Déclaration commune de MM. Bedjaoui, Guillaume et Ranjeva

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088-19980227-JUD-01-01-EN
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DÉCLARATION COMMUNE
DE MM. BEDJAOUI, GUILLAUME ET RANJEVA

Paragraphe5 de l'article31 du Statu- Cause commune entrele Royaume-
Uniet lesEtats-Unis - Royaume-Uni n'étanpt as en droit de désignerun juge
ad hoc.

1. La question s'est posée dans la présente affaire de savoir si le
Royaume-Uni était ou non en droit de désignerun juge ad hoc dans la

présentephase de la procédurerelative à la compétence dela Cour et à la
recevabilité dela requêtelibyenne. La Cour a répondu à cette question
par l'affirmative. Elle n'acependant pas cru devoir motiver sa décision
qu'elle s'estbornée à rappeler au paragraphe 9 de son arrêt.Cette déci-
sion inexpliquéenous paraît inexplicable et nous estimons par suite de
notre devoir de préciserici pourquoi nous n'avons pu y souscrire.

2. Parmi lesmembres de la Cour figurent à l'heure actuelleM. Stephen
Schwebel,présidentde la Cour, qui possèdela nationalité américaineet
MmeRosalyn Higginsdenationalité britannique. Conformémentau para-
graphe 5 de l'article 31 du Statut de la Cour, l'un et l'autre avaient le
droit de siégerdans les deux affaires opposant d'une part la Libye et les
Etats-Unis, d'autre part la Libye et le Royaume-Uni.
L'article 32 du Règlement de la Cour précisecependant que «[s]i le
président dela Cour est ressortissantdel'une desparties dans une affaire,

il n'exercepas la présidencepour cette affaire)). Le présidentSchwebel
était ainsi tenu delaisser la présidencede la Cour au vice-présidentdans
l'affaire opposant la Libye aux Etats-Unis. Compte tenu des circons-
tances, il a en outre décidéd'abandonner égalementla présidencedans
l'affaire opposant la Libye au Royaume-Uni. Cette décision reflétait
celle, identique, qu'avait prise sir Robert Jennings, alors présidentde la
Cour dans des circonstancescomparables lors de l'examen des mesures
conservatoires sollicitéespar la Libye en 1992'.
Par ailleurs MmeRosalyn Higgins fit connaître à la Cour que, «ayant
été conseildu Royaume-Uni au cours des toutes premièresphases» de
l'affaire opposant la Libye et le Royaume-Uni, elle ne pourrait prendre

part à la procédure dans cette affaire. Compte tenu des circonstances

Ordonnancedu 14avril 1992,C.2.J.Recueil1992,p. 3 et 114.

27dans lesquellesles mémoires desParties avaient été préparésM , meHig-

gins estima en outre devoir sedéporter dansl'affaireopposant la Libye et
les Etats-Unis.
Cette décision, commecelledu présidentSchwebel,traduisait des scru-
pules auxquels il convient de rendre hommage. Elle n'en allait pas moins
soulever des problèmes deprocéduredélicats.
3. Le 5 mars 1997,le Royaume-Uni fit en effet connaître à la Cour
qu'il avait été informde la décisionde MmeHiggins et «que, conformé-
ment à l'article 31 du Statut de la Cour età l'article 37 de son Règle-
ment)),il avait désignésir Robert Jennings, K.C.M.G., Q.C., ancien prési-
dent de la Cour, pour siéger enqualité dejuge ad hoc aux fins dela pro-
chaineprocédure oraledans l'affaireopposant la Libyeet leRoyaume-Uni.
4. Ladésignationainsifaiteparaissait à premièrevueconforme aupara-
graphe 3 de l'article 31 du Statut de la Cour selon lequels]ila Cour ne
compte sur le siègeaucun juge de la nationalitédes parties, chacune de

ces parties peut procéderà la désignation))d'unjuge ad hoc.
Elle n'en soulevait pas moins une difficultéau regard du paragraphe 5
du mêmearticle. Celui-ci précise en effetque:
((Lorsque plusieurs parties font cause commune, elles ne comp-
tent, pour l'application des dispositions qui précèdent, quepour une
seule. En cas de doute, la Cour décide.))

5. Les articles 36et 37du Règlement dela Cour déterminentles condi-
tionsd'application de l'article31du Statut. Le paragraphe 1de l'article37
dispose que:

«Si un membrede la Cour ayant la nationalité de l'unedes parties
n'est pas ou n'est plus en mesure de siégerdans une phase d'une
affaire, cette partie est autoriséeésigner unjuge ad hoc dans un
délaifixépar la Cour ou, si elle ne siègepas, par le président.

Puis le paragraphe 2 ajoute que
«Les parties faisant cause commune ne sont pas considérées

comme comptant sur le siègeun juge de la nationalité del'une d'elles
si le membre de la Cour ayant la nationalité del'uned'ellesn'estpas
ou n'est plus en mesure de siégerdans une phase d'une affaire.))
6. La question se posait donc en l'espècede savoir si le Royaume-Uni
et lesEtats-Unis devaientêtreregardés comme((faisant cause commune))
au moins dans la présentephase dela procédure, face à la Libye. Dans la
négative,le Royaume-Uni était en droit de désignerun juge ad hoc dans

l'affairel'opposantà la Libye (mais non dans celleconcernant les Etats-
Unis). Dans l'affirmative,le Royaume-Uni ne pouvait désignerdejuge ad
hoc, la Cour comptant déjà surle siègedans les deux affaires un juge ad
hoc choisi par la Libye et un juge ayant la nationalité des Etats-Unis,
pays faisant cause commune avec le Royaume-Uni. 7. La Cour semble avoir hésitélonguement sur la solution à retenir.
Dans une premièrephase,le Greffe a, selon l'usage, communiqué la lettre
du Royaume-Uni à l'agent de la Libye qui fut invitéà présentertoutes
observations utiles avant le 7 avril 1997.La Cour ne reçut aucun com-
mentaire de la Libye dans le délai prescrit.
La Cour donna alors instruction au Greffe d'informer les trois Etats
concernésqu'elleétaiten outre disposée à recevoir d'eux,pour le 30juin
au plus tard, toutes observations qu'ilspourraient souhaiter formuler au
regard du paragraphe 5 de l'article 31 du Statut. Le Royaume-Uni
déposaunmémoireexposant lesraisonspour lesquelles, à son avis, il n'y

avait pas en l'espècecause commune. Les Etats-Unis se prononcèrent
dans le mêmesens. Dans une lettre fort brève,la Libye prit parti en sens
inverse. Le 16septembre 1997,la Cour fit part de sa décisionaux Parties.
Ainsi plus de sixmois s'étaientécoulés entre la désignation opérépear le
Royaume-Uni et la décision dela Cour.

8. Cette décisionparaîtà premièrevue contraire à la jurisprudence de
la Cour permanente de Justice internationale comme à celle de la Cour
internationale de Justice concernant la cause commune qu'il convient
d'analyser avant d'en venir aux faits de l'espèce.
9. Cette jurisprudence s'estdégagée dèlses origines de la Cour perma-
nente.
Dans l'affaire relative la Juridiction territoriale de la Commission
internationalede l'Oder, les Gouvernementsallemand,britannique, fran-
çais, suédois et tchécoslovaquequi faisaient cause commune avec le
Danemark contre la Pologne ne comptaient pas sur le siègede juge de
leur nationalité. Ilsne furent cependantpas amenés à en désignerun, un
juge danois étantappelé à siéger faceau juge polonais2.

Dans l'affaire consultative du Régimedouanier entre l'Allemagne et
l'Autriche,la Cour, après avoir entendu les Parties préalablementà tout
débatau fond, constata que les Gouvernements allemand et autrichien,
d'une part, lesGouvernementsfrançais, italien et tchécoslovaque,d'autre
part, faisaient cause commune. La Cour releva par ailleurs qu'ellecomp-
tait sur le siègedes juges de nationalité allemande, française et italienne.
Elleen déduisit ((qu'iln'ya pas lieu, dans la présente affaàrla désigna-
tion dejuges ad hoc, soit par l'Autriche, soit par la Tchécoslovaquie».

C'est àcette occasion que la Cour permanente a, pour la première fois,
dégagéle critère permettant de déterminersi des Etats font cause com-

mune. L'hésitation étaitpermise sur ce point dans la mesure où le texte
anglais du Statut visait lesparties in the same interest)), tandis que la
version française concernait les parties qui «font cause commune)).A

Arrêtno 16du 10septembre 1929,C.P.J.I. se no23, p. 5.l'évidence,le texte anglais étaitplus large et aurait permis d'exclure la
désignationde juges ad hoc dans de plus nombreux cas. La Cour perma-
nente s'entint cependant au texte français et estima que la disposition en
cause ne pouvait s'appliquer que si les Etats concernésétaient dans une
situation du «litis consortium» 3. En effet, dans son ordonnance du
20 juillet 1931, elle releva que ((tous les gouvernements qui, devant la

Cour, arrivent à la mêmeconclusion, doivent êtreconsidéréscommefai-
sant cause commune aux fins de la présenteprocédure)) 4.Puis ellecons-
tata que «les thèsessoutenues par les Gouvernements allemand et autri-
chien aboutissent à une mêmeconclusion» alors que les thèses destrois
autres gouvernements ((aboutissent à la conclusion opposée)) 5. Elle en
déduisitque de part et d'autre les gouvernements en question faisaient
cause commune.
10. La Cour internationale de Justice, pour sa part, eut à connaître de

ce problèmepour la première foisdans les affaires du Sud-Ouest africain
sur les requêtes présentées respectivemenptar lYEthiopieet le Libéria
contre l'Afrique du Sud. Aucun de ces Etats ne comptait sur le siègede
juge de sa nationalitéet chacun d'euxavait, avant le dépôtdes mémoires,
manifestéson intention de désignerun juge ad hoc. L'Afrique du Sud
avait fait de même.
La Cour attendit le dépôtdes mémoires, puisse prononça par ordon-
nance du 20 mai 1961. Dans les motifs de cette ordonnance, la Cour
reprit en premier lieu à son compte la jurisprudence de la Cour perma-

nente en précisantque ((touslesgouvernements qui, devant la Cour, arri-
vent à la mêmeconclusion, doivent êtreconsidérés comme faisant cause
commune)). Ce faisant, elle posait un principe général sans limiter à
l'espècela solution retenue.
Puis la Cour constata que les conclusions contenues dans les requêtes
et les mémoiresétaient mutatis mutandis identiques et que «les textes
mêmes))de ces requêtes etmémoires«sont, sauf sur quelques points
mineurs, identiques)). Elle en déduisitque le Libéria et 1'Ethiopiefont

((cause commune)) devant la Cour «et ne comptent, par conséquent,
en ce qui concerne la désignationd'un juge ad hoc, que pour une seule
partie))6.
Au vu de cesdivers considérants,la Courjoignit les deux instances, dit
que les deux Gouvernements de 1'Ethiopieet du Libériafont cause com-
mune et leur fixaun délai d'unpeu moins de sixmois pour désigner,d'un
commun accord, un juge ad hoc. L'Afrique du Sud avait de son côté
désignéun tel juge et l'équilibreétaitainsi assuréentre demandeurs et
défendeur.

Voir Statut et Règlement de la Courpermanente de Justice international-e Eléments
d'internrétation.1,.4.o. 190.Voir aussi Hudson. La Cour nermanentede Justice inter-
natOrdonnance du 20 iuillet 1931,C.P.J.I. AIBino41. o. 89.
Ibid.p. 90.
Sud-Ouest africain, ordonnance du20 mai 1961, C.1.J. Recueil 1961, p. 14.

30 36 CONVENTION DE MONTRÉAL DE 1971(DÉCLC . OMMUNE)

11. La question se posa en termes un peu différentsdans l'affaire du
Plateau continental dela mer du Nord. Dans cette affaire, la République
fédérale d'Allemagne avait signédeux compromis distincts, l'un avec le

Danemark, l'autre avec les Pays-Bas. Les trois gouvernementsavaient en
outre conclu entre eux le même jour un protocole par lequel ils conve-
naient de demander à la Cour dejoindre les deux instanceset ajoutaient:
«Les trois gouvernementsconviennent qu'aux fins de la désigna-

tion d'un juge ad hoc, les Gouvernements du Royaume du Dane-
mark et du Royaume des Pays-Bas seront considérés comme faisant
cause commune au sens de l'article31,paragraphe 5, du Statut de la
Cour. » '

Dans le délaifixépour le dépôtdes contre-mémoires,le Danemark et
les Pays-Bas firent connaîtreà la Cour, par lettres séparées, ue chacun
d'eux avait choisi M. Sgrensen comme juge ad hoc. La Cour, après le
dépôtdes contre-mémoires,mais avant que les parties aient sollicitéla
jonction d'instance conformémentau protocole, se prononça par ordon-
nance du 28 avril 1968.Ellerappela dans cette ordonnance lesconditions
dans lesquelles le Danemark et les Pays-Bas avaient désigné un juge ad
hoc, ainsi que les dispositions agréespar les Partàecet égard. Maiselle
exprima en outre son souci de vérifier elle-mêmdeans les écrituressi les
deux gouvernementsfaisaient effectivement cause commune, et constata

«que les contre-mémoiresdéposés par les Gouvernements du Dane-
mark et des Pays-Bas confirment que les deux gouvernements consi-
dèrentqu'ilsfont cause commune puisqu'ilsont énoncé leursconclu-
sions en des termes presque identiques)).

