Opinion dissidente de M. Franck, juge ad hoc (traduction)

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102-20021217-JUD-01-02-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE FRANCK

[Traduction]

La convention de1891aprocédé à l'attributionde la souverainetéterritoriale
entre les Parties - PulauLigitan et PulauSipadannettement situéesau suddela
ligned'attribution4"10'définie par cette convention - Présomptionselon laquelle
la ligne4"10'visait à couvrirtous lespoints de lazone représentantune sourcede
conflitpotentiel entre les Parties - Nécessité d'adopteurne interprétationlarge

des accordsdefrontière et d'attribution - Rôle dujuge ad hoc - Les troisprin-
cipalesquestionsquiseposent en l'espèce - Adhésion à l'arrêt de la Cour lorsque
celle-ci rejette l'argumentde la Malaisie fondésur la ((chaînede successiondu
titre» - Difficultéd'évaluerlepoids respectif deseffectivitésinvoquéespar les
Parties -- Les effectivitésétaient minimeset, dans la plupartdes cas, n'étaient
pas exercées à titre de souverain- Les effectivitésne l'emportentpas sur le titre

conventionnel établp iar la convention de1891 - Les effectivitésnées aprè1 s969,
la date critique, sont irrecevablescomme preuves du titre - Le texte de la
convention de 1891 n'établiptas que l'article IV (la ligne 4"lO') s'applique à
Pulau Ligitan et PulauSipadan - L'articleIV n'apas un «sens ordinaire))clai-
rement exprimé,pour reprendreles termes de l'article31 de la convention de
Viennesur ledroit des traités - ((A traversSibbitik))peut être interprété comme

signifiant aussi bien «à travers et au-delà» qu'(ta travers mais sans aller plus
loin))- L'article 31 de la convention deViennerenvoie la Cour à l'«objet» et au
«but» d'un traitépour éclairer un texte ambigu - L'«objet» et le ((but))des
Parties étaientde mettre un terme à diversesincertitudeset d'aboutir à une solu-
tion définitive- La carte jointe aumémorandumexplicatif des Pays-Bas et les
observationsdu ministrenéerlandaisvanDedem constituentdes preuvesaddition-

nelles de cel objet et dece but - L'«objet» et le«but» de la Grande-Bretagne,
à savoir inclure dansle champ d'applicationde la conventionles territoires situés
au sud de la ligne 4"10', ressortent également d'unprocès-verbal du Foreign
Office et sont confirmés par l'absence de réaction à la communicationde la carte
des Pays-Baspar leministrebritannique à La Haye, sir Horace Rumbold - Le
bon sens confirme que lesParties n'ontpu avoir l'intentiond'exclurede minus-

culesîlots du champde la convention dedélimitationde 1891 - Le confirmeéga-
lement lefait que, dans les annéessoixante, les Parties aientaccordé, à l'est de
Sebatik, des concessionspour la prospection pétrolièrse'arrêtan3 t 0" de chaque
côtéde la ligne 4"IO' - La Cour devrait confirmerlesprécédents dans lesquels
ellea estiméque devait être considér comeme uneprésomptionréfragablel'affir-
mation selon laquelleunelignede délimitationdevrait si possibleêtre interprétée

de sorte que l'applicationintégraledesesdispositionsconduise àla créationd'une
frontière précise, complèteet définitive.

1. La convention de 1891 entre la Grande-Bretagne et les Pays-Bas
aurait dù constituer le facteur déterminant en l'affaire. Elle a établi une
ligne partant de Broershoek, sur la côte orientale de Bornéo,et se pour-suivant en direction de l'est le long du parallèle 4" 10'de latitude nord.
Pulau Ligitan et Pulau Sipadan se trouvent manifestement au sud de
cette ligne, du côtéindonésien.
2. En dehors de cela, peu de choses sont claires. Le dossier de cette
affaire abonde en ambiguïtés. Cen'est la faute de personne :tel est le des-
tin de l'histoire dans les lieux obscurs. Pulau Ligitan et Pulau Sipadan
n'étaientpas - du moins il y a peu - de ces lieux qui font l'histoire.
3. Pour surmonter cette difficultéliéeaux circonstances de l'espèce, la

Cour n'étaitpourtant pas contrainte d'émettre desconjectures sur des
fragments d'effectivitésalors qu'elle aurait pu, .au lieu de cela, recourià
des présomptions de droit bien établies applicables à l'interprétation du
texte et du contexte de la convention de 1891.Plus précisément, lorsque
leséléments de preuve produits étaient douteuxou imprécis-ce qui était
fréquemmentle cas -, la Cour aurait pu appliquer le droit de la preuve
pour éclaircirnon seulement les questions qui sont au centre de cette
affaire, mais égalementpour dégager,au bénéfice des Parties à la présente
instance et de celles aux instances futures, les principes applicables grâce
auxquels le droit jette la lumièresur ce qui est ambigu à l'Œilnu.

4. Une présomption de droit s'appuie sur le sens commun pour pro-
céder à une déduction rationnelle du connu à l'inconnu. De telles déduc-
tions se cristallisent en des principes ou maximes bien connus, comme le
principe retsipsa loquitur.Une présomption réfragablepeut êtreinfirmée
par des preuves contraires, ou par l'application d'une présomption de
preuve plus forte, telle que le principe de la responsabilité objective. En
un sens, une présomption réfragablereporte donc la charge de la preuve
sur la partie qui tente de réfuter la déductionqui en est tirée.
5. En quoi cela concerne-t-il le différendsur deux minuscules îles au
large de Bornéo?J'estime que, lorsque deux Etats puissants, dont l'his-

toire a étémarquée à la fois par des conflits et par la coopération, négo-
cient une convention délimitant une longue frontière commune dans une
régionlointaine de leurs colonies, la Cour devrait présumer que cette
frontière a pour objet de couvrir tous les points de la zone représentant
une source potentielle de conflit.
6. Au lieu de cela, la Cour s'est fondée sur uneinterprétation étroite
d'effectivitésqui (ainsi qu'elle-même le reconnaît) sont pétriesd'ambiguï-
tés. Je suisen désaccord avecl'arrêtnon pas parce que je pense que des
juges raisonnables n'auraient pu statuer comme l'a fait cette Cour, mais
parce qu'une juridiction visionnaireaurait dû saisir l'occasion qui lui était
présentéeici de clarifier le droit procéduralde la preuve - c'est-à-dire ce

qui a trait aux présomptions - applicable à l'interprétation des traités
dont l'objet est de résoudre des conflitsde territoire et de souveraineté.
Une présomptions'imposeiciclairement: lorsqu'un traitédéfinit uneligne
frontière ou un principe d'attribution de territoire, il devrait, en l'absence
de la preuve d'une intention contraire, être interprétéaussi largement que
nécessairepour résoudretout conflit de souveraineté.Comme je tenterai
de le démontrer dans la huitième partie ci-après, une telleprésomption
s'accorde aussi bien avecle bon sens qu'avec lapratique judiciaire. 7. En l'espèce, la ligne définiepar la convention de 1891 entre la
Grande-Bretagne et les Pays-Bas àl'extrémitéorientale de l'objet de l'ac-
cord (la ligne" 10')aurait dû,à défautdepreuve du contraire,êtreprésu-
mées'appliquer de manière générale à l'ensemble de la zone de contiguïté
des territoiresdes Partieà l'estde Sebatik. Autrement dit, la charge de la
preuve aurait dû peser sur ceux qui tentaient de réfuter la présomption
selon laquelle l'accord était à la fois exhaustif et définitif. Un traité
comme celui-ci, neutralisant une aussi vaste zone de conflit potentiel,
occupe une place à part: il a pour objet de transformer une zone de
conflit en une zone de paix. Son but n'exige pas seulement du respect
mais de la générosité. Il ne doit pas êtreinterprété de façon étroiteet

pointilleuse, comme s'ils'agissait d'un contrat de vente de céréales.
8. Certes, la présente affaireconcerne de trèspetites îles. Pourtant, le
caractère limitéde l'objet du différendne signifiepas pour autant que ce
dernier ne constitue pas pour la Cour une bonne occasion de préciser des
points de droit importants. Les questions juridiques soulevéesen l'espèce
se sont déjàposéeset se poseront encore dans d'autres contextes, plus
denses. La décision de la Cour n'explicite malheureusement pas les
normes applicables. Indépendamment de la question de savoir quelle est
la partie qui emporte l'affaire, c'estl'ordre juridique international qui est
perdant lorsque la Cour manque, dans l'ensemble, d'examinerles points
de droit soulevéspar une affaire, se contentant au lieu de cela de trancher
des élémentsde fait mineurs à partir d'élémentsde preuve ambigus, et

n'explicitant que peu d'aspects susceptiblesd'enrichir le corpusjuris.

9. Avant d'approfondir ces questions, il me semble conforme àl'inté-
rêtque je porte au développementdu corpusjuris de me prononcer sur le
rôle qui, selon moi, devrait êtrecelui du juged hoc. Ce sujet a rarement
étéabordé par les personnes nommées à cette fonction particulière,à
l'exception du juge ad hoc Lauterpacht, dans l'opinion individuelle qu'ila
rendue dans le cadre de la procédure d'indication de mesures conserva-

toires en l'affaire relatiàel'Application de la convention pour lapréven-
tion et la répressiondu crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. You-
goslavie), mesures conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993
(C.I.J. Recueil 1993, p. 408-409,par. 4-6); voir également l'opinion dis-
sidente du jugead hoc Palmer, àl'occasion de la Demande d'examen de la
situationtzu titre du paragraphe 63 de l'arrêtrendu par la Cour le
20 décembre1974 dans l'affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande
c. France). ordonnancedu22 septembre 1995 (C.I.J. Recueil 1995, p. 420-
421, par. 118). Je souscris entièremenà la précieuse analysede M. Lau-
terpacht, dont il ressort essentiellementque lejuge ad hoc, conformément
àla déclaration solennelleque lui impose l'article 20 du Statut, doit exer-
cer ses fonctions en pleine impartialité et en toute conscience, tout en

étant: ((spécialementtenu de veilleràce que, danstoute la mesure possible,
chacun des arguments pertinents de la partie qui l'a désignéait été
pleinement pris en considération au cours de I'examen collégialet
soit, en fin de compte, reflét- à défaut d'être accepté - dans sa
propre opinion individuelle ou dissidente))Application de la conven-
tionpour laprévention etla répressiondu crime de génocide(Bosnie-
Herzégovine c. Yougoslavie), mesures conservatoires, ordonnance
du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 409, par. 6).

Comme l'a indiquéle juge ad hoc Nicolas Valticos, le juge ad hoc n'est

pas un siniple représentant de I'Etat qui l'a désigné.On relèveen parti-
culier que l'un d'entre eux, le juge ad hoc Suzanne Bastid, a même
adopté, au fond, une position contraire à celle de I'Etat qui l'avait nom-
mée(voir Nicolas Valticos, ((L'évolutionde la notion de juge ad hoc»,
Revue hellénique de droitirzternational(RHDI), vol. 50, 1997,p. 11-12;
et Hubert Thierry, «Au sujet du juge ad hoc», Liber Amicorum «In
Memoriam)) of Judge JoséMaria Ruda, 2000, p. 285).
10. Le cŒur du problème est le suivant: le juge ad hoc doit à tout
moment veiller à ce que l'argumentation de I'Etat qui l'a désigné soit plei-
nement examinéepar la Cour, qu'elleconvainque ou non la majoritédes
juges. Entre mars 1948 (Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie))
et juillet 2002 (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinéec. Répu-

blique dénzocratiquedu Congo)), des juges ad hoc ont siégédevant cette
Cour dans quarante-cinq affaires et cinquante-trois phases d'affaires.
Parmi eux, vingt-neuf ont rédigé desopinions dissidentes, ce qui corres-
pond à peu près au nombre de juges ad hoc désignés par les parties per-
dantes. Cela ne met pas pour autant en cause l'intégritédu statut de juge
ad hoc, mais démontreau contraire que, lorsqu'un Etat perd une affaire,
le juge ad hoc qu'il a désignése voit d'autant plus dans l'obligation de
veillerà ce que l'arrêtde la Cour rende compte, de façon exacte et
exhaustive, de I'examenattentif que celle-cia pu faire de I'argumentation
de 1'Etat perdant. La rédaction de l'opinion dissidente atteste de la
richesse de la procédure de délibérationcollégialeappliquéepar la Cour.
11. L'opinion dissidente a donc de multiples fonctions. Elle montre à

la partie perdante que son argumentation, loin d'avoir éténégligéea , été
abondamment étudiéepar l'ensemblede la Cour. Elle contribue, lors de la
délibération,à un échange raisonné et équilibré de trsavaux de recherche
et des observations écritesentre lesjuges. Elle peut mêmeproposer aux
milieuxjuridiques des principes de droit et des nuances d'analyse qui, s'ils
ne sont pas retenus dans l'affaire en question, pourraient l'êtredans un
autre contexte, encore imprévu.
12. Lejuge ad hoc, comme tout autre juge auteur d'une opinion indi-
viduelle, a droità une libertéabsolue. Pour que celle-ci soit préservée,il
faut qu'ellesoit utilisée.Comme lejuge ad hoc Bula-Bula l'aexpliqué,«la
liberté semblecaractériserla pratique judiciaire [desjuges ad hoc]))(Man-
dat d'arrêtdu 11 avril 2000 (Républiquedémocratiquedu Congo c. Bel-gigue), arrêt,C.I.J. Recueil2002, p. 100,par. 2, opinion individuelle du
juge ad hoc Bula-Bula). Cette liberté consiste biensûr tout simplemenà
écrirece que l'on veut: êtrele seul auteur de l'opinion, libre du besoin
que peut parfois avoir une majoritéde trouver un terrain d'entente par le
biais de compromis et d'une ambiguïtécréatrice.

3. LES PRINCIPAUX POINTS LITIGIEUX

13. Que l'arrêtde la Cour apporte des réponses ambiguës à certaines
des questions posées en l'affaire esttout aussi manifeste que cela était
sans doute inévitablecompte tenu du manque relatif de faits clairs et
déterminants.
14. Les trois principaux points en litige tels qu'ils ressortent des écri-
tures et de l'arrêt rendupar la Cour sont les suivants:

1) la convention de 1891 doit-elle êtrelue comme prolongeant vers le
large la ligne «frontière»4"10'de manière à procéder à l'attribution
des îles situéàsl'est de la côte orientale de Sebatik?
2) existerait-il au contraire une ((chaînede succession du titre» en vertu

de laquelle la souveraineté surPulau Ligitan et Pulauipadan aurait
appartenu au sultan de Sulu, qui l'aurait transmise à l'Espagne,
laquelle l'aurait transmise aux Etats-Unis, qui l'auraient transmise
la Grande-Bretagne, laquelle l'aurait enfin transmàsla Malaisie? et
3) en admettant que les réponsesaux questions 1)et 2) soient négatives,
le statut indéterminé quiaurait dèslors été ceies deux îlesen litige
(terra nullius) pourrait-il êtreconsidérécomme régléen faveur de
l'une ou l'autre Partie de par une prépondéranced'effectivités?

