Déclaration de M. le juge Tomka

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116-20051219-JUD-01-06-EN
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116-20051219-JUD-01-00-EN
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351

DÉCLARATION DE M. LE JUGE TOMKA

[Texte original français]

Devoir de vigilance — Tolérance du Zaïre d’activités menées à partir de son
territoire contre l’Ouganda par des groupes de rebelles durant la période 1994-
1997 — Devoir de l’Ouganda de poursuivre les personnes responsables d’infrac-
tions graves au droit international humanitaire — Légitime défense et interdic-
tion de l’emploi de la force: ordre de leur considération.

Ayant voté en faveur du dispositif, à l’exception de son paragraphe 9,

je souhaite clarifier ma position concernant plusieurs points de l’arrêt.

I. DEVOIR DE VIGILANCE —A BSENCE DE SÉRIEUX EFFORTS

1. La Cour a rejeté la première demande reconventionnelle de

l’Ouganda (paragraphe 9 du dispositif). Lors du vote sur ce paragraphe,
je me suis trouvé devant un dilemme. Tout d’abord, je suis d’accord avec
les vues de la Cour sur cette demande reconventionnelle en ce qui
concerne la seconde période, de mai 1997 au 2 août 1998, et en ce qui
concerne la troisième période, après le 2 août 1998 (voir paragraphes 302-

304 de l’arrêt). Néanmoins, ma position est différente de celle de la majo-
rité à propos d’un aspect concernant la première période, de 1994 à mai
1997. Je me rallie à la majorité dans sa conclusion que «l’Ouganda n’a
pas produit de preuves suffisantes démontrant l’implication des autorités
zaïroises dans un soutien politique et militaire à certaines attaques contre

le territoire ougandais» (par. 298). Cependant, je regrette de ne pouvoir
souscrire au raisonnement et à la conclusion de la majorité que la Répu-
blique démocratique du Congo (RDC) n’a pas failli à son obligation de
vigilance durant la période 1994-1997 en tolérant l’usage de son territoire
par des groupes rebelles antiougandais pour lancer des attaques contre

l’Ouganda (par. 300-301). Cependant, comme l’observe la Cour, la RDC
«a reconnu que des groupes antiougandais opéraient sur son territoire
depuis 1986 au moins» (par. 300). Il n’est pas contesté que, durant la
période pertinente pour cette part de la demande de l’Ouganda (de 1994
à mai 1997), les groupes antiougandais ont utilisé le territoire de l’Etat

alors nommé Zaïre pour lancer des attaques contre l’Ouganda et sa
population, qui ont effectivement été victimes de ces attaques. Le Zaïre
était parfaitement au fait de cette situation.
2. La souveraineté d’un Etat territorial n’implique pas seulement des
droits, mais aussi des obligations. Cette Cour, dans l’affaire du Détroit de

Corfou, a confirmé le «principe général et bien reconnu» selon lequel
l’Etat a «l’obligation ... de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins

187 ACTIVITÉS ARMÉES (DÉCL. TOMKA ) 352

d’actes contraires aux droits d’autres Etats» (fond, arrêt, C.I.J. Recueil

1949, p. 22). L’Etat a le devoir de non seulement protéger sa propre
population, mais aussi d’éviter de nuire à ses voisins.
3. Selon les dispositions de la déclaration relative aux principes du
droit international touchant les relations amicales et la coopération entre
les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, des dispositions

qui sont déclaratoires du droit coutumier, «[c]haque Etat a le devoir de
s’abstenir ... de tolérer sur son territoire des activités organisées en vue de
perpétrer de tels actes, [par exemple, des actes de guerre civile ou des
actes de terrorisme] lorsque les actes ... impliquent une menace ou l’emploi
de la force»; et «[t]ous les Etats doivent aussi s’abstenir ... de tolérer des

