), i.e., the question whether one State’s claim against another
accords or conflicts with treaty provisions in force in their relations, is
transmuted into a question of jurisdiction.

9. Here, for example, the issues whether the 1928 Treaty awards
Colombia sovereignty over the islands and other maritime features
claimed by Nicaragua and whether the Treaty establishes the maritime
delimitation, as Colombia claims, along a dividing line different from
that advocated by Nicaragua would ordinarily be treated as substantive

questions, certainly not as questions pertaining to the jurisdiction of the
Court. But, seen through the prism of the Pact of Bogotá, they are (also)
jurisdictional issues, since they involve the question whether Nicaragua’s
claim concerns matters which have been “settled” or are “governed” by
treaties in force. Confusion between the merits and jurisdiction thus

becomes inevitable to some extent.

10. The Court should not however have fallen prey to this confusion
to the degree that it did. Granted, it had to apply the relevant provisions
of the Pact of Bogotá in examining the Respondent’s objection to juris-

diction denying the Applicant’s claim that a title of jurisdiction existed
under the Pact. But it was also for the Court to ensure respect for the
fundamental principles governing procedure before it, as they derive
from its Statute and the Rules of Court, especially since the Pact of
Bogotá itself refers to the Statute of the Court (as rightly pointed out in

the Judgment, para. 59). Among these principles is the distinction to be
made between those matters which must be dealt with in the preliminary
examination of jurisdiction and admissibility and those which cannot be
decided until completion of the proceedings on the merits.
11. The Court’s task was undeniably not an easy one, consisting as it

did in striking the right balance, the best possible reconciliation, between
the special provisions of the Pact of Bogotá and the fundamental princi-
ples governing procedure before the Court, when they seem, to say the
least, not readily in harmony.
How did the Court acquit itself of its task? Unsatisfactorily, in my

opinion. On a number of occasions in the Judgment, the Court needlessly
decides substantive questions which would more wisely have been reserved

78907 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP.IND . ABRAHAM )

avisée de réserver pour la suite de la procédure. Elle n’a donc pas fait de
son mieux pour maintenir, autant que possible, la séparation entre l’exa-
men de la compétence et le jugement du fond. La confusion atteint son
comble, selon moi, avec la réponse que donne la Cour à la seconde excep-

tion préliminaire, dans laquelle, alors que l’on ne se trouve plus dans le
cadre du pacte de Bogotá, elle s’appuie sur des motifs de fond pour décli-
ner sa compétence.
Je vais reprendre à présent ces différents points, et quelques autres.

I. PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

12. Par sa première exception préliminaire (ou la première branche de
son exception préliminaire unique, mais cela importe peu), la Colombie a

contesté que le pacte de Bogotá fournisse à la Cour une base de compé-
tence en la présente affaire, au motif que les questions soulevées par le
Nicaragua dans sa demande ont toutes été réglées par le traité de 1928 et
le protocole de 1930 (ou plutôt, pour reprendre les termes exacts de l’ar-

ticle VI du pacte de Bogotá, que ces questions sont «régies» par lesdits
traité et protocole, mais je suis d’accord avec le paragraphe 39 de l’arrêt
lorsqu’il indique qu’aucune distinction n’est à faire pour les besoins de
l’espèce entre «régies» et «réglées»).
13. L’article VI du pacte n’interdisant d’appliquer les procédures de

règlement judiciaire qu’aux questions régies (ou réglées) par «des accords
ou traités en vigueur à la date de la signature du présent pacte», la Cour
a eu à se demander, pour répondre à cette exception, si le traité de 1928
était «en vigueur» à la date qui est ainsi visée, soit le 30 avril 1948.
Mais, à cet égard, la Cour n’avait pas les mêmes obligations selon que

l’on considère, d’une part, la partie de la demande relative aux trois îles
expressément mentionnées à l’article premier du traité de 1928 (San
Andrés, Providencia et Santa Catalina) et, d’autre part, les autres aspects
du différend — c’est-à-dire tout le reste.

Je commencerai par les «autres aspects», bien que l’arrêt ne les traite
qu’après la question des trois îles, ce que je n’entends nullement critiquer,
l’ordre étant indifférent.

A. Les aspects du différend autres que la souveraineté sur les trois
îles: le reste de l’archipel de San Andrés, les cayes de Roncador,
Quitasueño et Serrana, la délimitation maritime

14. En ce qui concerne ces divers aspects du différend, j’adhère pleine-

ment à la conclusion de l’arrêt selon laquelle aucun d’entre eux ne saurait
être regardé comme ayant été «réglé» ou «régi» par le traité de 1928,
contrairement à la thèse de la Colombie.
15. Il en résulte une conséquence importante: à l’égard de ces aspects
du différend, il n’était pas nécessaire pour la Cour de se prononcer sur le

point de savoir si le traité de 1928 était «en vigueur» en 1948, ni, a for-

79 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP. OP.ABRAHAM ) 907

for the subsequent proceedings. Thus, it did not do its utmost to main-
tain the greatest possible separation between its examination of jurisdic-
tion and the judgment on the merits. The confusion culminates, in my

view, in the Court’s response to the second preliminary objection, where,
even though the Pact of Bogotá no longer forms the framework, the
Court relies in declining jurisdiction on reasoning going to the merits.

I shall now take up these various points, along with a few others.

I. FIRST P RELIMINARY O BJECTION

12. In its first preliminary objection (or the first prong of its single pre-
liminary objection, but no matter), Colombia denied that the Pact of
Bogotá furnished a basis for the Court’s jurisdiction in the present case,
arguing that the questions raised by Nicaragua in its claim had all been

settled by the 1928 Treaty and the 1930 Protocol (or rather, in the exact
words of Article VI of the Pact of Bogotá, that these matters were “gov-
erned” by the Treaty and Protocol, but I concur in the statement in para-
graph 39 of the Judgment that there is no difference for purposes of the
case between the terms “governed” and “settled”).

13. As Article VI of the Pact bars the application of judicial settlement
procedures only to those matters governed (or settled) by “agreements or
treaties in force on the date of the conclusion of the present Treaty”, the

Court, in responding to this objection, needed to determine whether the
1928 Treaty was “in force” on the date referred to, i.e. 30 April 1948.
But, in doing so, the Court’s obligations in respect of that part of the
claim relating to the three islands named in Article I of the 1928 Treaty
(San Andrés, Providencia and Santa Catalina) were different from those

in respect of the other aspects of the dispute — that is to say, all the rest.

I shall begin with the “other aspects”, even though they are dealt with
in the Judgment after the question of the three islands. This is in no way

intended as criticism; the order of treatment makes no difference.

A. Aspects of the Dispute other than Sovereignty over the Three Islands:

the Rest of the San Andrés Archipelago, the Cays of Roncador,
Quitasueño and Serrana, the Maritime Delimitation

14. In respect of these aspects of the dispute, I fully subscribe to the
finding made in the Judgment that, contrary to Colombia’s contention,
none of these matters can be deemed to have been “settled” or “gov-

erned” by the 1928 Treaty.
15. One important consequence follows: in respect of these aspects of
the dispute, there was no need for the Court to decide whether the 1928
Treaty was “in force” in 1948, or, a fortiori, whether its validity might be

79908 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP .IND .ABRAHAM )

tiori, s’il a été conclu dans des conditions propres à affecter sa validité.

En effet, pour que la compétence de la Cour soit écartée, en applica-
tion des articles VI et XXXIV combinés du pacte de Bogotá (en d’autres
termes, pour que la Cour accueille une exception d’incompétence fondée
sur ces dispositions), il faut que deux conditions soient cumulativement
remplies:

— que la question soumise à la Cour par l’Etat demandeur soit régie (ou
réglée) par un traité liant les deux Parties; et

— que ce traité ait été «en vigueur» à la date de signature du pacte, soit
1948.

Si la première de ces deux conditions n’est pas remplie, et elle ne l’est
pas pour tous les aspects du différend autres que la souveraineté sur les
trois îles susmentionnées, il n’est pas nécessaire de rechercher si la seconde
condition est remplie. Bien que l’arrêt examine le «point de savoir si le

traité de 1928 était en vigueur en 1948» — et qu’il y réponde par l’affir-
mative — avant de passer à l’examen des différentes demandes du Nica-
ragua, aussi bien celle relative à la souveraineté sur les «trois îles» que les
autres, il est manifeste que, pour ces dernières, la réponse donnée à la
question précitée est sans aucun effet, puisque l’arrêt explique ensuite

qu’en ce qui les concerne rien n’est réglé par le traité.
J’approuve donc la conclusion de la Cour en ce qui concerne les
«autres aspects» du différend, alors même que je considère, comme je
l’expliquerai plus loin, que la Cour n’aurait pas dû se prononcer dès
maintenant sur la question de savoir si le traité de 1928 était «en

vigueur».
16. Il y a cependant un point qui n’est pas tout à fait évident.
Ce point est abordé au début de l’examen de la première exception pré-
liminaire (par. 45-52), et il concerne à la vérité l’ensemble des questions
débattues dans le cadre de la première exception, aussi bien la compé-

tence de la Cour pour connaître de la question des «trois îles» que sa
compétence pour connaître des «autres aspects» du différend. Il s’agit de
la question de savoir si la première exception de la Colombie présentait
un caractère exclusivement préliminaire , et si, par suite, il devait y être
répondu complètement dès le stade actuel de la procédure.