Puis la Cour en conclut que les deux gouvernements «ne comptent,
en ce qui concerne la désignation d'un juge ad hoc, que pour une seule
Partie))
Cejugement confirmeainsi le critèreretenu antérieurementpour déter-
miner si deux Etats font cause commune: seules leurs conclusions sont
déterminantes àcet égard. Maisil marque en outre qu'il appartient à la

Cour et non aux parties de prendre la décision requise.Les deux gouver-
nements avaient en l'espècedésigné la mêmepersonnepour siégercomme
juge ad hoc. La Cour aurait pu se contenter de constater qu'il en était
ainsi. Elle ne l'a pas fait et a entendu déterminers'ily avait ou non cause
commune. Mais, là encore, ellene s'estpas contentéedel'affirmation des
parties. Elle a vérifiéce qu'il en était au vu des conclusions des deux
Etats.
12. La jurisprudence ainsi réaffirméet développéea trouvéune nou

Plateau continentalde la mer du Nord, ordonnancedu 26 avril 1968, C.Z.J. Recueil
1968, p. 10.
Zbid. 37 CONVENTION DE MONTRÉAL DE 1971(DÉCLC . OMMUNE)

velle occasiond'application dans lesaffaires de la Compétenceen matière

de pêcheries.Dans ces affaires, deux requêtes avaientsuccessivementété
déposées contre l'Islande, le 14avril 1972par le Royaume-Uni et le5juin
1972par la Républiquefédérald e'Allemagne.Par des ordonnances paral-
lèlesrendues dans chaque cas la Cour avait, le 17août 1972,indiquécer-
taines mesures conservatoireset fixéle lendemain lesdélaisde production
des mémoiressur la compétence.
Un juge britannique siégeait enl'affaire, mais ni l'Islande, ni l'Alle-
magne ne disposaient d'unjuge de leur nationalité.Dèsle 21juillet 1972,
l'Allemagne fitconnaître son intention de nommer un juge ad hoc et, le
31 octobre, désigna à cet effet M. Mosler. Le Gouvernement islandais

n'ayant pas réagi à cette désignation, le Greffier en informa l'agent de
l'Allemagneet transmit le dossier à M. Mosler.
A la veille des audiences qui devaient porter sur la compétencede la
Cour dans lesdeux affaires,la Cour eut cependant des doutes sur sa com-
position et le greffier, le 4 janvier 1973, adressa aux agents une lettre
selon laquelle la Cour:

«après en avoir délibéré, ..n'a pas pu parvenir àla conclusionque
la désignation d'unjuge ad hoc par la Républiquefédérale d'Alle-
magne sejustifierait en la présentephase de la procédure. Cettedéci-
sion ne concerneque la phase actuelle, relativeà la compétence dela
Cour, et ne préjugeen aucune manière la question de savoir si, dans

l'hypothèse où la Cour se déclarerait compétente, unjuge ad hoc
pourrait êtrechoisi pour siégerdans la suite de la procédure.»

Cette décisionfut confirméedans les mêmestermes par le président à
l'ouverture des audiences 'O.
Elle fut précisédans l'arrêt du2 février1973sur la compétencede la
Cour dans l'affaire dela Compétenceenmatièredepêcheries(République
fédéraled'Allemagne c. Islande) où :

«La Cour, tenant compte de l'instance introduite par le Royaume-
Uni contre l'Islande ..ainsi que de la composition de la Cour en la
présente affaire où siègeun juge ayant la nationalité du Royaume-
Uni, a néanmoinsdécidép ,ar huit voix contre cinq, qu'en la présente
phase relative à la compétencede la Cour les deux Parties faisaient
cause commune au sens de l'article 31, paragraphe 5, du Statut, ce
quijustifiait le rejet de la demande de la République fédérale'Alle-

magne concernant la désignationd'un juge ad hoc. » "

L'Islande, de son côté, n'avait cependantpas désigné de juge ad hoc.
Lorsqu'on en arriva à l'examendu fond, l'Allemagne,tout en maintenant

Greffe.]. Mémoires,Compétenceen matière depêcher,ol. II, p. 421. [Traduction du
'OIbid., p. 120.
l1Arrêtdu 2 février1973,C.I.J. Recueil 1973, p. 51, par. 7.sondroit à procéder à une telledésignation,fitconnaître qu'ellen'insisterait
pas pour désignersonproprejuge «tant quecettesituationprévaudrait » l2.
La solution retenue dans la phase sur la compétence confirme cepen-
dant la jurisprudence antérieure selon laquelle deux Etats font cause
commune dèslors qu'ilsprésententlesmêmesconclusions, quelleque soit
l'argumentation exposée à l'appui de ces conclusions. En l'espèce le
Royaume-Uni et la République fédérale d'Allemagne soutenaient que la
Cour était compétentepour connaître de leur action. Mais, en ce qui
concerne la compétence ratione personnae, ils le faisaient sur des bases
distinctes.A cet égard,la République fédérale d'Allemagneétaiten effet

dans une situation différentede celle du Royaume-Uni. Elle n'était pas
membre des Nations Unies et n'était pas partieau Statut. Dèslors, elle
n'invoquait pas une déclaration de juridiction obligatoire déposéeen
application de l'article 36, paragraphe 2, du Statut (comme le faisait le
Royaume-Uni), mais sur une déclaration du 29 octobre 1971,par laquelle
elle avait déclaré accepter lajuridiction de la Cour conformément à l'ar-
ticle 35, paragraphe 2, du Statut eà la résolution9 (1946)du Conseil de
sécuritédu 15octobre 1946.Or l'Islande avait contestéque cette déclara-
tion aitDU couvrir l'instance ratione temvoris13.

La Cour a cependant estiméque peu importait cette différence de
situation entre le Royaume-Uni et l'Allemagne.L'essentieldemeurait que
les deux Etats concluaient à la compétencede la Cour. Cette identitéde
conclusionsimpliquait cause commune.
Si, sur ce dernier point, l'arrêt rendune fait que confirmer de manière
éclatantela jurisprudence antérieure, on doit cependant noter que cette
jurisprudence trouve ainsi à s'appliquer dans une nouvelle configura-
tion procédurale. Eneffet, dans l'affaire duRégimedouanierentre I'Alle-
magne et l'Autriche, soumise à la Cour permanente, les Etats interve-
nants faisaient valoir leur point de vue dans une procédure unique

d'avis consultatif. Dans les affaires duSud-Ouest africain et du Plateau
continental de la mer du Nord, les demandeurs avaient introduit des
requêtes distinctes. Mais, dans ces deux derniers cas, la Cour interna-
tionale de Justice avait joint ces requêtes et prononcé unseul et unique
arrêt.
En revanche, dans les affaires de la Compétenceen matière de pêche-
ries, la Cour n'a pas prononcéune telle jonction et a rendu deux séries
d'arrêts distincts,tant sur la compétence quesur le fond. Mais cela ne l'a
pas empêchéd ee regarder le Royaume-Uni et l'Allemagne commefaisant

«cause commune» dans la premièrephase de la procédure.Ainsi, faire
«cause commune» consiste bien pour deux Etats à présenterles mêmes
conclusions à la Cour, que celles-cile soient dans une requête unique ou
dans deux requêtes distinctes etque ces dernières soientjointes ou non.
Peu importe ce détail procédural.

l2C.1J. Mémoires, Compétencen matièredepêcherie,ol. II, p. 457.
l3Zbid.,p. 94; voir aussi l'a2février1973, C.Z.J. Recueil 1973, p. 54 et 55.39 CONVENTION DE MONTRÉAL DE 1971(DÉCLC . OMMUNE)

13. Au total, lajurisprudence de la Cour permanenteet celledela Cour
internationale de Justice seprésentent de manièreparfaitementcohérente :

a) les gouvernements qui, devant la Cour, arrivent aux mêmesconclu-
sions doivent êtreconsidéréscomme faisant cause commune. Peu
importe dans cette perspectivel'argumentation des parties, seules les
conclusionssont déterminantes(jurisprudenceconstante) ;

b) lorsque des exceptions d'incompétenceet d'irrecevabilitésont soule-
véesin limine litis, il convient, dans la premièrephase de la procé-
dure, d'apprécier l'attitudedes parties au regard de ces exceptions.
C'est ainsi que, si elles concluent la compétencede la Cour, elles
doivent êtreregardées commefaisant cause commune (affaires de la
Compétenceen matière depêcheries);
c) il appartientà la Cour d'en décider indépendammentde l'attitude des
parties (affaire du Plateau continental de la mer du Nord);
d) cette solution s'applique, qu'il ait jonction des requêtes(affaire du
Sud-Ouest africain et du Plateau continental de la mer du Nord) ou
que celles-cidemeurent distinctesaffairesdela Compétenceenmatière
de pêcheries).

14. En l'espèce leRoyaume-Uni et les Etats-Unis développentdans la
présentephase de la procédureune mêmeargumentation sur deux plans.
Ils soutiennent tout d'abord, en termes presque identiques, que le diffé-
rend porté devant la Cour ne concerne pas l'application ou l'interpréta-
tion de la convention de Montréal du 23 septembre 1971pour la répres-
sion d'actes illicites dirigéscontre la sécuritéde l'aviation civile et que,
par suite, l'article 14 de cette convention ne donne pas compétenceà la

Cour pour connaître de l'affaire. Ils exposent en second lieu que le
Conseil de sécuritéa approuvédiverses résolutions imposant à la Libye
l'obligation de livrer lessuspects, que cesrésolutionsadoptéesen applica-
tion du chapitreVI1de la Charte s'imposent àla Libye conformément à
l'article25 et l'emportent sur toute obligation conventionnelle (et notam-
ment sur la convention de Montréal) conformément à l'article 103.Ils en
déduisent queles demandes libyennes sont irrecevables ou sont devenues
sans objet.
Le Royaume-Uni, aux termes de ses exceptions préliminaires, priepar
suite

«la Cour de dire et juger:
qu'ellen'a pas compétencepour se prononcer sur les demandes pré-

sentéespar la Jamahiriya arabe libyenne l'encontre du Royaume-Uni

que les demandes présentéespar la Jamahiriya arabe libyenne à
l'encontre du Royaume-Uni ne sont pas recevables)). Quant aux Etats-Unis, ils prient «la Cour d'accueillirles exceptionà
la compétencede la Cour qu'ilsont présentées et de déclinerde connaître
de l'affaire)).
Dans ces conditions, il était clair que dans cette phase de la procédure

les Etats-Unis et le Royaume-Uni présentent à la Cour lesmêmesconclu-
sions et font donc cause commune. Cette communauté d'intérêé t claire
d'ailleurs la décisiondu président Schwebel de ne présiderla Cour ni
dans l'une ni dans l'autre affaire et celle deeHiggins de se déporter
dans les deux cas. L'existenced'une cause commune trouve surtout son
expression dans lesjugements rendus par la Cour qui sont très proches
dans leur motivation et quasiment identiques dans leur dispositif. La
demande britannique tendant à la désignation d'unjuge ad hoc aurait
dû êtrerejetéeconformément à la jurisprudence constante rappelée ci-
dessus.
15. Dans ses observations écrites,le Royaume-Uni développe cepen-
dant à l'encontre d'une telle solution quatre arguments qu'il convient
d'examiner successivement.
16.Il se prévauten premier lieu du ((droit de tout Etat partie à une

affairedevant la Cour d'obtenir qu'y siègeun juge ad hoc, lorsque aucun
juge titulaire de la nationalitédit Etat n'està mêmede prendre part à
l'instanceB.Ce droit serait ((fondamental».
Cet argument ne saurait être retenu. Certesle Statut de la Cour recon-
naît aux Etats le droit de désignerunjuge ad hoc, que la Cour soit saisie
par compromis ou par voie de requête unilatérale. Maisce droit procède
d'un principe encore plus fondamental, celui de l'égalité desarties. Or,
dans certaines hypothèses,cette égalitpeut être rompue du faitmêmede
la désignation dejuges ad hoc. Il en est ainsi lorsqu'un des Etats faisant
cause commune avec d'autres a déjà unjuge sur le siège.En pareil cas, le
droit statutaire la désignationd'unjuge ad hoc perd tout fondement et
le principe d'égalitexigequ'un tel juge ne soitpas désigné.Tel eslte sens
du paragraphe 5 de l'article 31 du Statut et telle est la situation en
l'espèce.

