Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Torres Bernárdez

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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC TORRES
BERNÁRDEZ

Introduction — I. Le différend territorial: A. Le droit applicable à la déter-
mination de la souveraineté sur les îles en litige: l’ uti possidetis juris, les effec-
tivités postcoloniales et l’acquiescement; B. La décision de l’arrêt et les effec-
tivités postcoloniales; C. L’ uti possidetis juris du Honduras dans les îles en
litige; D. L’«adjacence» invoquée par le Nicaragua; E. L’acquiescement du
Nicaragua; F. Conclusion — II. La délimitation de zones maritimes par une

frontière maritime unique: A. Le rejet de la «frontière maritime traditionnelle»
revendiquée par le Honduras; B. La non-application par l’arrêt de la succession
aux eaux territoriales de la période coloniale en vertu de l’ uti possidetis juris;
C. La délimitation ex novo des zones maritimes effectuée par l’arrêt: 1. Les
revendications maritimes des Parties et la question de la définition de la «zone
en litige»; 2. Le droit applicable à la délimitation maritime; 3. Zones à déli-
miter et méthodologie adoptée par l’arrêt: l’abandon de l’équidistance et de la
délimitation par étapes en faveur de la méthode de la bissectrice; 4. La bissec-
trice de l’arrêt et sa construction (façades maritimes); 5. Application de l’équi-
distance à la délimitation autour des îles; 6. La démarcation de la commission
mixte de 1962 et le point de départ de la frontière maritime unique; 7. Le point
terminal de la frontière maritime unique, les traités bilatéraux et les Etats tiers;

8. Conclusion.

INTRODUCTION

1. J’ai voté en faveur de la décision de l’arrêt aux termes de laquelle la
République du Honduras a la souveraineté sur Bobel Cay, Savanna Cay,

Port Royal Cay et South Cay (dispositif, al. 1)) parce que j’estime—àla
lumière des plaidoiries, ainsi que des éléments de preuve et des informa-
tions présentés par les Parties — que ces îles, situées toutes au nord du
15 parallèle, appartiennent au Honduras pour trois motifs, à savoir:
a) la possession par le Honduras d’un titre juridique sur les îles en vertu

de l’uti possidetis juris de 1821 applicable entre les Parties; b) les effecti-
vités postcoloniales exercées par le Honduras à titre de souverain sur les
îles ainsi que dans la mer territoriale les entourant et l’absence d’effecti-
vités du Nicaragua; et c) l’acquiescement du Nicaragua à la souveraineté
hondurienne sur les îles jusqu’à la revendication tardive contenue dans

le mémoire que le demandeur a déposé dans la présente instance le
21 mars 2001.
2. La souveraineté du Honduras sur les îles bénéficie donc, d’après
nous, d’une triple assise juridique. Or, selon les motifs de l’arrêt, le Hon-
duras n’a la souveraineté sur les îles que sur la base des effectivités post-

coloniales. Comme il est exposé dans le raisonnement, d’après la majo-
rité, il n’existerait pas suffisamment d’éléments de preuve pour permettre

127783 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

de déterminer laquelle des deux Parties aurait hérité du titre espagnol sur
les îles en vertu du principe de l’uti possidetis juris, ni la preuve d’un
acquiescement quelconque du Nicaragua à la souveraineté du Honduras

sur les îles. Je suis en désaccord avec ces conclusions négatives de la
majorité à cet égard, tout en convenant que le Honduras a aussi la sou-
veraineté sur les îles sur la base des effectivités postcoloniales.
3. Il en découle que les considérations ci-dessous concernant le «diffé-
rend territorial» constituent un exposé ayant un caractère individuel et

non pas dissident. La raison pour laquelle la présente opinion est une
«opinion dissidente» est ailleurs, à savoir dans la «délimitation mari-
time» car, en effet, dans ce dernier domaine, à une exception près, je suis
tout à fait en désaccord avec les décisions, et les motifs à l’appui, de la

majorité, ce qui explique mes votes contre les alinéas 2) et 3) du dispositif
de l’arrêt.
4. L’exception, dont je reconnais l’importance, concerne la délimita-
tion de la mer territoriale effectuée par l’arrêt autour des îles, car cette

délimitation est pleinement conforme aux prescriptions en la matière de
la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 applicable
entre les Parties. S’il y avait eu un vote séparé sur ce segment du tracé de
la frontière maritime unique, j’aurais voté en sa faveur. Ainsi, mon vote
contre l’alinéa 3) dans son ensemble doit être compris comme comportant

une réserve car j’approuve entièrement le parcours de la ligne de délimita-
tion autour des îles.
5. Finalement, j’ai voté en faveur de l’alinéa 4) du dispositif car
j’estime que, dans les circonstances de l’affaire, la meilleure solution est

que les Parties conviennent du tracé de la ligne de délimitation dans la
mer territoriale entre le point terminal de la frontière terrestre établi par
la sentence arbitrale de 1906 et le point de départ de la frontière maritime
unique fixé par le présent arrêt.

I. LE DIFFÉREND TERRITORIAL

A. Le droit applicable à la détermination de la souveraineté

sur les îles en litige: l’ uti possidetis juris,
les effectivités postcoloniales et l’acquiescement

6. Face à des tentatives réitérées du demandeur de régler le différend
insulaire moyennant l’application du droit de la mer, l’arrêt réaffirme,

comme il se doit, que la questien de la souveraineté sur les quatre îles en
litige, situées au nord du 15 parallèle, doit être résolue en conformité
avec le droit international relatif à l’acquisition de territoires terrestres.
Or, dans ce domaine, aucun doute n’est aujourd’hui permis sur le rôle du
principe de l’uti possidetis juris, car à l’origine de ce différend insulaire,

on trouve un événement de décolonisation qui a eu lieu en 1821 en Amé-
rique centrale lorsque la République du Nicaragua et la République du
Honduras ont proclamé leur indépendance de l’Espagne. L’adjacence

128784 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

géographique tout court, les effectivités postcoloniales et l’acquiescement

ont été aussi invoqués par l’une ou l’autre Partie comme fondement d’un
titre juridique sur les îles en litige.

B. La décision de l’arrêt et les effectivités postcoloniales

7. D’après l’arrêt, les effectivités postcoloniales produites par le Hon-
duras démontrent l’intention et la volonté du défendeur d’agir en qualité
de souverain et constituent, en l’espèce, une manifestation effective suffi-
sante d’autorité étatique sur les quatre îles. En revanche, la Cour n’a
trouvé aucune preuve de l’intention ou de la volonté du Nicaragua d’agir

à titre de souverain pour ce qui est des îles en litige, ni aucune preuve
d’un exercice effectif ou d’une manifestation de son autorité sur l’une
quelconque des quatre îles en cause.
8. Cette conclusion de l’arrêt s’appuie sur les principes généralement

admis dégagés par la jurisprudence de la Cour permanente dans l’affaire
du Statut juridique du Groënland oriental , ainsi que sur la jurisprudence
récente de la Cour actuelle relative aux petites îles habitées de façon non
permanente, inhabitées ou ayant une importance économique modeste
(Qit’at Jaradah; Pulau Ligitan et Pulau Sipadan).

9. Je partage entièrement cette conclusion de l’arrêt, car les éléments
de preuve d’effectivités postcoloniales concernant les îles présentés à la
Cour font pencher résolument la balance du côté du Honduras. Leur
nombre et leur valeur probante sont certes variables, mais l’ensemble est
largement suffisant pour prouver l’intention et la volonté du Honduras

d’agir à titre de souverain, ainsi que l’exercice et la manifestation effectifs
par celui-ci de son autorité sur les îles en litige et dans les eaux adjacentes.
Face à ces effectivités postcoloniales du défendeur, le demandeur n’a pas
été en mesure de prouver l’existence d’une seule effectivité postcoloniale
nicaraguayenne à l’égard des îles en litige.

10. Par ailleurs, dans les circonstances de l’espèce , l’acquisition par le
Honduras d’un titre sur les îles par le biais d’un mode d’acquisition basé
sur les effectivités postcoloniales — c’est-à-dire autonome par rapport à
la situation qui découle de l’uti possidetis juris de 1821 — ne saurait guère
susciter de conflit entre le tenant du titre basé sur les effectivités post-

coloniales et le tenant d’un titre né de l’uti possidetis juris, le Nicaragua
étant, dans les îles, aussi dépourvu d’effectivités postcoloniales qu’il l’est
d’un uti possidetis juris.

C. L’uti possidetis juris du Honduras dans les îles en litige

11. Dès leur indépendance, les Parties acceptèrent librement le prin-
cipe de l’uti possidetis juris qui avait été énoncé quelques années aupara-
vant à la suite d’une initiative politique de Bolivar. Il devait servir de
critère objectif pour faciliter le règlement pacifique des questions terri-

toriales qui se posaient alors, ou pourraient à l’avenir se poser, aux
nouvelles républiques. La République du Honduras et la République du

129785 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

Nicaragua se proclamèrent, l’une et l’autre, Etats successeurs de la Cou-
ronne espagnole pour ce qui était de l’ancienne unité administrative colo-

niale espagnole en Amérique centrale sur le territoire de laquelle elles
s’étaient respectivement établies — à savoir l’ancienne province du Hon-
duras pour la République du Honduras et l’ancienne province du Nica-
ragua pour la République du Nicaragua — initialement en tant qu’Etats

constitutifs de la République fédérale d’Amérique centrale. La disso-
lution de la fédération en 1838-1840 n’entraîna de modifications territo-
riales pour aucune des Parties à la présente instance.
12. La province du Honduras et la province du Nicaragua faisaient
toutes les deux partie, avant 1821, d’une même unité administrative colo-

niale plus vaste, la capitainerie générale de Guatemala, laquelle, à son
tour, faisait partie de la vice-royauté de la Nouvelle-Espagne (Mexique).
Comme il est dit dans la sentence arbitrale rendue le 23 décembre 1906
par Alphonse XIII, roi d’Espagne, dans l’affaire du différend frontalier

entre le Honduras et le Nicaragua:
«les provinces espagnoles du Honduras et du Nicaragua ont été for-

mées par une évolution historique, jusqu’à leur constitution en deux
Intendances distinctes de la capitainerie générale du Guatemala, en
vertu des dispositions de l’Ordonnance royale des Intendants de Pro-
vince de la Nouvelle-Espagne de 1786, appliquée au Guatemala, et

sous le régime de laquelle se trouvaient ces dites provinces-intendan-
ces jusqu’à leur affranchissement de l’Espagne en 1821» (Recueil
international des traités du XX e siècle, Descamps et Renault, 1906,
p. 1030).

13. Lors de leur accession à l’indépendance, la République du Hondu-
ras et la République du Nicaragua ont incorporé le principe de l’uti pos-

sidetis juris dans leurs constitutions respectives et dans leurs traités.
Ainsi, l’article II, paragraphe 3, du traité Gámez-Bonilla du 7 octo-
bre 1894 — base de la délimitation effectuée en 1900-1904 par la commis-
sion mixte créée par l’article I du traité et, plus tard, de celle établie par la

sentence arbitrale du roi d’Espagne du 23 décembre 1906 — énonce de
manière lapidaire l’essence même du principe de l’uti possidetis juris dans
les termes suivants:

«Il sera entendu que chaque république est maîtresse des terri-
toires qui, à la date de l’indépendance, constituaient respectivement
les provinces du Honduras et du Nicaragua.» (Sentence arbitrale

rendue par le roi d’Espagne le 23 décembre 1906 (Honduras c.
Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 1960 , p. 199.)

*
14. Durant le XIX siècle et la première moitié du XX ,’l uti posside-

tis juris fut traité par la doctrine européenne comme une doctrine ou
un principe régional propre aux rapports entre les seules républiques
hispano-américaines, en même temps que se manifestaient de ce côté-

130786 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

ci de l’Atlantique de fortes résistances à une application généralisée du prin-

cipe en tant que norme positive de droit international général. Certaines
critiques doctrinales exprimées à l’époque de la sentence du 30 juin 1865
par Isabelle II, reine d’Espagne, en l’affaire de l’île d’Aves entre les Pays-
Bas et le Venezuela traduisent bien ce sentiment (voir P. Lapradelle et
Politis, Recueil des arbitrages internationaux, vol. 2, p. 404-421).

15. Par ailleurs, un certain nombre de sentences arbitrales écartèrent
des arguments s’appuyant, en dernière analyse, sur le principe de l’uti
possidetis juris, au profit de prétendues effectivités aussi fictives que
modestes, comme celle consistant à déclarer la souveraineté sur une île à
bord d’un navire de commerce croisant à environ un demi-mille de l’île en

question et sans laisser sur l’île aucun signe de souveraineté (voir la sen-
tence arbitrale du 28 janvier 1931 au sujet du différend entre la France et
le Mexique relatif à la souveraineté sur l’île de Clipperton, Revue générale
de droit international public , 1932, vol. 39, p. 129-132). Même à une date

beaucoup plus récente, dans l’affaire du Canal de Beagle entre l’Argen-
tine et le Chili (1977), un tribunal arbitral composé de membres de la
Cour internationale de Justice qualifiait encore l’uti possidetis juris de
«doctrine» et non de «principe» (Nations Unies, Recueil des sentences
arbitrales, vol. XXI, p. 81, par. 9).

16. Mais c’est à partir de l’acceptation généralisée par les Etats afri-
cains de l’intangibilité des frontières héritées de la décolonisation que le
principe de l’uti possidetis juris s’est universalisé à tel point qu’en 1986
une Chambre de la Cour internationale de Justice a pu déclarer que

«l’ uti possidetis [était] ... un principe d’ordre général nécessairement
lié à la décolonisation où qu’elle se produise» (Différend frontalier

(Burkina Faso/République du Mali) , arrêt, C.I.J. Recueil 1986 ,
p. 566, par. 23).

En 1992, une autre chambre de la Cour a été appelée à appliquer le prin-
cipe de l’uti possidetis juris au Différend frontalier terrestre, insulaire et
maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)) , clarifiant
par là même différentes questions d’intérêt relatives, notamment, à la
portée territoriale, insulaire et maritime du principe et aux conséquences

inhérentes à son application par des cours et des tribunaux internatio-
naux (arrêt, C.I.J. Recueil 1992 , p. 351). En 1994, dans l’affaire du Dif-
férend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad) , les deux Parties
étaient d’accord pour estimer qu’en vertu du principe de l’uti possidetis
juris le Tchad et la Libye ont hérité de frontières résultant des colonisa-

tions française et italienne.
17. Plus récemment, en 2005, le principe a été appliqué par une autre
chambre de la Cour en l’affaire du Différend frontalier (Bénin/Niger)
(arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 90). Par ailleurs, dans l’affaire de la Déli-
mitation maritime et des questions territoriales entre Qatar et Bahreïn

(Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt (C.I.J. Recueil 2001, p. 40), Bahreïn a
aussi invoqué l’uti possidetis juris en rapport avec l’aspect insulaire du

131787 DIFFÉREND OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

différend, mais la Cour n’a pas eu à l’appliquer, l’affaire n’étant pas liée
à une succession d’Etats. En outre, au cours de ces dernières décennies,
l’utilité pratique du principe a donné lieu à des prises de position doctri-
nales favorables à une extension de son application à des cas de succes-

sion d’Etats autres que la décolonisation (par exemple, à des situations
résultant de la dissolution d’un Etat fédéral).
18. Toutefois, cette sorte de question ne se pose pas dans la présente
affaire, laquelle est liée à un événement précis de décolonisation: la suc-
cession d’Etats qui eut lieu le 15 septembre 1821 lorsque les anciennes

provinces espagnoles du Honduras et du Nicaragua devinrent des Etats
indépendants et souverains.

*

19. L’arrêt confirme que l’uti possidetis juris n’est plus l’une de ces
normes régionales dont l’existence et le contenu doivent être prouvés par
la partie qui l’invoque. Si la Cour reconnaît ainsi (juris novit curiae) l’uti

possidetis juris en tant que principe de droit international général, le pré-
sent arrêt confirme aussi les difficultés que l’application de ce principe
peut rencontrer dans une espèce donnée lorsque le droit interne auquel
renvoie le génitif latin juris est un jus historique comme celui appliqué

par la Couronne espagnole en Amérique pendant plus de trois siècles.

20. L’arrêt confirme aussi que le principe de l’uti possidetis juris ren-
voie à une notion de possession comprise comme la possession d’un droit
ou titre juridique établi dans l’ordre juridique de l’Etat prédécesseur,

indépendamment du fait de l’occupation ou non du territoire en ques-
tion. En outre, d’après l’arrêt, le principe de l’uti possidetis juris est
pertinent aussi bien pour rechercher le titre sur un territoire que pour
déterminer l’emplacement de frontières, ce qui est conforme à la pra-
tique. En d’autres termes, il concerne tant les différends relatifs à une

délimitation proprement dite que ceux relatifs à la détermination du
titulaire du titre sur un espace territorial, insulaire ou maritime donné
(différends d’attribution).
21. Le principe de l’uti possidetis juris est donc parfaitement appli-

cable à la détermination de la souveraineté sur les îles en litige dans la
présente affaire, ce que l’arrêt énonce dans les termes suivants:

«Si les îles ne sont pas terra nullius, ainsi que le reconnaissent les
deux Parties et qu’il est communément admis, l’on ne peut que pré-
sumer qu’elles relevaient de la Couronne espagnole. Toutefois, cela
ne signifie pas nécessairement que le successeur en ce qui concerne

les îles en litige ne pourrait être que le Honduras du fait que celui-ci
est le seul Etat à avoir formellement revendiqué un tel statut.»
(Arrêt, par. 158.)

*

132788 DIFFÉREND OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

22. C’est à partir d’ici — c’est-à-dire de la question de savoir si l’Es-

pagne aurait attribué les îles en litige à la province du Honduras ou à
celle du Nicaragua — que les vues de la majorité et les miennes prennent
des chemins différents. Ce qui nous sépare se situe donc dans le champ
de l’administration de la preuve d’une telle attribution et, en particulier,
de la méthode permettant de mieux l’apprécier à la lumière de la nature

du titre originaire de la Couronne espagnole dans ses territoires améri-
cains et des caractéristiques et finalités de sa législation américaine.
23. A ce propos, il convient d’avoir présent à l’esprit ce que disait une
chambre de la Cour en 1992:

«[I]l faut se rappeler qu’aucune question de frontières internatio-
nales n’a jamais pu venir à l’esprit des serviteurs de la Couronne

espagnole qui ont établi les limites administratives; l’uti possidetis
juris est par essence un principe rétroactif, qui transforme en fron-
tières internationales des limites administratives conçues à l’origine à
de tout autres fins.» (Différend frontalier terrestre, insulaire et mari-
time (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)), arrêt,

C.I.J. Recueil 1992, p. 388, par. 43.)
24. S’agissant de prouver rétroactivement l’uti possidetis juris, il n’est

pas toujours possible de disposer de documents à caractère législatif ou
analogue indiquant de manière précise l’appartenance ou l’étendue des
territoires en cause ou l’emplacement des limites des provinces. Il faut
alors, dans un effort de reconstitution, reprendre l’ensemble des éléments
de preuve et d’information disponibles au travers de critères d’interpréta-

tion historiques et logiques. Ajoutons que les éléments de preuve concer-
nant l’aspect territorial de l’uti possidetis juris sont souvent très utiles aux
fins d’en préciser l’aspect délimitatif et vice versa.
25. Cependant, dans la présente espèce, la recherche et la preuve du
titre sur les îles en litige en vertu de l’uti possidetis juris se trouvent gran-

dement facilitées du fait, notamment, que, dans les motifs de la sentence
arbitrale du 23 décembre 1906 rendue par le roi d’Espagne Alphonse XIII
sur la base du principe de l’uti possidetis juris tel qu’énoncé dans le traité
Gámez-Bonilla de 1894, l’arbitre définit le territoire de la province du
Nicaragua et celui de la province du Honduras à la veille de leur indé-

pendance comme suit:
Province du Nicaragua

«[L]ors de l’organisation du gouvernement et de l’intendance du
Nicaragua en conformité de l’ordonnance royale des intendants

de 1786, ce gouvernement a été composé des cinq partidos de León,
Matagalpa, El Realejo, Suptiaga et Nicoya, et que l’on n’a pas com-
pris dans cette division, pas plus qu’ils n’étaient compris dans la pro-
position faite en 1788 par le gouverneur intendant Don Juan de
Ayssa, les territoires maintenant réclamés par la République du

Nicaragua au nord et à l’ouest du cap de Gracias a Dios, ni constaté
que la juridiction de l’Evêché du Nicaragua arrivât jusqu’à ce cap;

133789 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

qu’il y a lieu de remarquer que le dernier gouverneur intendant du
Nicaragua, D. Miguel González Saravia, en décrivant la province
qu’il administra, dans son livre Bosquejo político estadístico de Nica-
ragua, publié en 1824, disait que la ligne séparative de cette province

au nord va du golfe de Fonseca, sur le Pacifique, au Río Perlas, sur
la mer du Nord (Atlantique).
[L]a Commission d’examen n’a pas constaté que l’action expan-
sive du Nicaragua se fût étendue au nord du cap de Gracias a Dios,
ni eût atteint par conséquent le cap Camarón; que sur aucune carte,

description géographique et documents étudiés par ladite commis-
sion, il n’est mentionné que le Nicaragua ait atteint ledit cap
Camarón, et que, par conséquent, il n’y a pas lieu de choisir ledit cap
comme limite de la frontière avec le Honduras sur la côte de l’Atlan-
tique, ainsi que le prétend le Nicaragua.» (Recueil international des
e
traités du XX siècle, Descamps et Renault, 1906, p. 1033-1034.)

Province du Honduras

«[L]a démarcation établie pour la province ou intendance de
Comayagua ou du Honduras par la cédule royale susvisée du
24 juillet 1791 est demeurée la même jusqu’à la proclamation de

l’indépendance des provinces du Honduras et du Nicaragua; qu’en
outre, lorsque par décret royal du 24 janvier 1818 le roi approuva le
rétablissement de l’Alcaldía Mayor de Tegucigalpá, avec une cer-
taine autonomie au point de vue économique, cette Alcaldía Mayor
continua à former un partido de la province de Comayagua ou Hon-

duras, dépendant du chef politique de la province; que ce partido
prit part à l’élection, le 5 novembre 1820, d’un député suppléant
pour la province de Comayagua, et qu’il prit part également avec les
autres partidos de Gracias, Choluteca, Olancho, Yoro réuni à Olan-
chito et Trujillo, Tencoa et Comayagua à l’élection de la députation

provinciale du Honduras, élection qui eut lieu le 6 novembre de la
même année 1820.» (Ibid., p. 1032-1033.)

«[Q]u’à une certaine époque on aurait cru que la juridiction du
Honduras s’étendait au sud du cap de Gracias a Dios, la commission
d’examen a découvert que cette extension de souveraineté n’a jamais
été bien déterminée, et qu’en tout cas elle a été éphémère au-dessous

du village et du port du cap de Gracias a Dios, et qu’au contraire
l’action du Nicaragua a été en s’étendant et en s’exerçant d’une
manière positive et permanente jusqu’au dit cap de Gracias a Dios,
et que, par conséquent, il ne convient pas que la limite commune sur
le littoral de l’Atlantique soit Sandy Bay, comme le prétend le Hon-

duras.» (Ibid., p. 1034.)

134790 DIFFÉREND OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

26. La validité et le caractère obligatoire pour les Parties de la sentence
arbitrale du 23 décembre 1906 du roi d’Espagne ont été confirmés par
l’arrêt de la Cour internationale de Justice du 18 novembre 1960. Dans la
présente instance, le Honduras invoque ces deux décisions comme élé-

ments de preuve à l’appui de sa thèse selon laquelle il est en possession
d’un titre de souveraineté sur les îles en litige en vertu de l’uti possidetis
juris, ce qui est aisément compréhensible si l’on se rappelle que, dans les
motifs de son arrêt de 1960, la Cour dit:

«Le Nicaragua soutient que l’arbitre a fixé une frontière qu’il
considérait comme naturelle sans tenir compte des lois et brevets
royaux de l’Etat espagnol qui établissaient les divisions administra-
tives espagnoles avant la date de l’indépendance. De l’avis de
la Cour, ce grief n’est pas fondé, la décision de l’arbitre reposant

sur des considérations historiques et juridiques (derecho histórico)
en conformité avec les paragraphes 3 et 4 de l’article II [du
traité Gámez-Bonilla].» (Sentence arbitrale rendue par le roi d’Es-
pagne le 23 décembre 1906 (Honduras c. Nicaragua), arrêt, C.I.J.

Recueil 1960, p. 215; les italiques sont de moi.)

27. En outre, les éléments de preuve et d’information sur lesquels
s’appuient ces deux décisions, à la fois nombreux et d’une qualité et d’une

autorité indéniables, sont à mon avis essentiels de par leur contenu aux
fins d’une détermination judiciaire de la situation de l’uti possidetis juris
dans les îles en litige entre les Parties. Je ne peux donc que les prendre
dûment en considération dans cette opinion. Ce choix, d’ailleurs, s’impose,
car, comme le signale la jurisprudence de l’affaire du Différend frontalier

terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (inter-
venant)),

«dans le cas des précédents arbitrages latino-américains relatifs à des

frontières, c’est maintenant la sentence arbitrale qui est détermi-
nante, bien qu’elle soit fondée sur une certaine appréciation de la
situation découlant de l’uti possidetis juris. L’appréciation que fait la
sentence de la situation résultant de l’uti possidetis juris prévaut, et
elle ne peut maintenant être remise en question du point de vue juri-

dique, même si elle peut l’être du point de vue historique.» (Arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 401, par. 67.)

28. Le Honduras invoque aussi les brevets royaux du 23 août 1745 et

du 30 novembre 1803 ainsi que la documentation relative à l’arbitrage
de 1906 publiée dans C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le
roi d’Espagne le 23 décembre 1906 , notamment les éléments d’informa-
tion contenus dans le «rapport de la commission d’examen de la question
des limites entre les Républiques du Honduras et du Nicaragua, soumis à

S. M. Alphonse XIII, arbitre, le 22 juillet 1906», rapport qui fut annexé

135791 DIFFÉREND (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

à la réplique du Honduras dans l’affaire soumise à la Cour en 1960
(vol. I, annexe XI, p. 621).

*

29. Ainsi, pour déterminer si la souveraineté sur les îles en litige appar-
tient au Honduras ou au Nicaragua, la Cour doit partir de l’appréciation
de la situation de l’uti possidetis juris de 1821 donnée par la sentence
arbitrale de 1906. Les îles en question ne sont pas mentionnées dans le

dispositif de la sentence, mais la délimitation de la frontière terrestre
entre les Parties établie par la sentence permet de savoir avec précision
quelles sont, dans la zone pertinente, les côtes appartenant au Honduras
et celles appartenant au Nicaragua. Il y est en effet indiqué que

«[l]e point extrême limitrophe commun sur la côte atlantique sera
l’embouchure du fleuve Coco, Segovia ou Wanks dans la mer, près

du cap Gracias a Dios, en considérant comme embouchure du fleuve
celle de son bras principal entre Hara et l’île de San Pío où se trouve
ledit cap, les îlots ou cayos qui existent dans ledit bras principal
avant d’atteindre la barre restant au Honduras et le Nicaragua
conservant la rive sud de ladite embouchure principale, l’île de San

Pío y comprise, ainsi que la baie et le village de Cabo de Gra-
cias a Dios et le bras ou estero appelé Gracias qui aboutit à la baie
de Gracias a Dios entre le continent et l’île de San Pío susnommée»
(Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le 23 décembre 1906
(Honduras c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 1960 , p. 202).

En outre, l’arrêt de la Cour de 1960 précise que,

«[a]insi qu’il a été indiqué ci-dessus, le dispositif de la sentence

énonce qu’«à partir de l’embouchure du Segovia ou Coco, la ligne
frontière suivra la vaguada ou thalweg de ce fleuve vers l’amont». Il
est évident que, dans ce contexte de la sentence, on a entendu indi-
quer que le thalweg constitue la frontière entre les deux Etats même
à l’«embouchure du fleuve». De l’avis de la Cour, la détermination

de la frontière à cet endroit ne saurait entraîner aucune difficulté.»
(Ibid., p. 216.)

30. Il est donc clair que, d’après l’uti possidetis juris tel qu’il se dégage
de la sentence arbitrale avec force de res judicata,lelittoral du Honduras
s’étend au nord du point extrême limitrophe commun sur la côte atlan-
tique de la frontière terrestre, situé dans l’embouchure du bras principal

du fleuve Coco dans la mer près du cap Gracias a Dios, jusqu’à la fron-
tière avec le Guatemala, et le littoral du Nicaragua au sud de ce point
extrême limitrophe commun jusqu’à la frontière avec le Costa Rica.

31. L’établissement du point terminal de la frontière terrestre à

l’embouchure du bras principal du fleuve Coco dans la mer près du cap

136792 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

Gracias a Dios détermine avec précision la côte ayant appartenu en 1821

à l’une ou l’autre Partie et, par voie de conséquence, le point de repère
permettant d’appliquer sans difficulté la notion d’«île adjacente» du droit
historique espagnol. Une telle situation de fait ne se présentait pas avec la
même clarté pour les îles en litige entre El Salvador et le Honduras situées
dans les eaux de la baie historique de Fonseca citées dans l’arrêt. La rela-

tion entre les côtes des trois Etats riverains de la baie de Fonseca n’était
pas aussi claire et nette que celle qui existe entre les côtes du Honduras et
du Nicaragua en la présente affaire.
32. En revanche, ce qui est intéressant dans la citation pertinente don-
née par l’arrêt, c’est la confirmation que

«lorsque le principe de l’uti possidetis juris est en jeu, le jus en ques-

tion n’est pas le droit international mais le droit constitutionnel ou
administratif du souverain avant l’indépendance» (Différend fronta-
lier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicara-
gua (intervenant), arrêt, C.I.J. Recueil 1992 , p. 559, par. 333).

Or, le jus appliqué par la Couronne espagnole dans ses territoires améri-
cains recourait à une notion d’«îles adjacentes» comme critère général
d’attribution des îles, à l’une ou l’autre circonscription ou province colo-

niale, qui n’a pas la même portée que la notion d’«île adjacente» du droit
international contemporain.

*

33. Dans le droit historique appliqué par la Couronne espagnole à ses
territoires américains, la notion d’«îles adjacentes» était une notion
beaucoup plus large et flexible que celle d’«îles côtières» en droit inter-
national contemporain. La sentence arbitrale de 1865 dans l’affaire de
l’île d’Aves (Pays-Bas/Venezuela) prouve que la notion d’«île adjacente»

du droit colonial espagnol englobait aussi de petites îles fort éloignées de
la côte, qu’elles se prêtassent ou non à l’habitation humaine ou fussent ou
non dotées d’une activité économique ou d’une importance stratégique.
L’île d’Aves (île des oiseaux) était un petit rocher peu élevé, situé au
milieu de la mer des Caraïbes, non susceptible d’habitation permanente et

qui n’avait jamais été véritablement occupé. Lors de sa découverte par les
Espagnols, l’île fut tout d’abord comprise dans les territoires de l’ancienne
Audiencia de Saint-Domingue, puis rattachée à l’Audiencia de Caracas
(ordonnance royale du 13 juin 1786), en dépit de sa distance d’avec les
côtes de la capitainerie générale du Venezuela (voir P. Lapradelle et Poli-

tis, Recueil des arbitrages internationaux , vol. 2, p. 404-406). L’île de
Clipperton, elle aussi découverte par les Espagnols, est une île fort dis-
tante de la côte mexicaine; elle n’en fut pas moins réclamée par le Me-
xique en tant que successeur de l’Espagne (Revue générale de droit inter-
national public, 1932, vol. 39, p. 130).

34. Les îles de San Andrés sont également situées à une distance consi-
dérable du continent. L’île du Cygne, que le Nicaragua réclama expres-

137793 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

sément à l’arbitre en 1906, se trouve à environ 200 kilomètres (110 milles
marins) du cap Camarón. Ainsi, le fait que les îles en litige en la présente
affaire soient situées à une distance comprise entre 27 et 32 milles de la
côte hondurienne située au nord du cap Gracias a Dios n’empêche pas de

les considérer comme des «îles adjacentes» de la province du Honduras,
au sens du droit historique appliqué par la Couronne espagnole. Voir,
par exemple, la carte hydrographique officielle de la côte des Mosquito
et des îles adjacentes de Juan de Azaoz de 1793 présentée par le Hondu-
ras (contre-mémoire du Honduras (CMH), vol. 3, deuxième partie,

carte 26). Je ne peux donc faire mienne la conclusion du paragraphe 163
du présent arrêt.

*

35. Il va de soi que le critère général d’attribution des îles mentionné
ci-dessus n’était qu’une sorte de règle résiduelle en ce sens qu’il pouvait, à
tout moment, y être dérogé moyennant une disposition spécifique norma-
tive contraire émanant du roi. Ainsi, par exemple, celle du brevet royal

de 1803 concernant les îles de San Andrés, ou de l’ordonnance royale
du 13 juin 1786 relative à l’île d’Aves. Mais le Nicaragua n’a présenté
aucune preuve d’une décision spécifique du roi en faveur de la province
du Nicaragua dérogeant au critère général pour ce qui est des îles en litige
dans la présente affaire. Ce que le Nicaragua a plaidé est l’impossibilité

en l’espèce de trancher la question de la souveraineté sur ces cayes sur la
base de l’uti possidetis juris de 1821.
36. La Couronne espagnole avait des raisons pratiques et de principe
pour recourir à une notion particulièrement large et souple d’«île adja-
cente», expression que l’on trouve très souvent dans les textes de sa légis-

lation d’outre-mer. S’agissant en premier lieu de protéger l’intégrité de
son titre original sur les vastes espaces — définis par des parallèles et des
méridiens — qui lui avaient été réservés par les bulles papales et les traités
conclus avec le Portugal, à savoir toutes «les terres découvertes et à

découvrir» à l’intérieur de ces espaces. En deuxième lieu, l’exploration de
l’immense espace américain ne pouvait se faire que par étapes et l’entre-
prise a duré des siècles. Finalement, il fallait éviter le danger que d’autres
puissances puissent s’emparer de territoires non explorés, inconnus, peu
peuplés ou difficiles à défendre. Or, à cet égard, les «îles» étaient certai-

nement les territoires les plus exposés, surtout celles éloignées des côtes
ou des eaux juridictionnelles espagnoles.
37. En tout cas, le rôle et l’importance normative de ce concept large
et souple d’«île adjacente» dans le droit colonial espagnol ne sauraient
e
être mis en doute. Les traités conclus par l’Espagne au XIX siècle avec
les nouvelles républiques, y compris avec la République du Nicaragua
(1856) et avec la République du Honduras (1860), en témoignent: ils
confirment en effet l’abandon par l’Espagne de son ancien titre non seu-
lement sur le territoire continental de la province du Nicaragua et sur

celui de la province du Honduras, mais aussi sur le territoire insulaire de

138794 DIFFÉREND (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

l’une et de l’autre province tel qu’il se présentait en 1821. Par ailleurs, les
constitutions de la République du Honduras et de la République du

Nicaragua recourent également à l’expression «îles adjacentes» dans
leurs définitions respectives du territoire national.
38. La sentence arbitrale du roi d’Espagne de 1906 délimite un secteur
de la frontière terrestre entre les Parties, mais la décision détermine iné-

vitablement, sauf preuve contraire, la souveraineté sur les possessions
insulaires et les eaux juridictionnelles espagnoles adjacentes au continent.
Pourquoi? Parce que, en délimitant la frontière terrestre, la sentence défi-
nit les côtes continentales du Honduras dans la zone concernée comme
étant celles situées au nord de l’embouchure du fleuve Coco, près du cap
e
Gracias a Dios, c’est-à-dire au nord du 15 parallèle environ, et celles du
Nicaragua comme étant celles situées au sud de ladite embouchure et
dudit parallèle.
39. De ce fait, la décision arbitrale de 1906 permet de donner une

réponse judiciaire, sur la base de l’ ti possidetis juris de 1821, à la question
de la souveraineté sur les îles en litige entre les Parties, car les quatre cayes
en question sont situées au nord du 15 parallèle au large et dans les pa-
rages de la côte continentale hondurienne, et plus près de celle-ci que de la
e
côte continentale nicaraguayenne située au sud du 15 parallèle. Or, dans
une situation pareille, si l’on tient compte, comme il se doit, du critère
général d’attribution des «îles adjacentes» en droit historique espagnol, la
souveraineté sur les cayes appartient sans aucun doute possible au Hon-

duras. La conduite des Parties au cours de la procédure arbitrale confirme
cette conclusion. Il s’ensuit que je ne peux pas accepter la conclusion
contraire de la majorité de la Cour énoncée au paragraphe 167 de l’arrêt.

*

40. Lors de l’arbitrage du roi d’Espagne, le Nicaragua avait cherché à
obtenir de l’arbitre une ligne frontière le long du 85 méridien de longitude

ouest, faisant de celui-ci une sorte de limite terrestre, insulaire et maritime
avec le Honduras. En effet, dans ses conclusions concernant la dernière
partie du tracé de la frontière, le Nicaragua avait demandé à l’arbitre que

«[la ligne de division] continue par le centre du cours d’eau jusqu’à
sa rencontre avec le méridien qui passe au-dessus du cap Camarón et
suit ce méridien jusqu’à la mer, laissant au Nicaragua Swan Island»

(C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le
23 décembre 1906, vol. I, p. 624).

L’origine de cette conclusion se trouve dans une proposition faite par le
Nicaragua à la commission mixte instituée en vertu du traité Gámez-
Bonilla. Pour les motifs invoqués alors par le Nicaragua et la réponse du
Honduras au sein de la commission mixte (voir ibid., p. 246 et 248; voir

aussi le contre-mémoire du Honduras, vol. 1, planche n° 9).
41. Si l’arbitre avait accepté cette conclusion du Nicaragua, les îles en
litige dans la présente affaire auraient été des «îles adjacentes» à la côte

139795 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

continentale de la province du Nicaragua et, en conséquence, dès 1821,
des îles de la République du Nicaragua en vertu de l’uti possidetis juris.

Mais le roi d’Espagne rejeta cette conclusion nicaraguayenne. La décision
de l’arbitre fut, comme on vient de le dire, de placer le point extrême limi-
trophe commun aux deux républiques dans l’embouchure du bras princi-
pal du fleuve Coco en mer, à proximité du cap Gracias a Dios — c’est-à-
e
dire pratiquement au 15 parallèle de latitude nord, et non pas au nord ou
au sud de ce parallèle —, car comme il est dit dans la sentence arbitrale de
1906 les «documents» signalaient le cap Gracias a Dios comme point
limitrophe des «juridictions» concédées aux gouverneurs de la province
du Honduras (Juan de Vera) et de la province du Nicaragua (Alonso Fer-

nández de Heredia) par les décrets royaux de 1745 (Recueil international
des traités du XX siècle, Descamps et Renault, 1906, p. 1031).
42. Il est surprenant que la majorité ne tire aucune conclusion aux fins
de l’administration des preuves de l’effet combiné a) de l’adoption par la

sentence arbitrale de 1906 comme limite, sur la base de l’uti possidetis
juris, du parallèle du cap Gracias a Dios et b) du rejet du méridien du
cap Camarón proposé par le Nicaragua. Bien au contraire, d’après
l’arrêt, il semblerait que la province du Honduras et la province du Nica-

ragua n’avaient, en réalité, ni côtes, ni mer territoriale, ni îles adjacentes
propres, lesquelles auraient relevé de l’entité administrative coloniale
commune supérieure, à savoir la capitainerie générale de Guatemala. Cet
argument — répété fréquemment faute de mieux dans les procédures

judiciaires et arbitrales relatives à l’Amérique centrale — trouve aussi une
réponse dans les motifs de la sentence arbitrale rendue par le roi d’Espa-
gne en 1906 lorsqu’il est déclaré que,

«lors de l’évacuation du pays des Mosquito par les Anglais, en
vertu du traité de 1786 avec l’Angleterre, en même temps que l’on

réglementait à nouveau le port de Trujillo, on ordonnait la création
de quatre villages espagnols sur la côte des Mosquito, à Río Tinto,
Cabo de Gracias a Dios, Blewfields et à l’embouchure du Río San
Juan, et bien que ces établissements fussent placés sous l’autorité mili-

taire directe de la capitainerie générale de Guatemala, les deux
Parties ont convenu de reconnaître que cette circonstance ne modifia
en rien les territoires des provinces du Nicaragua et du Honduras,
car cette République a démontré au moyen de nombreux certificats

d’expédients et de comptes que, avant comme après 1791, le gouver-
nement de l’Intendance de Comayagua intervenait dans toutes les
affaires de sa compétence à Trujillo, Río Tinto et Cabo de Gra-
cias a Dios» (Recueil international des traités du XX esiècle, Des-

camps et Renault, 1906, p. 1031).

*

140796 DIFFÉREND (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

43. Il résulte donc de la sentence arbitrale du roi d’Espagne que, au
nord du 15 parallèle, le littoral et, par voie de conséquence, les îles adja-
centes à ce littoral appartiennent d’après le principe de l’uti possidetis

juris de 1821 au Honduras et que, au sud de ce parallèle, le littoral et, par
voie de conséquence, les îles adjacentes à celui-ci appartiennent au Nica-
ragua, car aucune des Parties n’a présenté à la Cour de décision royale
contraire.
44. Ainsi, en vertu du principe de l’uti possidetis juris, la souveraineté
e
sur les formations insulaires au sud du 15 parallèle nord, comme
Edinburgh Cay, Morrison Dennis Cays et Cayo Miskitos, appartient au
Nicaragua de la même façon que la souveraineté sur les formations insu-
laires au nord du 15 parallèle, y compris les cayes en litige dans la pré-

sente instance, appartient au Honduras. D’ailleurs, cette conclusion cor-
respond à la description donnée par la sentence arbitrale de 1906 de la
province du Nicaragua lorsqu’elle dit, notamment, que «la commission
d’examen n’a pas constaté que l’action expansive du Nicaragua se fût

étendue au nord du cap Gracias a Dios» (op. cit., p. 1033) (voir le para-
graphe 25 ci-dessus).
45. Les brevets royaux invoqués par le Honduras dans la présente ins-
tance confirment la conclusion de la sentence arbitrale. Ceux du
23 août 1745 ont créé, pour des raisons de surveillance et de défense des

côtes, deux juridictions militaires relevant de la capitainerie générale de
Guatemala, allant l’une du Yucatan jusqu’au cap Gracias a Dios et
l’autre du cap Gracias a Dios jusqu’au río Chagres, cette rivière non
comprise. Juan de Vera, gouverneur de la province du Honduras, fut

nommé commandant général des armées royales dans la province du
Honduras et Alonso Fernández de Heredia, commandement général de
la province du Nicaragua, commandant général des armées royales au
Nicaragua et au Costa Rica (voir CMH, p. 74-76).
46. Par ailleurs, le brevet royal du 30 novembre 1803 confirme aussi

le rôle du cap Gracias a Dios comme limite de juridictions de la province
du Honduras et de celle du Nicaragua lorsqu’il déclare que

«le roi a décidé que les îles de San Andrés et la partie de la côte des
Mosquito depuis le cap Gracias a Dios inclus jusqu’au fleuve Cha-
gres doivent être séparées («queden segregados») de la capitainerie
générale du Guatemala et placées sous la dépendance de la vice-

royauté de Santa Fé» (CMH, p. 77).

47. Le Honduras a également présenté une note diplomatique datée
du 23 novembre 1844, adressée à Sa Majesté britannique par le ministre
représentant à la fois le Honduras et le Nicaragua, laquelle reconnaît le
droit souverain du Nicaragua le long de la côte atlantique, mais seule-
ment «depuis le cap Gracias a Dios au nord jusqu’à la ligne frontière qui

le sépare du Costa Rica» (CMH, p. 31).
48. J’accepte cette note comme un élément de preuve de la période
républicaine concernant l’interprétation de l’uti possidetis juris de 1821
par les Parties étant donné la date de la note, son caractère officiel et

141797 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

l’autorité de son signataire. Il est évident d’après ce document que c’est la
République du Honduras, et non pas celle du Nicaragua, l’Etat qui a la
souveraineté le long de la côte atlantique au nord du cap Gracias a Dios
en vertu de l’uti possidetis juris et, en conséquence, sur les îles en litige

dans la présente instance qui sont des «îles adjacentes» à ce littoral hon-
durien d’après le droit historique espagnol.

D. L’«adjacence» invoquée par le Nicaragua

49. Le Nicaragua a déclaré à l’audience accepter en principe l’applica-
tion du principe de l’uti possidetis juris aux «différends insulaires» tout
en l’écartant en l’espèce. Il en a déjà invoqué ce principe par le passé,
notamment dans le différend relatif à la pêche à la tortue. La Grande-
Bretagne estima alors que le décret du 4 octobre 1864 du Gouvernement

du Nicaragua déclarant que les îles et îlots adjacents à sa côte atlantique
lui appartenaient, et réglementant les importations et exportations, contre-
venait au traité Zeledón-Wyke conclu entre les deux pays. Mais le Nica-
ragua répliqua que le traité lui reconnaissait une souveraineté sur la Mos-

quitia et que, partant de cela, les îles et îlots adjacents en question lui
appartenaient en toute souveraineté (Réplique du Nicaragua (RN), p. 62).
Le Nicaragua défend à présent une thèse mutatis mutandis similaire à
propos des îles de San Andrés et de Providencia dans son différend avec
la Colombie relatif au traité Bárcenas Meneses-Esguerra de 1928 (CMH,

p. 77).
50. Alors, sur quoi s’appuie le Nicaragua pour écarter en l’espèce le prin-
cipe considéré? Sur l’argument selon lequel il n’existe aucune preuvd eocu-
mentaire démontrant l’existence d’un titre du Nicaragua ou du Honduras
sur les îles en vertu de l’ti possidetis juris de 1821. Je ne saurais suivre le

demandeur dans une telle limitation des moyens de preuve relatifs à ce prin-
cipe, car elle est contraire à la pratique et à la jurisprudence internationales,
y compris à celle de la Cour D ( ifférend frontalier terrestre, insulaire et
maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua intervenant)), arrêt, C.I.J.

Recueil 1992, p. 388, par. 44 et suiv.). En outre, l’argument méconnaît le
système de gouvernement par la Couronne espagnole de ses territoires en
Amérique et les caractéristiques du droit historique espagnol appliqué.
51. Le fait que les îles en litige se trouvent situées au nord et non au
sud du 15 parallèle est sans nul doute source de difficultés pour le Nica-

ragua. Je le comprends. Quelle est alors la solution proposée par le Nica-
ragua dans sa recherche d’un titre juridique sur les îles en litige? Au
second tour des plaidoiries, ses conseils ont invoqué l’«adjacence» tout
court, à savoir une adjacence autonome. Or, en dehors de l’application

du principe de l’uti possidetis juris ou d’une autre règle pertinente de
droit international qui incorporerait le critère, la simple adjacence géo-
graphique ne constitue pas, en droit international, un titre territorial
(affaire de l’Ile de Palmas).
52. Par ailleurs, les îles en litige sont voisines et géographiquement

plus proches du littoral continental hondurien que du littoral continental

142798 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

nicaraguayen. Il va sans dire qu’il n’y a pas non plus de fondement en
droit international pour l’argument nicaraguayen selon lequel les îles
seraient nicaraguayennes parce qu’elles se trouvent au sud du soi-disant
«Main Cape Channel».