17. A mes yeux, la réponse n’était pas évidente, même pour les aspects
du différend autres que la souveraineté sur les «trois îles» (en ce qui
concerne ce dernier aspect, je reviendrai un peu plus loin sur la question).
En effet, en déclarant que le traité de 1928 n’a réglé aucune des ques-
tions dont il s’agit (le reste de l’archipel, les trois cayes, la délimitation

maritime), la Cour se prononce sur des points qui non seulement ne sont
pas étrangers au fond de l’affaire, mais qui se trouvent même, au moins
pour partie, au cŒur des arguments que les Parties s’apprêtent vraisem-
blablement à présenter à la Cour dans les débats sur le fond. Par exemple,
en ce qui concerne la délimitation maritime, une partie substantielle de la

thèse de la Colombie sur le fond est tirée du traité de 1928 et du protocole
de 1930 dans l’interprétation (que je suis d’accord avec l’arrêt pour ne pas

80 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP.OP .ABRAHAM ) 908

affected by the circumstances under which it was concluded. In order for

the Court’s jurisdiction to be excluded pursuant to the joint operation of
Articles VI and XXXIV of the Pact of Bogotá (in other words, in order
for the Court to uphold an objection to jurisdiction grounded on these
provisions), two conditions must both be met:

— the matter submitted to the Court by the Applicant State must be
governed (or settled) by a treaty binding on the two Parties; and

— the treaty must have been “in force” on the date the Pact was con-
cluded, i.e. in 1948.

If the first of these two conditions is not satisfied, and it is not in respect
of any of the aspects of the dispute other than sovereignty over the three
named islands, there is no need to determine whether the second condi-
tion is met. Although the “question whether the 1928 Treaty was in force

in 1948” is examined in the Judgment — and answered in the affirmative
— before consideration is given to Nicaragua’s various claims (the claim
in respect of sovereignty over the “three islands” as well as the others), it
is patently clear that as to those other claims the answer given to the
question set out above is devoid of effect, since the Judgment goes on to

explain that the Treaty settles nothing in respect of them.
I therefore agree with the Court’s conclusion on the “other aspects” of
the dispute, even though, as explained below, it is my opinion that the
Court should not have ruled at this time on the question whether the
1928 Treaty was “in force”.

16. There is however one point which is not so certain.
It is addressed at the beginning of the examination of the first prelimi-
nary objection (paras. 45-52), and in reality it bears on all the issues
argued under the first objection, that is to say the Court’s jurisdiction

over not only the matter of the “three islands” but also the “other
aspects” of the dispute. The point is whether Colombia’s first objection
possessed an exclusively preliminary character , and therefore whether a
definitive decision on it should have been made at this stage in the pro-
ceedings.

17. To my thinking, the answer was not self-evident, even in regard to
the aspects of the dispute other than sovereignty over the “three islands”
(I shall return a bit later to the question in respect of this aspect).
In finding that the 1928 Treaty did not settle any of the issues in ques-
tion (the rest of the archipelago, the three cays, the maritime delimita-

tion), the Court decides matters that not only are not extraneous to the
merits of the case but that even lie, at least in part, at the heart of the
arguments which the Parties are in all likelihood preparing to present to
the Court in the proceedings on the merits. For example, on the subject
of the maritime delimitation, Colombia’s position on the merits is based

to a significant degree on the 1928 Treaty and the 1930 Protocol, as the
Respondent interprets them (and I concur with the Court in finding that

80909 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP .IND .ABRAHAM )

trouver convaincante) qu’en donne la défenderesse. En écartant cette

interprétation, et en le faisant en termes catégoriques (par. 120), il est
clair que la Cour fait plus qu’«effleurer» — pour reprendre le terme
employé dans la jurisprudence classique — des questions de fond.
18. Cela étant dit, je suis d’accord avec l’arrêt pour considérer qu’il ne
suffit pas que l’examen d’une exception d’incompétence place la Cour

dans la nécessité de prendre position sur certaines questions de fond pour
que, ipso facto, la Cour soit empêchée de statuer sur ladite exception dans
la phase préliminaire, et qu’elle soit tenue de «joindre l’exception au
fond» (selon l’ancienne rédaction du Règlement) ou d’en renvoyer l’exa-
men jusqu’à la décision suivant les débats sur le fond en déclarant qu’elle

ne possède pas un caractère «exclusivement préliminaire» (selon l’actuelle
formule). La jurisprudence de la Cour contredit nettement une approche
aussi restrictive de l’«exception préliminaire».
19. Il n’en reste pas moins que se posait à la Cour, une fois de plus, la

question de savoir ce qu’il faut entendre par une exception qui «n’a pas
dans les circonstances de l’espèce un caractère exclusivement prélimi-
naire», au sens de l’article 79, paragraphe 9, du Règlement.
20. J’adhère, pour l’essentiel, à la formule qui figure au paragraphe 51
de l’arrêt, et qui distingue un principe et des exceptions.

Le principe est qu’«une partie qui soulève des exceptions préliminaires
a droit à ce qu’il y soit répondu au stade préliminaire». Ce n’est donc que
dans des circonstances particulières que la Cour doit renvoyer à plus tard
(après les débats au fond) l’examen d’une exception d’incompétence ou

d’irrecevabilité.
L’arrêt identifie ensuite deux exceptions au principe sus-énoncé (à mon
avis, il est imprudent de présenter, comme le fait l’arrêt, ces deux excep-
tions comme limitatives, car on ne saurait exclure d’autres circonstances
particulières; mais ce sont sans doute les plus importantes). La première

concerne le cas où la Cour ne dispose pas de tous les éléments nécessaires
pour se prononcer sur les questions soulevées, notamment parce qu’elle
n’aurait pas été suffisamment éclairée par le débat entre les parties au
cours de la phase préliminaire. En pareil cas, la sagesse commande de ne
pas trancher à la légère des questions qui ne pourront être envisagées

dans tous leurs aspects qu’après que les parties auront été à même de pré-
senter complètement leurs arguments sur le fond. La seconde exception
vise le cas où le fait de répondre à l’exception préliminaire équivaudrait à
trancher le différend (ou certains éléments du différend) au fond. Selon
moi, cette exception au principe s’impose plus encore lorsque la Cour

serait portée à rejeter l’exception préliminaire que lorsqu’elle serait tentée
de l’accueillir. Car, dans le premier cas, la Cour laisserait se poursuivre
une procédure dont l’issue serait en fait «préjugée» par les motifs de
l’arrêt préliminaire (même si, formellement, le dispositif de celui-ci se
borne à permettre à la Cour de procéder à l’examen du fond), de telle

sorte que la procédure subséquente serait privée de tout intérêt pra-
tique — si la Cour s’estime liée par les motifs de son arrêt sur l’excep-

81 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP.OP .ABRAHAM ) 909

interpretation unpersuasive). In rejecting that interpretation, and doing

so categorically (para. 120), the Court clearly does more than “touch
upon” — to use the term employed in the classic jurisprudence — issues
on the merits.
18. That said, I concur with the Judgment in the proposition that the
mere fact that the Court, in examining a jurisdictional objection, is

required to take a position on certain questions on the merits does not ipso
facto mean that it is prevented from ruling on the objection in the prelimi-
nary phase or that it must “join the objection to the merits” (as the Rules
of Court previously stated) or defer consideration of the objection until
the decision following the proceedings on the merits by declaring that it

does not possess an “exclusively preliminary” character (as now pro-
vided). The Court’s case law stands in clear opposition to such a restric-
tive approach to “preliminary objections”.
19. The fact remains that the Court was once again confronted with

the issue of determining what it means for an objection “not [to] possess,
in the circumstances of the case, an exclusively preliminary character”,
within the meaning of Article 79, paragraph 9, of the Rules of Court.
20. I subscribe by and large to the statement appearing in para-
graph 51 of the Judgment and distinguishing a principle and exceptions

to it.
The principle holds that “a party raising preliminary objections is enti-
tled to have these objections answered at the preliminary stage of the pro-
ceedings”. Thus, it is only in special circumstances that the Court must
defer examining an objection to jurisdiction or admissibility until later

(after the proceedings on the merits).
The Judgment then identifies two exceptions to this principle (in my
view, it is ill-advised to present them as exhaustive, as the Judgment does,
since the possibility of other special circumstances cannot be excluded;
but these two are undoubtedly the most important). The first is where the

Court does not have before it all facts necessary to decide the questions
raised, in particular because it has not been sufficiently enlightened by the
debate between the Parties in the preliminary phase. In such a case,
sagacity calls for refraining from rashly settling issues which cannot be
appreciated in their entirety until after the Parties have been able to

present their full arguments on the merits. The second exception is where
answering the preliminary objection would determine the dispute (or
some elements of it) on the merits. In my view, this exception to the prin-
ciple applies even more forcefully where the Court is inclined to reject the
preliminary objection than where it is tempted to uphold it, because in the

first case the Court allows the continuation of proceedings the outcome
of which is in fact “prejudged” by the grounds for the preliminary judg-
ment (even though, formally, the operative clause of the preliminary
judgment confines itself to enabling the Court to proceed to considera-
tion of the merits) and either the subsequent proceedings are devoid of

practical significance — if the Court deems itself bound by the grounds
for its judgment on the objection — or it runs the risk of contradicting

81910 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP .IND .ABRAHAM )

tion — ou que la Cour s’exposerait au risque de se contredire — si elle ne

s’estime pas liée. Une telle situation serait, évidemment, hautement indé-
sirable.
21. En appliquant ces critères — que je crois justes—àa l première
exception préliminaire en tant qu’elle est relative aux aspects du différend
autres que la souveraineté sur les «trois îles», je pense que la Cour a eu

raison d’estimer qu’il n’existait en l’espèce aucune circonstance particu-
lière justifiant qu’elle ne statuât pas dès maintenant sur l’exception pour
la rejeter.
Certes, la procédure se poursuivra sur le fond, alors que la Cour, dans
son arrêt préliminaire, a pris parti sur des arguments non dénués d’impor-

tance du point de vue de la démonstration que cherche à faire la Colom-
bie pour établir le bien-fondé de ses prétentions. Mais on ne peut pas dire
que la solution au fond est «prédéterminée» dans une mesure telle qu’il
ne reste presque plus rien, ou trop peu de choses, à débattre utilement par

la suite.
Une fois que l’on a dit, par exemple, que la délimitation maritime ne
résulte pas directement du traité de 1928, il reste à déterminer les bases et
les modalités d’une telle délimitation, c’est-à-dire, tout de même, l’essen-
tiel du différend sur ce point. Et je ne crois pas non plus que l’on se

trouve dans l’autre cas: la Cour a été suffisamment éclairée par les débats
entre les Parties pour pouvoir affirmer avec des arguments solides que
tous ces aspects du différend ne sont pas réglés par le traité de 1928, et il
est peu probable que les débats qui vont suivre apportent, à cet égard, des
éléments de nature à infirmer l’appréciation de la Cour.