17. Le Royaume-Uni soutient en deuxième lieu que l'article 31, qui
userait du singulier, ((s'appliqueséparémentà chaque affaire inscrite au
rôle de la Cour)). «En présence de deuxaffaires distinctes entre deux
sériesde parties (mêmesi l'une des parties est en cause dans les deux
affaires), le paragraphe5 de l'article 31 ne trouve pas à s'appliquer.»En
l'espècela Libye a présentédeux requêtesdistinctes contre les Etats-Unis
et le Royaume-Uni. Le texte invoquéne serait par suite pas applicable,
((saufà joindre les deux instances)).
Or, selon le Royaume-Uni, «la Cour a suivi constamment la pratique
qui consisteà ne pas ordonner la jonction sans l'accord des parties aux
deux affaires)). Du fait notamment de la position des Parties, les condi-
tions de lajonction ne seraient dèslors pas remplies en l'espèce.Les deux
affaires étantdistinctes, il ne saurait y avoir cause commune.
Cet argument est loin d'être convaincant. Il avait étéécarté danslesaffaires de la Compétenceen matièredepêcheries dans lesquellesla Cour
avait estiméque l'Allemagnefaisait causecommune avecle Royaume-Uni,
bien que les deux Etats aient présenté des requêtes distinctes.l ne trouve
en outre aucun fondement dans les textes applicables. Le paragraphe 5
de l'article31du Statut et l'article36du Règlementn'usentni du singulier
ni du pluriel, puisqu'ilsne visent ni «l'affaire» nies affaires)).Seul l'ar-
ticle37du Règlementmentionne le cas où un membrede la Cour n'estpas
en mesure de siégerdans «une phase d'uneaffaire)).Mais cette rédaction
reflètel'article4 du Statut qui envisagele cas où l'un des membres de la
Cour ne peut siégerdans «une affairedéterminée)) E.lle estaisémentexpli-

cabledans la mesureoù la désignationd'unjuge adhocenvue deremplacer
un membrede la Cour qui s'estdéporté n'est concevableque dans l'affaire
dans laquelle 1'Etatdont ce membre a la nationalitéest partie. Aussi bien,
en l'espèce,le Royaume-Uni n'a-t-il jamaisdemandéla désignation d'un
juge ad hoc dans l'instanceopposant la Libye et les Etats-Unis, alors que
MmeHiggins s'étaitégalementdéportée dans cette instance.
Au surplus, la jurisprudence traditionnelle de la Cour trouve avant
tout son fondement dans lesprincipes mêmesqui sous-tendent ces textes.
Admettre en effetque des Etats ne puissent faire cause communeque s'ils

sont impliquésdans une mêmeinstance serait en définitivelaisser la déci-
sion à prendre en ce qui concerne la désignation des jugesad hoc à la
discrétiondu ou des demandeurs et priver ainsi la Cour de la compétence
qu'elletient du Statut et du Règlement.
Dans un tel système laCour serait en effet dans l'incapacitéde déclarer
qu'ilexistecausecommuneentreplusieursdemandeursprésentand t esconclu-
sionsidentiquesdans desrequêtes distinctesE .llene serait pas davantageen
mesured'établirl'existenced'unecausecommuneentre plusieursdéfendeurs
présentantdes conclusions identiquesdans des affairesayant fait l'objet de
requêtes distinctes. Edéfinitivel,e ou lesdemandeurs seraient maîtresde la

procédure et l'onimaginequel profitilspourraient êtretentésd'entirer.
Bienplus, on voit mal pourquoi la solution à retenir en ce qui concerne
l'existenced'une causecommune serait différente selonque la Cour est
saisie de requêtes distinctes (commedans les affaires de la Compétence
en matière de pêcheriesou dans les présentes affaires)ou d'une requête
unique (commedans l'affaire de l'Or monétairepris à Rome en 1943).Un
tel formalisme n'aurait aucune justification et serait étrangerà la tradi-
tion de la Cour qui, ((exerçant une juridiction internationale, n'est pas
tenue d'attacher à des considérations de forme la mêmeimportance

qu'ellespourraient avoir en droit interne)) 14.
18. A l'encontre de ce raisonnement on pourrait cependant faire valoir
qu'en cas de requêtesou de défensesdistinctescontenant des conclusions

l4Arrêtdu 30 août 1924,ConcessionsMavrommatis en Palestine, C.P.J.1sno2,A
p. 34; arrêtdu 2 décembre1963,Cameroun septentrional,C.Z.J. Recueil1963,p. 28; arrêt
Recueil 1992,p. 265.taines teràphosphatesà Nauru (Nauru c. Australie), C.Z.J.42 CONVENTION DE MONTRÉAL DE 1971(DÉCLC . OMMUNE)

identiques la Cour serait en mesure de rectifier la situation et d'éviter
toute fraude en prononçant la jonction des instances, puis, une fois
celle-ci opérée,en constatant que les parties font en réalité cause com-

mune.
Cette solution se heurte toutefois à une objection fondamentale, à
savoir que lajonction d'instance etla reconnaissance de causecommune
n'obéissenp tas aux mêmescritères. La jonction d'instances a pour but de
permettre à la Cour de se prononcer sur deux requêtes distinctespar un
jugement unique. Elle peut êtredécidéedans des affaires opposant les
mêmesparties et ayant le mêmeobjet (comme dans l'affaire du Statut

juridique du territoire du sud-est du Groënland 15).Elle peut l'êtreaussi
dans des affaires opposant les mêmesparties, mais ayant des objets dif-
férents(comme dans l'affaire de Certains intérêta sllemands en Haute-
Silésiepolonaise l6ou dans le cas des Appels contre certainsjugements du
tribunalarbitralmixte hungaro-tchécoslovaque 17)Enfin lajonction d'ins-
tances distinctes présentéespar des Etats différents est égalementpos-
Il peut y êtreprocédédans le cas ou des Etats font cause commune
sible.
(comme dans les affaires du Sud-Ouest africain).Mais la causecommune
n'implique pas nécessairement lajonction, en particulier si les parties
elles-mêmess'y opposent (comme le prouvent les affaires de la Compé-
tence en matière de pêcheries).
En effet, certains Etats peuvent présenter à la Cour des conclusions
identiques tout en développantdes argumentations différentes.Ils font

bien alors cause commune, mais il serait tout à fait inopportun de pro-
noncer une jonction pour aboutir à un jugement unique qui devrait se
prononcer de manièredistinctesur cesdivers arguments. Si, dans l'affaire
du Plateau continentalde lamer du Nord, lajonction a été prononcép ear
la Cour, c'est que:

«les arguments juridiques du Danemark et des Pays-Bas ont étéen
substance les mêmes,sauf sur certains points de détail, et qu'ils ont
été présenté ssit en commun, soit en étroite coopération» 18.

Si à l'inverse,dans lesaffaires de la Compétenceen matièredespêcheries,
la jonction n'a pas étéprononcée lorsqu'on en est arrivéau fond, c'est
parce que la Cour

«a considéréque, si les questions juridiques essentielles semblaient
identiques dans les deux affaires, il existait des divergencesquantà
la position et aux conclusions des deux demandeurs)) 19.

l5Ordonnances du 2 et 3 août 1932, C.P.J.Z. sérieAIB no48, p. 268.
l6Arrêt no7 du 5 février1926,C.P.J.Z. sérieA no 7, p. 95.
l7Ordonnance du 12mai 1933, C.P.J.Z. sérieC no68, p. 290.
l8Arrêt du20 février1969, C.Z.J.Recueil 1969,p. 19, par. 11.
l9Arrêtsdu 25juillet 1974,C.Z.J. Recueil 1974, p. 6, par. 8, et p. 177,par. 8. En outre, le point de vue des parties ne pèsepas de la mêmemanière

sur la décisionde la Cour lorsqu'il s'agit de déterminers'ily a cause com-
mune ou s'ily a lieu àjonction. Dans le premier cas, en effet, la décision
est prise en fonction de critèrespurement objectifs,et c'esta Cour de se
prononcer en appliquant ces critères.L'accord desparties n'y suffit pas,
comme le prouve l'affaire du Plateau continental de lamer du Nord dans
laquelle la Cour a vérifiéelle-même sic,onformémentau compromis, le
Danemark et les Pays-Bas faisaient bien cause commune.

En revanche, en matière de jonction, la Cour tient le plus grand
compte des vŒuxdes parties, comme le montrent les affaires de l'Inci-
dent aérien du27 juillet 1955 (Israël c. Bulgarie) ou celle des Essais
nucléaires(1973)et, comme la Cour elle-même l'a précisédans les cas de

la Compétenceen matière de pêcheriesou elle a relevé à l'appui de sa
décisionqu'«une jonction aurait étécontraire)) aux «vŒux» des deman-
deurs.
Dans cesconditions, on comprend mieux la sagessede lajurisprudence
traditionnelle de la Cour.Il est certain, comme l'a déjànoté la doctrine,
que la jonction d'instance et la désignation d'unjuge ad hoc lorsque les
parties sont considérées comme faisant cause commune correspondent à
deux hypothèses différentes qui ne se présentent pas nécessairement
ensemble 20.On ne saurait confondre les deux concepts distincts dejonc-
tion d'instance et de cause commune et faire dépendre la seconde de la
première: il est des circonstances dans lesquelles les parties font cause

communedans des instancesdistincteset où la jonction n'est pas souhai-
table. La cause commune n'en doit pas moins pouvoir être alors cons-
tatéepar la Cour.
19. Le Royaume-Uni souligne en troisième lieu que la quasi-totalité
des affaires dont la Cour a euà connaître dans le passé((comportait des
instances parallèles introduitespar deux demandeurscontre un défendeur
unique)). Or, en l'espèce, deux défendeurs s'opposent à un demandeur
unique. La situation serait donc toute différenteet une solution différente
s'imposerait.
On voit mal cependant pourquoi les défendeurs seraientpour l'appli-
cation du Statut et du Règlement traités sur ce point différemment

des demandeurs. Les textes mentionnésvisent les parties en généralet
celles-ci peuventà l'évidencefaire cause commune, tant comme défen-
deresses que comme demanderesses.
Dans la première phase des procédures, les conclusions de deman-
deurs faisant cause commune tendent nécessairement à faire reconnaître
la compétence de la Cour et la recevabilité de la ou des requêtes
(comme dans les affaires du Sud-Ouest africain et de la Compétenceen
matière depêcheries). Dans cette mêmephase, les conclusions des défen-

20G. Guyomar, Commentaire du Règlement de la Cour internationale deJustice,
p. 300.deurs faisant cause commune tendent à nier la compétence dela Cour et
la recevabilité dela ou des requêtes(comme dans les affairesde Locker-
bie). On voitmal pourquoi cesdeuxcasde figureseraienttraitésdifférem-
ment.

20. Enfin le Royaume-Uni souligne que les arguments qu'il développe,
dès cette phase de la procédure, bien que ((compatibles)) avec ceux
avancés parles Etats-Unis «ne sontpas identiques)).Chacun a fait valoir
«les moyens de fait et de droit de sa cause de la façon qu'il a jugéela
meilleure)).Pour ce motif encore, il n'y aurait pas cause commune.

Cette argumentation procède d'une confusion entre ~~conclusions~e~ t
«moyens» des parties (confusion que font trop souvent les Etats compa-

raissant devant la Cour comme celle-ci l'a relevéexplicitement dans
l'affaire desMinquiers et Ecréhous(FrancelRoyaume-Uni)) 21.
Font cause commune deux Etats qui avancent les mêmesconclusions,
même sileurs arguments divergent quelque peu. En effet faire «cause
commune)), c'est dans tous les systèmesde droit rechercher conjointe-
ment un mêmerésultaten présentantdes conclusions tendant à la même
fin22.Aussi bien est-ce parce que cette fin est unique que les auteurs du
Statut ont prévu en pareil casla désignationd'un juge ad hoc unique. Il
serait trop aisépour deux ou plusieurs Etats de tourner cette règleen

présentant des conclusions identiques fondéessur des argumentations
différenteset d'obtenir par un tel biais la désignationde plusieurs juges
ad hoc. Les conclusions, et seules les conclusions, doivent être prises
en considération pour l'application du paragraphe 5 de l'article 31 du
Statut.
Au surplus n'est-il pas inutile de noter qu'en l'espèceles argumen-
tations mêmesdes Etats-Unis et du Royaume-Uni sont extrêmement
proches. Elles reposent dans les deux cas sur une interprétation restric-

tive communede l'article 14de la convention de Montréal et surl'impact
des résolutions du Conseil de sécurité.

21. Au total, les Etats-Unis et le Royaume-Uni présentent dans cette
phase de la procédure les mêmesconclusions sur lesquelles la Cour a

statué par deux jugements comportant une motivation analogue et des
dispositifsquasiment identiques. Ils faisaient cause communeet par suite
le Royaume-Uni n'était pasen droit de désigner unjuge ad hoc. La Cour
en a décidé autrement et cela nous a donnéle plaisir de siéger a nouveau
avec sir Robert Jennings dont nous avons pu apprécier une nouvelle fois

21Arrêtdu 17novembre 1953,C.Z.JR ecueil 1953, p. 52.
22Dictionnaire de la terminologiedu droit international,p. 104et 105.

39les éminentesqualités.Nous n'en regrettons pas moins une décisionnon

motivée qui constitue une première dans l'histoire de la Cour et qui nous
paraît contraire au Statut, au Règlement eta jurisprudence.

(Signé) Mohammed BEDJAOUI.
(Signé) Gilbert GUILLAUME.

(Signé) Raymond RANJEVA.

Bilingual Content

DÉCLARATION COMMUNE
DE MM. BEDJAOUI, GUILLAUME ET RANJEVA

Paragraphe5 de l'article31 du Statu- Cause commune entrele Royaume-
Uniet lesEtats-Unis - Royaume-Uni n'étanpt as en droit de désignerun juge
ad hoc.

