Déclaration de M. Bennouna

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091-20070226-JUD-01-08-EN
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359

DEuCLARATION DE M. LE JUGE BENNOUNA

Maintien de la RFY au sein des Nations Unies — Effets de l’admission de la
er
Serbie-et-Monténégro aux Nations Unies le 1 novembre 2000 — Complicité
de la Serbie dans le génocide — Mens rea du complice par opposition à celui de
l’auteur principal — Liens entre responsabilité pénale individuelle et responsa-
bilité étatique — Définition de la complicité — «Scorpions», force paramili-
taire sous contrôle serbe.

Je voudrais, au travers de cette déclaration, compléter et éclairer cer-
tains des développements que la Cour consacre à la réaffirmation de sa
compétence pour donner son jugement dans cette affaire. J’expliciterai

ensuite les raisons qui m’ont amené à être en désaccord avec la Cour
lorsqu’elle a conclu à la non-complicité de la Serbie dans le génocide
commis à Srebrenica.
Concernant la compétence , je suis pleinement d’accord avec les déve-
loppements de la Cour sur le caractère res judicata de l’arrêt de 1996, en

ce qu’il postule que la République fédérative de Yougoslavie (RFY) avait
la qualité de Membre des Nations Unies et de partie au Statut de la Cour.
Si, en effet, à la date critique de l’introduction de l’instance, cette qualité
n’était pas contestée par les Parties elles-mêmes, comme l’a rappelé la
Cour, il se trouve que l’organisation universelle a été confrontée à une
situation sans précédent qui, ainsi que l’avait relevé son conseiller juri-

dique le 29 septembre 1992,
«n’est pas prévue par la Charte des Nations Unies, à savoir les

conséquences sur le plan de l’appartenance à l’Organisation de la
désintégration d’un Etat Membre s’il n’y a pas d’accord à ce sujet
entre les successeurs immédiats de cet Etat ou entre les autres Etats
Membres de l’Organisation» (Nations Unies, doc. A/47/485).

Le Conseil de sécurité avait noté ce désaccord et en avait déduit l’absence
d’une succession automatique de la RFY à la République fédérative
socialiste de Yougoslavie (résolution 777 (1992)). L’Assemblée générale,
en conséquence, dans sa résolution 47/1 du 22 septembre 1992, avait sus-

pendu la participation de la RFY à ses travaux et lui avait demandé de
présenter une demande d’adhésion à l’Organisation, mais ce pays n’en a
pas moins continué à participer aux débats du Conseil de sécurité et à
faire publier ses documents en tant que documents officiels des Nations
Unies.

A mon avis, la situation sui generis de la RFY, évoquée par la Cour
dans son arrêt du 3 février 2003 sur la demande en revision, se réfère à la
volonté qui s’est exprimée au sein des Nations Unies de maintenir cet

320360 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE DÉCL .BENNOUNA )

Etat au sein de l’Organisation avec des droits réduits, en attendant de lui
faire subir le test de l’article 4 de la Charte afin qu’il démontre qu’il est
bien un Etat pacifique qui accepte les obligations de la Charte, est

capable de les remplir et ert disposé à le faire.
Il a fallu attendre le 1 novembre 2000 pour que la Serbie-et-Monté-
négro soit admise aux Nations Unies, après que le régime Miloševic ´ ait
été écarté et que son chef ait été transféré au Tribunal pénal international
pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye. On ne peut pas pour autant en

déduire qu’il y a eu un vide juridique entre la dissolution de l’ex-Yougo-
slavie et cette admission, c’est-à-dire, pendant près de huit années. La
continuité de la présence de la RFY au sein de l’Organisation des
Nations Unies a permis à celle-ci de maintenir ses moyens de pression sur

ce pays, notamment au travers des sanctions au titre du chapitre VII de la
Charte, jusqu’à ce qu’il rejoigne la légalité internationale. La Cour était
pleinement consciente de cette situation en 1996 lorsqu’elle s’est déclarée
compétente pour se prononcer sur le différend dont elle a été saisie par la

Bosnie-Herzégovine. Il nous paraît évident, en présence de la situation
sans précédent à laquelle la communauté internationale a été confrontée,
que le changement d’attitude de la Serbie-et-Monténégro et son admis-
sion aux Nations Unies le 1 ernovembre 2000 ne pouvaient avoir d’effet
que pour l’avenir.

Dans son arrêt sur la demande en revision, la Cour a considéré ainsi que

«[l]a résolution 47/1 ne portait notamment pas atteinte au droit de la
RFY d’ester devant la Cour ou d’être partie à un différend devant
celle-ci dans les conditions fixées par le Statut» (Demande en revision
de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’ Application de la

convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires (You-
goslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003 ,p .3,
par. 70).

Et, en effet, lorsqu’elle s’est prononcée sur sa compétence en 1996, la
Cour était parfaitement au fait de la situation de la RFY à l’égard de

l’Organisation des Nations Unies. C’est pour cela qu’elle a tenu à souli-
gner lorsqu’elle a été saisie d’une demande en revision que
er
«la résolution 55/12 de l’Assemblée générale en date du 1 no-
vembre 2000 [relative à l’admission de la RFY] ne peut avoir rétro-
activement modifié la situation sui generis dans laquelle se trou-
vait la RFY vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies

pendant la période 1992-2000, ni sa situation à l’égard du Statut
de la Cour et de la convention sur le génocide» (ibid., par. 71).

En ce qui concerne le fond de cette affaire , je considère que tous les
éléments étaient réunis pour que la Cour puisse conclure à la responsa-
bilité de la RFY pour complicité avec la Republika Srpska et son armée
dans le génocide commis à Srebrenica. C’est pour cette raison que j’ai

321361 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE DÉCL . BENNOUNA )

voté contre le point 4 du dispositif de l’arrêt. L’examen de la question de

la complicité de génocide de la RFY, au sens du litt. e) de l’article III de
la convention de 1948, a permis de constater à quel point la Cour était
tributaire, lorsqu’il s’agit d’apprécier la responsabilité de l’Etat, des
conclusions du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie rela-
tives à la culpabilité des acteurs individuels principaux de ce drame, qu’il

s’agisse de M. Miloševic ´ ou de M. Mladic ´. D’ailleurs, la Cour s’est
appuyée exclusivement sur l’arrêt du TPIY dans l’affaire Krstic ´ lorsqu’il
s’est agi de qualifier le crime de Srebrenica de crime de génocide.
Dans la mesure où le procès de Miloševic ´ n’est pas parvenu à son
terme et que M. Mladic ´ n’a pas été arrêté et déféré au TPIY, la Cour n’a

pu disposer de tous les éléments de preuve indispensables pour apprécier
la complicité de la Serbie dans le génocide de Srebrenica. Par conséquent,
la Cour a fait bénéficier la RFY du doute qui persiste, selon elle, sur le
comportement de la haute hiérarchie de cet Etat en juillet 1995, lors de la

