Opinion dissidente de M. Shahbuddeen (traduction)

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087-19950215-JUD-01-03-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. SHAHABUDDEEN

[Traduction]

L'arrêtde la Cour ouvre la voie au règlement pacifique d'un litigequi
opposait de longue date deux Etats voisins. C'est donà regret queje me
vois empêché de m'y associer par ma conception des problèmes juri-
diques en cause.Je suis biend'accord sur nombre des élémentdse cet arrêt.
Par exemple,je reconnais que les Parties ont donnécompétence à la Cour
pour trancher l'ensembledu différend.En revanche, je suis malheureuse-

ment d'un autre avis sur la question de savoir si les demandes présentées
par Qatar relèventde la compétence ainsi conférée et, mêmealors, si le
mode de saisine retenu a fait jouer cette compétence commeil convient.
Conformément à l'article 57 du Statut de la Cour, je me permets d'ex-
poser respectueusement les raisons qui m'empêchentde me joindre à la
majorité.

Il faut garderà l'esprit le caractère limitéde l'arrêt rendupar la Cour
le le'juillet 1994. La question principale portait sur la compétence.La
Cour a statué sur certains points qui ont une incidence sur celle-ci; elle
n'a pas régléla question de la compétenceproprement dite (voir para-

graphe 23 du présentarrêt). Cequ'elle avait décidé, c'était«de donner
aux Parties l'occasion de soumettre à la Cour l'ensemble du différend))
(C.Z.J. Recueil 1994, p. 127,par. 41, point 3).
Comme je le disais alors, ((j'aurais préféque la question de la com-
pétence soit entièrementtranchée à ce stade»-là (ibid., p. 129),maisje ne
contesterai pas le droit de la Cour d'agir comme elle l'a fait. Certes, il
existe un ((principe que la Cour a le devoir de répondre aux demandes
des parties telles qu'elles s'expriment dans leurs conclusions finales...))
(Demande d'interprétationde l'arrêt du 20 novembre 1950 enl'affaire du
droit d'asile, arrêt,C.Z.J. Recueil 1950, p. 402). Maisà mon sens, ce
principe n'est pas enfreint lorsque, commeàce stade de l'espèce,la Cour
n'avait pas encore conclu; elle a ordonné une procédure intermédiaire
avant de rendre sa décision finale.

On ne saurait non plus contester sérieusementque la Cour est habilitée
à prescrire cette procédureintermédiaire, malgré uneapparence d'inno-
vation. Dans lesZonesfranches de laHaute-Savoie et du Pays de Gex, la
Cour, dûment saisie d'une affaire et après avoir entendu les plaidoiries
sur l'interprétation d'unedisposition d'un traité, avaitdonnédes ((indi-
cations)) sur sa réaction concernant la question de l'interprétation, puis
laisséaux parties un certain temps pour parvenirà une solution consen- DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS. HAHABUDDEEN) 52

suelle sur le problème principal,à la lumière et avecle bénéficede ces
((indications)).Devant leur échec,la Cour reprit l'examen de l'affaire et
statua sur le problème d'interprétation dans le sens qu'elle avait précé-
demment indiqué(voir C.P.J.I. sérieA no22, p. 12-13et 16-21 ;C.P.J.I.
sérieA no24, et C.P.J.I. sérieA/B no46, p. 98, 102-105, 136, 141, 149,
152, 171).La singularitéde ce que les «indications» avaient été données
et la décision finalereportéeàla demande des parties n'empêchepas de
voir que la Cour a reconnu qu'ellepouvait adopter une procédurevisant

à permettre aux parties de trouver elles-mêmesune solution au problème
dont elle était saisie, en fonction de l'avis qu'elleavait donné sur des
questions préalables.
Comme l'a observé sir HerschLauterpacht, il est interdàtla Cour «de
jouer directement le rôle d'instrument important de la paix)) (sir Hersch
Lauterpacht, The Development of International Law by the International
Court, 1958,p. 5); elle est une cour de justice, et elle doit rester dans le
cadre du mandat d'une institution de cette nature. Mais, ainsi qu'ill'a
également soulignédans la première phrase de son grand ouvrage, «le
principal objet de la Cour..consiste en sa mission d'être l'undes instru-
ments destinés à promouvoir la paix dans la mesure où le droit permet

d'atteindre cet objectif))(ibid.,p. 3). Ainsi que l'a dle PrésidentBas-
devant: «On lui demande de contribuer à la paix en réglantles différends
qui lui sont soumis. (C.Z.J. Mémoires,Réparations des dommagessubis
au service des Nations Unies, p. 46; et voir aussi Activitésmilitaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d'Amérique),fond, C.Z.J. Recueil 1986, p. 153, opinion individuelle de
M. Nagendra Singh.) La procédure intermédiaire ordonnée dans cette
affaire,à laquelle on ne devrait manifestement avoir recours que parci-
monieusement et dans des circonstances particulières, n'apas outrepassé
lemandat d'une cour chargéed'appliquer le droit pour procéderau règle-
ment judiciaire de différendsinternationaux sur la base d'une compétence
consensuelle.

Mais, bien entendu, il appartient toujours à la Cour de revenir à
l'affaire en temps voulupour déterminersi la procédureintermédiairea
abouti à une solution au problème. Dans le présentarrêt,la Cour consi-
dèreque le dépôt d'une«démarche» par Qatar àla fin de cette procédure
a aplani toutes les difficultés.A mon grand regret, je n'en suis pas
convaincu.

II. LA«DÉMARCHE DÉPOSÉE PAR QATAR SATISFAIT-ELLE À L'ARRÊT
DU 1""JUILLET 1994?

Le point 4 du dispositif de l'arrêt rendupar la Cour le le'juillet 1994
fixait un délaidans lequel les Parties devaient agir ((conjointement ou
individuellement)) pour soumettre à la Cour ((l'ensembledu différend))
(C.I.J. Recueil 1994, p. 127,par. 41, points 3 et 4). Le mot ((individuel- DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SHAHABUDDEEN) 53

lement» couvrait-il la possibilitéque ((l'ensembledu différend)) soit sou-
mis par une seule Partie?
Le dispositif peut s'interpréterd'aprèsl'exposé desmotifs(Servicepos-
tal polonais à Dantzig, avis consultatg 1925, C.P.J.I. sérieB no II,
p. 29-30).Ainsi, on peut lever le moindre doute sur le sens du mot «indi-
viduellement)),au point 4 du dispositif, en se reportant au paragraphe 38
de l'arrêt:

«Une telle soumission de l'ensemble du différendpourra résulter
soit d'une démarche conjointe des deux Parties, accompagnée au
besoin d'annexes appropriées, soit de démarches individuelles.
L'expression ((démarchesindividuelles» visait des actes accomplis par
chacune des Parties individuellement, mais non pas une initiative prise

par une seule Partie, l'autrehe faisant rien; chacune des Parties devait
agir de manière à compléter la démarche del'autre et soumettre ainsi
((l'ensembledu différend ».
Cette interprétation est dans la logique de la décision, qui était dedon-
ner «aux Parties)) ((l'occasion de soumettrà la Cour l'ensembledu dif-
férend))(C.I.J. Recueil 1994, p. 127,par. 41, point 3). Elle va aussi dans
le même sensque ce qu'affirmait Qatar à Bahreïn après l'arrêtà savoir
que «la Cour offre aux Parties la faculté d'agir individuellementpour lui
soumettre l'ensembledu différend»et que, à défautd'un accord «sur une
démarche conjointe visant à donner effet à la décision de laCour», «il
sera bien entendu loisibleà nos deux pays d'agir individuellement pour
donner effet à l'arrêtde la Cour» (lettre du 6 juillet 1994 de l'agent de
Qatar à celui de Bahreïn). Il ressort que l'arrêt renducinq jours plus tôt

appelait une démarche dechacune des Parties.

Des raisons solides expliquent que la Cour n'a pu vouloir dire que
l'une des Parties étaithabilitéeà agir seule. Un compromis notifiépar
l'une desparties avec l'aval de l'autre peut présenterles prétentions des
deux parties; mais ce n'est pas la procédure suivie en l'espèce.Le diffé-
rend peut aussi êtresoumis dans sa totalitépar une requête unilatérale,
s'ilexiste un accordàcet effet (voir, par exemple, Compétenceen matière
de pêcheries(Royaume-Uni c. Islande), compétencede la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 1973,p. 3). Cette alternative sembleexpliquer l'arrêtactuel
de la Cour; mais correspond-elle au raisonnement qui avait inspiré son
arrêtdu le'juillet 1994?Ce dernier tenait-il pour acceptable une procé-
durepar laquelle Qatar déposerait unautre document unilatéral à condi-
tion que «la formulation retenue [dans ce texte] ..décriv[e]exactement

l'objet du litige» (cf. paragraphe 48 du présentarrêt)?
La véritable raisonpour laquelle l'arrêtdu le'juillet 1994disait que la
Cour n'étaitpas saisiede ((l'ensembledu différend)),c'estque celle-cidis-
posait alors ((seulement d'une requêtede Qatar exposant les prétentions
spécifiquesde cet Etat..» (C.I.J. Recueil 1994, p. 123, par. 34; les ita-
liques sont de moi). Il me semble qu'en offrant l'occasion «aux Parti...
de soumettre ..l'ensemble du différend))la Cour envisageait que toutes DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SHAHABUDDEEN) 54

lesprétentions de chaque Partie soient exposéespar celle-ci, ou avec
son aval, de sorte que le différend soitdûment présenté et examindans
tous sesélémentsconstitutifs.La revendication desouverainetéde Bahreïn
sur Zubarah est mentionnéedans la «démarche» de Qatar; mais elle n'a
pas été soumise à la Cour par Bahreïn ou avec l'aval de ce dernier. Le
paragraphe 48 de l'arrêtle reconnaît: bien que la Cour se considère
désormais ((saisiede l'ensembledu différend)),elle déclare aussi

«que des revendications de souveraineté sur les îles Hawar et sur
Zubarah peuvent êtreprésentées par l'une ou l'autre des Parties, dès
lors que la question des îlesHawar et cellede Zubarah sont soumises
àla Cour)).

C'est envisagerla possibilité que detellesrevendications soient présentées
à l'avenir.
Mais en attendant la Cour a décidéque la requête unilatéradeQatar,
éclairéepar sa ((démarche»unilatéraledu 30novembre 1994,est àla fois
de sa compétence et recevable.La Cour pourrait donc procéder à l'exa-
men au fond et statuer sur la demande de Qatar, énoncéedans sa
((démarche)),priant la Cour de «dire et juger que Bahreïn n'a aucune
souveraineté ni aucun autre droit territorial...sur Zubarah ..» Cette
demande n'est pas tant une prétention de Qatar que la conclusion for-
melle de la défenseque celui-ciopposeà la revendication de souveraineté
de Bahreïn sur Zubarah. Si la Cour devait faire droità cette demande,

elle reconnaîtrait le bien-fondé de la défenseopposée par Qatar à la
revendication de Bahreïn, mais sans que cette dernière lui ait étéeffecti-
vement soumise par Bahreïn ou avec son aval. Or, l'arrêtdu le' juillet
1994n'avait pas pour objet de fairejuger, par cette voie indirecte, le droit
de souverainetéque revendique Bahreïn.
Je conclus que l'arrêtdu le' juillet 1994n'entendait pas que l'une des
Parties puisse agir seule.est donc inutile d'examiner une argumentation
connexe de Bahreïn sur le point de savoir si Qatar tente d'amender uni-
latéralement sa requête initiale,et s'il estfondéprocéder ainsi.Il est
cependant évident qu'unetelle objection n'aurait sans doute pas été sou-
levéesi les deux Parties avaient agi comme l'envisageait,à mon sens,

l'arrêtdu le' juillet 1994.

III. LACONSÉQUENCE SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR
DU FAIT QUE ((L'ENSEMBLE DU DIFFÉREND)) N'A PAS ÉTÉ DÛMENT SOUMIS
À CELLE-CI

Si la «démarche» unilatéralede Qatar du 30 novembre 1994n'a pas
satisfaià l'arrêtdu le'juillet 1994,il s'ensuit que la Cour est saisie seu-
lement de la requête unilatérale deQatar du 8juillet 1991.Or, la Cour a

déjà établique cette «requête ne porte que sur une partie du différend
visépar la formule bahreïnite)) et que ((Qatar [l'la en fait reconnu))
(C.Z. RJ.cueil 1994, p. 124, par. 36). Quelle en est la conséquencedu
point de vue de la compétence? Il y a lieu de considérer l'accord finalementintervenu sur l'objet du dif-
férend commeremontant à un principe de 1983,sur lequel il sefonde, et
selon lequel toutes les questions en litige devaient «êtreconsidérées
comme des questions complémentairesformant un tout indivisible qui
doit faire l'objet d'un règlement d'ensemble)). Bahreïna soulignà,juste
titre, qu'il n'existait pasd'accord pour conférerà la Cour une compé-
tence qui permette à celle-ci de considérer unepartie du différendsans

avoir à en examiner simultanémentle reste. Or, puisque la Cour n'est sai-
sie que d'une partie du différend,il s'ensuit qu'elle n'estpas compétente.

IV. QATAR AVAIT-IL LE DROIT DE DÉPOSER UNE REQUETE UNILATÉRALE
EN VERTU DU PROCÈS-VERBAL DE DOHA?

A supposer que ce qui précèdesoit faux, la Cour se trouve toujours
devant le fait que Qatar est seul avoir agijusqu'ici. En conséquence,il
demeure nécessaire d'examinerla thèsede Bahreïn selon laquelle Qatar
n'a pas le droit de déposer une requête unilatérale en vertu du procès-
verbal de Doha. A cette prétention, Qatar a répondu: i) que les Parties

étaientconvenues d'un droit de déposer une requête unilatérale ieit) que,
alternativement, dèslors que la compétencea été acceptée l, Cour peut
êtresaisie par voie unilatéralà moins qu'il nesoit établique les Parties
l'ont exclu,auquel cas mêmesi leprocès-verbalde Doha ne prévoyaitpas
le droit de déposer une requête unilatéraleil, ne l'excluait pas non plus.
Après avoir donnéraison à Qatar sur le premier point, la Cour n'a pas
abordéle second. Or, étant donnéqueje suis d'un avis différentquant au
point i), je dois examiner aussi le point) pour épuiserl'argumentation
de Qatar.

i) Les Parties ont-elles convenu d'un droit de déposer une requête
unilatérale?

Il faut évidemmenttenir compte des termes exacts employéspar les
textes. Ceux-ci incluent la formule bahreïnite. La «questioà»poser à la
Cour, telle qu'elle figuraitdans la formule bahreïnite, commençait par les
mots: «Les parties prient la Cour de trancher...)) Cela impliquait que
l'affaire devait êtresoumise par les deux Parties.
Je partage l'avis de la Cour sur le fait que la formule bahreïnite doit
êtrelue non pas isolément, maisdans le contexte du procès-verbal de
Doha, qui s'yréfère.Un élémenftondamental du contexte figure au para-
graphe 2 du procès-verbal. Celui-ci précisaitque «les deux parties pour-
ront soumettre la questionà la Cour internationale de Justice conformé-

ment à laformule bahreïnite..»(arrêt,par. 30; les italiques sont de moi).
Le procès-verbal de Doha impliquait donc que l'acte par lequel l'affaire
devait êtresoumise àla Cour devait êtreconforme à laformule bahreïnite.
Ici, le procès-verbal de Doha renvoie le lecteur au texte de la formule
bahreïnite afin de déterminer ce qu'il y avait lieu de faire pour que laquestion soit soumise à la Cour. Se rapportant ainsià la formule, le lec-
teur reconnaîtrait sans doute la nécesside respecter la définitionqu'elle
donne de l'objet du différend; maisle sens des premiers mots de la for-
mule ne saurait lui échapper,qui préciseque la Cour devait êtresaisiepar
les deux Parties. Sil'affaire n'étaitpas soumisede cette manière, la condi-

tion énoncée dans le procès-verbalde Doha, à savoir que la question soit
soumise àla Cour ((conformément à la formule bahreïnite)), ne pourrait
êtreremplie. Ainsi, le procès-verbal deDoha lui-même enjoignait dese
conformer à ce qu'impliquait la formule bahreïnite, c'est-à-dire que la
Cour devait êtresaisie par les deux Parties.
Sur ce point, le paragraphe 38 de l'arrêt dit quei le procès-verbal de
1990 renvoyait à la formule bahreïnite, c'était en vue de déterminer
l'objet du différenddont la Cour aurait à connaître)), impliquant ainsi
que ce renvoi n'avait pas pour effet de reprendre aussi la condition
énoncéedans cette formule quant au mode de saisine. Il me semble que
des raisons plus convaincantes militent en faveur de l'interprétation à
priori selon laquelle la soumission de la questioà la Cour ((conformé-
ment àla formule bahreïnite)) comprenait la condition convenue dans la