1. La question s'est posée dans la présente affaire de savoir si le
Royaume-Uni était ou non en droit de désignerun juge ad hoc dans la

présentephase de la procédurerelative à la compétence dela Cour et à la
recevabilité dela requêtelibyenne. La Cour a répondu à cette question
par l'affirmative. Elle n'acependant pas cru devoir motiver sa décision
qu'elle s'estbornée à rappeler au paragraphe 9 de son arrêt.Cette déci-
sion inexpliquéenous paraît inexplicable et nous estimons par suite de
notre devoir de préciserici pourquoi nous n'avons pu y souscrire.

2. Parmi lesmembres de la Cour figurent à l'heure actuelleM. Stephen
Schwebel,présidentde la Cour, qui possèdela nationalité américaineet
MmeRosalyn Higginsdenationalité britannique. Conformémentau para-
graphe 5 de l'article 31 du Statut de la Cour, l'un et l'autre avaient le
droit de siégerdans les deux affaires opposant d'une part la Libye et les
Etats-Unis, d'autre part la Libye et le Royaume-Uni.
L'article 32 du Règlement de la Cour précisecependant que «[s]i le
président dela Cour est ressortissantdel'une desparties dans une affaire,

il n'exercepas la présidencepour cette affaire)). Le présidentSchwebel
était ainsi tenu delaisser la présidencede la Cour au vice-présidentdans
l'affaire opposant la Libye aux Etats-Unis. Compte tenu des circons-
tances, il a en outre décidéd'abandonner égalementla présidencedans
l'affaire opposant la Libye au Royaume-Uni. Cette décision reflétait
celle, identique, qu'avait prise sir Robert Jennings, alors présidentde la
Cour dans des circonstancescomparables lors de l'examen des mesures
conservatoires sollicitéespar la Libye en 1992'.
Par ailleurs MmeRosalyn Higgins fit connaître à la Cour que, «ayant
été conseildu Royaume-Uni au cours des toutes premièresphases» de
l'affaire opposant la Libye et le Royaume-Uni, elle ne pourrait prendre

part à la procédure dans cette affaire. Compte tenu des circonstances

Ordonnancedu 14avril 1992,C.2.J.Recueil1992,p. 3 et 114.

27 JOINT DECLARATION OF JUDGES BEDJAOUI, GUILLAUME
AND RANJEVA

[Translation]

Article 31,paragraph5, of the Statut- UnitedKingdomand UnitedStates
parties in thesame interest- UnitedKingdom not being entitled to choosea
judge ad hoc.

1. The question arose in this case as to whether or not the United
Kingdom was entitled to choose a judge ad hoc in the present phase of
proceedings relating to thejurisdiction of the Court and the admissibility
of the Libyan Application. The Court answered this question in the

affirmative. It nevertheless did not seefit to state reasons for its decision,
merely recalling it in paragraph 9 of the Judgment. This unexplained
decision appears to us to be inexplicableand we therefore feelit Ourduty
to explain at this point just why we were unable to endorse it.

2. At present the Members of the Court include President Stephen M.
Schwebel, who is of United States nationality, and Judge Rosalyn Hig-
gins, who is of British nationality. Under Article 31, paragraph 5, of the
Statute of the Court, each had the right to sit in both cases, Libya v.
United States, and Libya v. United Kingdom.

However, Article 32 of the Rules of Court states: "If the President of

the Court is a national of one of the parties in a case he shallnot exercise
thefunctions ofthe presidencyin respectof that case." President Schwebel
was thus required to surrender the presidency of the Court to the Vice-
President in the case of Libya v. United States. In the circumstances, he
also decided to relinquishthe presidency in the Libya v. United Kingdom
case. The decision mirrored that taken in comparable circumstances
by Sir Robert Jennings, the then President, when the Court considered
Libya's request for the indication of provisional measures in 1992'.

Judge Rosalyn Higgins moreover informed the Court that, having

acted as counsel for the United Kingdom during the early phases of the
case of Libya v.United Kingdom, she could not take part in the proceed-
ings. In view of the circumstances in which the Memorials of the Parties

lOrderof 14April 1992,Z.C.J. Reports 1992, pp. 3 and 114.dans lesquellesles mémoires desParties avaient été préparésM , meHig-

gins estima en outre devoir sedéporter dansl'affaireopposant la Libye et
les Etats-Unis.
Cette décision, commecelledu présidentSchwebel,traduisait des scru-
pules auxquels il convient de rendre hommage. Elle n'en allait pas moins
soulever des problèmes deprocéduredélicats.
3. Le 5 mars 1997,le Royaume-Uni fit en effet connaître à la Cour
qu'il avait été informde la décisionde MmeHiggins et «que, conformé-
ment à l'article 31 du Statut de la Cour età l'article 37 de son Règle-
ment)),il avait désignésir Robert Jennings, K.C.M.G., Q.C., ancien prési-
dent de la Cour, pour siéger enqualité dejuge ad hoc aux fins dela pro-
chaineprocédure oraledans l'affaireopposant la Libyeet leRoyaume-Uni.
4. Ladésignationainsifaiteparaissait à premièrevueconforme aupara-
graphe 3 de l'article 31 du Statut de la Cour selon lequels]ila Cour ne
compte sur le siègeaucun juge de la nationalitédes parties, chacune de

ces parties peut procéderà la désignation))d'unjuge ad hoc.
Elle n'en soulevait pas moins une difficultéau regard du paragraphe 5
du mêmearticle. Celui-ci précise en effetque:
((Lorsque plusieurs parties font cause commune, elles ne comp-
tent, pour l'application des dispositions qui précèdent, quepour une
seule. En cas de doute, la Cour décide.))

5. Les articles 36et 37du Règlement dela Cour déterminentles condi-
tionsd'application de l'article31du Statut. Le paragraphe 1de l'article37
dispose que:

«Si un membrede la Cour ayant la nationalité de l'unedes parties
n'est pas ou n'est plus en mesure de siégerdans une phase d'une
affaire, cette partie est autoriséeésigner unjuge ad hoc dans un
délaifixépar la Cour ou, si elle ne siègepas, par le président.

Puis le paragraphe 2 ajoute que
«Les parties faisant cause commune ne sont pas considérées

comme comptant sur le siègeun juge de la nationalité del'une d'elles
si le membre de la Cour ayant la nationalité del'uned'ellesn'estpas
ou n'est plus en mesure de siégerdans une phase d'une affaire.))
6. La question se posait donc en l'espècede savoir si le Royaume-Uni
et lesEtats-Unis devaientêtreregardés comme((faisant cause commune))
au moins dans la présentephase dela procédure, face à la Libye. Dans la
négative,le Royaume-Uni était en droit de désignerun juge ad hoc dans

l'affairel'opposantà la Libye (mais non dans celleconcernant les Etats-
Unis). Dans l'affirmative,le Royaume-Uni ne pouvait désignerdejuge ad
hoc, la Cour comptant déjà surle siègedans les deux affaires un juge ad
hoc choisi par la Libye et un juge ayant la nationalité des Etats-Unis,
pays faisant cause commune avec le Royaume-Uni.had been prepared, Judge Higgins also felt that she must ask to be
excused in the case of Libya v. United States.

Her decision, like that of President Schwebel, reflected laudable
scruples. Nonetheless it was to raise awkward issues of procedure.

3. On 5 March 1997,the United Kingdom notified the Court that it
had been infonned of Judge Higgins's decision and that, pursuant to
Article 31of the Statute of the Court and Article 37of the Rules of Court,
it had chosen Sir Robert Jennings, K.C.M.G., Q.C., former President of
the Court, to sit as judge ad hoc in the forthcoming oral proceedings in
the case of Libya v.United Kingdom.
4. The choice seemed on the face of it to be in conformity with Ar-
ticle31, paragraph 3, of the Statute of the Court, under which: "If the
Court includes upon the Bench no judge of the nationality of the parties,
each of these parties may proceed to choose" a judge ad hoc.

Nonetheless it raised a difficulty with regard to paragraph 5 of the
same Article, which states:
"Should there be several parties in the same interest, they shall,
for the purpose of the preceding provisions, be reckoned as one
party only. Any doubt upon this point shall be settled by the deci-
sion of the Court."

5. Articles 36 and 37 of the Rules of Court determinethe applicability
of Article 31 of the Statute. Article 37, paragraph 1, provides that:

"If a Member of the Court having the nationality of one of the
partiesis or becomesunable to sit in any phase of a case, that party
shall thereupon become entitled to choose a judge ad hoc within a
time-limitto be fixedby the Court, or by the President if the Court is
not sitting."
Paragraph 2 then adds that:

"Parties in the same interest shall be deemed not to have a judge
of one of their nationalities upon the Bench if the Member of the
Court having one of their nationalities is or becomes unable to sit in
any phase of the case."

6. The question therefore arose whether the United Kingdom and the
United States wereto be regarded as "parties in the sameinterest" against
Libya, at least in the current phase of proceedings. If they were not, the
United Kingdom was entitled to choose a judge ad hoc in the case
between itselfand Libya (but not in the case involvingthe United States).
If they were, the United Kingdom could not choose a judge ad hoc since
the Court already had on the Bench,in both cases, a judge ad hoc chosen
by Libya and a judge having the nationality of the United States,a coun-
try which was a party in the same interest with the United Kingdom. 7. La Cour semble avoir hésitélonguement sur la solution à retenir.
Dans une premièrephase,le Greffe a, selon l'usage, communiqué la lettre
du Royaume-Uni à l'agent de la Libye qui fut invitéà présentertoutes
observations utiles avant le 7 avril 1997.La Cour ne reçut aucun com-
mentaire de la Libye dans le délai prescrit.
La Cour donna alors instruction au Greffe d'informer les trois Etats
concernésqu'elleétaiten outre disposée à recevoir d'eux,pour le 30juin
au plus tard, toutes observations qu'ilspourraient souhaiter formuler au
regard du paragraphe 5 de l'article 31 du Statut. Le Royaume-Uni
déposaunmémoireexposant lesraisonspour lesquelles, à son avis, il n'y

avait pas en l'espècecause commune. Les Etats-Unis se prononcèrent
dans le mêmesens. Dans une lettre fort brève,la Libye prit parti en sens
inverse. Le 16septembre 1997,la Cour fit part de sa décisionaux Parties.
Ainsi plus de sixmois s'étaientécoulés entre la désignation opérépear le
Royaume-Uni et la décision dela Cour.

8. Cette décisionparaîtà premièrevue contraire à la jurisprudence de
la Cour permanente de Justice internationale comme à celle de la Cour
internationale de Justice concernant la cause commune qu'il convient
d'analyser avant d'en venir aux faits de l'espèce.
9. Cette jurisprudence s'estdégagée dèlses origines de la Cour perma-
nente.
Dans l'affaire relative la Juridiction territoriale de la Commission
internationalede l'Oder, les Gouvernementsallemand,britannique, fran-
çais, suédois et tchécoslovaquequi faisaient cause commune avec le
Danemark contre la Pologne ne comptaient pas sur le siègede juge de
leur nationalité. Ilsne furent cependantpas amenés à en désignerun, un
juge danois étantappelé à siéger faceau juge polonais2.

Dans l'affaire consultative du Régimedouanier entre l'Allemagne et
l'Autriche,la Cour, après avoir entendu les Parties préalablementà tout
débatau fond, constata que les Gouvernements allemand et autrichien,
d'une part, lesGouvernementsfrançais, italien et tchécoslovaque,d'autre
part, faisaient cause commune. La Cour releva par ailleurs qu'ellecomp-
tait sur le siègedes juges de nationalité allemande, française et italienne.
Elleen déduisit ((qu'iln'ya pas lieu, dans la présente affaàrla désigna-
tion dejuges ad hoc, soit par l'Autriche, soit par la Tchécoslovaquie».

C'est àcette occasion que la Cour permanente a, pour la première fois,
dégagéle critère permettant de déterminersi des Etats font cause com-

mune. L'hésitation étaitpermise sur ce point dans la mesure où le texte
anglais du Statut visait lesparties in the same interest)), tandis que la
version française concernait les parties qui «font cause commune)).A

Arrêtno 16du 10septembre 1929,C.P.J.I. se no23, p. 5. 7. The Court appears to have long hesitated over the solution. First,

the Registry followed its usual practice by transmitting the UnitedKing-
dom's letter to the Agent of Libya, who was invited to submit any rele-
vant observations by 7April 1997.The Court receivedno commentfrom
Libya within that time-limit.
The Court then instructed the Registry to inform the three States con-
cerned that it was also ready to receive from them, by 30 June at the
latest, any observations they might wish to make in respect of Article 31,
paragraph 5, of the Statute. The United Kingdom filed a Mernoria!
setting forth the reasons why, in its opinion, there were no parties in
the same interest in the case. The United States took the same view. In
an extremelyshort letter, Libya took the opposite view.On 16September
1997the Court informed the Parties of its decision. Over sixmonths thus
elapsed between the choice made by the United Kingdom and the deci-
sion of the Court.

8. This decision seems on the face of it to conflict with the jurispru-
dence on parties in the same interest of both the Permanent Court of
International Justice and the International Court of Justice; which pre-
cedents must be looked into before we consider the facts in this case.
9. This jurisprudence emerged in the initial years of the Permanent
Court.
In the case concerning Territorial Jurisdiction of the International
Commission of the River Oder, the British, Czechoslovak,French, Ger-
man and Swedish Governments which were in the same interest with
Denmark against Poland did not have a judge of their nationality on the
Bench. They were nevertheless not called upon to choose one, a Danish
Judge sitting opposite the Polish Judge2.

