Opinion dissidente de Sir Robert Jennings, juge ad hoc (traduction)

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088-19980227-JUD-01-09-EN
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088-19980227-JUD-01-00-EN
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OPINION DISSIDENTE DE SIR ROBERT JENNINGS

[Traduction]

Je regrette profondémentde ne pouvoir souscrire à la décisionde la
majoritédes membres de la Cour dans la présente affaire.
Deux questions seposent en l'espèce:cellede la compétence etcellede
la recevabilité. Commeje suis d'un avis différentde la majorité sur ces
deux questions, je dirai brièvement pourquoi, en commençant par la
question de la compétence.

La compétencedela Cour ne peut être établie en l'espèceque si, etdans
la mesureou, ilestdémontréqu'ielxisteun ou plusieurs différend( s(concer-
nant l'interprétationou l'application dela présenteconvention))au sensdu
paragraphe 1de l'article14de la convention deMontréalde 1971pour la
répression d'actesillicites dirisontre la sécurité dle'aviationcivile.Pour
répondre à cette question, il est nécessaired'examiner deux élémentts:ut
d'abord,lesdemandesformulées par la Libye,non seulementau coursdela
présente phase dela procéduremais aussi dans sa requêtedu 3 mars 1992

introduisant une instance contre le Royaume-Uni - et cela afin de déter-
minercequiseraitcontesté;et,en secondlieu,lesdispositions dela conven-
tion qui seraient en cause dans le litige. Comme il est fait référencaux
dispositions pertinentes dela convention dans les conclusions dela Libye,
nous examineronssuccessivementces conclusions (ou demandes ainsi que
la Libye les qualifiedans sa requêteet dans son mémoire).Elles sont au
nombredequatre, la Cour ayant été priée de direetjugercequ'il estdit aux
alinéasa), b), c) et d) desconclusionsdu mémoirede la Libye,commesuit.

a) Quela convention deMontréals'appliqueauprésent litige

La question que la Cour doit trancher est cellede savoir lequel desélé-
ments des demandes libyennes serait contesté par le Royaume-Uni tout
en concernant nécessairement((l'interprétation ou l'application» dela
convention de Montréal, établissantainsi la compétencede la Cour au
titre de l'article14de la convention.La formulation large de cette conclu-
sion a) éludetout simplement la question de savoir quelles dispositions
particulièresde la convention sont censéesêtreen cause.
La citation du texte intégralde la convention amène également à se
demander si les auteurs de cet instrument ont jamais entendu viser les

actes de terrorisme qui auraient étécommis par des personnes au service
d'un gouvernement qui aurait été impliquélui aussi dans la perpétration
de ces actes. Il convient de noter que cette conclusion a) ne figurepas du tout dans
la requêteintroductived'instance de la Libye. On peut ainsi sedemander,
maintenant que la Cour a dit qu'elleétait dansune certaine mesure com-
pétente,jusqu'à quel point la Libye peut encore essayer de modifier le
contenu et la nature de ses demandes en vertu du droit qu'elle s'est
réservé «de compléter etmodifier s'ily a lieu lesprésentes conclusionsen
cours de procédure)).

b) Que la Libye a pleinement satisfaià toutes ses obligations
au regard de la conventionde Montréalet estfondée à exercer

la compétencepénale prévue par cette convention
Il n'existàcet égardaucun différendau'titre de la convention puisque

le Royaume-Uni n'a pas cherché à contester que la Libye a pleinement
satisfaitàtoutes ses obligations au regard de la convention. Aucune dis-
position de la convention ne s'oppose, en effet,àla demande d'extradi-
tion des deux suspects formulée par le Royaume-Uni. Il n'a pas été
contesté non plus que, conformément aux termes de la convention de
Montréal, la Libye soit fondée à exercer sa propre compétence pénale
prévuepar cetteconvention. Le Royaume-Unia fait cependant valoir en
l'espèceque la Libye n'estpas maintenant fondée à exercer cette compé-
tence dans la mesure où cela va à l'encontre des décisionsprises par le
Conseil de sécuritéen vertu du chapitre VI1 de la Charte; c'est là une
question qui ne sepose pas au titre des dispositions de la convention mais
qui concerne l'interprétation ou l'application de la Charte des Nations
Unies; prétendre que cette question relèveraitdu paragraphe 1 de l'ar-
ticle14est quelque peu absurde.

c) Que le Royaume-Uni a violé,et continue de violer, ses obligations
juridiques envers la Libye stipuléesà l'article 5, paragraphes 2 et 3,a
l'article 7, a l'article 8, paragraphes 2 et 3, et à l'article11 de la
convention de Montréal

Il y a lieu d'examiner successivementchacune de ces dispositions de la
convention pour déterminers'il existe à leur égardun différendqui relè-
verait de l'article4 de la convention.

Paragraphe 2 de l'article 5

Aux termes de cet article, tout Etat partià la convention prend «les
mesures nécessairespour établirsa compétence))au sujet des infractions

prévuesdans la convention, s'il n'extrade pas l'auteur présuméqui «se
trouve sur son territoire)).
Cette disposition créeune obligation juridique pour la Libye, comme
pour toute les partiesà la convention, obligation dont la Libye prétend
s'êtreeffectivement acquittée.Il est difficilede comprendre comment on
peut soutenir que le Royaume-Uni a violé,et continuerait apparemmentde violer, cette obligation qui incombà la Libye; et il est encore plus
difficilede comprendre ce qui serait en cause dans ce prétendudifférend.
Le paragraphe 2 de l'article 5 vise la législationet autres mesures que la
Libye, en tantqu'Etat partieàla convention, est tenue d'appliquer. Elle
prétendl'avoir fait, ce que n'a pas contestéle Royaume-Uni.

Paragraphe 3 de l'article5

«La présente convention n'écarteaucu e compétence pénaleexercée
conformément aux loisnationales.»
Il n'ya pas, là non plus l'ombre d'un'i1end entre lesParties au sujet
de l'interprétation ou de l'application de la convention.Cette disposition
est très claire etne prêteguèrecontroverse.

Article 7

Selon cet artic:e

«L'Etat contractant sur le territoire duquel l'auteur présuméde
l'une des infractions est découvert,s'iln'extrade pas ce dernier, sou-
met l'affaire, sans aucune exception et que l'infraction ait ou non été
commise sur son territoire, ses autoritéscompétentespour l'exer-
cice de l'action pénale.Ces autorités prennent leur décisiondans les
mêmesconditions que pour toute infraction de droit commun de
caractère grave conformémentaux lois de cet Etat.
Il est aussi difficile de comprendre sur la base de quoi on peut pré-
tendre que le Royaume-Uni a violécet article de la convention.
La demande d'extradition du Royaume-Uni n'est pas contraire à la
convention puisque l'extradition constituel'autre procédurepossible envi-
sagéepar l'article lui-même.Mêmesi le fait d'insister sur l'extradition
plutôt que sur l'exercice de l'action pénale sur le plan interne était
contraire à la convention, une plainte à cet égard devrait être alors
adresséeau Conseil de sécurité etnonà certains membres de cet organe.
Quoi qu'il ensoit, il est difficilede comprendre pourquoi la Libye serait
en fait empêchée dpeoursuivre les deux suspects, alors qu'à ses dires elle
serait précisément etrain de le faire avec un retard très curieux.

Conformément à l'article 7 de la convention,la Libye, sur le territoire
de laquelle se trouvent les auteurs présumésde l'infraction, est tenue
de les extrader soit, si elle ne lesextrade pas, de veiller eàlenga-e
ger des poursuites contre eux. Cette dernière possibilitéa été écparé
le Conseil de sécuridans ses résolutions,dont les termes excluent l'op-
tion de l'exercicede l'action pénalesur le plan interne (mesure certaine-
ment raisonnable puisque 1'Etatpartieà la convention est accuséd'être
lui-mêmeimpliquédans l'infraction). La Libye conteste les effets des
résolutionsdu Conseil de sécurité;il ne s'agit cependant pas dans ce cas
d'un différendavec le Royaume-Uni au sujet de la convention mais d'undifférendavec le Conseil de sécuritéau sujet de ses résolutions.Ce n'est

pas un différendque l'on puisse raisonnablement considérercomme rele-
vant du champ d'application que l'on a voulu donner à l'origineau para-
graphe 1de l'article 14.Ce n'est pas, en effet, un différendqui peut être
réglé au regard de l'article7 ni d'aucune autre disposition de la conven-
tion. Le différendvéritable concernela significationet l'applicabilitéde la
Charte des Nations Unies, pour ce qui est notamment de sesarticles 25et
103,ainsi que la significationet l'application des résolutions731 (1992),
748(1992)et 883 (1993)du Conseil de sécurité.Vouloirrattacher ce ((dif-
férend))au paragraphe 1de l'article 14de la convention, par le biais de
l'article7, n'estqu'un artificequi ne devrait pas tromper la Cour. Dans la
mesure, cependant, où la Cour semblemaintenant accepter cet argument,
il convient de ne pas perdrede vue lespossibilitésmultiplesqu'ilouvre de
recourir à des clauses de compétenceordinaires et courantes des traités
bilatéraux pour contrecarrer et retarder les mesures de maintien de la
paix du Conseil de sécurité.

Il semblecependant existercertaines divergencesde vues entre la Libye
et le Royaume-Uni sur la signification et l'interprétationdes résolutions
du Conseil de sécurité;mais si, comme la Libye elle-même les interprète,
ces résolutions n'exigent pastoutes la remise des suspects, la seconde
option prévue àl'article 7 qui permettrait àla Libye de s'acquitter de ses
obligations conventionnelles demeure entière.

Il convient de noter à ce stade la manière dont la Cour a, dans son
arrêt,tenté deneutraliser leseffetsdes résolutionsadoptéespar le Conseil
de sécuritéen vertu des pouvoirs qui lui sont conféréspar le chapitre VI1
de la Charte. Il est vrai que «les résolutions748 (1992)et 883 (1993)du
Conseil de sécuritéont ...étéadoptées aprèsle dépôt de la requête,le
3mars 1992»,et que,((conformément à unejurisprudence constante, sila
Cour était compétente à cette date, elle l'estdemeurée))(arrêt, par.38).

Mais ce fait n'est pas pertinent. La Cour suppose qu'elle avait,à la date
de la requête,compétencepour connaîtred'un différendrelevantdu para-
graphe 1 de l'article 14de la convention, un différenddont lesrésolutions
considérées auraient tentéde modifier leseffets. Or, tel n'estpas le cas.l
ne s'agit pasde savoir si, par sesrésolutions,le Conseil de sécuritaurait
essayéde soustraire à la Cour une affaire sur laquelle elleavait déjàétabli
sa compétence, maisde constater qu'il n'y a vraiment jamais eu aucun
différendentre les Parties au sujet de la convention de Montréal. Il est
vrai que la Libye a vigoureusement remis en question, sous le couvert de
la présenteprocédure,la valeur et la significationjuridiques de toutes ces
résolutions du Conseil de sécurité;mais il n'existe aucun différendau
titre du paragraphe 1 de l'article 14 de la convention.

Paragraphes2 et 3 de l'article8

Dans sa requête, laLibye se réfèreau paragraphe 2 de l'article 8, qui
dispose : «Si un Etat contractant qui subordonne l'extradition à l'existence
d'un traitéest saisi d'une demande d'extradition par un autre Etat
contractant aveclequel il n'estpas liépar un traité d'extradition, il a
la latitude de considérerla présente convention commeconstituant
la base juridique de l'extradition en ce qui concerne les infractions.
L'extradition est subordonnée aux autres conditions prévuespar le
droit de 1'Etatrequis.»

Cependant, dans les conclusions de son mémoire,la Libye se réfère
seulement au paragraphe 3 de l'article 8, qui impose l'obligation suivante
aux Etats contractants:
«les Etats contractants qui ne subordonnent pas l'extradition à

l'existence d'un traité reconnaissent les infractions comme cas
d'extradition entre eux dans les conditions prévuespar le droit de
1'Etatrequis».
On ne saurait, là aussi, comprendre comment on peut prétendre que le
Royaume-Uni continuerait de violer l'une ou l'autre de ces dispositions,
et encore moins comment on peut soutenir qu'il y aurait là un différend
entre le Royaume-Uni et la Libye sur leur interprétation ou application.

Article II

Cet article impose aux Etats contractants l'obligation de s'accorder
((l'entraide judiciaire la plus large possible dans toute procédure
pénale relativeaux infractions. Dans tous les cas, la loi applicable
pour l'exécution d'unedemanded'entraide est cellede 1'Etatrequis.»

La Libye prétend que le Royaume-Uni n'a pas fait tout ce qu'il était
tenu de faire en matièred'entraide judiciaire conformément à cet article.
Il n'y a pas en tout cas de différendsur l'interprétation de la convention;
se pose certes la question de savoir si cet instrument est applicable, étant
donné la situation nouvelle découlantdes résolutionsdu Conseil de sécu-
rité.Mais là aussi il s'agitd'une question,ou mêmed'un différend,qui ne
saurait êtreréglésur la base des dispositions de la convention, sur les-
quelles il n'y a pas de véritable différend.l s'agit d'un différendsur les
effets desrésolutions,et un tel différend nesaurait êtreconsidérécomme
relevant de l'article14de la convention.
Quoi qu'il en soit, il y a lieu de noter que l'obligation de «s'accorder»
(terme qui n'est pas très fort) une entraide en fournissant des informa-

tions est restreinte en l'espèce,conformémentaux termes mêmesde cet
article, par le droit pertinent écossais.En outre, le Royaume-Uni a cer-
tainement fourni assez d'informations sur lesquelles la Libye peut vala-
blement s'appuyer pour engager des poursuitescontre les suspects si telle
est la manière dont elle entend procéder. On peut raisonnablement sup-
poser qu'assez d'informations et d'éléments ont étéfournis à la Cour. Il
est donc quelquepeu fantaisistedeprétendre qu'ilpourrait y avoir un dif-férendentre le Royaume-Uni et la Libye sur l'application de l'article 11
de la convention. En outre, la Libye a soutenu (voir paragraphe 26 du

présentarrêt),qu'elle«a exercésa compétence à l'égarddes deux auteurs
présumés de l'infraction en vertu de son code pénalet le défendeurne
devrait pas entraver l'exercicede cette compétence)).Cela est cependant
manifestement incompatible avec la conclusionprésentéepar la Libye au
titre de l'article 11 de la convention, et la Libye ne saurait avoir raison
sur ces deux points à la fois. Bien loin de la question de savoir s'ilexiste
un différendau titre de l'article 14,il est très douteux qu'ilexisteun quel-
conque différend.

d) Que le Royaume-Uni est juridiquement tenu de respecter le droit de
la Libye à ce que cette convention ne soit pas écartée par des moyens

qui seraient au demeurant en contradiction avec les principes de la
Charte des Nations Unies et du droit international généralde caractère
impératif quiprohibent l'utilisation delaforce et la violation de la sou-
veraineté, del'intégrité territoriale,e l'égalité souveraindees Etats et
de leur indépendance politique

Il est intéressantde noter comment la Libye a, pour arriver au texte de
cette conclusion, tel qu'ilfigure dans son mémoire,modifiéla conclusion
correspondantecontenuedans sa requête(en tant que conclusion c), telle
que reproduite dans l'ordonnance de la Cour du 14 avril 1992, C.I.J.
Recueil 1992, p. 7). Initialement, la Libye avait priéla Cour de dire et
juger que le Royaume-Uni

«est juridiquement tenu de mettre fin et de renoncer immédiatement
à cesviolations etàtoute formede recours à la force ouà la menace
contre la Libye,y compris la menace de recourir à la force contre la
Libye, ainsi qu'à toute violation de la souveraineté,de l'intégter-
ritoriale et de l'indépendancepolitique de la Libye)).