53. Je réaffirme donc ma conclusion selon laquelle la République du
Honduras a souveraineté sur Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay
et South Cay en vertu tant de l’uti possidetis juris que des effectivités
qu’il a prouvées à la satisfaction de la Cour dans la présente instance. Il
ne reste donc à traiter que la question de l’acquiescement.

E. L’acquiescement du Nicaragua

54. Le Honduras affirme qu’ilyaeu acquiescement du Nicaragua à la
souveraineté hondurienne sur les cayes en litige; il s’appuie pour cela sur

le silence total du Nicaragua face aux actes de souveraineté honduriens
concernant les îles. Le Nicaragua, pour sa part, nie avoir acquiescé à ou
accepté tacitement la souveraineté du Honduras sur les cayes. Le Nica-
ragua, pour sa part, explique son silence par le fait que le Honduras a

revendiqué les cayes au mieux en 1982, c’est-à-dire après 1977, date que le
Nicaragua considère comme la date critique. Or, s’agissant du différend
sur les îles, l’arrêt de la Cour retient pour date critique l’année 2001
(arrêt, par. 129).
55. Si après l’arrêt de la Cour de 1960 sur la sentence arbitrale rendue

par le roi d’Espagne le Nicaragua croyait encore avoir des droits sur les
îles au nord du 15 parallèle, c’est-à-dire sur les îles en litige dans la pré-
sente instance, il aurait dû le manifester plus tôt. Mais le Nicaragua ne l’a
fait ni avant ni après la cristallisation du différend sur la délimitation
maritime en 1982. Lorsque le président du Nicaragua signa le texte ori-

ginal de l’accord de libre-échange de 1998, le Nicaragua n’avait pas
encore manifesté des revendications sur les îles en litige dans la présente
instance (arrêt, par. 226). Il a fallu attendre le 21 mars 2001 pour que le
Nicaragua exprime enfin des revendications à l’égard de ces îles. Or, en

gardant le silence pendant des années, le Nicaragua a adopté une conduite
qui a pu faire croire au Honduras qu’il acceptait, pour les îles en litige, la
situation de l’uti possidetis juris telle que, à mon avis, elle s’imposait aux
Parties depuis que la sentence arbitrale de 1906 avait fixé le point termi-
nal de la frontière terrestre à l’embouchure du fleuve Coco dans la mer

près du cap Gracias a Dios.
56. L’absence totale d’effectivités du Nicaragua dans les îles en litige et
de toute protestation de sa part contre les manifestations de souveraineté
du Honduras concernant les îles confirme une telle conclusion. De ce fait,

et compte tenu des éléments soumis à la Cour, l’acquiescement du Nica-
ragua à la souveraineté du Honduras sur les îles en litige est pour moi
établi. Pour protéger les droits qu’il revendique dans la présente instance,
le Nicaragua aurait dû, conformément au droit international, manifester
une vigilance plus intense et une opposition plus nette vis-à-vis des actes

du Honduras concernant les îles en question (voir Temple de Préah

143799 DIFFÉREND OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962 ,
opinion individuelle du juge Alfaro, p. 39).
57. Se trouve ainsi confirmée la souveraineté que le Honduras a sur

les îles en litige en vertu de l’uti possidetis juris et des effectivités post-
coloniales.

F. Conclusion

58. Les considérations précédentes expliquent pourquoi j’estime que la

souveraineté du Honduras sur Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay
et South Cay bénéficie d’une triple assise juridique, les effectivités post-
coloniales et l’acquiescement du Nicaragua venant conforter le titre juri-
dique sur les îles détenu par la République du Honduras depuis 1821 en

vertu du principe de l’uti possidetis juris.

II. LA DÉLIMITATION DE ZONES MARITIMES PAR UNE FRONTIÈRE MARITIME
UNIQUE

A. Le rejet de la «frontière maritime traditionnelle» revendiquée par le

Honduras

59. Le Honduras a défendu l’eeistence d’une frontière maritime dite
«traditionnelle» le long du 15 parallèle de latitude nord, à travers la mer
territoriale et au-delà, basée initialement sur le principe de l’uti possidetis
juris (jusqu’aux 6 milles marins des anciennes eaux territoriales de la

période coloniale) et, par la suite, sur un accord tacite entre les Parties
concernant l’ensemble des zones maritimes à délimiter par la Cour en la
présente instance. En revanche, le Nicaragua a affirmé l’inexistence d’une
telle «frontière maritime traditionnelle», a accusé le Honduras d’invo-
quer ladite ligne pour éviter une délimitation maritime équitable et a

demandé à la Cour une délimitation ex novo moyennant l’application de
la méthode dite de la «bissectrice».
60. Il va de soi que, dans la mesure où un principe de droit interna-
tional comme l’uti possidetis juris est applicable ou s’il existe un accord,

exprès ou tacite, entre les Parties, une délimitation maritime effectuée
d’après ce principe ou cet accord ne saurait être considérée comme iné-
quitable en droit. A cet égard, il convient de rappeler ici que, tant pour la
mer territoriale que pour la zone économique exclusive et le plateau

continental visés par la convention des Nations Unies sur le droit de la
mer de 1982, les délimitations maritimes se font, au premier chef, par voie
d’accord entre les Etats intéressés.
61. C’est en effet l’accord que privilégie la convention pour la délimi-
tation maritime de chacune des zones maritimes reconnues par le droit

international et, par voie de conséquence, pour une délimitation des trois
zones (mer territoriale, zone économique exclusive et plateau continental)
par une ligne unique telle que celle demandée à la Cour par les Parties.
Les autres éléments normatifs des articles pertinents de la convention sur

144800 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

le droit de la mer ne sont destinés à être appliqués qu’à défaut d’accord
entre les Etats concernés.

62. Le Honduras était par conséquent dans son droit lorsqu’il a sou-
levé, comme un préalable à la délimitation ex novo demandée par le
Nicaragua, la question de l’existence d’une «frontière maritime tradition-
nelle» entre les Parties le long du 15 parallèle de latitude nord et a

demandé à la Cour d’en tenir compte lors de sa délimitation. Mais, tacite
ou non, l’accord invoqué doit évidemment avoir existé à la date critique.
C’est à ce niveau que la «frontière maritime traditionnelle» invoquée par
le Honduras a rencontré des difficultés.
63. En effet, la Cour, après avoir considéré l’ensemble des arguments

et les nombreux éléments de preuve du Honduras (concessions pétro-
lières; activités et réglementation de la pêche; patrouilles navales;
reconnaissance par des Etats tiers; dépositions de témoins produites
sous la forme de déclarations sous serment; traités bilatéraux conclus par

la Colombie avec le Nicaragua (1928), le Honduras (1986) et la Jamaïque
(1993) et échanges de notes diplomatiques) ainsi que les arguments et les
éléments de contre-preuve du Nicaragua, conclut «qu’il n’existait pas en
1982 — ni à fortiori à une quelconque date postérieure — d’accord tacite

entre les Parties de nature à établir une frontière maritime juridiquement
obligatoire» (arrêt, par. 258).
64. Comme il est dit au paragraphe 256 de l’arrêt:

«La Cour a constaté qu’à certaines périodes, comme le montrent
les éléments de preuve, le 15 parallèle semble avoir joué un certain
rôle dans la conduite des Parties. Ces éléments de preuve concernent

la période comprise entre 1961, date à laquelle le Nicaragua se retira
des zones situées au nord du cap Gracias a Dios à la suite de l’arrêt
rendu par la Cour sur la validité de la sentence arbitrale de 1906, et
1977, date à laquelle le Nicaragua proposa d’engager des négocia-

tions avec le Honduras aux fins de la délimitation de leurs zones
maritimes dans la mer des Caraïbes. La Cour relève que, pendant
cette période, les Parties octroyèrent plusieurs concessions pétro-
lières indiquant que leurs limites septentrionale et méridionale se trou-

vaient respectivement à 14°59,8′. De plus, la réglementation de la
pêche dans la zone semblait parfois indiquer qu’il était entendu que
le 15 parallèle divisait les zones de pêche respectives des deux Etats.
Enfin, le 15 parallèle était aussi considéré par certains pêcheurs

comme une ligne divisant les zones maritimes sous juridictions nica-
raguayenne et hondurienne. Toutefois, ces événements, survenus sur
une courte période, ne permettent pas à la Cour de conclure qu’il
existait une frontière maritime internationale juridiquement établie

entre les deux Etats.»
65. A cet égard, il faut souligner que la période en question fut bien

plus longue que celle de l’affaire du Golfe du Maine. En tout cas, en ce
qui me concerne, j’estime que les éléments de preuve présentés par le
Honduras, notamment ceux concernant les concessions pétrolières et

145801 DIFFÉREND (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

gazières et la réglementation de la pêche et des activités y relatives, mili-
tent de manière décisive en faveur de la thèse de l’existence d’un accord

tacite entre les Parties sur la frontière maritime dite «traditionnelle». La
majorité de la Cour est d’un avis différent, que je respecte tout en ne le
partageant pas. C’est le privilège du juge de pondérer et de prendre posi-
tion sur la preuve soumise par les parties. Deux remarques seulement sur

des questions ponctuelles. La première concerne la note du ministre Paz
Barnica du 3 mai 1982. Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation que
fait l’arrêt du texte de la note. La seconde a trait à la réponse du Nica-
ragua à la note hondurienne du 21 septembre 1979 soulignant que la cap-
ture en mer, le 18 septembre 1979, d’un navire hondurien par la marine
e
nicaraguayenne s’était produite «8 milles au nord du 15 parallèle, qui
sert de limite entre le Honduras et le Nicaragua » (CMH, p. 48; les itali-
ques sont de moi). Or, l’arrêt n’attribue aucun effet juridique au fait que
dans sa réponse le Nicaragua ne réfuta ni réserva cette affirmation du

Honduras.

B. La non-application par l’arrêt de la succession aux eaux territoriales

de la période coloniale en vertu de l’uti possidetis juris

66. La conclusion de la Cour concernant l’absence, en 1982, d’une
«frontière maritime traditionnelle» juridiquement obligatoire ne règle
pas cependant toutes les questions relatives au 15 parallèle de latitude

nord posées par le Honduras. Reste celle de la succession ou non des
Parties aux 6 milles des eaux territoriales de la période coloniale en vertu
du principe de droit international de l’uti possidetis juris de 1821.
67. Il s’agit aussi, logiquement, d’un préalable à la construction par la

Cour d’une ligne de délimitation maritime ex novo, car l’article 15 de la
convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 fait une place
aux «titres historiques» dans la délimitation de la mer territoriale, c’est-
à-dire de la première zone pour laquelle les Parties ont demandé à la

Cour de délimiter une frontière maritime unique.
68. L’arrêt de la Cour résume comme suit la position d’ensemble à cet
égard du Honduras telle qu’elle est exposée dans le contre-mémoire:

«[L]e Honduras soutient que le principe de l’uti possidetis juris
auquel se réfèrent le traité Gámez-Bonilla et la sentence rendue en
1906 par le roi d’Espagne est applicable à la zone maritime au large
e
des côtes du Honduras et du Nicaragua, et que le 15 parallèle cons-
titue la ligne de délimitation maritime résultant de l’application de ce
principe. Il affirme que, en 1821, le Nicaragua et le Honduras ont
succédé, notamment, à un espace maritime de 6 milles ... et que l’uti

possidetis juris «engendre une présomption de titre du Honduras sur
le plateau continental et la zone économique exclusive au nord du
15 parallèle».» (Arrêt, par. 229).

69. Dans la duplique, le Honduras est encore plus précis sur la ques-
tion de la succession des Parties à l’espace maritime de 6 milles considéré:

146802 DIFFÉREND OP .DISS .TORRES BERNÁRDEZ )

«Le principe de l’uti possidetis juris fournit un titre juridique pour
déterminer que le Honduras détient la souveraineté maritime (jusqu’à

6 milles marins aux epoques coloniales et de l’indépendance) et insu-
laire au nord du 15 parallèle qui traverse le cap Gracias a Dios, ainsi
qu’il est confirmé dans l’ordonnance royale de 1803. Le para-
graphe 17 de la sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne en 1906

est donc exact, lorsqu’il indique: «En lesquels documents [les brevets
royaux de 1745 et 1791] on signale donc le cap Gracias a Dios
comme point limitrophe des juridictions concédées auxdits gouver-
neurs du Honduras et du Nicaragua, en caractère de quoi ils furent
nommés.»» (Duplique du Honduras (DH), p. 51, par. 3.60; les ita-

liques sont dans l’original.)
70. Le Honduras a donc posé clairement la question de l’application

de l’uti possidetis juris de 1821 aux espaces maritimes concernés par la
présente affaire en tant que question autonome, c’est-à-dire indépendam-
ment de celle de la formation de la «frontière maritime traditionnelle»
par accord tacite. A ce propos, l’arrêt déclare que, «dans certaines cir-

constances, comme celles qui ont trait à des baies et mers territoriales his-
toriques, le principe de l’uti possidetis juris pourrait jouer un rôle dans la
délimitation maritime» (arrêt, par. 232). Face aux hésitations du deman-
deur en la matière, cette conclusion de la Cour confirme la jurisprudence

pertinente de l’arrêt de 1992 en l’affaire du Différend frontalier terrestre,
insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)) .
Je partage entièrement ce point de droit explicité par l’arrêt.
71. Toutefois, la Cour rejette ensuite la succession aux 6 milles des

eaux territoriales de la période coloniale («eaux juridictionnelles» dans la
terminologie espagnole de l’époque) parce que, d’après l’arrêt, le Hondu-
ras n’aurait avancé aucune raison convaincante pour expliquer pourquoi
la frontière maritime devrait suivre le 15 parallèle à partir du cap Gra-

cias a Dios, se bornant «à affirmer que la Couronne espagnole avait ten-
dance à utiliser les parallèles et les méridiens pour délimiter les juridic-
tions, sans apporter la moindre preuve que la puissance coloniale ait agi
ainsi dans ce cas particulier» (arrêt, par. 232). Ainsi, pour la Cour, le

Honduras n’aurait pas démontré que le principe de l’uti possidetis juris a
conduit à une répartition maritime le long de la ligne horizontale du
15 parallèle des 6 milles marins des eaux territoriales de la province du
Honduras et de la province du Nicaragua à l’époque coloniale. Comme il
est déclaré dans l’arrêt: «Dans les circonstances de la présente affaire, il

ne peut être dit que le principe de l’uti possidetis juris a servi de base à
une ligne de partage maritime le long du 15 parallèle.» (Par. 234.)

*
72. Les conclusions ci-dessus trouvent leur fondement ultime dans une

interprétation restrictive de la majorité concernant la portée de la sen-
tence arbitrale de 1906, et sa res judicata, que je ne partage point. Pour la
majorité, le fait que l’arbitre ait déterminé, sur la base du principe de l’uti

147803 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

possidetis juris de 1821, que «le point extrême limitrophe commun sur la
côte atlantique» est l’embouchure du fleuve Coco près du cap Gra-
cias a Dios ne confirmerait pas l’existence d’une frontière maritime entre
les parties le long du 15 parallèle pour ce qui est des eaux territoriales de

l’époque coloniale. Pourtant, les Parties semblent avoir eu une interpréta-
tion, non concordante certes, mais beaucoup plus large aussi bien de la
portée de la sentence arbitrale de 1906 que de l’uti possidetis juris du
traité Gámez-Bonilla de 1894.
73. Par exemple, dans la note du 19 mars 1912 envoyée par le ministre

des affaires étrangères du Nicaragua au ministre des affaires étrangères
du Honduras, dans laquelle il indique les raisons sur lesquelles se fonde le
Nicaragua pour considérer nulle la sentence du roi d’Espagne, il est dit
que

«[l]e désaccord se trouvant ainsi défini, toute la partie de la ligne
frontière depuis le point de la cordillère appelé Teotecacinte jusqu’à
sa fin sur la côte atlantique et jusqu’où doit finir dans la mer la juri-

diction des deux Etats ne fut pas démarquée. Pour décider de quelle
façon l’on devait tracer la partie de la ligne litigieuse, l’on se décida
à exécuter les dispositions prévues à l’article III du traité déjà cité.»
(C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le

23 décembre 1906, vol. I, p. 292; les italiques sont de moi.)

Et plus loin:
«C’est également un principe universel que les sentences contra-

dictoires sont dépourvues de valeur et inapplicables, et la contradic-
tion dans laquelle tombe la sentence est patente lorsqu’elle traite du
tronçon de ligne qui doit séparer la juridiction des deux pays dans la
mer territoriale, parce que, après avoir établi la règle selon laquelle la
direction de la ligne est le thalweg ou ligne de plus grande pente du

lit du cours du bras principal du fleuve Coco, elle déclare que les
îlots situés sur ledit bras appartiennent au Honduras, ce qui conduit
à cette inconséquence de laisser du territoire hondurien enclavé dans
des eaux nicaraguayennes, ce qui, au surplus, laisse sans effet la ligne

du thalweg indiquée; en dehors du fait de ne rien décider sur la direc-
tion de la ligne qui, suivant le droit des gens, indique ce qui revient en
mer à chaque république comme faisant partie de son territoire res-
pectif.» ( Ibid., p. 294; les italiques sont de moi.)

*

74. Dans la présente affaire, la position du Honduras sur la question
considérée peut se résumer ainsi: 1) le principe de l’uti possidetis juris
invoqué dans le traité Gámez-Bonilla, ainsi que dans la sentence rendue

par le roi d’Espagne en 1906, est applicable à la zone maritime au large

148804 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

des côtes du Honduras et du Nicaragua; 2) le 15 parallèle constitue la
ligne de délimitation maritime résultant de l’application du principe; 3) le

Honduras et le Nicaragua ont, en 1821, succédé à un espace maritime de
mer territoriale de 6 milles; 4) l’uti possidetis juris engendre une présomp-
tion de titre du Honduras sur le plateau continental et la zone économi-
que exclusive au nord du 15 parallèle.

75. Ma position sur chacune de ces composantes de la position du
Honduras est la suivante:

Réponse au point 1): Sans doute. Aujourd’hui, comme principe de
droit international général, l’uti possidetis juris est applicable tant aux
délimitations terrestres qu’aux délimitations maritimes, ce qui est confirmé
par l’arrêt. Par ailleurs, le traité Gámez-Bonilla vaut pour la résolution
amiable de «tous les doutes et tous les différends pendants» et aux fins de

«démarquer sur le terrain la ligne de division indiquant la limite entre les
deux républiques» (article premier du traité). Le terme «limite» n’est
donc pas qualifié par l’adjectif «terrestre». La pratique des Parties
confirme d’ailleurs cette interprétation, car le procès-verbal II de la com-

mission mixte du 12 juin 1900 effectua une démarcation entre les deux
républiques dans la partie du golfe ou baie de Fonseca «adjacente à
leurs côtes, celles-ci étant séparées par une distance inférieure
à 6 lieues marines.» (C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le

roi d’Espagne (Honduras c. Nicaragua) , vol. I, p. 235.). Voir aussi la
note nicaraguayenne du 19 mars 1912 citée au paragraphe 73 ci-dessus de
cette opinion.
Réponse au point 2): Oui, si l’affirmation est comprise comme s’appli-

quant à l’espace maritime de 6 milles marins de la mer territoriale à l’épo-
que coloniale; mais non pour l’ensemble de la «frontière maritime tradi-
tionnelle», car je conviens avec le Nicaragua qu’un titre sur la zone
économique exclusive ou sur le plateau continental correspond à des

notions juridiques manifestement modernes qui n’existaient pas en 1821.
Réponse au point 3) : Sans doute, en vertu du principe de l’uti possi-
detis juris.
Réponse au point 4): Je comprends ce point comme voulant dire que le

principe de l’uti possidetis juris a servi à déterminer les côtes de chacune
des Parties, lesquelles, à leur tour, constituent le fondement du titre qui
commande la délimitation des zones maritimes du plateau continental et
de la zone économique exclusive entre les Parties à la présente affaire.

*

76. L’arrêt de la Cour admet — tout comme les deux Parties — que la
sentence arbitrale de 1906 fixe le point extrême limitrophe commun sur la
côte atlantique de la frontière terrestre qu’elle établit. Alors, comment
peut-on dire, lorsque l’on est dans le contexte de l’application du principe

de l’uti possideeis juris, que rien dans la sentence arbitrale de 1906 n’in-
dique que le 15 parallèle de latitude nord a été considéré comme la ligne
frontière? Nous avons au moins un point, le point extrême limitrophe

149805 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

commun sur la côte atlantique dégagé par la sentence arbitrale, qui est le
«starting uti possidetis juris point» d’une ligne de délimitation de la mer
territoriale entre les Parties et, à ce titre, il peut certainement être invoqué

comme un élément de preuve d’une succession à une eigne de partage
maritime le long de la ligne horizontale du 15 parallèle pour ce qui est
des 6 milles marins ici considérés.
77. Le fait que ce point soit situé à proximité du 15 parallèle nord près
du cap Gracias a Dios et non pas, par exemple, sur un parallèle ou un

méridien passant près du cap Camarón, de Punta Patuca, du cap Falso
ou de Sandy Bay, est un indice ou un élément, circonstanciel certes, mais
sans doute très important, parmi d’autres, pour un juge ou un arbitre
engagés dans l’application du principe de l’uti possidetis juris.L a

Chambre constituée en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire
etmaritime(ElSalvador/Honduras;Nicaragua(intervenant)) l’abiencom-
pris lorsqu’elle a dégagé des méthodes d’appréciation et d’interprétation
des preuves en harmonie avec la nature essentiellement historique du

principe en Amérique latine.
78. Dire que la sentence arbitrale de 1906, comme telle, n’a pas effec-
tué une délimitation maritime dans l’Atlantique est exact, mais dire
qu’elle «n’est pas applicable» à la présente délimitation maritime entre
les Parties l’est beaucoup moins. Pour moi, en tout cas, ladite sentence est

essentielle pour savoir quelles sont les îles appartenant à l’une et à l’autre
Partie et connaître le fondement juridique, le titre, de leurs revendications
respectives dans la délimitation maritime qui fait l’objet de la présente
instance. Il faut se familiariser avec les motifs de la sentence arbitrale

pour être à même de connaître la situation de l’uti possidetis juris de 1821
le long des côtes des Parties et dans leurs zones maritimes adjacentes res-
pectives, car la terre domine la mer. Or, la terre, les façades maritimes des
Parties sont définies par la sentence arbitrale de 1906 et non pas par les
ressources de la zone économique exclusive située au large au-delà de la

mer territoriale.
79. Quant à la question, différente, de la portée de la res judicata de la
sentence arbitrale de 1906, il faudra, s’il y a lieu, appliquer la jurispru-
dence de la Cour concernant la relation entre dispositif et motifs, car la

res judicata n’est pas seulement ce qui est écrit matériellement dans le dis-
positif d’une sentence ou d’un arrêt (voir, par exemple, l’affaire relative à
l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) , arrêt du

26 février 2007, par. 26).

*

80. Je ne peux suivre la majorité de la Cour lorsque l’arrêt ignore pra-
tiquement les données de fait historiques, géographiques et juridiques
développées dans les motifs de la sentence arbitrale de 1906. Je voudrais
souligner toute l’importance de la documentation de cette affaire arbi-

150806 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

trale pour une application du principe de l’uti possidetis juris à la pré-
sente délimitation maritime, documentation fournie à la Cour en 1960

par les Parties qui sont les mêmes Parties que celles à la présente espèce
(voir C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le
23 décembre 1906, vol. I et II).
81. Si l’on consulte les motifs de la sentence arbitrale et la documenta-

tion en question — invoqués d’ailleurs par le défendeur —, on peut
apprécier toute l’importance du rôle historique du cap Gracias a Dios en
tant que point saillant séparant les côtes de la province du Honduras de
celles de la province du Nicaragua, et avoir ainsi une vision de l’espace de
mer territoriale de 6 milles qui correspondait avant le 15 septembre 1821

à l’une ou à l’autre en tant que provinces coloniales espagnoles.

82. Cette vision est d’ailleurs suffisamment précise — aux fins d’une
application du principe de l’uti possidetis juris — pour pouvoir reconnaî-

tre et affirmer que c’étaet bien au niveau du parallèle passant par le cap
Gracias a Dios (ou 15 parallèle de latitude nord) que, le jour de l’indé-
pendance, se terminait la zone de mer territoriale continentale de la
République du Honduras et commençait la zone de mer territoriale conti-

nentale de la République du Nicaragua venant du nord et vice versa
venant du sud. Nous parlons bien entendu d’une «délimitation» de 1821
et non pas d’une «démarcation» en mer de 2007. Car, comme il est dit
dans la sentence arbitrale de 1906:

«Considérant que, de tout cet exposé, il résulte que le point qui
répond le mieux au point de vue du droit historique, de l’équité et du
caractère géographique pour servir de limite commune entre les deux
Etats limitrophes sur la côte de l’Atlantique est le cap Gra-

cias a Dios, et que ce cap marque le point qui a été le point terminus
de l’expansion ou de la conquête du Nicaragua au nord et du Hon-
duras au sud.» (Recueil international des traités du XX e siècle, Des-
camps et Renault, 1906, p. 1035.)

83. J’ai parfois le sentiment, en lisant l’arrêt, que la Cour exige trop,
pour la preuve de l’uti possidetis juris et pour la définition de ce qui était,
au début du XIX siècle, une délimitation maritime des eaux territoriales
entre côtes adjacentes de deux Etats. Il faut se demander si, à l’époque,

même en Europe, il était d’usage d’effectuer une délimitation collatérale
de la mer territoriale par des lignes précises définies dans des traités
conclus en bonne et due forme. J’ai des doutes à cet égard. En outre, dans
la présente instance, les preuves, les informations et la géographie étaient

particulièrement claires pour une application de l’uti possidetis juris àla
délimitation des premiers 6 milles de la mer territoriale entre les côtes
continentales concernées des Parties.

*

151807 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

84. Le Honduras affirme que le 15 parallèle est la ligne de partage
entre les Parties de l’espace maritime des 6 milles des eaux territoriales

hérité de l’Espagne. Il a notamment invoqué le fait que, conformément
au décret royal du 23 août 1745, origine du partage de la juridiction dans
l’espace maritime en cause entre le gouverneur du Honduras et le com-
mandement général du Nicaragua, et au décret royal de 1803, le cap Gra-

cias a Dios marquait la séparation entre les deux juridictions, ainsi que la
propension de la Couronne espagnole à utiliser des parallèles et méridiens
pour définir les divisions juridictionnelles.
85. En outre, le Honduras a soumis à la Cour, en tant qu’éléments de
preuve, des cartes géographiques (en particulier un «Plan géographique

du vice-royaume de Santa Fé de Bogotá, nouveau royaume de Gra-
nada, 1774» (duplique du Honduras (DH), vol. 2, annexe 232)) et les avis
de deux experts annexés à la duplique, à savoir:

1) un «avis du professeur docteur José Manuel Pérez-Prendes Muñoz-

Arraco sur les capitaineries générales et les Gouvernements espagnols
dans le droit historique d’outre-mer. Compétences générales. Applica-
tion dans les terres et mers qui appartiennent aujourd’hui à la Répu-
blique du Honduras» (ibid., vol. 2, annexe 266); et
2) un «avis du professeur docteur Mariano Cuesta Domingo sur la ques-

tion des droits honduriens dans les eaux de l’océan Atlantique. Les
limites maritimes du Honduras dans l’océan Atlantique» (ibid.,
annexe 267).

86. Les conclusions de l’avis du professeur Pérez-Prendes sont les sui-

vantes:

«1. Les pouvoirs conférés par la législation d’outre-mer aux capi-
taineries générales incluaient, explicitement et de tout temps, les
actions jugées opportunes par ces autorités dans l’ensemble des es-
paces maritimes adjacents à leurs côtes.

2. La capitainerie générale de Guatemala, dont relevait le Gou-
vernement du Honduras, exerçait les pouvoirs en question depuis
des ports spécifiquement honduriens.
3. Cet exercice fut constant entre le XVI et le XIX siècle et se

manifesta notamment par la reconnaissance, le contrôle et la défense
de la zone atlantique baignant le littoral de ce qui est aujourd’hui la
République du Honduras, surtout dans la région du cap Gra-
cias a Dios.
4. Ces pouvoirs étaient définis comme s’exerçant dans une zone

incluant des territoires et des espaces maritimes, et l’opinion générale
considérait que les lignes de délimitation terrestres se prolongeaient
en mer.
5. Nous avons également cité dans cet avis des témoignages attes-

tant que les îles incluses dans les espaces maritimes cités dans la
conclusion précédente relevaient de la juridiction et du pouvoir des
autorités militaires stationnées sur la terre dont elles étaient perçues

152808 DIFFÉREND (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

comme le prolongement (dans le cadre de l’extension des limites)
dans l’espace maritime adjacent.» (DH, vol. 2, annexe 266.)

87. En ce qui concerne le deuxième avis, le professeur Mariano Cuesta
Domingo conclut que

«[l]e parallèle traversant le cap Gracias a Dios (qui peut très bien
être désigné comme le 15 parallèle) est celui qui — sous une forme
parfaitement géométrique, astronomique, géographique, historique
et juridique (Indiano) — constitue la limite claire et indubitable des

eaux honduriennes dans le Sud» (ibid., annexe 267).

*

88. Au cours de la phase orale, le Nicaragua s’en est pris au premier

des avis ci-dessus, prétendant qu’il souffrait de graves lacunes normatives
et invoquant à ce propos les instruments suivants: 1) l’ordonnance royale
sur les garde-côtes du 22 mai 1802; 2) l’instruction pour la gouverne des
garde-côtes aux Indes de 1803; 3) l’ordonnance sur les navires corsaires

de 1796, revisée en 1801; et 4) l’ordonnance relative au régime et au gou-
vernement militaire des immatriculations maritimes (matrícula del mar)
de 1802 (CR 2007/7). Je ne vois pas en quoi le texte de ces instruments,
soumis aux juges lors des audiences, modifie les conclusions générales qui
découlent des avis émis par les experts honduriens.

89. Mais le Nicaragua ne s’est pas limité à parler d’éléments de preuve.
Il a soumis des arguments présentés sous la forme d’une thèse intitulée
«La mer, un espace unitaire sous juridiction unique dans la monarchie
espagnole», accompagnée d’une interprétation historique concernant «le

régime de la mer adjacente aux côtes de la capitainerie générale du Gua-
temala» et affirmait d’une autre que «les établissements de la côte de
Mosquitos ne furent jamais sous la juridiction de l’intendance de
Comayagua (Honduras)». Pour l’interprétation de ces événements his-

toriques, je m’en tiens à ce qui résulte de la sentence arbitrale de 1906
(voir par exemple le paragraphe 42 de la présente opinion).

*

90. Reste cependant à considérer l’argument principal de la thèse du
Nicaragua lorsqu’il affirme que, sous l’ancienne monarchie espagnole,
«toute la mer» était un espace unitaire sur lequel une juridiction spéciale
et centralisée, celle de la marine royale, s’appliquait à titre exclusif. Une

fois faite une affirmation aussi fracassante, l’argument se poursuit en
indiquant que la juridiction sur la mer territoriale appartenait aux auto-
rités espagnoles à Madrid et non pas aux autorités locales d’Amérique, y
compris les capitaineries générales, pour, finalement, se terminer en affir-
mant que la revendication par la Couronne espagnole d’une mer territo-

riale de 6 milles ne permet de «rien ... inférer s’agissant de la limite de

153809 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

cette mer territoriale entre les provinces du Honduras et du Nicaragua»
(arrêt, par. 231; les italiques sont dans l’original). Nous sommes donc
devant une espèce de syllogisme.
91. Mais c’est un syllogisme qui ne tient pas. Disons, tout d’abord, que

la prémisse majeure est ineeacte dès lors que le droit historique espagnol
— en tout cas au XVIII siècle (décret royal du 17 décembre 1760) —
distinguait déjà les eaux juridictionnelles espagnoles adjacentes à la côte
(les 6 milles) et le reste de la mer, sans préjudice de l’existence des eaux ou
baies historiques espagnoles comme celles du golfe de Fonseca dont le

Nicaragua est riverain. Dans ces conditions, comment peut-on affirmer
que pour l’ancienne monarchie espagnole toute la mer était un «espace
unitaire»?
92. Si la première prémisse est inexacte, la deuxième ne l’est pas moins,
car les rois espagnols du siècle des Lumières étaient, comme ailleurs en

Europe, à la tête de monarchies absolues où la source, modification et fin
de toute compétence, n’était que la volonté du roi. Tout émanait de sa
personne, avec l’assistance des ministres, des organes et des administra-
tions d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Ainsi, toutes les juridictions,

générales ou spéciales, territoriales ou de fonction, gouvernementales ou
judiciaires, civiles, militaires ou de la marine, étaient organisées autour et
en fonction de la personne du roi et, dans ce sens, toutes étaient centra-
lisées en ce qui concerne tant l’Espagne que les territoires d’outre-mer de
la monarchie. Toute compétence ou juridiction d’un organe, d’un repré-

sentant ou d’un fonctionnaire s’exerçait au nom du roi et n’était qu’une
délégation de son pouvoir souverain.
93. Mais que veut en fait prouver le Nicaragua avec sa thèse? Tout
simplement nier aux Républiques du Honduras et du Nicaragua le béné-
fice de l’espace marin de 6 milles dont jouissaient à la fin de l’époque

coloniale la province espagnole du Honduras et celle du Nicaragua. En
d’autres termes, le Nicaragua nie aux républiques issues de ces anciennes
«provinces coloniales» ledit espace maritime en tant que partie du legs
territorial de l’Espagne, comme Etat prédécesseur, afin d’écarter l’appli-

cation du principe de l’uti possidetis juris en l’espèce. Ainsi, les républi-
ques établies sur le territoire d’une ancienne «province coloniale» espa-
gnole en Amérique n’auraient reçu en vertu dudit principe que des «dry
coasts» de même, éventuellement, que les «vice-royautés» et les «capi-
taineries générales», car la thèse de la mer, espace unitaire géré par une

juridiction centralisée à Madrid, ne permet pas de faire de distinction
entre les «provinces coloniales» et les autres entités administratives ter-
ritoriales établies par la Couronne espagnole en Amérique.

94. Or, tout cela ne peut se produire du fait de l’organisation de juri-
dictions ou compétences par le droit historique espagnol, car la définition
des sujets actifs et de l’objet du principe de l’uti possidetis juris appartient
au droit international et non au droit historique espagnol. Le rôle que
joue le génitif «juris» dans le principe ne concerne que la preuve de l’exis-

tence d’une mer territoriale de 6 milles le long des côtes des territoires de

154810 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

la Couronne espagnole en Amérique. Ce rôle ne va pas plus loin. Il
s’ensuit que la gestion centralisée ou non de la mer par la Couronne espa-
gnole est dépourvue de toute pertinence pour la détermination, par le

droit international, des Etats successeurs de la monarchie espagnole pou-
vant bénéficier, dès la date de leur indépendance, desdits 6 milles de mer
territoriale en tant que partie du «legs territorial» de l’Etat prédécesseur.

*

95. Ainsi, la thèse nicaraguayenne se fonde sur une confusion concep-
tuelle entre les rôles respectifs en la matière du principe de droit interna-

tional de l’uti possidetis juris et du droit historique espagnol en Améri-
que. En outre, elle n’est pas non plus conforme aux réalités du droit
historique espagnol. Le fait que, dans la seconde moitié du XVIII siècle,
la marine royale ait été réorganisée pour essayer de faire d’elle un instru-

ment plus efficace dans l’exercice de ses propres compétences telles que
définies par le roi ne change rien au fait que même la marine royale était
représentée sur le sol américain par des chefs de départements de la
marine, par exemple aux Apostaderos de La Havane et Cartagena de
Indias. Comment la marine aurait-elle pu, autrement, contribuer d’une

manière efficace, en tant que force complémentaire, à la défense et à la
sécurité des territoires américains de la monarchie ainsi qu’à la préven-
tion et à la répression de la contrebande dans la mer des Caraïbes au
bénéfice du Trésor royal? Dans ces circonstances, parler de «titres exclu-

sifs» ne veut pas dire grand-chose. Tout était du ressort du titre exclusif
en possession du roi lui-même, c’est-à-dire de son titre sur la marine
royale et sur tout le reste.
96. L’existence d’une juridiction spéciale de la marine n’excluait pas
l’exercice dans la mer territoriale de 6 milles des compétences de caractère

gouvernemental, militaire ou maritime d’une capitainerie générale ou d’un
gouvernement provincial (ces derniers furent également renforcés avec
l’introduction du système des intendants au XVIII siècle). Les compé-
tences en mer d’un capitaine général ou d’un gouverneur ne furent pas en-

tamées par celles de la marine royale. Elles étaient plus ou moins larges,
selon ce que décidait le roi lors de leur désignation ou durant leur mandat.
97. Le brevet royal du 23 août 1745 nommant le colonel Juan de Vera

«gouverneur et commandant général de la province du Honduras et
commandant général des armées de ladite province du Honduras et

de celles comprises depuis l’endroit où prend fin la juridiction du
gouverneur et capitaine général de la province du Yucatan jusqu’au
cap Gracias a Dios» (C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par
le roi d’Espagne le 23 décembre 1906 , vol. I, p. 382),

et celui nommant Alonso Fernández de Heredia «gouverneur et com-

155811 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

mandant général de la province de Nicaragua et commandant général des
armées depuis le cap de Gracias a Dios jusqu’à la rivière Chagres» (C.I.J.
Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le 23 décembre
1906, p. 379) concernaient la guerre en cours, la sécurité et la défense des

côtes ainsi que la répression du commerce illicite.

98. En outre, un capitaine général d’une capitainerie ou un gouverneur
d’une province pouvaient être appelés, à tout moment, à exercer des acti-
vités de toutes sortes sur terre comme en mer. A ce propos, les instruc-

tions royales du 23 août 1745 au colonel Juan de Vera sont particulière-
ment instructives (ibid., p. 385). En outre, les instructions pouvaient
autoriser l’exercice de compétences au-delà de la zone des 6 milles,
comme le Nicaragua lui-même le reconnaît implicitement dans le passage
suivant de sa réplique:

«[L]es ordres donnés par le monarque à ces capitaines généraux et

autres représentants de combattre les actes de piraterie, les corsaires
et la contrebande dans une zone géographique plus ou moins définie
ne sauraient en aucun cas être assimilés à des actes d’attribution d’une
compétence territoriale sur la haute mer.» (RN, p. 66, par. 4.61.)

99. Ainsi, dans un même espace, qu’il soit terrestre ou maritime,
coexistaient plusieurs juridictions, chaque titulaire exerçant l’activité ou
la fonction qui lui était dévolue par la législation générale ou les instruc-

tions particulières du monarque. Les conflits de juridictions étaient fré-
quents. Ils étaient résolus par l’autorité supérieure et, en dernière ins-
tance, par le roi lui-même.

*

100. Finalement, le Nicaragua s’est rabattu sur l’indivision des eaux de
l’espace maritime des 6 milles de la mer territoriale. Il l’a fait dans les
termes suivants:

«[L]a seule chose que l’on puisse dire est que, à la date de l’indé-
pendance, une souveraineté conjointe des républiques riveraines se

produisit sur les eaux de la Couronne [espagnole] ... et perdure tant
que l’on ne procédera pas à une délimitation des espaces correspon-
dant à chacune d’elles.» (CR 2007/3, p. 35, par. 82.)

Cela équivaut à admettre qu’il y a bel et bien eu succession de la Répu-
blique du Nicaragua et de la République du Honduras aux 6 milles
d’eaux territoriales de la période coloniale au large du cap Gracias a Dios

en vertu du principe de l’uti possidetis juris, sans préjudice du partage
entre les Parties de ces eaux qui, d’après le Nicaragua, restait à effectuer.

101. Disons à ce propos que, dans la zone de mer territoriale à déli-
miter entre les côtes continentales des Parties dans la présente affaire, les

circonstances juridiques et de géographie physique et politique ne sont

156812 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

pas celles du golfe de Fonseca. L’indivision, sans plus, ne signifie pas que
l’on soit devant une situation de souveraineté conjointe. Pour cela, il faut

encore que les eaux indivisées en question se trouvent placées dans une
situation ou une structure de communauté qui n’existe pas en l’espèce .La
Chambre de 1992 a été très claire à cet égard (Différend frontalier ter-
restre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (inter-

venant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 599, par. 401).

*

102. Les conclusions des avis d’experts soumis par le Honduras m’ont

conforté dans ma conviction — fondée sur l’ensemble de la documenta-
tion de l’affaire — que la ligne du 15 parallèle nord (c’est-à-dire la pro-
jection en mer du parallèle correspondant environ au cap Gracias a Dios)
était — au moins au cours du XVIII siècle — la ligne de division entre

les juridictions de l’une et de l’autre province coloniale considérée, y com-
pris pour les 6 milles d’eaux territoriales de l’époque (décret royal du
17 décembre 1760).
103. L’état de choses qui existait sur place en 1821 correspondait à

l’évidence, cela tombe sous le sens lorsqu’on lit le dossier judiciaire de
l’affaire, à une situation où d’après le principe de droit international de
l’uti possidetis juris la ligne du parallèle passant par le cap Gracias a Dios
faisait fonction de ligne de partage pour la zone des 6 milles des anciennes

eaux territoriales de l’époque coloniale entre les nouvelles républiques
dans la mer de Caraïbes.
104. Les parties le savaient bien en 1821, comme le prouve la note
diplomatique de 1844 (paragraphe 47 de la présente opinion), et la sen-

tence arbitrale de 1906 le leur confirma. Il est vrai qu’aucune des Parties
n’a soumis à la Cour des documents ou des cartes espagnoles concernant
le tracé d’une ligne de division de la zone des 6 milles le long du 15 paral-
lèle, mais les deux parties ont, dès le lendemain de l’indépendance, agi

comme si une telle division maritime existait véritablement entre les deux
provinces à l’époque coloniale.
105. Ce constat confirmé, il n’y a plus lieu de procéder à d’autres
recherches. La conduite des Parties est désormais l’expression authen-

tique de l’uti possidetis juris de 1821. Comme la Chambre de la Cour de
1992 l’a déclaré, si l’uti possidetis juris est susceptible d’être interprété par
un traité ou par la décision d’un juge ou arbitre international, on voit mal
pourquoi il ne pourrait pas l’être par le biais d’un acquiescement ou
d’une reconnaissance des Parties (C.I.J. Recueil 1992, p. 401, par. 67).

106. Finalement, l’arrêt semble ne pas se soucier du tout du fait que
l’uti possidetis juris est un principe d’application automatique (C.I.J.
Recueil 1992, p. 565, par. 345). Lors de l’indépendance, les limites des
divisions administratives coloniales, terrestres ou maritimes en cause sont

transformées en frontières internationales «by operation of the law» .
Aucun acte de volonté complémentaire n’est nécessaire.
107. En outre, depuis la démarcation effectuée en 1962 par la commis-

157813 DIFFÉREND (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

sion mixte (OEA), les Parties savent aussi que le point terminal de la
frontière terrestre résultant de l’uti possidetis juris se trouve dans le che-

nal principal de l’embouchure du fleuve Coco dans la mer, à proximité du
cap Gracias a Dios, par exactement 14°59,8′ de latitude nord (14°59′48″
de latitude nord) et 83°08,9′ de longitude ouest (83°08′54″ de longitude
ouest), ce chenal principal étant «easterly oriented» (voir rapport et carte

de ea commission mixte), c’est-à-dire dans la direction vers le large du
15 parallèle de latitude nord environ.

*

108. Mais l’arrêt est d’un avis différent de celui de l’auteur de la pré-
sente opinion. En effet, au paragraphe 232, la Cour exige davantage de la
part du Honduras sur le plan de la preuve. Pour la Cour, le Honduras
aurait dû démontrer que la frontière maritime devrait suivre le 15 paral-

lèle à partir du cap Gracias a Dios et produire la preuve que la puissance
coloniale avait utilisé dans ce cas particulier les parallèles et les méridiens.
109. Or, ce standard est trop strict s’agissant d’apprécier une situation
d’uti possidetis juris concernant deux Etats qui, en 1821, avaient une

même lecture de ce principe pour l’espace maritime concerné. Cela me
confirme dans ma critique de l’arrêt pour avoir opté pour une méthode
un peu trop mécanique et «ahistorique» dans l’appréciation de la preuve
de faits relevant de l’application du principe de l’uti possidetis juris.

110. En conséquence de cette conclusion, l’arrêt considère que le Hon-
duras n’est pas en possession d’un «titre historique» pouvant être invo-
qué en relation avec l’interprétation et l’application de l’article 15 de la
convention des Nations Unies sur le droit de la mer aux fins de la déli-

mitation de la mer territoriale continentale dans la présente affaire. Il va
sans dire que, sur la base des considérations qui précèdent, je suis d’un
avis contraire à cette conclusion de la Cour. En fait, c’est la première rai-
son de mon vote contre les alinéas 2) et 3) du dispositif de l’arrêt.

C. La délimitation ex novo des zones maritimes effectuée par l’arrêt

1. Les revendications maritimes des Parties et la question de la
définition de la «zone en litige»

111. Dans la présente affaire, les Parties ont adopté des approches fon-
damentalement différentes quant à la délimitation de leur «frontière mari-

time unique» dans la mer des Caraïbes. Le Nicaragua affirme qu’il n’existe
pas de frontière maritime et prie la Cour de tracer une ligne frontière. Le
Honduras, pour sa part, soutient qu’il existe actuellement une ligne fron-
tière maritime traditionnelle acceptée le long du 15 parallèle et prie la

Cour de confirmer en conséquence ladite ligne frontière. Ces positions de
principe inspirent les exposés écrits et les plaidoiries respectives de l’une et
de l’autre Partie ainsi que les termes de leurs conclusions finales.

158814 DIFFÉREND OP .DISS .TORRES BERNÁRDEZ )

112. Ainsi, le Nicaragua prie la Cour de dire et juger que

«[l]a bissectrice des lignes représentant les façades côtières des deux
Parties, telle que présentée dans les écritures et à l’audience, et tracée
à partir d’un point fixe situé à 3 milles environ de l’embouchure

du fleuve par 15°02′00″ de latitude nord et 83°05′26″ de longitude
ouest, constitue la frontière maritime unique aux fins de la délimita-
tion des zones en litige de la mer territoriale, de la zone économique
exclusive et du plateau continental dans la région du seuil nicara-

guayen».
113. Le Honduras, pour sa part, prie la Cour de dire et juger que,

«[à] l’est du point situé par 14°59,8 ′ de latitude nord et 83°05,8 ′ de
longitude ouest, la frontière maritime unique séparant les mers terri-
toriales, zones économiques exclusives et plateaux continentaux res-
pectifs du Honduras et du Nicaragua suit le parallèle 14°59′,8de lati-

tude nord, c’est-à-dire la frontière maritime actuelle, ou suit une ligne
d’équidistance ajustée, jusqu’à atteindre la juridiction d’un Etat tiers».