In the advisory proceedings on the Customs Régimebetween Germany
and Austria, having heard the Parties in advance of any discussion of the
merits, the Court held that the German and Austrian Governments on
the one hand, and the Czechoslovak,French and Italian Governments on
the other, were respectivelyparties in theame interest. Furthermore, the
Court noted that it included upon the Benchjudges of French, German
and Italian nationality. It deduced "that there is no ground in the present
case for the appointment of judges ad hoc either by Austria or by
Czechoslovakia".
That was when the Permanent Court first identified the criterion for
determining whether States were in the same interest. Hesitation was
legitimate since the English text of the Statute referred to "parties in the
same interest", whereas the French version spoke of parties which 'tfont
cause commune". Clearly, the English was broader in scope and would

Judgment No. 16of 10 September 1929,P.C.Z.J., Series A, No. 23, p. 5.l'évidence,le texte anglais étaitplus large et aurait permis d'exclure la
désignationde juges ad hoc dans de plus nombreux cas. La Cour perma-
nente s'entint cependant au texte français et estima que la disposition en
cause ne pouvait s'appliquer que si les Etats concernésétaient dans une
situation du «litis consortium» 3. En effet, dans son ordonnance du
20 juillet 1931, elle releva que ((tous les gouvernements qui, devant la

Cour, arrivent à la mêmeconclusion, doivent êtreconsidéréscommefai-
sant cause commune aux fins de la présenteprocédure)) 4.Puis ellecons-
tata que «les thèsessoutenues par les Gouvernements allemand et autri-
chien aboutissent à une mêmeconclusion» alors que les thèses destrois
autres gouvernements ((aboutissent à la conclusion opposée)) 5. Elle en
déduisitque de part et d'autre les gouvernements en question faisaient
cause commune.
10. La Cour internationale de Justice, pour sa part, eut à connaître de

ce problèmepour la première foisdans les affaires du Sud-Ouest africain
sur les requêtes présentées respectivemenptar lYEthiopieet le Libéria
contre l'Afrique du Sud. Aucun de ces Etats ne comptait sur le siègede
juge de sa nationalitéet chacun d'euxavait, avant le dépôtdes mémoires,
manifestéson intention de désignerun juge ad hoc. L'Afrique du Sud
avait fait de même.
La Cour attendit le dépôtdes mémoires, puisse prononça par ordon-
nance du 20 mai 1961. Dans les motifs de cette ordonnance, la Cour
reprit en premier lieu à son compte la jurisprudence de la Cour perma-

nente en précisantque ((touslesgouvernements qui, devant la Cour, arri-
vent à la mêmeconclusion, doivent êtreconsidérés comme faisant cause
commune)). Ce faisant, elle posait un principe général sans limiter à
l'espècela solution retenue.
Puis la Cour constata que les conclusions contenues dans les requêtes
et les mémoiresétaient mutatis mutandis identiques et que «les textes
mêmes))de ces requêtes etmémoires«sont, sauf sur quelques points
mineurs, identiques)). Elle en déduisitque le Libéria et 1'Ethiopiefont

((cause commune)) devant la Cour «et ne comptent, par conséquent,
en ce qui concerne la désignationd'un juge ad hoc, que pour une seule
partie))6.
Au vu de cesdivers considérants,la Courjoignit les deux instances, dit
que les deux Gouvernements de 1'Ethiopieet du Libériafont cause com-
mune et leur fixaun délai d'unpeu moins de sixmois pour désigner,d'un
commun accord, un juge ad hoc. L'Afrique du Sud avait de son côté
désignéun tel juge et l'équilibreétaitainsi assuréentre demandeurs et
défendeur.

Voir Statut et Règlement de la Courpermanente de Justice international-e Eléments
d'internrétation.1,.4.o. 190.Voir aussi Hudson. La Cour nermanentede Justice inter-
natOrdonnance du 20 iuillet 1931,C.P.J.I. AIBino41. o. 89.
Ibid.p. 90.
Sud-Ouest africain, ordonnance du20 mai 1961, C.1.J. Recueil 1961, p. 14.

30have excluded the choice ofjudges ad hoc in more cases. The Permanent
Court, however, abided by the French text and held that the provision
concerned was applicable only if the Statesconcerned were in a situation
of "litis consorti~m"~.In its Order of 20 July 1931, it noted that "al1

Governments which, in the proceedings before the Court, come to the
same conclusion,must be held to be in the same interest for the purposes
of the present casen4.It then held that "the arguments advanced by the
German and Austrian Governments lead to the sameconclusion" whereas
the arguments of the other three Governments "lead to the opposite con-
clusi~n"~.It concluded that on either side the Governments in question
were in the same interest.

10. The International Court of Justice, for its part, encountered this
problem for the first time in the South West Africa cases in regard to
Applications filed respectively by Ethiopia and Liberia against South
Africa. Neither State had a judge of its own nationality on the Bench
and, in advance of the filing of the Memorials, they both stated their
intention of choosing a judge ad hoc. South Africa did likewise.

The Court waited until the Memorials had been filed before giving its

decision, by an Order of 20 May 1961.In the grounds for that Order, the
Court first and foremost echoed the decisions of the Permanent Court,
stating that "al1 Governments which, in proceedings before the Court,
come to the same conclusion,must be held to be in the same interest". In
so doing, it laid down a general principlewithout restrictingthe solution
chosen to that particular case.
The Court then found that the submissions contained in the applica-
tions and the Memorials were mutatis mutandis identical and that "the
text [of the applications and Memorials] themselves are, excepting in a

few minor respects, identical". It therefore deduced that Liberia and
Ethiopia were "in the same interest" before the Court and were "there-
fore, so far as the choice of a judge ad hoc is concerned, to be reckoned
as one party onlym6.
For those various reasons, the Court joined the two proceedings,
found that the Governments of Ethiopia and Liberia were in the same
interest and fixed a time-limit of slightly less than six months for them,
acting in concert, to choose a single judge ad hoc. South Africa for its

part, had chosen such a judge, thus preserving the balance between the
applicants and the respondent.

See Statut et Règlement dela Courpermanente de Justice internationale- Elements
d'interprétation,1934, p. 190. See also Hudson, The Permanent Court of International
Justice,. 334, note 73.
Order of 20 Julv 1931.P.C.I.J.. Series A.41.A.89.
South West Africa, Orderof 20 May 1961, I.C.J. Reports 1961,p. 14. 36 CONVENTION DE MONTRÉAL DE 1971(DÉCLC . OMMUNE)

11. La question se posa en termes un peu différentsdans l'affaire du
Plateau continental dela mer du Nord. Dans cette affaire, la République
fédérale d'Allemagne avait signédeux compromis distincts, l'un avec le

Danemark, l'autre avec les Pays-Bas. Les trois gouvernementsavaient en
outre conclu entre eux le même jour un protocole par lequel ils conve-
naient de demander à la Cour dejoindre les deux instanceset ajoutaient:
«Les trois gouvernementsconviennent qu'aux fins de la désigna-

tion d'un juge ad hoc, les Gouvernements du Royaume du Dane-
mark et du Royaume des Pays-Bas seront considérés comme faisant
cause commune au sens de l'article31,paragraphe 5, du Statut de la
Cour. » '

Dans le délaifixépour le dépôtdes contre-mémoires,le Danemark et
les Pays-Bas firent connaîtreà la Cour, par lettres séparées, ue chacun
d'eux avait choisi M. Sgrensen comme juge ad hoc. La Cour, après le
dépôtdes contre-mémoires,mais avant que les parties aient sollicitéla
jonction d'instance conformémentau protocole, se prononça par ordon-
nance du 28 avril 1968.Ellerappela dans cette ordonnance lesconditions
dans lesquelles le Danemark et les Pays-Bas avaient désigné un juge ad
hoc, ainsi que les dispositions agréespar les Partàecet égard. Maiselle
exprima en outre son souci de vérifier elle-mêmdeans les écrituressi les
deux gouvernementsfaisaient effectivement cause commune, et constata

«que les contre-mémoiresdéposés par les Gouvernements du Dane-
mark et des Pays-Bas confirment que les deux gouvernements consi-
dèrentqu'ilsfont cause commune puisqu'ilsont énoncé leursconclu-
sions en des termes presque identiques)).

Puis la Cour en conclut que les deux gouvernements «ne comptent,
en ce qui concerne la désignation d'un juge ad hoc, que pour une seule
Partie))
Cejugement confirmeainsi le critèreretenu antérieurementpour déter-
miner si deux Etats font cause commune: seules leurs conclusions sont
déterminantes àcet égard. Maisil marque en outre qu'il appartient à la

Cour et non aux parties de prendre la décision requise.Les deux gouver-
nements avaient en l'espècedésigné la mêmepersonnepour siégercomme
juge ad hoc. La Cour aurait pu se contenter de constater qu'il en était
ainsi. Elle ne l'a pas fait et a entendu déterminers'ily avait ou non cause
commune. Mais, là encore, ellene s'estpas contentéedel'affirmation des
parties. Elle a vérifiéce qu'il en était au vu des conclusions des deux
Etats.
12. La jurisprudence ainsi réaffirméet développéea trouvéune nou

Plateau continentalde la mer du Nord, ordonnancedu 26 avril 1968, C.Z.J. Recueil
1968, p. 10.
Zbid. 11. The issue arose a little differently in the North Sea Continental
Sheij"case. The Federal Republic of Germany signed two separate Spe-
cial Agreements, one with Denmark and the other with the Netherlands.
Furthermore, on the samedate the threeGovernments concluded between
themselves a protocol in which they agreed to request the Court to join
the two proceedings, adding:

"The three Governments agree that for the purpose of appointing
a judge ad hoc the Governments of the Kingdom of Denmark and
the Kingdom of the Netherlands shall be considered to be parties in
the same interest within the meaning of Article 31, paragraph 5, of
the Statute of the C~urt."~

Within the time-limit fixed for the filing of the Counter-Memorials,
Denmark and the Netherlands notified the Court, in separate letters, that
they had each chosen Mr. S~rensenas a judge ad hoc. After the filing of
the Counter-Memorials, but before the Parties had requested thejoinder
of the proceedings in accordance with the Protocol, the Court delivered
itsdecision by an Order of 28 April 1968.In that Order it recalled the

circumstances in which Denmark and the Netherlands had chosen a
judge ad hoc, together with the arrangements approved by the Parties. It
also, however, expressedthe wish to ascertain for itselfon the basis of the
written pleadings whether the two Governments were indeed in the same
interest, and found that

"the Counter-Memorials submitted by the Governments of Den-
mark and the Netherlands confirm that the two Governments con-
sider themselvesto be parties in the same interest since they have set
out their submissions in almost identical terms".

The Court then concluded that the two Governments "are, so far as the
choice of a Judge ad hoc is concerned, to be reckoned as one Party
only"
The Judgment thus confirms the criterion previously established for
determining whether two Statesare parties in the sameinterest: their sub-
missions alone are determinative in this respect. The Judgment also
establishes, however, that it is for the Court- not the parties - to take
the necessary decision. In that case the two Governments had chosen the
same person to sit as a judge ad hoc. The Court might merely have

decided to record the fact. It chose instead to determine whether or not
they were parties in the same interest. But, here again, it did not just go
by what the parties asserted; it verified the position in the light of the
submissions of both States.
12. The jurisprudence of the Court, thus reaffirmed and elaborated,

North Sea Continental Shelf; Order of 26 April1968, I.C.J. Reports 1968, p. 10.

Ibid. 37 CONVENTION DE MONTRÉAL DE 1971(DÉCLC . OMMUNE)

velle occasiond'application dans lesaffaires de la Compétenceen matière

de pêcheries.Dans ces affaires, deux requêtes avaientsuccessivementété
déposées contre l'Islande, le 14avril 1972par le Royaume-Uni et le5juin
1972par la Républiquefédérald e'Allemagne.Par des ordonnances paral-
lèlesrendues dans chaque cas la Cour avait, le 17août 1972,indiquécer-
taines mesures conservatoireset fixéle lendemain lesdélaisde production
des mémoiressur la compétence.
Un juge britannique siégeait enl'affaire, mais ni l'Islande, ni l'Alle-
magne ne disposaient d'unjuge de leur nationalité.Dèsle 21juillet 1972,
l'Allemagne fitconnaître son intention de nommer un juge ad hoc et, le
31 octobre, désigna à cet effet M. Mosler. Le Gouvernement islandais

n'ayant pas réagi à cette désignation, le Greffier en informa l'agent de
l'Allemagneet transmit le dossier à M. Mosler.
A la veille des audiences qui devaient porter sur la compétencede la
Cour dans lesdeux affaires,la Cour eut cependant des doutes sur sa com-
position et le greffier, le 4 janvier 1973, adressa aux agents une lettre
selon laquelle la Cour:

«après en avoir délibéré, ..n'a pas pu parvenir àla conclusionque
la désignation d'unjuge ad hoc par la Républiquefédérale d'Alle-
magne sejustifierait en la présentephase de la procédure. Cettedéci-
sion ne concerneque la phase actuelle, relativeà la compétence dela
Cour, et ne préjugeen aucune manière la question de savoir si, dans

l'hypothèse où la Cour se déclarerait compétente, unjuge ad hoc
pourrait êtrechoisi pour siégerdans la suite de la procédure.»

