Déclaration de M. Skotnikov

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366

DE uCLARATION DE M. LE JUGE SKOTNIKOV

[Traduction]

Défaut de compétence — Défaut d’accès du défendeur à la Cour à la date de
l’introduction de l’instance — Pertinence des arrêts de 2004 relatifs à la Licéité
de l’emploi de la force — Question de l’accès à la Cour non tranchée dans
l’arrêt de 1996 — Caractère non absolu et non exhaustif du principe de l’auto-
rité de la chose jugée dans le cadre d’une procédure incidente.
Absence dans la convention sur le génocide d’une obligation implicite faite
aux Etats de ne pas commettre le génocide — Pareille obligation inexprimée
non nécessaire pour engager la responsabilité de l’Etat pour génocide — Res-
ponsabilité de l’Etat engagée dès lors qu’une personne dont les actes lui sont

attribuables commet le crime de génocide — Cour non investie de la compétence
pénale nécessaire pour établir si des personnes ont commis le génocide — Déci-
sions des juridictions investies de cette compétence pénale pouvant constituer
une base pour conclure à la responsabilité de l’Etat pour génocide si elles sont
conformes aux exigences de la convention sur le génocide — Décisions rendues
par le TPIY dans les affaires Krst´ et Blagojev´ non conformes à la Conven-
tion puisque basées sur le crime d’«aide et d’encouragement» et comprenant des
conclusions relatives à l’état d’esprit de personnes non présentes devant le
TPIY — Commission du génocide à Srebrenica non établie de manière suffi-
sante.
Interprétation trop large de l’obligation de prévention — Obligation appli-

cable uniquement au sein du territoire relevant de la juridiction ou du contrôle
de l’Etat — Devoir de prévention constituant une obligation de résultat et non
de comportement.

C OMPÉTENCE

Dans les affaires de 2004 relatives à la Licéité de l’emploi de la force ,la
Cour a reconnu une certaine réalité juridique, qui existe indépendamment
de ses vŒux ou de ceux des Parties et qui ne saurait être différente en la
présente affaire: la Serbie-et-Monténégro n’était pas membre de l’Orga-

nisation des Nations Unies ni, dès loer, partie au Statut de la Cour avant
d’être admise à l’Organisation le 1 novembre 2000 en qualité de nou-
veau Membre au titre de l’article 4 de la Charte des Nations Unies (voir,
par exemple, Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Bel-
gique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 314-315,

par. 91). Sur cette base, la Cour a, dans les affaires précitées, conclu
qu’elle n’était pas ouverte à la Serbie-et-Monténégro à la date de l’intro-
duction de l’instance et que, pour cette raison, elle n’avait pas compé-
tence pour connaître de celles-ci (ibid., p. 327-328, par. 127 et 129).
Or, du raisonnement suivi par la Cour dans la présente affaire il ressort

qu’elle peut, en appliquant le principe de l’autorité de la chose jugée à
une procédure incidente, créer deux réalités parallèles: ainsi, dans la pré-

327 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL . SKOTNIKOV ) 367

sente affaire, et contrairement à ce qui avait été le cas dans celles relatives

àl Licéité de l’emploi de la force , elle serait ouverte au défendeur en
vertu de la conclusion sur la compétence à laquelle elle était parvenue
dans son arrêt de 1996 sur les exceptions préliminaires (Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bos-
nie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.

Recueil 1996 (II), p. 595).
La thèse selon laquelle la question de l’accès du défendeur à la Cour au
titre du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut doit être considérée comme
ayant été réglée dans l’arrêt de 1996, alors que tel n’est assurément pas le
cas, porte un nouveau coup à la réalité qui, suivant l’arrêt, peut être alté-

rée «en toute logique» si l’intégrité du principe de l’autorité de la chose
jugée l’exige:

«[L]es difficultés juridiques soulevées par la situation du défen-
deur à l’égard de l’Organisation des Nations Unies n’étaient pas
expressément mentionnées dans l’arrêt de 1996. La Cour a déclaré ...
que «la Yougoslavie était liée par les dispositions de la convention
[sur le génocide] à la date du dépôt de la requête en la présente

affaire» (Application de la convention pour la prévention et la répres-
sion du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie),
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 610, par. 17) et a conclu qu’«elle
a[vait] compétence, sur la base de l’article IX de la convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide, pour statuer sur

le différend» (ibid., p. 623, par. 47, point 2), al. a)). Etant donné
que ... la question de la capacité d’un Etat à être partie à une pro-
cédure est une question qui se pose avant celle de la compétence
ratione materiae et que la Cour doit, au besoin, soulever d’office ...,
cette conclusion doit nécessairement s’interpréter comme signifiant

en toute logique que la Cour estimait à l’époque que le défendeur
avait qualité pour participer à des affaires portées devant elle. Sur
cette base, la Cour a alors formulé une conclusion sur sa compé-
tence, avec l’autorité de la chose jugée. Point n’est besoin pour elle,
aux fins de la présente procédure, d’aller au-delà de cette conclusion

en examinant par quel cheminement elle y est parvenue. Que les
Parties considèrent la question comme relevant de l’«accès à la
Cour» ou de la «compétence ratione personae », le fait est que la
Cour n’aurait pu trancher l’affaire au fond si le défendeur n’avait
pas la capacité, en vertu du Statut, d’être partie à une procédure

devant la Cour.» (Arrêt, par. 132.)
«Que la RFY avait la capacité de se présenter devant la Cour en
vertu du Statut constitue un élément du raisonnement suivi dans

l’arrêt de 1996, qui peut — et même doit — en toute logique être
sous-entendu dans celui-ci.» (Ibid., par. 135.)
Il est évident que l’idée d’un «élément inexprimé du raisonnement»

n’est pas compatible avec l’article 56 du Statut, aux termes duquel
«[l’]arrêt est motivé».

328 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 368

Il convient également de noter que la partie de l’arrêt de 1996 consa-

crée à la compétence ratione personae se rapportait uniquement à la ques-
tion de savoir si le demandeur et le défendeur étaient parties à la conven-
tion sur le génocide, et le postulat adopté dans cet arrêt était que la
convention satisfaisait à l’exigence dictée au paragraphe 2 de l’article 35
du Statut, constituant donc une base indépendante et suffisante pour

ouvrir la Cour au défendeur. La Cour s’en était ainsi tenue au point de
vue qu’elle avait adopté à titre provisoire dans son ordonnance de 1993
indiquant des mesures conservatoires:

«une instance peut être valablement introduite par un Etat contre un
autre Etat qui, sans être partie au Statut, est partie à une telle dis-
position particulière d’un traité en vigueur, et ce indépendamment

des conditions réglées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 9
(1946)» (Application de la convention pour la prévention et la répres-
sion du crime de génocide, mesures conservatoires, ordonnance du
8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 14, par. 19).

Voilà pourquoi la Cour n’a, ni en 1993 ni en 1996, examiné la question
incertaine et contradictoire de savoir si elle était ouverte au défendeur en
vertu du paragraphe 1 de l’article 35. Dans les arrêts de 2004 relatifs à la

Licéité de l’emploi de la force , en revanche, la Cour a examiné la question
de l’accès tant au regard du paragraphe 1 qu’au regard du paragraphe 2
de l’article 35, pour déclarer que la disposition relative aux «traités en
vigueur» figurant au paragraphe 2 concernait uniquement les traités en
vigueur à la date d’entrée en vigueur du Statut (Licéité de l’emploi de la

force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004, p. 323-324, par. 113).
L’idée que la réalité parallèle, créée par la Cour, est aussi solide que
celle existant indépendamment est exprimée sans ambages dans l’arrêt:

«Aussi fondamentale qu’elle puisse être, la question de la capacité
des Etats à être parties à des affaires devant la Cour reste une ques-

tion que la Cour doit trancher conformément au paragraphe 6 de
l’article 36 du Statut et, dès lors qu’une conclusion favorable à la
compétence a été énoncée avec l’autorité de la chose jugée, elle ne
peut plus être remise en question ou réexaminée, si ce n’est par le
biais de la procédure en revision prévue à l’article 61 du Statut. Il est

donc impossible, juridiquement, que la Cour puisse «rendre une déci-
sion finale envers une partie à l’égard de laquelle elle ne peut pas
exercer sa fonction judiciaire», parce que la question de savoir si un
Etat est ou non une partie à l’égard de laquelle la Cour a compétence
est de celles que seule la Cour a le pouvoir de trancher.» (Arrêt,

par. 138.)
La Cour affirme ensuite ne pas excéder son pouvoir en établissant, par

application du principe de l’autorité de la chose jugée, sa propre réalité
parallèle:

329 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL . SKOTNIKOV ) 369

«l’application «des prescriptions impératives du Statut» relève de la

décision de la Cour dans chaque affaire qui lui est soumise et,
lorsque la Cour s’est déclarée compétente avec l’autorité de la
chose jugée, il ne peut y avoir excès de pouvoir aux fins de cette
affaire, la Cour étant seule compétente pour se prononcer sur de
telles questions en vertu de son Statut» (arrêt, par. 139).

Le raisonnement de la Cour repose sur l’idée qu’une conclusion géné-

rale sur la compétence qui a été rendue dans le cadre d’une procédure
incidente revêt un caractère absolu et exhaustif (il va sans dire que les
décisions rendues par la Cour sur telle ou telle exception préliminaire ont
pleinement autorité de chose jugée).
Pourtant, telle n’était manifestement pas l’opinion de la Cour lorsqu’elle

a autorisé le greffier à informer le défendeur que

«[e]n outre, comme l’a en fait relevé la Serbie-et-Monténégro dans
l’«Initiative» et comme elle l’a elle-même souligné dans le passé, la
Cour est autorisée à examiner des questions de compétence proprio
motu, et doit «toujours s’assurer de sa compétence» (Appel concer-

nant la compétence du Conseil de l’OACI, C.I.J. Recueil 1972 ,
p. 52). Il va donc sans dire que la Cour ne se prononcera sur le fond
de la présente affaire qu’à condition d’avoir pu établir qu’elle a com-
pétence; si la Serbie-et-Monténégro souhaite présenter à la Cour des
arguments supplémentaires sur les questions de compétence lors de

la procédure orale au fond, elle est libre de le faire.» (Lettre du
12 juin 2003.)

La teneur de cette lettre indiquait clairement aux Parties qu’aucune
décision définitive n’avait été prise sur la compétence — il aurait en effet
été inconcevable que la Cour fasse savoir au défendeur qu’il était libre de
lui présenter des arguments supplémentaires sur des questions de compé-

tence alors qu’elle n’envisageait pas la possibilité d’y souscrire, qu’elle
évoque une action proprio motu sans envisager la possibilité d’y avoir
recours ni celle, qui en découle, que cette action puisse l’amener à une
conclusion négative sur la compétence. L’invitation faite à la Serbie-et-
Monténégro de soulever des questions de compétence au stade du fond

aurait sinon été sans objet.

La lettre de juin 2003 impliquait la recevabilité des objections du défen-
deur à l’application de l’article 35 du Statut. En effet, ces exceptions à la
compétence de la Cour ont été formulées dans le cadre des conclusions

finales et rejetées par la Cour dans le dispositif du présent arrêt.

La position de la Cour consiste à interpréter le principe de l’autorité de
la chose jugée comme revêtant un caractère absolu et exhaustif dans le
cadre d’une procédure incidente. Cette interprétation s’écarte radicalement

de la position plus prudente et plus nuancée que la Cour avait adoptée plus
tôt à ce sujet. Elle va à l’encontre du «caractère non exhaustif de la phase

330 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 370

consacrée aux exceptions préliminaires» (en vertu duquel, «[q]ue des ques-
tions de compétence aient ou non été soulevées au stade des exceptions
préliminaires, elles peuvent toujours l’être ultérieurement, même par la
Cour proprio motu» (Shabtai Rosenne,The Law and Practice of the Inter-

national Court 1920-2005, vol. II, p. 876, par. II.229)). Elle limite le droit
et le devoir qu’a la Cour d’agir de sa propre initiative pour s’assurer qu’elle
a bien compétence à tous les stades de la procédure. Elle peut enfin, comme
en l’espèce, amener la Cour à contredire des faits juridiques émanant
d’autres entités qu’elle-même, ainsi que ses propres conclusions sur les

mêmes faits dans une autre affaire. Le raisonnement de la Cour dénote
également une idée d’infaillibilité de sa part qu’il m’est difficile d’accepter.
Pour les raisons qui précèdent, je n’ai pu adhérer à la conclusion de la
Cour qui figure au paragraphe 1 du dispositif de l’arrêt.

F OND

Aux termes de l’article IX de la convention sur le génocide, la Cour est
chargée de régler les différends entre les parties contractantes, «y compris
ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de
l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III». La logique qui
sous-tend l’arrêt est qu’aucun Etat ne peut être tenu pour responsable

d’un génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’ar-
ticle III, sauf à ce que la convention sur le génocide impose aux parties
contractantes une obligation de ne pas commettre elles-mêmes le géno-
cide ou les autres actes énumérés à l’article III de la Convention.
Dans son arrêt, la Cour déclare que, «[l’]article IX étant essentielle-

ment une clause de compétence, [elle] estime devoir d’abord rechercher si
l’obligation de nature substantielle pour les Etats de ne pas commettre de
génocide peut découler des autres dispositions de la Convention» (arrêt,
par. 166). Elle reconnaît qu’«une telle obligation n’est pas expressément

imposée par les termes mêmes de la Convention» (ibid.). Dès lors, sui-
vant la logique de l’arrêt, cette obligation doit être considérée comme
sous-entendue dans l’article premier: «l’obligation de prévenir le géno-
cide implique nécessairement l’interdiction de le commettre» (ibid.).La
Cour conclut également que l’obligation qu’ont les Etats de ne pas com-

mettre eux-mêmes le génocide est applicable aux autres actes énumérés à
l’article III (arrêt, par. 167).
Cette interprétation me semble pécher pour les raisons suivantes.
Premièrement, l’idée même d’une obligation inexprimée est contestable

d’une manière générale.
Deuxièmement, cette «obligation inexprimée» s’inscrit mal dans la
Convention. Les dispositions substantielles de celle-ci portent sur la res-
ponsabilité pénale individuelle. La Cour aborde cet aspect dans son arrêt
et tente de le concilier avec l’idée d’une obligation propre à l’Etat de ne

pas commettre lui-même les actes criminels qu’il s’engage à prévenir et à

331 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 371

réprimer. Cette tentative n’est toutefois pas convaincante. Et elle ne peut

pas l’être, puisque ce n’est tout simplement pas ce qui figure dans la
Convention.
Troisièmement, l’idée d’une obligation propre à l’Etat de ne pas com-
mettre le génocide ni les autres actes énumérés à l’article III va à l’en-
contre des fondements mêmes de la convention sur le génocide, étant

donné que, dans celle-ci, le génocide (ou chacun des autres actes visés à
l’article III) constitue nécessairement un crime. Or, il est généralement
reconnu qu’il n’existe pas de responsabilité pénale des Etats. La Cour,
les Parties, la Commission du droit international (la CDI) s’accordent
toutes sur le fait que les Etats ne commettent pas de crimes. Dès lors,

introduire l’idée d’un Etat commettant lui-même le génocide revient à
dépénaliser ce crime, qui se trouve ainsi transformé en fait internatio-
nalement illicite. Cette transformation est aussi étonnante qu’impossible
au regard de la convention sur le génocide.

