Déclaration de M. le juge Parra-Aranguren

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120-20071008-JUD-01-03-EN
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120-20071008-JUD-01-00-EN
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780

DÉCLARATION DE M. LE JUGE PARRA-ARANGUREN

[Traduction]

1. La note du 19 mars 1912 adressée au ministre des affaires étran-
gères du Honduras par le ministre des affaires étrangères du Nicaragua

rappelle que la commission mixte créée par le traité de 1894 n’est pas par-
venue à un accord sur l’un des tronçons de la ligne frontière et indique:

«Le désaccord se trouvant ainsi défini, toute la partie de la ligne
frontière depuis le point de la cordillère appelé Teotecacinte jusqu’à
sa fin sur la côte atlantique et jusqu’où doit finir dans la mer la juri-
diction des deux Etats ne fut pas démarquée. Pour décider de quelle
façon l’on devait tracer la partie de la ligne litigieuse, l’on se décida
à exécuter les dispositions prévues à l’article III du traité déjà cité.»

(C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le
23 décembre 1906 (Honduras c. Nicaragua) , vol. I, p. 292; les ita-
liques sont de moi.)

2. Par cette note du 19 mars 1912, le Nicaragua contesta pour la pre-
mière fois la validité et le caractère obligatoire de la sentence arbitrale de
1906, en particulier le choix de l’embouchure du fleuve Coco près du cap
Gracias a Dios comme point extrême limitrophe commun au Nicaragua
et au Honduras sur la côte atlantique. A cette occasion, le Nicaragua

invoqua plusieurs motifs de nullité de la décision du roi d’Espagne,
notamment le suivant:

«C’est également un principe universel que les sentences contra-
dictoires sont dépourvues de valeur et inapplicables, et la contradic-
tion dans laquelle tombe la sentence est patente lorsqu’elle traite du
tronçon de ligne qui doit séparer la juridiction des deux pays dans la
mer territoriale, parce que, après avoir établi la règle selon laquelle

la direction de la ligne est le thalweg ou ligne de plus grande pente
du lit du cours du bras principal du fleuve Coco, elle déclare que les
îlots situés sur ledit bras appartiennent au Honduras, ce qui conduit
à cette inconséquence de laisser du territoire hondurien enclavé dans
des eaux nicaraguayennes et, au surplus, laisse sans effet la ligne
du thalweg indiquée; en dehors du fait de ne rien décider sur la

direction de la ligne qui, suivant le droit des gens, indique ce qui
revient en mer à chaque république comme faisant partie de son ter-
ritoire respectif.» (Ibid., p. 294; les italiques sont de moi.)

3. Le paragraphe 39 de l’arrêt renvoie à la note du Nicaragua du
19 mars 1912. Toutefois, la Cour y indique seulement que le Nicaragua

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«contesta ... la validité et le caractère obligatoire de la sentence arbitrale»

sans mentionner les déclarations que je viens de citer, bien qu’elles
démontrent que, aux yeux du Nicaragua, la sentence arbitrale de 1906
avait établi la «ligne qui d[evait] séparer la juridiction des deux pays dans
la mer territoriale».

4. Je suis d’accord avec la note de 1912 du Nicaragua en ce qu’elle
reconnaît que la sentence arbitrale de 1906 avait déterminé la souverai-
neté sur les territoires continentaux et insulaires contestés, ainsi que sur
les eaux territoriales continentales et insulaires appartenant au Honduras

et au Nicaragua. Toutefois, je ne saurais partager l’avis du Nicaragua
selon lequel la décision du roi d’Espagne était nulle et non avenue en rai-
son des «lacunes, contradictions et obscurités qui l’affect[ai]ent». Le
Nicaragua a présenté cet argument à la Cour, qui ne l’a pas retenu dans

son arrêt du 18 novembre 1960, lequel est revêtu de l’autorité de la chose
jugée (Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le 23 décembre 1906
(Honduras c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 1960 , p. 205-217).
5. Pour ces motifs, j’ai voté en faveur de l’alinéa 1 et contre les ali-

néas 2, 3 et 4 du dispositif de l’arrêt (par. 321).