Dans la dernièreversion de cette conclusion, le mot ((immédiatement))a
disparu. On a jugésans doute qu'il était impropre aprèsplus de cinq ans
de paix continue avecle Royaume-Uni.On peut iciaussi seposer la ques-
tion de savoirjusqu'à quelpoint un Etat, en seréservanttout simplement
«le droit de compléter et modifier))ses conclusions, peut modifierà son
gré, aufur et àmesure de la procédure,la base mêmede son argumenta-
tion formuléedans sa requête initiale,sans solliciter au moins l'agrément
de la Cour.
Le changement le plus mûrement réflécha i étécependant sans aucun
doute l'introduction du conceptconcernant le «droit de la Libyeà ce que
cette convention [àsavoir la convention de Montréal]ne soit pas écartée
par des moyens...)) Cette idéevise manifestement à indiquer que le fait
d'écarter laconvention ferait relever le différendde la rubrique ((applica-

tion» de la convention, selon l'énoncédu paragraphe 1 de l'article 14de
la convention qui fonde la compétence.
Cet ajout peut suggérercela sans pourtant l'établir,selon moi. La mise CONVENTION DE MONTRÉAL DE 1971(OP. DISS.JENNINGS) 105

à l'«écart»de certaines parties du régimeseulement de la convention, si
tant est qu'il yen ait eu une, résulte desrésolutionsdu Conseil de sécu-
rité.Tout différendsur la question de savoir sila conventiona étéou non

«écartée» opposerait ainsila Libye au Conseil de sécuritéet non pas au
Royaume-Uni, et ce différendne saurait être considéré comme relevant
du paragraphe 1 de l'article 14de la convention.
Pour toutes les raisons susmentionnées,la Cour n'a pas, selon moi,
compétencepour connaître du présent différend. Maisavant d'achever
mon analyse de la question de compétence,je souhaiterais formuler un
derniercommentaire. J'estimeen effetquelque peu spécieuxlesarguments
que formule le demandeurpour essayerde faire relever, d'une manièreou
d'une. autre, ou plutôt n'importe comment, cette question concernant
essentiellement le Conseil de sécuritédu champ d'application du para-
graphe 1 de l'article 14 de la convention. Ces arguments, intelligents et

mêmeingénieux,ont brillamment réussi à provoquer un retard de plus de
cinq ans, ce qui était sansdoute le but principalement recherché.Toute
cette tentative est cependant extrêmementartificielle.Elle a étéconçue de
manière àséduireles tenants de l'espritjuridique, mais je suis convaincu
que parmi les non-initiésles plus intelligentsne s'yarrêteraient pas long-
temps. Il est certes paradoxal que la clausejuridictionnelle d'une conven-
tion ayant essentiellementpour objet de lutter contre les actes de terro-
risme international dirigéscontre l'aviation civile soit ainsi utilisée avec
succèspour protégerdes individusaccusésd'avoir perpétréde telsactes de
terrorisme et qui sont en mêmetemps des nationaux et des agents d'un
Etat qui aurait participé lui-même à ces actes. Il semble extraordinaire
d'interpréter la conventionde manière à ce qu'un Etat, qui aurait parti-

cipé lui-même à un acte terroriste, ait lui seul le droit de poursuivre ses
propres agentsde renseignementqui auraient commisl'actecriminel.Cela
ne va pas seulement directement à l'encontre del'objet de la convention,
mais constitue aussi un défiau bon sens.Je ne peux que regretter profon-
dément quela Cour se soit laisséabuser par les séduisantsarguments qui
lui ont étéprésentés.

Si la Cour avait adopté, s'agissant de la question de la compétence,la
position que j'estime êtreà la fois la plus justifiéeet la plus sage, elle
n'aurait pas dû entrer dans son arrêtsur le terrain plutôt moins solide de
la recevabilité.Maisla position qu'ellea adoptéem'obligeà aborder cette
question.
Avant de passer aux aspectsprincipaux de la thèsede la recevabilité,je
voudrais d'abord examiner le paragraphe 7 de l'article 79 du Règlement
de la Cour, disposition de portée étroite, technique, maisau premier
abord source de perplexité,qui, dans une sous-sectionintitulée «Excep-
tions préliminaires», prévoitce qui suit:

((7. La Cour, après avoir entendu les parties, statue dans un arrêt
par lequel elle retient l'exception, la rejette ou déclare que cette

1O0 CONVENTION DE MONTRÉAL DE 1971(OP. DISS. JENNINGS) 106

exception n'a pas dans les circonstances de l'espèceun caractère
exclusivementpréliminaire.Si la Cour rejette l'exception ou déclare
qu'elle n'a pas un caractère exclusivement préliminaire,elle fixe les
délaispour la suite de la procédure. ))

Ce sont lesmots ((caractèreexclusivementpréliminaire))quilaissent per-
plexes dans cette disposition. Chacun sait qu'ils ont été ajoutée sn réac-
tion à ce qui s'était passdans les affairesdu Sud-Ouest africain de 1966
(C.I.J. Recueil 1966, p. 6) et dans celle de la Barcelona Traction, Light

and Power Company, Limited (C.I.J. Recueil 1970, p. 3). Maisvouloir se
prémunir contre unejurisprudence fâcheuseengendrede mauvaises règles
de droit. Et, malheureusement, il n'est pas aiséde trouver une exception
préliminairedont on peut absolument dire qu'ellea un caractère exclusi-
vement préliminaire. Mêmlea question de la compétence,habituellement
considérée commerevêtant indubitablement un caractère préliminaire
exige, probablement le plus souvent, de s'aventurer dans une certaine
mesure sur le terrain du fond, comme cela a d'ailleurs étéle cas en
l'espèce.

Les questions de recevabilité, d'absenced'objet et autres questions ana-
logues dans la présenteaffaire ont amenéles deux Parties - cela a cer-
tainement étéle cas dans leur argumentation - à entrer très largement
sur le terrain du fond de l'affaire. On doit donc se demander s'ilest pos-
siblede donner une réponsetrès simple à l'exceptionpréliminaireen déci-
dant qu'elle ne revêtpas un caractère «exclusivement» préliminaire,
encore qu'ilsoitintéressant derelever que la Libyeétait loin deseconten-
ter d'invoquer cette possibilité.
Aussi est-il raisonnable de s'interroger sur les raisons qui incitent à
considérer certainesexceptions comme préliminaires.Après tout, toutes

les juridictions le font automatiquement. La raison doit certainement
tenir au fait que certains moyens de défenseaboutissent, s'ils sont rete-
nus, au classement immédiat detoute l'affaire si bien qu'il n'estpas alors
nécessairede «fixe[r]les délaispour la suite de la procédure)).Le bon
sens exige donc qu'on examine d'abord ces questions à titre d'«excep-
tions préliminaires)).
Mais qu'en est-il del'utilisation de l'adverbe «exclusivement» - mot
fort - au paragraphe 7 de l'article 79 du Règlement de la Cour? Le
terme heureusement n'y est pas utilisé de façon inconditionnelle. Sa

portéeest limitéepar le membre de phrase «n'a pas dans lescirconstances
de l'espèceun caractèreexclusivementpréliminaire))(lesitaliques sont de
moi). Il semble dès lors raisonnable d'interpréter les mots ((caractère
exclusivement préliminaire))comme qualifiant la qualité de ces moyens
de défenseinvoqués dans une affaire donnée qui,s'ilssont retenus, mar-
quent la fin de l'affaire et écartentainsi effectivement la possibilitéd'un
examen au fond.
Il semblerait que les deux Parties aient acceptétacitement cette façon
de voir en l'espèce,car cestrès largesincursionssur le terrain du fond lorsde la procédureoraleindiquent que cemoyen d'irrecevabilité ne revêt pas

un caractère exclusivement préliminaireque ce soit dans un sens littéral
ou absolu, mais il aurait étmis finà l'instance si la Cour avait conclà
l'irrecevabilité.
Il faut donc, en abordant la question de recevabilité, examinerle sens
des mots ((caractère exclusivement préliminaire)),car s'il est manifeste-
ment tentant d'écarterl'argument relatifà la recevabilitéen décidant que
l'exception d'irrecevabiliténe revêt pasun caractère «exclusivement»
préliminaire,cettesolution nous fait courir le risque de voir cette réponse
utiliséecontre àpeu près n'importe quellepartie àune affaire qui désire
soulever une exception préliminaire d'incompétence.
On pourrait certes faire valoir enrevancheque, si un moyenest si intime-
ment liéau fond commele demandeur en l'espèce semblm e anifestementle
penser,il conviendraitpeut-être alorsd'examinerle moyen relatif la rece-
vabilitéà l'occasiondu débatexhaustif surle fond. Mais lorsque la Cour a

acceptéde statuer sur l'exception préliminaiet l'a examinée,cet argument
va à l'encontre du butrecherché.Je ne peux donc pour cesmotifs suivre la
Cour et invoquerletextedu paragraphe 7 de l'article79du Règlementpour
écartercesexceptionspréliminaires,quecesoit à la compétence ou àla rece-
vabilité,en me fondant sur ce motif trèslégaliste ejturidiquement douteux.

Nous pouvons passer maintenant à l'examende la décisionde la Cour
sur le fond mêmedu moyen relatif à la recevabilité.
C'est à juste titre que la Cour dit que le principal argument présenté
par le Royaume-Uni est le suivant:

«la ou les questions en litige entre elle-même [la Libye]et le
Royaume-Uni [sont] maintenant réglée[sp]ar les décisionsque le
Conseil de sécuritéa prises en application du chapitre VI1 de la
Charte desNations Unies et qui lient lesdeux parties,et.lesrésolu-
tions adoptées priment, conformément à l'article 103 de la Charte,
en cas de conflit entre ce qu'elles exigentet les droits ou obliga-
tions qui découleraientde la convention de Montréal)) (voir para-
graphe 41 de l'arrêt).

Pour répondre à cette exception, la Cour, en plus d'invoquer l'article79
du Règlement ainsi qu'il est dit ci-dessus, tire argument de la décision
qu'ellea rendue dans l'affaire relative auxctions arméesfrontalières et
iansfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétenceet recevabilité
(C.I.J. Recueil 1988,p. 95, par. 66), où il est dit que «[l]a date criàique
retenir pour déterminer la recevabilitéd'une requêteest celle de son
dépôt». Et il est évidemment exactque les résolutions748 (1992)et 883
(1993)prises par le Conseil de sécuriten vertu du chapitre VI1l'ont été

après la date d'introduction de la requêtelibyenne en l'espèce.La Cour
juge cette situation définitiveet rejette sur cefondement lemoyen invoqué
par le Royaume-Uni à cet égard. Il est toutefois important de relever que la portéedu passage citépar la
Cour dans l'affaire relativeà des Actions arméesest limitéepar la suite

du paragraphe où il est dit ce qui suit:

«Il peut toutefois êtrenécessaire,pour détermineravec certitude
quelle étaitla situation la date du dépôtde la requête,d'examiner
les événementse ,t en particulier les relations entre les parties, pen-
dant une période antérieure à cette date, voire pendant la période
qui a suivi. En outre, il sepeut que des événementsrivent ensuitela
requête de son objet ou qu'ils prennent mêmeune tournure telle
qu'une nouvelle requêtene pourrait par la suite êtredéposéedans
des termes analogues. » (Actions arméesfrontalièreset transfronta-
lières (Nicaragua c. Honduras), compétenceet recevabilité,arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 95, par. 66.)

Il ressort de l'arrêten l'espèceque la Cour considèrela règlede la date
critique du dépôt de la requêtecomme généralementdéterminante en
matière derecevabilité.Elle ne réussitd'ailleurs qu'à éviter dejustesse un
raisonnement circulaire en définissant l'exceptionmêmed'irrecevabilité
en fonction de cette règlede la date critique. De sorte qu'il semble que la
façon d'éviterde se prendre au piègede cette règle estde soulever un
moyen qui ne saurait êtreconsidéré commetouchant à la «recevabilité»
ou qui n'est en tout cas pas ainsi qualifié.
Mais la décisionde la Cour d'appliquer cette règle à l'exceptiond'irre-
cevabilité soulevéepar le Royaume-Uni vient se heurter selon moi à un

solide argument de fond. Force est de se demander si la Cour a pleine-
ment considéréetpeséla gravitéd'unedécision desoumettre à la règlede
la date critique du dépôt de la demande une exception d'irrecevabilité
spécifiquementfondéesur une décision prisepar le Conseil de sécurité en
application du chapitre VI1et portant sur les opérationsde maintien de
la paix qu'il entreprend. Il faut toujours avoir l'esprit d'autres affaires
qui pourraient être introduitesà l'avenir. La décisionde la Cour a pour
effet pratique d'offrir un moyen de retarder ou de contrecarrer les déci-
sions prises par le Conseil de sécurité ensa qualité d'organe chargé du
maintien de la paix, voire d'entraîner une modification majeure du méca-
nismejuridique et politique de la Charte des Nations Unies que la Cour

elle-même,en tant qu'organe judiciaire principal de l'organisation est
chargée - on aurait pu le supposer - d'énoncer,d'expliquer et de pro-
téger.
Il faut toutefois aussi se pencher sur une autre partie de l'arrêt concer-
nant l'exception d'irrecevabilité:c'est la suite qui a été effectivement
réservée à la position de repli du Royaume-Uni, à savoir que les résolu-
tions du Conseil de sécurité«ont privé» l'affaire«d'objet», l'ont rendue
«sans objet», ou qu'«il n'y a pas d'affaire)) du fait de ces résolutions,
expressions utiliséespour qualifier cette exception particulière. Pour la
Cour, il ne s'agitpluslà d'une question de «recevabilité»et larèglede la
date critique du dépôt de la requête ne s'applique doncpas, quoique leraisonnement suivi dans l'arrêtest loin d'apporter une réponse clairà la

question de savoir si la règlepeut tout aussi bien êtreinversée:il ne s'agit
pas d'une question de recevabilitéparce qu'ellen'est pas assujettiàcette
date critique.
La Cour aboutit toutefois à la mêmeconclusion qu'auparavant en
appliquant maintenant une autre considération toute aussi artificielle et
légaliste:l'interprétation stricte, littérale ou absoluedu paragraphe 7 de
l'article 79 du Règlement,que nous venons d'examiner. Il convient tou-
tefois d'ajouter que la conclusion de la Cour sur ce point, qui n'est réel-
lement et fondamentalementqu'une autre façon de présenterla thèsede
l'irrecevabilité,peut donner lieu aux mêmesobjections graves que celles
qui ont été formulées plus haut à l'encontre de la décisionde la Cour
relativeà la recevabilité.Il semblepour lemoins regrettablede statuer sur

une exception préliminairemettant en cause la viabilitédes dispositions
de la Charte des Nations Unies relatives aux opérationsde maintien de la
paix sur la base d'un argument légalistereposant non pas sur la Charte
des Nations Unies mais sur l'interprétationd'un adverbeprêtant quelque
peu à controverse - «exclusivement» - à l'article 79 du Règlementde
la Cour.