22. Il reste une dernière question qui revêt à mes yeux une grande
importance, mais que l’arrêt s’abstient de trancher, selon moi à juste titre.
Il s’agit de la question de savoir si et dans quelle mesure les positions
qu’adopte la Cour sur des points de fond dans les motifs (mais non pas,
par construction, dans le dispositif) de son arrêt sur les exceptions préli-

minaires s’imposent aux parties lorsqu’elles viennent ensuite plaider sur le
fond, et s’imposent à la Cour elle-même dans son arrêt final.
Il s’agit là d’une question fort délicate. A n’en pas douter, lorsque la
Cour prend parti sur des points de fond dans l’arrêt préliminaire, les posi-
tions qu’elle adopte ne sauraient rester sans incidence sur la manière dont

le fond pourra ultérieurement être débattu entre les parties. Cela ne signi-
fie pas pour autant qu’il soit forcément interdit aux parties de rouvrir (ou
de poursuivre) le débat sur ces points de fond, dans la dernière phase de
la procédure, et à la Cour de modifier ses appréciations y relatives si on
lui fournit de bonnes raisons à cette fin.

La question est difficile. Ce n’est pas dans son arrêt sur la compétence
que la Cour doit la trancher, car ce n’est d’aucune utilité aux fins de la
décision sur les exceptions préliminaires. C’est dans l’arrêt sur le fond que
la Cour sera appelée le cas échéant — c’est-à-dire si une Partie plaide sur
un point de fond examiné dans l’arrêt préliminaire—àse prononcer sur

la portée de l’autorité qui s’attache à son arrêt antérieur. C’est pourquoi
je ne souhaite pas exprimer une opinion sur ce point dès maintenant.

82 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP.OP .ABRAHAM ) 910

itself — if it does not deem itself bound. This is obviously a very un-

desirable situation.

21. Applying these criteria — which I believe to be correct — to the
first preliminary objection in so far as it concerns aspects of the dispute
other than sovereignty over the “three islands”, I think that the Court

was right to find that there was no special circumstance in the case jus-
tifying a refusal to answer the objection as of now by rejecting it.

While the proceedings will admittedly continue on the merits, and the
Court has taken a position in its preliminary judgment on arguments

with a certain significance for the showing Colombia seeks to make in
proving its claims, it cannot be said that the outcome on the merits is
“predetermined” to such an extent that there is virtually nothing, or very
little, remaining to be genuinely debated.

For example, once it has been said that the maritime delimitation does
not follow directly from the 1928 Treaty, the bases and processes for the
delimitation, that is to say the real crux of the dispute on this point,
remain to be determined. Nor do I believe that the situation here falls

within the other exception: the Court has been sufficiently enlightened by
the debates between the Parties to be able to conclude, on the basis of
solid reasoning, that these aspects of the dispute are not settled by the
1928 Treaty; and the proceedings to come are unlikely to bring to light
information invalidating the Court’s conclusion in this respect.

22. One question remains; in my eyes, it is of major importance but
the Court refrains, rightly I believe, from deciding it in the Judgment.
This is the question whether and to what extent the parties, in later
pleading on the merits, and the Court itself, in its final Judgment, will be
bound by the positions on matters of substance which the Court has

taken in its reasoning (but not in the operative clause as constructed) in
the Judgment on preliminary objections.
It is a thorny issue. There can be no doubt that, when the Court takes
a stance on substantive questions in a preliminary judgment, its positions
cannot fail to affect the approach subsequently taken by the parties in

arguing the merits. That does not however mean that the parties are nec-
essarily barred from re-opening (or pursuing) the debate on these sub-
stantive points in the final phase of the proceedings or that the Court is
precluded from changing its positions on them if it is given good reasons
for doing so.

The question is a delicate one. The place for the Court to resolve it is
not in its judgment on jurisdiction, because it is of no help in deciding on
the preliminary objections. It is in the judgment on the merits that the
Court may be required — that is, if one of the Parties argues a substan-
tive point examined in the preliminary judgment — to rule on the author-

ity attaching to its earlier judgment. It is for this reason that I do not
wish to opine on this point right now.

82911 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP.IND . ABRAHAM )

B. La partie du différend relative à la souveraineté sur les trois îles:

San Andrés, Providencia et Santa Catalina

23. Pour cette partie du différend, il est clair que la question a été
«réglée», ou est «régie», par le traité de 1928. La Cour devait donc se
poser la question de savoir si ce traité était «en vigueur à la date de la
signature» du pacte de Bogotá, au sens de l’article VI du pacte. Répondre
à cette question supposait de régler deux questions préliminaires: premiè-

rement, à quelle(s) date(s) faut-il se placer pour apprécier la réalisation de
la condition posée à l’article VI? Deuxièmement, un traité peut-il être
regardé comme «en vigueur» au sens de cette disposition si sa conclusion
a été entachée d’un vice de nature à affecter sa validité? Si la réponse à
cette deuxième question était négative, la Cour avait alors à se demander

si elle devait prendre parti dès l’arrêt préliminaire sur les arguments du
Nicaragua relatifs à la nullité du traité.

1. A quelle(s) date(s) faut-il se placer?

24. Le paragraphe 73 de l’arrêt répond à cette question en relevant que
l’article VI mentionne la «date de la conclusion du pacte», et que cette

date est 1948. Le paragraphe 81 est plus explicite encore: il indique que
1948 est la «date à retenir aux fins de déterminer si les dispositions de
l’article VI de ce pacte, qui prévoient une exception à la compétence
dévolue à la Cour en vertu de son article XXXI, trouvent à s’appliquer».
Cela permet ensuite à la Cour d’ajouter (par. 82, dernier alinéa) que

«la question de savoir si le traité a pris fin en 1969 est sans perti-
nence quant à sa compétence, étant donné que le point déterminant ...
est celui de savoir si le traité de 1928 était en vigueur à la date de la

signature dudit pacte, c’est-à-dire en 1948, et non en 1969».
25. Cette motivation me paraît trop abrupte. Il me semble qu’une

interprétation raisonnable de l’article VI du pacte de Bogotá, quant à la
date pertinente, ne peut pas être absolument symétrique, et qu’il y a lieu
de distinguer deux cas.
Si le traité dont se prévaut la partie qui invoque l’incompétence de la
Cour (le défendeur) n’était pas en vigueur en 1948, alors il convient, pour

cette seule raison, de rejeter l’exception; peu importe que le traité en
cause ait été en vigueur à une date antérieure à 1948 (mais plus à cette
date), ou même qu’il ait été conclu postérieurement à 1948 — mais anté-
rieurement à l’introduction de l’instance devant la Cour. Cette dernière
circonstance aura certes une influence sur la solution du litige au fond,

mais elle ne fait pas obstacle à la compétence de la Cour.
Si, au contraire, le traité était en vigueur en 1948 (et qu’il règle la ques-
tion qui fait l’objet du différend), il me semble que la Cour ne devrait se
déclarer incompétente que si ce traité était toujours en vigueur à la date
de l’introduction de l’instance . Dans ce cas, il n’y a pas une seule date qui

soit pertinente, mais deux. En effet, l’interprétation contraire — celle que
retient l’arrêt, et qui peut se réclamer d’une lecture littérale de l’ar-

83 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP.OP .ABRAHAM ) 911

B. The Part of the Dispute Concerning Sovereignty over the Three

Islands: San Andrés, Providencia and Santa Catalina

23. For this part of the dispute, it is clear that the question was “set-
tled”, or is “governed”, by the 1928 Treaty. Accordingly, the Court had
to determine whether the Treaty was “in force on the date of the conclu-
sion” of the Pact of Bogotá, within the meaning of Article VI of the Pact.
Two preliminary questions had to be resolved before that question could

be answered: first, as of what date(s) must it be determined whether or
not the condition laid down in Article VI had been satisfied? Second, can
a treaty be regarded under this provision as being “in force” if it was con-
cluded subject to a defect likely to affect its validity? If the second ques-
tion was answered in the negative, the Court was then required to con-

sider whether it should take a position already in the preliminary judgment
on Nicaragua’s arguments as to the invalidity of the Treaty.