La Cour, tout en concluant que «les parties contractantes à la Conven-
tion sont tenues de ne pas commettre de génocide», précise cependant
que les parties sont tenues de ne pas le faire «à travers les actes de leurs
organes ou des personnes ou groupes dont les actes leur sont attri-
buables» (arrêt, par. 167).

La Cour déclare que, «si un organe de l’Etat ou une personne ou un
groupe de personnes dont les actes sont juridiquement attribuables à
l’Etat en question commet l’un des actes prohibés par l’article III de la
Convention, la responsabilité internationale de celui-ci est engagée»
(arrêt, par. 179). C’est absolument exact. La responsabilité d’un Etat est

engagée lorsqu’une personne dont les actes lui sont juridiquement attri-
buables commet un crime de génocide. Aucune «obligation inexprimée»
interdisant aux Etats de commettre eux-mêmes le génocide n’est néces-
saire pour que cette responsabilité soit engagée par voie d’attribution.
Je ne puis donc m’associer au raisonnement de la Cour voulant que, à

moins de lire dans la Convention une obligation propre aux Etats parties
de ne pas commettre de génocide, il ne leur serait pas «interdit de com-
mettre eux-mêmes de tels actes par l’intermédiaire de leurs propres
organes, ou des personnes sur lesquelles ils exercent un contrôle si étroit
que le comportement de celles-ci leur est attribuable selon le droit inter-

national» (arrêt, par. 166). La Commission du droit international a
rappelé l’évidence lorsqu’elle a déclaré:

«L’Etat est une entité organisée réelle, une personne juridique
ayant pleine qualité pour agir d’après le droit international. Mais le

reconnaître ne veut pas dire nier la vérité élémentaire que l’Etat
comme tel n’est pas capable d’agir. Un «fait de l’Etat» met néces-
sairement en jeu une action ou une omission d’un être humain ou
d’un groupe: «Les Etats ne peuvent agir qu’au moyen et par l’entre-
mise de la personne de leurs agents et représentants.»» (Projet

d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement
illicite et commentaires y relatifs (2001), p. 71.)

332 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 372

Il serait en effet extraordinaire d’interpréter la convention sur le géno-
cide comme permettant aux Etats «en tant que tels» de commettre le
génocide, ou l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, car

leur responsabilité est de toute manière engagée dès lors qu’un crime de
génocide est commis par des personnes susceptibles de l’engager. Géné-
ralement, par principe, lorsqu’un acte condamné par le droit internatio-

nal est commis par une personne susceptible d’engager la responsabilité
de l’Etat, celui-ci peut être tenu pour responsable. Le fait que des conven-
tions internationales condamnant certains actes renferment des «clauses

échappatoires», comme tel est le cas de la convention internationale pour
la répression des attentats terroristes à l’explosif et de la convention inter-
nationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire, qui sous-
traient à leur champ d’application les forces armées en temps de conflit
1
armé , confirme tout bonnement ce principe. Celui-ci est définitivement
consacré par la convention sur le génocide qui, tout d’abord, vise expres-
sément en son article IX la responsabilité d’un Etat pour génocide, un

crime que ses dispositions substantielles définissent comme étant commis
par des personnes, et, ensuite, traduit l’interdiction absolue du génocide
en droit international général . L’idée, artificielle, d’une obligation
propre à l’Etat de ne pas commettre le génocide qui serait contenue

dans la convention sur le génocide ne renforce en rien cette interdiction
catégorique.
Les Parties se sont accordées dans une certaine mesure sur ce point.

D’après le défendeur,

«pour qu’un Etat soit responsable, en vertu de la convention sur le
génocide, il faut d’abord que les faits soient établis. Or, le génocide
étant un crime, il ne peut être établi que conformément aux règles du

droit pénal, qui requièrent d’abord une responsabilité individuelle.
La responsabilité de l’Etat ne peut être engagée que lorsque l’exis-
tence du génocide a été établie au-delà de tout doute raisonnable.

Ensuite, il faut encore que la personne qui a commis le génocide
puisse engager la responsabilité de l’Etat.» (CR2006/18, p. 20,
par. 38.)

Selon le demandeur,

«le génocide est, dans la pleine acception que cette expression revêt,

1 Voir la convention internationale pour la répression des attentats terroristes à
l’explosif, adoptée le 15 décembre 1979 par l’Assemblée générale des Nations Unies,
art. 19, par. 2, et la convention internationale pour la répression des actes de terrorisme
nucléaire, adoptée le 13 avril 2005 par l’Assemblée générale des Nations Unies, art. 4,
par. 2.
2 Le fait que l’article IX fasse l’objet de réserves de la part d’un certain nombre d’Etats
parties n’enlève rien au caractère absolu de l’interdiction du génocide exprimée dans la
convention sur le génocide. Une réserve à l’article IX n’absout pas un Etat de toute
responsabilité pour génocide, elle empêche seulement la Cour de régler un différend relatif
à cette responsabilité.

333 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL . SKOTNIKOV ) 373

un crime international qui engage non seulement la responsabilité

pénale des individus qui le commettent mais également celle de l’Etat
auquel peuvent être attribués les actes commis par des individus,
agissant de jure ou de facto pour son compte» (CR2006/33, p. 31,
par. 44).

Si la Cour s’en était tenue à la position selon laquelle la responsabilité
de l’Etat est engagée dès lors que le crime de génocide ou les autres actes
visés à l’article III sont commis par des individus susceptibles de l’enga-

ger, elle serait restée dans le cadre sûr de la Convention et aurait été par-
faitement à même de rendre la décision requise par l’article IX quant à
«la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quel-
conque des autres actes énumérés à l’article III».

L’article IX étend la portée du règlement des différends au-delà des
questions classiques «d’interprétation et d’application» (l’ajout du terme
«exécution» n’est pas particulièrement significatif) pour y inclure la res-
ponsabilité de l’Etat à raison du génocide et des autres actes énumérés à
l’article III.

Cela étant, rien n’indique dans cet article que la Cour ait le pouvoir
d’aller au-delà du règlement des différends relatifs à la responsabilité de
l’Etat pour se livrer en fait à une enquête et déterminer si le crime de
génocide a ou non été commis.
La Cour ne peut tout simplement pas, faute de compétence pénale, éta-

blir si des personnes susceptibles d’engager la responsabilité d’un Etat
sont coupables du crime de génocide.
En particulier, ce défaut de compétence pénale empêche la Cour d’éta-
blir l’existence ou l’absence d’une intention génocide, puisque rien dans la
convention sur le génocide n’indique qu’une telle intention y soit envisa-

gée autrement qu’en tant qu’élément nécessaire, qu’élément moral du
crime de génocide.
Ce que la Cour peut et doit faire, c’est statuer sur la question de savoir
s’il a été suffisamment établi qu’un génocide avait été commis.
Pour ce faire, il lui aurait suffi en l’espèce de s’appuyer sur les conclu-

sions du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (le TPIY),
pour autant qu’elles soient conformes à la convention sur le génocide, qui
est la seule base de compétence de la Cour dans la présente affaire.

Au lieu de cela, la Cour a pris pour position qu’il lui était loisible de

déterminer elle-même si le génocide avait ou non été commis, sans
s’appuyer sur une décision émanant d’une juridiction exerçant une com-
pétence pénale. Dans son arrêt, la Cour s’abstient d’exposer le fondement
juridique de cette position, se déclarant plutôt «habilitée» à agir ainsi
(arrêt, par. 181), ce qui ne découle d’aucune partie de la convention sur le

génocide.
La Cour affirme:

«Toute autre interprétation signifierait que la Convention n’aurait
prévu aucune voie de droit dans des cas que l’on n’aura aucune peine

334 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL . SKOTNIKOV ) 374

à se figurer: celui de dirigeants d’un Etat ayant commis un génocide

sur le territoire de celui-ci et qui ne seraient pas traduits en justice
parce qu’ils continueraient, par exemple, à exercer un contrôle impor-
tant sur les organes de l’Etat, notamment la police, le ministère
public et les tribunaux et parce qu’il n’existerait pas de juridiction
pénale internationale ayant compétence pour connaître des crimes

allégués; ou celui d’un Etat responsable qui aurait reconnu la viola-
tion.» (Arrêt, par. 182.)

Toutefois, le fait d’invoquer l’absence de voies de droit dans certaines
circonstances comme un argument a contrario ne conforte ni n’éclaircit la

position de la Cour. Aucune voie de droit ne serait ouverte lorsque, par
exemple, l’Etat en question aurait formulé une réserve à l’article IX.
Quant à l’exemple ci-dessus relatif aux dirigeants d’un Etat continuant de
contrôler leur pays, des voies de droit resteraient au contraire disponibles

si la Cour était dûment saisie; en outre, après avoir établi sa compétence
prima facie, la Cour peut, si elle en est priée, indiquer des mesures conser-
vatoires revêtant une force obligatoire. Qui plus est, pour répondre
immédiatement à de telles circonstances, une action du Conseil de sécu-
rité de l’Organisation des Nations Unies, au sens du chapitre VII de la

Charte des Nations Unies, serait probablement requise. En ce qui
concerne l’absence éventuelle de juridiction pénale internationale, le
Conseil de sécurité peut établir un tribunal pénal ad hoc si l’Etat en ques-
tion n’est pas partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale,
ouvert à la signature le 17 juillet 1998. Et, bien entendu, si un Etat devait

reconnaître sa responsabilité pour génocide devant la Cour, il n’y aurait
tout simplement lieu d’établir ni la commission du génocide, ni la respon-
sabilité du défendeur, ce qui permettrait à la Cour de passer directement
à la question des réparations.
La conception voulant que la Cour non seulement détermine la respon-

sabilité d’un Etat pour génocide, mais établisse également si le génocide a
ou non été commis, découle naturellement de la thèse selon laquelle il
existerait une obligation de l’Etat de ne pas commettre lui-même le géno-
cide, obligation que la Cour infère de la Convention. Suivant une telle
interprétation, la Cour déterminerait simplement si cette «obligation

conventionnelle» a été violée. Ainsi, dans cette logique, le défaut de com-
pétence pénale ne constitue absolument pas un obstacle, puisque la Cour
n’envisage pas le génocide en tant que crime, ce qu’il est bien entendu
incontestablement au regard de la convention sur le génocide. Cette
approche n’est conforme ni à la convention sur le génocide ni au Statut

de la Cour.
Ayant déclaré qu’elle devait «déterminer elle-même les faits qui sont
pertinents au regard des règles de droit que, selon le demandeur, le défen-
deur aurait transgressées», la Cour reconnaît qu’«[u]n grand nombre des
allégations présentées à [elle] ont déjà fait l’objet d’instances devant le

TPIY et de décisions rendues par ce dernier» (arrêt, par. 212), avant de
conclure qu’elle

335 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 375

«doit en principe admettre comme hautement convaincantes les
conclusions de fait pertinentes auxquelles est parvenu le Tribunal en

première instance, à moins, évidemment, qu’elles n’aient été infir-
mées en appel. Pour les mêmes raisons, il convient également de
donner dûment poids à toute appréciation du Tribunal fondée sur
les faits ainsi établis, concernant par exemple l’existence de l’inten-
tion requise.» (Arrêt, par. 223.)

Après avoir ainsi établi en principe qu’elle pouvait parvenir à des
conclusions différentes de celles de ce tribunal pénal quant à l’existence
du génocide, la Cour a poursuivi en examinant des allégations qui avaient
déjà été considérées et jugées par le TPIY, au risque d’entrer ainsi direc-

tement en conflit avec ce dernier.
Pareil conflit n’a évidemment pas eu lieu dans la pratique. Cela étant,
la Cour n’en a pas moins échoué à trouver, dans le cadre de la convention
sur le génocide, un juste équilibre entre sa propre compétence et celle
d’un tribunal pénal.
Par ailleurs, une distinction claire doit être opérée entre mener sa

propre enquête et parvenir à des conclusions juridiquement obligatoires
sur le point de savoir si le génocide a été commis, ce que la Cour ne peut
faire, et appliquer le critère de la convention sur le génocide aux décisions
du TPIY sur le génocide, ce que la Cour devait faire, sa compétence étant
fondée uniquement sur cette convention et le Tribunal tenant la sienne de

son Statut. Le critère en question consistait à déterminer si les décisions
du TPIY étaient conformes à la convention sur le génocide. Si une
conclusion particulière du TPIY ne satisfaisait pas à ce critère, la Cour
devait l’écarter dans le cadre de son examen de l’affaire portée devant
elle.

Malheureusement, si elle a certes appliqué le critère de la convention
sur le génocide aux décisions du TPIY, la Cour ne l’a toutefois pas fait
dans la mesure nécessaire.
La Cour a conclu que des actes de génocide avaient été commis par
«des membres de la VRS [l’armée de la Republika Srpska] à Srebrenica et

à proximité à partir du 13 juillet 1995» (arrêt, par. 297). Elle s’est pour
cela appuyée sur les conclusions formulées par le TPIY dans les affaires
Krsti´ et Blagojevic ´ (Krsti´, IT-98-33-A, Chambre d’appel, arrêt du
19 avril 2004 (ci-après dénommée l’affaire «Krstic ´»); Blagojevi´ et Joki´ ,
IT-02-60-T, Chambre de première instance I, jugement du 17 janvier 2005
(ci-après dénommée l’affaire «Blagojevic ´»)).