activités armées subversives ou terroristes destinées à changer par la vio-
lence le régime d’un autre Etat» (A/RES/2625 (XXV)).
4. Le devoir de vigilance requérait du Zaïre de faire de sérieux efforts
afin d’empêcher que son territoire ne soit utilisé au détriment de

l’Ouganda. C’est sur la base de la conduite du Zaïre qu’il devrait être
déterminé si le Zaïre s’est acquitté ou non de son devoir. Les caractéris-
tiques géomorphologiques ou l’étendue du territoire ne libèrent pas un
Etat de son devoir de vigilance, pas plus qu’elles ne rendent celui-ci moins
strict. L’absence de gouvernement central dans certains secteurs du terri-

toire d’un Etat ne relève pas non plus ce dernier de son devoir de vigi-
lance quant à ces secteurs. Dans le cas contraire, une telle absence,
accompagnée d’attaques provenant de ce territoire, aurait permis de jus-
tifier que l’Etat voisin, victime de l’attaque, puisse intervenir pour mettre
fin à ces attaques.

Le devoir de vigilance est une obligation de comportement et non une
obligation de résultat. Il est possible que malgré de sérieux efforts par un
Etat ayant un devoir de vigilance, l’Etat voisin subisse néanmoins un pré-
judice. Un tel préjudice ne prouve pas nécessairement qu’il y ait eu viola-
tion du devoir de vigilance, mais ce préjudice établit toutefois une pré-

somption selon laquelle le devoir de vigilance n’a pas été respecté. Pour
renverser cette présomption, l’Etat titulaire du devoir de vigilance (la
RDC en l’espèce) doit démontrer qu’il a fait de sérieux efforts afin
d’empêcher que son territoire ne soit utilisé pour lancer des attaques
contre son voisin.

5. La RDC n’a pas fourni d’information crédible à la Cour démon-
trant qu’un tel effort bona fide ait été fait. Ainsi, je ne peux me rallier à
l’opinion de la majorité selon laquelle l’absence d’action du Gouverne-
ment du Zaïre à l’encontre des groupes rebelles ne constitue pas une
«tolérance» ou un «acquiescement» à leurs activités (par. 301). Je suis

convaincu que justice aurait été rendue si la RDC avait été trouvée res-
ponsable de la tolérance par le Zaïre des activités des groupes rebelles
(antiougandais), à partir de son territoire (la RDC) contre l’Ouganda,
durant la première période allant jusqu’en mai 1997; c’est-à-dire pour
son propre manquement à s’acquitter de son devoir de vigilance.

6. La conclusion de la Cour dans le paragraphe 9 du dispositif concerne
la première demande reconventionnelle de l’Ouganda in toto. Bien que je

188 ACTIVITÉS ARMÉES (DÉCL .TOMKA ) 353

sois d’accord avec la majorité sur la plupart des éléments de la première
demande reconventionnelle, je ne peux me rallier à sa conclusion sur un
des éléments de cette demande. Cet élément est suffisant, à mon avis,

pour faire droit à la demande reconventionnelle. Ainsi, j’estime n’avoir
d’autre choix que de voter contre le paragraphe 9 du dispositif. De toute
évidence, cependant, ce que je considère comme étant une violation du
devoir de vigilance par la RDC n’est aucunement comparable à l’ampleur
de la violation de l’interdiction de l’emploi de la force par l’Ouganda.

II. INFRACTIONS GRAVES DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE —
D EVOIR DE POURSUIVRE

7. La Cour conclut que l’Ouganda a violé ses obligations en vertu du
droit international humanitaire (par. 3 du dispositif). En se penchant sur
les allégations d’infractions des obligations de droit international huma-

nitaire par les Forces de défense du peuple ougandais (UPDF), non seu-
lement la Cour est convaincue que celles-ci ont été commises, mais elle
qualifie également ces infractions de graves (voir par. 207-208).
8. La Cour a aussi déterminé les conséquences juridiques pour
l’Ouganda des violations de ses obligations juridiques internationales,