1. As of what date(s)?

24. Paragraph 73 of the Judgment answers this question by observing
that Article VI refers to the “date of the conclusion of the Pact” and that

that occurred in 1948. Paragraph 81 is even more explicit: it states that
1948 is the “date by reference to which the Court must decide on the
applicability of the provisions of Article VI of the Pact of Bogotá setting
out an exception to the Court’s jurisdiction under Article XXXI thereof”.
That then allows the Court to add (para. 82 (2)):

“the question whether the Treaty was terminated in 1969 is not rele-
vant to the question of [the Court’s] jurisdiction since what is
determinative...is whether the 1928 Treaty was in force on the date

of the conclusion of the Pact, i.e. in 1948, and not in 1969”.
25. This reasoning is too hasty in my view. I believe that an absolutely

symmetrical interpretation of Article VI of the Pact of Bogotá in respect
of the relevant date is unreasonable; a distinction must be drawn between
two situations.
If the Treaty invoked by the Party arguing against the jurisdiction of
the Court (the Respondent) was not in force in 1948, then the objection

should be rejected for that reason alone; it makes no difference whether
the Treaty had been in force prior to (but not in) 1948 or was even con-
cluded after 1948 — but before proceedings were instituted before the
Court. While the latter situation would of course influence the resolution
of the dispute on the merits, it would create no bar to the Court’s juris-

diction.
If, on the other hand, the Treaty was in force in 1948 (and does settle
the matter in dispute), my view is that the Court should declare itself to
be without jurisdiction only if the Treaty was still in force at the date the
proceedings were instituted . In this case, there is not only one operative

date, but two. The opposite interpretation — that which is adopted in the
Judgment and can be claimed to follow from a literal reading of Arti-

83912 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP. IND. ABRAHAM )

ticle VI — aboutit à des conséquences déraisonnables, dont on ne peut pas

supposer qu’elles aient été voulues par les rédacteurs du pacte de Bogotá.
Cela signifierait que la Cour ne serait pas compétente pour connaître
d’un différend qui porterait sur une question réglée par un traité en
vigueur en 1948, alors même que ce traité aurait cessé d’être en vigueur
(par exemple, parce qu’il aurait été abrogé d’un commun accord entre les

parties) entre 1948 et la date de la saisine de la Cour. Il est vraiment dif-
ficile de penser que les Etats qui ont conclu le pacte de Bogotá, et qui ont
poursuivi le but de favoriser autant que possible le règlement judiciaire
des différends entre eux, aient pu vouloir une conséquence aussi étrange.
Aussi, selon moi, faut-il comprendre l’article VI comme faisant obstacle à

la compétence de la Cour dans le cas où la question en litige est régie par
un traité en vigueur en 1948 (cela est écrit), pourvu que ledit traité soit
toujours en vigueur à la date de l’introduction de l’instance (cela est sous-
entendu).

26. Je n’adhère donc pas au raisonnement exposé au paragraphe 82: je
pense que la Cour, pour répondre à la première exception préliminaire en
ce qui concerne les «trois îles» — ce dont elle aurait dû s’abstenir selon
moi, pour des raisons que j’exposerai au point 3 ci-après —, ne pouvait
pas se borner à rechercher si le traité de 1928 était en vigueur en 1948, en

déclarant inopérant l’argument du Nicaragua selon lequel le traité—àle
supposer valide — a pris fin en 1969.

27. La Cour ne paraît d’ailleurs pas avoir été elle-même vraiment
convaincue par son interprétation, puisque au paragraphe 89 elle fait

exactement ce que, au paragraphe 82, elle a annoncé qu’elle ne ferait
pas: elle se prononce sur l’argument du Nicaragua relatif à la prétendue
extinction du traité de 1928 par suite de sa violation en 1969 par la
Colombie, l’écartant au motif que, même si cela était exact, «cela ne chan-
gerait rien à la souveraineté de la Colombie sur les [trois] îles» — c’est-

à-dire non seulement en 1948, date du pacte de Bogotá, mais aujourd’hui
encore. Mais, s’il était vrai que pour décider de la compétence de la Cour
il faut se placer exclusivement en 1948 et rechercher quelles questions
étaient réglées à cette date par des traités en vigueur, pourquoi la Cour
aurait-elle éprouvé le besoin d’ajouter l’affirmation, non dénuée d’impor-

tance, qui figure au paragraphe 89? Puisque je ne saurais expliquer cette
apparente contradiction par un manque de cohérence de la part de mes
collègues, je dois bien supposer que la Cour a voulu ici, tout simplement,
régler le fond du différend. Ce faisant, elle est sortie du rôle qui est le sien
à ce stade de la procédure.

2. Un traité privé de validité peut-il être regardé comme «en vigueur»
en 1948 au sens de l’article VI du pacte?

28. Pour combattre l’exception de la Colombie tirée de l’article VI du

pacte, le Nicaragua a soutenu que le traité de 1928 ne pouvait être
regardé comme «en vigueur» en 1948, et ne pouvait avoir réglé aucune

84 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP. OP. ABRAHAM ) 912

cle VI — leads to unreasonable outcomes which the drafters of the Pact
of Bogotá cannot be assumed to have intended. It would mean that the
Court lacks jurisdiction over a dispute bearing on a matter settled by a
Treaty in force in 1948, even if the Treaty ceased to be in force (for exam-

ple, because the Parties agreed to abrogate it) between 1948 and the date
the Court was seised of the case. It truly strains belief to think that such
an odd outcome could have been intended by the States having entered
into the Pact of Bogotá with a view to fostering judicial settlement of
their disputes to the greatest extent possible. Thus, in my opinion, Arti-

cle VI must be read as a bar to the Court’s jurisdiction where the dis-
puted matter is governed by a Treaty which was in force in 1948 (as is
written), provided that the Treaty is still in force at the date the proceed-
ings are instituted (as is implied).

26. Thus, I do not subscribe to the reasoning set out in paragraph 82:
I think that the Court, in responding to the first preliminary objection in
respect of the “three islands” — which, in my opinion, it should have

refrained from doing, for the reasons set out in point 3 below —, should
not have confined itself to ascertaining whether the 1928 Treaty was in
force in 1948, while dismissing as beside the point Nicaragua’s argument
that the Treaty — if assumed to have been valid — was terminated in
1969.

27. It would moreover appear that the Court itself was not really con-
vinced by its interpretation, because in paragraph 89 it does exactly what
in paragraph 82 it announced it would not do: it opines upon Nicara-
gua’s argument to the effect that the 1928 Treaty terminated as a result of
Colombia’s violation of it in 1969, setting that argument aside on the

ground that, even if true, it “would not affect the sovereignty of Colom-
bia over the [three] islands” — i.e., not only in 1948, the date of the Pact
of Bogotá, but even today. Yet, if it was true that 1948 was the only date
by reference to which the Court’s jurisdiction was to be determined and

that it was necessary to ascertain which matters had been settled at that
date by the Treaties in force, then why did the Court feel the need to add
the not insignificant assertion figuring in paragraph 89? Since the expla-
nation for this apparent contradiction cannot be a lack of consistency on
the part of my colleagues, I can only suppose that the Court simply

wished here to decide the merits of the dispute. In doing so, it has over-
stepped the role assigned to it at this stage in the proceedings.

2. Can an invalid treaty be regarded as “in force” in 1948 for purposes
of Article VI of the Pact?

28. To counter Colombia’s objection based on Article VI of the
Pact, Nicaragua contended that the 1928 Treaty could not be

regarded as “in force” in 1948, and could not have settled any

84913 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP. IND. ABRAHAM )

question, dès lors qu’il avait été conclu dans des conditions de nature à le

rendre invalide.
29. L’argument du Nicaragua, sur ce point, n’est opérant que si l’on
commence par admettre qu’un traité ne peut avoir été «en vigueur» au
sens de l’article VI que s’il n’est pas entaché de nullité; autrement dit,
qu’il ne suffit pas qu’il ait été formellement en vigueur, c’est-à-dire

que, étant entré initialement en vigueur selon ses propres stipulations, il
n’ait fait l’objet, à la date pertinente (1948), d’aucune procédure d’abro-
gation, de dénonciation ou de suspension.
30. La Cour ne traite pas expressément cette question. Mais l’arrêt la
résout implicitement, puisque, après avoir examiné l’argument du Nica-

ragua, il conclut (par. 81) que «le traité de 1928 était valide et en vigueur
à la date de la conclusion du pacte de Bogotá en 1948». En d’autres
termes, la Cour semble bien admettre qu’un traité ne saurait être en vi-
gueur au sens de l’article VI, à la date pertinente, s’il n’était pas, à la

même date, valide.
31. J’approuve la position de la Cour sur l’interprétation de la notion
de «traité en vigueur», quoique je regrette qu’elle ne se soit pas expliquée
plus clairement sur ce point.
Un traité n’est en vigueur qu’à partir du moment où il est apte à pro-

duire ses pleins effets juridiques à l’égard des parties (ou, réciproquement,
il ne produit ses pleins effets juridiques qu’à partir du moment de son
entrée en vigueur). Or, selon l’article 69, paragraphe 1, de la convention
de Vienne sur le droit des traités, qui exprime sans aucun doute le droit
coutumier, «[l]es dispositions d’un traité nul n’ont pas de force juri-

dique», d’où il résulte qu’un traité entaché de l’une des causes de nul-
lité définies par la convention de Vienne — pour autant qu’elle codifie la
coutume — ne saurait être regardé comme «en vigueur», dans le sens
ordinaire du terme.
32. Peut-être la proposition qui précède pourrait-elle être nuancée

pour ce qui concerne les causes de nullité visées aux articles 46 à 50 de la
convention de Vienne, qui entraînent une nullité «relative», laquelle ne
peut être constatée que si elle a été invoquée par la partie qui y a intérêt
(la partie «victime»), selon la procédure décrite à l’article 65. A l’égard
de ces causes de nullité, on pourrait soutenir à la rigueur qu’un traité

entaché de l’une d’entre elles demeure en vigueur aussi longtemps, au
moins, que la partie qui pourrait le faire ne l’a pas invoquée (et
peut-être, d’ailleurs, ne l’invoquera-t-elle jamais). Mais même cette
proposition n’est pas évidente, car la nullité d’un traité, une fois consta-
tée (par exemple judiciairement), entraîne en principe, et quelle qu’en

soit la cause, des effets rétroactifs ab initio, sous réserve des tempéra-
ments prévus à l’article 69, paragraphe 2, de la convention de Vienne.