formule, à savoir que la saisinedevait êtreeffectuéepar les deux Parties.
Ce renvoi ayant étéintroduit par Qatar, un principe d'interprétation
similaireà la règlecontraproferentem s'applique lorsqu'il s'agitde lever
une ambiguïté.Commelesauteurs leconseillent,ceprincipe doitêtreappli-
quéaveccirconspection à l'interprétationdes traités (CharlesDeVisscher,
Problèmes d'interprétationjudiciaire en droit international public, 1963,
p. 110-112,à propos desEmprunts brésiliensC, .P.J.Z.sérieA no21, p. 114);
pourtant, son fond de logique irréductiblelui vaut de n'êtrepas entière-
ment écarté (voirRéformeagraire polonaiseet minorité allemande, ordon-
nance du 29juillet 1933, C.P.J.Z. sérieA/B no 58, p. 182, dernier para-
graphe, opinion dissidente de M. Anzilotti; et lord McNair, The Law of
Treaties, 1961,p. 464-465).
L'interprétation avancéeci-dessus paraît claire. Il n'est pas nécessaire
de recourir aux travaux préparatoires. Mais ces derniers confirment cette

interprétation. Subsidiairement, si effectivementle texte n'est pas clair, ce
recours peut aiderà résoudre la difficuldans la mesure où lepermettent
les paragraphes a) et b) de l'article 32 de la convention de Vienne sur le
droit des traitésde 1969.
Pendant la rédaction du procès-verbal de Doha, Bahreïn a changé,au
su et avec le consentement de Qatar, les mots «une ou l'autre des [deux]
parties)) en «al-tarafan», dans la version arabe originale, c'est-à-dire «les
parties)) (selon Qatar) ou «les deux parties)) (selon Bahreïn). Si l'on
accepte, pour nos fins actuelles, la version de Qatar, la question est de
savoir si la disposition adoptée envisageait néanmoins que ((l'une ou
l'autre des [deux]parties» pourrait introduire une requête,tout comme si
aucun changement n'était intervenu.
Le fait que l'amendement ait été apporté,et que l'expression «l'une ou

l'autre des [deux]parties))ait disparu par consensus, signifiaitque Bahreïn
persistait dans son opposition antérieureàl'idéeque l'une ou l'autre des DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SHAHABUDDEEN) 57

deux Parties ait le droit de déposer une requêteunilatérale. Rien ne
donne à penser qu'au dernier moment il ait capitulé surce point impor-
tant. Cette situation évoquece que disait la Cour dans l'affaire du Pla-
teau continental de la mer Egée:
((Replacésdans ce contexte, les termes du communiquéne parais-

sent pas, selon la Cour, traduire un changement deposition du Gou-
vernement de la Turquie quant aux conditions dans lesquelles ce
gouvernement était prêt à accepter que le différend soitportédevant
la Cour.» (C.I.J. Recueil 1978, p. 43, par. 105.)
En remontant plus loin, on peut rappeler aussi l'avis de la Cour perma-

nente de Justice internationale dans l'affaire des Zones franches de la
Haute-Savoie et du Pays de Gex:
«Il n'est guèreraisonnable de supposer - et cela est d'ailleurs
contredit par les documents soumis à la Cour - que la Suisse, au
moment où le différend allaitêtresoumis à une instance judiciaire,

aurait consentià abandonner la position juridique qu'elle avait tou-
jours maintenue à l'égard précisémen dtu point qui est actuellement
litigieux entre les Parties.» (C.P.J.Z. sérieA/B no46, p. 138.)
Il faut des arguments de poids pour démontrer qu'une partie a soudain
eu l'intention derenoncer àune position qu'ellea longuement maintenue.

Dans l'affairerelativà la Compétence en matière dpeêcheries(Royaume-
Unic. Islande), compétencede laCour,le ~o~aume-Üni avait proposé,au
cours des négociations sur laclausecompromissoirepermettant de saisirla
Cour d'un différend éventuel, d'insérerà l'endroit appropriédu texte
«les mots ((àla demande de l'une ou l'autre partie)) pour bien faire

ressortir que lajuridiction de la Cour pourrait êtremise en Œuvreau
moyen d'une requêteunilatérale et n'exigerait pas une démarche
commune des deux parties)) (C.Z.J. Recueil 1973, p. 11,par. 19).
L'Islande préférait l'expression«à la demande des diverses parties)). Le
Royaume-Uni a maintenu sa propre formule, et l'Islande a finalement

acceptécelle-ci dans la clause compromissoire qui fut adoptée. On ne
saurait avancer que l'acceptation par l'Islande du libellédu Royaume-
Uni ne prêtait pas à conséquencedu point de vue du sens du texte final.
Au cours d'une instanceintroduite unilatéralementpar le Royaume-Uni,
la Cour a pris soin de rappeler les échangesqui étaient intervenus entre
les parties au sujet de la modification apportée;elle l'a fait dans une par-
tie de l'arrêt qui,en l'absence de l'Islande, a conclu quea Cour [était]
compétente))(ibid., p. 14,par. 23). Dans la situation plutôt contraire que
nous avons ici, l'amendement proposépar Bahrein et acceptépar Qatar
doit être interprétécomme visant à exclure la possibilité d'un droit
d'introduire une requête unilatérale.
Les faits se prêtentaussià une comparaison avec l'acte de Lima (Droit

d'asile,arrêt, C.I.J.Recueil1950, p. 267-268).Cet acte constatait que les
parties étaient dans l'impossibilitéde parvenir à un accord pour sou- DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS. HAHABUDDEEN) 58

mettre l'affaire conjointemenà la Cour, puis enregistrait leur accord pour
«que la procédure ...[soit]engagéeà la demande de l'unequelconque des
deux Parties)). Il aurait naturel qu'une formule du mêmeordre figurât
dans le procès-verbal de Doha si ce dernier était censé vouloir dire ce
qu'avance Qatar. Au contraire, une tentative pour formuler leprocès-ver-
bal en ce sens échoua;il est difficile de lire le texte final comme si elle
avait tout de même réussi.
Il ne faut pas négligerle danger de se fonder sur des élémentsprépa-
ratoires insuffisants. En revanche, pour complets que soient ces éléments,
il est presque toujours possible d'affirmer qu'ilspourraient l'être encore

davantage. Les travaux préparatoires en l'espèce nesont pas aussi étoffés
qu'ils pourraient l'être; maije ne suis pas persuadé que, sur les points
pertinents concernant la rédaction du procès-verbalde Doha, ils soient si
fragmentaires qu'ils en deviennent inutilisables. Ils montrent l'étatdu
texte original; qui l'a présenté,ui a changéquoi; et dans quel ordre les
changements ont étéapportés.Ce sont là les étapesque l'on trouve nor-
malement dans la rédactiond'un texte négocié. Lesdocuments indiquent
que Bahreïn a maintenu son opposition préalable à l'idéed'un droit
d'introduire une requêteunilatérale. Les travaux préparatoires confir-
ment donc l'interprétation duprocès-verbalde Doha que je proposais ci-
dessus; subsidiairement, ils lèvent toute ambiguïté en faveur de cette
interprétation.
L'argument cléde la Cour est que le paragraphe 2 du procès-verbalde
Doha envisageait que l'affaire pourrait êtresoumise à la Cour dèsI'expi-

ration du délaide bons offices. J'en conviens; mais il ne s'ensuit pas
qu'une requête unilatéraleétait le seul moyen. L'affaire aurait pu être
soumise de cette manière si les Parties entendaient se fonder sur le fait
que le procès-verbal de Doha lui-mêmeconstituait un compromis qui
pouvait êtrenotifiéconjointement à l'expiration de la période.La Cour
n'est pas obligéede limiter son choixà diversesinterprétationsproposées
par les deux parties (Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de
Gex, arrêt,1932, C.P.J.I. série A/B no 46, p. 138: Détroit de Corfou,
fond, arrêt,C.Z.J Recueil 1949,p. 51,opinion dissidente de M. Winiarski;
Sud-Ouest africain, deuxièmephase, arrêt, C.I.J.Recueil 1966, p. 354,
opinion dissidente de M. Jessup). Un compromis n'est pas nécessaire-
ment constitué dedispositions complexes (voir les éléments pertinents du
compromis dans Différend territorial(Jamahiriya arabelibyenne/Tchad),
arrêt,C.I.J. Recueil 1994, p. 9-10). Qu'une instance soit introduite par

voie de notification d'un compromis ou de dépôtd'une requêteintroduc-
tive d'instance, le paragraphe 1 de l'article 40 du Statut requiert seule-
ment que ((l'objetdu différendet lesparties doivent êtreindiqués)).Confor-
mémentau libellédu paragraphe 2 de l'article39du Règlementde la Cour,
le procès-verbalde Doha et les documents qui y sontjoints montrent clai-
rement ((l'objetprécisdu différend ainsi queles parties)). Le paragraphe 2
de l'article46 dudit Règlement énonce larègleapplicable en cas de silence
d'un compromis sur le nombre et l'ordre des piècesde procédure.
La solution suggérée,consistant à traiter le procès-verbal de Doha DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP. DISS.SHAHABUDDEEN) 59

comme un compromis, donne prise à la critique en ce qu'elle accordeà
l'une desparties un droit de veto inhérent à l'égardde l'autre. C'estbien
le cas, mais pas plus que dans n'importe cpelautre compromis devant
faire l'objet d'une notification conjointe. Si l'on tient compte du principe
de bonne foi, le droit de veto n'est pas absolu; cela aideà répondre aux

questions soulevéesau paragraphe 36 de l'arrêtau sujet de la possibilité
de continuer de faire a.Al à la médiation.
Quoi qu'il en soit, la critique nejustifierait pas un recours au principe
de l'effet utile pour étayer un droit de saisine unilatérale. Les auteurs
reconnaissent la notion d'«un traité représentant une tentative, non
aboutie, de compromis)) (sir Hersch Lauterpacht, The Development of
International Law by the International Court, 1958,p. 227). Dans cescas-
là, le principe de l'effetutile n'est d'aucune assistance. Analysant ce prin-

cipe, lord McNair écrivait:
«Bien des traitésmanquent leur but - età juste titre- à cause
des mots utilisés,et les tribunaux ont raison d'hésiter à intervenir
pour modifier ou compléterle libellédu traité. » (Lord McNair, The
Law of Treaties, 1961,p. 383.)

Ainsi, le fait qu'un traitéait un but visible ne signifiepas qu'il doiveêtre
interprétéde manière à atteindre ce butà tout prix. Certes, un traité doit
s'interpréter«à la lumière de son objet et de son but)); mais il n'appar-
tient pas à la Cour de le rendre davantage à mêmed'atteindre son but
apparent que les parties elles-mêmesn'ont jugé bon de le faire (voir
De Visscher, op. cit., p. 77). Il est opportun de rappeler ce qu'écrivait

M. Lauterpacht dans l'affaire de l'Admissibilitéde l'auditiondepétition-
nairespar le Comitédu Sud-Ouest africain:
«Les clauses des traitésde paix de 1947sur le règlementdes dif-
férends étaient formulées, commele montrent leur rédaction et la
longue histoire de leur adoption, en termes qui révélaient clairement

l'absence de consentement à les doter d'un plein degréd'efficacité.
(C.I.J. Recueil 1956, p. 58, opinion individuelle.)

ii)Peut-on dire qu'une fois sa compétencereconnue la Cour peut être
saisie unilatéralements'il n'est pas prouvé queles parties ont exclu le
droit de saisine unilatérale?

Le conseil de Qatar a présenté ainsises arguments:

((Quant au mode de saisine - notification d'un compromis ou
requête - il n'a pas nécessairement lamêmebase volontariste. Le
mode de saisine peut certes êtreconvenu entre les parties; mais, en
l'absence d'accordentre ellessur cepoint, comme c'est lecas dans la
présente affaire,il appartienà la Cour d'apprécier la régularitde la
saisine, parce que le mode de soumission d'une affaire à la Cour est
réglépar les textes régissant son fonctionnement.
L'appréciation de la régularité de l'acte introductif d'instance

consiste alorsà vérifier,comme cela avait été faitdans l'affaire du DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS. HAHABUDDEEN) 60

Détroitde Corfou (C.I.J. Recueil 1947-1948,p. 28), que tel mode de
saisine n'est pas exclu par un texte obligatoire pour les parties en
cause.
A la lumière de cette observation préliminaire,il est possible de
dire que Qatar a pu valablement porter la présente affaire devant la
Cour par une requête introductive d'instance, parce quela saisine
unilatérale apparaît comme le corollaire inéluctable de la compé-
tence obligatoire. Pour qu'une telle saisine soit possible, il faut que
les deux Etats intéressésaient acceptéla juridiction de la Cour et il
suffit que cette possibiliténe soit pas expressémentou implicitement
exclue par les textes lui conférantcompétence obligatoire.

Dès lors, si Qatar a pu valablement saisir la Cour par voie de
requête unilatérale,c'est parce que la compétence dela Cour était
définitivement acceptéepar les deux Etats en cause et parce que ce
mode de saisine n'étaitpas exclupar les textes pertinents en l'espèce,
mêmesi ces textes ne l'avaient pas expressémentprévu. » (CR 9412,
p. 63-64, M. Quéneudec.)

La détermination,dans une espèce,du caractère obligatoire de la com-
pétence enapplication du paragraphe 1 de l'article 36 du Statut dépend
de l'existencedu consentement, tacite ou exprès, despartiesà la capacité
de l'exercerau moyen d'une saisineunilatérale.Par conséquent, dece que
«la saisine unilatéraleest le corollaire inévitablede la compétenceobli-
gatoire» il ne découlepas qu'un droit de saisineunilatérale peut avoirun

autre fondement que l'accord desparties. L'existence d'un tel accord a
été examinéd eans le paragraphe i) ci-dessus, où l'on y a répondupar la
négative. En conséquence,j'étudierai maintenant l'autre question, de
savoir si, en l'absence d'un tel accord, il existe un droit de saisine unila-
téraledèslors que la compétence aétéreconnue et que les parties n'ont
pas exclu ce droit.
Il est indispensable de gardeà l'esprit la distinction qui existe entre la
compétence et la saisine. Lerecours au mode de saisine appropriéest une
condition suspensive à l'exercicede la compétence.Si la saisine n'est pas
effectuée régulièremend tans une affaire que 1'011veut lui soumettre, la
Cour ne peut exercer une compétence consentie,d'où il s'ensuit qu'en
l'espècela Cour est incompétente (voir Plateau continental de la mer
Egée, arrêtC ,.Z.J.Recueil 1978,p. 45, par. 109,et Demande enrevisionet

en interprétationde l'arrêtu 24février 1982 en l'aflairedu Plateau conti-
nental (TunisielJamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe
libyenne), arrêt,C.Z.J. Recueil1985,p. 216, par. 43). Mais malgréce lien
fonctionnel entre les concepts, il n'en restepas moins vrai que la saisine
n'estpas la compétence.Par conséquent,leconsentement àla compétence
ne s'étendpas, en soi,à l'acceptation d'un mode de saisine ou d'un autre.
Celavaut même lorsque, l'accord en vue d'une procédureétantmuet sur
la saisine,lesparties procèdent une saisineconjointe. Dans ce cas ellesle
font non pas en vertu d'un droit d'agir conjointementqui serait conféré
par le consentement donné à la compétence(ce droit n'étantguèrenéces- DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS . HAHABUDDEEN) 61

saire)mais simplementdans l'exercicenormal de leur liberté d'agir comme
elleslejugent bon I'uneet l'autre. Cette libertés'exerceau moyen de l'acte
consensuel par lequel l'affaire est soumise conjointement; ces consente-
ments mutuels sont différentsde l'acceptation de la compétence.Demême,
ledroit de déposerune requête unilatérale dépend d'c unnsentement autre
que l'acceptation de la compétence,mêmesi, comme c'est probable, le
consentement est donné à I'uneet à l'autre dans le mêmeinstrument.
Que trouvons-nous dans lajurisprudence? Dans Certains intérêtaslle-
mands en Haute-Silésiepolonaise, l'Allemagne a présentéune requête
unilatéraleen application d'un traité quiprévoyaitque «des divergences

d'opinion ..seraient soumises à la décisionde la Cour permanente de
Justice internationale)). A partir de ce libellé,une question aurait pu se
poser, de savoir si l'on envisageait une requêteconjointe ou unilatérale.
Toutefois, la Pologne, qui était défendeur,«n'a pas contestéque la Cour
[ait été]régulièrement saisein conformitédes articles 35 et 40 du Statut »
(C.P.J.I. sérieA no6, p. Il). Cette jurisprudence ne convainc guèreque
la simple existence de la compétence confèrele droit d'introduire une
requête unilatérale.
Dans la Demande en revision et en interprétation de l'arrêtdu
24 février 1982 enl'affaire du Plateau continental (TunisieIJamahiriya
arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), bien que le com-
promis ait disposé que «les deux Parties reviendront ensemble à la
Cour...)), la Cour a jugé qu'il existaitun droit de présenterune requête
unilatérale.Il est clair cependant que la Cour sefondait sur l'article 60 du
Statut, en vertu duquel un tel droit existe et en application duquel la

requêteavait été effectivement présentée (C.I.J. Recueil 1985, p. 216,
par. 43). L'affaire estdonc différente.
Celledu Personneldiplomatique et consulaire desEtats-Unis à Téhéran
est plus pertinente. Comme dans l'affaire de Certains intérêts allemands
en Haute-Silésie polonaise,la disposition pertinente du traitéétait muette
sur le mode de saisine à employer, indiquant simplement que «tout dif-
férendentre les parties sera portédevant la Cour internationale de Jus-
tice..» En l'interprétantcomme si les parties avaient voulu qu'elle s'ap-
plique de la mêmefaçon que les dispositions habituelles figurant dans
d'autres traités demêmenature, la Cour a pourtant été en mesure d'y lire
que ce «que les parties ..entendaient)), c'étaitque ((l'uneou l'autre des
parties peut saisir la Cour par requête unilatérale(C.I.J. Recueil 1980,
p. 27, par. 52: voir aussi Activitésmilitaires et paramilitaires au Nicara-