Les deux intéressés (seule la condamnation de Krstic ´ n’est plus suscep-
tible d’appel) ont été déclarés coupables d’un crime établi par le Statut du
Tribunal (art. 7, par. 1) mais non reconnu par la convention sur le géno-
cide, à savoir l’aide et l’encouragement à la commission du génocide.
Comme l’a conclu le TPIY, ni Krstic ´ ni Blagojevic´ n’avaient eu d’inten-

tion génocidaire («[l]a Chambre de première instance n’a, à l’évidence,
pas suffisamment démontré que Radislav Krstic ´ était animé d’une inten-
tion génocidaire» (Krstic´, par. 134)). Le Tribunal, se fondant sur son Sta-

336 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 376

tut, a dit que les personnes ayant prêté une aide et une assistance pou-

vaient être déclarées coupables d’avoir aidé et encouragé à perpétrer un
génocide sans avoir d’intention génocidaire. La convention sur le géno-
cide exige en revanche l’existence d’une intention génocidaire pour cha-
cun des actes proscrits qu’elle énumère, ce que le TPIY a lui-même
reconnu (Krstic´, par. 142) et que les Parties n’ont pas contesté.

En conséquence, ces deux condamnations pour des chefs d’accusation
liés au génocide — qui sont jusqu’ici les seules — ne pouvaient être prises
en considération par la Cour puisque sa compétence était, contrairement
à ces condamnations, uniquement fondée sur la convention sur le géno-
cide.

Ces deux décisions n’en étaient pas moins pertinentes aux fins de
l’affaire portée devant la Cour dans la mesure où elles indiquent qu’un
génocide a eu lieu à Srebrenica. D’ailleurs, en dernière analyse, le raison-
nement suivi dans le présent arrêt repose entièrement sur cette conclusion

particulière du TPIY.
Se pose toutefois la question de savoir si cette conclusion s’inscrit ou
non dans le cadre spécifique de la convention sur le génocide.
La manière dont le TPIY a traité la question de l’intention génocidaire,
entre autres, suggère une réponse négative. Dans l’affaire Blagojevic ´,l

Chambre de première instance a conclu que des forces serbes de Bosnie
avaient eu l’intention de détruire la population musulmane de Srebrenica
(Blagojevi´, par. 677). Dans l’affaire Krstic´, le TPIY a visé un peu plus
précisément certains membres de l’état-major principal de la VRS. La
Chambre d’appel a déclaré que, en concluant que certains membres (non

désignés ou inconnus) de l’état-major principal de la VRS avaient eu
l’intention de détruire les Musulmans de Bosnie présents à Srebrenica, la
Chambre de première instance «n’a[vait] pas contrevenu aux exigences
juridiques qui s’attachent au génocide» (Krstic ´, par. 38).
De manière révélatrice, la Chambre d’appel n’a pas déclaré que la

Chambre de première instance n’avait pas contrevenu aux exigences juri-
diques de la convention sur le génocide, car, par exemple, je doute fort
que, d’après la Convention, l’intention génocidaire, qui est un élément
moral à établir dans le cadre d’une procédure pénale, puisse être démon-
trée sans que celui ou ceux qui en étaient animés soient jugés (ou, à tout

le moins, désignés avec les preuves nécessaires à l’appui). En fait, le Tri-
bunal a lui-même reconnu la nécessité de disposer d’informations sur
l’état d’esprit des auteurs présumés pour déduire que ceux-ci étaient mus
par l’intention génocidaire.
Dans l’affaire Stakic´, il a déclaré:

«A la lumière de tous les témoignages présentés, la Chambre de
première instance estime qu’on ne lui a pas fourni les informations
nécessaires sur l’état d’esprit des auteurs présumés qui se situaient
au-dessus de Milomir Stakic ´ dans la structure politique pour lui per-

mettre de conclure que ces derniers étaient mus par l’intention spéci-
fique au génocide.» (IT-97-24-T, jugement du 31 juillet 2003, par. 547.)

337 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL . SKOTNIKOV ) 377

Il est très difficile de concilier cette exigence relative aux «informations

nécessaires sur l’état d’esprit des auteurs présumés», qui est pleinement
compatible avec la convention sur le génocide, et le raisonnement suivi
par le TPIY dans l’affaire Krstic´ :

«On peut aussi conclure qu’une atrocité particulière a été commise
avec une intention génocidaire même lorsque les individus auxquels
cette intention peut être prêtée ne sont pas précisément identifiés.»

(Krsti´, par. 34.)

Non seulement ce raisonnement ne semble pas conforme aux exigences de
la convention sur le génocide, mais il soulève également certaines ques-
tions quant à l’équité de la procédure pénale et à l’exactitude des conclu-
sions auxquelles elle a donné lieu. Qu’adviendrait-il si, par exemple, à un

stade ultérieur, lors d’un éventuel procès de membres de l’état-major
principal de la VRS non désignés jusqu’ici, le Tribunal, après avoir
obtenu les «informations nécessaires sur l’état d’esprit des auteurs présu-
més», concluait que ceux-ci n’étaient pas animés de l’intention génoci-
daire? A moins que ces personnes soient coupables avant même d’avoir

été jugées? Et, puisque tel n’est pas le cas, se pose toujours la question de
savoir si le massacre de Srebrenica peut être qualifié de génocide.
Dans ces conditions, la Cour aurait dû conclure que la commission à
Srebrenica du génocide ou des autres actes énumérés à l’article III n’avait
pas été suffisamment établie.

En dépit des difficultés que j’éprouve face à la manière dont la Cour a
interprété la convention sur le génocide, comme je l’ai indiqué plus tôt,
ainsi que, par suite, face au libellé des paragraphes 2, 3 et 4 du dispositif
de l’arrêt, il m’a été possible de voter en faveur de ces paragraphes
puisque, en substance, ils répondent bien à la question fondamentale

en l’affaire: le défendeur n’est pas responsable du génocide ou de l’un
quelconque des autres actes énumérés à l’article III. Mon adhésion à ces
paragraphes ne change rien à ma position, à savoir qu’il n’a pas été
suffisamment établi que le massacre de Srebrenica pouvait être
qualifié de génocide.

L’autre difficulté que j’éprouve concerne la manière dont la Cour a
appréhendé l’obligation de prévention figurant dans la convention sur le
génocide, qui me semble extraordinairement large.
Les vues formulées par le demandeur au sujet de la prévention étaient
tout à fait raisonnables:

«Cette obligation est formulée d’une manière très générale et,

pour ainsi dire, introductive à l’article I, qui reprend de près le titre
de la Convention. Des dispositions ultérieures, que l’on trouve aux
articles IV à VIII, viennent apporter toute une série de spécifications
et de précisions indispensables aux fins de sa mise en Œuvre. Ces
autres dispositions, cependant, sont surtout centrées sur la répres-

sion, alors que la prévention fait l’objet d’une réglementation bien
peu développée.

338 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL . SKOTNIKOV ) 378

Il est vrai cependant qu’aucune frontière précise ne saurait être

établie entre prévention et répression. En effet, d’une part, un appa-
reil répressif bien organisé et en mesure d’infliger des sanctions
appropriées par rapport à la gravité du crime joue — on le sait
bien — un rôle préventif très important; et, d’autre part, une pré-
vention efficace requiert la répression d’éventuels actes prépara-

toires du génocide (comme l’entente en vue de commettre le géno-
cide ou la tentative de génocide), ou encore d’actes constitutifs de
l’incitation à commettre le génocide. Autrement dit, la punition
de la plupart des actes dits «ancillaires» qu’identifie l’article III
de la Convention ... joue un rôle certain en matière préventive,

sans évidemment épuiser le champ des mesures de prévention.»
(CR2006/11, p. 16, par. 1-2.)
«L’absence de limitations territoriales de l’obligation de prévenir

et réprimer le crime de génocide, que [la Cour a] mise en évidence
en 1996, signifie donc qu’un Etat partie à la Convention doit s’acquit-
ter de cette obligation même en dehors de sa sphère de souveraineté
territoriale quand il exerce — que ce soit légalement ou illégale-

ment — un contrôle effectif sur un territoire extérieur à ses frontières
en y assumant des prérogatives de la puissance publique.» (Ibid.,
p. 20, par. 12.)

Le défendeur n’a pas contesté cette approche. Pour sa part, il a indiqué
que «[l]es mesures de prévention seraient les actes législatifs incriminant
le génocide» (CR2006/20, p. 21, par. 343) et que

«la convention sur le génocide ne peut s’appliquer que lorsque l’Etat
concerné exerce une compétence territoriale dans les régions où les
violations de la Convention se seraient produites» (CR2006/16,

p. 15, par. 20).
Les Parties n’étaient donc pas divisées sur l’interprétation de l’obliga-

tion de prévention. Pourtant, la Cour a choisi de se prononcer sur le sujet
en déclarant que «le devoir de prévention met à la charge des Etats des
obligations positives — faire de leur mieux pour que ces actes ne se pro-
duisent pas» (arrêt, par. 432), avant d’ajouter que

«un Etat peut être considéré comme ayant violé son obligation de
prévention même s’il n’avait pas acquis la certitude, au moment où il

aurait dû agir mais s’en est abstenu, qu’un génocide était sur le
point, ou en train, d’être commis: il suffit ... qu’il ait eu connais-
sance, ou eût dû normalement avoir connaissance, de l’existence
d’un risque sérieux de commission d’actes de génocide» (arrêt,
par. 432).

La Cour assimile ainsi la notion de «due diligence» à l’obligation de pré-
vention dictée par la convention sur le génocide et l’applique à la scène

internationale, dans laquelle des Etats différents ayant des capacités dif-
férentes «à influencer effectivement l’action des personnes susceptibles de

339 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 379

commettre, ou qui sont en train de commettre, un génocide» (arrêt,

par. 430) doivent, chacun dans la mesure de sa capacité «à influencer»,
faire de leur mieux pour faire en sorte que des actes de génocide n’aient
pas lieu.
L’on peut certes voir là un appel louable aux nations du monde afin
qu’elles fassent tout leur possible pour prévenir le génocide, mais il ne

s’agit pas de la juste interprétation de la Convention en vertu du droit
international coutumier, tel qu’il est exprimé aux articles 31 et 32 de la
convention de Vienne sur le droit des traités. Le contenu que la Cour
donne à l’obligation de prévenir (au lieu de l’interpréter) représente une
déclaration d’ordre politique qui excède manifestement le cadre spé-

cifique de la convention sur le génocide.
Voici ce que la Cour aurait selon moi dû déclarer sur le sujet: un Etat
manque à son obligation de prévention au regard de la convention sur le
génocide dès lors qu’un génocide est commis sur le territoire à l’égard

duquel il exerce sa juridiction ou qui se trouve sous son contrôle. Même
si les auteurs du crime ne font pas partie de ses organes ou des personnes
susceptibles d’engager sa responsabilité en vertu du droit international
coutumier, ce manquement demeure. Même s’il prend les mesures exhaus-
tives qui sont requises par la Convention, comme les mesures législatives

pertinentes, l’Etat en question manque toujours à son obligation de pré-
vention si un génocide a lieu sur le territoire qui relève de sa juridiction
ou de son contrôle. Le devoir de prévention constitue une obligation de
résultat, non de comportement.
Au lieu de cela, la Cour a introduit une conception de l’obligation de

prévention qui est certes séduisante du point de vue politique, mais vague
sur le plan juridique, et même difficile à apprécier en droit, le facteur
essentiel du contrôle étant remplacé par une notion fort subjective
d’influence. Je ne pense pas que, en interprétant l’obligation de préven-
tion comme une obligation de comportement et non de résultat (arrêt,

par. 430), ce qui constitue un élément logique de la conception exposée
ci-dessus, la Cour ait servi la cause de la prévention du génocide.
Dès lors, je n’ai pu m’associer à la conclusion de la Cour figurant au
paragraphe 5 du dispositif. En outre, mon vote négatif sur ce paragraphe
reflète également ma position, que j’ai exposée plus haut, à savoir qu’il

n’a pas été suffisamment établi que le massacre de Srebrenica pouvait être
qualifié de génocide.
Pour cette dernière raison, je n’ai pu souscrire à la conclusion formulée
par la Cour au paragraphe 7 du dispositif quant au non-respect, par le
défendeur, des mesures conservatoires qu’elle avait indiquées le 8 avril et

le 13 septembre 1993. J’estime tout de même que les autorités de la Répu-
blique fédérale de Yougoslavie n’ont pas donné la suite qui convenait à
ces ordonnances. Si elles l’avaient fait, il aurait peut-être été possible
d’éviter ainsi un grand nombre des atrocités qui ne relèvent pas du géno-
cide. Le défendeur n’a pas nié que ces atrocités avaient eu lieu en Bosnie-

Herzégovine pendant la période pertinente.
J’ai adhéré à la conclusion contenue au paragraphe 6 puisque le défen-

340 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 380

deur n’a pas indiqué clairement à la Cour qu’il avait fait tout ce qui était

en son pouvoir en vue d’arrêter et de transférer Ratko Mladic ´, accusé de
génocide et de complicité de génocide, au Tribunal pénal international
pour l’ex-Yougoslavie afin qu’il y soit jugé.

J’approuve la décision formulée par la Cour au paragraphe 8 du dis-
positif quant à l’obligation du défendeur de coopérer avec ce tribunal
concernant les personnes accusées de génocide ou de l’un quelconque des
autres actes proscrits par l’article III de la Convention.

(Signé) Leonid S KOTNIKOV .

341

Bilingual Content

366

DECLARATION OF JUDGE SKOTNIKOV

No jurisdiction — Respondent had no access to Court when proceedings insti-

tuted — Relevance of 2004 Legality of Use of Force cases — Issue of access to
Court not determined in 1996 Judgment — Res judicata not absolute and
exhaustive in incidental proceedings.

No implied obligation in Genocide Convention for States not to commit geno-
cide — Such unstated obligation unnecessary to engage State responsibility for
genocide — State responsibility engaged when an individual, whose acts are
attributable to the State, commits crime of genocide — Court lacks criminal
jurisdiction necessary to establish whether individuals have committed geno-
cide — Determination by courts and tribunals with such criminal jurisdiction
may provide basis for State responsibility for genocide if they are consistent
with requirements of Genocide Convention — Judgments of ICTY in Krstic ´ and
Blagojevi´ not consistent as based on crime of “aiding and abetting” and involve

findings relating to state of mind of persons not before ICTY — Commission of
genocide at Srebrenica not sufficiently established.

Duty to prevent interpreted too widely — Only applicable within territory
under a State’s jurisdiction or control — Duty to prevent one of result not
conduct.

JURISDICTION

In the 2004 Legality of Use of Force cases, the Court has acknowl-
edged a certain legal reality, which exists independently from the wishes

of the Court or the Parties and which cannot be any different in this case:
Serbia and Montenegro had not been a Member of the United Nations,
and consequently, was not a party to the Statute of the Court, before it
was admitted on 1 November 2000 to the United Nations as a new Mem-
ber under Article 4 of the United Nations Charter (see, for example,
Legality of Use of Force (Serbia and Montenegro v. Belgium), Prelimi-

nary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2004 , pp. 314-315, para. 91).
On that basis, the Court has concluded that Serbia and Montenegro did
not have access to the Court at the time of institution of proceedings and
for that reason, the Court decided that it had no jurisdiction to entertain
these cases (ibid., pp. 327-328, paras. 127 and 129).