4. ANALYS EES RÉPONSES APPORTÉES PAR LA COUR

15. La Cour répond aux questions1)et 2) par la négative:elledéclare
que la convention de 1891n'est pas applicable à Pulau Ligitan et Pulau
Sipadan, et ne relèvepas de «chaîne de successiondu titre» déterminante
qui conduirait à une souverainetéde la Malaisie sur ces îles. La Cour se
fonde par conséquentsur le poids respectif des effectivités invoquésar
les Parties pour conclure que cellesde la Grande-Bretagne et de la Malai-

sie sont supérieuresà celles de l'Indonésie.
16. J'exposerai dans la section suivante les raisons pour lesquellesje
suis en désaccordavec la réponsedonnéepar la Cour àla question no 1.
Je souscris en revanche pleinementà la réponsequ'elleapporte à la ques-
tion no 2. Pour les raisons précisémenitndiquéesdans l'avis de la majo-
rité,je rejette la théorie dela Malaisie fondéesur la «chaîne de succession
du titre» au motif qu'elle n'estpas étayéepar les faits invoqués à son
appui. Il est inutile de reprendre ici les conclusions de la Cour sur ce
point, auxquelles je souscris totalement. 17. Il me paraît difficile- et même, à dire vrai, superfiu - de
répondre catégoriquement à la question no 3. Je ne suis pas d'accord
- mais je ne suis pas non plus en total désaccord - avec la façon dont
la Cour pèse les effectivitésinvoquées par l'Indonésie et la Malaisie à
l'appui de leurs prétentions respectives au titre. Opposer, d'une part
(pour la Grande-Bretagne ou la Malaisie), l'administration occasion-
nelle du ramassage des Œufs de tortue et d'un refuge pour oiseaux (ces
actes d'administration n'étant apparemment pas exercés in situ) ainsi
que la mise en place de quelques feux de navigation a, d'autre part
(pour l'Indonésie), des patrouilles aériennes et navales et des mesures
visant à combattre la piraterie, revient pour moi à tenter de comparer
précisémentle poids d'une poignée de plumes au poids d'une poignée

d'herbe: cela peut être faitmais pas de façon très convaincante. La
Cour n'a pas établi d'échellecohérente qui permettrait d'évaluer et de
comparer les effectivités invoquées en l'espèce; mais elle n'avait pas
non plus lieu de le faire, étant donné la nature éphémèrede celles-ci.
Toutefois, le raisonnement n'est guère convaincant qui consiste à pri-
vilégierun tout petit nombre d'activitésexercéespar une partie tout en
rejetant celles de la partie adverse sans s'être efford'établir des prin-
cipes neutres destinés à évaluer le poids respectif des effectivités
alléguées.
18. Le problème du poids respectif des effectivités se trouve encore
aggravépar la brièvetéde la périodeau cours de laquelle celles-cipeuvent
êtredûment invoquées. Il n'a pas été prouvdevant cette Cour que, avant

1930,la Grande-Bretagne pensait détenirun titre sur Ligitan ou Sipadan.
Quels que soient les actes administratifs mineurs accomplis avant cette
date par la British North Borneo Company, celle-ci n'a jamais affirmé
qu'ils l'avaient été titre de souverain. Comme l'a indiquélejuge Huber
dans l'affaire de l'Ile de Palmas, la démonstration des effectivitésdoit
consister «dans l'exercice réeldes activitésétatiques,tel qu'il appartient à
la seule souveraineté territoriale)) (arbitrage relatià 1711ede Palmas
(Pays-BaslEtats-Unis d'Amérique), sentence du 4 avril 1928, Nations
Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. II, p. 839 (traduction fran-
çaise: Ch. Rousseau, Revuegénérale dedroit internationalpublic, t. XLII,
1935,p. 164)).Pour pouvoir êtrequalifiéesd'effectivitésl,es activitésdoi-
vent relever non pas d'une politique de bon voisinage ou d'une ingérence

gratuite, mais de l'exercice de la souverainetéterritoriale. Dans l'affaire
de l'Ile de KasikililSedudu (BotswanalNamibie), la Cour n'a pas consi-
déré commeconstituant une occupation à titre de souverain les activités
agricoles despêcheurs(arrêt, C.I.J. Recueil 1999,vol. II, p. 1095,par. 75);
le même principe s'appliqueaux ramassages d'Œufs de tortue. De la
mêmemanière, la construction par la Malaisie de phares sur Ligitan et
Sipadan peut ou non constituer en elle-mêmeune occupation à titre de
souverain, sans qu'il y ait lieu de se référer la convention de 1891. Il
reste que, selon la sentence arbitrale rendue le 9 octobre 1998 entre
I'Erythrée et le Yémen: ((assurer le fonctionnement ou l'entretien de
phares et d'aidesà la navigation est normalement liéà la sécuritéde la na-vigation et n'est normalement pas considérécommeun critèrede souverai-
neté)) (sentence renduepar le tribunal arbitral dans lapremière étapdee la
procédure(souverainetéterritoriale et champ dudiffërend), 9 octobre 1998,

p. 91, par. 328; voir, dans le mêmesens, Minquiers et Ecréhous,arrêt,
C.I.J. Recueil 1953, p. 70-71).
19. Cela est particulièrement vrai lorsque, comme c'est le cas en
l'espèce, leterritoire fait l'objet de revendications de souveraineté concur-
rentes fondées sur un titre conventionnel, contre lequel de simples effec-
tivitésne se sont vu reconnaître qu'une faible valeur probante (Différend
frontalier terrestre, insulaire et maritime (El SalvadorlHonduras; Nica-
ragua (intervenant)), arrêt, C.IJ.. Recueil 1992, p. 472, par. 181 ; ibid.,
p. 516, par. 266). Comme la Cour l'aprécisél,à «où le territoire objet du
différend est administréeffectivement par un Etat autre que celui qui
possède le titre juridique, il y a lieu de préférerle titulaire du titre))
(Différend frontalier (Burkina FasolRépublique du Mali), arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 587, par. 63). En outre, «les actes ..courants et
d'un caractère administratif, accomplis par des fonctionnaires locaux ...))

ont été,dans l'affaire relative à la Souverainetésur certaines parcelles
frontalières (BelgiquelPays-Bas), considérésinsuffisants pour ((dépla-
cer la souveraineté belge établie par cette convention)) (arrêt,
C.I.J. Recueil 1959, p. 229). Les effectivitéssont des épéesde carton
lorsqu'elles sont brandies contre un titre conventionnel. En l'espèce, c'est
le titre découlant de la convention de 1891que l'Indonésie revendiquait.
Par conséquent, les effectivités mineures invoquées au nom de la
Grande-Bretagne et de la Malaisie n'auraient pu avoir d'effet persuasif
que s'ilétaitapparu que la convention de 1891n'avait pas réglé laques-
tion du titre sur Ligitan etSipadan, ce qui à mon sens n'était pasle cas
(voir ci-après).
20. De surcroît, en 1969,les possibilitésouvertes a l'exercicede nou-
velles effectivitésont pris fin. Par leur accord de statu quo (décritpar
l'agent de l'Indonésie dans le CR 2002127, p. 16-17, par. 13-18), les

Parties ont effectivement fixéla date critique au-delà de laquelle de nou-
veaux actes ou faits ne pourraient êtreinvoqués à l'appui de la thèsede
l'une ou l'autre Partie. La preuve de nouvelleseffectivités, commela créa-
tion d'un centre de plongée sous-marine, est irrecevable comme preuve
du titre malaisien.
21. Sij'étais prê t comparer le poids de la poignée d'effectivités avé-
réesde la Malaisie à celui des effectivitésde l'Indonésie,il serait conce-
vable que je me range a l'avis de la majorité.Mais même enadmettant,
pour lesbesoins de l'argumentation, queje partage l'avisde la Cour selon
lequel quelques Œufsde tortue et quelques feux de navigation ont effec-
tivement plus de poids que le voyage du HNLMS Lynx, cela ne me ferait
pas pour autant changer d'avis. J'estime qu'il s'agit la d'actes symbo-
liques, dépourvusde valeur juridique. Pour que les effectivitésjouent un
quelconque rôle, elles doivent être nonseulement accomplies a titre de

souverain, mais aussi sur une terra nullius ou, tout au moins, sur un ter-
ritoire dont le titre n'a pas été définitivemena tttribué. La Malaisie etl'Indonésieont toutes deux soutenu qu'à l'époquedes faits ni Ligitan ni
Sipadan n'étaientterra nullius - et tel est égalementmon avis. J'en vien-
drai maintenant au seul instrument juridique solide qui ait été présenté à
la Cour: la convention du 20 juin 1891 entre la Grande-Bretagne et les
Pays-Bas. Interprété correctement,cet instrument l'emporte sur n'importe
quelle revendication fondéesur des effectivités.

22. Si la convention de 1891entre la Grande-Bretagne et les Pays-Bas
étaitapplicable à hlau Ligitan et Pulau Sipadan, ellejouerait alors un
rôle déterminant en l'espèce.Mais est-ce le cas? Cette convention définit,
à son article IV, une ligne commençant sur la côte orientale de Bornéo à
une latitude de 4" 10' et se poursuivant vers l'est «à travers l'île de
Sebittik..». La question au cŒurdu litige est celle de savoir si les termes
par lesquels l'article IV attribue le territoire situéau nord de cette ligàe

la British North Borneo Company et «la partie situéeau sud du paral-
lèle ...aux Pays-Bas)) doivent êtreinterprétés commesignifiant que la
ligne devait s'arrêtera hauteur de la côte orientale de «Sebittik», ou plu-
tôt comme signifiant que celle-ci devait se continuer - et poursuivre sa
fonction attributive - vers l'est. Dans le premier cas, la convention de
1891ne concernerait donc en rienle titre sur Ligitan et Sipadan, ce quijus-
tifierait que la Cour reporte son attention sur des effectivitésultérieures.
Dans le second cas, en revanche, la convention attribuerait Ligitan et
Sipadan aux Pays-Bas, ce qui rendrait inutile de se reporter à des effec-
tivités ultérieuresa moins qu'il ne soit prouvé que les Pays-Bas avaient

abandonné leur titre.
23. Que dit alors (si tant est qu'elle en dise quelque chose) la conven-
tion de 1891au sujet des deux îlesen litige?Rien. Mais la Cour ne devrait
pas s'arrêter là dans sa recherche du sens de la convention. Plus précisé-
ment, quel élémentdu droit procédural pourrait aider la Cour dans sa
tâche d'interprétation de la convention de 1891 ?
24. La convention de Vienne sur le droit des traités constitue le pre-
mier élémentsur lequel doit s'appuyer la Cour pour rechercher les prin-
cipesjuridiques applicables. Son article 31 pose pour principe que le texte
d'un traité doit être interprété suivant son «sensordinaire)) et a la

lumièrede l'«objet» et du «but» dudit traité.La Cour reconnaît, comme
les Parties, qu'elle doit suivre ces deux principes du droit procédural, qui
imposent de rechercher le «sens ordinaire)) des termes ainsi que l'aobjet )>
et le «but» générauxde la convention selon son contexte.

25. La Cour doit donc en premier lieu donner aux termes de l'ar-
ticle IV leur «sens ordinaire)). L'expression clef est ic«à travers l'île deSebittik)). Si la Malaisie a effectivement insistésur le fait que ces mots
devaient êtrelus comme sous-entendant lestermes «sans aller plus loin)),
l'Indonésiea pour sapart soutenu que l'expressionpouvait êtreinterpré-
téecomme sous-entendant la précision«et au-delà)). Malheureusement,
aucune des Parties n'a pu démontrerque le sens ordinaire de «à travers
I'îledeSebittikn sous-entendait nécessairementl'une ou l'autre précision.
Tout simplement, selon l'usageordinaire, le terme «à travers)) peut aussi
bien signifier«à travers et au-delà))que «à travers sans aller plus loin)).
Il n'y a pas un sens «ordinaire» unique, il y en a plusieurs, aussi valables

les uns que les autres. Quelle que soit la façon dont on les examine, ilse
permettent pas de résoudre l'énigmede I'applicabilitéde l'article IV à
Ligitan et Sipadan.

26. Ce qui précèdene saurait pour autant signer la fin de nos efforts
tendant àdégagerle senset l'intention de la convention. L'article 31de la
convention de Vienne appelle également à une interprétation des traités

conformément a leur «objet» et à leur «but>).La décisionde la commis-
sion frontalière érythréo-éthiopiennreelative à la Délimitationde lafron-
tière entre I'Erythréeet la République fédérald eémocratiqued'Ethiopie
du 13avril 2002 va dans ce sens (par. 3.4),et montre que, au moment où
elle a été rendue,les dispositions clefs de la convention de Vienne fai-
saient déjàpartie du droit coutumier applicable en matière d'interpréta-
tion des traités.
27. Si le texte de la convention ne permet pas de faire aisémentressor-
tir un «sens ordinaire)), il permet en revanche d'en identifierassez facile-
ment l'«objet » et le «but)).Le préambule de laconvention de 1891entre
les Pays-Bas et la Grande-Bretagne énonçait en effet son but, a savoir

«définirles frontières entre les possessions des Pays-Bas sur I'îlede Bor-
néo etles Etats de cette île qui sont sous protection britannique)), d'où le
fait que les parties aient «résolu de conclure une convention à cet
effet ..a cesfins)).L'histoire des négociationsqui aboutirent àla conven-
tion montre encore plus clairement l'étenduede ce but. Les parties vou-
laient réglerune fois pour toutes les problèmes qui pourraient se poser
entre deux puissances coloniales voisines.Auraient-elles pu, alors, délibé-
rément laisserde côtédeux îlots situés50 milles environ à l'est- ou
même, d'ailleurs,d'autres parcelles de leurs possessions sur Bornéo -,
ouvrant la voie a de futures contestations, sans tenir compte du fait que
cela risquait de remettre en question le caractèredéfinitif- de toute évi-

dence recherché - du règlement?Car c'était bien à une solution défini-
tive qu'aspiraient les parties: c'étaitlà l'objet et le but de leur accord. La
présomption selon laquelle l'intention desparties était de trouver une
solution définitivejouant un rôle central dans la décisionrendue par la
Cour en l'affaire du Temple de PréahVihéar(Cambodge c. Thaïlande),
lorsqu'elle jugea que le règlement de frontière entre la France et la PULAU LIGITAN ET PULAU SIPADAN (OP.DISS.FRANCK) 700

Thaïlande de 1904 à 1908devait êtreinterprété commevisant à (cabou-
tirà une solution certaine et définitive))dans une région où de «très
longues frontières))avaient été«la source d'incertitudes, de troubles et de
frictions)) entraînant un état de «tension croissante)) Vond, arrêt,
C.Z.J. Recueil 1962, p. 34). Pourquoi la Cour n'a-t-elle pas présuméque
la convention de 1891avait le même objet etle mêmebut?
28. Selon la Malaisie, en se déclarant ((désireusesde définirles fron-
tièresentre les possessions des Pays-Bas sur l'îlede Bornéoet les Etats de
cette île qui sont sous protection britannique» (mémoirede la Malaisie,
vol. 1, p. 89, par. 8.7), les parties n'avaient 'd'autre intention que de

conclure «un traité de frontière terrestre)) (ibid., par. 8.8) qui, selon les
termes de l'article1 de la convention de 1891, définirait seulement«la
frontière entre les possessions des Pays-Bas à Bornéo etcelles des Etats
decette île sousprotection britannique)) (ibid.). Pour la Malaisie, l'emploi
des termes «à Bornéo))dans le traité conditionne l'ensemble de cet ins-
trument qui ne concerne dèslors que les possessions néerlandaiseset bri-
tanniques sur cette île immense - à l'exceptionde Sebatik, expressément
visée à l'article I- et sur elle seule.

29. L'Indonésiesoutient au contraire que les parties, en rédigeant la

convention de 1891, étaient ((motivéespar la volontéde mettre fin une
fois pour toutes a leurs problèmes territoriaux dans la région))(réplique
de l'Indonésie, vol.1, p. 16, par. 1.24 c)), ce qui explique le choix de la
ligne 4" IO',partant de Broershoek et «se continu[ant] vers I'estle long du
mêmeparallèle))(art. IV). L'Indonésie affirmeque cette ligne, «en pas-
sant au nord de Sipadan et Ligitan, prouve que [,selon les parties, le titre
sur les deux îles]appart[enait] aux Pays-Bas (aujourd'hui a l'Indonésie)»
(réplique del'Indonésie, vol.1, p. 16, par. 1.24).
30. D'autres preuves viennent étayerl'argument de l'Indonésie,notam-
ment un procès-verbaldu Foreign Officeproposant une ligne de compro-

mis qui, bien qu'étantsituéele long du parallèle 4", et par conséquentau
sud de la ligne 4" IO',se trouveàI'estdu méridien118"44'30", nettement
à I'est de Sipadan (mais pas de Ligitan); les Britanniques, tout au long
des négociations, avaientdonc également àl'esprit une ligned'attribution
s'étendant à des territoires situésau large àtl'estde Sebatik (répliquede
l'Indonésie, vol.1, p. 21, par. 1.31; et p. 22, carte 1).
31. De la carte jointe au mémorandum explicatif par lequel le Gouver-
nement néerlandais demanda à son Parlement (les Etats-généraux)de
ratifier la convention de 1891conformément à la Constitution néerlan-
daise età l'articleVI11de ladite convention, il ressort que les Néerlandais
avaient certainement à l'esprit une ligne se prolongeant vers l'est au-delà

de Sebatik. Cette carte (mémoirede l'Indonésie, vol. 1p, . 88,carte no 5.2)
représente la ligne4"10'convenue comme se prolongeant bien au-delà de
Sebatik, quoique en deçà de Ligitan et de Sipadan. Nous verrons plus
loin si, compte tenu du fait que le Gouvernement britannique avait
connaissance de la carte et ne la contestait pas, il peut être soutenu que
celui-ci avait acceptéle prolongement de la ligne 4" 10'.Qu'il suffisepourl'instant de noter que, selon cette carte, le Gouvernement néerlandais

estimait que la ligne 4" 10'devait se prolonger plus à l'est que la côte
orientale de Sebatik; autrement dit que, pour les Pays-Bas, l'expression
«à travers Sebbitik)) de l'article IV de la convention signifiait «à travers J
et au-delà)) plutôt que «à travers sans aller plus loin)).
32. En outre, le Gouvernement britannique n'ignorait pas le point de
vue du Gouvernement néerlandais.Les Parties reconnaissant toutes deux
que le mémorandum explicatif du Gouvernement néerlandais et la carte
qui y était jointe furent publiéset étaient disponibleset que, par I'inter-
médiairede sir'~orace Rumbold, le ministre britannique à La Haye, la
carte, qu'il qualifia de «seul élémentintéressant))du mémorandum, fut
communiquéeau Gouvernement britannique. Elless'accordent aussiquant
au fait que la carte fut dûment enregistrée,sans objection ni commentaire.

Selon moi, cela démontre pour le moins que le Gouvernement britan-
nique, tout comme le Gouvernement néerlandais,ne pensait pas que la ligne
4" 10'établiepar la convention de 1891prenait fin sur la côte orientale de
Sebatik. En outre, le Gouvernement britannique, suivant de près les
débatsau Parlement néerlandais,aurait trèsbien pu entendre (ou lire) la
déclaration publique faite devant la première Chambre par le ministre
néerlandaisdes colonies, M. van Dedem, dans laquelle celui-ci expliquait
que le traitéétaitdestiné aprévenir des conflitset à régulariserles rela-
tions «tant a Bornéomêmeque sur les petites îles voisines)) (mémoirede
l'Indonésie, vol.1,p. 94, par. 5.61; ibid., note 102).Cela ne pouvait guère
surprendre, au vu du contexte. En effet, n'aurait-ce pas été beaucoupplus
étonnant que M. van Dedem expliqueque la convention avait pour objet
de prévenir les conflitsà Bornéomaispas dans lespetites îles voisines?

