Opinion dissidente de M. Schwebel, vice-président (traduction)

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087-19950215-JUD-01-01-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. SCHWEBEL, VICE-PRÉSIDENT

[Traduction]

Je suis au regret de n'avoir pu me rallierà l'arrêtde la Cour.

En droit des traités, selonles termes de feu sir Hersch Lauterpacht,
juge éminent etautoritéen matièrede droit des traités, ((l'objetessentiel
de l'interprétation,àsavoir la mise aujour de l'intention des parties)), est
primordial:

((Expresseou tacite, l'intention desparties est la loi. Toutes consi-
dérations - relativesà l'effetutile ouà d'autres aspects- qui ten-
dent à transformer l'intention vérifiabledes parties en un facteur
d'importance secondaire sont contraires au but véritable de l'inter-
prétation.)) (H. Lauterpacht, ((Restrictive Interpretation and the
Principle of Effectivenessin the Interpretation ofreaties)), The Bri-
tish Year Book of ZnternationalLaw, 1949,vol. XXVI, p. 73.)

Comme l'a écrit lordMcNair, autorité nonmoins distinguéeen matière
de droit des traités et ancien président éminent de lCa our:
«On trouvera de nombreuses références ..à la nécessité essentielle

de donner effet aux «simples termes» d'un traité,ou d'interpréterles
mots suivant leur ((sensgénéral etordinaire»... Mais cette prétendue
règle d'interprétation semblable à d'autres n'est qu'un point de
départ, un guide à priori, et elle ne saurait faire obstaclàla quête
essentielle dans l'application des traités,à savoir la recherche de
l'intention que lesparties contractantes avaient réellementen s'expri-
mant comme elles l'ont fait.» (Lord McNair, The Law of Treaties,
1961,p. 366.)

En droit, on entend par ((intention des parties» l'intention commune
aux deux parties. Il ne s'agit pas de l'intention particulière de chacune,
que l'autre ne partage pas. Il serait antinomique de parler de «l'»inten-
tion «des parties» pour dénommer l'intention distincte de chacune
d'elles.
Selon la jurisprudence de la Cour, seulel'intention communedes deux
parties est attributive de compétence. Comme unechambre de la Cour l'a
dit dans l'affaire duDifférend frontalier terrestre,insulaire et maritime,
((c'estseulement de la rencontre des volontés ...que naît la compétence))

(C.Z.J. Recueil 1992, p. 585,par. 378).Cette intention peut êtreexprimée
conjointement, comme par la conclusion d'un compromis.Ellepeut s'ex-
primer unilatéralement, comme sur la base de déclarations concor-
dantes ou identiques d'acceptation de la juridiction obligatoire de la
Cour faites conformément à la clause facultative ou sur la base de clauses DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS. CHWEBEL) 28

conventionnelles. Mais si cette intention commune fait défaut, si une
seule des parties, et non les deux, entend conférer compétencà la Cour,
cette dernière n'estpas compétentepour trancher le fond du différend.
De mon point de vue, les principes élémentairesqueje viens derappeler
se conjuguent pour faire échecà la compétencede la Cour en l'espèce.
Avant d'expliquer cequi m'amène à une telle conclusion sur lesfaits de
l'instance, il peut êtreutile d'exposer certaines règlesde droit relatàves
l'interprétationdes traités.

La Cour reconnaît que la convention de Vienne sur le droit des traités
est une codification du droit international faisant autorité.Toutefois, les
dispositions de cette convention relativàsl'interprétation des traitont
été particulièrement contestées,jusqu'à un certain point sein dela Com-
mission du droit international qui les a rédigst beaucoup plus vivement
au seinde la conférencedesNations Unies sur ledroit des traités.Ellesont
néanmoins été adoptées à de larges majorités.A la date de rédactionde
la présente opinion, la convention compte soixante-dix-huit parties, au

nombre desquellesnefigurentni Bahreïn ni Qatar (nilesEtats-Unis d'Amé-
rique, principal auteur des critiquàsl'encontre de ces dispositions).
Dans son troisièmerapport sur le droit des traités,l'éminentrappor-
teur spécialde la Commission, sir Humphrey Waldock, a exposé une
méthodeque la Commission a admise dans ses travaux ultérieursrelatifs
à l'interprétation des traitéset que la conférencede Vienne elle-mêmea
finalement adoptée:

«Les auteurs diffèrent aussi enquelque mesure dans leur attitude
fondamentale à l'égardde l'interprétation des traitésselon l'impor-
tance relative qu'ils attachent
a) au texte du traité en tant qu'expression authentique des inten-
tions des parties;
b) aux intentions des parties en tant qu'élément subjectif distitud

texte; et
c) à l'objet etau but déclarésou apparents du traité.
Certains auteurs, comme sir H. Lauterpacht, font porter l'accent
principal sur les intentions des parties et, par conséquent,admettent
qu'on fasse amplement appel aux travaux préparatoires et àd'autres
preuves des intentions des Etats contractants en tant que moyens
d'interprétation. D'autresauteurs attachent beaucoup d'importance

