Déclaration de M. le juge Simma

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124-20071213-JUD-01-04-EN
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124-20071213-JUD-01-00-EN
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893

DÉCLARATION DE M. LE JUGE SIMMA

[Traduction]

Compétence de la Cour dans le cadre du système juridictionnel établi par le
pacte de Bogotá: dire que le Nicaragua a perdu, en raison de son comportement
passé, le droit de revendiquer la nullité du traité conclu en 1928 avec la Colom-
bie ne revient pas à déclarer que le traité était «valide et en vigueur» en 1948
— Les dispositions du pacte et les déclarations faites en vertu de la clause facul-

tative constituent deux bases distinctes de la compétence de la Cour qui ne
s’excluent pas mutuellement; le fait que le Nicaragua se voit refuser l’accès à la
Cour dans le cadre du système établi par le pacte ne règle pas le différend
d’ordre juridique en question et n’écarte pas non plus la possibilité d’invoquer
une déclaration faite en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 .

Bien que je sois satisfait du présent arrêt d’une manière générale, je
doute que la Cour ait correctement appliqué l’article VI du pacte de
Bogotá au traité de 1928 entre le Nicaragua et la Colombie. Dans le

même ordre d’idées, j’éprouve des difficultés considérables devant l’appré-
ciation que fait la Cour de la relation entre, d’une part, la notion de ques-
tion «régi[e] par des ... traités en vigueur» à l’époque de la conclusion du
pacte, en 1948, et, d’autre part, celle qui a trait à la persistance d’un «dif-
férend d’ordre juridique» en tant que condition préalable à ce qu’elle
puisse exercer sa compétence sur la base d’une déclaration d’acceptation

faite en vertu de la clause facultative.
Selon la Cour, la seule question que le traité de 1928 entre le Nicaragua
et la Colombie a réglée de manière définitive (contrairement aux ques-
tions de la souveraineté sur les autres formations maritimes de la région
et de la délimitation maritime en général) et ce, en faveur de la Colombie,

est celle de la souveraineté sur les îles de San Andrés, Providencia et
Santa Catalina. La Cour parvient à la conclusion que le traité de 1928
a définitivement réglé cette question car il devait être considéré comme
«en vigueur» en 1948 — avec pour conséquence que, aux termes de l’ar-
ticle VI du pacte de Bogotá, les questions régies par ledit traité sortent du
domaine de compétence de la Cour. Le Nicaragua avait affirmé que le

traité de 1928 devait être considéré comme nul et non avenu ab initio aux
motifs que, premièrement, il était incompatible avec la constitution
du pays et, deuxièmement, il avait été conclu sous la contrainte d’une
puissance étrangère, à savoir les Etats-Unis d’Amérique. Toutefois,
selon la Cour, puisque le Nicaragua n’a pas contesté la validité du traité

de 1928 pendant plus de cinquante ans, à savoir jusqu’en 1980, et que,
dans certains cas, il a même réellement agi comme si le traité était
valide, «le Nicaragua ne peut pas à présent affirmer que le traité de 1928
n’était pas en vigueur en 1948» (arrêt, par. 80). Et la Cour poursuit
en indiquant:

65 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (DÉCL . SIMMA ) 894

«Compte tenu de tout ce qui précède, la Cour conclut que le traité

de 1928 était valide et en vigueur à la date de la conclusion du pacte
de Bogotá en 1948, date à retenir aux fins de déterminer si les dis-
positions de l’article VI de ce pacte, qui prévoient une exception à la

compétence dévolue à la Cour en vertu de son article XXXI, trou-
vent à s’appliquer.» (Par. 81; les italiques sont de moi.)

Je voudrais faire observer que cette conclusion pose un problème. Mon

propos n’est pas d’affirmer que la Cour aurait dû en dire plus (ou plutôt
ne pas être silencieuse) au sujet du bien-fondé ou de l’absence de bien-
fondé des deux motifs de nullité invoqués comme tels par le Nicaragua,

au lieu de s’intéresser exclusivement à la perte du droit à les invoquer. Il
n’aurait pas été possible d’agir ainsi au stade actuel de la procédure, à
savoir celui de la compétence (tel quel, le présent arrêt est déjà un cas
limite eu égard à la manière dont la Cour prétend restreindre sa portée à

des questions de compétence tout en s’engageant souvent, bien que de
manière extrêmement superficielle, sur un terrain relevant clairement du
fond). Ce qui me préoccupe est le caractère illogique des conclusions de la
Cour énoncées ci-dessus. Dire que le Nicaragua, par le comportement

qu’il a eu à l’égard du traité de 1928, a en quelque sorte perdu le droit
d’en invoquer la nullité est une chose; mais de là à conclure que, pour les
mêmes raisons, le traité était en réalité valide et en vigueur à la date de la
signature du pacte de Bogotá en 1948, ilyae n revanche très loin. Je

considère que la seconde conclusion ne découle pas de la première. Je suis
d’accord avec la première conclusion de la Cour suivant laquelle, puisque
le Nicaragua a considéré pendant si longtemps le traité de 1928 comme

valide, il ne saurait changer soudainement sa position et faire valoir la
nullité ab initio de l’instrument. Je suis bien évidemment conscient du fait
que, en adoptant cette thèse, on s’expose à plusieurs difficultés qui décou-
lent du droit des traités — je me contenterai de mentionner l’alinéa b) de
1
l’article 45 de la convention de Vienne de 1969 , qui exclut de son champ
d’application le cas où la contrainte a été exercée sur un Etat par la
menace ou par l’emploi de la force, et la condition d’applicabilité de
l’article 46 de la convention de Vienne selon laquelle il faut que la viola-

tion du droit interne en question soit manifeste et concerne une règle
constitutionnelle d’importance fondamentale. C’est peut-être parce qu’elle
mesure ces problèmes que la Cour évite, de manière un peu évasive, la

