Opinion individuelle de M. Kooijmans (traduction)

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087-20010316-JUD-01-07-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. KOOIJMANS

Contexte historique du dijférend - Politique britannique dans la région du
Golfe - La sécuritémaritime comme principal objectif politique - Relations
conventionnelles avec les souverains locaux - Caractèrenon territorial de ces
relations - Absence de structures coloniales - Cl~angementspolitiques etjuri-

diques a la suite de la découvertede pétrole - Cadrejuridique des relations
coni~entionne1le.rvestéiuchangé - Ei'olution vers une conception moderne de
I'Etat - Maintien de l'l:dentité étatiqueaprèsqu'ila étémisfin au statut d'Etat
protégépar les Britanniques.
Non-applicahilitédu principe de I'uti possidetis juris - Pas de transfert de

souveraineté - Pas de modijïcation desfrontières administratives - La déci-
sion de 1939 a établilafrontière internationale.
Nature de lu relation entre la puissance protectrice et les Etats protégés -
Aucun trait4 ne confèrc ù la Grande-Bretagne le droit de déciderunilatérale-
ment de question.^de souveraitzetéterritoriule - Nécessitédu consentement des
souverains locaux ou, sinon. de leuracceptation ou de leur acquiescement ulté-

rieurs.
Zuharah - Pas de définitionterritoriale du diffërend - Allégeance dela
tribu des Naim au soui~~rainde Bahreïn - Consolidationprogressive del'auto-
ritéde Qatar - Acquii?scementde Bahreïn.
Iles Hawar - La déc:ision de 1939n'est pas une sentence arbitrale - Nature

de la procédure qui a da?houchtsur la décision de 1939 - Pas de consentement
du souverain deQatar en 1938 - Pus d'acceptation ou d'acquiescement ulté-
rieurs. Revendication dl?Qatarfondéesur un titre originaire en vertu del'accord
de 1868 et sur le principe deproximité - Pas de preuve demanqestations
d'autoritéde Qatur - Preuves cartographiques non pertinentes Revendica-
tion de Bahreïnfondée sur des liens d'allégeanceavec les Doivusir et les eflec-

tivités.
Janan - Non exclue du groupe des Haivar dan.^la décision de 1939 -
Nature de la décisionde 1947 - Détachementdu groupe nonjustiJîé.

1. Bien qu'ayant votépour tous les paragraphes du dispositif de l'arrêt
relatifs aux aspects territoriaux du différend entre Qatar et Bahreïn, à
l'exception d'un seul, je ne peux m'associer au raisonnement sur lequel se

fondent plusieurs d'e:ntreeux. S'agissant surtoutde la souveraineté sur les
îles Hawar et sur Janan, la Cour a, selon moi, suivi une démarche exces-
sivement formaliste en se fondant exclusivement sur la nature et l'effet
juridique de la prétendue décision de 1939 du Gouvernement britan-

nique. Dans une certaine mesure, ce formalisme se retrouve également dans la
position adoptée par la Cour au sujet de la souveraineté sur la régionde
Zubarah, bien que l'(ex)-puissance protectrice n'ait jamais pris de déci-

sion ce sujet, comme elle l'a fait pour les Hawar. Néanmoins, l'arrêt
semble donner davantage de poids a la position de cette puissance pro-
tectrice qu'à des considérations de droit positif, en particulier celles rela-
tives à l'acauisition de territoires.
2. En conséquence, l'arrêtrevêt uncaractère assez ambigu. Alors que
la uartie consacrée a la délimitation maritime traite de dis~ositions de

fond du droit de la mer, y compris pour le différend(quasi) territorial sur
la question de savoir laquelle des Parties a des droits souverains sur
Qit'at Jaradah et Fasht ad Dibal, celle qui porte sur des questions terri-
toriales est singulièrenient dépourvue de considérations sur le droit appli-
cable. Elle traite surtout des effets juridiques qu'il convient d'attribuer à
la position (au sujet deZubarah) ou à la décision(au sujet des Hawar et

deJanan) qu'un Etat tiers a prises; cet Etat tiers a sans aucun doute joué
un rôle primordial dans l'histoire des Parties et les relations entre elles,
mais il n'a certainement pas déterminé à lui seul le cours de ces relations.
A n'en pas douter, le passépèse beaucoup sur les relations actuelles et
futures entre les Parties, mais la Cour a choisi de n'en retenir qu'un élé-
ment.

3. On pourrait faire valoir que cette ambiguïté tient à la nature même
du différend porté devant la Cour. La terre domine la mer - les ques-
tions territoriales déterminent les questions de délimitation maritime. Les
différendsterritoriaux ont leur origine dans le passéalors que les délimi-
tations maritimes sorit orientées vers l'avenir et interviennent une fois
réglésles problèmes de territoire.

4. Il n'entre certes pas dans mes intentions de laisser entendre qu'il ne
faut pas tenir compte des aspects historiques de l'affaire. Au contraire, ce
n'est qu'en se référant à toutes les facettes de l'histoire des Parties qu'il
est possible de bien évaluerles droitsqui sont actuellement les leurs. C'est
justement parce qu'elle n'a pas pleinement tenu compte du contexte his-

torique que la Cour, a mon avis, a restreint inutilement les possibilitésqui
lui étaient offertes de réglerle différend d'une façon qui emporte I'adhé-
sion et soit juridiquement convaincante. Afin d'expliquer mon point de
vue, je commencerai, sans prétendre aucunement être un spécialistede
l'histoirede cette région, par quelques observations sur le contexte histo-
rique du différend.

5. «[L]'idée d'un Etat aux frontières bien définies était totalement

étrangère à la pensée politique des souverains et des tribus de la
région. Les frocitièrespolitiques dépendaient des liens d'allégeance
des tribus à tel ctutel cheikh et étaient donc susceptibles de se modi- DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.IND.KOOIJMANS) 227

fier fréquemment ...L'allégeanced'une tribu était fonction de ses
intérêtset pouvait donc se déplacer,ce qui se produisait souvent à
cette époque.))'

Ces quelques lignes extraites d'un ouvrage d'un auteur arabe sur I'his-
toire de la régiondu <;elfeme paraissent donner une image exacte de la
situation qui régnaitdans la régionil n'y a pas si longtemps.
6. La colonisation, qui a eu une telle importance au XIXe siècledans
d'autres parties du monde, n'a eu qu'un impact limitédans la régiondu
Golfe. La puissance occidentale qui n'a cesséd'étendreson influencedans
la région,à savoir la Grande-Bretagne, n'a jamais occupéet englobédans

son empire colonial les différentsémiratsde la rive arabe du Golfe. Pour
des raisons qui n'ont pas à êtreanalyséesici, le Gouvernement britan-
nique a préféré conclure des traités avec les souverains locaux et conser-
ver intactes ces relations conventionnelles plutôt que les voir progressi-
vement remplacées palr des structures administratives de type colonial
comme dans certaines parties de l'Afrique subsaharienne.
7. Au XIXe siècle, lesBritanniques étaient davantage soucieux de pré-
server la sécurité maritime que d'exploiter des ressources naturelles. Ils
obtinrent des souverains locaux - et parfois mêmele leur imposèrent -
qu'ils s'engagentà ne pas commettre d'actes de piraterie et à s'abstenir de
mener d'autres activitks qui risquaient de compromettre la paix sur mer.

Ils durent intervenir de temps à autre dans des conflits entre les souve-
rains locaux eux-mêmes etprendre les mesures voulues pour régler un
différendavant qu'il rie mette en périlla paix maritime et la sécuritédu
Golfeen tant que grande route commerciale. En témoignent justementles
difficultésqui surgirent entre les Al-Khalifah de Bahreïn et les Al-Thani
de Qatar dans la secoindemoitiédu XIX' siècleet donnèrent lieu à plu-
sieurs reprisesà des affrontements autour de (c'est sciemment que je ne
dit pas (<ausujet de») Zubarah.
8. Il était dans l'intérêtdes Britanniques d'empêcherque les zones
d'influencedes souverains locaux n'empiètent les unes sur les autres et ne
soient ainsi des source:sde rivalitéet de tensions. Zubarah était particu-

lièrement bien placéepour devenir une pomme de discorde et, au cours
des années 1870 comine en 1895, les Britanniques prirent des mesures
pour étoufferdans l'ot:ufun conflit armé,d'abord au détriment du sou-
verain de Bahreïn et einsuiteaux dépensde celui de Qatar. Dans les deux
cas, il est vraisemblable que les Britanniques furent égalementpoussés à
intervenir par la crain-tequ'un affrontement entre les deux souverains ne
créeaussi des problènnesentre eux-mêmeset l'Empire ottoman qui, au
cours de la seconde moitié du XIXe siècle, cherchait à rétablir sa

p. 291,citépar John. Sinipson, QC, dans son opinion dissidente au sujet de la sentence
du Tribunal arbitral dans l'affairedu DqJérendfrontalier entreDoubaïet Churdjah(Inter-
national LUM. eports, vol. 91. p. 681). DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.IND.KOOIJMANS) 228

dominationsur la péninsuleArabique dont on considéraitque la presqu'île
de Qatar faisait partie.
9. Si l'attitude britannique peut ètreinterprétéecomme une reconnais-

sance de la suzerainetéturquesur certaines parties de la régiondu Golfe,
il serait en revanche tout a fait injustifiéd'y voir une reconnaissance de
revendications de souverainetéou de frontiéres territoriales entre les dif-
férents émirats. Corrime l'a conclu le Tribunal arbitral dans l'affaire
ErythréelYémen :

«le Tribunal savait fort bien que les idéesoccidentales de souverai-
neté territorialesont étrangèresà despopulations élevéed sans la tra-
dition islamique et habituées à des notions de territoire très dif-
férentes de celles qui sont reconnues dans le droit international
contemporain)) (Sentence, premièrephase, p. 137,par. 525)2.

10. On peut donc dire que, dans la partie arabe de la régiondu Golfe,
la formation d'entités souverainesa base territoriale a été trèlsente et pro-
gressive.La politique britannique consistant a assurer la paix maritime en
attribuant aux souverains locaux des zones d'influencetout en leur inter-
disant de s'immiscer dans cellesdes autres a sans doute facilité lacréation
d'entités territoriales distinctes, maiselles étaienttrés loinde constituer
des zones centraliséeset bien délimitéesde compétenceexclusive. Il est
significatif cet égardque les divers traitéspar lesquels le Gouvernement

britannique s'est engagé a offrir une protection contre ((toute agression
par mer» (lesitaliques;sont demoi)ont été conclusavec lesdifférentssou-
verains a titre personnel. On ne saurait en aucun cas inférerde ces traités
que les Britanniques promettaient de garantir l'intégritéterritoriale des
émirats.Cette notion n'existait tout simplement pas à l'époque.
11. Il serait vraiment très artificiel d'interpréter les accords passésen
1868 par la Grande-]Bretagneavec les souverains de Manama et Doha
comme attribuant à ces derniers un titre sur l'ensemblede la péninsule,y
compris sur les îlessituéesau large de la côte. La Grande-Bretagne vou-

lait certes empêcher ;ainsile souverain de Bahreïn de s'ingérerdans les
affaires du continent, mais il est fort improbable que les Britanniques
aient considéréque ces ingérenceséquivalaienta une intervention dans
les affaires intérieures d'un autre Etat souverain. Empêcher les Al-
Khalifah de se livrer à telle ou telle activitéà Zubarah ne saurait en
aucuncasêtreconsidéré comme une reconnaissancela desouveraineté desAl-
Thani sur cette région. Lapolitique britannique a toutefois permis aux
souverains locaux de consoliderleur autorité surles zones d'influencequi
leur étaientallouées, cequi a facilitéla formation d'Etats plus proches du
sens que nous donnons aujourd'hui a ce terme.

* D'aprèsles renseignenients doàl'auteur, le mot arabe «dirah» ne peut guère ètre
traduit par «territoiVoir aussi Muhammed Morsy Abdullah (op.rit., note 1): «Le
dirah étaiten Arabiàcette époque(XIXesiècle),une régionaux contours flous dont la
taille changeait en fonction de la puissance de la tribu qui la parcourait. 12. Cette conception moderne de 1'Etat est devenue bien plus néces-
saire avec la découvertede pétroledans la régionau cours des annéesqui
ont suivi la première guerre mondiale. Dans l'affaire du Diffërend fron-
talier entre Chardjah et Doubaï, le Tribunal arbitral a parfaitement
résumé cette évolution trèsimportante:

((l'idéede frontière au sens occidental était autrefois totalement
étrangèreaux populations nomades de la région. Mais, dès que
l'on a commencéa se rendre compte de ce que représentaientlesres-
sources pétrolières dela région,il est devenu nécessairede songer
a fixer des frontières préciseset bien définiesentre lesémirats.11était
dans l'intérêdtes souverains comme des sociétés pétrolière dse déter-
miner exactemerit l'étenduede chaque concession. La perspective

de l'exploration et de l'exploitation des ressources pétrolières a
directement entr,aînéles premières mesures préliminaires tendant a
fixer des frontières.» (~irlard, ~nternational-La~zlReports, vol.9 1,
p. 562.)

13. Cette èrenouv~rlleconféraégalement uncaractère nouveau a I'ac-
tion des Britanniques dans la région. Les intérêts économiquee st les
impératifsde la géostratégiesupplantèrent la sécuritémaritime en tant
que premiers objectiEsd'un Etat attachéa rester la puissance prépondé-
rante dans une région du monde dont l'importance stratégique allait
croissant. La Grande-Bretagne obtint des souverains locaux la promesse
de ne pas accorder de concessions pour l'exploration et l'exploitation
du pétrole sans son consentement. Ce n'étaientdonc pas seulement les
souverains et les sociétésconcessionnaires qui avaient intérêt a se
donner lesmoyens de déterminer exactement l'étenduede chaque conces-
sion, comme l'a dit k: Tribunal arbitral qui a eu à connaître de l'affaire

ChardjahlDoubai'.mais aussi la puissance protectrice. La question de
l'emplacement exact des frontières, qui n'avait guèreintéresséles Bri-
tanniques au XIXe siècle,devenait une préoccupation actuelle et impor-
tante.
14. 11en est résul1.éque la Grande-Bretagne resserra nettement son
emprise sur les souverains locaux. A certains égards, ses relations avec
eux prirent peut-êtreun tour quasi colonial en ne leur laissant guère de
marge pour mener une politique autonome. On notera cependant qu'offi-
ciellement rien ne changea dans la relation entre la Grande-Bretagne et
les ((Etats protégés)).expression qui entra progressivement en vigueur
pour désignerles émiratsde la régiondu Golfe.
15. Pour appréhender d'un point de vue juridique la ((relation spé-
ciale)) qui existaitentre la Grande-Bretagne et les Etats du Golfe, il
convient de tenir tout particulièrement compte du fait que la nature de
cette relation n'a pas changédepuis la conclusion des premiers traités
avec Bahreïn en 1892 et Qatar en 1916. Il est difficiled'en donner une

définition exacte.Peut-êtreest-ce lord Curzon, vice-roi des Indes, qui l'a
le mieux décritedans une allocution prononcée en 1903devant les chefs DELIMITAI-ION ET QUESTIONS (OP. IND. KOOIJMANS) 230

de la côte de la Trêveen disant: «votre indépendance sera maintenue;
l'influence du Gouvernement britannique devra rester suprême))'.
Et le Gouvernement britannique n'a lui-même jamais cesséde qualifier
les Etats du Golfe d'<<Etatsindépendants que le gouvernement de Sa
Majestéest tenu de protéger)).

16. Cette ((Relation spéciale))était peut-êtreambiguë d'un point de
vue juridique, mais il serait totalement injustifiéde l'assimiler à une rela-
tion coloniale. Quand prirent fin, en 1971, les relations spécialesentre,
d'une part, le Royaume-Uni et, d'autre part, Bahreïn et Qatar, ces deux

derniers Etats (re)trouvèrent sans doute une indépendance entière, mais il
serait inexact de dire qu'ils devinrent indépendants. II s'agissait des
mêmesEtats avant et après 1971. Ce fait est d'ailleurs reconnu au para-
graphe 139 de l'arrêtde la Cour, où on lit:

«Dès lors, la décisionde 1939doit être regardéecomme une déci-
sion qui était des l'origine obligatoire pour les deux Etats et a
continué de l'êtrepour ces r?~L;nze E.tats aprés 1971, annéeau cours
de laquelle ils ont cesséd'êtredes Etats protégéspar la Grande-

Bretagne.)) (Les italiques sont de moi.)

111. LE PRINCIPE DE L'C'TI POSSIDETIS JLIRIS

17. La conclusion à laquelle la Cour est parvenue sur la base de la
décisionbritannique de 1939 la dispense, selon elle, «de se prononcer sur
l'argumentation des Parties tiréede l'existence d'un titre originaire, des

effectivitésou de l'applicabilité enl'espècedu principe de l'uti possideti.~
juri.7» (arrêt, par. 148).
18. Je ne suis pas la Cour dans son appréciation de l'effetjuridique à
donner à la décisionde 1939.Mon vote en faveur du paragraphe 2, a) du
dispositif repose sur des considérations liéesau titre de souveraineté, à la

proximité géographique et aux effectivités.Toutefois, dans la mesure ou
Bahreïn a expressément invoqué le principe de I'uti pos.sidetis jut.i.s -
bien que très tardivement - et ou cet argument présente un caractère
préliminaire comme le conseil de Bahreïn l'a déclaréfort justement, il me

semble nécessairede dire d'abord si, à mon sens, ce principe est applica-
ble en l'espèce.S'il l'était,tous les autres moyens présentéspar les Parties
seraient devenus superflus.
19. Dans sa célèbre conclusion en l'affaire du DiJfZrend frontrriior

(Burkina FusolRipt~l;liiyucdu Muli), la Chambrede la Cour a définiainsi
le principe de I'utipc~ssic1~ti.s

«un principe général,logiquement lii au phénomènede 1'acces.sion Ù

'CitCdans la sentence rendue dans l'affaire du DifJerond/rot~.ntrcClzurrlju1.1
L>o~th(i:titc~rtrtr/iontrLlirii.Rcporl.~,vol. 91. p. 561. DÉLIMITKTION ET QUESTIONS (OP. IND. KOOIJMANS) 231

I'indépendunce,où qu'il se manifeste. Son but évidentest d'éviterque

l'indépendance et la stabilité des nouveaux Etats ne soient mises en
danger par des luttes fratricides néesde la contestation des frontières
à lu suite du rrtruit de lu puissunce udn~inistrunte.)) (C.I.J. Recuc~il
1986, p. 565, par. 20; les italiques sont de moi.)

20. A mon avis, cette conclusion présuppose un transfert de souverai-
netéde l'ancienne puissance coloniale à un Etat nouvellement indépen-
dant. Malcolm Shaw ne pense pas autrement quand, dans son article qui
a fait date «The Heritage of States: The Principle of Uti PossidrirtisJuris
Today P. il explique que «le principe de l'uti possidc1ii.ss'applique dans le

contexte de la transmission de souveraineté et de la création d'un nouvel
Etat indépendant et conditionne ce processus))4.
21. La définition de Shaw est plus large que celle donnée par la
Chambre de la Cour puisqu'elle couvre également le cas où des parties

d'un Etat déjà indépendant accèdent à l'indépendance à la suite de la
désagrégation (partielle)de cet Etat. Dans de telles circonstances, ce prin-
cipe a été déclaré applicable (notamment par la Commission d'arbitrage
de la Conférence européenne pour la paix en Yougoslavie) aux limites
administratives des entitésconstitutives de I'Etat en cours de désagréga-

tion. Comme l'a dit la Commission:

«A défaut d'un accord contraire, les limites antérieures (adminis-
tratives) acquièrent le caractère de frontières protégéespar le droit
international. Telle est la conclusion à laquelle conduit le principe de
respect du statu quo territorial et particulièrement celui de l'uti pos-

sitkctijuris.))

Pour Shaw, la raison qui doit conduire à appliquer ce principe dans de
telles situations non coloniales est la mêmequi a dicté la position de la
Chambre de la Cour dans l'affaire Burkina FusolRknuhliuur riluMcrli. II

considère, en effet, que «la désagrégationdlEtats existants présente évi-
demment les mêmesdanpers))."
22. Le point comrnun à ces deux situations est que des limites admi-
nistratives, c'est-à-dire non internationales, deviennent des frontières
internationales. II serait absurde d'appliquer ce principe à une frontière

séparant les territ0ir.e~ coloniaux de deux puissances coloniales diffé-
rentes. Cette frontière serait déjàune frontière internationale et. en tant que
telle. protégéepar le droit international. Ce qui différencie la présente
affaire des situations dans lesquelles ce principe a étéappliqué est du

mêmeordre.
23. La question essentielle est à mon avis la suivante: y a-t-il a) trans-
fert de souveraineté d'un Etat à un autre à la suite duquel h) des limites
administratives sont investies ((d'une signification et d'un objet qu'il

.'Rriri.sliY<,.ook of Iiir<,rritrtrltni,.vol. 67. 1p.98
' CitédarisSliaw.op.ci/.p. 109.n'avait jamais étéprévu de leur donner))"? Dans la présente affaire, la
réponse à ces deux questions ne peut êtreque négative.

24. Comme je l'ai déjà indiqué(par. 16 ci-dessus), il n'y a pas eu en
1971de transfert de souverainetédu Royaume-Uni à Bahreïn ou à Qatar.
Ces Etats ont conservél'identitéqui était la leur avant que ne prennent
fin leurs relations avec la puissance protectrice. On dit souvent que le
principe de l'ufi pos.sicleti.rn'est applicable que lorsqu'il y a succession
d'Etats. Bahreïn a soutenu que cette notion devait aussi êtreinterprétée

comme désignant la substitution d'un Etat à un autre dans la responsa-
bilitédes relations initernationales d'un territoire et que c'est ce qui s'est
effectivement passéen 1971.
25. 11est vrai que la puissance protectrice avait un droit de regard sur
la politique étrangèrede ces deux Etats du Golfe dont la souveraineté

étaità cet égardlimitée.Mais, et c'est plus important que de savoir s'il y
a eu succession d'Eta~tsau sens étroitou au sens large du terme, le fait est
qu'il n'y a pas eu transfert de souveraineté. Du point de vuejuridique, il
y a un monde entre une souveraineté restreinte et une souveraineté non
existante. Dans le premier cas, il peut y avoir rétablissement d'une sou-

veraineté pleine et entière, alors que, dans le second, il ne peut y avoir
qu'un transfert, c'est-à-dire une souveraineté nouvelle.
26. Toute aussi importante est la question de savoir s'il y avait une
limite administrative qui a été transforméeen frontière internationale. 11
ressort à l'évidence du dossier que le Gouvernement britannique n'a
jamais eu l'intention d'établir une limite administrative ou de régler un

différendentre agents de l'administration. II est apparu clairement dèsle
début qu'une décision concernant la ((propriété))des îles Hawar aurait
un effet déterminant sur les frontières internationales entre deux entités
distinctes au regard du droit international. Les concessionnaires poten-
tiels voulaient savoir dans quelle capitale aller demander une concession.

Il faut donc répondre par la négativeaux deux élémentsde la question
essentielle que j'ai posée plushaut. Ne serait-ce que pour ces raisons, le
principe de I'utipo.s:;icletisjuri\~n'est pas applicable en l'espèce.

IV. LES QCESTIONS TERRITORIALE CS :TEXTE GÉNÉRA~

27. Le principe de I'uti po.ssid~~tine pouvant être considéré comme
applicable. les différentes questions territoriales (Zubarah, îles Hawar et
Janan) doivent être1.raitéesséparémentet selon les particularités qui leur

sont propres.
Etant donné que la position du Gouvernement britannique a eu un
impact considérable sur le cours des événementsayant abouti au diffé-
rend porté devant la Cour, une remarque préliminaire s'impose.
28. Ni les traitésde 1880 et 1892avec Bahreïn ni le traitéde 1916avec

Qatar ne donnaient à la puissance protectrice, la Grande-Bretagne, le

('Shaw. op.c,ip. II:'. DELIMITA'TION ET QUESTIONS (OP. IND. KOOIJMANS) 233

droit de déterminer unilatéralement les frontières des émirats ou de tran-
cher des questions de souveraineté territoriale. De telles décisionsne pou-
vaient donc être prises qu'avec le consentement des Etats protégéseux-
mêmeset cela semble avoir étéadmis par les Parties puisque la question

qui les a violemment opposées a justement étéde savoir si ce consente-
ment autorisant le Gouvernement britannique Adéterminer a laquelle des
Parties appartienneni: les îles Hawar a bien été donné. A cet égard, les
Etats protégés avaientdonc conservé leur souveraineté. Dans l'affaire du
Difl2rend frontulicr ontre Douhrrï et Churdjah, le Tribunal arbitral n'a
laissésubsister aucune ambiguïté au sujet des Etats de la Trève, avec les-

quels avaient été conclus des accords semblables:
((11est donc clair qu'aucun traité n'a permis aux autorités britan-

niques de délimiter unilatéralement les frontières entre les émiratset
qu'aucune administration britannique n'a jamais affirmé avoir ce
droit.)) (A~i,cr, ntc~r.nrrtioncl ii Reports, vol. 91, p. 567.)