préparation du crime de Srebrenica, notamment sur le point de savoir si
la RFY savait ou avait une raison de savoir que l’armée de la Republika
Srpska se préparait à commettre un génocide. A mon avis, le mens rea
exigé du complice n’est pas le même que celui qui incombe à l’auteur
principal, soit l’intention spécifique (dolus specialis) de commettre le

génocide, et il ne peut pas en être autrement, car exiger cette intention
reviendrait à assimiler le complice au coauteur.
Il est possible, à ce propos, de se référer, par analogie, à l’article 16 des
articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de
l’Etat, intitulé «Aide ou assistance dans la commission du fait inter-

national illicite», selon lequel:
«L’Etat qui aide ou assiste un autre Etat dans la commission du
fait international illicite par ce dernier est internationalement res-

ponsable pour avoir agi de la sorte dans le cas où
a) ledit Etat agit ainsi en connaissance des circonstances du fait
internationalement illicite; et
b) le fait serait internationalement illicite s’il était commis par cet

Etat.»
Il ressort de cet article, qui peut être considéré comme se rapportant à «la

complicité» dans les relations interétatiques, que les deux éléments exigés
sont l’assistance et la connaissance des circonstances du fait internatio-
nalement illicite et non la participation à la commission de celui-ci.
En l’occurrence, le mens rea consiste en la volonté du complice d’assis-
ter l’auteur principal, en sachant bien ou en étant censé savoir la nature

du crime que celui-ci se prépare à commettre. C’est ainsi que la Commis-
sion du droit international a interprété le litt. e) de l’article III de la
convention sur le génocide de 1948 relatif à la complicité (rapport de la
Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante-
troisième session, 2001, p. 155).

Il est de fait que de nombreuses données, dont la Cour était saisie,
convergeaient pour démontrer que la RFY aurait dû savoir qu’un géno-

322362 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE DÉCL . BENNOUNA )

cide se tramait et qu’elle n’en a pas moins continué à assister la Repu-

blika Srpska et son armée dans les opérations qu’elle menait, y compris à
Srebrenica.
Il est difficile de comprendre que la Cour ait évité de se prononcer sur
la définition de la complicité, laissant ainsi en suspens la question de
savoir si le complice doit partager lui-même l’intention spécifique (dolus

specialis) avec l’auteur principal du génocide (arrêt, par. 421). Pourtant,
la Cour se devait d’écarter une telle condition, avancée par le défendeur,
parce qu’elle va à l’encontre de la définition généralement admise de la
complicité et, d’un point de vue logique, parce qu’elle conduirait au résul-
tat absurde consistant à assimiler complice et auteur principal. Pour ne

pas avoir à trancher cet aspect, ce qui est regrettable pour la clarification
du droit international en la matière, la Cour a estimé que, au minimum,
la connaissance par le complice de l’intention spécifique de l’auteur prin-
cipal était nécessaire; ce qui lui permettra ensuite, en se livrant à une

interprétation, à notre avis non fondée, des faits de la cause de conclure
à l’absence de complicité de la Serbie.
Il est vrai que les conclusions du TPIY dans le jugement des principaux
responsables, que ce soit à la tête de la RFY ou de la Republika Srpska,
auraient pu fournir des éléments décisifs, susceptibles de balayer tous les

doutes éventuels quant à la connaissance que les dirigeants de la Serbie-
et-Monténégro avaient de ce qui se tramait à Srebrenica. Cela nous
amène naturellement à considérer que l’appréciation complète de la res-
ponsabilité de l’Etat demeure, en réalité, suspendue à l’arrestation des
principaux responsables du drame de Srebrenica, à leur jugement et aux

révélations qui pourraient s’ensuivre quant au rôle de la RFY.
Ainsi, à la lumière des débats approfondis qui se sont tenus devant la
Cour, j’ai été convaincu des liens étroits entre la responsabilité pénale
individuelle et la responsabilité étatique dans ce type de procès. Il est rare
en effet qu’un Etat annonce sans détour son intention de détruire partiel-

lement ou totalement un groupe ethnique, culturel ou religieux, ou qu’il
fasse état de sa connaissance qu’un tel crime allait advenir ou encore qu’il
admette l’avoir commis. C’est donc au travers du comportement de ceux
qui engagent l’Etat et de leur mise en jugement qu’on peut remonter à la
responsabilité de l’Etat lui-même; à moins, bien entendu, que l’on se

trouve dans l’hypothèse d’un pays vaincu, livré à ses occupants, dont les
structures, anéanties, dévoilent ainsi tous les secrets de leurs archives à la
justice internationale. Mais tel n’était pas le cas pour la RFY (Serbie-et-
Monténégro) qui est allée jusqu’à refuser à la Cour l’accès aux comptes
rendus non expurgés de son «Conseil suprême de défense» (lettre de

l’agent de la Serbie-et-Monténégro en date du 16 janvier 2006).
Cela étant, je suis d’avis que la Cour disposait des éléments pour éta-
blir d’ores et déjà la complicité de la RFY pour le génocide.
L’élément matériel de ce crime, à savoir l’aide et l’assistance multi-
formes de Belgrade à la Republika Srpska et à son armée, la VRS, a été

largement étayé par la Cour, lorsqu’elle a examiné la responsabilité de la
RFY pour manquement à l’obligation de prévenir le génocide. Ce soutien

323363 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .BENNOUNA )

continu de nature politique, militaire et financière avait existé, en effet,

avant, pendant et après le massacre de Srebrenica.
Il reste à se demander si l’élément intentionnel existe, soit la poursuite
de cette aide et de cette assistance, alors que la RFY savait ou était censée
savoir que les destinataires se préparaient à commettre un acte de géno-
cide et qu’elle les soutenait de la sorte pour parvenir à leurs fins. C’est

lorsque l’aide et l’assistance sont fournies en connaissance de cause de
l’intention génocidaire de son destinataire qu’elles sont constitutives de
complicité, se distinguant ainsi de la violation de l’obligation de préven-
tion où seule la perception du risque de génocide est exigée.