incluant les obligations de droit international humanitaire (voir le dispo-
sitif, par. 6 ainsi que les par. 251-261). Ainsi, la Cour a pris comme point
de départ la quatrième conclusion de la RDC (voir par. 25 et 252) et
a déterminé ces conséquences au vu des règles générales du droit inter-

national sur la responsabilité des Etats pour faits internationalement
illicites.
9. Une autre conséquence juridique doit être tirée lorsqu’on est en pré-
sence d’infractions «graves» au droit international humanitaire, comme
c’est le cas dans la présente affaire. Cette conséquence, prévue par le droit

international humanitaire, doit être soulignée, même si la RDC ne l’a pas
soulevée et que la Cour est demeurée muette sur celle-ci. Il ne devrait y
avoir aucun doute que l’Ouganda, en tant que partie aux conventions de
Genève de 1949 ainsi qu’au protocole additionnel I de 1977, demeure

dans l’obligation de traduire devant ses propres tribunaux les personnes
qui ont commis ces graves infractions (quatrième convention de Genève,
art. 146; protocole additionnel I de 1977, art. 85).

III. LÉGITIME DÉFENSE ET INTERDICTION DE L ’EMPLOI DE LA FORCE

10. L’ordre dans lequel la Cour a abordé les questions liées à la légi-
time défense et à l’interdiction de l’emploi de la force dans cette affaire

mérite d’être mentionné.
La Cour ayant d’abord établi les faits concernant l’emploi de la force
par l’Ouganda (par. 55 et suiv.), elle s’est ensuite penchée sur l’analyse
des normes juridiques pertinentes. Laissant de côté la question du consen-

189 ACTIVITÉS ARMÉES (DÉCL . TOMKA ) 354

tement allégué de la RDC à la présence militaire de l’Ouganda sur le ter-
ritoire de la RDC, l’analyse de la légitime défense précède celle de l’inter-
diction de l’emploi de la force. L’on peut comprendre cet ordre, étant
donné que, si selon l’article 51 de la Charte,

«[a]ucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit
naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où

un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée,
jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires
pour maintenir la paix et la sécurité internationales»,

un exercice licite du droit à la légitime défense ne peut alors constituer un
manquement à l’article pertinent de la Charte des Nations Unies (in
concreto, art. 2, par. 4) et il n’est aucunement nécessaire de considérer
cette seconde disposition. C’est seulement lorsque la Cour conclut que

«les conditions de droit et de fait justifiant l’exercice d’un droit de légi-
time défense par l’Ouganda ... n’étaient pas réunies» (par. 147) qu’il est
nécessaire de considérer l’interdiction de l’emploi de la force et d’en tirer
des conclusions (par. 148 et suiv.).

11. L’interdiction de l’emploi de la force ne peut être interprétée sans
examiner les dispositions de la Charte portant sur la légitime défense. En
effet, les dispositions sur la légitime défense circonscrivent la portée de
l’étendue des règles sur l’interdiction de l’emploi de la force. Si la mesure
en question constitue une mesure licite de légitime défense, celle-ci tombe

nécessairement en dehors de la portée de l’interdiction. En d’autres mots,
l’interdiction de l’emploi de la force n’est pas applicable au recours à la
force exercé en cas de légitime défense.
12. L’ordre dans lequel la Cour considère la légitime défense et l’inter-
diction de l’emploi de la force dans la présente affaire est ainsi différent

de l’ordre adopté dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires
au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique)
(fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 98-106, par. 187-201; et p. 118-123,
par. 227-238), même s’il ne mène pas à des conclusions différentes.

(Signé) Peter T OMKA .

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DECLARATION OF JUDGE TOMKA

[English Original Text]

Duty of vigilance — Toleration by Zaire on its territory of activities of rebel
groups against Uganda in 1994-1997 period — Duty of Uganda to prosecute
those who have committed grave breaches of international humanitarian law —
Self-defence and the prohibition of the use of force: order of their consideration.