29. A cet égard,il est utile de rappeler le point de vue du souverain de
Bahreïn qui, après que le Gouvernement britannique l'eut informé en
1947de sa décisionsur la division des fondsmarins entre les Parties, écri-
vit à l'agent politique britannique pour lui demander quel était le traité
conclu avec le Gouvernement britannique qui autorisait ce dernier à
prendre des décisions relatives au tracé des frontières sans en référerau

souverain de Bahreïn ou le consulter.
30. Le fait que les traitésen question n'aient pas donnéa la puissance
protectrice lepouvoiir de déterminer unilatéralement et de sa propre ini-
tiative les frontières cles Etats protégésou de réglerdes questions territo-
riales est en soi une indication de la non-applicabilité du principe de I'uti
possidetis. La situation qui en découleest, autrement dit, complètement

différente de celle d'une colonie où la puissance administrante a toute
latitude de tracer unIr limite administrative ou d'Etats fédérauxentière-
ment ou partiellemerit dissous, où les organes fédérauxont fixépar des
mesures relevant du droit interne les limites des diverses unités compo-
sant la fédération.
31. Dans I'affaire qui nous occupe, il est particulièrement pertinent,
toutefois, de souligner que les questions territoriales ne pouvaient être

tranchées sans le consentement des souverains locaux. S'il est impossible
d'établir de façon saitisfaisante qu'il y a bien eu un tel consentement ou
qu'il ya eu acceptation ou acquiescement par la suite, un règlement ter-
ritorial par les autorités britanniques ne saurait avoir en soi de valeur
juridique, et toute question qui resterait pendante devra êtrerégléeen
fonction des principes générauxdu droit international.

32. Cela ne signifie nullement que la puissance protectrice ait par défi-
nition outrepassé se:; pouvoirs si elle a agi de sa propre initiative ou
unilatéralement alors qu'elle se trouvait confrontée à des facteurs d'insta-
bilité nésd'un différend territorial et risquant de constituer une menace
pour la paix dans la région.Dans le cadre des relations spécialesétablies
par les traités, la Grande-Bretagne était tenue de protéger les souverains DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP. IND. KOOIJMANS) 234

locaux et c'est leplus souvent faceA des viséesou à des initiatives inami-
cales d'autres souverains locaux que cette obligation de protection devait
s'exercer. Pour êtreen mesure d'honorer ses engagements, la puissance
protectrice n'excèdeaucunement ses pouvoirs lorsqu'elle essaie de désa-
morcer une crise en prenant position au sujet de revendications concur-

rentes ou mêmeen imposant un règlement. L'attitude des Britanniques A
l'égard de Zubarah lest un exemple de prise de position tandis que la
<<décision» de 1939sur les îles Hawar et celle de 1947surJanan illustrent
la méthode du règlenient imposé.Pour avoir une valeur juridique, un tel
arrangement requiert soit un consentement préalable, soit une accepta-
tion ou un acquiescement ultérieurs. A cet égard, il importe peu que la

puissance protectrice ait outrepassé ses pouvoirs dans le cadre de la rela-
tion spéciale.Cette question ne relèvetout simplement pas de la compé-
tence de la Cour.

33. Il est difficile de dire si le différend qui oppose les Parties au sujet
de la souveraineté sur Zubarah concerne un territoire ou l'emplacement
de frontières territoriales. A l'aube du XXI' siècle, il évoque encore
davantage des rivalités d'hégémonieou d'allégeanceque des prétentions
concurrentes à un pouvoir exclusif sur un territoire donné. La singularité

de cet élémentdu différend estattestéepar le fait que, mêmeaujourd'hui,
Bahreïn n'a définini dans la procédure écrite,ni au cours des plaidoiries,
la zone sur laquelle il prétend détenirla souveraineté, et s'est bArpar-
ler de la régionde Zubarah. Seules les cartes annexées aux piècesde pro-
cédure indiquent ce qu'il faut entendre par cette expression. Mais ce n'est
qu'après que la Cour a expressémentdemandé une description précisede
ce territoire qu'ont été fourniesles coordonnées des points délimitant la

régionde Zubarah.

34. Bahreïn fonde l'essentiel de sa revendication sur des droits histo-
riques et des liens d'allégeancede la tribu des Naim, présente dans la
régionde Zubarah depuis deux siècles,mêmes'il n'est pas clairement éta-
bli qu'elle y soit effectivement installée.Qatar maintient pour sa part que

ces liens ont étélimit,ésà une branche particulière de la tribu des Naim et
que cette allégeanceJe la brailche des Al-Jabr n'a pas été constante et a
cessé,au moins officiellement, après 1937.
35. Pour ce qui est des aspects historiques, il n'est pas contesté que
c'est à Zubarah que l'actuelle famille régnante de Bahreïn avait établi le
centre de son pouvo-ir avant de s'installer sur l'île principale de Bahreïn

où elle est restéejusqu'à aujourd'hui, hormis, au XIX' siècle, de brefs
séjours temporaires à Zubarah. Il n'est pas non plus contesté que,
jusqu'aux années 1870, Zubarah fut considéréecomme faisant partie du
domaine de cette famille régnante.
36. Après avoir conclu les accords de 1868avec les souverains locaux, DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP. IND.KOOIJMANS) 235

la Grande-Bretagne se mit à voir d'un mauvais Œil lesincursions bahreï-
nites dans la péninsule de Qatar. Comme je l'ai expliqué au sujet du
contexte historique, ce serait un anachronisme que d'interpréter l'accord
passé en 1868 avec 11:cheikh de Doha comme conférant A ce dernier un

titre de souveraineté sur l'ensemble de la péninsule. Mais, cela ne signifie
certes pas que Bahreïn avait un titre originaire sur un territoire bien
défini,titre qui aurait mêmepersistéaprès l'occupation prétendument illi-
cite par Qatar en 1937.
37. A cet égard, ilest utile de rappeler que, comme l'a dit M. Muham-
med Morsy Abdullah, «l'idéed'un Etat aux frontières bien définiesétait

totalement étrangèreà la penséepolitique des souverains et des tribus de
la région))(voirpar. 5 plus haut). C'est dans ce contexte que doivent être
analyséescertaines conséquences de la politique britannique après 1868 :
il devint plus difficile pour les Al-Khalifah de maintenir leurs liens tradi-
tionnels avec cette zone alors que les Al-Thani étaient en mesure d'asseoir
leur pouvoir sur celle-ci sous les auspices des Ottomans qui avaient (ré)-

établi leur autorité sur la plus grande partie de la péninsuleArabique.
38. Cette consolid;ation du pouvoir de la famille régnantede Qatar n'a
sans doute pas étécontinue, mais elle a étépériodiquement réaffirmée.
Elle a été reconnue par la puissance protectrice qui s'est seulement
efforcéed'apaiser les deux familles régnantes lorsque leurs frictions ris-
quaient d'entraîner de graves conflits sans toutefois mettre jamais en
question les prétentions ou les droits de la famille régnante de Qatar sur

Zubarah.
39. Quant aux lieris d'allégeancequi auraient existéet rien ne permet
d'en douter entre les Naim (ou du moins la branche des Al-Jabr) et le
souverain de Bahreïin, ils semblent avoir été plutôt ambivalents. Dans
l'affaire du Suhara occidental, la Cour a fait observer que les liens
d'allégeance ont souvent joué un rôle majeur dans la constitution d'un

Etat mais que, pour attester de l'autorité du souverain, ils doivent être
manifestement réelset s'exprimer dans des actes prouvant que son auto-
ritépolitique est acct:ptée(C.I.J. Recueil 1975, p. 42, par. 88).
40. Je doute fort que ces critères soient satisfaits. Les élémentsde
preuve un peu trop subtils et souvent contradictoiresqui ont étéprésentés
a la Cour me donnent l'impression que les Naim ont surtout utilisé ces

liens d'allégeanceavec le souverain de Bahreïn pour servir leurs propres
intérêts, etsouvent pour résisterà l'autorité grandissante du souverain de
Qatar. De plus, Bahreïn a été incapablede démontrer que de tels liens
existaient aussi avec les autres tribus qui venaient régulièrementdans la
régionde Zubarah ou qu'il ait mêmetentéd'asseoir également son auto-
rité sur ces tribus; en effet, c'est seulement dans ce cas que les liens

d'allégeance pourraient se transformer en titre de souveraineté territo-
riale.
41. Dans l'affaire du Sahara occidental, la Cour, sans nier l'existence
de liens juridiques d'allégeance entre les Etats de la région et certaines
tribus vivant sur ce territoire, a conclu que les élémentset renseignements
portés a sa connaissance n'établissaient l'existence d'aucun lien de souve-rainetéterritoriale entre le territoire du Sahara occidental et les Etats voi-
sins (C.I.J. Recuei/ 1975, p. 68, par. 162). On pourrait arriver à une
conclusion analogue d,ans la présente affaire.

42. 11faut donc reconnaître que, quels qu'aient pu êtreles droits his-
toriques de Bahreïn dans le passé,ils ont depuis longtemps été supplantés
par ceux de Qatar,du moins si on considère ces derniers du point de vue
du droit international public. II n'est nullement impossible en effet que
ces ((droits historiques)) doivent plutôt être considéréscomme le reflet de
liens traditionnels entre la famille régnante de Bahreïn et Zubarah et que
cette question doive étre résolue autrement que sur la base du droit

public. Mêmedes membres de la famille régnante de Bahreïn semblent
avoir admis que leur intérêtpour Zubarah est avant tout d'ordre affectif
et pourrait être suffisalmment pris en compte en leur accordant certains
privilèges. De même,le fait que la régiondeZubarah n'ait pas étéincluse
(ce que n'aurait jamais toléréla puissance protectrice) dans les négocia-
tions engagéespar Bahreïn dans les années trente avec plusieurs sociétés

pétrolières et que. daris l'accord intervenu en 1944 entre les Parties (à la
suite d'une médiation de la puissance protectrice), il soit bien préciséque
l'acte de concession conclu entre Oa.ar et la société~étrolièreconcernait
tout le territoire continental de la péninsule (alors que le reste de cet
accord est rédigé entermes extrêmement ambigus) semble indiquer que
du moins pendant une certaine période Bahreïn ou son souverain aient
admis que leur prétention ne portait pas sur des droits souverains. IIest

tout aussi révélateurque Bahreïn, quand il a manifesté sa désapprobation
de la décision britannique de 1947 sur la délimitation des fonds marins,
n'ait pas réclaméde titre de souveraineté sur les fonds marins contigus au
littoral de la régionde Zubarah.
43. En conséquence, je conviens avec la Cour que c'est à Qatar que
revient la souveraineté sur Zubarah. Mais, je suis moins enclin que la
Cour à considérercomme de la plus haute importance la position adoptée

par des Etats tiers, en particulier la Grande-Bretagne et l'Empire otto-
man. Pour moi, il est plus pertinent que Bahreïn ait été incapable de
transformer les droits qu'il a pu avoir sur Zubarah, à une époque où
l'autorité gouvernementale avait une connotation différente de celle
qu'elle a aujourd'hui, en droits souverains au sens moderne du terme
(mêmesi cela a étédû1en partie à des facteurs extérieurs), alors que Qatar
a, mêmeavant 1937,progressivement établi son autoritésur la région.Je

peux donc m'associer pleinement à la conclusion de la Cour selon laquelle
les actes accomplis par le cheikh de Qatar à Zubarah cette année-là par-
ticipaient de l'exercicede son autorité sur ce territoire et ne constituaient
pas un recours illicite à la force contre Bahreïn (arrêt,par. 96).

44. La Cour s'appuie sur la décision britannique du II juillet 1939
pour constater que Bahreïn a souveraineté sur les îles Hawar (à I'excep-tion de Janan). Bien que j'estime égalementque les îles Hawar (y compris
Janan, voir VII. ci-dessous) appartiennent à Bahreïn, je suis en complet

désaccord avec le raisonnement qui a conduit la Cour à cette conclusion.
A mon avis, la décision britannique ne fonde nullement la souveraineté
de Bahreïn sur les îles.
45. Dans ses écritureset plaidoiries, Bahreïn a soutenu que la décision
de 1939 lui attribuant les îles Hawar étaitune sentence arbitrale ayant la
force de la chose jugéeet devait donc êtrerespectéepar la Cour. Celle-ci

a rejeté cetargument et conclu que la décisionne constituait pas une sen-
tence arbitrale, parce qu'elle n'avait pas été renduepar des juges choisis
par les Parties et statuant soit en droit soit e.r rrcquo et bono (arrêt,
par. 114).Je partage ce point de vue de la Cour sur la décisionde 1939.
Le concept d'arbitrage peut êtreutilisédans un sens très large puisqu'il
englobe tous les types de règlements par tierce partie. En revanche, pour

ceux de ces règlements qui ont l'autorité de la chose jugée, le mot ((arbi-
trage)) prend un sens beaucoup plus étroit et cela depuis longtemps.
Comme mode de règlement des litiges de caractère définitifet obligatoire,
l'arbitrage est considé,rédepuis des sièclescomme exigeant que les deux
parties conviennent, sur une base d'égalité,de confier le règlement de leur
différendà une tierce partie choisie par elles et de se conformer à la déci-

sion prise par cette tierce partie. Ce sont le consentement donnéà la pro-
cédureet l'engagement de se conformer A la sentence rendue qui donnent
à celle-ci l'autorité dela chose jugée,la procédure elle-mêmedevant tou-
tefois satisfaire certaines prescriptions d'équité et d'égalitédes armes.
Mais ce qui est fondamental, c'est que la tierce partie n'intervient pas de
sa propre autorité ou à la demande d'une seule des parties au différend.

46. La Cour indique ensuite qu'elle appréciera l'effetjuridique pour les
Parties de la décisionde 1939 après avoir analyséles événementsqui en
précédèrent,puis en suivirent immédiatement l'adoption. Puis elle conclut
que la décision était obligatoire pour les deux Etats et a continué de

l'être. C'estsur ce point que j'ai du mal à la suivre.
47. La Cour ne nie pas que le consentement des Parties était nécessaire
pour que le Gouvernement britannique puisse prendre une décision à
caractère exécutoire. D'après elle, ce consentement est donné dans les
lettres échangées enmai 1938 entre le souverain de Qatar et l'agent
politique britannique à Bahreïn.

48. Avant de passer à l'interprétation de ces lettres par la Cour, il n'est
sans doute pas inutile de souligner que la présente affaire diffère fonda-
mentalement, sur un point important, de l'affaire du Diffërrnd frontulier
entre Cllurcijuhet Doubui'mêmesi, à d'autres égards.elle lui est trèssem-
blable. Dans cette afJàire aussi, le Tribunal arbitral a conclu que les déci-
sions britanniques (appelées décisions Tripp) de 1956 et 1957 ne cons-

tituaient pas des semences arbitrales. Cela dit, le Tribunal a déclaréque
ces décisions n'enét,aientpas moins obligatoires pour les souverains en
tant que décisions aclministratives puisque ((les deux souverains, en don-nant leur consentement à la délimitation de leurs frontières par les auto-
rités britanniques. s'rngageaient expressément à respecter les décisions

qui seraient prises)) ltraduction du Greffe] (A,i,rrr~l,lntern~~t~onalLuits
Rcporf~. vol. 91, p. 5'77).
49. La situation dans le DiJJlrend frontulier entre Cliuru'juhel Douhui'
était donc différente à un double titre de la présente affaire. Première-
ment, par une résolution adoptée en 1954 par le Conseil des Etats de la
Trêve,les souverains de ces six Etats ont collectivement et officiellement

demandéà l'agent politique britannique de définirleurs frontières respec-
tives. Deuxièmement, les souverains de Chardjah et de Doubaï ont tous
deux expressément promis de ne ((contester ni dénoncer aucune décision
qui pourrait êtreprise par l'agent politique au sujet de la question des
frontières)) entre les Emirats.
50. La situation eri l'espèce estincontestablement moins tranchée. Le

contexte est complètement différent.C'est laGrande-Bretagne qui. s'étant
réservéele droit de décider en dernier ressort de l'octroi de concessions
pétrolières.en est venue àl'instigation desautorités bahreïnites àconclure
qu'il fallait déterminer si les îles Hawar appartenaient à Bahreïn ou à
Qatar, et a engagéen conséquence une procédure de règlement de cette
question. Peut-êtrea-t-elle agi ainsi pour de trèsbonnes raisons et a-t-elle

pris finalement une décision judicieuse et correcte, mais il est difficile de
dire que la procédure ait été entaméepar les Parties elles-mêmes. A
l'époque(trois ans avant que la décision nesoit prise et deux ans avant
que la procédure ne soit officiellement lancée),Qatar n'avait même pas
connaissance de l'existence d'un différend et des intentions de l'autre
partie, ni d'ailleurs de celles du conciliateur ou arbitre autoproclamé.

51. Je reviens maintenant à l'échangeue lettres de mai 1938 entre le
souverain de Qatar et l'agent politique britannique à Bahreïn. Dans une
lettre en date du 10 mai 1938, le souverain de Qatar qui, à l'époque, ne
savait pas encore que, deux ans auparavant, le souverain de Bahreïn avait
officiellement revendiqué Hawar se plaignit de ce que Bahreïn s'y ingé-
rait.II se dit persuadé que, «pour préserver la paix et la tranquillité»,

l'agent politique ferait ((le nécessairedans cette affaire)).
52. Par une lettre du 20 mai 1938,l'agent politique répondit que «par
l'occupation formelle de ces îles depuis un certain temps)) le Gouverne-
ment de Bahreïn possédaitprirn~lfacie un titre sur elles. Il ajouta, néan-
moins, que le Gouvernement britannique était disposéà considéreratten-
tivement toute revendication formelle que Qatar au sujet des

îles Hawar, mais qu'il n'était pas disposé à interdire ou à restreindre
l'occupation des îles par le Gouvernement de Bahreïn à moins que le bien-
fondé de la revendication de Qatar ne soit démontréou admis, et en tout
cas jusque-là. Il mit le souverain en garde contre toute action susceptible
de déboucher sur un conflit ouvert avec les sujets bahreïnites résidant
actuellement dans le:;îles Hawar. II lui rappela enfin que le Gouvernement

britannique statuerait i ce sujet «dans un esprit de véritéet de justice)).
53. Le 27 mai 1'338,le souverain de Qatar écrivit une lettre dans
laquelle, après avoir remerciéle Gouvernement britannique d'avoir pro-mis de déciderde la question en s'inspirant de la véritéet de la justice, il
revendiquait officiel1e:mentles îles Hawar. IIconcluait en se disant «per-

suadéque le gouverni:ment de Sa Majesté se prononcera en toute justice
et équité)).
54. Je n'arrive pas à comprendre comment cette dernière phrase peut
êtreinterprétée comme impliquant le consentement (tardif) du souverain
de Qatar a une procédure de règlement d'un différend.J'y vois plutôt un
appel adressé au Gouvernement britannique pour qu'il honore ses enga-

gements conformément au traité de 1916. Se référantà sa lettre du
10 mai, le souverain kcrivit le 27 mai dans une autre lettre:
((Considérant ce fait (l'ingérencede Bahreïn à Hawar) comme un

acte d'agression, j'ai estimé qu'il m'incombait de commencer par
porter l'affaire 21votre connaissance étant donné les relations qui
existent entre nous et le droit du gouvernement de Sa Majestéd'exa-
miner de telles affaires.))

55. Aprés avoir étiiinformé par l'agent politique que les autorités bri-
tanniques ne bougeraient pas avant qu'il ait officiellement revendiqué les
îles Hawar, le souverain de Qatar s'est certainement rendu compte qu'il
n'avait d'autre choix aue d'acce~ter la situation et d'en tirer le meilleur

parti possible. Mais cela ne signifie en aucun cas que. sur la base d'un
consentement librement donné, ilait demandé au Gouvernement britan-
nique de réglerun différend entre lui-mêmeet le souverain de Bahreïn.
Au contraire, le déclenchement du différend tient en réalité au fait que la
Grande-Bretagne s'est rendu compte que, selon toute probabilité, ily
aurait des revendications opposées.

56. Rien n'indique non plus que le souverain de Qatar ait considéréla
((sentence)) comme une décision inattaquable. Mêmeaprès avoir été
informédu caractère définitifde cette décision,il a exprimél'espoir que le
Gouvernement britannique reconsidérerait sa position au sujet des îles
Hawar et l'a fait à nouveau dans une lettre du 21 février 1948,après la
délimitation des fonds marins par les Britanniques en décembre 1947.

57. Compte tenu (le ce qui précède, maconclusion ne peut êtreque la
suivante: iln'y a pas plus eu de consentement de la part du souverain de
Qatar avant le début de la procédure que d'acceptation ou d'acquiesce-
ment par la suite. IIfaut beaucoup d'imagination pour dire que le sou-
verain de Qatar a d,onnéson consentement, mais, même alors,il serait
difficile de parler d'un consentement donné librement dans les délaisvou-

lus, si bien que l'issut:de la procédure lui serait opposable malgréses pro-
testations. J'estime que la Cour a bien négligéle contexte politique qui,
étant donné ce qui s'étaitdéji produit, ne laissait guère au souverain de
Qatar d'autre choix que de demander à la puissance protectrice de res-
pecter ses engagements conventionnels ((dans un esprit de justice et
d'équité)).

58. Cela ne signifie pas,à mon avis, que la décisionde 1939 est juridi-
quement dépourvue de pertinence. Pour ne citer qu'un exemple, on ne
peut pas dire que Elahreïn ait agi illégalement au sujet des îles Hawaraussi longtemps que ses actes ont étéconformes aux droits qui lui étaient
conférés.Mais cette décision n'est pas non plus à l'abri d'un examen du

juge (ce que d'ailleurs la Cour ne prétend pas) si la partie qui a étélésée
et dont le consentement était irrégulier y a exprimé son opposition en
temps voulu et a réseirvé ses droits dans les règles,comme l'a justement
fait Qatar. Je ne peux pas admettre l'allégationde Bahreïn selon laquelle
l'attitude ultérieure de Qatar signifie qu'il avait acquiescéà la souverai-
netéde Bahreïn sur les îles Hawar. Tant avant qu'après son accession à
l'indépendance, Qatar a amplement Saitsavoir qu'il ne renonçait pas à sa

prétention sur les îles.
59. Par conséquent, j'estime que la Cour aurait été parfaitement habi-
litéeà trancher la qu,cstion de la souveraineté sur les îles Hawar si elle
avait décidéqueQatar n'avait pas donnéson consentement. Compte tenu
des critères définisen droit international au sujet de la souveraineté ter-
ritoriale. la Cour aurait dû A mon sens déterminer laquelle des Parties
étaitla mieux fondéeà revendiquer les îles,comme cela lui a étédemandé

au sujet de Zubarah, qui n'a pas fait l'objet d'une décisionadministrative.
La décision de 1939 in'estrien de plus qu'un fait, qui doit bien sûr être
pris en considération. 11n'appartient pas à la Courde déterminer si elle a
été priseou non conformément au droit compte tenu des relations qui
existaient entre la puissance protectrice et les Etats protégés.

60. Ce qui distingue le différendqui oppose les Parties au sujet des îles
Hawar de celui portant sur Zubarah, c'est qu'il n'a surgi qu'une fois la
région devenue économiquement intéressante en raison de l'importance
croissante du pétrole. Ce différend s'est donc inscrit d'emblée dans un
contexte moderne.