33. Ces éléments révèlent quels étaient l'objet le etbut des parties
lorsqu'elles concluentla conventionde 1891.Lefait que la convention men-
tionne dans son uréambulel'«îlede Bornéo))ne constitue uas..se,on moi.
une démonstrationa contrarioqu'un traité visant«Bornéo» doive exclure
ces minuscules îles situéesa une courte distance (57,6 milles s'agissant de
Ligitan, qui est l'îlela plus éloignée deseux) a l'estde Sebatik. Est-il cré-
dible de penserque, si lesparties avaientpu imaginer en 1891que Ligitanet
Sipadan constitueraient peut-êtreun jour I'objet de controverses,elles au-
raient néanmoinsdélibérémen cthoiside ne traiter que plus tard cessources <
potentielles de problèmes?Se seraient-ellesdit l'uneà l'autre:((Voyonsqui
luttera avec le plus d'efficacitécontre la piraterie dans ces îles, ou qui y

administrera au mieux le ramassage des Œufsde tortue?)) Est-il réaliste de
soutenir que, pour que puisse être écartée unie nterprétation étroitedes
parties- àsavoir leur intention de définirleur frontière commune«à Bor-
néo» telle qu'elle est expriméedans le préambule de la convention de
1891 -, celles-ciauraient dû, au lieude cela, écrire«a Bornéo, Ligitan et
Sipadan))? Est-il mêmeréaliste de soutenirque les parties auraient dû au
moins faire expressément mention,a l'article IV, de ces minusculesîles en
sus d'une ile beaucoup grande et beaucoup plus importante d'un point de
vue stratégique, Sebatik, risquant d'entraîner ainsiun effet inclusiounisest
exclusio alteriusà l'égard des autresrécifset îlots non mentionnés? 34. D'aucuns ont pu soutenir que l'intention des Parties, ainsi que
l'objet et le but de la convention de 1891, peut être déduitede la façon
dont elles ont par la suite traitéLigitan etpadan. Les éléments nesont
pourtant guèrenombreux qui pourraient étayer cette thèse.La commis-

sion de délimitation de 1912 commença son travail de démarcation en
direction de l'ouestà partir de la côte orientale de Sebatik: c'est ce que
montre la carte jointe àl'accord de 1915. Mais peut-on encore conclure
de celle-ci'?Le but de la démarcation était defixer plus précisémentla
frontière terrestre entre les possessions néerlandaiseset britanniques.l
n'yavait à l'estde Sebatik aucune frontièreterrestrà démarquer,puisque
la ligne 4" 10'ne traversait donc pas de territoire. Ligitan et Sipadan se
trouvaient au sud de ce parallèle,qui ne les traversait pas. En tout état de
cause, puisque la convention de 1891n'avait pas pour objet l'attribution
d'une souveraineté surles eaux adjacentes à l'estde Sebatik, et puisque le
parallèle4" 10'ne poursuit ni n'avait besoin d'êtredémarqué(cette ligne
tracéesur les eaux étantparfaitement virtuelle), le fait que l'accord et la

carte de 1915n'aient pasplus tenu compte de cette zone ne prouve rien.
35. La pratique des Parties en matière d'attribution de concessions
d'exploration pétrolière est plusparlante au regard du sens qu'elles attri-
buent à la convention de 1891. 11 est manifeste ici que, dans les
années soixante, tant la Malaisie que l'Indonésiepensaient que la ligne
4" 10' seprolongeait en mer bien à l'est de Sebatik, car les deux Etats
octroyèrent des concessions offshore en respectant précisément une limite
située à 30" en deçà de la ligne 4" 10'. Aucune autre raison n'ayant
été avancée pour expliquer cette circonstance; la coïncidence est haute-
ment révélatrice. LaCour a eu l'occasion d'affirmer que, si les conces-
sions pétrolières ne sauraient modifier des délimitations antérieures,

((l'existenced'un accord exprès ou tacite entre les parties sur'emplace-
ment de leurs concessions pétrolières respectivepeut indiquer un consen-
sus sur lesespaces maritimes auxquels ellesont droit»(Frontièreterrestre
et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Cui-
née équatoriale (intervenant)), arrêt, C.Z.J. Recueil 2002, p. 448,
par. 304). En l'espèce,le comportement des Parties pourrait bien confir-
mer l'identitéde leur position quant à la valeur de la ligne 4" 10'dans la
zone située à l'est de Sebatik, position qui ne permettrait pàsla Malai-
sie de revendiquer les deux îles en litige. La Cour, dans l'affaire du-
teau continental (TunisielJamahiriya arabe libyenne), avait attribué à
des concessions compatibles octroyées par les parties la mêmevaleur,
c'est-à-dire celle de preuve d'un accord de facto entre elles (arrêt,

C.Z.J. Recueil1982, p. 84, par. 117). Une telle déductionaurait fort bien
pu trouver échodans la présente décision.

8. LA PRESOMPTION DIJ CARACTERE DÉFINITIF ET COMPLET DES FRONTIÈRES
ÉTABLIES

36. Malgrétout, ni les termes de la convention de 1891ni les minces
preuves dece qu'avaientpu êtrel'objetet le but des parties en concluant la PULAU LIGITAN ET PULAU SIPADAN (OP.DISS.FRANCK) 703

convention ne permettent de déterminer aveccertitude si la ligne 4"10'
était, ou n'étaitpas, considérée commedevant se poursuivre aussi loin à
I'est de Sebatik que Ligitan et Sipadan. Ce qui semble assez clair, c'est
que les Pays-Bas signèrent l'accord enayant à l'esprit que la ligne 4" 10'
se prolongeait à I'est de Sebatik et que, bienà la veille des négociations
qui aboutirent à la convention, les Britanniques pensaient égalementque
la ligne retenue en direction de I'est pouvait se prolongeràI'est de Bor-
néo au-delà de Sebatik.
37. Toutefois, nous ne savons pas jusqu'où à l'est lesparties pensaient
que la ligne s'étendait. Une explication probable au fait qu'aucune des

deux parties n'ait fixéde point terminal à la ligne 4" 10' pourrait être
qu'elles ne savaient sans doute pas exactement où cette ligne commence-
raità empiétersur les titres de l'Espagne (ou de Sulu). Si la souveraineté
néerlandaise s'étendait indubitablement plusieurs centaines de milles au
sud de n'importe quelle limite orientale donnée,l'étenduedes possessions
britanniques au nord d'un tel point terminal aurait été, en1891, loin
d'êtreclaire.Il a donc pu sembler prudent alors de ne pas fixer le point
terminal, à l'est, de la ligne 4" IO',puisque la longueur de celle-ci ne pou-
vait véritablement mettre en cause la juridiction britannique ou néerlan-
daise, mais aurait étésusceptible, en revanche, de préoccuper inutilement

l'Espagne (ou Sulu). Certes, il s'agit égalementde simples suppositions.
Une fois de plus, la seule chose dont nous soyons certains est que les
Pays-Bas pensaient que la convention de 1891avait défini une ligne4" 10'
qui se prolongeait à l'est de Sebatik, et que les Britanniques, tout en
ayant connaissance de cela, n'émirentaucune objection.
38. Compte tenu de ces nombreuses incertitudes, deux voies diver-
gentes s'offraient en gros la Cour. Celle-cipouvait soit réglerla question
en comparant le poids respectif des quelques vraies effectivités invoquées
par chaque Partie, soit énoncer une présomption juridique qui aurait
servià lever les doutes nésde l'examen des termes, du but et du contexte
de la convention de 1891.Elle a privilégiéla première solution. En ce qui

me concerne,j'aurais préféré la seconde.
39. Dans la voie qu'elle a choisie, la Cour s'est largement fondéesur
l'importance respective des preuves matérielles d'effectivités invoquées
par chacune des Parties. Je ne peux que répéterque, pour moi, cette
démarchen'est pas convaincante :elle revienà comparer le poids d'une
poignéede plumes à celui d'une poignée d'herbe.En outre, la recevabilité
de ces effectivitésen tant que preuves est subordonnéeà I'absence de tout
titre juridique conventionnel. Telle est la conclusion laquelle est parve-
nue la Chambre de la Cour en l'affaire du Diffërend frontalier (Burkina
FasolRépubliquedu Mali) (arrêt, C. I.J. Recueil 1986, p. 586-587,par. 63).
Les effectivités et c'est le cas en la présente espè-e ne sauraient être

invoquéesque lorsque est présuméeI'absence de tout titre juridique.
40. Si la convention de 1891a effectivement conféré un titre juridique
à l'une des Parties, les effectivitésne peuvent l'emporter sur ce titre,à
moins qu'ilne soit démontréque celui-ci a étéabandonné (Souveraineté
sur certaines parcelles frontalières (BelgiquelPays-Bas), arrêt, C.I.J.Recueil 1959, p. 227-230).Mais la convention de 1891établit-elle bienun
tel titre? Nous avons déjàrelevé lesambiguïtésdu texte. Voici, selon moi,
ce qui a étédémontré:le traitédéfinissait une ligne, lesNéerlandais pen-

saient que celle-ci se prolongeaità I'est de l'île de Sebatik, et les Britan-
niques ne contestèrent pas cette interprétation. Tout le reste n'est que
supposition.
41. Cette ligne se prolongeait-elle assezà I'est- au moins jusqu'à la
longitude 119' est - pour attribuer aux Pays-Bas le titre sur deux minus-
cules îles situéesjuste au sud de la latitude 4" IO'? Les ambiguïtés ne
peuvent êtrelevéesen se raccrochant désespérémena t des faits encore
plus ténus. La carte de 1915pourrait tout autant prouver quelque chose
qu'elle pourrait ne rien prouver, étant donné le mandat restreint de la
commission qui l'établit.D'autres «faits» peuvent égalementdonner lieu
à des interprétations divergentes. Au lieu de s'appuyer sur ces faits, la
Cour aurait pu - et, selon moi, aurait dû - s'appuyer sur le principe
d'interprétation ou de procédure du droit de la preuve constituépar la

présomption énoncéepour la première foispar la Cour permanente de
Justice internationale dans son avis consultatif de 1925 relatif à l'Inter-
prétation de I'articIe3, paragraphe 2, du traité deLausanne:
«Il est naturel que tout article destinéà fixer une frontière soit, si
possible, interprété detelle sorte que, par son application intégrale,

une frontière précise, complèteet définitive soitobtenue.)) (C.P.J.I.
sérieR no 12, 1925, p. 20.)

Comme nous l'avons relevé,l'article IV de la convention de 1891 était
((destiné à fixer une frontière» (ibid.) La convention peut certainement
être «interprété[e]de telle sorte que, par son application intégrale, une

frontière précise, complèteet définitivesoit obtenue)) (ibid.), non seule-
ment sur Bornéo et Sebatik, mais aussi dans les espaces adjacents suscep-
tibles de donner lieu à contestations. Pourquoi, alors, avoir négligéune
telle interprétation? La Cour aurait dû retenir cette présomptionpositive
selon laquelle, en l'absence de solides preuves du contraire, un traité
conclu entre deux Etats en vue de mettre fin à leurs différendsterritoriaux
et de prévenirtout litige doit êtrelu de la façon la mieux àmêmed'assu-
rer la réalisation de l'objectif présumé,qui est d'éviterque ne surgisse
entre eux un quelconque différendde cette nature.
42. Dans son opinion individuelle en l'affaire du Diffërend territorial
(Jamahiriya arabe IibyennelTchad), lejuge Shahabuddeeen estima que le
traité de délimitation coloniale en cause devait «êtreinterprét[é]de telle

manière qu'il fournisse une définitionexhaustive des frontières)) (arrêt,
C.I.J. Recueil 1994, p. 44), sauf ((raisons impérativesd'effet contraire »
(ibid.) Le juge Shahabuddeeen releva àjuste titre que ce principe déduc-
tif ne pouvait s'appliquer aux «cas dans lesquels leszones contiguës sont
si vastes qu'il est à la fois pratique et raisonnable pour les parties de
convenir d'une frontière pour un secteur donné uniquement)) (ibid.,
p. 49). La «zone contiguë))de Ligitan et Sipadan n'est toutefois manifes-tement pas «si vaste))qu'ilaurait été((pratique et raisonnable)) qu'ellefit
l'objet d'un accord spécialen 1891. Le traitéaurait par conséquent dû
êtreinterprété commedéfinissant I'intégralitd ée la frontière.
43. En l'espèce,la Cour aurait pu se fonder sur les précédents consti-
tuéspar les affaires du Traitéde Lausanne et du Temple de PréahVihéar

pour confirmer la présomption juridique du caractèredéfinitifdes fron-
tièresfixéespar un traité; autrement dit, lorsqu'un traité a pour but de
définir unefrontière, il devrait,ans la mesure dupossible, êtreinterprété
comme ayant eu cet effet sur I'intégralité detserritoires des parties qui se
rencontrent, à moins que n'existent des preuvesconvaincantes que cer-
taines zones n'étaientpas viséespar l'attribution. La charge de prouver
l'intention de créerune telle exception devrait toutefois peser sur la partie
qui l'invoque.
44. Lesprésomptionssont des éléments nécessaire et bien établistant
dans la common Iawquedans lessystèmesde droit romain; ellesfont par-
tie intégrantedu droit international public. Elles traduisent l'expérience
de personnes partout dans le monde qui utilisent la déductioncomme un
outil essentiel d'une penséeet d'une action rationnelles. Ainsi, les pré-
somptions font souvent l'objet d'adages reconnus dans différents sys-
tèmesjuridiques (Henri Roland, Laurent Boyer, Adages du droitfrançais,

3' éd.,1992,p. 38; voir lesexemplesdonnéssous le titre ((Présomption)),
p. 1009).Comme M. Bin Cheng l'a expliqué:
«Il est légitimequ'un tribunal, sans aller jusqu'à dire de certains
faits ou de certaines situations qu'ils sont exacts, en présumel'exac-
titude, laissant la partie qui les conteste le soin de prouver qu'elle
a raison. Ces présomptionsservent de postulat au raisonnement juri-
dique.)) (Bin Cheng, GeneralPrinciples of Law as Applied by Inter-

national Courts and Tribunals, 1987,p. 304.)
((D'une façon générale,on peut dire que ce qui est normal, ordi-
naire ou hautement probable est présumé,et que tout ce qui est
contraire à cela doit être démontré parla partie qui le conteste.))
(Ibid., p. 306.)

M. Thirlway donne la même explication, encitant plusieurs cas:
«les présomptionspeuvent jouer, etjouent d'ailleurs, un rôle impor-
tant en guidant le raisonnement d'un tribunal ...dans l'opération
délicate qui consiste à établir l'intention d'un ou de plusieurs
Etatc ..Cela s'expliquepar le fait que lespreuves matérielles claires
d'une intention peuvent être trèsdifficiles à trouver, voire même,
étant donnéla nature de la situation, nepas exister.(H. W. A. Thirl-

way, ((Evidence before International Courts and Tribunals*, dans
Encyclopedia of Public International Law, vol. 2, 1995,p. 303.)
45. En l'espèce,des preuves matérielles existentqui attestent que les
Parties pensaient êtreen train de réglertous les problèmes territoriaux
liésau chevauchement de leurs revendications coloniales dans la région
de Bornéo. Même à supposer que ces preuves ne soient pas détermi- 706
PULAU LIGITANET PULAU SIPADAN (OP. DISS.FRANCK)

nantes, elles suffisent sans aucun douàeinvoquer la présomption réfra-
gable, fondéesur le bon sens et l'expériencede la diplomatie et reconnue
par plusieursjuridictions internationales, selon laquelle, lorsque des Etats
négocientune frontiéreemportant attribution ou confirmation de leurs
zones respectives de souverainetésur des territoires, il devrait êtrepré-
suméque, sauf preuve convaincante du contraire, leur intention est de
réglertoutes leurs prétentionslitigieusesexistantes et potentielles dans la
régionen question.

46. Si la Cour avait appliqué cette présomption juridiqueau différend
qui opposait l'Indonésieàla Malaisie,elleaurait conclu, commeje lefais,
que la convention de 1891 attribuait Ligitan et Sipadan aux Pays-Bas,
c'est-à-dire l'Indonésieaujourd'hui.
47. Sauf tout le respect que je doisla Cour, je ne peux souscrirà sa
décision.

(Signé) Thomas FRANCK.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE FRANCK

The 1891 Convention determined the allocation of territorial sovereignty
between the Parties - Pulau Ligitan and PulaiiSipadan clearly locatedsouth
of 4'10' allocational line therein establislled - Presumption that 4"10' line

intendedto settle al1areas of potential confIictbetween the Parties - Need to
interpretboundaryandallocation agreementsbroadly - Role of ad hoc judge -
Three principal issuesin case - Agreement rvith Court's Judgment rejecting
Malaysian "chain of title" argument - Difficulty in assessing comparative
weightof Parties'pleaded effectivités- Effectivité sereminimal and not per-
fortned, in al/ but a few instances, à titre de souverain - Effectivitésdo not
prevail agtzinst conventional title established under 1891 Convention - New
effectivitéscreated after 1969, the criticaldate, are inadmissible as evidenceof
titl- 1891 Convention'stext doesnot establishthe applicability of Article IV
(the 4'10' line) to Pulau Ligitan and Pulau Sipadan - Article IV does not
haveone clearly expressed "ordinarymeaning"withinthe terms of Article 31 of
the ViennaConventionon the Law of Treaties - "Across Sibbitik" equallycan
be construed to meati "over and beyond"or "over but no further" - Vienna
Convention inArticle 31 refers Courtto the "objectandpurpose" of a treaty as
way to clari/L ambiguous text - Parties' "objectandpurpose" was closure,to

achievecertainty andfinality - Collateralevidenceof this object andpurpose
in Dutch map attached to Explanatory Memorandumand comments of Nether-
lands Minister van Dedem - British "objectandpurpose" to includeterritories
south of 4" 10' latitude also deduciblefrom British Foreign OfJice Minute as
well as lack of reaction to transmission of Dutch map by British Minister in
The Hague, Sir Horace Rumbold - Comrnonsenseconfims Parties couldnot
have intended to exclude tiny isletsfrom 1891boundary settlement - Further
confirmedby Parties granfingoil exploralionconcessionsin 1960s east of Seba-
tik that stop 30" on either side of the 4'10' line - Court should confirm
precedents making rebuttablepresumption that a line 20 fix a frontier should,
ifpossible, be so interpreted that the result of the application of its provisions
in their eritiretyonducesto es~ablishrneno t f a precise, complete and definitive
frontier.