114. Pour la délimitation, une première conséquence de ces revendica-
tions des Parties est que la «zone en litige» qu’elles définissent ne corres-
pond pas avec l’«aire» où la délimitation maritime doit être effectuée
compte tenu de la géographie côtière concernée par la délimitation. En

effet, la ligne bissectrice revendiquée par le Nicaragua sur la base de la
totalité des façades maritimes de l’une ou de l’autre Partie, la ligne du
15 parallèle de latitude nord revendiquée par le Honduras et par exemple
aux fins de l’argument le 80 méridien de longitude ouest dessinent

une «zone en litige» en forme de triangle qui est tout à fait artificielle en
ce sens qu’elle se trouve déconnectée de la réalité des circonstances géo-
graphiques, juridiques ou historiques d’une affaire relative à la délimita-
tion des espaces maritimes se trouvant situés au nord et au sud de

l’embouchure dans la mer du fleuve Coco au cap Gracias a Dios.
115. La majorité de la Cour semble présupposer qu’un partage égal,
ou presque, du triangle ci-dessus constituerait, dans les circonstances de
l’espèce, un résultat équitable. Je ne le pense pas. Il est vrai que le ratio

entre les zones du triangle ci-dessus attribuées au Nicaragua et celles
attribuées au Honduras est d’environ 3:4 (1:1,3) en faveur du Honduras
(dont une extension importante en qualité de mer territoriale à cause des
îles). Mais l’on ne saurait négliger le fait que, si la bissectrice revendiquée
par le Nicaragua visait, certes, à étayer son ambition politique relative-
e
mene récente (1994-1995) d’aller au-delà du 82 méridien et d’atteindre le
17 parallèle au voisinage du banc de Rosalinda, il lui manquait la crédi-
bilité juridique car la bissectrice en question était fondée 1) sur l’ensemble
de façades maritimes de l’un et de l’autre Etat indépendamment de leur

rapport avec l’aire de la délimitation et, en outre, 2) ces façades côtières
étaient remplacées par des lignes droites sans relation avec la géographie
physique de la côte.

159815 DIFFÉREND OP .DISS .TORRES BERNÁRDEZ )

116. Le demandeur, le Nicaragua, a procédé en invoquant en faveur
de sa bissectrice l’équité ou des principes équitables en rapport avec la

délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive,
tout en laissant dans l’arrière-plan les singularités de la délimitation de la
mer territoriale. Pour sa part, le Honduras a défendu la ligne maritime
traditionnelle le long du 15 parallèle comme frontière entre le cap Gra-
e
cias a Dios et le 82 méridien pour les trois zones maritimes en litige.
117. Pour la définition de la «zone en litige», la ligne bissectrice reven-
diquée par le demandeur constitue un artifice source en l’espèce d’une
distorsion, d’un effet inéquitable. L’arrêt ne corrige pas cet effet. Il ne
décourage donc pas cette sorte de revendications des Etats. Il convient

d’ajouter que la position principale du défendeur n’a pas aidé non plus à
rétablir dans un premier moment une définition plus équilibrée de la
«zone en litige» en ce qui concerne la limite sud de ladite zone (la conclu-
sion alternative hondurienne d’une ligne d’équidistance ajustée fut sou-

mise à l’audience). Ainsi, les lignes demandées, au premier chef, par les
Parties ont eu pour conséquence que la zone de chevauchement de leurs
revendications respectives est située au nord du 15 parallèle.

2. Le droit applicable à la délimitation maritime

118. Le Honduras (5 octobre 1993) et le Nicaragua (3 mai 2000) étant
devenus parties à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer

de 1982, la convention est maintenant en vigueur entre les Parties. Les
articles pertinents de la convention sont donc applicables en tant que droit
conventionnel dans le présent différend tel que le déclare très correcte-
ment l’arrêt (par. 261). Cependant, le poids des traditions étant ce qu’il

est, l’économie de l’arrêt dans son ensemble s’inspire davantage de la
jurisprudence que du texte de la convention. Par exemple, il est difficile-
ment explicable, en vue des problèmes géomorphologiques posés par
l’embouchure du fleuve Coco, que l’arrêt garde le silence sur les articles 7,

alinéa 2, et 9 de la convention. En revanche, les citations de la jurispru-
dence sont abondantes au détriment souvent de la singularité de la déli-
mitation de la mer territoriale.

3. Zones à délimiter et méthodologie adoptée par l’arrêt: l’abandon de
l’équidistance et de la délimitation par étapes en faveur de la
méthode de la bissectrice

119. Dans le paragraphe 262, l’arrêt se penche sur les diverses zones

maritimes à délimiter par la Cour par une frontière maritime unique et
arrive à certaines conclusions sur la méthodologie à appliquer aux fins de
la délimitation. L’arrêt reconnaît: 1) que, dans les parties occidentales de
la zone à délimiter, les côtes continentales des Parties sont adjacentes et

que sur une certaine distance la frontière délimitera exclusivement eeurs
mers territoriales ; 2) que les quatre îles en litige au nord du 15 parallèle
attribuées par l’arrêt au Honduras ainsi qu’Edinburgh Cay, la caye nica-

160816 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

e
raguayenne située au sud du 15 parallèle, peuvent engendrer leur propre
mer territoriale pour l’Etat côtier. Il précise également que ni l’une ni
l’autre Partie n’a revendiqué pour ces îles de zone maritime au-delà de la
mer territoriale.

120. Je suis d’accord avec ces précisions, mais le suis beaucoup moins
avec les conclusions de l’arrêt sur la méthodologie à suivre pour détermi-
ner le tracé de la frontière maritime unique, certes non sur le plan des
principes, mais sur leur application en l’espèce. Ainsi, j’admets parfaite-
ment que, pour s’acquitter de sa tâche, la Cour doive appliquer d’abord

et avant tout les règles qui ont trait à la délimitation de la mer territo-
riale, sans oublier que sa tâche ultime consiste à tracer une limite mari-
time unique qui soit valable aussi à d’autres fins.

121. Mais là n’est pas ce que fait l’arrêt. En effet, celui-ci va écarter

d’emblée la méthode de l’équidistance spécifiquement et expressément
mentionnée à l’article 15 (délimitation de la mer territoriale) de la conven-
tion sur le droit de la mer de 1982 en invoquant l’existence de «circons-
tances spéciales» pour se placer, ensuite, dans le cadre des règles de la

convention relatives à la délimitation de la zone économique exclusive
(art. 74) et du plateau continental (art. 83) — lesquelles n’imposent au
juge, en l’absence d’accord entre les parties, que la condition de procéder
«conformément au droit international tel qu’il est visé à l’article 38 du
Statut de la Cour international de Justice, afin d’aboutir à une solution

équitable» —, voire même dans le cadre de la règle coutumière dite «des
principes équitables et des circonstances pertinentes» (arrêt, par. 271).

122. Par conséquent, les efforts déployés ces dernières années pour
rendre plus objectives les décisions judiciaires relatives à des délimitations

maritimes moyennant le tracé, dans une première étape, d’une ligne
d’équidistance provisoire, quitte, dans un deuxième temps, à l’ajuster à la
lumière de «circonstances spéciales» ou de «circonstances pertinentes»,
se trouvent écartés. L’on revient donc à l’idée que chaque délimitation

est un unicum, c’est-à-dire que l’on retombe dans le pragmatisme et la
subjectivité.
123. Le moins que l’on puisse dire est que l’arrêt ne place pas la mé-
thode de l’équidistance au cŒur de la démarche qu’il convient de suivre
dans la présente affaire pour le tracé d’une frontière maritime unique,

sauf en ce qui concerne le segment délimitant la mer territoriale des îles.
Selon l’arrêt, une série de difficultés empêchait la Cour de définir des
points de base et de construire une ligne d’équidistance provisoire pour
établir la frontière maritime unique délimitant les espaces maritimes au

large des côtes continentales des Parties (arrêt, par. 280). Voyons quelles
sont ces «difficultés».
124. En premier lieu, l’arrêt rappelle que ni l’une ni l’autre des Parties
ne fait valoir à «titre principal» qu’une ligne d’équidistance provisoire
constituerait la méthode de délimitation la plus indiquée, pour reconnaî-

tre ensuite qu’en effet le Honduras a présenté à l’issue de ses plaidoiries

161817 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

une ligne d’équidistance provisoire comme «solution de rechange» par
rapport à sa ligne de prédilection qui est le 15 parallèle. Il s’agit d’une
ligne (d’azimut 78°48′ environ) tracée à partir de deux points de base

situés sur la laisse de basse mer du point apparaissant, d’après une pho-
tographie satellite récente, comme le plus oriental des côtes continentales
hondurienne et nicaraguayenne au cap Gracias a Dios. Cette ligne était
ajustée par le Honduras pour tenir compte de la mer territoriale de
12 milles des cayes situées au nord et au sud du 15 parallèle (voir arrêt,

par. 276).
125. La position des Parties sur la méthode de l’équidistance est loin
d’être la même. L’une des Parties, le Honduras, a présenté comme l’on
vient de le dire une ligne d’équidistance provisoire tracée à partir de deux

points de base situés sur les côtes continentales de l’une et de l’autre des
Parties et a en outre demandé à la Cour dans ses conclusions finales, à
titre alternatif à la ligne du 15 parallèle, une ligne d’équidistance ajustée .
Le Nicaragua en revanche a soutenu tout au long de la procédure, ainsi

que dans ses conclusions finales, que la présente affaire n’était pas de
celles dans lesquelles la méthode de l’équidistance et des circonstances
spéciales ou pertinentes serait appropriée aux fins de la délimitation à
effectuer, à cause, selon lui, de l’instabilité de l’embouchure du fleuve
Coco. Pour le Nicaragua, la Cour doit construire l’ensemble de la

frontière maritime unique à partir de la bissectrice de l’angle formé par
deux lignes représentant l’ensemble de la façade côtière des Parties
(d’azimut 52°45′21″).
126. L’arrêt passe ensuite en revue les difficultés d’ordres géographique

et géologique signalées par les Parties. A cet égard, il est souligné que le
cap Gracias a Dios, où prend fin la frontière terrestre, est une projection
territoriale très convexe touchant à un littoral concave de part et d’autre,
au nord et au sud-ouest. Dans une telle configuration géographique, les
deux points de base à situer sur l’une et l’autre rive du fleuve Coco

auraient, d’après l’arrêt, une importance critique dans le tracé de la ligne
d’équidistance et, étant très proches l’un de l’autre, une erreur quelcon-
que dans leur emplacement s’amplifierait tout au long de la ligne d’équi-
distance, en particulier à mesure que celle-ci s’éloignerait vers le large.

Par ailleurs, les sédiments charriés et déposés en mer par le fleuve Coco
conféreraient un morphodynamisme marqué à son delta, ainsi qu’au lit-
toral au nord et au sud du cap. Et l’arrêt de conclure que l’accrétion conti-
nue du cap risque de rendre arbitraire et déraisonnable, dans un avenir

proche, toute ligne d’équidistance qui serait tracée aujourd’hui (arrêt,
par. 277).
127. Enfin, l’arrêt ajoute que les Parties elles-mêmes n’ont revendiqué
ou accepté aucun point de base viable au cap Gracias à Dios et qu’il sub-
siste, apparemment, encore entre les Parties des divergences quant à

l’interprétation et à l’application de la sentence arbitrale rendue en 1906
par le roi d’Espagne au sujet de la souveraineté sur les îlots formés près
de l’embouchure du fleuve Coco et de l’établissement du point extrême
limitrophe commun sur la côte atlantique (arrêt, par. 278 et 279).

162818 DIFFÉREND OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

128. De toutes ces considérations et difficultés signalées dans l’arrêt

pour justifier que la Cour s’abstienne en l’espèce de recourir à la méthode
de l’équidistance, même dans une première démarche provisoire, les
seules qui me semblent éventuellement à retenir en tant que circonstances
«spéciales» ou «pertinentes» sont celles qui concernent la configuration
géographique du littoral de part et d’autre du cap Gracias a Dios et l’ins-

tabilité du delta du fleuve Coco à son embouchure. Il s’agit certainement
de deux circonstances de géographie physique à prendre en considération
dans l’opération de délimitation à effectuer par la Cour, mais aucune
d’elles ne justifie à mon avis l’abandon de la méthode de l’équidistance en
faveur d’une méthode comme celle de la bissectrice, laquelle crée des pro-

blèmes de droit et d’équité bien plus graves que l’équidistance.
129. Le remède préconisé par la convention des Nations Unies sur le
droit de la mer de 1982 en présence de ce type de circonstances physiques
est le recours à la méthode dite des «lignes de base droites» (art. 7 et 9)

pour définir les points de base, et non pas une méthode comme celle de la
bissectrice, incapable dans les circonstances de l’espèce de sauvegarder le
principe de non-empiétement (non-encroachment). Lorsqu’en 1969 la
Cour écarta la méthode de l’équidistance, elle le fit justement pour éviter
que, en raison de la configuration côtière en cause, la ligne d’équidistance

n’ampute des zones situées devant la façade maritime de l’autre Etat. Or,
dans la présente affaire, c’est le contraire qui arrive. En effet, sur le pre-
mier segment de la ligne de délimitation, la méthode de l’équidistance
permettrait de sauvegarder le non-impiétement ou la non-amputation de
zones situées devant la façade maritime de l’une et l’autre des Parties,

alors que, au contraire, la méthode de la bissectrice choisie par l’arrêt se
révèle incapable de le faire pour ce qui est du Honduras.
130. Le fondement macrogéographique inhérent à la méthode de la
bissectrice fait que cette méthode ne se prête pas à des délimitations à
proximité des côtes et, partant, à la délimitation des mers territoriales.

Or, dans la présente affaire, le tracé de la frontière maritime unique, qui
commence sur une certaine distance par délimiter exclusivement les mers
territoriales des deux Etats , passe, du fait de l’application de la méthode
de la bissectrice, trop près de la côte continentale hondurienne. Ce tracé
est par conséquent inéquitable, et il l’est dans une zone maritime où les

intérêts de sécurité et de défense ne peuvent que prévaloir sur des consi-
dérations économiques. C’est une des raisons pour laquelle je rejette
l’application de la méthode de la bissectrice au premier segment de la
ligne de délimitation maritime établie par l’arrêt.
131. Et je le fais d’autant plus que je ne suis pas persuadé du tout de

«l’impossibilité de construire une ligne d’équidistance à partir du conti-
nent» affirmée par l’arrêt (par. 283). Lors de la phase orale, les deux
Parties ont présenté des croquis où étaient représentées diverses lignes
provisoires d’équidistance. Aujourd’hui, les moyens techniques existent
(par exemple, la photographie satellite) pour pouvoir le faire, de même

qu’existent les moyens juridiques (lignes de base droites) pour surmonter,
éventuellement, les difficultés qui pourraient résulter, pour les points de

163819 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

base choisis, de l’instabilité de l’embouchure du fleuve Coco dans un ave-
nir prévisible. Ainsi, je ne considère pas qu’il soit «nécessaire» de s’écar-
ter de la méthode de l’équidistance, pour employer un terme qui figure à
l’article 15 de la convention de 1982.

132. Finalement, je ne puis accepter l’argument selon lequel l’existence
de seulement deux points de base sur la côte continentale concernée du
Honduras et du Nicaragua doit être considérée comme une circonstance
de nature à faire écarter la méthode de l’équidistance. Il s’agit de la tra-
duction de la géographie côtière, et nullement d’un facteur d’inéquité.

Autrement, la Cour, dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritime
entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équato-
riale (intervenant)), n’aurait retenu seulement que deux points de base
«comme points d’ancrage terrestre pour la construction de la ligne d’équi-
distance» (arrêt, C.I.J. Recueil 2002 , p. 443, par. 292). Dans les espaces

maritimes éloignés de la côte, les inéquités éventuelles résultant d’une
application de la méthode de l’équidistance peuvent d’ailleurs être corri-
gées moyennant un ajustement équitable de la ligne provisoire d’équidis-
tance.

4. La bissectrice de l’arrêt et sa construction (façades maritimes)

133. L’arrêt de la Cour n’a retenu aucune des lignes de délimitation
demandées par l’une ou l’autre des Parties. En ce qui concerne le Hon-
e
duras, il écarte la ligne le long du 15 parallèle ainsi qu’une ligne d’équi-
distance ajustée. Mais l’arrêt rejette également la bissectrice de l’angle
formé par deux lignes représentant l’ensemble de la façade côtière de
chaque Etat (d’azimut 52°45′21″) demandée par le Nicaragua, ces
lignes étant des lignes droites construites par le demandeur moyennant

une opération de «rabotage» et de «lissage» de la géographie côtière
hondurienne.
134. Toutefois, l’arrêt a choisi de recourir à la méthode de la bissec-
trice pour définir le tracé de la frontière maritime unique établie par la

Cour elle-même. A cet égard, la Cour commence par admettre que le
recours à une bissectrice — ligne qui divise en deux parts égales l’angle
formé par des lignes représentant la direction générale des côtes — s’est
révélé être une méthode de remplacement valable dans certaines circons-
tances «où il n’est pas possible ou approprié d’utiliser la méthode de

l’équidistance» (arrêt, par. 287). Il convient de noter que la jurisprudence
de la Cour mentionnée à l’appui de cette première conclusion ne concerne
pas des affaires où il était question de délimitation de la mer territoriale.
135. L’arrêt se penche ensuite sur les avantages de l’une et de l’autre

méthode de délimitation ici considérées pour apprécier la «géographie
côtière réelle», concluant que la méthode de la bissectrice tend elle aussi
à exprimer les relations côtières pertinentes, mais qu’elle le fait sur la base
de la macrogéographie d’un littoral représenté par une droite joignant
deux points sur la côte, d’où la nécessité de veiller, en cas de recours à la

méthode de la bissectrice, à ne pas «refaire la nature» (arrêt, par. 289).

164820 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

Ce passage de l’arrêt est un peu trop abstrait. La Cour aurait dû appré-

cier les vertus de la méthode de la bissectrice par rapport à la «configura-
tion des côtes» réellement concernées dans la présente affaire parce
qu’elles donnent sur l’aire où la délimitation doit être effectuée. Car,
comme la doctrine n’a pas manqué de le souligner,

«[l]a méthode de la bissectrice n’est concevable que dans le cas où
deux lignes côtières nettement dessinées forment entre elles un angle
nettement déterminé; sinon elle repose sur des directions côtières

reconstituées artificiellement» (Prosper Weil, Perspectives du droit
de la délimitation maritime, 1988, p. 65).

136. Mais l’arrêt devient plus précis lorsque, après avoir examiné les
diverses circonstances invoquées par le Nicaragua pour justifier en l’espèce
le recours à la méthode de la bissectrice, y compris le caractère équitable
de sa bissectrice, il déclare:

«En l’espèce, la Cour n’est pas convaincue de la pertinence des
facteurs en question et ne les juge pas juridiquement décisifs du point

de vue de la délimitation à effectuer. Les éléments clefs à prendre en
considération sont plutôt la configuration géographique de la côte et
les caractéristiques géomorphologiques de la zone où se trouve le
point terminal de la frontière terrestre. » (Par. 292; les italiques sont
de moi.)

137. Ainsi, il y a dans l’arrêt une symétrie totale entre les motifs qui
ont conduit la majorité à écarter la méthode de l’équidistance et ceux qui

l’ont amenée à adopter la méthode de la bissectrice. Pour ma part, je ne
pense pas que doive nécessairement exister entre ces deux méthodes une
relation de cause à effet ou qu’une bissectrice soit, en l’espèce, le seul
moyen possible pour aboutir à une solution équitable.
138. J’observe plutôt le contraire, car, en termes d’espaces maritimes,

la méthode de la bissectrice fait supporter à une seule Partie, le Hondu-
ras, la charge d’une situation géographique et morphologique partagée
par les deux Parties, car elle existe tout le long de la côte, aussi bien au
nord qu’au sud de l’embouchure du fleuve Coco, ainsi que l’arrêt le recon-
naît lui-même. A cela s’ajoute que l’arrêt ne procède à aucun ajustement

équitable de sa ligne bissectrice en faveur du Honduras pour compenser
cette charge imposée à lui seul.
139. Les considérations de l’arrêt entourant le choix des façades mari-
times des Parties aux fins de l’application par la Cour de la méthode de la
bissectrice ne font ressortir la prise en compte d’aucun facteur d’équité en

faveur du Honduras. Il est vrai que la Cour écarte, on l’a dit, la proposi-
tion du Nicaragua selon laquelle la façade côtière irait, pour le Hondu-
ras, du cap Gracias a Dios à sa frontière avec le Guatemala et, pour le
Nicaragua, du cap Gracias a Dios à sa frontière avec le Costa Rica, parce
que l’angle résultant de cette solution (d’azimut 52°45′21″) «semble bien

trop aigu pour qu’une bissectrice y soit tracée». En fait, la ligne droite
allant du cap Gracias a Dios à la frontière avec le Guatemala telle que

165821 DIFFÉREND (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

proposée par le Nicaragua amputait le Honduras d’une portion impor-

tante de son territoire au nord de la ligne (arrêt, par. 295). Le rejet de
cette ligne n’a donc rien à voir avec l’équité.
La Cour n’a fait que rétablir la géographie côtière réelle du Honduras
rabotée dans la proposition du demandeur. En outre, le choix par la
majorité de la méthode de la bissectrice a eu l’effet d’élargir les côtes per-

tinentes aux fins de la délimitation, car pour appliquer ladite méthode il
faut utiliser des «façades maritimes» à la place des «points de base».
Ainsi, la côte pertinente défendue par le Honduras, à savoir de Cabo
Falso à Laguna Wano, a été écartée au profit des façades maritimes plus
longues.

140. De même, une façade côtière allant du cap Camarón au Rio
Grande créerait aussi, d’après l’arrêt, un déséquilibre, car la totalité de la
ligne serait située sur le Honduras continental, empêchant ainsi l’impor-
tante masse terrestre hondurienne comprise entre la mer et cette ligne de

produire le moindre effet sur la délimitation (par. 297). L’azimut de
l’angle de la bissectrice Camarón-Rio Grande est de 64°92′.
141. Mais la Cour écarte aussi la façade comprise entre Cabo Falso et
Punta Gorda, et ce, bien qu’elle fasse incontestablement face, comme
c’est admis dans l’arrêt, à la zone en litige. Elle le fait, d’après l’arrêt,

parce que sa longueur (quelque 100 kilomètres) ne saurait être suffisante
pour constituer la représentation d’une façade côtière à plus de 100 milles
marins de la côte, surtout si l’on tient compte de la rapidité avec laquelle
la côte hondurienne s’éloigne de la zone à délimiter à partir de Cabo
Falso jusqu’à Punta Patuca et au cap Camarón, Cabo Falso marquant

d’après le Honduras le point principal d’inflexion de la côte du continent
(par. 296).
142. Il faut avoir présent à l’esprit que l’azimut de l’angle de la bissec-
trice Cabo Falso-Punta Gorda est, tout de même, de 70°54′. Mais cela
n’était pas encore suffisant pour la majorité. Finalement, la Cour s’est

arrêtée à une façade côtière hondurienne allant du cap Gracias a Dios
jusqu’à Punta Patuca et à une façade côtière nicaraguayenne allant du
cap Gracias a Dios jusqu’à Wouhnta, que l’arrêt considère comme suffi-
samment longues «pour rendre compte correctement de la configuration
côtière de la zone en litige» (arrêt, par. 298). La bissectrice de l’angle

formé par ces deux façades côtières a un azimut de 70°14′41,25″. C’est
l’azimut de la bissectrice de l’arrêt.
143. Or, si l’on compare cet azimut de l’arrêt avec celui (78°48′ envi-
ron) d’une ligne d’équidistance provisoire tracée à partir de points de
base situés au nord et au sud de l’embouchure du fleuve Coco, l’on cons-

tate que la différence entre les deux azimuts est de plus de 8°. Cela expli-
que beaucoup de choses, y compris mon rejet des deux segments du tracé
de la frontière maritime unique basés sur la bissectrice de l’arrêt. Les dif-
ficultés géographiques et géomorphologiques invoquées par la Cour ne
peuvent pas justifier le choix d’une méthode de délimitation aussi inéqui-

table pour l’une des Parties. Le résultat de l’application de la méthode de
la bissectrice confirme en effet qu’il ne s’agit pas d’un moyen neutre

166822 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

nécessaire pour surmonter des difficultés d’ordre physique communes aux
façades maritimes pertinentes de l’une et de l’autre des Parties.
144. Une différence de 8 degrés environ est une différence énorme. Je

ne saurais l’accepter comme la solution équitable que préconise la conven-
tion des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, surtout lorsqu’elle
vient s’ajouter aux manquements au principe de non-empiétement dans le
premier secteur de la délimitation. Selon moi, après les îles, une solution
équitable serait une ligne d’équidistance tracée à partir du continent

(d’azimut 78°48′ environ) avec, éventuellement, quelques ajustements de
cette ligne vers le nord, mais bien au sud de la ligne bissectrice de l’arrêt
(70°14′41,25″).
145. Disons, enfin, que la côte entre Cabo Falso et Punta Patuca est

une côte hondurienne orientée vers le nord-est qui n’aboutit pas directe-
ment à l’aire ou à la zone à délimiter. J’avais toujours pensé que les côtes
concernées par une délimitation constituaient une donnée géographique
objective qui ne variait pas en fonction de la méthode de délimitation

employée par le juge. Or, dans cet arrêt, ce postulat semble écarté, car les
côtes concernées par la présente délimitation s’allongent ou se rétrécis-
sent en fonction de la méthode choisie, voire, même, de l’azimut retenu.

5. Application de l’équidistance à la délimitation autour des îles

146. Ma critique du tracé de la frontière maritime unique par l’arrêt ne

concerne que les segments qui suivent la bissectrice retenue par la Cour.
Ainsi, elle ne s’applique pas au segment du tracé qui effectue la délimita-
tion autour des îles. Dans ce tronçon de la frontière maritime, la Cour a
procédé à une application parfaite des articles 3, 15 et 121 de la conven-
tion des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, qui constitue le

droit en vigueur entre les Parties. La prétention du Nicaragua d’enclaver
les îles attribuées au Honduras à l’intérieur d’une mer territoriale de
3 milles seulement est, en conséquence, rejetée par l’arrêt.
147. Chacune des îles concernées — Bobel Cay, Savanna Cay, Port

Royal Cay et South Cay pour le Honduras et Edinburgh Cay pour le
Nicaragua — se voit reconnaître une mer territoriale large de 12 milles, et
la zone de chevauchement de ces mers territoriales du Honduras et du
Nicaragua, tant au nord qu’au sud du 15 parallèle, est délimitée par

application de la méthode de l’équidistance. La Cour a tracé d’abord une
ligne d’équidistance provisoire prenant les coordonnées de ces îles comme
points de base de leur mer territoriale, et puis a construit la ligne médiane
dans les zones de chevauchement. Enfin, ayant constaté qu’il n’y avait
pas de circonstances spéciales justifiant un ajustement, elle a adopté cette

ligne provisoire comme ligne de délimieation (par. 304). Le tracé de la
ligne se situe en partie au sud du 15 parallèle, car l’existence d’une limite
maritime quelconque le long de ce parallèle basée sur l’accord tacite des
Parties est écartée par l’arrêt (voir ci-dessus).

167823 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

6. La démarcation de la commission mixte de 1962 et le point de départ

de la frontière maritime unique

148. Les deux Parties ont convenu dans leurs écritures que, compte
tenu du fait que le cap Gracias a Dios avance vers l’est en raison des
dépôts sédimentaires du fleuve Coco, le point de départ de la frontière

maritime à effectuer par la Cour doit être situé à 3 milles marins au large
de l’embouchure du fleuve Coco. Mais subsistaient entre elles deux points
de désaccord: 1) la question de savoir à partir de quel point du fleuve
Coco ces 3 milles devaient être mesurés; et 2) celle de savoir dans quelle
direction ils devaient l’être. En outre, au cours de la phase orale et dans

ses conclusions finales, le Nicaragua a demandé à la Cour de dire et juger
que, «[a]insi que l’a établi la sentence du roi d’Espagne de 1906, le point
de départ de la délimitation est le thalweg de l’embouchure principale du
fleuve Coco, où qu’elle se situe au moment considéré» (arrêt, par. 19).
149. Toutefois, les deux Parties ont laissé à la Cour la tâche de fixer le

point de départ de la frontière maritime. Ce point de départ est fixé en
mer par l’arrêt à 3 milles du point identifié dans le fleuve Coco par la
commission mixte de 1962 comme le voulait le Honduras, mais il est
placé dans la direction et l’azimut de la bissectrice comme le voulait le
Nicaragua (arrêt, par. 311). Les coordonnées du point de départ ainsi

décidé par la Cour sont 15°00′52″ de latitude nord et 83°05′58″ de lon-
gitude ouest (dispositif, al. 2)).
150. Je suis en désaccord quant à l’emplacement de ce point décidé par
l’arrêt car, à mon avis, il aurait dû être un point équidistant des points de
base situés au nord et au sud de l’embouchure du fleuve Coco. Le point

choisi n’est pas un point neutre par rapport aux revendications princi-
pales des Parties. En outre, bien qu’il ne préjuge pas des négociations
ci-dessous entre les Parties, il pourrait tout de même les rendre plus
complexes.
151. En revanche, j’approuve la décision par laquelle la Cour charge

les Parties de convenir du tracé de la ligne de délimitation dans la mer
territoriale entre le point terminal de la frontière terrestre établie par la
sentence arbitrale de 1906 et le point de départ de la délimitation mari-
time du présent arrêt, dans le cadre des négociations menées de bonne foi
(dispositif, al. 4)).

7. Le point terminal de la frontière maritime unique, les traités
bilatéraux et les Etats tiers

152. La solution donnée par l’arrêt à la question de la définition du
point terminal de la frontière maritime pose des problèmes encore plus
sérieux que ceux qui concernent le point de départ. Dans ses écritures, le
Nicaragua explique qu’il trace sa bissectrice jusqu’à la zone de fonds
marins où se trouve le banc de Rosalinda, là où les prétentions d’Etats

tiers entrent en jeu (arrêt, par. 313). Par ailleurs, les conclusions finales
du Nicaragua, tout en passant sous silence le point terminal, renvoient

168824 DIFFÉREND OP . DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

à la délimitation des zones «dans la région du seuil nicaraguayen»
(arrêt, par. 19).
153. Pour sa part, le Honduras indique dans ses écritures que la

Colombie, en vertu de différents traités, a des intérêts auxquels une déli-
mitation qui se poursuivrait au-delà du 82 méridien porterait atteinte.
Toutes les cartes produites par le Honduras considèrent le 82 méridiene

comme le point terminal implicite de la délimitation, y compris celles qui
présentent la ligne d’équidistance provisoire ajustée du Honduras (arrêt,
par. 313). Dans sa troisième conclusion finale, le Honduras prie la Cour

de tracer la frontière maritime «jusqu’à atteindre la juridiction d’un Etat
tiers» (arrêt, par. 19). Or, à la lumière du texte de cette conclusion finale,
ainsi que des écritures et des cartes du Honduras, cette expression ne sau-
rait être interprétée comme modifiant la position selon laquelle le point
e
terminal de la délimitation ne saurait se situer au-delà du 82 méridien.
154. Dans les paragraphes 314 à 319 de l’arrêt, la Cour considère les
différentes possibilités qui s’offrent à elle en ce qui concerne la question

du point terminel de la ligne et examine les éventuels intérêts d’Etats tiers
au-delà du 82 méridien, à savoir ceux de la Colombie et de la Jamaïque.
La Cour arrive à la conclusion qu’elle ne peut tracer une ligne de délimi-
tation qui couperait la ligne établie par le traité conclu entre la Colombie

et la Jamaïque en 1993 au sud du banc Rosalinda, mais peut déclarer que
la délimitation maritime entre le Honduras et le Nicaragua s´étend au-
delà du 82 méridien sans porter atteinte aux droits de la Colombie en

vertu de son traité de 1928 avec le Nicaragua et celui de 1986 avec le
Honduras.
155. Ainsi, l’arrêt affirme que

«la Cour peut donc, sans pour autant indiquer de point terminal
précis, délimiter la frontière maritime et déclarer que celle-ci s’étend
e
au-delà du 82 méridien sans porter atteinte aux droits d’Etats tiers»
(arrêt, par. 319, et p. 761, croquis n 7, arrêt).

A mon grand regret, je ne saurais être aussi certain que l’arrêt sur cette
conclusion. Que la Cour puisse «délimiter la frontière maritime» dans

la erésente affaire est une chose, mais qu’elle puise le faire au-delà du
82 méridien sans porter atteinte aux droits d’Etat tiers en est une autre.
156. Il est vrai que, dans ses motifs, l’arrêt ajoute la précision impor-
tante suivante: «l’examen auquel [la Cour] a procédé de ces divers inté-

rêts est sans préjudice de tous autres intérêts légitimes d’Etats tiers dans
la zone» (arrêt, par. 318). Ainsi, les intérêts légitimes d’Etats tiers «dans
la zone» délimitée par l’arrêt sembleraient être dûment protégés. Mais il

reste la question des droits et intérêts légitimes d’Etats tiers dans des espa-
ces maritimes limitrophes de la zone délimitée. La présence du Nicaragua
au nord du 15 parallèle et à l’est du 82 méridien ne peut que porter
atteinte aux droits et intérêts de la Colombie, car cette dernière n’est plus

protégée par la ligne de délimitation du traité de 1986 avec le Honduras
et, en conséquence, est exposée à des revendications du Nicaragua au sud
et à l’est de ladite ligne de délimitation. C’est la raison pour laquelle, à

169825 DIFFÉREND OP .DISS .TORRES BERNÁRDEZ )

mon avis, la délimitation de l’arrêt au-delà du 82 méridien risque de por-
ter atteinte aux droits et intérêts juridiques d’un Etat tiers qui n’a pas

participé dans la présente instance. e
157. En outre, je suis également opposé à délimiter au-delà du 82 méri-
dien parce que le Honduras a invoqué dans la présente affaire le traité
avec la Colombie de 1986 qui est toujours en vigueur entre ces deux Etats

et enregistré au Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies. Or, la
délimitation de l’arrêt ne tient pas compte de ce traité conclu entre le
défendeur dans la présente instance et un Etat tiers. Cela est surprenant.
Pourquoi? Parce que le différend sur le traité en question n’a pas été ins-
crit par le demandeur, le Nicaragua, dans l’objet du différend défini dans

sa requête introductive de la présente instance, pas davantage qu’il n’a,
dans ses conclusions finales, demandé à la Cour de se prononcer sur un
aspect juridique quelconque du différend entre les Parties concernant
ledit traité.
e
158. A la lumière de ces considérations, aller au-delà du 82 méridien
équivaut, implicitement, à prendre position sur un différend qui ne fait
pas partie de l’objet du présent litige et, en conséquence, non plaidé par
les Parties au cours de la présente instance. Or, cela soulève aussi une

question d’ordre juridictionnel qui mériterait une considération particu-
lière que l’on ne trouve nulle part dans l’arrêt. Une ligne de délimitation
maritime en tant que telle ne saurait régler un différend relatif au droit
des Etats à conclure des traités (treaty-making power des Etats) et à la

validité des traités.
159. La Cour peut-elle, dans le cadre de la présente instance, adopter
des décisions sur la délimitation maritime entre les Parties ayant pour
effet de laisser de côté à toutes fins utiles le traité de 1986 entre le Hon-

duras et la Colombie sans déterminer au préalable le statut de cet instru-
ment conventionnel? Je ne le pense pas, car, d’après les articles 74 et 83
de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, la déli-
mitation de la zone économique exclusive et du plateau continental doit

être effectuée «conformément au droit international tel qu’il est visé à
l’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice , afin d’aboutir
à une solution équitable».

8. Conclusion

160. J’ai voté contre les alinéas 2) et 3) du dispositif de l’arrêt parce
que j’ai la conviction que la ligne de délimitation maritime unique de
l’arrêt n’est pas tout à fait conforme aux prescriptions pertinentes de la

convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, sauf en ce
qui concerne le tronçon autour des îles (deuxième tronçon de la ligne).

161. Pour ce qui est du premier tronçon qui commence en délimitant

sur une certaine distance la mer territoriale continentale des Parties, il est
évident que la règle générale de l’équidistance de l’article 15 de la conven-
tion de 1982 n’a pas été appliquée. Elle a été écartée pour la première fois

170826 DIFFÉREND OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

dans la jurisprudence de la Cour relative à la mer territoriale, et dès le
début de l’opération de délimitation, au profit d’une bissectrice incapable
d’assurer le principe de non-empiétement (non-encroachment) pour ce

qui est des côtes continentales honduriennes. Dans l’arrêt, la méthode de
la bissectrice choisie est justifiée par la considération selon laquelle la
configuration des côtes continentales et l’instabilité de l’embouchure du
fleuve Coco constitueraient une «circonstance spéciale» au sens de
l’exception de la deuxième phrase dudit article 15. Je ne peux pas accepter

cette justification, car le remède de la convention de 1982 pour ces situa-
tions n’est pas la méthode de la bissectrice mais celle de lignes de base
droites (convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982,
art. 7, par. 2, et 9). Cela étant, et l’arrêt ayant rejeté les titres historiques

(uti possidetis juris) invoqués par le Honduras, il n’est pas du tout
«nécessaire» de délimiter la mer territoriale considérée autrement que par
la ligne médiane (méthode de l’équidistance) de la règle générale de l’ar-
ticle 15 de la convention de 1982.

162. En ce qui concerne le troisième tronçon, qui délimite seulement la
zone économique exclusive et le plateau continental, la bissectrice de
l’arrêt n’est pas à même non plus, à mon avis, d’aboutir à une solution
équitable. Tout d’abord, la construction de la bissectrice rend nécessaire
de faire intervenir une côte hondurienne (entre Cabo Falso et Punta

Patuca) qui n’aboutit pas directement sur l’aire de la délimitation. En
deuxième lieu, et surtout, l’azimut de l’angle de la ligne bissectrice de
l’arrêt ne trouve de justification ni dans la relation entre les côtes directe-
ment visées par la délimitation, ni dans les circonstances historiques du

différend. Une ligne bissectrice dont l’azimut de l’angle favorise l’une des
Parties de plus de 8° environ que l’azimut de l’angle de la ligne d’équi-
distance provisoire établie à partir des points de base situés au nord et au
sud du fleuve Coco n’est pas un résultat équitable, car en l’espèce l’arrêt
n’invoque aucune «circonstance pertinente» qui justifierait un ajustement

de la ligne d’équidistance provisoire d’une telle envergure. Cela est par-
ticulièrement vrai lorsque l’on tient compte du fait que la circonstance de
l’instabilité des côtes et de l’embouchure mentionnée ci-dessus est com-
mune aux façades maritimes de l’un et de l’autre Etat. Finalement, le fait

que la ligne de délimitation du troisième tronçon se prolonge au-delà du
82 méridien soulève des questions d’ordre juridictionnel relatives au
traité conclu en 1986 entre le Honduras et la Colombie et aux droits et
intérêts juridiques de la Colombie dans les espaces maritimes situés au

sud et à l’est de la délimitation effectuée par ce traité.

(Signé) Santiago T ORRES B ERNÁRDEZ .

171

Bilingual Content

782

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC TORRES
BERNÁRDEZ

Introduction — I. Le différend territorial: A. Le droit applicable à la déter-
mination de la souveraineté sur les îles en litige: l’ uti possidetis juris, les effec-
tivités postcoloniales et l’acquiescement; B. La décision de l’arrêt et les effec-
tivités postcoloniales; C. L’ uti possidetis juris du Honduras dans les îles en
litige; D. L’«adjacence» invoquée par le Nicaragua; E. L’acquiescement du
Nicaragua; F. Conclusion — II. La délimitation de zones maritimes par une

frontière maritime unique: A. Le rejet de la «frontière maritime traditionnelle»
revendiquée par le Honduras; B. La non-application par l’arrêt de la succession
aux eaux territoriales de la période coloniale en vertu de l’ uti possidetis juris;
C. La délimitation ex novo des zones maritimes effectuée par l’arrêt: 1. Les
revendications maritimes des Parties et la question de la définition de la «zone
en litige»; 2. Le droit applicable à la délimitation maritime; 3. Zones à déli-
miter et méthodologie adoptée par l’arrêt: l’abandon de l’équidistance et de la
délimitation par étapes en faveur de la méthode de la bissectrice; 4. La bissec-
trice de l’arrêt et sa construction (façades maritimes); 5. Application de l’équi-
distance à la délimitation autour des îles; 6. La démarcation de la commission
mixte de 1962 et le point de départ de la frontière maritime unique; 7. Le point
terminal de la frontière maritime unique, les traités bilatéraux et les Etats tiers;

8. Conclusion.

INTRODUCTION

1. J’ai voté en faveur de la décision de l’arrêt aux termes de laquelle la
République du Honduras a la souveraineté sur Bobel Cay, Savanna Cay,

Port Royal Cay et South Cay (dispositif, al. 1)) parce que j’estime—àla
lumière des plaidoiries, ainsi que des éléments de preuve et des informa-
tions présentés par les Parties — que ces îles, situées toutes au nord du
15 parallèle, appartiennent au Honduras pour trois motifs, à savoir:
a) la possession par le Honduras d’un titre juridique sur les îles en vertu

de l’uti possidetis juris de 1821 applicable entre les Parties; b) les effecti-
vités postcoloniales exercées par le Honduras à titre de souverain sur les
îles ainsi que dans la mer territoriale les entourant et l’absence d’effecti-
vités du Nicaragua; et c) l’acquiescement du Nicaragua à la souveraineté
hondurienne sur les îles jusqu’à la revendication tardive contenue dans

le mémoire que le demandeur a déposé dans la présente instance le
21 mars 2001.
2. La souveraineté du Honduras sur les îles bénéficie donc, d’après
nous, d’une triple assise juridique. Or, selon les motifs de l’arrêt, le Hon-
duras n’a la souveraineté sur les îles que sur la base des effectivités post-

coloniales. Comme il est exposé dans le raisonnement, d’après la majo-
rité, il n’existerait pas suffisamment d’éléments de preuve pour permettre

127 782

DISSENTING OPINION OF JUDGE AD HOC TORRES
BERNÁRDEZ

[Translation]

Introduction — I. The territorial dispute: A. The applicable law for deter-
mining sovereignty over the disputed islands: uti possidetis juris, post-colonial
effectivités and acquiescence; B. The decision in the Judgment and post-colonial
effectivités; C. Honduras’s uti possidetis juris in the disputed islands; D. “Adja-
cency” relied on by Nicaragua; E. Acquiescence by Nicaragua; F. Conclu-
sion — II. Delimitation of the maritime areas by a single maritime boundary:
A. The rejection of the “traditional maritime boundary” claimed by Honduras;
B. Non-application by the Judgment of succession to the territorial waters from
the colonial period under uti possidetis juris;C.Theex novo delimitation of
maritime areas effected by the Judgment: 1. The Parties’ maritime claims and
the question of defining the “area in dispute”; 2. The law applicable to maritime

delimitation; 3. Areas to be delimited and the methodology adopted by the
Judgment: the abandonment of equidistance and delimitation in stages in favour
of the bisector method; 4. The bisector in the Judgment and its construction
(coastal fronts); 5. Application of equidistance to the delimitation around the
islands; 6. The demarcation by the Mixed Commission of 1962 and the starting-
point of the single maritime boundary; 7. The endpoint of the single maritime
boundary, bilateral treaties and third States; 8. Conclusion.

INTRODUCTION

1. I have voted in favour of the decision in the Judgment to the effect
that sovereignty over Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay and
South Cay lies with the Republic of Honduras (subparagraph (1) of the
operative clause), as it is my view — in the light of the oral arguments, as
well as the evidence and information submitted by the Parties — that

these islands, all lying north of the 15th parallel, belong to Honduras for
three reasons: (a) Honduras possesses a legal title to the islands pursu-
ant to the uti possidetis juris position in 1821, which applies as between
the Parties; (b) the post-colonial effectivités exercised by Honduras à
titre de souverain over the islands and in the territorial sea around them
and the absence of effectivités of Nicaragua; and (c) Nicaragua’s acqui-

escence in Honduras’s sovereignty over the islands until the belated asser-
tion of a claim in the Memorial filed by the Applicant in the present
proceedings on 21 March 2001.
2. Thus, in my view, the legal basis for Honduras’s sovereignty over
the islands is threefold. However, according to the reasoning set out in

the Judgment, Honduran sovereignty over the islands is based solely on
the post-colonial effectivités. As is explained in that reasoning, the major-
ity deems that the evidence is insufficient to allow for ascertaining which

127783 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

de déterminer laquelle des deux Parties aurait hérité du titre espagnol sur
les îles en vertu du principe de l’uti possidetis juris, ni la preuve d’un
acquiescement quelconque du Nicaragua à la souveraineté du Honduras

sur les îles. Je suis en désaccord avec ces conclusions négatives de la
majorité à cet égard, tout en convenant que le Honduras a aussi la sou-
veraineté sur les îles sur la base des effectivités postcoloniales.
3. Il en découle que les considérations ci-dessous concernant le «diffé-
rend territorial» constituent un exposé ayant un caractère individuel et

non pas dissident. La raison pour laquelle la présente opinion est une
«opinion dissidente» est ailleurs, à savoir dans la «délimitation mari-
time» car, en effet, dans ce dernier domaine, à une exception près, je suis
tout à fait en désaccord avec les décisions, et les motifs à l’appui, de la

majorité, ce qui explique mes votes contre les alinéas 2) et 3) du dispositif
de l’arrêt.
4. L’exception, dont je reconnais l’importance, concerne la délimita-
tion de la mer territoriale effectuée par l’arrêt autour des îles, car cette

délimitation est pleinement conforme aux prescriptions en la matière de
la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 applicable
entre les Parties. S’il y avait eu un vote séparé sur ce segment du tracé de
la frontière maritime unique, j’aurais voté en sa faveur. Ainsi, mon vote
contre l’alinéa 3) dans son ensemble doit être compris comme comportant

une réserve car j’approuve entièrement le parcours de la ligne de délimita-
tion autour des îles.
5. Finalement, j’ai voté en faveur de l’alinéa 4) du dispositif car
j’estime que, dans les circonstances de l’affaire, la meilleure solution est

que les Parties conviennent du tracé de la ligne de délimitation dans la
mer territoriale entre le point terminal de la frontière terrestre établi par
la sentence arbitrale de 1906 et le point de départ de la frontière maritime
unique fixé par le présent arrêt.