Les compagnies pétrolières (occidentales) souhaitaient obtenir des
concessions sur des secteursclairement définis etse les voir accordéespar
une autorité ayant sur ces secteurs un titre de souveraineté territoriale de
préférenceincontesté. Les différends qui pouvaient éventuellement oppo-
ser les entitéshabilitees à octroyer une concession pour l'exploitation de
ressources naturelles concernaient le tracéprécisde frontières ou la sou-
verainetésur des zones bien définies etse prêtaienten principe a un règle-

ment conforme aux règleset aux principes du droit international contem-
porain.
61. 11ne faut cependant pas perdre de vue que, si le différend lui-même
apparaît comme étant bien de son siècle,ses origines remontent loin dans
le temps. En I'espéce, lesdeux Parties fondent leurs revendications terri-
toriales sur des arguments qui font souvent intervenir des notions de

droit international contemporain. Elles soutiennent ou réfutent,par exem-
ple, que certains actes, accomplis au XIX' siècleou dans les premières
décenniesdu XX', sont des preuves de possession à titre de souverain. Il
n'en convient pas inoins de garder constamment à l'esprit, en éva-
luant ces arguments, que, comme l'a dit le Tribunal arbitral qui a eu iiconnaître de l'affaire Cliar/AjahlDoubuï,«il serait extrêmement artificiel
d'appliquer les règles du droit international sous leur forme contempo-
raine à des populations qui, jusqu'à une date très récente, avaient une

conception totalement différente de la souveraineté)) (Awurd, Interna-
tionul Luii Reporls, vol. 91, p. 587).
62. Ainsi que je l'ai déjà indiqué, ce serait un anachronisme que
d'interpréter I'accord conclu en 1868par la Grande-Bretagne avec le chef
Al-Thani a Doha comme conférant à ce dernier un titre de souveraineté
sur l'ensemble de la péninsule, y compris les îles Hawar. Il est tout sim-
plement impossible de soutenir que les îles Hawar ont fait partie inté-

grante deQatar dès sa prétendue création en qualitéd'Etat souverain en
1868 et que Bahreïn doit fournir la preuve d'actes de possession bien
antérieurs à titre de souverain pour faire admettre que sa revendication
est la mieux fondée.
63. Mêmeen supposant, pour les besoins de la démonstration, que
Qatar détienne un titre originaire en vertu de l'accord de 1868, pris

conjointement avec les accords conclus entre la Grande-Bretagne et
Bahreïn. cela ne suffirait oas en soi à faire échecà une revendication de
Bahreïn fondéesur des actes d'autorité accomplis de longue date, a moins
que Qatar lui-mêmene soit en mesure de prouver avoir exercéune cer-
taine autorité sur les îles. Comme l'a dit M. Huber (au sujet de l'occupa-
tion) dans l'affaire de 1'11~de Paltnus:

«L'insistance croissante avec laquelle le droit international .. a
demandéque l'occupation soit effective serait inconcevable si l'effec-

tivité n'étaitexigéeque pour l'acte d'acquisition et ne l'étaitpas éga-
lement pour le maintien du droit.)) (Revue de droit internutionul
public, troisième série,t.IX, p. 164.)

64. Or, Qatar n'a pas été en mesure d'établir des faits apportant la
nreuve du maintien effectif et continu du droit aue lui aurait conféréson
prétendu titre originaire. Pourtant, il a Sait valoir que ce titre sur les îles
Hawar était confirmé par le principe de proximité ou de contiguïté. Et,
du point de vue géographique, ilest incontestable que les iles Hawar
appartiennent à la pé,ninsule - ou en font même partie - non seulement

Grce qu'elles en sont très proches, mais aussi parce qu'elles forment un
chapelet le long de Iicôte.
65. Bien qu'il ne soit pas inconnu en droit international, le principe de
contiguïté n'est cependant rien de plus qu'une présomption. Pour citer à
nouveau M. Huber dans la sentence rendue en l'affaire de l'lle de Palmas:

«comme règleétablissant ipsojure une présomption de souveraineté
en faveur d'un Eitatdéterminé,ce principe viendrait contredire ce qui
a été exposé en ce qui concerne la souveraineté territoriale et en ce

qui concerne la relation nécessaireentre le droit d'exclure les autres
Etats d'une région donnée et le devoir d'y exercer les activitéséta-
tiques)) (Revuc de droit inrrvnationul public, troisième série,
t.IX, p. 182). DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP. IND. KOOIJMANS) 242

66. Il a été souventrelevéque, dans le paragraphe que je viens de citer,
M. Huber semble parler uniquement des îles situéesIrorsdes eaux terri-
toriales, ce qui autoriserait une interprétation a contrurin pour les îles
sises dans les eaux territoriales d'un Etat. Mais le raisonnement de
M. Huber s'applique aussi bien à ces dernières. Le facteur décisifpour
exclure les prétentionisd'autres Etats est l'exercice d'activités étatiques.

Tel semble êtreaussi le point de vue du Tribunal arbitral qui, dans
l'affaire Erj,t/rr&Yl4nrc.n.a indiqué :

<<[i]lest donc jusqu'à un certain point possible de présumerque toute
(les italiques sont de moi) île situéeau large d'une des côtes peut être
considéréecomme appartenant à cette côte en tant que dépendance
sauf si 1'Etat sur le territoire duquel se trouve la côte opposée a pu

démontrer qu'il avait un titre manifestement meilleur» (Sentc~17c.~.
Prer?ii>rcphrrsc..par. 458, p. 121 ).
67. A l'appui de sa revendication concernant les îles Hawar, Qatar a

é"alement soumis un nombre im~ressionnant de cartes et d'autres docu-
ments cartographiques dont la grande majorité montre de façon convain-
cante que, bien avant la décision britannique de 1939, ces îles ont été
considéréescomme appartenant ii ce qui a fini par devenir 1'Etat de
Qatar. Les élémentsde preuve cartographiques présentéspar Bahreïn ne

sont, pour ne pas dire plus, ni nombreux ni clairs.
68. Il ne paraît pas nécessairede rappeler très longuement ce qu'a dit
la Chambre de la Cour de la valeur des preuves cartographiques dans
l'affaire du Di/fGrc>nrl,/iol7tulie(B~rrh--in(F/~isolR&pz~hliqudc~ Muli), à
savoir que les cartes ne sauraient constituer un titre territorial et ne sont

généralementque des élémentsde preuve extrinsèques auxquels il peut
êtrefait appel. parmi d'autres élémentsde preuve de nature circonstan-
cielle, pour établir01) reconstituer la matérialité des faits(C.I.J. Rec.trci1
1986, p. 582, par. 54).Qatar n'ayant pas étéen mesure, selon moi. de
démontrer qu'il a un titre sur les îles Hawar reposant sur l'exercicede son
autorité mêmede la façon la plus limitéeet selon un mode d'acquisition

juridiquement admis. j'estime que les donnéescartographiques ne doivent
pas êtreprises en compte.
69. Cela ne signifie pas qu'il ne pourrait pas être souhaitable de cher-
cher à expliquer la constance vraiment remarquable avec laquelle les
cartes semblent attribuer les îles Hawar à Qatar; mêmesi cette constance

tient en partie à ce que les cartographes se réfèrentsouvent à des cartes
existantes et jusqu'à un certain point les copient, cette explication n'est
certainement pas la :jeule.
70. 11est peut-êtreplus significatif que la plupart des cartographes de
cette époque étaient des Occidentaux qui avaient l'habitude de se fonder
sur des données généralement disponibles qu'ils pouvaient compléter

grice à leur savoir et à leurs propres travaux, et de présumer l'existence
d'entités territoriales bien définies. S'ilfaut établir des cartesd'une région
où iln'existe pas de frontières précises etoù le pouvoir étatique ne reposepas en premier lieu slur l'exclusivitéterritoriale, il n'est que logique de
supposer que des îles qui ne sont guère peupléeset/ou ne le sont pas en

permanence et qui sont situéesà proximité de la côte du territoire conti-
nental font partie de cteterritoire. Mais une telle carte reflètedavantage la
situation géographique que la situation politique, pour la simple raison
que cette dernière est 1:ropopaque pour êtrereprésentéecomme on le fait
traditionnellement et de facon aisément reconnaissable.
71. 11paraît donc utile de donner tout leur poids aux termes employés

par M. Huber dans l'affaire de I'Ilc IIPPulmus:
((Lorsque l'arbitre est convaincu de I'existence de faits juridiques
déterminants qui contredisent les affirmations de cartographes dont

les sources d'information ne sont pas connues, il est libre de n'atta-
cher aucune valeur aux cartes, si nombreuses et appréciéesqu'elles
puissent être.» (~Peijucl(>droit interr~utinizplublic,troisième série,
t. IX, p. 180.)

Il faut donc examiner maintenant la liste des effectivités soumise par
Bahreïn pour déterminer si la conclusion de M. Huber est valable en
l'espèce.
72. Tout comme pour Zubarah, Bahreïn fonde l'essentiel de son argu-
mentation au sujet des îles Hawar sur I'existence de liens d'allégeance

entre le souverain de Bahreïn et les tribus qui s'étaient installéessur l'île
Hawar, en particulier les Dowasir. IIs'est donné beaucoup de peine, non
seulement pour prouver ces liens d'allégeance mais aussi pour présenter
les effectivitésqui attestent que son autorité se manifestait et s'exerçait
véritablement.
73. Pour la périodequi a précédé 1936, c'est-A-direl'annéeoù est néle
différend.ces effectivités~araissent au mieux nébuleuseset incertaines. et

reposent souvent sur des informations données par des étrangers d'après
ce qu'ils avaiententendu dire. II ne fait cependant aucun doute que des
liens existaient entre l'île principale de Bahreïn, en particulier la ville de
Zellaq (agglomératiori où l'on trouvait le plus de Dowasir), et l'île Hawar,
où se rendaient périodiquement ces Dowasir. Les élémentsde preuve pré-
sentésà la Cour n'indiquent pas aussi clairement si cela se concrétisait en

((liensd'allégeance))au souverain de Bahreïn, encore que ce ne soit certes
pas inconcevable puisque leur principal lieu de résidenceétaità Bahreïn,
qu'il n'y avait dans la régionpas d'autre souverain auquel ils auraient pu
êtreprêts A faire allégeance. et qu'en tout cas ils ignoraient sans doute
I'existence mêmedu souverain de Doha puisque la zone côtière faisant
face aux îles Hawar etait inhabitée.
74. 11 est vrai que ces liens n'ont pas été stables et ont parfois été

coupés temporairemt:nt, ce qui n'avait rien d'inhabituel dans la région.
Ainsi. au cours des années 1920, i la suite d'un conflit entre le souverain
de Bahreïn et les Dclwasir de Zellaq, ceux-ci quittèrent l'île de Bahreïn
pour la péninsule Arabique et ne retournèrent finalement à Bahreïn
qu'après plusieurs années. Il est cependant fort improbable que les habi-
tants de Hawar, qui ne pouvait guère êtrequalifié de lieu hospitalier,aient pu se maintenir sans une base arrière sur l'îlede Bahreïn qui étaitle
seul endroit vers lequel ils pouvaient se tourner.
75. Mais ce sont le:$effectivités,présentéescomme preuve de l'exercice
d'une autorité, qui sont moins convaincantes. II est maintenant tout à

fait manifeste qu'Hawar a bien été habitée,du moins périodiquement,
comme en témoigne la présence de citernes, de maisons, de cimetières,
etc. Rien ne permet non plus de douter que des mesures aient étéprises de
temps à autre par des responsables bahreïnites face à des événements
ayant eu lieu à Hawair. II est par contre beaucoup moins évidentque cela
montre bien que le souverain de Bahreïn considérait les îles Hawar

comme faisant partie de son domaine; aucune preuve n'a été fourniede
manifestations continues d'autorité et rien n'atteste que les habitants de
Hawar s'adressaient de leur propre initiative au souverain de Bahreïn
quand ils pensaient avoir besoin d'une aide.
On notera à cet égardqu'avant 1936 Hawar n'a jamais été mentionnée
dans les rapports anriuels établispar les autorités bahreïnites.
76. Ainsi, A première vue, les effectivités présentéespar Bahreïn ne
paraissent guère suffisantes pour apporter des preuves concluantes de

l'existence des deux éléments évoquép sar la Cour permanente de Justice
internationale dans I'affaire du GroPtzlundoriPnrul,à savoir «l'intention
et la volonté d'agir einqualité de souverain, et quelque manifestation ou
exercice effectif de cette autorité)) (C.P.J.I., sc;rieAIB 53, p. 45-46),
mêmesi ces effectivittJsl'emportent de beaucoup sur celles dont a fait état
Qatar. Ces deux concepts doivent toutefois être rapportésau contexte
juridique et politique de l'époqueet de la régionconcernées,et il est cer-

tain qu'ils avaient alors dans la régiondu Golfe une connotation qu'ils
n'avaient pas dans les relations entre Etats occidentaux et européens.
Aussi serait-il à mon avis erroné en l'espèced'établirun parallèle avec la
conclusion de la Courdans I'affaire de l'llc)de K~~sikililSedudu(Boot.sti~crtiu1
Numihic)) selon laqut:lle, mêmesi des liens d'allégeanceavaient pu exister
entre la tribu des Maiiubia et les autorités du Capriiln'étaitpas ((établi
que les membres de cette tribu occupaient l'îleA titre de souverain, c'est-

à-dire y exerçaient des attributs de la puissance publique au nom de ces
autorités)) (cirr?r,C.J. Rccueil 1999 (Ilj, p. 1105, par. 98). Dans cette
affaire, les autorités concernées étaient celles de puissances coloniales
européennes parfaitement familiarisées avec les notions de souveraineté
et de compétence exclusive.

77. En l'espèce,la conclusion de la Cour permanente dans I'affaire du

Gro2nl~lndori~ntul paraît beaucoup plus appropriée:

((11est impossible d'examiner les décisions rendues dans les af-
faires visant la souveraineté territoriale sans observer que, dans beau-
coup de cas, le i.ribunal n'a pas exigéde nombreuses manifestations
d'un exercice de droits souverains pourvir que I'LIU~YE t>t en cuuse
ne pût jirirc vuloir une prktention .supc;ricu». (C.P.J.I., .sc;rieAIB

n" 53, p. 46; les italiques sont de moi.) DELIMITATION ET QUESTIONS (OP.IND. KOOIJMANS) 245

La conclusion qui s'impose selon moi est qu'il n'est pas nécessaire
d'exiger de Bahreïn «de nombreuses manifestations d'un exercice de
droits souverains)) puisque l'autre Etat. Qatar, «[n'a pu] faire valoir une
prétention supérieure)). Tertiuin no17datlrr d'après les conclusions des

deux Parties.
78. En d'autres termes. l'année 1916, qui a marqué le retrait définitif
des Ottomans de la péninsule et l'établissement d'une relation spéciale
avec la Grande-Bretagne, peut êtreconsidéréecomme l'annéeoù Qatar,
en quelque sorte, est arrivéà l'âge de la maturité et où un titre juridique

complet sur l'ensemble de la péninsule lui a étévirtuellement attribué.
Alors que Qatar, aussi bien avant 1916(quand ce titre virtuel n'était pas
encore complet en raison de la souveraineté ottomane) qu'après. a réussi
à consolider son autorité dans la régionde Zubarah, il n'ajamais cherché
à le faire autant dans les îles Hawar. Le ca~ital assez mince d'effectivités

constitué par Bahreïri pendant cette période doit êtreréputé l'emporter
sur le titre virtuel de Qatar, qui n'a à son actif pas la moindre trace de
manifestation d'autorité.
79. C'est pour ces raisons que je me rallie à la conclusion de la Cour,

au paragraphe 2 du dispositif de l'arrêt,selon laquelle Bahreïn a souve-
raineté sur les îles Hawar. J'ai jugé nécessaired'exposer les motifs qui
m'ont amenéà cette iconclusion puisque je suis en désaccord avec le rai-
sonnement de la Cour.

VII. LA QUESTION DE JANAN

80. La question de savoir à laquelle des Parties appartient l'île de
Janan est assez singulière. Bahreïn a fondé sa revendication sur le fait que

l'île n'était pas~~'cc~ldu groupe des Hawar lorsque le Gouvernement
britannique a décidé, en juillet1939, que les îles Hawar appartenaient à
Bahreïn. Pour sa part, Qatar s'appuie sur le fait que Janan n'était pas
expressément incluse dans le groupe des Hawar quand la Grande-

Bretagne a rendu sa ((décision » sur la division des fonds marins entre les
Parties en décembre 1947.
81. Ces interprétations différentes de la position du Gouvernement
britannique sont apparemment la principale - sinon la seule - raison
pour laquelle la souveraineté sur l'îledeJanan a étéprésentéecomme une

question distincte. Sur le fond, les Parties invoquent les mêmesarguments
que ceux au sujet clu groupe des Hawar dans son ensemble: Qatar
s'appuie avant tout s,urle principe de proximité et Bahreïn sur ses alléga-
tions relatives à ses rrianifestations de souveraineté. Il n'y a aucune raison
pour que mon point de vue sur ces questions au sujet des îles Hawar en

généralchange quand il s'agit de l'île de Janan en particulier.
82. Aussi le seul problème qui demeure est-il le suivant: comment
faut-il traiter les positions apparemment discordantes que le Gouverne-
ment britannique a prises en 1939 et en 1947. Quelles en sont les impli-
cations sur le plan du droit? 83. Les lettres adressées le1 juillet 1939aux souverains de Bahreïn et
de Qatar se bornaient à mentionner ((l'appartenance des îles Hawar»
sans expliquer pourq~ioi il avait été décidde les attribuer à Bahreïn.
Il est plus significatif que la lettre adressée par l'agent politique à

Bahreïn, sir Hugh Weightman, au résident politique dans le Golfe, où
sont exposésles motifs de la décisionbritannique, n'ait pas fait étatd'une
position spécialeau s~ijetde I'îlede Janan (arrêt, par. 128). L'histoire des
concessions pétrolièresnégociéesdurant les années trente montre pour-
tant a l'évidenceque Janan était considéréecomme faisant partie du
groupe des Hawar. C'est ce que confirme une lettre adressée en 1947 à

I'India Office par le colonel Hay. résident politique dans le Golfe. For-
mulant ses recommandations au sujet du partage des fonds marins, il
écrivait: ((Je dois appeler l'attention sur le fait que Janan a étéincluse
dans la zone à propos de laquelle la Petroleum Concessions Limited
négociait avecle Gouvernement de Bahreïn en 1938-1939.»
84. A mon avis, Bahreïn avait toutes les raisons de croire que la déci-
sion britannique incluait Janan dans le groupe des Hawar et qu'il avait

donc souveraineté sur elle. Le souverain de Qatar n'avait quant à lui
aucune raison de penser que l'île n'étaitpus incluse et ses lettres et pro-
testations de l'époquene la mentionnent pas expressément.
85. La lettre adresséele 23 décembre 1947 aux souverains de Bahreïn
et de Qatar, où est exposéle point de vue du Gouvernement britannique
sur la délimitation des fonds marins, est le tout premier document faisant

expressément mention de I'île de Janan, qu'elle exclut du groupe des
Hawar. Son statut juridique n'est pas trèsclair. II est indiquédans le para-
graphe d'introduction qu'indépendamment de toute autre considération
(sans plus de précisionsà leur sujet) une délimitation des fonds marins est
jugée nécessaire en raison des activités des sociétés pétrolièresdans les
territoires de Bahreïn et de Oatar.
86. Bien que le paragraphe 3 de la lettre parle de ((cette décision)),les

mots et expressions iitilisésindiquent bien qu'elle ne fait que refléterle
point de vue di1Gouvernement britannique sur les droits souverains que
détiennent déjàles Parties. Elle ne peut donc êtreconsidéréecomme un
instrument attribuant ces droits. IIest expressément indiqué au para-
graphe 4 qu'il est reconnu que le cheikh de Bahreïn a des droits
souverains sur les îles Hawar, et que ((l'îlede Janan » n'est pas considérée
comme en faisant partie. Par conséquent, cette lettre peut êtreconsidérée

au mieux comme une interprétation (tardive) de la décision prise en
1939 par les autorités britanniques et non comme une note rectificative
ayant force obligatoire.
87. Les raisons pour lesquelles Janan a été détachée du groupe des
Hawar sont données dans l'avis de l'agent politique à Bahreïn en date du
31 décembre 1946 el. récapituléesdans une lettre du résident politique

dans le Golfe en date du 18 janvier 1947. Je ne les trouve pas très
convaincantes. Le facteur décisifsemble avoir étéque le chenal qui sépare
Hawar (île principale du groupe) deJanan constituait l'accèsprincipal au
débarcadèrede la sociétépétrolière PCL dans la baie deZakarit (Zukrit),au large de la côte continentale de Qatar. II n'étaitpas jugésouhaitable
que Bahreïn puisse blioquer cet accès, ce qu'il lui aurait étéloisible de

faire s'il avait eu souveraineté surHawar et Janan. Cette décision adonc
étéprise sur la base de considérations politiques qui, en outre, n'étaient
pas encore 6 l'ordre du jour quand, en 1939, la Grande-Bretagne a
attribué le groupe des Hawar à Bahreïn.
88. 11paraît justifie: de conclure que, jusqu'en 1947, Janan fut consi-
déréecomme faisant partie du groupe des Hawar par les autorités bri-

tanniques, ainsi que par Bahreïn et Qatar. On peut à cet égard faire
remarquer que, lorsque Bahreïn installa des balises sur I'îlede Janan après
la décisionde 1939,les autorités britanniques, informées, neprotestèrent
pas. Mêmesi les manifestations d'autorité étatique de Bahreïn doivent
êtreconsidérées comrne assez faibles en ce qui concerne I'île principale,
rien ne semble devoir justifier que l'une des petites îles soit détachéedu

groupe, à moins que Qatar ne soit en mesure de démontrer qu'il a une
prétention plus solide sur cette île-16.Puisque tel n'est pas le cas, Janan
doit êtreconsidéréecomme faisant partie des Hawar et, en conséquence,
comme relevant de la souveraineté de Bahreïn. Peu importe, à mon sens,
que ce soit là une application du principe de l'uniténaturelle ou physique
d'un groupe d'îles, ce principe étant au mieux une présomption réfutable

qui, en soi, ne peut créerde titre. Ce qui est décisif, c'estque dans le cou-
rant des années trente, lorsque le différend est né, les deux Parties, de
mêmeque la puissance protectrice. n'ont jamais considéréI'îlede Janan
comme distincte du groupe. Puisque Janan doit êtreconsidéréecomme
faisant partie des Hawar sur lesquelles Bahreïn a souveraineté, j'ai voté
contre le paragraphe 3 du dispositif de l'arrêt.

REMAROU FENALE

89. Bien que je souscrive pleinement au raisonnement de la Cour sur la
délimitation maritime et que j'aie également votépour le paragraphe 6 du

dispositif de l'arrêtilest presque superflu de préciserque je ne saurais
donner mon assentiment en ce qui concerne la partie de la limite mari-
time unique qui pasije, en direction de l'ouest, entre Jazirat Hawar et
Janan. Puisque Janar~fait selon moi partie des Hawar et appartient donc
à Bahreïn, la limite devrait passer, en direction du sud-ouest, entre Janan

et la côte de la pénin,iule.Mais la Cour ayant décidéque Janan apparte-
nait à Qatar et tracé la frontière maritime en conséquence,je n'ai pas vu
de raison d'exprimer mon légerdésaccord par un vote négatif.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF JUDGE KOOIJMANS

Historical context of dispute - Character of Britishpolicy in Gulfregion -

Maritime security main policy goal - Treaty-relations ivith local rulers -
Non-territorial characterof these relations - Absence of colonialstructures -
Political and legal changesas a result of discovery ofoil- Legalframework of
treaty relationskept unchanged - Evolution of modern conceptof State - No
discontinuance of State identity after termination of status British protected
State.

Non-applicability of principle of uti possidetisjuris - No transfer of sover-
eignty - No transformation administrative boundaries - 1939 decision deter-
mined international boundary.
Characterofrelationship Protecting Power - Protected States - No treaty-
based right for Great Britain to decide unilaterally matters of territorial sov-
ereignty - Either consent of local rulersor suhsequent acceptanceor acquies-

cence required.

Zubarah - Dispute not territorially deJined - Ties of allegiance of Naim
tribe with Ruler of Bahrain - Gradua1consolidation of Qatar authority -
Acquiescence by Bahrain.
Hawar Islands - 1939decisionno arbitralaivard - Characterof procedure

leading to 1939 decision - No consent by Ruler of Qatar in 1938 - No sub-
sequent acceptanceor acquiescence.Qatar'sclaim based on originaltitle by vir-
tue of 1868agreement andproximity principle - No evidenceof Qataridisplay
of authority - Irrelevanceof cartographicevidence-Bahruin's claim based on
ties of allegiance with Doivasirand effectivités.