33. En tout cas, il me paraît qu’on ne saurait regarder comme ayant
été à un quelconque moment «en vigueur» un traité entaché d’une nullité

absolue, ce que soutient le Nicaragua — à tort ou à raison, mais à tort
selon l’arrêt — au sujet du traité de 1928.

85 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP.OP .ABRAHAM ) 913

matter, because it had been concluded under conditions rendering it

invalid.
29. Nicaragua’s argument on this point can be effective only if it is
first accepted that a treaty which is invalid cannot have been “in force”
for purposes of Article VI; in other words, it is not enough for the Treaty
to have been formally in force, i.e. for it to have come into force initially

in accordance with its terms and for it not to have been the object, as of
the relevant date (1948), of any process for abrogation, denunciation or
suspension.
30. The issue is not dealt with expressly by the Court but is resolved
implicitly in the Judgment, because, after examining Nicaragua’s argu-

ment, the Court finds (para. 81) that “the 1928 Treaty was valid and in
force on the date of the conclusion of the Pact of Bogotá in 1948”. In
other words, the Court seems indeed to accept that, for purposes of Arti-
cle VI, a treaty cannot be in force at the relevant date if it was not valid

at that date.
31. I agree with the Court’s position on the interpretation of the mean-
ing of “treaty in force”, although I regret that it did not make itself
clearer on this point.
A treaty does not enter into force until it becomes capable of produc-

ing its full legal effects vis-à-vis the parties (or, conversely, it does not
produce its full legal effects until it enters into force). Now, under Arti-
cle 69, paragraph 1, of the Vienna Convention on the Law of Treaties,
which indisputably expresses customary law, “[t]he provisions of a void
treaty have no legal force”. Hence, a treaty which is invalid for one of the

reasons defined in the Vienna Convention — in so far as it codifies cus-
tom — cannot be regarded as “in force”, within the ordinary meaning of
the expression.

32. The foregoing proposition may perhaps bear qualification in

respect of the causes of invalidity described in Articles 46 to 50 of the
Vienna Convention. These give rise to “relative” nullity: the treaty in
question can be acknowledged to be void only where the party having an
interest in invalidating it (the “injured” party) invokes the nullity in
accordance with the procedure described in Article 65. It might just be

possible to maintain that a treaty subject to one of these causes of inva-
lidity remains in force at least as long as the party entitled to invoke the
invalidating cause has not done so (which, moreover, it might never do).
But even this proposition is not certain, for once a treaty has been deter-
mined (judicially, for example) to be void, the effects are in principle, and

regardless of the cause of invalidity, retroactive ab initio, subject to the
qualifications set out in Article 69, paragraph 2, of the Vienna Conven-
tion.
33. In any event, a treaty characterized by absolute nullity, which is
what Nicaragua maintains — rightly or wrongly, but wrongly according

to the Judgment — in respect of the 1928 Treaty, cannot, in my view, be
considered ever to have been “in force”.

85914 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP.IND . ABRAHAM )

Sans doute cette interprétation aurait-elle pu être écartée, ou contre-

dite, s’il y avait eu de sérieuses raisons de comprendre l’expression «trai-
tés en vigueur», dans le contexte particulier de l’article VI du pacte de
Bogotá, dans un sens différent. Mais la Cour n’en a pas trouvé. Il aurait
fallu pour cela pouvoir établir que l’intention des Etats ayant élaboré le
pacte avait été d’interdire à un Etat de contester, à l’occasion des procé-

dures de règlement judiciaire des différends, la validité de tout traité for-
mellement en vigueur en 1948. Une telle intention ne se présume pas. Elle
n’a pas été démontrée.
34. Cela étant, la Cour, sur la base de l’interprétation qu’elle a retenue
de la notion de «traité en vigueur», s’est engagée dans l’examen de la

thèse du Nicaragua alléguant la nullité (ou l’invalidité, je ne fais guère la
différence) du traité de 1928. Cela l’a conduite, sans se prononcer direc-
tement sur les deux causes de nullité invoquées par le demandeur, à cons-
tater que le Nicaragua avait constamment reconnu la validité du traité en

question dans les cinquante années suivant sa conclusion, et qu’il était
donc à présent privé du droit d’invoquer la nullité du traité pour quelque
cause que ce soit (par. 77-80).
Ce faisant, la Cour a pris parti sur un point de fond d’une grande com-
plexité; je pense qu’elle aurait mieux fait de s’en abstenir à ce stade de la

procédure. Cela m’amène au point suivant.

3. La Cour devait-elle prendre parti sur la question de la validité du

traité de 1928 dès le stade de la décision sur les exceptions
préliminaires?

35. Nous en revenons aux critères permettant d’apprécier si une excep-
tion présente, ou non, un caractère exclusivement préliminaire.
36. Au paragraphe 51 de l’arrêt, la Cour, après avoir énoncé les deux

cas dans lesquels elle doit s’abstenir de se prononcer immédiatement sur
une exception (elle ne disposerait pas de tous les éléments nécessaires, ou
bien cela équivaudrait à trancher le fond du différend), ajoute qu’elle «ne
se trouve en l’espèce dans aucune de ces deux situations».
Je crois au contraire que, en ce qui concerne la question de la validité

du traité et ses effets quant à la souveraineté sur les «trois îles», la Cour
se trouvait dans l’un et l’autre de ces deux cas.
37. En premier lieu, il est manifeste que, en statuant comme elle l’a
fait, la Cour a réglé définitivement, et réglé au fond, le différend relatif
aux «trois îles». Que nous dit l’arrêt — supposé ne se prononcer que sur

la compétence de la Cour? Que le traité de 1928 a attribué à la Colombie
la souveraineté sur les trois îles nommément désignées à son article pre-
mier. Que le Nicaragua ne saurait à présent invoquer quelque cause de
nullité du traité, à supposer même qu’une telle cause pût être décelée à
l’origine, en raison de son comportement postérieur pendant une longue

période. Qu’enfin, même si le traité avait pris fin en 1969 comme le pré-
tend le Nicaragua, cela ne changerait rien à la permanence des effets juri-

86 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP.OP .ABRAHAM ) 914

This interpretation could no doubt have been rejected, or refuted, had

there been serious reasons to ascribe a different meaning to the expres-
sion “treaties in force” in the specific context of Article VI of the Pact of
Bogotá, but the Court found none. For that, a showing would have had
to have been made that the States which drew up the Pact intended to
prevent States involved in judicial dispute resolution proceedings from

challenging the validity of any treaty formally in force in 1948. That
intention cannot be presumed and it was not demonstrated.

34. That said, the Court, acting on the basis of its interpretation of the
meaning of “treaty in force”, examined Nicaragua’s argument alleging

the nullity (or invalidity, I see virtually no difference) of the 1928 Treaty.
That led it to find, without directly ruling on the two invalidating causes
invoked by the Applicant, that Nicaragua had consistently recognized
the validity of the Treaty over the 50 years following its conclusion and

that Nicaragua was therefore now precluded from claiming on any
ground that the Treaty was void (paras. 77-80).

In thus proceeding, the Court has adopted a position on a very com-
plex question on the merits: I think that it would have been better

advised to refrain from doing so at this stage in the proceedings. This
brings me to the next point.

3. Should the Court take a position on the question of the validity of

the 1928 Treaty already at the stage of the decision on the preliminary
objections?

35. We return to the criteria for determining whether or not an objec-
tion possesses an exclusively preliminary character.
36. In paragraph 51 of the Judgment, the Court, after describing the

two situations in which it must refrain from immediately deciding the
objection (i.e., where the Court does not have before it all the necessary
facts or where deciding would determine the dispute on the merits), adds
that it “finds itself in neither of these situations in the present case”.
I believe, to the contrary, that the Court found itself in both of these

two situations in respect of the issue of the validity of the Treaty and its
effects on sovereignty over the “three islands”.
37. In the first place, it is plain that, in ruling as it did, the Court set-
tled the dispute over the “three islands” definitively and on the merits.
What does the Judgment — supposed to pass only on the Court’s juris-

diction — tell us? That the 1928 Treaty awarded Colombia sovereignty
over the three islands named in the first Article. That, even assuming that
a cause invalidating the Treaty could have been identified at the outset,
Nicaragua is precluded from invoking it now by its subsequent conduct
over many years. Lastly, that, even if the Treaty did terminate in 1969, as

Nicaragua contends, that would have no impact on the permanence of
the legal effects of its provisions granting Colombia sovereignty over the

86915 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP .IND .ABRAHAM )

diques de celles de ses dispositions qui attribuent à la Colombie la sou-

veraineté sur les «trois îles». Et que, en conséquence, la Cour ne
s’occupera plus désormais de la partie du différend relative aux trois îles
en question.
Que faut-il de plus pour considérer que «le fait de répondre à l’excep-
tion préliminaire équivau[t] à trancher le différend, ou certains de ses élé-

ments, au fond», selon la formule qui définit l’un des deux cas dans
lesquels, selon la Cour elle-même, elle devrait s’abstenir de statuer sur
l’exception?
38. Pour justifier son choix, la Cour relève, au paragraphe 51, que la
question de la validité du traité «ne constitu[e] pas l’objet du différend au

fond», et qu’«[i]l s’agit en fait d’une question préliminaire qu’elle doit
trancher afin de déterminer si elle a compétence»: ainsi, il n’y aurait,
dans les motifs qu’elle adopte, nul empiétement sur le fond du différend.
Il est difficile d’être convaincu par ces justifications. Il est exact, selon

moi, que la question de la validité du traité ne constitue pas l’objet même
du différend. Sur ce point, j’adhère au raisonnement de l’arrêt, et
j’approuve la première des deux propositions précitées. Mais pas la
seconde: il est tout à fait erroné de présenter la question de la validité du
traité comme étant seulement une question préliminaire à la détermina-

tion de la compétence de la Cour; c’est aussi, et surtout, une question qui
commande la solution du différend au fond, dans l’argumentation du
Nicaragua. Et, en la tranchant, la Cour fait donc nécessairement plus que
de se prononcer sur sa compétence.
39. A vrai dire, malgré les observations qui précèdent, j’aurais pu me

rallier à la démarche de la Cour sur ce point si la question de la validité
du traité de 1928 avait appelé une réponse simple, et que la solution se fût
imposée avec évidence.
Après tout, comme je l’ai dit, c’est le pacte de Bogotá lui-même qui
crée une confusion, rendue dans une certaine mesure inévitable, entre le

fond et la compétence. Et j’ai aussi indiqué plus haut qu’il me semblait
moins critiquable que la Cour se prononce sur des points de fond en vue
de statuer sur une exception préliminaire lorsqu’elle accueille celle-ci, car
en pareil cas l’arrêt met un point final au procès (sur tout ou partie des
questions qui forment l’objet du différend).