J’admets que la difficulté, dans cette affaire, pour prouver la connais-
sance par Belgrade de l’intention génocidaire de l’armée des Serbes de
Bosnie, provient du fait que cette intention ne s’est constituée, selon le
TPIY, qu’à peine deux jours avant l’exécution matérielle du génocide

intervenu entre le 13 et le 17 juillet 1995. Mais de cette difficulté réelle, on
ne peut déduire automatiquement que Belgrade ne savait pas et ne pou-
vait pas savoir que le génocide se décidait.
Tout d’abord, l’armée yougoslave de Belgrade (la VJ) avait maintenu
la présence d’un certain nombre de ses officiers au quartier général de

l’armée des Serbes de Bosnie (la VRS), à Han Pijesak, et il est inconce-
vable que ceux-ci n’aient pas informé leur hiérarchie (voir le rapport du
Netherlands Institute for War Documentation, «Srebrenica — a «safe»
area», du 10 avril 2002).
D’autre part, lors du procès Miloševic ´, le général Wesley Clark

(conseiller militaire américain) a fait le témoignage suivant:
«Général Clark : Moi, j’avais toujours envie de mieux comprendre

pourquoi Miloševic ´ pensait pouvoir conserver son autorité et
son pouvoir en présentant le plan de paix aux Serbes de Bosnie.
Donc, je lui ai simplement posé la question. Je lui ai dit: «Monsieur
le président, vous dites que vous avez une grande influence sur les
Serbes de Bosnie, mais comment se fait-il que votre influence aille si

loin qu’elle permette au général Mladic´ de tuer toutes ces personnes
qui ont été tuées à Srebrenica?» Et Miloševic ´ m’a regardé. Il s’est
interrompu un instant et il a déclaré: «Eh bien, général Clark, j’ai
averti moi-même Mladic ´ qu’il ne fallait pas qu’il fasse cela, mais il ne
m’a pas obéi.»

Question: Vous comprenez à quoi il est fait référence ici. Vous
comprenez bien, sans doute, que les choses vont au-delà des

mots.
Général Clark : Certainement.

Question: Est-ce que cela vous explique le contexte dans lequel
l’accord a finalement été obtenu?

Général Clark : Et bien, il était tout à fait clair que je l’interrogeais
au sujet du massacre de Srebrenica. Lorsque j’ai parlé de «tuer

324364 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .BENNOUNA )

toutes ces personnes», il ne s’agissait pas d’opération militaire, mais

d’un massacre. Et c’était une réalité qui était diffusée un peu partout
par les médias.» (Miloševic ´, IT-02-54, compte rendu d’audiences,
15 décembre 2003.)

En effet, plusieurs sources attestent que le général Mladic ´ était resté en

contact permanent avec Miloševic ´ avant le début des massacres et notam-
ment entre les 7 et 14 juillet 1995 (voir le rapport présenté par le
Secrétaire général en application de la résolution 53/35 de l’Assemblée
générale intitulé «La chute de Srebrenica», Nations Unies, doc. A/54/549,
p. 83).

Il est dès lors établi, à notre avis, que les autorités de Belgrade étaient
pleinement informées de l’attaque de Srebrenica et qu’elles auraient dû
savoir également qu’un massacre de la population musulmane de cette
ville se préparait.

Il suffit pour s’en convaincre de rappeler la présence des «Scorpions»,
forces paramilitaires sous le contrôle du ministre de l’intérieur de la Ser-
bie-et-Monténégro, sur le terrain même où s’est déroulé le massacre.
La Cour admet d’ailleurs que des documents lui ont été présentés rat-
tachant les «Scorpions» au «MUP de Serbie [ministère serbe de l’inté-

rieur]» ou les qualifiant «d’unité … du ministère serbe de l’intérieur»
(arrêt, par. 389), mais elle n’en tire aucune conséquence au niveau de la
complicité, se demandant seulement, pour les besoins de l’appréciation de
la responsabilité directe, si ces forces paramilitaires étaient des organes de
jure du défendeur ou si elles étaient sous sa complète dépendance. Or, à

supposer même que ce ne soit pas le cas, les liens de ces forces avec le
ministère de l’intérieur serbe et leur participation avérée
au massacre de Srebrenica pouvaient, pour le moins, conduire la Cour
à se demander si la Serbie n’était pas, de ce fait, tenue informée de la pré-
paration et de l’exécution du génocide perpétré à Srebrenica.

La Serbie, qui portait à bout de bras la Republika Srpska et son armée,
la VRS, où exerçaient de nombreux officiers dont la carrière était dépen-
dante de Belgrade, avait tissé de multiples liens avec les structures poli-
tiques et militaires qui avaient décidé du génocide et l’avaient mis en exé-
cution; elle en était, dès lors, parfaitement informée, ce qui en fait le

complice de ce crime et engage sa responsabilité internationale.

A mon avis, la Cour, sans même attendre d’autres jugements du TPIY,
pouvait conclure, avec les éléments à sa disposition, à la complicité de la
Serbie dans le génocide perpétré à Srebrenica; elle aurait fait justice de la

sorte à la mémoire des milliers de victimes de ce massacre, tout en répon-
dant à l’attente de leurs familles.

Elle n’aurait pas, pour autant, accablé la Serbie, ni entravé en quoi que
ce soit l’indispensable réconciliation et la coopération nécessaire entre les

Etats de la région des Balkans; la Cour s’adresse certes aux agissements
d’un pays, mais celui-ci avait à sa tête un régime qui a été qualifié par le

325365 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .BENNOUNA )

Conseil des ministres de Serbie-et-Monténégro, dans un communiqué du
15 juin 2005, de la façon suivante:

«Ceux qui ont accompli les tueries à Srebrenica et ceux qui ont
ordonné et organisé le massacre ne représentaient ni la Serbie ni le

Monténégro, mais un régime antidémocratique de terreur et de
mort, contre lequel la grande majorité des citoyens de Serbie-et-
Monténégro a opposé la plus forte résistance.»

Il est certain que la continuité de l’Etat a pour conséquence la perma-
nence de la responsabilité de celui-ci pour tout acte illicite qui aurait été
commis en son nom. Est-ce une raison pour s’installer dans un quel-

conque négationnisme? Certainement pas. L’un des enseignements les
plus précieux des drames qui ont endeuillé le siècle précédent, et qui
heurtent la conscience de l’humanité tout entière, consiste en l’accep-
tation du passé dans toute sa vérité et en la demande, en conséquence,

du pardon pour les souffrances infligées. C’est le seul moyen, sans doute,
d’annoncer la reconstruction d’un avenir commun. Un tel processus va
au-delà de la justice à proprement parler; mais celle-ci peut y contribuer
fortement.

(Signé) Mohamed B ENNOUNA .

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DEuCLARATION DE M. LE JUGE BENNOUNA

Maintien de la RFY au sein des Nations Unies — Effets de l’admission de la
er
Serbie-et-Monténégro aux Nations Unies le 1 novembre 2000 — Complicité
de la Serbie dans le génocide — Mens rea du complice par opposition à celui de
l’auteur principal — Liens entre responsabilité pénale individuelle et responsa-
bilité étatique — Définition de la complicité — «Scorpions», force paramili-
taire sous contrôle serbe.