La présenteaffaire soulèveaussi la question d'un principefondamental
extrêmementimportant qui a étémentionnédans les argumentations des

Parties, mais que le présentarrêts'ingénie à éviter:le rapport entre les
compétencesrespectives du Conseil de sécurité etde la Cour internatio-
nale deJusticeen tant qu'«organejudiciaire principal desNations Unies B.
Il ne fait aucun doute dans l'arrêtde la Cour que celle-cia reportél'exa-
men de cette question au stade du fond. Il semble toutefois indiqué
d'exposer dans la présenteopinion mon propre point de vue sur cette
question qui sert de toile de fond dans chaque phase de la présente
affaire, y compris celle de la demande en indication de mesures conser-
vatoires en 1992.
Dans tout système degouvernement, il y a des organes politiques qui
prennent des décisionssur le fondement de ce que l'on peut qualifier
de façon large de raisons politiques et ily a des tribunaux et d'autres

organes judiciaires qui prennent des décisionssur le fondement de I'in-
terprétation et de l'application de règles de droit. Ces deux types de
décisionssont nécessairesdans toute société civilisée régiear le principe
de la primauté du droit. On ne saurait affirmer que l'un de ces genres de
décisions esten lui-mêmesupérieur à l'autre; ils devraient plutôt être
complémentaires.
Or il peut arriver que ces différentstypes d'organes, politiques et judi-
ciaires, soient appelés traiter du mêmesujet ou de différents aspectsdu
mêmesujet. Comment doit s'ordonner la relation entre les deux organes
différents etentre leurs décisions respectives?Dans une sociétéou règne
1'Etatde droit, ce sont les principes et règlesapplicables du droit consti-tutionnel et administratif qui régissentcette relation. C'estprécisémenlta
mission d'une cour dejustice d'appliquer cesprincipes et règleset c'estce
qui s'est d'ailleurs produit dans la présente affaire. Aussi la tâche de la
Cour en l'espèceest-elle selon moi d'appliquer simplement le droit inter-
national.
Le premier principe du droit applicable est celui-ci: tous les pouvoirs
discrétionnairesexercés à l'occasion d'un mécanisme légitime de prise de
décisionsprocèdent nécessairementdu droit et sont donc régiset res-
treints par celui-ci. doit en être ainsinefût-ce que parce que c'estde lui
que ces décisionstirent leur seule autorité. On ne saurait logiquement
prétendre représenterle pouvoir et l'autorité dudroit et prétendresimul-
tanément être au-dessusde celui-ci.
Qu'il ensoit ainsi du Conseil de sécuritde l'organisation des Nations
Unies ressort clairement des termes du paragraphe 2 de l'article 24 de la

Charte :
((2. Dans l'accomplissementde ces devoirs, le Conseil de sécurité
agit conformément aux buts et principes des Nations Unies. Les
pouvoirs spécifiquesaccordésau Conseil de sécuritépour lui per-
mettre d'accomplir lesditsdevoirs sont définisau chapitres VI, VII,
VI11et XII. ))

J'approuve dèslors entièrement la thèse de la Libye selon laquelle les
décisionset lesmesures prises par le Conseil de sécuriténe sauraient nul-
lement êtreconsidérées comme bénéficiad n'tune sorte d'«immunité»les
mettant à l'abri de la juridiction de l'organe judiciaire principal des
Nations Unies, quoique je devraispeut-être ajouter que leRoyaume-Uni
n'a jamais avancéun tel argument.

Dans ce genre de situation, il me semblequela Cour est tenue, confor-
mément àla Charte, de toujours agir en qualité d'«organejudiciaire prin-
cipal desNations Unies». En bref, la Cour doit mettre en Œuvreet appli-
quer le droit. Ce qui entraîne l'obligation de tenir compte du droit
applicable des Nations Unies et notamment de tenir pleinement compte
des articles 24, 25, 28, 39, 48 et 103 de la Charte des Nations Unies. Et
donc de déclarer, d'interpréter, d'appliqueret de protéger le droit des
Nations Unies tel qu'il esténoncéen des termes dépourvus d'ambiguïté
dans la Charte.
Aussi, donc, lorsque le Conseil de sécurité,exerçantle pouvoir discré-
tionnaire que lui confère l'article 39 de la Charte, constate l'existence,
commedans la présenteaffaire,d'une ((menacecontrelapaix», iln'appar-
tient pas à l'organe judiciaire principal des Nations Unies de contester
cette décisionet encore moins de substituer sa propre décision à celledu

Conseil, mais d'indiquer le senset l'intention manifestes de l'article 39 et
de protégerl'exerciceque fait le Conseil de sécuritéde ce pouvoir et de
cetteobligationque le droit lui reconnaît et deprotégerl'exercicedu pou-
voir discrétionnaire decelui-cide ((déciderquelles mesures n'impliquant
pas l'emploi dela force armée doivent êtreprises pour donner effet à ses
décisions». En outre, lorsqu'il a décidé d'exercerles pouvoirs qu'il tient du cha-
pitre VI1 de la Charte, le Conseil de sécurité«a adoptéau sujet de cer-
taines questions liéesà la catastrophe de Lockerbie des décisionsayant

force obligatoire)) (Questions d'interprétationet d'application dela con-
vention de Montréalde 1971 résultantde l'incidentaériende Lockerbie
(Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), mesures conservatoires,
ordonnancedu 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992, p. 26, opinion indivi-
duelle de M. Lachs). Cela est indubitable car c'est ce que prévoitl'ar-
ticle 25 de la Charte. De plus il s'agitlà d'une compétenceraisonnable
et nécessaireexercéepar un organe auquel a été conféré «la responsa-
bilité principaledu maintien de la paix et de la sécuritéinternationales))
(art. 24), et ce précisément(([alfin d'assurer l'action rapide et efficace
de l'Organisation ».
Les commentateurs ont parfois envisagéla possibilitéde l'exercice
d'une sorte de pouvoir de ((contrôlejudiciaire))par la Cour internatio-
nale de Justice bien qu'ily ait lieu de rappeler que la Cour elle-mêmea
niéposséder unetel pouvoir dans l'affaire de la Namibie (Conséquences

juridiques pour les Etats de la présencecontinue de l'Afrique du Sud en
Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution276 (1970) du
Conseilde sécurité, avisonsultat$ C.I.J. Recueil 1971,p. 45, par. 89).Il
va de soi que se posent forcémentde nombreuses questions difficilesqui
n'ont pas encore trouvéde solutionjuridique lorsque des organes tels que
la Cour et d'autres organes des Nations Unies setrouvent appelés à exer-
cer ce qu'on a qualifiéà bon escient de ((fonctionsparallèles))(voir l'ar-
ticle riche d'enseignements de M. Skubiszewski intitulé «The Interna-
tional Court of Justice and the SecurityCouncil)),dans Fifty Yearsof the
International Court of Justice, 1996, àla page 606).
L'absence d'un pouvoir de contrôle judiciaire sur les décisionsprises
par le Conseil de sécuritéen application du chapitre VI1de la Charte ne
découle pas simplementde ce passage tiré de l'arrêt de la Cour dans
l'affaire de laNamibie. Ce sont les dispositions de la Charte elle-même
qui prévoientqu'il enest ainsi. De plus il ressorà l'évidence desactes de

la conférencede SanFrancisco qu'ilavait été proposé d'instaurerun pou-
voir de contrôle judiciaire mais que cetteproposition avait étrejetéepar
la conférencede rédaction. La Cour n'est pas un organe de revision, elle
ne peut substituer son propre pouvoir d'appréciation à celui du Conseil
de sécurité.Elle ne serait pas non plus à mon avis l'organe approprié
pour agir ainsi et le systèmejudiciaire contradictoire ne convient pas non
plus à la prise de décisionspolitiques.
Aussi la situationjuridique est-elletrèsclaire pour moi. La fonction de
l'organe judiciaire principal des Nations Unies est d'appliquer le droit
énoncé dans la Charte des Nations Unies. La responsabilitéprincipale du
maintien de la paix est conférée au Conseil de sécuritédont les décisions
prises en vertu du chapitreVI1sont des décisionsobligatoiresquetous les
Membres des Nations Unies sont convenus d'appliquer et l'article 103
prévoitque les obligations en vertu de la Charte prévaudront en cas de

«conflit» entre ces obligations. Le droit de la Charte est le droit que la Cour devrait avant tout respec-
ter et appliquer en l'espèce.La Cour ne devrait pas se laisser convaincre
d'adopter une autre solution par une argumentation habile et subtile
qui semble avoir remarquablement réussi à la persuader d'oublier le fait
cardinal qu'il s'agit d'une affaire où le gouvernement demandeur serait
impliquédans l'acte terroriste incriminéet qu'il s'agitd'une situation que
la convention de Montréal ne vise mêmepas à traiter.

Mais un problèmesubsiste. Bon nombre de ces questionsqui seposent
au regard de la recevabilitéprésentent aussi un grand intérêtpour le
fond. De fait, comme nous l'avons déjà mentionné plushaut, la plupart
de ces questions sinon toutes seront certainement assez longuement trai-
téesdans les argumentations qui seront développées lors de la phase du
fond. Aussi - abstraction faite des difficultésdécoulantdes maladresses
de rédactiondu paragraphe 7 de l'article79du Règlement - n'y aurait-il
pas eu lieu de dire un mot sur le report la phase du fond de l'examende
toutes ces questions soulevéesrelativement à la recevabilité, ce que
d'ailleurs a décidéla majorité de laCour?

La Cour aurait dû, selon moi, statuer sur toutes ces questions à ce
stade préliminaire dela procédure. Enpremier lieu, parce que, comme il
a été mentionné plus haut, le droit applicable est incontestable et il est
vrai aussi que la Cour a déjàexaminétoutes ces questions sur lesquelles
le gouvernement demandeur s'est très longuement étenduen 1992ainsi
qu'au cours des deux semaines d'audience lors de la phase actuelle. Mais
la raison principale,qui revêtpour moi une grande importance théorique
et pratique, est celle que je ne saurais mieux exprimer qu'en citant l'opi-
nion individuelle de M. Lachs jointe à l'ordonnance de la Cour du
14avril 1992(voir Questionsd'interprétation et d'application dlea conven-
tion de Montréal de 1971 résultant del'incident aérien deLockerbie

(Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume- Uni), mesures conservatoires,
C.I.J. Recueil 1992, p. 26). Traitant des ((problèmes de compétence
concurrente entre la Cour et un autre des organes principaux de l7Orga-
nisation des Nations Unies)), il a poursuivi en ces termes:
«En fait, la Cour est la gardienne de la légalitépour la commu-
nauté internationale dans son ensemble, tant à l'intérieur qu'en

dehors du cadre de l'organisation des Nations Unies. L'on peut
donc légitimementsupposer que l'intention des fondateurs n'était
pas d'encourager ces organes à exercer leur fonction parallèlement
comme avec des Œillères,mais plutôt d'avoir entre eux une interac-
tion fructueuse.))

Le fait que la Cour ait laissése poursuivre une procédure qui risque de
durer sixà sept ans, en trois phases distinctes, portant sur l'effetjuridique
des résolutionsprises par le Conseil de sécurité envertu du chapitre VI1de la Charte, pourrait donnerà penser qu'on est loin d'une ((interaction

fructueuse».
De surcroît, il faut également penser à l'effet de cette décisionsur
d'autres affaires éventuelles.Il existe d'autres conventionsmultilatérales,
outre cellede Montréal, qui pourraient donner matièreà un litige embar-
rassant concernant des mesures prises par les Nations Unies pour main-
tenir ou rétablirla paix. Ce risque n'est d'ailleurspas limitétant s'enfaut
aux conventionsmultilatérales.Que l'onpense aux risques que fait courir
aux mesures de sanction de l'Organisation des Nations Unies le recours
éventuelaux traités d'amitié etde commerceet à leurs clausesjuridiction-
nelles une fois que le sens et l'effetde l'article 103de la Charte sont mis
en cause. La décisionde la Cour en l'espèceconstitue un vademecum et
un précédentpour tous ceux qui pourraient souhaiter retarder l'action de
l'organisation des Nations Unies par un foisonnement de manŒuvres
légalistes.Il y a d'autres conventions, outre cellede Montréal, quipour-

raient se prêter dans d'autres circonstances et à l'avenirà un usage
pareillement légalisteet politiquement avantageux pour tenir le Conseil
de sécurité enéchecdans l'exercicedes fonctions que lui confie la Charte
et il convient de se rappeler que le Conseil de sécurité peut être tenu
d'agir trèsrapidement dans certaines circonstances. Cette éventualité a
évidemmentétéprévuepar les rédacteurs dela Charte lorsqu'ils ont éla-
boré l'article103en ayant à l'esprit ces éventualités.
Pour toutes ces raisons, j'estime que la Cour, étant donnéqu'ellea été
convaincue de sa compétence,aurait certainement dû conclure à l'irrece-
vabilitéde la demande. Je regrette infiniment une décisionqui, replacée
dans un cadre généralfaisant abstraction des circonstancesparticulières
de l'espèce,me semble être unedécisionpeu judicieuse de la part de la
Cour.

(SignéR ). Y. JENNINGS.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE SIR ROBERT JENNINGS

1 very much regret that 1 have to dissent from the decision of the
majority of the Court in this case.
There are two main issues: the question of jurisdiction; and the ques-
tion of admissibility. As 1 differ from the majority on both questions,
1 should briefly say why; dealing first with jurisdiction.