However, what the Court’s reasoning in the present case means is that,
by application of the principle of res judicata in incidental proceedings,
the Court can create parallel realities: namely, in this case, unlike in the

327 366

DE uCLARATION DE M. LE JUGE SKOTNIKOV

[Traduction]

Défaut de compétence — Défaut d’accès du défendeur à la Cour à la date de
l’introduction de l’instance — Pertinence des arrêts de 2004 relatifs à la Licéité
de l’emploi de la force — Question de l’accès à la Cour non tranchée dans
l’arrêt de 1996 — Caractère non absolu et non exhaustif du principe de l’auto-
rité de la chose jugée dans le cadre d’une procédure incidente.
Absence dans la convention sur le génocide d’une obligation implicite faite
aux Etats de ne pas commettre le génocide — Pareille obligation inexprimée
non nécessaire pour engager la responsabilité de l’Etat pour génocide — Res-
ponsabilité de l’Etat engagée dès lors qu’une personne dont les actes lui sont

attribuables commet le crime de génocide — Cour non investie de la compétence
pénale nécessaire pour établir si des personnes ont commis le génocide — Déci-
sions des juridictions investies de cette compétence pénale pouvant constituer
une base pour conclure à la responsabilité de l’Etat pour génocide si elles sont
conformes aux exigences de la convention sur le génocide — Décisions rendues
par le TPIY dans les affaires Krst´ et Blagojev´ non conformes à la Conven-
tion puisque basées sur le crime d’«aide et d’encouragement» et comprenant des
conclusions relatives à l’état d’esprit de personnes non présentes devant le
TPIY — Commission du génocide à Srebrenica non établie de manière suffi-
sante.
Interprétation trop large de l’obligation de prévention — Obligation appli-

cable uniquement au sein du territoire relevant de la juridiction ou du contrôle
de l’Etat — Devoir de prévention constituant une obligation de résultat et non
de comportement.

C OMPÉTENCE

Dans les affaires de 2004 relatives à la Licéité de l’emploi de la force ,la
Cour a reconnu une certaine réalité juridique, qui existe indépendamment
de ses vŒux ou de ceux des Parties et qui ne saurait être différente en la
présente affaire: la Serbie-et-Monténégro n’était pas membre de l’Orga-

nisation des Nations Unies ni, dès loer, partie au Statut de la Cour avant
d’être admise à l’Organisation le 1 novembre 2000 en qualité de nou-
veau Membre au titre de l’article 4 de la Charte des Nations Unies (voir,
par exemple, Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Bel-
gique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 314-315,

par. 91). Sur cette base, la Cour a, dans les affaires précitées, conclu
qu’elle n’était pas ouverte à la Serbie-et-Monténégro à la date de l’intro-
duction de l’instance et que, pour cette raison, elle n’avait pas compé-
tence pour connaître de celles-ci (ibid., p. 327-328, par. 127 et 129).
Or, du raisonnement suivi par la Cour dans la présente affaire il ressort

qu’elle peut, en appliquant le principe de l’autorité de la chose jugée à
une procédure incidente, créer deux réalités parallèles: ainsi, dans la pré-

327367 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL .SKOTNIKOV )

Legality of Use of Force cases, the existence of access to the Court by the

Respondent by virtue of its finding on jurisdiction in the 1996 Judgment
on Preliminary Objections (Application of the Convention on the Preven-
tion and Punishment of the Crime of Genocide, Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II) , p. 595).

The notion that the issue of access by the Respondent to the Court
under Article 35, paragraph 1, of the Statute must be considered as
having been dealt with in the 1996 Judgment, although it undoubtedly
was not, is a further blow to the reality which, according to the Judg-

ment, may be altered as “a matter of logical construction” if the integrity
of the principle of res judicata so requires:

“the legal complications of the position of the Respondent in rela-
tion to the United Nations were not specifically mentioned in the
1996 Judgment. The Court stated . . . that ‘Yugoslavia was bound by
the provisions of the [Genocide] Convention on the date of the filing
of the Application in the present case’ (Application of the Conven-

tion on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
(BosniaandHerzegovina v.Yugoslavia),PreliminaryObjections,Judg-
ment, I.C.J. Reports 1996 (II) , p. 610, para. 17), and found that ‘on
the basis of Article IX of the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide, it has jurisdiction to adjudi-

cate upon the dispute’ (ibid., p. 623, para. 47 (2) (a)). Since . . . the
question of a State’s capacity to be a party to proceedings is a matter
which precedes that of jurisdiction ratione materiae, and one which
the Court must, if necessary, raise ex officio, ...this finding must as
a matter of construction be understood, by necessary implication, to

mean that the Court at that time perceived the Respondent as being
in a position to participate in cases before the Court. On that basis,
it proceeded to make a finding on jurisdiction which would have the
force of res judicata. The Court does not need, for the purpose of the
present proceedings, to go behind that finding and consider on what

basis the Court was able to satisfy itself on the point. Whether the
Parties classify the matter as one of ‘access to the Court’ or of ‘juris-
diction ratione personae’, the fact remains that the Court could not
have proceeded to determine the merits unless the Respondent had
had the capacity under the Statute to be a party to proceedings

before the Court.” (Judgment, para. 132.)
“That the FRY had the capacity to appear before the Court in
accordance with the Statute was an element in the reasoning of the

1996 Judgment which can — and indeed must — be read into the
Judgment as a matter of logical construction.” (Ibid., para. 135.)
It is obvious that the notion of an “unstated element of the reasoning”

is not compatible with Article 56 of the Statute, which provides that
“[t]he judgment shall state the reasons on which it is based”.

328 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL . SKOTNIKOV ) 367

sente affaire, et contrairement à ce qui avait été le cas dans celles relatives

àl Licéité de l’emploi de la force , elle serait ouverte au défendeur en
vertu de la conclusion sur la compétence à laquelle elle était parvenue
dans son arrêt de 1996 sur les exceptions préliminaires (Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bos-
nie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.

Recueil 1996 (II), p. 595).
La thèse selon laquelle la question de l’accès du défendeur à la Cour au
titre du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut doit être considérée comme
ayant été réglée dans l’arrêt de 1996, alors que tel n’est assurément pas le
cas, porte un nouveau coup à la réalité qui, suivant l’arrêt, peut être alté-

rée «en toute logique» si l’intégrité du principe de l’autorité de la chose
jugée l’exige:

«[L]es difficultés juridiques soulevées par la situation du défen-
deur à l’égard de l’Organisation des Nations Unies n’étaient pas
expressément mentionnées dans l’arrêt de 1996. La Cour a déclaré ...
que «la Yougoslavie était liée par les dispositions de la convention
[sur le génocide] à la date du dépôt de la requête en la présente

affaire» (Application de la convention pour la prévention et la répres-
sion du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie),
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 610, par. 17) et a conclu qu’«elle
a[vait] compétence, sur la base de l’article IX de la convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide, pour statuer sur

le différend» (ibid., p. 623, par. 47, point 2), al. a)). Etant donné
que ... la question de la capacité d’un Etat à être partie à une pro-
cédure est une question qui se pose avant celle de la compétence
ratione materiae et que la Cour doit, au besoin, soulever d’office ...,
cette conclusion doit nécessairement s’interpréter comme signifiant

en toute logique que la Cour estimait à l’époque que le défendeur
avait qualité pour participer à des affaires portées devant elle. Sur
cette base, la Cour a alors formulé une conclusion sur sa compé-
tence, avec l’autorité de la chose jugée. Point n’est besoin pour elle,
aux fins de la présente procédure, d’aller au-delà de cette conclusion

en examinant par quel cheminement elle y est parvenue. Que les
Parties considèrent la question comme relevant de l’«accès à la
Cour» ou de la «compétence ratione personae », le fait est que la
Cour n’aurait pu trancher l’affaire au fond si le défendeur n’avait
pas la capacité, en vertu du Statut, d’être partie à une procédure

devant la Cour.» (Arrêt, par. 132.)
«Que la RFY avait la capacité de se présenter devant la Cour en
vertu du Statut constitue un élément du raisonnement suivi dans

l’arrêt de 1996, qui peut — et même doit — en toute logique être
sous-entendu dans celui-ci.» (Ibid., par. 135.)
Il est évident que l’idée d’un «élément inexprimé du raisonnement»

n’est pas compatible avec l’article 56 du Statut, aux termes duquel
«[l’]arrêt est motivé».

328368 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL . SKOTNIKOV )

It should also be noted that the part of the 1996 Judgment dealing with

jurisdiction ratione personae concerned only the question of whether the
Applicant and the Respondent were parties to the Genocide Convention,
and the assumption of that Judgment was that the Convention satisfies
the requirement of Article 35, paragraph 2, of the Statute, and thus rep-
resents an independent and sufficient basis for the Respondent’s access to

the Court. This was in line with a provisional view which the Court had
taken in the 1993 Order indicating provisional measures:

“proceedings may validly be instituted by a State against a State
which is a party to such a special provision in a treaty in force, but
is not party to the Statute, and independently of the conditions laid

down by the Security Council in its resolution 9 of 1946” (Applica-
tion of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide, Provisional Measures, Order of 8 April 1993,
I.C.J. Reports 1993, p. 14, para. 19).

That is why the Court did not address the uncertain and contradictory
issue of the Respondent’s access to the Court under Article 35, para-
graph 1, either in 1993 or in 1996. However, in the 2004 Legality of Use

of Force Judgments the Court addressed the issue of access under both
Article 35, paragraph 1 and paragraph 2, and stated that the “treaty in
force” clause, contained in paragraph 2, concerns only the treaties which
were in force at the date of the entry into force of the Statute (Legality of
Use of Force (Serbia and Montenegro v. Belgium), Preliminary Objec-

tions, Judgment, I.C.J. Reports 2004 , pp. 323-324, para. 113).

The idea that the parallel reality, created by the Court, is as solid as the
one existing independently from it, is expressed in the Judgment in no
ambiguous terms:

“However fundamental the question of the capacity of States to
be parties in cases before the Court may be, it remains a question to

be determined by the Court, in accordance with Article 36, para-
graph 6, of the Statute, and once a finding in favour of jurisdiction
has been pronounced with the force of res judicata, it is not open to
question or re-examination, except by way of revision under Arti-
cle 61 of the Statute. There is thus, as a matter of law, no possibility

that the Court might render ‘its final decision with respect to a party
over which it cannot exercise its judicial function’, because the ques-
tion whether a State is or is not a party subject to the jurisdiction of
the Court is one which is reserved for the sole and authoritative deci-
sion of the Court.” (Judgment, para. 138.)

Then, the Court affirms that it cannot possibly be acting ultra vires in

establishing, by applying the principle of res judicata, its own parallel
reality:

329 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 368

Il convient également de noter que la partie de l’arrêt de 1996 consa-

crée à la compétence ratione personae se rapportait uniquement à la ques-
tion de savoir si le demandeur et le défendeur étaient parties à la conven-
tion sur le génocide, et le postulat adopté dans cet arrêt était que la
convention satisfaisait à l’exigence dictée au paragraphe 2 de l’article 35
du Statut, constituant donc une base indépendante et suffisante pour

ouvrir la Cour au défendeur. La Cour s’en était ainsi tenue au point de
vue qu’elle avait adopté à titre provisoire dans son ordonnance de 1993
indiquant des mesures conservatoires:

«une instance peut être valablement introduite par un Etat contre un
autre Etat qui, sans être partie au Statut, est partie à une telle dis-
position particulière d’un traité en vigueur, et ce indépendamment

des conditions réglées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 9
(1946)» (Application de la convention pour la prévention et la répres-
sion du crime de génocide, mesures conservatoires, ordonnance du
8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 14, par. 19).

Voilà pourquoi la Cour n’a, ni en 1993 ni en 1996, examiné la question
incertaine et contradictoire de savoir si elle était ouverte au défendeur en
vertu du paragraphe 1 de l’article 35. Dans les arrêts de 2004 relatifs à la

Licéité de l’emploi de la force , en revanche, la Cour a examiné la question
de l’accès tant au regard du paragraphe 1 qu’au regard du paragraphe 2
de l’article 35, pour déclarer que la disposition relative aux «traités en
vigueur» figurant au paragraphe 2 concernait uniquement les traités en
vigueur à la date d’entrée en vigueur du Statut (Licéité de l’emploi de la

force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004, p. 323-324, par. 113).
L’idée que la réalité parallèle, créée par la Cour, est aussi solide que
celle existant indépendamment est exprimée sans ambages dans l’arrêt:

«Aussi fondamentale qu’elle puisse être, la question de la capacité
des Etats à être parties à des affaires devant la Cour reste une ques-

tion que la Cour doit trancher conformément au paragraphe 6 de
l’article 36 du Statut et, dès lors qu’une conclusion favorable à la
compétence a été énoncée avec l’autorité de la chose jugée, elle ne
peut plus être remise en question ou réexaminée, si ce n’est par le
biais de la procédure en revision prévue à l’article 61 du Statut. Il est

donc impossible, juridiquement, que la Cour puisse «rendre une déci-
sion finale envers une partie à l’égard de laquelle elle ne peut pas
exercer sa fonction judiciaire», parce que la question de savoir si un
Etat est ou non une partie à l’égard de laquelle la Cour a compétence
est de celles que seule la Cour a le pouvoir de trancher.» (Arrêt,

par. 138.)
La Cour affirme ensuite ne pas excéder son pouvoir en établissant, par

application du principe de l’autorité de la chose jugée, sa propre réalité
parallèle:

329369 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL .SKOTNIKOV )

“the operation of the ‘mandatory requirements of the Statute’ falls

to be determined by the Court in each case before it; and once the
Court has determined, with the force of res judicata, that it has juris-
diction, then for the purposes of that case no question of ultra vires
action can arise, the Court having sole competence to determine
such matters under the Statute” (Judgment, para. 139).

The Court’s line of argument is based on the notion of a general find-

ing on jurisdiction reached in incidental proceedings being absolute and
exhaustive in nature (it goes without saying that the Court’s decisions on
specific preliminary objections have the full authority of res judicata).