1. The 1891 Convention between Britain and the Netherlands should
have been determinative of this case. It established a line beginning at
Broershoek on Borneo's east Coast and continuing in an eastward direc- OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE FRANCK

[Traduction]

La convention de1891aprocédé à l'attributionde la souverainetéterritoriale
entre les Parties - PulauLigitan et PulauSipadannettement situéesau suddela
ligned'attribution4"10'définie par cette convention - Présomptionselon laquelle
la ligne4"10'visait à couvrirtous lespoints de lazone représentantune sourcede
conflitpotentiel entre les Parties - Nécessité d'adopteurne interprétationlarge

des accordsdefrontière et d'attribution - Rôle dujuge ad hoc - Les troisprin-
cipalesquestionsquiseposent en l'espèce - Adhésion à l'arrêt de la Cour lorsque
celle-ci rejette l'argumentde la Malaisie fondésur la ((chaînede successiondu
titre» - Difficultéd'évaluerlepoids respectif deseffectivitésinvoquéespar les
Parties -- Les effectivitésétaient minimeset, dans la plupartdes cas, n'étaient
pas exercées à titre de souverain- Les effectivitésne l'emportentpas sur le titre

conventionnel établp iar la convention de1891 - Les effectivitésnées aprè1 s969,
la date critique, sont irrecevablescomme preuves du titre - Le texte de la
convention de 1891 n'établiptas que l'article IV (la ligne 4"lO') s'applique à
Pulau Ligitan et PulauSipadan - L'articleIV n'apas un «sens ordinaire))clai-
rement exprimé,pour reprendreles termes de l'article31 de la convention de
Viennesur ledroit des traités - ((A traversSibbitik))peut être interprété comme

signifiant aussi bien «à travers et au-delà» qu'(ta travers mais sans aller plus
loin))- L'article 31 de la convention deViennerenvoie la Cour à l'«objet» et au
«but» d'un traitépour éclairer un texte ambigu - L'«objet» et le ((but))des
Parties étaientde mettre un terme à diversesincertitudeset d'aboutir à une solu-
tion définitive- La carte jointe aumémorandumexplicatif des Pays-Bas et les
observationsdu ministrenéerlandaisvanDedem constituentdes preuvesaddition-

nelles de cel objet et dece but - L'«objet» et le«but» de la Grande-Bretagne,
à savoir inclure dansle champ d'applicationde la conventionles territoires situés
au sud de la ligne 4"10', ressortent également d'unprocès-verbal du Foreign
Office et sont confirmés par l'absence de réaction à la communicationde la carte
des Pays-Baspar leministrebritannique à La Haye, sir Horace Rumbold - Le
bon sens confirme que lesParties n'ontpu avoir l'intentiond'exclurede minus-

culesîlots du champde la convention dedélimitationde 1891 - Le confirmeéga-
lement lefait que, dans les annéessoixante, les Parties aientaccordé, à l'est de
Sebatik, des concessionspour la prospection pétrolièrse'arrêtan3 t 0" de chaque
côtéde la ligne 4"IO' - La Cour devrait confirmerlesprécédents dans lesquels
ellea estiméque devait être considér comeme uneprésomptionréfragablel'affir-
mation selon laquelleunelignede délimitationdevrait si possibleêtre interprétée

de sorte que l'applicationintégraledesesdispositionsconduise àla créationd'une
frontière précise, complèteet définitive.

1. La convention de 1891 entre la Grande-Bretagne et les Pays-Bas
aurait dù constituer le facteur déterminant en l'affaire. Elle a établi une
ligne partant de Broershoek, sur la côte orientale de Bornéo,et se pour-tion along the 4"10'latitude. Pulau Ligitan and Pulau Sipadan clearly lie
south of this line, on the Indonesian side.

2. Beyond that, little else is clear. This case presents the Court with a
record full of ambiguities. That is no one's fault:it is the fate of history
in obscure places. Pulau Ligitanand Pulau Sipadan, at least until recently,
were not the stuff of whichhistory is made.
3. To overcome that difficulty within the case's factual record, how-
ever, the Court need not have had recourse to conjectures about
fragments of effectivi wthen it could, instead, have resorted to well-
established presumptions of law that are applicable to the interpretation
of the text and context of the 1891Convention. More precisely,when, as
frequently occurred, the evidence presented was unclear or indecisive,
the Court could have applied rules of evidence to clarify not only the
issues central to this casebut also to elucidat- for these and for future
litigants- the applicable principles by which the law shines a light on

that which is unclear to the naked eye.

4. A presumption of law draws on the common experience to make a
reasonable inference from what is known to what is unknowable. Such
inferences are crystallizedin well-known principles or legal maxims, such
as res ipsa loquA ityur.buttable presumption can be contradicted by
evidence demonstrating its opposite, or by application of a stronger evi-
dentiary presumption such as the principle of absolute liability. In a
sense, then, a rebuttable presumption shiftsthe onus of proof to the party
seeking to disprove the deduction derived from it.
5. How is this relevantto the dispute over two tiny islands off Borneo?
1 believe that when two powerful States, with a history of both conflict
and CO-operation,negotiate a convention settling a long boundary in a
distant theatre of their colonial interaction,then this Court should pre-

sume that the boundary wasmeant to cover al1the area's potential points
of conflict.

6. Instead, the Court has relied on a narrow parsing of effectivti hat s
are (by its own admission) enveloped in arnbiguity. 1dissent, not because
1think that reasonable judges could not have concluded as this Court has
done, but, rather, because a visionary judiciary should have used the
opportunity here presentedto clarify the adjectival law of evidence- the
presumptions - applicable to the interpretation of treaties intended to
resolve territorial and jurisdictional conflict.The applicable presumption
is straightforward: wherea treaty specifiesa boundary lineor principle of
territorial allocation,t should be interpreted as broadly as necessary to
resolve any conflict of jurisdiction in the absence of clear evidence of a
contrary intent. As 1willseekto demonstrate in part 8 below, such a pre-
sumption accords both with common intuition and withjudicial practice.suivant en direction de l'est le long du parallèle 4" 10'de latitude nord.
Pulau Ligitan et Pulau Sipadan se trouvent manifestement au sud de
cette ligne, du côtéindonésien.
2. En dehors de cela, peu de choses sont claires. Le dossier de cette
affaire abonde en ambiguïtés. Cen'est la faute de personne :tel est le des-
tin de l'histoire dans les lieux obscurs. Pulau Ligitan et Pulau Sipadan
n'étaientpas - du moins il y a peu - de ces lieux qui font l'histoire.
3. Pour surmonter cette difficultéliéeaux circonstances de l'espèce, la

Cour n'étaitpourtant pas contrainte d'émettre desconjectures sur des
fragments d'effectivitésalors qu'elle aurait pu, .au lieu de cela, recourià
des présomptions de droit bien établies applicables à l'interprétation du
texte et du contexte de la convention de 1891.Plus précisément, lorsque
leséléments de preuve produits étaient douteuxou imprécis-ce qui était
fréquemmentle cas -, la Cour aurait pu appliquer le droit de la preuve
pour éclaircirnon seulement les questions qui sont au centre de cette
affaire, mais égalementpour dégager,au bénéfice des Parties à la présente
instance et de celles aux instances futures, les principes applicables grâce
auxquels le droit jette la lumièresur ce qui est ambigu à l'Œilnu.

4. Une présomption de droit s'appuie sur le sens commun pour pro-
céder à une déduction rationnelle du connu à l'inconnu. De telles déduc-
tions se cristallisent en des principes ou maximes bien connus, comme le
principe retsipsa loquitur.Une présomption réfragablepeut êtreinfirmée
par des preuves contraires, ou par l'application d'une présomption de
preuve plus forte, telle que le principe de la responsabilité objective. En
un sens, une présomption réfragablereporte donc la charge de la preuve
sur la partie qui tente de réfuter la déductionqui en est tirée.
5. En quoi cela concerne-t-il le différendsur deux minuscules îles au
large de Bornéo?J'estime que, lorsque deux Etats puissants, dont l'his-

toire a étémarquée à la fois par des conflits et par la coopération, négo-
cient une convention délimitant une longue frontière commune dans une
régionlointaine de leurs colonies, la Cour devrait présumer que cette
frontière a pour objet de couvrir tous les points de la zone représentant
une source potentielle de conflit.
6. Au lieu de cela, la Cour s'est fondée sur uneinterprétation étroite
d'effectivitésqui (ainsi qu'elle-même le reconnaît) sont pétriesd'ambiguï-
tés. Je suisen désaccord avecl'arrêtnon pas parce que je pense que des
juges raisonnables n'auraient pu statuer comme l'a fait cette Cour, mais
parce qu'une juridiction visionnaireaurait dû saisir l'occasion qui lui était
présentéeici de clarifier le droit procéduralde la preuve - c'est-à-dire ce

qui a trait aux présomptions - applicable à l'interprétation des traités
dont l'objet est de résoudre des conflitsde territoire et de souveraineté.
Une présomptions'imposeiciclairement: lorsqu'un traitédéfinit uneligne
frontière ou un principe d'attribution de territoire, il devrait, en l'absence
de la preuve d'une intention contraire, être interprétéaussi largement que
nécessairepour résoudretout conflit de souveraineté.Comme je tenterai
de le démontrer dans la huitième partie ci-après, une telleprésomption
s'accorde aussi bien avecle bon sens qu'avec lapratique judiciaire.693 PULAU LlGlTAN AND PULAU SIPADAN (DISS .P. FRANCK)

7. In terms of the present case,the lineestablished by the 1891Anglo-
Dutch Convention at the eastern end of the agreement's subject-matter
(the 4" 10'line) should have been presumedto apply broadly to the entire
area of the Parties' interface east of Sebatik, subject only to prevailing
evidence to the contrary. The onus of proof, in other words, should have
been held to rest with those seeking to rebut a presumption of complete-
ness or closure. A treaty such as this one, resolvinga vast area of poten-
tial conflict,is special. It seeksto transform a zone of conflict into a zone
of peace. Its purpose requires not just deferencebut generosity. It is not

to be construed by the gimlet eye as if it were a contract for the sale of
barley.

8. Of course, thisis a case about very small islands. But, that the sub-
ject-matter of the case is small does not mean that it does not afford the
Court an auspicious occasion to clarify important law. The legal issuesin
this case are ones that have arisen in other, weightier, contexts and they
will arise again in contexts more freighted than these. The Court's deci-
sion, alas, does not elucidate the applicable normative standards. Quite
aside from which party wins a case, it is the international legal system
which loses when the Court fails broadly to address the legal issues and,
instead, focuses on deciding small questions of fact on ambiguous evi-

dence, eliciting little that can be of value to the corpusjuris.

9. Before adverting further to these matters, it seems in keeping with
this preference for developing the corpus juris that 1 express myself
regarding the appropriate role of the ad hoc judge. The subject has but
rarely been canvassed by those occupying this unusual position. An
exception is the separate opinion of Judge ad hoc Lauterpacht in the pro-

visional measures phase of the Application of the Convention on the Pre-
vention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herze-
govina v. Yugoslavia), Provisional Measures, Order of 13 September /
1993 (1.C.J. Reports 1993, pp. 408-409, paras. 4-6); see also Judge
ad hoc Palmer, in his dissenting opinion in the Request for an E.xamina-
tion of the Situation in Accordance with Paragraph 63 of the Court's
Judgment of 20 December 1974 in the Nuclear Tests (New Zealand v.
France) Case, Order of 22 September 1995 (1.C.J. Reports 1995, pp. 420- A
421, para. 118).1 subscribe entirely to Judge ad hoc Lauterpacht's useful
analysis, the gist of whichis that ad hocjudges, in accordance with their
solemn declaration under Article 20 of the Statute, are bound to exercise
their function impartially and conscientiously, while also discharging: 7. En l'espèce, la ligne définiepar la convention de 1891 entre la
Grande-Bretagne et les Pays-Bas àl'extrémitéorientale de l'objet de l'ac-
cord (la ligne" 10')aurait dû,à défautdepreuve du contraire,êtreprésu-
mées'appliquer de manière générale à l'ensemble de la zone de contiguïté
des territoiresdes Partieà l'estde Sebatik. Autrement dit, la charge de la
preuve aurait dû peser sur ceux qui tentaient de réfuter la présomption
selon laquelle l'accord était à la fois exhaustif et définitif. Un traité
comme celui-ci, neutralisant une aussi vaste zone de conflit potentiel,
occupe une place à part: il a pour objet de transformer une zone de
conflit en une zone de paix. Son but n'exige pas seulement du respect
mais de la générosité. Il ne doit pas êtreinterprété de façon étroiteet

pointilleuse, comme s'ils'agissait d'un contrat de vente de céréales.
8. Certes, la présente affaireconcerne de trèspetites îles. Pourtant, le
caractère limitéde l'objet du différendne signifiepas pour autant que ce
dernier ne constitue pas pour la Cour une bonne occasion de préciser des
points de droit importants. Les questions juridiques soulevéesen l'espèce
se sont déjàposéeset se poseront encore dans d'autres contextes, plus
denses. La décision de la Cour n'explicite malheureusement pas les
normes applicables. Indépendamment de la question de savoir quelle est
la partie qui emporte l'affaire, c'estl'ordre juridique international qui est
perdant lorsque la Cour manque, dans l'ensemble, d'examinerles points
de droit soulevéspar une affaire, se contentant au lieu de cela de trancher
des élémentsde fait mineurs à partir d'élémentsde preuve ambigus, et

n'explicitant que peu d'aspects susceptiblesd'enrichir le corpusjuris.

9. Avant d'approfondir ces questions, il me semble conforme àl'inté-
rêtque je porte au développementdu corpusjuris de me prononcer sur le
rôle qui, selon moi, devrait êtrecelui du juged hoc. Ce sujet a rarement
étéabordé par les personnes nommées à cette fonction particulière,à
l'exception du juge ad hoc Lauterpacht, dans l'opinion individuelle qu'ila
rendue dans le cadre de la procédure d'indication de mesures conserva-

toires en l'affaire relatiàel'Application de la convention pour lapréven-
tion et la répressiondu crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. You-
goslavie), mesures conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993
(C.I.J. Recueil 1993, p. 408-409,par. 4-6); voir également l'opinion dis-
sidente du jugead hoc Palmer, àl'occasion de la Demande d'examen de la
situationtzu titre du paragraphe 63 de l'arrêtrendu par la Cour le
20 décembre1974 dans l'affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande
c. France). ordonnancedu22 septembre 1995 (C.I.J. Recueil 1995, p. 420-
421, par. 118). Je souscris entièremenà la précieuse analysede M. Lau-
terpacht, dont il ressort essentiellementque lejuge ad hoc, conformément
àla déclaration solennelleque lui impose l'article 20 du Statut, doit exer-
cer ses fonctions en pleine impartialité et en toute conscience, tout en

étant:694 PULAU LIGITAN AND PULAU SIPADAN (DISSO. P.FRANCK)

"the special obligation to endeavour to ensure that, so far as is
reasonable, every relevant argument in favour of the party that has

appointed him has been fully appreciated in the course of collegial
consideration and, ultimately, is reflecte- though not necessarily
accepted - in any separate or dissenting opinion that he may write"
(Application of the Convention on the Prevention and Putiishment of
the Crime of Geriocide(Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia),
Provisional Measures, Order of 13 September 1993, 1.C.J. Reports
1993, p. 409, para. 6).

As Judge ad hoc Nicolas Valticoshas pointed out, the ad hocjudge is not
simply a representative of the appointing State.Notably, one - Judge ad
hoc Suzanne Bastid - has even disagreed on the merits with the position
of the appointing States. (SeeNicolas Valticos "L'évolution de lanotion
dejuge ad hoc", Revue helléniquede droit international (RHDI), Vol. 50,
1997, pp. 11-12; and Hubert Thierry, "Au sujet du juge ad hoc", Liber

Amicorum "In Mernoriant" of Judge JoséMaria Ruda, 2000, p. 285.)

10. Thenub of the matter is this: the ad hocjudge must always ensure
that the appointing State's arguments are fully addressed by the
Court, whether or not they convince the majority of the judges.
Between March 1948 (Corfu Channel (United Kingdom v. Albania))
and July 2002(Ahmadou Sadio Diallo (Republic of Guinea v.Denzocratic
Republic of the Cotigo)) there have been ad hoc judges in 45 cases and
53 phases of cases before this Court.Of these, 29 have written dissenting
opinions, corresponding quite closely to the number of ad hoc judges
appointed by losing parties. That, however, does not argue against the
integrity of the institution of hocjudges. Rather, it demonstrates that,
when a State is the losingparty, the ad hocjudge it appointed has an even
greater obligation to ensure that the Court's judgment accurately and
fully reflects the careful consideration given by the Court to the losing

State's representations. The drafting of the dissent attests to the richness
of the Court's collegialdeliberative process.

