Opinion individuelle de M. Ranjeva

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091-20070226-JUD-01-03-EN
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091-20070226-JUD-01-00-EN
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276

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE RANJEVA

O BLIGATION DE PRÉVENTION

Obligation de prévention — Obligation erga omnes fondée sur la solidarité
internationale — Obligation permanente de vigilance et de coopération pesant
sur tous les Etats parties — Responsabilité internationale des Etats pour omis-
sion — Action diplomatique concertée.

1. En droit, la responsabilité internationale pour omission est admise
pour la sauvegarde d’intérêts fondamentaux de la communauté interna-
tionale. La stipulation de l’obligation de prévention s’inscrit dans une
approche des relations juridiques internationales fondée sur la solidarité
internationale, voire mondiale. Cette dimension offre alors à l’interpréta-

tion des relations juridiques une nouvelle dimension des relations juri-
diques internationales. Au paragraphe 430, l’arrêt décrit le contenu de
l’obligation de prévention en termes d’obligation de moyen et non de
résultat au sens propre dans la mesure où aucune garantie de succès ne
peut être assurée. Si l’Etat partie a le pouvoir discrétionnaire d’agir dans

le sens qu’il estime le plus opportun, la question se pose de savoir si
celui-ci est libre d’agir ou de ne pas agir face à l’obligation de prévention
que prescrit la convention de 1948 contrairement aux règles du droit
international général classique. Exceptionnellement, un Etat partie est
tenu d’agir et, dans ce cas, une inertie ou une indifférence constitue une

violation de l’obligation de prévention du génocide. Le silence de la
Convention sur les conditions qu’elle fixe pour l’exécution de cette obli-
gation confère à l’Etat partie la compétence pour apprécier de manière
discrétionnaire les conséquences qu’il entend tirer des faits constitutifs du
différend. Mais la question est de savoir si l’abstention peut être une

option licite au regard du droit conventionnel en question.
2. La convention de 1948 crée à la charge des Etats parties l’obligation
de prévenir le crime de génocide (cf. arrêt, par. 166). Une telle stipulation
conventionnelle a représenté, en son temps, une mise à jour des prescrip-
tions du droit international positif aux exigences de la morale universelle.
Le caractère universel de la vocation juridictionnelle justifiait ce rappel:

la conscience universelle a été interpellée directement par les problèmes
de violations de la convention de 1948 alors que la plupart des grands
acteurs de la vie internationale étaient présents sur le champ de la catas-
trophe. Par ailleurs, une dimension de l’obligation semble avoir été
oubliée: le caractère permanent de cette obligation à la différence de celle

de punir; la vigilance, exercée avec discernement, doit être constante avec
un degré plus intense d’intérêt sinon de curiosité en période de crises poli-
tiques ou humanitaires. La Cour devait rappeler, dans le cadre de la pré-

237277 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND .RANJEVA )

sente affaire, que l’obligation de prévention pèse sur tous les Etats parties

à la Convention. Cependant, le contenu de cette obligation doit être
interprété in concreto en fonction de la situation particulière de chaque
intéressé. La restriction de l’examen de la Cour aux obligations juridiques
des seuls Etats parties à la présente instance ne saurait être interprétée
comme une relativisation ou une extranéisation de l’obligation de préve-

nir le crime de génocide qu’a contractée la communauté internationale.
3. Le rappel des travaux préparatoires à l’adoption de la convention
de 1948 (arrêt, par. 164) montre que les participants ont plus porté leur
intérêt sur l’obligation de punir que sur celle de prévenir le crime de géno-
cide. Les circonstances historiques et politiques qui ont immédiatement

précédé et suivi la seconde guerre mondiale expliquent cette information.
Au regard de l’économie générale des instruments internationaux de
l’immédiat après-guerre, l’obligation de prévenir relevait essentiellement
de la déclaration des droits et des devoirs de l’Etat (A/RES/177 et