Janan - not excludedfrom Hairar group in 1939 decision - Character of
1947 decision -Detachment from group notjust$ed

1. Although 1 have voted in favour of al1but one of the operative pro-

visions of the Judgment which deal with the territorial aspects of the dis-
pute between Qatar and Bahrain, 1cannot associate myself with the rea-
soning which lies at the basis of a number of these provisions. Espe-
cially with respect to the issue of sovereignty over the Hawar Islands

and over Janan, the Court has in my view taken an unduly formalistic
approach by basing itself exclusively on the nature and the legal effect
of the so-called 1939 decision of the British Government. OPINION INDIVIDUELLE DE M. KOOIJMANS

Contexte historique du dijférend - Politique britannique dans la région du
Golfe - La sécuritémaritime comme principal objectif politique - Relations
conventionnelles avec les souverains locaux - Caractèrenon territorial de ces
relations - Absence de structures coloniales - Cl~angementspolitiques etjuri-

diques a la suite de la découvertede pétrole - Cadrejuridique des relations
coni~entionne1le.rvestéiuchangé - Ei'olution vers une conception moderne de
I'Etat - Maintien de l'l:dentité étatiqueaprèsqu'ila étémisfin au statut d'Etat
protégépar les Britanniques.
Non-applicahilitédu principe de I'uti possidetis juris - Pas de transfert de

souveraineté - Pas de modijïcation desfrontières administratives - La déci-
sion de 1939 a établilafrontière internationale.
Nature de lu relation entre la puissance protectrice et les Etats protégés -
Aucun trait4 ne confèrc ù la Grande-Bretagne le droit de déciderunilatérale-
ment de question.^de souveraitzetéterritoriule - Nécessitédu consentement des
souverains locaux ou, sinon. de leuracceptation ou de leur acquiescement ulté-

rieurs.
Zuharah - Pas de définitionterritoriale du diffërend - Allégeance dela
tribu des Naim au soui~~rainde Bahreïn - Consolidationprogressive del'auto-
ritéde Qatar - Acquii?scementde Bahreïn.
Iles Hawar - La déc:ision de 1939n'est pas une sentence arbitrale - Nature

de la procédure qui a da?houchtsur la décision de 1939 - Pas de consentement
du souverain deQatar en 1938 - Pus d'acceptation ou d'acquiescement ulté-
rieurs. Revendication dl?Qatarfondéesur un titre originaire en vertu del'accord
de 1868 et sur le principe deproximité - Pas de preuve demanqestations
d'autoritéde Qatur - Preuves cartographiques non pertinentes Revendica-
tion de Bahreïnfondée sur des liens d'allégeanceavec les Doivusir et les eflec-

tivités.
Janan - Non exclue du groupe des Haivar dan.^la décision de 1939 -
Nature de la décisionde 1947 - Détachementdu groupe nonjustiJîé.

1. Bien qu'ayant votépour tous les paragraphes du dispositif de l'arrêt
relatifs aux aspects territoriaux du différend entre Qatar et Bahreïn, à
l'exception d'un seul, je ne peux m'associer au raisonnement sur lequel se

fondent plusieurs d'e:ntreeux. S'agissant surtoutde la souveraineté sur les
îles Hawar et sur Janan, la Cour a, selon moi, suivi une démarche exces-
sivement formaliste en se fondant exclusivement sur la nature et l'effet
juridique de la prétendue décision de 1939 du Gouvernement britan-

nique. To a certain extent this formalistic approach is also reflected in the
Court's position on sovereignty over the Zubarah region, although the
(former) Protecting Power never took a decision on the issue, as it did in
the case of the Hawars. Nevertheless the Judgment seems to give more
weight to the position taken by that Protecting Power than to considera-
tions of substantive law, in particular those on the acquisition of terri-
tory.
2. As a result,the Judgment has a rather ambiguouscharacter. Whereas
the part devoted to maritime delimitation deals with substantive rules of
the law of the sea, includingrules regarding the (quasi-)territorial dispute
about which Party has sovereign rights over Qit'at Jaradah and Fasht ad

Dibal, the part devoted to territorial questions is singularly devoid of
considerations on the substance of the law. It deals mainly with the legal
effects to be attributed to the position adopted by a third State(Zubarah)
or the decision taken by it (on the Hawars and Janan); this third State
has beyond any doubt been a factor of primary importance in the history
of the Parties and relations between them, but has certainly not exclu-
sively determined those relations. The past surely casts a long shadow
over present and future relations between the Parties but the Court
singled out only one element from it.

3. Tt could be argued that this ambiguous character stems from the
nature of the dispute before the Court. The land dominates the sea -
territorial issues determine matters of maritime delimitation. Territorial
disputes have their roots in the past whereas maritime delimitation is
future-oriented once the territorial issues have been settled.

4. It is by no means my intention to suggest that the historical aspects
should not be considered. On the contrary, only by taking into account
the full spectrum of the Parties' history,can their present rights be prop-

erly evaluated. By not giving the full historical context its due, however,
the Court has in my opinion unnecessarily curtailed its scope for settling
the dispute in a persuasive and legally convincing way. To elucidate my
viewpoint, 1will start with some remarks on the historical context of the
dispute, although 1 certainly do not pretend to be an expert on the his-
tory of the Gulf region.

II. THEHISTORICA CLONTEXT

5. "[Tlhe concept of a State with clearly definedboundaries was totally
alien to the political notions of the rulers and the tribes of theea.
Political boundaries were dependent on tribal loyalties to particular
shaikhs and consequently were subject to frequent change . . .a Dans une certaine mesure, ce formalisme se retrouve également dans la
position adoptée par la Cour au sujet de la souveraineté sur la régionde
Zubarah, bien que l'(ex)-puissance protectrice n'ait jamais pris de déci-

sion ce sujet, comme elle l'a fait pour les Hawar. Néanmoins, l'arrêt
semble donner davantage de poids a la position de cette puissance pro-
tectrice qu'à des considérations de droit positif, en particulier celles rela-
tives à l'acauisition de territoires.
2. En conséquence, l'arrêtrevêt uncaractère assez ambigu. Alors que
la uartie consacrée a la délimitation maritime traite de dis~ositions de

fond du droit de la mer, y compris pour le différend(quasi) territorial sur
la question de savoir laquelle des Parties a des droits souverains sur
Qit'at Jaradah et Fasht ad Dibal, celle qui porte sur des questions terri-
toriales est singulièrenient dépourvue de considérations sur le droit appli-
cable. Elle traite surtout des effets juridiques qu'il convient d'attribuer à
la position (au sujet deZubarah) ou à la décision(au sujet des Hawar et

deJanan) qu'un Etat tiers a prises; cet Etat tiers a sans aucun doute joué
un rôle primordial dans l'histoire des Parties et les relations entre elles,
mais il n'a certainement pas déterminé à lui seul le cours de ces relations.
A n'en pas douter, le passépèse beaucoup sur les relations actuelles et
futures entre les Parties, mais la Cour a choisi de n'en retenir qu'un élé-
ment.

3. On pourrait faire valoir que cette ambiguïté tient à la nature même
du différend porté devant la Cour. La terre domine la mer - les ques-
tions territoriales déterminent les questions de délimitation maritime. Les
différendsterritoriaux ont leur origine dans le passéalors que les délimi-
tations maritimes sorit orientées vers l'avenir et interviennent une fois
réglésles problèmes de territoire.

4. Il n'entre certes pas dans mes intentions de laisser entendre qu'il ne
faut pas tenir compte des aspects historiques de l'affaire. Au contraire, ce
n'est qu'en se référant à toutes les facettes de l'histoire des Parties qu'il
est possible de bien évaluerles droitsqui sont actuellement les leurs. C'est
justement parce qu'elle n'a pas pleinement tenu compte du contexte his-

torique que la Cour, a mon avis, a restreint inutilement les possibilitésqui
lui étaient offertes de réglerle différend d'une façon qui emporte I'adhé-
sion et soit juridiquement convaincante. Afin d'expliquer mon point de
vue, je commencerai, sans prétendre aucunement être un spécialistede
l'histoirede cette région, par quelques observations sur le contexte histo-
rique du différend.

5. «[L]'idée d'un Etat aux frontières bien définies était totalement

étrangère à la pensée politique des souverains et des tribus de la
région. Les frocitièrespolitiques dépendaient des liens d'allégeance
des tribus à tel ctutel cheikh et étaient donc susceptibles de se modi- tribe'sloyalty was determined by its own interests and could, and at
this time often did, alter."'

This quotation from a book by an Arab author on the history of the
Gulf area seems to give an accurate picture of the situation in the region
concerned in the not too distant Dast.
6. Colonization, which was such an overriding factor during the nine-
teenth century in other parts of the world, only had a limited effect in the
Gulf region. The Western Power which had continuously expanded its
influence in the area, Great Britain, never occupied the various sheikh-

doms located on the Arab side of the Gulf, encapsulating them in its
colonial empire. For reasons which do not need to be analysed here, the
British ~overnment preferred to enter into treaty relations with the local
rulers and to keep these treaty relations intact, instead of allowing them
to be gradually overgrown by administrative structures of the colonial
type, as for instance was the case in parts of sub-Saharan Africa.
7. Since the main concern of the British in the nineteenth century was
maritime security rather than natural resources, they obtained - and
sometimes even imposed - commitments from the local rulers to abstain
from acts of piracy and other activities which might endanger maritime
peace. They had to intervene from time to time in situations of conflict
between the local rulers themselves and to take appropriate measures to

settle a dispute inorder to prevent it from jeopardizing peace at sea and
the safety of the Gulf as a major commercial route. A case in point is the
difficulties between the Al-Khalifahs of Bahrain and the Al-Thani of
Qatar in the second half of the nineteenth century which culminated on
various occasions in clashes around (1 do not use the word "about"
advisedly) Zubarah.

8. It was in the interest of the British to prevent the existence of
overlapping zones of influence for the local rulers since this could lead
to competition and tension. Zubarah was an obvious candidate for
becoming such an overlapping zone of influence and both in the 1870s
and in 1895 the British took measures to nip an armed conflict in the

bud, the first time to the detriment of the Ruler of Bahrain, the second
time to the detriment of the Ruler of Qatar. In both cases, an impor-
tant factor for the British was also presumably that a clash between the
two Rulers would in al1probability also have led to problems between
the British Government and the Ottoman Empire, which in the second
half of the nineteenth century tried to re-establish its control over the

Muhammed Morsy Abdullah, The UriiredArub Emirures: A Modern Historj, 1978.
p. 291.quoted by Mr.John L. Simpson, QC, in his dissentingopinion to the Award of the
Court of Arbitration in theDlihailShayjalt Border case (Internutionul Lair Reports
(ILRI. Vol. 91. p. 681). DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.IND.KOOIJMANS) 227

fier fréquemment ...L'allégeanced'une tribu était fonction de ses
intérêtset pouvait donc se déplacer,ce qui se produisait souvent à
cette époque.))'

Ces quelques lignes extraites d'un ouvrage d'un auteur arabe sur I'his-
toire de la régiondu <;elfeme paraissent donner une image exacte de la
situation qui régnaitdans la régionil n'y a pas si longtemps.
6. La colonisation, qui a eu une telle importance au XIXe siècledans
d'autres parties du monde, n'a eu qu'un impact limitédans la régiondu
Golfe. La puissance occidentale qui n'a cesséd'étendreson influencedans
la région,à savoir la Grande-Bretagne, n'a jamais occupéet englobédans

son empire colonial les différentsémiratsde la rive arabe du Golfe. Pour
des raisons qui n'ont pas à êtreanalyséesici, le Gouvernement britan-
nique a préféré conclure des traités avec les souverains locaux et conser-
ver intactes ces relations conventionnelles plutôt que les voir progressi-
vement remplacées palr des structures administratives de type colonial
comme dans certaines parties de l'Afrique subsaharienne.
7. Au XIXe siècle, lesBritanniques étaient davantage soucieux de pré-
server la sécurité maritime que d'exploiter des ressources naturelles. Ils
obtinrent des souverains locaux - et parfois mêmele leur imposèrent -
qu'ils s'engagentà ne pas commettre d'actes de piraterie et à s'abstenir de
mener d'autres activitks qui risquaient de compromettre la paix sur mer.

Ils durent intervenir de temps à autre dans des conflits entre les souve-
rains locaux eux-mêmes etprendre les mesures voulues pour régler un
différendavant qu'il rie mette en périlla paix maritime et la sécuritédu
Golfeen tant que grande route commerciale. En témoignent justementles
difficultésqui surgirent entre les Al-Khalifah de Bahreïn et les Al-Thani
de Qatar dans la secoindemoitiédu XIX' siècleet donnèrent lieu à plu-
sieurs reprisesà des affrontements autour de (c'est sciemment que je ne
dit pas (<ausujet de») Zubarah.
8. Il était dans l'intérêtdes Britanniques d'empêcherque les zones
d'influencedes souverains locaux n'empiètent les unes sur les autres et ne
soient ainsi des source:sde rivalitéet de tensions. Zubarah était particu-

lièrement bien placéepour devenir une pomme de discorde et, au cours
des années 1870 comine en 1895, les Britanniques prirent des mesures
pour étoufferdans l'ot:ufun conflit armé,d'abord au détriment du sou-
verain de Bahreïn et einsuiteaux dépensde celui de Qatar. Dans les deux
cas, il est vraisemblable que les Britanniques furent égalementpoussés à
intervenir par la crain-tequ'un affrontement entre les deux souverains ne
créeaussi des problènnesentre eux-mêmeset l'Empire ottoman qui, au
cours de la seconde moitié du XIXe siècle, cherchait à rétablir sa

p. 291,citépar John. Sinipson, QC, dans son opinion dissidente au sujet de la sentence
du Tribunal arbitral dans l'affairedu DqJérendfrontalier entreDoubaïet Churdjah(Inter-
national LUM. eports, vol. 91. p. 681).228 DELIMITATION AND QUESTIONS (SEP.OP.KOOIJMANS)

Arabian peninsula of which the Qatar peninsula was considered to be
part.
9. The British attitude may be seen as a recognition of Turkish
suzerainty over certain parts of the Gulf region; it would, however, be
an unwarranted assumption to interpret this attitude as a recognition of
claims of sovereignty or of territorial boundaries between the various
sheikhdoms. As the Arbitral Tribunal in the case between Eritrea and
Yemen said:

"the Tribunal has been aware that Western ideas of territorial
sovereignty are strange to peoples brought up in the Islamic tradi-
tion and familiar with notions of territory very different from those
recognized in contemporary international law" (A~ilard,Phase One,
p. 137,para. 525)2.

10. It can therefore be said that the formation of States as territorially
based sovereign entities in the Arab part of the Gulf region was very slow
and gradual. The British policyto secure maritime peace by apportioning
areas of influence to the local rulers, at the same time prohibiting them
from interfering in each other's domains, may have contributed to the
growth of separate, territorial entities but al1this is a far cry from the
establishment of well-defined, centrally led spheres of exclusive jurisdic-
tion. In this respect it isnoteworthy that the various treaties, in which the

British Government took upon itself to provide protection against
"aggression by sca" (emphasis added) were concluded with the various
rulers in their personal capacity. In no way can it be deduced from these
treaties that the British promised to guarantee the territorial integrity of
the sheikhdoms. That concept was simply non-existent at the time.
11. It would be highly artificial indeed to construe the various agree-
ments concluded by Great Britain in 1868with the rulers in Manama and
Doha as providing the latter with a title to the whole of the peninsula,
including any islands off the Coast. Surely it was Britain's intention in
concluding these agreements to keep the Ruler of Bahrain from meddling
in affairs on the mainland, but it is highly improbable that the British
saw such meddling as equivalent to an intervention in the interna1affairs
of another sovereign State. Preventing the Al-Khalifa from undertaking

activities in Zubarah certainly cannot be seen as recognition of Al-Thani
sovereignty over that area. British policy, however, allowed local rulers
to consolidate their control over the zones of influence allotted to them
and this facilitated the formation of States in a more contemporary sense.

The present author has been told that the Arab word "dirah" can hardly be translated
at this time (nineteenth century) was a flexibly defined area, changing ing tobia
the strength of the tribe which wandered within it." DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.IND.KOOIJMANS) 228

dominationsur la péninsuleArabique dont on considéraitque la presqu'île
de Qatar faisait partie.
9. Si l'attitude britannique peut ètreinterprétéecomme une reconnais-

sance de la suzerainetéturquesur certaines parties de la régiondu Golfe,
il serait en revanche tout a fait injustifiéd'y voir une reconnaissance de
revendications de souverainetéou de frontiéres territoriales entre les dif-
férents émirats. Corrime l'a conclu le Tribunal arbitral dans l'affaire
ErythréelYémen :

«le Tribunal savait fort bien que les idéesoccidentales de souverai-
neté territorialesont étrangèresà despopulations élevéed sans la tra-
dition islamique et habituées à des notions de territoire très dif-
férentes de celles qui sont reconnues dans le droit international
contemporain)) (Sentence, premièrephase, p. 137,par. 525)2.

10. On peut donc dire que, dans la partie arabe de la régiondu Golfe,
la formation d'entités souverainesa base territoriale a été trèlsente et pro-
gressive.La politique britannique consistant a assurer la paix maritime en
attribuant aux souverains locaux des zones d'influencetout en leur inter-
disant de s'immiscer dans cellesdes autres a sans doute facilité lacréation
d'entités territoriales distinctes, maiselles étaienttrés loinde constituer
des zones centraliséeset bien délimitéesde compétenceexclusive. Il est
significatif cet égardque les divers traitéspar lesquels le Gouvernement

britannique s'est engagé a offrir une protection contre ((toute agression
par mer» (lesitaliques;sont demoi)ont été conclusavec lesdifférentssou-
verains a titre personnel. On ne saurait en aucun cas inférerde ces traités
que les Britanniques promettaient de garantir l'intégritéterritoriale des
émirats.Cette notion n'existait tout simplement pas à l'époque.
11. Il serait vraiment très artificiel d'interpréter les accords passésen
1868 par la Grande-]Bretagneavec les souverains de Manama et Doha
comme attribuant à ces derniers un titre sur l'ensemblede la péninsule,y
compris sur les îlessituéesau large de la côte. La Grande-Bretagne vou-

lait certes empêcher ;ainsile souverain de Bahreïn de s'ingérerdans les
affaires du continent, mais il est fort improbable que les Britanniques
aient considéréque ces ingérenceséquivalaienta une intervention dans
les affaires intérieures d'un autre Etat souverain. Empêcher les Al-
Khalifah de se livrer à telle ou telle activitéà Zubarah ne saurait en
aucuncasêtreconsidéré comme une reconnaissancela desouveraineté desAl-
Thani sur cette région. Lapolitique britannique a toutefois permis aux
souverains locaux de consoliderleur autorité surles zones d'influencequi
leur étaientallouées, cequi a facilitéla formation d'Etats plus proches du
sens que nous donnons aujourd'hui a ce terme.

* D'aprèsles renseignenients doàl'auteur, le mot arabe «dirah» ne peut guère ètre
traduit par «territoiVoir aussi Muhammed Morsy Abdullah (op.rit., note 1): «Le
dirah étaiten Arabiàcette époque(XIXesiècle),une régionaux contours flous dont la
taille changeait en fonction de la puissance de la tribu qui la parcourait. 12. The need for such a modern concept of State was greatly enhanced
by the discovery of oil in the region in the years after the First World
War. The Court of Arbitration in the DubailSharjah Border case aptly
summarized this highly important development when it said that

"the concept of a boundary in the Western sense was in the early
days quite unknown to the nomadic peoples of this region. When,
however, some recognition of the potential oil resources of the area
was possible, it became necessary to consider the establishment of
precise and clearly defined boundaries between the Emirates. It was
in the interest of both the Rulers and the concessionary companies
that the extent of each concession becapable of exact determination.

The prospect of the future exploration and exploitation of oil
resources led directly to the first tentative steps toward the establish-
ment of boundaries." (Award, ILR, Vol. 91, p. 562.)

13. The new era also led to a change in character of British involve-
ment in the area. Economic and strategic interests took the place of
maritime security as the dominant policy goals of a State which set great
store by remaining the main power in a part of the world of increasing
strategic importance. Great Britain obtained from the local rulers the
promise that no concessions for the exploration and exploitation of oil
would be granted without its consent. It was, therefore, not only in the
interest of the rulers and the concessionary companies that the extent
of each concession be capable of exact determination, as the Court of
Arbitration in the DubailSharjah Border case said, but also in the interest
of the Protecting Power. The exact location of boundaries, which had
been a matter of minor concern to the British in the nineteenth century,

became an issue of direct importance in the twentieth century.

14. As a result, Great Britain's grip on the local rulers undoubtedly
tightened and in some aspects its relations with them may have even
assumed the features of a quasi-colonial régime,hardly leaving these
rulers room for an autonomous policy. It is noteworthy, however, that
formally nothing changed in the relationship between Great Britain
and the "Protected States", a term which gradually came to be used to
indicate the sheikhdoms in the Gulf area.
15. For a legal evaluation of the "Special Relationship" between Great
Britain and the Gulf States the unchanged nature of these relations since
the conclusion of the original treaties with Bahrain in 1892 and with
Qatar in 1916is highly relevant. It is difficult to give an exactharacteri-
zation of this relationship. Perhaps the best description was given by
Lord Curzon, Viceroy of India, in a speech addressed to the Chiefs of the
Trucial Coast in 1903.He said: "your independence will continue to be 12. Cette conception moderne de 1'Etat est devenue bien plus néces-
saire avec la découvertede pétroledans la régionau cours des annéesqui
ont suivi la première guerre mondiale. Dans l'affaire du Diffërend fron-
talier entre Chardjah et Doubaï, le Tribunal arbitral a parfaitement
résumé cette évolution trèsimportante:

((l'idéede frontière au sens occidental était autrefois totalement
étrangèreaux populations nomades de la région. Mais, dès que
l'on a commencéa se rendre compte de ce que représentaientlesres-
sources pétrolières dela région,il est devenu nécessairede songer
a fixer des frontières préciseset bien définiesentre lesémirats.11était
dans l'intérêdtes souverains comme des sociétés pétrolière dse déter-
miner exactemerit l'étenduede chaque concession. La perspective

de l'exploration et de l'exploitation des ressources pétrolières a
directement entr,aînéles premières mesures préliminaires tendant a
fixer des frontières.» (~irlard, ~nternational-La~zlReports, vol.9 1,
p. 562.)

13. Cette èrenouv~rlleconféraégalement uncaractère nouveau a I'ac-
tion des Britanniques dans la région. Les intérêts économiquee st les
impératifsde la géostratégiesupplantèrent la sécuritémaritime en tant
que premiers objectiEsd'un Etat attachéa rester la puissance prépondé-
rante dans une région du monde dont l'importance stratégique allait
croissant. La Grande-Bretagne obtint des souverains locaux la promesse
de ne pas accorder de concessions pour l'exploration et l'exploitation
du pétrole sans son consentement. Ce n'étaientdonc pas seulement les
souverains et les sociétésconcessionnaires qui avaient intérêt a se
donner lesmoyens de déterminer exactement l'étenduede chaque conces-
sion, comme l'a dit k: Tribunal arbitral qui a eu à connaître de l'affaire

ChardjahlDoubai'.mais aussi la puissance protectrice. La question de
l'emplacement exact des frontières, qui n'avait guèreintéresséles Bri-
tanniques au XIXe siècle,devenait une préoccupation actuelle et impor-
tante.
14. 11en est résul1.éque la Grande-Bretagne resserra nettement son
emprise sur les souverains locaux. A certains égards, ses relations avec
eux prirent peut-êtreun tour quasi colonial en ne leur laissant guère de
marge pour mener une politique autonome. On notera cependant qu'offi-
ciellement rien ne changea dans la relation entre la Grande-Bretagne et
les ((Etats protégés)).expression qui entra progressivement en vigueur
pour désignerles émiratsde la régiondu Golfe.
15. Pour appréhender d'un point de vue juridique la ((relation spé-
ciale)) qui existaitentre la Grande-Bretagne et les Etats du Golfe, il
convient de tenir tout particulièrement compte du fait que la nature de
cette relation n'a pas changédepuis la conclusion des premiers traités
avec Bahreïn en 1892 et Qatar en 1916. Il est difficiled'en donner une

définition exacte.Peut-êtreest-ce lord Curzon, vice-roi des Indes, qui l'a
le mieux décritedans une allocution prononcée en 1903devant les chefsupheld; and the influence of the British Government must remain
supreme" 3.
And the British Government itself never ceased to refer to the Gulf
States as "independent States which Her Majesty's Government are
under an obligation to protect".
16. This so-called SpecialRelationship may have been equivocal from
a legal point of view, but it would be wholly unwarranted to place it on

a par with a colonial relationship. When in 1971 the special relations
between the United Kingdom on the onehand and Bahrain and Qatar on
the other came to an end, it can be said that the latter two States
(re)gained full independence, but it would be inaccurate to say that they
became independent. They were the same States before and after 1971.
This is also recognized in the Court's Judgment when it States in para-
graph 139that

"The 1939 decision must therefore be regarded as a decision that
was binding from the outset on both States and continued to be
binding on those sume Stutes after 1971, when they ceased to be
British protected States." (Emphasis added.)