However, that clearly was not the view of the Court when it authorized

the Registrar to inform the Respondent that:

“The Court moreover, as was in fact observed by Serbia and
Montenegro in the ‘Initiative’ document, and as the Court has
emphasized in the past, is entitled to consider jurisdictional issues
proprio motu, and must ‘always be satisfied that it has jurisdiction’

(Appeal Relating to the Jurisdiction of the ICAO Council, I.C.J.
Reports 1972, p. 52). It thus goes without saying that the Court will
not give judgment on the merits of the present case unless it is sat-
isfied that it has jurisdiction. Should Serbia and Montenegro wish to
present further argument to the Court on jurisdictional questions

during the oral proceedings on the merits, it will be free to do so.”
(Letter of 12 June 2003.)

The content of this letter was a clear indication to the Parties that no
final decision on jurisdiction had been taken, for it would have been
unthinkable for the Court to say to the Respondent that it was free to
present further argument to the Court on jurisdictional questions without

entertaining a possibility to consider them positively. It would have been
inconceivable for the Court to mention proprio motu action without
having considered the possibility of taking this action, and the further
possibility that the result of this action could be a negative finding on
jurisdiction. Otherwise, the invitation to Serbia and Montenegro to argue

jurisdictional questions in the merits phase would be totally without pur-
pose.
The letter of June 2003 indicated the admissibility of the objections of
the Respondent to the application of Article 35 of the Statute. Indeed,
the objections to the Court’s jurisdiction were made as a part of the final

submissions and have been rejected by the Court in the dispositif of the
present Judgment.
The Court’s position is based on the interpretation of the res judicata
principle in incidental proceedings as absolute and exhaustive. This inter-
pretation is a sharp departure from its previous more cautious and

nuanced position on this subject. It comes into conflict with the “non-
exhaustive character of preliminary objection proceedings” (by which

330 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL . SKOTNIKOV ) 369

«l’application «des prescriptions impératives du Statut» relève de la

décision de la Cour dans chaque affaire qui lui est soumise et,
lorsque la Cour s’est déclarée compétente avec l’autorité de la
chose jugée, il ne peut y avoir excès de pouvoir aux fins de cette
affaire, la Cour étant seule compétente pour se prononcer sur de
telles questions en vertu de son Statut» (arrêt, par. 139).

Le raisonnement de la Cour repose sur l’idée qu’une conclusion géné-

rale sur la compétence qui a été rendue dans le cadre d’une procédure
incidente revêt un caractère absolu et exhaustif (il va sans dire que les
décisions rendues par la Cour sur telle ou telle exception préliminaire ont
pleinement autorité de chose jugée).
Pourtant, telle n’était manifestement pas l’opinion de la Cour lorsqu’elle

a autorisé le greffier à informer le défendeur que

«[e]n outre, comme l’a en fait relevé la Serbie-et-Monténégro dans
l’«Initiative» et comme elle l’a elle-même souligné dans le passé, la
Cour est autorisée à examiner des questions de compétence proprio
motu, et doit «toujours s’assurer de sa compétence» (Appel concer-

nant la compétence du Conseil de l’OACI, C.I.J. Recueil 1972 ,
p. 52). Il va donc sans dire que la Cour ne se prononcera sur le fond
de la présente affaire qu’à condition d’avoir pu établir qu’elle a com-
pétence; si la Serbie-et-Monténégro souhaite présenter à la Cour des
arguments supplémentaires sur les questions de compétence lors de

la procédure orale au fond, elle est libre de le faire.» (Lettre du
12 juin 2003.)

La teneur de cette lettre indiquait clairement aux Parties qu’aucune
décision définitive n’avait été prise sur la compétence — il aurait en effet
été inconcevable que la Cour fasse savoir au défendeur qu’il était libre de
lui présenter des arguments supplémentaires sur des questions de compé-

tence alors qu’elle n’envisageait pas la possibilité d’y souscrire, qu’elle
évoque une action proprio motu sans envisager la possibilité d’y avoir
recours ni celle, qui en découle, que cette action puisse l’amener à une
conclusion négative sur la compétence. L’invitation faite à la Serbie-et-
Monténégro de soulever des questions de compétence au stade du fond

aurait sinon été sans objet.

La lettre de juin 2003 impliquait la recevabilité des objections du défen-
deur à l’application de l’article 35 du Statut. En effet, ces exceptions à la
compétence de la Cour ont été formulées dans le cadre des conclusions

finales et rejetées par la Cour dans le dispositif du présent arrêt.

La position de la Cour consiste à interpréter le principe de l’autorité de
la chose jugée comme revêtant un caractère absolu et exhaustif dans le
cadre d’une procédure incidente. Cette interprétation s’écarte radicalement

de la position plus prudente et plus nuancée que la Cour avait adoptée plus
tôt à ce sujet. Elle va à l’encontre du «caractère non exhaustif de la phase

330370 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL. SKOTNIKOV )

“whether or not matters of jurisdiction have been raised at the stage
envisaged for preliminary objections, they may still be raised later, even
by the Court proprio motu” (Shabtai Rosenne, The Law and Practice of
the International Court 1920-2005 , Vol. II, p. 876, II.229)). It limits the

right and the duty of the Court to act proprio motu to ensure that at all
stages of the proceedings jurisdiction indeed exists. Finally, as is the case
in this proceeding, it may bring the Court into conflict with legal facts
which are created by entities other than the Court and with its own find-
ings reached in a different case on the very same facts. There is also a

touch of the Court’s own infallibility in its reasoning which is difficult for
me to accept.
For the reasons stated above, I could not support the conclusion of the
Court as contained in paragraph 1 of the operative clause of the Judg-
ment.

M ERITS

Under Article IX of the Genocide Convention the Court is to settle
disputes between the Contracting Parties, “including those [disputes]
relating to the responsibility of a State for genocide or for any of the
other acts enumerated in Article III”. The underlying logic of the Judg-
ment is that no State can be held responsible for genocide or any of the

other acts enumerated in Article III unless the Genocide Convention
imposes on the Contracting Parties an obligation not to themselves com-
mit genocide and the other acts enumerated in Article III of the Conven-
tion.
The Judgment states that “[s]ince Article IX is essentially a jurisdic-

tional provision, the Court considers that it should first ascertain whether
the substantive obligation on States not to commit genocide may flow
from the other provisions of the Convention” (Judgment, para. 166). The
Judgment recognizes that “such an obligation is not expressly imposed by

the actual terms of the Convention” (ibid.). Then, according to the logic
of the Judgment, this obligation must be implied in Article I: “the obliga-
tion to prevent genocide necessarily implies the prohibition of the com-
mission of genocide” (ibid.). The Judgment also concludes that the obli-
gation of States to not commit genocide themselves is applicable to the

other acts enumerated in Article III (Judgment, para. 167).

I do not find this construction sustainable for the following reasons.
First, the very idea of an unstated obligation is objectionable in

general.
Second, the “unstated obligation” in question does not fit into the
Convention. The Convention, in its substantive part, deals with the
criminal culpability of individuals. The Judgment addresses this fact and
attempts to reconcile it with the idea of a State’s obligation to not

commit the very criminal acts it undertakes to prevent and punish. This

331 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 370

consacrée aux exceptions préliminaires» (en vertu duquel, «[q]ue des ques-
tions de compétence aient ou non été soulevées au stade des exceptions
préliminaires, elles peuvent toujours l’être ultérieurement, même par la
Cour proprio motu» (Shabtai Rosenne,The Law and Practice of the Inter-

national Court 1920-2005, vol. II, p. 876, par. II.229)). Elle limite le droit
et le devoir qu’a la Cour d’agir de sa propre initiative pour s’assurer qu’elle
a bien compétence à tous les stades de la procédure. Elle peut enfin, comme
en l’espèce, amener la Cour à contredire des faits juridiques émanant
d’autres entités qu’elle-même, ainsi que ses propres conclusions sur les

mêmes faits dans une autre affaire. Le raisonnement de la Cour dénote
également une idée d’infaillibilité de sa part qu’il m’est difficile d’accepter.
Pour les raisons qui précèdent, je n’ai pu adhérer à la conclusion de la
Cour qui figure au paragraphe 1 du dispositif de l’arrêt.

F OND

Aux termes de l’article IX de la convention sur le génocide, la Cour est
chargée de régler les différends entre les parties contractantes, «y compris
ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de
l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III». La logique qui
sous-tend l’arrêt est qu’aucun Etat ne peut être tenu pour responsable

d’un génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’ar-
ticle III, sauf à ce que la convention sur le génocide impose aux parties
contractantes une obligation de ne pas commettre elles-mêmes le géno-
cide ou les autres actes énumérés à l’article III de la Convention.
Dans son arrêt, la Cour déclare que, «[l’]article IX étant essentielle-

ment une clause de compétence, [elle] estime devoir d’abord rechercher si
l’obligation de nature substantielle pour les Etats de ne pas commettre de
génocide peut découler des autres dispositions de la Convention» (arrêt,
par. 166). Elle reconnaît qu’«une telle obligation n’est pas expressément

imposée par les termes mêmes de la Convention» (ibid.). Dès lors, sui-
vant la logique de l’arrêt, cette obligation doit être considérée comme
sous-entendue dans l’article premier: «l’obligation de prévenir le géno-
cide implique nécessairement l’interdiction de le commettre» (ibid.).La
Cour conclut également que l’obligation qu’ont les Etats de ne pas com-

mettre eux-mêmes le génocide est applicable aux autres actes énumérés à
l’article III (arrêt, par. 167).
Cette interprétation me semble pécher pour les raisons suivantes.
Premièrement, l’idée même d’une obligation inexprimée est contestable

d’une manière générale.
Deuxièmement, cette «obligation inexprimée» s’inscrit mal dans la
Convention. Les dispositions substantielles de celle-ci portent sur la res-
ponsabilité pénale individuelle. La Cour aborde cet aspect dans son arrêt
et tente de le concilier avec l’idée d’une obligation propre à l’Etat de ne

pas commettre lui-même les actes criminels qu’il s’engage à prévenir et à

331371 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL . SKOTNIKOV )

attempt, however, is not persuasive. Nor could it be, since it is simply not

what the Convention actually says.

Third, the notion of a State’s obligation not to commit genocide, and
the other Article III acts, comes into conflict with the very foundations of
the Genocide Convention since there is no such thing under the Conven-

tion as genocide (or any of the other Article III acts) which is not a crime.
Yet, it is generally accepted that there is no such thing as State criminal
responsibility. The Court, the parties, the International Law Commission
(the ILC), are all in agreement that States do not commit crimes. Con-
sequently, what is achieved by introducing the concept of a State itself

committing genocide is decriminalization of genocide, which as a result is
transformed into an internationally wrongful act. This transformation is
as amazing as it is impossible under the Genocide Convention.

The Court, while concluding that “the Contracting Parties to the Con-
vention are bound not to commit genocide” makes a clarification that the
Parties are under the obligation not to do so “through the actions of their
organs or persons or groups whose acts are attributable to them” (Judg-
ment, para. 167).

The Court states that “if an organ of the State, or a person or group
whose acts are legally attributable to the State, commits any of the acts
proscribed by Article III of the Convention, the international responsi-
bility of that State is incurred” (Judgment, para. 179). This is absolutely
true. A State’s responsibility is engaged when a crime of genocide is com-

mitted by an individual whose acts are legally attributable to it. No
“unstated obligation” for States not to themselves commit genocide is
needed for this responsibility to be incurred through attribution.

Therefore, I cannot accept the Court’s reasoning that, unless the Con-

vention is read as containing an obligation on State parties not to commit
genocide themselves, States would not be “forbidden to commit such acts
through their own organs, or persons over whom they have such firm
control that their conduct is attributable to the State concerned under
international law” (Judgment, para. 166). The ILC stated the obvious

when it said:

“The State is a real organized entity, a legal person with full
authority to act under international law. But to recognize this is not

to deny the elementary fact that the State cannot act of itself. An ‘act
of the State’ must involve some action or omission by a human being
or group: ‘States can act only by and through their agents and rep-
resentatives’.” (Draft Articles on Responsibility of States for Inter-
nationally Wrongful Acts, with commentaries, 2001, p. 71.)

332 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 371

réprimer. Cette tentative n’est toutefois pas convaincante. Et elle ne peut

pas l’être, puisque ce n’est tout simplement pas ce qui figure dans la
Convention.
Troisièmement, l’idée d’une obligation propre à l’Etat de ne pas com-
mettre le génocide ni les autres actes énumérés à l’article III va à l’en-
contre des fondements mêmes de la convention sur le génocide, étant

donné que, dans celle-ci, le génocide (ou chacun des autres actes visés à
l’article III) constitue nécessairement un crime. Or, il est généralement
reconnu qu’il n’existe pas de responsabilité pénale des Etats. La Cour,
les Parties, la Commission du droit international (la CDI) s’accordent
toutes sur le fait que les Etats ne commettent pas de crimes. Dès lors,

introduire l’idée d’un Etat commettant lui-même le génocide revient à
dépénaliser ce crime, qui se trouve ainsi transformé en fait internatio-
nalement illicite. Cette transformation est aussi étonnante qu’impossible
au regard de la convention sur le génocide.

La Cour, tout en concluant que «les parties contractantes à la Conven-
tion sont tenues de ne pas commettre de génocide», précise cependant
que les parties sont tenues de ne pas le faire «à travers les actes de leurs
organes ou des personnes ou groupes dont les actes leur sont attri-
buables» (arrêt, par. 167).

La Cour déclare que, «si un organe de l’Etat ou une personne ou un
groupe de personnes dont les actes sont juridiquement attribuables à
l’Etat en question commet l’un des actes prohibés par l’article III de la
Convention, la responsabilité internationale de celui-ci est engagée»
(arrêt, par. 179). C’est absolument exact. La responsabilité d’un Etat est

engagée lorsqu’une personne dont les actes lui sont juridiquement attri-
buables commet un crime de génocide. Aucune «obligation inexprimée»
interdisant aux Etats de commettre eux-mêmes le génocide n’est néces-
saire pour que cette responsabilité soit engagée par voie d’attribution.
Je ne puis donc m’associer au raisonnement de la Cour voulant que, à

moins de lire dans la Convention une obligation propre aux Etats parties
de ne pas commettre de génocide, il ne leur serait pas «interdit de com-
mettre eux-mêmes de tels actes par l’intermédiaire de leurs propres
organes, ou des personnes sur lesquelles ils exercent un contrôle si étroit
que le comportement de celles-ci leur est attribuable selon le droit inter-

national» (arrêt, par. 166). La Commission du droit international a
rappelé l’évidence lorsqu’elle a déclaré:

«L’Etat est une entité organisée réelle, une personne juridique
ayant pleine qualité pour agir d’après le droit international. Mais le

reconnaître ne veut pas dire nier la vérité élémentaire que l’Etat
comme tel n’est pas capable d’agir. Un «fait de l’Etat» met néces-
sairement en jeu une action ou une omission d’un être humain ou
d’un groupe: «Les Etats ne peuvent agir qu’au moyen et par l’entre-
mise de la personne de leurs agents et représentants.»» (Projet

d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement
illicite et commentaires y relatifs (2001), p. 71.)