Cette décisionfut confirméedans les mêmestermes par le président à
l'ouverture des audiences 'O.
Elle fut précisédans l'arrêt du2 février1973sur la compétencede la
Cour dans l'affaire dela Compétenceenmatièredepêcheries(République
fédéraled'Allemagne c. Islande) où :

«La Cour, tenant compte de l'instance introduite par le Royaume-
Uni contre l'Islande ..ainsi que de la composition de la Cour en la
présente affaire où siègeun juge ayant la nationalité du Royaume-
Uni, a néanmoinsdécidép ,ar huit voix contre cinq, qu'en la présente
phase relative à la compétencede la Cour les deux Parties faisaient
cause commune au sens de l'article 31, paragraphe 5, du Statut, ce
quijustifiait le rejet de la demande de la République fédérale'Alle-

magne concernant la désignationd'un juge ad hoc. » "

L'Islande, de son côté, n'avait cependantpas désigné de juge ad hoc.
Lorsqu'on en arriva à l'examendu fond, l'Allemagne,tout en maintenant

Greffe.]. Mémoires,Compétenceen matière depêcher,ol. II, p. 421. [Traduction du
'OIbid., p. 120.
l1Arrêtdu 2 février1973,C.I.J. Recueil 1973, p. 51, par. 7.had further occasion to be applied in the Fisheries Jurisdiction cases.
Two Applications were successivelyfiled against Iceland, by the United
Kingdom on 14April 1972and by the Federal Republic of Germany on
5 June 1972.By parallel Orders of 17August 1972the Court indicated
certain provisional measures and fixed the followingday as the time-limit
for the production of Memorials on jurisdiction.

A British judge was sitting in the case, but neither Iceland nor Ger-
many had a judge of its nationality. As early as 21 July 1972Germany
notified the Court of its intention to choose a judge ad hoc and, on
31 October, chose Mr. Mosler. Since the Icelandic Government did not
react, the Registrar so informed the Agent of Germany and transmitted
the case file to Judge Mosler.
However, shortly before the hearings on the Court's jurisdiction in the

two caseswere to open, the Court had doubts about its composition, and
on 4 January 1973the Registrar addressed to the Agents a letter in which
the Court,

"after deliberating on the question, isunable to find that the appoint-
ment of a judge ad hoc by the Federal Republic of Germany in this
phase of the case would be admissible. This decision affects only the
present phase of the proceedings, that is to say that concerningthe
jurisdiction of the Court, and does not in any way prejudice the
question whether, if the Court finds that it has jurisdiction, a judge
ad hoc might be chosen to sit in the subsequent stages of the case."9

The decision was confirmed by the President in the same terms at the
opening of the hearings 'O.

It was amplified in the Judgment of 2 February 1973on the jurisdic-
tion of the Court in the FisheriesJurisdiction (Federal Republic of Ger-
many v. Iceland) case, with the statement that:

"However, the Court, taking into account the proceedings insti-
tuted against Iceland by the United Kingdom. ..and the composi-
tion of the Court in this case, which includes a judge of United
Kingdom nationality, decided by eight votes to fivethat there was in
the present phase, concerning the jurisdiction of the Court, a com-
mon interest in the sense of Article 31, paragraph 5, of the Statute
which justified the refusa1of the request of the Federal Republic of

Germany for the appointment of a judge ad hoc." l1
Iceland, for its part, had nevertheless not appointed a judge ad hoc.

When the merits phase began, Germany notified the Court that, while

Z.C.J. Pleadings, Fisheries Jurisdiction,Vol. II, p. 421.
'OZbid.,p. 120.
" Judgment of 2 February 1973,I.C.J. Reports 1973, p. 51, para. 7sondroit à procéder à une telledésignation,fitconnaître qu'ellen'insisterait
pas pour désignersonproprejuge «tant quecettesituationprévaudrait » l2.
La solution retenue dans la phase sur la compétence confirme cepen-
dant la jurisprudence antérieure selon laquelle deux Etats font cause
commune dèslors qu'ilsprésententlesmêmesconclusions, quelleque soit
l'argumentation exposée à l'appui de ces conclusions. En l'espèce le
Royaume-Uni et la République fédérale d'Allemagne soutenaient que la
Cour était compétentepour connaître de leur action. Mais, en ce qui
concerne la compétence ratione personnae, ils le faisaient sur des bases
distinctes.A cet égard,la République fédérale d'Allemagneétaiten effet

dans une situation différentede celle du Royaume-Uni. Elle n'était pas
membre des Nations Unies et n'était pas partieau Statut. Dèslors, elle
n'invoquait pas une déclaration de juridiction obligatoire déposéeen
application de l'article 36, paragraphe 2, du Statut (comme le faisait le
Royaume-Uni), mais sur une déclaration du 29 octobre 1971,par laquelle
elle avait déclaré accepter lajuridiction de la Cour conformément à l'ar-
ticle 35, paragraphe 2, du Statut eà la résolution9 (1946)du Conseil de
sécuritédu 15octobre 1946.Or l'Islande avait contestéque cette déclara-
tion aitDU couvrir l'instance ratione temvoris13.

La Cour a cependant estiméque peu importait cette différence de
situation entre le Royaume-Uni et l'Allemagne.L'essentieldemeurait que
les deux Etats concluaient à la compétencede la Cour. Cette identitéde
conclusionsimpliquait cause commune.
Si, sur ce dernier point, l'arrêt rendune fait que confirmer de manière
éclatantela jurisprudence antérieure, on doit cependant noter que cette
jurisprudence trouve ainsi à s'appliquer dans une nouvelle configura-
tion procédurale. Eneffet, dans l'affaire duRégimedouanierentre I'Alle-
magne et l'Autriche, soumise à la Cour permanente, les Etats interve-
nants faisaient valoir leur point de vue dans une procédure unique

d'avis consultatif. Dans les affaires duSud-Ouest africain et du Plateau
continental de la mer du Nord, les demandeurs avaient introduit des
requêtes distinctes. Mais, dans ces deux derniers cas, la Cour interna-
tionale de Justice avait joint ces requêtes et prononcé unseul et unique
arrêt.
En revanche, dans les affaires de la Compétenceen matière de pêche-
ries, la Cour n'a pas prononcéune telle jonction et a rendu deux séries
d'arrêts distincts,tant sur la compétence quesur le fond. Mais cela ne l'a
pas empêchéd ee regarder le Royaume-Uni et l'Allemagne commefaisant

«cause commune» dans la premièrephase de la procédure.Ainsi, faire
«cause commune» consiste bien pour deux Etats à présenterles mêmes
conclusions à la Cour, que celles-cile soient dans une requête unique ou
dans deux requêtes distinctes etque ces dernières soientjointes ou non.
Peu importe ce détail procédural.

l2C.1J. Mémoires, Compétencen matièredepêcherie,ol. II, p. 457.
l3Zbid.,p. 94; voir aussi l'a2février1973, C.Z.J. Recueil 1973, p. 54 et 55.maintainingits right to make such an appointment, it would not insist on
appointing its own judge "as long as this situation persists" 12.
The solution chosen in the jurisdiction phase nevertheless confirmed
previous jurisprudence under which two States were in the same interest
when they presented the same submissions, whatever the supporting line
of argument. In that particular case the United Kingdom and the Federal
Republic of Germany contended that the Court had jurisdiction to hear

their case. However, they did so on differentgrounds with regard to juris-
diction rationepersonae. The Federal Republic of Germany wasin fact in
a different situation from that of the United Kingdom. It was not a
Member of the United Nations and was not party to the Statute. There-
fore it did not invoke a declaration of compulsoryjurisdiction deposited
under Article 36, paragraph 2, of the Statute (as did the United King-
dom), but instead relied upon a declaration of 29 October 1971 that it
accepted the jurisdiction of the Court under Article 35, paragraph 2, of
the Statute and under Security Council resolution 9 (1946) of 15October
1946.Yet Iceland had denied that the declaration could cover proceed-

ings ratione temporis 13.

Nonetheless the Court held that the differencein situation between the
United Kingdom and Germany was of little importance. What mattered
was that both States held the Court to have jurisdiction. That identity of
submission implied that the Parties were in the same interest.
Although on the latter point the Judgment merely provides manifest
confirmation of previous decisions, it must be noted that such jurispru-
dence thus had occasion to be applied in a new procedural configuration.
In the case concerning the Customs Régimebetween Germany and Aus-

tria, referred to the Permanent Court, the interveningStates put fonvard
their points of view in singleproceedings for an advisory opinion. In the
South West Africa and North Sea Continental Shelfcases the Applicants
had brought two separate Applications but in both cases the Interna-
tional Court of Justice joined the Applications and delivered a single
Judgment.

By contrast, in the FisheriesJurisdiction cases, the Court did not pro-
nounce a similarjoinder and delivered two separate series of Judgrnents,
on jurisdiction and on the merits. However, this did not prevent it from

considering that the United Kingdom and Germany were "in the same
interest" in the first phase of proceedings. Thus for two States to be "in
the same interest" they indeed have to present the same submissions to
the Court, whether in a singleapplication or in two separate applications,
and whether or not the latter are joined. This procedural detail is of little
importance.

l3Ibid., p. 94; seealso Judgment of2 February 1973,I.C.J. Reports1973, pp. 54and 55.

3339 CONVENTION DE MONTRÉAL DE 1971(DÉCLC . OMMUNE)

13. Au total, lajurisprudence de la Cour permanenteet celledela Cour
internationale de Justice seprésentent de manièreparfaitementcohérente :

a) les gouvernements qui, devant la Cour, arrivent aux mêmesconclu-
sions doivent êtreconsidéréscomme faisant cause commune. Peu
importe dans cette perspectivel'argumentation des parties, seules les
conclusionssont déterminantes(jurisprudenceconstante) ;

b) lorsque des exceptions d'incompétenceet d'irrecevabilitésont soule-
véesin limine litis, il convient, dans la premièrephase de la procé-
dure, d'apprécier l'attitudedes parties au regard de ces exceptions.
C'est ainsi que, si elles concluent la compétencede la Cour, elles
doivent êtreregardées commefaisant cause commune (affaires de la
Compétenceen matière depêcheries);
c) il appartientà la Cour d'en décider indépendammentde l'attitude des
parties (affaire du Plateau continental de la mer du Nord);
d) cette solution s'applique, qu'il ait jonction des requêtes(affaire du
Sud-Ouest africain et du Plateau continental de la mer du Nord) ou
que celles-cidemeurent distinctesaffairesdela Compétenceenmatière
de pêcheries).

14. En l'espèce leRoyaume-Uni et les Etats-Unis développentdans la
présentephase de la procédureune mêmeargumentation sur deux plans.
Ils soutiennent tout d'abord, en termes presque identiques, que le diffé-
rend porté devant la Cour ne concerne pas l'application ou l'interpréta-
tion de la convention de Montréal du 23 septembre 1971pour la répres-
sion d'actes illicites dirigéscontre la sécuritéde l'aviation civile et que,
par suite, l'article 14 de cette convention ne donne pas compétenceà la

Cour pour connaître de l'affaire. Ils exposent en second lieu que le
Conseil de sécuritéa approuvédiverses résolutions imposant à la Libye
l'obligation de livrer lessuspects, que cesrésolutionsadoptéesen applica-
tion du chapitreVI1de la Charte s'imposent àla Libye conformément à
l'article25 et l'emportent sur toute obligation conventionnelle (et notam-
ment sur la convention de Montréal) conformément à l'article 103.Ils en
déduisent queles demandes libyennes sont irrecevables ou sont devenues
sans objet.
Le Royaume-Uni, aux termes de ses exceptions préliminaires, priepar
suite

«la Cour de dire et juger:
qu'ellen'a pas compétencepour se prononcer sur les demandes pré-

sentéespar la Jamahiriya arabe libyenne l'encontre du Royaume-Uni

que les demandes présentéespar la Jamahiriya arabe libyenne à
l'encontre du Royaume-Uni ne sont pas recevables)). 13. Al1in all, thejurisprudence of the Permanent Court and that of the
International Court of Justice look perfectly coherent:

(a) Governmentswhich, before the Court, present thesame submissions
must be regarded as being in the same interest. The arguments
advanced by the parties are not very important in this respect, the
submissions alone being determinative (settledjurisprudence);
(b) when objections to jurisdiction andadmissibility are submitted in
limine litis, in the initial phase of proceedings the attitude of the
parties to these objections must be evaluated. Thus if the parties
submit that the Court has jurisdiction, they must be regarded as
being in the same interest (FisheriesJurisdictioncases);

(c) It is for the Court to decide independently of the attitude of the
parties (North Sea Continental Shelf case) ;

(d) Thissolution applieswhether.theapplications arejoined (South West
Africa and North Sea Continental Shelf cases) or remain separate
(Fisheries Jurisdictioncases).