III. THEPRINCIPLE OF UTIPOSSIDETIJ SCRIS

17. The conclusion reached by the Court on the basis of the British
decision of 1939made it, in the Court's view, unnecessary "to rule on the
arguments of the Parties based on the existence of an original title,effec-
tivitésand the applicability of the principle of uti possidetis juris to the
present case" (Judgment, para. 148).
18. 1disagree with the Court's evaluation of the legal effectto be given
to the 1939 decision. My vote in favour of paragraph 2 (a) of the dis-
positif is based on considerations relating to title to sovereignty, geo-

graphical proximity and efectivités. Since, however, Bahrain explicitly
invoked the principle of utipossidetis juris- though at a very late stage
- and since this argument is of a preliminary character, as counsel for
Bahrain correctly stated, 1 deem it necessary to give first my viewson the
question whether this principle is applicable in the present case. If it were,
al1 other grounds submitted by the Parties would have become redun-
dant.
19. In itsfamous statement in the case concerning the Frontier Dispute
(Burkina FasolRepublic of Mali), the Chamber of the Court called the
principle of uti possidetis

"a general principle, which is logicallj~connected with the pheno-

Quoted in the Award in the DubailSl~uruhBorder case, ILR, Vol. 91, p. 561

194 DELIMITAI-ION ET QUESTIONS (OP. IND. KOOIJMANS) 230

de la côte de la Trêveen disant: «votre indépendance sera maintenue;
l'influence du Gouvernement britannique devra rester suprême))'.
Et le Gouvernement britannique n'a lui-même jamais cesséde qualifier
les Etats du Golfe d'<<Etatsindépendants que le gouvernement de Sa
Majestéest tenu de protéger)).

16. Cette ((Relation spéciale))était peut-êtreambiguë d'un point de
vue juridique, mais il serait totalement injustifiéde l'assimiler à une rela-
tion coloniale. Quand prirent fin, en 1971, les relations spécialesentre,
d'une part, le Royaume-Uni et, d'autre part, Bahreïn et Qatar, ces deux

derniers Etats (re)trouvèrent sans doute une indépendance entière, mais il
serait inexact de dire qu'ils devinrent indépendants. II s'agissait des
mêmesEtats avant et après 1971. Ce fait est d'ailleurs reconnu au para-
graphe 139 de l'arrêtde la Cour, où on lit:

«Dès lors, la décisionde 1939doit être regardéecomme une déci-
sion qui était des l'origine obligatoire pour les deux Etats et a
continué de l'êtrepour ces r?~L;nze E.tats aprés 1971, annéeau cours
de laquelle ils ont cesséd'êtredes Etats protégéspar la Grande-

Bretagne.)) (Les italiques sont de moi.)

111. LE PRINCIPE DE L'C'TI POSSIDETIS JLIRIS

17. La conclusion à laquelle la Cour est parvenue sur la base de la
décisionbritannique de 1939 la dispense, selon elle, «de se prononcer sur
l'argumentation des Parties tiréede l'existence d'un titre originaire, des

effectivitésou de l'applicabilité enl'espècedu principe de l'uti possideti.~
juri.7» (arrêt, par. 148).
18. Je ne suis pas la Cour dans son appréciation de l'effetjuridique à
donner à la décisionde 1939.Mon vote en faveur du paragraphe 2, a) du
dispositif repose sur des considérations liéesau titre de souveraineté, à la

proximité géographique et aux effectivités.Toutefois, dans la mesure ou
Bahreïn a expressément invoqué le principe de I'uti pos.sidetis jut.i.s -
bien que très tardivement - et ou cet argument présente un caractère
préliminaire comme le conseil de Bahreïn l'a déclaréfort justement, il me

semble nécessairede dire d'abord si, à mon sens, ce principe est applica-
ble en l'espèce.S'il l'était,tous les autres moyens présentéspar les Parties
seraient devenus superflus.
19. Dans sa célèbre conclusion en l'affaire du DiJfZrend frontrriior

(Burkina FusolRipt~l;liiyucdu Muli), la Chambrede la Cour a définiainsi
le principe de I'utipc~ssic1~ti.s

«un principe général,logiquement lii au phénomènede 1'acces.sion Ù

'CitCdans la sentence rendue dans l'affaire du DifJerond/rot~.ntrcClzurrlju1.1
L>o~th(i:titc~rtrtr/iontrLlirii.Rcporl.~,vol. 91. p. 561.231 DELIMITATION AND OCESTIONS (SEP. OP. KOOIJMANS)

menon of the obtuirlirlgoj'indep~ndence,wherever it occurs. Its obvi-
ous purpose is to prevent the independence and stability of new
States being endangered by fratricidal struggles provoked by the

challenging of frontiersfi~lloiving tlle it.itI~druof ltlie udrninistering
po,r.er." (I.C.J. Rc~ports1986, p. 565, para. 20; emphasis added.)

20. The Chamber's statement in my opinion presumes a transfer of
sovereignty from the former colonial power to a newly independent
State. Malcolm Shaw is of a similar opinion when, in his seminal

article "The Heritage of States: The Principle of Uti Possil1eti.sJuris
Today" he says that: "The principle of uti yo.s.sidc~tifsnctions in the con-
text of the transmission of sovereignty and the creation of a new inde-
pendent State and conditions that pro ces^."^
21. Shaw's formulation is broader than that used by the Chamber of
the Court, as it also covers the situation where parts of an already inde-

pendent State achieve independence as the result of the (partial) dissolu-
tion of that State. Under those circumstances the principle has been
declared applicable (inter ulia. by the Arbitration Commission of the
European Conference on Yugoslavia) with regard to administrative
boundaries between the component units of the dissolving State. As the

Commission said :

"Except where otherwise agreed, the former (administrative)
boundaries become frontiers protected by international law. This
conclusion follows from the principle of respect for the territorial
status quo and in particular from the principle of uti possideti.~."

According to Shaw the rationale for application of the principle in such
non-colonial situations is the same as that underlying the Chamber's
position in the Burkinu FusolRepublic of Muli case: "the same dangers
resulting from the break-up of existing States are evident".

22. What the two situations just nientioned have in common is that
administrative, Le., non-international boundaries are turned into inter-
national boundaries. It would be nonsensical to apply the principle to
a boundary separating the colonial territories of two different colonial
powers. That boundary was already an international boundary and as

such protected by international law. What distinguishes the present case
from the situations in which the principle was applied is of a similar
character.
23. The crucial question in my view is: is tliere (u) a transfer of sov-
ereignty from one State to another State as a result of which (hi admin-
istrative boundaries are invested "with a significance and a purpose that

Bririsl~ YctBook of Infc,rricrtrlm.. Vol67. 1996. p98
'Quoted in Shaw. op. (,ip.100.

195 DÉLIMITKTION ET QUESTIONS (OP. IND. KOOIJMANS) 231

I'indépendunce,où qu'il se manifeste. Son but évidentest d'éviterque

l'indépendance et la stabilité des nouveaux Etats ne soient mises en
danger par des luttes fratricides néesde la contestation des frontières
à lu suite du rrtruit de lu puissunce udn~inistrunte.)) (C.I.J. Recuc~il
1986, p. 565, par. 20; les italiques sont de moi.)

20. A mon avis, cette conclusion présuppose un transfert de souverai-
netéde l'ancienne puissance coloniale à un Etat nouvellement indépen-
dant. Malcolm Shaw ne pense pas autrement quand, dans son article qui
a fait date «The Heritage of States: The Principle of Uti PossidrirtisJuris
Today P. il explique que «le principe de l'uti possidc1ii.ss'applique dans le

contexte de la transmission de souveraineté et de la création d'un nouvel
Etat indépendant et conditionne ce processus))4.
21. La définition de Shaw est plus large que celle donnée par la
Chambre de la Cour puisqu'elle couvre également le cas où des parties

d'un Etat déjà indépendant accèdent à l'indépendance à la suite de la
désagrégation (partielle)de cet Etat. Dans de telles circonstances, ce prin-
cipe a été déclaré applicable (notamment par la Commission d'arbitrage
de la Conférence européenne pour la paix en Yougoslavie) aux limites
administratives des entitésconstitutives de I'Etat en cours de désagréga-

tion. Comme l'a dit la Commission:

«A défaut d'un accord contraire, les limites antérieures (adminis-
tratives) acquièrent le caractère de frontières protégéespar le droit
international. Telle est la conclusion à laquelle conduit le principe de
respect du statu quo territorial et particulièrement celui de l'uti pos-

sitkctijuris.))

Pour Shaw, la raison qui doit conduire à appliquer ce principe dans de
telles situations non coloniales est la mêmequi a dicté la position de la
Chambre de la Cour dans l'affaire Burkina FusolRknuhliuur riluMcrli. II

considère, en effet, que «la désagrégationdlEtats existants présente évi-
demment les mêmesdanpers))."
22. Le point comrnun à ces deux situations est que des limites admi-
nistratives, c'est-à-dire non internationales, deviennent des frontières
internationales. II serait absurde d'appliquer ce principe à une frontière

séparant les territ0ir.e~ coloniaux de deux puissances coloniales diffé-
rentes. Cette frontière serait déjàune frontière internationale et. en tant que
telle. protégéepar le droit international. Ce qui différencie la présente
affaire des situations dans lesquelles ce principe a étéappliqué est du

mêmeordre.
23. La question essentielle est à mon avis la suivante: y a-t-il a) trans-
fert de souveraineté d'un Etat à un autre à la suite duquel h) des limites
administratives sont investies ((d'une signification et d'un objet qu'il

.'Rriri.sliY<,.ook of Iiir<,rritrtrltni,.vol. 67. 1p.98
' CitédarisSliaw.op.ci/.p. 109.232 DELIMITATION AND QUESTIONS (SEP.OP. KOOIJMANS)

they were never intended to haveuh. In the present case neither of these
questions can be answered affirmatively.
24. As already mentioned (para. 16 above), there was no transfer of
sovereignty in 1971 by the United Kingdom to either Bahrain or Qatar;
these States kept the same identity as they had before relations with the

Protecting Power were terminated. It is often said that the ~rtipossideti.r
principle is only applicable when there is a succession of States. Bahrain
has contended that thisconcept must be interpreted also to mean "replace-
ment of one State by another in the responsibility for the international

relations of territory" and that this is what actually occurred in 1971.

25. It is true that both Gulf States were not capable of conducting a
foreign policy without a "droit de regard" of the Protecting Power and

that in this respect their sovereignty was restricted. But nîore important
than the question whether there was a succession of States in the narrow
or the broad sense of the word is the fact that there was no transfer of
sovereignty. From a legal point of view there is a world of difference
between restricted sovereignty and non-existent sovereignty. The former

can be restored, the latter can only be replaced by a transferred, and
therefore new sovereignty.
26. Of equal importance is the question whether there was an admin-
istrative boundary which was transformed into an international bound-

ary. From the files it is patently clear that the British Government never
intended to draw an administrative boundary or to settle a dispute
between administrative officials. From the very start it was clear that a
decision with regard to the "ownership" of the Hawar Islands was deter-

minative for the international boundaries between two separate entities
under international law. The potential concessionaires wanted to know
to which capital they had to go in order to apply for a concession. Both
parts of the crucial question 1 formulated earlier must, therefore, be
answered in the negative. Already for these reasons the principle of uti

pos.vid~tijuri.7 is not applicable in the present case.

IV. THETERRITORIA ISSUEST : HEGENERAL CONTEXT

27. Since the uti possidetis principle cannot be considered to be appli-
cable, the various territorial issues (Zubarah, the Hawar Islands and
Janan) must be dealt with separately and on their own merits.

In view of the fact that the position of the British Government has had
a considerable impact on the course of events leading to the dispute
before the Court, one preliminary point must be made.

28. Neither the Treaties of 1880and 1892with Bahrain nor the Treaty
of 1916 with Qatar conferred upon the Protecting Power, Great Britain,

('Shaw.op. <,ip..117.n'avait jamais étéprévu de leur donner))"? Dans la présente affaire, la
réponse à ces deux questions ne peut êtreque négative.

24. Comme je l'ai déjà indiqué(par. 16 ci-dessus), il n'y a pas eu en
1971de transfert de souverainetédu Royaume-Uni à Bahreïn ou à Qatar.
Ces Etats ont conservél'identitéqui était la leur avant que ne prennent
fin leurs relations avec la puissance protectrice. On dit souvent que le
principe de l'ufi pos.sicleti.rn'est applicable que lorsqu'il y a succession
d'Etats. Bahreïn a soutenu que cette notion devait aussi êtreinterprétée

comme désignant la substitution d'un Etat à un autre dans la responsa-
bilitédes relations initernationales d'un territoire et que c'est ce qui s'est
effectivement passéen 1971.
25. 11est vrai que la puissance protectrice avait un droit de regard sur
la politique étrangèrede ces deux Etats du Golfe dont la souveraineté

étaità cet égardlimitée.Mais, et c'est plus important que de savoir s'il y
a eu succession d'Eta~tsau sens étroitou au sens large du terme, le fait est
qu'il n'y a pas eu transfert de souveraineté. Du point de vuejuridique, il
y a un monde entre une souveraineté restreinte et une souveraineté non
existante. Dans le premier cas, il peut y avoir rétablissement d'une sou-

veraineté pleine et entière, alors que, dans le second, il ne peut y avoir
qu'un transfert, c'est-à-dire une souveraineté nouvelle.
26. Toute aussi importante est la question de savoir s'il y avait une
limite administrative qui a été transforméeen frontière internationale. 11
ressort à l'évidence du dossier que le Gouvernement britannique n'a
jamais eu l'intention d'établir une limite administrative ou de régler un

différendentre agents de l'administration. II est apparu clairement dèsle
début qu'une décision concernant la ((propriété))des îles Hawar aurait
un effet déterminant sur les frontières internationales entre deux entités
distinctes au regard du droit international. Les concessionnaires poten-
tiels voulaient savoir dans quelle capitale aller demander une concession.

Il faut donc répondre par la négativeaux deux élémentsde la question
essentielle que j'ai posée plushaut. Ne serait-ce que pour ces raisons, le
principe de I'utipo.s:;icletisjuri\~n'est pas applicable en l'espèce.

IV. LES QCESTIONS TERRITORIALE CS :TEXTE GÉNÉRA~

27. Le principe de I'uti po.ssid~~tine pouvant être considéré comme
applicable. les différentes questions territoriales (Zubarah, îles Hawar et
Janan) doivent être1.raitéesséparémentet selon les particularités qui leur

sont propres.
Etant donné que la position du Gouvernement britannique a eu un
impact considérable sur le cours des événementsayant abouti au diffé-
rend porté devant la Cour, une remarque préliminaire s'impose.
28. Ni les traitésde 1880 et 1892avec Bahreïn ni le traitéde 1916avec

Qatar ne donnaient à la puissance protectrice, la Grande-Bretagne, le

('Shaw. op.c,ip. II:'.233 DELIMITATIONAND QUESTIONS (SEP. OP. KOOIJMANS)

the right to unilaterally determine the boundaries of the sheikhdoms or to
decide upon matters of territorial sovereignty. Such decisions could there-
fore only be made with the consent of the protected States themselves

and this seemed not to be in dispute between the Parties, since the ques-
tion which bitterly divided the Parties was whether such consent to
authorize the British Government to decide to which of the Parties the
Hawar Islands belong, was actually given. In this respect the protected
States had therefore retained their sovereignty. The Court of Arbitration
in the DubuilShurjuh Border case explicitly stated with regard to the Tru-

cial States, with which si~nilartreaties had been concluded:

"It is thereforeclear that no treaty authorised the British authori-
ties to delimit unilaterally the boundaries between the Emirates and
that no British administration ever asserted that it had the right to
do so." (A~rturd, ILR, Vol. 91, p. 567.)

29. In this respect it is useful to recall the viewpoint of the Ruler of
Bahrain who, after the British Government had informed him in 1947of
the decision on the division of the sea-bed between the Parties, wrote to
the British Political Agent: "we ask under which of the treaties between
us and the British Government it is laid down that the British Govern-

ment may make decisions regarding the boundaries without reference or
consultation with the Ruler of Bahrain".
30. The fact that the Protecting Power had not been authorized under
the relevant treaties to determine unilaterally and on its own initiative the
boundaries of the protected States or to settle territorial issues, is in itself
an indication that the uti possidc~tisprinciple is not applicable. The ensu-

ing situation is, namely, completely different from a colonial situation
where the administering power had full discretion to draw an adminis-
trative boundary and from situations in dissolved or partially dissolved
federal States, where the federal organs by interna1 legal measures estab-
lished the boundaries separating the various federal units.

31. For our present purposes, however, it is particularly relevant to
point out that territorial issues could not be resolved without the consent
of the local rulers. If it is not possible to satisfactorily substantiate
that such consent was given or that there was subsequent acceptance or
acquiescence, a territorial settlement by the British authorities has no

legal validity per se; any remaining issue must be resolved in the light
of the general principles of international law.

32. This in no way implies that the Protecting Power by definition
acted ultra vires if it acted on its own initiative or unilaterally when con-
fronted with factors of instability originating in a dispute over territory

and which might threaten peace in the region. Withii~the context of the
special relations established by the treaties. Great Britain was under an
obligation to protect the local rulers and in most cases this might imply DELIMITA'TION ET QUESTIONS (OP. IND. KOOIJMANS) 233

droit de déterminer unilatéralement les frontières des émirats ou de tran-
cher des questions de souveraineté territoriale. De telles décisionsne pou-
vaient donc être prises qu'avec le consentement des Etats protégéseux-
mêmeset cela semble avoir étéadmis par les Parties puisque la question

qui les a violemment opposées a justement étéde savoir si ce consente-
ment autorisant le Gouvernement britannique Adéterminer a laquelle des
Parties appartienneni: les îles Hawar a bien été donné. A cet égard, les
Etats protégés avaientdonc conservé leur souveraineté. Dans l'affaire du
Difl2rend frontulicr ontre Douhrrï et Churdjah, le Tribunal arbitral n'a
laissésubsister aucune ambiguïté au sujet des Etats de la Trève, avec les-

quels avaient été conclus des accords semblables:
((11est donc clair qu'aucun traité n'a permis aux autorités britan-

niques de délimiter unilatéralement les frontières entre les émiratset
qu'aucune administration britannique n'a jamais affirmé avoir ce
droit.)) (A~i,cr, ntc~r.nrrtioncl ii Reports, vol. 91, p. 567.)

29. A cet égard,il est utile de rappeler le point de vue du souverain de
Bahreïn qui, après que le Gouvernement britannique l'eut informé en
1947de sa décisionsur la division des fondsmarins entre les Parties, écri-
vit à l'agent politique britannique pour lui demander quel était le traité
conclu avec le Gouvernement britannique qui autorisait ce dernier à
prendre des décisions relatives au tracé des frontières sans en référerau

souverain de Bahreïn ou le consulter.
30. Le fait que les traitésen question n'aient pas donnéa la puissance
protectrice lepouvoiir de déterminer unilatéralement et de sa propre ini-
tiative les frontières cles Etats protégésou de réglerdes questions territo-
riales est en soi une indication de la non-applicabilité du principe de I'uti
possidetis. La situation qui en découleest, autrement dit, complètement

différente de celle d'une colonie où la puissance administrante a toute
latitude de tracer unIr limite administrative ou d'Etats fédérauxentière-
ment ou partiellemerit dissous, où les organes fédérauxont fixépar des
mesures relevant du droit interne les limites des diverses unités compo-
sant la fédération.
31. Dans I'affaire qui nous occupe, il est particulièrement pertinent,
toutefois, de souligner que les questions territoriales ne pouvaient être

tranchées sans le consentement des souverains locaux. S'il est impossible
d'établir de façon saitisfaisante qu'il y a bien eu un tel consentement ou
qu'il ya eu acceptation ou acquiescement par la suite, un règlement ter-
ritorial par les autorités britanniques ne saurait avoir en soi de valeur
juridique, et toute question qui resterait pendante devra êtrerégléeen
fonction des principes générauxdu droit international.

32. Cela ne signifie nullement que la puissance protectrice ait par défi-
nition outrepassé se:; pouvoirs si elle a agi de sa propre initiative ou
unilatéralement alors qu'elle se trouvait confrontée à des facteurs d'insta-
bilité nésd'un différend territorial et risquant de constituer une menace
pour la paix dans la région.Dans le cadre des relations spécialesétablies
par les traités, la Grande-Bretagne était tenue de protéger les souverains234 DELIMITATION AND QLIESTIONS (SEP.OP. KOO~JMANS)

protection against their unfriendly intentions andior activities with respect
to one another. In order to be able to honour its commitments, the Pro-

tecting Power acted well within its powers if it tried to defuse existing
tensions by taking a position with regard to competing claims or even
imposing a settlement. An example of the former approach is British
policy with regard to Zubarah, an example of the latter is the 1939"deci-
sion" on the Hawars and the 1947 "decision" on Janan. In order to give
u
such an arrangement legal validity, prior consent or subsequent accept-
ance or acquiescence is required. In this respect it is irrelevant whether
the Protecting Power acted intru vive.swithin the context of the Special
Relationship. That question simply lies outside the Court's scope.

33. It is difficult to characterize the dispute concerning sovereignty
over Zubarah as a dispute over territory or over the location of territorial
boundaries. Even in the beginning of the twenty-first century it still car-
ries the nature of contested hegemonic spheres or disputed entitlements
to ties of allegiance rather than that of conflicting claims to exclusive

spatial authority over a certain piece of land. That peculiar character of
this part of the dispute is even today illustrated by the fact that Bahrain
neither in the written nor in the oral pleadings defined the extent of
the area over which it claimed sovereignty, but simply referred to the
Zubarah region. Only on maps annexed to the pleadings did it indicate

what was to be understood by that term. But it was only after an explicit
request from the Bench to give an accurate description of the territory
that the CO-ordinatesfor the locations establishing the perimeters of the
Zubarah region were provided.
34. Bahrain bases its claim mainly on historic rights and ties of alle-
giance with the Naim tribe, which has frequented the Zubarah region

over the last two centuries without it being clear whether it is actually
settled there. Qatar for its part maintains thathese ties of allegiance have
only existed with a particular branch of the Naim tribe, although this
allegiance by the Al-Jabr branch has not been constant and was at least
formally terminated after 1937.

35. As for the historical aspects, it is not disputed that Zubarah was
the power base of the present ruling family of Bahrain in the area before
they moved to the main island in the Bahrain group where they stayed
until the present day, with a number of short interruptions in the nine-
teenth century when they temporarily returned to Zubarah. Nor is it

disputed that until the 1870s Zubarah was considered part of that
ruling family's domain.
36. After Great Britain had concluded the agreements with the local DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP. IND. KOOIJMANS) 234

locaux et c'est leplus souvent faceA des viséesou à des initiatives inami-
cales d'autres souverains locaux que cette obligation de protection devait
s'exercer. Pour êtreen mesure d'honorer ses engagements, la puissance
protectrice n'excèdeaucunement ses pouvoirs lorsqu'elle essaie de désa-
morcer une crise en prenant position au sujet de revendications concur-

rentes ou mêmeen imposant un règlement. L'attitude des Britanniques A
l'égard de Zubarah lest un exemple de prise de position tandis que la
<<décision» de 1939sur les îles Hawar et celle de 1947surJanan illustrent
la méthode du règlenient imposé.Pour avoir une valeur juridique, un tel
arrangement requiert soit un consentement préalable, soit une accepta-
tion ou un acquiescement ultérieurs. A cet égard, il importe peu que la

puissance protectrice ait outrepassé ses pouvoirs dans le cadre de la rela-
tion spéciale.Cette question ne relèvetout simplement pas de la compé-
tence de la Cour.

33. Il est difficile de dire si le différend qui oppose les Parties au sujet
de la souveraineté sur Zubarah concerne un territoire ou l'emplacement
de frontières territoriales. A l'aube du XXI' siècle, il évoque encore
davantage des rivalités d'hégémonieou d'allégeanceque des prétentions
concurrentes à un pouvoir exclusif sur un territoire donné. La singularité

de cet élémentdu différend estattestéepar le fait que, mêmeaujourd'hui,
Bahreïn n'a définini dans la procédure écrite,ni au cours des plaidoiries,
la zone sur laquelle il prétend détenirla souveraineté, et s'est bArpar-
ler de la régionde Zubarah. Seules les cartes annexées aux piècesde pro-
cédure indiquent ce qu'il faut entendre par cette expression. Mais ce n'est
qu'après que la Cour a expressémentdemandé une description précisede
ce territoire qu'ont été fourniesles coordonnées des points délimitant la

régionde Zubarah.