Having voted in favour of the dispositif, with the exception of its
paragraph 9, I wish to clarify my position on several issues in relation
to the Judgment.

I. DUTY OF V IGILANCE—F AILURE TO TAKE A CTION

1. The Court rejected the first counter-claim of the Republic of Uganda
(paragraph 9 of the dispositif). When voting on this paragraph, I was
faced with a dilemma. I concur with the views of the Court concerning
the counter-claim relating to the second period, from May 1997 until

2 August 1998, and to the third period, following 2 August 1998 (see para-
graphs 302-304 of the Judgment). However, my position regarding the
first period, from 1994 until May 1997, is — in respect of one of its
aspects — different from that of the majority. I agree with the majority,
that “Uganda has not produced sufficient evidence to show that the Zair-

ean authorities were involved in providing political and military support
for specific attacks against Ugandan territory” (para. 298). But, to my
regret, I cannot subscribe to the reasoning and conclusion of the majority
that the Democratic Republic of Congo (DRC) has not breached its duty

of vigilance during the period 1994-1997 by tolerating Ugandan rebel
movements’ use of the DRC’s territory to launch attacks on Uganda
(paras. 300-301). As the Court observes, “[t]he DRC recognized that
anti-Ugandan groups operated on the territory of the DRC from at least
1986” (para. 300). It is not disputed that in the period relevant for this

part of Uganda’s claim (1994-May 1997), the anti-Ugandan rebel move-
ments used the territory of the then Zaire to launch attacks against
Uganda and its population who were victims of these attacks. Zaire was
well aware of the situation.

2. Sovereignty of a State does not involve only rights but also obliga-
tions of a territorial State. The State has an obligation not only to protect
its own people, but also to avoid harming its neighbours. This Court, in

the Corfu Channel case, confirmed the “general and well-recognized prin-

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DÉCLARATION DE M. LE JUGE TOMKA

[Texte original français]

Devoir de vigilance — Tolérance du Zaïre d’activités menées à partir de son
territoire contre l’Ouganda par des groupes de rebelles durant la période 1994-
1997 — Devoir de l’Ouganda de poursuivre les personnes responsables d’infrac-
tions graves au droit international humanitaire — Légitime défense et interdic-
tion de l’emploi de la force: ordre de leur considération.

Ayant voté en faveur du dispositif, à l’exception de son paragraphe 9,

je souhaite clarifier ma position concernant plusieurs points de l’arrêt.

I. DEVOIR DE VIGILANCE —A BSENCE DE SÉRIEUX EFFORTS

1. La Cour a rejeté la première demande reconventionnelle de

l’Ouganda (paragraphe 9 du dispositif). Lors du vote sur ce paragraphe,
je me suis trouvé devant un dilemme. Tout d’abord, je suis d’accord avec
les vues de la Cour sur cette demande reconventionnelle en ce qui
concerne la seconde période, de mai 1997 au 2 août 1998, et en ce qui
concerne la troisième période, après le 2 août 1998 (voir paragraphes 302-

304 de l’arrêt). Néanmoins, ma position est différente de celle de la majo-
rité à propos d’un aspect concernant la première période, de 1994 à mai
1997. Je me rallie à la majorité dans sa conclusion que «l’Ouganda n’a
pas produit de preuves suffisantes démontrant l’implication des autorités
zaïroises dans un soutien politique et militaire à certaines attaques contre

le territoire ougandais» (par. 298). Cependant, je regrette de ne pouvoir
souscrire au raisonnement et à la conclusion de la majorité que la Répu-
blique démocratique du Congo (RDC) n’a pas failli à son obligation de
vigilance durant la période 1994-1997 en tolérant l’usage de son territoire
par des groupes rebelles antiougandais pour lancer des attaques contre

l’Ouganda (par. 300-301). Cependant, comme l’observe la Cour, la RDC
«a reconnu que des groupes antiougandais opéraient sur son territoire
depuis 1986 au moins» (par. 300). Il n’est pas contesté que, durant la
période pertinente pour cette part de la demande de l’Ouganda (de 1994
à mai 1997), les groupes antiougandais ont utilisé le territoire de l’Etat

alors nommé Zaïre pour lancer des attaques contre l’Ouganda et sa
population, qui ont effectivement été victimes de ces attaques. Le Zaïre
était parfaitement au fait de cette situation.
2. La souveraineté d’un Etat territorial n’implique pas seulement des
droits, mais aussi des obligations. Cette Cour, dans l’affaire du Détroit de