I. LE DIFFÉREND TERRITORIAL

A. Le droit applicable à la détermination de la souveraineté

sur les îles en litige: l’ uti possidetis juris,
les effectivités postcoloniales et l’acquiescement

6. Face à des tentatives réitérées du demandeur de régler le différend
insulaire moyennant l’application du droit de la mer, l’arrêt réaffirme,

comme il se doit, que la questien de la souveraineté sur les quatre îles en
litige, situées au nord du 15 parallèle, doit être résolue en conformité
avec le droit international relatif à l’acquisition de territoires terrestres.
Or, dans ce domaine, aucun doute n’est aujourd’hui permis sur le rôle du
principe de l’uti possidetis juris, car à l’origine de ce différend insulaire,

on trouve un événement de décolonisation qui a eu lieu en 1821 en Amé-
rique centrale lorsque la République du Nicaragua et la République du
Honduras ont proclamé leur indépendance de l’Espagne. L’adjacence

128 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 783

of the two Parties inherited the Spanish title to the islands by operation
of the principle of uti possidetis juris, and that there is no proof of any
acquiescence by Nicaragua in Honduras’s sovereignty over the islands. I

disagree with the negative findings of the majority in these respects,
whilst agreeing that Honduras also has sovereignty over the islands based
on the post-colonial effectivités.
3. It follows that the discussion below concerning the “territorial dis-
pute” is the statement of a separate, rather than a dissenting, opinion.

The reason why the present opinion is a “dissenting opinion” lies else-
where, namely in the “maritime delimitation”, because on this latter sub-
ject I am in utter disagreement, save on one point, with the majority’s
decisions and supporting reasoning, and this explains my vote against

subparagraphs (2) and (3) of the operative clause of the Judgment.

4. The point in question, and I acknowledge its importance, concerns
the delimitation of the territorial sea surrounding the islands effected by

the Judgment, as this delimitation is in full accord with the relevant pro-
visions of the 1982 United Nations Convention on the Law of the Sea, in
force between the Parties. Had there been a separate vote on that section
of the single maritime boundary, I would have voted in favour of it. Thus
my vote against subparagraph (3) as a whole must be understood as a

qualified one, since I fully endorse the route of the delimitation line
around the islands.
5. Finally, I voted in favour of subparagraph (4) of the operative
clause, as I am of the opinion, given the circumstances of the case, that

the best solution is for the Parties to agree on the course of the delimita-
tion line in the territorial seas between the endpoint of the land boundary
established by the 1906 Arbitral Award and the starting-point of the sin-
gle maritime boundary determined by the present Judgment.

I. THE TERRITORIAL D ISPUTE

A. The Applicable Law for Determining Sovereignty over the Disputed

Islands: Uti Possidetis Juris, Post-colonial Effectivités
and Acquiescence

6. Confronted with repeated attempts by the Applicant to have the
island dispute settled through the application of the law of the sea, the

Judgment rightly reaffirms that the question of sovereignty over the four
islands in dispute, located north of the 15th parallel, must be resolved in
accordance with international law on the acquisition of land territories.
And, in that field, it is no longer possible to question the role of the prin-
ciple of uti possidetis juris, as the dispute over the islands can be traced

back to the decolonization which took place in 1821 in Central America,
when the Republic of Nicaragua and the Republic of Honduras pro-
claimed their independence from Spain. Simple geographic adjacency,

128784 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

géographique tout court, les effectivités postcoloniales et l’acquiescement

ont été aussi invoqués par l’une ou l’autre Partie comme fondement d’un
titre juridique sur les îles en litige.

B. La décision de l’arrêt et les effectivités postcoloniales

7. D’après l’arrêt, les effectivités postcoloniales produites par le Hon-
duras démontrent l’intention et la volonté du défendeur d’agir en qualité
de souverain et constituent, en l’espèce, une manifestation effective suffi-
sante d’autorité étatique sur les quatre îles. En revanche, la Cour n’a
trouvé aucune preuve de l’intention ou de la volonté du Nicaragua d’agir

à titre de souverain pour ce qui est des îles en litige, ni aucune preuve
d’un exercice effectif ou d’une manifestation de son autorité sur l’une
quelconque des quatre îles en cause.
8. Cette conclusion de l’arrêt s’appuie sur les principes généralement

admis dégagés par la jurisprudence de la Cour permanente dans l’affaire
du Statut juridique du Groënland oriental , ainsi que sur la jurisprudence
récente de la Cour actuelle relative aux petites îles habitées de façon non
permanente, inhabitées ou ayant une importance économique modeste
(Qit’at Jaradah; Pulau Ligitan et Pulau Sipadan).

9. Je partage entièrement cette conclusion de l’arrêt, car les éléments
de preuve d’effectivités postcoloniales concernant les îles présentés à la
Cour font pencher résolument la balance du côté du Honduras. Leur
nombre et leur valeur probante sont certes variables, mais l’ensemble est
largement suffisant pour prouver l’intention et la volonté du Honduras

d’agir à titre de souverain, ainsi que l’exercice et la manifestation effectifs
par celui-ci de son autorité sur les îles en litige et dans les eaux adjacentes.
Face à ces effectivités postcoloniales du défendeur, le demandeur n’a pas
été en mesure de prouver l’existence d’une seule effectivité postcoloniale
nicaraguayenne à l’égard des îles en litige.

10. Par ailleurs, dans les circonstances de l’espèce , l’acquisition par le
Honduras d’un titre sur les îles par le biais d’un mode d’acquisition basé
sur les effectivités postcoloniales — c’est-à-dire autonome par rapport à
la situation qui découle de l’uti possidetis juris de 1821 — ne saurait guère
susciter de conflit entre le tenant du titre basé sur les effectivités post-

coloniales et le tenant d’un titre né de l’uti possidetis juris, le Nicaragua
étant, dans les îles, aussi dépourvu d’effectivités postcoloniales qu’il l’est
d’un uti possidetis juris.

C. L’uti possidetis juris du Honduras dans les îles en litige

11. Dès leur indépendance, les Parties acceptèrent librement le prin-
cipe de l’uti possidetis juris qui avait été énoncé quelques années aupara-
vant à la suite d’une initiative politique de Bolivar. Il devait servir de
critère objectif pour faciliter le règlement pacifique des questions terri-

toriales qui se posaient alors, ou pourraient à l’avenir se poser, aux
nouvelles républiques. La République du Honduras et la République du

129 DISPUTE (DISS. OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 784

post-colonial effectivités and acquiescence were also relied upon by one
or other of the Parties as a basis for legal title to the islands in dispute.

B. The Decision in the Judgment and Post-colonial Effectivités

7. According to the Judgment, the post-colonial effectivités demon-
strated by Honduras attest to the intent and will of the Respondent to act
à titre de souverain and constitute in the present case a sufficient and

effective manifestation of State authority over the four islands. In con-
trast, the Court found no evidence of any intent or will on the part of
Nicaragua to act à titre de souverain with regard to the disputed islands,
nor any evidence of the effective exercise or demonstration of its author-
ity over any one of the four islands concerned.

8. The Judgment’s finding is based on generally accepted principles
articulated in the Permanent Court’s decision in the case concerning the
Legal Status of Eastern Greenland , and on the present Court’s recent
jurisprudence on the subject of small islands that are intermittently

inhabited, uninhabited or of slight economic importance (Qit’at Jaradah;
Pulau Ligitan and Pulau Sipadan).
9. I subscribe wholeheartedly to that finding, since the evidence pre-
sented to the Court of post-colonial effectivités concerning the islands
weighs heavily in favour of Honduras. While the various evidentiary

offerings are variable in number and probative value, as a whole they
provide ample proof of Honduras’s intent and will to act à titre de sou-
verain and of the effective exercise and manifestation of its authority over
the islands and in the adjacent waters. Confronted with the Respondent’s
post-colonial effectivités, the Applicant was unable to prove the existence

of a single Nicaraguan post-colonial effectivité in respect of the contested
islands.
10. Moreover, in the circumstances of the present case, the fact that
Honduras obtained title to the islands by a process of acquisition based

on post-colonial effectivités — in other words, separately from the situa-
tion arising from the uti possidetis juris of 1821 — can hardly give rise to
any conflict with the holder of a title based on uti possidetis juris, since
Nicaragua is just as lacking in post-colonial effectivités in the islands as it
is in title by way of uti possidetis juris.

C. Honduras’s Uti Possidetis Juris in the Disputed Islands

11. Upon independence, the Parties freely accepted the uti possidetis
juris principle, which had been formulated a few years earlier following a
political initiative by Simon Bolivar. It was supposed to act as an objec-
tive criterion to facilitate the peaceful settlement of the territorial issues
already outstanding at the time or which could arise in the future for the

new Republics. Both the Republic of Honduras and the Republic of

129785 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

Nicaragua se proclamèrent, l’une et l’autre, Etats successeurs de la Cou-
ronne espagnole pour ce qui était de l’ancienne unité administrative colo-

niale espagnole en Amérique centrale sur le territoire de laquelle elles
s’étaient respectivement établies — à savoir l’ancienne province du Hon-
duras pour la République du Honduras et l’ancienne province du Nica-
ragua pour la République du Nicaragua — initialement en tant qu’Etats

constitutifs de la République fédérale d’Amérique centrale. La disso-
lution de la fédération en 1838-1840 n’entraîna de modifications territo-
riales pour aucune des Parties à la présente instance.
12. La province du Honduras et la province du Nicaragua faisaient
toutes les deux partie, avant 1821, d’une même unité administrative colo-

niale plus vaste, la capitainerie générale de Guatemala, laquelle, à son
tour, faisait partie de la vice-royauté de la Nouvelle-Espagne (Mexique).
Comme il est dit dans la sentence arbitrale rendue le 23 décembre 1906
par Alphonse XIII, roi d’Espagne, dans l’affaire du différend frontalier

entre le Honduras et le Nicaragua:
«les provinces espagnoles du Honduras et du Nicaragua ont été for-

mées par une évolution historique, jusqu’à leur constitution en deux
Intendances distinctes de la capitainerie générale du Guatemala, en
vertu des dispositions de l’Ordonnance royale des Intendants de Pro-
vince de la Nouvelle-Espagne de 1786, appliquée au Guatemala, et

sous le régime de laquelle se trouvaient ces dites provinces-intendan-
ces jusqu’à leur affranchissement de l’Espagne en 1821» (Recueil
international des traités du XX e siècle, Descamps et Renault, 1906,
p. 1030).

13. Lors de leur accession à l’indépendance, la République du Hondu-
ras et la République du Nicaragua ont incorporé le principe de l’uti pos-

sidetis juris dans leurs constitutions respectives et dans leurs traités.
Ainsi, l’article II, paragraphe 3, du traité Gámez-Bonilla du 7 octo-
bre 1894 — base de la délimitation effectuée en 1900-1904 par la commis-
sion mixte créée par l’article I du traité et, plus tard, de celle établie par la

sentence arbitrale du roi d’Espagne du 23 décembre 1906 — énonce de
manière lapidaire l’essence même du principe de l’uti possidetis juris dans
les termes suivants:

«Il sera entendu que chaque république est maîtresse des terri-
toires qui, à la date de l’indépendance, constituaient respectivement
les provinces du Honduras et du Nicaragua.» (Sentence arbitrale

rendue par le roi d’Espagne le 23 décembre 1906 (Honduras c.
Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 1960 , p. 199.)

*
14. Durant le XIX siècle et la première moitié du XX ,’l uti posside-

tis juris fut traité par la doctrine européenne comme une doctrine ou
un principe régional propre aux rapports entre les seules républiques
hispano-américaines, en même temps que se manifestaient de ce côté-

130 DISPUTE (DISS. OP.TORRES BERNÁRDEZ ) 785

Nicaragua declared themselves to be successor States to the Spanish
Crown with regard to the former Spanish colonial administrative unit on
whose territory they were respectively established — namely the former
province of Honduras for the Republic of Honduras and the former

province of Nicaragua for the Republic of Nicaragua — initially as con-
stituent Republics of the Federal Republic of Central America. The dis-
solution of the Federation in 1838-1840 did not lead to any territorial
changes for either of the Parties to the present case.

12. The province of Honduras and the province of Nicaragua were
both, prior to 1821, part of the same, broader colonial administrative
unit, the Captaincy-General of Guatemala, which in turn was part of the
Vice-Royalty of New Spain (Mexico). As was observed in the Arbitral
Award made on 23 December 1906 by Alfonso XIII, the King of Spain,

in the border dispute between Honduras and Nicaragua:

“the Spanish provinces of Honduras and Nicaragua were gradually
developing by historical evolution in such a manner as to be finally
formed into two distinct administrations (intendencias) under the
Captaincy-General of Guatemala by virtue of the prescriptions of

the Royal Regulations of Provincial Intendants of New Spain of
1786, which were applied to Guatemala and under whose régime
they came as administered provinces till their emancipation from
Spain in 1821” (United Nations, Reports of International Arbitral
Awards (RIAA), Vol. XI, p. 112).

13. On succeeding to independence, the Republic of Honduras and the
Republic of Nicaragua incorporated the uti possidetis juris principle into

their respective constitutions and into their treaties. Thus, for example,
Article II, paragraph 3, of the Gámez-Bonilla Treaty of 7 October 1894 —
the basis of the delimitation carried out in 1900-1904 by the Mixed Com-
mission established by Article I of that Treaty and, later, of that estab-
lished by the Arbitral Award made by the King of Spain on 23 Decem-

ber 1906 — pithily expresses the very core of the uti possidetis juris
principle as follows:

“It is to be understood that each Republic is owner of the territory
which at the date of independence constituted, respectively, the
provinces of Honduras and Nicaragua.” (Arbitral Award Made by
the King of Spain on 23 December 1906 (Honduras v. Nicaragua),
Judgment, I.C.J. Reports 1960 , p. 199.)

*

14. During the nineteenth century and the first half of the twentieth
century, uti possidetis juris was viewed by European legal scholars as a
regional doctrine or principle specific to relations between the Latin

American republics alone, with, in Europe, considerable resistance to

130786 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

ci de l’Atlantique de fortes résistances à une application généralisée du prin-

cipe en tant que norme positive de droit international général. Certaines
critiques doctrinales exprimées à l’époque de la sentence du 30 juin 1865
par Isabelle II, reine d’Espagne, en l’affaire de l’île d’Aves entre les Pays-
Bas et le Venezuela traduisent bien ce sentiment (voir P. Lapradelle et
Politis, Recueil des arbitrages internationaux, vol. 2, p. 404-421).

15. Par ailleurs, un certain nombre de sentences arbitrales écartèrent
des arguments s’appuyant, en dernière analyse, sur le principe de l’uti
possidetis juris, au profit de prétendues effectivités aussi fictives que
modestes, comme celle consistant à déclarer la souveraineté sur une île à
bord d’un navire de commerce croisant à environ un demi-mille de l’île en

question et sans laisser sur l’île aucun signe de souveraineté (voir la sen-
tence arbitrale du 28 janvier 1931 au sujet du différend entre la France et
le Mexique relatif à la souveraineté sur l’île de Clipperton, Revue générale
de droit international public , 1932, vol. 39, p. 129-132). Même à une date

beaucoup plus récente, dans l’affaire du Canal de Beagle entre l’Argen-
tine et le Chili (1977), un tribunal arbitral composé de membres de la
Cour internationale de Justice qualifiait encore l’uti possidetis juris de
«doctrine» et non de «principe» (Nations Unies, Recueil des sentences
arbitrales, vol. XXI, p. 81, par. 9).

16. Mais c’est à partir de l’acceptation généralisée par les Etats afri-
cains de l’intangibilité des frontières héritées de la décolonisation que le
principe de l’uti possidetis juris s’est universalisé à tel point qu’en 1986
une Chambre de la Cour internationale de Justice a pu déclarer que

«l’ uti possidetis [était] ... un principe d’ordre général nécessairement
lié à la décolonisation où qu’elle se produise» (Différend frontalier

(Burkina Faso/République du Mali) , arrêt, C.I.J. Recueil 1986 ,
p. 566, par. 23).

En 1992, une autre chambre de la Cour a été appelée à appliquer le prin-
cipe de l’uti possidetis juris au Différend frontalier terrestre, insulaire et
maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)) , clarifiant
par là même différentes questions d’intérêt relatives, notamment, à la
portée territoriale, insulaire et maritime du principe et aux conséquences

inhérentes à son application par des cours et des tribunaux internatio-
naux (arrêt, C.I.J. Recueil 1992 , p. 351). En 1994, dans l’affaire du Dif-
férend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad) , les deux Parties
étaient d’accord pour estimer qu’en vertu du principe de l’uti possidetis
juris le Tchad et la Libye ont hérité de frontières résultant des colonisa-

tions française et italienne.
17. Plus récemment, en 2005, le principe a été appliqué par une autre
chambre de la Cour en l’affaire du Différend frontalier (Bénin/Niger)
(arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 90). Par ailleurs, dans l’affaire de la Déli-
mitation maritime et des questions territoriales entre Qatar et Bahreïn

(Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt (C.I.J. Recueil 2001, p. 40), Bahreïn a
aussi invoqué l’uti possidetis juris en rapport avec l’aspect insulaire du

131 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 786

universal application of the principle as a positive norm of general interna-

tional law. Certain scholarly criticisms made at the time of the Award of
30 June 1865 by Isabella II, the Queen of Spain, in the Aves Island case
between the Netherlands and Venezuela reflect very accurately such sen-
timent (see P. Lapradelle et Politis, Recueil des arbitrages internationaux ,
Vol. 2, pp. 404-421).

15. At the same time, a number of arbitral awards rejected arguments
which, in the final analysis, were based on the uti possidetis juris princi-
ple, in favour of alleged effectivités as far-fetched as they were limited,
such as declaring sovereignty over an island from aboard a merchant ship
cruising some half a mile off the island in question, without leaving any

sign of sovereignty on the island (see the Arbitral Award of 28 Janu-
ary 1931 concerning the dispute between France and Mexico regarding
sovereignty over Clipperton Island, Revue générale de droit international
public, 1932, Vol. 39, pp. 129-132). Even much more recently, in the Bea-

gle Channel case between Argentina and Chile (1977), an arbitral tribunal
composed of Members of the International Court of Justice characterized
uti possidetis juris as a “doctrine” and not a “principle” (United Nations,
RIAA, Vol. XXI, p. 81, para. 9).

16. However, once the intangibility of boundaries inherited upon
decolonization had gained general acceptance among African States, rec-
ognition of the principle of uti possidetis juris became so widespread that
in 1986 a Chamber of the International Court of Justice was able to
state:

“Uti possidetis ...istherefore a principle of a general kind which is
logically connected with this form of decolonization wherever it

occurs.” (Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali), Judg-
ment, I.C.J. Reports 1986 , p. 566, para. 23.)

In 1992, another Chamber of the Court was prompted to apply the uti
possidetis juris principle in the Land, Island and Maritime Frontier Dis-
pute (El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening) ), at the same time
clarifying a number of questions of interest, in particular regarding the
territorial, island and maritime scope of the principle and the inherent

consequences of its application by international courts and tribunals
(Judgment, I.C.J. Reports 1992 , p. 351). In 1994, in the Territorial Dis-
pute (Libyan Arab Jamahiriya/Chad) case, the two Parties were in agree-
ment that, by virtue of the uti possidetis juris principle, Chad and Libya
inherited the frontiers resulting from colonization by France and Italy

respectively.
17. More recently, in 2005, the principle was applied by another
Chamber of the Court in the case concerning the Frontier Dispute (Benin/
Niger) (Judgment, I.C.J. Reports 2005 , p. 90). Elsewhere, in the case
concerning Maritime Delimitation and Territorial Questions between

Qatar and Bahrain (Qatar v. Bahrain) (Merits, Judgment, I.C.J.
Reports 2001, p. 40), Bahrain also raised the uti possidetis juris principle

131787 DIFFÉREND OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

différend, mais la Cour n’a pas eu à l’appliquer, l’affaire n’étant pas liée
à une succession d’Etats. En outre, au cours de ces dernières décennies,
l’utilité pratique du principe a donné lieu à des prises de position doctri-
nales favorables à une extension de son application à des cas de succes-

sion d’Etats autres que la décolonisation (par exemple, à des situations
résultant de la dissolution d’un Etat fédéral).
18. Toutefois, cette sorte de question ne se pose pas dans la présente
affaire, laquelle est liée à un événement précis de décolonisation: la suc-
cession d’Etats qui eut lieu le 15 septembre 1821 lorsque les anciennes

provinces espagnoles du Honduras et du Nicaragua devinrent des Etats
indépendants et souverains.

*

19. L’arrêt confirme que l’uti possidetis juris n’est plus l’une de ces
normes régionales dont l’existence et le contenu doivent être prouvés par
la partie qui l’invoque. Si la Cour reconnaît ainsi (juris novit curiae) l’uti

possidetis juris en tant que principe de droit international général, le pré-
sent arrêt confirme aussi les difficultés que l’application de ce principe
peut rencontrer dans une espèce donnée lorsque le droit interne auquel
renvoie le génitif latin juris est un jus historique comme celui appliqué

par la Couronne espagnole en Amérique pendant plus de trois siècles.

20. L’arrêt confirme aussi que le principe de l’uti possidetis juris ren-
voie à une notion de possession comprise comme la possession d’un droit
ou titre juridique établi dans l’ordre juridique de l’Etat prédécesseur,

indépendamment du fait de l’occupation ou non du territoire en ques-
tion. En outre, d’après l’arrêt, le principe de l’uti possidetis juris est
pertinent aussi bien pour rechercher le titre sur un territoire que pour
déterminer l’emplacement de frontières, ce qui est conforme à la pra-
tique. En d’autres termes, il concerne tant les différends relatifs à une

délimitation proprement dite que ceux relatifs à la détermination du
titulaire du titre sur un espace territorial, insulaire ou maritime donné
(différends d’attribution).
21. Le principe de l’uti possidetis juris est donc parfaitement appli-

cable à la détermination de la souveraineté sur les îles en litige dans la
présente affaire, ce que l’arrêt énonce dans les termes suivants:

«Si les îles ne sont pas terra nullius, ainsi que le reconnaissent les
deux Parties et qu’il est communément admis, l’on ne peut que pré-
sumer qu’elles relevaient de la Couronne espagnole. Toutefois, cela
ne signifie pas nécessairement que le successeur en ce qui concerne

les îles en litige ne pourrait être que le Honduras du fait que celui-ci
est le seul Etat à avoir formellement revendiqué un tel statut.»
(Arrêt, par. 158.)

*

132 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 787

in respect of the island part of the dispute, but there was no need for the
Court to apply it because the case did not involve State succession. Fur-
thermore, over recent decades, the practical usefulness of the principle
has given rise to legal writings in favour of extending its application to

cases of State succession other than those resulting from decolonization
(for example, situations arising from the dissolution of a federal State).
18. However, that kind of problem does not arise in the present case,
which concerns a precise instance of decolonization: the succession of
States which took place on 15 September 1821, when the former Spanish

provinces of Honduras and Nicaragua became independent sovereign
States.

*

19. The Judgment confirms that uti possidetis juris is no longer one of
those regional norms whose substance and existence must be demon-
strated by the party relying on it. While the Court thus recognizes (juris

novit curiae) uti possidetis juris as a principle of general international
law, the present Judgment also confirms the difficulties still encountered
in applying that principle to a particular area when the internal law
referred to by the Latin genitive juris is an historical jus such as that

which the Spanish Crown applied in America over more than three cen-
turies.
20. The Judgment also confirms that the uti possidetis juris principle
refers to a notion of possession understood as possession of a right or
legal title established within the legal order of the predecessor State,

regardless of whether the territory in question was occupied or not. Fur-
thermore, according to the Judgment, the uti possidetis juris principle is
just as relevant to seeking title to a territory as it is to determining the
position of boundaries, which is in accordance with practice. In other
words, it covers disputes over delimitation in the strict sense as well as

those as to the holder of title to a particular land, island or maritime area
(disputes over attribution).

21. The uti possidetis juris principle is thus perfectly applicable to

determining sovereignty over the disputed islands in the present case, as
expressed in the Judgment as follows:

“If the islands are not terra nullius, as both Parties acknowledge
and as is generally recognized, it must be assumed that they had
been under the rule of the Spanish Crown. However, it does not nec-
essarily follow that the successor to the disputed islands could only

be Honduras, being the only State formally to have claimed such
status.” (Judgment, para. 158.)

*

132788 DIFFÉREND OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

22. C’est à partir d’ici — c’est-à-dire de la question de savoir si l’Es-

pagne aurait attribué les îles en litige à la province du Honduras ou à
celle du Nicaragua — que les vues de la majorité et les miennes prennent
des chemins différents. Ce qui nous sépare se situe donc dans le champ
de l’administration de la preuve d’une telle attribution et, en particulier,
de la méthode permettant de mieux l’apprécier à la lumière de la nature

du titre originaire de la Couronne espagnole dans ses territoires améri-
cains et des caractéristiques et finalités de sa législation américaine.
23. A ce propos, il convient d’avoir présent à l’esprit ce que disait une
chambre de la Cour en 1992:

«[I]l faut se rappeler qu’aucune question de frontières internatio-
nales n’a jamais pu venir à l’esprit des serviteurs de la Couronne

espagnole qui ont établi les limites administratives; l’uti possidetis
juris est par essence un principe rétroactif, qui transforme en fron-
tières internationales des limites administratives conçues à l’origine à
de tout autres fins.» (Différend frontalier terrestre, insulaire et mari-
time (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)), arrêt,

C.I.J. Recueil 1992, p. 388, par. 43.)
24. S’agissant de prouver rétroactivement l’uti possidetis juris, il n’est

pas toujours possible de disposer de documents à caractère législatif ou
analogue indiquant de manière précise l’appartenance ou l’étendue des
territoires en cause ou l’emplacement des limites des provinces. Il faut
alors, dans un effort de reconstitution, reprendre l’ensemble des éléments
de preuve et d’information disponibles au travers de critères d’interpréta-

tion historiques et logiques. Ajoutons que les éléments de preuve concer-
nant l’aspect territorial de l’uti possidetis juris sont souvent très utiles aux
fins d’en préciser l’aspect délimitatif et vice versa.
25. Cependant, dans la présente espèce, la recherche et la preuve du
titre sur les îles en litige en vertu de l’uti possidetis juris se trouvent gran-

dement facilitées du fait, notamment, que, dans les motifs de la sentence
arbitrale du 23 décembre 1906 rendue par le roi d’Espagne Alphonse XIII
sur la base du principe de l’uti possidetis juris tel qu’énoncé dans le traité
Gámez-Bonilla de 1894, l’arbitre définit le territoire de la province du
Nicaragua et celui de la province du Honduras à la veille de leur indé-

pendance comme suit:
Province du Nicaragua

«[L]ors de l’organisation du gouvernement et de l’intendance du
Nicaragua en conformité de l’ordonnance royale des intendants

de 1786, ce gouvernement a été composé des cinq partidos de León,
Matagalpa, El Realejo, Suptiaga et Nicoya, et que l’on n’a pas com-
pris dans cette division, pas plus qu’ils n’étaient compris dans la pro-
position faite en 1788 par le gouverneur intendant Don Juan de
Ayssa, les territoires maintenant réclamés par la République du

Nicaragua au nord et à l’ouest du cap de Gracias a Dios, ni constaté
que la juridiction de l’Evêché du Nicaragua arrivât jusqu’à ce cap;

133 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 788

22. It is from this point — i.e., the issue of whether Spain had attrib-

uted the disputed islands to the province of Honduras or to that of Nica-
ragua — that my views part company with those of the majority. Our
differences thus concern the production of evidence of such attribution
and, in particular, how such evidence can be better appreciated in the
light of the nature of the original title of the Spanish Crown in its Ameri-

can territories and the characteristics and goals of its American legisla-
tion.
23. In this respect, it is appropriate to bear in mind what was said by
a Chamber of the Court in 1992:

“it has to be remembered that no question of international bounda-
ries could ever have occurred to the minds of those servants of the

Spanish Crown who established administrative boundaries; uti pos-
sidetis juris is essentially a retrospective principle, investing as inter-
national boundaries administrative limits intended originally for
quite other purposes” (Land, Island and Maritime Frontier Dispute
(El Salvador/Honduras; Nicaragua intervening), Judgment, I.C.J.

Reports 1992, p. 388, para. 43).
24. Where the uti possidetis juris position must be proved retroac-

tively, it is not always possible to obtain legislative or like documents
specifying the ownership or extent of the territories in question or show-
ing the exact location of provincial boundaries. It then becomes neces-
sary, in attempting to reconstruct the position, to take into consideration
all the evidence and additional information made available through his-

torical and logical interpretation. I would add that evidence in respect of
the territorial facet of uti possidetis juris is often very useful in clarifying
the delimitation aspect and vice versa.
25. However, in the present case, identifying and proving title to the
disputed islands pursuant to uti possidetis juris is greatly facilitated by

the fact, in particular, that the King of Spain defined as follows the ter-
ritories of the provinces of Nicaragua and Honduras on the eve of inde-
pendence in the reasoning supporting his Arbitral Award of 23 Decem-
ber 1906, made on the basis of the principle of uti possidetis juris as set
out in the Gámez-Bonilla Treaty of 1894:

Province of Nicaragua

“[O]n the organization of the Government and Administration of
Nicaragua in accordance with the Royal Administrative Statutes of

1786 it consisted of the five districts of Leon, Matagalpa, El Realejo,
Subtiaga, and Nicoya, not comprising in this division nor in that
proposed in 1788 by the Governor and Intendant Don Juan de Ayssa
territories to the north and west of Cape Gracias a Dios, which are
at the present day claimed by the Republic of Nicaragua, there being

no record either that the jurisdiction of the diocese of Nicaragua
reached to that Cape, and whereas it is worthy of note that the last

133789 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

qu’il y a lieu de remarquer que le dernier gouverneur intendant du
Nicaragua, D. Miguel González Saravia, en décrivant la province
qu’il administra, dans son livre Bosquejo político estadístico de Nica-
ragua, publié en 1824, disait que la ligne séparative de cette province

au nord va du golfe de Fonseca, sur le Pacifique, au Río Perlas, sur
la mer du Nord (Atlantique).
[L]a Commission d’examen n’a pas constaté que l’action expan-
sive du Nicaragua se fût étendue au nord du cap de Gracias a Dios,
ni eût atteint par conséquent le cap Camarón; que sur aucune carte,

description géographique et documents étudiés par ladite commis-
sion, il n’est mentionné que le Nicaragua ait atteint ledit cap
Camarón, et que, par conséquent, il n’y a pas lieu de choisir ledit cap
comme limite de la frontière avec le Honduras sur la côte de l’Atlan-
tique, ainsi que le prétend le Nicaragua.» (Recueil international des
e
traités du XX siècle, Descamps et Renault, 1906, p. 1033-1034.)

Province du Honduras

«[L]a démarcation établie pour la province ou intendance de
Comayagua ou du Honduras par la cédule royale susvisée du
24 juillet 1791 est demeurée la même jusqu’à la proclamation de

l’indépendance des provinces du Honduras et du Nicaragua; qu’en
outre, lorsque par décret royal du 24 janvier 1818 le roi approuva le
rétablissement de l’Alcaldía Mayor de Tegucigalpá, avec une cer-
taine autonomie au point de vue économique, cette Alcaldía Mayor
continua à former un partido de la province de Comayagua ou Hon-

duras, dépendant du chef politique de la province; que ce partido
prit part à l’élection, le 5 novembre 1820, d’un député suppléant
pour la province de Comayagua, et qu’il prit part également avec les
autres partidos de Gracias, Choluteca, Olancho, Yoro réuni à Olan-
chito et Trujillo, Tencoa et Comayagua à l’élection de la députation

provinciale du Honduras, élection qui eut lieu le 6 novembre de la
même année 1820.» (Ibid., p. 1032-1033.)

«[Q]u’à une certaine époque on aurait cru que la juridiction du
Honduras s’étendait au sud du cap de Gracias a Dios, la commission
d’examen a découvert que cette extension de souveraineté n’a jamais
été bien déterminée, et qu’en tout cas elle a été éphémère au-dessous

du village et du port du cap de Gracias a Dios, et qu’au contraire
l’action du Nicaragua a été en s’étendant et en s’exerçant d’une
manière positive et permanente jusqu’au dit cap de Gracias a Dios,
et que, par conséquent, il ne convient pas que la limite commune sur
le littoral de l’Atlantique soit Sandy Bay, comme le prétend le Hon-

duras.» (Ibid., p. 1034.)

134 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 789

Governor and Intendant of Nicaragua, Don Miguel González Sara-
via, in describing the province which had been under his rule in his
book Bosquejo Político Estadístico de Nicaragua , published in
1824 stated that the divisionary line of said Province on the north

runs from the Gulf of Fonseca on the Pacific to the River Perlas on
the Northern Sea (Atlantic).
[T]he Commission of investigation has not found that the expand-
ing influence of Nicaragua has extended to the north of Cape Gra-
cias a Dios, and therefore not reached Cape Camarón; and that in

no map, geographical description or other document of those exam-
ined by said Commission is there any mention that Nicaragua had
extended to said Cape Camarón, and there is no reason therefore to
select said Cape as a frontier boundary with Honduras on the Atlan-
tic Coast, as is claimed by Nicaragua.” (Recueil international des
e
traités du XX siècle, Descamps et Renault, 1906, pp. 1033-1034;
English translation of the Award Made by the King of Spain, as
appeared in British and Foreign State Papers, Vol. 100, 1906-1907,
quoted in I.C.J. Pleadings, Arbitral Award Made by the King of

Spain on 23 December 1906 , Vol. I, p. 22.)
Province of Honduras

“[T]he demarcation fixed for the Province or District of Comaya-
gua or Honduras, by virtue of the Royal Decree of the 24 July 1791
continued to be the same at the time when the Provinces of Hondu-

ras and Nicaragua achieved independence, because though by Royal
Decree of the 24 January 1818 the King sanctioned the re-establish-
ment of the chief municipality of Tegucigalpa with a certain degree
of autonomy as to its administration, said chief municipality contin-
ued to form a district of the Province of Comayagua or Honduras,

subject to the political chief of the province; and in that capacity
took part in the election, 5 November 1820, of a Deputy to the
Spanish Cortes and a substitute Deputy for the Province of Comaya-
gua, and likewise took part together with the other districts of Gra-
cias, Choluteca, Olancho, Yoro with Olanchito and Trujillo, Tencoa

and Comayagua, in the election of the Provincial Council of Hon-
duras, said election having taken place on the 6 November of the
same year, 1820.” (Ibid., pp. 21-22.)

“[T]hough at some time it may have been believed that the juris-
diction of Honduras reached to the south of Cape Gracias a Dios,
the Commission of investigation finds that said expansion of terri-
tory was never clearly defined, and in any case was only ephemeral

below the township and port of Cape Gracias a Dios, whilst on the
other hand the influence of Nicaragua has been extended and exer-
cised in a real and permanent manner towards the afore-mentioned
Cape Gracias a Dios, and therefore it is not equitable that the com-
mon boundary on the Atlantic Coast should be Sandy Bay as

claimed by Honduras.” (Ibid., p. 22.)

134790 DIFFÉREND OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

26. La validité et le caractère obligatoire pour les Parties de la sentence
arbitrale du 23 décembre 1906 du roi d’Espagne ont été confirmés par
l’arrêt de la Cour internationale de Justice du 18 novembre 1960. Dans la
présente instance, le Honduras invoque ces deux décisions comme élé-

ments de preuve à l’appui de sa thèse selon laquelle il est en possession
d’un titre de souveraineté sur les îles en litige en vertu de l’uti possidetis
juris, ce qui est aisément compréhensible si l’on se rappelle que, dans les
motifs de son arrêt de 1960, la Cour dit:

«Le Nicaragua soutient que l’arbitre a fixé une frontière qu’il
considérait comme naturelle sans tenir compte des lois et brevets
royaux de l’Etat espagnol qui établissaient les divisions administra-
tives espagnoles avant la date de l’indépendance. De l’avis de
la Cour, ce grief n’est pas fondé, la décision de l’arbitre reposant

sur des considérations historiques et juridiques (derecho histórico)
en conformité avec les paragraphes 3 et 4 de l’article II [du
traité Gámez-Bonilla].» (Sentence arbitrale rendue par le roi d’Es-
pagne le 23 décembre 1906 (Honduras c. Nicaragua), arrêt, C.I.J.

Recueil 1960, p. 215; les italiques sont de moi.)

27. En outre, les éléments de preuve et d’information sur lesquels
s’appuient ces deux décisions, à la fois nombreux et d’une qualité et d’une

autorité indéniables, sont à mon avis essentiels de par leur contenu aux
fins d’une détermination judiciaire de la situation de l’uti possidetis juris
dans les îles en litige entre les Parties. Je ne peux donc que les prendre
dûment en considération dans cette opinion. Ce choix, d’ailleurs, s’impose,
car, comme le signale la jurisprudence de l’affaire du Différend frontalier

terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (inter-
venant)),

«dans le cas des précédents arbitrages latino-américains relatifs à des

frontières, c’est maintenant la sentence arbitrale qui est détermi-
nante, bien qu’elle soit fondée sur une certaine appréciation de la
situation découlant de l’uti possidetis juris. L’appréciation que fait la
sentence de la situation résultant de l’uti possidetis juris prévaut, et
elle ne peut maintenant être remise en question du point de vue juri-

dique, même si elle peut l’être du point de vue historique.» (Arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 401, par. 67.)

28. Le Honduras invoque aussi les brevets royaux du 23 août 1745 et

du 30 novembre 1803 ainsi que la documentation relative à l’arbitrage
de 1906 publiée dans C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le
roi d’Espagne le 23 décembre 1906 , notamment les éléments d’informa-
tion contenus dans le «rapport de la commission d’examen de la question
des limites entre les Républiques du Honduras et du Nicaragua, soumis à

S. M. Alphonse XIII, arbitre, le 22 juillet 1906», rapport qui fut annexé

135 DISPUTE DISS. OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 790

26. The validity and binding nature for the Parties of the Arbitral
Award made by the King of Spain on 23 December 1906 were confirmed
by the Judgment of the International Court of Justice of 18 Novem-
ber 1960. In the present case, Honduras relied upon both those decisions

as evidence to support its argument that it possesses sovereign title to the
disputed islands pursuant to uti possidetis juris, which can be readily un-
derstood by recalling what the Court said in its reasoning in the 1960
Judgment:

“Nicaragua contends that the arbitrator fixed what he regarded as
a natural boundary line without taking into account the Laws and
Royal Warrants of the Spanish State which established the Spanish
administrative divisions before the date of Independence. In the
judgment of the Court this complaint is without foundation inas-

much as the decision of the arbitrator is based on the historical and
legal considerations (derecho histórico) in accordance with para-
graphs 3 and 4 of Article II [of the Gámez-Bonilla Treaty].” (Arbi-
tral Award Made by the King of Spain on 23 December 1906 (Hon-

duras v. Nicaragua), Judgment, I.C.J. Reports 1960 , p. 215; empha-
sis added.)

27. Further, the substance of the evidence and information supporting
those two decisions is both considerable in quantity and unassailable in

quality and authoritativeness, making it an essential element, in my view,
in a judicial determination of the uti possidetis juris situation of the
islands disputed by the Parties. I must therefore give it due consideration
in this opinion. Such a choice is a necessary one, moreover, as indicated
by the jurisprudence in the case concerning the Land, Island and Mari-

time Frontier Dispute (El Salvador/Honduras; Nicaragua intervening) :

“in the previous Latin American boundary arbitrations it is the

award that is now determinative, even though it be based upon a
view of the uti possidetis juris position. The award’s view of the uti
possidetis juris position prevails and cannot now be questioned
juridically, even if it could be questioned historically”. (Judgment,
I.C.J. Reports 1992, p. 401, para. 67.)

28. Honduras also relies on the Royal Warrants of 23 August 1745

and 30 November 1803, as well as the documentation relating to the 1906
Arbitration published in I.C.J. Pleadings, Arbitral Award Made by the
King of Spain on 23 December 1906 , for example the information con-
tained in the “Report of the Commission of Investigation of the Question
of the Boundary between the Republics of Honduras and Nicaragua sub-

mitted to His Majesty Alfonso XIII, Arbitrator, on 22 July 1906”, which

135791 DIFFÉREND (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

à la réplique du Honduras dans l’affaire soumise à la Cour en 1960
(vol. I, annexe XI, p. 621).

*

29. Ainsi, pour déterminer si la souveraineté sur les îles en litige appar-
tient au Honduras ou au Nicaragua, la Cour doit partir de l’appréciation
de la situation de l’uti possidetis juris de 1821 donnée par la sentence
arbitrale de 1906. Les îles en question ne sont pas mentionnées dans le

dispositif de la sentence, mais la délimitation de la frontière terrestre
entre les Parties établie par la sentence permet de savoir avec précision
quelles sont, dans la zone pertinente, les côtes appartenant au Honduras
et celles appartenant au Nicaragua. Il y est en effet indiqué que

«[l]e point extrême limitrophe commun sur la côte atlantique sera
l’embouchure du fleuve Coco, Segovia ou Wanks dans la mer, près

du cap Gracias a Dios, en considérant comme embouchure du fleuve
celle de son bras principal entre Hara et l’île de San Pío où se trouve
ledit cap, les îlots ou cayos qui existent dans ledit bras principal
avant d’atteindre la barre restant au Honduras et le Nicaragua
conservant la rive sud de ladite embouchure principale, l’île de San

Pío y comprise, ainsi que la baie et le village de Cabo de Gra-
cias a Dios et le bras ou estero appelé Gracias qui aboutit à la baie
de Gracias a Dios entre le continent et l’île de San Pío susnommée»
(Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le 23 décembre 1906
(Honduras c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 1960 , p. 202).

En outre, l’arrêt de la Cour de 1960 précise que,

«[a]insi qu’il a été indiqué ci-dessus, le dispositif de la sentence

énonce qu’«à partir de l’embouchure du Segovia ou Coco, la ligne
frontière suivra la vaguada ou thalweg de ce fleuve vers l’amont». Il
est évident que, dans ce contexte de la sentence, on a entendu indi-
quer que le thalweg constitue la frontière entre les deux Etats même
à l’«embouchure du fleuve». De l’avis de la Cour, la détermination

de la frontière à cet endroit ne saurait entraîner aucune difficulté.»
(Ibid., p. 216.)

30. Il est donc clair que, d’après l’uti possidetis juris tel qu’il se dégage
de la sentence arbitrale avec force de res judicata,lelittoral du Honduras
s’étend au nord du point extrême limitrophe commun sur la côte atlan-
tique de la frontière terrestre, situé dans l’embouchure du bras principal

du fleuve Coco dans la mer près du cap Gracias a Dios, jusqu’à la fron-
tière avec le Guatemala, et le littoral du Nicaragua au sud de ce point
extrême limitrophe commun jusqu’à la frontière avec le Costa Rica.

31. L’établissement du point terminal de la frontière terrestre à

l’embouchure du bras principal du fleuve Coco dans la mer près du cap

136 DISPUTE (DISS.OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 791

was appended to Honduras’s Reply in the case judged by the Court in

1960 (Vol. I, Ann. XI, p. 621).

*
29. Thus, to determine whether sovereignty over the disputed islands

belongs to Honduras or Nicaragua, the Court must begin with the assess-
ment of the uti possidetis juris position of 1821 made by the 1906 Arbitral
Award. The islands concerned are not mentioned in the operative part of
the Award, but the delimitation of the land boundary between the Parties
established by the Award makes it possible to identify precisely which, in

the relevant area, are the coasts belonging to Honduras and which to
Nicaragua. The Award states that:

“The extreme common boundary point on the coast of the Atlan-
tic will be the mouth of the River Coco, Segovia or Wanks, where it
flows out in the sea close to Cape Gracias a Dios, taking as the
mouth of the river that of its principal arm between Hara and the

Island of San Pío where said Cape is situated, leaving to Honduras
the islets and shoals existing within said principal arm before reach-
ing the harbour bar, and retaining for Nicaragua the southern shore
of the said principal mouth with the said Island of San Pío, and also
the bay and the town of Cape Gracias a Dios and the arm or estuary

called Gracias which flows to Gracias a Dios Bay, between the main-
land and the said Island of San Pío.” (Arbitral Award Made by the
King of Spain on 23 December 1906 (Honduras v. Nicaragua),
Judgment, I.C.J. Reports 1960 , p. 202.)

Further, the Court’s Judgment of 1960 stipulated that:

“The operative clause of the Award, as already indicated, directs
that ‘starting from the mouth of the Segovia or Coco the frontier
line will follow the vaguada or thalweg of this river upstream’. It is
obvious that in this context the thalweg was contemplated in the

Award as constituting the boundary between the two States even at
the ‘mouth of the river’. In the opinion of the Court, the determina-
tion of the boundary in this section should give rise to no difficulty.”
(Ibid., p. 216.)

30. It is therefore clear that, according to the uti possidetis juris posi-
tion as established by the Arbitral Award with the force of res judicata,
the coast of Honduras stretches northwards from the extreme common

point of the land boundary on the Atlantic coast, situated in the mouth
of the principal arm of the River Coco where it flows out in the sea close
to Cape Gracias a Dios, up to the boundary with Guatemala, and the
coast of Nicaragua extends to the south of the same extreme common
boundary point up to the boundary with Costa Rica.

31. The establishment of the endpoint of the land boundary in the
mouth of the principal arm of the River Coco where it flows into the sea

136792 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

Gracias a Dios détermine avec précision la côte ayant appartenu en 1821

à l’une ou l’autre Partie et, par voie de conséquence, le point de repère
permettant d’appliquer sans difficulté la notion d’«île adjacente» du droit
historique espagnol. Une telle situation de fait ne se présentait pas avec la
même clarté pour les îles en litige entre El Salvador et le Honduras situées
dans les eaux de la baie historique de Fonseca citées dans l’arrêt. La rela-

tion entre les côtes des trois Etats riverains de la baie de Fonseca n’était
pas aussi claire et nette que celle qui existe entre les côtes du Honduras et
du Nicaragua en la présente affaire.
32. En revanche, ce qui est intéressant dans la citation pertinente don-
née par l’arrêt, c’est la confirmation que

«lorsque le principe de l’uti possidetis juris est en jeu, le jus en ques-

tion n’est pas le droit international mais le droit constitutionnel ou
administratif du souverain avant l’indépendance» (Différend fronta-
lier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicara-
gua (intervenant), arrêt, C.I.J. Recueil 1992 , p. 559, par. 333).

Or, le jus appliqué par la Couronne espagnole dans ses territoires améri-
cains recourait à une notion d’«îles adjacentes» comme critère général
d’attribution des îles, à l’une ou l’autre circonscription ou province colo-

niale, qui n’a pas la même portée que la notion d’«île adjacente» du droit
international contemporain.