gua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique),compétence
et recevabilité,arrêt,C.I.J. Recueil 1984,p. 427, par. 81). Rien n'indique
dans cette affaire que la Cour aurait été disposée à considérerque la
simpleexistence de la compétence suffisaità conférerun droit de lui sou-
mettre une reauête unilatérale.Au contraire. en l'absence du défendeur.
la Cour a cherché proprio motu àse convaincre que la requête unilatérale
du demandeur reposait sur l'accord des deuxparties à ce qu'une instance
puisse être introduitepar cette voie.
L'affaire du Détroit de Corfou n'est guère utile. Premièrement,dans DELIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SHAHABUDDEEN) 62

cette affaire, la Cour s'est fondéesur leforum prorogatum. La requête
doit alors nécessairementêtreintroduite sans le consentement préalable
du défendeur,étant donnéqu'il s'agit enfait d'une offre d'aller enjustice.
Deuxièmement, mêmesi le défendeurest disposé en principe à saisir la
justice, il pourrait fort bien s'opposerce que ce soit sur la base d'une
requête unilatérale.En ce cas, c'est en réalitéparce qu'il se refusece
mode de saisine que le défendeurdéclinera l'offre d'aller enjustice.Lors-

que le défendeur accepte l'offre du demandeur, il accepte donc aussi,
même ex post facto, que l'affaire soitintroduite par une requête unilaté-
rale; l'absence de consentement est donc plus apparente que réelle.Troi-
sièmement,lorsque la Cour a dit dans cette affaire qu'ellene peut tenir
pour irrégulièreune voie qui n'est exclue par aucun texte)), ce qu'elle
considéraità ce stade de son raisonnement. ce n'étaitDasla rugularité de
la saisine en tant que telle, mais seulement son emploi dans le cadre d'une
procédureen deux étapespour donner compétence à la Cour: la compé-
tence pouvait-elle êtreconférée«par deux actes séparéset successifs» au

lieu de l'être((conjointement, par un compromis préalable))? (C.I.J.
Recueil 1947-1948,p. 28). C'est dans ce contexte que la Cour a observé
qu'«il appartient aux textes gouvernant le fonctionnement de la Cour de
déterminer comment celle-ci doit êtresaisie...)) La première citation ne
revêtaitpas un caractère d'universalité tel qu'elle puisseétayerla thèse
sensiblement différente selon laquelle,lorsque la compétenceexiste déjà,
son existence suffit pour conférerle droit d'introduire une requête unila-
téraleà moins que celui-ci n'ait été exclpar les parties.
On voit mal comment le droit de une requête sansle consente-
ment du défendeurpeutcoexister avecledroit d'un Etat àceque son affaire

ne soit pas jugéesans son consentement, si cela signifieque, au stade où il
paraît devant la Cour, il doit s'y trouver parce qu'ilconsenti, fût-cà
son corps défendant.On peut imaginer qu'ilpourrait êtredisposéàcompa-
raître si l'affaire étaitprésentée conjointement, maisnon unilatéralement;
il pourrait avoir des préoccupationslégitimesàcet égard.Il n'appartient
pas à la Cour d'apprécierle bien-fondé decespréoccupations;c'està1'Etat
en cause d'en juger. Il exerce son jugement en consentantà un mode de
saisine déterminé. Le consentement peut-êtrdeonnéde manière implicite,
mais il est toujours requis. Pour les raisons exposéesci-dessus, mêmeles

affaires deforum prorogatum ne constituent pas de véritables exceptions.
En résumé,le rôle du consentement n'est pas négatif,excluant un droit
de requête unilatéralequi existerait dès lors que la compétence a été
acceptée,mais plutôt positif, en créantun droit de requête unilatérale qui
ne saurait exister autrement.A mon avis, il n'a pas étéprouvé que les
Partiesà l'instance avaient consentà un tel droit.

V. LE CRITÈRE DE LA PREUVE
On ne saurait prétendre que tous les élémentsde preuve vont dans le

même sens; à certains égards,ils sont partagés.Il n'est pas étonnant que
l'un des points qui ont été analysés à l'audience a étéle critère de la DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SHAHABUDDEEN) 63

preuve (voir le paragraphe 43 de l'arrêt).Il est important de l'examiner,
tel qu'il s'appliqueà la compétenceproprement dite aussi bien qu'à la
saisine par rapport à la compétence.

Certes, le droit prévoitque l'acceptation de la compétence n'estpas
«soumise à l'observation de certaines formes» (Droits de minorités en
Haute-Silésie (écoles minoritaires),arrêtno 12, 1928, C.P.J.I. série A
no15, p. 23). Mais cela vaut pour la forme sous laquelle le consentement
est donné;cela ne préjugeen rien de la nécessitéd'établirleconsentement
lui-même,sous quelqueforme qu'ilse présente. Mais quelest le critère de
preuve applicable?
De manière généralel,e critère de la preuve varie selon la nature de la
question de fait qui est en litige. Par exemple, on peut être plus exigeant
sur la preuve dans le cas d'une imputation «d'une gravité ...exception-
nelle articuléecontre un Etat» (Détroit de Corfou, fond, arrêt,C.I.J.
Recueil 1949,p. 17).Quelle est donc l'importance de l'enjeu en l'espèce?
La Cour n'est pas investie de la compétence obligatoire d'un tribunal

national; le règlementjudiciaire est un moyen facultatif, parmi d'autres,
de réglerdes différendsinternationaux. Un Etat a le droit qu'une affaire
le concernant ne soit pas soumise àla Cour s'ilne consent pas à ce mode
de règlement particulier. Il ne saurait être réputé légitimement avoir
renoncé à ce droit importantà moins que son consentement ne soit clai-
rement établi. A quel degré?
Le critère accepté consisteà déterminer si, de l'avis de la Cour, «la
force des raisons militant en faveur de la compétence [est] prépondé-
rante» (Usine de Chorzow, compétence, arrê nto8, 1927, C.P.J.I. sérieA
no9, p. 32). Ce que cela veut dire exactement est une autre affaire.
Deux questions se posent. Premièrement, quelle «prépondérance» doit
avoir la force des arguments? Le conseil de Qatar a citél'Oxford English
Dictionary, qui définit((preponderant » [prépondérant]comme signifiant,
premièrement, ((surpassing in weight; outweighing, heaviern [surpassant

en poids; plus lourd] et, deuxièmement,((surpassing in influence, power,
or importance; predominant)) [surpassant en influence, puissance ou
importance; prédominant])) (CR 9411,p. 44, sir Ian Sinclair, Q.C.). Cette
définition n'estpas très différente decellesque donnent les dictionnaires
juridiques (voirVocabulairejuridique, 3"éd., p.621; Black's Law Dictio-
nary with Pronunciation, 6"éd.,p. 1182; et West 3 Law and Commercial
Dictionary in Five Languages, vol. K-Z, p. 328-329).Mais ((surpassant»
à quel point?
Dans la mêmeaffaire où le critère de la prépondérancea été avancé, la
Cour permanente de Justice internationalea précisé ensuite que la volonté
de lui conférer compétenceavait été((établied'une manière qui satisfait
la conviction de la Cour» (C.P.J.I. sérieA no9, p. 32). Un an plus tard,
elle a parléd'une volonté quipouvait ((résulter ..d'actes concluants>)et

de ce que le fait de plaider le fond devait être ((regcomme une mani-
festation non équivoque de la volonté de 1'Etatd'obtenir une décisionsur
le fond de l'affaire))Droits de minoritésen Haute-Silésie (écolesmino-
ritaires), arrêt n12, 1928, C.P.J.I. sérieA no 15, p. 24). Dans l'affaire DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS . HAHABUDDEEN) 64

du Détroitde Corfou, cette Cour a décritla lettre de l'Albanie comme
«une acceptation volontaire, indiscutable, de la juridiction de la Cour»
(C.I.J. Recueil 1947-1948,p. 27). Le critère de la prépondérancene l'a
pas empêchée plus récemment d'affirmer de nouveau le critère d'«une
manifestation non équivoque))de la volonté de cet Etat d'accepter de
manière ((volontaire, indiscutable)) la compétence de la Cour» (Applica-

tion de la convention pour la prévention et la répressiondu crime de
génocide(Bosnie-Herzégovinec. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)),
mesures conservatoires,C.I.J. Recueil 1993, p. 342, par. 34). M. Lauter-
pacht avait proposé un critère aussi exigeant en 1957,en évoquant
«la pratique établie dela Cour qui est, de son côté, conforme au
principe fondamental du règlementjudiciaire international qui veut

que la Cour ne se déclarepas compétente à moins que l'intention de
lui conférer compétence n'ait été établsia ens aucun doute raison-
nable» (Certains emprunts norvégiens,C.I.J. Recueil 1957, p. 58,
opinion individuelle;voir aussi sir Gerald Fitzmaurice, The Law and
Procedure of the International Courtof Justice,1986,vol. II, p. 437).

Le critère de prépondérance doitse comprendre conformément à cette
jurisprudence établie.
La secondequestion est de savoir comment le critèrede prépondérance
s'applique lorsque la Cour est dans le doute. Quand la Cour permanente
de Justice internationale affirmait que le
«fait que des arguments sérieuxpeuventêtreinvoquéspour soutenir

la thèseque la compétence n'existepas ne saurait déjà créeun doute
qui serait de natureà faire échecà la compétence)),
elle reconnaissait manifestement que la Cour pouvait se trouver devant
un ((doute qui serait de naturà faire échec à la compétence))(Usine de
Chorzbw, compétence,arrêt no8, 1927, C.P.J.I. sérieA no9, p. 32).Et de
mêmeplus loin:

«Le doute destructif de la compétence n'entre pas en ligne de
compte lorsque cette volonté [de conférer la compétence] peutêtre
établie d'une manièrequi satisfait la conviction de la Cour.(Ibid.)

Pourtant, le conseil de Bahreïn a invoquéune jurisprudence qui avait
«refuséce qu'un arrêt aappelé«le doute destructif de la compétence))
(CR 9416,p. 12,M. Prosper Weil). Peut-il s'agir de l'affaire relatiàedes
Actions armées frontalières et transfrontalières(Nicaragua c. Hondu-
ras), compétence et recevabilité, arrêt(C.I.J. Recueil 1988, p. 76,
par. 16)?La Cour était alorssaisie de «la question ..de savoir si dans le
doute la Cour doit êtreregardée comme compétenteou non». Elle y a
répondu en citant la jurisprudence de l'Usine de Chorzbw, à savoir que

(comme je l'ai déjà évoqué):
«la Cour ne l'affirmera en cas de contestation- ou lorsqu'elle doit
l'examiner d'offic- qu'à la condition que la force des raisons mili- DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SHAHABUDDEEN) 65

tant en faveur de la compétencesoit prépondérante))(C.P.J.I. série
A no9, p. 32).
Autrement dit, dans tous les cas autres que ceux où«la force des raisons
militant en faveur dela compétence[est]prépondérante»la Cour n'affirme

pas sa compétence. Cesautres situations, où la force des arguments mili-
tant en faveur de la compétence n'estpas prépondérante, vontlogique-
ment inclure des cas où la Cour se trouve dans le doute. Donc, s'il y a
doute, la Cour n'affirme pas sa compétence.

J'ai examinéles référencesau «doute» dans les Zones franches de la
Haute-Savoie et du Pays de Gex (C.P.J.I. série A no 22, p. 13) et le
Détroitde Corfou, fond (C.I.J. Recueil 1949, p. 24). La façon dont la
question a ététraitéedans ces affaires ne contredit pas la conclusion que
l'on peut tirer de la jurisprudence de la Cour, savoir que la Cour peut
se trouver devant un ((doute destructif de la compétence)).La question
n'est pas théorique. A mon avis, la tentative d'établirla compétenceen
l'espècen'atteint pas le niveau de preuve voulu; la Cour n'est donc pas
compétente.Au mieux, selon ce critère, il est douteux qu'elle lesoit; et,

dans ce cas, elle ne saurait non plus conclure sa compétence.

VI. CONCLUSION

Je considère que la Cour n'a pas compétence,pour les raisons sui-
vantes: i) la Cour n'est pas saisie de ((l'ensembledu différend))dans la
mesure, d'importance, où la revendication de souverainetéde Bahreïn sur
Zubarah n'a pas été dûment soumise àla Cour; et ii) il n'ya pas de droit
d'introduire une requete unilatérale.
Sij'ai tort sur la compétence,je me prononcerai contre la recevabilité
au motif que, mêmesi la revendication de Bahreïn sur Zubarah est sou-
mise à la Cour, elle ne l'a pas étéd'une manièrequi permette à la Cour
d'en connaître sur le plan judiciaire.
Ainsi, des deux points de vue, la Cour ne saurait statuer. Au vu des
circonstances particulièresde l'affaire, elle a donné auxParties l'occasion
de lui soumettre l'ensemble du différend en agissant((conjointement ou
individuellement ». Elles auraient pu saisir cette occasion pour rectifier la
situation; cela n'a pas étéle cas.

11a étédit à juste titre que la Cour a
«le devoir...de sauvegarder en tout cas l'objet essentielde son acti-
vité,qui doit être dedévelopperl'application entre Etats du principe
et des méthodesdes décisionsjudiciaires»(Compatibilitéde certains
décrets-loisdantzikois avec la constitution de la Ville libre, avis
consultat$ 1935, C.P.J.1.sérieA/B no65,p. 60,opinion individuelle
de M. Anzilotti, se référanà un mémorandum deM. Moore).

En poursuivant ce noble dessein, il convient toutefois de veillàrne pass'inspirer du principe boni judicis est ampliare jurisdictionem;celui-ci
n'est pas jugéapplicableà la Cour (Droit depassage sur territoire indien,
exceptionspréliminaires,arrêt,C.I.J. Recueil 1957, p. 180,opinion dissi-
dente de M. Chagla, juge ad hoc ; et Compétenceen matière de pêcheries
(Républiquefédéraled'Allemagne c. Islande),fond, arrêt,C.I.J. Recueil
1974, p. 226,opinion individuellede M. de Castro). Au contraire, M. Ar-

mand-Ugon a raison de dire que «[v]ouloir forcer les textes se rappor-
tant à la juridiction de la Cour c'est s'exposerà des conséquencesqui
peuvent affecter son autoritéet son prestige))Barcelona Traction, Light
and Power Company, Limited, exceptions préliminaires, arrêt,C.I.J.
Recueil 1964,p. 147,opinion dissidente). Ce risque ne doit pas êtreexa-
géré; maisil ne doit pas non plus êtresous-estimé. La prudence à cet
égard m'interdit,je le regrette, de m'associerl'arrêt de laCour.

Je suis parvenu à cette conclusion avec une grande déférence pour cet
arrêt.Le respect que l'on doit à l'autorité dela Cour, dont il procède,
oblige à reconnaître qu'il ouvre la voie menant enfinà la solution de ce

différendentre deux Etats voisins.

(Signé) Mohamed SHAHABUDDEEN.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE SHAHABUDDEEN

The Judgment of the Court opens the way to the peaceful settlement of
a long-standing dispute between two neighbouring States. It iswith regret
that 1feelprevented by my appreciation of the legal issuesfrom joining in
support of it. With many of its elements 1do indeed agree. For example,
1accept that the Parties have conferredjurisdiction on the Court to adju-
dicate on the whole of the dispute. 1have the misfortune, however, to be
of a different mind on the question whether the claims presented by
Qatar are within the jurisdiction so conferred and, even if they are,
whether the jurisdiction has been duly invoked by the method of seisin
employed. Pursuant to Article 57 of the Statute of the Court, the reasons
which disable me from accompanying the majority are respectfully set
out below.

The limited nature of the Court's Judgment of 1 July 1994has to be
kept in view. The main question was one of jurisdiction. The Court
decided certain issues having a bearing on jurisdiction; it did not decide

the question ofjurisdiction itself (seeparagraph 23 of today's Judgrnent).
What it decided was "to afford the Parties the opportunity", in the light
of itsdecision on those issues, "to submit to the Court the whole of the
dispute" (I.C.J. Reports 1994, p. 127,para. 41 (3)).
Although, as 1 then stated, my own "preference would have been for
the issue ofjurisdiction to be fully decided at [that] stage"(ibid., p. 129),
1would not dispute the right of the Court to proceed as it did. True, there
is a "principle that it is the duty of the Court . . .to reply to the ques-
tions as stated in the final submissions of the parties . . ."(Request for
Interpretation of the Judgment of 20 November 1950 in the Asylum Case,
Judgment, I.C.J. Reports 1950, p. 402). But the principle, 1apprehend, is
not violated where, as in this phase of the case, the Court had not as yet
concluded its determination; the Court introduced an intermediate pro-
cedure prior to making its final decision.
Nor, despite an appearance of novelty, is the cornpetence of the Court
to introduce that intermediate procedure open to serious question. In the
Free Zones of UpperSavoy and the District of Gex, the Court, being duly
seised of a matter and having heard arguments on the interpretation of a
treaty provision, gave "indications" of its reaction to the question of
interpretation, and then allowed the parties a period of time to come to a

consensual solution of the main problem in the light and with the benefit OPINION DISSIDENTE DE M. SHAHABUDDEEN

[Traduction]

L'arrêtde la Cour ouvre la voie au règlement pacifique d'un litigequi
opposait de longue date deux Etats voisins. C'est donà regret queje me
vois empêché de m'y associer par ma conception des problèmes juri-
diques en cause.Je suis biend'accord sur nombre des élémentdse cet arrêt.
Par exemple,je reconnais que les Parties ont donnécompétence à la Cour
pour trancher l'ensembledu différend.En revanche, je suis malheureuse-

ment d'un autre avis sur la question de savoir si les demandes présentées
par Qatar relèventde la compétence ainsi conférée et, mêmealors, si le
mode de saisine retenu a fait jouer cette compétence commeil convient.
Conformément à l'article 57 du Statut de la Cour, je me permets d'ex-
poser respectueusement les raisons qui m'empêchentde me joindre à la
majorité.