1
L’article 45 se lit comme suit:
«Un Etat ne peut plus invoquer une cause de nullité d’un traité ou un motif d’y
mettre fin, de s’en retirer ou d’en suspendre l’application en vertu des articles 46 à 50
ou des articles 60 et 62 si, après avoir eu connaissance des faits, cet Etat:

a) A explicitement accepté de considérer que, selon le cas, le traité est valide, reste
en vigueur ou continue d’être applicable; ou
b) Doit, à raison de sa conduite, être considéré comme ayant acquiescé, selon le cas,
à la validité du traité ou à son maintien en vigueur ou en application.»

66 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME DÉCL . SIMMA ) 895

terminologie employée par la convention de Vienne («qui l’invo-

que ... comme motif») et indique que le Nicaragua «ne peut pas à présent
affirmer» la nullité du traité. Sans m’engager trop loin sur le terrain
réservé au stade du fond de l’affaire, s’agissant des chances qu’avaient les
deux arguments sur la nullité d’aboutir (ou non), je pense que la Cour
n’avait sans doute pas à faire preuve d’autant de prudence. Le principe

sur lequel repose l’alinéa b) de l’article 45 de la convention de Vienne est
sans nul doute applicable dans le cas présent: à cause de son comporte-
ment passé, le Nicaragua ne peut plus s’appuyer sur la nullité du traité
de 1928 — dans le cadre du système juridictionnel établi par le pacte de
Bogotá. Plus précisément: ce que le Nicaragua est empêché de prétendre

à présent, c’est que le traité de 1928 n’était pas un traité «en vigueur» (au
sens de l’article VI du pacte de Bogotá) à la date de la conclusion du
pacte. En outre, le Nicaragua ne peut plus affirmer que la question
«réglée» par ce traité, c’est-à-dire la souveraineté sur les îles de San

Andrés, Providencia et Santa Catalina, ne devrait pas être considérée
comme définitivement réglée et pouvait encore être soumise à la Cour sur
la base du pacte de Bogotá.
Cependant, si l’on en croit l’opinion majoritaire de la Cour, il découle
du comportement du Nicaragua à l’égard du traité une conséquence plus

radicale, à savoir, purement et simplement, que le traité était «valide et
en vigueur» en 1948. Ainsi, il semble que les circonstances qui ont
conduit à écarter la possibilité d’invoquer le motif de nullité sont égale-
ment considérées comme ayant effacé la nullité elle-même. Voilà une
conclusion que je juge, en théorie, difficile à accepter. Elle a conduit la

Cour à retenir la première exception préliminaire de la Colombie, c’est-
à-dire à accepter d’interdire au Nicaragua l’accès à la Cour sur la base du
pacte de Bogotá en ce qui concerne la question de la souveraineté sur les
trois îles mentionnées. La Cour aurait pu simplement aboutir au même
résultat en suivant le raisonnement que j’expose ici: le cadre du pacte de

Bogotá permet de considérer que le Nicaragua a perdu la possibilité de
soumettre la question à la Cour.
Je parviens ainsi à ma seconde remarque — qui est toutefois en rapport
direct avec la première: qu’en serait-il si l’Etat demandeur était en mesure
de fonder la compétence de la Cour sur une base autre ou supplémen-

taire? Cela pourrait bien être le cas en l’espèce, eu égard aux déclarations
d’acceptation soumises par les deux Parties en vertu du paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut de la Cour, abstraction faite pour l’instant de la
seconde exception préliminaire de la Colombie (qui concerne la réserve
ratione temporis dont la déclaration colombienne était assortie, ainsi que

le retrait pur et simple de cette déclaration effectué ultérieurement par la
Colombie). Manifestement, le recours à la Cour sur le fondement des
déclarations d’acceptation en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 est
subordonné à l’existence—àa l persistance — d’un «différend d’ordre
juridique». Or, ce que je conteste dans le présent arrêt, c’est que la Cour,

en confirmant l’exception préliminaire (la première) de la Colombie
concernant la compétence sur le fondement du pacte de Bogotá (voir plus

67 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (DÉCL . SIMMA ) 896

haut), a également statué sur l’argument du Nicaragua concernant la

compétence fondée sur les déclarations faites par les Parties en vertu de la
clause facultative. La Cour s’est prononcée ainsi au mépris, pour ainsi
dire, de sa conclusion précédente selon laquelle les dispositions du pacte
de Bogotá et les déclarations faites en vertu de la clause facultative
«constituent deux bases distinctes de compétence de la Cour qui ne

s’excluent pas mutuellement» (arrêt, par. 136). Au paragraphe 138 de
l’arrêt, la Cour indique ce qui suit:

«La question s’est posée de savoir si la revendication de souverai-
neté sur les îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, for-
mulée par le Nicaragua dans la présente espèce, implique qu’il sub-
siste un différend sur ce point. La Cour a retenu la première exception

préliminaire d’incompétence soulevée par la Colombie au titre du
pacte de Bogotá en ce qu’elle a trait à sa compétence pour connaître
de la question de la souveraineté sur ces trois îles, après s’être assu-
rée que cette question avait été réglée par le traité de 1928. La Cour
n’aurait pas pu conclure qu’elle était incompétente pour trancher

cette question en vertu du pacte de Bogotá si un différend avait sub-
sisté à ce sujet.»