*

33. Dans le droit historique appliqué par la Couronne espagnole à ses
territoires américains, la notion d’«îles adjacentes» était une notion
beaucoup plus large et flexible que celle d’«îles côtières» en droit inter-
national contemporain. La sentence arbitrale de 1865 dans l’affaire de
l’île d’Aves (Pays-Bas/Venezuela) prouve que la notion d’«île adjacente»

du droit colonial espagnol englobait aussi de petites îles fort éloignées de
la côte, qu’elles se prêtassent ou non à l’habitation humaine ou fussent ou
non dotées d’une activité économique ou d’une importance stratégique.
L’île d’Aves (île des oiseaux) était un petit rocher peu élevé, situé au
milieu de la mer des Caraïbes, non susceptible d’habitation permanente et

qui n’avait jamais été véritablement occupé. Lors de sa découverte par les
Espagnols, l’île fut tout d’abord comprise dans les territoires de l’ancienne
Audiencia de Saint-Domingue, puis rattachée à l’Audiencia de Caracas
(ordonnance royale du 13 juin 1786), en dépit de sa distance d’avec les
côtes de la capitainerie générale du Venezuela (voir P. Lapradelle et Poli-

tis, Recueil des arbitrages internationaux , vol. 2, p. 404-406). L’île de
Clipperton, elle aussi découverte par les Espagnols, est une île fort dis-
tante de la côte mexicaine; elle n’en fut pas moins réclamée par le Me-
xique en tant que successeur de l’Espagne (Revue générale de droit inter-
national public, 1932, vol. 39, p. 130).

34. Les îles de San Andrés sont également situées à une distance consi-
dérable du continent. L’île du Cygne, que le Nicaragua réclama expres-

137 DISPUTE (DISS.OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 792

close to Cape Gracias a Dios determines precisely what were the Parties’

coastlines in 1821 and, accordingly, the reference point allowing for un-
problematic application of the notion of “adjacent island” under histori-
cal Spanish law. Such a clear situation did not exist for the islands in
dispute between El Salvador and Honduras in the waters of the historic
Bay of Fonseca referred to in the Judgment. The relationship between the

coasts of the three riparian States in the Bay of Fonseca was not as
apparent and clear-cut as that existing between the coast of Honduras
and Nicaragua in the present case.
32. However, what is of interest in the relevant quotation given by the
Judgment is the confirmation that

“when the principle of the uti possidetis juris is involved, the jus

referred to is not international law but the constitutional or admin-
istrative law of the pre-independence sovereign” (Land, Island and
Maritime Frontier Dispute (El Salvador/Honduras; Nicaragua inter-
vening), Judgment, I.C.J. Reports 1992 , p. 559, para. 333).

And the jus applied by the Spanish Crown in its American territories
made use of a notion of “adjacent islands”, as a general criterion for
attributing islands to one or other colonial district or province, whose

scope is different from that of the notion of “adjacent island” in contem-
porary international law.

*

33. Under historical Spanish law as applied by the Spanish Crown to
its American territories, the notion of “adjacent island” was considerably
broader and more flexible than that of “coastal island” in contemporary
international law. The 1865 Arbitral Award in the Aves Island (Nether-
lands/Venezuela) case demonstrates that the notion of “adjacent island”

in Spanish colonial law also covered small islands a long way from the
coast, whether or not they were suitable for human habitation or pos-
sessed an economic activity or strategic importance. Aves Island (Bird
Island) was a small, low-lying rock, located in the middle of the Carib-
bean Sea, incapable of sustaining permanent habitation and which had

never really been occupied. When it was discovered by the Spanish, it was
initially included in the territories of the former Audiencia of Santo
Domingo and then transferred to the Audiencia of Caracas (Royal Order
of 13 June 1786), despite its distance from the coast of the Captaincy-
General of Venezuela (see P. Lapradelle et Politis, Recueil des arbitrages

internationaux, Vol. 2, pp. 404-406). Clipperton Island, which was also
discovered by the Spanish, lies a very long way from the Mexican coast;
nevertheless, it was claimed by Mexico as the successor to Spain (Revue
générale de droit international public , 1932, Vol. 39, p. 130).

34. The San Andrés Islands are also situated a considerable distance
from the mainland. Swan Island, which Nicaragua expressly claimed

137793 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

sément à l’arbitre en 1906, se trouve à environ 200 kilomètres (110 milles
marins) du cap Camarón. Ainsi, le fait que les îles en litige en la présente
affaire soient situées à une distance comprise entre 27 et 32 milles de la
côte hondurienne située au nord du cap Gracias a Dios n’empêche pas de

les considérer comme des «îles adjacentes» de la province du Honduras,
au sens du droit historique appliqué par la Couronne espagnole. Voir,
par exemple, la carte hydrographique officielle de la côte des Mosquito
et des îles adjacentes de Juan de Azaoz de 1793 présentée par le Hondu-
ras (contre-mémoire du Honduras (CMH), vol. 3, deuxième partie,

carte 26). Je ne peux donc faire mienne la conclusion du paragraphe 163
du présent arrêt.

*

35. Il va de soi que le critère général d’attribution des îles mentionné
ci-dessus n’était qu’une sorte de règle résiduelle en ce sens qu’il pouvait, à
tout moment, y être dérogé moyennant une disposition spécifique norma-
tive contraire émanant du roi. Ainsi, par exemple, celle du brevet royal

de 1803 concernant les îles de San Andrés, ou de l’ordonnance royale
du 13 juin 1786 relative à l’île d’Aves. Mais le Nicaragua n’a présenté
aucune preuve d’une décision spécifique du roi en faveur de la province
du Nicaragua dérogeant au critère général pour ce qui est des îles en litige
dans la présente affaire. Ce que le Nicaragua a plaidé est l’impossibilité

en l’espèce de trancher la question de la souveraineté sur ces cayes sur la
base de l’uti possidetis juris de 1821.
36. La Couronne espagnole avait des raisons pratiques et de principe
pour recourir à une notion particulièrement large et souple d’«île adja-
cente», expression que l’on trouve très souvent dans les textes de sa légis-

lation d’outre-mer. S’agissant en premier lieu de protéger l’intégrité de
son titre original sur les vastes espaces — définis par des parallèles et des
méridiens — qui lui avaient été réservés par les bulles papales et les traités
conclus avec le Portugal, à savoir toutes «les terres découvertes et à

découvrir» à l’intérieur de ces espaces. En deuxième lieu, l’exploration de
l’immense espace américain ne pouvait se faire que par étapes et l’entre-
prise a duré des siècles. Finalement, il fallait éviter le danger que d’autres
puissances puissent s’emparer de territoires non explorés, inconnus, peu
peuplés ou difficiles à défendre. Or, à cet égard, les «îles» étaient certai-

nement les territoires les plus exposés, surtout celles éloignées des côtes
ou des eaux juridictionnelles espagnoles.
37. En tout cas, le rôle et l’importance normative de ce concept large
et souple d’«île adjacente» dans le droit colonial espagnol ne sauraient
e
être mis en doute. Les traités conclus par l’Espagne au XIX siècle avec
les nouvelles républiques, y compris avec la République du Nicaragua
(1856) et avec la République du Honduras (1860), en témoignent: ils
confirment en effet l’abandon par l’Espagne de son ancien titre non seu-
lement sur le territoire continental de la province du Nicaragua et sur

celui de la province du Honduras, mais aussi sur le territoire insulaire de

138 DISPUTE (DISS.OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 793

from the Arbitrator in 1906, lies around 200 kilometres (110 nautical

miles) from Cape Camarón. Thus, the fact that the islands in dispute in
the present case lie from 27 to 32 miles from the Honduran coast north of
Cape Gracias a Dios does not preclude their characterization as “adja-
cent islands” of the province of Honduras under historical law as applied
by the Spanish Crown. Reference can be made, for example, to the 1793

official hydrographical chart of the Mosquito Coast and adjacent islands
by Juan de Azoaz submitted by Honduras (Counter-Memorial of
Honduras, (CMH), Vol. 3, second part, Map 26). I therefore cannot
agree with the finding in paragraph 163 of the present Judgment.

*

35. It goes without saying that the general criterion for the attribution

of the islands mentioned above was merely a kind of residual rule in that
it could be set aside at any time by a specific normative provision to the
contrary enacted by the King. By way of example, there was the Royal
Warrant of 1803 on the islands of San Andrés or the Royal Order of
13 June 1786 on Aves Island. But Nicaragua has offered no evidence of

any specific decision by the King departing from that general criterion in
favour of the province of Nicaragua in respect of the islands involved in
the present case. What Nicaragua has argued in this case is that it was
impossible to settle the issue of sovereignty over the cays on the basis of
the uti possidetis juris of 1821.

36. The Spanish Crown used a particularly broad and flexible notion
of “adjacent island”, an expression which occurs very often in its over-
seas legislative texts, both for practical reasons and as a matter of prin-
ciple. In the first place, it sought to protect the integrity of its original
title to vast areas — defined by parallels and meridians — which had

been set aside for it by Papal Bulls and treaties with Portugal, i.e., “all
lands discovered and yet to be discovered” within those areas. Secondly,
exploration of the huge expanse of the Americas could only be carried
out by stages, and the undertaking lasted for centuries. Finally, the risk
had to be avoided of other Powers taking control of territories that were

unexplored, unknown, sparsely populated or difficult to defend. And in
that respect, the “islands” were certainly the most exposed territories,
especially those a long way from the coasts or from Spanish jurisdictional
waters.
37. In any event, the role and rule-making importance of the broad

and flexible concept of “adjacent island” in Spanish colonial law cannot
be doubted. The treaties concluded by Spain in the nineteenth century
with the new Republics, including the Republic of Nicaragua (1856) and
the Republic of Honduras (1860), attest to that: indeed, they confirm the
relinquishment by Spain of its previous title not only to the mainland ter-

ritories of the province of Nicaragua and the province of Honduras, but
also to the island territory of both provinces as it existed in 1821. Fur-

138794 DIFFÉREND (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

l’une et de l’autre province tel qu’il se présentait en 1821. Par ailleurs, les
constitutions de la République du Honduras et de la République du

Nicaragua recourent également à l’expression «îles adjacentes» dans
leurs définitions respectives du territoire national.
38. La sentence arbitrale du roi d’Espagne de 1906 délimite un secteur
de la frontière terrestre entre les Parties, mais la décision détermine iné-

vitablement, sauf preuve contraire, la souveraineté sur les possessions
insulaires et les eaux juridictionnelles espagnoles adjacentes au continent.
Pourquoi? Parce que, en délimitant la frontière terrestre, la sentence défi-
nit les côtes continentales du Honduras dans la zone concernée comme
étant celles situées au nord de l’embouchure du fleuve Coco, près du cap
e
Gracias a Dios, c’est-à-dire au nord du 15 parallèle environ, et celles du
Nicaragua comme étant celles situées au sud de ladite embouchure et
dudit parallèle.
39. De ce fait, la décision arbitrale de 1906 permet de donner une

réponse judiciaire, sur la base de l’ ti possidetis juris de 1821, à la question
de la souveraineté sur les îles en litige entre les Parties, car les quatre cayes
en question sont situées au nord du 15 parallèle au large et dans les pa-
rages de la côte continentale hondurienne, et plus près de celle-ci que de la
e
côte continentale nicaraguayenne située au sud du 15 parallèle. Or, dans
une situation pareille, si l’on tient compte, comme il se doit, du critère
général d’attribution des «îles adjacentes» en droit historique espagnol, la
souveraineté sur les cayes appartient sans aucun doute possible au Hon-

duras. La conduite des Parties au cours de la procédure arbitrale confirme
cette conclusion. Il s’ensuit que je ne peux pas accepter la conclusion
contraire de la majorité de la Cour énoncée au paragraphe 167 de l’arrêt.

*

40. Lors de l’arbitrage du roi d’Espagne, le Nicaragua avait cherché à
obtenir de l’arbitre une ligne frontière le long du 85 méridien de longitude

ouest, faisant de celui-ci une sorte de limite terrestre, insulaire et maritime
avec le Honduras. En effet, dans ses conclusions concernant la dernière
partie du tracé de la frontière, le Nicaragua avait demandé à l’arbitre que

«[la ligne de division] continue par le centre du cours d’eau jusqu’à
sa rencontre avec le méridien qui passe au-dessus du cap Camarón et
suit ce méridien jusqu’à la mer, laissant au Nicaragua Swan Island»

(C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le
23 décembre 1906, vol. I, p. 624).

L’origine de cette conclusion se trouve dans une proposition faite par le
Nicaragua à la commission mixte instituée en vertu du traité Gámez-
Bonilla. Pour les motifs invoqués alors par le Nicaragua et la réponse du
Honduras au sein de la commission mixte (voir ibid., p. 246 et 248; voir

aussi le contre-mémoire du Honduras, vol. 1, planche n° 9).
41. Si l’arbitre avait accepté cette conclusion du Nicaragua, les îles en
litige dans la présente affaire auraient été des «îles adjacentes» à la côte

139 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 794

thermore, the Constitutions of the Republic of Honduras and the Repub-

lic of Nicaragua also include the expression “adjacent islands” in their
respective definitions of national territory.

38. The 1906 Arbitral Award made by the King of Spain delimited a
section of the land boundary between the two Parties, but the decision

also, barring evidence to the contrary, inevitably determined sovereignty
over the island possessions and the Spanish jurisdictional waters adjacent
to the mainland. Why? Because in delimiting the land boundary, the
Award defined the mainland coast of Honduras in the area concerned as
being situated north of the mouth of the River Coco, close to Cape Gra-

cias a Dios, i.e., north of approximately the 15th parallel, and that of
Nicaragua as being located south of the said river mouth and the 15th
parallel.
39. Consequently, the Arbitral Award of 1906 makes it possible to

give a legal answer, on the basis of the uti possidetis juris of 1821, to the
question of sovereignty over the islands in dispute between the Parties,
since the four cays concerned lie offshore north of the 15th parallel and
in the vicinity of Honduras’s mainland coast, and closer to that coast
than to the Nicaraguan mainland coast south of the 15th parallel. In such

a situation, if the general criterion for the attribution of “adjacent islands”
in historical Spanish law is taken into consideration, as it should be, there
can be no possible doubt that the cays belong to Honduras. The conduct
of the Parties during the arbitration proceedings bears out such a conclu-
sion. It therefore follows that I cannot accept the finding to the contrary

by the majority of the Court set out in paragraph 167 of the Judgment.

*

40. In the arbitration by the King of Spain, Nicaragua sought to obtain

from the Arbitrator a boundary line running along the 85th meridian west,
making it into a sort of land, island and maritime boundary with Hondu-
ras. Indeed, in its submissions concerning the last part of the boundary
line, Nicaragua asked the Arbitrator for the frontier line to continue

“along the middle of the river until it meets the meridian which
passes through Cape Camarón and from that meridian until it loses
itself in the sea, leaving to Nicaragua Swan Island” (I.C.J. Plead-

ings, Arbitral Award Made by the King of Spain on 23 Decem-
ber 1906, Vol. I, p. 624).

The origin of that submission can be traced back to a proposal made by
Nicaragua to the Mixed Commission established pursuant to the Gámez-
Bonilla Treaty (for the reasoning advanced by Nicaragua at the time and
Honduras’s reply within the Mixed Commission, see ibid., pp. 246 and
248; see also in the present case CMH, Vol. 1, Plate 9).

41. If the Arbitrator had accepted Nicaragua’s submission, the disputed
islands in the present case would have been “adjacent islands” to the main-

139795 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

continentale de la province du Nicaragua et, en conséquence, dès 1821,
des îles de la République du Nicaragua en vertu de l’uti possidetis juris.

Mais le roi d’Espagne rejeta cette conclusion nicaraguayenne. La décision
de l’arbitre fut, comme on vient de le dire, de placer le point extrême limi-
trophe commun aux deux républiques dans l’embouchure du bras princi-
pal du fleuve Coco en mer, à proximité du cap Gracias a Dios — c’est-à-
e
dire pratiquement au 15 parallèle de latitude nord, et non pas au nord ou
au sud de ce parallèle —, car comme il est dit dans la sentence arbitrale de
1906 les «documents» signalaient le cap Gracias a Dios comme point
limitrophe des «juridictions» concédées aux gouverneurs de la province
du Honduras (Juan de Vera) et de la province du Nicaragua (Alonso Fer-

nández de Heredia) par les décrets royaux de 1745 (Recueil international
des traités du XX siècle, Descamps et Renault, 1906, p. 1031).
42. Il est surprenant que la majorité ne tire aucune conclusion aux fins
de l’administration des preuves de l’effet combiné a) de l’adoption par la

sentence arbitrale de 1906 comme limite, sur la base de l’uti possidetis
juris, du parallèle du cap Gracias a Dios et b) du rejet du méridien du
cap Camarón proposé par le Nicaragua. Bien au contraire, d’après
l’arrêt, il semblerait que la province du Honduras et la province du Nica-

ragua n’avaient, en réalité, ni côtes, ni mer territoriale, ni îles adjacentes
propres, lesquelles auraient relevé de l’entité administrative coloniale
commune supérieure, à savoir la capitainerie générale de Guatemala. Cet
argument — répété fréquemment faute de mieux dans les procédures

judiciaires et arbitrales relatives à l’Amérique centrale — trouve aussi une
réponse dans les motifs de la sentence arbitrale rendue par le roi d’Espa-
gne en 1906 lorsqu’il est déclaré que,

«lors de l’évacuation du pays des Mosquito par les Anglais, en
vertu du traité de 1786 avec l’Angleterre, en même temps que l’on

réglementait à nouveau le port de Trujillo, on ordonnait la création
de quatre villages espagnols sur la côte des Mosquito, à Río Tinto,
Cabo de Gracias a Dios, Blewfields et à l’embouchure du Río San
Juan, et bien que ces établissements fussent placés sous l’autorité mili-

taire directe de la capitainerie générale de Guatemala, les deux
Parties ont convenu de reconnaître que cette circonstance ne modifia
en rien les territoires des provinces du Nicaragua et du Honduras,
car cette République a démontré au moyen de nombreux certificats

d’expédients et de comptes que, avant comme après 1791, le gouver-
nement de l’Intendance de Comayagua intervenait dans toutes les
affaires de sa compétence à Trujillo, Río Tinto et Cabo de Gra-
cias a Dios» (Recueil international des traités du XX esiècle, Des-

camps et Renault, 1906, p. 1031).

*

140 DISPUTE (DISS.OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 795

land coast of the province of Nicaragua and, consequently, islands of the
Republic of Nicaragua from 1821 by virtue of theuti possidetis juris. How-
ever, the King of Spain rejected Nicaragua’s submission. The Arbitrator’s

decision was, as we have just said, to fix the extreme common boundary
point of the two Republics in the mouth of the principal arm of the
River Coco, where it flows into the sea, close to Cape Gracias a Dios —
that is to say practically on the 15th parallel North, and not to the north or
the south of that parallel — because, as observed in the Arbitral Award of

1906, the “documents” described Cape Gracias a Dios as the boundary
point of the “jurisdictions” which the Royal Decrees of 1745 assigned to
the Governors of the provinces of Honduras (Juan de Vera) and Nicara-
gua (Alonso Fernández de Heredia) (Recueil international des traités du
e
XX siècle, Descamps et Renault, 1906, p. 1031).
42. It is surprising that the majority does not draw any conclusions in
terms of the production of evidence from the combined effect of (a) the
1906 Arbitral Award’s adoption as a limit, on the basis of the uti possi-

detis juris, of the parallel at Cape Gracias a Dios, and (b) its rejection of
the Cape Camarón meridian advanced by Nicaragua. On the contrary,
according to the Judgment, the provinces of Honduras and Nicaragua
appear to have had, in reality, neither coastlines, nor territorial seas, nor
their own adjacent islands, which are said to have been under the control

of the joint higher colonial administrative unit, namely the Captaincy-
General of Guatemala. This argument — often repeated in legal and
arbitral proceedings relating to Central America, for want of anything
better — may also be answered by the reasoning of the Arbitral Award

made by the King of Spain in 1906, where it is observed that:

“when by virtue of the Treaty with Great Britain in 1786 the British
evacuated the country of the Mosquitos, at the same time that new
Regulations were made for the port of Trujillo, it was likewise ordained
to raise four new Spanish settlements on the Mosquito Coast in

Rio Tinto, Cape Gracias á Dios, Blewfields and the mouth of the
River San Juan, although it is nevertheless true that these settlements
remained directly subject to the Captain-General’s command of Guate-
mala, both parties agreed to recognize that this fact in no way altered
the territories of the provinces of Nicaragua and Honduras, the latter

Republic having shown by means of certified copies of despatches and
accounts both before and after 1791 the Intendant Governorship of
Comayagua superintended everything appertaining to its competence in
Trujillo, Rio Tinto and Cape Gracias á Dios” R(ecueil international des
e
traités du XX siècle, Descamps et Renault, 1906, p. 1031; English
translation of the Award Made by the King of Spain, as appeared in
British and Foreign State Papers, Vol. 100, 1906-190,7quoted in the
Arbitral Award Made by the King of Spain on 23 December 1906 (Hon-

duras v. Nicaragua),Application Instituting Proceedings, Ann. II).

*

140796 DIFFÉREND (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

43. Il résulte donc de la sentence arbitrale du roi d’Espagne que, au
nord du 15 parallèle, le littoral et, par voie de conséquence, les îles adja-
centes à ce littoral appartiennent d’après le principe de l’uti possidetis

juris de 1821 au Honduras et que, au sud de ce parallèle, le littoral et, par
voie de conséquence, les îles adjacentes à celui-ci appartiennent au Nica-
ragua, car aucune des Parties n’a présenté à la Cour de décision royale
contraire.
44. Ainsi, en vertu du principe de l’uti possidetis juris, la souveraineté
e
sur les formations insulaires au sud du 15 parallèle nord, comme
Edinburgh Cay, Morrison Dennis Cays et Cayo Miskitos, appartient au
Nicaragua de la même façon que la souveraineté sur les formations insu-
laires au nord du 15 parallèle, y compris les cayes en litige dans la pré-

sente instance, appartient au Honduras. D’ailleurs, cette conclusion cor-
respond à la description donnée par la sentence arbitrale de 1906 de la
province du Nicaragua lorsqu’elle dit, notamment, que «la commission
d’examen n’a pas constaté que l’action expansive du Nicaragua se fût

étendue au nord du cap Gracias a Dios» (op. cit., p. 1033) (voir le para-
graphe 25 ci-dessus).
45. Les brevets royaux invoqués par le Honduras dans la présente ins-
tance confirment la conclusion de la sentence arbitrale. Ceux du
23 août 1745 ont créé, pour des raisons de surveillance et de défense des

côtes, deux juridictions militaires relevant de la capitainerie générale de
Guatemala, allant l’une du Yucatan jusqu’au cap Gracias a Dios et
l’autre du cap Gracias a Dios jusqu’au río Chagres, cette rivière non
comprise. Juan de Vera, gouverneur de la province du Honduras, fut

nommé commandant général des armées royales dans la province du
Honduras et Alonso Fernández de Heredia, commandement général de
la province du Nicaragua, commandant général des armées royales au
Nicaragua et au Costa Rica (voir CMH, p. 74-76).
46. Par ailleurs, le brevet royal du 30 novembre 1803 confirme aussi

le rôle du cap Gracias a Dios comme limite de juridictions de la province
du Honduras et de celle du Nicaragua lorsqu’il déclare que

«le roi a décidé que les îles de San Andrés et la partie de la côte des
Mosquito depuis le cap Gracias a Dios inclus jusqu’au fleuve Cha-
gres doivent être séparées («queden segregados») de la capitainerie
générale du Guatemala et placées sous la dépendance de la vice-

royauté de Santa Fé» (CMH, p. 77).

47. Le Honduras a également présenté une note diplomatique datée
du 23 novembre 1844, adressée à Sa Majesté britannique par le ministre
représentant à la fois le Honduras et le Nicaragua, laquelle reconnaît le
droit souverain du Nicaragua le long de la côte atlantique, mais seule-
ment «depuis le cap Gracias a Dios au nord jusqu’à la ligne frontière qui

le sépare du Costa Rica» (CMH, p. 31).
48. J’accepte cette note comme un élément de preuve de la période
républicaine concernant l’interprétation de l’uti possidetis juris de 1821
par les Parties étant donné la date de la note, son caractère officiel et

141 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 796

43. It thus transpires from the King of Spain’s Arbitral Award that,

north of the 15th parallel, the coastline and, consequently, the islands
adjacent to it belong to Honduras, according to the principle of the uti
possidetis juris of 1821; and that south of that parallel, the coastline and,
consequently, the islands adjacent to it belong to Nicaragua, since neither
of the Parties has produced before the Court a royal decision to the con-

trary.
44. Therefore, in application of the uti possidetis juris principle, sov-
ereignty over the island features south of the 15th parallel North, such as
Edinburgh Cay, Morrison Dennis Cays and Cayos Miskitos, appertains
to Nicaragua in the same way that sovereignty over the island formations

north of the 15th parallel, including the cays in dispute in the present
case, appertains to Honduras. Moreover, this conclusion corresponds to
the description of the province of Nicaragua provided by the Arbitral
Award of 1906, when it noted inter alia that “the Commission of inves-

tigation has not found that the expanding influence of Nicaragua has
extended to the north of Cape Gracias a Dios” (op. cit., p. 1033; see
para. 25 above).
45. The Royal Warrants relied on by Honduras in the present case
endorse the Arbitral Award’s finding. The Warrants of 23 August 1745

established, for the purpose of observing and defending the coast, two
military jurisdictions answering to the Captaincy-General of Guatemala,
one stretching from the Yucatan to Cape Gracias a Dios and the other
from Cape Gracias a Dios down to but not including the River Chagres.
Juan de Vera, Governor of the province of Honduras, was appointed

Commander-General of the royal forces in the province of Honduras,
and Alonso Fernández de Heredia, Governor of the province of Nicara-
gua, was appointed Commander-General of the royal forces in Nicara-
gua and Costa Rica (see CMH, pp. 74-76).
46. Further, the Royal Warrant of 30 November 1803 also confirms

the role played by Cape Gracias a Dios as the jurisdictional boundary
between the provinces of Honduras and Nicaragua by declaring that:

“The King has resolved that the Islands of San Andrés and the
part of the Mosquito Coast from Cape Gracias a Dios inclusive to
the Chagres River shall be segregated from the Captaincy-General
of Guatemala and become dependent on the Viceroyalty of Santa
Fé.” (CMH, pp. 76-77.)

47. Honduras also produced a diplomatic Note dated 23 Novem-
ber 1844 to Her Britannic Majesty from the Minister representing both

Honduras and Nicaragua in which he acknowledged the sovereign right
of Nicaragua along the Atlantic coast, but only “from Cape Gra-
cias a Dios in the North to the dividing line which separates it from
Costa Rica” (CMH, p. 31).
48. I accept that Note as evidence from the Republican period con-

cerning the interpretation by the Parties of the uti possidetis juris of 1821,
given the date of the Note, its official nature and the authority of its sig-

141797 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

l’autorité de son signataire. Il est évident d’après ce document que c’est la
République du Honduras, et non pas celle du Nicaragua, l’Etat qui a la
souveraineté le long de la côte atlantique au nord du cap Gracias a Dios
en vertu de l’uti possidetis juris et, en conséquence, sur les îles en litige

dans la présente instance qui sont des «îles adjacentes» à ce littoral hon-
durien d’après le droit historique espagnol.

D. L’«adjacence» invoquée par le Nicaragua

49. Le Nicaragua a déclaré à l’audience accepter en principe l’applica-
tion du principe de l’uti possidetis juris aux «différends insulaires» tout
en l’écartant en l’espèce. Il en a déjà invoqué ce principe par le passé,
notamment dans le différend relatif à la pêche à la tortue. La Grande-
Bretagne estima alors que le décret du 4 octobre 1864 du Gouvernement

du Nicaragua déclarant que les îles et îlots adjacents à sa côte atlantique
lui appartenaient, et réglementant les importations et exportations, contre-
venait au traité Zeledón-Wyke conclu entre les deux pays. Mais le Nica-
ragua répliqua que le traité lui reconnaissait une souveraineté sur la Mos-

quitia et que, partant de cela, les îles et îlots adjacents en question lui
appartenaient en toute souveraineté (Réplique du Nicaragua (RN), p. 62).
Le Nicaragua défend à présent une thèse mutatis mutandis similaire à
propos des îles de San Andrés et de Providencia dans son différend avec
la Colombie relatif au traité Bárcenas Meneses-Esguerra de 1928 (CMH,

p. 77).
50. Alors, sur quoi s’appuie le Nicaragua pour écarter en l’espèce le prin-
cipe considéré? Sur l’argument selon lequel il n’existe aucune preuvd eocu-
mentaire démontrant l’existence d’un titre du Nicaragua ou du Honduras
sur les îles en vertu de l’ti possidetis juris de 1821. Je ne saurais suivre le

demandeur dans une telle limitation des moyens de preuve relatifs à ce prin-
cipe, car elle est contraire à la pratique et à la jurisprudence internationales,
y compris à celle de la Cour D ( ifférend frontalier terrestre, insulaire et
maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua intervenant)), arrêt, C.I.J.

Recueil 1992, p. 388, par. 44 et suiv.). En outre, l’argument méconnaît le
système de gouvernement par la Couronne espagnole de ses territoires en
Amérique et les caractéristiques du droit historique espagnol appliqué.
51. Le fait que les îles en litige se trouvent situées au nord et non au
sud du 15 parallèle est sans nul doute source de difficultés pour le Nica-

ragua. Je le comprends. Quelle est alors la solution proposée par le Nica-
ragua dans sa recherche d’un titre juridique sur les îles en litige? Au
second tour des plaidoiries, ses conseils ont invoqué l’«adjacence» tout
court, à savoir une adjacence autonome. Or, en dehors de l’application

du principe de l’uti possidetis juris ou d’une autre règle pertinente de
droit international qui incorporerait le critère, la simple adjacence géo-
graphique ne constitue pas, en droit international, un titre territorial
(affaire de l’Ile de Palmas).
52. Par ailleurs, les îles en litige sont voisines et géographiquement

plus proches du littoral continental hondurien que du littoral continental

142 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 797

natory. It is clear from the Note that it is the Republic of Honduras, and

not the Republic of Nicaragua, which has sovereignty along the Atlantic
coast north of Cape Gracias a Dios by virtue of the uti possidetis juris
and, consequently, over the islands in dispute in the present case, which
are “adjacent islands” with respect to that Honduran coastline according
to historical Spanish law.

D. “Adjacency” Relied on by Nicaragua

49. At the hearings, Nicaragua affirmed that it accepted in principle
the application of the uti possidetis juris principle to “island disputes”,

whilst ruling it out in the present case. It has relied on this principle in the
past, for example in the turtle fisheries dispute. There, Great Britain con-
tended that the decree of 4 October 1864 by the Government of Nicara-
gua declaring that the islands and islets adjacent to its Atlantic Coast

belonged to it and regulating their imports and exports contravened the
Zeledón-Wyke Treaty between the two countries. However, Nicaragua
replied that the Treaty acknowledged its sovereignty over Mosquitia and,
on that basis, it held full sovereignty over the adjacent islands and islets
(Reply of Nicaragua, hereinafter referred to as RN, p. 62). Nicaragua is

currently advancing a similar argument mutatis mutandis with regard to
the islands of San Andrés and Providencia in its dispute with Colombia
concerning the Bárcenas Meneses-Esguerra Treaty of 1928 (CMH, p. 77).

50. So, on what basis does Nicaragua exclude the principle in question

in the present dispute? It uses the argument that there is no documentary
evidence demonstrating the existence of either Nicaraguan or Honduran
title to the islands by virtue of the uti possidetis juris of 1821. I cannot
agree with the Applicant in limiting the evidence regarding the principle
in this way, as it runs counter to international practice and jurisprudence,

including that of the Court (Land, Island and Maritime Frontier Dispute
(El Salvador/Honduras; Nicaragua intervening), Judgment, I.C.J.
Reports 1992, p. 388, paras. 44 et seq.). Further, that argument overlooks
the system of government used by the Spanish Crown for its American
territories and the features of the Spanish historical law that was applied.

51. The fact that the islands in dispute are located north and not south
of the 15th parallel makes things decidedly difficult for Nicaragua. I can
appreciate that. What then is the solution suggested by Nicaragua in its
quest for legal title to the disputed islands? In the second round of oral
argument, its counsel invoked “adjacency” without further qualification,

that is to say adjacency standing alone. But mere geographical adjacency
by itself, without operation of the uti possidetis juris principle or another
relevant rule of international law incorporating the criterion, does not
constitute territorial title under international law (Island of Palmas case).

52. Moreover, the disputed islands are in the vicinity of and geo-
graphically closer to the mainland coast of Honduras than to the coast of

142798 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

nicaraguayen. Il va sans dire qu’il n’y a pas non plus de fondement en
droit international pour l’argument nicaraguayen selon lequel les îles
seraient nicaraguayennes parce qu’elles se trouvent au sud du soi-disant
«Main Cape Channel».

53. Je réaffirme donc ma conclusion selon laquelle la République du
Honduras a souveraineté sur Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay
et South Cay en vertu tant de l’uti possidetis juris que des effectivités
qu’il a prouvées à la satisfaction de la Cour dans la présente instance. Il
ne reste donc à traiter que la question de l’acquiescement.

E. L’acquiescement du Nicaragua

54. Le Honduras affirme qu’ilyaeu acquiescement du Nicaragua à la
souveraineté hondurienne sur les cayes en litige; il s’appuie pour cela sur

le silence total du Nicaragua face aux actes de souveraineté honduriens
concernant les îles. Le Nicaragua, pour sa part, nie avoir acquiescé à ou
accepté tacitement la souveraineté du Honduras sur les cayes. Le Nica-
ragua, pour sa part, explique son silence par le fait que le Honduras a

revendiqué les cayes au mieux en 1982, c’est-à-dire après 1977, date que le
Nicaragua considère comme la date critique. Or, s’agissant du différend
sur les îles, l’arrêt de la Cour retient pour date critique l’année 2001
(arrêt, par. 129).
55. Si après l’arrêt de la Cour de 1960 sur la sentence arbitrale rendue

par le roi d’Espagne le Nicaragua croyait encore avoir des droits sur les
îles au nord du 15 parallèle, c’est-à-dire sur les îles en litige dans la pré-
sente instance, il aurait dû le manifester plus tôt. Mais le Nicaragua ne l’a
fait ni avant ni après la cristallisation du différend sur la délimitation
maritime en 1982. Lorsque le président du Nicaragua signa le texte ori-

ginal de l’accord de libre-échange de 1998, le Nicaragua n’avait pas
encore manifesté des revendications sur les îles en litige dans la présente
instance (arrêt, par. 226). Il a fallu attendre le 21 mars 2001 pour que le
Nicaragua exprime enfin des revendications à l’égard de ces îles. Or, en

gardant le silence pendant des années, le Nicaragua a adopté une conduite
qui a pu faire croire au Honduras qu’il acceptait, pour les îles en litige, la
situation de l’uti possidetis juris telle que, à mon avis, elle s’imposait aux
Parties depuis que la sentence arbitrale de 1906 avait fixé le point termi-
nal de la frontière terrestre à l’embouchure du fleuve Coco dans la mer

près du cap Gracias a Dios.
56. L’absence totale d’effectivités du Nicaragua dans les îles en litige et
de toute protestation de sa part contre les manifestations de souveraineté
du Honduras concernant les îles confirme une telle conclusion. De ce fait,

et compte tenu des éléments soumis à la Cour, l’acquiescement du Nica-
ragua à la souveraineté du Honduras sur les îles en litige est pour moi
établi. Pour protéger les droits qu’il revendique dans la présente instance,
le Nicaragua aurait dû, conformément au droit international, manifester
une vigilance plus intense et une opposition plus nette vis-à-vis des actes

du Honduras concernant les îles en question (voir Temple de Préah

143 DISPUTE (DISS.OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 798

the Nicaraguan mainland. It goes without saying that there is equally no

ground in international law for Nicaragua’s argument that the islands are
Nicaraguan because they are located south of the so-called “Main Cape
Channel”.
53. I therefore reiterate my conclusion that the Republic of Honduras
has sovereignty over Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay and

South Cay by virtue of both uti possidetis juris and the effectivités which
it has demonstrated to the Court’s satisfaction in the present case. Thus
the only issue left outstanding is that of acquiescence.

E. Acquiescence by Nicaragua

54. Honduras contends that there was acquiescence by Nicaragua to
Honduran sovereignty over the disputed cays; in that respect, it bases
itself on the complete silence of Nicaragua in response to Honduran acts

of sovereignty concerning the islands. Nicaragua, on the other hand,
denies having acquiesced in or tacitly accepted Honduran sovereignty
over the cays. Nicaragua explains its silence by the fact that Honduras
did not claim the cays until 1982 at the earliest, i.e., after 1977, which
Nicaragua regards as the critical date. In its Judgment, however, the

Court has identified the critical date with regard to the dispute over the
islands as the year 2001 (Judgment, para. 129).
55. If Nicaragua still believed after the Court’s 1960 Judgment regard-
ing the Arbitral Award made by the King of Spain that it was entitled to
the islands north of the 15th parallel, that is to say the islands in dispute

in the present case, it should have said so earlier. But Nicaragua failed to
make that clear either before or after the maritime delimitation dispute
crystallized in 1982. When the President of Nicaragua signed the original
text of the 1998 Free Trade Agreement, Nicaragua had not yet expressed
any claims to the islands in dispute in the present proceedings (Judgment,

para. 226). It was not until 21 March 2001 that Nicaragua finally asserted
claims to these islands. Yet, in remaining silent over the years, Nicaragua
engaged in conduct which could have led Honduras to believe that it
accepted the uti possidetis juris position vis-à-vis the disputed islands, as
that position had, in my opinion, been binding on the Parties ever since

the 1906 Arbitral Award fixed the endpoint of the land boundary at the
mouth of the River Coco in the sea close to Cape Gracias a Dios.

56. The total lack of Nicaraguan effectivités on the disputed islands
and of any protest by it against the demonstrations of sovereignty by

Honduras concerning the islands bears out such a conclusion. In view of
this and of the evidence produced before the Court, Nicaragua’s acqui-
escence to Honduras’s sovereignty over the disputed islands has, in my
view, been established. To safeguard the rights claimed in the present
proceedings, Nicaragua should, in accordance with international law,

have exercised greater vigilance and expressed clearer opposition in
respect of Honduras’s acts concerning the islands in question (see Temple

143799 DIFFÉREND OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962 ,
opinion individuelle du juge Alfaro, p. 39).
57. Se trouve ainsi confirmée la souveraineté que le Honduras a sur

les îles en litige en vertu de l’uti possidetis juris et des effectivités post-
coloniales.

F. Conclusion

58. Les considérations précédentes expliquent pourquoi j’estime que la

souveraineté du Honduras sur Bobel Cay, Savanna Cay, Port Royal Cay
et South Cay bénéficie d’une triple assise juridique, les effectivités post-
coloniales et l’acquiescement du Nicaragua venant conforter le titre juri-
dique sur les îles détenu par la République du Honduras depuis 1821 en

vertu du principe de l’uti possidetis juris.

II. LA DÉLIMITATION DE ZONES MARITIMES PAR UNE FRONTIÈRE MARITIME
UNIQUE

A. Le rejet de la «frontière maritime traditionnelle» revendiquée par le

Honduras

59. Le Honduras a défendu l’eeistence d’une frontière maritime dite
«traditionnelle» le long du 15 parallèle de latitude nord, à travers la mer
territoriale et au-delà, basée initialement sur le principe de l’uti possidetis
juris (jusqu’aux 6 milles marins des anciennes eaux territoriales de la

période coloniale) et, par la suite, sur un accord tacite entre les Parties
concernant l’ensemble des zones maritimes à délimiter par la Cour en la
présente instance. En revanche, le Nicaragua a affirmé l’inexistence d’une
telle «frontière maritime traditionnelle», a accusé le Honduras d’invo-
quer ladite ligne pour éviter une délimitation maritime équitable et a

demandé à la Cour une délimitation ex novo moyennant l’application de
la méthode dite de la «bissectrice».
60. Il va de soi que, dans la mesure où un principe de droit interna-
tional comme l’uti possidetis juris est applicable ou s’il existe un accord,

exprès ou tacite, entre les Parties, une délimitation maritime effectuée
d’après ce principe ou cet accord ne saurait être considérée comme iné-
quitable en droit. A cet égard, il convient de rappeler ici que, tant pour la
mer territoriale que pour la zone économique exclusive et le plateau

continental visés par la convention des Nations Unies sur le droit de la
mer de 1982, les délimitations maritimes se font, au premier chef, par voie
d’accord entre les Etats intéressés.
61. C’est en effet l’accord que privilégie la convention pour la délimi-
tation maritime de chacune des zones maritimes reconnues par le droit

international et, par voie de conséquence, pour une délimitation des trois
zones (mer territoriale, zone économique exclusive et plateau continental)
par une ligne unique telle que celle demandée à la Cour par les Parties.
Les autres éléments normatifs des articles pertinents de la convention sur

144 DISPUTE (DIS. OP.TORRES BERNÁRDEZ ) 799

of Preah Vihear (Cambodia v. Thailand), Merits, Judgment, I.C.J.
Reports 1962, separate opinion of Judge Alfaro, p. 39).

57. The sovereignty of Honduras over the disputed islands by virtue of
the uti possidetis juris and the post-colonial effectivités is thus confirmed.

F. Conclusion

58. The foregoing considerations explain why I am of the opinion that
the legal basis for Honduras’s sovereignty over Bobel Cay, Savanna Cay,
Port Royal Cay and South Cay is threefold, the post-colonial effectivités
and Nicaragua’s acquiescence reinforcing the legal title to the islands held

by the Republic of Honduras since 1821 by virtue of the principle of uti
possidetis juris.

II. DELIMITATION OF THE M ARITIME A REAS BY A SINGLE M ARITIME
BOUNDARY

A. Rejection of the “Traditional Maritime Boundary” Claimed by
Honduras

59. Honduras defended the existence of a so-called “traditional” mari-
time boundary running along the 15th parallel North, through the terri-

torial sea and beyond, based initially on the principle of uti possidetis
juris (for the 6 nautical miles of territorial waters from the colonial
period) and, subsequently, on a tacit agreement between the Parties con-
cerning all the areas to be delimited by the Court in the present case.

Nicaragua, however, contended that no such “traditional maritime
boundary” existed, accused Honduras of invoking the said line to avoid
an equitable maritime delimitation and requested the Court to proceed
with an ex novo delimitation by application of the so-called “bisector”

method.
60. Inasmuch as a principle of international law such as uti possidetis
juris is applicable or in the presence of an explicit or tacit agreement
between the Parties, it is self-evident that a maritime delimitation carried

out according to that principle or within the terms of the agreement can-
not be regarded as inequitable in law. In this respect, it is appropriate to
recall here that maritime delimitations are primarily effected by means of
agreements between the States in question, on the issues of territorial
seas, exclusive economic zones and continental shelves that fall under the

1982 United Nations Convention on the Law of the Sea.
61. Agreements are in fact the method most favoured by the Conven-
tion for delimiting the maritime areas recognized in international law
and, consequently, for a delimitation of the three areas (territorial sea,

exclusive economic zone and continental shelf) by means of a single line,
as was requested of the Court by the Parties. The other rule-making parts
of the relevant articles of the Convention on the Law of the Sea are only

144800 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

le droit de la mer ne sont destinés à être appliqués qu’à défaut d’accord
entre les Etats concernés.

62. Le Honduras était par conséquent dans son droit lorsqu’il a sou-
levé, comme un préalable à la délimitation ex novo demandée par le
Nicaragua, la question de l’existence d’une «frontière maritime tradition-
nelle» entre les Parties le long du 15 parallèle de latitude nord et a

demandé à la Cour d’en tenir compte lors de sa délimitation. Mais, tacite
ou non, l’accord invoqué doit évidemment avoir existé à la date critique.
C’est à ce niveau que la «frontière maritime traditionnelle» invoquée par
le Honduras a rencontré des difficultés.
63. En effet, la Cour, après avoir considéré l’ensemble des arguments

et les nombreux éléments de preuve du Honduras (concessions pétro-
lières; activités et réglementation de la pêche; patrouilles navales;
reconnaissance par des Etats tiers; dépositions de témoins produites
sous la forme de déclarations sous serment; traités bilatéraux conclus par

la Colombie avec le Nicaragua (1928), le Honduras (1986) et la Jamaïque
(1993) et échanges de notes diplomatiques) ainsi que les arguments et les
éléments de contre-preuve du Nicaragua, conclut «qu’il n’existait pas en
1982 — ni à fortiori à une quelconque date postérieure — d’accord tacite

entre les Parties de nature à établir une frontière maritime juridiquement
obligatoire» (arrêt, par. 258).
64. Comme il est dit au paragraphe 256 de l’arrêt:

«La Cour a constaté qu’à certaines périodes, comme le montrent
les éléments de preuve, le 15 parallèle semble avoir joué un certain
rôle dans la conduite des Parties. Ces éléments de preuve concernent

la période comprise entre 1961, date à laquelle le Nicaragua se retira
des zones situées au nord du cap Gracias a Dios à la suite de l’arrêt
rendu par la Cour sur la validité de la sentence arbitrale de 1906, et
1977, date à laquelle le Nicaragua proposa d’engager des négocia-

tions avec le Honduras aux fins de la délimitation de leurs zones
maritimes dans la mer des Caraïbes. La Cour relève que, pendant
cette période, les Parties octroyèrent plusieurs concessions pétro-
lières indiquant que leurs limites septentrionale et méridionale se trou-

vaient respectivement à 14°59,8′. De plus, la réglementation de la
pêche dans la zone semblait parfois indiquer qu’il était entendu que
le 15 parallèle divisait les zones de pêche respectives des deux Etats.
Enfin, le 15 parallèle était aussi considéré par certains pêcheurs

comme une ligne divisant les zones maritimes sous juridictions nica-
raguayenne et hondurienne. Toutefois, ces événements, survenus sur
une courte période, ne permettent pas à la Cour de conclure qu’il
existait une frontière maritime internationale juridiquement établie

entre les deux Etats.»
65. A cet égard, il faut souligner que la période en question fut bien

plus longue que celle de l’affaire du Golfe du Maine. En tout cas, en ce
qui me concerne, j’estime que les éléments de preuve présentés par le
Honduras, notamment ceux concernant les concessions pétrolières et

145 DISPUTE DISS. OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 800

intended to be applied in the event of a lack of agreement between the

States concerned.
62. Honduras was therefore within its rights when it raised, as a pre-
liminary to the ex novo delimitation requested by Nicaragua, the issue of
the existence of a “traditional maritime boundary” between the Parties
along the 15th parallel of latitude north and asked the Court to take this

into account in its delimitation. However, tacit or otherwise, the agree-
ment invoked must evidently have existed at the critical date. It was in
this respect that problems arose with the “traditional maritime bound-
ary” on which Honduras relied.
63. Indeed, having considered all the arguments and the numerous

items of evidence produced by Honduras (oil and gas concessions; fish-
eries activities and regulation; naval patrols; recognition by third States;
witness statements in the form of sworn affidavits; bilateral treaties
between Colombia and Nicaragua (1928), Honduras (1986) and Jamaica

(1993) and exchanges of diplomatic Notes), as well as all the arguments
and evidence to the contrary from Nicaragua, the Court concludes that
“there was no tacit agreement in effect between the Parties in 1982 — nor
a fortiori at any subsequent date — of a nature to establish a legally
binding maritime boundary” (Judgment, para. 258).