II. The function of the dissent, therefore, is multiple. It assures the
losing party that its arguments, far from being overlooked, were con-
sidered extensively by the entire Court. It facilitates the reasoned and
balanced exchange of research and written views among the judges
during the deliberative process. And, perhaps, it presents to the law's
universal market place of ideas certain principles of law and nuances of
analysis which, even if not adopted in the instant case, may be of use in
another, as yet unforeseen, context.
12. The adhocjudge, likeany other judge authoring a separate opinion,
is accorded a sacred freedom. To be preserved, it must be used. As
Judge ad hoc Bula-Bula has written, the ad hoc's "traditional practice
would seem to be characterized by its freedom" (Arrest Warrant of

II April'2000 (Democratic Republic of the Congo v. Belgium), Judg- ((spécialementtenu de veilleràce que, danstoute la mesure possible,
chacun des arguments pertinents de la partie qui l'a désignéait été
pleinement pris en considération au cours de I'examen collégialet
soit, en fin de compte, reflét- à défaut d'être accepté - dans sa
propre opinion individuelle ou dissidente))Application de la conven-
tionpour laprévention etla répressiondu crime de génocide(Bosnie-
Herzégovine c. Yougoslavie), mesures conservatoires, ordonnance
du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 409, par. 6).

Comme l'a indiquéle juge ad hoc Nicolas Valticos, le juge ad hoc n'est

pas un siniple représentant de I'Etat qui l'a désigné.On relèveen parti-
culier que l'un d'entre eux, le juge ad hoc Suzanne Bastid, a même
adopté, au fond, une position contraire à celle de I'Etat qui l'avait nom-
mée(voir Nicolas Valticos, ((L'évolutionde la notion de juge ad hoc»,
Revue hellénique de droitirzternational(RHDI), vol. 50, 1997,p. 11-12;
et Hubert Thierry, «Au sujet du juge ad hoc», Liber Amicorum «In
Memoriam)) of Judge JoséMaria Ruda, 2000, p. 285).
10. Le cŒur du problème est le suivant: le juge ad hoc doit à tout
moment veiller à ce que l'argumentation de I'Etat qui l'a désigné soit plei-
nement examinéepar la Cour, qu'elleconvainque ou non la majoritédes
juges. Entre mars 1948 (Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie))
et juillet 2002 (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinéec. Répu-

blique dénzocratiquedu Congo)), des juges ad hoc ont siégédevant cette
Cour dans quarante-cinq affaires et cinquante-trois phases d'affaires.
Parmi eux, vingt-neuf ont rédigé desopinions dissidentes, ce qui corres-
pond à peu près au nombre de juges ad hoc désignés par les parties per-
dantes. Cela ne met pas pour autant en cause l'intégritédu statut de juge
ad hoc, mais démontreau contraire que, lorsqu'un Etat perd une affaire,
le juge ad hoc qu'il a désignése voit d'autant plus dans l'obligation de
veillerà ce que l'arrêtde la Cour rende compte, de façon exacte et
exhaustive, de I'examenattentif que celle-cia pu faire de I'argumentation
de 1'Etat perdant. La rédaction de l'opinion dissidente atteste de la
richesse de la procédure de délibérationcollégialeappliquéepar la Cour.
11. L'opinion dissidente a donc de multiples fonctions. Elle montre à

la partie perdante que son argumentation, loin d'avoir éténégligéea , été
abondamment étudiéepar l'ensemblede la Cour. Elle contribue, lors de la
délibération,à un échange raisonné et équilibré de trsavaux de recherche
et des observations écritesentre lesjuges. Elle peut mêmeproposer aux
milieuxjuridiques des principes de droit et des nuances d'analyse qui, s'ils
ne sont pas retenus dans l'affaire en question, pourraient l'êtredans un
autre contexte, encore imprévu.
12. Lejuge ad hoc, comme tout autre juge auteur d'une opinion indi-
viduelle, a droità une libertéabsolue. Pour que celle-ci soit préservée,il
faut qu'ellesoit utilisée.Comme lejuge ad hoc Bula-Bula l'aexpliqué,«la
liberté semblecaractériserla pratique judiciaire [desjuges ad hoc]))(Man-
dat d'arrêtdu 11 avril 2000 (Républiquedémocratiquedu Congo c. Bel-695 PULAU LIGITAN AND PULAU SIPADAN (DISSO.P.FRANCK)

ment, i.C J.Reporr2 s002, p. 100,para. 2, separate opinion of Judge ad
hoc Bula-Bula). That freedom, of course, quite simply, is to write as one
wills: to be the sole author ofan opinion, unencumbered by a majority's
need, sometimes, to find common ground through compromise and cre-
ative ambiguity.

13. That the Court's Judgment leavesambiguous the answers to some
questions raised in this case is as apparent as that this may have been
inevitable given the relative paucity of unambiguous controlling facts.

14. In my reading of the pleadings and the Court's Judgment it emerges
that there are three principal points of contention:

(1) whether the 1891 Convention should be read to extend the 4"10'
"boundary" line to allocate islands east of the east Coast of Sebatik;

(2) whether, on the contrary, a "chain of title" exists which establishes
sovereignty to Pulau Ligitan and Pulau Sipadan, successively, in the
Sultan of Sulu who transferred it to Spain, which transferred it to
the United States, which transferred it to Great Britain, which,
ultimately, transferredt to Malaysia; and
(3) whether, if the answers to (1) and (2) are both in the negative, the
two disputed islands' resultant, unresolved statuserrnaullius c)n

be said to have been resolved in favour of either Party by reason of a
preponderance of effectivi exercisedby one or the other.

15. The Court answers both questions No. 1 and No. 2 in the nega-
tive: the 1891Convention is held not to be applicable to Pulau Ligitan
and Pulau Sipadan, and the Court finds no controlling "chain of title"

leading to Malaysian sovereignty over the islands.It therefore relies on a
relative weighing of theffectivi oftse Parties to conclude that those
of Britain and Malaysia are superior to those of Indonesia.

16. 1willleave to the next section my grounds for disagreeing with the
Court's response to question No.1.1 find myselffully in agreement with
the Court in its response to question No. For reasons set out precisely
in the majority's opinion, 1 reject Malaysia's "chain of title" theory as
unsupported by the events cited as demonstrative of it. Itunnecessary
for me to restate the Court's conclusions in this regard, with which 1
wholly concur.gigue), arrêt,C.I.J. Recueil2002, p. 100,par. 2, opinion individuelle du
juge ad hoc Bula-Bula). Cette liberté consiste biensûr tout simplemenà
écrirece que l'on veut: êtrele seul auteur de l'opinion, libre du besoin
que peut parfois avoir une majoritéde trouver un terrain d'entente par le
biais de compromis et d'une ambiguïtécréatrice.

3. LES PRINCIPAUX POINTS LITIGIEUX

13. Que l'arrêtde la Cour apporte des réponses ambiguës à certaines
des questions posées en l'affaire esttout aussi manifeste que cela était
sans doute inévitablecompte tenu du manque relatif de faits clairs et
déterminants.
14. Les trois principaux points en litige tels qu'ils ressortent des écri-
tures et de l'arrêt rendupar la Cour sont les suivants:

1) la convention de 1891 doit-elle êtrelue comme prolongeant vers le
large la ligne «frontière»4"10'de manière à procéder à l'attribution
des îles situéàsl'est de la côte orientale de Sebatik?
2) existerait-il au contraire une ((chaînede succession du titre» en vertu

de laquelle la souveraineté surPulau Ligitan et Pulauipadan aurait
appartenu au sultan de Sulu, qui l'aurait transmise à l'Espagne,
laquelle l'aurait transmise aux Etats-Unis, qui l'auraient transmise
la Grande-Bretagne, laquelle l'aurait enfin transmàsla Malaisie? et
3) en admettant que les réponsesaux questions 1)et 2) soient négatives,
le statut indéterminé quiaurait dèslors été ceies deux îlesen litige
(terra nullius) pourrait-il êtreconsidérécomme régléen faveur de
l'une ou l'autre Partie de par une prépondéranced'effectivités?

4. ANALYS EES RÉPONSES APPORTÉES PAR LA COUR

15. La Cour répond aux questions1)et 2) par la négative:elledéclare
que la convention de 1891n'est pas applicable à Pulau Ligitan et Pulau
Sipadan, et ne relèvepas de «chaîne de successiondu titre» déterminante
qui conduirait à une souverainetéde la Malaisie sur ces îles. La Cour se
fonde par conséquentsur le poids respectif des effectivités invoquésar
les Parties pour conclure que cellesde la Grande-Bretagne et de la Malai-

sie sont supérieuresà celles de l'Indonésie.
16. J'exposerai dans la section suivante les raisons pour lesquellesje
suis en désaccordavec la réponsedonnéepar la Cour àla question no 1.
Je souscris en revanche pleinementà la réponsequ'elleapporte à la ques-
tion no 2. Pour les raisons précisémenitndiquéesdans l'avis de la majo-
rité,je rejette la théorie dela Malaisie fondéesur la «chaîne de succession
du titre» au motif qu'elle n'estpas étayéepar les faits invoqués à son
appui. Il est inutile de reprendre ici les conclusions de la Cour sur ce
point, auxquelles je souscris totalement.696 PULAU LIGITAN AND PULAU SIPADAN (DISS .P. FRANCK)

17. Question No. 3 1 finddifficul- and ultimately unnecessary - to
answer categorically. 1 do not agree, but neither do1 really disagree, with
the Court in its weighingup of the effectivitésadduced by Indonesia and
Malaysia to support their respective claims of title. To weigh, on the one
hand, occasional administration of turtle egg harvesting and of a bird
sanctuary - neither of these, apparently, in situ- together with the
establishment of a few navigational lights (by BritainIMalaysia) against,

on the other hand, naval and air patrolling and piracy-control (by Indo-
nesia) appears to me liketrying to weigh preciselya handful of feathers
against a handful of grass: it can be done, but not veryconvincingly.The
Court has not set out a coherent table of weightsand measures for assess-
ing and comparing the effectivitéshere pleaded, nor could it be expected
to do so. given their ephemeral nature. Nevertheless, it is not convincing
to give preference to a very few activities by one party while discounting
those of the other party without someeffort to develop neutral principles
by which the relative weight of their respective effectivités can be
compared.

18. The problem of their comparative weight is augmented by the
brevity of the period from which evidence of effectivités may properly
be pleaded. There is no evidence before this Court that, prior to 1930,
Britain believed itselfto have title to either Ligitan oradan. Whatever
slender acts of administration might have been undertaken prior to that
date by the British North Borneo Company were not claimed to have
been made à titre de souverain.As Judge Huber said in the Island of Pal-
mas case, the demonstration of effectivités must consist "in the actual

display of State activities, such as belongs only to the territorial sover-
eign" (Island of Palmas (NetherlandslUnited States of America), Aivard
of 4 April1928, Reports of InternationalArbitral A~vards(RIAA), Vol.II,
p. 839). To qualify, they must be activities undertaken not as a good
neighbour or a gratuitous intermeddler, but as an exercise of sovereign
responsibility for the territory in question. The harvesting activities of
fishermen were found not to constitute occupation à titre de souverain
by this Court in the KasikifilSedudu Island (BotswanalNamibia) case
(Judgment, I.C.J. Reports 1999 (II), p. 1095, para. 75) and the same
principle is applicable to turtle egg collectors. Similarly, the construction
by Malaysia of lighthouses on Ligitan and Sipadan may or may not be

evidence of occupation à titre de souverain when seen by itself, without
reference to the 1891Convention. Even so,the Arbitral Award of 9 Octo-
ber 1998 between Eritrea and Yemen stated: "The operation or main-
tenance of lighthouses and navigational aids is normally connected to
the preservation of safe navigation, and not normally taken as a test of
sovereignty." (Abvardof the Arbitral Tribunal in the First Stage of the
Proceedi~zgs(Territorial Sovereignty and Scope of the Dispute), 9 October 17. Il me paraît difficile- et même, à dire vrai, superfiu - de
répondre catégoriquement à la question no 3. Je ne suis pas d'accord
- mais je ne suis pas non plus en total désaccord - avec la façon dont
la Cour pèse les effectivitésinvoquées par l'Indonésie et la Malaisie à
l'appui de leurs prétentions respectives au titre. Opposer, d'une part
(pour la Grande-Bretagne ou la Malaisie), l'administration occasion-
nelle du ramassage des Œufs de tortue et d'un refuge pour oiseaux (ces
actes d'administration n'étant apparemment pas exercés in situ) ainsi
que la mise en place de quelques feux de navigation a, d'autre part
(pour l'Indonésie), des patrouilles aériennes et navales et des mesures
visant à combattre la piraterie, revient pour moi à tenter de comparer
précisémentle poids d'une poignée de plumes au poids d'une poignée

d'herbe: cela peut être faitmais pas de façon très convaincante. La
Cour n'a pas établi d'échellecohérente qui permettrait d'évaluer et de
comparer les effectivités invoquées en l'espèce; mais elle n'avait pas
non plus lieu de le faire, étant donné la nature éphémèrede celles-ci.
Toutefois, le raisonnement n'est guère convaincant qui consiste à pri-
vilégierun tout petit nombre d'activitésexercéespar une partie tout en
rejetant celles de la partie adverse sans s'être efford'établir des prin-
cipes neutres destinés à évaluer le poids respectif des effectivités
alléguées.
18. Le problème du poids respectif des effectivités se trouve encore
aggravépar la brièvetéde la périodeau cours de laquelle celles-cipeuvent
êtredûment invoquées. Il n'a pas été prouvdevant cette Cour que, avant

1930,la Grande-Bretagne pensait détenirun titre sur Ligitan ou Sipadan.
Quels que soient les actes administratifs mineurs accomplis avant cette
date par la British North Borneo Company, celle-ci n'a jamais affirmé
qu'ils l'avaient été titre de souverain. Comme l'a indiquélejuge Huber
dans l'affaire de l'Ile de Palmas, la démonstration des effectivitésdoit
consister «dans l'exercice réeldes activitésétatiques,tel qu'il appartient à
la seule souveraineté territoriale)) (arbitrage relatià 1711ede Palmas
(Pays-BaslEtats-Unis d'Amérique), sentence du 4 avril 1928, Nations
Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. II, p. 839 (traduction fran-
çaise: Ch. Rousseau, Revuegénérale dedroit internationalpublic, t. XLII,
1935,p. 164)).Pour pouvoir êtrequalifiéesd'effectivitésl,es activitésdoi-
vent relever non pas d'une politique de bon voisinage ou d'une ingérence

gratuite, mais de l'exercice de la souverainetéterritoriale. Dans l'affaire
de l'Ile de KasikililSedudu (BotswanalNamibie), la Cour n'a pas consi-
déré commeconstituant une occupation à titre de souverain les activités
agricoles despêcheurs(arrêt, C.I.J. Recueil 1999,vol. II, p. 1095,par. 75);
le même principe s'appliqueaux ramassages d'Œufs de tortue. De la
mêmemanière, la construction par la Malaisie de phares sur Ligitan et
Sipadan peut ou non constituer en elle-mêmeune occupation à titre de
souverain, sans qu'il y ait lieu de se référer la convention de 1891. Il
reste que, selon la sentence arbitrale rendue le 9 octobre 1998 entre
I'Erythrée et le Yémen: ((assurer le fonctionnement ou l'entretien de
phares et d'aidesà la navigation est normalement liéà la sécuritéde la na-697 PULAU LIGITAN AND PULAU SIPADAN (DISSO. P.FRANCK)

1998, p. 91, para. 328; see also to same effect Minquiers and Ecrehos, /
Judgmen t, 1C.J. Reports 1953, pp. 70-71 .) d'

19. This isespeciallyso when, as in this case,the territory is the subject
of a competing claim of sovereignty based on conventional title, against
which mere effectivités have been held to be of little evidentiary value
(Land, Island and Maritime Frontier Dispute (El Salvadorliïonduras:
Nicaragua intervening), Judgment, I.C.J. Reports 1992,p. 472, para. 181 ;
ibid., p. 516, para. 266). As this Court has pointed out, "where the terri-
tory which is the subject of the dispute is effectivelyadministered by a
State other than the one possessing the legal title, preference should be
given to the holder of the title"(Frontier Dispute (Burkina FasolRepublic
of Mali), Judgment, I.C.J. Reports 1986, p. 587, para. 63). Moreover
"acts .. .largely of a routine and administrative character performed by
local officiais. . .were held insufficientin the Sovereignty over Certain
Frontier Land (BelgiumlNetherlands) case "to displace Belgian sover-
eignty established by. . .Convention" (Judgmenf. I.C.J. Reports 1959,
p. 229). Effectivités are rubber spears when wieldedagainst the shield of
conventional title. In the present case, it is title under the 1891 Con-
vention that Indonesia claims. Thus the minor effectivités presented

by Britain and Malaysia depend for whatever persuasive power they
may have on a determination that the 1891Convention failed to resolve
the question of title to Ligitan and Sipadan: a proposition 1 reject
(see below).

20. By 1969,moreover, the window of opportunity for effectivitéshad
closed. The Parties, in their status quo agreement (described by the Agent
for Indonesia in CR 2002127,pp. 16-17,paras. 13-18),in effect had deter-
mined the critical date by which new acts and facts could not be adduced
to support the claim of either Party. Evidenceof new effectivités, such as
the establishment of a deep-sea diving resort,are inadmissible in evidence
of Malaysian title.