Après s’être référée à sa jurisprudence concernant les conditions préa-
lables de l’existence d’un différend, la Cour poursuit:

«La Cour a établi que le traité de 1928 attribuait la souveraineté
sur ces trois îles à la Colombie aux fins de déterminer si elle avait
compétence pour connaître de cette question en vertu du pacte de
Bogotá. Le fait même que le différend relatif à la question de la sou-
veraineté sur les trois îles a été réglé par le traité de 1928 est cepen-

dant tout aussi pertinent aux fins d’établir si la Cour a compétence
sur la base des déclarations faites en vertu de la clause facultative. A
cet égard, la Cour fait observer que sa compétence sur cette base est
expressément subordonnée, aux termes du paragraphe 2 de l’ar-
ticle 36 du Statut, à l’existence d’un «différend d’ordre juridique»

entre les Parties.

La Cour ayant conclu qu’il ne subsistait pas de différend juridique
entre les Parties sur la question de la souveraineté sur les îles de San
Andrés, Providencia et Santa Catalina, elle ne peut être compétente

pour connaître de cette question, ni sur la base du pacte de Bogotá,
ni sur celle des déclarations faites en vertu de la clause facultative.»

La Cour conclut alors que, à la lumière de ce qui précède, il ne servirait
à rien, en pratique, de poursuivre l’examen des questions concernant le
retrait par la Colombie de sa déclaration et la réserve ratione temporis
dont elle est assortie (arrêt, par. 139).
Ce raisonnement revient à dire que, le traité de 1928 ayant «réglé»

la question de la souveraineté sur les trois îles conformément aux méca-
nismes du pacte de Bogotá (le Nicaragua ayant perdu le droit de faire

68 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME DÉCL . SIMMA ) 897

valoir la nullité du traité de 1928, le traité est par conséquent considéré
comme «valide et en vigueur» et la compétence de la Cour est donc ex-
clue), il ne subsiste pas non plus de «différend d’ordre juridique», en ce

qui concerne les îles, à trancher sur le fondement des déclarations faites
par les Parties en vertu de la clause facultative. Selon ma manière de
voir et sur le plan des principes, ce raisonnement est erroné.
Si les deux bases de compétence — premièrement, le pacte de Bogotá
et, deuxièmement, les déclarations faites par les deux Parties en vertu de

la clause facultative — doivent être considérées comme distinctes et ne
s’excluant pas mutuellement (comme l’indique à juste titre le para-
graphe 136 de l’arrêt), alors la première ne peut tout simplement pas
éclipser la seconde. Toute détermination objective de la question doit nous

amener à conclure qu’il subsiste bien un différend, relatif notamment à
l’appartenance des trois îles, au sens de la jurisprudence de la Cour, c’est-
à-dire «un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction,
une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux personnes»
o
(Concessions Mavrommatis on Palestine (Grèce/Royaume-Uni), arrêt n 2,
1924, C.P.J.I. série A n 2, p. 11), la réclamation de l’une des parties se
heurtant à l’opposition manifeste de l’autre, etc. Ainsi, après être parvenue
à un résultat négatif en ce qui concerne la première base de juridiction invo-
quée par le Nicaragua, la Cour aurait dû poursuivre l’examen de sa com-

pétence en considérant les déclarations faites par les Parties en vertu de la
clause facultative afin de juger si celles-ci pouvaient lui permettre de statuer
sur des questions dont elle ne pouvait connaître sur la base du pacte de
Bogotá. Si, par la suite, la Cour avait suivi les arguments avancés par la

Colombie et accordé l’effet souhaité par celle-ci à la réservreatione tempo-
ris de la déclaration faite en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 de son
Statut ou si elle avait jugé recevable le retrait par la Colombie de sa déclara-
tion, la question de la compétence en ce qui concerne le litige portant sur les
trois îles aurait finalement reçu une réponse négative. Sinon, ce litige aurait

été du nombre de ceux que la Cour admet d’examiner au stade du fond.
Ainsi, à ce stade-là, le Nicaragua aurait eu la possibilité de faire valoir plei-
nement les deux motifs de nullité avancés en ce qui concerne le traité de
1928 et présenter les raisons, s’il en est, pour lesquelles il n’avait pas invo-

qué ces motifs auparavant.
A ce propos, je tiens à préciser que j’ai entrepris cette brève étude sur le
lien entre les deux bases de compétence invoquées par le Nicaragua sim-
plement parce que je ne parvenais pas à être convaincu de la justesse de

l’application, par la Cour, du droit à cet égard; je n’estimais aucunement
que les arguments du Nicaragua concernant la nullité du traité de 1928
étaient traités trop sommairement, quant à leur substance, dans le pré-
sent arrêt.

(Signé) Bruno S IMMA .

69

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893

DECLARATION OF JUDGE SIMMA

Jurisdiction of the Court within the system of the Pact of Bogotá: difference
between Nicaragua not being allowed anymore to assert the invalidity of its
1928 Treaty with Colombia due to its past behaviour and the Treaty being
“valid and in force” in 1948 — The provisions of the Pact and the declarations
made under the optional clause representing two distinct bases of the Court’s

jurisdiction which are not mutually exclusive, the fact that Nicaragua is denied
access to the Court within the system of the Pact neither disposes of the legal
dispute in question nor does it eliminate the invocability of an Article 36, para-
graph 2, declaration.