332372 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL . SKOTNIKOV )

It would indeed be extraordinary to read the Genocide Convention as
allowing States “as such” to commit genocide, or any of the other Arti-

cle III acts, for their responsibility will be incurred when a crime of geno-
cide is committed by persons capable of engaging State responsibility.
Generally, as a matter of principle, wherever international law criminal-

izes an act, if that act is committed by an individual capable of engaging
State responsibility, the State can be held responsible. The fact that some
international conventions criminalizing certain acts contain “escape

clauses”, as in the cases of the International Convention for the Suppres-
sion of Terrorist Bombings and the International Convention for the
Suppression of Acts of Nuclear Terrorism, excluding armed forces during
an armed conflict from the scope of these conventions , only confirms

this principle. This principle is definitely embodied in the Genocide Con-
vention, which first, specifically refers in Article IX to the responsibility
of a State for genocide, a crime committed according to its substantive

part by individuals, and second, reflects the absolute prohibition of geno-
cide under general international law . The artificial notion of a State’s
obligation under the Genocide Convention not to commit genocide does

nothing to reinforce this air-tight prohibition.

There has been some measure of agreement between the Parties on this
point. According to the Respondent

“for a State to be responsible under the Genocide Convention, the

facts must first be established. As genocide is a crime, it can only be
established in accordance with the rules of criminal law, under which
the first requirement to be met is that of individual responsibility.

The State can incur responsibility only when the existence of geno-
cide has been established beyond all reasonable doubt. In addition,
it must then be shown that the person who committed the genocide
can engage the responsibility of the State . . .” (CR 2006/18, p. 20,

para. 38.)

According to the Applicant

“in the full meaning of the term, genocide is an international crime

1
See the International Convention for the Suppression of Terrorist Bombings, adopted
by the General Assembly of the United Nations on 15 December 1979, Art. 19, para. 2,
and the International Convention for the Suppression of Acts of Nuclear Terrorism,
adopted by the General Assembly of the United Nations on 13 April 2005, Art. 4, para. 2.

2 The fact that Article IX is the subject of reservations by a number of States parties,
does not change in any way the absolute character of the prohibition of genocide as
reflected in the Genocide Convention. A reservation to Article IX does not absolve a State
from responsibility for genocide, it only prevents this Court from settling a dispute related
to this responsibility.

333 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 372

Il serait en effet extraordinaire d’interpréter la convention sur le géno-
cide comme permettant aux Etats «en tant que tels» de commettre le
génocide, ou l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, car

leur responsabilité est de toute manière engagée dès lors qu’un crime de
génocide est commis par des personnes susceptibles de l’engager. Géné-
ralement, par principe, lorsqu’un acte condamné par le droit internatio-

nal est commis par une personne susceptible d’engager la responsabilité
de l’Etat, celui-ci peut être tenu pour responsable. Le fait que des conven-
tions internationales condamnant certains actes renferment des «clauses

échappatoires», comme tel est le cas de la convention internationale pour
la répression des attentats terroristes à l’explosif et de la convention inter-
nationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire, qui sous-
traient à leur champ d’application les forces armées en temps de conflit
1
armé , confirme tout bonnement ce principe. Celui-ci est définitivement
consacré par la convention sur le génocide qui, tout d’abord, vise expres-
sément en son article IX la responsabilité d’un Etat pour génocide, un

crime que ses dispositions substantielles définissent comme étant commis
par des personnes, et, ensuite, traduit l’interdiction absolue du génocide
en droit international général . L’idée, artificielle, d’une obligation
propre à l’Etat de ne pas commettre le génocide qui serait contenue

dans la convention sur le génocide ne renforce en rien cette interdiction
catégorique.
Les Parties se sont accordées dans une certaine mesure sur ce point.

D’après le défendeur,

«pour qu’un Etat soit responsable, en vertu de la convention sur le
génocide, il faut d’abord que les faits soient établis. Or, le génocide
étant un crime, il ne peut être établi que conformément aux règles du

droit pénal, qui requièrent d’abord une responsabilité individuelle.
La responsabilité de l’Etat ne peut être engagée que lorsque l’exis-
tence du génocide a été établie au-delà de tout doute raisonnable.

Ensuite, il faut encore que la personne qui a commis le génocide
puisse engager la responsabilité de l’Etat.» (CR2006/18, p. 20,
par. 38.)

Selon le demandeur,

«le génocide est, dans la pleine acception que cette expression revêt,

1 Voir la convention internationale pour la répression des attentats terroristes à
l’explosif, adoptée le 15 décembre 1979 par l’Assemblée générale des Nations Unies,
art. 19, par. 2, et la convention internationale pour la répression des actes de terrorisme
nucléaire, adoptée le 13 avril 2005 par l’Assemblée générale des Nations Unies, art. 4,
par. 2.
2 Le fait que l’article IX fasse l’objet de réserves de la part d’un certain nombre d’Etats
parties n’enlève rien au caractère absolu de l’interdiction du génocide exprimée dans la
convention sur le génocide. Une réserve à l’article IX n’absout pas un Etat de toute
responsabilité pour génocide, elle empêche seulement la Cour de régler un différend relatif
à cette responsabilité.

333373 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL. SKOTNIKOV )

which not only engages the criminal responsibility of the individuals

committing it but also that of the State to which the acts committed
by individuals, acting de jure or de facto on its behalf, may be
ascribed” (CR 2006/33, p. 31, para. 44).

Should the Court have adopted the approach according to which State
responsibility is incurred when the crime of genocide or the other Arti-
cle III crimes are committed by individuals capable of engaging such

responsibility, it would have stayed on the firm ground of the Convention
and would have been perfectly able to make a determination required by
Article IX as to “the responsibility of a State for genocide or for any of
the other acts enumerated in Article III”.

Article IX widens the scope of dispute settlement beyond the usual
“interpretation and application” (the addition of “fulfilment” is not par-
ticularly significant) to include the responsibility of a State for genocide
and the other Article III acts.

However, nothing in Article IX suggests that the Court is empowered
to go beyond settling disputes relating to State responsibility and to actu-
ally conduct an enquiry and make a determination whether or not the
crime of genocide was committed.
The Court simply cannot establish individual responsibility for the

crime of genocide by persons capable of engaging a State’s responsibility
since it lacks criminal jurisdiction.
In particular, by reason of the lack of criminal jurisdiction, the Court
cannot establish the existence or absence of genocidal intent, since noth-
ing in the Genocide Convention indicates that it deals with genocidal

intent in any other sense than it being a requisite part, a mental element,
of the crime of genocide.
What the Court can and must do is to make a finding as to whether it
has been sufficiently determined that genocide was committed.
To make this determination, it would have been sufficient for the

Court in this case to rely on the findings of the International Criminal
Tribunal for the former Yugoslavia (the ICTY), to the extent they are in
conformity with the Genocide Convention, which is the sole basis for
jurisdiction in these proceedings.
Instead, the Court adopted a position according to which it can itself

make a determination as to whether or not genocide was committed
without a distinct decision by a court or tribunal exercising criminal juris-
diction. The Judgment offers no explanation as to the legal basis of this
position. Rather the Court constructs for itself “the capacity” to do so
(Judgment, para. 181), which is nowhere to be found in the Genocide

Convention.
The Court asserts that:

“Any other interpretation could entail that there would be no
legal recourse available under the Convention in some readily con-

334 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL . SKOTNIKOV ) 373

un crime international qui engage non seulement la responsabilité

pénale des individus qui le commettent mais également celle de l’Etat
auquel peuvent être attribués les actes commis par des individus,
agissant de jure ou de facto pour son compte» (CR2006/33, p. 31,
par. 44).

Si la Cour s’en était tenue à la position selon laquelle la responsabilité
de l’Etat est engagée dès lors que le crime de génocide ou les autres actes
visés à l’article III sont commis par des individus susceptibles de l’enga-

ger, elle serait restée dans le cadre sûr de la Convention et aurait été par-
faitement à même de rendre la décision requise par l’article IX quant à
«la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quel-
conque des autres actes énumérés à l’article III».

L’article IX étend la portée du règlement des différends au-delà des
questions classiques «d’interprétation et d’application» (l’ajout du terme
«exécution» n’est pas particulièrement significatif) pour y inclure la res-
ponsabilité de l’Etat à raison du génocide et des autres actes énumérés à
l’article III.

Cela étant, rien n’indique dans cet article que la Cour ait le pouvoir
d’aller au-delà du règlement des différends relatifs à la responsabilité de
l’Etat pour se livrer en fait à une enquête et déterminer si le crime de
génocide a ou non été commis.
La Cour ne peut tout simplement pas, faute de compétence pénale, éta-

blir si des personnes susceptibles d’engager la responsabilité d’un Etat
sont coupables du crime de génocide.
En particulier, ce défaut de compétence pénale empêche la Cour d’éta-
blir l’existence ou l’absence d’une intention génocide, puisque rien dans la
convention sur le génocide n’indique qu’une telle intention y soit envisa-

gée autrement qu’en tant qu’élément nécessaire, qu’élément moral du
crime de génocide.
Ce que la Cour peut et doit faire, c’est statuer sur la question de savoir
s’il a été suffisamment établi qu’un génocide avait été commis.
Pour ce faire, il lui aurait suffi en l’espèce de s’appuyer sur les conclu-

sions du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (le TPIY),
pour autant qu’elles soient conformes à la convention sur le génocide, qui
est la seule base de compétence de la Cour dans la présente affaire.

Au lieu de cela, la Cour a pris pour position qu’il lui était loisible de

déterminer elle-même si le génocide avait ou non été commis, sans
s’appuyer sur une décision émanant d’une juridiction exerçant une com-
pétence pénale. Dans son arrêt, la Cour s’abstient d’exposer le fondement
juridique de cette position, se déclarant plutôt «habilitée» à agir ainsi
(arrêt, par. 181), ce qui ne découle d’aucune partie de la convention sur le

génocide.
La Cour affirme:

«Toute autre interprétation signifierait que la Convention n’aurait
prévu aucune voie de droit dans des cas que l’on n’aura aucune peine

334374 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL. SKOTNIKOV )

ceivable circumstances: genocide has allegedly been committed

within a State by its leaders but they have not been brought to trial
because, for instance, they are still very much in control of the pow-
ers of the State including the police, prosecution services and the
courts and there is no international penal tribunal able to exercise
jurisdiction over the alleged crimes; or the responsible State may

have acknowledged the breach.” (Judgment, para. 182.)

However, reference to the absence of legal recourse under certain cir-
cumstances as an argument au contrario neither supports nor clarifies the

Court’s position. No recourse would be available, for example, when a
State in question has made a reservation to Article IX. As to the above
example about State leaders still in control of their country, on the con-
trary, legal recourse would remain available if the Court was properly

seised; moreover, the Court, after establishing its jurisdiction on a
prima facie basis, can, if requested, indicate provisional measures of a
binding character. Furthermore, to deal immediately with these circum-
stances an action of the United Nations Security Council, under Chap-
ter VII of the United Nations Charter, would probably be required. As to

the possible unavailability of an international penal tribunal, the Security
Council can establish an ad hoc criminal tribunal, if the State in question
is not party to the Rome Statute of the International Criminal Court,
opened for signature on 17 July 1998. And, of course, should a State
acknowledge its responsibility for genocide before this Court, questions

of establishing whether genocide was committed and whether a Respon-
dent is responsible for it simply would not arise, allowing the Court to
proceed straight to the issue of reparations.

The proposition that the Court not only determines a State’s respon-

sibility for genocide, but also establishes whether genocide was commit-
ted or not, flows, of course, from the idea of a State’s obligation to not
commit genocide itself, which the Court infers from the Convention.
According to that construction, the Court simply determines the violation
of this “treaty obligation”. Therefore, following that logic, the lack of

criminal jurisdiction is not an impediment at all, since the Court does not
deal with genocide as a crime which, of course, is what it indisputably is
under the Genocide Convention. This approach is inconsistent with both
the Genocide Convention and the Court’s Statute.

Having stated that it “must itself make its own determination of the
facts which are relevant to the law which the Applicant claims the
Respondent has breached”, the Court acknowledges that “[m]any of the
allegations before the Court have already been the subject of the

processes and decisions of the ICTY” (Judgment, para. 212) and con-
cludes that:

335 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL . SKOTNIKOV ) 374

à se figurer: celui de dirigeants d’un Etat ayant commis un génocide

sur le territoire de celui-ci et qui ne seraient pas traduits en justice
parce qu’ils continueraient, par exemple, à exercer un contrôle impor-
tant sur les organes de l’Etat, notamment la police, le ministère
public et les tribunaux et parce qu’il n’existerait pas de juridiction
pénale internationale ayant compétence pour connaître des crimes

allégués; ou celui d’un Etat responsable qui aurait reconnu la viola-
tion.» (Arrêt, par. 182.)

Toutefois, le fait d’invoquer l’absence de voies de droit dans certaines
circonstances comme un argument a contrario ne conforte ni n’éclaircit la

position de la Cour. Aucune voie de droit ne serait ouverte lorsque, par
exemple, l’Etat en question aurait formulé une réserve à l’article IX.
Quant à l’exemple ci-dessus relatif aux dirigeants d’un Etat continuant de
contrôler leur pays, des voies de droit resteraient au contraire disponibles

si la Cour était dûment saisie; en outre, après avoir établi sa compétence
prima facie, la Cour peut, si elle en est priée, indiquer des mesures conser-
vatoires revêtant une force obligatoire. Qui plus est, pour répondre
immédiatement à de telles circonstances, une action du Conseil de sécu-
rité de l’Organisation des Nations Unies, au sens du chapitre VII de la

Charte des Nations Unies, serait probablement requise. En ce qui
concerne l’absence éventuelle de juridiction pénale internationale, le
Conseil de sécurité peut établir un tribunal pénal ad hoc si l’Etat en ques-
tion n’est pas partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale,
ouvert à la signature le 17 juillet 1998. Et, bien entendu, si un Etat devait

reconnaître sa responsabilité pour génocide devant la Cour, il n’y aurait
tout simplement lieu d’établir ni la commission du génocide, ni la respon-
sabilité du défendeur, ce qui permettrait à la Cour de passer directement
à la question des réparations.
La conception voulant que la Cour non seulement détermine la respon-

sabilité d’un Etat pour génocide, mais établisse également si le génocide a
ou non été commis, découle naturellement de la thèse selon laquelle il
existerait une obligation de l’Etat de ne pas commettre lui-même le géno-
cide, obligation que la Cour infère de la Convention. Suivant une telle
interprétation, la Cour déterminerait simplement si cette «obligation

conventionnelle» a été violée. Ainsi, dans cette logique, le défaut de com-
pétence pénale ne constitue absolument pas un obstacle, puisque la Cour
n’envisage pas le génocide en tant que crime, ce qu’il est bien entendu
incontestablement au regard de la convention sur le génocide. Cette
approche n’est conforme ni à la convention sur le génocide ni au Statut

de la Cour.
Ayant déclaré qu’elle devait «déterminer elle-même les faits qui sont
pertinents au regard des règles de droit que, selon le demandeur, le défen-
deur aurait transgressées», la Cour reconnaît qu’«[u]n grand nombre des
allégations présentées à [elle] ont déjà fait l’objet d’instances devant le

TPIY et de décisions rendues par ce dernier» (arrêt, par. 212), avant de
conclure qu’elle

335375 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL .SKOTNIKOV )

“it should in principle accept as highly persuasive relevant findings

of fact made by the Tribunal at trial, unless of course they have been
upset on appeal. For the same reasons, any evaluation by the Tri-
bunal based on the facts as so found for instance about the existence
of the required intent, is also entitled to due weight.” (Judgment,
para. 223.)