34. Bahreïn fonde l'essentiel de sa revendication sur des droits histo-
riques et des liens d'allégeancede la tribu des Naim, présente dans la
régionde Zubarah depuis deux siècles,mêmes'il n'est pas clairement éta-
bli qu'elle y soit effectivement installée.Qatar maintient pour sa part que

ces liens ont étélimit,ésà une branche particulière de la tribu des Naim et
que cette allégeanceJe la brailche des Al-Jabr n'a pas été constante et a
cessé,au moins officiellement, après 1937.
35. Pour ce qui est des aspects historiques, il n'est pas contesté que
c'est à Zubarah que l'actuelle famille régnante de Bahreïn avait établi le
centre de son pouvo-ir avant de s'installer sur l'île principale de Bahreïn

où elle est restéejusqu'à aujourd'hui, hormis, au XIX' siècle, de brefs
séjours temporaires à Zubarah. Il n'est pas non plus contesté que,
jusqu'aux années 1870, Zubarah fut considéréecomme faisant partie du
domaine de cette famille régnante.
36. Après avoir conclu les accords de 1868avec les souverains locaux,235 DELIMITATION AND QUESTIONS (SEP. OP.KOOIJMANS)

rulers in 1868,it became British policy to look unfavourably on Bahraini
incursions into the Qatar peninsula. As 1made clear with respect to the
historical context, it would be an anachronism to interpret the 1868
Agreement with the Sheikh of Doha as providing this ruler with a sov-

ereign title to the whole of the peninsula. But this certainly does not mean
that Bahrain had original title to a rather well-defined territory, a title
which even survived an alleged illegal occupation by Qatar in 1937.

37. In this respect it is usefulto recall what was said by Mr. Muhammed

Morsy Abdullah, namely, that "the concept of a State with clearly defined
boundaries was totally alien to the political notions of the rulers and the
tribes of the area" (see para. 5 above). Against this backdrop certain
effects of post-1868 British policy can be observed: it became more diffi-
cult for the Al-Khalifah to maintain their traditional relations with the
area, whereas the Al-Thani were in a position to gain control over this part

of the peninsula, acting under the umbrella of the Ottomans who (re-)-
established their authority over the greater part of the Arabian peninsula.
38. Although this consolidation of power by Qatar's ruling family may
not have been continuous in character, it was periodically reaffirmed. It
was acknowledged by the Protecting Power which only tried to smooth
out such frictions between the two ruling families potentially leading to

serious conflicts without, however, contesting the claims or rights of
Qatar's ruling family to Zubarah at any moment.

39. As for the purported ties of allegiance of the Naim (or at least the
Al-Jabr branch) with the Ruler of Bahrain, such ties as have existed -
and there is no reason to doubt that they did -seem to have been rather

ambivalent. In the Western Sahara case the Court stated that ties of alle-
giance have frequently formed a major element in the composition of a
State but that in order to afford indications of the ruler's sovereignty,
they must clearly be real and be manifested in acts evidencing acceptance
of his political authority (1C.J. Reports 1975, p. 42, para. 88).
40. 1 have serious doubts whether these criteria are met. From the

rather casuistic and often inconsistent evidence presented to the Court,
1get the impression that the Naim used these ties of allegiance with the
Ruler of Bahrain primarily to serve their own purposes, often to resist the
expanding authority of the Ruler of Qatar. Moreover, Bahrain has been
unable to demonstrate that such ties of allegiance also existed with other
tribes regularly frequenting the Zubarah region or that it even tried to

extend its authority over these tribes also; for only in that case could
the ties of allegiance transform themselves into a title to territorial
sovereignty.

41. In the Western Sahara case the Court, though not denying that

there had been legal ties of allegiance between the States in the region and
some of the Western Sahara tribes, concluded that the materials and
information presented to it did not establish any tie of territorial sover- DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP. IND.KOOIJMANS) 235

la Grande-Bretagne se mit à voir d'un mauvais Œil lesincursions bahreï-
nites dans la péninsule de Qatar. Comme je l'ai expliqué au sujet du
contexte historique, ce serait un anachronisme que d'interpréter l'accord
passé en 1868 avec 11:cheikh de Doha comme conférant A ce dernier un

titre de souveraineté sur l'ensemble de la péninsule. Mais, cela ne signifie
certes pas que Bahreïn avait un titre originaire sur un territoire bien
défini,titre qui aurait mêmepersistéaprès l'occupation prétendument illi-
cite par Qatar en 1937.
37. A cet égard, ilest utile de rappeler que, comme l'a dit M. Muham-
med Morsy Abdullah, «l'idéed'un Etat aux frontières bien définiesétait

totalement étrangèreà la penséepolitique des souverains et des tribus de
la région))(voirpar. 5 plus haut). C'est dans ce contexte que doivent être
analyséescertaines conséquences de la politique britannique après 1868 :
il devint plus difficile pour les Al-Khalifah de maintenir leurs liens tradi-
tionnels avec cette zone alors que les Al-Thani étaient en mesure d'asseoir
leur pouvoir sur celle-ci sous les auspices des Ottomans qui avaient (ré)-

établi leur autorité sur la plus grande partie de la péninsuleArabique.
38. Cette consolid;ation du pouvoir de la famille régnantede Qatar n'a
sans doute pas étécontinue, mais elle a étépériodiquement réaffirmée.
Elle a été reconnue par la puissance protectrice qui s'est seulement
efforcéed'apaiser les deux familles régnantes lorsque leurs frictions ris-
quaient d'entraîner de graves conflits sans toutefois mettre jamais en
question les prétentions ou les droits de la famille régnante de Qatar sur

Zubarah.
39. Quant aux lieris d'allégeancequi auraient existéet rien ne permet
d'en douter entre les Naim (ou du moins la branche des Al-Jabr) et le
souverain de Bahreïin, ils semblent avoir été plutôt ambivalents. Dans
l'affaire du Suhara occidental, la Cour a fait observer que les liens
d'allégeance ont souvent joué un rôle majeur dans la constitution d'un

Etat mais que, pour attester de l'autorité du souverain, ils doivent être
manifestement réelset s'exprimer dans des actes prouvant que son auto-
ritépolitique est acct:ptée(C.I.J. Recueil 1975, p. 42, par. 88).
40. Je doute fort que ces critères soient satisfaits. Les élémentsde
preuve un peu trop subtils et souvent contradictoiresqui ont étéprésentés
a la Cour me donnent l'impression que les Naim ont surtout utilisé ces

liens d'allégeanceavec le souverain de Bahreïn pour servir leurs propres
intérêts, etsouvent pour résisterà l'autorité grandissante du souverain de
Qatar. De plus, Bahreïn a été incapablede démontrer que de tels liens
existaient aussi avec les autres tribus qui venaient régulièrementdans la
régionde Zubarah ou qu'il ait mêmetentéd'asseoir également son auto-
rité sur ces tribus; en effet, c'est seulement dans ce cas que les liens

d'allégeance pourraient se transformer en titre de souveraineté territo-
riale.
41. Dans l'affaire du Sahara occidental, la Cour, sans nier l'existence
de liens juridiques d'allégeance entre les Etats de la région et certaines
tribus vivant sur ce territoire, a conclu que les élémentset renseignements
portés a sa connaissance n'établissaient l'existence d'aucun lien de souve-eignty between the territory of Western Sahara and the neighbouring
States (1.C.J. Rc~porrs1975, p. 68, para. 162). A similar conclusion may

be drawn for the present case.
42. It must, therefore, be said that, whatever historical rights Bahrain
may have had in the past, they have long since been set aside by the rights
of Qatar, at least as far as their character of rights under public inter-
national law is concerned. For it is bv no means im~ossible that these

"historic rights" must rather be seen as a reflection of traditional links
between the ruling family of Bahrain and Zubarah which cal1 for a dif-
ferent solution than one based on public law. Even members of the ruling
family of Bahrain seem to have admitted that their interest in Zubarah is
primarily an emotional one which could be satisfied by granting them
certain privileges. Also the fact that the Zubarah region was not included

in oil negotiations by Bahrain with a number of oil companies in the
1930s(an inclusion which the Protecting Power would never have allowed)
and the fact that in the 1944Agreement between the Parties (the result of
mediation by the Protecting Power) the concession agreement concluded
between Qatar and the oil Company concerned for the whole of the

peninsula mainland is explicitly recognized (although the remainder of
the 1944 agreement is couched in extremely ambiguous terms) seem to
indicate that - at least during a certain period - Bahrain or its Ruler
recognized that their claim was not a claim to sovereign rights. Just as
indicative is the fact that Bahrain, when it expressed its discontent with

the 1947British decision on the delimitation of the sea-bed, did not claim
to be entitled to the sea-bed adjacent to the Coast of the Zubarah region.

43. Consequently 1agree with the Court that sovereignty over Zuba-

rah appertains to Qatar. However, 1am less inclined than the Court to
give paramount importance to the position taken by third States, in par-
ticular Great Britain and the Ottoman Empire. For me it is more relevant
that Bahrain has been unable to transform the rights it may have had
over Zubarah in a period when governmental authority had a different
connotation than it has nowadays, into sovereign rights in the modern

sense of the word (even if that was partly attributable to external factors),
whereas Qatar has gradually established its authoritative control over the
area even before 1937. 1 can therefore fully associate myself with the
Court's conclusion that the actions of the Sheikh of Qatar in Zubarah in
that year were an exercise of his authority over that territory and were

not an unlawful act of force against Bahrain (Judgment, para. 96).

VI. THE HAWAR ISLANDS

44. The Court bases its finding that Bahrain has sovereignty over the
Hawar Islands (with the exception of Janan) on the British decision ofrainetéterritoriale entre le territoire du Sahara occidental et les Etats voi-
sins (C.I.J. Recuei/ 1975, p. 68, par. 162). On pourrait arriver à une
conclusion analogue d,ans la présente affaire.

42. 11faut donc reconnaître que, quels qu'aient pu êtreles droits his-
toriques de Bahreïn dans le passé,ils ont depuis longtemps été supplantés
par ceux de Qatar,du moins si on considère ces derniers du point de vue
du droit international public. II n'est nullement impossible en effet que
ces ((droits historiques)) doivent plutôt être considéréscomme le reflet de
liens traditionnels entre la famille régnante de Bahreïn et Zubarah et que
cette question doive étre résolue autrement que sur la base du droit

public. Mêmedes membres de la famille régnante de Bahreïn semblent
avoir admis que leur intérêtpour Zubarah est avant tout d'ordre affectif
et pourrait être suffisalmment pris en compte en leur accordant certains
privilèges. De même,le fait que la régiondeZubarah n'ait pas étéincluse
(ce que n'aurait jamais toléréla puissance protectrice) dans les négocia-
tions engagéespar Bahreïn dans les années trente avec plusieurs sociétés

pétrolières et que. daris l'accord intervenu en 1944 entre les Parties (à la
suite d'une médiation de la puissance protectrice), il soit bien préciséque
l'acte de concession conclu entre Oa.ar et la société~étrolièreconcernait
tout le territoire continental de la péninsule (alors que le reste de cet
accord est rédigé entermes extrêmement ambigus) semble indiquer que
du moins pendant une certaine période Bahreïn ou son souverain aient
admis que leur prétention ne portait pas sur des droits souverains. IIest

tout aussi révélateurque Bahreïn, quand il a manifesté sa désapprobation
de la décision britannique de 1947 sur la délimitation des fonds marins,
n'ait pas réclaméde titre de souveraineté sur les fonds marins contigus au
littoral de la régionde Zubarah.
43. En conséquence, je conviens avec la Cour que c'est à Qatar que
revient la souveraineté sur Zubarah. Mais, je suis moins enclin que la
Cour à considérercomme de la plus haute importance la position adoptée

par des Etats tiers, en particulier la Grande-Bretagne et l'Empire otto-
man. Pour moi, il est plus pertinent que Bahreïn ait été incapable de
transformer les droits qu'il a pu avoir sur Zubarah, à une époque où
l'autorité gouvernementale avait une connotation différente de celle
qu'elle a aujourd'hui, en droits souverains au sens moderne du terme
(mêmesi cela a étédû1en partie à des facteurs extérieurs), alors que Qatar
a, mêmeavant 1937,progressivement établi son autoritésur la région.Je

peux donc m'associer pleinement à la conclusion de la Cour selon laquelle
les actes accomplis par le cheikh de Qatar à Zubarah cette année-là par-
ticipaient de l'exercicede son autorité sur ce territoire et ne constituaient
pas un recours illicite à la force contre Bahreïn (arrêt,par. 96).

44. La Cour s'appuie sur la décision britannique du II juillet 1939
pour constater que Bahreïn a souveraineté sur les îles Hawar (à I'excep-237 DELIMITATION AND QUESTIONS (SEP. OP. KOOIJMANS)

II July 1939. Although 1am also of the opinion that the Hawar Islands

(including Janan, see VII, below) belong to Bahrain, 1 completely dis-
agree with the Court's reasoning leading up to that conclusion. In my
opinion the British decision provides no basis for Bahrain's sovereignty
over the islands.
45. In its pleadings Bahrain contended that the 1939 decision, by
which the Hawar lslands were attributed to it, is an arbitral award which

has the character of res,judic(itu and consequently must be respected by
the Court. The Court has rejected this argument and has found that the
decision does not constitute an arbitral award since it has not been taken
by judges chosen by the Parties and ruling either on the basis of the law
or ex aequo et bono (Judgment, para. 114). 1 share this aspect of the
Court's perception of the 1939decision. The concept of arbitration may

be used in a very broad sense in that it encompasses al1 kinds of third-
party settlement. When however the character of resjudiruta is attributed
to a settlement awarded by a third party, a much narrower definition
of the term "arbitration" is required. This does not only hold true for
modern times. Arbitration as a procedure for dispute settlement with a

final and binding character has for centuries been seen as requiring an
agreement concluded by two parties to a dispute on the basis of formal
equality to entrust the resolution of that dispute to a mutually agreed
third party and to comply with the decision given by that third party.
It is the combination of consent to the procedure and of cornmitment to
compliance which produces the res jutlicuta character of the decision,

although the procedure itself is subject to certain requirements of
fairness and equality of arms. What is decisive, however, is that the
third party does not act on its own authority or of the instigation of
only one of the parties to the dispute.
46. The Court goes on to say that it will determine what is the legal
effect of the 1939decision for the Parties after analysing the events which

preceded and immediately followed its adoption. The Court then con-
cludes that the decision was binding on both States and continued to be
so. It is on this point that my difficulties arise.
47. The Court does not deny that the Parties' consent was necessary in
order to enable the British Government to take a decision with binding

effect. The Court construes the exchange of letters of May 1938 between
the Ruler of Qatarand the British Political Agent in Bahrain as contain-
ing such consent.
48. Before dealing with the Court's interpretation of these letters, it
may be useful to point out that the present case fundamentally differs in
one important aspect from that of the DuhuilSharjuk Border case,

although it is in other respects very similar to it. In that case too, the
Court of Arbitration concluded that the British decisions (the so-called
Tripp decisions) of 1956 and 1957 did not constitute arbitral awards.
Thereu~on the Court said that this does not mean that those decisions
were not binding upon the rulers as administrative decisions, since "[tlhe
two Rulers, when consenting to the delimitation of their boundaries bytion de Janan). Bien que j'estime égalementque les îles Hawar (y compris
Janan, voir VII. ci-dessous) appartiennent à Bahreïn, je suis en complet

désaccord avec le raisonnement qui a conduit la Cour à cette conclusion.
A mon avis, la décision britannique ne fonde nullement la souveraineté
de Bahreïn sur les îles.
45. Dans ses écritureset plaidoiries, Bahreïn a soutenu que la décision
de 1939 lui attribuant les îles Hawar étaitune sentence arbitrale ayant la
force de la chose jugéeet devait donc êtrerespectéepar la Cour. Celle-ci

a rejeté cetargument et conclu que la décisionne constituait pas une sen-
tence arbitrale, parce qu'elle n'avait pas été renduepar des juges choisis
par les Parties et statuant soit en droit soit e.r rrcquo et bono (arrêt,
par. 114).Je partage ce point de vue de la Cour sur la décisionde 1939.
Le concept d'arbitrage peut êtreutilisédans un sens très large puisqu'il
englobe tous les types de règlements par tierce partie. En revanche, pour

ceux de ces règlements qui ont l'autorité de la chose jugée, le mot ((arbi-
trage)) prend un sens beaucoup plus étroit et cela depuis longtemps.
Comme mode de règlement des litiges de caractère définitifet obligatoire,
l'arbitrage est considé,rédepuis des sièclescomme exigeant que les deux
parties conviennent, sur une base d'égalité,de confier le règlement de leur
différendà une tierce partie choisie par elles et de se conformer à la déci-

sion prise par cette tierce partie. Ce sont le consentement donnéà la pro-
cédureet l'engagement de se conformer A la sentence rendue qui donnent
à celle-ci l'autorité dela chose jugée,la procédure elle-mêmedevant tou-
tefois satisfaire certaines prescriptions d'équité et d'égalitédes armes.
Mais ce qui est fondamental, c'est que la tierce partie n'intervient pas de
sa propre autorité ou à la demande d'une seule des parties au différend.

46. La Cour indique ensuite qu'elle appréciera l'effetjuridique pour les
Parties de la décisionde 1939 après avoir analyséles événementsqui en
précédèrent,puis en suivirent immédiatement l'adoption. Puis elle conclut
que la décision était obligatoire pour les deux Etats et a continué de

l'être. C'estsur ce point que j'ai du mal à la suivre.
47. La Cour ne nie pas que le consentement des Parties était nécessaire
pour que le Gouvernement britannique puisse prendre une décision à
caractère exécutoire. D'après elle, ce consentement est donné dans les
lettres échangées enmai 1938 entre le souverain de Qatar et l'agent
politique britannique à Bahreïn.

48. Avant de passer à l'interprétation de ces lettres par la Cour, il n'est
sans doute pas inutile de souligner que la présente affaire diffère fonda-
mentalement, sur un point important, de l'affaire du Diffërrnd frontulier
entre Cllurcijuhet Doubui'mêmesi, à d'autres égards.elle lui est trèssem-
blable. Dans cette afJàire aussi, le Tribunal arbitral a conclu que les déci-
sions britanniques (appelées décisions Tripp) de 1956 et 1957 ne cons-

tituaient pas des semences arbitrales. Cela dit, le Tribunal a déclaréque
ces décisions n'enét,aientpas moins obligatoires pour les souverains en
tant que décisions aclministratives puisque ((les deux souverains, en don-the British authorities, did specifically undertake to respect the decisions

that would be forthcoming" (Aiilarc/,ILR, Vol. 91, p. 577).

49. The situation in the DubuilSlzurjuli Border case therefore differed
in two respects from the present one. First, in 1954the Rulers of the six
Trucial States, through a resolution of the Trucial States Council, collec-

tively and formally requested the British Political Agent to determine
their respective boundaries. Second, both the Rulers of Dubai and
Sharjah explicitly promised not to "dispute or object to any decision
that may be decided by the Political Agent regarding the question of the
boundaries" between the Emirates.

50. In the present case the situation is decidedly less clear-cut. The
background is completely different. It was Great Britain, which had
reserved for itself the final Sayas regards granting oil concessions, that-
at the instigation of the Bahraini authorities - came to the conclusion
that it was necessary to determine whether the Hawar Islands belonged

to Bahrain or Qatar and thus initiated a procedure to settle the question.
It may have done so for very good reasons and the decision, which it
eventually took, may have been sound and correct, but al1this can hardly
be called a ~rocedure initiated bv the Parties themselves. At that time
(three years before the decision was taken and two years before the pro-
cedure was formally started) Qatar was not even aware of the existence of

a dispute and of the intentions of the other party to the dispute and of the
self-acclaimed conciliatorlarbiter.
51. 1now come back to the exchange of letters of May 1938 between
the Ruler of Qatar and the British Political Agent in Bahrain. In a letter
dated 10 May 1938,the Ruler of Qatar, who at that moment did not yet

know that two years earlier the Ruler of Bahrain had formally laid claim
to Hawar, complained about Bahrain making interferences at Hawar. He
expressed his confidence that the Political Agent, in order to keep the
peace and tranquillity, would do "what is necessary in the matter".
52. By letter of 20 May 1938,the Political Agent replied that "by their
formal occupation of the Islands for some time past" the Bahrain Gov-

ernment possessed a prima facie claim to them; he further informed the
Ruler that the British Government was willing to give a contrary claim
by Qatar the fullest consideration, but would not be prepared to prohibit
or restrict the occupation by the Bahraini Government unless and until
that contrary claim would be proved or accepted. He warned the Ruler
not to do anything which might lead to hostilities with the subjects of

Bahrain now in the Hawar Islands. Finally, he reminded the Ruler that
the matter would be decided "in the light of truth and justice" by the
British Government.

53. On 27 May 1938the Ruler of Qatar wrote a letter in which he for-

mally submitted his claim to the Hawar Islands, after having expressednant leur consentement à la délimitation de leurs frontières par les auto-
rités britanniques. s'rngageaient expressément à respecter les décisions

qui seraient prises)) ltraduction du Greffe] (A,i,rrr~l,lntern~~t~onalLuits
Rcporf~. vol. 91, p. 5'77).
49. La situation dans le DiJJlrend frontulier entre Cliuru'juhel Douhui'
était donc différente à un double titre de la présente affaire. Première-
ment, par une résolution adoptée en 1954 par le Conseil des Etats de la
Trêve,les souverains de ces six Etats ont collectivement et officiellement

demandéà l'agent politique britannique de définirleurs frontières respec-
tives. Deuxièmement, les souverains de Chardjah et de Doubaï ont tous
deux expressément promis de ne ((contester ni dénoncer aucune décision
qui pourrait êtreprise par l'agent politique au sujet de la question des
frontières)) entre les Emirats.
50. La situation eri l'espèce estincontestablement moins tranchée. Le

contexte est complètement différent.C'est laGrande-Bretagne qui. s'étant
réservéele droit de décider en dernier ressort de l'octroi de concessions
pétrolières.en est venue àl'instigation desautorités bahreïnites àconclure
qu'il fallait déterminer si les îles Hawar appartenaient à Bahreïn ou à
Qatar, et a engagéen conséquence une procédure de règlement de cette
question. Peut-êtrea-t-elle agi ainsi pour de trèsbonnes raisons et a-t-elle

pris finalement une décision judicieuse et correcte, mais il est difficile de
dire que la procédure ait été entaméepar les Parties elles-mêmes. A
l'époque(trois ans avant que la décision nesoit prise et deux ans avant
que la procédure ne soit officiellement lancée),Qatar n'avait même pas
connaissance de l'existence d'un différend et des intentions de l'autre
partie, ni d'ailleurs de celles du conciliateur ou arbitre autoproclamé.

51. Je reviens maintenant à l'échangeue lettres de mai 1938 entre le
souverain de Qatar et l'agent politique britannique à Bahreïn. Dans une
lettre en date du 10 mai 1938, le souverain de Qatar qui, à l'époque, ne
savait pas encore que, deux ans auparavant, le souverain de Bahreïn avait
officiellement revendiqué Hawar se plaignit de ce que Bahreïn s'y ingé-
rait.II se dit persuadé que, «pour préserver la paix et la tranquillité»,

l'agent politique ferait ((le nécessairedans cette affaire)).
52. Par une lettre du 20 mai 1938,l'agent politique répondit que «par
l'occupation formelle de ces îles depuis un certain temps)) le Gouverne-
ment de Bahreïn possédaitprirn~lfacie un titre sur elles. Il ajouta, néan-
moins, que le Gouvernement britannique était disposéà considéreratten-
tivement toute revendication formelle que Qatar au sujet des

îles Hawar, mais qu'il n'était pas disposé à interdire ou à restreindre
l'occupation des îles par le Gouvernement de Bahreïn à moins que le bien-
fondé de la revendication de Qatar ne soit démontréou admis, et en tout
cas jusque-là. Il mit le souverain en garde contre toute action susceptible
de déboucher sur un conflit ouvert avec les sujets bahreïnites résidant
actuellement dans le:;îles Hawar. II lui rappela enfin que le Gouvernement

britannique statuerait i ce sujet «dans un esprit de véritéet de justice)).
53. Le 27 mai 1'338,le souverain de Qatar écrivit une lettre dans
laquelle, après avoir remerciéle Gouvernement britannique d'avoir pro-239 DEL~MITATION AND QUESTIONS (SEP.OP. KOOIJMANS)

his gratitude for the promise that the British Government would decide
the matter in the light of truth and justice. He concluded the letter, saying
that he trusted that "His Majesty's Government will administer justice
and equity".
54. It is beyond my comprehension how this last sentence can be inter-

preted as implying the (belated) consent of the Ruler of Qatar to a dis-
pute settlement procedure. In my view, it should rather be seen as an
appeal to the British Government to honour its commitments under the
1916 Treaty. Referring to his letter of 10 May, the Ruler wrote in the
letter of 27 May:
"As 1 considered this (the Bahraini interference in Hawar) an
aggressive act,I deemed it incumbent on me to bring the matter first

to your notice in view of the relations existing between us, and the
right of His Majesty's Government to look into such matters."