A/RES/178 (II)). Le présent arrêt met un terme aux éventuelles querelles
plus idéologiques que juridiques: l’obligation de prévenir relève de l’ordre
normatif de droit positif (arrêt, par. 165). Le principe affirmé, la concré-
tisation de son contenu n’en est pas pour autant aisée. L’embarras qui
empreint la description au paragraphe 430 de l’arrêt illustre les difficultés

rencontrées lorsqu’il s’agit d’en fixer les contours.
4. L’arrêt examine les manquements à l’obligation de prévenir le crime
de génocide par rapport à la «due diligence» en termes de comporte-
ments et d’actes imputables à un Etat en particulier; mutatis mutandis,la
Cour a adopté une analyse des manquements allégués en termes analy-

tiques de comportement individuel. Dans une perspective de responsabilité
conventionnelle dans les relations bilatérales, une telle démarche se justi-
fie aisément. A l’analyse, on est amené à se demander si cette approche
est suffisante pour couvrir l’ensemble des relations d’obligations dans la
convention de 1948 lorsqu’il s’agit de vigilance dans une perspective mul-

tilatérale et de surcroît face au crime international absolu qu’est le géno-
cide. Pour satisfaire à la solidarité internationale qui est à la base de
l’obligation de prévenir le génocide, il est difficile de considérer le rayon-
nement du lien conventionnel de cet instrument comme une juxtaposition
de relations bilatérales entre les Etats parties; la Convention manquerait

son but si elle ne donnait pas naissance à un groupement auquel ferait
défaut l’unité conceptuelle en matière normative. Ainsi, peut être expli-
quée la qualification des obligations consacrées par la présente Conven-
tion comme des obligations erga omnes valables «même en dehors de
tout lien conventionnel» (Réserves à la convention pour la prévention et

la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951 ,
p. 23). La force obligatoire de l’obligation découle non pas de l’engage-
ment particulier de l’Etat, mais de la valeur que le droit attribue à cette
obligation.
5. La convention de 1948 marque, sans aucun doute, un progrès du

droit dans une double direction. En premier lieu, elle stipule l’engage-
ment de prévenir le crime de génocide lorsqu’elle précise le cadre de l’ac-

238278 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND .RANJEVA )

tion discrétionnaire de l’Etat en donnant à l’article II la qualification
juridique des faits constitutifs de génocide. En second lieu, elle crée une
obligation de résultats dans l’article V lorsqu’elle impose des mesures
législatives nécessaires pour l’application de la Convention. Mais le pre-

mier engagement fait problème dans la mesure où l’existence de certains
des faits qui sont énoncés à l’article II crée une obligation de faire. De
même, une tentative de qualification des faits au regard de cet article est
délicate à mettre en Œuvre dans la mesure où elle comporte une appré-
ciation subjective et péjorative sur le comportement de l’Etat à qui sont

attribués les faits alors que la problématique du génocide s’inscrit dans
un cadre de coopération multilatérale. La tentation est en effet grande de
valider, sans discernement, les présupposés ethniques de la base de cons-
titution d’un Etat. Une conséquence en droit s’impose: les Etats ne
peuvent dès lors s’abstenir de rechercher des renseignements et des infor-

mations de nature à éclairer leur décision lorsque sont en cause de tels
faits. Cette conclusion est incontournable pour des raisons pratiques.
L’engagement de l’Etat partie est sanctionné par la responsabilité
conventionnelle en ce sens que chaque Etat a dû prévoir à quoi il

s’engageait ainsi que les conséquences juridiques qu’il devrait assumer en
cas de défaillance. Il ne faut pas permettre que ces prévisions puissent être
déjouées par une qualification subjective et artificielle de tiers par rapport
aux faits visés au même article II, alors que tous les Etats contractants
font partie d’un même ensemble conventionnel.