Jurisdiction of the Court in this case willbe established if, and in so far
as, thereis shown to be a dispute or disputes "concerning the interpreta-
tion or application of this Convention", within the meaning of Article 14,
paragraph 1, of the 1971 Montreal Convention for the Suppression of
Unlawful Acts against the Safety of CivilAviation. To find the answer to
this question it is necessary to look at two things: Libya's submissions,
not only in the present phase, but also in its Application of March 1992
initiating the case against the United Kingdom - this in order to find
out what is said to be disputed; and secondly, the provisions of the Con-
vention that are said to be involved in the dispute. As the relevant pro-

visions of the Convention are referred to in the submissions we shall
consider the submissions (or requests as they are described in the Appli-
cation and the Memorial) in turn. There are four of them: they request
the Court to adjudge and declare as follows, in (a), (b), (c) and (d)
below.

(a) That the Montreal ConventionIs Applicable to This Dispute

The question the Court has to decide is which, if any, items of the
Libyan claims are both disputed by the United Kingdom and necessarily
"concern the interpretation or application" of the Montreal Convention;
and therefore generatejurisdiction under Article 14 of the Convention.
The broad terms of this submission (a) merely begthe question of which
particular provisions of the Convention are supposed to be involved.

The citation of the Convention as a whole also invites speculationas to
whether it was ever intended to deal with acts of terrorism allegedlycom-
mitted by persons actually employed by a government also allegedly
involved in the commission of those acts. OPINION DISSIDENTE DE SIR ROBERT JENNINGS

[Traduction]

Je regrette profondémentde ne pouvoir souscrire à la décisionde la
majoritédes membres de la Cour dans la présente affaire.
Deux questions seposent en l'espèce:cellede la compétence etcellede
la recevabilité. Commeje suis d'un avis différentde la majorité sur ces
deux questions, je dirai brièvement pourquoi, en commençant par la
question de la compétence.

La compétencedela Cour ne peut être établie en l'espèceque si, etdans
la mesureou, ilestdémontréqu'ielxisteun ou plusieurs différend( s(concer-
nant l'interprétationou l'application dela présenteconvention))au sensdu
paragraphe 1de l'article14de la convention deMontréalde 1971pour la
répression d'actesillicites dirisontre la sécurité dle'aviationcivile.Pour
répondre à cette question, il est nécessaired'examiner deux élémentts:ut
d'abord,lesdemandesformulées par la Libye,non seulementau coursdela
présente phase dela procéduremais aussi dans sa requêtedu 3 mars 1992

introduisant une instance contre le Royaume-Uni - et cela afin de déter-
minercequiseraitcontesté;et,en secondlieu,lesdispositions dela conven-
tion qui seraient en cause dans le litige. Comme il est fait référencaux
dispositions pertinentes dela convention dans les conclusions dela Libye,
nous examineronssuccessivementces conclusions (ou demandes ainsi que
la Libye les qualifiedans sa requêteet dans son mémoire).Elles sont au
nombredequatre, la Cour ayant été priée de direetjugercequ'il estdit aux
alinéasa), b), c) et d) desconclusionsdu mémoirede la Libye,commesuit.

a) Quela convention deMontréals'appliqueauprésent litige

La question que la Cour doit trancher est cellede savoir lequel desélé-
ments des demandes libyennes serait contesté par le Royaume-Uni tout
en concernant nécessairement((l'interprétation ou l'application» dela
convention de Montréal, établissantainsi la compétencede la Cour au
titre de l'article14de la convention.La formulation large de cette conclu-
sion a) éludetout simplement la question de savoir quelles dispositions
particulièresde la convention sont censéesêtreen cause.
La citation du texte intégralde la convention amène également à se
demander si les auteurs de cet instrument ont jamais entendu viser les

actes de terrorisme qui auraient étécommis par des personnes au service
d'un gouvernement qui aurait été impliquélui aussi dans la perpétration
de ces actes. It is noteworthy that this submission (a) did not appear at al1in the
Libyan Application which initiated the case. It raises a question, now
that the Court has found that it has some jurisdiction, how far Libya
might further seek to change the content and nature of its case in pursu-
ance of its reservation of "the right to supplement and amend these sub-
missions as appropriate in the course of further proceedings".

(b) That Libya Hus Fully Complied with Al1 of Zts Obligations under
the Montreal Convention and Is Justijied in Exercising the Criminal
Jurisdiction Providedfor by That Convention

There is here no dispute under the Convention because the United
Kingdom has not sought to dispute that Libya has complied with al1its
obligations under the Convention. There was nothing contrary to the
Convention in the United Kingdom7srequesting the extradition of the
two suspects. Nor is there any dispute that, under the terms of the Mon-
treal Convention, Libya isjustified in exercisingits own criminaljurisdic-
tion provided for by that Convention. The United Kingdom contention
in this caseis that Libya is not nowjustified in exercisingthat jurisdiction
in so far as to do so would be contrary to decisions of the SecurityCoun-
cil made under Chapter VI1 of the Charter; that is not a matter arising
under the provisions of the Convention but one concerningthe interpre-
tation or application of the United Nations Charter; and to pretend that
it is one that comes within Article 14,paragraph 1, of the Convention is

not free from absurdity.

(c) That the United Kingdom Hus Breached, and Is Continuing to
Breach, Its Legal Obligations to Libya under Articles 5 (2), 5 (3), 7,
8 (2), 8 (3) and II of the Montreal Convention

It is necessary to consider each of these provisions of the Convention
in turn to seewhether there is a dispute which comes within the scope of
Article 14of the Convention.

Article 5 (2)

This is the Article which requires a party to "take such measures as
may be necessary to establish its jurisdiction" over offences against the
Convention, in lieu of extradition, where the offender is "present in its

territory".
Thiscreates a legal obligationupon Libya, as on al1parties to the Con-
vention, which obligation, according to Libya, it has indeed carried out.
Itis difficult to understand how it can be said that the United Kingdom
is in breach, and seemingly continuous breach, of that obligation upon Il convient de noter que cette conclusion a) ne figurepas du tout dans
la requêteintroductived'instance de la Libye. On peut ainsi sedemander,
maintenant que la Cour a dit qu'elleétait dansune certaine mesure com-
pétente,jusqu'à quel point la Libye peut encore essayer de modifier le
contenu et la nature de ses demandes en vertu du droit qu'elle s'est
réservé «de compléter etmodifier s'ily a lieu lesprésentes conclusionsen
cours de procédure)).

b) Que la Libye a pleinement satisfaià toutes ses obligations
au regard de la conventionde Montréalet estfondée à exercer

la compétencepénale prévue par cette convention
Il n'existàcet égardaucun différendau'titre de la convention puisque

le Royaume-Uni n'a pas cherché à contester que la Libye a pleinement
satisfaitàtoutes ses obligations au regard de la convention. Aucune dis-
position de la convention ne s'oppose, en effet,àla demande d'extradi-
tion des deux suspects formulée par le Royaume-Uni. Il n'a pas été
contesté non plus que, conformément aux termes de la convention de
Montréal, la Libye soit fondée à exercer sa propre compétence pénale
prévuepar cetteconvention. Le Royaume-Unia fait cependant valoir en
l'espèceque la Libye n'estpas maintenant fondée à exercer cette compé-
tence dans la mesure où cela va à l'encontre des décisionsprises par le
Conseil de sécuritéen vertu du chapitre VI1 de la Charte; c'est là une
question qui ne sepose pas au titre des dispositions de la convention mais
qui concerne l'interprétation ou l'application de la Charte des Nations
Unies; prétendre que cette question relèveraitdu paragraphe 1 de l'ar-
ticle14est quelque peu absurde.

c) Que le Royaume-Uni a violé,et continue de violer, ses obligations
juridiques envers la Libye stipuléesà l'article 5, paragraphes 2 et 3,a
l'article 7, a l'article 8, paragraphes 2 et 3, et à l'article11 de la
convention de Montréal

Il y a lieu d'examiner successivementchacune de ces dispositions de la
convention pour déterminers'il existe à leur égardun différendqui relè-
verait de l'article4 de la convention.

Paragraphe 2 de l'article 5

Aux termes de cet article, tout Etat partià la convention prend «les
mesures nécessairespour établirsa compétence))au sujet des infractions

prévuesdans la convention, s'il n'extrade pas l'auteur présuméqui «se
trouve sur son territoire)).
Cette disposition créeune obligation juridique pour la Libye, comme
pour toute les partiesà la convention, obligation dont la Libye prétend
s'êtreeffectivement acquittée.Il est difficilede comprendre comment on
peut soutenir que le Royaume-Uni a violé,et continuerait apparemmentLibya; much less to understand where the supposed dispute might be.
Article 5, paragraph 2, is concerned with legislation and other measures

which Libya, as a party to the Convention, is obligated to implement. It
claims to have done so, and this has not been denied by the United King-
dom.

Article 5 (3)

"This Convention does not exclude any criminaljurisdiction exercised
in accordance with national law."
Again, there is simply no scintilla of a dispute here between the Parties
about the interpretation or application of the Convention. In fact this
provision is entirely plain and there is nothing much to dispute about it.

Article 7

This provides :
"The Contracting State in the territory of which the alleged
offender is found shall, if it does not extradite him, be obliged, with-
out exception whatsoever and whether or not the offence was com-
mitted in its territory, to submit the case to its competent authorities
for the purpose of prosecution. Those authorities shall take their

decisionin the samemanner as in the case of any ordinary offenceof
a serious nature under the law of that State."
Again, it is difficult to understand in what way the United Kingdom
can be said to be in breach of this Article of the Convention.
The United Kingdom's request for extradition is not in breach of the
Convention for extradition but is in accord with an alternative procedure

actuallycontemplated by Article 7itself.Even if the insistenceon extradi-
tion rather than domestic prosecution be a breach of the Convention,
then the complaint should be addressed to the Security Council and not
to selectedmembers of the Security Council. In any event it is difficultto
see in what way Libya is actually prevented from prosecuting the two
suspects and in fact according to its own pleading it is already in the
process of doing preciselythat - a process which has been curiously pro-
longed.
Article 7 of the Convention obliges Libya, as the place where the
alleged offenders are to be found, either to extradite or, if it does not
extradite, then itself to ensure that it prosecutesthe offenders. The latter
option is qualified by the Security Council resolutions, which by their
terms remove the alternative option of domestic prosecution (surely a
reasonable step where the charge is that the State party to the Conven-

tion is itself allegedlyimplicated in the offence). Libya disputesthe effect
of the Security Council resolutions; but this is not a dispute with the
United Kingdom about the Convention but a dispute with the Security
Council about its resolutions. It is not a dispute that can be reasonablyde violer, cette obligation qui incombà la Libye; et il est encore plus
difficilede comprendre ce qui serait en cause dans ce prétendudifférend.
Le paragraphe 2 de l'article 5 vise la législationet autres mesures que la
Libye, en tantqu'Etat partieàla convention, est tenue d'appliquer. Elle
prétendl'avoir fait, ce que n'a pas contestéle Royaume-Uni.

Paragraphe 3 de l'article5

«La présente convention n'écarteaucu e compétence pénaleexercée
conformément aux loisnationales.»
Il n'ya pas, là non plus l'ombre d'un'i1end entre lesParties au sujet
de l'interprétation ou de l'application de la convention.Cette disposition
est très claire etne prêteguèrecontroverse.

Article 7

Selon cet artic:e

«L'Etat contractant sur le territoire duquel l'auteur présuméde
l'une des infractions est découvert,s'iln'extrade pas ce dernier, sou-
met l'affaire, sans aucune exception et que l'infraction ait ou non été
commise sur son territoire, ses autoritéscompétentespour l'exer-
cice de l'action pénale.Ces autorités prennent leur décisiondans les
mêmesconditions que pour toute infraction de droit commun de
caractère grave conformémentaux lois de cet Etat.
Il est aussi difficile de comprendre sur la base de quoi on peut pré-
tendre que le Royaume-Uni a violécet article de la convention.
La demande d'extradition du Royaume-Uni n'est pas contraire à la
convention puisque l'extradition constituel'autre procédurepossible envi-
sagéepar l'article lui-même.Mêmesi le fait d'insister sur l'extradition
plutôt que sur l'exercice de l'action pénale sur le plan interne était
contraire à la convention, une plainte à cet égard devrait être alors
adresséeau Conseil de sécurité etnonà certains membres de cet organe.
Quoi qu'il ensoit, il est difficilede comprendre pourquoi la Libye serait
en fait empêchée dpeoursuivre les deux suspects, alors qu'à ses dires elle
serait précisément etrain de le faire avec un retard très curieux.

Conformément à l'article 7 de la convention,la Libye, sur le territoire
de laquelle se trouvent les auteurs présumésde l'infraction, est tenue
de les extrader soit, si elle ne lesextrade pas, de veiller eàlenga-e
ger des poursuites contre eux. Cette dernière possibilitéa été écparé
le Conseil de sécuridans ses résolutions,dont les termes excluent l'op-
tion de l'exercicede l'action pénalesur le plan interne (mesure certaine-
ment raisonnable puisque 1'Etatpartieà la convention est accuséd'être
lui-mêmeimpliquédans l'infraction). La Libye conteste les effets des
résolutionsdu Conseil de sécurité;il ne s'agit cependant pas dans ce cas
d'un différendavec le Royaume-Uni au sujet de la convention mais d'uncategorizedas one coming within the intended ambit of Article 14,para-
graph 1. For it is in no way a dispute that can be settled by reference to
Article 7 or to any other part of the Convention. The real dispute is one

about the meaningand applicability of the Charter of the UnitedNations,
about Articles 25 and 103in particular and about the meaning and appli-
cation of Security Council resolutions 731 (1992), 748 (1992) and 883
(1993).The attempt to tack this "dispute" on to Article 14,paragraph 1,
of the Convention, via Article 7, is an artifice that really ought not to
beguile this Court. And in so far as it is now being entertained by the
Court one must have in mind the multitudinous possibilities it opens up
of using the normal and commonjurisdiction clauses of bilateral treaties
to frustrate and delay the peacekeeping measures of the SecurityCouncil.

Moreover, although there does seemto be some dispute between Libya
and the United Kingdom about the meaning and interpretation of the
Security Council resolutions, and if indeed according to Libya's own
interpretation those resolutions do not at al1require the surrender of the
suspects, then the alternative option provided by Article 7, of a way in

which Libya can perform her Convention obligations, actually remains
intact.
It willbe convenient at this point to mention the devicewith which the
Court's Judgment endeavours to neutralize the effect of the Security
Council resolutions made under its powers conferred by Chapter VI1of
the Charter. It is true that "the Security Council resolutions 748 (1992)
and 883 (1993)were in fact adopted after the filingof the Application on
3 March 1992"; and that, "In accordance with its established jurispru-
dence, if the Court had jurisdiction on that date, it continues to do so"
(Judgment, para. 38). But this fact is irrelevant. The Court's proposition
assumes that there was, at the date of the Application,jurisdiction over a
dispute covered by Article 14,paragraph 1, of the Convention; a dispute
the effect of which the resolutions seek to change. This is not so. The
point is not that the Security Council resolutions sought to take away an
already establishedjurisdiction of the Court; the point is that there never
was in any real senseany dispute between the Parties about the Montreal
Convention. It is true that the legal status and meaning of al1 these

Security Council resolutions have been vigorously questioned by Libya
under cover of the present proceedings; but this is not a dispute under
Article 14,paragraph 1, of the Convention.