(Signé) Gonzalo P ARRA -A RANGUREN .

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Bilingual Content

780

DECLARATION OF JUDGE PARRA-ARANGUREN

1. The Note of 19 March 1912 sent by the Minister for Foreign Affairs
of Nicaragua to the Foreign Minister of Honduras recalls the failure of

the Mixed Commission created by the 1894 Treaty to agree on one sector
of the boundary line and states:

“The disagreement having been thus defined, the entire portion of
the frontier line was left undemarcated from the point on the Cor-
dillera called Teotecacinte to its endpoint on the Atlantic coast and to
the boundary in the sea marking the end of the jurisdiction of the two
States. In respect of determining how to draw the disputed portion
of the line, it was decided to carry out the provisions of Article III of

the Treaty cited above.” (I.C.J. Pleadings, Arbitral Award Made by
the King of Spain on 23 December 1906 (Honduras v. Nicaragua),
Vol. I, p. 292; emphasis added.) [Translation by the Registry.]

2. Nicaragua’s Note of 19 March 1912 challenged for the first time the
validity and binding nature of the 1906 Arbitral Award, in particular the
establishment of the mouth of the Coco River where it flows out in the
sea close to Cape Gracias a Dios as the extreme common boundary point
between Nicaragua and Honduras on the Atlantic coast. On this occa-

sion, Nicaragua indicated several grounds for the nullity of the decision
of the King of Spain, one of them being the following:

“It is also a universal principle that awards which are inconsistent
in themselves (contradictorias) are without value and inapplicable,
and there is an evident inconsistency in this Award when it deals
with that section of the frontier line which should separate the juris-
diction of the two countries in the territorial sea , in that, after having

laid down that the direction of the frontier line is the thalweg or
main watercourse of the principal arm of the Coco River, it then
declares that the islets situated in that arm of the river belong to
Honduras, thus leading to the impossible result of leaving Honduran
territory enclaved within Nicaraguan waters, and thus also leaving
without effect the line of the thalweg referred to — quite apart from

the fact of deciding nothing as regards the direction of the frontier
line which, according to international law, should show the ter-
ritorial waters of each Republic as forming part of its respective ter-
ritories.” (Ibid., p. 294, emphasis added.) [Translation by the
Registry.]

3. Paragraph 39 of the Judgment refers to Nicaragua’s Note of
19 March 1912. However, the Court only recalls that it “challenged the

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DÉCLARATION DE M. LE JUGE PARRA-ARANGUREN

[Traduction]

1. La note du 19 mars 1912 adressée au ministre des affaires étran-
gères du Honduras par le ministre des affaires étrangères du Nicaragua

rappelle que la commission mixte créée par le traité de 1894 n’est pas par-
venue à un accord sur l’un des tronçons de la ligne frontière et indique:

«Le désaccord se trouvant ainsi défini, toute la partie de la ligne
frontière depuis le point de la cordillère appelé Teotecacinte jusqu’à
sa fin sur la côte atlantique et jusqu’où doit finir dans la mer la juri-
diction des deux Etats ne fut pas démarquée. Pour décider de quelle
façon l’on devait tracer la partie de la ligne litigieuse, l’on se décida
à exécuter les dispositions prévues à l’article III du traité déjà cité.»

(C.I.J. Mémoires, Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le
23 décembre 1906 (Honduras c. Nicaragua) , vol. I, p. 292; les ita-
liques sont de moi.)