Je voudrais, au travers de cette déclaration, compléter et éclairer cer-
tains des développements que la Cour consacre à la réaffirmation de sa
compétence pour donner son jugement dans cette affaire. J’expliciterai

ensuite les raisons qui m’ont amené à être en désaccord avec la Cour
lorsqu’elle a conclu à la non-complicité de la Serbie dans le génocide
commis à Srebrenica.
Concernant la compétence , je suis pleinement d’accord avec les déve-
loppements de la Cour sur le caractère res judicata de l’arrêt de 1996, en

ce qu’il postule que la République fédérative de Yougoslavie (RFY) avait
la qualité de Membre des Nations Unies et de partie au Statut de la Cour.
Si, en effet, à la date critique de l’introduction de l’instance, cette qualité
n’était pas contestée par les Parties elles-mêmes, comme l’a rappelé la
Cour, il se trouve que l’organisation universelle a été confrontée à une
situation sans précédent qui, ainsi que l’avait relevé son conseiller juri-

dique le 29 septembre 1992,
«n’est pas prévue par la Charte des Nations Unies, à savoir les

conséquences sur le plan de l’appartenance à l’Organisation de la
désintégration d’un Etat Membre s’il n’y a pas d’accord à ce sujet
entre les successeurs immédiats de cet Etat ou entre les autres Etats
Membres de l’Organisation» (Nations Unies, doc. A/47/485).

Le Conseil de sécurité avait noté ce désaccord et en avait déduit l’absence
d’une succession automatique de la RFY à la République fédérative
socialiste de Yougoslavie (résolution 777 (1992)). L’Assemblée générale,
en conséquence, dans sa résolution 47/1 du 22 septembre 1992, avait sus-

pendu la participation de la RFY à ses travaux et lui avait demandé de
présenter une demande d’adhésion à l’Organisation, mais ce pays n’en a
pas moins continué à participer aux débats du Conseil de sécurité et à
faire publier ses documents en tant que documents officiels des Nations
Unies.

A mon avis, la situation sui generis de la RFY, évoquée par la Cour
dans son arrêt du 3 février 2003 sur la demande en revision, se réfère à la
volonté qui s’est exprimée au sein des Nations Unies de maintenir cet

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DECLARATION OF JUDGE BENNOUNA

[Translation]

FRY’s continued presence within the United Nations — Effects of Serbia and
Montenegro’s admission to the United Nations on 1 November 2000 — Serbia’s
complicity in genocide — Accomplice’s mens rea as opposed to principal perpe-
trator’s — Relationship between individual criminal liability and State respon-
sibility — Definition of complicity — “Scorpions”, a paramilitary force under

Serbian control.

I wish by means of this declaration to expand upon and clarify certain
aspects of the Court’s reasoning in reaffirming its jurisdiction to decide
this case. I shall then explain why I disagree with the Court’s finding that
Serbia was not complicit in the genocide committed at Srebrenica.

In respect of jurisdiction , I am in full agreement with the Court’s dis-
cussion of the authority of the 1996 Judgment as res judicata, in that the
Judgment took as established the status of the Federal Republic of Yugo-
slavia (FRY) as a Member of the United Nations and a party to the
Statute of the Court. While the Parties themselves did not dispute the

question of membership status at the critical date when the proceedings
were instituted, as the Court has pointed out, the world body was faced
with an unprecedented situation, which, as observed by its Legal Counsel
on 29 September 1992:

“is not foreseen in the Charter of the United Nations, namely, the
consequences for purposes of membership in the United Nations of
the disintegration of a Member State on which there is no agreement
among the immediate successors of that State or among the mem-
bership of the Organization at large” (United Nations, doc. A/47/

485).
The Security Council had taken note of the disagreement and drawn the
conclusion that the FRY did not automatically succeed the Socialist Fed-

eral Republic of Yugoslavia (resolution 777 (1992)). Accordingly, the
General Assembly, in its resolution 47/1 of 22 September 1992, sus-
pended the FRY’s participation in the work of the General Assembly and
stated that the FRY should apply for membership in the United Nations;
the FRY nevertheless continued to take part in debates in the Security

Council and to circulate its documents as official documents of the
United Nations.
In my view, the FRY’s “sui generis position” referred to by the Court
in its Judgment of 3 February 2003 on the application for revision had to
do with the will expressed within the United Nations to keep the State

320360 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE DÉCL .BENNOUNA )

Etat au sein de l’Organisation avec des droits réduits, en attendant de lui
faire subir le test de l’article 4 de la Charte afin qu’il démontre qu’il est
bien un Etat pacifique qui accepte les obligations de la Charte, est

capable de les remplir et ert disposé à le faire.
Il a fallu attendre le 1 novembre 2000 pour que la Serbie-et-Monté-
négro soit admise aux Nations Unies, après que le régime Miloševic ´ ait
été écarté et que son chef ait été transféré au Tribunal pénal international
pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye. On ne peut pas pour autant en

déduire qu’il y a eu un vide juridique entre la dissolution de l’ex-Yougo-
slavie et cette admission, c’est-à-dire, pendant près de huit années. La
continuité de la présence de la RFY au sein de l’Organisation des
Nations Unies a permis à celle-ci de maintenir ses moyens de pression sur

ce pays, notamment au travers des sanctions au titre du chapitre VII de la
Charte, jusqu’à ce qu’il rejoigne la légalité internationale. La Cour était
pleinement consciente de cette situation en 1996 lorsqu’elle s’est déclarée
compétente pour se prononcer sur le différend dont elle a été saisie par la

Bosnie-Herzégovine. Il nous paraît évident, en présence de la situation
sans précédent à laquelle la communauté internationale a été confrontée,
que le changement d’attitude de la Serbie-et-Monténégro et son admis-
sion aux Nations Unies le 1 ernovembre 2000 ne pouvaient avoir d’effet
que pour l’avenir.

Dans son arrêt sur la demande en revision, la Cour a considéré ainsi que

«[l]a résolution 47/1 ne portait notamment pas atteinte au droit de la
RFY d’ester devant la Cour ou d’être partie à un différend devant
celle-ci dans les conditions fixées par le Statut» (Demande en revision
de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’ Application de la

convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires (You-
goslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003 ,p .3,
par. 70).

Et, en effet, lorsqu’elle s’est prononcée sur sa compétence en 1996, la
Cour était parfaitement au fait de la situation de la RFY à l’égard de

l’Organisation des Nations Unies. C’est pour cela qu’elle a tenu à souli-
gner lorsqu’elle a été saisie d’une demande en revision que
er
«la résolution 55/12 de l’Assemblée générale en date du 1 no-
vembre 2000 [relative à l’admission de la RFY] ne peut avoir rétro-
activement modifié la situation sui generis dans laquelle se trou-
vait la RFY vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies

pendant la période 1992-2000, ni sa situation à l’égard du Statut
de la Cour et de la convention sur le génocide» (ibid., par. 71).