6. Pour ces raisons, il faut cependant accepter en toute humilité les dif-
ficultés rencontrées par le juge pour contrôler la réalité de la menace ou
du risque de génocide lorsqu’il s’agit d’appréciation. Mais, toujours est-il
que cette appréciation relève de la compétence de chaque Etat partie.
Par-delà le rappel de l’obligation de droit international général qui pro-

hibe l’immixtion dans les affaires intérieures d’un Etat, l’évaluation des
risques de génocide, dans le contentieux devant la Cour internationale de
Justice, relève essentiellement de l’appréciation qui ressort de l’action
diplomatique de plus en plus concertée. C’est dans ce sens que s’ins-

crivent les prescriptions de l’article VIII et la démarche diplomatique
comme illustration du contenu de l’obligation de prévention. Un
contrôle judiciaire de la qualification des faits risque d’amener le juge à
substituer son analyse à celle des autorités des Etats responsables des
relations internationales.

(Signé) Raymond R ANJEVA .

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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE RANJEVA

O BLIGATION DE PRÉVENTION

Obligation de prévention — Obligation erga omnes fondée sur la solidarité
internationale — Obligation permanente de vigilance et de coopération pesant
sur tous les Etats parties — Responsabilité internationale des Etats pour omis-
sion — Action diplomatique concertée.

1. En droit, la responsabilité internationale pour omission est admise
pour la sauvegarde d’intérêts fondamentaux de la communauté interna-
tionale. La stipulation de l’obligation de prévention s’inscrit dans une
approche des relations juridiques internationales fondée sur la solidarité
internationale, voire mondiale. Cette dimension offre alors à l’interpréta-

tion des relations juridiques une nouvelle dimension des relations juri-
diques internationales. Au paragraphe 430, l’arrêt décrit le contenu de
l’obligation de prévention en termes d’obligation de moyen et non de
résultat au sens propre dans la mesure où aucune garantie de succès ne
peut être assurée. Si l’Etat partie a le pouvoir discrétionnaire d’agir dans

le sens qu’il estime le plus opportun, la question se pose de savoir si
celui-ci est libre d’agir ou de ne pas agir face à l’obligation de prévention
que prescrit la convention de 1948 contrairement aux règles du droit
international général classique. Exceptionnellement, un Etat partie est
tenu d’agir et, dans ce cas, une inertie ou une indifférence constitue une

violation de l’obligation de prévention du génocide. Le silence de la
Convention sur les conditions qu’elle fixe pour l’exécution de cette obli-
gation confère à l’Etat partie la compétence pour apprécier de manière
discrétionnaire les conséquences qu’il entend tirer des faits constitutifs du
différend. Mais la question est de savoir si l’abstention peut être une

option licite au regard du droit conventionnel en question.
2. La convention de 1948 crée à la charge des Etats parties l’obligation
de prévenir le crime de génocide (cf. arrêt, par. 166). Une telle stipulation
conventionnelle a représenté, en son temps, une mise à jour des prescrip-
tions du droit international positif aux exigences de la morale universelle.
Le caractère universel de la vocation juridictionnelle justifiait ce rappel:

la conscience universelle a été interpellée directement par les problèmes
de violations de la convention de 1948 alors que la plupart des grands
acteurs de la vie internationale étaient présents sur le champ de la catas-
trophe. Par ailleurs, une dimension de l’obligation semble avoir été
oubliée: le caractère permanent de cette obligation à la différence de celle

de punir; la vigilance, exercée avec discernement, doit être constante avec
un degré plus intense d’intérêt sinon de curiosité en période de crises poli-
tiques ou humanitaires. La Cour devait rappeler, dans le cadre de la pré-

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SEPARATE OPINION OF JUDGE RANJEVA

[Translation]

T HE D UTY TO P REVENT

Duty to prevent — Erga omnes obligation based on international solidarity
— Enduring duty of vigilance and co-operation applying to all States parties —
International responsibility of States for omission — Concerted diplomatic

action.