2. Par cette note du 19 mars 1912, le Nicaragua contesta pour la pre-
mière fois la validité et le caractère obligatoire de la sentence arbitrale de
1906, en particulier le choix de l’embouchure du fleuve Coco près du cap
Gracias a Dios comme point extrême limitrophe commun au Nicaragua
et au Honduras sur la côte atlantique. A cette occasion, le Nicaragua

invoqua plusieurs motifs de nullité de la décision du roi d’Espagne,
notamment le suivant:

«C’est également un principe universel que les sentences contra-
dictoires sont dépourvues de valeur et inapplicables, et la contradic-
tion dans laquelle tombe la sentence est patente lorsqu’elle traite du
tronçon de ligne qui doit séparer la juridiction des deux pays dans la
mer territoriale, parce que, après avoir établi la règle selon laquelle

la direction de la ligne est le thalweg ou ligne de plus grande pente
du lit du cours du bras principal du fleuve Coco, elle déclare que les
îlots situés sur ledit bras appartiennent au Honduras, ce qui conduit
à cette inconséquence de laisser du territoire hondurien enclavé dans
des eaux nicaraguayennes et, au surplus, laisse sans effet la ligne
du thalweg indiquée; en dehors du fait de ne rien décider sur la

direction de la ligne qui, suivant le droit des gens, indique ce qui
revient en mer à chaque république comme faisant partie de son ter-
ritoire respectif.» (Ibid., p. 294; les italiques sont de moi.)

3. Le paragraphe 39 de l’arrêt renvoie à la note du Nicaragua du
19 mars 1912. Toutefois, la Cour y indique seulement que le Nicaragua

125781 TERRITORIAL AND MARITIME DISPUTE (DECL .PARRA -ARANGUREN )

validity and binding character of the Arbitral Award”, not mentioning

the statements quoted above, even though they demonstrate Nicaragua’s
opinion that the 1906 Arbitral Award had established “the frontier line
which should separate the jurisdiction of the two countries in the ter-
ritorial sea”.

4. I agree with Nicaragua’s Note of 1912 acknowledging that the 1906
Arbitral Award determined the sovereignty of the disputed mainland and
insular territories, as well as the continental and insular territorial waters
appertaining to Honduras and Nicaragua. However, I cannot share

Nicaragua’s allegation that the decision of the King of Spain was null
and void because of its “omissions, contradictions and obscurities”.
Nicaragua presented this contention to the Court, but it was not upheld
in its Judgment of 18 November 1960, which is res judicata (Arbitral

Award Made by the King of Spain on 23 December 1906 (Honduras v.
Nicaragua), Judgment, I.C.J. Reports 1960 , pp. 205-217).

5. For these reasons, I voted in favour of paragraph 321 (1) and

against paragraph 321 (2), paragraph 321 (3) and paragraph 321 (4) of
the Judgment.

(Signed) Gonzalo P ARRA -ARANGUREN .

126 DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME DÉCL . PARRA ARANGUREN ) 781

«contesta ... la validité et le caractère obligatoire de la sentence arbitrale»

sans mentionner les déclarations que je viens de citer, bien qu’elles
démontrent que, aux yeux du Nicaragua, la sentence arbitrale de 1906
avait établi la «ligne qui d[evait] séparer la juridiction des deux pays dans
la mer territoriale».

4. Je suis d’accord avec la note de 1912 du Nicaragua en ce qu’elle
reconnaît que la sentence arbitrale de 1906 avait déterminé la souverai-
neté sur les territoires continentaux et insulaires contestés, ainsi que sur
les eaux territoriales continentales et insulaires appartenant au Honduras

et au Nicaragua. Toutefois, je ne saurais partager l’avis du Nicaragua
selon lequel la décision du roi d’Espagne était nulle et non avenue en rai-
son des «lacunes, contradictions et obscurités qui l’affect[ai]ent». Le
Nicaragua a présenté cet argument à la Cour, qui ne l’a pas retenu dans

son arrêt du 18 novembre 1960, lequel est revêtu de l’autorité de la chose
jugée (Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le 23 décembre 1906
(Honduras c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 1960 , p. 205-217).
5. Pour ces motifs, j’ai voté en faveur de l’alinéa 1 et contre les ali-

néas 2, 3 et 4 du dispositif de l’arrêt (par. 321).

(Signé) Gonzalo P ARRA -A RANGUREN .

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