En ce qui concerne le fond de cette affaire , je considère que tous les
éléments étaient réunis pour que la Cour puisse conclure à la responsa-
bilité de la RFY pour complicité avec la Republika Srpska et son armée
dans le génocide commis à Srebrenica. C’est pour cette raison que j’ai

321 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION DECL . BENNOUNA ) 360

within the Organization but with reduced rights, pending its submission

to the test set out in Article 4 of the Charter and a showing that it was a
peace-loving State accepting the obligations under the Charter and able
and willing to carry them out.
It was not until 1 November 2000 that Serbia and Montenegro was
admitted to the United Nations after the Miloševic ´ régime was over-

thrown and its leader surrendered to the International Criminal Tribunal
for the former Yugoslavia (ICTY) in The Hague. It cannot however be
inferred from this that a legal void obtained between the time the former
Yugoslavia broke up and the date Serbia and Montenegro was subse-
quently admitted to membership, that is to say for nearly eight years. The

FRY’s continued presence within the United Nations allowed the Organi-
zation to retain means of applying pressure to the country, notably by
way of sanctions under Chapter VII of the Charter, until its conduct
again conformed with international legality. The Court was fully cogni-

zant of this situation in 1996 when it found jurisdiction to adjudicate the
dispute referred to it by Bosnia and Herzegovina. It appears obvious to
us that, given the unprecedented circumstances confronting the interna-
tional community, Serbia and Montenegro’s change in attitude and its
admission to the United Nations on 1 November 2000 could only take

effect prospectively.
In the Judgment on the application for revision the Court considered
that:

“Resolution 47/1 did not inter alia affect the FRY’s right to
appear before the Court or to be a party to a dispute before the
Court under the conditions laid down by the Statute.” (Application
for Revision of the Judgment of 11 July 1996 in the Case concerning

Application of the Convention on the Prevention and Punishment of
the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia),
Preliminary Objections (Yugoslavia v. Bosnia and Herzegovina),
Judgment, I.C.J. Reports 2003 , p. 31, para. 70.)

And, in ruling on jurisdiction in 1996, the Court was perfectly aware of
the FRY’s position vis-à-vis the United Nations. That is why the Court,
acting on an application for revision, wished to emphasize that

“General Assembly resolution 55/12 of 1 November 2000 [on the

FRY’s admission] cannot have changed retroactively the sui generis
position which the FRY found itself in vis-à-vis the United Nations
over the period 1992 to 2000, or its position in relation to the Statute
of the Court and the Genocide Convention” (ibid., para. 71).

In respect of the merits of this case , it is my view that all the conditions
were met to justify a finding by the Court that the FRY was responsible

for complicity with the Republika Srpska and its army in genocide at Sre-
brenica. This is why I have voted against point 4 of the operative clause.

321361 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE DÉCL . BENNOUNA )

voté contre le point 4 du dispositif de l’arrêt. L’examen de la question de

la complicité de génocide de la RFY, au sens du litt. e) de l’article III de
la convention de 1948, a permis de constater à quel point la Cour était
tributaire, lorsqu’il s’agit d’apprécier la responsabilité de l’Etat, des
conclusions du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie rela-
tives à la culpabilité des acteurs individuels principaux de ce drame, qu’il

s’agisse de M. Miloševic ´ ou de M. Mladic ´. D’ailleurs, la Cour s’est
appuyée exclusivement sur l’arrêt du TPIY dans l’affaire Krstic ´ lorsqu’il
s’est agi de qualifier le crime de Srebrenica de crime de génocide.
Dans la mesure où le procès de Miloševic ´ n’est pas parvenu à son
terme et que M. Mladic ´ n’a pas été arrêté et déféré au TPIY, la Cour n’a

pu disposer de tous les éléments de preuve indispensables pour apprécier
la complicité de la Serbie dans le génocide de Srebrenica. Par conséquent,
la Cour a fait bénéficier la RFY du doute qui persiste, selon elle, sur le
comportement de la haute hiérarchie de cet Etat en juillet 1995, lors de la

préparation du crime de Srebrenica, notamment sur le point de savoir si
la RFY savait ou avait une raison de savoir que l’armée de la Republika
Srpska se préparait à commettre un génocide. A mon avis, le mens rea
exigé du complice n’est pas le même que celui qui incombe à l’auteur
principal, soit l’intention spécifique (dolus specialis) de commettre le

génocide, et il ne peut pas en être autrement, car exiger cette intention
reviendrait à assimiler le complice au coauteur.
Il est possible, à ce propos, de se référer, par analogie, à l’article 16 des
articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de
l’Etat, intitulé «Aide ou assistance dans la commission du fait inter-

national illicite», selon lequel:
«L’Etat qui aide ou assiste un autre Etat dans la commission du
fait international illicite par ce dernier est internationalement res-

ponsable pour avoir agi de la sorte dans le cas où
a) ledit Etat agit ainsi en connaissance des circonstances du fait
internationalement illicite; et
b) le fait serait internationalement illicite s’il était commis par cet

Etat.»
Il ressort de cet article, qui peut être considéré comme se rapportant à «la

complicité» dans les relations interétatiques, que les deux éléments exigés
sont l’assistance et la connaissance des circonstances du fait internatio-
nalement illicite et non la participation à la commission de celui-ci.
En l’occurrence, le mens rea consiste en la volonté du complice d’assis-
ter l’auteur principal, en sachant bien ou en étant censé savoir la nature

du crime que celui-ci se prépare à commettre. C’est ainsi que la Commis-
sion du droit international a interprété le litt. e) de l’article III de la
convention sur le génocide de 1948 relatif à la complicité (rapport de la
Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante-
troisième session, 2001, p. 155).

Il est de fait que de nombreuses données, dont la Cour était saisie,
convergeaient pour démontrer que la RFY aurait dû savoir qu’un géno-

322 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL .BENNOUNA ) 361

Consideration of the issue of the FRY’s complicity in genocide, within

the meaning of Article III (e) of the 1948 Convention, has shown the
extent to which the Court, when assessing the responsibility of the State,
has relied on the findings by the International Criminal Tribunal for the
former Yugoslavia in respect of the guilt of the main culprits in this trag-
edy, whether Mr. Miloševic ´ or Mr. Mladic ´. Moreover, the Court has

depended exclusively on the ICTY appellate judgment in the Krstic ´ case
in characterizing the crime committed at Srebrenica as the crime of geno-
cide.
As the Miloševic ´ trial could not be completed and Mr. Mladic ´ has not
been arrested and handed over to the ICTY, it was not possible for the

Court to obtain all the evidence needed to assess Serbia’s complicity in
the genocide committed at Srebrenica. As a result, the Court gave the
FRY the benefit of what the Court believed to be the subsisting doubt as
to the conduct of the FRY’s senior leadership in July 1995, when the

groundwork was being laid for the crime at Srebrenica, notably on the
issue whether the FRY knew or had reason to know that the Republika
Srpska army was preparing to commit genocide. In my opinion, the
mens rea required of an accomplice is not the same as that required of a
principal perpetrator, namely the specific intent (dolus specialis) to com-

mit genocide, and it cannot be otherwise, since requiring such intent
would be tantamount to equating an accomplice with a co-principal.
In this connection, it is possible to refer, by way of analogy, to Arti-
cle 16, entitled “Aid or assistance in the commission of an internationally
wrongful act”, of the International Law Commission’s Articles on State