21. If 1were disposed to weigh the handful of Malaysian true effecti-
vitésagainst that of Indonesia, 1 could conceivably join the majority
opinion on that count. But were 1 to agree with the Court - arguendo -
that a few turtle eggs and signal lights do, indeed, have greater gravitas

than the voyage of HNLMS Lynx, that would still not get me across to
the other shore. In my opinion, these are token acts of no legal value. For
effectivitésto be weighed at all, they must not only be performed à titre
de souverain but also upon terra nullius or,at least, upon territory whose
title has not been dispositively determined. Both Malaysia and Indonesia
have argued that at al1relevant times, neither Ligitan nor Sipadan were
terra nirllius,and1agree with them. The one solidlegal instrument beforevigation et n'est normalement pas considérécommeun critèrede souverai-
neté)) (sentence renduepar le tribunal arbitral dans lapremière étapdee la
procédure(souverainetéterritoriale et champ dudiffërend), 9 octobre 1998,

p. 91, par. 328; voir, dans le mêmesens, Minquiers et Ecréhous,arrêt,
C.I.J. Recueil 1953, p. 70-71).
19. Cela est particulièrement vrai lorsque, comme c'est le cas en
l'espèce, leterritoire fait l'objet de revendications de souveraineté concur-
rentes fondées sur un titre conventionnel, contre lequel de simples effec-
tivitésne se sont vu reconnaître qu'une faible valeur probante (Différend
frontalier terrestre, insulaire et maritime (El SalvadorlHonduras; Nica-
ragua (intervenant)), arrêt, C.IJ.. Recueil 1992, p. 472, par. 181 ; ibid.,
p. 516, par. 266). Comme la Cour l'aprécisél,à «où le territoire objet du
différend est administréeffectivement par un Etat autre que celui qui
possède le titre juridique, il y a lieu de préférerle titulaire du titre))
(Différend frontalier (Burkina FasolRépublique du Mali), arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 587, par. 63). En outre, «les actes ..courants et
d'un caractère administratif, accomplis par des fonctionnaires locaux ...))

ont été,dans l'affaire relative à la Souverainetésur certaines parcelles
frontalières (BelgiquelPays-Bas), considérésinsuffisants pour ((dépla-
cer la souveraineté belge établie par cette convention)) (arrêt,
C.I.J. Recueil 1959, p. 229). Les effectivitéssont des épéesde carton
lorsqu'elles sont brandies contre un titre conventionnel. En l'espèce, c'est
le titre découlant de la convention de 1891que l'Indonésie revendiquait.
Par conséquent, les effectivités mineures invoquées au nom de la
Grande-Bretagne et de la Malaisie n'auraient pu avoir d'effet persuasif
que s'ilétaitapparu que la convention de 1891n'avait pas réglé laques-
tion du titre sur Ligitan etSipadan, ce qui à mon sens n'était pasle cas
(voir ci-après).
20. De surcroît, en 1969,les possibilitésouvertes a l'exercicede nou-
velles effectivitésont pris fin. Par leur accord de statu quo (décritpar
l'agent de l'Indonésie dans le CR 2002127, p. 16-17, par. 13-18), les

Parties ont effectivement fixéla date critique au-delà de laquelle de nou-
veaux actes ou faits ne pourraient êtreinvoqués à l'appui de la thèsede
l'une ou l'autre Partie. La preuve de nouvelleseffectivités, commela créa-
tion d'un centre de plongée sous-marine, est irrecevable comme preuve
du titre malaisien.
21. Sij'étais prê t comparer le poids de la poignée d'effectivités avé-
réesde la Malaisie à celui des effectivitésde l'Indonésie,il serait conce-
vable que je me range a l'avis de la majorité.Mais même enadmettant,
pour lesbesoins de l'argumentation, queje partage l'avisde la Cour selon
lequel quelques Œufsde tortue et quelques feux de navigation ont effec-
tivement plus de poids que le voyage du HNLMS Lynx, cela ne me ferait
pas pour autant changer d'avis. J'estime qu'il s'agit la d'actes symbo-
liques, dépourvusde valeur juridique. Pour que les effectivitésjouent un
quelconque rôle, elles doivent être nonseulement accomplies a titre de

souverain, mais aussi sur une terra nullius ou, tout au moins, sur un ter-
ritoire dont le titre n'a pas été définitivemena tttribué. La Malaisie etthis Court is the Convention of 20 June 1891between Great Britain and
the Netherlands. It is to that sturdy instrument 1 now turn. Against it,
properly construed, an effectivités-basedclaim cannot stand.

22. If the 1891Convention between Britain and the Netherlands were
applicable to Pulau Ligitan and Pulau Sipadan, that would be decisivein
this case. 1sit? It's ArticleIV establishesa line beginning at the east coast
of Borneo at 4"10' latitude and proceeding in an easterly direction
"across the Island of Sebittik . . .".What, crucially, is in dispute is
whether the words of Article IV, in allocating to the British North Bor-
neo Company the territory north of this line and "the portion south of
that parallel to the Netherlands", intended it to stop at the east coast of
"Sebittik" or to continue on its mission of allocation in an easterly direc-
tion. If the former, then the 1891Convention would have nothing to Say
about title to Ligitan and Sipadan, thereby properly focusing the Court's
attention on subsequent effectivilés.If the latter, however, the Conven-
tion would allocate Ligitan and Sipadan to the Netherlands, thereby
making recourse to subsequent effecrivitésirrelevant in the absence of

evidence of Dutch abandonment of title.

23. N'hat, then, if anything, does the 1891Convention Sayabout the
two contested islands? Nothing at all. But that should not be an end to
the Court's search for its meaning. More specifically,what adjectival law
may be of help to the Court in its task of construing the Convention?

24. The first stop in any search for applicable legal principles to guide
the Court is the Vienna Convention on the Law of Treaties. Article 31 of
that instrument lays down the principlethat the text of a treaty is to be
understood in its "ordinary meaning" and "in the light of [the treaty's]
object and purpose". It is acknowledged by the Parties and this Court
that these two adjectival legal principles - requiring a search for the
words "ordinary meaning" and the Convention's overall contextual
"object and purpose" - must guide the Court.

25. First, then, the Court is obliged to give their "ordinary meaning"
to Article IV's words.Key, here, isthe phrase "across the Island of Sebit-l'Indonésieont toutes deux soutenu qu'à l'époquedes faits ni Ligitan ni
Sipadan n'étaientterra nullius - et tel est égalementmon avis. J'en vien-
drai maintenant au seul instrument juridique solide qui ait été présenté à
la Cour: la convention du 20 juin 1891 entre la Grande-Bretagne et les
Pays-Bas. Interprété correctement,cet instrument l'emporte sur n'importe
quelle revendication fondéesur des effectivités.

22. Si la convention de 1891entre la Grande-Bretagne et les Pays-Bas
étaitapplicable à hlau Ligitan et Pulau Sipadan, ellejouerait alors un
rôle déterminant en l'espèce.Mais est-ce le cas? Cette convention définit,
à son article IV, une ligne commençant sur la côte orientale de Bornéo à
une latitude de 4" 10' et se poursuivant vers l'est «à travers l'île de
Sebittik..». La question au cŒurdu litige est celle de savoir si les termes
par lesquels l'article IV attribue le territoire situéau nord de cette ligàe

la British North Borneo Company et «la partie situéeau sud du paral-
lèle ...aux Pays-Bas)) doivent êtreinterprétés commesignifiant que la
ligne devait s'arrêtera hauteur de la côte orientale de «Sebittik», ou plu-
tôt comme signifiant que celle-ci devait se continuer - et poursuivre sa
fonction attributive - vers l'est. Dans le premier cas, la convention de
1891ne concernerait donc en rienle titre sur Ligitan et Sipadan, ce quijus-
tifierait que la Cour reporte son attention sur des effectivitésultérieures.
Dans le second cas, en revanche, la convention attribuerait Ligitan et
Sipadan aux Pays-Bas, ce qui rendrait inutile de se reporter à des effec-
tivités ultérieuresa moins qu'il ne soit prouvé que les Pays-Bas avaient

abandonné leur titre.
23. Que dit alors (si tant est qu'elle en dise quelque chose) la conven-
tion de 1891au sujet des deux îlesen litige?Rien. Mais la Cour ne devrait
pas s'arrêter là dans sa recherche du sens de la convention. Plus précisé-
ment, quel élémentdu droit procédural pourrait aider la Cour dans sa
tâche d'interprétation de la convention de 1891 ?
24. La convention de Vienne sur le droit des traités constitue le pre-
mier élémentsur lequel doit s'appuyer la Cour pour rechercher les prin-
cipesjuridiques applicables. Son article 31 pose pour principe que le texte
d'un traité doit être interprété suivant son «sensordinaire)) et a la

lumièrede l'«objet» et du «but» dudit traité.La Cour reconnaît, comme
les Parties, qu'elle doit suivre ces deux principes du droit procédural, qui
imposent de rechercher le «sens ordinaire)) des termes ainsi que l'aobjet )>
et le «but» générauxde la convention selon son contexte.

25. La Cour doit donc en premier lieu donner aux termes de l'ar-
ticle IV leur «sens ordinaire)). L'expression clef est ic«à travers l'île detik". While Malaysia has insisted, in effect,that these words must be read
to imply the additional definite words "and no further", Indonesia has
insisted that the phrase can be construed to imply the additional defining
words "and beyond". Unfortunately, neither Party can demonstrate that
the ordinary meaning of "across the Island of Sebittik" necessarily implies
either the one clarifying phrase or the other. Quite simply, in ordinary
usage, the word "across" can equally mean "over and beyond" or "over
but no further". There is no one "ordinary" meaning. There are several.
They are equally valid. Examine them as one will,they cannot resolve the
riddle of Article IV'sapplicability to Ligitan and Sipadan.

26. That, however, cannot exhaust our search for meaning and intent.
Article 31 of the Vienna Convention also alerts us to interpret treaties in
accordance with their "object and purpose". To the same effect is the
Decisionofthe Eritrea-Ethiopia Boundary Commissionregarding Delimi-
tation of the Border betrveenthe State of Eritrea and the Federal Demo-
cratic Republic of Ethiopia (13 April 2002,para. 3.4). The key provisions
of the Vienna Convention had become the customary law of treaty
interpretation.

27. While the text of the Convention is of little help in determining an
"ordinary meaning", it isquite responsive to the quest for its "object and
purpose". The 1891Dutch-British Convention's preamble stipulates its
purpose: that of "defining the boundaries between the Netherland[s]
possessions in the Island of Borneo and the States in that island which

are under British protection". Accordingly, the parties "resolved to con-
clude a Convention to that effect . . .for that purpose". The history of
the negotiations leading up to the Convention make even clearer the lar-
gesse of thispurpose. They wanted to solve, once and for all, the prob-
lems that could arise between adjacent imperial Powers. Could it have
been that the parties, nevertheless, willingly lefttwo islets, some 50 miles
east- or, indeed, any other bits and piecesof their Borneo empire - to
future disputation, regardless of what that might do to undermine the
closure so evidently being sought? For it rvasclosure the parties wanted.
It was the object and purpose of their agreement. The presumption of a
desire for closure was central to this Court's decision in the Temple of
Preah Vihear (Cambodia v. Thailand) case, when it interpreted the
French-Thai frontier settlement of 1904-1908as intended "to achieve
certainty and finality" in an area where, "very long frontiers" had been
the "cause of uncertainty, trouble and friction" leading to "growing ten-
sion" (Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1962, p. 34). Why has the CourtSebittik)). Si la Malaisie a effectivement insistésur le fait que ces mots
devaient êtrelus comme sous-entendant lestermes «sans aller plus loin)),
l'Indonésiea pour sapart soutenu que l'expressionpouvait êtreinterpré-
téecomme sous-entendant la précision«et au-delà)). Malheureusement,
aucune des Parties n'a pu démontrerque le sens ordinaire de «à travers
I'îledeSebittikn sous-entendait nécessairementl'une ou l'autre précision.
Tout simplement, selon l'usageordinaire, le terme «à travers)) peut aussi
bien signifier«à travers et au-delà))que «à travers sans aller plus loin)).
Il n'y a pas un sens «ordinaire» unique, il y en a plusieurs, aussi valables

les uns que les autres. Quelle que soit la façon dont on les examine, ilse
permettent pas de résoudre l'énigmede I'applicabilitéde l'article IV à
Ligitan et Sipadan.

26. Ce qui précèdene saurait pour autant signer la fin de nos efforts
tendant àdégagerle senset l'intention de la convention. L'article 31de la
convention de Vienne appelle également à une interprétation des traités

conformément a leur «objet» et à leur «but>).La décisionde la commis-
sion frontalière érythréo-éthiopiennreelative à la Délimitationde lafron-
tière entre I'Erythréeet la République fédérald eémocratiqued'Ethiopie
du 13avril 2002 va dans ce sens (par. 3.4),et montre que, au moment où
elle a été rendue,les dispositions clefs de la convention de Vienne fai-
saient déjàpartie du droit coutumier applicable en matière d'interpréta-
tion des traités.
27. Si le texte de la convention ne permet pas de faire aisémentressor-
tir un «sens ordinaire)), il permet en revanche d'en identifierassez facile-
ment l'«objet » et le «but)).Le préambule de laconvention de 1891entre
les Pays-Bas et la Grande-Bretagne énonçait en effet son but, a savoir

«définirles frontières entre les possessions des Pays-Bas sur I'îlede Bor-
néo etles Etats de cette île qui sont sous protection britannique)), d'où le
fait que les parties aient «résolu de conclure une convention à cet
effet ..a cesfins)).L'histoire des négociationsqui aboutirent àla conven-
tion montre encore plus clairement l'étenduede ce but. Les parties vou-
laient réglerune fois pour toutes les problèmes qui pourraient se poser
entre deux puissances coloniales voisines.Auraient-elles pu, alors, délibé-
rément laisserde côtédeux îlots situés50 milles environ à l'est- ou
même, d'ailleurs,d'autres parcelles de leurs possessions sur Bornéo -,
ouvrant la voie a de futures contestations, sans tenir compte du fait que
cela risquait de remettre en question le caractèredéfinitif- de toute évi-

dence recherché - du règlement?Car c'était bien à une solution défini-
tive qu'aspiraient les parties: c'étaitlà l'objet et le but de leur accord. La
présomption selon laquelle l'intention desparties était de trouver une
solution définitivejouant un rôle central dans la décisionrendue par la
Cour en l'affaire du Temple de PréahVihéar(Cambodge c. Thaïlande),
lorsqu'elle jugea que le règlement de frontière entre la France et la700 PULAU LIGITAN AND PULAU SIPADAN (DISS.OP.FRANCK)

not presumed the 1891 Convention to have had the same object and
purpose?

28. According to Malaysia, when the parties declare themselves to be:
"Desirous of defining the boundaries between the Netherlands posses-

sions in the island of Borneo and the States in that island which areunder
British protection ..." (Memorial of Malaysia, Vol. 1, p. 89, para. 8.7)
they intended only that the Convention "was intended to be a land
boundary treaty" (ibid., para. 8.8) which, inthe words of Article 1of the
1891Convention, would defineonly "The boundary between the Nether-
lands possessions in Borneo and those of the British-protected States in
the same island .. ." (ibid). In Malaysia's view,the treaty's use of the
designation "in Borneo" colours the entire project, making it exclusively
a designation of Britishand Dutch possessionsonthat one giant island -
with the exception of Sebatik, provided for specifically in Article IV -
and not anywhere else in the vicinity.
29. Indonesia, to the contrary, claims that the parties, in drawing up
the 1891Convention, were "motivated by a wish to put an end once and
for al1 to their territorial problems in the area" (Reply of Indonesia,
Vol. 1,p. 16, para. 1.24 (c)). Therefore, the 4" 10'line was chosen, start-
ing at Broershoek and "continued eastward along that parallel" (Art. IV).
This line, Indonesia asserts "passing to the north of Sipadan and Ligitan,
established that [theparties intended that title to the two islands] belonged

to[tlhe Netherlands (...now to Indonesia)" (Reply of Indonesia, Vol. 1,
p. 16,para. 1.24).
30. There is collateral evidence to support Indonesia's contention. It
cites a British Foreign OfficeMinute that sets out a proposal for a com-
promise line which, albeit along latitude 4" and thus south of 4"IO',is
eastward to longitude 118"44'30",welleast of Sipidan (but not Ligitan):
the point being that the British, al1along, were also thinking about an
allocational line extending to territories in the sea east of Sebatik (Reply
of Indonesia, Vol. 1,p. 21, para. 1.31;and p. 22, Map 1).

31. That the Dutch, certainly, were thinking about a line prolonged
eastward beyond Sebatik is apparent from the map attached to the
Explanatory Memorandum by means of which the Dutch Government
requested ratification of the 1891Convention by its Parliament (States-
General) in compliance with the Netherlands Constitution and with
Article VI11of the 1891Convention. This map (Memorial of Indonesia,
Vol. 1.p. 88, Map 5.2)shows theagreed 4" 10'line extending wellbeyond
Sebatik, although stopping west of Ligitan and Sipadan. Whether or not
an acceptance of this extension of the 4"10' line is imputable to the

British Government, on the ground that it knew of the map and did
not object to it,illbe discussed below.For present purposes it isrelevant PULAU LIGITAN ET PULAU SIPADAN (OP.DISS.FRANCK) 700

Thaïlande de 1904 à 1908devait êtreinterprété commevisant à (cabou-
tirà une solution certaine et définitive))dans une région où de «très
longues frontières))avaient été«la source d'incertitudes, de troubles et de
frictions)) entraînant un état de «tension croissante)) Vond, arrêt,
C.Z.J. Recueil 1962, p. 34). Pourquoi la Cour n'a-t-elle pas présuméque
la convention de 1891avait le même objet etle mêmebut?
28. Selon la Malaisie, en se déclarant ((désireusesde définirles fron-
tièresentre les possessions des Pays-Bas sur l'îlede Bornéoet les Etats de
cette île qui sont sous protection britannique» (mémoirede la Malaisie,
vol. 1, p. 89, par. 8.7), les parties n'avaient 'd'autre intention que de

conclure «un traité de frontière terrestre)) (ibid., par. 8.8) qui, selon les
termes de l'article1 de la convention de 1891, définirait seulement«la
frontière entre les possessions des Pays-Bas à Bornéo etcelles des Etats
decette île sousprotection britannique)) (ibid.). Pour la Malaisie, l'emploi
des termes «à Bornéo))dans le traité conditionne l'ensemble de cet ins-
trument qui ne concerne dèslors que les possessions néerlandaiseset bri-
tanniques sur cette île immense - à l'exceptionde Sebatik, expressément
visée à l'article I- et sur elle seule.