After having thus established in principle a possibility of arriving at
conclusions different to those of this criminal tribunal as to whether or
not genocide was committed, the Court proceeded to examine the allega-

tions which had already been considered and decided on by the ICTY,
thus putting itself potentially on a collision course with the Tribunal.
This kind of collision of course has not occurred in practice. However,
this does not make the Court’s failure to strike a proper balance under

the Genocide Convention between the Court’s jurisdiction and that of a
criminal tribunal any lesser.
At the same time, a clear distinction must be made between the Court
conducting its own investigation and coming up with legally binding
findings as to whether genocide was committed, which it cannot do, and

the Court applying the test of the Genocide Convention to the decisions
of the ICTY on genocide, which it must do, given that its jurisdiction is
based solely on the Genocide Convention and the jurisdiction of the Tri-
bunal is based on its Statute. That test is whether the decisions of the
ICTY are consistent with the Genocide Convention. Should a finding of

the ICTY fail that test, the Court must disregard this particular finding in
deciding the case before it.

Unfortunately, the Court, while applying the test of Genocide Conven-
tion to the decisions of the ICTY, did not do it to the extent necessary.

The Court concluded that acts of genocide were committed by “mem-
bers of the VRS [Army of the Republika Srpska] in and around Sre-
brenica from about 13 July 1995” (Judgment, para. 297). In reaching this
conclusion the Court relied on the findings of the ICTY in the Krstic ´ and

Blagojevi´ cases (Krstic´, IT-98-33-A, Judgment of Appeals Chamber,
19 April 2004 (hereafter “Krstic´”) and Blagojevic´ and Joki´ , IT-02-60-T,
Judgment of Trial Chamber I, 17 January 2005 (hereafter “Blagojevic ´”)).

These two individuals (only Krstic ´’s conviction is final) were convicted

of a crime established by the Tribunal’s Statute (Art. 7, para. 1), but not
recognized by the Genocide Convention, namely aiding and abetting
genocide. As found by the ICTY, neither Krstic ´ nor Blagojevi´ had geno-
cidal intent. (“There was a demonstrable failure by the Trial Chamber to
supply adequate proof that Radislav Krstic ´ possessed the genocidal

intent” (Krsti´, para. 134).) The Tribunal, basing itself on its Statute, has
held that persons furnishing aid and assistance can be convicted of aiding

336 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 375

«doit en principe admettre comme hautement convaincantes les
conclusions de fait pertinentes auxquelles est parvenu le Tribunal en

première instance, à moins, évidemment, qu’elles n’aient été infir-
mées en appel. Pour les mêmes raisons, il convient également de
donner dûment poids à toute appréciation du Tribunal fondée sur
les faits ainsi établis, concernant par exemple l’existence de l’inten-
tion requise.» (Arrêt, par. 223.)

Après avoir ainsi établi en principe qu’elle pouvait parvenir à des
conclusions différentes de celles de ce tribunal pénal quant à l’existence
du génocide, la Cour a poursuivi en examinant des allégations qui avaient
déjà été considérées et jugées par le TPIY, au risque d’entrer ainsi direc-

tement en conflit avec ce dernier.
Pareil conflit n’a évidemment pas eu lieu dans la pratique. Cela étant,
la Cour n’en a pas moins échoué à trouver, dans le cadre de la convention
sur le génocide, un juste équilibre entre sa propre compétence et celle
d’un tribunal pénal.
Par ailleurs, une distinction claire doit être opérée entre mener sa

propre enquête et parvenir à des conclusions juridiquement obligatoires
sur le point de savoir si le génocide a été commis, ce que la Cour ne peut
faire, et appliquer le critère de la convention sur le génocide aux décisions
du TPIY sur le génocide, ce que la Cour devait faire, sa compétence étant
fondée uniquement sur cette convention et le Tribunal tenant la sienne de

son Statut. Le critère en question consistait à déterminer si les décisions
du TPIY étaient conformes à la convention sur le génocide. Si une
conclusion particulière du TPIY ne satisfaisait pas à ce critère, la Cour
devait l’écarter dans le cadre de son examen de l’affaire portée devant
elle.

Malheureusement, si elle a certes appliqué le critère de la convention
sur le génocide aux décisions du TPIY, la Cour ne l’a toutefois pas fait
dans la mesure nécessaire.
La Cour a conclu que des actes de génocide avaient été commis par
«des membres de la VRS [l’armée de la Republika Srpska] à Srebrenica et

à proximité à partir du 13 juillet 1995» (arrêt, par. 297). Elle s’est pour
cela appuyée sur les conclusions formulées par le TPIY dans les affaires
Krsti´ et Blagojevic ´ (Krsti´, IT-98-33-A, Chambre d’appel, arrêt du
19 avril 2004 (ci-après dénommée l’affaire «Krstic ´»); Blagojevi´ et Joki´ ,
IT-02-60-T, Chambre de première instance I, jugement du 17 janvier 2005
(ci-après dénommée l’affaire «Blagojevic ´»)).

Les deux intéressés (seule la condamnation de Krstic ´ n’est plus suscep-
tible d’appel) ont été déclarés coupables d’un crime établi par le Statut du
Tribunal (art. 7, par. 1) mais non reconnu par la convention sur le géno-
cide, à savoir l’aide et l’encouragement à la commission du génocide.
Comme l’a conclu le TPIY, ni Krstic ´ ni Blagojevic´ n’avaient eu d’inten-

tion génocidaire («[l]a Chambre de première instance n’a, à l’évidence,
pas suffisamment démontré que Radislav Krstic ´ était animé d’une inten-
tion génocidaire» (Krstic´, par. 134)). Le Tribunal, se fondant sur son Sta-

336376 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL. SKOTNIKOV )

and abetting genocide without having genocidal intent. The Genocide

Convention, however, requires genocidal intent for every proscribed act
enumerated in it, which has been recognized by the ICTY itself (Krstic ´,
para. 142) and has not been disputed by the Parties.

Consequently, these two — and so far the only — convictions of
charges related to genocide cannot be taken into account by the Court
since its jurisdiction is based solely on the Genocide Convention whereas
these convictions are not.

Nevertheless, these two Judgments are relevant to the case before the
Court to the extent that they state that genocide occurred in Srebrenica.
Indeed, in the final analysis the whole case in the present Judgment is
made on the basis of this particular finding by the ICTY.

The question is, however, whether or not this finding has been made
within the specific scope of the Genocide Convention.
The way the ICTY has dealt, inter alia, with the issue of genocidal
intent suggests that the answer to this question is likely to be negative. In

the Blagojevic´ case the Trial Chamber concluded that Bosnian Serb
forces had intended to destroy the Muslim population of Srebrenica
(Blagojevi´, para. 677). In the Krstic´ case the ICTY was slightly more
specific, referring to some members of the VRS Main Staff. The Appeals
Chamber decided that, in concluding that some (unnamed or unknown)

members of the VRS Main Staff intended to destroy the Bosnian Mus-
lims of Srebrenica, the Trial Chamber “did not depart from the legal
requirements for genocide” (Krstic ´, para. 38).

Tellingly, the Appeals Chamber did not say that the Trial Chamber

had not departed from the legal requirements of the Genocide Conven-
tion, for, inter alia, it is highly doubtful that, according to the Conven-
tion, genocidal intent, a mental element to be established in criminal
proceedings, can be established without trying (or at the very least iden-
tifying and presenting the necessary proof) a person or persons harbour-

ing it. As a matter of fact, the Tribunal itself has recognized that it is
necessary to have insight into the state of mind of alleged perpetrators in
order to draw the inference that those perpetrators had genocidal intent.

In the Stakic´ case it stated:

“Having heard all the evidence, the Trial Chamber finds that it
has not been provided with the necessary insight into the state of
mind of alleged perpetrators acting on a higher level in the political
structure than Dr. Stakic ´ to enable it to draw the inference that

those perpetrators had the specific genocidal intent.” (IT-97-24-T,
Judgment, 31 July 2003, para. 547.)

337 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 376

tut, a dit que les personnes ayant prêté une aide et une assistance pou-

vaient être déclarées coupables d’avoir aidé et encouragé à perpétrer un
génocide sans avoir d’intention génocidaire. La convention sur le géno-
cide exige en revanche l’existence d’une intention génocidaire pour cha-
cun des actes proscrits qu’elle énumère, ce que le TPIY a lui-même
reconnu (Krstic´, par. 142) et que les Parties n’ont pas contesté.

En conséquence, ces deux condamnations pour des chefs d’accusation
liés au génocide — qui sont jusqu’ici les seules — ne pouvaient être prises
en considération par la Cour puisque sa compétence était, contrairement
à ces condamnations, uniquement fondée sur la convention sur le géno-
cide.

Ces deux décisions n’en étaient pas moins pertinentes aux fins de
l’affaire portée devant la Cour dans la mesure où elles indiquent qu’un
génocide a eu lieu à Srebrenica. D’ailleurs, en dernière analyse, le raison-
nement suivi dans le présent arrêt repose entièrement sur cette conclusion

particulière du TPIY.
Se pose toutefois la question de savoir si cette conclusion s’inscrit ou
non dans le cadre spécifique de la convention sur le génocide.
La manière dont le TPIY a traité la question de l’intention génocidaire,
entre autres, suggère une réponse négative. Dans l’affaire Blagojevic ´,l

Chambre de première instance a conclu que des forces serbes de Bosnie
avaient eu l’intention de détruire la population musulmane de Srebrenica
(Blagojevi´, par. 677). Dans l’affaire Krstic´, le TPIY a visé un peu plus
précisément certains membres de l’état-major principal de la VRS. La
Chambre d’appel a déclaré que, en concluant que certains membres (non

désignés ou inconnus) de l’état-major principal de la VRS avaient eu
l’intention de détruire les Musulmans de Bosnie présents à Srebrenica, la
Chambre de première instance «n’a[vait] pas contrevenu aux exigences
juridiques qui s’attachent au génocide» (Krstic ´, par. 38).
De manière révélatrice, la Chambre d’appel n’a pas déclaré que la

Chambre de première instance n’avait pas contrevenu aux exigences juri-
diques de la convention sur le génocide, car, par exemple, je doute fort
que, d’après la Convention, l’intention génocidaire, qui est un élément
moral à établir dans le cadre d’une procédure pénale, puisse être démon-
trée sans que celui ou ceux qui en étaient animés soient jugés (ou, à tout

le moins, désignés avec les preuves nécessaires à l’appui). En fait, le Tri-
bunal a lui-même reconnu la nécessité de disposer d’informations sur
l’état d’esprit des auteurs présumés pour déduire que ceux-ci étaient mus
par l’intention génocidaire.
Dans l’affaire Stakic´, il a déclaré:

«A la lumière de tous les témoignages présentés, la Chambre de
première instance estime qu’on ne lui a pas fourni les informations
nécessaires sur l’état d’esprit des auteurs présumés qui se situaient
au-dessus de Milomir Stakic ´ dans la structure politique pour lui per-

mettre de conclure que ces derniers étaient mus par l’intention spéci-
fique au génocide.» (IT-97-24-T, jugement du 31 juillet 2003, par. 547.)

337377 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL . SKOTNIKOV )

It is very difficult to reconcile this requirement of “necessary insight

into the state of mind of alleged perpetrators”, which is fully compatible
with the Genocide Convention, and the approach adopted by the ICTY
in the Krsti´ case:

“The inference that a particular atrocity was motivated by geno-
cidal intent may be drawn, moreover, even where the individuals to
whom the intent is attributable are not precisely identified.” (Krstic´,

para. 34.)

Not only does this approach not appear to be in conformity with the
requirements of the Genocide Convention, it also raises questions related
to the fairness of criminal proceedings and the accuracy of their conclu-
sions. What if, for example, at a later stage, during a possible trial of so

far unnamed members of the VRS Main Staff, the Tribunal, after obtain-
ing the “necessary insight into the state of mind of alleged perpetrators”,
finds that these individuals did not possess genocidal intent? Or, are these
individuals guilty even before they have been tried? And, since they are
not, the question remains open as to whether the massacre in Srebrenica

can be qualified as genocide.

The conclusion of the Court in these circumstances should have been
that the commission of genocide or of the other Article III acts in Sre-
brenica has not been sufficiently established.

In spite of the difficulties I have with the Court’s interpretation of the
Genocide Convention, as outlined above, as well as, consequently, with
the wording of paragraphs 2, 3 and 4 of the operative clause of the Judg-
ment, I have found myself in a position to vote for these paragraphs since
in substance they do contain the answer to the core question of this case:

the Respondent is not responsible for genocide or any of the other acts
enumerated in Article III. My vote in favour of these paragraphs does
not in any way compromise my position that it has not been sufficiently
established that the massacre in Srebrenica can be qualified as genocide.

The additional difficulty I have is with the Court’s treatment of the
obligation to prevent under the Genocide Convention, which I find to be
extraordinarily expansive.
The views of the Applicant presented on the subject of prevention were
quite reasonable:

“This obligation is expressed in very general and, as it were, intro-

ductory terms in Article I, which closely follows the wording of the
title of the Convention. Later provisions, in Articles IV to VIII, add
a whole series of specific details and clarifications essential to its
implementation. However, these further provisions focus primarily
on punishment, while rules on prevention are scantly developed.