1. In law, international responsibility for omission is recognized in
order to safeguard the fundamental interests of the international commu-

nity. Stipulating the obligation to prevent is part of an approach to inter-
national legal relations based on international or even global solidarity.
This approach thus adds a new international legal relations dimension to
the interpretation of legal relations. In paragraph 430, the Judgment
describes the content of the obligation to prevent as one of means and

not one of result as such, inasmuch as there is no guarantee of success. If
the State party has the discretionary power to act as it deems most appro-
priate, the question is whether it is free to act or not to act as regards the
duty to prevent laid down by the 1948 Convention, as opposed to the
rules of general international law. Exceptionally, the State party is obliged

to act and, in this case, passivity or indifference constitutes a breach of
the obligation to prevent genocide. The silence of the Convention on the
conditions for fulfilling that obligation confers on the State party the
power to draw whatever conclusions it sees fit from the facts constituting
the dispute. Yet the question is whether the failure to act can be regarded

as a legitimate option under the treaty law concerned.

2. The 1948 Convention makes it an obligation on States parties to

prevent the crime of genocide (see Judgment, para. 166). At the time, that
stipulation in the Convention updated the requirements of positive inter-
national law in line with the requirements of universal morality and was
justified by the universal nature of the jurisdictional mission: the univer-
sal conscience was directly challenged by the problems of breaches of the

1948 Convention at a time when most of the major players in world
affairs were present at the scene of the catastrophe. Further, one aspect
of that obligation appears to have been overlooked: the enduring nature
of this duty, unlike that of the duty to punish; vigilance, exercised with
discernment, must be constant, with a greater degree of interest if not of

curiosity required during political or humanitarian crises. The Court had
to point out, in the present case, that the duty to prevent applies to all the

237277 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND .RANJEVA )

sente affaire, que l’obligation de prévention pèse sur tous les Etats parties

à la Convention. Cependant, le contenu de cette obligation doit être
interprété in concreto en fonction de la situation particulière de chaque
intéressé. La restriction de l’examen de la Cour aux obligations juridiques
des seuls Etats parties à la présente instance ne saurait être interprétée
comme une relativisation ou une extranéisation de l’obligation de préve-

nir le crime de génocide qu’a contractée la communauté internationale.
3. Le rappel des travaux préparatoires à l’adoption de la convention
de 1948 (arrêt, par. 164) montre que les participants ont plus porté leur
intérêt sur l’obligation de punir que sur celle de prévenir le crime de géno-
cide. Les circonstances historiques et politiques qui ont immédiatement

précédé et suivi la seconde guerre mondiale expliquent cette information.
Au regard de l’économie générale des instruments internationaux de
l’immédiat après-guerre, l’obligation de prévenir relevait essentiellement
de la déclaration des droits et des devoirs de l’Etat (A/RES/177 et

A/RES/178 (II)). Le présent arrêt met un terme aux éventuelles querelles
plus idéologiques que juridiques: l’obligation de prévenir relève de l’ordre
normatif de droit positif (arrêt, par. 165). Le principe affirmé, la concré-
tisation de son contenu n’en est pas pour autant aisée. L’embarras qui
empreint la description au paragraphe 430 de l’arrêt illustre les difficultés

rencontrées lorsqu’il s’agit d’en fixer les contours.
4. L’arrêt examine les manquements à l’obligation de prévenir le crime
de génocide par rapport à la «due diligence» en termes de comporte-
ments et d’actes imputables à un Etat en particulier; mutatis mutandis,la
Cour a adopté une analyse des manquements allégués en termes analy-

tiques de comportement individuel. Dans une perspective de responsabilité
conventionnelle dans les relations bilatérales, une telle démarche se justi-
fie aisément. A l’analyse, on est amené à se demander si cette approche
est suffisante pour couvrir l’ensemble des relations d’obligations dans la
convention de 1948 lorsqu’il s’agit de vigilance dans une perspective mul-

tilatérale et de surcroît face au crime international absolu qu’est le géno-
cide. Pour satisfaire à la solidarité internationale qui est à la base de
l’obligation de prévenir le génocide, il est difficile de considérer le rayon-
nement du lien conventionnel de cet instrument comme une juxtaposition
de relations bilatérales entre les Etats parties; la Convention manquerait