64. As is indicated in paragraph 256 of the Judgment:

“The Court has noted that at periods in time, as the evidence
shows, the 15th parallel appears to have had some relevance in the
conduct of the Parties. This evidence relates to the period after 1961
when Nicaragua left areas to the north of Cape Gracias a Dios fol-
lowing the rendering of the Court’s Judgment on the validity of the

1906 Arbitral Award and until 1977 when Nicaragua proposed
negotiations with Honduras with the purpose of delimiting maritime
areas in the Caribbean Sea. The Court observes that during this
period several oil concessions were granted by the Parties which
indicated that their northern and southern limits lay respectively at

14°59.8′. Furthermore, regulation of fishing in the area at times
seemed to suggest an understanding that the 15th parallel divided
the respective fishing areas of the two States; and in addition the
15th parallel was also perceived by some fishermen as a line dividing
maritime areas under the jurisdiction of Nicaragua and Honduras.

However, these events, spanning a short period of time, are not suf-
ficient for the Court to conclude that there was a legally established
international maritime boundary between the two States.”

65. On this point, it should be emphasized that the period in question
is considerably longer than that in the Gulf of Maine case. In any event,

as far as I am concerned, I believe that the evidence submitted by Hon-
duras, notably that concerning the oil and gas concessions and fisheries

145801 DIFFÉREND (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

gazières et la réglementation de la pêche et des activités y relatives, mili-
tent de manière décisive en faveur de la thèse de l’existence d’un accord

tacite entre les Parties sur la frontière maritime dite «traditionnelle». La
majorité de la Cour est d’un avis différent, que je respecte tout en ne le
partageant pas. C’est le privilège du juge de pondérer et de prendre posi-
tion sur la preuve soumise par les parties. Deux remarques seulement sur

des questions ponctuelles. La première concerne la note du ministre Paz
Barnica du 3 mai 1982. Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation que
fait l’arrêt du texte de la note. La seconde a trait à la réponse du Nica-
ragua à la note hondurienne du 21 septembre 1979 soulignant que la cap-
ture en mer, le 18 septembre 1979, d’un navire hondurien par la marine
e
nicaraguayenne s’était produite «8 milles au nord du 15 parallèle, qui
sert de limite entre le Honduras et le Nicaragua » (CMH, p. 48; les itali-
ques sont de moi). Or, l’arrêt n’attribue aucun effet juridique au fait que
dans sa réponse le Nicaragua ne réfuta ni réserva cette affirmation du

Honduras.

B. La non-application par l’arrêt de la succession aux eaux territoriales

de la période coloniale en vertu de l’uti possidetis juris

66. La conclusion de la Cour concernant l’absence, en 1982, d’une
«frontière maritime traditionnelle» juridiquement obligatoire ne règle
pas cependant toutes les questions relatives au 15 parallèle de latitude

nord posées par le Honduras. Reste celle de la succession ou non des
Parties aux 6 milles des eaux territoriales de la période coloniale en vertu
du principe de droit international de l’uti possidetis juris de 1821.
67. Il s’agit aussi, logiquement, d’un préalable à la construction par la

Cour d’une ligne de délimitation maritime ex novo, car l’article 15 de la
convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 fait une place
aux «titres historiques» dans la délimitation de la mer territoriale, c’est-
à-dire de la première zone pour laquelle les Parties ont demandé à la

Cour de délimiter une frontière maritime unique.
68. L’arrêt de la Cour résume comme suit la position d’ensemble à cet
égard du Honduras telle qu’elle est exposée dans le contre-mémoire:

«[L]e Honduras soutient que le principe de l’uti possidetis juris
auquel se réfèrent le traité Gámez-Bonilla et la sentence rendue en
1906 par le roi d’Espagne est applicable à la zone maritime au large
e
des côtes du Honduras et du Nicaragua, et que le 15 parallèle cons-
titue la ligne de délimitation maritime résultant de l’application de ce
principe. Il affirme que, en 1821, le Nicaragua et le Honduras ont
succédé, notamment, à un espace maritime de 6 milles ... et que l’uti

possidetis juris «engendre une présomption de titre du Honduras sur
le plateau continental et la zone économique exclusive au nord du
15 parallèle».» (Arrêt, par. 229).

69. Dans la duplique, le Honduras est encore plus précis sur la ques-
tion de la succession des Parties à l’espace maritime de 6 milles considéré:

146 DISPUTE (DISS.OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 801

regulation and related activities, argues decisively in favour of the idea of

the existence of a tacit agreement between the Parties on the “traditional”
maritime boundary. The majority of the Court holds a different opinion,
which I respect although I do not subscribe to it. It is a judge’s preroga-
tive to weigh and take a position on the evidence presented by the
Parties. I shall make just two comments on particular points. The first

concerns the Note from the Minister Dr. Paz Barnica of 3 May 1982. I
disagree with the interpretation made by the Judgment of that Note. The
second relates to Nicaragua’s reaction to the Honduran Note of 21 Sep-
tember 1979 which stated that the seizure at sea of a Honduran vessel by
the Nicaraguan navy on 18 September 1979 took place “eight miles to the

north of the fifteenth parallel that serves as the limit between Honduras
and Nicaragua” (CMH, p. 48, para. 3.38; emphasis added). The Judg-
ment, however, attributes no legal effect to the fact that, in its reply,
Nicaragua neither contested nor qualified Honduras’s assertion.

B. Non-application by the Judgment of Succession to the Territorial
Waters from the Colonial Period under Uti Possidetis Juris

66. The Court’s conclusion on the non-existence in 1982 of a legally
binding “traditional maritime boundary” does not, however, settle all the
questions raised by Honduras regarding the 15th parallel of latitude
north. There remains that of the succession or otherwise of the Parties to
the 6 miles of territorial waters of the colonial period by virtue of the uti

possidetis juris of 1821, as a principle of international law.
67. That is also a logical preliminary to the plotting by the Court of an
ex novo maritime delimitation line, since Article 15 of the 1982 United
Nations Convention on the Law of the Sea attributes a role to “historical
titles” in the delimitation of territorial seas, i.e., the first of the areas for

which the Parties have requested the Court to establish a single maritime
boundary.
68. The Court’s Judgment summarizes as follows the overall position
of Honduras in this respect, as set out in the Counter-Memorial:

“Honduras maintains that the uti possidetis juris principle referred
to in the Gámez-Bonilla Treaty and the 1906 Award of the King of
Spain is applicable to the maritime area off the coasts of Honduras

and Nicaragua, and that the line of 15th parallel constitutes the line
of maritime delimitation resulting from that application. It asserts
that Nicaragua and Honduras succeeded in 1821, inter alia,o t a
maritime area extending 6 miles...a d that uti possidetis juris
‘gives rise to a presumption of Honduran title to the continental

shelf and EEZ north of the 15th parallel’.” (Judgment, para. 229.)

69. In the Rejoinder, Honduras was even more precise about the issue
of the Parties’ succession to the 6-mile maritime area in question:

146802 DIFFÉREND OP .DISS .TORRES BERNÁRDEZ )

«Le principe de l’uti possidetis juris fournit un titre juridique pour
déterminer que le Honduras détient la souveraineté maritime (jusqu’à

6 milles marins aux epoques coloniales et de l’indépendance) et insu-
laire au nord du 15 parallèle qui traverse le cap Gracias a Dios, ainsi
qu’il est confirmé dans l’ordonnance royale de 1803. Le para-
graphe 17 de la sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne en 1906

est donc exact, lorsqu’il indique: «En lesquels documents [les brevets
royaux de 1745 et 1791] on signale donc le cap Gracias a Dios
comme point limitrophe des juridictions concédées auxdits gouver-
neurs du Honduras et du Nicaragua, en caractère de quoi ils furent
nommés.»» (Duplique du Honduras (DH), p. 51, par. 3.60; les ita-

liques sont dans l’original.)
70. Le Honduras a donc posé clairement la question de l’application

de l’uti possidetis juris de 1821 aux espaces maritimes concernés par la
présente affaire en tant que question autonome, c’est-à-dire indépendam-
ment de celle de la formation de la «frontière maritime traditionnelle»
par accord tacite. A ce propos, l’arrêt déclare que, «dans certaines cir-

constances, comme celles qui ont trait à des baies et mers territoriales his-
toriques, le principe de l’uti possidetis juris pourrait jouer un rôle dans la
délimitation maritime» (arrêt, par. 232). Face aux hésitations du deman-
deur en la matière, cette conclusion de la Cour confirme la jurisprudence

pertinente de l’arrêt de 1992 en l’affaire du Différend frontalier terrestre,
insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)) .
Je partage entièrement ce point de droit explicité par l’arrêt.
71. Toutefois, la Cour rejette ensuite la succession aux 6 milles des

eaux territoriales de la période coloniale («eaux juridictionnelles» dans la
terminologie espagnole de l’époque) parce que, d’après l’arrêt, le Hondu-
ras n’aurait avancé aucune raison convaincante pour expliquer pourquoi
la frontière maritime devrait suivre le 15 parallèle à partir du cap Gra-

cias a Dios, se bornant «à affirmer que la Couronne espagnole avait ten-
dance à utiliser les parallèles et les méridiens pour délimiter les juridic-
tions, sans apporter la moindre preuve que la puissance coloniale ait agi
ainsi dans ce cas particulier» (arrêt, par. 232). Ainsi, pour la Cour, le

Honduras n’aurait pas démontré que le principe de l’uti possidetis juris a
conduit à une répartition maritime le long de la ligne horizontale du
15 parallèle des 6 milles marins des eaux territoriales de la province du
Honduras et de la province du Nicaragua à l’époque coloniale. Comme il
est déclaré dans l’arrêt: «Dans les circonstances de la présente affaire, il

ne peut être dit que le principe de l’uti possidetis juris a servi de base à
une ligne de partage maritime le long du 15 parallèle.» (Par. 234.)

*
72. Les conclusions ci-dessus trouvent leur fondement ultime dans une

interprétation restrictive de la majorité concernant la portée de la sen-
tence arbitrale de 1906, et sa res judicata, que je ne partage point. Pour la
majorité, le fait que l’arbitre ait déterminé, sur la base du principe de l’uti

147 DISPUTE (DISS.OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 802

“The principle of uti possidetis juris provides a legal title to deter-

mine maritime (up to six nautical miles during colonial times and
independence) and insular sovereignty of Honduras to the north of
parallel 15° that passes through Cape Gracias a Dios as confirmed
by the Royal Order of 1803. Paragraph 17 of the King of Spain
Arbitral Award of 1906 was, therefore, correct when it stated that:

‘In said documents [the Royal Decrees of 1745 and 1791] Cape Gra-
cias a Dios is fixed as the boundary point of the jurisdiction assigned
to the above mentioned Governors of Honduras and Nicaragua in
the respective capacities in which they were appointed’”. (Rejoinder
from Honduras, hereinafter referred to as RH, p. 51, para. 3.60;

emphasis in the original.)
70. Honduras thus clearly raised the question of the application of the

uti possidetis juris of 1821 to the maritime areas concerned by the present
proceedings as an independent issue, i.e., separately from that of the con-
stitution of the “traditional maritime boundary” by tacit agreement. In
this respect, the Judgment declares that “the uti possidetis juris principle
might in certain circumstances, such as in connection with historic bays

and territorial seas, play a role in a maritime delimitation” (Judgment,
para. 232). In view of the Applicant’s hesitancy on the subject, the
Court’s finding confirms the relevant jurisprudence of the 1992 Judgment
in the case concerning Land, Island and Maritime Frontier Dispute
(El Salvador/Honduras; Nicaragua intervening) . I fully endorse this

point of law which is clarified by the Judgment.
71. However, the Court then dismisses succession to the 6-mile terri-
torial waters of the colonial period (“jurisdictional waters”, to use the
Spanish terminology of the time) because, according to the Judgment,
Honduras made no persuasive case as to why the maritime boundary

should extend along the 15th parallel from Cape Gracias a Dios, but
merely asserted “that the Spanish Crown tended to use parallels and
meridians to draw jurisdictional divisions, without presenting any evi-
dence that the colonial Power did so in this particular case” (Judgment,
para. 232). Thus, in the Court’s view, Honduras did not show that the

principle of uti possidetis juris led to a maritime division along the 15th
parallel between the 6 nautical miles of territorial waters of the province
of Honduras and those of the province of Nicaragua in the colonial era.
As is stated in the Judgment (para. 234): “In the circumstances of the
present case, the uti possidetis juris principle cannot be said to have pro-

vided a basis for a maritime division along the 15th parallel.”

*

72. The above findings are ultimately based on a restrictive interpreta-
tion by the majority of the scope of the Arbitral Award of 1906 and its

res judicata to which I do not subscribe at all. For the majority, the fact
that the Arbitrator fixed, on the basis of the uti possidetis juris of 1821,

147803 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

possidetis juris de 1821, que «le point extrême limitrophe commun sur la
côte atlantique» est l’embouchure du fleuve Coco près du cap Gra-
cias a Dios ne confirmerait pas l’existence d’une frontière maritime entre
les parties le long du 15 parallèle pour ce qui est des eaux territoriales de

l’époque coloniale. Pourtant, les Parties semblent avoir eu une interpréta-
tion, non concordante certes, mais beaucoup plus large aussi bien de la
portée de la sentence arbitrale de 1906 que de l’uti possidetis juris du
traité Gámez-Bonilla de 1894.
73. Par exemple, dans la note du 19 mars 1912 envoyée par le ministre

des affaires étrangères du Nicaragua au ministre des affaires étrangères
du Honduras, dans laquelle il indique les raisons sur lesquelles se fonde le
Nicaragua pour considérer nulle la sentence du roi d’Espagne, il est dit
que

«[l]e désaccord se trouvant ainsi défini, toute la partie de la ligne
frontière depuis le point de la cordillère appelé Teotecacinte jusqu’à
sa fin sur la côte atlantique et jusqu’où doit finir dans la mer la juri-

diction des deux Etats ne fut pas démarquée. Pour décider de quelle
façon l’on devait tracer la partie de la ligne litigieuse, l’on se décida
à exécuter les dispositions prévues à l’article III du traité déjà cité.»
(C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le

23 décembre 1906, vol. I, p. 292; les italiques sont de moi.)

Et plus loin:
«C’est également un principe universel que les sentences contra-

dictoires sont dépourvues de valeur et inapplicables, et la contradic-
tion dans laquelle tombe la sentence est patente lorsqu’elle traite du
tronçon de ligne qui doit séparer la juridiction des deux pays dans la
mer territoriale, parce que, après avoir établi la règle selon laquelle la
direction de la ligne est le thalweg ou ligne de plus grande pente du

lit du cours du bras principal du fleuve Coco, elle déclare que les
îlots situés sur ledit bras appartiennent au Honduras, ce qui conduit
à cette inconséquence de laisser du territoire hondurien enclavé dans
des eaux nicaraguayennes, ce qui, au surplus, laisse sans effet la ligne

du thalweg indiquée; en dehors du fait de ne rien décider sur la direc-
tion de la ligne qui, suivant le droit des gens, indique ce qui revient en
mer à chaque république comme faisant partie de son territoire res-
pectif.» ( Ibid., p. 294; les italiques sont de moi.)

*

74. Dans la présente affaire, la position du Honduras sur la question
considérée peut se résumer ainsi: 1) le principe de l’uti possidetis juris
invoqué dans le traité Gámez-Bonilla, ainsi que dans la sentence rendue

par le roi d’Espagne en 1906, est applicable à la zone maritime au large

148 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 803

“the extreme common boundary point on the coast of the Atlantic” at

the mouth of the River Coco close to Cape Gracias a Dios does not con-
firm the existence of a maritime boundary between the Parties along the
15th parallel in respect of the territorial waters of the colonial period.
The Parties, however, appear to have followed much broader interpreta-
tions, which admittedly do not correspond, both of the scope of the 1906

Arbitral Award and of the uti possidetis juris of the Gámez-Bonilla
Treaty of 1894.
73. For example, in the Note of 19 March 1912 sent by the Minister
for Foreign Affairs of Nicaragua to the Minister for Foreign Affairs of
Honduras, whereby he indicated the reasons for which Nicaragua

regarded the King of Spain’s Arbitral Award as null and void, it was
stated that:

“[t]he disagreement having been thus defined, the entire portion of
the frontier line was left undemarcated from the point on the Cor-
dillera called Teotecacinte to its endpoint on the Atlantic Coast and
to the boundary in the sea marking the end of the jurisdiction of the
two States. In respect of determining how to draw the disputed por-

tion of the line, it was decided to carry out the provisions of Arti-
cle III of the treaty cited above.” (I.C.J. Pleadings, Arbitral Award
Made by the King of Spain on 23 December 1906 (Honduras v.
Nicaragua), Vol. I, p. 292; emphasis added.) [Translation by the
Registry.]

And further:

“It is also a universal principle that awards which are inconsistent
in themselves (contradictorias) are without value and inapplicable,
and there is an evident inconsistency in this Award when it deals
with that section of the frontier line which should separate the juris-

diction of the two countries in the territorial sea , in that, after having
laid down that the direction of the frontier is the thalweg or main
watercourse of the principal arm of the Coco River, it then declares
that the islets situated in that arm of the River belong to Honduras,

thus leading to the impossible result of leaving Honduran territory
enclaved within Nicaraguan waters, and thus also leaving without
effect the line of the thalweg referred to — quite apart from the fact
of deciding nothing as regards the direction of the frontier line which,
according to international law, should show the territorial waters of

each Republic as forming part of its respective territories .” (Ibid.,
p. 294; emphasis added.)

*

74. In the present case, Honduras’s position on the question concerned
can be summarized as follows: (1) the principle of uti possidetis juris

referred to in the Gámez-Bonilla Treaty, as well as in the 1906 Award of
the King of Spain, is applicable to the maritime area off the coasts of

148804 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

des côtes du Honduras et du Nicaragua; 2) le 15 parallèle constitue la
ligne de délimitation maritime résultant de l’application du principe; 3) le

Honduras et le Nicaragua ont, en 1821, succédé à un espace maritime de
mer territoriale de 6 milles; 4) l’uti possidetis juris engendre une présomp-
tion de titre du Honduras sur le plateau continental et la zone économi-
que exclusive au nord du 15 parallèle.

75. Ma position sur chacune de ces composantes de la position du
Honduras est la suivante:

Réponse au point 1): Sans doute. Aujourd’hui, comme principe de
droit international général, l’uti possidetis juris est applicable tant aux
délimitations terrestres qu’aux délimitations maritimes, ce qui est confirmé
par l’arrêt. Par ailleurs, le traité Gámez-Bonilla vaut pour la résolution
amiable de «tous les doutes et tous les différends pendants» et aux fins de

«démarquer sur le terrain la ligne de division indiquant la limite entre les
deux républiques» (article premier du traité). Le terme «limite» n’est
donc pas qualifié par l’adjectif «terrestre». La pratique des Parties
confirme d’ailleurs cette interprétation, car le procès-verbal II de la com-

mission mixte du 12 juin 1900 effectua une démarcation entre les deux
républiques dans la partie du golfe ou baie de Fonseca «adjacente à
leurs côtes, celles-ci étant séparées par une distance inférieure
à 6 lieues marines.» (C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le

roi d’Espagne (Honduras c. Nicaragua) , vol. I, p. 235.). Voir aussi la
note nicaraguayenne du 19 mars 1912 citée au paragraphe 73 ci-dessus de
cette opinion.
Réponse au point 2): Oui, si l’affirmation est comprise comme s’appli-

quant à l’espace maritime de 6 milles marins de la mer territoriale à l’épo-
que coloniale; mais non pour l’ensemble de la «frontière maritime tradi-
tionnelle», car je conviens avec le Nicaragua qu’un titre sur la zone
économique exclusive ou sur le plateau continental correspond à des

notions juridiques manifestement modernes qui n’existaient pas en 1821.
Réponse au point 3) : Sans doute, en vertu du principe de l’uti possi-
detis juris.
Réponse au point 4): Je comprends ce point comme voulant dire que le

principe de l’uti possidetis juris a servi à déterminer les côtes de chacune
des Parties, lesquelles, à leur tour, constituent le fondement du titre qui
commande la délimitation des zones maritimes du plateau continental et
de la zone économique exclusive entre les Parties à la présente affaire.

*

76. L’arrêt de la Cour admet — tout comme les deux Parties — que la
sentence arbitrale de 1906 fixe le point extrême limitrophe commun sur la
côte atlantique de la frontière terrestre qu’elle établit. Alors, comment
peut-on dire, lorsque l’on est dans le contexte de l’application du principe

de l’uti possideeis juris, que rien dans la sentence arbitrale de 1906 n’in-
dique que le 15 parallèle de latitude nord a été considéré comme la ligne
frontière? Nous avons au moins un point, le point extrême limitrophe

149 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 804

Honduras and Nicaragua; (2) the 15th parallel constitutes the line of

maritime delimitation resulting from the application of that principle;
(3) Honduras and Nicaragua succeeded, in 1821, to a maritime area con-
sisting of a 6-mile territorial sea; and (4) the uti possidetis juris gives rise
to a presumption of Honduran title to the continental shelf and exclusive
economic zone north of the 15th parallel.

75. My position on each of these elements of the Honduran position is
as follows:

Reaction to point (1) : No doubt. At present, as a principle of general
international law, uti possidetis juris is applicable to both land and mari-
time delimitations, as is upheld by the Judgment. Moreover, the Gámez-
Bonilla Treaty constituted a friendly settlement of “all pending doubts
and differences” in order to “demarcate on the spot the dividing line

which is to constitute the boundary between the two Republics” (Arti-
cle 1 of the Treaty). The word “boundary” is thus not qualified by the
adjective “land”. The practice of the Parties bears out this interpretation,
moreover, as the Minutes II of the Mixed Commission of 12 June 1900
effected a demarcation between the two Republics in the part of the Bay

or Gulf of Fonseca “contiguous to the coastline of both States without
there being a distance of 33 km between their coasts” (I.C.J. Pleadings,
Arbitral Award Made by the King of Spain on 23 December 1906 (Hon-
duras v. Nicaragua), Vol. I, p. 235). See also the Nicaraguan Note of
19 March 1912 referred to in paragraph 73 above.

Reaction to point (2) : Yes, if the statement is understood to apply to
the maritime area of the 6-nautical-mile territorial sea from the colonial
period; no, however, as far as the whole of the “traditional maritime
boundary” is concerned, as I agree with Nicaragua that title to the exclu-

sive economic zone or the continental shelf is an obviously modern legal
notion which did not exist in 1821.
Reaction to point (3) : No doubt, under the principle of uti possidetis
juris.
Reaction to point (4) : I understand this point as meaning that the

uti possidetis juris principle was used to determine the coasts of each
Party, which in turn form the basis of the title governing the delimitation
between the Parties to the present case of the maritime areas comprising
the continental shelf and exclusive economic zones.

*

76. The Judgment of the Court acknowledges — as do both Parties —
that the 1906 Arbitral Award fixed the extreme common point of the
land boundary which it established on the Atlantic coast. In which case,
how can it be said, in the context of application of the uti possidetis juris
principle, that nothing in the 1906 Arbitral Award indicates that the 15th

parallel of latitude north has been regarded as constituting the boundary
line? We have at least one point, the extreme common boundary point on

149805 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

commun sur la côte atlantique dégagé par la sentence arbitrale, qui est le
«starting uti possidetis juris point» d’une ligne de délimitation de la mer
territoriale entre les Parties et, à ce titre, il peut certainement être invoqué

comme un élément de preuve d’une succession à une eigne de partage
maritime le long de la ligne horizontale du 15 parallèle pour ce qui est
des 6 milles marins ici considérés.
77. Le fait que ce point soit situé à proximité du 15 parallèle nord près
du cap Gracias a Dios et non pas, par exemple, sur un parallèle ou un

méridien passant près du cap Camarón, de Punta Patuca, du cap Falso
ou de Sandy Bay, est un indice ou un élément, circonstanciel certes, mais
sans doute très important, parmi d’autres, pour un juge ou un arbitre
engagés dans l’application du principe de l’uti possidetis juris.L a

Chambre constituée en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire
etmaritime(ElSalvador/Honduras;Nicaragua(intervenant)) l’abiencom-
pris lorsqu’elle a dégagé des méthodes d’appréciation et d’interprétation
des preuves en harmonie avec la nature essentiellement historique du

principe en Amérique latine.
78. Dire que la sentence arbitrale de 1906, comme telle, n’a pas effec-
tué une délimitation maritime dans l’Atlantique est exact, mais dire
qu’elle «n’est pas applicable» à la présente délimitation maritime entre
les Parties l’est beaucoup moins. Pour moi, en tout cas, ladite sentence est

essentielle pour savoir quelles sont les îles appartenant à l’une et à l’autre
Partie et connaître le fondement juridique, le titre, de leurs revendications
respectives dans la délimitation maritime qui fait l’objet de la présente
instance. Il faut se familiariser avec les motifs de la sentence arbitrale

pour être à même de connaître la situation de l’uti possidetis juris de 1821
le long des côtes des Parties et dans leurs zones maritimes adjacentes res-
pectives, car la terre domine la mer. Or, la terre, les façades maritimes des
Parties sont définies par la sentence arbitrale de 1906 et non pas par les
ressources de la zone économique exclusive située au large au-delà de la

mer territoriale.
79. Quant à la question, différente, de la portée de la res judicata de la
sentence arbitrale de 1906, il faudra, s’il y a lieu, appliquer la jurispru-
dence de la Cour concernant la relation entre dispositif et motifs, car la

res judicata n’est pas seulement ce qui est écrit matériellement dans le dis-
positif d’une sentence ou d’un arrêt (voir, par exemple, l’affaire relative à
l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) , arrêt du

26 février 2007, par. 26).

*

80. Je ne peux suivre la majorité de la Cour lorsque l’arrêt ignore pra-
tiquement les données de fait historiques, géographiques et juridiques
développées dans les motifs de la sentence arbitrale de 1906. Je voudrais
souligner toute l’importance de la documentation de cette affaire arbi-

150 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 805

the Atlantic coast resulting from the Arbitral Award, which is the “start-

ing uti possidetis juris point” of a line delimiting the territorial seas
between the Parties and, in that respect, it can definitely be invoked as
evidence of succession to a maritime dividing line along the horizontal
line of the 15th parallel North for the 6 nautical miles under considera-
tion here.

77. The fact that this point is located in the vicinity of the 15th parallel
North close to Cape Gracias a Dios and not, for example, on a parallel
or a meridian passing close by Cape Camarón, Punta Patuca, Cape Falso
or Sandy Bay is admittedly a circumstantial indication or piece of evi-
dence, but undoubtedly a very significant one for a judge or arbitrator

involved in applying the uti possidetis juris principle. The Chamber
formed for the Land, Island and Maritime Frontier Dispute (El Salvador/
Honduras; Nicaragua intervening) case understood this point well when
it adopted methods of assessing and interpreting the evidence that were

in keeping with the essentially historical character of that principle in
Latin America.
78. It is correct to say that the Arbitral Award of 1906 as such did not
carry out any maritime delimitation in the Atlantic, but much less so to
state that it “is not applicable” to the present maritime delimitation

between the Parties. In my opinion, in any event, the Award is essential
for identifying which of the islands belongs to which of the Parties and
for examining the legal basis, the title, of their respective claims in the
maritime delimitation exercise which forms the subject of these proceed-
ings. It is necessary to examine the reasons for the Arbitral Award in

order to gain a proper view of the uti possidetis juris position in 1821
along the Parties’ coasts and in their respective adjacent maritime areas,
because the land dominates the sea. And the land — the coastal fronts of
the Parties — was defined by the 1906 Arbitral Award and not by the
resources of the exclusive economic zones located out beyond the terri-

torial seas.
79. As to the different issue of the scope of the res judicata of the 1906
Arbitral Award, what is required is to apply, where appropriate, the
jurisprudence of the Court concerning the relationship between the opera-
tive part and the reasoning of a judgment, since res judicata does not

apply only to what is materially indicated in the operative part of an
award or a judgment (see, for example, the case concerning Application
of the Convention for the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro), Judg-
ment of 26 February 2007, para. 26).

*

80. I cannot follow the majority when the Judgment practically ignores
the historical, geographical and legal facts set out in the reasoning of the

1906 Arbitral Award. I would like to emphasize the importance of the
documentation in that arbitral case for applying the principle of uti pos-

150806 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

trale pour une application du principe de l’uti possidetis juris à la pré-
sente délimitation maritime, documentation fournie à la Cour en 1960

par les Parties qui sont les mêmes Parties que celles à la présente espèce
(voir C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le
23 décembre 1906, vol. I et II).
81. Si l’on consulte les motifs de la sentence arbitrale et la documenta-

tion en question — invoqués d’ailleurs par le défendeur —, on peut
apprécier toute l’importance du rôle historique du cap Gracias a Dios en
tant que point saillant séparant les côtes de la province du Honduras de
celles de la province du Nicaragua, et avoir ainsi une vision de l’espace de
mer territoriale de 6 milles qui correspondait avant le 15 septembre 1821

à l’une ou à l’autre en tant que provinces coloniales espagnoles.

82. Cette vision est d’ailleurs suffisamment précise — aux fins d’une
application du principe de l’uti possidetis juris — pour pouvoir reconnaî-

tre et affirmer que c’étaet bien au niveau du parallèle passant par le cap
Gracias a Dios (ou 15 parallèle de latitude nord) que, le jour de l’indé-
pendance, se terminait la zone de mer territoriale continentale de la
République du Honduras et commençait la zone de mer territoriale conti-

nentale de la République du Nicaragua venant du nord et vice versa
venant du sud. Nous parlons bien entendu d’une «délimitation» de 1821
et non pas d’une «démarcation» en mer de 2007. Car, comme il est dit
dans la sentence arbitrale de 1906:

«Considérant que, de tout cet exposé, il résulte que le point qui
répond le mieux au point de vue du droit historique, de l’équité et du
caractère géographique pour servir de limite commune entre les deux
Etats limitrophes sur la côte de l’Atlantique est le cap Gra-

cias a Dios, et que ce cap marque le point qui a été le point terminus
de l’expansion ou de la conquête du Nicaragua au nord et du Hon-
duras au sud.» (Recueil international des traités du XX e siècle, Des-
camps et Renault, 1906, p. 1035.)

83. J’ai parfois le sentiment, en lisant l’arrêt, que la Cour exige trop,
pour la preuve de l’uti possidetis juris et pour la définition de ce qui était,
au début du XIX siècle, une délimitation maritime des eaux territoriales
entre côtes adjacentes de deux Etats. Il faut se demander si, à l’époque,

même en Europe, il était d’usage d’effectuer une délimitation collatérale
de la mer territoriale par des lignes précises définies dans des traités
conclus en bonne et due forme. J’ai des doutes à cet égard. En outre, dans
la présente instance, les preuves, les informations et la géographie étaient

particulièrement claires pour une application de l’uti possidetis juris àla
délimitation des premiers 6 milles de la mer territoriale entre les côtes
continentales concernées des Parties.

*

151 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 806

sidetis juris to the present maritime delimitation, documentation submit-
ted to the Court in 1960 by the Parties, who were the same as the Parties
to the present proceedings (see I.C.J. Pleadings, Arbitral Award Made by
the King of Spain on 23 December 1906 (Honduras v. Nicaragua),

Vols. I and II).
81. An examination of the reasoning of the Arbitral Award and the
documentation in question — to which the Respondent referred, more-
over — makes it possible to appreciate the full importance of the histori-
cal role of Cape Gracias a Dios as the projection separating the coast of

the province of Honduras from that of the province of Nicaragua, and
thus to arrive at an image of the area of the 6-mile territorial sea apper-
taining to one or other of these Spanish colonial provinces prior to
15 September 1821.
82. Such an image is, moreover, sufficiently precise — for the purpose

of applying the uti possidetis juris principle — to acknowledge and assert
that it was indeed at the parallel running through Cape Gracias a Dios
(i.e., the 15th parallel North) that, on the day of their independence, the
area of the mainland territorial sea of the Republic of Honduras came to

an end and the area of the mainland territorial sea of the Republic of
Nicaragua began, to the north and south respectively. We are, of course,
talking about a “delimitation” from 1821 and not a “demarcation” at sea
in 2007. As was said in the 1906 Arbitral Award

“Whereas, from what is inferred from all the foregoing, the point
which best answers the purpose by reason of historical right, of
equity and of a geographical nature, to serve as a common boundary
on the Atlantic Coast between the two contending States, is
Cape Gracias a Dios for the Atlantic Coast, and further, as this

Cape fixes what has practically been the limit of expansion or
encroachment of Nicaragua towards the north and of Honduras
towards the south.” (Recueil international des traités du XX esiècle,
Descamps et Renault, 1906, p. 115.)

83. I sometimes have the impression, reading the Judgment, that the

Court demands too much as evidence of uti possidetis juris and as a defi-
nition of what constituted, at the beginning of the nineteenth century, a
maritime delimitation of the territorial waters between the adjacent coasts
of two States. One must ask whether it was customary at the time, even
in Europe, to effect collateral delimitation of territorial seas by means of

precisely defined lines in treaties concluded in due form. I have some
doubts in that respect. Moreover, in the present case, the evidence, infor-
mation and geography are particularly clear for uti possidetis juris to be
applied to the delimitation of the first 6 miles of territorial sea between

the Parties’ mainland coasts in question.

*

151807 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

84. Le Honduras affirme que le 15 parallèle est la ligne de partage
entre les Parties de l’espace maritime des 6 milles des eaux territoriales

hérité de l’Espagne. Il a notamment invoqué le fait que, conformément
au décret royal du 23 août 1745, origine du partage de la juridiction dans
l’espace maritime en cause entre le gouverneur du Honduras et le com-
mandement général du Nicaragua, et au décret royal de 1803, le cap Gra-

cias a Dios marquait la séparation entre les deux juridictions, ainsi que la
propension de la Couronne espagnole à utiliser des parallèles et méridiens
pour définir les divisions juridictionnelles.
85. En outre, le Honduras a soumis à la Cour, en tant qu’éléments de
preuve, des cartes géographiques (en particulier un «Plan géographique

du vice-royaume de Santa Fé de Bogotá, nouveau royaume de Gra-
nada, 1774» (duplique du Honduras (DH), vol. 2, annexe 232)) et les avis
de deux experts annexés à la duplique, à savoir:

1) un «avis du professeur docteur José Manuel Pérez-Prendes Muñoz-

Arraco sur les capitaineries générales et les Gouvernements espagnols
dans le droit historique d’outre-mer. Compétences générales. Applica-
tion dans les terres et mers qui appartiennent aujourd’hui à la Répu-
blique du Honduras» (ibid., vol. 2, annexe 266); et
2) un «avis du professeur docteur Mariano Cuesta Domingo sur la ques-

tion des droits honduriens dans les eaux de l’océan Atlantique. Les
limites maritimes du Honduras dans l’océan Atlantique» (ibid.,
annexe 267).

86. Les conclusions de l’avis du professeur Pérez-Prendes sont les sui-

vantes:

«1. Les pouvoirs conférés par la législation d’outre-mer aux capi-
taineries générales incluaient, explicitement et de tout temps, les
actions jugées opportunes par ces autorités dans l’ensemble des es-
paces maritimes adjacents à leurs côtes.

2. La capitainerie générale de Guatemala, dont relevait le Gou-
vernement du Honduras, exerçait les pouvoirs en question depuis
des ports spécifiquement honduriens.
3. Cet exercice fut constant entre le XVI et le XIX siècle et se

manifesta notamment par la reconnaissance, le contrôle et la défense
de la zone atlantique baignant le littoral de ce qui est aujourd’hui la
République du Honduras, surtout dans la région du cap Gra-
cias a Dios.
4. Ces pouvoirs étaient définis comme s’exerçant dans une zone

incluant des territoires et des espaces maritimes, et l’opinion générale
considérait que les lignes de délimitation terrestres se prolongeaient
en mer.
5. Nous avons également cité dans cet avis des témoignages attes-

tant que les îles incluses dans les espaces maritimes cités dans la
conclusion précédente relevaient de la juridiction et du pouvoir des
autorités militaires stationnées sur la terre dont elles étaient perçues

152 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 807

84. Honduras asserts that the 15th parallel is the dividing line between

the Parties of the maritime area represented by the 6-mile territorial
waters inherited from Spain. It relied inter alia on the fact that, in
accordance with the Royal Decree of 23 August 1745, which originally
divided jurisdiction in the maritime area concerned between the Gover-
nor of Honduras and the military command of Nicaragua, and with the

Royal Decree of 1803, Cape Gracias a Dios marked the limit between the
two jurisdictions, and also on the tendency of the Spanish Crown to use
parallels and meridians when drawing up jurisdictional divisions.
85. In addition, Honduras submitted geographical maps to the Court
as evidence appended to its Rejoinder (in particular a “Geographical

Plan of the Viceroyalty of Santa Fé de Bogotá, New Kingdom of Gra-
nada, 1774” (RH, Vol. 2, Ann. 232)), together with the opinions of two
experts, namely:

(1) an “Opinion by Professor Doctor José Manuel Pérez-Prendes Muñoz-
Arraco on Spanish Captaincies-General and Governments in the

Historical Overseas Law. General Competencies. Its Practice in Lands
and Seas Belonging Today to the Republic of Honduras” (ibid.,
Vol. 2, Ann. 266); and
(2) an “Opinion by Professor Doctor Mariano Cuesta Domingo on the
Question of the Honduran Rights in the Waters of the Atlantic

Ocean. Maritime Limits of Honduras in the Atlantic Ocean” (ibid.,
Ann. 267).

86. The conclusions of Professor Pérez-Prendes’s opinion are as fol-
lows:

“1. The powers granted by Overseas legislation to the Captaincies-
General, included, unequivocally and at all times, the actions that
were considered timely on the part of those authorities in the mari-

time areas, wherever those coasts and seas existed.
2. The Captaincy-General of Guatemala, to which the Govern-
ment of Honduras belonged, exercised the cited competencies from
specifically Honduran ports.
3. Such exercise was constant from the XVI century up to the

XIX century, and especially fulfilled through the reconnaissance,
control and defense of the area of the Atlantic Ocean which washes
ashore the current Republic of Honduras and specifically also in the
area of Cape Gracias a Dios.
4. The demarcations indicated for the cited exercise included both

land and maritime spaces, and it was a common understanding that
these border lines that separated the corresponding land surface
areas, prolonged into the sea.
5. It has also been testified in this opinion how the islands inclu-
ded in the maritime spaces cited in the previous conclusion, fell

under the authority and power of the military authorities that
were quartered in the land that was considered prolonged (follow-

152808 DIFFÉREND (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

comme le prolongement (dans le cadre de l’extension des limites)
dans l’espace maritime adjacent.» (DH, vol. 2, annexe 266.)

87. En ce qui concerne le deuxième avis, le professeur Mariano Cuesta
Domingo conclut que

«[l]e parallèle traversant le cap Gracias a Dios (qui peut très bien
être désigné comme le 15 parallèle) est celui qui — sous une forme
parfaitement géométrique, astronomique, géographique, historique
et juridique (Indiano) — constitue la limite claire et indubitable des

eaux honduriennes dans le Sud» (ibid., annexe 267).

*

88. Au cours de la phase orale, le Nicaragua s’en est pris au premier

des avis ci-dessus, prétendant qu’il souffrait de graves lacunes normatives
et invoquant à ce propos les instruments suivants: 1) l’ordonnance royale
sur les garde-côtes du 22 mai 1802; 2) l’instruction pour la gouverne des
garde-côtes aux Indes de 1803; 3) l’ordonnance sur les navires corsaires

de 1796, revisée en 1801; et 4) l’ordonnance relative au régime et au gou-
vernement militaire des immatriculations maritimes (matrícula del mar)
de 1802 (CR 2007/7). Je ne vois pas en quoi le texte de ces instruments,
soumis aux juges lors des audiences, modifie les conclusions générales qui
découlent des avis émis par les experts honduriens.

89. Mais le Nicaragua ne s’est pas limité à parler d’éléments de preuve.
Il a soumis des arguments présentés sous la forme d’une thèse intitulée
«La mer, un espace unitaire sous juridiction unique dans la monarchie
espagnole», accompagnée d’une interprétation historique concernant «le

régime de la mer adjacente aux côtes de la capitainerie générale du Gua-
temala» et affirmait d’une autre que «les établissements de la côte de
Mosquitos ne furent jamais sous la juridiction de l’intendance de
Comayagua (Honduras)». Pour l’interprétation de ces événements his-

toriques, je m’en tiens à ce qui résulte de la sentence arbitrale de 1906
(voir par exemple le paragraphe 42 de la présente opinion).

*

90. Reste cependant à considérer l’argument principal de la thèse du
Nicaragua lorsqu’il affirme que, sous l’ancienne monarchie espagnole,
«toute la mer» était un espace unitaire sur lequel une juridiction spéciale
et centralisée, celle de la marine royale, s’appliquait à titre exclusif. Une

fois faite une affirmation aussi fracassante, l’argument se poursuit en
indiquant que la juridiction sur la mer territoriale appartenait aux auto-
rités espagnoles à Madrid et non pas aux autorités locales d’Amérique, y
compris les capitaineries générales, pour, finalement, se terminer en affir-
mant que la revendication par la Couronne espagnole d’une mer territo-

riale de 6 milles ne permet de «rien ... inférer s’agissant de la limite de

153 DISPUTE (DISS. OP.TORRES BERNÁRDEZ ) 808

ing its land limits) into the maritime space that washed its coasts.”
(RH, Vol. 2, Ann. 266.)

87. As regards the second opinion, Professor Mariano Cuesta
Domingo concluded that:

“[t]he parallel that goes through Cape Gracias a Dios (which can
very well be designated as parallel 15) is the one that in a perfectly,
geometrically, astronomically, geographically and historically and
legal (Indiano) form, constitutes the limit of Honduran waters in the

South in a clear and indubitable manner” (ibid., Ann. 267).

*

88. During the oral arguments stage, Nicaragua attacked the first of

these expert opinions, claiming that it showed serious methodological
deficiencies and invoking in this respect the following instruments: (1) the
Royal Order on coastguards of 22 May 1802; (2) the Instruction for the
regulation of coastguard vessels in the Indies of 1803; (3) the Ordinance

on privateering vessels of 1796, amended in 1801; and (4) the Ordinance
concerning the régime and military governance of sailors’ registration
(matrícula del mar) of 1802. I do not see in what way the texts of these
instruments, submitted to the judges during the hearings, alter the gen-
eral conclusions resulting from the opinions delivered by the Honduran

experts.
89. However, Nicaragua did not confine itself to discussing items of
evidence. It presented arguments in the form of a proposition entitled
“The sea, one area under one jurisdiction in the Spanish monarchy”,
accompanied by a historical interpretation regarding “The régime of the

sea adjacent to the coasts of the Captaincy-General of Guatemala” and
another entitled “The settlements on the Mosquito Coast were never
under the jurisdiction of the Intendancy of Comayagua (Honduras).”
For the interpretation of these historical events, I stand by what emerged

from the Arbitral Award of 1906 (see for example paragraph 42 above).

*

90. However, we have still to address the central thrust of Nicaragua’s
argument, whereby it asserts that under the former Spanish monarchy
“the whole sea” formed a single area, over which a special centralized
jurisdiction — that of the navy — exclusively applied. Having made this

thunderous assertion, the argument goes on to state that jurisdiction over
the territorial sea belonged to the Spanish authorities in Madrid and not
to the local authorities in the Americas, including the Captaincies-
General, contending finally that the Spanish Crown’s claim to a 6-mile terri-
torial sea “tells [us] nothing with regard to the limit of this territorial sea

between the Provinces of Honduras and Nicaragua” (Judgment,

153809 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

cette mer territoriale entre les provinces du Honduras et du Nicaragua»
(arrêt, par. 231; les italiques sont dans l’original). Nous sommes donc
devant une espèce de syllogisme.
91. Mais c’est un syllogisme qui ne tient pas. Disons, tout d’abord, que

la prémisse majeure est ineeacte dès lors que le droit historique espagnol
— en tout cas au XVIII siècle (décret royal du 17 décembre 1760) —
distinguait déjà les eaux juridictionnelles espagnoles adjacentes à la côte
(les 6 milles) et le reste de la mer, sans préjudice de l’existence des eaux ou
baies historiques espagnoles comme celles du golfe de Fonseca dont le

Nicaragua est riverain. Dans ces conditions, comment peut-on affirmer
que pour l’ancienne monarchie espagnole toute la mer était un «espace
unitaire»?
92. Si la première prémisse est inexacte, la deuxième ne l’est pas moins,
car les rois espagnols du siècle des Lumières étaient, comme ailleurs en

Europe, à la tête de monarchies absolues où la source, modification et fin
de toute compétence, n’était que la volonté du roi. Tout émanait de sa
personne, avec l’assistance des ministres, des organes et des administra-
tions d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Ainsi, toutes les juridictions,

générales ou spéciales, territoriales ou de fonction, gouvernementales ou
judiciaires, civiles, militaires ou de la marine, étaient organisées autour et
en fonction de la personne du roi et, dans ce sens, toutes étaient centra-
lisées en ce qui concerne tant l’Espagne que les territoires d’outre-mer de
la monarchie. Toute compétence ou juridiction d’un organe, d’un repré-

sentant ou d’un fonctionnaire s’exerçait au nom du roi et n’était qu’une
délégation de son pouvoir souverain.
93. Mais que veut en fait prouver le Nicaragua avec sa thèse? Tout
simplement nier aux Républiques du Honduras et du Nicaragua le béné-
fice de l’espace marin de 6 milles dont jouissaient à la fin de l’époque

coloniale la province espagnole du Honduras et celle du Nicaragua. En
d’autres termes, le Nicaragua nie aux républiques issues de ces anciennes
«provinces coloniales» ledit espace maritime en tant que partie du legs
territorial de l’Espagne, comme Etat prédécesseur, afin d’écarter l’appli-

cation du principe de l’uti possidetis juris en l’espèce. Ainsi, les républi-
ques établies sur le territoire d’une ancienne «province coloniale» espa-
gnole en Amérique n’auraient reçu en vertu dudit principe que des «dry
coasts» de même, éventuellement, que les «vice-royautés» et les «capi-
taineries générales», car la thèse de la mer, espace unitaire géré par une

juridiction centralisée à Madrid, ne permet pas de faire de distinction
entre les «provinces coloniales» et les autres entités administratives ter-
ritoriales établies par la Couronne espagnole en Amérique.

94. Or, tout cela ne peut se produire du fait de l’organisation de juri-
dictions ou compétences par le droit historique espagnol, car la définition
des sujets actifs et de l’objet du principe de l’uti possidetis juris appartient
au droit international et non au droit historique espagnol. Le rôle que
joue le génitif «juris» dans le principe ne concerne que la preuve de l’exis-

tence d’une mer territoriale de 6 milles le long des côtes des territoires de

154 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 809

para. 231; emphasis in the original). We are thus confronted with a kind

of syllogism.