Article 8 (2) and (3)

In its Application Libya cited Article 8, paragraph 2, which provides:différendavec le Conseil de sécuritéau sujet de ses résolutions.Ce n'est

pas un différendque l'on puisse raisonnablement considérercomme rele-
vant du champ d'application que l'on a voulu donner à l'origineau para-
graphe 1de l'article 14.Ce n'est pas, en effet, un différendqui peut être
réglé au regard de l'article7 ni d'aucune autre disposition de la conven-
tion. Le différendvéritable concernela significationet l'applicabilitéde la
Charte des Nations Unies, pour ce qui est notamment de sesarticles 25et
103,ainsi que la significationet l'application des résolutions731 (1992),
748(1992)et 883 (1993)du Conseil de sécurité.Vouloirrattacher ce ((dif-
férend))au paragraphe 1de l'article 14de la convention, par le biais de
l'article7, n'estqu'un artificequi ne devrait pas tromper la Cour. Dans la
mesure, cependant, où la Cour semblemaintenant accepter cet argument,
il convient de ne pas perdrede vue lespossibilitésmultiplesqu'ilouvre de
recourir à des clauses de compétenceordinaires et courantes des traités
bilatéraux pour contrecarrer et retarder les mesures de maintien de la
paix du Conseil de sécurité.

Il semblecependant existercertaines divergencesde vues entre la Libye
et le Royaume-Uni sur la signification et l'interprétationdes résolutions
du Conseil de sécurité;mais si, comme la Libye elle-même les interprète,
ces résolutions n'exigent pastoutes la remise des suspects, la seconde
option prévue àl'article 7 qui permettrait àla Libye de s'acquitter de ses
obligations conventionnelles demeure entière.

Il convient de noter à ce stade la manière dont la Cour a, dans son
arrêt,tenté deneutraliser leseffetsdes résolutionsadoptéespar le Conseil
de sécuritéen vertu des pouvoirs qui lui sont conféréspar le chapitre VI1
de la Charte. Il est vrai que «les résolutions748 (1992)et 883 (1993)du
Conseil de sécuritéont ...étéadoptées aprèsle dépôt de la requête,le
3mars 1992»,et que,((conformément à unejurisprudence constante, sila
Cour était compétente à cette date, elle l'estdemeurée))(arrêt, par.38).

Mais ce fait n'est pas pertinent. La Cour suppose qu'elle avait,à la date
de la requête,compétencepour connaîtred'un différendrelevantdu para-
graphe 1 de l'article 14de la convention, un différenddont lesrésolutions
considérées auraient tentéde modifier leseffets. Or, tel n'estpas le cas.l
ne s'agit pasde savoir si, par sesrésolutions,le Conseil de sécuritaurait
essayéde soustraire à la Cour une affaire sur laquelle elleavait déjàétabli
sa compétence, maisde constater qu'il n'y a vraiment jamais eu aucun
différendentre les Parties au sujet de la convention de Montréal. Il est
vrai que la Libye a vigoureusement remis en question, sous le couvert de
la présenteprocédure,la valeur et la significationjuridiques de toutes ces
résolutions du Conseil de sécurité;mais il n'existe aucun différendau
titre du paragraphe 1 de l'article 14 de la convention.

Paragraphes2 et 3 de l'article8

Dans sa requête, laLibye se réfèreau paragraphe 2 de l'article 8, qui
dispose : "If a Contracting State which makes extradition conditional on
the existence of a treaty receives a request for extradition from
another Contracting State with which it has no extradition treaty, it
may at its option consider this Convention as the legal basis for
extradition in respect of the offences. Extradition shall be subject to
the other conditions provided by the law of the requested State."

In its Memorialsubmissions, however, Libya cited only paragraph 3 of
Article 8 which provision imposes an obligation upon States:

"[States] whichdo not make extradition conditional on the existence
of a treaty shall recognize the offences as extraditable offences
between themselvessubject to the conditions provided by the law of
the requested State".
Again, one is simply at a loss to know in what way the United King-
dom is supposed to be in continuous breach with respect to either of
these provisions, much less how it can be said that there is a dispute
about its interpretation or application between the United Kingdom and
Libya.

Article II
This is the Article creating a treaty obligation to

"afford one another the greatest measure of assistance in connection
with criminal proceedings brought in respect of the offences. The
law of the State requested shall apply in al1cases."

Libya allegesthat the United Kingdom had not done as much as it was
obliged to do in attempting to provide the assistanceprovided for under
this Article. There isin any event no disputehere about the interpretation
of the Convention; there isa question whether it applies, given the
changed situation brought about by the SecurityCouncilresolutions. But
that again is a question, or even dispute, that cannot be resolved by ref-
erence to the provisions of the Convention, about which there is no real
dispute. Itis a dispute about the effectof the resolutions and that dispute
is not one that can be said to be one contemplated by Article 14 of the
Convention.
In any case it willbe noted that the "affording" (not a strong word at
all) of information is, by the very terms of this Article, qualified, in this
case, by the relevant Scottishlaw. Secondly, the United Kingdom surely
has provided enough information to form a viable basis for a Libyan
prosecution of the suspects, if that is how Libya wishes to proceed.

Indeed one might reasonably have supposed that enough information
and material has been provided to this Court. Thus, it is somewhat fan-
ciful even to argue that there could be a dispute between the United
Kingdom and Libya about the application of Article 11 of the Conven- «Si un Etat contractant qui subordonne l'extradition à l'existence
d'un traitéest saisi d'une demande d'extradition par un autre Etat
contractant aveclequel il n'estpas liépar un traité d'extradition, il a
la latitude de considérerla présente convention commeconstituant
la base juridique de l'extradition en ce qui concerne les infractions.
L'extradition est subordonnée aux autres conditions prévuespar le
droit de 1'Etatrequis.»

Cependant, dans les conclusions de son mémoire,la Libye se réfère
seulement au paragraphe 3 de l'article 8, qui impose l'obligation suivante
aux Etats contractants:
«les Etats contractants qui ne subordonnent pas l'extradition à

l'existence d'un traité reconnaissent les infractions comme cas
d'extradition entre eux dans les conditions prévuespar le droit de
1'Etatrequis».
On ne saurait, là aussi, comprendre comment on peut prétendre que le
Royaume-Uni continuerait de violer l'une ou l'autre de ces dispositions,
et encore moins comment on peut soutenir qu'il y aurait là un différend
entre le Royaume-Uni et la Libye sur leur interprétation ou application.

Article II

Cet article impose aux Etats contractants l'obligation de s'accorder
((l'entraide judiciaire la plus large possible dans toute procédure
pénale relativeaux infractions. Dans tous les cas, la loi applicable
pour l'exécution d'unedemanded'entraide est cellede 1'Etatrequis.»

La Libye prétend que le Royaume-Uni n'a pas fait tout ce qu'il était
tenu de faire en matièred'entraide judiciaire conformément à cet article.
Il n'y a pas en tout cas de différendsur l'interprétation de la convention;
se pose certes la question de savoir si cet instrument est applicable, étant
donné la situation nouvelle découlantdes résolutionsdu Conseil de sécu-
rité.Mais là aussi il s'agitd'une question,ou mêmed'un différend,qui ne
saurait êtreréglésur la base des dispositions de la convention, sur les-
quelles il n'y a pas de véritable différend.l s'agit d'un différendsur les
effets desrésolutions,et un tel différend nesaurait êtreconsidérécomme
relevant de l'article14de la convention.
Quoi qu'il en soit, il y a lieu de noter que l'obligation de «s'accorder»
(terme qui n'est pas très fort) une entraide en fournissant des informa-

tions est restreinte en l'espèce,conformémentaux termes mêmesde cet
article, par le droit pertinent écossais.En outre, le Royaume-Uni a cer-
tainement fourni assez d'informations sur lesquelles la Libye peut vala-
blement s'appuyer pour engager des poursuitescontre les suspects si telle
est la manière dont elle entend procéder. On peut raisonnablement sup-
poser qu'assez d'informations et d'éléments ont étéfournis à la Cour. Il
est donc quelquepeu fantaisistedeprétendre qu'ilpourrait y avoir un dif-tion. Moreover, Libya has argued (see paragraph 26 of this Judgrnent)
that "Libya has exercised its jurisdiction over the two alleged offenders
on the basis of its Penal Code, and the Respondent should not interfere
with the exerciseof that jurisdiction". But this is manifestly incompatible

with Libya's submission under Article 11of the Convention, and Libya
cannot have it both ways. So, quite apart from the question whether
there is an Article 14dispute, it is verydoubtful whether there is here any
dispute at all.

(d) That the United Kingdom Is under a Legal Obligation to Respect
Libya's Right Not to Have the Convention Set Aside by Means Which
Would in Any Case Be at Variance with the Principles of the United
Nations Charter and with the Mandatory Rules of General Znterna-
tional Law Prohibiting the Use of Force and the Violationof the Sover-
eignty, Territorial Zntegrity, Sovereign Equality and Political Indepen-

dence of States
It is interesting to note how this submission, as it is in the Memorial
version, has been radically amended since its first appearance in the

Application (then submission (c), conveniently reproduced in the Order
of the Court of 14 April 1992,I.C.J. Reports 1992, p. 7). Originally it
asked the Court to adjudge and declare that the United Kingdom was

"under a legal obligation immediately to cease and desist from such
breaches and from the use of any and al1force or threats against
Libya, includingthe threat of force against Libya, and from al1vio-
lations of the sovereignty, territorial integrity, and the political inde-

pendence of Libya".
In the latest version of this submission, the "immediately" has dis-
appeared. No doubt it was thought inappropriate after rather more than
five years of undisturbed peace with the United Kingdom. There might
again also be thought to be a question how far a State may, by simply
reserving "the right to supplementand amend" its submissions,change at
its convenience and expediencyas the case proceeds the basis of the case
made in its originalApplication; at least without seekingthe leave of the

Court.
No doubt the most carefully considered and devised change is the
introduction of the idea of "Libya's right not to have the Convention [i.e.
the Montreal Convention] set aside by means", etc. This idea is no doubt
intended to suggest that setting aside the Convention brings the dispute
under the rubric of "the application" of the Convention as that phrase is
used in Article 14, paragraph 1, the jurisdiction article, of the Conven-
tion.
It might suggest this but in my view in no wise establishesit. The onlyférendentre le Royaume-Uni et la Libye sur l'application de l'article 11
de la convention. En outre, la Libye a soutenu (voir paragraphe 26 du

présentarrêt),qu'elle«a exercésa compétence à l'égarddes deux auteurs
présumés de l'infraction en vertu de son code pénalet le défendeurne
devrait pas entraver l'exercicede cette compétence)).Cela est cependant
manifestement incompatible avec la conclusionprésentéepar la Libye au
titre de l'article 11 de la convention, et la Libye ne saurait avoir raison
sur ces deux points à la fois. Bien loin de la question de savoir s'ilexiste
un différendau titre de l'article 14,il est très douteux qu'ilexisteun quel-
conque différend.

d) Que le Royaume-Uni est juridiquement tenu de respecter le droit de
la Libye à ce que cette convention ne soit pas écartée par des moyens

qui seraient au demeurant en contradiction avec les principes de la
Charte des Nations Unies et du droit international généralde caractère
impératif quiprohibent l'utilisation delaforce et la violation de la sou-
veraineté, del'intégrité territoriale,e l'égalité souveraindees Etats et
de leur indépendance politique

Il est intéressantde noter comment la Libye a, pour arriver au texte de
cette conclusion, tel qu'ilfigure dans son mémoire,modifiéla conclusion
correspondantecontenuedans sa requête(en tant que conclusion c), telle
que reproduite dans l'ordonnance de la Cour du 14 avril 1992, C.I.J.
Recueil 1992, p. 7). Initialement, la Libye avait priéla Cour de dire et
juger que le Royaume-Uni

«est juridiquement tenu de mettre fin et de renoncer immédiatement
à cesviolations etàtoute formede recours à la force ouà la menace
contre la Libye,y compris la menace de recourir à la force contre la
Libye, ainsi qu'à toute violation de la souveraineté,de l'intégter-
ritoriale et de l'indépendancepolitique de la Libye)).

Dans la dernièreversion de cette conclusion, le mot ((immédiatement))a
disparu. On a jugésans doute qu'il était impropre aprèsplus de cinq ans
de paix continue avecle Royaume-Uni.On peut iciaussi seposer la ques-
tion de savoirjusqu'à quelpoint un Etat, en seréservanttout simplement
«le droit de compléter et modifier))ses conclusions, peut modifierà son
gré, aufur et àmesure de la procédure,la base mêmede son argumenta-
tion formuléedans sa requête initiale,sans solliciter au moins l'agrément
de la Cour.
Le changement le plus mûrement réflécha i étécependant sans aucun
doute l'introduction du conceptconcernant le «droit de la Libyeà ce que
cette convention [àsavoir la convention de Montréal]ne soit pas écartée
par des moyens...)) Cette idéevise manifestement à indiquer que le fait
d'écarter laconvention ferait relever le différendde la rubrique ((applica-

tion» de la convention, selon l'énoncédu paragraphe 1 de l'article 14de
la convention qui fonde la compétence.
Cet ajout peut suggérercela sans pourtant l'établir,selon moi. La mise"setting aside" of some parts of the Convention régime,if it can be said
to occur at all, is in consequence of the Security Council resolutions. So
any dispute over the "setting aside" is between Libya and the Security
Council, and not with the United Kingdom. This dispute could not con-
ceivably be said to come within Article 14,paragraph 1, of the Conven-
t-.--

For al1the above reasons the Court, in my view, does not have juris-
diction over this dispute. But before leaving the matter of jurisdiction
there is a further comment 1 wish to make. That is that 1 find some
aspects of the Applicant's argument about jurisdiction to be somewhat
specious. In particular, the arguments deployed in the attempt to bring
this essentially SecurityCouncilmatter somehow, indeed anyhow, within
the scope of Article 14, paragraph 1, of the Convention are factitious.
The arguments are clever and even ingenious, and have been brilliantly
successfulin producing a five-year and more delay which was no doubt
their primary purpose. But the whole endeavour constitutes a highly arti-
ficial device. It is fashioned to attract the legal cast of mind; though
1believemost intelligent lay persons would give it very short shrift. It is
indeed ironic that the jurisdictional clause of a Convention whose whole
purpose is to control international terrorism over aircraft, should be thus
employed, it seems successfully,to afford protection to persons allegedto
have been involved in such terrorism who are nationals and officialsof a
State also alleged itself to have been thus involved. It seems extraordi-
nary to interpret the Convention in such a way that a State, itself alleged

to have been involved in the terrorist act, should have the soleright to try
its own intelligence agents alleged to have carried out the crime. This is
not only to nullify in this case the verypurpose of the Convention, but
also to flyin the face of com on sense.1can only regret exceedinglythat
this Court has succumbed to 7 he temptations so skilfullylaid in its path.