son but si elle ne donnait pas naissance à un groupement auquel ferait
défaut l’unité conceptuelle en matière normative. Ainsi, peut être expli-
quée la qualification des obligations consacrées par la présente Conven-
tion comme des obligations erga omnes valables «même en dehors de
tout lien conventionnel» (Réserves à la convention pour la prévention et

la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951 ,
p. 23). La force obligatoire de l’obligation découle non pas de l’engage-
ment particulier de l’Etat, mais de la valeur que le droit attribue à cette
obligation.
5. La convention de 1948 marque, sans aucun doute, un progrès du

droit dans une double direction. En premier lieu, elle stipule l’engage-
ment de prévenir le crime de génocide lorsqu’elle précise le cadre de l’ac-

238 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP. RANJEVA ) 277

States parties to the Convention. However, the content of this obligation

must in reality be interpreted according to the particular situation of each
State concerned. The Court’s restriction of its analysis to the legal obli-
gations of the Parties in the current proceedings alone cannot be inter-
preted as in some way qualifying or rendering extraneous the duty to
prevent the crime of genocide contracted by the international community

as a whole.
3. The account of the preparatory work for the 1948 Convention
(Judgment, para. 164) shows that the attention of those involved was
focused more on the obligation to punish the crime of genocide than on
that to prevent it. This is explained by the historical and political circum-

stances obtaining immediately before and after the Second World War.
In the general framework of international instruments in the immediate
post-war period, the duty to prevent was essentially covered by the dec-
laration of the rights and duties of States (A/RES/177 and A/RES/178

(II)). The present Judgment puts an end to any disputes of an ideological
rather than a legal nature: the duty to prevent falls within the rules of
positive law (Judgment, para. 165). Having asserted that principle, estab-
lishing its content is nonetheless no easy matter. The awkwardness of the
description in paragraph 430 of the Judgment shows the difficulty of

charting the features of this obligation.
4. The Judgment examines the failures in the duty to prevent the crime
of genocide in terms of “due diligence” as regards the conduct and acts
attributable to one State in particular; mutatis mutandis, the Court has
analysed the alleged failures by studying individual conduct. From the

standpoint of treaty responsibility in bilateral relations, a method of this
kind is easily justified. On reflection, it might be queried whether such an
approach is adequate to cover the whole range of duty relations under
the 1948 Convention with respect to vigilance in a multilateral setting
and, moreover, when dealing with the supreme international crime of

genocide. If the international solidarity which underlies the duty to pre-
vent genocide is to be ensured, it is hard to see the conventional obliga-
tion of this instrument as a series of bilateral relations between the States
parties; the Convention would fail to meet its objective if it gave rise to a
group which lacked a common understanding of the rules to be applied.

This may explain why the duties established by the Convention have been
characterized as erga omnes obligations “even without any conventional
obligation” (Reservations to the Convention on the Prevention and Pun-
ishment of the Crime of Genocide, Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1951 ,
p. 23). The binding nature of the obligation does not arise from the indi-

vidual commitment of the State, but from the value attributed to that
duty by the law.

5. The 1948 Convention undoubtedly represents a legal advance in

two respects. First, it specifies an undertaking to prevent the crime of
genocide, establishing the scope of States’ discretionary powers through