Il faut garderà l'esprit le caractère limitéde l'arrêt rendupar la Cour
le le'juillet 1994. La question principale portait sur la compétence.La
Cour a statué sur certains points qui ont une incidence sur celle-ci; elle
n'a pas régléla question de la compétenceproprement dite (voir para-

graphe 23 du présentarrêt). Cequ'elle avait décidé, c'était«de donner
aux Parties l'occasion de soumettre à la Cour l'ensemble du différend))
(C.Z.J. Recueil 1994, p. 127,par. 41, point 3).
Comme je le disais alors, ((j'aurais préféque la question de la com-
pétence soit entièrementtranchée à ce stade»-là (ibid., p. 129),maisje ne
contesterai pas le droit de la Cour d'agir comme elle l'a fait. Certes, il
existe un ((principe que la Cour a le devoir de répondre aux demandes
des parties telles qu'elles s'expriment dans leurs conclusions finales...))
(Demande d'interprétationde l'arrêt du 20 novembre 1950 enl'affaire du
droit d'asile, arrêt,C.Z.J. Recueil 1950, p. 402). Maisà mon sens, ce
principe n'est pas enfreint lorsque, commeàce stade de l'espèce,la Cour
n'avait pas encore conclu; elle a ordonné une procédure intermédiaire
avant de rendre sa décision finale.

On ne saurait non plus contester sérieusementque la Cour est habilitée
à prescrire cette procédureintermédiaire, malgré uneapparence d'inno-
vation. Dans lesZonesfranches de laHaute-Savoie et du Pays de Gex, la
Cour, dûment saisie d'une affaire et après avoir entendu les plaidoiries
sur l'interprétation d'unedisposition d'un traité, avaitdonnédes ((indi-
cations)) sur sa réaction concernant la question de l'interprétation, puis
laisséaux parties un certain temps pour parvenirà une solution consen-of those "indications". When they failed, it resumed consideration of the
matter, and formally decided the question of interpretation along the

lines previously indicated (see P.C.I.J., Series A, No. 22, pp. 12, 13,
16-21; P.C.I.J., Series A, No. 24; and P.C.I.J., Series A/B, No. 46,
pp. 98, 102-105,136, 141, 149,152, 171).The distinguishing circumstance
that the "indications" were given and the deferment of a final decision
made at the request of the parties does not obscure a recognition by the
Court that it may adopt a procedure designed to enable the parties them-
selvesto find a solution to the particular problem before it in the light of
its views on introductory issues.

As was pointed out by Sir Hersch Lauterpacht, the Court is "debarred
from directly acting as an important instrument of peace" (Sir Hersch
Lauterpacht, The Development of International Law by the International
Court, 1958,p. 5); it is a court of justice, and must remain within the
limits of such a body. But, as he also noted in the opening sentence of his

major work, "the primary purpose of the ... Court ... liesin its function
as one of the instruments for securing peace in so far as this aimn be
achieved through law" (ibid.,p. 3).As it was put by President Basdevant,
"It is asked of the Court that it should contribute to peace by deciding
the disputes submitted to it" (I.C.J. Pleadings, Reparation for Injuries
Suffered in the Service of the UnitedNations, p. 46; and seeMilitary and
Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United
States of America), Merits,1.C.J. Reports 1986,p. 153,Judge Nagendra
Singh, separate opinion). The intermediate procedure introduced in this
case, though obviously to be resorted to sparingly and in specialrcum-
stances, did not exceed the function of a court charged with the mission
of applying the rule of law for the judicial settlement of international dis-
putes on a consensualjurisdictional basis.

However, it of course remains the responsibility of the Court to return
to thematter in due time in order to determine whether the intermediate
procedure has yielded a solution of the problem. In today's Judgrnent,
the Court considers that an "Act" filed by Qatar at the end of thatro-
cedure has disposed of any difficulties. With much regret, 1 do not feel
persuaded.

II. WHETHER THE "ACT"FILED BY QATAR SATISFIE SHE JUDGMENT
OF 1JULY1994

Clause 4 of the dispositif of the Court's Judgment of 1July 1994fixed

a time-limit within which the Parties were, "jointly or separately, to take
action" for thepurpose of submitting to the Court "the whole of the dis-
pute" (I.C.J. Reports 1994, p. 127, para. 41 (3) and (4)). Did the word

50 DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS. HAHABUDDEEN) 52

suelle sur le problème principal,à la lumière et avecle bénéficede ces
((indications)).Devant leur échec,la Cour reprit l'examen de l'affaire et
statua sur le problème d'interprétation dans le sens qu'elle avait précé-
demment indiqué(voir C.P.J.I. sérieA no22, p. 12-13et 16-21 ;C.P.J.I.
sérieA no24, et C.P.J.I. sérieA/B no46, p. 98, 102-105, 136, 141, 149,
152, 171).La singularitéde ce que les «indications» avaient été données
et la décision finalereportéeàla demande des parties n'empêchepas de
voir que la Cour a reconnu qu'ellepouvait adopter une procédurevisant

à permettre aux parties de trouver elles-mêmesune solution au problème
dont elle était saisie, en fonction de l'avis qu'elleavait donné sur des
questions préalables.
Comme l'a observé sir HerschLauterpacht, il est interdàtla Cour «de
jouer directement le rôle d'instrument important de la paix)) (sir Hersch
Lauterpacht, The Development of International Law by the International
Court, 1958,p. 5); elle est une cour de justice, et elle doit rester dans le
cadre du mandat d'une institution de cette nature. Mais, ainsi qu'ill'a
également soulignédans la première phrase de son grand ouvrage, «le
principal objet de la Cour..consiste en sa mission d'être l'undes instru-
ments destinés à promouvoir la paix dans la mesure où le droit permet

d'atteindre cet objectif))(ibid.,p. 3). Ainsi que l'a dle PrésidentBas-
devant: «On lui demande de contribuer à la paix en réglantles différends
qui lui sont soumis. (C.Z.J. Mémoires,Réparations des dommagessubis
au service des Nations Unies, p. 46; et voir aussi Activitésmilitaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d'Amérique),fond, C.Z.J. Recueil 1986, p. 153, opinion individuelle de
M. Nagendra Singh.) La procédure intermédiaire ordonnée dans cette
affaire,à laquelle on ne devrait manifestement avoir recours que parci-
monieusement et dans des circonstances particulières, n'apas outrepassé
lemandat d'une cour chargéed'appliquer le droit pour procéderau règle-
ment judiciaire de différendsinternationaux sur la base d'une compétence
consensuelle.

Mais, bien entendu, il appartient toujours à la Cour de revenir à
l'affaire en temps voulupour déterminersi la procédureintermédiairea
abouti à une solution au problème. Dans le présentarrêt,la Cour consi-
dèreque le dépôt d'une«démarche» par Qatar àla fin de cette procédure
a aplani toutes les difficultés.A mon grand regret, je n'en suis pas
convaincu.

II. LA«DÉMARCHE DÉPOSÉE PAR QATAR SATISFAIT-ELLE À L'ARRÊT
DU 1""JUILLET 1994?

Le point 4 du dispositif de l'arrêt rendupar la Cour le le'juillet 1994
fixait un délaidans lequel les Parties devaient agir ((conjointement ou
individuellement)) pour soumettre à la Cour ((l'ensembledu différend))
(C.I.J. Recueil 1994, p. 127,par. 41, points 3 et 4). Le mot ((individuel-"separately" contemplate the possibility of "the whole of the dispute"
being submitted by one Party alone?

The dispositif may be interpreted in the light of the motifs (Polish
Postal Service in Danzig, Advisory Opinion, 1925, P.C.I.J., Series B,
No. II, pp. 29-30). Hence, any doubt about the meaning of the word
"separately" in clause 4 of the dispositif may be resolved by recourse to
paragraph 38 of the Judgment, which reads:
"Such submission of the entire dispute could be effectedby ajoint
act by both Parties with, if need be, appropriate annexes, or by sepa-
rate acts."

The term "separate acts" visualized acts done by each Party acting
separately, but not an act done by one Party alone where the other did
nothing; each Party would have to act so as to complement the act
of the other and in that way to submit "the whole of the dispute".

This reading is consistent with the fact that it was to "the Parties" that
the Court decided "to afford . . the opportunity to submit to the Court
the whole of the dispute" (I.C.J. Reports 1994,p. 127,para. 41 (3)). It is
also in keeping with Qatar's post-Judgment statement to Bahrain that

"the Court leaves an option to the Parties to take separate action to place
the whole of the dispute before the Court" and that, failing agreement
"on a joint cornpliancewith the decision of the Court", it "will of course
be open to Ourtwo countries to take appropriate separate action to com-
ply with the Court's Judgment" (letter from the Agent of Qatar to the
Agent of Bahrain, dated 6 July 1994).The implication follows that the
Judgment rendered five days earlier was accepted as requiring action
from each Party.
There are reasons of substance why the Court could not have intended
that one Party alone could act. A special agreement, notified by one
party with the authority of the other, may submit the claims of both
sides; but that is not the mode pursued in this case.Also, if an agreement
so provides, a dispute may be submitted in its entirety by unilateral appli-
cation (e.g., FisheriesJurisdiction (United Kingdom v. Iceland), Jurisdic-
tion of the Court, Judgment, I.C.J. Reports 1973, p. 3). That format
seemsto explain the Court's present Judgment; but does it correspond to
the thinking underlying its Judgment of 1July 1994?Did that Judgment
contemplate that an acceptable course would be for Qatar to fileanother
unilateral document provided that "the form of words used [in it] . . .

accurately described the subject of the dispute" (cf. paragraph 48 of
today's Judgment)?
The real ground on which the Judgment of 1July 1994held that "the
whole of the dispute" was not before the Court was that the Court then
had "before it solely an Application by Qatar setting out the particular
claims of that State ..." (1C.J. Reports 1994, p. 123,para. 34; emphasis
added). It seemsto me that the opportunity afforded by the Court to "the
Parties . . to submit . ..the whole of the dispute" visualized that al1of DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SHAHABUDDEEN) 53

lement» couvrait-il la possibilitéque ((l'ensembledu différend)) soit sou-
mis par une seule Partie?
Le dispositif peut s'interpréterd'aprèsl'exposé desmotifs(Servicepos-
tal polonais à Dantzig, avis consultatg 1925, C.P.J.I. sérieB no II,
p. 29-30).Ainsi, on peut lever le moindre doute sur le sens du mot «indi-
viduellement)),au point 4 du dispositif, en se reportant au paragraphe 38
de l'arrêt:

«Une telle soumission de l'ensemble du différendpourra résulter
soit d'une démarche conjointe des deux Parties, accompagnée au
besoin d'annexes appropriées, soit de démarches individuelles.
L'expression ((démarchesindividuelles» visait des actes accomplis par
chacune des Parties individuellement, mais non pas une initiative prise

par une seule Partie, l'autrehe faisant rien; chacune des Parties devait
agir de manière à compléter la démarche del'autre et soumettre ainsi
((l'ensembledu différend ».
Cette interprétation est dans la logique de la décision, qui était dedon-
ner «aux Parties)) ((l'occasion de soumettrà la Cour l'ensembledu dif-
férend))(C.I.J. Recueil 1994, p. 127,par. 41, point 3). Elle va aussi dans
le même sensque ce qu'affirmait Qatar à Bahreïn après l'arrêtà savoir
que «la Cour offre aux Parties la faculté d'agir individuellementpour lui
soumettre l'ensembledu différend»et que, à défautd'un accord «sur une
démarche conjointe visant à donner effet à la décision de laCour», «il
sera bien entendu loisibleà nos deux pays d'agir individuellement pour
donner effet à l'arrêtde la Cour» (lettre du 6 juillet 1994 de l'agent de
Qatar à celui de Bahreïn). Il ressort que l'arrêt renducinq jours plus tôt

appelait une démarche dechacune des Parties.

Des raisons solides expliquent que la Cour n'a pu vouloir dire que
l'une des Parties étaithabilitéeà agir seule. Un compromis notifiépar
l'une desparties avec l'aval de l'autre peut présenterles prétentions des
deux parties; mais ce n'est pas la procédure suivie en l'espèce.Le diffé-
rend peut aussi êtresoumis dans sa totalitépar une requête unilatérale,
s'ilexiste un accordàcet effet (voir, par exemple, Compétenceen matière
de pêcheries(Royaume-Uni c. Islande), compétencede la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 1973,p. 3). Cette alternative sembleexpliquer l'arrêtactuel
de la Cour; mais correspond-elle au raisonnement qui avait inspiré son
arrêtdu le'juillet 1994?Ce dernier tenait-il pour acceptable une procé-
durepar laquelle Qatar déposerait unautre document unilatéral à condi-
tion que «la formulation retenue [dans ce texte] ..décriv[e]exactement

l'objet du litige» (cf. paragraphe 48 du présentarrêt)?
La véritable raisonpour laquelle l'arrêtdu le'juillet 1994disait que la
Cour n'étaitpas saisiede ((l'ensembledu différend)),c'estque celle-cidis-
posait alors ((seulement d'une requêtede Qatar exposant les prétentions
spécifiquesde cet Etat..» (C.I.J. Recueil 1994, p. 123, par. 34; les ita-
liques sont de moi). Il me semble qu'en offrant l'occasion «aux Parti...
de soumettre ..l'ensemble du différend))la Cour envisageait que toutesthe claimo sf each Party would be submitted by it or with its authority so
as to ensure that the dispute in al1of its component elements would be
properly presented and considered. Bahrain's claim to sovereignty over
Zubarah is referred to in Qatar's Act; but it has not been submitted to
the Court by or with the authority of Bahrain. This is recognized in para-
graph 48 of the Judgment: although the Court takes the view that it is
now "seised of the whole of the dispute", it also states

"that claims of sovereignty over the Hawar islands and over Zuba-
rah may be presented by either of the Parties, from the moment that
thematter of the Hawar islands and that of Zubarah are referred to
the Court".
This looks to a possible future submission of such claims.

Meanwhile, however, the Court has held that Qatar's unilateral Appli-
cation, read with its unilateral Act of 30 November 1994,is both within
jurisdiction and admissible. The Court could accordingly proceed to the
merits and determine Qatar's request, presented in its Act, that the Court
should "adjudge and declare that Bahrain has no sovereignty or other
territorial rig.. .over Zubarah . .".That request is less in the nature
of a claim by Qatar than in the nature of the forma1 conclusion of its
defence to Bahrain's claimto sovereignty over Zubarah. Were the Court
to grant the request, it would be upholding Qatar's defence to Bahrain's
claim without the latter having been submitted to it by or with the
authority of Bahrain. The Judgment of 1 July 1994did not contemplate

that the right to sovereignty claimed by Bahrain would be submitted to
the judicial process in that indirect way.

1 conclude that the Judgment of 1 July 1994did not envisage action
being taken by one Party alone. In view of this, it is not necessary to go
on to consider a related argument by Bahrain as to whether Qatar is
attempting unilaterally to amend its original Application, and as to
whether it may competently do so. It is obvious, however, thatsuch an
objection was not likelyto be made if action had beenken by both Par-
ties, as in my opinion was contemplated by the Judgment of 1July 1994.

III. JURISDICTIONC AOLNSEQUENCE OF FAILURE TO MAKE
DUESUBMISSIO OF "THE WHOLE OF THE DISPUTE"

If Qatar's unilateral Act of 30 November 1994 did not satisfy the
Court's Judgment of 1 July 1994,it follows that al1that the Court has
before it is Qatar's unilateral Application of 8 July 1991.The Court has
already found "that thesubject-matter of [that] Application corresponds
to only part of the dispute contemplated by the Bahraini formula" and
that this "was in effect acknowledged by Qatar" (I.C.J. Reports 1994,
p. 124,para. 36). What is the jurisdictional consequence? DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SHAHABUDDEEN) 54

lesprétentions de chaque Partie soient exposéespar celle-ci, ou avec
son aval, de sorte que le différend soitdûment présenté et examindans
tous sesélémentsconstitutifs.La revendication desouverainetéde Bahreïn
sur Zubarah est mentionnéedans la «démarche» de Qatar; mais elle n'a
pas été soumise à la Cour par Bahreïn ou avec l'aval de ce dernier. Le
paragraphe 48 de l'arrêtle reconnaît: bien que la Cour se considère
désormais ((saisiede l'ensembledu différend)),elle déclare aussi

«que des revendications de souveraineté sur les îles Hawar et sur
Zubarah peuvent êtreprésentées par l'une ou l'autre des Parties, dès
lors que la question des îlesHawar et cellede Zubarah sont soumises
àla Cour)).