Corfou, a confirmé le «principe général et bien reconnu» selon lequel
l’Etat a «l’obligation ... de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins

187352 ARMED ACTIVITIES (DECL . TOMKA )

ciple” according to which every State has the “obligation not to allow

knowingly its territory to be used for acts contrary to the rights of other
States” (Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1949 , p. 22).
3. In accordance with the provisions of the Declaration on Principles
of International Law concerning Friendly Relations and Co-operation
among States, provisions which are declaratory of customary rules, “every

State has the duty to refrain from . . . acquiescing in organised activities
within its territory directed towards the commission of such acts [i.e. acts
of civil strife or terrorist acts] when the acts involve a threat or use of
force”; and, “no State shall . . . tolerate subversive, terrorist or armed
activities directed towards the violent overthrow of the regime of another

State” (A/RES/2625 (XXV)).

4. The duty of vigilance required Zaire to exert all good efforts in
order to prevent its territory from being used to the detriment of Uganda.

Whether Zaire complied with such a duty should be determined on the
basis of Zaire’s conduct. The geomorphological features or size of the ter-
ritory does not relieve a State of its duty of vigilance nor render it less
strict. Nor does the absence of central governmental presence in certain
areas of a State’s territory set aside the duty of vigilance for a State in

relation to those areas. Otherwise such absence, coupled with the attacks
originating in that territory would have justified the neighbouring State,
victim of attack, to step in and to put an end to the attacks.

The duty of vigilance is an obligation of conduct, not an obligation of
result. It may happen that despite all good efforts of a State, which has a
duty of vigilance, the neighbouring State will nevertheless suffer harm.
The occurrence of harm does not necessarily prove that the duty of vigi-
lance was breached. But its occurrence creates the presumption that the

obligation of vigilance has not been complied with. In such a case it
would be for the State which has the duty of vigilance (i.e., the DRC in
the present case) to demonstrate that it exerted all good efforts to prevent
its territory from being misused for launching attacks against its neigh-
bour in order to rebut such a presumption.

5. The DRC has not provided the Court with credible information on
any such bona fide effort. Therefore, I am unable to concur with the view
of the majority that the absence of action by Zaire’s Government against
the rebel groups in the border area is not tantamount to “tolerating” or
“acquiescing” in their activities (para. 301). I am convinced that justice

would have been done if the DRC were found responsible for Zaire’s
toleration of the activities of (anti-Ugandan) rebel groups from its terri-
tory against Uganda, in the first period up to May 1997, that is, for its
own failure to comply with its obligation of vigilance.

6. The Court’s finding in paragraph 9 of the dispositif concerns
Uganda’s first counter-claim in toto. Although I concur with the majority

188 ACTIVITÉS ARMÉES (DÉCL. TOMKA ) 352

d’actes contraires aux droits d’autres Etats» (fond, arrêt, C.I.J. Recueil

1949, p. 22). L’Etat a le devoir de non seulement protéger sa propre
population, mais aussi d’éviter de nuire à ses voisins.
3. Selon les dispositions de la déclaration relative aux principes du
droit international touchant les relations amicales et la coopération entre
les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, des dispositions

qui sont déclaratoires du droit coutumier, «[c]haque Etat a le devoir de
s’abstenir ... de tolérer sur son territoire des activités organisées en vue de
perpétrer de tels actes, [par exemple, des actes de guerre civile ou des
actes de terrorisme] lorsque les actes ... impliquent une menace ou l’emploi
de la force»; et «[t]ous les Etats doivent aussi s’abstenir ... de tolérer des