55. After having been informed by the Political Agent that the British
authorities would do nothing before he would have presented a formal
claim to the Hawars, the Ruler of Qatar must have realized that he had
little choice but to accept what was happening and to try to make the
best of it. But that does not mean that on the basis of free consent he

asked the British Government to settlea dispute which had arisen between
himself and the Ruler of Bahrain. On the contrary, what actually acti-
vated the dispute was the fact that Great Britain realized that in al1prob-
ability there would be reciprocal claims.

56. Nor is there any indication that the Ruler of Qatar considered the
"award" to be a decision which was unassailable. Even after he had been
informed that the British decision was final, he expressed the hope that
the British Government would reconsider its position on the Hawar
Islands and he did so again in a letter of 21 February 1948,after Britain's
division of the sea-bed in December 1947.
57. In the light ofl1these events my conclusion can only be that there
was neither consent on the part of the Ruler of Qatar before the pro-
cedure was started nor acceptance or acquiescence afterwards. Only by
giving a rather imaginative interpretation of these events can the Ruler

of Qatar be said to have given his consent, but even then it is difficult to
cal1this free consent given in a timely fashion, as a result of which the
outcome of the procedure is opposable to him in spite of the protests he
made. 1feel that the Court has largely disregarded the political context
which, in view of what had already been occurring, gave the Ruler of
Qatar hardly any choice but to request the Protecting Power to comply
with its treaty-based commitments "in the light of justice and equity".

58. In my opinion this does not mean that the 1939decision is without
legal relevance. To give only one example, Bahrain cannot be said to
have acted illegallywith regard to the Hawar lslands as long as it acted inmis de déciderde la question en s'inspirant de la véritéet de la justice, il
revendiquait officiel1e:mentles îles Hawar. IIconcluait en se disant «per-

suadéque le gouverni:ment de Sa Majesté se prononcera en toute justice
et équité)).
54. Je n'arrive pas à comprendre comment cette dernière phrase peut
êtreinterprétée comme impliquant le consentement (tardif) du souverain
de Qatar a une procédure de règlement d'un différend.J'y vois plutôt un
appel adressé au Gouvernement britannique pour qu'il honore ses enga-

gements conformément au traité de 1916. Se référantà sa lettre du
10 mai, le souverain kcrivit le 27 mai dans une autre lettre:
((Considérant ce fait (l'ingérencede Bahreïn à Hawar) comme un

acte d'agression, j'ai estimé qu'il m'incombait de commencer par
porter l'affaire 21votre connaissance étant donné les relations qui
existent entre nous et le droit du gouvernement de Sa Majestéd'exa-
miner de telles affaires.))

55. Aprés avoir étiiinformé par l'agent politique que les autorités bri-
tanniques ne bougeraient pas avant qu'il ait officiellement revendiqué les
îles Hawar, le souverain de Qatar s'est certainement rendu compte qu'il
n'avait d'autre choix aue d'acce~ter la situation et d'en tirer le meilleur

parti possible. Mais cela ne signifie en aucun cas que. sur la base d'un
consentement librement donné, ilait demandé au Gouvernement britan-
nique de réglerun différend entre lui-mêmeet le souverain de Bahreïn.
Au contraire, le déclenchement du différend tient en réalité au fait que la
Grande-Bretagne s'est rendu compte que, selon toute probabilité, ily
aurait des revendications opposées.

56. Rien n'indique non plus que le souverain de Qatar ait considéréla
((sentence)) comme une décision inattaquable. Mêmeaprès avoir été
informédu caractère définitifde cette décision,il a exprimél'espoir que le
Gouvernement britannique reconsidérerait sa position au sujet des îles
Hawar et l'a fait à nouveau dans une lettre du 21 février 1948,après la
délimitation des fonds marins par les Britanniques en décembre 1947.

57. Compte tenu (le ce qui précède, maconclusion ne peut êtreque la
suivante: iln'y a pas plus eu de consentement de la part du souverain de
Qatar avant le début de la procédure que d'acceptation ou d'acquiesce-
ment par la suite. IIfaut beaucoup d'imagination pour dire que le sou-
verain de Qatar a d,onnéson consentement, mais, même alors,il serait
difficile de parler d'un consentement donné librement dans les délaisvou-

lus, si bien que l'issut:de la procédure lui serait opposable malgréses pro-
testations. J'estime que la Cour a bien négligéle contexte politique qui,
étant donné ce qui s'étaitdéji produit, ne laissait guère au souverain de
Qatar d'autre choix que de demander à la puissance protectrice de res-
pecter ses engagements conventionnels ((dans un esprit de justice et
d'équité)).

58. Cela ne signifie pas,à mon avis, que la décisionde 1939 est juridi-
quement dépourvue de pertinence. Pour ne citer qu'un exemple, on ne
peut pas dire que Elahreïn ait agi illégalement au sujet des îles Hawarconformity with rights attributed to it. But such a decision is not immune
from legal scrutiny (nor does the Court so claim) if the party which was

wronged and whose consent was flawed, expressed its opposition to the
decision in a timely fashion and regularly reserved its rights; this is what
Qatar has done. 1cannot agree with Bahrain's claim that Qatar's subse-
quent attitude implies that Qatar has acquiesced in Bahrain's sovereignty
over the Hawar Islands. Before as well as after independence Qatar has

sufficiently indicated that it does not renounce its claim to the islands.

59. The Court would, therefore, in my view have been fully entitled to
determine the issue of sovereignty over the Hawar Islands had it decided
that Qatar did not give its consent. Taking account of the criteria for ter-

ritorial sovereignty which have been established in international law the
Court should, in my view, have determined which of the Parties has a
better claim to the islands, just as it was requested to do with regard to
Zubarah, which was not the subject of an administrative decision. The
1939 decision is no more than a fact, which of course has to be taken into

consideration. Whether it was validly or invalidly taken in the context of
the relationship between Protecting Power and protected States is not a
matter for the Court to decide.

60. The dispute over the Hawar Islands is different from that over
Zubarah in that it arose only after the region had become economically
interesting because of the increasing importance of oil. From the very
outset therefore, the dispute, was placed in a modern setting.

The (Western-based) oil companies wished to have concessionary rights
over lots which were clearly defined and wished to obtain them from an
authority which had - preferably undisputed - territorial sovereignty
over such lots. If disputes arose between the entities which could grant a
concession for the exploitation of natural resources, such disputes were
about the precise course of boundaries or about sovereignty over well-

defined pieces of territory and such disputes lend themselves in principle
to settlement in conformity with rules and principles of contemporary
international law.
61. It should be kept in mind, however, that although the dispute itself
may have a typical twentieth-century appearance, the origins of the
claims go far back in time. In the present case both Parties base their ter-

ritorial claims on arguments which are often related to concepts of mod-
ern international law. For example, they either maintain or refute that
certain acts, performed in the nineteenth or the first decades of the twen-
tieth century, are evidence of possession ù titre de souvrrairiIn weighing
up these arguments one should, however, constantly bear in mind that,as

the Court of Arbitration in the DuhuilSl~crrjuh case said, "to apply theseaussi longtemps que ses actes ont étéconformes aux droits qui lui étaient
conférés.Mais cette décision n'est pas non plus à l'abri d'un examen du

juge (ce que d'ailleurs la Cour ne prétend pas) si la partie qui a étélésée
et dont le consentement était irrégulier y a exprimé son opposition en
temps voulu et a réseirvé ses droits dans les règles,comme l'a justement
fait Qatar. Je ne peux pas admettre l'allégationde Bahreïn selon laquelle
l'attitude ultérieure de Qatar signifie qu'il avait acquiescéà la souverai-
netéde Bahreïn sur les îles Hawar. Tant avant qu'après son accession à
l'indépendance, Qatar a amplement Saitsavoir qu'il ne renonçait pas à sa

prétention sur les îles.
59. Par conséquent, j'estime que la Cour aurait été parfaitement habi-
litéeà trancher la qu,cstion de la souveraineté sur les îles Hawar si elle
avait décidéqueQatar n'avait pas donnéson consentement. Compte tenu
des critères définisen droit international au sujet de la souveraineté ter-
ritoriale. la Cour aurait dû A mon sens déterminer laquelle des Parties
étaitla mieux fondéeà revendiquer les îles,comme cela lui a étédemandé

au sujet de Zubarah, qui n'a pas fait l'objet d'une décisionadministrative.
La décision de 1939 in'estrien de plus qu'un fait, qui doit bien sûr être
pris en considération. 11n'appartient pas à la Courde déterminer si elle a
été priseou non conformément au droit compte tenu des relations qui
existaient entre la puissance protectrice et les Etats protégés.

60. Ce qui distingue le différendqui oppose les Parties au sujet des îles
Hawar de celui portant sur Zubarah, c'est qu'il n'a surgi qu'une fois la
région devenue économiquement intéressante en raison de l'importance
croissante du pétrole. Ce différend s'est donc inscrit d'emblée dans un
contexte moderne.

Les compagnies pétrolières (occidentales) souhaitaient obtenir des
concessions sur des secteursclairement définis etse les voir accordéespar
une autorité ayant sur ces secteurs un titre de souveraineté territoriale de
préférenceincontesté. Les différends qui pouvaient éventuellement oppo-
ser les entitéshabilitees à octroyer une concession pour l'exploitation de
ressources naturelles concernaient le tracéprécisde frontières ou la sou-
verainetésur des zones bien définies etse prêtaienten principe a un règle-

ment conforme aux règleset aux principes du droit international contem-
porain.
61. 11ne faut cependant pas perdre de vue que, si le différend lui-même
apparaît comme étant bien de son siècle,ses origines remontent loin dans
le temps. En I'espéce, lesdeux Parties fondent leurs revendications terri-
toriales sur des arguments qui font souvent intervenir des notions de

droit international contemporain. Elles soutiennent ou réfutent,par exem-
ple, que certains actes, accomplis au XIX' siècleou dans les premières
décenniesdu XX', sont des preuves de possession à titre de souverain. Il
n'en convient pas inoins de garder constamment à l'esprit, en éva-
luant ces arguments, que, comme l'a dit le Tribunal arbitral qui a eu iirules (ofinternational law), in their contemporary form, to peoples which
have had, until very recently,a totally different conception of sovereignty
would be highly artificial" (A\z1cird,ILR, Vol. 91, p. 587).

62. As already indicated, it is an anachronism to construe the 1868
Agreement concluded by Great Britain with the Al-Thani chief in Doha,
as providing him with a title to the whole of the peninsula, including the
Hawar Islands. It simply cannot be maintained that the Hawar Islands
were part and parcel of Qatar right from its purported inception as a
sovereign State in 1868 and that Bahrain has to provide evidence of
preceding long-standing possession of the islands ù titre de .souvnain in
order to get its claim recognized as the better one.

63. Even if it is assumed,urguenu'o, that Qatar has original title by vir-

tue of the 1868 Agreement read in conjunction with the agreements of
Britain with Bahrain, this would not in itself be sufficient to defeat a
claim of Bahrain based on a long-standing display of authority, unless
Qatar itself could prove that it actually exercised some authority on the
islands. As Judge Huber said (with regard to occupation) in the Island of
Puln?cis case:

"The growing insistence with which international law . . . has
demanded that the occupation shall be effectivewould be inconceiv-
able, if effectiveness wererequired only for the act of acquisition and
not equally for the maintenance of the right." (United Nations,
Reports of Intern~~tinnulArbitral Aivurds (RIAA), Vol. II, p. 839.)

64. Qatar, however, has not been able to establish any facts which
would provide evidence of continued effective maintenance of the right
vested in its purported original title. Yet it has argued that its original
title to the Hawar Islands is confirmed by the principle of proximity or
contiguity. And it certainly cannot be denied that from a geographical
point of view the Hawar Islands belong to - or are even part of - the
peninsula, not only because they are very close to it, but also because
they form a fringe following the course of the coastline.

65. The principle of contiguity, although not unknown in international
law, is, however, no more than a presumption. To quote again Judge
Huber in his award in the Islund of Prrlmus case:
"As a rule establishing ipsojure the presumption of sovereignty in

favour of a particular State, this principle would be in conflict with
what has been said as to territorial sovereignty and as to the neces-
sary relation between the right to exclude other States from a region
and the duty to display therein the activities of a State." (RIAA,
Vol. II, pp. 854-855.)connaître de l'affaire Cliar/AjahlDoubuï,«il serait extrêmement artificiel
d'appliquer les règles du droit international sous leur forme contempo-
raine à des populations qui, jusqu'à une date très récente, avaient une

conception totalement différente de la souveraineté)) (Awurd, Interna-
tionul Luii Reporls, vol. 91, p. 587).
62. Ainsi que je l'ai déjà indiqué, ce serait un anachronisme que
d'interpréter I'accord conclu en 1868par la Grande-Bretagne avec le chef
Al-Thani a Doha comme conférant à ce dernier un titre de souveraineté
sur l'ensemble de la péninsule, y compris les îles Hawar. Il est tout sim-
plement impossible de soutenir que les îles Hawar ont fait partie inté-

grante deQatar dès sa prétendue création en qualitéd'Etat souverain en
1868 et que Bahreïn doit fournir la preuve d'actes de possession bien
antérieurs à titre de souverain pour faire admettre que sa revendication
est la mieux fondée.
63. Mêmeen supposant, pour les besoins de la démonstration, que
Qatar détienne un titre originaire en vertu de l'accord de 1868, pris

conjointement avec les accords conclus entre la Grande-Bretagne et
Bahreïn. cela ne suffirait oas en soi à faire échecà une revendication de
Bahreïn fondéesur des actes d'autorité accomplis de longue date, a moins
que Qatar lui-mêmene soit en mesure de prouver avoir exercéune cer-
taine autorité sur les îles. Comme l'a dit M. Huber (au sujet de l'occupa-
tion) dans l'affaire de 1'11~de Paltnus:

«L'insistance croissante avec laquelle le droit international .. a
demandéque l'occupation soit effective serait inconcevable si l'effec-

tivité n'étaitexigéeque pour l'acte d'acquisition et ne l'étaitpas éga-
lement pour le maintien du droit.)) (Revue de droit internutionul
public, troisième série,t.IX, p. 164.)

64. Or, Qatar n'a pas été en mesure d'établir des faits apportant la
nreuve du maintien effectif et continu du droit aue lui aurait conféréson
prétendu titre originaire. Pourtant, il a Sait valoir que ce titre sur les îles
Hawar était confirmé par le principe de proximité ou de contiguïté. Et,
du point de vue géographique, ilest incontestable que les iles Hawar
appartiennent à la pé,ninsule - ou en font même partie - non seulement

Grce qu'elles en sont très proches, mais aussi parce qu'elles forment un
chapelet le long de Iicôte.
65. Bien qu'il ne soit pas inconnu en droit international, le principe de
contiguïté n'est cependant rien de plus qu'une présomption. Pour citer à
nouveau M. Huber dans la sentence rendue en l'affaire de l'lle de Palmas:

«comme règleétablissant ipsojure une présomption de souveraineté
en faveur d'un Eitatdéterminé,ce principe viendrait contredire ce qui
a été exposé en ce qui concerne la souveraineté territoriale et en ce

qui concerne la relation nécessaireentre le droit d'exclure les autres
Etats d'une région donnée et le devoir d'y exercer les activitéséta-
tiques)) (Revuc de droit inrrvnationul public, troisième série,
t.IX, p. 182). 66. Much has been made of the fact that in the paragraph just quoted
from, Judge Huber seemed to refer only to islands situated outside terri-
torial waters, which would allow for an u cotztrurio interpretation with

regard to islands situated within a State's territorial waters. Huber's
reasoning, however, is as pertinent to islands lying within territorial
waters. It is the display of State activities in order to exclude claims
of other States which is the decisive factor.
This also seems to be the view of the Arbitral Tribunal in the Erifrcul
Yrmcn case, which stated:

"there is some presumption that rrnjislands off one of the coasts
may be thought to belong by appurtenance to that coast unless the

State on the opposite coast has been able to demonstrate a clearly
better title"(Aii,crrr. lzcr.Otw, p. 119,para. 458; emphasis added).

67. In support of its claim to the Hawar Islands, Qatar also relies on
cartographic evidence. It has subrnitted an impressive amount of maps
and other cartographic evidence, the greater majority of which convin-
cingly indicates that, for a considerable period of time preceding the 1939
British decision, the Hawar Islands were considered to belong to what

eventually became the State of Qatar. The cartographic evidence sub-
mitted by Bahrain is, to put it mildly, sparse and rather ambiguous.
68. It does not seem necessary to recall in great detail what the Cham-
ber of the Court had to say about the value of map evidence in the case
concerning the Froiztirr Dispute (Burkin~rF(r.solRepuhlic of Mali), viz.,
that maps cannot constitute a territorial title but are usually merely

extrinsic evidence which may be used, along with other circumstantial
evidence, to establish or reconstitute the real facts (I.C.J. Repor.t.1986,
p. 582, para. 54).Since Qatar has in my view not been able to demon-
strate that it has title to the Hawar Islands based on the display of
authority - even in the most limited way - in combination with a
legally recognized mode of acquisition, the cartographic evidence must in

my view be discarded.

69. The latter conclusion does not mean that it migl~tnot be desirable
to try to find an explanation for the indeed remarkable consistency with
which the maps seem to apportion the Hawar Islands to Qatar; even if
this consistency can partly be explained by the fact that cartographers

often refer to already existing maps and in certain respects copy them,
this certainly cannot be the only explanation.
70. Of more relevance may be the fact that most cartographers of that
period were Westerners who were used to drawing their maps on the
basis of generally available information, which could be supplemented by
their own expertise and research, and on the assumption of the existence

of clearly defined territorial units. If maps have to be drawn of an area
where precise boundaries do not exist, and where the emanations of DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP. IND. KOOIJMANS) 242

66. Il a été souventrelevéque, dans le paragraphe que je viens de citer,
M. Huber semble parler uniquement des îles situéesIrorsdes eaux terri-
toriales, ce qui autoriserait une interprétation a contrurin pour les îles
sises dans les eaux territoriales d'un Etat. Mais le raisonnement de
M. Huber s'applique aussi bien à ces dernières. Le facteur décisifpour
exclure les prétentionisd'autres Etats est l'exercice d'activités étatiques.

Tel semble êtreaussi le point de vue du Tribunal arbitral qui, dans
l'affaire Erj,t/rr&Yl4nrc.n.a indiqué :

<<[i]lest donc jusqu'à un certain point possible de présumerque toute
(les italiques sont de moi) île situéeau large d'une des côtes peut être
considéréecomme appartenant à cette côte en tant que dépendance
sauf si 1'Etat sur le territoire duquel se trouve la côte opposée a pu

démontrer qu'il avait un titre manifestement meilleur» (Sentc~17c.~.
Prer?ii>rcphrrsc..par. 458, p. 121 ).
67. A l'appui de sa revendication concernant les îles Hawar, Qatar a

é"alement soumis un nombre im~ressionnant de cartes et d'autres docu-
ments cartographiques dont la grande majorité montre de façon convain-
cante que, bien avant la décision britannique de 1939, ces îles ont été
considéréescomme appartenant ii ce qui a fini par devenir 1'Etat de
Qatar. Les élémentsde preuve cartographiques présentéspar Bahreïn ne

sont, pour ne pas dire plus, ni nombreux ni clairs.
68. Il ne paraît pas nécessairede rappeler très longuement ce qu'a dit
la Chambre de la Cour de la valeur des preuves cartographiques dans
l'affaire du Di/fGrc>nrl,/iol7tulie(B~rrh--in(F/~isolR&pz~hliqudc~ Muli), à
savoir que les cartes ne sauraient constituer un titre territorial et ne sont

généralementque des élémentsde preuve extrinsèques auxquels il peut
êtrefait appel. parmi d'autres élémentsde preuve de nature circonstan-
cielle, pour établir01) reconstituer la matérialité des faits(C.I.J. Rec.trci1
1986, p. 582, par. 54).Qatar n'ayant pas étéen mesure, selon moi. de
démontrer qu'il a un titre sur les îles Hawar reposant sur l'exercicede son
autorité mêmede la façon la plus limitéeet selon un mode d'acquisition

juridiquement admis. j'estime que les donnéescartographiques ne doivent
pas êtreprises en compte.
69. Cela ne signifie pas qu'il ne pourrait pas être souhaitable de cher-
cher à expliquer la constance vraiment remarquable avec laquelle les
cartes semblent attribuer les îles Hawar à Qatar; mêmesi cette constance

tient en partie à ce que les cartographes se réfèrentsouvent à des cartes
existantes et jusqu'à un certain point les copient, cette explication n'est
certainement pas la :jeule.
70. 11est peut-êtreplus significatif que la plupart des cartographes de
cette époque étaient des Occidentaux qui avaient l'habitude de se fonder
sur des données généralement disponibles qu'ils pouvaient compléter

grice à leur savoir et à leurs propres travaux, et de présumer l'existence
d'entités territoriales bien définies. S'ilfaut établir des cartesd'une région
où iln'existe pas de frontières précises etoù le pouvoir étatique ne repose243 DELIMITATION AND QUESTIONS (SEP.OP.KOOIJMANS)

governmental power do not in the first place rest on territorial exclusivity,
it is only logical to assume that islands which are only sparsely andtor
temporarily inhabited and which are situated close to the Coast of the

mainland. are part of that mainland. ln such a case, however, the map
is more a reflection of the geographical than of the political situation for
the simple reason that the political situation is too opaque to reproduce
it in a traditional and readily recognizable way.
71. It therefore seems useful to take to heart the words of Judge Huber
in theI.slrnd«J'Pcrlr~irase:

"If the Arbitrator is satisfied as to the existence of legally relevant
facts which contradict the statementsofcartographerwhose sources
of information are not known, he can attach no weight to the maps,

however numerous and generally appreciated they are." (RIAA,
Vol.II,p. 853.)

It is therefore necessary now to deal with the licjfectiv sutmkstted
by Bahrain in order to see whether Judge Huber's statement holds true
for the present case.
72. Just as with regard to its claim to Zubarah, it is the existence of
ties of allegiance between the Ruler of Bahrain and the tribes which
had settled on Hawar Island, in particular the Dowasir, which forms

the core of Bahrain's argument. It has given itself great pains not only to
prove these ties of allegiance but also to present theff2ctiv it c.s
evidence the "genuine display or exercise of authority".

73. In the period before 1936 - the starting-point of the disput-
these ejf2ctiv arrinebulous and ambiguous at most, and often rest on
hearsay recorded by foreigners. Itis, however, beyond doubt that links

existed between the main island of Bahrain, in particular the town of Zel-
laq (the main centre of population of the Dowasir) and Hawar, to which
these Dowasir regularly moved. Whether this translated itself into "ties
of allegiance" towards the Ruler of Bahrain is less clear from the evi-
dence submitted to the Court, although it is certainly not unthinkable
since their main residence was in Bahrain and there was no other ruler in

the area to whom they could feel allegiance, certainly not the Ruler in
Doha, of whose existence they well may have been unaware considering
that the coastal area opposite the Hawars was uninhabited.

74. It is true that such ties were not continuous and that they were
sometimes temporarily interrupted, as was regularly the case with such

ties in the region. In the 1920s, for instance, a conflict arose between the
Ruler of Bahrain and the Dowasir of Zellaq, as a result of which the
latter moved from Bahrain Island to the Arabian peninsula, returning
to Bahrain only after a number of years. It is highly improbable, however,
that the inhabitants of Hawar,which could hardly be calleda hospitablepas en premier lieu slur l'exclusivitéterritoriale, il n'est que logique de
supposer que des îles qui ne sont guère peupléeset/ou ne le sont pas en

permanence et qui sont situéesà proximité de la côte du territoire conti-
nental font partie de cteterritoire. Mais une telle carte reflètedavantage la
situation géographique que la situation politique, pour la simple raison
que cette dernière est 1:ropopaque pour êtrereprésentéecomme on le fait
traditionnellement et de facon aisément reconnaissable.
71. 11paraît donc utile de donner tout leur poids aux termes employés

par M. Huber dans l'affaire de I'Ilc IIPPulmus:
((Lorsque l'arbitre est convaincu de I'existence de faits juridiques
déterminants qui contredisent les affirmations de cartographes dont

les sources d'information ne sont pas connues, il est libre de n'atta-
cher aucune valeur aux cartes, si nombreuses et appréciéesqu'elles
puissent être.» (~Peijucl(>droit interr~utinizplublic,troisième série,
t. IX, p. 180.)