While I consider the present Judgment generally satisfactory, I have
my doubts whether the Court has applied Article VI of the Pact of
Bogotá to the Treaty concluded between Nicaragua and Colombia in

1928 in a correct way. In the same context, I have considerable difficulties
with the Court’s reading of the relationship between, on the one hand,
the notion of a matter being “governed by... treaties in force” at the
time of the conclusion of the Pact in 1948 and that of the continued exist-
ence of a “legal dispute” as a precondition for the jurisdiction of the
Court on the basis of a declaration of acceptance under the optional

clause on the other.
According to the Court, the one matter which the 1928 Treaty between
Nicaragua and Colombia settled finally (contrary to the issues of sover-
eignty over the further maritime features in the area and of maritime
delimitation in general), and did so in favour of Colombia, is the ques-

tion of sovereignty over the islands of San Andrés, Providencia and
Santa Catalina. The Court arrives at the conclusion that the 1928 Treaty
has resolved this question definitively because the Treaty was to be
regarded as a “treaty in force” in 1948 — with the result that, according
to Article VI of the Pact of Bogotá, matters governed by it are beyond
the jurisdictional reach of the Court. Nicaragua had contended that the

1928 Treaty was to be regarded as null and void ab initio on the grounds,
first, that it was incompatible with the constitution of the country and,
second, that its conclusion was brought about under foreign, namely
United States, coercion. However, in the view of the Court, since Nica-
ragua had not contested the validity of the 1928 Treaty for over 50 years,

that is, until 1980, and in a number of instances had even positively acted
as if the Treaty was valid, “[it] cannot today be heard to assert that the
1928 Treaty was not in force in 1948” (Judgment, para. 80). And the
Court then continues by stating that:

65 893

DÉCLARATION DE M. LE JUGE SIMMA

[Traduction]

Compétence de la Cour dans le cadre du système juridictionnel établi par le
pacte de Bogotá: dire que le Nicaragua a perdu, en raison de son comportement
passé, le droit de revendiquer la nullité du traité conclu en 1928 avec la Colom-
bie ne revient pas à déclarer que le traité était «valide et en vigueur» en 1948
— Les dispositions du pacte et les déclarations faites en vertu de la clause facul-

tative constituent deux bases distinctes de la compétence de la Cour qui ne
s’excluent pas mutuellement; le fait que le Nicaragua se voit refuser l’accès à la
Cour dans le cadre du système établi par le pacte ne règle pas le différend
d’ordre juridique en question et n’écarte pas non plus la possibilité d’invoquer
une déclaration faite en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 .

Bien que je sois satisfait du présent arrêt d’une manière générale, je
doute que la Cour ait correctement appliqué l’article VI du pacte de
Bogotá au traité de 1928 entre le Nicaragua et la Colombie. Dans le

même ordre d’idées, j’éprouve des difficultés considérables devant l’appré-
ciation que fait la Cour de la relation entre, d’une part, la notion de ques-
tion «régi[e] par des ... traités en vigueur» à l’époque de la conclusion du
pacte, en 1948, et, d’autre part, celle qui a trait à la persistance d’un «dif-
férend d’ordre juridique» en tant que condition préalable à ce qu’elle
puisse exercer sa compétence sur la base d’une déclaration d’acceptation

faite en vertu de la clause facultative.
Selon la Cour, la seule question que le traité de 1928 entre le Nicaragua
et la Colombie a réglée de manière définitive (contrairement aux ques-
tions de la souveraineté sur les autres formations maritimes de la région
et de la délimitation maritime en général) et ce, en faveur de la Colombie,

est celle de la souveraineté sur les îles de San Andrés, Providencia et
Santa Catalina. La Cour parvient à la conclusion que le traité de 1928
a définitivement réglé cette question car il devait être considéré comme
«en vigueur» en 1948 — avec pour conséquence que, aux termes de l’ar-
ticle VI du pacte de Bogotá, les questions régies par ledit traité sortent du
domaine de compétence de la Cour. Le Nicaragua avait affirmé que le

traité de 1928 devait être considéré comme nul et non avenu ab initio aux
motifs que, premièrement, il était incompatible avec la constitution
du pays et, deuxièmement, il avait été conclu sous la contrainte d’une
puissance étrangère, à savoir les Etats-Unis d’Amérique. Toutefois,
selon la Cour, puisque le Nicaragua n’a pas contesté la validité du traité

de 1928 pendant plus de cinquante ans, à savoir jusqu’en 1980, et que,
dans certains cas, il a même réellement agi comme si le traité était
valide, «le Nicaragua ne peut pas à présent affirmer que le traité de 1928
n’était pas en vigueur en 1948» (arrêt, par. 80). Et la Cour poursuit
en indiquant:

65894 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (DECL . SIMMA )

“In light of all the foregoing, the Court finds that the 1928 Treaty

was valid and in force on the date of the conclusion of the Pact of
Bogotá in 1948, the date by reference to which the Court must
decide on the applicability of the provisions of Article VI of the Pact

of Bogotá setting out an exception to the Court’s jurisdiction under
Article XXXI thereof.” (Para. 81; emphasis added.)