C'est envisagerla possibilité que detellesrevendications soient présentées
à l'avenir.
Mais en attendant la Cour a décidéque la requête unilatéradeQatar,
éclairéepar sa ((démarche»unilatéraledu 30novembre 1994,est àla fois
de sa compétence et recevable.La Cour pourrait donc procéder à l'exa-
men au fond et statuer sur la demande de Qatar, énoncéedans sa
((démarche)),priant la Cour de «dire et juger que Bahreïn n'a aucune
souveraineté ni aucun autre droit territorial...sur Zubarah ..» Cette
demande n'est pas tant une prétention de Qatar que la conclusion for-
melle de la défenseque celui-ciopposeà la revendication de souveraineté
de Bahreïn sur Zubarah. Si la Cour devait faire droità cette demande,

elle reconnaîtrait le bien-fondé de la défenseopposée par Qatar à la
revendication de Bahreïn, mais sans que cette dernière lui ait étéeffecti-
vement soumise par Bahreïn ou avec son aval. Or, l'arrêtdu le' juillet
1994n'avait pas pour objet de fairejuger, par cette voie indirecte, le droit
de souverainetéque revendique Bahreïn.
Je conclus que l'arrêtdu le' juillet 1994n'entendait pas que l'une des
Parties puisse agir seule.est donc inutile d'examiner une argumentation
connexe de Bahreïn sur le point de savoir si Qatar tente d'amender uni-
latéralement sa requête initiale,et s'il estfondéprocéder ainsi.Il est
cependant évident qu'unetelle objection n'aurait sans doute pas été sou-
levéesi les deux Parties avaient agi comme l'envisageait,à mon sens,

l'arrêtdu le' juillet 1994.

III. LACONSÉQUENCE SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR
DU FAIT QUE ((L'ENSEMBLE DU DIFFÉREND)) N'A PAS ÉTÉ DÛMENT SOUMIS
À CELLE-CI

Si la «démarche» unilatéralede Qatar du 30 novembre 1994n'a pas
satisfaià l'arrêtdu le'juillet 1994,il s'ensuit que la Cour est saisie seu-
lement de la requête unilatérale deQatar du 8juillet 1991.Or, la Cour a

déjà établique cette «requête ne porte que sur une partie du différend
visépar la formule bahreïnite)) et que ((Qatar [l'la en fait reconnu))
(C.Z. RJ.cueil 1994, p. 124, par. 36). Quelle en est la conséquencedu
point de vue de la compétence? The agreement finallyreached on the subject-matter of the dispute falls
to be regarded as going back to and attracting the application of a 1983
principle that al1matters in dispute were "to be considered as comple-
mentary, indivisible issues, to be solved comprehensivelytogether". Bah-
rain correctly argued that there was no agreement to confer jurisdiction
in such a way as to enable the Court to consider part of the dispute
without having to consider the remainder at the same time. Since the
Court has only part of the dispute beforeit, it followsthat it has no juris-
diction.

IV. DIDQATAR HAVE A RIGHT OF UNILATERA APPLICATION
UNDER THE DOHAMINUTES?

Assuming the foregoing to be wrong, the Court is still faced with the
fact that it is Qatar alone which has acted so far. It therefore remains
necessary to deal with Bahrain's submission that Qatar has no right of
unilateral application under the Doha Minutes. To that submission,
Qatar responded that (i) the Parties agreed to a right of unilateral appli-
cation; (ii) alternatively, once consent has been given to jurisdiction, the
Court may be unilaterally seised unless this is shown to have been
excluded by the Parties, and that, in this case, even if thea Minutes
did not provide for a right of unilateral application, they did not exclude
it. Holding in favour of Qatar on (i), the Court did not pass on to (ii).
Beingof a different viewon (i),completeness of treatment of Qatar's case
requires me to deal with (ii) also.

(i) Did the Parties Agree to a Right of Unilateral Application?

It is, of course, necessary to consider the actual terms of the texts.
These include the Bahraini formula. The "Question" to be put to the
Court, as it was set out in theBahraini formula, began with the words
"The Parties request the Court to decide . . ."The implication was that
the case was to be submitted by both Parties.
1agree with the Court that the Bahraini formula has to be read not by
itself, but in the context of theha Minutes, in which it is referred to.
A main element of the context is set out in paragraph 2 of those Minutes.
This stated that "the two parties may submit the matter to the Interna-
tional Court of Justice in accordance with the Bahraini formula . .."

(Judgment, para. 30; emphasis added). Hence, the Doha Minutes implied
that the act ofubmitting the matter to the Court was to be inaccordance
with the Bahrainiformula. At this point, the reader is thrown back by the
Doha Minutes on to the text of the Bahraini formula in order to seewhat
it required to bedone for the matter to be submitted to the Court. On Il y a lieu de considérer l'accord finalementintervenu sur l'objet du dif-
férend commeremontant à un principe de 1983,sur lequel il sefonde, et
selon lequel toutes les questions en litige devaient «êtreconsidérées
comme des questions complémentairesformant un tout indivisible qui
doit faire l'objet d'un règlement d'ensemble)). Bahreïna soulignà,juste
titre, qu'il n'existait pasd'accord pour conférerà la Cour une compé-
tence qui permette à celle-ci de considérer unepartie du différendsans

avoir à en examiner simultanémentle reste. Or, puisque la Cour n'est sai-
sie que d'une partie du différend,il s'ensuit qu'elle n'estpas compétente.

IV. QATAR AVAIT-IL LE DROIT DE DÉPOSER UNE REQUETE UNILATÉRALE
EN VERTU DU PROCÈS-VERBAL DE DOHA?

A supposer que ce qui précèdesoit faux, la Cour se trouve toujours
devant le fait que Qatar est seul avoir agijusqu'ici. En conséquence,il
demeure nécessaire d'examinerla thèsede Bahreïn selon laquelle Qatar
n'a pas le droit de déposer une requête unilatérale en vertu du procès-
verbal de Doha. A cette prétention, Qatar a répondu: i) que les Parties

étaientconvenues d'un droit de déposer une requête unilatérale ieit) que,
alternativement, dèslors que la compétencea été acceptée l, Cour peut
êtresaisie par voie unilatéralà moins qu'il nesoit établique les Parties
l'ont exclu,auquel cas mêmesi leprocès-verbalde Doha ne prévoyaitpas
le droit de déposer une requête unilatéraleil, ne l'excluait pas non plus.
Après avoir donnéraison à Qatar sur le premier point, la Cour n'a pas
abordéle second. Or, étant donnéqueje suis d'un avis différentquant au
point i), je dois examiner aussi le point) pour épuiserl'argumentation
de Qatar.

i) Les Parties ont-elles convenu d'un droit de déposer une requête
unilatérale?

Il faut évidemmenttenir compte des termes exacts employéspar les
textes. Ceux-ci incluent la formule bahreïnite. La «questioà»poser à la
Cour, telle qu'elle figuraitdans la formule bahreïnite, commençait par les
mots: «Les parties prient la Cour de trancher...)) Cela impliquait que
l'affaire devait êtresoumise par les deux Parties.
Je partage l'avis de la Cour sur le fait que la formule bahreïnite doit
êtrelue non pas isolément, maisdans le contexte du procès-verbal de
Doha, qui s'yréfère.Un élémenftondamental du contexte figure au para-
graphe 2 du procès-verbal. Celui-ci précisaitque «les deux parties pour-
ront soumettre la questionà la Cour internationale de Justice conformé-

ment à laformule bahreïnite..»(arrêt,par. 30; les italiques sont de moi).
Le procès-verbal de Doha impliquait donc que l'acte par lequel l'affaire
devait êtresoumise àla Cour devait êtreconforme à laformule bahreïnite.
Ici, le procès-verbal de Doha renvoie le lecteur au texte de la formule
bahreïnite afin de déterminer ce qu'il y avait lieu de faire pour que labeing so thrown back on to the text of the formula, he would of course
appreciate the need to respect the definition there laid down of the
subject-matter of the dispute; but he could not miss the meaning of the

opening words of the formula that the submission to the Court was to be
made by both Parties. Unless the submission was made in that way, the
requirement of the Doha Minutes that the submission of the matter to
the Court was to be "in accordance with the Bahraini formula" could not
be satisfied.Thus, the Doha Minutes themselves enjoined conformity
with the implication of the Bahraini formula that the submission to the
Court was to be made by both Parties.
On this point, paragraph 38 of the Judgment states that "[ilf the 1990
Minutes referred back to the Bahraini formula, it was in order to deter-
mine the subject-matter of the dispute which the Court would have to
entertain", with the implication that the reference did not also operate to
import the requirement of the formula asto the mode of seisin.It seemsto
me that more persuasive reasons speak for the prima facie meaning that
the reference to the matter being submitted to the Court "in accordance
with the Bahraini formula" included the admitted requirement of the for-
mula for the submission to be made by both Parties. Since it was Qatar
which introduced that reference, something in the nature of the principle
of interpretation contraproferentem applies to the resolution of any ambi-

guity. As the books caution, the principle needs to be applied with cir-
cumspection to the interpretation of treaties (Charles De Visscher,
Problèmes d'interprétationjudiciaire en droit international public, 1963,
pp. 110-112, referring to Brazilian Loans, P.C.I.J., Series A, No. 21,
p. 114); yet, a certain irreducible logic in its substance is not altogether
banished (see Polish Agrarian Reform and German Minority, Order of
29 July 1933, P.C.I.J., Series A/B, No. 58, p. 182,last paragraph, Judge
Anzilotti, dissenting opinion; and Lord McNair, The Law of Treaties,
1961,pp. 464-465).
The meaning suggested above seemsclear. There isno need for recourse
to the travauxpréparatoires.The latter do, however, supply confirmation
of that meaning. Alternatively, if indeed the text is not clear, such
recourse can help to resolve the difficulty to the extent permitted by
Article 32, paragraphs (a) and (b), of the Vienna Convention on the
Law of Treaties 1969.
In the course of drafting the Doha Minutes, the words "either of the
[two]parties" were changed by Bahrain, with the knowledge and consent
of Qatar, to read, in the Arabic original, "al-tarafan", meaning "the
parties" (according to Qatar) or "the two parties" (according to Bah-

rain). Accepting Qatar's version for present purposes, the question is
whether the agreed provision nevertheless visualized that "either of the
[two] Parties" could make an application, just as if no change had been
made.
The fact that the amendment was made, with the words "either of the
[two] parties" being consensually discarded, signified that Bahrain con-
tinued to adhere to its previous opposition to the idea of either of the twoquestion soit soumise à la Cour. Se rapportant ainsià la formule, le lec-
teur reconnaîtrait sans doute la nécesside respecter la définitionqu'elle
donne de l'objet du différend; maisle sens des premiers mots de la for-
mule ne saurait lui échapper,qui préciseque la Cour devait êtresaisiepar
les deux Parties. Sil'affaire n'étaitpas soumisede cette manière, la condi-

tion énoncée dans le procès-verbalde Doha, à savoir que la question soit
soumise àla Cour ((conformément à la formule bahreïnite)), ne pourrait
êtreremplie. Ainsi, le procès-verbal deDoha lui-même enjoignait dese
conformer à ce qu'impliquait la formule bahreïnite, c'est-à-dire que la
Cour devait êtresaisie par les deux Parties.
Sur ce point, le paragraphe 38 de l'arrêt dit quei le procès-verbal de
1990 renvoyait à la formule bahreïnite, c'était en vue de déterminer
l'objet du différenddont la Cour aurait à connaître)), impliquant ainsi
que ce renvoi n'avait pas pour effet de reprendre aussi la condition
énoncéedans cette formule quant au mode de saisine. Il me semble que
des raisons plus convaincantes militent en faveur de l'interprétation à
priori selon laquelle la soumission de la questioà la Cour ((conformé-
ment àla formule bahreïnite)) comprenait la condition convenue dans la

formule, à savoir que la saisinedevait êtreeffectuéepar les deux Parties.
Ce renvoi ayant étéintroduit par Qatar, un principe d'interprétation
similaireà la règlecontraproferentem s'applique lorsqu'il s'agitde lever
une ambiguïté.Commelesauteurs leconseillent,ceprincipe doitêtreappli-
quéaveccirconspection à l'interprétationdes traités (CharlesDeVisscher,
Problèmes d'interprétationjudiciaire en droit international public, 1963,
p. 110-112,à propos desEmprunts brésiliensC, .P.J.Z.sérieA no21, p. 114);
pourtant, son fond de logique irréductiblelui vaut de n'êtrepas entière-
ment écarté (voirRéformeagraire polonaiseet minorité allemande, ordon-
nance du 29juillet 1933, C.P.J.Z. sérieA/B no 58, p. 182, dernier para-
graphe, opinion dissidente de M. Anzilotti; et lord McNair, The Law of
Treaties, 1961,p. 464-465).
L'interprétation avancéeci-dessus paraît claire. Il n'est pas nécessaire
de recourir aux travaux préparatoires. Mais ces derniers confirment cette

interprétation. Subsidiairement, si effectivementle texte n'est pas clair, ce
recours peut aiderà résoudre la difficuldans la mesure où lepermettent
les paragraphes a) et b) de l'article 32 de la convention de Vienne sur le
droit des traitésde 1969.
Pendant la rédaction du procès-verbal de Doha, Bahreïn a changé,au
su et avec le consentement de Qatar, les mots «une ou l'autre des [deux]
parties)) en «al-tarafan», dans la version arabe originale, c'est-à-dire «les
parties)) (selon Qatar) ou «les deux parties)) (selon Bahreïn). Si l'on
accepte, pour nos fins actuelles, la version de Qatar, la question est de
savoir si la disposition adoptée envisageait néanmoins que ((l'une ou
l'autre des [deux]parties» pourrait introduire une requête,tout comme si
aucun changement n'était intervenu.
Le fait que l'amendement ait été apporté,et que l'expression «l'une ou

l'autre des [deux]parties))ait disparu par consensus, signifiaitque Bahreïn
persistait dans son opposition antérieureàl'idéeque l'une ou l'autre desParties having a right of unilateral application; nothing suggests that at
the last moment it capitulated on that important point. The situation
brings to mind the words of the Court in the Aegean Sea Continental
Shelf case:

"When read in that context, the terms of the Communiquédo not
appear to the Court to evidence any change in the position of the
Turkish Government in regard to the conditions under which it was
ready to agree to the submission of the dispute to the Court." (I.C.J.
Reports 1978, p. 43, para. 105.)

Reaching further back, one might also recall the statement of the Perma-
nent Court of International Justice in the Free Zonesof UpperSavoy and
the District of Gex:

"It is scarcelyreasonable to suppose - indeed, such a supposition
would be irreconcilable with the documents before the Court -
that, at the moment when the dispute was about to be submitted to
ajudicial organ, Switzerland abandoned the legal position which she
has constantly maintained in regard to the very point on which the
two Parties are now divided." (P.C.I.J., Series A/B, No. 46, p. 138.)

Weighty circumstances are required to establish that a party intended
abruptly to abandon a position long held by it.
In Fisheries Jurisdiction (United Kingdom v. Iceland), Jurisdiction of
the Court, in the course of negotiating the terms of an agreement for
referring a possible dispute to the Court, the United Kingdom proposed
to insert, at the appropriate place in the text,

"the words 'at the request of either party' in order to make it clear
that the jurisdiction of the Court could be invoked by means of a
unilateral application and need not require a joint submission by
both parties" (I.C.J. Reports 1973, p. 11,para. 19).
Iceland preferred the words "at the request of the several parties". The
United Kingdom insisted onits own wording, and Iceland finallyaccepted

it as part of the agreed compromissory clause. It could scarcely be
suggested that the acceptance by Iceland of the United Kingdom wording
was a matter of no consequence to the meaning of the final text. In pro-
ceedings unilaterally instituted by the United Kingdom, the Court care-
fully recalled the exchanges between the parties relating to the alteration
which was made; it did so in a branch of the Judgment which, in the
absence of Iceland, concluded with a finding "that the Court has juris-
diction" (ibid., p. 14,para. 23). In the somewhat opposite situation here,
the amendment proposed by Bahrain and accepted by Qatar falls to be
interpreted as intended to exclude the possibility of a right of unilateral
application.
Comparison may also be made with the Act of Lima (Asylum case,
Judgment, I.C.J. Reports 1950, pp. 267-268). The Act referred to the
inability of the parties to reach agreement on a joint reference and then DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SHAHABUDDEEN) 57

deux Parties ait le droit de déposer une requêteunilatérale. Rien ne
donne à penser qu'au dernier moment il ait capitulé surce point impor-
tant. Cette situation évoquece que disait la Cour dans l'affaire du Pla-
teau continental de la mer Egée:
((Replacésdans ce contexte, les termes du communiquéne parais-

sent pas, selon la Cour, traduire un changement deposition du Gou-
vernement de la Turquie quant aux conditions dans lesquelles ce
gouvernement était prêt à accepter que le différend soitportédevant
la Cour.» (C.I.J. Recueil 1978, p. 43, par. 105.)
En remontant plus loin, on peut rappeler aussi l'avis de la Cour perma-

nente de Justice internationale dans l'affaire des Zones franches de la
Haute-Savoie et du Pays de Gex:
«Il n'est guèreraisonnable de supposer - et cela est d'ailleurs
contredit par les documents soumis à la Cour - que la Suisse, au
moment où le différend allaitêtresoumis à une instance judiciaire,

aurait consentià abandonner la position juridique qu'elle avait tou-
jours maintenue à l'égard précisémen dtu point qui est actuellement
litigieux entre les Parties.» (C.P.J.Z. sérieA/B no46, p. 138.)
Il faut des arguments de poids pour démontrer qu'une partie a soudain
eu l'intention derenoncer àune position qu'ellea longuement maintenue.