238278 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND .RANJEVA )

tion discrétionnaire de l’Etat en donnant à l’article II la qualification
juridique des faits constitutifs de génocide. En second lieu, elle crée une
obligation de résultats dans l’article V lorsqu’elle impose des mesures
législatives nécessaires pour l’application de la Convention. Mais le pre-

mier engagement fait problème dans la mesure où l’existence de certains
des faits qui sont énoncés à l’article II crée une obligation de faire. De
même, une tentative de qualification des faits au regard de cet article est
délicate à mettre en Œuvre dans la mesure où elle comporte une appré-
ciation subjective et péjorative sur le comportement de l’Etat à qui sont

attribués les faits alors que la problématique du génocide s’inscrit dans
un cadre de coopération multilatérale. La tentation est en effet grande de
valider, sans discernement, les présupposés ethniques de la base de cons-
titution d’un Etat. Une conséquence en droit s’impose: les Etats ne
peuvent dès lors s’abstenir de rechercher des renseignements et des infor-

mations de nature à éclairer leur décision lorsque sont en cause de tels
faits. Cette conclusion est incontournable pour des raisons pratiques.
L’engagement de l’Etat partie est sanctionné par la responsabilité
conventionnelle en ce sens que chaque Etat a dû prévoir à quoi il

s’engageait ainsi que les conséquences juridiques qu’il devrait assumer en
cas de défaillance. Il ne faut pas permettre que ces prévisions puissent être
déjouées par une qualification subjective et artificielle de tiers par rapport
aux faits visés au même article II, alors que tous les Etats contractants
font partie d’un même ensemble conventionnel.

6. Pour ces raisons, il faut cependant accepter en toute humilité les dif-
ficultés rencontrées par le juge pour contrôler la réalité de la menace ou
du risque de génocide lorsqu’il s’agit d’appréciation. Mais, toujours est-il
que cette appréciation relève de la compétence de chaque Etat partie.
Par-delà le rappel de l’obligation de droit international général qui pro-

hibe l’immixtion dans les affaires intérieures d’un Etat, l’évaluation des
risques de génocide, dans le contentieux devant la Cour internationale de
Justice, relève essentiellement de l’appréciation qui ressort de l’action
diplomatique de plus en plus concertée. C’est dans ce sens que s’ins-

crivent les prescriptions de l’article VIII et la démarche diplomatique
comme illustration du contenu de l’obligation de prévention. Un
contrôle judiciaire de la qualification des faits risque d’amener le juge à
substituer son analyse à celle des autorités des Etats responsables des
relations internationales.

(Signé) Raymond R ANJEVA .

239 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP .RANJEVA ) 278

the legal definition in Article II of acts that constitute genocide. Secondly,
it creates an obligation of result in Article V, where it prescribes the legis-
lation necessary to give effect to the Convention. But the initial under-

taking raises difficulties in that the existence of certain acts set out in
Article II creates a duty to take action. Likewise, seeking to categorize
acts as those referred to in Article II is a delicate task to perform, since it
involves a subjective and pejorative appraisal of the conduct of the State
to which the acts are attributed, when the issue of genocide is a matter for

multilateral co-operation. There is a great temptation to endorse, without
discernment, the ethnic presuppositions that form the basis for consti-
tuting a State. In law, one consequence is clear: States may no longer
neglect to gather data and information to account for their decisions

where such acts are in issue. For practical reasons, this conclusion is
inescapable. The undertaking of a State party is sanctioned by its
treaty responsibility, in the sense that each State has had to anticipate the
extent of its commitment and also the legal consequences that it would

have to face in the event of default. We must not allow these expecta-
tions to be undermined by subjective and artificial categorization by
third parties of the acts referred to in Article II, when all the Contracting
Parties are subject to the same terms of the Convention.

6. For these reasons, however, one must humbly acknowledge the dif-
ficulties encountered by judges in gauging the reality of the threat or risk

of genocide when an assessment is required. But the fact remains that
such an assessment lies within the competence of each State party. Apart
from recalling the obligation under general international law not to inter-
fere in the internal affairs of States, the evaluation of the risks of geno-
cide, in disputes before the International Court of Justice, essentially

derives from the assessment produced by increasingly concerted diplo-
matic action. That is the purpose of the provisions of Article VIII and the
diplomatic approach, thus illustrating the content of the duty to prevent.
Judicial monitoring of the categorization of the acts entails the risk that

judges may be led to substitute their analysis for that of the State authori-
ties responsible for international relations.

(Signed) Raymond R ANJEVA .

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