91. But it is a syllogism which does not stand examination. Let us
begin by pointing out that the major premise is incorrect, because his-
torical Spanish law — in any case in the eighteenth century (Royal

Decree of 17 December 1760) — already distinguished between the
waters under Spanish jurisdiction adjacent to the coast (the 6 miles) and
the rest of the sea, without prejudice to the existence of historic waters or
bays such as those of the Gulf of Fonseca on which Nicaragua has a
coast. In these circumstances, how can it be claimed that the sea formed

a “single area” for the Spanish Crown at that time?
92. If the first premise is incorrect, the second is no more accurate,
since the Spanish Kings of the age of enlightenment were, as elsewhere in
Europe, at the head of an absolute monarchy in which the King’s will

alone was the beginning, middle and end of all jurisdiction. Everything
flowed from his person, with the assistance of ministers, organs and
administrations on both sides of the Atlantic. Thus all jurisdictions, both
general and specific, territorial and functional, governmental and judicial,
civil, military and naval, were all organized around and as a function of

the King’s person and, in that respect, were all centralized in the person
of the King both for Spain and for the Crown’s overseas territories. All
the powers or jurisdictions of an organ, a representative or an official
were exercised on behalf of the King and were no more than the delega-
tion of the sovereign’s power.

93. But what does Nicaragua seek to prove with this argument? Quite
simply to deprive the Republics of Honduras and Nicaragua of the ben-
efit of the 6-mile maritime area enjoyed by the Spanish provinces of Hon-
duras and Nicaragua at the end of the colonial period. In other words,
Nicaragua denies to the republics created from the former “colonial

provinces” of Honduras and Nicaragua this maritime area as part of
their territorial inheritance from Spain, as the predecessor State, in order
to rule out the application of the principle of uti possidetis juris in the
present case. Thus, the republics established on the territory of the
former “colonial provinces” in the Americas received no more than “dry

coasts” under the uti possidetis juris principle, in the same way, possibly,
as the “Viceroyalties” and “Captaincy-Generals”, since the proposition
that the sea was a single area administered by a centralized jurisdiction in
Madrid does not make it possible to distinguish between the “colonial
provinces” and the other administrative territorial entities established by

the Spanish Crown in the Americas.
94. But no such thing could come out of the organization of jurisdic-
tions and authority under historical Spanish law, as the definition of the
active subjects and the object of the principle of uti possidetis juris
belongs to international law and not to historical Spanish law. The role

played by the genitive “juris” in the principle only concerns the evidence
for the existence of a 6-mile territorial sea off the coasts of the territories

154810 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

la Couronne espagnole en Amérique. Ce rôle ne va pas plus loin. Il
s’ensuit que la gestion centralisée ou non de la mer par la Couronne espa-
gnole est dépourvue de toute pertinence pour la détermination, par le

droit international, des Etats successeurs de la monarchie espagnole pou-
vant bénéficier, dès la date de leur indépendance, desdits 6 milles de mer
territoriale en tant que partie du «legs territorial» de l’Etat prédécesseur.

*

95. Ainsi, la thèse nicaraguayenne se fonde sur une confusion concep-
tuelle entre les rôles respectifs en la matière du principe de droit interna-

tional de l’uti possidetis juris et du droit historique espagnol en Améri-
que. En outre, elle n’est pas non plus conforme aux réalités du droit
historique espagnol. Le fait que, dans la seconde moitié du XVIII siècle,
la marine royale ait été réorganisée pour essayer de faire d’elle un instru-

ment plus efficace dans l’exercice de ses propres compétences telles que
définies par le roi ne change rien au fait que même la marine royale était
représentée sur le sol américain par des chefs de départements de la
marine, par exemple aux Apostaderos de La Havane et Cartagena de
Indias. Comment la marine aurait-elle pu, autrement, contribuer d’une

manière efficace, en tant que force complémentaire, à la défense et à la
sécurité des territoires américains de la monarchie ainsi qu’à la préven-
tion et à la répression de la contrebande dans la mer des Caraïbes au
bénéfice du Trésor royal? Dans ces circonstances, parler de «titres exclu-

sifs» ne veut pas dire grand-chose. Tout était du ressort du titre exclusif
en possession du roi lui-même, c’est-à-dire de son titre sur la marine
royale et sur tout le reste.
96. L’existence d’une juridiction spéciale de la marine n’excluait pas
l’exercice dans la mer territoriale de 6 milles des compétences de caractère

gouvernemental, militaire ou maritime d’une capitainerie générale ou d’un
gouvernement provincial (ces derniers furent également renforcés avec
l’introduction du système des intendants au XVIII siècle). Les compé-
tences en mer d’un capitaine général ou d’un gouverneur ne furent pas en-

tamées par celles de la marine royale. Elles étaient plus ou moins larges,
selon ce que décidait le roi lors de leur désignation ou durant leur mandat.
97. Le brevet royal du 23 août 1745 nommant le colonel Juan de Vera

«gouverneur et commandant général de la province du Honduras et
commandant général des armées de ladite province du Honduras et

de celles comprises depuis l’endroit où prend fin la juridiction du
gouverneur et capitaine général de la province du Yucatan jusqu’au
cap Gracias a Dios» (C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par
le roi d’Espagne le 23 décembre 1906 , vol. I, p. 382),

et celui nommant Alonso Fernández de Heredia «gouverneur et com-

155 DISPUTE (DISS. OP.TORRES BERNÁRDEZ ) 810

of the Spanish Crown in the Americas. Its role does not go any further. It

follows that the centralized administration or otherwise of the sea by the
Spanish Crown is of no relevance whatsoever for the determination, in
international law, of the ability of the successor States of the Spanish
Crown to benefit, from the date of their independence, from the said
6-mile territorial seas as part of their “territorial inheritance” from Spain,

as the predecessor State.

*
95. The Nicaraguan argument is therefore based on a conceptual con-

fusion between the respective roles of the principle of uti possidetis juris
in international law and the historical Spanish law of the Americas.
Moreover, it does not correspond to the reality of historical Spanish law
either. The fact that the Spanish royal navy was reorganized in the sec-

ond half of the eighteenth century, in an attempt to turn it into a more
effective instrument for the accomplishment of its own duties as defined
by the King, does not in any way change the fact that even the royal navy
was represented on land in the Americas by the heads of navy depart-
ments, for example at the Apostaderos of Havana and Cartagena de

Indias. Otherwise, how could the navy have contributed effectively, as an
additional force, to the defence and security of the Crown’s American
territories and to the prevention and suppression of smuggling in the
Caribbean Sea, to the benefit of the Royal Treasury? In these circum-
stances, to talk about “exclusive titles” makes little sense. Everything fell

within the exclusive title held by the King himself, that is to say his title
over the royal navy and over everything else.

96. The existence of a special jurisdiction of the navy did not in any
way prevent the exercising of governmental, military or maritime powers

within the 6-mile territorial sea by a Captaincy-General or a provincial
Government (the latter were also strengthened by the introduction of the
Intendant system in the eighteenth century). The jurisdiction at sea of a
Captain-General or a Governor was not curbed by that of the Spanish
royal navy. The scope of jurisdictions varied according to what the King

decided when appointing office holders or during their mandates.
97. The Royal Warrant of 23 August 1745 appointing Colonel
Juan de Vera

“Governor and Commander-General of the Province of Hondu-
ras and Commander-General for the command of the said Province
of Honduras and of the territory comprised between the limit of
jurisdiction of the Governor and Captain-General of the Province of

Yucatan up to Cape Gracias a Dios” (I.C.J. Pleadings, Arbitral
Award Made by the King of Spain on 23 December 1906 (Hondu-
ras v. Nicaragua), Vol. I, p. 382),

and that naming Alonso Fernández de Heredia “Governor and Com-

155811 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

mandant général de la province de Nicaragua et commandant général des
armées depuis le cap de Gracias a Dios jusqu’à la rivière Chagres» (C.I.J.
Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le 23 décembre
1906, p. 379) concernaient la guerre en cours, la sécurité et la défense des

côtes ainsi que la répression du commerce illicite.

98. En outre, un capitaine général d’une capitainerie ou un gouverneur
d’une province pouvaient être appelés, à tout moment, à exercer des acti-
vités de toutes sortes sur terre comme en mer. A ce propos, les instruc-

tions royales du 23 août 1745 au colonel Juan de Vera sont particulière-
ment instructives (ibid., p. 385). En outre, les instructions pouvaient
autoriser l’exercice de compétences au-delà de la zone des 6 milles,
comme le Nicaragua lui-même le reconnaît implicitement dans le passage
suivant de sa réplique:

«[L]es ordres donnés par le monarque à ces capitaines généraux et

autres représentants de combattre les actes de piraterie, les corsaires
et la contrebande dans une zone géographique plus ou moins définie
ne sauraient en aucun cas être assimilés à des actes d’attribution d’une
compétence territoriale sur la haute mer.» (RN, p. 66, par. 4.61.)

99. Ainsi, dans un même espace, qu’il soit terrestre ou maritime,
coexistaient plusieurs juridictions, chaque titulaire exerçant l’activité ou
la fonction qui lui était dévolue par la législation générale ou les instruc-

tions particulières du monarque. Les conflits de juridictions étaient fré-
quents. Ils étaient résolus par l’autorité supérieure et, en dernière ins-
tance, par le roi lui-même.

*

100. Finalement, le Nicaragua s’est rabattu sur l’indivision des eaux de
l’espace maritime des 6 milles de la mer territoriale. Il l’a fait dans les
termes suivants:

«[L]a seule chose que l’on puisse dire est que, à la date de l’indé-
pendance, une souveraineté conjointe des républiques riveraines se

produisit sur les eaux de la Couronne [espagnole] ... et perdure tant
que l’on ne procédera pas à une délimitation des espaces correspon-
dant à chacune d’elles.» (CR 2007/3, p. 35, par. 82.)

Cela équivaut à admettre qu’il y a bel et bien eu succession de la Répu-
blique du Nicaragua et de la République du Honduras aux 6 milles
d’eaux territoriales de la période coloniale au large du cap Gracias a Dios

en vertu du principe de l’uti possidetis juris, sans préjudice du partage
entre les Parties de ces eaux qui, d’après le Nicaragua, restait à effectuer.

101. Disons à ce propos que, dans la zone de mer territoriale à déli-
miter entre les côtes continentales des Parties dans la présente affaire, les

circonstances juridiques et de géographie physique et politique ne sont

156 DISPUTE (DISS.OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 811

mander-General of Nicaragua and Commander-General of the territory

comprised from Cape Gracias a Dios until the River Chagres” (I.C.J.
Pleadings, Arbitral Award Made by the King of Spain on 23 December
1906 (Honduras v. Nicaragua, Vol. I, p. 379) concerned the ongoing war
situation, the security and defence of the coasts and the suppression of
illicit trade.

98. Furthermore, a captain-general of a captaincy or a governor of a
province could be called upon at any time to perform activities of all
kinds both on land and at sea. In this respect, the royal directives of
23 August 1745 to Colonel Juan de Vera are particularly instructive
(ibid., p. 385). Moreover, the directives could authorize the exercise of

power beyond the 6-mile area, as Nicaragua implicitly acknowledged in
the following passage of its Reply:

“[T]he Monarch’s orders to his Captains General and other
authorities to oppose piracy, the corsairs and trade in contraband in
a more or less defined geographical area, by no means can be con-

fused with acts of attribution of territorial jurisdiction on the high
seas.” (RN, p. 66, para. 4.61.)

99. Thus within a given area, be it on land or at sea, several jurisdic-
tions co-existed, with each such holder exercising the functions or activity
that had been entrusted to him by general legislation or the specific
instructions of the monarch. Conflicts of jurisdictions were frequent.
They were settled by the higher authority and, in the last resort, by the

monarch himself.

*

100. Nicaragua finally fell back on the non-division of the 6-mile mari-

time area of the territorial sea from the colonial period. It did so in the
following terms:

“[t]he only thing that can be said is that, at the date of independence,
a joint sovereignty of the riparian republics arose over the waters of
the Spanish Crown...and persists until such time as the areas cor-
responding to each of them are delimited” (CR 2007/3, p. 35,
para. 82).

This amounts to acknowledging that the Republic of Nicaragua and the
Republic of Honduras did indeed succeed to the 6 miles of territorial

waters from the colonial period off Cape Gracias a Dios under the prin-
ciple of uti possidetis juris, without prejudice to the division between the
Parties of those waters, which, according to Nicaragua, had yet to be
made.
101. Let us point out, in this respect, that in the area of territorial sea

to be delimited between the mainland coasts of the Parties to the present
case, the legal circumstances and the circumstances of physical and politi-

156812 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

pas celles du golfe de Fonseca. L’indivision, sans plus, ne signifie pas que
l’on soit devant une situation de souveraineté conjointe. Pour cela, il faut

encore que les eaux indivisées en question se trouvent placées dans une
situation ou une structure de communauté qui n’existe pas en l’espèce .La
Chambre de 1992 a été très claire à cet égard (Différend frontalier ter-
restre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (inter-

venant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 599, par. 401).

*

102. Les conclusions des avis d’experts soumis par le Honduras m’ont

conforté dans ma conviction — fondée sur l’ensemble de la documenta-
tion de l’affaire — que la ligne du 15 parallèle nord (c’est-à-dire la pro-
jection en mer du parallèle correspondant environ au cap Gracias a Dios)
était — au moins au cours du XVIII siècle — la ligne de division entre

les juridictions de l’une et de l’autre province coloniale considérée, y com-
pris pour les 6 milles d’eaux territoriales de l’époque (décret royal du
17 décembre 1760).
103. L’état de choses qui existait sur place en 1821 correspondait à

l’évidence, cela tombe sous le sens lorsqu’on lit le dossier judiciaire de
l’affaire, à une situation où d’après le principe de droit international de
l’uti possidetis juris la ligne du parallèle passant par le cap Gracias a Dios
faisait fonction de ligne de partage pour la zone des 6 milles des anciennes

eaux territoriales de l’époque coloniale entre les nouvelles républiques
dans la mer de Caraïbes.
104. Les parties le savaient bien en 1821, comme le prouve la note
diplomatique de 1844 (paragraphe 47 de la présente opinion), et la sen-

tence arbitrale de 1906 le leur confirma. Il est vrai qu’aucune des Parties
n’a soumis à la Cour des documents ou des cartes espagnoles concernant
le tracé d’une ligne de division de la zone des 6 milles le long du 15 paral-
lèle, mais les deux parties ont, dès le lendemain de l’indépendance, agi

comme si une telle division maritime existait véritablement entre les deux
provinces à l’époque coloniale.
105. Ce constat confirmé, il n’y a plus lieu de procéder à d’autres
recherches. La conduite des Parties est désormais l’expression authen-

tique de l’uti possidetis juris de 1821. Comme la Chambre de la Cour de
1992 l’a déclaré, si l’uti possidetis juris est susceptible d’être interprété par
un traité ou par la décision d’un juge ou arbitre international, on voit mal
pourquoi il ne pourrait pas l’être par le biais d’un acquiescement ou
d’une reconnaissance des Parties (C.I.J. Recueil 1992, p. 401, par. 67).

106. Finalement, l’arrêt semble ne pas se soucier du tout du fait que
l’uti possidetis juris est un principe d’application automatique (C.I.J.
Recueil 1992, p. 565, par. 345). Lors de l’indépendance, les limites des
divisions administratives coloniales, terrestres ou maritimes en cause sont

transformées en frontières internationales «by operation of the law» .
Aucun acte de volonté complémentaire n’est nécessaire.
107. En outre, depuis la démarcation effectuée en 1962 par la commis-

157 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 812

cal geography are not those obtaining in the Gulf of Fonseca. “Non-

division”, purely as such, does not mean that we are dealing with a situ-
ation of joint sovereignty. For that, the undivided waters would have to
be in a situation or state of community, which does not exist in the present
case. The Chamber was very clear on that point in 1992 (Land, Island
and Maritime Frontier Dispute (El Salvador/Honduras: Nicaragua inter-

vening), Judgment, I.C.J. Reports 1992 , p. 599, para. 401).

*
102. The conclusions of the expert opinions submitted by Honduras

have strengthened my conviction — based on all the documentation in
the case — that the line of the 15th parallel North (i.e., the continuation
out to sea of the parallel roughly corresponding to Cape Gracias a Dios)
was — at least during the eighteenth century — the dividing line between

the jurisdictions of the two Spanish colonial provinces in question, includ-
ing the 6 miles of territorial waters of the period (Royal Decree of
17 December 1760).
103. If one examines all the points of law in the case, it stands to rea-
son that the situation obtaining in 1821 was one in which, according to

the uti possidetis juris principle of international law, the line of the par-
allel running through Cape Gracias a Dios acted as a dividing line
between the new republics as regards the 6-mile area of territorial waters
in the Caribbean Sea from the former colonial period .

104. The Parties knew this well in 1821, as is shown by the diplomatic
Note of 1844 (paragraph 47 above), and it was confirmed for them by the
1906 Arbitral Award. It is true that neither of the Parties filed Spanish
documents or maps with the Court concerning the path of a dividing line
of the 6-mile area along the 15th parallel, but both Parties acted, imme-

diately after independence, as if such a maritime division genuinely
existed between the two provinces of the colonial era.

105. Having confirmed this conclusion, there is no reason to look any
further. The conduct of the Parties from then on has constituted an

authentic expression of the uti possidetis juris of 1821. As the Chamber of
the Court declared in 1992, if the uti possidetis juris can be interpreted by
international adjudication and by treaty, there seems no reason why it
should not be by way of acquiescence or recognition by the Parties
(I.C.J. Reports 1992, p. 401, para. 67).

106. Finally, the Judgment does not seem to take the slightest note of
the fact that uti possidetis juris is a principle which automatically applies
(I.C.J. Reports 1992, p. 565, para. 345). On independence, the colonial
administrative divisions in question on land or at sea are transformed
into international boundaries “by the operation of the law”. No addi-

tional deliberate act is required.
107. Furthermore, since the demarcation carried out in 1962 by the

157813 DIFFÉREND (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

sion mixte (OEA), les Parties savent aussi que le point terminal de la
frontière terrestre résultant de l’uti possidetis juris se trouve dans le che-

nal principal de l’embouchure du fleuve Coco dans la mer, à proximité du
cap Gracias a Dios, par exactement 14°59,8′ de latitude nord (14°59′48″
de latitude nord) et 83°08,9′ de longitude ouest (83°08′54″ de longitude
ouest), ce chenal principal étant «easterly oriented» (voir rapport et carte

de ea commission mixte), c’est-à-dire dans la direction vers le large du
15 parallèle de latitude nord environ.

*

108. Mais l’arrêt est d’un avis différent de celui de l’auteur de la pré-
sente opinion. En effet, au paragraphe 232, la Cour exige davantage de la
part du Honduras sur le plan de la preuve. Pour la Cour, le Honduras
aurait dû démontrer que la frontière maritime devrait suivre le 15 paral-

lèle à partir du cap Gracias a Dios et produire la preuve que la puissance
coloniale avait utilisé dans ce cas particulier les parallèles et les méridiens.
109. Or, ce standard est trop strict s’agissant d’apprécier une situation
d’uti possidetis juris concernant deux Etats qui, en 1821, avaient une

même lecture de ce principe pour l’espace maritime concerné. Cela me
confirme dans ma critique de l’arrêt pour avoir opté pour une méthode
un peu trop mécanique et «ahistorique» dans l’appréciation de la preuve
de faits relevant de l’application du principe de l’uti possidetis juris.

110. En conséquence de cette conclusion, l’arrêt considère que le Hon-
duras n’est pas en possession d’un «titre historique» pouvant être invo-
qué en relation avec l’interprétation et l’application de l’article 15 de la
convention des Nations Unies sur le droit de la mer aux fins de la déli-

mitation de la mer territoriale continentale dans la présente affaire. Il va
sans dire que, sur la base des considérations qui précèdent, je suis d’un
avis contraire à cette conclusion de la Cour. En fait, c’est la première rai-
son de mon vote contre les alinéas 2) et 3) du dispositif de l’arrêt.

C. La délimitation ex novo des zones maritimes effectuée par l’arrêt

1. Les revendications maritimes des Parties et la question de la
définition de la «zone en litige»

111. Dans la présente affaire, les Parties ont adopté des approches fon-
damentalement différentes quant à la délimitation de leur «frontière mari-

time unique» dans la mer des Caraïbes. Le Nicaragua affirme qu’il n’existe
pas de frontière maritime et prie la Cour de tracer une ligne frontière. Le
Honduras, pour sa part, soutient qu’il existe actuellement une ligne fron-
tière maritime traditionnelle acceptée le long du 15 parallèle et prie la

Cour de confirmer en conséquence ladite ligne frontière. Ces positions de
principe inspirent les exposés écrits et les plaidoiries respectives de l’une et
de l’autre Partie ainsi que les termes de leurs conclusions finales.

158 DISPUTE DISS. OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 813

OAS Mixed Commission, the Parties have been aware that the endpoint
of the land boundary resulting from the uti possidetis juris is situated in
the main channel of the mouth of the River Coco where it meets the sea,
in the vicinity of Cape Gracias a Dios, at exactly 14°59.8′N (14°59′48″ N)

and 83°08.9′W (83°08′54″ W), this main channel being “easterly ori-
ented” (see the Mixed Commission’s report and map), i.e. running
towards the sea at around the 15th parallel North.

*

108. However, the Judgment takes a different view from that of the
author of this opinion. Indeed, in paragraph 232, the Court demands
more in terms of evidence from Honduras. In the Court’s view, Hondu-

ras ought to have shown that the maritime boundary should follow the
15th parallel from Cape Gracias a Dios, and produced evidence that the
colonial Power had used parallels and meridians in this particular case.
109. But such a standard is too demanding in terms of assessing an uti

possidetis juris situation concerning two States which, in 1821, had the
same understanding of that principle as regards the maritime area con-
cerned. This bears out my criticism of the Judgment for opting for a
rather too mechanical and “unhistorical” approach in its assessment of
the evidence regarding application of the uti possidetis juris principle.

110. As a consequence of this finding, the Judgment holds that Hon-
duras does not possess a “historic title” which could be invoked in rela-
tion to the interpretation and application of Article 15 of the 1982 United
Nations Convention on the Law of the Sea for the purposes of delimita-
tion of the mainland territorial sea in the present case. It goes without

saying, on the basis of the above considerations, that I hold a contrary
view to this finding by the Court. Indeed, that is the first reason for my
vote against subparagraphs (2) and (3) of the operative clause.

C. The Ex Novo Delimitation of Maritime Areas Effected by
the Judgment

1. The Parties’ maritime claims and the question of defining the “area

in dispute”

111. In the present case, the Parties have adopted fundamentally dif-
ferent approaches towards the delimitation of their “single maritime
boundary” in the Caribbean Sea. Nicaragua contends that there is no

existing maritime boundary and requests the Court to draw a boundary
line. As for Honduras, it maintains that an accepted traditional maritime
boundary line already exists along the 15th parallel and asks the Court to
confirm that boundary line accordingly. These positions of principle have
governed the respective written and oral pleadings of the two Parties and

also the terms of their final submissions.

158814 DIFFÉREND OP .DISS .TORRES BERNÁRDEZ )

112. Ainsi, le Nicaragua prie la Cour de dire et juger que

«[l]a bissectrice des lignes représentant les façades côtières des deux
Parties, telle que présentée dans les écritures et à l’audience, et tracée
à partir d’un point fixe situé à 3 milles environ de l’embouchure

du fleuve par 15°02′00″ de latitude nord et 83°05′26″ de longitude
ouest, constitue la frontière maritime unique aux fins de la délimita-
tion des zones en litige de la mer territoriale, de la zone économique
exclusive et du plateau continental dans la région du seuil nicara-

guayen».
113. Le Honduras, pour sa part, prie la Cour de dire et juger que,

«[à] l’est du point situé par 14°59,8 ′ de latitude nord et 83°05,8 ′ de
longitude ouest, la frontière maritime unique séparant les mers terri-
toriales, zones économiques exclusives et plateaux continentaux res-
pectifs du Honduras et du Nicaragua suit le parallèle 14°59′,8de lati-

tude nord, c’est-à-dire la frontière maritime actuelle, ou suit une ligne
d’équidistance ajustée, jusqu’à atteindre la juridiction d’un Etat tiers».

114. Pour la délimitation, une première conséquence de ces revendica-
tions des Parties est que la «zone en litige» qu’elles définissent ne corres-
pond pas avec l’«aire» où la délimitation maritime doit être effectuée
compte tenu de la géographie côtière concernée par la délimitation. En

effet, la ligne bissectrice revendiquée par le Nicaragua sur la base de la
totalité des façades maritimes de l’une ou de l’autre Partie, la ligne du
15 parallèle de latitude nord revendiquée par le Honduras et par exemple
aux fins de l’argument le 80 méridien de longitude ouest dessinent

une «zone en litige» en forme de triangle qui est tout à fait artificielle en
ce sens qu’elle se trouve déconnectée de la réalité des circonstances géo-
graphiques, juridiques ou historiques d’une affaire relative à la délimita-
tion des espaces maritimes se trouvant situés au nord et au sud de

l’embouchure dans la mer du fleuve Coco au cap Gracias a Dios.
115. La majorité de la Cour semble présupposer qu’un partage égal,
ou presque, du triangle ci-dessus constituerait, dans les circonstances de
l’espèce, un résultat équitable. Je ne le pense pas. Il est vrai que le ratio

entre les zones du triangle ci-dessus attribuées au Nicaragua et celles
attribuées au Honduras est d’environ 3:4 (1:1,3) en faveur du Honduras
(dont une extension importante en qualité de mer territoriale à cause des
îles). Mais l’on ne saurait négliger le fait que, si la bissectrice revendiquée
par le Nicaragua visait, certes, à étayer son ambition politique relative-
e
mene récente (1994-1995) d’aller au-delà du 82 méridien et d’atteindre le
17 parallèle au voisinage du banc de Rosalinda, il lui manquait la crédi-
bilité juridique car la bissectrice en question était fondée 1) sur l’ensemble
de façades maritimes de l’un et de l’autre Etat indépendamment de leur

rapport avec l’aire de la délimitation et, en outre, 2) ces façades côtières
étaient remplacées par des lignes droites sans relation avec la géographie
physique de la côte.

159 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 814

112. Thus Nicaragua requests the Court to adjudge and declare that:
“[t]he bisector of the lines representing the coastal fronts of the two

Parties as described in the pleadings, drawn from a fixed point
approximately 3 miles from the river mouth in the position
15°02′00″N and 83°05′26″W, constitutes the single maritime
boundary for the purposes of the delimitation of the disputed areas

of the territorial sea, exclusive economic zone and continental shelf
in the region of the Nicaraguan Rise”.

113. Honduras, for its part, requests the Court to adjudge and declare
that:

“[east] of the point at 14°59.8′N latitude, 83°05.8′W longitude, the
single maritime boundary which divides the respective territorial
seas, exclusive economic zones and continental shelves of Honduras

and Nicaragua follows 14°59.8′N latitude, as the existing maritime
boundary, or an adjusted equidistance line, until the jurisdiction of a
third State is reached”.

114. For the delimitation, one initial consequence of these claims by
the Parties is that the “area in dispute” as defined by them does not cor-
respond to the “area” in which the maritime delimitation must be effected,
taking account of the coastal geography concerned by the delimitation.

The bisector line claimed by Nicaragua on the basis of the entire coastal
fronts of both Parties, the line of the 15th parallel North claimed by Hon-
duras and, for the purposes of the argument, the 80th meridian West
form a triangular “area in dispute” which is an entirely artificial one in
the sense that it is divorced from the reality of the geographical, legal and

historical circumstances of a case which concerns the delimitation of
maritime areas situated north and south of the mouth of the River Coco
close to Cape Gracias a Dios.

115. The majority of the Court appears to presuppose that an equal or
almost equal sharing of the above triangle would represent, in the present
circumstances, an equitable outcome. I do not agree. It is true that the
ratio between the areas of the triangle attributed to Nicaragua and those
attributed to Honduras is approximately 3:4 (1: 1.3) in favour of Hondu-

ras (including a significant extension in terms of territorial sea because of
the islands). However, we cannot ignore the fact that, while the bisector
claimed by Nicaragua was certainly designed to back up its relatively
recent political ambitions (1994-1995) to go beyond the 82nd meridian

and reach the 17th parallel near Rosalinda Bank, it lacked any legal cred-
ibility, since the bisector in question was based on: (1) all the coastal
fronts of both States regardless of their relationship with the area of
delimitation and, moreover, (2) those fronts were replaced by straight
lines which bore no relation to the physical geography of the coast.

159815 DIFFÉREND OP .DISS .TORRES BERNÁRDEZ )

116. Le demandeur, le Nicaragua, a procédé en invoquant en faveur
de sa bissectrice l’équité ou des principes équitables en rapport avec la

délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive,
tout en laissant dans l’arrière-plan les singularités de la délimitation de la
mer territoriale. Pour sa part, le Honduras a défendu la ligne maritime
traditionnelle le long du 15 parallèle comme frontière entre le cap Gra-
e
cias a Dios et le 82 méridien pour les trois zones maritimes en litige.
117. Pour la définition de la «zone en litige», la ligne bissectrice reven-
diquée par le demandeur constitue un artifice source en l’espèce d’une
distorsion, d’un effet inéquitable. L’arrêt ne corrige pas cet effet. Il ne
décourage donc pas cette sorte de revendications des Etats. Il convient

d’ajouter que la position principale du défendeur n’a pas aidé non plus à
rétablir dans un premier moment une définition plus équilibrée de la
«zone en litige» en ce qui concerne la limite sud de ladite zone (la conclu-
sion alternative hondurienne d’une ligne d’équidistance ajustée fut sou-

mise à l’audience). Ainsi, les lignes demandées, au premier chef, par les
Parties ont eu pour conséquence que la zone de chevauchement de leurs
revendications respectives est située au nord du 15 parallèle.

2. Le droit applicable à la délimitation maritime

118. Le Honduras (5 octobre 1993) et le Nicaragua (3 mai 2000) étant
devenus parties à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer

de 1982, la convention est maintenant en vigueur entre les Parties. Les
articles pertinents de la convention sont donc applicables en tant que droit
conventionnel dans le présent différend tel que le déclare très correcte-
ment l’arrêt (par. 261). Cependant, le poids des traditions étant ce qu’il

est, l’économie de l’arrêt dans son ensemble s’inspire davantage de la
jurisprudence que du texte de la convention. Par exemple, il est difficile-
ment explicable, en vue des problèmes géomorphologiques posés par
l’embouchure du fleuve Coco, que l’arrêt garde le silence sur les articles 7,

alinéa 2, et 9 de la convention. En revanche, les citations de la jurispru-
dence sont abondantes au détriment souvent de la singularité de la déli-
mitation de la mer territoriale.

3. Zones à délimiter et méthodologie adoptée par l’arrêt: l’abandon de
l’équidistance et de la délimitation par étapes en faveur de la
méthode de la bissectrice

119. Dans le paragraphe 262, l’arrêt se penche sur les diverses zones

maritimes à délimiter par la Cour par une frontière maritime unique et
arrive à certaines conclusions sur la méthodologie à appliquer aux fins de
la délimitation. L’arrêt reconnaît: 1) que, dans les parties occidentales de
la zone à délimiter, les côtes continentales des Parties sont adjacentes et

que sur une certaine distance la frontière délimitera exclusivement eeurs
mers territoriales ; 2) que les quatre îles en litige au nord du 15 parallèle
attribuées par l’arrêt au Honduras ainsi qu’Edinburgh Cay, la caye nica-

160 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 815

116. To support its bisector line the Applicant, Nicaragua, chose to
invoke equity or equitable principles relating to the delimitation of the
continental shelf and the exclusive economic zone, while leaving the par-
ticularities of the delimitation of the territorial sea in the background.

Honduras, for its part, defended the traditional maritime line along the
15th parallel between Cape Gracias a Dios and the 82nd meridian as the
boundary for the three areas in dispute.
117. In defining the “area in dispute”, the bisector line claimed by the
Applicant is a device that creates a distortion and an inequitable outcome

in this case. The Judgment does not correct this effect. It therefore does
not discourage this sort of claim by States. It should be added that the
Respondent’s main position did not initially help to restore a more bal-
anced definition of the “area in dispute” as regards its southern limit
(Honduras’s alternative submission of an adjusted equidistance line was

presented at the hearings). Consequently, the lines principally claimed by
the Parties resulted in the area in which their respective claims overlap
being situated north of the 15th parallel.

2. The law applicable to maritime delimitation

118. Honduras (5 October 1993) and Nicaragua (3 May 2000) having
become parties to the 1982 United Nations Convention on the Law of

the Sea, the Convention is now in force between the Parties. The relevant
articles of the Convention are therefore applicable as treaty law in the
present dispute, as is very rightly indicated by the Judgment (para. 261).
However, the weight of tradition being what it is, the overall structure of
the Judgment is based more on the case law than on the text of the Con-

vention. For example, it is difficult to explain, given the geomorphologi-
cal problems raised by the mouth of the River Coco, why there is no
mention in the Judgment of Articles 7 (2) and 9 of the Convention. In
contrast, the references to case law are numerous, often to the detriment

of the particular nature of delimitation of the territorial sea.

3. Areas to be delimited and the methodology adopted by the Judgment:

the abandonment of equidistance and delimitation in stages in favour
of the bisector method

119. In paragraph 262, the Judgment addresses the various maritime
areas to be delimited by the Court by means of a single maritime bound-

ary and comes to certain conclusions on the methodology to be used in
the delimitation. The Judgment acknowledges (1) that in the western part
of the area to be delimited, the Parties’ mainland coasts are adjacent and
that, for some distance, the boundary will delimit exclusively their terri-
torial seas ; (2) that the four islands in dispute north of the 15th parallel,

attributed by the Judgment to Honduras, and Edinburgh Cay, the Nica-

160816 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

e
raguayenne située au sud du 15 parallèle, peuvent engendrer leur propre
mer territoriale pour l’Etat côtier. Il précise également que ni l’une ni
l’autre Partie n’a revendiqué pour ces îles de zone maritime au-delà de la
mer territoriale.

120. Je suis d’accord avec ces précisions, mais le suis beaucoup moins
avec les conclusions de l’arrêt sur la méthodologie à suivre pour détermi-
ner le tracé de la frontière maritime unique, certes non sur le plan des
principes, mais sur leur application en l’espèce. Ainsi, j’admets parfaite-
ment que, pour s’acquitter de sa tâche, la Cour doive appliquer d’abord

et avant tout les règles qui ont trait à la délimitation de la mer territo-
riale, sans oublier que sa tâche ultime consiste à tracer une limite mari-
time unique qui soit valable aussi à d’autres fins.

121. Mais là n’est pas ce que fait l’arrêt. En effet, celui-ci va écarter

d’emblée la méthode de l’équidistance spécifiquement et expressément
mentionnée à l’article 15 (délimitation de la mer territoriale) de la conven-
tion sur le droit de la mer de 1982 en invoquant l’existence de «circons-
tances spéciales» pour se placer, ensuite, dans le cadre des règles de la

convention relatives à la délimitation de la zone économique exclusive
(art. 74) et du plateau continental (art. 83) — lesquelles n’imposent au
juge, en l’absence d’accord entre les parties, que la condition de procéder
«conformément au droit international tel qu’il est visé à l’article 38 du
Statut de la Cour international de Justice, afin d’aboutir à une solution

équitable» —, voire même dans le cadre de la règle coutumière dite «des
principes équitables et des circonstances pertinentes» (arrêt, par. 271).

122. Par conséquent, les efforts déployés ces dernières années pour
rendre plus objectives les décisions judiciaires relatives à des délimitations

maritimes moyennant le tracé, dans une première étape, d’une ligne
d’équidistance provisoire, quitte, dans un deuxième temps, à l’ajuster à la
lumière de «circonstances spéciales» ou de «circonstances pertinentes»,
se trouvent écartés. L’on revient donc à l’idée que chaque délimitation

est un unicum, c’est-à-dire que l’on retombe dans le pragmatisme et la
subjectivité.
123. Le moins que l’on puisse dire est que l’arrêt ne place pas la mé-
thode de l’équidistance au cŒur de la démarche qu’il convient de suivre
dans la présente affaire pour le tracé d’une frontière maritime unique,

sauf en ce qui concerne le segment délimitant la mer territoriale des îles.
Selon l’arrêt, une série de difficultés empêchait la Cour de définir des
points de base et de construire une ligne d’équidistance provisoire pour
établir la frontière maritime unique délimitant les espaces maritimes au

large des côtes continentales des Parties (arrêt, par. 280). Voyons quelles
sont ces «difficultés».
124. En premier lieu, l’arrêt rappelle que ni l’une ni l’autre des Parties
ne fait valoir à «titre principal» qu’une ligne d’équidistance provisoire
constituerait la méthode de délimitation la plus indiquée, pour reconnaî-

tre ensuite qu’en effet le Honduras a présenté à l’issue de ses plaidoiries

161 DISPUTE (DISS. OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 816

raguan cay south of the 15th parallel, are entitled to generate their own

territorial seas for the coastal States. It also indicates that, as regards
these islands, no claim has been made by either Party for maritime areas
other than the territorial sea.
120. I accept those clarifications, but what I find considerably less
acceptable are the findings of the Judgment as regards the methodology

to be used in order to determine the course of the single maritime bound-
ary, not, it is true, in terms of the principles, but as regards their applica-
tion in the present case. Thus I readily admit that the Court, in order to
perform the task at hand, must first and foremost apply the rules on
delimitation of the territorial sea, without forgetting that the ultimate

task is to draw a single maritime boundary that will also be valid for
other purposes.
121. However, the Judgment does not do this. In fact, what it does is
to reject out of hand the equidistance method that is specifically and

expressly referred to in Article 15 (Delimitation of the territorial sea) of
the 1982 Convention on the Law of the Sea, relying on the existence of
“special circumstances” in order to consider the issue thereafter in terms
of the Convention’s rules on delimitation of the exclusive economic zone
(Art. 74) and the continental shelf (Art. 83) — which, where no agree-

ment exists between the Parties, only oblige the Court to apply such
delimitation “on the basis of international law, as referred to in Article 38
of the Statute of the International Court of Justice, in order to achieve an
equitable solution” — and indeed in terms of the customary rule which it
calls the “equitable principles/relevant circumstances method” (para. 271

of the Judgment).
122. Consequently, the efforts of recent years to make judicial deci-
sions on maritime delimitations more objective by firstly drawing a
provisional equidistance line, even if this subsequently has to be
adjusted in the light of “special” or “relevant” circumstances, have thus

been set aside. There is thus a return to the idea of sui generis solutions
for each delimitation, in other words a relapse into pragmatism and
subjectivity.

123. The least that can be said is that the Judgment does not put the

equidistance method at the centre of the approach to be followed in the
present case for the course of the single maritime boundary, except for
the segment delimiting the territorial seas of the islands. According to the
Judgment, a series of difficulties made it impossible for the Court to iden-
tify base points and construct a provisional equidistance line for the sin-

gle maritime boundary delimiting maritime areas off the Parties’ main-
land coasts (para. 280). Let us see what these “difficulties” are.

124. First, the Judgment recalls that neither Party has as its main
argument a call for a provisional equidistance line as the most suitable

method of delimitation, before subsequently acknowledging that, at the
end of its oral argument, Honduras presented a provisional equidistance

161817 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

une ligne d’équidistance provisoire comme «solution de rechange» par
rapport à sa ligne de prédilection qui est le 15 parallèle. Il s’agit d’une
ligne (d’azimut 78°48′ environ) tracée à partir de deux points de base

situés sur la laisse de basse mer du point apparaissant, d’après une pho-
tographie satellite récente, comme le plus oriental des côtes continentales
hondurienne et nicaraguayenne au cap Gracias a Dios. Cette ligne était
ajustée par le Honduras pour tenir compte de la mer territoriale de
12 milles des cayes situées au nord et au sud du 15 parallèle (voir arrêt,

par. 276).
125. La position des Parties sur la méthode de l’équidistance est loin
d’être la même. L’une des Parties, le Honduras, a présenté comme l’on
vient de le dire une ligne d’équidistance provisoire tracée à partir de deux

points de base situés sur les côtes continentales de l’une et de l’autre des
Parties et a en outre demandé à la Cour dans ses conclusions finales, à
titre alternatif à la ligne du 15 parallèle, une ligne d’équidistance ajustée .
Le Nicaragua en revanche a soutenu tout au long de la procédure, ainsi

que dans ses conclusions finales, que la présente affaire n’était pas de
celles dans lesquelles la méthode de l’équidistance et des circonstances
spéciales ou pertinentes serait appropriée aux fins de la délimitation à
effectuer, à cause, selon lui, de l’instabilité de l’embouchure du fleuve
Coco. Pour le Nicaragua, la Cour doit construire l’ensemble de la

frontière maritime unique à partir de la bissectrice de l’angle formé par
deux lignes représentant l’ensemble de la façade côtière des Parties
(d’azimut 52°45′21″).
126. L’arrêt passe ensuite en revue les difficultés d’ordres géographique

et géologique signalées par les Parties. A cet égard, il est souligné que le
cap Gracias a Dios, où prend fin la frontière terrestre, est une projection
territoriale très convexe touchant à un littoral concave de part et d’autre,
au nord et au sud-ouest. Dans une telle configuration géographique, les
deux points de base à situer sur l’une et l’autre rive du fleuve Coco

auraient, d’après l’arrêt, une importance critique dans le tracé de la ligne
d’équidistance et, étant très proches l’un de l’autre, une erreur quelcon-
que dans leur emplacement s’amplifierait tout au long de la ligne d’équi-
distance, en particulier à mesure que celle-ci s’éloignerait vers le large.

Par ailleurs, les sédiments charriés et déposés en mer par le fleuve Coco
conféreraient un morphodynamisme marqué à son delta, ainsi qu’au lit-
toral au nord et au sud du cap. Et l’arrêt de conclure que l’accrétion conti-
nue du cap risque de rendre arbitraire et déraisonnable, dans un avenir

proche, toute ligne d’équidistance qui serait tracée aujourd’hui (arrêt,
par. 277).
127. Enfin, l’arrêt ajoute que les Parties elles-mêmes n’ont revendiqué
ou accepté aucun point de base viable au cap Gracias à Dios et qu’il sub-
siste, apparemment, encore entre les Parties des divergences quant à

l’interprétation et à l’application de la sentence arbitrale rendue en 1906
par le roi d’Espagne au sujet de la souveraineté sur les îlots formés près
de l’embouchure du fleuve Coco et de l’établissement du point extrême
limitrophe commun sur la côte atlantique (arrêt, par. 278 et 279).

162 DISPUTE (DISS.OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 817

line as an “alternative solution” to its favoured one of using the 15th par-

allel. This line (with an azimuth of approximately 78°48′) is drawn from
a pair of base points fixed at the low-water line of the apparent eastern-
most endpoint of the mainland Honduran and Nicaraguan coasts at
Cape Gracias a Dios, as identified from a recent satellite photograph.
The line was adjusted by Honduras to take account of the 12-mile terri-

torial seas of the cays lying north and south of the 15th parallel (see
para. 276 of the Judgment).

125. The Parties’ positions regarding the equidistance method differ
considerably. One of the Parties, Honduras, as we have just indicated,

put forward a provisional equidistance line drawn from two base points,
situated on the mainland coasts of one and the other of the Parties, and
also asked the Court in its final submissions, as an alternative to the line
of the 15th parallel, for an adjusted equidistance line . Nicaragua, on the

other hand, maintained throughout the proceedings and in its final sub-
missions that the method of equidistance and special or relevant circum-
stances would not be appropriate for the purposes of delimitation in the
present case because, it contended, of the instability of the mouth of the
River Coco. For Nicaragua, the Court has to construct the whole of the

single maritime boundary on the basis of the bisector of the angle formed
by two straight lines representing the entire coastal front of both Parties
(azimuth 52°45′21″).

126. The Judgment then considers the difficulties of a geographical

and geological nature indicated by the Parties. In this respect, it is
emphasized that Cape Gracias a Dios, where the land boundary ends, is
a sharply convex territorial projection abutting a concave coastline on
either side to the north and south-west. In such a geographical configura-
tion, the pair of base points to be located on either bank of the River Coco

would, according to the Judgment, assume considerable dominance in
constructing an equidistance line and, given their close proximity to each
other, any error in situating them would become disproportionately mag-
nified in the resulting equidistance line, especially as it travelled out from
the coast. Moreover, the sediment carried to and deposited at sea by the

River Coco is said to have caused its delta, as well as the coastline north
and south of the Cape, to exhibit a very active morpho-dynamism. And
the Judgment concludes that continued accretion at the Cape might
render any equidistance line so constructed today arbitrary and un-
reasonable in the near future (Judgment, para. 277).

127. The Judgment also adds that the Parties themselves have not
claimed or accepted any viable base points at Cape Gracias a Dios, and
that differences apparently still remain between the Parties as to the inter-
pretation and application of the King of Spain’s 1906 Arbitral Award in
respect of sovereignty over the islets formed near the mouth of the River

Coco and the establishment of the extreme common boundary point on
the coast of the Atlantic (Judgment, paras. 278 and 279).

162818 DIFFÉREND OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

128. De toutes ces considérations et difficultés signalées dans l’arrêt

pour justifier que la Cour s’abstienne en l’espèce de recourir à la méthode
de l’équidistance, même dans une première démarche provisoire, les
seules qui me semblent éventuellement à retenir en tant que circonstances
«spéciales» ou «pertinentes» sont celles qui concernent la configuration
géographique du littoral de part et d’autre du cap Gracias a Dios et l’ins-

tabilité du delta du fleuve Coco à son embouchure. Il s’agit certainement
de deux circonstances de géographie physique à prendre en considération
dans l’opération de délimitation à effectuer par la Cour, mais aucune
d’elles ne justifie à mon avis l’abandon de la méthode de l’équidistance en
faveur d’une méthode comme celle de la bissectrice, laquelle crée des pro-

blèmes de droit et d’équité bien plus graves que l’équidistance.
129. Le remède préconisé par la convention des Nations Unies sur le
droit de la mer de 1982 en présence de ce type de circonstances physiques
est le recours à la méthode dite des «lignes de base droites» (art. 7 et 9)

pour définir les points de base, et non pas une méthode comme celle de la
bissectrice, incapable dans les circonstances de l’espèce de sauvegarder le
principe de non-empiétement (non-encroachment). Lorsqu’en 1969 la
Cour écarta la méthode de l’équidistance, elle le fit justement pour éviter
que, en raison de la configuration côtière en cause, la ligne d’équidistance

n’ampute des zones situées devant la façade maritime de l’autre Etat. Or,
dans la présente affaire, c’est le contraire qui arrive. En effet, sur le pre-
mier segment de la ligne de délimitation, la méthode de l’équidistance
permettrait de sauvegarder le non-impiétement ou la non-amputation de
zones situées devant la façade maritime de l’une et l’autre des Parties,

alors que, au contraire, la méthode de la bissectrice choisie par l’arrêt se
révèle incapable de le faire pour ce qui est du Honduras.
130. Le fondement macrogéographique inhérent à la méthode de la
bissectrice fait que cette méthode ne se prête pas à des délimitations à
proximité des côtes et, partant, à la délimitation des mers territoriales.