40. Mais il y a plus grave: pour trancher la question de la validité du
traité de 1928, la Cour a dû prendre parti sur des points de droit et de fait
d’une grande complexité, à propos desquels le débat entre les Parties ne
s’était pas encore suffisamment développé à ce stade, et sur lesquels, par
suite, elle «ne dispos[ait] pas de tous les éléments nécessaires». Elle se

trouvait donc aussi dans l’autre des deux cas dans lesquels, selon sa
propre définition, elle devrait s’abstenir de décider sur l’exception.
41. Pour rejeter l’argument du Nicaragua tiré de la nullité du traité de
1928, la Cour se livre d’abord à un exposé détaillé du comportement du
Nicaragua entre 1928 et 1980, date à laquelle il a pour la première fois

officiellement argué de la nullité du traité (par. 78 et 79).
42. Elle en tire ensuite une conséquence de droit au paragraphe 80: le

87 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP.OP .ABRAHAM ) 915

“three islands”. And, accordingly, the Court will not concern itself any

further with that part of the dispute relating to the three islands.

What more would be needed to conclude that “answering the prelimi-
nary objection... determine[s] the dispute, or some elements of it, on the

merits”, in the words describing one of the two situations in which, the
Court itself holds, it must refrain from ruling on the objection?

38. To justify its choice, the Court observes in paragraph 51 that the
question of the validity of the Treaty “does not constitute the subject-

matter of the dispute on the merits” and “is rather a preliminary question
to be decided in order to ascertain whether the Court has jurisdiction”:
thus, there is, in its view, nothing in the grounds adopted by the Court
which impinges on the merits of the dispute. This reasoning is not very

convincing. Granted, I agree that the question of the validity of the
Treaty is not the actual subject-matter of the dispute; on this point, I
subscribe to the reasoning in the Judgment and I am in agreement with
the first of the two propositions quoted above. But not with the second:
it is utterly incorrect to characterize the issue of the validity of the Treaty

as being strictly a question preliminary to determining the Court’s juris-
diction; it is also, and principally, a question on which, in Nicaragua’s
view, the solution to the dispute hinges. And therefore, in deciding it, the
Court by necessity does more than rule on its jurisdiction.
39. In reality, and in spite of the foregoing comments, I could have

come to accept the Court’s approach on this point, had the question of
the validity of the 1928 Treaty called for a simple response and had the
right solution been obvious.
After all, as I have already said, the confusion which is to some extent
unavoidable between the merits and jurisdiction is created by the Pact of

Bogotá itself. And I have also stated above that I find it less objection-
able for the Court to rule on matters of substance in deciding a prelimi-
nary objection when it upholds the objection, because there the Judgment
puts an end to the proceedings (in respect of some or all of the questions
constituting the subject-matter of the dispute).

40. But what is more serious is that the Court, in deciding the question
of the validity of the 1928 Treaty, had to take a position on highly com-
plex points of law and fact not yet sufficiently argued by the Parties at
this stage and in respect of which the Court consequently “d[id] not have
before it all facts necessary”. Thus, it also found itself in the other of the

two situations in which, by its own definition, it should refrain from
deciding an objection.
41. In rejecting Nicaragua’s argument based on the invalidity of the
1928 Treaty, the Court begins by setting out a detailed review of Nica-
ragua’s conduct between 1928 and 1980, when it first officially asserted

that the Treaty was void (paras. 78 and 79).
42. The Court then draws a conclusion of law in paragraph 80: Nica-

87916 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP .IND .ABRAHAM )

Nicaragua ne peut plus, dès lors, se prévaloir de l’invalidité du traité de

1928 pour affirmer qu’il n’était pas en vigueur en 1948. Cela lui permet
de conclure au paragraphe 81 que le traité «était valide et en vigueur»
en 1948.
Il est clair que la Cour a entendu faire ici application de la règle selon
laquelle un Etat ne peut plus invoquer une cause de nullité d’un traité si,

après avoir eu connaissance de cette cause — et avoir été ainsi mis à
même de la dénoncer —, il doit, à raison de sa conduite subséquente, être
considéré comme ayant acquiescé à la validité du traité.
43. Je n’aurais rien à objecter à une telle motivation si le Nicaragua
s’était borné à invoquer, en tant que cause de nullité du traité de 1928,

la prétendue méconnaissance, au moment de la conclusion du traité,
de ses propres règles constitutionnelles. La solution s’imposerait alors
clairement.
44. Mais le Nicaragua a aussi invoqué la nullité qui résulterait, selon

lui, de la contrainte sous laquelle il se trouvait placé en 1928, du fait de
l’occupation d’une partie de son territoire par les forces armées des Etats-
Unis, et qui aurait altéré son libre arbitre.
A cet égard, la motivation de l’arrêt soulève une difficulté majeure.

45. En effet, selon la convention de Vienne, qui doit sans doute être
regardée comme exprimant sur ce point le droit coutumier actuel des trai-
tés, la règle qui fait obstacle à ce qu’un Etat invoque une cause de nullité
lorsque, par son comportement ultérieur, il a acquiescé à la validité du
traité ne s’applique pas dans le cas de la nullité absolue découlant de ce

que le traité a été conclu sous la contrainte résultant de la menace ou de
l’emploi de la force en violation des principes du droit international
incorporés, à présent, dans la Charte des Nations Unies. C’est ce qui se
déduit de la combinaison des articles 45 et 52 de la convention de Vienne.
La solution retenue par la Cour dans la présente affaire est donc incom-

patible avec le droit actuel des traités.
46. Cela ne signifie pas pour autant que cette solution soit nécessaire-
ment erronée. Car, en l’espèce, ce ne sont ni la convention de Vienne ni le
droit coutumier actuel des traités qui s’appliquent, puisqu’il s’agit d’appré-
cier la validité d’un traité conclu en 1928 et appliqué sans contestation

jusqu’en 1980.
On pourrait soutenir qu’en 1928 la contrainte résultant de la menace
ou de l’emploi de la force ne constituait pas une cause de nullité d’un
traité international. Même si l’on écarte la proposition précédente, on
pourrait aussi soutenir (avec plus de raison selon moi) que le droit cou-

tumier applicable à l’époque considérée ne donnait pas à ladite nullité un
caractère absolu, de telle sorte qu’elle pouvait être couverte par le com-
portement subséquent de l’Etat victime, ce qui ne serait plus le cas
aujourd’hui.
47. Le problème, c’est que l’arrêt n’explique rien de tout cela, en

grande partie parce que ces points n’ont pas été vraiment débattus à ce
stade de la procédure. Le Nicaragua, qui a soulevé l’argument de la nul-

88 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP.OP .ABRAHAM ) 916

ragua can therefore no longer rely on the invalidity of the 1928 Treaty to

claim that it was not in force in 1948. The Court is then able to find in
paragraph 81 that the Treaty “was valid and in force” in 1948.

The Court clearly intended here to apply the rule that a State may no
longer invoke a ground for invalidating a treaty if, after becoming aware

of the ground — and having thus been in a position to give notice of its
existence —, the State must by reason of its subsequent conduct be con-
sidered as having acquiesced in the validity of the Treaty.
43. I would find nothing objectionable about this reasoning if Nicara-
gua had confined itself to invoking, as the ground for invalidating the

1928 Treaty, the alleged violation of its own constitutional rules at the
time the Treaty was concluded. The solution would then be obvious.

44. But Nicaragua also claimed that the Treaty was invalid owing to

the coercion it suffered in 1928 as a result of the occupation of part of its
territory by the armed forces of the United States and alleged that this
prevented it from exercising its free will.
The reasoning in the Judgment raises a major difficulty in this connec-
tion.

45. Under the Vienna Convention, which assuredly must be seen as
expressing the customary law of treaties as it now stands on this point,
the rule precluding a State from invoking an invalidating ground where
its subsequent conduct shows its acquiescence in the validity of the treaty
does not apply where the treaty is absolutely void for having been con-

cluded under coercion resulting from the threat or use of force in viola-
tion of the principles of international law embodied, today, in the Char-
ter of the United Nations. This is to be inferred from a joint reading of
Articles 45 and 52 of the Vienna Convention. The solution adopted by
the Court in the present case is thus inconsistent with the law of treaties

as it now stands.
46. This does not however mean that this solution is necessarily wrong,
because neither the Vienna Convention nor the current customary law of
treaties applies in the present case, which involves determining the valid-
ity of a treaty concluded in 1928 and applied without challenge until

1980.
It may be argued that coercion resulting from the threat or use of force
was not a ground for invalidating an international treaty in 1928. Even if
this view is rejected, it may also be contended (more cogently, I think)
that the customary law applicable at the time in question did not make

that invalidity absolute: it could be cured by the subsequent conduct of
the prejudiced State, which is no longer the case today.