29. L'Indonésiesoutient au contraire que les parties, en rédigeant la

convention de 1891, étaient ((motivéespar la volontéde mettre fin une
fois pour toutes a leurs problèmes territoriaux dans la région))(réplique
de l'Indonésie, vol.1, p. 16, par. 1.24 c)), ce qui explique le choix de la
ligne 4" IO',partant de Broershoek et «se continu[ant] vers I'estle long du
mêmeparallèle))(art. IV). L'Indonésie affirmeque cette ligne, «en pas-
sant au nord de Sipadan et Ligitan, prouve que [,selon les parties, le titre
sur les deux îles]appart[enait] aux Pays-Bas (aujourd'hui a l'Indonésie)»
(réplique del'Indonésie, vol.1, p. 16, par. 1.24).
30. D'autres preuves viennent étayerl'argument de l'Indonésie,notam-
ment un procès-verbaldu Foreign Officeproposant une ligne de compro-

mis qui, bien qu'étantsituéele long du parallèle 4", et par conséquentau
sud de la ligne 4" IO',se trouveàI'estdu méridien118"44'30", nettement
à I'est de Sipadan (mais pas de Ligitan); les Britanniques, tout au long
des négociations, avaientdonc également àl'esprit une ligned'attribution
s'étendant à des territoires situésau large àtl'estde Sebatik (répliquede
l'Indonésie, vol.1, p. 21, par. 1.31; et p. 22, carte 1).
31. De la carte jointe au mémorandum explicatif par lequel le Gouver-
nement néerlandais demanda à son Parlement (les Etats-généraux)de
ratifier la convention de 1891conformément à la Constitution néerlan-
daise età l'articleVI11de ladite convention, il ressort que les Néerlandais
avaient certainement à l'esprit une ligne se prolongeant vers l'est au-delà

de Sebatik. Cette carte (mémoirede l'Indonésie, vol. 1p, . 88,carte no 5.2)
représente la ligne4"10'convenue comme se prolongeant bien au-delà de
Sebatik, quoique en deçà de Ligitan et de Sipadan. Nous verrons plus
loin si, compte tenu du fait que le Gouvernement britannique avait
connaissance de la carte et ne la contestait pas, il peut être soutenu que
celui-ci avait acceptéle prolongement de la ligne 4" 10'.Qu'il suffisepour701 PULAU LIGITAN AND PULAU SIPADAN (DISSO. PFRANCK)

simply to note that the map illustrates the Netherlands Government's
belief that the 4" 10' line was meant to extend further east than the
eastern coast of Sebatik: that, in other words, to the Netherlands the
term "across Sebbitik" in Article IV of the Convention implied "across
and beyond" rather than "across and no further".

32. The British Government, moreover, did know what the Dutch
were thinking. There is no disagreement between the Parties that the
Dutch Government's Explanatory Memorandum and accompanying map
was published and freely available, that through the ministrations of
Sir Horace Rumbold, the British Minister at The Hague, it reached the
British Government after being specificallycommented upon by him as
"the only interesting feature" of the Memorandum, and that it was duly
filed without objection or comment. At a minimum, this seems to me to
demonstrate that the British Government, likethe Dutch, did not believe
that the 4" 10'line established by the 1891Convention terminated at the
east coast of Sebatik. Moreover, the British Government, closely observ-
ing the debates in the Dutch Parliament, may well have heard (or read)

the Netherlands Minister for the Colonies, Mr. van Dedem's, public
explanation to the First Chamber that the treaty was made to "prevent
conflict" and regularize relations "both in Borneo itself and on the neigh-
bouring smaller islands" (Memorial of Indonesia, Vol. 1,p. 94,para. 5.61 ;
ibici., n. 102). This cannot have been a surprising comment, given the
context. Would it not have been much more surprising if Mr. van Dedem
had explained that the Convention was intended to prevent conflict in
Borneo but not on the neighbouringsmall islands?

33. These facts suggest the parties' "object and purpose" in entering
into the 1891Convention. That the Convention, in its preamble, speaks
of "the island of Borneo" does not, to me, demonstrate, a contrario, that

a treaty dealing with "Borneo" intended to exclude these minute islands
situated a short distance (57.6 miles, inthe case of Ligitan, the more dis-
tant of the two) east ofSebatik. 1sit credible to infer that, had the parties
in 1891thought of Ligitan and Sipadan as possible future arenas of dis-
putation, they would nevertheless deliberately have chosen to defer reso-
lution of these potential irritants to another time and place? Would they
have said to one another: "Let's seewho most zealously guards against
piracy on those islands, or who best administers the gathering of its turtle
eggs?" In order to rebut the narrowest rendering of the 1891 Conven-
tion's preambular reference to an intent of the parties to fix their mutual
boundary "in Borneo" is it realistic to insist that they should instead have
stipulated "in Borneo, Ligitan and Sipadan"? Or even that they should at

least have made a separate reference in Article IV to those tiny islands
alongside the referenceto the much larger and more strategically impor-
tant island ofSebatik, risking an inclusio unis est exclusio alterius effect
on other reefs and islets left unmentioned?l'instant de noter que, selon cette carte, le Gouvernement néerlandais

estimait que la ligne 4" 10'devait se prolonger plus à l'est que la côte
orientale de Sebatik; autrement dit que, pour les Pays-Bas, l'expression
«à travers Sebbitik)) de l'article IV de la convention signifiait «à travers J
et au-delà)) plutôt que «à travers sans aller plus loin)).
32. En outre, le Gouvernement britannique n'ignorait pas le point de
vue du Gouvernement néerlandais.Les Parties reconnaissant toutes deux
que le mémorandum explicatif du Gouvernement néerlandais et la carte
qui y était jointe furent publiéset étaient disponibleset que, par I'inter-
médiairede sir'~orace Rumbold, le ministre britannique à La Haye, la
carte, qu'il qualifia de «seul élémentintéressant))du mémorandum, fut
communiquéeau Gouvernement britannique. Elless'accordent aussiquant
au fait que la carte fut dûment enregistrée,sans objection ni commentaire.

Selon moi, cela démontre pour le moins que le Gouvernement britan-
nique, tout comme le Gouvernement néerlandais,ne pensait pas que la ligne
4" 10'établiepar la convention de 1891prenait fin sur la côte orientale de
Sebatik. En outre, le Gouvernement britannique, suivant de près les
débatsau Parlement néerlandais,aurait trèsbien pu entendre (ou lire) la
déclaration publique faite devant la première Chambre par le ministre
néerlandaisdes colonies, M. van Dedem, dans laquelle celui-ci expliquait
que le traitéétaitdestiné aprévenir des conflitset à régulariserles rela-
tions «tant a Bornéomêmeque sur les petites îles voisines)) (mémoirede
l'Indonésie, vol.1,p. 94, par. 5.61; ibid., note 102).Cela ne pouvait guère
surprendre, au vu du contexte. En effet, n'aurait-ce pas été beaucoupplus
étonnant que M. van Dedem expliqueque la convention avait pour objet
de prévenir les conflitsà Bornéomaispas dans lespetites îles voisines?

33. Ces éléments révèlent quels étaient l'objet le etbut des parties
lorsqu'elles concluentla conventionde 1891.Lefait que la convention men-
tionne dans son uréambulel'«îlede Bornéo))ne constitue uas..se,on moi.
une démonstrationa contrarioqu'un traité visant«Bornéo» doive exclure
ces minuscules îles situéesa une courte distance (57,6 milles s'agissant de
Ligitan, qui est l'îlela plus éloignée deseux) a l'estde Sebatik. Est-il cré-
dible de penserque, si lesparties avaientpu imaginer en 1891que Ligitanet
Sipadan constitueraient peut-êtreun jour I'objet de controverses,elles au-
raient néanmoinsdélibérémen cthoiside ne traiter que plus tard cessources <
potentielles de problèmes?Se seraient-ellesdit l'uneà l'autre:((Voyonsqui
luttera avec le plus d'efficacitécontre la piraterie dans ces îles, ou qui y

administrera au mieux le ramassage des Œufsde tortue?)) Est-il réaliste de
soutenir que, pour que puisse être écartée unie nterprétation étroitedes
parties- àsavoir leur intention de définirleur frontière commune«à Bor-
néo» telle qu'elle est expriméedans le préambule de la convention de
1891 -, celles-ciauraient dû, au lieude cela, écrire«a Bornéo, Ligitan et
Sipadan))? Est-il mêmeréaliste de soutenirque les parties auraient dû au
moins faire expressément mention,a l'article IV, de ces minusculesîles en
sus d'une ile beaucoup grande et beaucoup plus importante d'un point de
vue stratégique, Sebatik, risquant d'entraîner ainsiun effet inclusiounisest
exclusio alteriusà l'égard des autresrécifset îlots non mentionnés? 34. It has been argued that the intent of the Parties, and the object and
purpose of the 1891Convention, can be gleaned from the way the Parties

subsequently dealt with Ligitan and Sipadan. This, however, is an arid
record. The 1912 Boundary Commission began its work of demarcation
in a westerly direction from the eastastof Sebatik, and this is what the
map accompanying the 1915 Agreement shows. But what else does it
demonstrate? The task of demarcation was to establish more precisely
the land boundary between the Dutch and British possessions. To the
east ofSebatik, there was no land boundary to be demarcated since the
4" 10'line traversed no territory. Ligitan and Sipadan were south of that
meridian and not traversed by it. In any event, since the 1891Convention
did not purport to apportion sovereignty over the adjacent seas east of
Sebatik, and since the whereabouts of the 4"10'meridian was neither sus-
ceptible to, nor in need of, demarcation- being entirely an imaginary
line over water- itproves nothing that the 1915Agreement and map

did not take that area into further account.

35. Something more substantial, as to the Parties' understanding of
the import of the 1891Convention, may be gleaned from their respective
practice regarding the granting of oilexploration concessions. Here it is
evident that, in the960s,both Malaysia and Indonesia thought that the
4" 10'line extended to sea well east ofebatik, for both States granted
concessions up to, but not beyond, a point at sea precisely0" short of
the 4"10' line. No other reasons have been proffered to explain this hap-
penstance and, in their absence, the coincidenceis highly suggestive.This
Court has held that, whileoil concessionscannot shift existing delimita-
tions, "the existence of an express or tacit agreement between the parties

on the siting of their respective oil concessionsmay indicate a consensus
on the maritime areas to which they are entitled" (Land and Maritime
Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria: Equa-
torial Guinea intervening), Judgment, I.C.J. Reports 2002, p. 448,
para. 304). In the present instance, the behaviour of the Parties may well
confirm their identical beliefasto the vigour of the 4" 10'line in the area
east of Sebatik, a belief inconsistent with a Malaysian claim to the
two disputed islands. The case concerning the Continental Shelf (Tuni-
sialLibyan Arab Jamahiriya) similarly recognized the value of compat-
ibleconcessions granted by disputants as evidence of theirfacto agree-
ment (Judgment, I.C.J. Reports 1982, p. 84, para. 117). It is a deduction
that might well have found resonance in this decision.

8. THE PRESUMPTIO OF THE CONCLUSIVEN ENDSCOMPLETENESS J
OF DEFINED FRONTIERS

36. Still, the words of the 1891Convention and the sparse evidenceof
the parties' object andurpose in entering into the treaty do not make 34. D'aucuns ont pu soutenir que l'intention des Parties, ainsi que
l'objet et le but de la convention de 1891, peut être déduitede la façon
dont elles ont par la suite traitéLigitan etpadan. Les éléments nesont
pourtant guèrenombreux qui pourraient étayer cette thèse.La commis-

sion de délimitation de 1912 commença son travail de démarcation en
direction de l'ouestà partir de la côte orientale de Sebatik: c'est ce que
montre la carte jointe àl'accord de 1915. Mais peut-on encore conclure
de celle-ci'?Le but de la démarcation était defixer plus précisémentla
frontière terrestre entre les possessions néerlandaiseset britanniques.l
n'yavait à l'estde Sebatik aucune frontièreterrestrà démarquer,puisque
la ligne 4" 10'ne traversait donc pas de territoire. Ligitan et Sipadan se
trouvaient au sud de ce parallèle,qui ne les traversait pas. En tout état de
cause, puisque la convention de 1891n'avait pas pour objet l'attribution
d'une souveraineté surles eaux adjacentes à l'estde Sebatik, et puisque le
parallèle4" 10'ne poursuit ni n'avait besoin d'êtredémarqué(cette ligne
tracéesur les eaux étantparfaitement virtuelle), le fait que l'accord et la

carte de 1915n'aient pasplus tenu compte de cette zone ne prouve rien.
35. La pratique des Parties en matière d'attribution de concessions
d'exploration pétrolière est plusparlante au regard du sens qu'elles attri-
buent à la convention de 1891. 11 est manifeste ici que, dans les
années soixante, tant la Malaisie que l'Indonésiepensaient que la ligne
4" 10' seprolongeait en mer bien à l'est de Sebatik, car les deux Etats
octroyèrent des concessions offshore en respectant précisément une limite
située à 30" en deçà de la ligne 4" 10'. Aucune autre raison n'ayant
été avancée pour expliquer cette circonstance; la coïncidence est haute-
ment révélatrice. LaCour a eu l'occasion d'affirmer que, si les conces-
sions pétrolières ne sauraient modifier des délimitations antérieures,

((l'existenced'un accord exprès ou tacite entre les parties sur'emplace-
ment de leurs concessions pétrolières respectivepeut indiquer un consen-
sus sur lesespaces maritimes auxquels ellesont droit»(Frontièreterrestre
et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Cui-
née équatoriale (intervenant)), arrêt, C.Z.J. Recueil 2002, p. 448,
par. 304). En l'espèce,le comportement des Parties pourrait bien confir-
mer l'identitéde leur position quant à la valeur de la ligne 4" 10'dans la
zone située à l'est de Sebatik, position qui ne permettrait pàsla Malai-
sie de revendiquer les deux îles en litige. La Cour, dans l'affaire du-
teau continental (TunisielJamahiriya arabe libyenne), avait attribué à
des concessions compatibles octroyées par les parties la mêmevaleur,
c'est-à-dire celle de preuve d'un accord de facto entre elles (arrêt,

C.Z.J. Recueil1982, p. 84, par. 117). Une telle déductionaurait fort bien
pu trouver échodans la présente décision.

8. LA PRESOMPTION DIJ CARACTERE DÉFINITIF ET COMPLET DES FRONTIÈRES
ÉTABLIES

36. Malgrétout, ni les termes de la convention de 1891ni les minces
preuves dece qu'avaientpu êtrel'objetet le but des parties en concluant la703 PULAU LIGITANAND PULAU SIPADAN (DISS .P. FRANCK)

absolutely clear that the 4"10'line was, or iras not, intended to extend
beyond Sebatik as far east as Ligitan and Sipadan. What does emerge
with some clarity is that the Netherlands entered the agreement in the
belief that the4" 10'line extended east of Sebatik and that, early in the
run-up to the negotiations leading to the Convention, the British also
thought that the designated eastward line could extend east of Borneo
beyond Sebatik.

37. We do not know, however, how far east the parties may have
expected the line to extend. A probable explanation for the failure of
either party to specifya terminal point for the4" 10'line is that they may

have been uncertain as to where the effect of such a line would begin to
trench upon Spanish (or Sulu) titles. While the Netherlands sovereignty
clearly extended for many hundreds of miles southward of any desig-
nated eastward limit, the extent of British possessions northward of such
a terminal point would have been far from clear in 1891. It may thus
have appeared prudent to leave the eastern terminus of the 4"10' line
indeterminate, since its length need not have affected actual British or
Dutch junsdiction but might unnecessarily have aroused Spanish (or
Sulu) concerns. This, too, of course is pure speculation. Once again, al1
that we know for sure is that the Netherlands thought that the 1891Con-

vention established a line at 4"10'that did continue east of Sebatik and
that the British knew of this and voiced no objection.

38. With so much being uncertain, this Court essentially had two
divergent paths along which it could have proceeded. Itcould either have
left the disposition ofthematter to be settled by a weighing up of the few
real effectivitésclaimedto have been conducted by each Party, or it could
have enunciated a legal presumption by which to dispel the uncertainty
created by the examination of the words, purpose and context of the
1891 Convention. It chose the former course, whereas 1prefer the latter.