338 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL . SKOTNIKOV ) 377

Il est très difficile de concilier cette exigence relative aux «informations

nécessaires sur l’état d’esprit des auteurs présumés», qui est pleinement
compatible avec la convention sur le génocide, et le raisonnement suivi
par le TPIY dans l’affaire Krstic´ :

«On peut aussi conclure qu’une atrocité particulière a été commise
avec une intention génocidaire même lorsque les individus auxquels
cette intention peut être prêtée ne sont pas précisément identifiés.»

(Krsti´, par. 34.)

Non seulement ce raisonnement ne semble pas conforme aux exigences de
la convention sur le génocide, mais il soulève également certaines ques-
tions quant à l’équité de la procédure pénale et à l’exactitude des conclu-
sions auxquelles elle a donné lieu. Qu’adviendrait-il si, par exemple, à un

stade ultérieur, lors d’un éventuel procès de membres de l’état-major
principal de la VRS non désignés jusqu’ici, le Tribunal, après avoir
obtenu les «informations nécessaires sur l’état d’esprit des auteurs présu-
més», concluait que ceux-ci n’étaient pas animés de l’intention génoci-
daire? A moins que ces personnes soient coupables avant même d’avoir

été jugées? Et, puisque tel n’est pas le cas, se pose toujours la question de
savoir si le massacre de Srebrenica peut être qualifié de génocide.
Dans ces conditions, la Cour aurait dû conclure que la commission à
Srebrenica du génocide ou des autres actes énumérés à l’article III n’avait
pas été suffisamment établie.

En dépit des difficultés que j’éprouve face à la manière dont la Cour a
interprété la convention sur le génocide, comme je l’ai indiqué plus tôt,
ainsi que, par suite, face au libellé des paragraphes 2, 3 et 4 du dispositif
de l’arrêt, il m’a été possible de voter en faveur de ces paragraphes
puisque, en substance, ils répondent bien à la question fondamentale

en l’affaire: le défendeur n’est pas responsable du génocide ou de l’un
quelconque des autres actes énumérés à l’article III. Mon adhésion à ces
paragraphes ne change rien à ma position, à savoir qu’il n’a pas été
suffisamment établi que le massacre de Srebrenica pouvait être
qualifié de génocide.

L’autre difficulté que j’éprouve concerne la manière dont la Cour a
appréhendé l’obligation de prévention figurant dans la convention sur le
génocide, qui me semble extraordinairement large.
Les vues formulées par le demandeur au sujet de la prévention étaient
tout à fait raisonnables:

«Cette obligation est formulée d’une manière très générale et,

pour ainsi dire, introductive à l’article I, qui reprend de près le titre
de la Convention. Des dispositions ultérieures, que l’on trouve aux
articles IV à VIII, viennent apporter toute une série de spécifications
et de précisions indispensables aux fins de sa mise en Œuvre. Ces
autres dispositions, cependant, sont surtout centrées sur la répres-

sion, alors que la prévention fait l’objet d’une réglementation bien
peu développée.

338378 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL .SKOTNIKOV )

It is true, however, that no precise boundary can be established

between prevention and punishment. First, it is well known that a
well-organized system of enforcement, capable of imposing penalties
proportionate to the seriousness of offences, plays a very important
preventive role; and secondly, effective prevention calls for the pun-
ishment of any acts preparatory to genocide (such as conspiracy to

commit genocide or attempted genocide, etc.), or again acts consti-
tuting incitement to commit genocide. In other words, the punish-
ment of most of the so-called ‘ancillary’ acts identified in Article III
of the Convention . . . plays a definite, though obviously non-
exhaustive, role in the area of prevention.” (CR 2006/11, p. 16,

paras. 1-2.)

“The lack of territorial limitations on the obligation to prevent

and punish the crime of genocide, which [the Court] highlighted in
1996, means therefore that a State party to the Convention must dis-
charge this obligation even outside its sphere of territorial sover-
eignty, when it exercises — whether legally or illegally — effective

control over a territory outside its borders by assuming prerogatives
of public authority in that territory.” (Ibid., p. 20, para. 12.)

The Respondent did not challenge this approach. On its part it was said
that “[p]reventive measures would be legislation directed against geno-
cide” (CR 2006/20, p. 21, para. 343). And that,

“the Genocide Convention can only apply when the State concerned
has territorial jurisdiction or control in the areas in which the
breaches of the Convention are alleged to have occurred” (CR 2006/

16, p. 15, para. 20).
Accordingly, there was no dispute between the Parties about the inter-

pretation of the duty to prevent. However, the Court has chosen to come
up with an initiative on the subject stating that “the duty to prevent
places States under positive obligations, to do their best to ensure that
such acts do not occur” (Judgment, para. 432) and adding that,

“a State may be found to have violated its obligation to prevent even
though it had no certainty, at the time when it should have acted,

but failed to do so, that genocide was about to be committed or was
under way; . . . it is enough that the State was aware, or should
normally have been aware, of the serious danger that acts of geno-
cide would be committed” (Judgment, para. 432).

The Court thus equates the notion of “due diligence” with the duty to
prevent under the Genocide Convention and applies it to the inter-

national arena where various States having varying capacities “to influence
effectively the action of persons likely to commit, or already committing,

339 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL . SKOTNIKOV ) 378

Il est vrai cependant qu’aucune frontière précise ne saurait être

établie entre prévention et répression. En effet, d’une part, un appa-
reil répressif bien organisé et en mesure d’infliger des sanctions
appropriées par rapport à la gravité du crime joue — on le sait
bien — un rôle préventif très important; et, d’autre part, une pré-
vention efficace requiert la répression d’éventuels actes prépara-

toires du génocide (comme l’entente en vue de commettre le géno-
cide ou la tentative de génocide), ou encore d’actes constitutifs de
l’incitation à commettre le génocide. Autrement dit, la punition
de la plupart des actes dits «ancillaires» qu’identifie l’article III
de la Convention ... joue un rôle certain en matière préventive,

sans évidemment épuiser le champ des mesures de prévention.»
(CR2006/11, p. 16, par. 1-2.)
«L’absence de limitations territoriales de l’obligation de prévenir

et réprimer le crime de génocide, que [la Cour a] mise en évidence
en 1996, signifie donc qu’un Etat partie à la Convention doit s’acquit-
ter de cette obligation même en dehors de sa sphère de souveraineté
territoriale quand il exerce — que ce soit légalement ou illégale-

ment — un contrôle effectif sur un territoire extérieur à ses frontières
en y assumant des prérogatives de la puissance publique.» (Ibid.,
p. 20, par. 12.)

Le défendeur n’a pas contesté cette approche. Pour sa part, il a indiqué
que «[l]es mesures de prévention seraient les actes législatifs incriminant
le génocide» (CR2006/20, p. 21, par. 343) et que

«la convention sur le génocide ne peut s’appliquer que lorsque l’Etat
concerné exerce une compétence territoriale dans les régions où les
violations de la Convention se seraient produites» (CR2006/16,

p. 15, par. 20).
Les Parties n’étaient donc pas divisées sur l’interprétation de l’obliga-

tion de prévention. Pourtant, la Cour a choisi de se prononcer sur le sujet
en déclarant que «le devoir de prévention met à la charge des Etats des
obligations positives — faire de leur mieux pour que ces actes ne se pro-
duisent pas» (arrêt, par. 432), avant d’ajouter que

«un Etat peut être considéré comme ayant violé son obligation de
prévention même s’il n’avait pas acquis la certitude, au moment où il

aurait dû agir mais s’en est abstenu, qu’un génocide était sur le
point, ou en train, d’être commis: il suffit ... qu’il ait eu connais-
sance, ou eût dû normalement avoir connaissance, de l’existence
d’un risque sérieux de commission d’actes de génocide» (arrêt,
par. 432).

La Cour assimile ainsi la notion de «due diligence» à l’obligation de pré-
vention dictée par la convention sur le génocide et l’applique à la scène

internationale, dans laquelle des Etats différents ayant des capacités dif-
férentes «à influencer effectivement l’action des personnes susceptibles de

339379 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL .SKOTNIKOV )

genocide” (Judgment, para. 430), each within its capacity “to influence”

must do their best to ensure that acts of genocide do not occur.

This may be seen as a commendable appeal to the nations of the world
to do all they can to prevent genocide but it is not a proper interpretation

of the Convention according to customary international law, as reflected
in Articles 31 and 32 of the Vienna Convention on the Law of Treaties.
The content which the Court provides for the obligation to prevent
(rather than interpreting it) represents a political statement which is
clearly outside the specific scope of the Genocide Convention.

What the Court should have said on the subject is, in my opinion, the
following: a State fails its duty to prevent under the Genocide Conven-
tion if genocide is committed within the territory where it exercises its

jurisdiction or which is under its control. Even if the perpetrators are not
its organs or persons capable of engaging its responsibility under custom-
ary international law, the failure is still there. Even if the State in ques-
tion takes the exhaustive measures required by the Convention, such as
enactment of relevant legislation, should genocide occur within the terri-

tory under its jurisdiction or control, it still fails its duty to prevent. The
duty to prevent is a duty of result and not one of conduct.

Instead the Court has introduced a politically appealing, but legally

vague, indeed, hardly measurable at all in legal terms, concept of a duty
to prevent with the essential element of control being replaced with a
highly subjective notion of influence. I do not think that the Court’s
interpretation of the duty to prevent as a duty of conduct and not one of
result (Judgment, para. 430), which is a logical element of the above-

mentioned concept, is a service to the cause of preventing genocide.

Consequently, I could not support the conclusion of the Court as con-
tained in paragraph 5 of the operative clause. In addition, my negative
vote on this paragraph also reflects my position, as outlined above, that it

has not been sufficiently established that the massacre in Srebrenica can
be qualified as genocide.
For the latter reason, I could not support the finding of the Court con-
tained in paragraph 7 of the operative clause as to the Respondent’s non-
compliance with the provisional measures ordered by the Court on

8 April and 13 September 1993. However, I hold the view that the
authorities of the Federal Republic of Yugoslavia did not act on these
Orders as they should have. Should they have done so, this could have
had an effect of averting many of the atrocities other than genocide. The
fact that these atrocities occurred in Bosnia and Herzegovina during the

relevant period has not been denied by the Respondent.
I supported the finding contained in paragraph 6 since the Respondent

340 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 379

commettre, ou qui sont en train de commettre, un génocide» (arrêt,

par. 430) doivent, chacun dans la mesure de sa capacité «à influencer»,
faire de leur mieux pour faire en sorte que des actes de génocide n’aient
pas lieu.
L’on peut certes voir là un appel louable aux nations du monde afin
qu’elles fassent tout leur possible pour prévenir le génocide, mais il ne

s’agit pas de la juste interprétation de la Convention en vertu du droit
international coutumier, tel qu’il est exprimé aux articles 31 et 32 de la
convention de Vienne sur le droit des traités. Le contenu que la Cour
donne à l’obligation de prévenir (au lieu de l’interpréter) représente une
déclaration d’ordre politique qui excède manifestement le cadre spé-

cifique de la convention sur le génocide.
Voici ce que la Cour aurait selon moi dû déclarer sur le sujet: un Etat
manque à son obligation de prévention au regard de la convention sur le
génocide dès lors qu’un génocide est commis sur le territoire à l’égard

duquel il exerce sa juridiction ou qui se trouve sous son contrôle. Même
si les auteurs du crime ne font pas partie de ses organes ou des personnes
susceptibles d’engager sa responsabilité en vertu du droit international
coutumier, ce manquement demeure. Même s’il prend les mesures exhaus-
tives qui sont requises par la Convention, comme les mesures législatives

pertinentes, l’Etat en question manque toujours à son obligation de pré-
vention si un génocide a lieu sur le territoire qui relève de sa juridiction
ou de son contrôle. Le devoir de prévention constitue une obligation de
résultat, non de comportement.
Au lieu de cela, la Cour a introduit une conception de l’obligation de

prévention qui est certes séduisante du point de vue politique, mais vague
sur le plan juridique, et même difficile à apprécier en droit, le facteur
essentiel du contrôle étant remplacé par une notion fort subjective
d’influence. Je ne pense pas que, en interprétant l’obligation de préven-
tion comme une obligation de comportement et non de résultat (arrêt,

par. 430), ce qui constitue un élément logique de la conception exposée
ci-dessus, la Cour ait servi la cause de la prévention du génocide.
Dès lors, je n’ai pu m’associer à la conclusion de la Cour figurant au
paragraphe 5 du dispositif. En outre, mon vote négatif sur ce paragraphe
reflète également ma position, que j’ai exposée plus haut, à savoir qu’il

n’a pas été suffisamment établi que le massacre de Srebrenica pouvait être
qualifié de génocide.
Pour cette dernière raison, je n’ai pu souscrire à la conclusion formulée
par la Cour au paragraphe 7 du dispositif quant au non-respect, par le
défendeur, des mesures conservatoires qu’elle avait indiquées le 8 avril et

le 13 septembre 1993. J’estime tout de même que les autorités de la Répu-
blique fédérale de Yougoslavie n’ont pas donné la suite qui convenait à
ces ordonnances. Si elles l’avaient fait, il aurait peut-être été possible
d’éviter ainsi un grand nombre des atrocités qui ne relèvent pas du géno-
cide. Le défendeur n’a pas nié que ces atrocités avaient eu lieu en Bosnie-

Herzégovine pendant la période pertinente.
J’ai adhéré à la conclusion contenue au paragraphe 6 puisque le défen-

340380 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL .SKOTNIKOV )

has failed to provide the Court with a clear-cut statement that it has done

all in its power to apprehend and transfer Ratko Mladic ´, indicted for
genocide and complicity in genocide, for trial by the ICTY.

I agree with the Court’s decision in paragraph 8 of the operative clause
as to the Respondent’s obligation to co-operate with that Tribunal in
respect of individuals accused of genocide or any of the other acts pro-
scribed by Article III of the Convention.

(Signed) Leonid S KOTNIKOV .

341 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .SKOTNIKOV ) 380

deur n’a pas indiqué clairement à la Cour qu’il avait fait tout ce qui était

en son pouvoir en vue d’arrêter et de transférer Ratko Mladic ´, accusé de
génocide et de complicité de génocide, au Tribunal pénal international
pour l’ex-Yougoslavie afin qu’il y soit jugé.

J’approuve la décision formulée par la Cour au paragraphe 8 du dis-
positif quant à l’obligation du défendeur de coopérer avec ce tribunal
concernant les personnes accusées de génocide ou de l’un quelconque des
autres actes proscrits par l’article III de la Convention.

(Signé) Leonid S KOTNIKOV .

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Déclaration de M. Skotnikov

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