I would submit that this conclusion is problematic. What I mean by

this is not that the Court should have said more (or rather, anything)
about the well-foundedness vel non of the two grounds of invalidity
invoked by Nicaragua as such instead of focusing exclusively on the loss

of the right to such invocation. To do so this would not have been pos-
sible at the present, jurisdictional, stage of the proceedings (even as it
stands, the present Judgment is a borderline case with regard to the way
in which it purports to limit its scope to questions of jurisdiction while at

the same time undertaking frequent, though extremely cursory, visits to
issues clearly belonging to the merits). Rather, what I am aiming at is the
character of the Court’s above conclusions as a non sequitur. To say that
Nicaragua, by its behaviour concerning the 1928 Treaty somehow for-

feited the right to invoke its invalidity, is one thing; to go on from there
to find that, for the same reasons, the Treaty was actually valid and in
force on the date of the conclusion of the Pact of Bogotá in 1948, is quite
another. In my view, the second conclusion does not follow from the

first. I do agree with the Court’s first finding to the effect that, since Nica-
ragua treated the 1928 Treaty as valid for such a long period of time, it
cannot suddenly change its position and claim the instrument’s invalidity

ab initio. I am of course aware that in taking this position one will
encounter several difficulties arising under the law of treaties — let me
just mention that Article 45 (b) of the Vienna Convention of 1969 1
excludes from its scope the case of coercion of a State by the threat or use

of force, or that the applicability of the Vienna Convention’s Article 46
presupposes that the violation of internal law in question be manifest and
concerned a constitutional rule of fundamental importance. Awareness
of these problems might be the reason for the Court somewhat coyly

avoiding the terminology used by the Vienna Convention (“invoking...
as a ground”) and instead saying that Nicaragua “cannot today to be
heard to assert” invalidity. Without straying too far into the terrain

1
Article 45 reads as follows:
“A state may no longer invoke a ground for invalidating, terminating, withdrawing
from or suspending the operation of a treaty under articles 46 to 50 or articles 60 and
62 if, after becoming aware of the facts:

(a) it shall have expressly agreed that the treaty is valid or remains in force or con-
tinues in operations, as the case may be; or
(b) it must by reason of its conduct be considered as having acquiesced in the valid-
ity of the treaty or in its maintenance in force or in operation, as the case may
be.”

66 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (DÉCL . SIMMA ) 894

«Compte tenu de tout ce qui précède, la Cour conclut que le traité

de 1928 était valide et en vigueur à la date de la conclusion du pacte
de Bogotá en 1948, date à retenir aux fins de déterminer si les dis-
positions de l’article VI de ce pacte, qui prévoient une exception à la

compétence dévolue à la Cour en vertu de son article XXXI, trou-
vent à s’appliquer.» (Par. 81; les italiques sont de moi.)

Je voudrais faire observer que cette conclusion pose un problème. Mon

propos n’est pas d’affirmer que la Cour aurait dû en dire plus (ou plutôt
ne pas être silencieuse) au sujet du bien-fondé ou de l’absence de bien-
fondé des deux motifs de nullité invoqués comme tels par le Nicaragua,

au lieu de s’intéresser exclusivement à la perte du droit à les invoquer. Il
n’aurait pas été possible d’agir ainsi au stade actuel de la procédure, à
savoir celui de la compétence (tel quel, le présent arrêt est déjà un cas
limite eu égard à la manière dont la Cour prétend restreindre sa portée à

des questions de compétence tout en s’engageant souvent, bien que de
manière extrêmement superficielle, sur un terrain relevant clairement du
fond). Ce qui me préoccupe est le caractère illogique des conclusions de la
Cour énoncées ci-dessus. Dire que le Nicaragua, par le comportement

qu’il a eu à l’égard du traité de 1928, a en quelque sorte perdu le droit
d’en invoquer la nullité est une chose; mais de là à conclure que, pour les
mêmes raisons, le traité était en réalité valide et en vigueur à la date de la
signature du pacte de Bogotá en 1948, ilyae n revanche très loin. Je

considère que la seconde conclusion ne découle pas de la première. Je suis
d’accord avec la première conclusion de la Cour suivant laquelle, puisque
le Nicaragua a considéré pendant si longtemps le traité de 1928 comme

valide, il ne saurait changer soudainement sa position et faire valoir la
nullité ab initio de l’instrument. Je suis bien évidemment conscient du fait
que, en adoptant cette thèse, on s’expose à plusieurs difficultés qui décou-
lent du droit des traités — je me contenterai de mentionner l’alinéa b) de
1
l’article 45 de la convention de Vienne de 1969 , qui exclut de son champ
d’application le cas où la contrainte a été exercée sur un Etat par la
menace ou par l’emploi de la force, et la condition d’applicabilité de
l’article 46 de la convention de Vienne selon laquelle il faut que la viola-

tion du droit interne en question soit manifeste et concerne une règle
constitutionnelle d’importance fondamentale. C’est peut-être parce qu’elle
mesure ces problèmes que la Cour évite, de manière un peu évasive, la

1
L’article 45 se lit comme suit:
«Un Etat ne peut plus invoquer une cause de nullité d’un traité ou un motif d’y
mettre fin, de s’en retirer ou d’en suspendre l’application en vertu des articles 46 à 50
ou des articles 60 et 62 si, après avoir eu connaissance des faits, cet Etat:

a) A explicitement accepté de considérer que, selon le cas, le traité est valide, reste
en vigueur ou continue d’être applicable; ou
b) Doit, à raison de sa conduite, être considéré comme ayant acquiescé, selon le cas,
à la validité du traité ou à son maintien en vigueur ou en application.»