If the Court had taken what 1regard to be both the correct view and
the wiser view, on the question ofjurisdiction, there would have been no
need in its Judgment to enter upon the rather less firm ground of admis-

sibility. But in view of the Court's stanceit is necessary to Saysomething
about this question.
Before entering upon the main substance of the admissibility argu-
ment, 1 wish first to look at the narrower, technical but at first sight
puzzling Article 79, paragraph 7, of the Court's Rules, which, in a
subsection headed "Preliminary Objections", provides :

"7. After hearing the parties, the Court shall give its decision in
the form of a judgment, by which it shall either uphold the objec-

1O0 CONVENTION DE MONTRÉAL DE 1971(OP. DISS.JENNINGS) 105

à l'«écart»de certaines parties du régimeseulement de la convention, si
tant est qu'il yen ait eu une, résulte desrésolutionsdu Conseil de sécu-
rité.Tout différendsur la question de savoir sila conventiona étéou non

«écartée» opposerait ainsila Libye au Conseil de sécuritéet non pas au
Royaume-Uni, et ce différendne saurait être considéré comme relevant
du paragraphe 1 de l'article 14de la convention.
Pour toutes les raisons susmentionnées,la Cour n'a pas, selon moi,
compétencepour connaître du présent différend. Maisavant d'achever
mon analyse de la question de compétence,je souhaiterais formuler un
derniercommentaire. J'estimeen effetquelque peu spécieuxlesarguments
que formule le demandeurpour essayerde faire relever, d'une manièreou
d'une. autre, ou plutôt n'importe comment, cette question concernant
essentiellement le Conseil de sécuritédu champ d'application du para-
graphe 1 de l'article 14 de la convention. Ces arguments, intelligents et

mêmeingénieux,ont brillamment réussi à provoquer un retard de plus de
cinq ans, ce qui était sansdoute le but principalement recherché.Toute
cette tentative est cependant extrêmementartificielle.Elle a étéconçue de
manière àséduireles tenants de l'espritjuridique, mais je suis convaincu
que parmi les non-initiésles plus intelligentsne s'yarrêteraient pas long-
temps. Il est certes paradoxal que la clausejuridictionnelle d'une conven-
tion ayant essentiellementpour objet de lutter contre les actes de terro-
risme international dirigéscontre l'aviation civile soit ainsi utilisée avec
succèspour protégerdes individusaccusésd'avoir perpétréde telsactes de
terrorisme et qui sont en mêmetemps des nationaux et des agents d'un
Etat qui aurait participé lui-même à ces actes. Il semble extraordinaire
d'interpréter la conventionde manière à ce qu'un Etat, qui aurait parti-

cipé lui-même à un acte terroriste, ait lui seul le droit de poursuivre ses
propres agentsde renseignementqui auraient commisl'actecriminel.Cela
ne va pas seulement directement à l'encontre del'objet de la convention,
mais constitue aussi un défiau bon sens.Je ne peux que regretter profon-
dément quela Cour se soit laisséabuser par les séduisantsarguments qui
lui ont étéprésentés.

Si la Cour avait adopté, s'agissant de la question de la compétence,la
position que j'estime êtreà la fois la plus justifiéeet la plus sage, elle
n'aurait pas dû entrer dans son arrêtsur le terrain plutôt moins solide de
la recevabilité.Maisla position qu'ellea adoptéem'obligeà aborder cette
question.
Avant de passer aux aspectsprincipaux de la thèsede la recevabilité,je
voudrais d'abord examiner le paragraphe 7 de l'article 79 du Règlement
de la Cour, disposition de portée étroite, technique, maisau premier
abord source de perplexité,qui, dans une sous-sectionintitulée «Excep-
tions préliminaires», prévoitce qui suit:

((7. La Cour, après avoir entendu les parties, statue dans un arrêt
par lequel elle retient l'exception, la rejette ou déclare que cette

1O0 tion, reject it, or declare that the objection does not possess, in the
circumstances of the case, an exclusivelypreliminary character. If
the Court rejects the objection or declares that it does not possess
an exclusivelypreliminary character, it shall fix time-limits for the
further proceedings."

The puzzling aspect of this is the phrase "exclusivelypreliminary charac-

ter". It is wellknown that this phrase was a reaction to what happened in
the 1966South West Africa cases (I.C.J. Reports 1966,p. 6),and in the
Barcelona Traction, Light and Power Company Limited case (I.C.J.
Reports 1970, p. 3). But trying to provide against bad cases makes bad
law. And, unfortunately, it is not easy to find any preliminary objection
that can be said to be, in absolute terms, of an exclusivelypreliminary
character. Even the question ofjurisdiction, ordinarily regarded as being
unquestionablypreliminary, does, probably as often as not, require some
excursion into the merits; as indeed did that question in the present case.

The questions of admissibility,lack of object and the like in the present
case have, certainlyin the arguments of both Parties, provoked very con-

siderable excursions into the merits of the case. The question, therefore,
arises whether that preliminary objection can be dealt with very simply
by deciding that it isnot "exclusively"of a preliminary character; though
it is interesting that Libya was far from being content to rely on this
possibility.

It is reasonable, therefore, to ask what is the rationale for taking cer-
tain pleas as preliminarymatters. After all, al1courts do it as a matter of
course. The reason for doing so is surely that there are certain defences
which, if they be accepted, result in the dismissal of the whole case there
and then; so there is then no need to "fix time-limits for the further pro-
ceedings". Common sense demands, therefore, that such questions are
examined first as "preliminary objections".

But what about the word "exclusively" - a strong word - in Ar-

ticle79, paragraph 7, of the Court's Rules? Fortunately, the term is not
there used without qualification. It is qualified by the phrase, "does not
possess, in the circumstancesof the case,an exclusivelypreliminarychar-
acter" (emphasis added). It 'seems reasonable, therefore, to interpret
"exclusively preliminary character" as referring to the quality of those
pleas in a given case which, if accepted, signal the end of the case, and
thus actually excluding the possibility of a merits stage.

This way of viewing the matter would appear to have been tacitly
assumed by both Parties in the case; for those very considerable excur- CONVENTION DE MONTRÉAL DE 1971(OP. DISS. JENNINGS) 106

exception n'a pas dans les circonstances de l'espèceun caractère
exclusivementpréliminaire.Si la Cour rejette l'exception ou déclare
qu'elle n'a pas un caractère exclusivement préliminaire,elle fixe les
délaispour la suite de la procédure. ))

Ce sont lesmots ((caractèreexclusivementpréliminaire))quilaissent per-
plexes dans cette disposition. Chacun sait qu'ils ont été ajoutée sn réac-
tion à ce qui s'était passdans les affairesdu Sud-Ouest africain de 1966
(C.I.J. Recueil 1966, p. 6) et dans celle de la Barcelona Traction, Light

and Power Company, Limited (C.I.J. Recueil 1970, p. 3). Maisvouloir se
prémunir contre unejurisprudence fâcheuseengendrede mauvaises règles
de droit. Et, malheureusement, il n'est pas aiséde trouver une exception
préliminairedont on peut absolument dire qu'ellea un caractère exclusi-
vement préliminaire. Mêmlea question de la compétence,habituellement
considérée commerevêtant indubitablement un caractère préliminaire
exige, probablement le plus souvent, de s'aventurer dans une certaine
mesure sur le terrain du fond, comme cela a d'ailleurs étéle cas en
l'espèce.

Les questions de recevabilité, d'absenced'objet et autres questions ana-
logues dans la présenteaffaire ont amenéles deux Parties - cela a cer-
tainement étéle cas dans leur argumentation - à entrer très largement
sur le terrain du fond de l'affaire. On doit donc se demander s'ilest pos-
siblede donner une réponsetrès simple à l'exceptionpréliminaireen déci-
dant qu'elle ne revêtpas un caractère «exclusivement» préliminaire,
encore qu'ilsoitintéressant derelever que la Libyeétait loin deseconten-
ter d'invoquer cette possibilité.
Aussi est-il raisonnable de s'interroger sur les raisons qui incitent à
considérer certainesexceptions comme préliminaires.Après tout, toutes

les juridictions le font automatiquement. La raison doit certainement
tenir au fait que certains moyens de défenseaboutissent, s'ils sont rete-
nus, au classement immédiat detoute l'affaire si bien qu'il n'estpas alors
nécessairede «fixe[r]les délaispour la suite de la procédure)).Le bon
sens exige donc qu'on examine d'abord ces questions à titre d'«excep-
tions préliminaires)).
Mais qu'en est-il del'utilisation de l'adverbe «exclusivement» - mot
fort - au paragraphe 7 de l'article 79 du Règlement de la Cour? Le
terme heureusement n'y est pas utilisé de façon inconditionnelle. Sa

portéeest limitéepar le membre de phrase «n'a pas dans lescirconstances
de l'espèceun caractèreexclusivementpréliminaire))(lesitaliques sont de
moi). Il semble dès lors raisonnable d'interpréter les mots ((caractère
exclusivement préliminaire))comme qualifiant la qualité de ces moyens
de défenseinvoqués dans une affaire donnée qui,s'ilssont retenus, mar-
quent la fin de l'affaire et écartentainsi effectivement la possibilitéd'un
examen au fond.
Il semblerait que les deux Parties aient acceptétacitement cette façon
de voir en l'espèce,car cestrès largesincursionssur le terrain du fond lorssions into the merits during the oral proceedings both indicate that this
inadmissibility plea is not exclusively preliminary in character in any
literal or absolute sense, but, nevertheless, a finding that the case is
not admissible would have been the end of the matter.
It is thus necessary, at the outset of this admissibility question, to

examine the meaning of "exclusively preliminary character" because
though it is clearlytemptingjust to dispose of the admissibilityargument
by deciding that the inadmissibility objection is not an "exclusively" pre-
liminary matter, this would be to incur the risk of this riposte being
usable against almost any party in any case wishing to enter a prelimi-
nary objection to the exerciseof jurisdiction.
It could no doubt be argued, on the other hand, that, if a plea be so
intimately connected with the merits as the present Appellant evidently
appeared to assume, there could be something to be said for examining
the admissibility plea along with a full merits argument. But where the
preliminaryobjectionhas already been entertained and heard, that argu-
ment is self-defeating.1am for these reasons unable to go along with the
Court in using the drafting of Article 79, paragraph 7, of the Rules, to
dispose of these preliminaryobjections,whether to jurisdiction or admis-

sibility, on this highly legalistic and juridically doubtful ground.

We may now tum to what the Court decides on the substance of the
admissibility plea.
The Court rightly saysthat the principal argument of the United King-
dom is that :

"the issue or issues in dispute between it [Libya] and the United
Kingdom are now regulated by decisions of the Security Council,
taken under Chapter VI1 of the Charter of the United Nations,
which are binding on both Parties and that (if there is any conflict
betweenwhat the resolutionsrequire and rights or obligations alleged
to ariseunder the Montreal Convention) the resolutions have over-
riding effectin accordance with Article 103of the Charter" (seepara-
graph 41 of the Judgment).

The Court deals with this objection - apart, that is, from the Article 79
of the Rules point mentioned above - by an argument based upon the
Court's decision in Border and TransborderArmed Actions (Nicaragua
v. Honduras), Jurisdiction and Admissibility(I.C.J. Reports 1988,p. 95,
para. 66), that "The critical date for determining the admissibility of
an application is the date on which it is filed." And it is of course true
that the Security Council resolutions 748 (1992)and 883 (1993), made
under Chapter VII, were made after the date of the Libyan Application
in this case. This situation the Court regards as definitive and on that
basis rejects the United Kingdom's pleading in this regard.de la procédureoraleindiquent que cemoyen d'irrecevabilité ne revêt pas

un caractère exclusivement préliminaireque ce soit dans un sens littéral
ou absolu, mais il aurait étmis finà l'instance si la Cour avait conclà
l'irrecevabilité.
Il faut donc, en abordant la question de recevabilité, examinerle sens
des mots ((caractère exclusivement préliminaire)),car s'il est manifeste-
ment tentant d'écarterl'argument relatifà la recevabilitéen décidant que
l'exception d'irrecevabiliténe revêt pasun caractère «exclusivement»
préliminaire,cettesolution nous fait courir le risque de voir cette réponse
utiliséecontre àpeu près n'importe quellepartie àune affaire qui désire
soulever une exception préliminaire d'incompétence.
On pourrait certes faire valoir enrevancheque, si un moyenest si intime-
ment liéau fond commele demandeur en l'espèce semblm e anifestementle
penser,il conviendraitpeut-être alorsd'examinerle moyen relatif la rece-
vabilitéà l'occasiondu débatexhaustif surle fond. Mais lorsque la Cour a

acceptéde statuer sur l'exception préliminaiet l'a examinée,cet argument
va à l'encontre du butrecherché.Je ne peux donc pour cesmotifs suivre la
Cour et invoquerletextedu paragraphe 7 de l'article79du Règlementpour
écartercesexceptionspréliminaires,quecesoit à la compétence ou àla rece-
vabilité,en me fondant sur ce motif trèslégaliste ejturidiquement douteux.

Nous pouvons passer maintenant à l'examende la décisionde la Cour
sur le fond mêmedu moyen relatif à la recevabilité.
C'est à juste titre que la Cour dit que le principal argument présenté
par le Royaume-Uni est le suivant:

«la ou les questions en litige entre elle-même [la Libye]et le
Royaume-Uni [sont] maintenant réglée[sp]ar les décisionsque le
Conseil de sécuritéa prises en application du chapitre VI1 de la
Charte desNations Unies et qui lient lesdeux parties,et.lesrésolu-
tions adoptées priment, conformément à l'article 103 de la Charte,
en cas de conflit entre ce qu'elles exigentet les droits ou obliga-
tions qui découleraientde la convention de Montréal)) (voir para-
graphe 41 de l'arrêt).

Pour répondre à cette exception, la Cour, en plus d'invoquer l'article79
du Règlement ainsi qu'il est dit ci-dessus, tire argument de la décision
qu'ellea rendue dans l'affaire relative auxctions arméesfrontalières et
iansfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétenceet recevabilité
(C.I.J. Recueil 1988,p. 95, par. 66), où il est dit que «[l]a date criàique
retenir pour déterminer la recevabilitéd'une requêteest celle de son
dépôt». Et il est évidemment exactque les résolutions748 (1992)et 883
(1993)prises par le Conseil de sécuriten vertu du chapitre VI1l'ont été

après la date d'introduction de la requêtelibyenne en l'espèce.La Cour
juge cette situation définitiveet rejette sur cefondement lemoyen invoqué
par le Royaume-Uni à cet égard.108 1971 MONTREAL CONVENTION (DISSO.P. JENNINGS)

It is important, however, to note that the words cited by the Court
from the Armed Actions case, are qualified by the remainder of the para-

graph which is as follows:

"It may however be necessary, in order to determine with cer-
tainty what the situation was at the date of filingof the Application,
to examine the events, and in particular the relations between the
Parties, over a period prior to that date, and indeed during the sub-
sequentperiod. Furthermore, subsequent eventsmay render an appli-
cation without object, or even take such a course as to preclude the
filing of a later application in similar terms." (Border and Trans-
border Armed Actions (Nicaragua v. Honduras), Jurisdiction and
Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 1988, p. 95, para. 66.)