14. In the current phase of this case the United Kingdom and the
United Statespresent the same arguments on two different levels.Firstly,
they contend in almost identical terms that the dispute brought before
the Court does not concern the application or interpretation of the Mon-
treal Convention of 23 September 1971for the Suppression of Unlawful
Acts against the Safety of CivilAviation and consequently that Article 14
of the Convention does not give the Court jurisdiction to hear the case.
Secondly, they state that the Security Council approved various resolu-
tions imposing on Libya an obligation to surrender the suspects, and that
these resolutions adopted under Chapter VI1 of the Charter are binding

on Libya under Article 25 and prevail over any treaty obligation (par-
ticularly theMontreal Convention) under Article 103.They deduce from
this that the Libyan Applications are inadmissible or have become moot.

In its Preliminary Objections, the United Kingdom therefore requests
the Court :
"to adjudge and declare that

it lacksjurisdiction over the claimsbrought againstthe United King-
dom by the Libyan Arab Jamahiriya

the claims brought against the United Kingdom by the Libyan Arab
Jamahiriya are inadmissible". Quant aux Etats-Unis, ils prient «la Cour d'accueillirles exceptionà
la compétencede la Cour qu'ilsont présentées et de déclinerde connaître
de l'affaire)).
Dans ces conditions, il était clair que dans cette phase de la procédure

les Etats-Unis et le Royaume-Uni présentent à la Cour lesmêmesconclu-
sions et font donc cause commune. Cette communauté d'intérêé t claire
d'ailleurs la décisiondu président Schwebel de ne présiderla Cour ni
dans l'une ni dans l'autre affaire et celle deeHiggins de se déporter
dans les deux cas. L'existenced'une cause commune trouve surtout son
expression dans lesjugements rendus par la Cour qui sont très proches
dans leur motivation et quasiment identiques dans leur dispositif. La
demande britannique tendant à la désignation d'unjuge ad hoc aurait
dû êtrerejetéeconformément à la jurisprudence constante rappelée ci-
dessus.
15. Dans ses observations écrites,le Royaume-Uni développe cepen-
dant à l'encontre d'une telle solution quatre arguments qu'il convient
d'examiner successivement.
16.Il se prévauten premier lieu du ((droit de tout Etat partie à une

affairedevant la Cour d'obtenir qu'y siègeun juge ad hoc, lorsque aucun
juge titulaire de la nationalitédit Etat n'està mêmede prendre part à
l'instanceB.Ce droit serait ((fondamental».
Cet argument ne saurait être retenu. Certesle Statut de la Cour recon-
naît aux Etats le droit de désignerunjuge ad hoc, que la Cour soit saisie
par compromis ou par voie de requête unilatérale. Maisce droit procède
d'un principe encore plus fondamental, celui de l'égalité desarties. Or,
dans certaines hypothèses,cette égalitpeut être rompue du faitmêmede
la désignation dejuges ad hoc. Il en est ainsi lorsqu'un des Etats faisant
cause commune avec d'autres a déjà unjuge sur le siège.En pareil cas, le
droit statutaire la désignationd'unjuge ad hoc perd tout fondement et
le principe d'égalitexigequ'un tel juge ne soitpas désigné.Tel eslte sens
du paragraphe 5 de l'article 31 du Statut et telle est la situation en
l'espèce.

17. Le Royaume-Uni soutient en deuxième lieu que l'article 31, qui
userait du singulier, ((s'appliqueséparémentà chaque affaire inscrite au
rôle de la Cour)). «En présence de deuxaffaires distinctes entre deux
sériesde parties (mêmesi l'une des parties est en cause dans les deux
affaires), le paragraphe5 de l'article 31 ne trouve pas à s'appliquer.»En
l'espècela Libye a présentédeux requêtesdistinctes contre les Etats-Unis
et le Royaume-Uni. Le texte invoquéne serait par suite pas applicable,
((saufà joindre les deux instances)).
Or, selon le Royaume-Uni, «la Cour a suivi constamment la pratique
qui consisteà ne pas ordonner la jonction sans l'accord des parties aux
deux affaires)). Du fait notamment de la position des Parties, les condi-
tions de lajonction ne seraient dèslors pas remplies en l'espèce.Les deux
affaires étantdistinctes, il ne saurait y avoir cause commune.
Cet argument est loin d'être convaincant. Il avait étéécarté dansles As to the United States, it requests "that the Court uphold the objec-
tions of the United States to the jurisdiction of the Court and decline to
entertain the case".
In these circumstances,it was clear that in this phase of the proceed-
ings the United States and the United Kingdom present the same sub-
missions to the Court and are therefore in the same interest. Further-

more, such community of interests throws light on President Schwebel's
decisionnot to act as President of the Court in either case and Judge Hig-
gins's decision to stand down in both cases. The existence of the same
interest is expressed chiefly in the Judgrnents delivered by the Court,
which are very similar in their legal reasoning and virtually identical in
their operative provisions. The British request for the appointment of a
judge ad hoc ought to have been rejected in accordance with the settled
jurisprudence recalled above.
15. In its written observations, the United Kingdom nonetheless sets
out four arguments against such a solution, which must be considered in
turn.
16. It relies first on "the right of a State party to a case before the
Court to have included on the Bench a judge ad hoc in circumstances in
which there isno electedjudge of the nationality of that State able to take
part in proceedings". That right is said to be "fundamental".
This argument cannot be upheld. It is true that the Statute of the Court
gives States the right to choose a judge ad hoc, whether the request is

brought before the Court unilaterally or by means of a Special Agree-
ment. However, this right springs from an even more fundamental prin-
ciple, which is that of the equality of parties. Yet in certain situations
such equality may be breached by the very fact of choosing a judge ad
hoc. This is so when one of the States in the same interest with other
States already has a judge on the Bench. In such an event the statutory
right to choose a judge ad hoc loses any foundation and the principle of
equality requires that no such judge be chosen. This is the meaning of
Article 31, paragraph 5, of the Statute and this is the situation in the
present case.
17. The United Kingdom secondly contends that Article 31, which
uses a form of wording inthe singular, "appliesseparately to each caseon
the Court'sList". "In the presence of two separate casesbetween two sets
of parties (even if one party is common to both cases), Article 31, para-
graph 5, has no application." In this instance, Libya filed two separate
Applications against the United States and the United Kingdom. The
text relied upon is consequentlynot applicable, so it is claimed, "short of

joinder of the cases".
Yet, according to the United Kingdom, "it has been the consistent
practice of the Court not to order joinder unless the parties to both cases
agree". On account, in particular, of the positions of the Parties, it is
argued that the conditions for joinder are not fulfilled in this case; the
two cases being separate, the Parties cannot be in the same interest.
This argument is far from convincing. It was rejected in the Fisheriesaffaires de la Compétenceen matièredepêcheries dans lesquellesla Cour
avait estiméque l'Allemagnefaisait causecommune avecle Royaume-Uni,
bien que les deux Etats aient présenté des requêtes distinctes.l ne trouve
en outre aucun fondement dans les textes applicables. Le paragraphe 5
de l'article31du Statut et l'article36du Règlementn'usentni du singulier
ni du pluriel, puisqu'ilsne visent ni «l'affaire» nies affaires)).Seul l'ar-
ticle37du Règlementmentionne le cas où un membrede la Cour n'estpas
en mesure de siégerdans «une phase d'uneaffaire)).Mais cette rédaction
reflètel'article4 du Statut qui envisagele cas où l'un des membres de la
Cour ne peut siégerdans «une affairedéterminée)) E.lle estaisémentexpli-

cabledans la mesureoù la désignationd'unjuge adhocenvue deremplacer
un membrede la Cour qui s'estdéporté n'est concevableque dans l'affaire
dans laquelle 1'Etatdont ce membre a la nationalitéest partie. Aussi bien,
en l'espèce,le Royaume-Uni n'a-t-il jamaisdemandéla désignation d'un
juge ad hoc dans l'instanceopposant la Libye et les Etats-Unis, alors que
MmeHiggins s'étaitégalementdéportée dans cette instance.
Au surplus, la jurisprudence traditionnelle de la Cour trouve avant
tout son fondement dans lesprincipes mêmesqui sous-tendent ces textes.
Admettre en effetque des Etats ne puissent faire cause communeque s'ils

sont impliquésdans une mêmeinstance serait en définitivelaisser la déci-
sion à prendre en ce qui concerne la désignation des jugesad hoc à la
discrétiondu ou des demandeurs et priver ainsi la Cour de la compétence
qu'elletient du Statut et du Règlement.
Dans un tel système laCour serait en effet dans l'incapacitéde déclarer
qu'ilexistecausecommuneentreplusieursdemandeursprésentand t esconclu-
sionsidentiquesdans desrequêtes distinctesE .llene serait pas davantageen
mesured'établirl'existenced'unecausecommuneentre plusieursdéfendeurs
présentantdes conclusions identiquesdans des affairesayant fait l'objet de
requêtes distinctes. Edéfinitivel,e ou lesdemandeurs seraient maîtresde la

procédure et l'onimaginequel profitilspourraient êtretentésd'entirer.
Bienplus, on voit mal pourquoi la solution à retenir en ce qui concerne
l'existenced'une causecommune serait différente selonque la Cour est
saisie de requêtes distinctes (commedans les affaires de la Compétence
en matière de pêcheriesou dans les présentes affaires)ou d'une requête
unique (commedans l'affaire de l'Or monétairepris à Rome en 1943).Un
tel formalisme n'aurait aucune justification et serait étrangerà la tradi-
tion de la Cour qui, ((exerçant une juridiction internationale, n'est pas
tenue d'attacher à des considérations de forme la mêmeimportance

qu'ellespourraient avoir en droit interne)) 14.
18. A l'encontre de ce raisonnement on pourrait cependant faire valoir
qu'en cas de requêtesou de défensesdistinctescontenant des conclusions

l4Arrêtdu 30 août 1924,ConcessionsMavrommatis en Palestine, C.P.J.1sno2,A
p. 34; arrêtdu 2 décembre1963,Cameroun septentrional,C.Z.J. Recueil1963,p. 28; arrêt
Recueil 1992,p. 265.taines teràphosphatesà Nauru (Nauru c. Australie), C.Z.J.Jurisdictioncases,in whichthe Court found that Germanyand the United
Kingdom were in the same interest, even though the two States had sub-
mitted separate Applications. Nor is there any foundation for it in the
applicable instruments. Article 31, paragraph 5, of the Statute and Ar-
ticle 36 of theRules of Court use neither the singular nor the plural form
sincethere is no referenceto "the case" or to "the cases". Only Article 37
of the Rules of Court mentions the eventuality in which a Member of the
Court is unable to sit "in any phase of a case". This wording, however,
reflects Article24 of the Statute, which envisagesthe eventuality that one
of the Members of the Court cannot sit in "a particular case". The word-

ing is easily explained in that the choice of a judge ad hoc to replace a
Member of the Court who has stood down is conceivableonly in the case
in which the State of which that Member is a national is a Party. More-
over in the present casethe United Kingdom never requested the appoint-
ment of a judge ad hoc in the proceedings between Libya and the United
States, whereas Judge Higgins also stood down in these proceedings.
Furthermore, the traditional jurisprudence of the Court is founded on
the very principles that underlie these instruments. Accepting that States
cannot be in the same interest unless they are involved in the same pro-
ceedingswould, in fact, leave the decision concerningthe appointment of
judges ad hocto the discretion of the applicant(s) and would thus deprive
the Court of its jurisdiction conferred by the Statute and the Rules of

Court.
Under such a system the Court would be unable to declare that several
applicantspresentingidenticalsubmissionsin separate applications are in
the same interest. Nor would it be able to establish that several respon-
dents presenting identical submissions in cases which were the subject of
separate applications are parties in the same interest. In short, the appli-
cant(s) would be in control of the proceedings and one can readily ima-
gine what advantage they might be tempted to gain from this.
What is more, it is difficult to see why the solution adopted as to
whether or not parties are in the same interest should be different
depending on whether the Court has before it separate applications (as in

the FisheriesJurisdictioncasesor in the present cases)or a singleapplica-
tion (as in the case concerning Monetary Gold Removedfrom Rome in
1943). Such formalism would be quite unjustified and at variance with
the tradition of the Court, "whose jurisdiction is international" and
which "is not bound to attach to matters of form the same degree of
importance which they might possess in municipal law" 14.
18. It could, however, be argued against this line of reasoning that,
faced with separate applications or defencescontaining identical submis-

l4Judgment of 30 August 1924, Mavrommatis Palestine Concessions, P.C.1.J.
SeriesA, No. 2, p. 34;Judgment of 2 December 1963,Northern Cameroons,I.C.J. Reports
1963, p. 28; Judgment of 26 June 1992, Certain Phosphate Lands in Nauru (Nauru v.
Australia), I.C.J. Reports 1992, p. 265.