66895 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (DECL .SIMMA )

reserved for the merits stage of the case, as concerns the chances of suc-

cess of the two arguments on invalidity (or lack thereof), I think that the
Court would not have had to be so cautious. The principle underlying
Article 45 (b) of the Vienna Convention is undoubtedly applicable under
the present circumstances: by its past behaviour, Nicaragua can no
longer rely on the invalidity of the 1928 Treaty — under the system of the

Pact of Bogotá, that is. Expressed in more precise terms: what Nicaragua
is prevented from claiming now is that the Treaty of 1928 was not a
treaty “in force” (within the meaning of Article VI of the Pact of Bogotá)
at the date of the conclusion of the Pact. Further, Nicaragua cannot any
longer contend that the matter “settled” by that Treaty, i.e., sovereignty

over the islands of San Andrés, Providencia and Santa Catalina, was not
to be seen as definitively resolved and could still come before the Court
on the basis of the Pact of Bogotá.

According to the majority of the Court, however, what follows from
Nicaragua’s behaviour vis-à-vis the Treaty is something more radical,

namely that the Treaty “was valid and in force” in 1948, purely and sim-
ply. Thus, apparently the circumstances that led to the grounds of inva-
lidity not any longer being invokable, also are held to have erased the
invalidity as such. This is a result which, as a matter of theory, I find
difficult to agree with. Within the framework of Colombia’s first prelimi-

nary objection it led the Court to uphold the objection, that is, to accept
that access by Nicaragua to the Court on the basis of the Pact of Bogotá
was barred with regard to the issue of sovereignty over the three islands
mentioned. The Court could readily have reached the same result by fol-
lowing the line of reasoning that I pursue here: viewed within the frame-

work of the Pact of Bogotá, Nicaragua forfeited the opportunity to bring
the matter before the Court.
With this I arrive at my second — but closely related — point: what if
the applicant State had at its disposal an alternative, additional, basis of
jurisdiction of the Court? This could possibly be the case here, in view of

the declarations made by both Parties under Article 36, paragraph 2, of
the Court’s Statute; leaving aside for the moment Colombia’s second
preliminary objection (relating to the reservation ratione temporis made
to its declaration and its later revocation of the declaration altogether).
Obviously, recourse to the Court on the jurisdictional basis of Article 36,

paragraph 2, declarations is conditioned upon the — continued — exist-
ence of a “legal dispute”. What I take issue with in the present Judgment,
however, is its finding that the Court’s upholding Colombia’s (first) pre-
liminary objection relating to jurisdiction on the basis of the Pact of
Bogotá (on which above) also disposed of Nicaragua’s reliance on juris-

diction based on the optional clause declarations of the two Parties. This
finding is made in the face, as it were, of the Court’s previous conclusion

67 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME DÉCL . SIMMA ) 895

terminologie employée par la convention de Vienne («qui l’invo-

que ... comme motif») et indique que le Nicaragua «ne peut pas à présent
affirmer» la nullité du traité. Sans m’engager trop loin sur le terrain
réservé au stade du fond de l’affaire, s’agissant des chances qu’avaient les
deux arguments sur la nullité d’aboutir (ou non), je pense que la Cour
n’avait sans doute pas à faire preuve d’autant de prudence. Le principe

sur lequel repose l’alinéa b) de l’article 45 de la convention de Vienne est
sans nul doute applicable dans le cas présent: à cause de son comporte-
ment passé, le Nicaragua ne peut plus s’appuyer sur la nullité du traité
de 1928 — dans le cadre du système juridictionnel établi par le pacte de
Bogotá. Plus précisément: ce que le Nicaragua est empêché de prétendre

à présent, c’est que le traité de 1928 n’était pas un traité «en vigueur» (au
sens de l’article VI du pacte de Bogotá) à la date de la conclusion du
pacte. En outre, le Nicaragua ne peut plus affirmer que la question
«réglée» par ce traité, c’est-à-dire la souveraineté sur les îles de San

Andrés, Providencia et Santa Catalina, ne devrait pas être considérée
comme définitivement réglée et pouvait encore être soumise à la Cour sur
la base du pacte de Bogotá.
Cependant, si l’on en croit l’opinion majoritaire de la Cour, il découle
du comportement du Nicaragua à l’égard du traité une conséquence plus

radicale, à savoir, purement et simplement, que le traité était «valide et
en vigueur» en 1948. Ainsi, il semble que les circonstances qui ont
conduit à écarter la possibilité d’invoquer le motif de nullité sont égale-
ment considérées comme ayant effacé la nullité elle-même. Voilà une
conclusion que je juge, en théorie, difficile à accepter. Elle a conduit la

Cour à retenir la première exception préliminaire de la Colombie, c’est-
à-dire à accepter d’interdire au Nicaragua l’accès à la Cour sur la base du
pacte de Bogotá en ce qui concerne la question de la souveraineté sur les
trois îles mentionnées. La Cour aurait pu simplement aboutir au même
résultat en suivant le raisonnement que j’expose ici: le cadre du pacte de

Bogotá permet de considérer que le Nicaragua a perdu la possibilité de
soumettre la question à la Cour.
Je parviens ainsi à ma seconde remarque — qui est toutefois en rapport
direct avec la première: qu’en serait-il si l’Etat demandeur était en mesure
de fonder la compétence de la Cour sur une base autre ou supplémen-

taire? Cela pourrait bien être le cas en l’espèce, eu égard aux déclarations
d’acceptation soumises par les deux Parties en vertu du paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut de la Cour, abstraction faite pour l’instant de la
seconde exception préliminaire de la Colombie (qui concerne la réserve
ratione temporis dont la déclaration colombienne était assortie, ainsi que

le retrait pur et simple de cette déclaration effectué ultérieurement par la
Colombie). Manifestement, le recours à la Cour sur le fondement des
déclarations d’acceptation en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 est
subordonné à l’existence—àa l persistance — d’un «différend d’ordre
juridique». Or, ce que je conteste dans le présent arrêt, c’est que la Cour,

en confirmant l’exception préliminaire (la première) de la Colombie
concernant la compétence sur le fondement du pacte de Bogotá (voir plus