39. On its chosen path, the Court relies substantially on a weighing of
the Parties' contending factual evidence of effectivités. As to this1can
but observe once again that 1 find it unpersuasive: this weighing of a
handf~il of feathers against a handful of grass. Moreover, the admissi-
bility in evidenceof theseeffectivitésis contingent upon an absence of any
legal title derived from a treaty. This was the conclusion of the Chamber
of this Court in the Frontier Dispute (Burkina FasolRepublic of Mali)
case (Judgrnent,i.C.J. Reports 1986, pp. 586-587,para. 63). Effectivités,
also iri the present case,are of use only on the assumption of an absence
of legal title.

40. If the 1891Convention did confer legal title on one of the Parties,

effectivitéscannot override that title, absent evidence of its abandonment
(Sovereignty over Certain Frontier Latzd (BelgiumlNetherlands), Judg-
ment, I.C.J. Reports 1959, pp. 227-230). But does the 1891Convention PULAU LIGITAN ET PULAU SIPADAN (OP.DISS.FRANCK) 703

convention ne permettent de déterminer aveccertitude si la ligne 4"10'
était, ou n'étaitpas, considérée commedevant se poursuivre aussi loin à
I'est de Sebatik que Ligitan et Sipadan. Ce qui semble assez clair, c'est
que les Pays-Bas signèrent l'accord enayant à l'esprit que la ligne 4" 10'
se prolongeait à I'est de Sebatik et que, bienà la veille des négociations
qui aboutirent à la convention, les Britanniques pensaient égalementque
la ligne retenue en direction de I'est pouvait se prolongeràI'est de Bor-
néo au-delà de Sebatik.
37. Toutefois, nous ne savons pas jusqu'où à l'est lesparties pensaient
que la ligne s'étendait. Une explication probable au fait qu'aucune des

deux parties n'ait fixéde point terminal à la ligne 4" 10' pourrait être
qu'elles ne savaient sans doute pas exactement où cette ligne commence-
raità empiétersur les titres de l'Espagne (ou de Sulu). Si la souveraineté
néerlandaise s'étendait indubitablement plusieurs centaines de milles au
sud de n'importe quelle limite orientale donnée,l'étenduedes possessions
britanniques au nord d'un tel point terminal aurait été, en1891, loin
d'êtreclaire.Il a donc pu sembler prudent alors de ne pas fixer le point
terminal, à l'est, de la ligne 4" IO',puisque la longueur de celle-ci ne pou-
vait véritablement mettre en cause la juridiction britannique ou néerlan-
daise, mais aurait étésusceptible, en revanche, de préoccuper inutilement

l'Espagne (ou Sulu). Certes, il s'agit égalementde simples suppositions.
Une fois de plus, la seule chose dont nous soyons certains est que les
Pays-Bas pensaient que la convention de 1891avait défini une ligne4" 10'
qui se prolongeait à l'est de Sebatik, et que les Britanniques, tout en
ayant connaissance de cela, n'émirentaucune objection.
38. Compte tenu de ces nombreuses incertitudes, deux voies diver-
gentes s'offraient en gros la Cour. Celle-cipouvait soit réglerla question
en comparant le poids respectif des quelques vraies effectivités invoquées
par chaque Partie, soit énoncer une présomption juridique qui aurait
servià lever les doutes nésde l'examen des termes, du but et du contexte
de la convention de 1891.Elle a privilégiéla première solution. En ce qui

me concerne,j'aurais préféré la seconde.
39. Dans la voie qu'elle a choisie, la Cour s'est largement fondéesur
l'importance respective des preuves matérielles d'effectivités invoquées
par chacune des Parties. Je ne peux que répéterque, pour moi, cette
démarchen'est pas convaincante :elle revienà comparer le poids d'une
poignéede plumes à celui d'une poignée d'herbe.En outre, la recevabilité
de ces effectivitésen tant que preuves est subordonnéeà I'absence de tout
titre juridique conventionnel. Telle est la conclusion laquelle est parve-
nue la Chambre de la Cour en l'affaire du Diffërend frontalier (Burkina
FasolRépubliquedu Mali) (arrêt, C. I.J. Recueil 1986, p. 586-587,par. 63).
Les effectivités et c'est le cas en la présente espè-e ne sauraient être

invoquéesque lorsque est présuméeI'absence de tout titre juridique.
40. Si la convention de 1891a effectivement conféré un titre juridique
à l'une des Parties, les effectivitésne peuvent l'emporter sur ce titre,à
moins qu'ilne soit démontréque celui-ci a étéabandonné (Souveraineté
sur certaines parcelles frontalières (BelgiquelPays-Bas), arrêt, C.I.J.704 PULAU LIGITAN AND PULAU SIPADAN (DISS . P. FRANCK)

establish such title? We have already observedthe ambiguities inherent in /
the text. What seems to me to have been demonstrated is that the treaty
established a line, that the Dutch believedit to have continued eastward
of the island of Sebatik, and that the British did not rebut that belief.The
rest is speculation. J/

41. Did it extend so far eastward - at least to 119"east longitude -
as to allocate to the Netherlands the title to two tiny islands lyingjust to
the south of the 4" 10'latitude? The ambiguities cannot be dispelled by
grasping at the straws of even more epherneralfacts. The 1915map could
prove something but it could just as wellprove nothing, given the limited
mandate of the Commission which drew it. Other "facts" are equally
open to opposing interpretations. Instead of focusing on these, the
Court could - and in my opinion should - have endorsed an interpre-
tative or adjectival principle of evidentiary law: the presumption first
stated by the Permanent Court of International Justice in its 1925Advi-
sory Opinion on Interpretation of Article 3, Paragraph 2, of the Treaty of
Lausanne :

"It is.. .natural that any article designedto fix a frontier should,
if possible, be so interpreted that the result of the application of its
provisions in their entirety should be the establishment of a precise,
complete and definitive frontier." (1925, P.C.i.J., Series B, No. 12,
p. 20.)

As has been noted, Article IV of the 1891Convention was "designed to
fix a frontier" (ibid.). The Convention certainly may "be so interpreted
that the result of the application of its provisions in their entirety"ibid.)
conduces to "the establishment ofa precise,complete and definitivefron-
tier" (ibid.) across not only Borneo and Sebatik but also the adjacent
spaces that could become loci of disputation. Why, then, not do so? This
Court should have adopted the beneficialpresumption that, absent strong
evidence to the contrary, a treaty between two States to end territorial
disputes and preclude disputation should be read in the way most likely
to accomplish the presumed objective of obviating al1 such disputes as

might arise between them.

42. As Judge Shahabuddeen pointed out in his separate opinion in the
Territorial Dispute (Libyan Arab JamahiriyalChad) case, the colonial
boundary treaty considered in that case "must . . be construed so as to /'
produce a comprehensive definition of the frontiers" (Judgment, I.C.J.
Reports 1994, p. 44) unless there are "compelling reasons to the con-
trary" (ibid.). Judge Shahabuddeen appropriately noted that this deduc-
tive evidentiary principle would not apply in "cases in which the adjoin-
ing areas are so extensive as to make it both practical and sensible for
parties to agree a boundary for some particular sector only" (ibid,p. 49).
The "adjoining area" of Ligitan and Sipadan, however, are distinctly notRecueil 1959, p. 227-230).Mais la convention de 1891établit-elle bienun
tel titre? Nous avons déjàrelevé lesambiguïtésdu texte. Voici, selon moi,
ce qui a étédémontré:le traitédéfinissait une ligne, lesNéerlandais pen-

saient que celle-ci se prolongeaità I'est de l'île de Sebatik, et les Britan-
niques ne contestèrent pas cette interprétation. Tout le reste n'est que
supposition.
41. Cette ligne se prolongeait-elle assezà I'est- au moins jusqu'à la
longitude 119' est - pour attribuer aux Pays-Bas le titre sur deux minus-
cules îles situéesjuste au sud de la latitude 4" IO'? Les ambiguïtés ne
peuvent êtrelevéesen se raccrochant désespérémena t des faits encore
plus ténus. La carte de 1915pourrait tout autant prouver quelque chose
qu'elle pourrait ne rien prouver, étant donné le mandat restreint de la
commission qui l'établit.D'autres «faits» peuvent égalementdonner lieu
à des interprétations divergentes. Au lieu de s'appuyer sur ces faits, la
Cour aurait pu - et, selon moi, aurait dû - s'appuyer sur le principe
d'interprétation ou de procédure du droit de la preuve constituépar la

présomption énoncéepour la première foispar la Cour permanente de
Justice internationale dans son avis consultatif de 1925 relatif à l'Inter-
prétation de I'articIe3, paragraphe 2, du traité deLausanne:
«Il est naturel que tout article destinéà fixer une frontière soit, si
possible, interprété detelle sorte que, par son application intégrale,

une frontière précise, complèteet définitive soitobtenue.)) (C.P.J.I.
sérieR no 12, 1925, p. 20.)

Comme nous l'avons relevé,l'article IV de la convention de 1891 était
((destiné à fixer une frontière» (ibid.) La convention peut certainement
être «interprété[e]de telle sorte que, par son application intégrale, une

frontière précise, complèteet définitivesoit obtenue)) (ibid.), non seule-
ment sur Bornéo et Sebatik, mais aussi dans les espaces adjacents suscep-
tibles de donner lieu à contestations. Pourquoi, alors, avoir négligéune
telle interprétation? La Cour aurait dû retenir cette présomptionpositive
selon laquelle, en l'absence de solides preuves du contraire, un traité
conclu entre deux Etats en vue de mettre fin à leurs différendsterritoriaux
et de prévenirtout litige doit êtrelu de la façon la mieux àmêmed'assu-
rer la réalisation de l'objectif présumé,qui est d'éviterque ne surgisse
entre eux un quelconque différendde cette nature.
42. Dans son opinion individuelle en l'affaire du Diffërend territorial
(Jamahiriya arabe IibyennelTchad), lejuge Shahabuddeeen estima que le
traité de délimitation coloniale en cause devait «êtreinterprét[é]de telle

manière qu'il fournisse une définitionexhaustive des frontières)) (arrêt,
C.I.J. Recueil 1994, p. 44), sauf ((raisons impérativesd'effet contraire »
(ibid.) Le juge Shahabuddeeen releva àjuste titre que ce principe déduc-
tif ne pouvait s'appliquer aux «cas dans lesquels leszones contiguës sont
si vastes qu'il est à la fois pratique et raisonnable pour les parties de
convenir d'une frontière pour un secteur donné uniquement)) (ibid.,
p. 49). La «zone contiguë))de Ligitan et Sipadan n'est toutefois manifes-705 PULAU LIGITAN AND PULAU SIPADAN (DISS .P.FRANCK)

"so extensive" as to have made a special agreement pertaining to them a
"practical and sensible"option in 1891.Therefore,the treaty should have
been construed as a comprehensive definition of the frontiers.
43. In the present case, this Court might have built on the Lausanne
and Preah Vihear precedents to confirm the legal presumption in favour
of the dispositiveness of frontiers defined in a treaty, i.e., that, when a
treaty is made for the purpose of defining a boundary, it should be con-
strued, ifpossible, to have succeeded indoing so to the full extent of the
interface between the parties, unless there .is persuasive evidence that

some areas were meant to be exempt from its allocation. The onus of
proving the intent to create such an exemption, however, should lie with
the party asserting it.

44. Presumptions are necessary and well-established aspects both of
common and civil law and cannot but be a part of the fabric of public
international law. They capture the common experience of persons
everywhere that make inferences an essential part of rational thought
and action. As such, they are often captured in legal maxims recognized
across diverse legal systems (Henri Roland, Laurent Boyer, Adages du
droit français, 3rd ed., 1992,p. 38; and see examples indexed under the
title"Présomption"at p. 1009.)AsProfessor Bin Cheng has pointed out:

"Without going so far as to holding them to be true, it is legiti-
mate for a tribunal to presume the truth of certain facts or of a cer-
tain state of affairs, leaving it to the party alleging the contrary to
establish its contention.These presumptions serve as initial premises
of legal reasoning."(BinCheng, GeneralPrinciplesof Law as Applied
by International Courts and Tribunals, 1987,p. 304.)

"In general, it may be said that what is normal, customary or the
more probable ispresumed, and that anything to the contrary has to
be proved by the party alleging it." (Ibid., p. 306).

The same point, citing various instances, is made by Professor Thirlway:

"presumptions can and do play an important part in directing the
reasoning of a tribunal . ..in the delicate operation of ascertainment
of the intention of one or more States .. .This results from the fact
that direct circumstantial evidence of an intention may be very hard
to come by, or may in the nature of things not exist." (H. W. A. Thirl-
way, "Evidence before International Courts and Tribunals", in Ency-
clopedia of Public International Law, Vol. Two, 1995,p. 303.)

45, In the present case,there is circumstantial evidencethat the Parties
thought they were resolving al1 the territorial problems arising out of
their overlapping imperialclaims in the Borneo area. Even werethat evi-
dence inconclusive, it is surely sufficient to invoke the rebuttable pre-tement pas «si vaste))qu'ilaurait été((pratique et raisonnable)) qu'ellefit
l'objet d'un accord spécialen 1891. Le traitéaurait par conséquent dû
êtreinterprété commedéfinissant I'intégralitd ée la frontière.
43. En l'espèce,la Cour aurait pu se fonder sur les précédents consti-
tuéspar les affaires du Traitéde Lausanne et du Temple de PréahVihéar

pour confirmer la présomption juridique du caractèredéfinitifdes fron-
tièresfixéespar un traité; autrement dit, lorsqu'un traité a pour but de
définir unefrontière, il devrait,ans la mesure dupossible, êtreinterprété
comme ayant eu cet effet sur I'intégralité detserritoires des parties qui se
rencontrent, à moins que n'existent des preuvesconvaincantes que cer-
taines zones n'étaientpas viséespar l'attribution. La charge de prouver
l'intention de créerune telle exception devrait toutefois peser sur la partie
qui l'invoque.
44. Lesprésomptionssont des éléments nécessaire et bien établistant
dans la common Iawquedans lessystèmesde droit romain; ellesfont par-
tie intégrantedu droit international public. Elles traduisent l'expérience
de personnes partout dans le monde qui utilisent la déductioncomme un
outil essentiel d'une penséeet d'une action rationnelles. Ainsi, les pré-
somptions font souvent l'objet d'adages reconnus dans différents sys-
tèmesjuridiques (Henri Roland, Laurent Boyer, Adages du droitfrançais,

3' éd.,1992,p. 38; voir lesexemplesdonnéssous le titre ((Présomption)),
p. 1009).Comme M. Bin Cheng l'a expliqué:
«Il est légitimequ'un tribunal, sans aller jusqu'à dire de certains
faits ou de certaines situations qu'ils sont exacts, en présumel'exac-
titude, laissant la partie qui les conteste le soin de prouver qu'elle
a raison. Ces présomptionsservent de postulat au raisonnement juri-
dique.)) (Bin Cheng, GeneralPrinciples of Law as Applied by Inter-

national Courts and Tribunals, 1987,p. 304.)
((D'une façon générale,on peut dire que ce qui est normal, ordi-
naire ou hautement probable est présumé,et que tout ce qui est
contraire à cela doit être démontré parla partie qui le conteste.))
(Ibid., p. 306.)

M. Thirlway donne la même explication, encitant plusieurs cas:
«les présomptionspeuvent jouer, etjouent d'ailleurs, un rôle impor-
tant en guidant le raisonnement d'un tribunal ...dans l'opération
délicate qui consiste à établir l'intention d'un ou de plusieurs
Etatc ..Cela s'expliquepar le fait que lespreuves matérielles claires
d'une intention peuvent être trèsdifficiles à trouver, voire même,
étant donnéla nature de la situation, nepas exister.(H. W. A. Thirl-

way, ((Evidence before International Courts and Tribunals*, dans
Encyclopedia of Public International Law, vol. 2, 1995,p. 303.)
45. En l'espèce,des preuves matérielles existentqui attestent que les
Parties pensaient êtreen train de réglertous les problèmes territoriaux
liésau chevauchement de leurs revendications coloniales dans la région
de Bornéo. Même à supposer que ces preuves ne soient pas détermi-sumption, based on the common sense and experience of diplomacy and
recognized by several international tribunals, to the effect that when
States negotiate a boundary allocating or confirrning their respective
areas of sovereignty over territories, these shall be presumed to have
intended to resolveal1outstandingand potentially disputatious claims in

the area in question, subject only to convincingevidence to the contrary.

46. If the Court had applied this legal presumption to the Indonesia-
Malaysia dispute, it would have concluded, as 1do, that the 1891 Con-
vention intended Ligitan and Sipadan to be Dutch and, now, Indonesian.

47. 1respectfully dissent.

(SignedT )homas FRANCK. 706
PULAU LIGITANET PULAU SIPADAN (OP. DISS.FRANCK)

nantes, elles suffisent sans aucun douàeinvoquer la présomption réfra-
gable, fondéesur le bon sens et l'expériencede la diplomatie et reconnue
par plusieursjuridictions internationales, selon laquelle, lorsque des Etats
négocientune frontiéreemportant attribution ou confirmation de leurs
zones respectives de souverainetésur des territoires, il devrait êtrepré-
suméque, sauf preuve convaincante du contraire, leur intention est de
réglertoutes leurs prétentionslitigieusesexistantes et potentielles dans la
régionen question.

46. Si la Cour avait appliqué cette présomption juridiqueau différend
qui opposait l'Indonésieàla Malaisie,elleaurait conclu, commeje lefais,
que la convention de 1891 attribuait Ligitan et Sipadan aux Pays-Bas,
c'est-à-dire l'Indonésieaujourd'hui.
47. Sauf tout le respect que je doisla Cour, je ne peux souscrirà sa
décision.

(Signé) Thomas FRANCK.

Document file FR
Document Long Title

Opinion dissidente de M. Franck, juge ad hoc (traduction)

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