Dans l'affairerelativà la Compétence en matière dpeêcheries(Royaume-
Unic. Islande), compétencede laCour,le ~o~aume-Üni avait proposé,au
cours des négociations sur laclausecompromissoirepermettant de saisirla
Cour d'un différend éventuel, d'insérerà l'endroit appropriédu texte
«les mots ((àla demande de l'une ou l'autre partie)) pour bien faire

ressortir que lajuridiction de la Cour pourrait êtremise en Œuvreau
moyen d'une requêteunilatérale et n'exigerait pas une démarche
commune des deux parties)) (C.Z.J. Recueil 1973, p. 11,par. 19).
L'Islande préférait l'expression«à la demande des diverses parties)). Le
Royaume-Uni a maintenu sa propre formule, et l'Islande a finalement

acceptécelle-ci dans la clause compromissoire qui fut adoptée. On ne
saurait avancer que l'acceptation par l'Islande du libellédu Royaume-
Uni ne prêtait pas à conséquencedu point de vue du sens du texte final.
Au cours d'une instanceintroduite unilatéralementpar le Royaume-Uni,
la Cour a pris soin de rappeler les échangesqui étaient intervenus entre
les parties au sujet de la modification apportée;elle l'a fait dans une par-
tie de l'arrêt qui,en l'absence de l'Islande, a conclu quea Cour [était]
compétente))(ibid., p. 14,par. 23). Dans la situation plutôt contraire que
nous avons ici, l'amendement proposépar Bahrein et acceptépar Qatar
doit être interprétécomme visant à exclure la possibilité d'un droit
d'introduire une requête unilatérale.
Les faits se prêtentaussià une comparaison avec l'acte de Lima (Droit

d'asile,arrêt, C.I.J.Recueil1950, p. 267-268).Cet acte constatait que les
parties étaient dans l'impossibilitéde parvenir à un accord pour sou-recorded their agreement "that proceedings . . may be instituted on the
application of either of the Parties". It would have been natural for some
such language to be used in the Doha Minutes if this was intended to be
read as proposed by Qatar. On the contrary, an attempt to make the
Minutes read that way failed; it is difficult to read the text which finally

emerged as if the attempt had al1the same succeeded.

The danger of relying on inadequate preparatory material must not be
overlooked. On the other hand, however full the material may be, it is
almost alwayspossible to say that it could be stillfuller. Thetravauxpré-
paratoires in this case are not as ample as they might be; but 1 am not
persuaded that, on the pertinent points concerning the fashioning of the
text of theDoha Minutes, they are so fragmentary as to be useless.They
show the state of the original draft; who presented it; who changed what;
and in what sequence the changes were made. Those are the steps which
normally occur in the drafting of a negotiated text. Thematerial indicates
that Bahrain maintained its previous opposition to the idea of a right of
unilateral application. The travaux préparatoiresare therefore confirma-
tory of the interpretation of theDoha Minutes proposed above; alterna-
tively, they operate to resolve any ambiguity in favour of that
interpretation.

The Court's key argument is that paragraph 2 of the Doha Minutes

envisaged that the matter could be submitted to the Court as soonas the
period of good officesexpired. 1accept this view; but it does not follow
that a unilateral application was the only method by which that could be
done. The matter could be so submitted if the Parties were to proceed on
the basis that the Doha Minutes themselves constituted a special agree-
ment which could be jointly notified as soon as the period ended. The
Court is not limited to choosing between different interpretations pro-
posed by each side (Free Zones of UpperSavoy and the District of Gex,
Judgment, 1932, P.C.I.J., Series A/B, No. 46, p. 138; Corfu Channel,
Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1949,p. 51,Judge Winiarski, dissenting
opinion; and South West Africa, Second Phase, Judgment, L C.J. Reports
1966, p. 354,Judge Jessup, dissenting opinion). Elaborate provisions are
not needed for a special agreement (see the relevant elements of the
agreement in Territorial Dispute (Libyan Arab Jamarihiya/Chad), Judg-
ment, I.C.J. Reports 1994, pp. 9-10).Whether a case is brought by noti-
fication of a special agreement or by written application, al1 that Ar-
ticle 40, paragraph 1, of the Statute requires is that "the subject of the
dispute and the parties shall be indicated". To use the language of Ar-
ticle 39, paragraph 2, of the Rules of Court, the Doha Minutes, together

with their incorporated instruments, make apparent "the precise subject
of the dispute and identify the parties to it". Article6, paragraph 2, of
the Rules of Court provides for a case in which a special agreement is
silent on the number and order of the pleadings.
The solution suggested (of treating the Doha Minutes as themselves DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS. HAHABUDDEEN) 58

mettre l'affaire conjointemenà la Cour, puis enregistrait leur accord pour
«que la procédure ...[soit]engagéeà la demande de l'unequelconque des
deux Parties)). Il aurait naturel qu'une formule du mêmeordre figurât
dans le procès-verbal de Doha si ce dernier était censé vouloir dire ce
qu'avance Qatar. Au contraire, une tentative pour formuler leprocès-ver-
bal en ce sens échoua;il est difficile de lire le texte final comme si elle
avait tout de même réussi.
Il ne faut pas négligerle danger de se fonder sur des élémentsprépa-
ratoires insuffisants. En revanche, pour complets que soient ces éléments,
il est presque toujours possible d'affirmer qu'ilspourraient l'être encore

davantage. Les travaux préparatoires en l'espèce nesont pas aussi étoffés
qu'ils pourraient l'être; maije ne suis pas persuadé que, sur les points
pertinents concernant la rédaction du procès-verbalde Doha, ils soient si
fragmentaires qu'ils en deviennent inutilisables. Ils montrent l'étatdu
texte original; qui l'a présenté,ui a changéquoi; et dans quel ordre les
changements ont étéapportés.Ce sont là les étapesque l'on trouve nor-
malement dans la rédactiond'un texte négocié. Lesdocuments indiquent
que Bahreïn a maintenu son opposition préalable à l'idéed'un droit
d'introduire une requêteunilatérale. Les travaux préparatoires confir-
ment donc l'interprétation duprocès-verbalde Doha que je proposais ci-
dessus; subsidiairement, ils lèvent toute ambiguïté en faveur de cette
interprétation.
L'argument cléde la Cour est que le paragraphe 2 du procès-verbalde
Doha envisageait que l'affaire pourrait êtresoumise à la Cour dèsI'expi-

ration du délaide bons offices. J'en conviens; mais il ne s'ensuit pas
qu'une requête unilatéraleétait le seul moyen. L'affaire aurait pu être
soumise de cette manière si les Parties entendaient se fonder sur le fait
que le procès-verbal de Doha lui-mêmeconstituait un compromis qui
pouvait êtrenotifiéconjointement à l'expiration de la période.La Cour
n'est pas obligéede limiter son choixà diversesinterprétationsproposées
par les deux parties (Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de
Gex, arrêt,1932, C.P.J.I. série A/B no 46, p. 138: Détroit de Corfou,
fond, arrêt,C.Z.J Recueil 1949,p. 51,opinion dissidente de M. Winiarski;
Sud-Ouest africain, deuxièmephase, arrêt, C.I.J.Recueil 1966, p. 354,
opinion dissidente de M. Jessup). Un compromis n'est pas nécessaire-
ment constitué dedispositions complexes (voir les éléments pertinents du
compromis dans Différend territorial(Jamahiriya arabelibyenne/Tchad),
arrêt,C.I.J. Recueil 1994, p. 9-10). Qu'une instance soit introduite par

voie de notification d'un compromis ou de dépôtd'une requêteintroduc-
tive d'instance, le paragraphe 1 de l'article 40 du Statut requiert seule-
ment que ((l'objetdu différendet lesparties doivent êtreindiqués)).Confor-
mémentau libellédu paragraphe 2 de l'article39du Règlementde la Cour,
le procès-verbalde Doha et les documents qui y sontjoints montrent clai-
rement ((l'objetprécisdu différend ainsi queles parties)). Le paragraphe 2
de l'article46 dudit Règlement énonce larègleapplicable en cas de silence
d'un compromis sur le nombre et l'ordre des piècesde procédure.
La solution suggérée,consistant à traiter le procès-verbal de Dohaconstituting a special agreement) attracts the criticism that it offers an
in-built veto to one party over the other. That is so, but no more so
than in the case of any other special agreement which has to be jointly
notified. Account being taken of the principle of good faith, the veto is
not absolute; this helps to answer the questions raised in paragraph 36

of the Judgment relating to the continued availability of the mediation
process.
In any case, the criticism would not justify recourse to the principle of
effectivenessin order to support a right of unilateral application. The lit-
erature acknowledges the concept of "a treaty embodying a compromise
attempted but not actually achieved" (SirHersch Lauterpacht, TheDevel-
oprnent of International Law by the International Court, 1958, p. 227).
The principle of effectivenessdoes not assist in such cases. Discussing the
principle, Lord McNair observed:

"Many treaties fail- and rightly fail - in their object by reason
of the words used, and tribunals are properly reluctant to step in and
modify or supplement the language of the treaty." (Lord McNair,
The Law of Treaties, 1961,p. 383.)

Thus, the fact that a treaty has a discernible object does not mean that it
has to be interpreted so as to accomplish that object at al1costs. A treaty
must of course be interpreted "in the light of its object and purpose"; but
it is not for the Court to make it more effectivefor achievingits apparent
purpose than the parties themselves saw fit to do (see De Visscher, op.
cit., p. 77). It is apposite to recall the words of Judge Lauterpacht in the
Adrnissibility of Hearings of Petitioners by the Cornmittee on South West
Africa case:

"The clauses of the PeaceTreaties of 1947relating to settlement of
disputes were, as shown in their wording and the protracted history
of their adoption, formulated in terms which clearly revealed the
absence of agreement to endow them with a full measure of effec-
tiveness." (1.C.J. Reports 1956, p. 58, separate opinion.) '

(ii) Is It Correct to Say that, Once Consent Hus Been Givento
Jurisdiction, the Court May Be Unilaterally Seised unless the Right

to Do So Is Shown to Have Been Excluded by the Parties?
The argument for Qatar was put by counsel thus:

"As for the mode of seisin - notification of a special agreement or
filing of an application - it does not necessarily have the same
voluntarist basis. The method of seisin may, to be sure, be agreed
between the parties; but, in the absence of any agreement between
them on that point, as is the case here, it is for the Court to appreciate
the regularity of the seisin, the mode of submission of a case to the
Court being regulated by the provisions governing its functioning.

Appreciation of the regularity of the act by which proceedings are
instituted consist accordingly in verifying, as was done in the Corfu DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP. DISS.SHAHABUDDEEN) 59

comme un compromis, donne prise à la critique en ce qu'elle accordeà
l'une desparties un droit de veto inhérent à l'égardde l'autre. C'estbien
le cas, mais pas plus que dans n'importe cpelautre compromis devant
faire l'objet d'une notification conjointe. Si l'on tient compte du principe
de bonne foi, le droit de veto n'est pas absolu; cela aideà répondre aux

questions soulevéesau paragraphe 36 de l'arrêtau sujet de la possibilité
de continuer de faire a.Al à la médiation.
Quoi qu'il en soit, la critique nejustifierait pas un recours au principe
de l'effet utile pour étayer un droit de saisine unilatérale. Les auteurs
reconnaissent la notion d'«un traité représentant une tentative, non
aboutie, de compromis)) (sir Hersch Lauterpacht, The Development of
International Law by the International Court, 1958,p. 227). Dans cescas-
là, le principe de l'effetutile n'est d'aucune assistance. Analysant ce prin-

cipe, lord McNair écrivait:
«Bien des traitésmanquent leur but - età juste titre- à cause
des mots utilisés,et les tribunaux ont raison d'hésiter à intervenir
pour modifier ou compléterle libellédu traité. » (Lord McNair, The
Law of Treaties, 1961,p. 383.)

Ainsi, le fait qu'un traitéait un but visible ne signifiepas qu'il doiveêtre
interprétéde manière à atteindre ce butà tout prix. Certes, un traité doit
s'interpréter«à la lumière de son objet et de son but)); mais il n'appar-
tient pas à la Cour de le rendre davantage à mêmed'atteindre son but
apparent que les parties elles-mêmesn'ont jugé bon de le faire (voir
De Visscher, op. cit., p. 77). Il est opportun de rappeler ce qu'écrivait

M. Lauterpacht dans l'affaire de l'Admissibilitéde l'auditiondepétition-
nairespar le Comitédu Sud-Ouest africain:
«Les clauses des traitésde paix de 1947sur le règlementdes dif-
férends étaient formulées, commele montrent leur rédaction et la
longue histoire de leur adoption, en termes qui révélaient clairement

l'absence de consentement à les doter d'un plein degréd'efficacité.
(C.I.J. Recueil 1956, p. 58, opinion individuelle.)

ii)Peut-on dire qu'une fois sa compétencereconnue la Cour peut être
saisie unilatéralements'il n'est pas prouvé queles parties ont exclu le
droit de saisine unilatérale?

Le conseil de Qatar a présenté ainsises arguments:

((Quant au mode de saisine - notification d'un compromis ou
requête - il n'a pas nécessairement lamêmebase volontariste. Le
mode de saisine peut certes êtreconvenu entre les parties; mais, en
l'absence d'accordentre ellessur cepoint, comme c'est lecas dans la
présente affaire,il appartienà la Cour d'apprécier la régularitde la
saisine, parce que le mode de soumission d'une affaire à la Cour est
réglépar les textes régissant son fonctionnement.
L'appréciation de la régularité de l'acte introductif d'instance

consiste alorsà vérifier,comme cela avait été faitdans l'affaire du Channel case (I.C.J. Reports 1947-1948, p. 28), that a particular
method of seisinis not ruled out by a text that is binding on the par-
ties to the case.
In the light of that preliminary observation, one can Say that
Qatar has been able validly to bring the present case before the
Court by an application instituting proceedings, because unilateral
seisin is the inevitable corollary of compulsoryjurisdiction. For such
a seisin to be possible, it is necessary that the States concerned
should have accepted the jurisdiction of theCourt and it sufficesthat
that possibility not be expressly or implicitlyruled out by the provi-
sions conferring compulsory jurisdiction on the Court.
In consequence, if Qatar has been able validly to seise the Court
by means of a unilateral application, it is because the competence of
the Court was definitivelyaccepted by both States and because that
method of seisin was not ruled out by the relevant texts, even if the
latter have not expressly provided for it." (CR 9412,pp. 63-64, Pro-

fessor Quéneudec.)

The question whether, in a particular case, jurisdiction under
Article 36, paragraph 1,of the Statute is compulsory really depends on
whether the parties have agreed, expressly or impliedly, to its being
capable of exercise by unilateral seisin. Thus, the proposition that "uni-
lateral seisin is the inevitable corollary of compulsory jurisdiction" does
not show that a right of unilateral seisin can rest on anything other than
the agreement of the parties. The question whether there is such an
agreement in this case has been examined and answered in the negative
under (i) above. Accordingly, 1would now pass on to consider the alter-
native question whether, absent such an agreement, a right of unilateral
seisinis available provided jurisdiction has been accepted and the parties
have not excluded that right.
It is necessary to bear in mind the distinction betweenjurisdiction and
seisin.The use of the correct method of seisin is a condition-precedent to
the exercise ofjurisdiction. If seisinis not properly effected in a case that
is sought to be brought, the agreed jurisdiction becomes unavailable to
the Court, with the result that, in that particular case, the Court has no

jurisdiction (seeAegean Sea Continental ShelJ;Judgment, I.C.J. Reports
1978,p. 45, para. 109;and Applicationfor Revision and Interpretation of
the Judgment of24 February 1982in the Caseconcerningthe Continental
Shelf (TunisialLibyan Arab Jamahiriya) (Tunisia v. Libyan Arab Jama-
hiriya), Judgment, I.C.J. Reports 1985,p. 216,para. 43). But, despite this
functional link between the concepts, it remains true that seisin is not
jurisdiction. Thus, consent to jurisdiction does not by itself include con-
sent to seisin being effected by any particular method.
This is so even in a case in which, the agreement to litigate beingsilent
on seisin, the parties proceed to effect seisinjointly; in such a case, they
are acting not pursuant to any right to act jointly which has been con-
ferred by the giving of consent to jurisdiction (such a right is scarcely DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS. HAHABUDDEEN) 60

Détroitde Corfou (C.I.J. Recueil 1947-1948,p. 28), que tel mode de
saisine n'est pas exclu par un texte obligatoire pour les parties en
cause.
A la lumière de cette observation préliminaire,il est possible de
dire que Qatar a pu valablement porter la présente affaire devant la
Cour par une requête introductive d'instance, parce quela saisine
unilatérale apparaît comme le corollaire inéluctable de la compé-
tence obligatoire. Pour qu'une telle saisine soit possible, il faut que
les deux Etats intéressésaient acceptéla juridiction de la Cour et il
suffit que cette possibiliténe soit pas expressémentou implicitement
exclue par les textes lui conférantcompétence obligatoire.