47. The problem is that none of this is explained in the Judgment,

largely because these points were not really debated at this stage in the
proceedings. Nicaragua, which raised the argument as to the invalidity of

88917 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP. IND. ABRAHAM )

lité du traité, s’est réservé expressément d’y revenir pour le développer
dans les débats au fond, ce qui ne m’apparaît pas de sa part une démar-
che imprudente ou illégitime car, comme je l’ai dit plus haut, il est clair
que ce point touchait au moins autant au fond qu’à la compétence.

48. Dès lors, il me semble que, par les motifs qu’elle a retenus, la Cour
est entrée de manière un peu légère dans une matière extrêmement déli-
cate et d’une grande importance, celle du droit international des traités,
qu’elle l’a fait sans donner d’explication suffisante sur le fondement de la
solution adoptée, et sans nécessité aucune, puisqu’il lui aurait été facile de

réserver ces questions pour la suite de la procédure.
49. Je crains donc que sur ce point l’arrêt rendu, loin de clarifier le
droit applicable, ne contribue à jeter un peu de confusion: telle n’est pas
l’idée que je me fais de la mission de la Cour, et c’est pourquoi je ne m’y
suis pas associé.

* * *

II. SECONDE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

50. L’examen de la «seconde exception préliminaire» ne présentait
plus d’intérêt que pour la partie du différend concernant la souveraineté
sur les «trois îles». Pour le reste du différend, en effet, la Cour s’étant

reconnue compétente sur la base du pacte de Bogotá, il ne lui était pas
utile de rechercher s’il pouvait exister une autre base de compétence — les
déclarations facultatives — qui eût été en tout état de cause superféta-
toire: c’est ce qu’exprime le paragraphe 132, en des termes que j’approuve
pleinement.

51. Un argument aurait permis d’accueillir cette seconde exception
sans qu’il soit besoin de décider si les déclarations du Nicaragua et de
la Colombie continuaient à produire effet à la date d’introduction de
l’instance et si la réserve ratione temporis figurant dans la déclaration

colombienne s’appliquait en l’espèce: c’est l’argument tiré du caractère
exclusif du pacte de Bogotá comme base de compétence de la Cour pour
connaître de différends entre des Etats parties au pacte.
Je considère pour ma part cet argument comme convaincant. L’arrêt
l’écarte pour les motifs qui figurent aux paragraphes 133 à 136, lesquels

me paraissent particulièrement faibles.
52. Le paragraphe 133 se borne à constater que, dans son arrêt de
1988 sur l’affaire relative à des Actions armées frontalières et transfron-
talières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité , la Cour

n’a pas écarté la thèse selon laquelle les déclarations facultatives de l’ar-
ticle 36 pourraient constituer une base de compétence distincte et suffisante
entre Etats parties au pacte. C’est parfaitement exact, et cela signifie que
la Colombie a eu tort de plaider le contraire, en sollicitant à l’excès le sens
de l’arrêt de 1988. Mais cela ne fournit aucun argument en faveur de la

thèse que la Cour, en 1988, n’a pas écartée. Elle ne l’a pas écartée, certes,

89 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP.OP .ABRAHAM ) 917

the Treaty, expressly reserved the right to return to and expand upon it in
the proceedings on the merits. This, in my view, was neither reckless nor
unjustified on the part of Nicaragua, since, as noted earlier, the point

plainly bore at least as much upon the merits as upon jurisdiction.
48. Accordingly, it is my opinion that, in view of the grounds for its
decision, the Court dealt rather lightly with an extremely difficult and
important subject, the international law of treaties, and did so without
adequately explaining the basis for the solution adopted and needlessly,

since it could very easily have reserved these questions for the subsequent
proceedings.
49. I thus fear that on this point the Judgment, rather than clarifying
the applicable law, adds some confusion: that is not my conception of the

mission of the Court and that is why I did not join in the Judgment in
this respect.

*
* *

II. SECOND P RELIMINARY O BJECTION

50. It was then only in regard to that part of the dispute concerning

sovereignty over the “three islands” that it made sense to examine the
“second preliminary objection”. As the Court found jurisdiction under
the Pact of Bogotá over the rest of the dispute, no useful purpose would
have been served in seeking to determine whether there might exist

another basis of jurisdiction — the optional declarations — which would
in any case have been superfluous: that is what paragraph 132 says, in
terms which I wholeheartedly approve.
51. It would have been possible under one argument to uphold the sec-
ond objection without having to decide whether Nicaragua’s and Colom-

bia’s declarations were still in effect at the date the proceedings were
instituted or whether the reservation ratione temporis in Colombia’s dec-
laration applied in the present case: the argument based on the exclusiv-
ity of the Pact of Bogotá as the basis for the Court’s jurisdiction to

entertain disputes between the States parties to the Pact.
I find this argument convincing. The Judgment sets it aside for the rea-
sons appearing in paragraphs 133 to 136, which strike me as especially
weak.

52. Paragraph 133 is confined to observing that, in its 1988 Judgment
in the case concerning Border and Transborder Armed Actions (Nicara-
gua v. Honduras), Jurisdiction and Admissibility , the Court did not reject
the contention that optional declarations under Article 36 could form a
separate, sufficient basis for jurisdiction in disputes between States parties

to the Pact. That is wholly correct, which means that Colombia was mis-
taken in arguing to the contrary, stretching the meaning of the 1988
Judgment in doing so. But this is no argument in support of the conten-
tion which the Court in 1988 did not reject. Granted, it did not reject it,

89918 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP.IND .ABRAHAM )

mais elle ne l’a pas davantage approuvée. On se trouve donc en présence

d’un point de droit à propos duquel la jurisprudence antérieure est
muette (puisqu’il a été réservé), et il faudrait par conséquent donner les
raisons pour lesquelles ce point devrait être tranché aujourd’hui dans un
sens plutôt que dans l’autre.
53. C’est ce que ne fait pas l’arrêt. Car le paragraphe 134 n’en dit pas

plus, à cet égard, que le paragraphe 133. Il ne fait que reprendre, sous une
forme différente, l’idée selon laquelle l’arrêt de 1988 n’a pas tranché la
question dans le sens plaidé par la Colombie. On attend toujours les rai-
sons qui justifient que la question soit tranchée dans l’autre sens.
54. Les trouve-t-on au paragraphe suivant (il serait temps, puisque

c’est le dernier précédant la conclusion)?
Pas vraiment: le paragraphe 135 se borne à citer le dictum, de caractère
général, de l’arrêt de la CPJI de 1939 dans l’affaire de la Compagnie
d’électricité de Sofia et de Bulgarie , affaire dans laquelle on chercherait

en vain un rapport avec les dispositions très particulières du pacte de
Bogotá. Ce dictum énonce que, lorsque des engagements multiples ont été
contractés par les Etats en faveur de la juridiction obligatoire de la Cour,
lesdits engagements doivent s’additionner plutôt que se neutraliser
mutuellement. Idée incontestablement juste en règle générale, mais qui

ne tient compte d’aucune des spécificités du pacte de Bogotá. L’arrêt
ne répond donc pas aux arguments de la Colombie, en particulier ceux
exposés au paragraphe 126, arguments que pour ma part je trouve
convaincants.
55. En particulier, la formule très spécifique figurant à l’article XXXIV

du pacte, selon laquelle, si la Cour se déclare incompétente pour juger un
différend, pour l’une des causes d’incompétence mentionnées aux ar-
ticles V, VI et VII, ce différend «sera déclaré terminé», me paraît exclure
clairement que la Cour puisse être saisie du même différend sur la base
d’un autre titre de compétence à la suite d’un arrêt par lequel elle aurait

décliné sa compétence sur la base du pacte de Bogotá. Par suite, cette
disposition me paraît également faire obstacle, logiquement, à ce qu’un
différend soit soumis à la Cour par un Etat partie au pacte de Bogotá
contre un autre Etat partie sur la base d’un titre de compétence autre que
le pacte lui-même, ou encore sur la base, simultanément, du pacte et d’un

autre titre de compétence, comme en l’espèce.
56. Plus généralement, je comprends le pacte de Bogotá, compte tenu
de ses dispositions particulières et de son économie générale, comme
ayant institué entre les Etats parties un mécanisme de règlement judiciaire
des différends devant la Cour internationale de Justice exclusif de tout

autre, dans sa portée comme dans ses limites, rendant ainsi inopérantes,
dans les rapports entre Etats parties au pacte (mais seulement dans ces
rapports), les déclarations facultatives que lesdits Etats peuvent avoir
faites par ailleurs sur la base de l’article 36, paragraphe 2, du Statut
de la Cour.

57. L’arrêt retient l’interprétation contraire. Cependant, il parvient
également à la conclusion (que je partage) que la Cour n’est pas compé-

90 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP.OP .ABRAHAM ) 918

but it did not uphold it either. Here then is a point of law on which the

earlier decision is silent (because the matter was reserved) and it would
therefore be necessary to explain why this issue should today be decided
one way rather than the other.

53. The Judgment does not do this. Paragraph 134 says no more in

this respect than does paragraph 133. It merely repeats the notion, in a
different form, that the 1988 Judgment did not settle the issue in the way
advocated by Colombia. The reasons justifying a decision to the contrary
on the question remain unstated.
54. Are they to be found in the following paragraph (this would be the

time, as this is the last paragraph before the conclusion)?
Not really: paragraph 135 does no more than quote the dictum, gen-
eral in nature, from the 1939 Judgment of the Permanent Court of Inter-
national Justice in the case concerning Electricity Company of Sofia and

Bulgaria, a case in which it would be futile to seek any connection with
the unusual provisions of the Pact of Bogotá. According to that dictum,
multiple agreements entered into by States accepting the Court’s compul-
sory jurisdiction must be seen as additional to each other, rather than as
cancelling each other out. This is undoubtedly correct as a general rule,

but it fails to take account of any of the distinctive characteristics of the
Pact of Bogotá. The Judgment thus provides no response to Colombia’s
arguments, notably those set out in paragraph 126, which I find cogent.