It appears from the Judgment in the present case that the Court regards
thecritical-date-of-the-application rule asapplicable to controlling admis-

sibility casesin general; and indeed onlyjust manages to avoid a circular
argument definingthe very plea of inadmissibility in terms of this critical
date rule; so that the way to avoid getting enmeshed with this rule is
apparently to enter a plea which cannot be regarded as, or at any rate is
not called, one of "admissibility".

But there is a serious argument of substance which, in the opinion of
the writer, the decision of the Court applying that rule to the United
Kingdom inadmissibility objectionhas to encounter. One is bound to ask
oneself whether the Court has fully appreciated and weighed the gravity
of a decision to subject to the application-critical-date rule, an inadmis-
sibilityplea based squarelyupon a decision of the Security Council under
Chapter VII, and involving the peace-keeping operations of the Security
Council. One must always have in mind other possible future cases. The

practical effect of thisecision is to establish an available procedure for
delaying or frustrating decisions of the Security Council made in its
peace-keeping capacity, is indeed to bring about a grave modification of
the juridical and political scheme of the United Nations Charter, which
the Court itself, as the Organization's principal judicial organ, is there,
one might have supposed, to declare, explain and protect.

There is, however, another part of the Judgment over the non-admis-
sibility defence to be considered; and that is the treatment of what is in
effect the United Kingdom's fall-backposition, that the case has, in con-
sequence of the Security Council resolutions, become "without object",
or "no case", or "moot"; these being different ways of expressing this
particular objection.This,according to the Court, isno longer an "admis-

sibility"matter and so not subject to the rule of the time-of-application
critical date; though whether it could be equally expressedin the reverse, Il est toutefois important de relever que la portéedu passage citépar la
Cour dans l'affaire relativeà des Actions arméesest limitéepar la suite

du paragraphe où il est dit ce qui suit:

«Il peut toutefois êtrenécessaire,pour détermineravec certitude
quelle étaitla situation la date du dépôtde la requête,d'examiner
les événementse ,t en particulier les relations entre les parties, pen-
dant une période antérieure à cette date, voire pendant la période
qui a suivi. En outre, il sepeut que des événementsrivent ensuitela
requête de son objet ou qu'ils prennent mêmeune tournure telle
qu'une nouvelle requêtene pourrait par la suite êtredéposéedans
des termes analogues. » (Actions arméesfrontalièreset transfronta-
lières (Nicaragua c. Honduras), compétenceet recevabilité,arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 95, par. 66.)

Il ressort de l'arrêten l'espèceque la Cour considèrela règlede la date
critique du dépôt de la requêtecomme généralementdéterminante en
matière derecevabilité.Elle ne réussitd'ailleurs qu'à éviter dejustesse un
raisonnement circulaire en définissant l'exceptionmêmed'irrecevabilité
en fonction de cette règlede la date critique. De sorte qu'il semble que la
façon d'éviterde se prendre au piègede cette règle estde soulever un
moyen qui ne saurait êtreconsidéré commetouchant à la «recevabilité»
ou qui n'est en tout cas pas ainsi qualifié.
Mais la décisionde la Cour d'appliquer cette règle à l'exceptiond'irre-
cevabilité soulevéepar le Royaume-Uni vient se heurter selon moi à un

solide argument de fond. Force est de se demander si la Cour a pleine-
ment considéréetpeséla gravitéd'unedécision desoumettre à la règlede
la date critique du dépôt de la demande une exception d'irrecevabilité
spécifiquementfondéesur une décision prisepar le Conseil de sécurité en
application du chapitre VI1et portant sur les opérationsde maintien de
la paix qu'il entreprend. Il faut toujours avoir l'esprit d'autres affaires
qui pourraient être introduitesà l'avenir. La décisionde la Cour a pour
effet pratique d'offrir un moyen de retarder ou de contrecarrer les déci-
sions prises par le Conseil de sécurité ensa qualité d'organe chargé du
maintien de la paix, voire d'entraîner une modification majeure du méca-
nismejuridique et politique de la Charte des Nations Unies que la Cour

elle-même,en tant qu'organe judiciaire principal de l'organisation est
chargée - on aurait pu le supposer - d'énoncer,d'expliquer et de pro-
téger.
Il faut toutefois aussi se pencher sur une autre partie de l'arrêt concer-
nant l'exception d'irrecevabilité:c'est la suite qui a été effectivement
réservée à la position de repli du Royaume-Uni, à savoir que les résolu-
tions du Conseil de sécurité«ont privé» l'affaire«d'objet», l'ont rendue
«sans objet», ou qu'«il n'y a pas d'affaire)) du fait de ces résolutions,
expressions utiliséespour qualifier cette exception particulière. Pour la
Cour, il ne s'agitpluslà d'une question de «recevabilité»et larèglede la
date critique du dépôt de la requête ne s'applique doncpas, quoique lethat it is not an admissibilityquestion becauseit is not controlled by that
critical date is far from clarified by the reasoning of the Judgment.

The Court, however, reaches the same conclusion as before, by now
applying another equally artificial and legalisticconsideration: the strict,
literal orabsolute interpretation of Article 79, paragraph 7, of the Rules
of Court. This has already been looked at above. Nevertheless it must be
added that the conclusion of the Court on this matter also, which is
really, and in its substance,just another way of putting the inadmissibil-
ity argument, is open to the same grave objections as those expressed
above in regard to the Court's decision under the admissibility heading.
It seemsunfortunate to Saythe least, that a preliminaryobjection involv-
ing the viability of the peace-keeping provisions of the Charter of the
United Nations should be dealt with on the basis of a legalisticargument
grounded not in the Charter of the United Nations but in an interpreta-
tion of a somewhat controversial word - "exclusively" - in Article 79
of the Court's Rules.

This case has also raised a question of basic principle of great impor-
tance which has been referred to in argument but which the present Judg-
ment studiously avoids: the relationship between the respective compe-
tences of the SecurityCouncil and of the International Court of Justice as
the "principal judicial organ of the United Nations". The Court in its
Judgrnent has no doubt relegated this to the merits stage. It seemsright,
however, in this opinion to state one's present views on the question
which in fact underlies every stage of this case; including the interim
measures stage in 1992.

In every system of government there are political organs which make
decisions on the basis of what may broadly be called political reasons;
and there arecourtsand other judicial tribunals which make decisionson
the basis of the interpretation and application of rules of law. Both kinds
of decision are necessary in any civilizedsociety governed by the rule of
law. Neither kind of decision can be said to be per se superior to the
other kind; they should rather be complementary.

But the differentkinds of organs, political and judicial, may find them-
selvescalledupon to deal with the samematter, or different aspects of the
same matter. How is the relationship between the two different organs
and their respective decisionsto be ordered? In a society governed by the
rule of law this relationship is to be resolved according to the relevantraisonnement suivi dans l'arrêtest loin d'apporter une réponse clairà la

question de savoir si la règlepeut tout aussi bien êtreinversée:il ne s'agit
pas d'une question de recevabilitéparce qu'ellen'est pas assujettiàcette
date critique.
La Cour aboutit toutefois à la mêmeconclusion qu'auparavant en
appliquant maintenant une autre considération toute aussi artificielle et
légaliste:l'interprétation stricte, littérale ou absoluedu paragraphe 7 de
l'article 79 du Règlement,que nous venons d'examiner. Il convient tou-
tefois d'ajouter que la conclusion de la Cour sur ce point, qui n'est réel-
lement et fondamentalementqu'une autre façon de présenterla thèsede
l'irrecevabilité,peut donner lieu aux mêmesobjections graves que celles
qui ont été formulées plus haut à l'encontre de la décisionde la Cour
relativeà la recevabilité.Il semblepour lemoins regrettablede statuer sur

une exception préliminairemettant en cause la viabilitédes dispositions
de la Charte des Nations Unies relatives aux opérationsde maintien de la
paix sur la base d'un argument légalistereposant non pas sur la Charte
des Nations Unies mais sur l'interprétationd'un adverbeprêtant quelque
peu à controverse - «exclusivement» - à l'article 79 du Règlementde
la Cour.

La présenteaffaire soulèveaussi la question d'un principefondamental
extrêmementimportant qui a étémentionnédans les argumentations des

Parties, mais que le présentarrêts'ingénie à éviter:le rapport entre les
compétencesrespectives du Conseil de sécurité etde la Cour internatio-
nale deJusticeen tant qu'«organejudiciaire principal desNations Unies B.
Il ne fait aucun doute dans l'arrêtde la Cour que celle-cia reportél'exa-
men de cette question au stade du fond. Il semble toutefois indiqué
d'exposer dans la présenteopinion mon propre point de vue sur cette
question qui sert de toile de fond dans chaque phase de la présente
affaire, y compris celle de la demande en indication de mesures conser-
vatoires en 1992.
Dans tout système degouvernement, il y a des organes politiques qui
prennent des décisionssur le fondement de ce que l'on peut qualifier
de façon large de raisons politiques et ily a des tribunaux et d'autres

organes judiciaires qui prennent des décisionssur le fondement de I'in-
terprétation et de l'application de règles de droit. Ces deux types de
décisionssont nécessairesdans toute société civilisée régiear le principe
de la primauté du droit. On ne saurait affirmer que l'un de ces genres de
décisions esten lui-mêmesupérieur à l'autre; ils devraient plutôt être
complémentaires.
Or il peut arriver que ces différentstypes d'organes, politiques et judi-
ciaires, soient appelés traiter du mêmesujet ou de différents aspectsdu
mêmesujet. Comment doit s'ordonner la relation entre les deux organes
différents etentre leurs décisions respectives?Dans une sociétéou règne
1'Etatde droit, ce sont les principes et règlesapplicables du droit consti-principles and rules of constitutional and administrative law. It is pre-
ciselythe lot of a court of justice to apply those principles and rules; as
indeed has happened in this case. So, the task of the Court in this case, as
Ssee the matter, is simply to apply international law.

The first principle of the applicable law is this: that al1discretionary
powers of lawful decision-making are necessarily derived from the law,
and are therefore governed and qualified by the law. This must be so if
only because the soleauthority of such decisionsflows itselffrom the law.

It is not logically possible to claim to represent the power and authority
of the law and, at the same time, claim to be above the law.

That this is true of the United Nations Security Council is clear from
the terms of Article 24, paragraph 2, of the Charter:

"2. In discharging these duties the Security Council shall act in
accordance with the Purposes and Principles of the United Nations.
The specificpowers granted to the Security Council for the discharge

of these duties are laid down in Chapters VI, VII, VSII, and XII."

1 therefore wholly agree with the Libyan argument that the Security
Council decisions and actions should in no wise be regarded as enjoying
some sort of "immunity" from the jurisdiction of the principal judicial
organ of the United Nations; though 1 ought perhaps to add that the
United Kingdom argument made no such claim.

In this kind of situation it seemsto me that the Court is, according to

the Charter, to act always as the "principal judicial organ of the United
Nations". In short, the Court must administer and apply the law. This
entails taking account of the applicable United Nations law; and that
includes taking fully into account Articles 24, 25, 28, 39, 48 and 103 of
the United Nations Charter. This must involve declaring, interpreting,
applying and protecting the law of the United Nations as laid down in no
uncertain terms by the Charter.

When, therefore, as in the present case, the SecurityCouncil, exercising
the discretionary competence given to it by Article 39 of the Charter, has
decided that there existsa "threat to the peace", itis not for the principal
judicial organ of the United Nations to question that decision, much less
to substitute a decision of its own, but to state the plain meaning and
intention of Article 39, and to protect the Security Council's exercise of
that body's powerand duty conferred upon it by the law; and to protect
the exercise of the discretion of the Security Council to "decide what
measures not involving the use of armed force are to be employed to give
effect to its decisions".tutionnel et administratif qui régissentcette relation. C'estprécisémenlta
mission d'une cour dejustice d'appliquer cesprincipes et règleset c'estce
qui s'est d'ailleurs produit dans la présente affaire. Aussi la tâche de la
Cour en l'espèceest-elle selon moi d'appliquer simplement le droit inter-
national.
Le premier principe du droit applicable est celui-ci: tous les pouvoirs
discrétionnairesexercés à l'occasion d'un mécanisme légitime de prise de
décisionsprocèdent nécessairementdu droit et sont donc régiset res-
treints par celui-ci. doit en être ainsinefût-ce que parce que c'estde lui
que ces décisionstirent leur seule autorité. On ne saurait logiquement
prétendre représenterle pouvoir et l'autorité dudroit et prétendresimul-
tanément être au-dessusde celui-ci.
Qu'il ensoit ainsi du Conseil de sécuritde l'organisation des Nations
Unies ressort clairement des termes du paragraphe 2 de l'article 24 de la

Charte :
((2. Dans l'accomplissementde ces devoirs, le Conseil de sécurité
agit conformément aux buts et principes des Nations Unies. Les
pouvoirs spécifiquesaccordésau Conseil de sécuritépour lui per-
mettre d'accomplir lesditsdevoirs sont définisau chapitres VI, VII,
VI11et XII. ))

J'approuve dèslors entièrement la thèse de la Libye selon laquelle les
décisionset lesmesures prises par le Conseil de sécuriténe sauraient nul-
lement êtreconsidérées comme bénéficiad n'tune sorte d'«immunité»les
mettant à l'abri de la juridiction de l'organe judiciaire principal des
Nations Unies, quoique je devraispeut-être ajouter que leRoyaume-Uni
n'a jamais avancéun tel argument.