activités armées subversives ou terroristes destinées à changer par la vio-
lence le régime d’un autre Etat» (A/RES/2625 (XXV)).
4. Le devoir de vigilance requérait du Zaïre de faire de sérieux efforts
afin d’empêcher que son territoire ne soit utilisé au détriment de

l’Ouganda. C’est sur la base de la conduite du Zaïre qu’il devrait être
déterminé si le Zaïre s’est acquitté ou non de son devoir. Les caractéris-
tiques géomorphologiques ou l’étendue du territoire ne libèrent pas un
Etat de son devoir de vigilance, pas plus qu’elles ne rendent celui-ci moins
strict. L’absence de gouvernement central dans certains secteurs du terri-

toire d’un Etat ne relève pas non plus ce dernier de son devoir de vigi-
lance quant à ces secteurs. Dans le cas contraire, une telle absence,
accompagnée d’attaques provenant de ce territoire, aurait permis de jus-
tifier que l’Etat voisin, victime de l’attaque, puisse intervenir pour mettre
fin à ces attaques.

Le devoir de vigilance est une obligation de comportement et non une
obligation de résultat. Il est possible que malgré de sérieux efforts par un
Etat ayant un devoir de vigilance, l’Etat voisin subisse néanmoins un pré-
judice. Un tel préjudice ne prouve pas nécessairement qu’il y ait eu viola-
tion du devoir de vigilance, mais ce préjudice établit toutefois une pré-

somption selon laquelle le devoir de vigilance n’a pas été respecté. Pour
renverser cette présomption, l’Etat titulaire du devoir de vigilance (la
RDC en l’espèce) doit démontrer qu’il a fait de sérieux efforts afin
d’empêcher que son territoire ne soit utilisé pour lancer des attaques
contre son voisin.

5. La RDC n’a pas fourni d’information crédible à la Cour démon-
trant qu’un tel effort bona fide ait été fait. Ainsi, je ne peux me rallier à
l’opinion de la majorité selon laquelle l’absence d’action du Gouverne-
ment du Zaïre à l’encontre des groupes rebelles ne constitue pas une
«tolérance» ou un «acquiescement» à leurs activités (par. 301). Je suis

convaincu que justice aurait été rendue si la RDC avait été trouvée res-
ponsable de la tolérance par le Zaïre des activités des groupes rebelles
(antiougandais), à partir de son territoire (la RDC) contre l’Ouganda,
durant la première période allant jusqu’en mai 1997; c’est-à-dire pour
son propre manquement à s’acquitter de son devoir de vigilance.

6. La conclusion de la Cour dans le paragraphe 9 du dispositif concerne
la première demande reconventionnelle de l’Ouganda in toto. Bien que je

188353 ARMED ACTIVITIES DECL .TOMKA )

with respect to the major part of the first counter-claim, nevertheless I

cannot agree with its finding with respect to one of the elements of the
counter-claim. That is sufficient, in my view, for upholding the counter-
claim. So, at the end, I felt to be left with no other choice than to vote

against paragraph 9 of the dispositif. Needless to say that what I
consider to be a breach by the Democratic Republic of the Congo of its
duty of vigilance cannot be compared to the magnitude of Uganda’s
breach of the prohibition of the use of force.

II. GRAVE BREACHES OF INTERNATIONAL HUMANITARIAN L AW —
O BLIGATION TOPROSECUTE

7. The Court has found that Uganda has breached its obligations
under international humanitarian law (paragraph 3 of the dispositif).
When considering the allegation of breaches of international humanitar-

ian law obligations by the Uganda Peoples’ Defence Forces (UPDF), the
Court, being convinced that they were committed, qualifies these breaches
as grave (see paragraphs 207 and 208).