Responsibility, providing:
“A State which aids or assists another State in the commission of
an internationally wrongful act by the latter is internationally respon-

sible for doing so if:
(a) That State does so with knowledge of the circumstances of the
internationally wrongful act; and
(b) The act would be internationally wrongful if committed by that

State.”
It follows from this Article, which can be seen as addressing “complicity”

in inter-State relations, that the two requisite elements are assistance and
knowledge of the circumstances of the internationally wrongful act, not
participation in committing it.
In this case the mens rea is the intent on the part of the accomplice to
assist the principal perpetrator where the accomplice has actual or con-

structive knowledge of the nature of the crime which the principal is pre-
paring to commit. This is the International Law Commission’s interpre-
tation of Article III (e), on complicity, of the 1948 Genocide Convention
(International Law Commission Report on the Work of its Fifty-third
Session, 2001, pp. 146-147).

It is a fact that much concordant evidence before the Court showed
that the FRY should have known that genocide was being plotted and

322362 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE DÉCL . BENNOUNA )

cide se tramait et qu’elle n’en a pas moins continué à assister la Repu-

blika Srpska et son armée dans les opérations qu’elle menait, y compris à
Srebrenica.
Il est difficile de comprendre que la Cour ait évité de se prononcer sur
la définition de la complicité, laissant ainsi en suspens la question de
savoir si le complice doit partager lui-même l’intention spécifique (dolus

specialis) avec l’auteur principal du génocide (arrêt, par. 421). Pourtant,
la Cour se devait d’écarter une telle condition, avancée par le défendeur,
parce qu’elle va à l’encontre de la définition généralement admise de la
complicité et, d’un point de vue logique, parce qu’elle conduirait au résul-
tat absurde consistant à assimiler complice et auteur principal. Pour ne

pas avoir à trancher cet aspect, ce qui est regrettable pour la clarification
du droit international en la matière, la Cour a estimé que, au minimum,
la connaissance par le complice de l’intention spécifique de l’auteur prin-
cipal était nécessaire; ce qui lui permettra ensuite, en se livrant à une

interprétation, à notre avis non fondée, des faits de la cause de conclure
à l’absence de complicité de la Serbie.
Il est vrai que les conclusions du TPIY dans le jugement des principaux
responsables, que ce soit à la tête de la RFY ou de la Republika Srpska,
auraient pu fournir des éléments décisifs, susceptibles de balayer tous les

doutes éventuels quant à la connaissance que les dirigeants de la Serbie-
et-Monténégro avaient de ce qui se tramait à Srebrenica. Cela nous
amène naturellement à considérer que l’appréciation complète de la res-
ponsabilité de l’Etat demeure, en réalité, suspendue à l’arrestation des
principaux responsables du drame de Srebrenica, à leur jugement et aux

révélations qui pourraient s’ensuivre quant au rôle de la RFY.
Ainsi, à la lumière des débats approfondis qui se sont tenus devant la
Cour, j’ai été convaincu des liens étroits entre la responsabilité pénale
individuelle et la responsabilité étatique dans ce type de procès. Il est rare
en effet qu’un Etat annonce sans détour son intention de détruire partiel-

lement ou totalement un groupe ethnique, culturel ou religieux, ou qu’il
fasse état de sa connaissance qu’un tel crime allait advenir ou encore qu’il
admette l’avoir commis. C’est donc au travers du comportement de ceux
qui engagent l’Etat et de leur mise en jugement qu’on peut remonter à la
responsabilité de l’Etat lui-même; à moins, bien entendu, que l’on se

trouve dans l’hypothèse d’un pays vaincu, livré à ses occupants, dont les
structures, anéanties, dévoilent ainsi tous les secrets de leurs archives à la
justice internationale. Mais tel n’était pas le cas pour la RFY (Serbie-et-
Monténégro) qui est allée jusqu’à refuser à la Cour l’accès aux comptes
rendus non expurgés de son «Conseil suprême de défense» (lettre de

l’agent de la Serbie-et-Monténégro en date du 16 janvier 2006).
Cela étant, je suis d’avis que la Cour disposait des éléments pour éta-
blir d’ores et déjà la complicité de la RFY pour le génocide.
L’élément matériel de ce crime, à savoir l’aide et l’assistance multi-
formes de Belgrade à la Republika Srpska et à son armée, la VRS, a été

largement étayé par la Cour, lorsqu’elle a examiné la responsabilité de la
RFY pour manquement à l’obligation de prévenir le génocide. Ce soutien

323 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL .BENNOUNA ) 362

nevertheless continued to assist the Republika Srpska and its armed

forces in their operations, including at Srebrenica.

It is difficult to understand why the Court avoided any pronouncement
on the definition of complicity, thereby leaving open the question whether
an accomplice must share the specific intent (dolus specialis) of the prin-

cipal perpetrator of genocide (Judgment, para. 421). The Court should
however have rejected any such requirement, which the Respondent
advocated, because it is contrary to the generally accepted definition of
complicity and, as a matter of logic, because it would lead to the prepos-
terous result of identifying accomplices with principal perpetrators. To

avoid having to decide the question — and this is unfortunate for clari-
fication of international law on the subject — the Court took the view
that the accomplice must at least be aware of the principal’s specific
intent; this enabled it then to conclude, on the basis of an interpretation

of the facts which we find misguided, that Serbia had not been complicit.

It is true that the ICTY’s findings in the trials of those mainly respon-
sible, whether at the head of the FRY or the Republika Srpska, could
have provided conclusive information dispelling all possible doubt as to

the knowledge which the leaders of Serbia and Montenegro had of the
plans being laid at Srebrenica. This naturally leads us to think that a
thorough determination as to the State’s responsibility must in fact await
the arrest and trial of those primarily responsible for the tragedy of Sre-
brenica and the light which may thereby be shed on the role played by the

FRY.
Thus, from the extensive argument made before the Court, I am con-
vinced of the close relationship between individual criminal liability and
State responsibility in proceedings of this type. Indeed, it is rare for a
State bluntly to proclaim its intent to destroy, in whole or in part, an

ethnical, cultural or religious group or to disclose its knowledge that such
a crime was going to occur or to admit to having committed it. Thus, it
is through the conduct of those whose acts bind the State and by way of
their prosecution that responsibility can be traced to the State itself,
except of course where the State in question has been defeated and is

under occupation, its demolished organizational infrastructure having
disgorged all the secrets in its files to international justice. But this is not
the case of the FRY (Serbia and Montenegro), which went so far as to
deny the Court access to the unexpurgated records of its “Supreme
Defence Council” (letter of 16 January 2006 from the Agent of Serbia

and Montenegro).
That said, it is my view that the evidence before the Court already
established the FRY’s complicity in genocide.
The existence of the actus reus of the crime, namely the manifold aid
and assistance furnished by Belgrade to the Republika Srpska and its

army, the VRS, has been amply confirmed by the Court in its examina-
tion of the FRY’s responsibility for breach of the obligation to prevent