Dans ce genre de situation, il me semblequela Cour est tenue, confor-
mément àla Charte, de toujours agir en qualité d'«organejudiciaire prin-
cipal desNations Unies». En bref, la Cour doit mettre en Œuvreet appli-
quer le droit. Ce qui entraîne l'obligation de tenir compte du droit
applicable des Nations Unies et notamment de tenir pleinement compte
des articles 24, 25, 28, 39, 48 et 103 de la Charte des Nations Unies. Et
donc de déclarer, d'interpréter, d'appliqueret de protéger le droit des
Nations Unies tel qu'il esténoncéen des termes dépourvus d'ambiguïté
dans la Charte.
Aussi, donc, lorsque le Conseil de sécurité,exerçantle pouvoir discré-
tionnaire que lui confère l'article 39 de la Charte, constate l'existence,
commedans la présenteaffaire,d'une ((menacecontrelapaix», iln'appar-
tient pas à l'organe judiciaire principal des Nations Unies de contester
cette décisionet encore moins de substituer sa propre décision à celledu

Conseil, mais d'indiquer le senset l'intention manifestes de l'article 39 et
de protégerl'exerciceque fait le Conseil de sécuritéde ce pouvoir et de
cetteobligationque le droit lui reconnaît et deprotégerl'exercicedu pou-
voir discrétionnaire decelui-cide ((déciderquelles mesures n'impliquant
pas l'emploi dela force armée doivent êtreprises pour donner effet à ses
décisions». Furthermore, when the Security Council moved into its powers under
Chapter VI1 of the Charter, it "decided certain issues pertaining to the

Lockerbie disaster with binding force" (Questions of Interpretation and
Application of the 1971 Montreal Convention arisingfrom the Aerial
Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United Kingdom),
ProvisionalMeasures, Orderof 14April1992, I.C.J. Reports 1992, p. 26,
separate opinion of Judge Lachs). There can be no doubt about that,
for Article 25 of the Charter so provides. Moreover this competence is
reasonable and necessary for the body that has been given "primary
responsibility for the maintenance of international peace and security"
(Art. 24); and this precisely "to ensure prompt and effective action by
the United Nations".

There has been some talk amongst the commentators of the possibili-
ties of some kind of power of "judicial review" by the International
Court of Justice; though it should be borne in mind that the Court
itself denied the possession of such powers in the Namibia case (Legal
Consequencesfor States of the Continued Presence of South Africa in
Namibia (South WestAfrica) notwithstanding Security Council Resolu-
tion 276 (1970), Advisory Opinion,I.C.J. Reports 1971, p. 45, para. 89).
Undoubtedly there are many difficult and as yet unresolved juri-
dical questions that are bound to arise when organs such as this

Court and other organs of the United Nations find themselves called
upon to perfonn what have usefully been called "parallel functions"
(see Judge Skubiszewski7silluminating article on "The International
Court of Justice and the Security Council", in Fijty Years of the Inter-
national Court of Justice, 1996,p. 606).
That there is no power ofjudicial review of Security Council decisions
under Chapter VI1of the Charter is not merely because of the dictum of
the Court in the Namibia case. The position is established by the provi-
sions of the Charter itself. Moreover it is evident from the records of San
Francisco that a power of judicial review wasproposed and rejected by
the drafting conference.The Court isnot a revisingbody, it may not sub-
stitute its own discretion for that of the Security Council; nor would it in
my viewbe a suitable body for doing that; nor is the forensic adversarial
system suited to the making of political decisions.

The legal position is therefore to my mind very clear. The function of
the principal judicial organ of the United Nations is to apply the law laid

down in the Charter of the United Nations. The SecurityCouncil is given
primary responsibility for the maintenance of the peace; its decisions
under Chapter VI1are binding decisions, and al1Members of the United
Nations have agreed to carry them out; and Article 103 provides that
obligations under the Charter shall prevail in the event of a "conflict"
between those obligations. En outre, lorsqu'il a décidé d'exercerles pouvoirs qu'il tient du cha-
pitre VI1 de la Charte, le Conseil de sécurité«a adoptéau sujet de cer-
taines questions liéesà la catastrophe de Lockerbie des décisionsayant

force obligatoire)) (Questions d'interprétationet d'application dela con-
vention de Montréalde 1971 résultantde l'incidentaériende Lockerbie
(Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), mesures conservatoires,
ordonnancedu 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992, p. 26, opinion indivi-
duelle de M. Lachs). Cela est indubitable car c'est ce que prévoitl'ar-
ticle 25 de la Charte. De plus il s'agitlà d'une compétenceraisonnable
et nécessaireexercéepar un organe auquel a été conféré «la responsa-
bilité principaledu maintien de la paix et de la sécuritéinternationales))
(art. 24), et ce précisément(([alfin d'assurer l'action rapide et efficace
de l'Organisation ».
Les commentateurs ont parfois envisagéla possibilitéde l'exercice
d'une sorte de pouvoir de ((contrôlejudiciaire))par la Cour internatio-
nale de Justice bien qu'ily ait lieu de rappeler que la Cour elle-mêmea
niéposséder unetel pouvoir dans l'affaire de la Namibie (Conséquences

juridiques pour les Etats de la présencecontinue de l'Afrique du Sud en
Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution276 (1970) du
Conseilde sécurité, avisonsultat$ C.I.J. Recueil 1971,p. 45, par. 89).Il
va de soi que se posent forcémentde nombreuses questions difficilesqui
n'ont pas encore trouvéde solutionjuridique lorsque des organes tels que
la Cour et d'autres organes des Nations Unies setrouvent appelés à exer-
cer ce qu'on a qualifiéà bon escient de ((fonctionsparallèles))(voir l'ar-
ticle riche d'enseignements de M. Skubiszewski intitulé «The Interna-
tional Court of Justice and the SecurityCouncil)),dans Fifty Yearsof the
International Court of Justice, 1996, àla page 606).
L'absence d'un pouvoir de contrôle judiciaire sur les décisionsprises
par le Conseil de sécuritéen application du chapitre VI1de la Charte ne
découle pas simplementde ce passage tiré de l'arrêt de la Cour dans
l'affaire de laNamibie. Ce sont les dispositions de la Charte elle-même
qui prévoientqu'il enest ainsi. De plus il ressorà l'évidence desactes de

la conférencede SanFrancisco qu'ilavait été proposé d'instaurerun pou-
voir de contrôle judiciaire mais que cetteproposition avait étrejetéepar
la conférencede rédaction. La Cour n'est pas un organe de revision, elle
ne peut substituer son propre pouvoir d'appréciation à celui du Conseil
de sécurité.Elle ne serait pas non plus à mon avis l'organe approprié
pour agir ainsi et le systèmejudiciaire contradictoire ne convient pas non
plus à la prise de décisionspolitiques.
Aussi la situationjuridique est-elletrèsclaire pour moi. La fonction de
l'organe judiciaire principal des Nations Unies est d'appliquer le droit
énoncé dans la Charte des Nations Unies. La responsabilitéprincipale du
maintien de la paix est conférée au Conseil de sécuritédont les décisions
prises en vertu du chapitreVI1sont des décisionsobligatoiresquetous les
Membres des Nations Unies sont convenus d'appliquer et l'article 103
prévoitque les obligations en vertu de la Charte prévaudront en cas de

«conflit» entre ces obligations. The law of the Charter is the law which the Court should, above all,
respect and apply in this case. The Court should not allow itself to be
persuaded otherwise by skilled and worldly-wiseadvocacy, which seems
to have been remarkably successfulin persuading the Court to forget the
cardinal fact that thiss a case where the applicant Government is alleged
to be implicated in the terrorist act, and that this is a situation with which
the Montreal Convention does not even purport to deal.

But a problem remains. Verymany of these matters which arise in rela-
tion to the question of admissibilityare also highly relevant to the merits.
In fact, as already mentioned above, most if not al1of them willcertainly
appear again at somelengthin the arguments at the merits stage. Accord-
ingly, quite apart from the difficultiesarising from the infelicitiesof the
drafting of Article 79, paragraph 7, of theRules, is there not something
to be said for leaving al1these matters raised under admissibility to be
dealt with at the merits stage; as the majority of the Court has indeed
decided?

In my opinion it would have been right for the Court to have disposed
ofal1these questions at this preliminarystage.The first reason is that, as
has been pointed out above, the relevant law to be applied is beyond
doubt; and the truth is that the Court has now already heard al1these

questions argued by the applicant Government at considerablelength in
1992as well as in the two weeks of hearings in the present phase. The
main reason, however, which 1consider of great theoretical and practical
importance, 1can best express by quoting from the separate opinion of
Judge Lachs in the Court's Order of 14 April 1992 (see Questions of
Interpretation and Application of the 1971 Montreal Convention arising
from the Aerial Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United
Kingdom), Provisional Measures, I.C.J. Reports 1992, p. 26). There,
speaking of the "issues of concurrent jurisdiction as between the Court
and a fellow main organ of the United Nations", he continued:

"In fact the Court is the guardian of legality for the international
communityas a whole, both within and without the United Nations.
One may therefore legitimately suppose that the intention of the
founders was not to encourage a blinkered parallelism of functions
but a fruitful interaction."

There might be thought to be room for the view that the permitting by
the Court of what promises to be six or seven years of litigation, in
three separate phases, over the legal effect of resolutions of the Security Le droit de la Charte est le droit que la Cour devrait avant tout respec-
ter et appliquer en l'espèce.La Cour ne devrait pas se laisser convaincre
d'adopter une autre solution par une argumentation habile et subtile
qui semble avoir remarquablement réussi à la persuader d'oublier le fait
cardinal qu'il s'agit d'une affaire où le gouvernement demandeur serait
impliquédans l'acte terroriste incriminéet qu'il s'agitd'une situation que
la convention de Montréal ne vise mêmepas à traiter.

Mais un problèmesubsiste. Bon nombre de ces questionsqui seposent
au regard de la recevabilitéprésentent aussi un grand intérêtpour le
fond. De fait, comme nous l'avons déjà mentionné plushaut, la plupart
de ces questions sinon toutes seront certainement assez longuement trai-
téesdans les argumentations qui seront développées lors de la phase du
fond. Aussi - abstraction faite des difficultésdécoulantdes maladresses
de rédactiondu paragraphe 7 de l'article79du Règlement - n'y aurait-il
pas eu lieu de dire un mot sur le report la phase du fond de l'examende
toutes ces questions soulevéesrelativement à la recevabilité, ce que
d'ailleurs a décidéla majorité de laCour?

La Cour aurait dû, selon moi, statuer sur toutes ces questions à ce
stade préliminaire dela procédure. Enpremier lieu, parce que, comme il
a été mentionné plus haut, le droit applicable est incontestable et il est
vrai aussi que la Cour a déjàexaminétoutes ces questions sur lesquelles
le gouvernement demandeur s'est très longuement étenduen 1992ainsi
qu'au cours des deux semaines d'audience lors de la phase actuelle. Mais
la raison principale,qui revêtpour moi une grande importance théorique
et pratique, est celle que je ne saurais mieux exprimer qu'en citant l'opi-
nion individuelle de M. Lachs jointe à l'ordonnance de la Cour du
14avril 1992(voir Questionsd'interprétation et d'application dlea conven-
tion de Montréal de 1971 résultant del'incident aérien deLockerbie

(Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume- Uni), mesures conservatoires,
C.I.J. Recueil 1992, p. 26). Traitant des ((problèmes de compétence
concurrente entre la Cour et un autre des organes principaux de l7Orga-
nisation des Nations Unies)), il a poursuivi en ces termes:
«En fait, la Cour est la gardienne de la légalitépour la commu-
nauté internationale dans son ensemble, tant à l'intérieur qu'en

dehors du cadre de l'organisation des Nations Unies. L'on peut
donc légitimementsupposer que l'intention des fondateurs n'était
pas d'encourager ces organes à exercer leur fonction parallèlement
comme avec des Œillères,mais plutôt d'avoir entre eux une interac-
tion fructueuse.))

Le fait que la Cour ait laissése poursuivre une procédure qui risque de
durer sixà sept ans, en trois phases distinctes, portant sur l'effetjuridique
des résolutionsprises par le Conseil de sécurité envertu du chapitre VI1Council made under Chapter VI1of the Charter, is something short of a
"fruitful interaction".
Moreover, one must also think of the effect of this decision on other

possible cases. There are other multilateral conventions besides Mon-
treal, which might lend themselves to hobbling litigation about United
Nations action to maintain or restore the peace. Nor indeed need the risk
be confined to multilateral conventions. One thinks of the dangers to
United Nations sanctions measures from the possible use of treaties of
Friendship and Commerce and their jurisdiction clauses, once the mean-
ing and effect of Article 103of the Charter is called in question. The deci-
sion of the Court in the present case, provides a vade mecum and pre-
cedent for those who might wish to delay United Nations action by a
miasma of legalistic activity. There are other conventions, besides the
Montreal Convention, that might lend themselvesin other and future cir-
cumstances, to similar legalistic,and politically profitable employment to
frustrate the Security Council in the performance of its Charter func-
tions; and it should be remembered that the Security Council may, in
certain circumstances, have to act very quickly. This possibility was
of course foreseen by the drafters of the Charter when they drafted
Article 103with these possibilities in mind.

For al1these reasons, 1am of the viewthat the Court, given that it has
been persuaded that it hasjurisdiction, ought certainly to have found this
claim inadmissible. 1 regret exceedinglya decision which, seen in a gen-
eral perspective and quite apart from the particular circumstances of the
present case, seems to me to be an unwise one for the Court to have
made.

(Signed) R. Y. JENNINGS.de la Charte, pourrait donnerà penser qu'on est loin d'une ((interaction

fructueuse».
De surcroît, il faut également penser à l'effet de cette décisionsur
d'autres affaires éventuelles.Il existe d'autres conventionsmultilatérales,
outre cellede Montréal, qui pourraient donner matièreà un litige embar-
rassant concernant des mesures prises par les Nations Unies pour main-
tenir ou rétablirla paix. Ce risque n'est d'ailleurspas limitétant s'enfaut
aux conventionsmultilatérales.Que l'onpense aux risques que fait courir
aux mesures de sanction de l'Organisation des Nations Unies le recours
éventuelaux traités d'amitié etde commerceet à leurs clausesjuridiction-
nelles une fois que le sens et l'effetde l'article 103de la Charte sont mis
en cause. La décisionde la Cour en l'espèceconstitue un vademecum et
un précédentpour tous ceux qui pourraient souhaiter retarder l'action de
l'organisation des Nations Unies par un foisonnement de manŒuvres
légalistes.Il y a d'autres conventions, outre cellede Montréal, quipour-

raient se prêter dans d'autres circonstances et à l'avenirà un usage
pareillement légalisteet politiquement avantageux pour tenir le Conseil
de sécurité enéchecdans l'exercicedes fonctions que lui confie la Charte
et il convient de se rappeler que le Conseil de sécurité peut être tenu
d'agir trèsrapidement dans certaines circonstances. Cette éventualité a
évidemmentétéprévuepar les rédacteurs dela Charte lorsqu'ils ont éla-
boré l'article103en ayant à l'esprit ces éventualités.
Pour toutes ces raisons, j'estime que la Cour, étant donnéqu'ellea été
convaincue de sa compétence,aurait certainement dû conclure à l'irrece-
vabilitéde la demande. Je regrette infiniment une décisionqui, replacée
dans un cadre généralfaisant abstraction des circonstancesparticulières
de l'espèce,me semble être unedécisionpeu judicieuse de la part de la
Cour.

(SignéR ). Y. JENNINGS.

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Opinion dissidente de Sir Robert Jennings, juge ad hoc (traduction)

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