8. The Court has also determined the legal consequences of Uganda’s
breaches of its international legal obligations, including the obligations
under international humanitarian law (see the dispositif, paragraph 6,
and also paragraphs 251-261). In doing that, the Court took as a point of

departure the fourth final submission of the DRC (see paragraphs 25 and
252) and determined these consequences under the general rules of inter-
national law on responsibility of States for internationally wrongful acts.

9. Nevertheless, since grave breaches of international humanitarian
law were committed, there is another legal consequence which has not
been raised by the DRC and on which the Court remains silent. That
consequence is provided for in international humanitarian law. There

should be no doubt that Uganda, as party to both the Geneva Conven-
tions of 1949 and the Additional Protocol I of 1977 remains under the
obligation to bring those persons who have committed these grave

breaches before its own courts (Article 146 of the Fourth Geneva
Convention, and Article 85 of the Protocol I Additional to the Geneva
Conventions).

III. ELF-D EFENCE AND THE N ON-U SE OFFORCE

10. The order in which the Court, in the present case, has dealt with

legal issues relating to self-defence and the prohibition of the use of force
is worthy of note.
The Court having first made its findings on the facts concerning
Uganda’s use of force (paras. 55 et seq.), then moves to the analysis of

relevant legal norms. In this analysis, leaving aside the issue of the alleged

189 ACTIVITÉS ARMÉES (DÉCL .TOMKA ) 353

sois d’accord avec la majorité sur la plupart des éléments de la première
demande reconventionnelle, je ne peux me rallier à sa conclusion sur un
des éléments de cette demande. Cet élément est suffisant, à mon avis,

pour faire droit à la demande reconventionnelle. Ainsi, j’estime n’avoir
d’autre choix que de voter contre le paragraphe 9 du dispositif. De toute
évidence, cependant, ce que je considère comme étant une violation du
devoir de vigilance par la RDC n’est aucunement comparable à l’ampleur
de la violation de l’interdiction de l’emploi de la force par l’Ouganda.

II. INFRACTIONS GRAVES DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE —
D EVOIR DE POURSUIVRE

7. La Cour conclut que l’Ouganda a violé ses obligations en vertu du
droit international humanitaire (par. 3 du dispositif). En se penchant sur
les allégations d’infractions des obligations de droit international huma-

nitaire par les Forces de défense du peuple ougandais (UPDF), non seu-
lement la Cour est convaincue que celles-ci ont été commises, mais elle
qualifie également ces infractions de graves (voir par. 207-208).
8. La Cour a aussi déterminé les conséquences juridiques pour
l’Ouganda des violations de ses obligations juridiques internationales,

incluant les obligations de droit international humanitaire (voir le dispo-
sitif, par. 6 ainsi que les par. 251-261). Ainsi, la Cour a pris comme point
de départ la quatrième conclusion de la RDC (voir par. 25 et 252) et
a déterminé ces conséquences au vu des règles générales du droit inter-

national sur la responsabilité des Etats pour faits internationalement
illicites.
9. Une autre conséquence juridique doit être tirée lorsqu’on est en pré-
sence d’infractions «graves» au droit international humanitaire, comme
c’est le cas dans la présente affaire. Cette conséquence, prévue par le droit

international humanitaire, doit être soulignée, même si la RDC ne l’a pas
soulevée et que la Cour est demeurée muette sur celle-ci. Il ne devrait y
avoir aucun doute que l’Ouganda, en tant que partie aux conventions de
Genève de 1949 ainsi qu’au protocole additionnel I de 1977, demeure

dans l’obligation de traduire devant ses propres tribunaux les personnes
qui ont commis ces graves infractions (quatrième convention de Genève,
art. 146; protocole additionnel I de 1977, art. 85).