55. In particular, the language specific to Article XXXIV of the Pact,

stating that, if the Court declares itself to be without jurisdiction to hear
a controversy for one of the reasons set out in Articles V, VI or VII, the
controversy “shall be declared ended”, seems to me clearly to preclude
submission of the same dispute to the Court on the basis of a different
title of jurisdiction after the Court has handed down a judgment declin-

ing jurisdiction under the Pact of Bogotá. I therefore believe that, logi-
cally, this provision also bars a State party to the Pact of Bogotá from
submitting to the Court a dispute with another State party on the basis of
a title of jurisdiction other than the Pact itself, or on the basis of, simul-
taneously, the Pact and another title of jurisdiction, as in the present

case.
56. More broadly, in view of its special provisions and general struc-
ture, I see the Pact of Bogotá as having established machinery for the
judicial settlement in the International Court of Justice of disputes
between the States parties which is exclusive of all other mechanisms, in

both its scope and its limits, thus rendering inoperative in the relations
between States parties to the Pact (but only in those relations) any
optional declarations those States may have made pursuant to Article 36,
paragraph 2, of the Statute of the Court.

57. The Judgment takes the opposite view. The Court does however
also come to the conclusion (which I share) that it lacks jurisdiction

90919 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP. IND. ABRAHAM )

tente pour connaître de la question de la souveraineté sur les «trois îles»

sur la base des déclarations facultatives, mais pour un motif qui, je dois
l’avouer, me plonge dans un abîme de perplexité.
C’est que, explique la Cour au paragraphe 138, il ne subsiste plus
de différend entre les Parties sur la question de la souveraineté sur les
trois îles.

58. Une telle affirmation, outre qu’elle me paraît contraire au bon sens
le plus élémentaire — mais il est vrai que le bon sens des uns n’est pas
forcément celui des autres —, repose sur une dénaturation complète, et
fort préoccupante, de la notion même de «différend».
59. Voici que se présentent devant la Cour deux Etats qui revendi-

quent l’un et l’autre la souveraineté sur les mêmes îles. L’un d’eux affirme
(apparemment à bon droit) qu’il possède cette souveraineté depuis qu’elle
lui a été reconnue par un traité conclu entre les deux Etats en cause.
L’autre répond (sans doute à tort, mais ce n’est pas la question ici) que ce

traité est nul depuis l’origine, et que de toute façon, même s’il était valide
initialement, il a cessé depuis lors d’être en vigueur, si bien qu’il ne peut
plus lui être opposé en tant que titre de souveraineté.
Ne trouve-t-on pas ici tous les éléments caractéristiques d’un différend
susceptible d’être soumis à la décision judiciaire? Non, répond tranquil-

lement la Cour: il n’y a plus de différend.
60. La raison donnée par le paragraphe 138 — car il y en a une — est
que le différend n’existe plus car il a été réglé par le traité de 1928, pour
les raisons qui ont été exposées à l’occasion de l’examen de la première
exception préliminaire.

N’est-il pas évident qu’on se trouve là en présence d’une confusion
complète entre le fond et la compétence?
61. Je laisse de côté la question, tout à fait secondaire, de savoir si
l’absence de différend réel et actuel entre les parties constitue une cause
d’incompétence de la Cour ou un cas d’irrecevabilité de la demande, ce

qui, à vrai dire, ne fait guère de différence.
62. Ce que le traité de 1928 a pu régler — à supposer qu’il l’ait fait de
manière valide —, c’est le différend qui existait à l’époque entre les deux
Etats. Mais il n’a pas réglé, et ne pouvait évidemment pas régler, le dif-
férend tel qu’il se présente aujourd’hui à la Cour, et qu’on ne saurait

confondre avec le précédent. Certes, l’objet est le même: c’est la souve-
raineté sur les trois îles. Mais la cause n’est pas la même: car le différend
actuel est né de ce que l’un des deux Etats parties au traité s’est mis à
prétendre — assez tardivement, il est vrai — que son consentement à être
lié avait été obtenu, à l’époque, par l’exercice de la contrainte.

63. En vérité, ce que signifie réellement le paragraphe 138, c’est qu’il
ne servirait à rien que la Cour retienne sa compétence pour statuer sur cet
aspect de l’affaire, parce que l’on connaît d’avance la solution qu’elle
serait encline à lui apporter, étant donné les motifs par lesquels elle a fait
partiellement droit à la première exception préliminaire.

Certes. Mais cela ne démontre aucunement la disparition du différend
entre les Parties; cela ne fait que renforcer, plutôt, l’idée que la Cour

91 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP.OP .ABRAHAM ) 919

under the optional clause declarations to entertain the question of sov-

ereignty over the “three islands”, but it does so on grounds which, I must
admit, leave me utterly perplexed.
The reason, explains the Court in paragraph 138, is that there is no
extant dispute between the Parties as to sovereignty over the three
islands.

58. Aside from the fact that this assertion seems to me to fly in the face
of the most basic common sense — admittedly, however, what is com-
mon sense to some is not necessarily so to others —, it rests on a total,
and alarming, distortion of the concept itself of “dispute”.
59. Here, two States claiming sovereignty over the same islands appear

before the Court. One contends (legitimately, it would seem) that it has
had sovereignty ever since such was recognized in a treaty concluded by
the two States. The other responds (no doubt wrongly, but that is not the
question here) that the Treaty has been void since the outset and, in any

event, even if it was initially valid, it has in the meantime gone out of
force and can therefore no longer be relied upon against that State as a
title of sovereignty.
Are these not all the characteristic elements of a dispute capable of
submission for judicial determination? No, responds the Court serenely:

there is no longer any dispute.
60. The reason — and there is one — given in paragraph 138 is that
the dispute has ceased to exist because it was settled by the 1928 Treaty,
for the reasons set out in the examination of the first preliminary objec-
tion.

Is it not obvious that there is complete confusion here between the
merits and jurisdiction?
61. I shall leave aside the wholly secondary issue whether the absence
of a real, present dispute between the Parties causes the Court to lack
jurisdiction or the claim to be inadmissible ; in all honesty, that hardly

makes any difference.
62. What the 1928 Treaty did settle — assuming that it did so validly
— was the dispute which then existed between the two States. But it did
not settle, and plainly could not settle, the dispute which presents itself
today to the Court and which is not to be confused with the earlier one.

Admittedly, the subject-matter is the same: sovereignty over the three
islands. But the cause is not: because today’s dispute came into being
when one of the two States party to the Treaty began to claim — granted,
rather belatedly — that its consent to be bound had been procured at the
time by coercion.

63. In fact, what paragraph 138 really signifies is that it would serve no
purpose for the Court to find jurisdiction to decide this aspect of the case,
because the ultimate disposition the Court would favour is known in
advance, in view of the grounds on which it partially upheld the first pre-
liminary objection.

True. But that in no way shows that the dispute between the Parties
has disappeared; rather, it merely reinforces the feeling that it would

91920 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (OP .IND .ABRAHAM )

aurait mieux fait de s’abstenir de statuer comme elle l’a fait sur la pre-

mière exception, et de renvoyer l’examen des points en discussion après
les débats au fond.
64. Une dernière remarque: la Cour eût-elle procédé d’abord à l’exa-
men du titre de compétence, fondé sur les déclarations facultatives,

qu’elle n’aurait certainement pas pu l’écarter par les motifs qu’elle retient
ici, et qui sont entièrement tirés de la réponse qu’elle fait sur le terrain du
pacte de Bogotá. On croyait jusqu’à présent que l’ordre d’examen des
titres de compétence était, en droit, indifférent quant au bien-fondé de

chacun de ces titres. Ici, il est clair qu’il ne l’est pas: n’est-ce pas parce
que quelque chose ne va pas dans le raisonnement de la Cour?
65. Il reste à espérer que certains Etats défendeurs liés par une déclara-
tion facultative ne prendront pas prétexte, à l’avenir, de ce fâcheux pré-

cédent pour contester, à titre préliminaire, la compétence de la Cour par
des arguments de fond; que la Cour saura circonscrire la solution adop-
tée dans notre affaire aux circonstances particulières de l’espèce; qu’en
somme, le présent arrêt, sur ce point, ne fera pas jurisprudence.

(Signé) Ronny A BRAHAM .

92 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (SEP.OP .ABRAHAM ) 920

have been better for the Court to refrain from ruling as it did on the first
objection and to defer consideration of the disputed points until after the

proceedings on the merits.
64. One final comment: had the Court examined the title of jurisdic-
tion based on the optional clause declarations first, it definitely would not
have been able to reject it on the grounds which it adopts here, entirely

drawn as they are from the Court’s response in relation to the Pact of
Bogotá. Until now, it has been thought that the order in which titles of
jurisdiction are examined was immaterial to the validity of each title.
Here, such is clearly not the case: is this not because something is amiss
in the reasoning of the Court?

65. It remains to be hoped that in the future certain respondent States
bound by optional clause declarations will not seize upon this unfortu-
nate decision as a pretext for using substantive arguments to raise pre-
liminary challenges to the Court’s jurisdiction, that the Court will suc-

ceed in confining the solution adopted in these proceedings to the specific
facts and circumstances of the case, and that, in short, the present Judg-
ment will not set a precedent on this point.

(Signed) Ronny A BRAHAM .

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Document Long Title

Opinion individuelle de M. le juge Abraham

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