Dès lors, si Qatar a pu valablement saisir la Cour par voie de
requête unilatérale,c'est parce que la compétence dela Cour était
définitivement acceptéepar les deux Etats en cause et parce que ce
mode de saisine n'étaitpas exclupar les textes pertinents en l'espèce,
mêmesi ces textes ne l'avaient pas expressémentprévu. » (CR 9412,
p. 63-64, M. Quéneudec.)

La détermination,dans une espèce,du caractère obligatoire de la com-
pétence enapplication du paragraphe 1 de l'article 36 du Statut dépend
de l'existencedu consentement, tacite ou exprès, despartiesà la capacité
de l'exercerau moyen d'une saisineunilatérale.Par conséquent, dece que
«la saisine unilatéraleest le corollaire inévitablede la compétenceobli-
gatoire» il ne découlepas qu'un droit de saisineunilatérale peut avoirun

autre fondement que l'accord desparties. L'existence d'un tel accord a
été examinéd eans le paragraphe i) ci-dessus, où l'on y a répondupar la
négative. En conséquence,j'étudierai maintenant l'autre question, de
savoir si, en l'absence d'un tel accord, il existe un droit de saisine unila-
téraledèslors que la compétence aétéreconnue et que les parties n'ont
pas exclu ce droit.
Il est indispensable de gardeà l'esprit la distinction qui existe entre la
compétence et la saisine. Lerecours au mode de saisine appropriéest une
condition suspensive à l'exercicede la compétence.Si la saisine n'est pas
effectuée régulièremend tans une affaire que 1'011veut lui soumettre, la
Cour ne peut exercer une compétence consentie,d'où il s'ensuit qu'en
l'espècela Cour est incompétente (voir Plateau continental de la mer
Egée, arrêtC ,.Z.J.Recueil 1978,p. 45, par. 109,et Demande enrevisionet

en interprétationde l'arrêtu 24février 1982 en l'aflairedu Plateau conti-
nental (TunisielJamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe
libyenne), arrêt,C.Z.J. Recueil1985,p. 216, par. 43). Mais malgréce lien
fonctionnel entre les concepts, il n'en restepas moins vrai que la saisine
n'estpas la compétence.Par conséquent,leconsentement àla compétence
ne s'étendpas, en soi,à l'acceptation d'un mode de saisine ou d'un autre.
Celavaut même lorsque, l'accord en vue d'une procédureétantmuet sur
la saisine,lesparties procèdent une saisineconjointe. Dans ce cas ellesle
font non pas en vertu d'un droit d'agir conjointementqui serait conféré
par le consentement donné à la compétence(ce droit n'étantguèrenéces-needed), but in exercise of their normal freedom to act as they both see
fit. This freedom is exercised through the consensual act by which the
case is jointly submitted; the mutual consents involved are distinct from
consent to jurisdiction. A right of unilateral application likewisedepends
on consent other than consent to jurisdiction, even if, as is likely,consent
is in both respects given in the same instrument.

What, if anything, do the cases show? In Certain GermanInterests in
Polish Upper Silesia, Germany made a unilateral application under a
treaty which provided that "differences ofopinion ... shall be submitted
to the Permanent Court of International Justice". On that wording, a
question could have arisen as to whether a joint submission or a uni-
lateral one was visualized. However Poland, the Respondent, did 'hot
dispute the fact that the suit [had] been duly submitted to the Court in
accordance with Articles 35 and 40 of the Statute" (P.C.I.J., Series A,
No. 6, p. 11). The case is slight authority for the proposition that the
mere existence of jurisdiction operates to confer a right of unilateral
application.

In the case of Applicationfor Revision and Interpretation of the Judg-
ment of 24 February 1982 in the Case concerning the Continental Shelf
(TunisiaILibyan Arab Jamahiriya) (Tunisia v. Libyan Arab Jamahiriya),
notwithstanding the words in a special agreement that "the two Parties
shall together go back to the Court . ..",the Court held that there was a
right of unilateral application. It is clear, however, that the Court was
relying on Article 60 of the Statute, under which there is such a right and
under which the application was in fact made (I.C.J. Reports 1985,
p. 216, para. 43). The case is distinguishable.
A case more in point is that of United States Diplomatic and Consular
Staff in Tehran. There, as in Certain German Interests in Polish Upper
Silesia, the relevant treaty provision was silent on the specificmethod of
seisin to be used, merely stating that any dispute between the parties
"shall be submitted to the International Court of Justice . ..".By con-
struing it as intended by the parties to operate in the same way as stand-
ard provisions in other treaties of the same character, the Court was,
however, able to interpret it as signifyingthat "what the parties intended"
was that "either party may bring a case to the Court by unilateral appli-
cation" (I.C.J. Reports 1980, p. 27, para. 52; and see Military and
Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United

States of America), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J.
Reports 1984, p. 427, para. 81). The case betrays no hint that the
Court would have been prepared to regard the mere existence of juris-
diction as sufficient to confer a right of unilateral application; on the
contrary, in the absence of the respondent, the Court sought proprio
motu to satisfy itself that the applicant's unilateral application rested on
the agreement of both parties that proceedings could be instituted by
such a method.
The Corfu Channel case is not helpful. First, the Court proceeded on DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS . HAHABUDDEEN) 61

saire)mais simplementdans l'exercicenormal de leur liberté d'agir comme
elleslejugent bon I'uneet l'autre. Cette libertés'exerceau moyen de l'acte
consensuel par lequel l'affaire est soumise conjointement; ces consente-
ments mutuels sont différentsde l'acceptation de la compétence.Demême,
ledroit de déposerune requête unilatérale dépend d'c unnsentement autre
que l'acceptation de la compétence,mêmesi, comme c'est probable, le
consentement est donné à I'uneet à l'autre dans le mêmeinstrument.
Que trouvons-nous dans lajurisprudence? Dans Certains intérêtaslle-
mands en Haute-Silésiepolonaise, l'Allemagne a présentéune requête
unilatéraleen application d'un traité quiprévoyaitque «des divergences

d'opinion ..seraient soumises à la décisionde la Cour permanente de
Justice internationale)). A partir de ce libellé,une question aurait pu se
poser, de savoir si l'on envisageait une requêteconjointe ou unilatérale.
Toutefois, la Pologne, qui était défendeur,«n'a pas contestéque la Cour
[ait été]régulièrement saisein conformitédes articles 35 et 40 du Statut »
(C.P.J.I. sérieA no6, p. Il). Cette jurisprudence ne convainc guèreque
la simple existence de la compétence confèrele droit d'introduire une
requête unilatérale.
Dans la Demande en revision et en interprétation de l'arrêtdu
24 février 1982 enl'affaire du Plateau continental (TunisieIJamahiriya
arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), bien que le com-
promis ait disposé que «les deux Parties reviendront ensemble à la
Cour...)), la Cour a jugé qu'il existaitun droit de présenterune requête
unilatérale.Il est clair cependant que la Cour sefondait sur l'article 60 du
Statut, en vertu duquel un tel droit existe et en application duquel la

requêteavait été effectivement présentée (C.I.J. Recueil 1985, p. 216,
par. 43). L'affaire estdonc différente.
Celledu Personneldiplomatique et consulaire desEtats-Unis à Téhéran
est plus pertinente. Comme dans l'affaire de Certains intérêts allemands
en Haute-Silésie polonaise,la disposition pertinente du traitéétait muette
sur le mode de saisine à employer, indiquant simplement que «tout dif-
férendentre les parties sera portédevant la Cour internationale de Jus-
tice..» En l'interprétantcomme si les parties avaient voulu qu'elle s'ap-
plique de la mêmefaçon que les dispositions habituelles figurant dans
d'autres traités demêmenature, la Cour a pourtant été en mesure d'y lire
que ce «que les parties ..entendaient)), c'étaitque ((l'uneou l'autre des
parties peut saisir la Cour par requête unilatérale(C.I.J. Recueil 1980,
p. 27, par. 52: voir aussi Activitésmilitaires et paramilitaires au Nicara-

gua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique),compétence
et recevabilité,arrêt,C.I.J. Recueil 1984,p. 427, par. 81). Rien n'indique
dans cette affaire que la Cour aurait été disposée à considérerque la
simpleexistence de la compétence suffisaità conférerun droit de lui sou-
mettre une reauête unilatérale.Au contraire. en l'absence du défendeur.
la Cour a cherché proprio motu àse convaincre que la requête unilatérale
du demandeur reposait sur l'accord des deuxparties à ce qu'une instance
puisse être introduitepar cette voie.
L'affaire du Détroit de Corfou n'est guère utile. Premièrement,dans the basis offorum prorogatum. In such a situation, the application has of
necessity to be made without the prior consent of the respondent; that is
because it is really in the nature of an offer to litigate. Second, even ifthe

respondent is prepared in principle to litigate, it could conceivably be
opposed to the idea of doing so on the basis of a unilateral application; in
this event, it is really because of its rejection of that method of seisinthat
the respondent will be declining the offer to litigate. Where the respond-
ent accepts the applicant's offer to litigate, it is therefore also acquiescing,
albeit ex post facto, in the bringing of the case by unilateral application;
thus, absence of consent is more apparent than real. Third, when the
Court in that case said that it "cannot ... hold to be irregular a proceed-
ing which is not precluded by any provision in these texts", what it was
considering at that point of its reasoning was not the regularity of the
seisin assuch, but only its use as part of a two-stage procedure for con-
ferringjurisdiction on the Court: couldjurisdiction be conferred "by two
separate and successiveacts, instead of jointly and beforehand by a spe-
cial agreement" (I.C.J. Reports 1947-1948,p. 28)?It was in that context
that the Court observed that "the method of submitting the case to the
Court is regulated by the texts governing the working of the Court . ..".
The statement first mentioned possessed no such property of universality
as would qualify it to lend support to the materially different proposition
that, in a case in which jurisdiction already exists, the existence of that

jurisdiction is enough to confer a right to make a unilateral application
unless the right to do so has been excluded by the parties.
It is difficult to see how a right to make an application without the
consent of the respondent can CO-existwith the right of a State not to
have its case determined without its consent if this means that, at the
stage when it appears before the Court, it should be there because it con-
sented to be there, even if it did so reluctantly. Conceivably, it may be
prepared to be there on the basis of the case being submitted jointly, but
not unilaterally; it may have legitimate concerns in these respects. It is
not for the Court to assess the sufficiency of the concerns; the judge of
that is the State involved. It exercisesits judgment by way of consenting
to seisinbeing effected in a particular manner. Consent may be impliedly
given, but it is always required. For the reasons offered above, even
forum prorogatum cases are not true exceptions.
In sum, the role of consent is not the negative one of excluding a right
of unilateral application which would exist once jurisdiction has been
accepted, but the positive one of creating a right of unilateral application
which could not otherwise exist. In my opinion, it has not been shown
that the Parties to this case consented to such a right.

It would not be correct to suggestthat al1of the evidencepoints in one
direction; on certain aspects, the material lies on both sides of the
dividingline. Not surprisingly, one of the things discussed at the Bar was DELIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SHAHABUDDEEN) 62

cette affaire, la Cour s'est fondéesur leforum prorogatum. La requête
doit alors nécessairementêtreintroduite sans le consentement préalable
du défendeur,étant donnéqu'il s'agit enfait d'une offre d'aller enjustice.
Deuxièmement, mêmesi le défendeurest disposé en principe à saisir la
justice, il pourrait fort bien s'opposerce que ce soit sur la base d'une
requête unilatérale.En ce cas, c'est en réalitéparce qu'il se refusece
mode de saisine que le défendeurdéclinera l'offre d'aller enjustice.Lors-

que le défendeur accepte l'offre du demandeur, il accepte donc aussi,
même ex post facto, que l'affaire soitintroduite par une requête unilaté-
rale; l'absence de consentement est donc plus apparente que réelle.Troi-
sièmement,lorsque la Cour a dit dans cette affaire qu'ellene peut tenir
pour irrégulièreune voie qui n'est exclue par aucun texte)), ce qu'elle
considéraità ce stade de son raisonnement. ce n'étaitDasla rugularité de
la saisine en tant que telle, mais seulement son emploi dans le cadre d'une
procédureen deux étapespour donner compétence à la Cour: la compé-
tence pouvait-elle êtreconférée«par deux actes séparéset successifs» au

lieu de l'être((conjointement, par un compromis préalable))? (C.I.J.
Recueil 1947-1948,p. 28). C'est dans ce contexte que la Cour a observé
qu'«il appartient aux textes gouvernant le fonctionnement de la Cour de
déterminer comment celle-ci doit êtresaisie...)) La première citation ne
revêtaitpas un caractère d'universalité tel qu'elle puisseétayerla thèse
sensiblement différente selon laquelle,lorsque la compétenceexiste déjà,
son existence suffit pour conférerle droit d'introduire une requête unila-
téraleà moins que celui-ci n'ait été exclpar les parties.
On voit mal comment le droit de une requête sansle consente-
ment du défendeurpeutcoexister avecledroit d'un Etat àceque son affaire

ne soit pas jugéesans son consentement, si cela signifieque, au stade où il
paraît devant la Cour, il doit s'y trouver parce qu'ilconsenti, fût-cà
son corps défendant.On peut imaginer qu'ilpourrait êtredisposéàcompa-
raître si l'affaire étaitprésentée conjointement, maisnon unilatéralement;
il pourrait avoir des préoccupationslégitimesàcet égard.Il n'appartient
pas à la Cour d'apprécierle bien-fondé decespréoccupations;c'està1'Etat
en cause d'en juger. Il exerce son jugement en consentantà un mode de
saisine déterminé. Le consentement peut-êtrdeonnéde manière implicite,
mais il est toujours requis. Pour les raisons exposéesci-dessus, mêmeles

affaires deforum prorogatum ne constituent pas de véritables exceptions.
En résumé,le rôle du consentement n'est pas négatif,excluant un droit
de requête unilatéralequi existerait dès lors que la compétence a été
acceptée,mais plutôt positif, en créantun droit de requête unilatérale qui
ne saurait exister autrement.A mon avis, il n'a pas étéprouvé que les
Partiesà l'instance avaient consentà un tel droit.

V. LE CRITÈRE DE LA PREUVE
On ne saurait prétendre que tous les élémentsde preuve vont dans le

même sens; à certains égards,ils sont partagés.Il n'est pas étonnant que
l'un des points qui ont été analysés à l'audience a étéle critère de lathe standard of proof (seeparagraph 43 of the Judgment). It is important
to consider this, both as it applies to jurisdiction proper and as it applies
to seisin in relation to jurisdiction.
It is of course the law that acceptance of jurisdiction is not "subordi-

nated to the observance of certain forms" (Rightsof Minorities in Upper
Silesia (Minority Schools), Judgment No. 12, 1928, P.C.I. J., Series A,
No. 15, p. 23). But that relates to the form in which consent is given; it is
without consequence for the need to establish consent itself, whatever the
form it takes. What is the applicable standard of proof?

Generally speaking, the standard of proof varies with the character of
the particular issue of fact. A higher than ordinary standard may, for
example, be required in the case of a charge of "exceptional gravity
against a State" (Corfu Channel,Merits, Judgment, 1.C.J. Reports 1949,
p. 17). What, then, is the importance of the matter in this case? The
Court lacks the compulsory jurisdiction of municipal courts; judicial
settlement is an optional means, among others, of settling international

disputes. A State has a right not to have its case submitted to the Court
unless it consents to that particulareans of settlement; it may not prop-
erly be held to have given up that important right unless its consent is
clearly established. How clearly?

The received test is whether, in the opinion of the Court, "the force of
the arguments militating in favour of Ljurisdiction]is preponderant"
(Factory ut Chorzbw, Jurisdiction, Judgment No. 8, 1927, P.C.I.J.,
Series A, No. 9, p. 32). The precise meaning of this is another matter.
Two questions arise. First, how "preponderant" should the force of the
arguments be? Counsel for Qatar cited the Oxford English Dictionary
definition of the word "preponderant" as "meaning, in the first place,
'surpassing in weight; outweighing, heavier' and, in the second place,
'surpassing ininfluence, power, or importance; predominant'" (CR 9411,
p. 44, SirIan Sinclair,Q.C.). That is not materially different from judicial

dictionary definitions (see Vocabulairejuridique, 3rd ed., p. 621 ;Black S
Law Dictionary with Pronunciation,6th ed.,p. 1182;and West'sLaw and
Commercial Dictionary inFiveLanguages, Vol. "K-Zn, pp. 328-329).But
"surpassing" by what margin?