Il faut donc examiner maintenant la liste des effectivités soumise par
Bahreïn pour déterminer si la conclusion de M. Huber est valable en
l'espèce.
72. Tout comme pour Zubarah, Bahreïn fonde l'essentiel de son argu-
mentation au sujet des îles Hawar sur I'existence de liens d'allégeance

entre le souverain de Bahreïn et les tribus qui s'étaient installéessur l'île
Hawar, en particulier les Dowasir. IIs'est donné beaucoup de peine, non
seulement pour prouver ces liens d'allégeance mais aussi pour présenter
les effectivitésqui attestent que son autorité se manifestait et s'exerçait
véritablement.
73. Pour la périodequi a précédé 1936, c'est-A-direl'annéeoù est néle
différend.ces effectivités~araissent au mieux nébuleuseset incertaines. et

reposent souvent sur des informations données par des étrangers d'après
ce qu'ils avaiententendu dire. II ne fait cependant aucun doute que des
liens existaient entre l'île principale de Bahreïn, en particulier la ville de
Zellaq (agglomératiori où l'on trouvait le plus de Dowasir), et l'île Hawar,
où se rendaient périodiquement ces Dowasir. Les élémentsde preuve pré-
sentésà la Cour n'indiquent pas aussi clairement si cela se concrétisait en

((liensd'allégeance))au souverain de Bahreïn, encore que ce ne soit certes
pas inconcevable puisque leur principal lieu de résidenceétaità Bahreïn,
qu'il n'y avait dans la régionpas d'autre souverain auquel ils auraient pu
êtreprêts A faire allégeance. et qu'en tout cas ils ignoraient sans doute
I'existence mêmedu souverain de Doha puisque la zone côtière faisant
face aux îles Hawar etait inhabitée.
74. 11 est vrai que ces liens n'ont pas été stables et ont parfois été

coupés temporairemt:nt, ce qui n'avait rien d'inhabituel dans la région.
Ainsi. au cours des années 1920, i la suite d'un conflit entre le souverain
de Bahreïn et les Dclwasir de Zellaq, ceux-ci quittèrent l'île de Bahreïn
pour la péninsule Arabique et ne retournèrent finalement à Bahreïn
qu'après plusieurs années. Il est cependant fort improbable que les habi-
tants de Hawar, qui ne pouvait guère êtrequalifié de lieu hospitalier,place, were able to carry on without a basis of support on Bahrain Island

and there was no other place for them to turn to.
75. However, it is the ~ff~c~iii~it~p~res,nted as evidence of a display of
authority, which are less persuasive. It is by now quite clear that Hawar
was inhabited. at least on a periodic basis, as proved by the existence of
cisterns, houses. cemeteries, etc. There is also no reason to doubt that
from time to time measures were taken by Bahraini officiaiswith regard

to events which had taken place on Hawar. What is much lessclear, how-
ever. is whether this is a reliable indication that the R~ilerof Bahrain con-
sidered the Hawars to be part of his domain; no evidence is provided of
a c~ontit~uoud isplay of authority nor of the fact that the people in Hawar
turned on their own initiative to the Ruler of Bahrain when they felt tl-iey

needed help.

Illustrative in this respect is that, before 1936. no mention is made of
Hawar in the Annual Reports produced by the Bahraini authorities.
76. At first sight, therefore, the ejjc.c.tiviri.spresented by Bahrain seem
hardly sufficient to provide conclusive evidence of what the Permanent

Court of International Justice in the ELI.YIC~ G~rIc'~~tzk~tladse called two
elements, each of which must be shown to exist, namely "the intention
and the will to act as sovereign and some actual exercise of or display of
such authority" (P.C.I.J., Sc~rie.rAIB, No. 53, pp. 45-46), even if it is
considerably more than has been presented by Qatar. These two con-

cepts, however, must be appraised in relation to the legal and political
context of the relevant period and of the region concerned. And these con-
cepts had at that time definitely a different connotation in the Gulf area
than they had in the relations between Western and European States. It
would, therefore, in my opinion be wrong in the present case to draw a

parallel with the Court's finding in the Krr.sikililSe~lur/Islcrrztl(Botsii~unal
Nrlniibini case to the effect that - in mite of the fact that links of
allegiance might have existed between 'the Masubia tribe and the
Caprivi authorities - it had "not been established that the members of
this tribe occupied the Island Li fifre dc~.soui,c'rrrini,.e., that they were
exercising functions of State authority there on behalf of those authori-

ties" (Judgn~c~nt1,.C.J. Reports IYYY (Il), p. 1105,para. 98). In that case
the authorities concerned were the authorities of European colonial
powers which were well acquainted with notions of sovereignty and exclu-
sive iurisdiction.
77. Much more appropriate for the preseilt case seems to be the

Permanent Court's finding in the Eustern Grecwlun~lcase that

"It is impossible to read the records of the decisions in cases on
territorial sovereignty without observing that in many cases the tri-
bunal has been satisfied with very little in the way of the actual exer-
cise of sovereign rights. providerl tlilit the orhcr Siritc~c.oultinot niukr

out LI~zipcv-iorckuini." (P.C.I.J., Scrie.cAIB. No. 53, p. 46; emphasis
added. )aient pu se maintenir sans une base arrière sur l'îlede Bahreïn qui étaitle
seul endroit vers lequel ils pouvaient se tourner.
75. Mais ce sont le:$effectivités,présentéescomme preuve de l'exercice
d'une autorité, qui sont moins convaincantes. II est maintenant tout à

fait manifeste qu'Hawar a bien été habitée,du moins périodiquement,
comme en témoigne la présence de citernes, de maisons, de cimetières,
etc. Rien ne permet non plus de douter que des mesures aient étéprises de
temps à autre par des responsables bahreïnites face à des événements
ayant eu lieu à Hawair. II est par contre beaucoup moins évidentque cela
montre bien que le souverain de Bahreïn considérait les îles Hawar

comme faisant partie de son domaine; aucune preuve n'a été fourniede
manifestations continues d'autorité et rien n'atteste que les habitants de
Hawar s'adressaient de leur propre initiative au souverain de Bahreïn
quand ils pensaient avoir besoin d'une aide.
On notera à cet égardqu'avant 1936 Hawar n'a jamais été mentionnée
dans les rapports anriuels établispar les autorités bahreïnites.
76. Ainsi, A première vue, les effectivités présentéespar Bahreïn ne
paraissent guère suffisantes pour apporter des preuves concluantes de

l'existence des deux éléments évoquép sar la Cour permanente de Justice
internationale dans I'affaire du GroPtzlundoriPnrul,à savoir «l'intention
et la volonté d'agir einqualité de souverain, et quelque manifestation ou
exercice effectif de cette autorité)) (C.P.J.I., sc;rieAIB 53, p. 45-46),
mêmesi ces effectivittJsl'emportent de beaucoup sur celles dont a fait état
Qatar. Ces deux concepts doivent toutefois être rapportésau contexte
juridique et politique de l'époqueet de la régionconcernées,et il est cer-

tain qu'ils avaient alors dans la régiondu Golfe une connotation qu'ils
n'avaient pas dans les relations entre Etats occidentaux et européens.
Aussi serait-il à mon avis erroné en l'espèced'établirun parallèle avec la
conclusion de la Courdans I'affaire de l'llc)de K~~sikililSedudu(Boot.sti~crtiu1
Numihic)) selon laqut:lle, mêmesi des liens d'allégeanceavaient pu exister
entre la tribu des Maiiubia et les autorités du Capriiln'étaitpas ((établi
que les membres de cette tribu occupaient l'îleA titre de souverain, c'est-

à-dire y exerçaient des attributs de la puissance publique au nom de ces
autorités)) (cirr?r,C.J. Rccueil 1999 (Ilj, p. 1105, par. 98). Dans cette
affaire, les autorités concernées étaient celles de puissances coloniales
européennes parfaitement familiarisées avec les notions de souveraineté
et de compétence exclusive.

77. En l'espèce,la conclusion de la Cour permanente dans I'affaire du

Gro2nl~lndori~ntul paraît beaucoup plus appropriée:

((11est impossible d'examiner les décisions rendues dans les af-
faires visant la souveraineté territoriale sans observer que, dans beau-
coup de cas, le i.ribunal n'a pas exigéde nombreuses manifestations
d'un exercice de droits souverains pourvir que I'LIU~YE t>t en cuuse
ne pût jirirc vuloir une prktention .supc;ricu». (C.P.J.I., .sc;rieAIB

n" 53, p. 46; les italiques sont de moi.)245 DELIMITATION AND QUESTIONS (SEP.OP. KOOIJMANS)

The correct conclusion in my opinion is that one can be "satisfied with
very little in the way of the actual exercise of sovereign rights" by Bah-
rain, since the other State, Qatar, "could not make out a superior claim".
Tevtium non datur according to the submissions of both Parties.

78. To put it in other words, 1916, the year of the final withdrawal of
the Ottomans from the peninsula and of the establishment of a special
relationship with Great Britain, may be seen as the year of Qatar's
coming-of-age, providing it with a potential comprehensive legal title to
the whole of the peninsula. Whereas Qatar, both before 1916(when that

potential title was not yet complete because of Ottoman sovereignty) and
after, succeeded in consolidating its authority in the Zubarah part of the
peninsula, it never even tried to do so with regard to the Hawars. The
rather meagre ej'rctii~itc;~, uilt up in that period by Bahrain, must be
deemed to prevail over Qatar's potential title to the islands, since there

was not even a vestige of display of authority by that State.

79. It is for these reasons that 1concur with theCourt's finding in para-
graph 2 of the operative part of the Judgment that Bahrain has sover-
eignty over the Hawar Islands. I have found it necessary to set out the

reasons which brought me to that conclusion, since 1 disagree with the
Court's reasoning.

VII. THEQUESTION OF JANAN

80. The question to which of the Parties Janan Island belongs is a
rather peculiar one. Bahrain based its claim to the island on the fact that
it was not e.uclutiedfrom the Hawar group when the British Government
decided in July 1939that the Hawar Islands belonged to Bahrain. Qatar,

for its part, bases its claim on the fact that Janan was explicitly not
incluclrdin the Hawar group when Great Britain gave its "decision" on
the division of the sea-bed between the Parties in December 1947.

81. These different interpretations of the position of the British Gov-

ernment are apparently the main - if not the only- reason why sov-
ereignty over Janan has been presented as a separate issue. On more
substantive matters, the Parties invoke the same arguments as they do
with regard to the Hawar group as a whole; Qatar bases itself primarily
on the principle of proximity, Bahrain on its alleged display of sover-
eignty. There is no reason whatsoever to diverge from my viewson these

issues with respect to the Hawar Islands in general when it cornes to
Janan Island in particular.
82. The only remaining problem, therefore, is how to deal with the
ostensibly incongruous position taken by the British Government in 1939
and 1947 respectively. What are the legal iinplications involved? DELIMITATION ET QUESTIONS (OP.IND. KOOIJMANS) 245

La conclusion qui s'impose selon moi est qu'il n'est pas nécessaire
d'exiger de Bahreïn «de nombreuses manifestations d'un exercice de
droits souverains)) puisque l'autre Etat. Qatar, «[n'a pu] faire valoir une
prétention supérieure)). Tertiuin no17datlrr d'après les conclusions des

deux Parties.
78. En d'autres termes. l'année 1916, qui a marqué le retrait définitif
des Ottomans de la péninsule et l'établissement d'une relation spéciale
avec la Grande-Bretagne, peut êtreconsidéréecomme l'annéeoù Qatar,
en quelque sorte, est arrivéà l'âge de la maturité et où un titre juridique

complet sur l'ensemble de la péninsule lui a étévirtuellement attribué.
Alors que Qatar, aussi bien avant 1916(quand ce titre virtuel n'était pas
encore complet en raison de la souveraineté ottomane) qu'après. a réussi
à consolider son autorité dans la régionde Zubarah, il n'ajamais cherché
à le faire autant dans les îles Hawar. Le ca~ital assez mince d'effectivités

constitué par Bahreïri pendant cette période doit êtreréputé l'emporter
sur le titre virtuel de Qatar, qui n'a à son actif pas la moindre trace de
manifestation d'autorité.
79. C'est pour ces raisons que je me rallie à la conclusion de la Cour,

au paragraphe 2 du dispositif de l'arrêt,selon laquelle Bahreïn a souve-
raineté sur les îles Hawar. J'ai jugé nécessaired'exposer les motifs qui
m'ont amenéà cette iconclusion puisque je suis en désaccord avec le rai-
sonnement de la Cour.

VII. LA QUESTION DE JANAN

80. La question de savoir à laquelle des Parties appartient l'île de
Janan est assez singulière. Bahreïn a fondé sa revendication sur le fait que

l'île n'était pas~~'cc~ldu groupe des Hawar lorsque le Gouvernement
britannique a décidé, en juillet1939, que les îles Hawar appartenaient à
Bahreïn. Pour sa part, Qatar s'appuie sur le fait que Janan n'était pas
expressément incluse dans le groupe des Hawar quand la Grande-

Bretagne a rendu sa ((décision » sur la division des fonds marins entre les
Parties en décembre 1947.
81. Ces interprétations différentes de la position du Gouvernement
britannique sont apparemment la principale - sinon la seule - raison
pour laquelle la souveraineté sur l'îledeJanan a étéprésentéecomme une

question distincte. Sur le fond, les Parties invoquent les mêmesarguments
que ceux au sujet clu groupe des Hawar dans son ensemble: Qatar
s'appuie avant tout s,urle principe de proximité et Bahreïn sur ses alléga-
tions relatives à ses rrianifestations de souveraineté. Il n'y a aucune raison
pour que mon point de vue sur ces questions au sujet des îles Hawar en

généralchange quand il s'agit de l'île de Janan en particulier.
82. Aussi le seul problème qui demeure est-il le suivant: comment
faut-il traiter les positions apparemment discordantes que le Gouverne-
ment britannique a prises en 1939 et en 1947. Quelles en sont les impli-
cations sur le plan du droit? 83. In the letters to the Rulers of Bahrain and Qatar of II July 1939
reference was only made to "the ownership of the Hawar Islands". No
reasoning was given for the decision to award them to Bahrain.
Of more relevance is the fact that in the letter from the Political Agent

in Bahrain, Sir Hugh Weightman, to the Political Resident in the Gulf,
which contained the arguments for the British decision, no mention was
made of a special position with respect to Janan Island (Judgment,
para. 128). From the history of the oil concessions negotiated during the
1930s, it is, however, evident that Janan was considered part of the
Hawar group. This is confirmed by a letter from Colonel Hay, Political

Resident in the Gulf, to the lndia Office, written in 1947. In this letter, in
which he gave his recommendations with regard to the division of the
sea-bed, he wrote: "1 must cal1 attention to the point that Janan was
definitely included in the area for which Petroleum Concessions Limited
were negotiating with the Bahraini Government in 1938-39".
84. In my view, Bahrain had every reason to believe that the British
decision included Janan in the Hawar group, and that, accordingly, it

had sovereignty over it. Neither was there any reason for the Ruler of
Qatar to believe that it was not included and in his various letters and
protests from that period, no specific mention of Janan was made.
85. The letter of 23 December 1947 to the Rulers of Bahrain and
Qatar, containing the views of the British Government on the delimita-
tion of the sea-bed, was the very first document which made specificmen-

tion of Janan Island, excluding it from the Hawar group. Its legal status
is not very clear. In the introductory paragraph, it is stated that "apart
fromany other considerations" (which are not further indicated) a delimi-
tation of the sea-bed is deemed necessary because of the operations of the
oil companies in the territories of Bahrain and Qatar".

86. Although paragraph 3 of the letter inakes reference to "this deci-
sion", the words and expressions used make clear that it only reflects the
views of the British Government on the sovereign rights the Parties
already have. It can therefore not be seen as an instrument which
attributes such rights. In paragraph4 it is explicitly stated that the Sheikh
of Bahrain i. srcognized as having sovereign rights in the Hawar Islands,
it being added that "Janan Island" is not regarded as being included in

the islands of the Hawar group. At best, therefore, the letter can be seen
as a (belated) interpretation of the 1939 decision by the British authori-
ties. and not as a rectification of it with binding effect.

87. The reasons why Janan was detached from the Hawar group can
be found in the advice of the Political Agent in Bahrain of 31 December

1946and is summarized in a letter of the Political Resident in the Persian
Gulf of 18 January 1947. I do not find these arguments very persuasive.
The decisive factor seems to have been that the channel between Hawar
(the main island of the group)and Janan was the main access to the land-
ing place of the PCL oil Company in Zakarit (Zukrit) Bay, off mainland 83. Les lettres adressées le1 juillet 1939aux souverains de Bahreïn et
de Qatar se bornaient à mentionner ((l'appartenance des îles Hawar»
sans expliquer pourq~ioi il avait été décidde les attribuer à Bahreïn.
Il est plus significatif que la lettre adressée par l'agent politique à

Bahreïn, sir Hugh Weightman, au résident politique dans le Golfe, où
sont exposésles motifs de la décisionbritannique, n'ait pas fait étatd'une
position spécialeau s~ijetde I'îlede Janan (arrêt, par. 128). L'histoire des
concessions pétrolièresnégociéesdurant les années trente montre pour-
tant a l'évidenceque Janan était considéréecomme faisant partie du
groupe des Hawar. C'est ce que confirme une lettre adressée en 1947 à

I'India Office par le colonel Hay. résident politique dans le Golfe. For-
mulant ses recommandations au sujet du partage des fonds marins, il
écrivait: ((Je dois appeler l'attention sur le fait que Janan a étéincluse
dans la zone à propos de laquelle la Petroleum Concessions Limited
négociait avecle Gouvernement de Bahreïn en 1938-1939.»
84. A mon avis, Bahreïn avait toutes les raisons de croire que la déci-
sion britannique incluait Janan dans le groupe des Hawar et qu'il avait

donc souveraineté sur elle. Le souverain de Qatar n'avait quant à lui
aucune raison de penser que l'île n'étaitpus incluse et ses lettres et pro-
testations de l'époquene la mentionnent pas expressément.
85. La lettre adresséele 23 décembre 1947 aux souverains de Bahreïn
et de Qatar, où est exposéle point de vue du Gouvernement britannique
sur la délimitation des fonds marins, est le tout premier document faisant

expressément mention de I'île de Janan, qu'elle exclut du groupe des
Hawar. Son statut juridique n'est pas trèsclair. II est indiquédans le para-
graphe d'introduction qu'indépendamment de toute autre considération
(sans plus de précisionsà leur sujet) une délimitation des fonds marins est
jugée nécessaire en raison des activités des sociétés pétrolièresdans les
territoires de Bahreïn et de Oatar.
86. Bien que le paragraphe 3 de la lettre parle de ((cette décision)),les

mots et expressions iitilisésindiquent bien qu'elle ne fait que refléterle
point de vue di1Gouvernement britannique sur les droits souverains que
détiennent déjàles Parties. Elle ne peut donc êtreconsidéréecomme un
instrument attribuant ces droits. IIest expressément indiqué au para-
graphe 4 qu'il est reconnu que le cheikh de Bahreïn a des droits
souverains sur les îles Hawar, et que ((l'îlede Janan » n'est pas considérée
comme en faisant partie. Par conséquent, cette lettre peut êtreconsidérée

au mieux comme une interprétation (tardive) de la décision prise en
1939 par les autorités britanniques et non comme une note rectificative
ayant force obligatoire.
87. Les raisons pour lesquelles Janan a été détachée du groupe des
Hawar sont données dans l'avis de l'agent politique à Bahreïn en date du
31 décembre 1946 el. récapituléesdans une lettre du résident politique

dans le Golfe en date du 18 janvier 1947. Je ne les trouve pas très
convaincantes. Le facteur décisifsemble avoir étéque le chenal qui sépare
Hawar (île principale du groupe) deJanan constituait l'accèsprincipal au
débarcadèrede la sociétépétrolière PCL dans la baie deZakarit (Zukrit),Qatar. It was considered undesirable that Bahrain would be able to block
this access, which it could do if it had sovereignty over both Hawar and
Janan. The decision, therefore, was taken on the basis of political con-
siderations which, moreover, did not yet play a role in 1939when Great
Britain awarded the Hawar group to Bahrain.

88. The conclusion seems justified that, until 1947, Janan was con-
sidered by the British authorities, as well as by both Bahrain and Qatar,
to be part of the Hawar group. In this respect, it may be observed that,
when Bahrain beaconed Janan Island after the 1939decision, the British
authorities did notprotest, although they had been informed. Even if the

display of governmental authority by Bahrain must be deemed rather
weak with regard to the main island, there does not seem to be any
reason to detach one of the smaller islands from the group, unless Qatar
could demonstrate that it has a stronger claim to that particular island.
Since this is not the case, Janan should be seen as part of the Hawars and
consequently as being under the sovereignty of Bahrain. Whether this is
an application of the principle of the natural or physical unity of a group

of islands is in my opinion not relevant, since this principle is at best a
rebuttable presumption which in itself is not creative of title. Of decisive
importance is that, when in the 1930sthe dispute over the Hawars arose,
both Parties as well as the Protecting Power never considered Janan
Island as separate from the group. Since Janan must be considered part
of the Hawars over which Bahrain has sovereignty, 1have voted against

operative paragraph 3 of the Judgment.

89. Although 1fully agree with the Court's reasoning on the maritime
delimitation, and although 1 have also voted for paragraph 6 of the
operative part of the Judgment, it scarcely needs explaining tha1 cannot
agree with that part of the single maritime boundary that runs westward
between Jazirat Hawar and Janan. Since in my viewJanan is part of the
Hawars and thus belongs to Bahrain, the boundary should run south-
westward between Janan and the Coast of the peninsula. However, as the

Court ruled that Janan belongs to Qatar and drew the maritime bound-
ary in conformity with that finding, 1saw no reason to express my slight
disagreement by casting a negative vote.

(Signed) P. H. KOOIJMANS.au large de la côte continentale de Qatar. II n'étaitpas jugésouhaitable
que Bahreïn puisse blioquer cet accès, ce qu'il lui aurait étéloisible de

faire s'il avait eu souveraineté surHawar et Janan. Cette décision adonc
étéprise sur la base de considérations politiques qui, en outre, n'étaient
pas encore 6 l'ordre du jour quand, en 1939, la Grande-Bretagne a
attribué le groupe des Hawar à Bahreïn.
88. 11paraît justifie: de conclure que, jusqu'en 1947, Janan fut consi-
déréecomme faisant partie du groupe des Hawar par les autorités bri-

tanniques, ainsi que par Bahreïn et Qatar. On peut à cet égard faire
remarquer que, lorsque Bahreïn installa des balises sur I'îlede Janan après
la décisionde 1939,les autorités britanniques, informées, neprotestèrent
pas. Mêmesi les manifestations d'autorité étatique de Bahreïn doivent
êtreconsidérées comrne assez faibles en ce qui concerne I'île principale,
rien ne semble devoir justifier que l'une des petites îles soit détachéedu

groupe, à moins que Qatar ne soit en mesure de démontrer qu'il a une
prétention plus solide sur cette île-16.Puisque tel n'est pas le cas, Janan
doit êtreconsidéréecomme faisant partie des Hawar et, en conséquence,
comme relevant de la souveraineté de Bahreïn. Peu importe, à mon sens,
que ce soit là une application du principe de l'uniténaturelle ou physique
d'un groupe d'îles, ce principe étant au mieux une présomption réfutable

qui, en soi, ne peut créerde titre. Ce qui est décisif, c'estque dans le cou-
rant des années trente, lorsque le différend est né, les deux Parties, de
mêmeque la puissance protectrice. n'ont jamais considéréI'îlede Janan
comme distincte du groupe. Puisque Janan doit êtreconsidéréecomme
faisant partie des Hawar sur lesquelles Bahreïn a souveraineté, j'ai voté
contre le paragraphe 3 du dispositif de l'arrêt.

REMAROU FENALE

89. Bien que je souscrive pleinement au raisonnement de la Cour sur la
délimitation maritime et que j'aie également votépour le paragraphe 6 du

dispositif de l'arrêtilest presque superflu de préciserque je ne saurais
donner mon assentiment en ce qui concerne la partie de la limite mari-
time unique qui pasije, en direction de l'ouest, entre Jazirat Hawar et
Janan. Puisque Janar~fait selon moi partie des Hawar et appartient donc
à Bahreïn, la limite devrait passer, en direction du sud-ouest, entre Janan

et la côte de la pénin,iule.Mais la Cour ayant décidéque Janan apparte-
nait à Qatar et tracé la frontière maritime en conséquence,je n'ai pas vu
de raison d'exprimer mon légerdésaccord par un vote négatif.

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Opinion individuelle de M. Kooijmans (traduction)

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