323363 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .BENNOUNA )

continu de nature politique, militaire et financière avait existé, en effet,

avant, pendant et après le massacre de Srebrenica.
Il reste à se demander si l’élément intentionnel existe, soit la poursuite
de cette aide et de cette assistance, alors que la RFY savait ou était censée
savoir que les destinataires se préparaient à commettre un acte de géno-
cide et qu’elle les soutenait de la sorte pour parvenir à leurs fins. C’est

lorsque l’aide et l’assistance sont fournies en connaissance de cause de
l’intention génocidaire de son destinataire qu’elles sont constitutives de
complicité, se distinguant ainsi de la violation de l’obligation de préven-
tion où seule la perception du risque de génocide est exigée.

J’admets que la difficulté, dans cette affaire, pour prouver la connais-
sance par Belgrade de l’intention génocidaire de l’armée des Serbes de
Bosnie, provient du fait que cette intention ne s’est constituée, selon le
TPIY, qu’à peine deux jours avant l’exécution matérielle du génocide

intervenu entre le 13 et le 17 juillet 1995. Mais de cette difficulté réelle, on
ne peut déduire automatiquement que Belgrade ne savait pas et ne pou-
vait pas savoir que le génocide se décidait.
Tout d’abord, l’armée yougoslave de Belgrade (la VJ) avait maintenu
la présence d’un certain nombre de ses officiers au quartier général de

l’armée des Serbes de Bosnie (la VRS), à Han Pijesak, et il est inconce-
vable que ceux-ci n’aient pas informé leur hiérarchie (voir le rapport du
Netherlands Institute for War Documentation, «Srebrenica — a «safe»
area», du 10 avril 2002).
D’autre part, lors du procès Miloševic ´, le général Wesley Clark

(conseiller militaire américain) a fait le témoignage suivant:
«Général Clark : Moi, j’avais toujours envie de mieux comprendre

pourquoi Miloševic ´ pensait pouvoir conserver son autorité et
son pouvoir en présentant le plan de paix aux Serbes de Bosnie.
Donc, je lui ai simplement posé la question. Je lui ai dit: «Monsieur
le président, vous dites que vous avez une grande influence sur les
Serbes de Bosnie, mais comment se fait-il que votre influence aille si

loin qu’elle permette au général Mladic´ de tuer toutes ces personnes
qui ont été tuées à Srebrenica?» Et Miloševic ´ m’a regardé. Il s’est
interrompu un instant et il a déclaré: «Eh bien, général Clark, j’ai
averti moi-même Mladic ´ qu’il ne fallait pas qu’il fasse cela, mais il ne
m’a pas obéi.»

Question: Vous comprenez à quoi il est fait référence ici. Vous
comprenez bien, sans doute, que les choses vont au-delà des

mots.
Général Clark : Certainement.

Question: Est-ce que cela vous explique le contexte dans lequel
l’accord a finalement été obtenu?

Général Clark : Et bien, il était tout à fait clair que je l’interrogeais
au sujet du massacre de Srebrenica. Lorsque j’ai parlé de «tuer

324 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL .BENNOUNA ) 363

genocide. This ongoing political, military and financial support existed

before, during and after the massacre at Srebrenica.
It remains to be considered whether the requisite mens rea was present,
that is whether the aid and assistance continued even though the FRY
knew or should have known that the recipients were preparing to commit
an act of genocide and the FRY thus supported them in the pursuit of

their aims. It is when aid and assistance are furnished in full knowledge
of the recipient’s genocidal intent that they constitute complicity, thus
being distinguishable from a violation of the obligation of prevention, in
respect of which all that is required is an awareness of the risk of geno-
cide.

I recognize that the difficulty in proving in this case that Belgrade knew
of the genocidal intent harboured by the Bosnian Serb Army arises from
the fact that such intent did not come into being, according to the ICTY,
until barely two days before the genocide was carried out between 13 and

17 July 1995. But this genuine difficulty does not automatically lead to
the conclusion that Belgrade did not know and could not have known
that genocide was being decided upon.
First, a number of officers in Belgrade’s Yugoslav army (the VJ) were
assigned to the Bosnian Serb army (VRS) headquarters at Han Pijesak

and it is inconceivable that they did not inform their superiors (see the
10 April 2002 report by the Netherlands Institute for War Documenta-
tion, “Srebrenica — a ‘safe’ area”).

Secondly, General Wesley Clark (an American military adviser) testi-

fied as follows at the Miloševic´ trial:
“General Clark : I was still wrestling with the idea as to how it is

that Miloševic´ could maintain that he had the authority and the
power to deliver the Serb compliance with the agreement. And so I
simply asked him. I said, ‘Mr. President, you say you have so much
influence over the Bosnian Serbs, but how is it then, if you have such
influence, that you allowed General Mladic ´ to kill all those people in

Srebrenica?’ And Miloševic ´ looked at me and he paused for a
moment. He then said, ‘Well, General Clark’, he said, ‘I warned
Mladic´ not to do this, but he didn’t listen to me’.

Question: Your understanding of what he was referring to, if you
have an understanding beyond the words themselves, can you give it

to us?
General Clark : Certainly.

Question: And explain, if it does have a context and understand-
ing, how you arrive at that understanding.

General Clark : Well, it was very clear what I was asking was
about the massacre at Srebrenica. When I said ‘kill all these people’,

324364 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .BENNOUNA )

toutes ces personnes», il ne s’agissait pas d’opération militaire, mais

d’un massacre. Et c’était une réalité qui était diffusée un peu partout
par les médias.» (Miloševic ´, IT-02-54, compte rendu d’audiences,
15 décembre 2003.)

En effet, plusieurs sources attestent que le général Mladic ´ était resté en

contact permanent avec Miloševic ´ avant le début des massacres et notam-
ment entre les 7 et 14 juillet 1995 (voir le rapport présenté par le
Secrétaire général en application de la résolution 53/35 de l’Assemblée
générale intitulé «La chute de Srebrenica», Nations Unies, doc. A/54/549,
p. 83).

Il est dès lors établi, à notre avis, que les autorités de Belgrade étaient
pleinement informées de l’attaque de Srebrenica et qu’elles auraient dû
savoir également qu’un massacre de la population musulmane de cette
ville se préparait.