In the same case in which the test of preponderance was put forward,
the Permanent Court of International Justice went on to indicate that the
intention to conferjurisdiction had been "demonstrated in a manner con-
vincing to the Court" (P.C.I.J., Series A, No. 9, p. 32). A year later it
spoke of consent being "inferred .fromacts conclusively establishing it",
and of submission of arguments on the merits falling to be "regarded as
an unequivocal indication of the desire of a State to obtain a decision on
the merits of the suit" (Rights of Minorities in Upper Silesia (Minority

Schools), Judgment No. 12, 1928, P.C.I.J., Series A, No. 15, p. 24). In DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SHAHABUDDEEN) 63

preuve (voir le paragraphe 43 de l'arrêt).Il est important de l'examiner,
tel qu'il s'appliqueà la compétenceproprement dite aussi bien qu'à la
saisine par rapport à la compétence.

Certes, le droit prévoitque l'acceptation de la compétence n'estpas
«soumise à l'observation de certaines formes» (Droits de minorités en
Haute-Silésie (écoles minoritaires),arrêtno 12, 1928, C.P.J.I. série A
no15, p. 23). Mais cela vaut pour la forme sous laquelle le consentement
est donné;cela ne préjugeen rien de la nécessitéd'établirleconsentement
lui-même,sous quelqueforme qu'ilse présente. Mais quelest le critère de
preuve applicable?
De manière généralel,e critère de la preuve varie selon la nature de la
question de fait qui est en litige. Par exemple, on peut être plus exigeant
sur la preuve dans le cas d'une imputation «d'une gravité ...exception-
nelle articuléecontre un Etat» (Détroit de Corfou, fond, arrêt,C.I.J.
Recueil 1949,p. 17).Quelle est donc l'importance de l'enjeu en l'espèce?
La Cour n'est pas investie de la compétence obligatoire d'un tribunal

national; le règlementjudiciaire est un moyen facultatif, parmi d'autres,
de réglerdes différendsinternationaux. Un Etat a le droit qu'une affaire
le concernant ne soit pas soumise àla Cour s'ilne consent pas à ce mode
de règlement particulier. Il ne saurait être réputé légitimement avoir
renoncé à ce droit importantà moins que son consentement ne soit clai-
rement établi. A quel degré?
Le critère accepté consisteà déterminer si, de l'avis de la Cour, «la
force des raisons militant en faveur de la compétence [est] prépondé-
rante» (Usine de Chorzow, compétence, arrê nto8, 1927, C.P.J.I. sérieA
no9, p. 32). Ce que cela veut dire exactement est une autre affaire.
Deux questions se posent. Premièrement, quelle «prépondérance» doit
avoir la force des arguments? Le conseil de Qatar a citél'Oxford English
Dictionary, qui définit((preponderant » [prépondérant]comme signifiant,
premièrement, ((surpassing in weight; outweighing, heaviern [surpassant

en poids; plus lourd] et, deuxièmement,((surpassing in influence, power,
or importance; predominant)) [surpassant en influence, puissance ou
importance; prédominant])) (CR 9411,p. 44, sir Ian Sinclair, Q.C.). Cette
définition n'estpas très différente decellesque donnent les dictionnaires
juridiques (voirVocabulairejuridique, 3"éd., p.621; Black's Law Dictio-
nary with Pronunciation, 6"éd.,p. 1182; et West 3 Law and Commercial
Dictionary in Five Languages, vol. K-Z, p. 328-329).Mais ((surpassant»
à quel point?
Dans la mêmeaffaire où le critère de la prépondérancea été avancé, la
Cour permanente de Justice internationalea précisé ensuite que la volonté
de lui conférer compétenceavait été((établied'une manière qui satisfait
la conviction de la Cour» (C.P.J.I. sérieA no9, p. 32). Un an plus tard,
elle a parléd'une volonté quipouvait ((résulter ..d'actes concluants>)et

de ce que le fait de plaider le fond devait être ((regcomme une mani-
festation non équivoque de la volonté de 1'Etatd'obtenir une décisionsur
le fond de l'affaire))Droits de minoritésen Haute-Silésie (écolesmino-
ritaires), arrêt n12, 1928, C.P.J.I. sérieA no 15, p. 24). Dans l'affairethe Corfu Channel case, this Court described Albania's letter as consti-
tuting "a voluntary and indisputable acceptance of the Court's jurisdic-

tion" (I.C.J. Reports 1947-1948,p. 27). Nor did the test of preponder-
ance stand in the way of its more recent reaffirmation of the criterion of
"'an unequivocal indication' of a 'voluntary and indisputable' acceptance
of the Court's jurisdiction" (Convention on the Prevention and Punish-
ment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia
(Serbia and Montenegro) ), Provisional Measures, I.C.J. Reports 1993,
p. 342, para. 34). A similarly high test had been proposed by Judge
Lauterpacht in 1957,when he spoke of

"the established practice of the Court - which, in turn, is in accord-
ance with a fundamental principle of international judicial settle-
ment - that the Court will not uphold its jurisdiction unless the
intention to confer it has been proved beyond reasonable doubt"
(Certain Norwegian Loans, I.C.J. Reports 1957, p. 58, separate
opinion; and see Sir Gerald Fitzmaurice, TheLaw and Procedureof
the International Court of Justice, 1986,Vol. II, p. 437).

The test of preponderance has to be construed in accordance with this
established jurisprudence.
The second question is how does the preponderance test impact on a
situation in which the Court is in a state of doubt. When the Permanent
Court of International Justice said that the

"fact that weighty arguments can be advanced to support the
contention that it has no jurisdiction cannot of itself create a doubt
calculated to upset itsjurisdiction",
it obviously recognized that the Court could find itself in a state of
"doubt calculated to upset its jurisdiction" (Factory at Chorzow, Juris-

diction, Judgment No. 8, 1927, P.C.I.J., Series A, No. 9, p. 32). That
recognition was also apparent when it went on to Say:
"The question as to the existence of a doubt nullifyingitsjurisdic-
tion need not be considered when .. .this intention [to confer juris-
diction] can be demonstrated in a manner convincing to the Court."
(Ibid.)

Counsel for Bahrain, however, spoke of case-law having "rejected
what a judgment called 'a doubt nullifying . . .jurisdiction'" (CR 9416,
p. 12,Professor Prosper Weil). Could that have happened in Border and
Transborder Armed Actions (Nicaragua v. Honduras), Jurisdiction and
Admissibility, Judgment (I.C.J. Reports 1988, p. 76, para. 16)?There the
Court had before it the "question . ..whether in case of doubt the Court

is to be deemed to have jurisdiction or not". It answered by citing the
jurisprudence of the Factory at Chorzow to the effect (already alluded to)
that
"the Court will, in the event of an objection - or when it has auto-
matically to consider the question - only affirm itsjurisdiction pro- DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS . HAHABUDDEEN) 64

du Détroitde Corfou, cette Cour a décritla lettre de l'Albanie comme
«une acceptation volontaire, indiscutable, de la juridiction de la Cour»
(C.I.J. Recueil 1947-1948,p. 27). Le critère de la prépondérancene l'a
pas empêchée plus récemment d'affirmer de nouveau le critère d'«une
manifestation non équivoque))de la volonté de cet Etat d'accepter de
manière ((volontaire, indiscutable)) la compétence de la Cour» (Applica-

tion de la convention pour la prévention et la répressiondu crime de
génocide(Bosnie-Herzégovinec. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)),
mesures conservatoires,C.I.J. Recueil 1993, p. 342, par. 34). M. Lauter-
pacht avait proposé un critère aussi exigeant en 1957,en évoquant
«la pratique établie dela Cour qui est, de son côté, conforme au
principe fondamental du règlementjudiciaire international qui veut

que la Cour ne se déclarepas compétente à moins que l'intention de
lui conférer compétence n'ait été établsia ens aucun doute raison-
nable» (Certains emprunts norvégiens,C.I.J. Recueil 1957, p. 58,
opinion individuelle;voir aussi sir Gerald Fitzmaurice, The Law and
Procedure of the International Courtof Justice,1986,vol. II, p. 437).

Le critère de prépondérance doitse comprendre conformément à cette
jurisprudence établie.
La secondequestion est de savoir comment le critèrede prépondérance
s'applique lorsque la Cour est dans le doute. Quand la Cour permanente
de Justice internationale affirmait que le
«fait que des arguments sérieuxpeuventêtreinvoquéspour soutenir

la thèseque la compétence n'existepas ne saurait déjà créeun doute
qui serait de natureà faire échecà la compétence)),
elle reconnaissait manifestement que la Cour pouvait se trouver devant
un ((doute qui serait de naturà faire échec à la compétence))(Usine de
Chorzbw, compétence,arrêt no8, 1927, C.P.J.I. sérieA no9, p. 32).Et de
mêmeplus loin:

«Le doute destructif de la compétence n'entre pas en ligne de
compte lorsque cette volonté [de conférer la compétence] peutêtre
établie d'une manièrequi satisfait la conviction de la Cour.(Ibid.)

Pourtant, le conseil de Bahreïn a invoquéune jurisprudence qui avait
«refuséce qu'un arrêt aappelé«le doute destructif de la compétence))
(CR 9416,p. 12,M. Prosper Weil). Peut-il s'agir de l'affaire relatiàedes
Actions armées frontalières et transfrontalières(Nicaragua c. Hondu-
ras), compétence et recevabilité, arrêt(C.I.J. Recueil 1988, p. 76,
par. 16)?La Cour était alorssaisie de «la question ..de savoir si dans le
doute la Cour doit êtreregardée comme compétenteou non». Elle y a
répondu en citant la jurisprudence de l'Usine de Chorzbw, à savoir que

(comme je l'ai déjà évoqué):
«la Cour ne l'affirmera en cas de contestation- ou lorsqu'elle doit
l'examiner d'offic- qu'à la condition que la force des raisons mili- vided that the force of the arguments militating in favour of it is
preponderant" (P.C.I.J., Series A, No. 9, p. 32).
What this means is that in al1situations, other than those in which "the

force of the arguments militating in favour of Ijurisdiction]is preponder-
ant", the Court will not affirm its jurisdiction. These other situations, in
which the force of the arguments militating in favour ofjurisdiction is not
preponderant, will logically include situations in which the Court is in
doubt. Accordingly, where there is doubt the Court will not affirm its
jurisdiction.
1have considered the references to "doubt" in the Free Zones of Upper
Savoy and the District of Gex (P.C.I.J., Series A, No. 22, p. 13)and the
Corfu Channel,Merits (1.C.J. Reports 1949,p. 24).The way in which the
matter was considered in those cases does not overthrow the conclusion
to be drawn from the Court's jurisprudence that the Court can be in a
state of "doubt nullifying its jurisdiction". The point is not academic. In
my opinion, the attempt to establish jurisdiction in this case does not
meet the requisite standard of proof; and thus the Court has no jurisdic-

tion. At best, however, on that standard, it is doubtful that it has; in this
event also, it cannot find in favour of jurisdiction.

VI. CONCLUSION

1am of opinion that the Court lacksjurisdiction. The reasons are that
(i) "the whole of the dispute" is not before the Court in the substantial
sense that Bahrain's claim to sovereignty over Zubarah has not been
duly submitted to the Court; and (ii)there is no right of unilateral appli-
cation.
If 1am wrong onjurisdiction, 1would hold against admissibility on the
ground that, even if Bahrain's claim to Zubarah is before the Court, it
has not been submitted in a manner which enables theCourt to deal with
it judicially.
Thus, on either view, the Court may not act. In the special circum-
stances of the case, it affordedthe Parties an opportunity, by action to be
taken "jointly or separately", to place the whole of the dispute before it.
That opportunity could have been used to adjust the situation; this has
not happened.

It has been rightly said that
"it is the duty of the Court at al1costs to safeguard the fundamental
purpose which it is designed to achieve,namely, the advancement of
the application between nations of the principle and method ofjudi-
cial decision" (Consistency of Certain Danzig Legislative Decrees
with the Constitution of the Free City, Advisory Opinion, P.C.I.J.,
Series A/B, No. 65, p. 60,separate opinion of Judge Anzilotti, refer-

ring to a memorandum of Judge Moore).
However, in pursuing that high purpose, care needs to be used not to DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SHAHABUDDEEN) 65

tant en faveur de la compétencesoit prépondérante))(C.P.J.I. série
A no9, p. 32).
Autrement dit, dans tous les cas autres que ceux où«la force des raisons
militant en faveur dela compétence[est]prépondérante»la Cour n'affirme

pas sa compétence. Cesautres situations, où la force des arguments mili-
tant en faveur de la compétence n'estpas prépondérante, vontlogique-
ment inclure des cas où la Cour se trouve dans le doute. Donc, s'il y a
doute, la Cour n'affirme pas sa compétence.

J'ai examinéles référencesau «doute» dans les Zones franches de la
Haute-Savoie et du Pays de Gex (C.P.J.I. série A no 22, p. 13) et le
Détroitde Corfou, fond (C.I.J. Recueil 1949, p. 24). La façon dont la
question a ététraitéedans ces affaires ne contredit pas la conclusion que
l'on peut tirer de la jurisprudence de la Cour, savoir que la Cour peut
se trouver devant un ((doute destructif de la compétence)).La question
n'est pas théorique. A mon avis, la tentative d'établirla compétenceen
l'espècen'atteint pas le niveau de preuve voulu; la Cour n'est donc pas
compétente.Au mieux, selon ce critère, il est douteux qu'elle lesoit; et,

dans ce cas, elle ne saurait non plus conclure sa compétence.

VI. CONCLUSION

Je considère que la Cour n'a pas compétence,pour les raisons sui-
vantes: i) la Cour n'est pas saisie de ((l'ensembledu différend))dans la
mesure, d'importance, où la revendication de souverainetéde Bahreïn sur
Zubarah n'a pas été dûment soumise àla Cour; et ii) il n'ya pas de droit
d'introduire une requete unilatérale.
Sij'ai tort sur la compétence,je me prononcerai contre la recevabilité
au motif que, mêmesi la revendication de Bahreïn sur Zubarah est sou-
mise à la Cour, elle ne l'a pas étéd'une manièrequi permette à la Cour
d'en connaître sur le plan judiciaire.
Ainsi, des deux points de vue, la Cour ne saurait statuer. Au vu des
circonstances particulièresde l'affaire, elle a donné auxParties l'occasion
de lui soumettre l'ensemble du différend en agissant((conjointement ou
individuellement ». Elles auraient pu saisir cette occasion pour rectifier la
situation; cela n'a pas étéle cas.

11a étédit à juste titre que la Cour a
«le devoir...de sauvegarder en tout cas l'objet essentielde son acti-
vité,qui doit être dedévelopperl'application entre Etats du principe
et des méthodesdes décisionsjudiciaires»(Compatibilitéde certains
décrets-loisdantzikois avec la constitution de la Ville libre, avis
consultat$ 1935, C.P.J.1.sérieA/B no65,p. 60,opinion individuelle
de M. Anzilotti, se référanà un mémorandum deM. Moore).

En poursuivant ce noble dessein, il convient toutefois de veillàrne pasimport the principle boni judicis est ampliare jurisdictionem ;it is not
considered to be applicable to the Court (Right of Passage overIndian
Territory, Preliminary Objections,Judgment, I.C.J. Reports 1957,p. 180,
Judge ad hocChagla, dissenting opinion; and FisheriesJurisdiction (Fed-
eral Republic of Germany v. Iceland), Merits, Judgment, 1.C.J. Reports
1974, p. 226, Judge de Castro, separate opinion). Rather, there is sub-
stance in Judge Armand-Ugon's view that "[tlo attempt to force the
meaning of texts relating to the jurisdiction of the Court would be to risk
consequences that might affect its authority and prestige" (Barcelona
Traction, Light and Power Company, Limited, Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 1964, p. 147, dissenting opinion). The risk
should not be exaggerated; but neither should it be underestimated. A
prudent regard for it regretfully disables me from concurring with the
Judgment of the Court.
This conclusion has been reached with great deference to the Judg-
ment. The respect due to the authority of the Court from which it pro-

ceeds obliges recognition that it points the way to a resolution of the
dispute between two neighbouring countries being at last achieved.

(Signed) Mohamed SHAHABUDDEEN.s'inspirer du principe boni judicis est ampliare jurisdictionem;celui-ci
n'est pas jugéapplicableà la Cour (Droit depassage sur territoire indien,
exceptionspréliminaires,arrêt,C.I.J. Recueil 1957, p. 180,opinion dissi-
dente de M. Chagla, juge ad hoc ; et Compétenceen matière de pêcheries
(Républiquefédéraled'Allemagne c. Islande),fond, arrêt,C.I.J. Recueil
1974, p. 226,opinion individuellede M. de Castro). Au contraire, M. Ar-

mand-Ugon a raison de dire que «[v]ouloir forcer les textes se rappor-
tant à la juridiction de la Cour c'est s'exposerà des conséquencesqui
peuvent affecter son autoritéet son prestige))Barcelona Traction, Light
and Power Company, Limited, exceptions préliminaires, arrêt,C.I.J.
Recueil 1964,p. 147,opinion dissidente). Ce risque ne doit pas êtreexa-
géré; maisil ne doit pas non plus êtresous-estimé. La prudence à cet
égard m'interdit,je le regrette, de m'associerl'arrêt de laCour.

Je suis parvenu à cette conclusion avec une grande déférence pour cet
arrêt.Le respect que l'on doit à l'autorité dela Cour, dont il procède,
oblige à reconnaître qu'il ouvre la voie menant enfinà la solution de ce

différendentre deux Etats voisins.

(Signé) Mohamed SHAHABUDDEEN.

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Document Long Title

Opinion dissidente de M. Shahbuddeen (traduction)

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