67896 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (DECL .SIMMA )

that the provisions of the Pact of Bogotá and the declarations made un-

der the optional clause “represent two distinct bases of the Court’s juris-
diction which are not mutually exclusive” (Judgment, para. 136). In para-
graph 138 of the Judgment the Court states as follows:

“The question has arisen as to whether the claim by Nicaragua of
sovereignty over the islands of San Andrés, Providencia and Santa
Catalina in the present case means that there thus is a continuing
dispute as to this matter. The Court has upheld the first preliminary

objection to jurisdiction, based on the Pact of Bogotá, raised by
Colombia in so far as it concerns the Court’s jurisdiction regarding
the question of sovereignty over these three islands, after satisfying
itself that the matter of sovereignty over these islands had been set-
tled by the 1928 Treaty. The Court could not have concluded that it

lacked jurisdiction over that matter under the Pact of Bogotá had
there still been an extant dispute with regard thereto.”

After referring to its earlier jurisprudence on the preconditions of the
existence of a dispute, the Court continues:

“The Court’s acknowledgment of the fact that sovereignty over
the three islands was attributed to Colombia under the 1928 Treaty
was made for the purposes of ascertaining whether or not the Court
had jurisdiction over the matter under the Pact of Bogotá. However,
the very fact that the dispute on the question of the sovereignty over

the three islands has been settled by the 1928 Treaty is equally rele-
vant for the purposes of determining whether the Court has jurisdic-
tion on the basis of the optional clause declarations. In this regard,
the Court notes that Article 36, paragraph 2, of the Statute expressly
requires that, in order for the Court to have jurisdiction on the basis

of optional clause declarations, there must exist a ‘legal dispute’
between the Parties.
Given the Court’s finding that there is no extant legal dispute
between the Parties on the question of sovereignty over the islands
of San Andrés, Providencia and Santa Catalina, the Court cannot

have jurisdiction over this question either under the Pact of Bogotá
or on the basis of the optional clause declarations.”

The Court then concludes that, in light of the foregoing, no practical
purpose would be served by proceeding further with the matters of the
Colombian termination of its declaration and its reservation ratione tem-
poris (Judgment, para. 139).
What this reasoning amounts to is that, with the question of sov-

ereignty over the three islands “settled” by the 1928 Treaty according to
the mechanisms of the Pact of Bogotá (forfeiture preventing the Nicara-

68 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME (DÉCL . SIMMA ) 896

haut), a également statué sur l’argument du Nicaragua concernant la

compétence fondée sur les déclarations faites par les Parties en vertu de la
clause facultative. La Cour s’est prononcée ainsi au mépris, pour ainsi
dire, de sa conclusion précédente selon laquelle les dispositions du pacte
de Bogotá et les déclarations faites en vertu de la clause facultative
«constituent deux bases distinctes de compétence de la Cour qui ne

s’excluent pas mutuellement» (arrêt, par. 136). Au paragraphe 138 de
l’arrêt, la Cour indique ce qui suit:

«La question s’est posée de savoir si la revendication de souverai-
neté sur les îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, for-
mulée par le Nicaragua dans la présente espèce, implique qu’il sub-
siste un différend sur ce point. La Cour a retenu la première exception

préliminaire d’incompétence soulevée par la Colombie au titre du
pacte de Bogotá en ce qu’elle a trait à sa compétence pour connaître
de la question de la souveraineté sur ces trois îles, après s’être assu-
rée que cette question avait été réglée par le traité de 1928. La Cour
n’aurait pas pu conclure qu’elle était incompétente pour trancher

cette question en vertu du pacte de Bogotá si un différend avait sub-
sisté à ce sujet.»

Après s’être référée à sa jurisprudence concernant les conditions préa-
lables de l’existence d’un différend, la Cour poursuit:

«La Cour a établi que le traité de 1928 attribuait la souveraineté
sur ces trois îles à la Colombie aux fins de déterminer si elle avait
compétence pour connaître de cette question en vertu du pacte de
Bogotá. Le fait même que le différend relatif à la question de la sou-
veraineté sur les trois îles a été réglé par le traité de 1928 est cepen-

dant tout aussi pertinent aux fins d’établir si la Cour a compétence
sur la base des déclarations faites en vertu de la clause facultative. A
cet égard, la Cour fait observer que sa compétence sur cette base est
expressément subordonnée, aux termes du paragraphe 2 de l’ar-
ticle 36 du Statut, à l’existence d’un «différend d’ordre juridique»

entre les Parties.

La Cour ayant conclu qu’il ne subsistait pas de différend juridique
entre les Parties sur la question de la souveraineté sur les îles de San
Andrés, Providencia et Santa Catalina, elle ne peut être compétente

pour connaître de cette question, ni sur la base du pacte de Bogotá,
ni sur celle des déclarations faites en vertu de la clause facultative.»

La Cour conclut alors que, à la lumière de ce qui précède, il ne servirait
à rien, en pratique, de poursuivre l’examen des questions concernant le
retrait par la Colombie de sa déclaration et la réserve ratione temporis
dont elle est assortie (arrêt, par. 139).
Ce raisonnement revient à dire que, le traité de 1928 ayant «réglé»

la question de la souveraineté sur les trois îles conformément aux méca-
nismes du pacte de Bogotá (le Nicaragua ayant perdu le droit de faire

68897 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (DECL . SIMMA )

guan claim of invalidity of the 1928 Treaty; the Treaty therefore held to
be “valid and in force” and the Court’s jurisdiction thus excluded), there
is no “legal dispute” in regard to the islands left to decide on the basis of
the optional clause declarations either. In my view and as a matter of

principle, this is erroneous.