Il suffit pour s’en convaincre de rappeler la présence des «Scorpions»,
forces paramilitaires sous le contrôle du ministre de l’intérieur de la Ser-
bie-et-Monténégro, sur le terrain même où s’est déroulé le massacre.
La Cour admet d’ailleurs que des documents lui ont été présentés rat-
tachant les «Scorpions» au «MUP de Serbie [ministère serbe de l’inté-

rieur]» ou les qualifiant «d’unité … du ministère serbe de l’intérieur»
(arrêt, par. 389), mais elle n’en tire aucune conséquence au niveau de la
complicité, se demandant seulement, pour les besoins de l’appréciation de
la responsabilité directe, si ces forces paramilitaires étaient des organes de
jure du défendeur ou si elles étaient sous sa complète dépendance. Or, à

supposer même que ce ne soit pas le cas, les liens de ces forces avec le
ministère de l’intérieur serbe et leur participation avérée
au massacre de Srebrenica pouvaient, pour le moins, conduire la Cour
à se demander si la Serbie n’était pas, de ce fait, tenue informée de la pré-
paration et de l’exécution du génocide perpétré à Srebrenica.

La Serbie, qui portait à bout de bras la Republika Srpska et son armée,
la VRS, où exerçaient de nombreux officiers dont la carrière était dépen-
dante de Belgrade, avait tissé de multiples liens avec les structures poli-
tiques et militaires qui avaient décidé du génocide et l’avaient mis en exé-
cution; elle en était, dès lors, parfaitement informée, ce qui en fait le

complice de ce crime et engage sa responsabilité internationale.

A mon avis, la Cour, sans même attendre d’autres jugements du TPIY,
pouvait conclure, avec les éléments à sa disposition, à la complicité de la
Serbie dans le génocide perpétré à Srebrenica; elle aurait fait justice de la

sorte à la mémoire des milliers de victimes de ce massacre, tout en répon-
dant à l’attente de leurs familles.

Elle n’aurait pas, pour autant, accablé la Serbie, ni entravé en quoi que
ce soit l’indispensable réconciliation et la coopération nécessaire entre les

Etats de la région des Balkans; la Cour s’adresse certes aux agissements
d’un pays, mais celui-ci avait à sa tête un régime qui a été qualifié par le

325 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL .BENNOUNA ) 364

it wasn’t a military operation, it was the massacre. And this was in

fact what had been in the news.” (Miloševic ´, IT-02-54, hearing tran-
scripts, 15 December 2003.)

Indeed, a number of sources attest that General Mladic ´ was in continu-

ous contact with Miloševic ´ before the massacres began, in particular
between 7 and 14 July 1995 (see the Secretary-General’s Report pursuant
to General Assembly resolution 53/35, entitled “The Fall of Srebrenica”,
United Nations, doc. A/54/549, pp. 76-77).

In our opinion it has therefore been shown that the authorities in Bel-
grade were fully apprised of the attack in Srebrenica and that they also
should have known that preparations were under way for the slaughter of
that city’s Muslim population.

For proof of this, it is sufficient to recall that the “Scorpions”, a para-
military force controlled by the Minister of the Interior of Serbia and
Montenegro, were present at the very site where the massacre took place.
The Court moreover acknowledges having received documents linking
the “Scorpions” with the “MUP of Serbia [Serbian Ministry of the Inte-

rior]” or referring to them as “a unit of Ministry of Interiors of Serbia”
(Judgment, para. 389), but it draws no conclusion from this in respect of
complicity, confining itself to considering, for purposes of determining
direct responsibility, whether these paramilitary forces were de jure organs
of the Respondent or were completely dependent on it. Even assuming

this not to be the case, the ties between these forces and the Serbian Min-
istry of the Interior and their proven participation in the massacre at Sre-
brenica could have led the Court at the very least to consider whether, as
a result, Serbia was not kept abreast of the groundwork for and perpetra-
tion of the genocide at Srebrenica.

Serbia, which struggled to keep afloat the Republika Srpska and its
army, the VRS, the ranks of which included many officers whose careers
depended on Belgrade, had developed manifold ties with the political and
military organizations which decided upon the genocide and carried it
out; Serbia therefore had full knowledge of the genocide, which makes it

an accomplice in the crime and gives rise to its international responsibil-
ity.
In my opinion, the Court, on the basis of the material already before it
and without having to await further judgments by the ICTY, could have
found complicity on the part of Serbia in the genocide perpetrated at Sre-

brenica; in so ruling, it would have done justice to the memory of the
thousands of victims of the massacre, while meeting the expectations of
their families.
At the same time, this would not have been excessively harsh on Serbia
nor in any way hindered the reconciliation and co-operation needed

between Balkan States; while the Court is dealing with the actions of a
country, that country was led by a régime described as follows by the

325365 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (DÉCL .BENNOUNA )

Conseil des ministres de Serbie-et-Monténégro, dans un communiqué du
15 juin 2005, de la façon suivante:

«Ceux qui ont accompli les tueries à Srebrenica et ceux qui ont
ordonné et organisé le massacre ne représentaient ni la Serbie ni le

Monténégro, mais un régime antidémocratique de terreur et de
mort, contre lequel la grande majorité des citoyens de Serbie-et-
Monténégro a opposé la plus forte résistance.»

Il est certain que la continuité de l’Etat a pour conséquence la perma-
nence de la responsabilité de celui-ci pour tout acte illicite qui aurait été
commis en son nom. Est-ce une raison pour s’installer dans un quel-

conque négationnisme? Certainement pas. L’un des enseignements les
plus précieux des drames qui ont endeuillé le siècle précédent, et qui
heurtent la conscience de l’humanité tout entière, consiste en l’accep-
tation du passé dans toute sa vérité et en la demande, en conséquence,

du pardon pour les souffrances infligées. C’est le seul moyen, sans doute,
d’annoncer la reconstruction d’un avenir commun. Un tel processus va
au-delà de la justice à proprement parler; mais celle-ci peut y contribuer
fortement.

(Signé) Mohamed B ENNOUNA .

326 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DECL .BENNOUNA ) 365

Council of Ministers of Serbia and Montenegro in a declaration made on
15 June 2005:

“Those who committed the killings in Srebrenica, as well as those
who ordered and organized that massacre represented neither Serbia

nor Montenegro, but an undemocratic régime of terror and death,
against which the majority of citizens of Serbia and Montenegro put
up the strongest resistance.”

It is undoubtedly true that one consequence of State continuity is that the
State remains responsible for any wrongful act committed in its name. Is
this any reason to lapse into negationist thinking? Certainly not. One of

the most valuable lessons of the tragedies which have darkened the last
century and shocked the conscience of all mankind is that the past must
be accepted in its whole truth and forgiveness must accordingly be sought
for the suffering inflicted. This, without doubt, is the only way towards

building a common future. While this process extends beyond justice in
the strict sense, justice can contribute greatly to it.

(Signed) Mohamed B ENNOUNA .

326

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Déclaration de M. Bennouna

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