Or, dans la présente affaire, le tracé de la frontière maritime unique, qui
commence sur une certaine distance par délimiter exclusivement les mers
territoriales des deux Etats , passe, du fait de l’application de la méthode
de la bissectrice, trop près de la côte continentale hondurienne. Ce tracé
est par conséquent inéquitable, et il l’est dans une zone maritime où les

intérêts de sécurité et de défense ne peuvent que prévaloir sur des consi-
dérations économiques. C’est une des raisons pour laquelle je rejette
l’application de la méthode de la bissectrice au premier segment de la
ligne de délimitation maritime établie par l’arrêt.
131. Et je le fais d’autant plus que je ne suis pas persuadé du tout de

«l’impossibilité de construire une ligne d’équidistance à partir du conti-
nent» affirmée par l’arrêt (par. 283). Lors de la phase orale, les deux
Parties ont présenté des croquis où étaient représentées diverses lignes
provisoires d’équidistance. Aujourd’hui, les moyens techniques existent
(par exemple, la photographie satellite) pour pouvoir le faire, de même

qu’existent les moyens juridiques (lignes de base droites) pour surmonter,
éventuellement, les difficultés qui pourraient résulter, pour les points de

163 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 818

128. Of all the considerations and difficulties mentioned in the Judg-

ment in order to justify the Court’s decision not to use the equidistance
method in the present case, even as an initial provisional measure, the
only ones which in my opinion might be upheld are those concerning the
geographical configuration of the coastline on either side of Cape Gra-
cias a Dios and the marked instability of the delta of the River Coco at

its mouth. These are two elements of physical geography to be taken into
account by the Court in the delimitation exercise, but, in my view, neither
of them justifies abandoning the equidistance method in favour of one
such as the bisector, which creates far more serious problems of law and
equity than equidistance.

129. The solution advocated by the 1982 Convention on the Law of
the Sea, where physical circumstances of this type are present, is to use
the “straight baselines” method to identify the base points (Articles 7 and

9 of the Convention), rather than a method such as the bisector, which is
unable in the present circumstances to safeguard the principle of non-
encroachment. When the Court ruled out the equidistance method in 1969,
it did so precisely in view of the coastal configuration concerned, to avoid
the areas situated off the coastal front of the other State from being

amputated by the equidistance line. In the present case, the opposite
occurs. In fact, over the first segment of the delimitation line, the equi-
distance method would make it possible to safeguard non-encroachment
or ensure non-amputation of the areas situated off the coastal fronts of
both Parties, whereas the bisector method selected by the Judgment, on

the contrary, proves incapable of doing this as far as Honduras is con-
cerned.
130. The macro-geographic basis underlying the bisector method
means that it is not suitable for delimitations in proximity to coastlines
and, consequently, for the delimitation of territorial seas. However, in the

present case, the line of the single maritime boundary, which begins by
delimiting only the territorial seas of the two States for a certain distance ,
passes too close to the mainland coast of Honduras because of the use of
the bisector method. This line is therefore inequitable and it is so in a
maritime area in which security and defence interests are bound to pre-

vail over economic considerations. That is one of the reasons why I reject
the application of the bisector method to the first segment of the line of
maritime delimitation established by the Judgment.

131. And I am all the more adamant in my rejection because I am by

no means convinced that “the construction of an equidistance line from
the mainland is not feasible” , as asserted by the Judgment (para. 283).
During the oral proceedings, both Parties presented sketch-maps which
showed various provisional equidistance lines. Today, the technology
exists to do this (satellite photography, for example), and the legal means

are available (straight base lines) to overcome any difficulties that might
arise, for the base points selected, from the instability of the mouth of the

163819 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

base choisis, de l’instabilité de l’embouchure du fleuve Coco dans un ave-
nir prévisible. Ainsi, je ne considère pas qu’il soit «nécessaire» de s’écar-
ter de la méthode de l’équidistance, pour employer un terme qui figure à
l’article 15 de la convention de 1982.

132. Finalement, je ne puis accepter l’argument selon lequel l’existence
de seulement deux points de base sur la côte continentale concernée du
Honduras et du Nicaragua doit être considérée comme une circonstance
de nature à faire écarter la méthode de l’équidistance. Il s’agit de la tra-
duction de la géographie côtière, et nullement d’un facteur d’inéquité.

Autrement, la Cour, dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritime
entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équato-
riale (intervenant)), n’aurait retenu seulement que deux points de base
«comme points d’ancrage terrestre pour la construction de la ligne d’équi-
distance» (arrêt, C.I.J. Recueil 2002 , p. 443, par. 292). Dans les espaces

maritimes éloignés de la côte, les inéquités éventuelles résultant d’une
application de la méthode de l’équidistance peuvent d’ailleurs être corri-
gées moyennant un ajustement équitable de la ligne provisoire d’équidis-
tance.

4. La bissectrice de l’arrêt et sa construction (façades maritimes)

133. L’arrêt de la Cour n’a retenu aucune des lignes de délimitation
demandées par l’une ou l’autre des Parties. En ce qui concerne le Hon-
e
duras, il écarte la ligne le long du 15 parallèle ainsi qu’une ligne d’équi-
distance ajustée. Mais l’arrêt rejette également la bissectrice de l’angle
formé par deux lignes représentant l’ensemble de la façade côtière de
chaque Etat (d’azimut 52°45′21″) demandée par le Nicaragua, ces
lignes étant des lignes droites construites par le demandeur moyennant

une opération de «rabotage» et de «lissage» de la géographie côtière
hondurienne.
134. Toutefois, l’arrêt a choisi de recourir à la méthode de la bissec-
trice pour définir le tracé de la frontière maritime unique établie par la

Cour elle-même. A cet égard, la Cour commence par admettre que le
recours à une bissectrice — ligne qui divise en deux parts égales l’angle
formé par des lignes représentant la direction générale des côtes — s’est
révélé être une méthode de remplacement valable dans certaines circons-
tances «où il n’est pas possible ou approprié d’utiliser la méthode de

l’équidistance» (arrêt, par. 287). Il convient de noter que la jurisprudence
de la Cour mentionnée à l’appui de cette première conclusion ne concerne
pas des affaires où il était question de délimitation de la mer territoriale.
135. L’arrêt se penche ensuite sur les avantages de l’une et de l’autre

méthode de délimitation ici considérées pour apprécier la «géographie
côtière réelle», concluant que la méthode de la bissectrice tend elle aussi
à exprimer les relations côtières pertinentes, mais qu’elle le fait sur la base
de la macrogéographie d’un littoral représenté par une droite joignant
deux points sur la côte, d’où la nécessité de veiller, en cas de recours à la

méthode de la bissectrice, à ne pas «refaire la nature» (arrêt, par. 289).

164 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 819

River Coco for the foreseeable future. Thus I do not consider it “neces-
sary”, to use the term included in Article 15 of the 1982 Convention, to
abandon the equidistance method.

132. Lastly, I cannot accept the argument that the existence of only
two base points on the mainland coasts in question of Honduras and
Nicaragua has to be regarded as a circumstance that precludes the equi-
distance method. It is a reflection of the coastal geography, and not in
any way a factor of inequity. Otherwise, in the case concerning the Land

and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v.
Nigeria), the Court would not have selected only two base points as
“land-based anchorage points to be used in the construction of the equi-
distance line” (Judgment, I.C.J. Reports 2002 , p. 443, para. 292). In the
maritime areas a long way from the coast, any possible inequities result-

ing from the application of the equidistance method could, moreover, be
corrected by an equitable adjustment of the provisional equidistance line.

4. The bisector in the Judgment and its construction (coastal fronts)

133. The Judgment of the Court has not adopted the delimitation lines
requested by either of the Parties. With regard to Honduras, it rejects the

line of the 15th parallel as well as an adjusted equidistance line. But the
Judgment also rejects the bisector of the angle formed by two lines rep-
resenting the entire coastal front of each State (azimuth 52°45′21″)
requested by Nicaragua, those lines being straight lines constructed by
the Applicant through a process of “planing” or “smoothing” the coastal

geography of Honduras.

134. However, the Judgment has chosen to use the bisector method to
determine the course of the single maritime boundary established by the

Court itself. In this respect, the Court begins by acknowledging that the
use of the bisector — the line formed by bisecting the angle created by the
linear approximations of coastlines — has proved to be a viable substi-
tute method in certain circumstances “where equidistance is not possible
or appropriate” (Judgment, para. 287). It should, nevertheless, be noted

that the Court’s jurisprudence referred to in support of this first finding
does not concern cases in which delimitation of the territorial sea was at
issue.
135. The Judgment then turns to the relative advantages of the two

delimitation methods under consideration for assessing the “actual coastal
geography”, concluding that the bisector method seeks to approximate
the relevant coastal relationships, but does so on the basis of the macro-
geography of a coastline as represented by a line drawn between two
points on the coast, hence the need for care to be taken to avoid “com-

pletely refashioning nature” (Judgment, para. 289). This part of the Judg-

164820 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

Ce passage de l’arrêt est un peu trop abstrait. La Cour aurait dû appré-

cier les vertus de la méthode de la bissectrice par rapport à la «configura-
tion des côtes» réellement concernées dans la présente affaire parce
qu’elles donnent sur l’aire où la délimitation doit être effectuée. Car,
comme la doctrine n’a pas manqué de le souligner,

«[l]a méthode de la bissectrice n’est concevable que dans le cas où
deux lignes côtières nettement dessinées forment entre elles un angle
nettement déterminé; sinon elle repose sur des directions côtières

reconstituées artificiellement» (Prosper Weil, Perspectives du droit
de la délimitation maritime, 1988, p. 65).

136. Mais l’arrêt devient plus précis lorsque, après avoir examiné les
diverses circonstances invoquées par le Nicaragua pour justifier en l’espèce
le recours à la méthode de la bissectrice, y compris le caractère équitable
de sa bissectrice, il déclare:

«En l’espèce, la Cour n’est pas convaincue de la pertinence des
facteurs en question et ne les juge pas juridiquement décisifs du point

de vue de la délimitation à effectuer. Les éléments clefs à prendre en
considération sont plutôt la configuration géographique de la côte et
les caractéristiques géomorphologiques de la zone où se trouve le
point terminal de la frontière terrestre. » (Par. 292; les italiques sont
de moi.)

137. Ainsi, il y a dans l’arrêt une symétrie totale entre les motifs qui
ont conduit la majorité à écarter la méthode de l’équidistance et ceux qui

l’ont amenée à adopter la méthode de la bissectrice. Pour ma part, je ne
pense pas que doive nécessairement exister entre ces deux méthodes une
relation de cause à effet ou qu’une bissectrice soit, en l’espèce, le seul
moyen possible pour aboutir à une solution équitable.
138. J’observe plutôt le contraire, car, en termes d’espaces maritimes,

la méthode de la bissectrice fait supporter à une seule Partie, le Hondu-
ras, la charge d’une situation géographique et morphologique partagée
par les deux Parties, car elle existe tout le long de la côte, aussi bien au
nord qu’au sud de l’embouchure du fleuve Coco, ainsi que l’arrêt le recon-
naît lui-même. A cela s’ajoute que l’arrêt ne procède à aucun ajustement

équitable de sa ligne bissectrice en faveur du Honduras pour compenser
cette charge imposée à lui seul.
139. Les considérations de l’arrêt entourant le choix des façades mari-
times des Parties aux fins de l’application par la Cour de la méthode de la
bissectrice ne font ressortir la prise en compte d’aucun facteur d’équité en

faveur du Honduras. Il est vrai que la Cour écarte, on l’a dit, la proposi-
tion du Nicaragua selon laquelle la façade côtière irait, pour le Hondu-
ras, du cap Gracias a Dios à sa frontière avec le Guatemala et, pour le
Nicaragua, du cap Gracias a Dios à sa frontière avec le Costa Rica, parce
que l’angle résultant de cette solution (d’azimut 52°45′21″) «semble bien

trop aigu pour qu’une bissectrice y soit tracée». En fait, la ligne droite
allant du cap Gracias a Dios à la frontière avec le Guatemala telle que

165 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 820

ment is a little too abstract. The Court should have assessed the virtues of

the bisector method in relation to the actual “coastal configuration” in
the present case in order to arrive at the area where the delimitation has
to be made. Indeed, as scholarly opinion has not failed to emphasize:

“The bisector method is possible only where two clearly distin-
guished coastlines form a sharply defined angle; if not, it rests on
artificially reconstructed coastal directions.” (Prosper Weil, Perspec-

tives du droit de la délimitation maritime , 1988, p. 65; The Law of
Maritime Delimitation — Reflections , 1989, p. 59.)

136. But the Judgment becomes more concrete when, having examined
the various circumstances raised by Nicaragua to justify the use of the
bisector method in the present case, including the equitable nature of its
bisector, it declares:

“The Court is not persuaded in the present case as to the perti-
nence of these factors and does not find them legally determinative

for the purposes of the delimitation to be effected. Rather, the key
elements are the geographical configuration of the coast, and the geo-
morphological features of the area where the endpoint of the land
boundary is located.” (Para. 292; emphasis added.)

137. Thus there is in the Judgment a total symmetry between the rea-
soning which has led the majority to reject the equidistance method and

that which has persuaded it to adopt the bisector method. For my part, I
do not think that there must necessarily be a cause and effect relationship
between these two methods, or that a bisector is the only possible means
of achieving an equitable solution in this case.
138. I see just the opposite, since in terms of maritime areas, the bisec-

tor method imposes on one Party alone, Honduras, the burden of a geo-
graphical and morphological situation that is shared by both Parties, as it
exists along the entire coastline, both north and south of the mouth of the
River Coco, as the Judgment itself acknowledges . Added to that, the
Judgment does not make any equitable adjustment of the bisector line in

favour of Honduras, to compensate for this burden which Honduras has
to bear alone.
139. The considerations of the Judgment regarding the choice of the
Parties’ coastal fronts for the purposes of the application of the bisector
method by the Court do not suggest that any factor of equity in favour of

Honduras was taken into account. It is true that the Court dismisses, as
we have said, Nicaragua’s proposal that the coastal front should extend
for Honduras from Cape Gracias a Dios to the border with Guatemala
and for Nicaragua from Cape Gracias a Dios to its border with
Costa Rica, because such a proposal would give rise to “an exaggeratedly

acute angle to bisect” (azimuth 52°45′21″). In fact, the straight line run-
ning from Cape Gracias a Dios to the border with Guatemala as pro-

165821 DIFFÉREND (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

proposée par le Nicaragua amputait le Honduras d’une portion impor-

tante de son territoire au nord de la ligne (arrêt, par. 295). Le rejet de
cette ligne n’a donc rien à voir avec l’équité.
La Cour n’a fait que rétablir la géographie côtière réelle du Honduras
rabotée dans la proposition du demandeur. En outre, le choix par la
majorité de la méthode de la bissectrice a eu l’effet d’élargir les côtes per-

tinentes aux fins de la délimitation, car pour appliquer ladite méthode il
faut utiliser des «façades maritimes» à la place des «points de base».
Ainsi, la côte pertinente défendue par le Honduras, à savoir de Cabo
Falso à Laguna Wano, a été écartée au profit des façades maritimes plus
longues.

140. De même, une façade côtière allant du cap Camarón au Rio
Grande créerait aussi, d’après l’arrêt, un déséquilibre, car la totalité de la
ligne serait située sur le Honduras continental, empêchant ainsi l’impor-
tante masse terrestre hondurienne comprise entre la mer et cette ligne de

produire le moindre effet sur la délimitation (par. 297). L’azimut de
l’angle de la bissectrice Camarón-Rio Grande est de 64°92′.
141. Mais la Cour écarte aussi la façade comprise entre Cabo Falso et
Punta Gorda, et ce, bien qu’elle fasse incontestablement face, comme
c’est admis dans l’arrêt, à la zone en litige. Elle le fait, d’après l’arrêt,

parce que sa longueur (quelque 100 kilomètres) ne saurait être suffisante
pour constituer la représentation d’une façade côtière à plus de 100 milles
marins de la côte, surtout si l’on tient compte de la rapidité avec laquelle
la côte hondurienne s’éloigne de la zone à délimiter à partir de Cabo
Falso jusqu’à Punta Patuca et au cap Camarón, Cabo Falso marquant

d’après le Honduras le point principal d’inflexion de la côte du continent
(par. 296).
142. Il faut avoir présent à l’esprit que l’azimut de l’angle de la bissec-
trice Cabo Falso-Punta Gorda est, tout de même, de 70°54′. Mais cela
n’était pas encore suffisant pour la majorité. Finalement, la Cour s’est

arrêtée à une façade côtière hondurienne allant du cap Gracias a Dios
jusqu’à Punta Patuca et à une façade côtière nicaraguayenne allant du
cap Gracias a Dios jusqu’à Wouhnta, que l’arrêt considère comme suffi-
samment longues «pour rendre compte correctement de la configuration
côtière de la zone en litige» (arrêt, par. 298). La bissectrice de l’angle

formé par ces deux façades côtières a un azimut de 70°14′41,25″. C’est
l’azimut de la bissectrice de l’arrêt.
143. Or, si l’on compare cet azimut de l’arrêt avec celui (78°48′ envi-
ron) d’une ligne d’équidistance provisoire tracée à partir de points de
base situés au nord et au sud de l’embouchure du fleuve Coco, l’on cons-

tate que la différence entre les deux azimuts est de plus de 8°. Cela expli-
que beaucoup de choses, y compris mon rejet des deux segments du tracé
de la frontière maritime unique basés sur la bissectrice de l’arrêt. Les dif-
ficultés géographiques et géomorphologiques invoquées par la Cour ne
peuvent pas justifier le choix d’une méthode de délimitation aussi inéqui-

table pour l’une des Parties. Le résultat de l’application de la méthode de
la bissectrice confirme en effet qu’il ne s’agit pas d’un moyen neutre

166 DISPUTE (DISS. OP.TORRES BERNÁRDEZ ) 821

posed by Nicaragua would cut off a significant portion of Honduran

territory falling north of this line (Judgment, para. 295). The rejection of
this line therefore has nothing to do with equity.
All the Court has done is to restore the actual coastal geography of
Honduras which had been “planed” in the Applicant’s proposal. Fur-
thermore, the choice by the majority of the bisector method has had the

effect of extending the relevant coasts for the purposes of the delimita-
tion, since in order to apply that method, “coastal fronts” have to be
used instead of “base points”. Hence the relevant coast from Cape Falso
to Laguna Wano put forward by Honduras was rejected in favour of
longer coastal fronts.

140. Similarly, a coastal front extending from Cape Camarón to the
Río Grande would, according to the Judgment, lead to overcompensa-
tion because the line would run entirely over the Honduran mainland and
thus would deprive the significant Honduran land mass lying between the

sea and the line of any effect on the delimitation (para. 297). The azimuth
of the angle of the Camarón-Rio Grande bisector is 64°92′.
141. But the Court also rejects the front from Cape Falso to
Punta Gorda, even though it indisputably faces the disputed area, as the
Judgment itself acknowledges. It does so, according to the Judgment, on

the grounds that its length (some 100 kilometres) is not sufficient to
reflect a coastal front more than 100 nautical miles out to sea, especially
if account is taken of how quickly to the north-west the Honduran coast
turns away from the area to be delimited after Cape Falso, as it continues
past Punta Patuca and up to Cape Camarón. Cape Falso, according to

Honduras, constitutes the major “turn” in its mainland coast (para. 296).

142. It must be borne in mind that the azimuth of the angle of the
Cape Falso-Punta Gorda bisector is even so 70°54′. But that was not yet
enough for the majority. Finally, the Court has settled on a Honduran

coastal front extending from Cape Gracias a Dios to Punta Patuca and a
Nicaraguan front from Cape Gracias a Dios to Wouhnta, which the
Judgment considers to be of sufficient length “to account properly for the
coastal configuration in the disputed area” (Judgment, para. 298). The
bisector of the angle formed by these two coastal fronts has an azimuth

of 70°14′41.25″. This is the azimuth of the bisector in the Judgment.

143. Yet if we compare this azimuth in the Judgment with that of a
provisional equidistance line (approximately 78°48′) drawn from base
points situated north and south of the mouth of the River Coco, we note

that the difference between the two azimuths is more than 8°. That
explains a great many things, including my rejection of the two segments
of the single maritime boundary based on the Judgment’s bisector. The
geographical and geomorphological difficulties referred to by the Court
cannot justify the choice of a delimitation method that is so inequitable

for one of the Parties. The result of the application of the bisector
method in fact provides confirmation that it is not a neutral means made

166822 DIFFÉREND (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

nécessaire pour surmonter des difficultés d’ordre physique communes aux
façades maritimes pertinentes de l’une et de l’autre des Parties.
144. Une différence de 8 degrés environ est une différence énorme. Je

ne saurais l’accepter comme la solution équitable que préconise la conven-
tion des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, surtout lorsqu’elle
vient s’ajouter aux manquements au principe de non-empiétement dans le
premier secteur de la délimitation. Selon moi, après les îles, une solution
équitable serait une ligne d’équidistance tracée à partir du continent

(d’azimut 78°48′ environ) avec, éventuellement, quelques ajustements de
cette ligne vers le nord, mais bien au sud de la ligne bissectrice de l’arrêt
(70°14′41,25″).
145. Disons, enfin, que la côte entre Cabo Falso et Punta Patuca est

une côte hondurienne orientée vers le nord-est qui n’aboutit pas directe-
ment à l’aire ou à la zone à délimiter. J’avais toujours pensé que les côtes
concernées par une délimitation constituaient une donnée géographique
objective qui ne variait pas en fonction de la méthode de délimitation

employée par le juge. Or, dans cet arrêt, ce postulat semble écarté, car les
côtes concernées par la présente délimitation s’allongent ou se rétrécis-
sent en fonction de la méthode choisie, voire, même, de l’azimut retenu.

5. Application de l’équidistance à la délimitation autour des îles

146. Ma critique du tracé de la frontière maritime unique par l’arrêt ne

concerne que les segments qui suivent la bissectrice retenue par la Cour.
Ainsi, elle ne s’applique pas au segment du tracé qui effectue la délimita-
tion autour des îles. Dans ce tronçon de la frontière maritime, la Cour a
procédé à une application parfaite des articles 3, 15 et 121 de la conven-
tion des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, qui constitue le

droit en vigueur entre les Parties. La prétention du Nicaragua d’enclaver
les îles attribuées au Honduras à l’intérieur d’une mer territoriale de
3 milles seulement est, en conséquence, rejetée par l’arrêt.
147. Chacune des îles concernées — Bobel Cay, Savanna Cay, Port

Royal Cay et South Cay pour le Honduras et Edinburgh Cay pour le
Nicaragua — se voit reconnaître une mer territoriale large de 12 milles, et
la zone de chevauchement de ces mers territoriales du Honduras et du
Nicaragua, tant au nord qu’au sud du 15 parallèle, est délimitée par

application de la méthode de l’équidistance. La Cour a tracé d’abord une
ligne d’équidistance provisoire prenant les coordonnées de ces îles comme
points de base de leur mer territoriale, et puis a construit la ligne médiane
dans les zones de chevauchement. Enfin, ayant constaté qu’il n’y avait
pas de circonstances spéciales justifiant un ajustement, elle a adopté cette

ligne provisoire comme ligne de délimieation (par. 304). Le tracé de la
ligne se situe en partie au sud du 15 parallèle, car l’existence d’une limite
maritime quelconque le long de ce parallèle basée sur l’accord tacite des
Parties est écartée par l’arrêt (voir ci-dessus).

167 DISPUTE (DISS.OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 822

necessary in order to overcome the physical problems that are shared by

both Parties’ relevant coastal fronts.
144. A difference of 8° is a huge disparity. I cannot accept it as the
equitable solution advocated by the 1982 United Nations Convention on
the Law of the Sea, especially when it is combined with breaches of the
principle of non-encroachment in the first sector of delimitation. In my

view, beyond the islands, an equitable solution would be an equidistance
line drawn from the mainland (azimuth approximately 78°48′), with pos-
sibly some adjustments of the line towards the north, but well to the
south of the Judgment’s bisector line (70°14′41.25″).

145. Let it also be noted that the coast between Cape Falso and
Punta Patuca is a part of the Honduran coastline oriented towards the
north-east, which does not directly adjoin the space or area for delimita-
tion. I had always thought that the coasts concerned by a delimitation

constituted an objective geographic fact which did not change according
to the delimitation method used by the judge. In this Judgment, however,
that assumption seems to have been abandoned, since the coasts con-
cerned by the present delimitation expand and contract depending on the
method chosen or even the azimuth selected.

5. Application of equidistance to the delimitation around the islands

146. My criticism of the single maritime boundary line in the Judg-

ment only concerns the segments which follow the bisector selected by
the Court. It thus does not apply to the segment of the line which effects
the delimitation around the islands. In this section of the maritime
boundary, the Court has fully applied Articles 3, 15 and 121 of the
United Nations Convention on the Law of the Sea of 1982, which con-

stitutes the law in force between the Parties. Nicaragua’s claim that
would have enclosed the islands attributed to Honduras within a terri-
torial sea of 3 nautical miles was consequently rejected by the Judgment.
147. Each of the islands concerned — Bobel Cay, Savanna Cay, Port
Royal Cay and South Cay for Honduras and Edinburgh Cay for Nica-

ragua — is accorded a 12-mile territorial sea, and the overlapping areas
between these territorial seas of Honduras and Nicaragua, both north
and south of the 15th parallel, are delimited by application of the equi-
distance method. The Court first drew a provisional equidistance line,
using the co-ordinates for these islands as the base points for their terri-

torial seas, and then constructed the median line in the overlapping areas.
Lastly, having established that there were no special circumstances war-
ranting an adjustment, it adopted this provisional line as the line of
delimitation (para. 304). The course of the delimitation line lies partly
south of the 15th parallel, as the existence of any kind of maritime

boundary along that parallel, based on the tacit agreement of the Parties,
is rejected by the Judgment (see above).

167823 DIFFÉREND (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

6. La démarcation de la commission mixte de 1962 et le point de départ

de la frontière maritime unique

148. Les deux Parties ont convenu dans leurs écritures que, compte
tenu du fait que le cap Gracias a Dios avance vers l’est en raison des
dépôts sédimentaires du fleuve Coco, le point de départ de la frontière

maritime à effectuer par la Cour doit être situé à 3 milles marins au large
de l’embouchure du fleuve Coco. Mais subsistaient entre elles deux points
de désaccord: 1) la question de savoir à partir de quel point du fleuve
Coco ces 3 milles devaient être mesurés; et 2) celle de savoir dans quelle
direction ils devaient l’être. En outre, au cours de la phase orale et dans

ses conclusions finales, le Nicaragua a demandé à la Cour de dire et juger
que, «[a]insi que l’a établi la sentence du roi d’Espagne de 1906, le point
de départ de la délimitation est le thalweg de l’embouchure principale du
fleuve Coco, où qu’elle se situe au moment considéré» (arrêt, par. 19).
149. Toutefois, les deux Parties ont laissé à la Cour la tâche de fixer le

point de départ de la frontière maritime. Ce point de départ est fixé en
mer par l’arrêt à 3 milles du point identifié dans le fleuve Coco par la
commission mixte de 1962 comme le voulait le Honduras, mais il est
placé dans la direction et l’azimut de la bissectrice comme le voulait le
Nicaragua (arrêt, par. 311). Les coordonnées du point de départ ainsi

décidé par la Cour sont 15°00′52″ de latitude nord et 83°05′58″ de lon-
gitude ouest (dispositif, al. 2)).
150. Je suis en désaccord quant à l’emplacement de ce point décidé par
l’arrêt car, à mon avis, il aurait dû être un point équidistant des points de
base situés au nord et au sud de l’embouchure du fleuve Coco. Le point

choisi n’est pas un point neutre par rapport aux revendications princi-
pales des Parties. En outre, bien qu’il ne préjuge pas des négociations
ci-dessous entre les Parties, il pourrait tout de même les rendre plus
complexes.
151. En revanche, j’approuve la décision par laquelle la Cour charge

les Parties de convenir du tracé de la ligne de délimitation dans la mer
territoriale entre le point terminal de la frontière terrestre établie par la
sentence arbitrale de 1906 et le point de départ de la délimitation mari-
time du présent arrêt, dans le cadre des négociations menées de bonne foi
(dispositif, al. 4)).

7. Le point terminal de la frontière maritime unique, les traités
bilatéraux et les Etats tiers

152. La solution donnée par l’arrêt à la question de la définition du
point terminal de la frontière maritime pose des problèmes encore plus
sérieux que ceux qui concernent le point de départ. Dans ses écritures, le
Nicaragua explique qu’il trace sa bissectrice jusqu’à la zone de fonds
marins où se trouve le banc de Rosalinda, là où les prétentions d’Etats

tiers entrent en jeu (arrêt, par. 313). Par ailleurs, les conclusions finales
du Nicaragua, tout en passant sous silence le point terminal, renvoient

168 DISPUTE (DISS.OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 823

6. The demarcation by the Mixed Commission of 1962 and the starting-

point of the single maritime boundary

148. The two Parties agreed in their written pleadings that, in view of
the continued eastward accretion of Cape Gracias a Dios as a result of
alluvial deposits, the starting-point of the maritime boundary to be

drawn by the Court should be located 3 nautical miles seaward from the
mouth of the River Coco. However, two differences remained between
them: (1) from where on the River Coco those 3 miles should be meas-
ured; and (2) in what direction. Moreover, during the oral proceedings
and in its final submissions, Nicaragua requested the Court to adjudge

and declare that “[t]he starting-point of the delimitation is the thalweg of
the main mouth of the River Coco such as it may be at any given
moment as determined by the Award of the King of Spain of 1906”
(Judgment, para. 19).
149. However, the two Parties left the Court the task of establishing

the starting-point of the single maritime boundary. This starting-point
was set by the Judgment 3 miles out to sea from the point identified in the
River Coco by the Mixed Commission in 1962, as Honduras wished, but
it has been placed along the azimuth of the bisector, as proposed by
Nicaragua (Judgment, para. 311). The co-ordinates of the starting-point

thus decided by the Court are 15°00′52″ of latitude north and 83°05′58″
of longitude west (subparagraph (2) of the operative clause).
150. I disagree with the location of this point as decided by the Judg-
ment because, in my view, it should have been a point equidistant from
the base points situated north and south of the mouth of the River Coco.

The point chosen by the majority is not a neutral one in relation to the
principal claims of the Parties. Moreover, although it does not prejudge
the negotiations between the Parties referred to below, it could nonethe-
less make these more difficult.
151. In contrast, I endorse the Court’s finding that the Parties must

negotiate in good faith with a view to agreeing on the course of the
delimitation line in the territorial sea between the endpoint of the land
boundary as established by the 1906 Arbitral Award and the starting-
point of the maritime delimitation in the present Judgment (subpara-
graph (4) of the operative clause).

7. The endpoint of the single maritime boundary, bilateral treaties and
third States

152. The solution provided by the Judgment to the question of defin-
ing the endpoint of the maritime boundary gives rise to even more serious
problems than those concerning the starting-point. In its written plead-
ings, Nicaragua explains that it draws its bisector up to the area of the
seabed occupied by the Rosalinda Bank, in which area the claims of third

States come into play (Judgment, para. 313). Further, Nicaragua’s final
submissions refer to the delimitation of areas “in the region of the Nica-

168824 DIFFÉREND OP . DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

à la délimitation des zones «dans la région du seuil nicaraguayen»
(arrêt, par. 19).
153. Pour sa part, le Honduras indique dans ses écritures que la

Colombie, en vertu de différents traités, a des intérêts auxquels une déli-
mitation qui se poursuivrait au-delà du 82 méridien porterait atteinte.
Toutes les cartes produites par le Honduras considèrent le 82 méridiene

comme le point terminal implicite de la délimitation, y compris celles qui
présentent la ligne d’équidistance provisoire ajustée du Honduras (arrêt,
par. 313). Dans sa troisième conclusion finale, le Honduras prie la Cour

de tracer la frontière maritime «jusqu’à atteindre la juridiction d’un Etat
tiers» (arrêt, par. 19). Or, à la lumière du texte de cette conclusion finale,
ainsi que des écritures et des cartes du Honduras, cette expression ne sau-
rait être interprétée comme modifiant la position selon laquelle le point
e
terminal de la délimitation ne saurait se situer au-delà du 82 méridien.
154. Dans les paragraphes 314 à 319 de l’arrêt, la Cour considère les
différentes possibilités qui s’offrent à elle en ce qui concerne la question

du point terminel de la ligne et examine les éventuels intérêts d’Etats tiers
au-delà du 82 méridien, à savoir ceux de la Colombie et de la Jamaïque.
La Cour arrive à la conclusion qu’elle ne peut tracer une ligne de délimi-
tation qui couperait la ligne établie par le traité conclu entre la Colombie

et la Jamaïque en 1993 au sud du banc Rosalinda, mais peut déclarer que
la délimitation maritime entre le Honduras et le Nicaragua s´étend au-
delà du 82 méridien sans porter atteinte aux droits de la Colombie en

vertu de son traité de 1928 avec le Nicaragua et celui de 1986 avec le
Honduras.
155. Ainsi, l’arrêt affirme que

«la Cour peut donc, sans pour autant indiquer de point terminal
précis, délimiter la frontière maritime et déclarer que celle-ci s’étend
e
au-delà du 82 méridien sans porter atteinte aux droits d’Etats tiers»
(arrêt, par. 319, et p. 761, croquis n 7, arrêt).

A mon grand regret, je ne saurais être aussi certain que l’arrêt sur cette
conclusion. Que la Cour puisse «délimiter la frontière maritime» dans

la erésente affaire est une chose, mais qu’elle puise le faire au-delà du
82 méridien sans porter atteinte aux droits d’Etat tiers en est une autre.
156. Il est vrai que, dans ses motifs, l’arrêt ajoute la précision impor-
tante suivante: «l’examen auquel [la Cour] a procédé de ces divers inté-

rêts est sans préjudice de tous autres intérêts légitimes d’Etats tiers dans
la zone» (arrêt, par. 318). Ainsi, les intérêts légitimes d’Etats tiers «dans
la zone» délimitée par l’arrêt sembleraient être dûment protégés. Mais il

reste la question des droits et intérêts légitimes d’Etats tiers dans des espa-
ces maritimes limitrophes de la zone délimitée. La présence du Nicaragua
au nord du 15 parallèle et à l’est du 82 méridien ne peut que porter
atteinte aux droits et intérêts de la Colombie, car cette dernière n’est plus

protégée par la ligne de délimitation du traité de 1986 avec le Honduras
et, en conséquence, est exposée à des revendications du Nicaragua au sud
et à l’est de ladite ligne de délimitation. C’est la raison pour laquelle, à

169 DISPUTE (DISS.OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 824

raguan Rise”, without saying anything about the endpoint (Judgment,

para. 19).
153. For its part, Honduras in its pleadings suggests that Colombia
has interests under various treaties that would be affected by a delimita-
tion continuing beyond the 82nd meridian. All the maps produced by
Honduras seem to take the 82nd meridian as the implied endpoint to the

delimitation, including that displaying Honduras’s adjusted equidistance
line (Judgment, para. 313). In its third final submission, Honduras asks
the Court to draw the maritime boundary “until the jurisdiction of a
third State is reached” (Judgment, para. 19). In the light of the wording
of this final submission, as well as the written pleadings and maps pre-

sented by Honduras, that expression cannot be interpreted as modifying
the position that the endpoint for the delimitation cannot be located
beyond the 82nd meridian.
154. In paragraphs 314 to 319 of the Judgment, the Court considers

the various possibilities open to it as regards the question of the endpoint
of the line and analyses the potential third-State interests beyond the
82nd meridian, namely those of Colombia and Jamaica. The Court
arrives at the conclusion that it cannot draw a delimitation line that
would intersect with the line established by the 1993 Treaty between

Colombia and Jamaica, but that it can state that the maritime delimita-
tion between Honduras and Nicaragua extends beyond the 82nd merid-
ian without prejudicing Colombia’s rights under its treaty with Nicara-
gua of 1928 and with Honduras of 1986.

155. Hence the Judgment states that
“[t]he Court may accordingly, without specifying a precise endpoint,

delimit the maritime boundary and state that it extends beyond the
82nd meridian without affecting third-State rights” (para. 319 of the
Judgment and p. 761, sketch-map No. 7 of said Judgment).

To my great regret, I cannot be as certain as the Judgment with regard to
this finding. That the Court can “delimit the maritime boundary” in the
present case is one thing, but that it can do so beyond the 82nd meridian
without affecting the rights of third States is quite another.

156. It is true that, in its reasoning, the Judgment adds the following
important detail: “[the Court’s] consideration of these interests is without
prejudice to any other legitimate third party interests which may also
exist in the area” (para. 318). The legitimate interests of third States “in
the area” delimited by the Judgment would thus seem duly protected.

However, there remains the question of the rights and legitimate interests
of third States in the maritime areas adjacent to the area that has been
delimited. The presence of Nicaragua north of the 15th parallel and east
of the 82nd meridian can only prejudice the rights and interests of
Colombia, since the latter is no longer protected by the delimitation line

of the 1986 Treaty with Honduras and is therefore exposed to claims
from Nicaragua to the south and east of that line. This is the reason why,

169825 DIFFÉREND OP .DISS .TORRES BERNÁRDEZ )

mon avis, la délimitation de l’arrêt au-delà du 82 méridien risque de por-
ter atteinte aux droits et intérêts juridiques d’un Etat tiers qui n’a pas

participé dans la présente instance. e
157. En outre, je suis également opposé à délimiter au-delà du 82 méri-
dien parce que le Honduras a invoqué dans la présente affaire le traité
avec la Colombie de 1986 qui est toujours en vigueur entre ces deux Etats

et enregistré au Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies. Or, la
délimitation de l’arrêt ne tient pas compte de ce traité conclu entre le
défendeur dans la présente instance et un Etat tiers. Cela est surprenant.
Pourquoi? Parce que le différend sur le traité en question n’a pas été ins-
crit par le demandeur, le Nicaragua, dans l’objet du différend défini dans

sa requête introductive de la présente instance, pas davantage qu’il n’a,
dans ses conclusions finales, demandé à la Cour de se prononcer sur un
aspect juridique quelconque du différend entre les Parties concernant
ledit traité.
e
158. A la lumière de ces considérations, aller au-delà du 82 méridien
équivaut, implicitement, à prendre position sur un différend qui ne fait
pas partie de l’objet du présent litige et, en conséquence, non plaidé par
les Parties au cours de la présente instance. Or, cela soulève aussi une

question d’ordre juridictionnel qui mériterait une considération particu-
lière que l’on ne trouve nulle part dans l’arrêt. Une ligne de délimitation
maritime en tant que telle ne saurait régler un différend relatif au droit
des Etats à conclure des traités (treaty-making power des Etats) et à la

validité des traités.
159. La Cour peut-elle, dans le cadre de la présente instance, adopter
des décisions sur la délimitation maritime entre les Parties ayant pour
effet de laisser de côté à toutes fins utiles le traité de 1986 entre le Hon-

duras et la Colombie sans déterminer au préalable le statut de cet instru-
ment conventionnel? Je ne le pense pas, car, d’après les articles 74 et 83
de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, la déli-
mitation de la zone économique exclusive et du plateau continental doit

être effectuée «conformément au droit international tel qu’il est visé à
l’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice , afin d’aboutir
à une solution équitable».

8. Conclusion

160. J’ai voté contre les alinéas 2) et 3) du dispositif de l’arrêt parce
que j’ai la conviction que la ligne de délimitation maritime unique de
l’arrêt n’est pas tout à fait conforme aux prescriptions pertinentes de la

convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, sauf en ce
qui concerne le tronçon autour des îles (deuxième tronçon de la ligne).

161. Pour ce qui est du premier tronçon qui commence en délimitant

sur une certaine distance la mer territoriale continentale des Parties, il est
évident que la règle générale de l’équidistance de l’article 15 de la conven-
tion de 1982 n’a pas été appliquée. Elle a été écartée pour la première fois

170 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 825

in my opinion, the delimitation east of the 82nd meridian in the Judg-

ment could impair the rights and legal interests of third States that were
not parties to the present case.
157. Moreover, I am also opposed to the delimitation east of the
82nd meridian because Honduras has invoked in this case the maritime
delimitation treaty concluded with Colombia in 1986 which is still in

force between the two States and registered with the Secretariat of the
United Nations. Yet the delimitation effected by the Judgment takes no
account of that treaty concluded between the Respondent in the present
case and a third State. That is surprising. Why? Because the dispute
regarding the treaty in question was not included by the Applicant, Nica-

ragua, within the subject of the dispute as defined in its Application insti-
tuting these proceedings, nor did it ask the Court, in its final submissions,
to rule on any legal aspect of the dispute between the Parties concerning
that treaty.

158. In the light of these considerations, going beyond the 82nd merid-
ian implicitly involves taking a position on a dispute which does not fall
within the subject of the one here and which consequently was not
addressed by the Parties during the present case. Yet this raises a juris-
dictional issue deserving of particular consideration which is absent from

the Judgment. A maritime delimitation line in itself cannot settle a dis-
pute concerning the treaty-making power of States and the validity of the
treaties thus concluded.

159. Can the Court, within the context of the present case, take deci-

sions on the maritime delimitation between the Parties which have the
effect of laying to one side for all practical purposes the 1986 Treaty
between Honduras and Colombia without determining beforehand the
status of that treaty? I do not think so, since according to Articles 74 and
83 of the 1982 United Nations Convention on the Law of the Sea, the

delimitation of the exclusive economic zone and of the continental shelf
must be effected “on the basis of international law, as referred to in Arti-
cle 38 of the Statute of the International Court of Justice , in order to
achieve an equitable solution”.

8. Conclusion

160. I have voted against subparagraphs (2) and (3) of the Judgment’s
operative clause because I believe that the line of single maritime delimi-
tation contained in the Judgment does not entirely comply with the rele-

vant requirements of the 1982 United Nations Convention on the Law of
the Sea, except as regards the section around the islands (the second sec-
tion of the line).
161. For the first section, which begins by delimiting for a certain dis-
tance the Parties’ mainland territorial seas, it is obvious that the general

rule of equidistance contained in Article 15 of the 1982 Convention has
not been applied. This has been rejected for the first time in the Court’s

170826 DIFFÉREND OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

dans la jurisprudence de la Cour relative à la mer territoriale, et dès le
début de l’opération de délimitation, au profit d’une bissectrice incapable
d’assurer le principe de non-empiétement (non-encroachment) pour ce

qui est des côtes continentales honduriennes. Dans l’arrêt, la méthode de
la bissectrice choisie est justifiée par la considération selon laquelle la
configuration des côtes continentales et l’instabilité de l’embouchure du
fleuve Coco constitueraient une «circonstance spéciale» au sens de
l’exception de la deuxième phrase dudit article 15. Je ne peux pas accepter

cette justification, car le remède de la convention de 1982 pour ces situa-
tions n’est pas la méthode de la bissectrice mais celle de lignes de base
droites (convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982,
art. 7, par. 2, et 9). Cela étant, et l’arrêt ayant rejeté les titres historiques

(uti possidetis juris) invoqués par le Honduras, il n’est pas du tout
«nécessaire» de délimiter la mer territoriale considérée autrement que par
la ligne médiane (méthode de l’équidistance) de la règle générale de l’ar-
ticle 15 de la convention de 1982.

162. En ce qui concerne le troisième tronçon, qui délimite seulement la
zone économique exclusive et le plateau continental, la bissectrice de
l’arrêt n’est pas à même non plus, à mon avis, d’aboutir à une solution
équitable. Tout d’abord, la construction de la bissectrice rend nécessaire
de faire intervenir une côte hondurienne (entre Cabo Falso et Punta

Patuca) qui n’aboutit pas directement sur l’aire de la délimitation. En
deuxième lieu, et surtout, l’azimut de l’angle de la ligne bissectrice de
l’arrêt ne trouve de justification ni dans la relation entre les côtes directe-
ment visées par la délimitation, ni dans les circonstances historiques du

différend. Une ligne bissectrice dont l’azimut de l’angle favorise l’une des
Parties de plus de 8° environ que l’azimut de l’angle de la ligne d’équi-
distance provisoire établie à partir des points de base situés au nord et au
sud du fleuve Coco n’est pas un résultat équitable, car en l’espèce l’arrêt
n’invoque aucune «circonstance pertinente» qui justifierait un ajustement

de la ligne d’équidistance provisoire d’une telle envergure. Cela est par-
ticulièrement vrai lorsque l’on tient compte du fait que la circonstance de
l’instabilité des côtes et de l’embouchure mentionnée ci-dessus est com-
mune aux façades maritimes de l’un et de l’autre Etat. Finalement, le fait

que la ligne de délimitation du troisième tronçon se prolonge au-delà du
82 méridien soulève des questions d’ordre juridictionnel relatives au
traité conclu en 1986 entre le Honduras et la Colombie et aux droits et
intérêts juridiques de la Colombie dans les espaces maritimes situés au

sud et à l’est de la délimitation effectuée par ce traité.

(Signé) Santiago T ORRES B ERNÁRDEZ .

171 DISPUTE (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 826

jurisprudence in relation to the territorial sea, and from the start of the
delimitation exercise, in favour of a bisector which is unable to secure the
principle of non-encroachment with regard to Honduras’s mainland

coasts. In the Judgment, the bisector method chosen is justified on the
grounds that the configuration of the mainland coasts in question and the
instability of the mouth of the River Coco are said to constitute “special
circumstances” within the meaning of the second sentence of the above-
mentioned Article 15. I cannot accept this justification, since the remedy

for such situations under the 1982 Convention is not the bisector method,
but that of straight baselines (Art. 7, para. 2, and Art. 9 of the Conven-
tion). That being so, and the Judgment having rejected the historic titles
(uti possidetis juris) relied upon by Honduras, it is not in any way “nec-

essary” to delimit the territorial sea other than by the median line (equi-
distance method) provided for in Article 15 of the 1982 Convention.

162. As regards the third section, which delimits only the exclusive
economic zone and the continental shelf, the bisector in the Judgment is
likewise unable, in my view, to achieve an equitable solution. Firstly, the
construction of the bisector makes it necessary to bring into play a Hon-
duran coast (from Cape Falso to Punta Patuca) which does not directly

adjoin the area of delimitation. Secondly, and above all, the azimuth of
the angle of the Judgment’s bisector line is not justified by the relation-
ship between the coasts directly involved in the delimitation, nor by the
historical circumstances of the dispute. A bisector line where the azimuth

of its angle favours one of the Parties by a difference of 8° compared with
the azimuth of the angle of the provisional equidistance line drawn from
base points situated north and south of the River Coco is not an equita-
ble result, since in the present case, the Judgment invokes no “relevant
circumstance” that would warrant adjusting the provisional equidistance

line on such a scale. This is particularly true when one bears in mind that
the circumstance of the instability of the coasts and river mouth referred
to above is common to the coastal fronts of both States. Finally, the fact
that the line delimiting the third section extends beyond the 82nd merid-

ian raises jurisdictional questions concerning the treaty concluded in 1986
between Honduras and Colombia, and as regards Colombia’s rights and
legal interests in the maritime areas lying south and east of the delimita-
tion effected by that treaty.

(Signed) Santiago T ORRES BERNÁRDEZ .

171

Document file FR
Document Long Title

Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Torres Bernárdez

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