III. LÉGITIME DÉFENSE ET INTERDICTION DE L ’EMPLOI DE LA FORCE

10. L’ordre dans lequel la Cour a abordé les questions liées à la légi-
time défense et à l’interdiction de l’emploi de la force dans cette affaire

mérite d’être mentionné.
La Cour ayant d’abord établi les faits concernant l’emploi de la force
par l’Ouganda (par. 55 et suiv.), elle s’est ensuite penchée sur l’analyse
des normes juridiques pertinentes. Laissant de côté la question du consen-

189354 ARMED ACTIVITIES (DECL. TOMKA )

consent by the DRC to Uganda’s military presence on the former’s terri-
tory, the consideration of self-defence precedes that of the prohibition
of the use of force. One may consider that order understandable since if,
according to Article 51 of the Charter,

“[n]othing in the present Charter shall impair the inherent right of
individual or collective self-defence if an armed attack occurs against

a Member of the United Nations, until the Security Council has
taken measures necessary to maintain international peace and
security”,

then a lawful exercise of the right to self-defence cannot constitute a
breach of any relevant article of the United Nations Charter (in concreto,
Art. 2, para. 4), and there would be no point in analysing the latter. Only
once the Court concludes that “the legal and factual circumstances for

the exercise of a right of self-defence by Uganda . . . were not present”
(para. 147), is it incumbent upon it to consider, and to make findings on,
the prohibition of the use of force (paras. 148 et seq.).

11. The prohibition on the use of force cannot be read without having
regard to the Charter provisions on self-defence. The provisions on self-
defence, in fact, delineate the scope of rules prohibiting the use of force.
If a measure in question constitutes a lawful measure of self-defence, it
necessarily falls outside the ambit of the prohibition. In other words, the

prohibition of the use of force is not applicable to the use of force in law-
fully exercised self-defence.

12. The order in which the Court considers self-defence and the pro-
hibition of the use of force in the present case is thus different from that

in which it considered them in the case concerning Military and Para-
military Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States
of America) (Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986 , pp. 98-106,
paras. 187-201; and pp. 118-123, paras. 227-238), although it does not

lead to different conclusions.

(Signed) Peter T OMKA .

190 ACTIVITÉS ARMÉES (DÉCL . TOMKA ) 354

tement allégué de la RDC à la présence militaire de l’Ouganda sur le ter-
ritoire de la RDC, l’analyse de la légitime défense précède celle de l’inter-
diction de l’emploi de la force. L’on peut comprendre cet ordre, étant
donné que, si selon l’article 51 de la Charte,

«[a]ucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit
naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où

un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée,
jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires
pour maintenir la paix et la sécurité internationales»,

un exercice licite du droit à la légitime défense ne peut alors constituer un
manquement à l’article pertinent de la Charte des Nations Unies (in
concreto, art. 2, par. 4) et il n’est aucunement nécessaire de considérer
cette seconde disposition. C’est seulement lorsque la Cour conclut que

«les conditions de droit et de fait justifiant l’exercice d’un droit de légi-
time défense par l’Ouganda ... n’étaient pas réunies» (par. 147) qu’il est
nécessaire de considérer l’interdiction de l’emploi de la force et d’en tirer
des conclusions (par. 148 et suiv.).

11. L’interdiction de l’emploi de la force ne peut être interprétée sans
examiner les dispositions de la Charte portant sur la légitime défense. En
effet, les dispositions sur la légitime défense circonscrivent la portée de
l’étendue des règles sur l’interdiction de l’emploi de la force. Si la mesure
en question constitue une mesure licite de légitime défense, celle-ci tombe

nécessairement en dehors de la portée de l’interdiction. En d’autres mots,
l’interdiction de l’emploi de la force n’est pas applicable au recours à la
force exercé en cas de légitime défense.
12. L’ordre dans lequel la Cour considère la légitime défense et l’inter-
diction de l’emploi de la force dans la présente affaire est ainsi différent

de l’ordre adopté dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires
au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique)
(fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 98-106, par. 187-201; et p. 118-123,
par. 227-238), même s’il ne mène pas à des conclusions différentes.

(Signé) Peter T OMKA .

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Déclaration de M. le juge Tomka

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