If the two bases of jurisdiction — first, the Pact of Bogotá and, second,
the declarations of the two Parties on the basis of the optional clause —
are to be seen as distinct and not mutually exclusive (in this sense, cor-

rectly, paragraph 136 of the Judgment), the first cannot simply eclipse the
second. Any objective determination of the matter must lead us to con-
clude that there still persists a dispute including the appurtenance of the
three islands in the sense of the Court’s case law, that is, “a disagreement
on a point of law or fact, a conflict of legal views or interests between two

persons” (Mavrommatis Palestine Concessions (Greece/United King-
dom), Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2 , p. 11), the claim
of one party being positively opposed by the other, etc. Thus, the Court,
after having reached a negative result with regard to the first base of

jurisdiction claimed by Nicaragua, ought to have continued the examina-
tion of its jurisdiction by turning to the optional clause declarations of
the Parties, with a view to seeing whether these declarations could pro-
vide a jurisdictional basis for the decision of matters excluded from the
Court’s purview on the basis of the Pact of Bogotá. If, subsequently, the

Court had followed the arguments put forward by Colombia and granted
the reservation ratione temporis to its Article 36, paragraph 2, declara-
tion the desired effect, or had accepted Colombia’s termination of its sub-
jection to the Court’s jurisdiction as admissible, the question of jurisdic-
tion with regard to the controversy over the three islands would have

been finally settled in the negative. In the alternative, this controversy
would have been included in the list of issues that the Court allows to
proceed to the merits stage. Thus, at that stage, Nicaragua would have
had the opportunity to argue fully the two grounds of invalidity put for-

ward with regard to the 1928 Treaty and present the reasons, if any, why
it had not relied on these grounds before.

In this connection let me clarify that I have undertaken this short
enquiry into the relationship between the two bases of jurisdiction claimed

by Nicaragua simply because I could not be convinced of the correctness
of the Court’s application of the law in this regard, and in no way out of
any belief that the Nicaraguan arguments concerning the invalidity of the
1928 Treaty, as to their substance, came off too badly in the present

Judgment.

(Signed) Bruno S IMMA .

69 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME DÉCL . SIMMA ) 897

valoir la nullité du traité de 1928, le traité est par conséquent considéré
comme «valide et en vigueur» et la compétence de la Cour est donc ex-
clue), il ne subsiste pas non plus de «différend d’ordre juridique», en ce

qui concerne les îles, à trancher sur le fondement des déclarations faites
par les Parties en vertu de la clause facultative. Selon ma manière de
voir et sur le plan des principes, ce raisonnement est erroné.
Si les deux bases de compétence — premièrement, le pacte de Bogotá
et, deuxièmement, les déclarations faites par les deux Parties en vertu de

la clause facultative — doivent être considérées comme distinctes et ne
s’excluant pas mutuellement (comme l’indique à juste titre le para-
graphe 136 de l’arrêt), alors la première ne peut tout simplement pas
éclipser la seconde. Toute détermination objective de la question doit nous

amener à conclure qu’il subsiste bien un différend, relatif notamment à
l’appartenance des trois îles, au sens de la jurisprudence de la Cour, c’est-
à-dire «un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction,
une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux personnes»
o
(Concessions Mavrommatis on Palestine (Grèce/Royaume-Uni), arrêt n 2,
1924, C.P.J.I. série A n 2, p. 11), la réclamation de l’une des parties se
heurtant à l’opposition manifeste de l’autre, etc. Ainsi, après être parvenue
à un résultat négatif en ce qui concerne la première base de juridiction invo-
quée par le Nicaragua, la Cour aurait dû poursuivre l’examen de sa com-

pétence en considérant les déclarations faites par les Parties en vertu de la
clause facultative afin de juger si celles-ci pouvaient lui permettre de statuer
sur des questions dont elle ne pouvait connaître sur la base du pacte de
Bogotá. Si, par la suite, la Cour avait suivi les arguments avancés par la

Colombie et accordé l’effet souhaité par celle-ci à la réservreatione tempo-
ris de la déclaration faite en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 de son
Statut ou si elle avait jugé recevable le retrait par la Colombie de sa déclara-
tion, la question de la compétence en ce qui concerne le litige portant sur les
trois îles aurait finalement reçu une réponse négative. Sinon, ce litige aurait

été du nombre de ceux que la Cour admet d’examiner au stade du fond.
Ainsi, à ce stade-là, le Nicaragua aurait eu la possibilité de faire valoir plei-
nement les deux motifs de nullité avancés en ce qui concerne le traité de
1928 et présenter les raisons, s’il en est, pour lesquelles il n’avait pas invo-

qué ces motifs auparavant.
A ce propos, je tiens à préciser que j’ai entrepris cette brève étude sur le
lien entre les deux bases de compétence invoquées par le Nicaragua sim-
plement parce que je ne parvenais pas à être convaincu de la justesse de

l’application, par la Cour, du droit à cet égard; je n’estimais aucunement
que les arguments du Nicaragua concernant la nullité du traité de 1928
étaient traités trop sommairement, quant à leur substance, dans le pré-
sent arrêt.

(Signé) Bruno S IMMA .

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Déclaration de M. le juge Simma

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