3642 CONVENTION DE MONTRÉAL DE 1971(DÉCLC . OMMUNE)

identiques la Cour serait en mesure de rectifier la situation et d'éviter
toute fraude en prononçant la jonction des instances, puis, une fois
celle-ci opérée,en constatant que les parties font en réalité cause com-

mune.
Cette solution se heurte toutefois à une objection fondamentale, à
savoir que lajonction d'instance etla reconnaissance de causecommune
n'obéissenp tas aux mêmescritères. La jonction d'instances a pour but de
permettre à la Cour de se prononcer sur deux requêtes distinctespar un
jugement unique. Elle peut êtredécidéedans des affaires opposant les
mêmesparties et ayant le mêmeobjet (comme dans l'affaire du Statut

juridique du territoire du sud-est du Groënland 15).Elle peut l'êtreaussi
dans des affaires opposant les mêmesparties, mais ayant des objets dif-
férents(comme dans l'affaire de Certains intérêta sllemands en Haute-
Silésiepolonaise l6ou dans le cas des Appels contre certainsjugements du
tribunalarbitralmixte hungaro-tchécoslovaque 17)Enfin lajonction d'ins-
tances distinctes présentéespar des Etats différents est égalementpos-
Il peut y êtreprocédédans le cas ou des Etats font cause commune
sible.
(comme dans les affaires du Sud-Ouest africain).Mais la causecommune
n'implique pas nécessairement lajonction, en particulier si les parties
elles-mêmess'y opposent (comme le prouvent les affaires de la Compé-
tence en matière de pêcheries).
En effet, certains Etats peuvent présenter à la Cour des conclusions
identiques tout en développantdes argumentations différentes.Ils font

bien alors cause commune, mais il serait tout à fait inopportun de pro-
noncer une jonction pour aboutir à un jugement unique qui devrait se
prononcer de manièredistinctesur cesdivers arguments. Si, dans l'affaire
du Plateau continentalde lamer du Nord, lajonction a été prononcép ear
la Cour, c'est que:

«les arguments juridiques du Danemark et des Pays-Bas ont étéen
substance les mêmes,sauf sur certains points de détail, et qu'ils ont
été présenté ssit en commun, soit en étroite coopération» 18.

Si à l'inverse,dans lesaffaires de la Compétenceen matièredespêcheries,
la jonction n'a pas étéprononcée lorsqu'on en est arrivéau fond, c'est
parce que la Cour

«a considéréque, si les questions juridiques essentielles semblaient
identiques dans les deux affaires, il existait des divergencesquantà
la position et aux conclusions des deux demandeurs)) 19.

l5Ordonnances du 2 et 3 août 1932, C.P.J.Z. sérieAIB no48, p. 268.
l6Arrêt no7 du 5 février1926,C.P.J.Z. sérieA no 7, p. 95.
l7Ordonnance du 12mai 1933, C.P.J.Z. sérieC no68, p. 290.
l8Arrêt du20 février1969, C.Z.J.Recueil 1969,p. 19, par. 11.
l9Arrêtsdu 25juillet 1974,C.Z.J. Recueil 1974, p. 6, par. 8, et p. 177,par. 8. En outre, le point de vue des parties ne pèsepas de la mêmemanière

sur la décisionde la Cour lorsqu'il s'agit de déterminers'ily a cause com-
mune ou s'ily a lieu àjonction. Dans le premier cas, en effet, la décision
est prise en fonction de critèrespurement objectifs,et c'esta Cour de se
prononcer en appliquant ces critères.L'accord desparties n'y suffit pas,
comme le prouve l'affaire du Plateau continental de lamer du Nord dans
laquelle la Cour a vérifiéelle-même sic,onformémentau compromis, le
Danemark et les Pays-Bas faisaient bien cause commune.

En revanche, en matière de jonction, la Cour tient le plus grand
compte des vŒuxdes parties, comme le montrent les affaires de l'Inci-
dent aérien du27 juillet 1955 (Israël c. Bulgarie) ou celle des Essais
nucléaires(1973)et, comme la Cour elle-même l'a précisédans les cas de

la Compétenceen matière de pêcheriesou elle a relevé à l'appui de sa
décisionqu'«une jonction aurait étécontraire)) aux «vŒux» des deman-
deurs.
Dans cesconditions, on comprend mieux la sagessede lajurisprudence
traditionnelle de la Cour.Il est certain, comme l'a déjànoté la doctrine,
que la jonction d'instance et la désignation d'unjuge ad hoc lorsque les
parties sont considérées comme faisant cause commune correspondent à
deux hypothèses différentes qui ne se présentent pas nécessairement
ensemble 20.On ne saurait confondre les deux concepts distincts dejonc-
tion d'instance et de cause commune et faire dépendre la seconde de la
première: il est des circonstances dans lesquelles les parties font cause

communedans des instancesdistincteset où la jonction n'est pas souhai-
table. La cause commune n'en doit pas moins pouvoir être alors cons-
tatéepar la Cour.
19. Le Royaume-Uni souligne en troisième lieu que la quasi-totalité
des affaires dont la Cour a euà connaître dans le passé((comportait des
instances parallèles introduitespar deux demandeurscontre un défendeur
unique)). Or, en l'espèce, deux défendeurs s'opposent à un demandeur
unique. La situation serait donc toute différenteet une solution différente
s'imposerait.
On voit mal cependant pourquoi les défendeurs seraientpour l'appli-
cation du Statut et du Règlement traités sur ce point différemment

des demandeurs. Les textes mentionnésvisent les parties en généralet
celles-ci peuventà l'évidencefaire cause commune, tant comme défen-
deresses que comme demanderesses.
Dans la première phase des procédures, les conclusions de deman-
deurs faisant cause commune tendent nécessairement à faire reconnaître
la compétence de la Cour et la recevabilité de la ou des requêtes
(comme dans les affaires du Sud-Ouest africain et de la Compétenceen
matière depêcheries). Dans cette mêmephase, les conclusions des défen-

20G. Guyomar, Commentaire du Règlement de la Cour internationale deJustice,
p. 300. Moreover, the viewsof the parties do not influencethe decision of the
Court in the same way when it comes to determining whether they are
parties in the same interest and when the requirement is to decide
whether a joinder should be effected. In the first eventualitythe decision
obeys purely objective criteria and it is for the Court to apply those cri-
teria when deciding. The agreement of the parties is not enough, as

shown by the North Sea Continental Shelfcase, in which the Court deter-
mined for itself whether Denmark and the Netherlands were indeed in
the same interest, in conformity with the SpecialAgreement.
When it comes to joinder, on the other hand, the Court setsgreat store
by the wishes of the parties, as shown by the cases concerningthe Aerial
Incident of 27 July 1955 (Israel v. Bulgaria) and Nuclear Tests (1973)
and as the Court itself stated in the FisheriesJurisdiction cases, noting in
support of its decision that "joinder would be contrary" to the "wishes"
of the Applicants.

In such circumstances, the wisdom of the traditional jurisprudence of
the Court becomes plainer. As scholarly opinion has already noted, a

joinder of proceedings and the choice of a judge ad hoc when the parties
are considered to be in the same interest are clearly two different hypo-
theses not necessarily coinciding20.Two distinct concepts - joinder of
proceedings and parties in the same interest - cannot be confused,
and the latter cannot be made dependent on the former: there are circum-
stances in which parties are in the same interest in separate proceedings
yet joinder of the proceedings is not desirable. The Court must none-
theless be able to determine that the parties are in the same interest.

19. The United Kingdom thirdly states that almost al1the cases before
the Court in the past "involved parallel proceedings brought by two

Applicants against a single Respondent". In this case, however, two
Respondentsface a single Applicant. The situation is therefore claimed to
be very different and a different solution essential.

Itis neverthelessdifficultto seewhy the Statute and the Rules of Court
should be applied differently to respondents and applicants on this point.
The aforementionedtexts refer to the parties in general and it isclear that
they may be parties in the sameinterest both as respondents and as appli-
cants.
In the initial phase of proceedings, the submissions of applicants in the
same interest necessarilyaim to secure recognition for the jurisdiction of
the Court and the admissibilityof the application(s) (as in the South West

Africa and Fisheries Jurisdiction cases). In the same initial phase, the
submissions of respondents in the same interest aim to deny the jurisdic-

20G. Guyomar, Commentaire du Règlement de la Cour internationale deJustice,
p. 300.

38deurs faisant cause commune tendent à nier la compétence dela Cour et
la recevabilité dela ou des requêtes(comme dans les affairesde Locker-
bie). On voitmal pourquoi cesdeuxcasde figureseraienttraitésdifférem-
ment.

20. Enfin le Royaume-Uni souligne que les arguments qu'il développe,
dès cette phase de la procédure, bien que ((compatibles)) avec ceux
avancés parles Etats-Unis «ne sontpas identiques)).Chacun a fait valoir
«les moyens de fait et de droit de sa cause de la façon qu'il a jugéela
meilleure)).Pour ce motif encore, il n'y aurait pas cause commune.

Cette argumentation procède d'une confusion entre ~~conclusions~e~ t
«moyens» des parties (confusion que font trop souvent les Etats compa-

raissant devant la Cour comme celle-ci l'a relevéexplicitement dans
l'affaire desMinquiers et Ecréhous(FrancelRoyaume-Uni)) 21.
Font cause commune deux Etats qui avancent les mêmesconclusions,
même sileurs arguments divergent quelque peu. En effet faire «cause
commune)), c'est dans tous les systèmesde droit rechercher conjointe-
ment un mêmerésultaten présentantdes conclusions tendant à la même
fin22.Aussi bien est-ce parce que cette fin est unique que les auteurs du
Statut ont prévu en pareil casla désignationd'un juge ad hoc unique. Il
serait trop aisépour deux ou plusieurs Etats de tourner cette règleen

présentant des conclusions identiques fondéessur des argumentations
différenteset d'obtenir par un tel biais la désignationde plusieurs juges
ad hoc. Les conclusions, et seules les conclusions, doivent être prises
en considération pour l'application du paragraphe 5 de l'article 31 du
Statut.
Au surplus n'est-il pas inutile de noter qu'en l'espèceles argumen-
tations mêmesdes Etats-Unis et du Royaume-Uni sont extrêmement
proches. Elles reposent dans les deux cas sur une interprétation restric-

tive communede l'article 14de la convention de Montréal et surl'impact
des résolutions du Conseil de sécurité.

21. Au total, les Etats-Unis et le Royaume-Uni présentent dans cette
phase de la procédure les mêmesconclusions sur lesquelles la Cour a

statué par deux jugements comportant une motivation analogue et des
dispositifsquasiment identiques. Ils faisaient cause communeet par suite
le Royaume-Uni n'était pasen droit de désigner unjuge ad hoc. La Cour
en a décidé autrement et cela nous a donnéle plaisir de siéger a nouveau
avec sir Robert Jennings dont nous avons pu apprécier une nouvelle fois

21Arrêtdu 17novembre 1953,C.Z.JR ecueil 1953, p. 52.
22Dictionnaire de la terminologiedu droit international,p. 104et 105.

39tion of the Court and the admissibility of the application(s) (as in the
Lockerbie cases). It is difficult to see why these two scenarios should be
treated differently.

20. Lastly, the United Kingdom States that the arguments which it

develops, starting in this phase of the proceedings, while "compatible"
with those advanced by the United States, "are not identical". Each has
developed "arguments on the factual and legal aspects of its case as it
considers best". On this further ground, it is argued, they are not parties
in the same interest.
This line of reasoning arises from a confusion between the "submis-
sions" and "arguments" of the parties (which Statesappearing before the
Court al1too often confuse, as the Court explicitlynoted in the case con-
cerning Minquiers and Ecrehos (FrancelUnitedKingdom))21.
Two States which advance the same submissions are parties in the

same interest, even if their arguments diverge somewhat. Indeed, in al1
legal systems, parties "in the same interest" jointly seek the same result,
presenting submissions to the same end22.And it is indeed because they
seeka singleend that the framers of the Statute provided for the appoint-
ment of a singlejudge ad hoc in such cases. It would be al1too easy for
two or more States to circumvent this rule by presenting identical sub-
missionsbased on a different line of reasoning and so obtain the appoint-
ment of several judges ad hoc. The submissions, and the submissions
alone, must be taken into consideration for the application of Article 31,
paragraph 5, of the Statute.

Furthermore, it is not without interest to note that in the present case
the actual arguments advanced by the United States and the United
Kingdom are extremely similar. In both cases they rest upon a common,
restrictive interpretation of Article 14 of the Montreal Convention and
on the impact of the Security Council resolutions.

21. Al1in all, in this phase of proceedings the United States and the
United Kingdom have presented the same submissions, on which the
Court has ruled in two Judgrnents with similar legal reasoning and
almost identical operative parts. They were parties in the same interest
and consequentlythe United Kingdom was not entitled to choose ajudge
ad hoc. The Court decided otherwise, which gave us the pleasure of
sitting once more alongside Sir Robert Jennings and again appreciating

21Judgment of 17November 1953,Z.C.J. Reports 1953, p. 52.
22Dictionnaire de la terminologiedu droit international,pp. 104and 105.les éminentesqualités.Nous n'en regrettons pas moins une décisionnon

motivée qui constitue une première dans l'histoire de la Cour et qui nous
paraît contraire au Statut, au Règlement eta jurisprudence.

(Signé) Mohammed BEDJAOUI.
(Signé) Gilbert GUILLAUME.

(Signé) Raymond RANJEVA.his eminent qualities. This does not prevent us, however, from regretting
a decision for which no reasons were stated, which is a first in the history
of the Court, and which appears to us to be contrary to the Statute, to
the Rules of Court and to the jurisprudence of the Court.

(Signed) Mohammed BEDJAOUI.
(Signed) Gilbert GUILLAUME.

(Signed) Raymond RANJEVA.

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Déclaration commune de MM. Bedjaoui, Guillaume et Ranjeva

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