à l'objet et aux buts du traitéet sont par conséquent plus disposés,
notamment dans le cas de traités multilatérauxgénéraux, àadmettre
des interprétations téléologiquedu texte allant au-delà ou s'écartant
même desintentions primitives des parties telles qu'ellessont expri-
méesdans le texte. Mais la plupart des auteurs modernes insistent DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS. CHWEBEL) 29

sur la primautédu texte en tant que base d'interprétationdes traités,
tout en accordant une certaine place aux preuves extrinsèques des
intentions des parties età l'objet et aux buts du traitéen tant que
moyens permettant de redresser ou, dans une mesure limitée, de
compléterle texte.» (Annuaire de la Commissiondu droit internatio-
nal, 1964,vol. II, p. 54-55, par. 4.)

En mêmetemps, sir Humphrey Waldock ajoutait que:

«l'application d'un grand nombre de ces principes est plutôt discré-
tionnaire qu'obligatoire, et l'interprétation des documents est dans
une certaine mesure un art, non une science exacte» (ibid., p. 55,
par. 6).
En aucun cas, les intentions des parties ne devraient êtredépréciées. Au

contraire,
«il faut présumer quele texte est l'expressionauthentique de l'inten-
tion des parties et que, par suite, le point de départ,comme aussi le
but de l'interprétation est d'élucider le sensdu texte, et non pas de

rechercher ab initio quelle étaitl'intention desparties. Sansexclurele
recours à d'autres indices de l'intention des parties, s'ily a lieu, l'ar-
ticle fait du texte lui-mêmle facteur primordial de l'interprétationdu
traité.» (Ibid., p. 57, par..)
Sir Humphrey Waldock a expliqué plusavant ses propositions, qui sont
aujourd'hui reprises, pour l'essentiel, dans le texte de la convention de

Vienne:
«[quand] le sens naturel et ordinaire des termes, dans leur contexte,
n'aboutit pas à un résultat plausibleou [quand], pour une raison ou
l'autre, le sens n'est pas clair ... il est admissible que le sens des
termes soit déterminé,d'après des preuves ou des indications rela-

tives aux intentions desparties, en dehors du sens ordinaire des mots
employés))(ibid., p. 58, par. 16).
En conséquence,le texte proposait de reconnaître:

«que l'on peut avoir recours à des preuves ou indices extérieursde
l'intention des parties aux fins: a) de confirmer le sens naturel et
ordinaire d'un terme; b) de déterminerle sens d'un terme ambigu
ou obscur ou d'un terme dont le sens naturel et ordinaire conduit
à une interprétation absurde ou déraisonnable; c) d'établirle sens
spécial que les parties ont attribué à un terme)) (ibid., p. 59,
par. 20).

Sir Humphrey Waldock a fait observer:

«De plus, c'est la pratique constante des Etats et des tribunaux
d'examiner les travaux préparatoires pertinents pour y chercher tout
ce qui peut éclairerle sens du traité... DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS . CHWEBEL) 30

Le recours aux travaux préparatoires en tant que moyens subsi-
diaires d'interprétation dutexte est fréquent..tant dans la pratique
des Etats que dans les affaires dont sont saisisles tribunaux interna-
tionaux.» (Annuaire de la Commissiondu droit international, 1954,
vol. II, p. 59, par. 20 et.)

Il ajoutait:

«II est généralement reconnuaujourd'hui qu'une certaine pru-
dence est de mise dans l'utilisation des travaux préparatoires comme
moyens d'interprétation. Sauf dans le cas mentionné,ils ne consti-
tuent pas des moyens authentiques d'interprétation. Ce ne sont que
de simples preuves à mettre en regard des autres preuves pertinentes
de l'intention des parties, et leur force dépend de la mesure dans
laquelle ils témoignentde l'accord commun des parties sur le sens
attachéaux termes du traité.))(Ibid., p. 59-60,par. 21.)

On sait bien comment ce qui allait devenir les articles 31 et 32 de la
convention de Vienne a évolué par la suite au sein dela Commission, à la
lumièredes commentaires et propositions des gouvernements et, à son
point culminant, au sein de la conférenceelle-mêmec ;ette évolutioncor-

respond pour l'essentiel à ce qui vient d'êtreretracé. Mais il pourrait
être instructif, auxprésentesfins, de citer certains élémentssupplémen-
taires des travaux préparatoires de la convention de Vienne, tels qu'ils
ressortent en premier lieu desdébatsde l'organe qui a élaboré le projet de
convention:

((11est vrai qu'il existe plusieurs décisions dela Cour internatio-
nale de Justice et des tribunaux arbitraux qui vont toutes apparem-
ment dans le mêmesens, selon lesquelles les travaux préparatoires
n'ont servi qu'à confirmer ce qui avait étjugécomme étantle sens
clair du texte d'un traité. Cependant,ces précédents seraient beau-
coup plus convaincants si, dèsle début,la Cour ou le tribunal avait
refuséd'admettre tout recours aux travaux préparatoires tant qu'ils
n'auraient pas établisi le texte étaitclair ou ne l'étaitpas; or, ce qui
est arrivé,en fait, c'est que, dans tous ces cas, les travaux prépara-
toires ontétéamplement produits devant la Cour ou le tribunal arbi-
tral par l'une ou par l'autre partie, voire par les deux parties. Dans
ces conditions, c'est côtoyer de bien près la fictionjuridique que de
dire que les travaux préparatoires n'ont été utiliséqsue pour confir-

mer une opinion à laquelle on serait déjà arrivéen prenant pour base
le texte du traité.Il est impossible de savoir par quels procédésles
juges parviennent àleur décisionet ilest particulièrementdifficilede
souscrireà la proposition selon laquelle les travaux préparatoires
n'auraient pas effectivement contribué à former leur opinion sur le
sens d'un traitéqu'ils ont néanmoinsdit êtreclair d'aprèsle texte,
alors que les plaidoiries ont montré en réalité qu'ilne l'étaitpas.
Quoi qu'il en soit, on peut supposer que lespraticiens du droitnter- DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SCHWEBEL) 31

national sont tous libres d'utiliseà leur guise les travaux prépara-
toires.)) (Annuaire de la Commission du droit international, 1964,
vol.1, M. Rosenne, p. 296-297, par. 17.)
«la notion de clartéou d'ambiguïtéd'une disposition est toute rela-
tive; parfois il faut se reporter aux travaux préparatoires ou exami-
ner les circonstances de la conclusion du traité afin de savoir si le
texte est vraiment clair et si sa clarté apparente n'est pas en fait
trompeuse)) (ibid.,M. Yasseen, p. 327, par. 56).

«A son avis, c'estne pas tenir compte de la réalitéque d'imaginer
que les Etats, les organisations et les tribunaux ne consultent pas
vraiment les travaux préparatoires chaque fois qu'ilslejugent néces-
saire, avant le débutou durant une phase donnée de la procédure,
encore qu'ils puissent prétendreensuite n'y avoir pas attachébeau-
coup d'importance. ...la mention de la confirmation et, afortiori, de
la vérification, tenà affaiblir le texte d'un traité ence sens qu'elle
donne l'autorisation expresse de l'interpréterà la lumière d'autres

élémentsc ;'estnéanmoinsce qui seproduit dans la pratique. »(Zbid.,
sir Humphrey Waldock, p. 328, par. 65.)
Le texte de la convention adopté a Vienne au sujet des «moyens com-
plémentairesd'interprétation))(art. 32) dispose que:

«Il peut être fait appelàdes moyens complémentairesd'interpré-
tation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances
dans lesquelles le traitéa été conclu, en vue soitde confirmer le sens
résultant de l'application de l'article 31, soit de déterminerle sens
lorsque l'interprétation donnée conformément à l'article :1

a) laisse le sens ambigu ou obscur...))
Mais ce qui n'a pas été régléc,'est ce qui advient quand les travaux pré-
paratoires ne confirment pas, mais contredisent le sens dégagépar l'appli-
cation de la règlegénéraled'interprétation. Quelques passages, dans les
exposésdu rapporteur spécial, semblent pencherdans un sens ou dans un

autre. Dans la citation qui précède, celui-ciindique que le processus de
confirmation ou de vérificationpourrait effectivementcontribuer à «affai-
blir» le texte d'un traité.
Il est étonnant que cette question capitale ait si peu retenu l'attention.
Sans doute est-ce le représentant du Portugal à la conférencede Vienne
qui a apporté la réponsela plus pertinente:
«Que se passerait-il dans l'hypothèse où, en présence d'untraité

dont le texte est apparemment clair, l'examen destravaux prépara-
toires et des autres circonstances environnantes, qui devait confirmer
le sens de ce texte, viendraàrévéleu rne significationdifférente?On
ne peut jamais êtresûr d'avanceque cescirconstances confirmeront le
sens littéraldu traité.Si l'on met l'accent sur la bonne foi, il semble
que 1'01-1evrait alors tenir compte de telles circonstances, même si elles n'apportent pas la confirmation du sens...)) (Conférence des
Nations Unies sur le droit des traités, première session,1968,Docu-
ments officie p.s198.)
11est révélateurpour l'affaire dont la Cour est saisie qu'aucun des

conseils de l'une ou l'autre Partie ne semble avoir envisagé qu'ilpuisse
êtrediscutable ou hors de propos de centrer leur argumentation sur le
contenu des travaux préparatoires. Aucune des deux Parties n'a laissé
entendre que le texte du traité était tellement clair que la Cour serait
fondée àrefuser d'apprécierdans sa décisionle poids des travaux prépa-
ratoires. Embourbées commeellesl'étaientdans lesprofondes ambiguïtés
du texte, les Parties ont pu commettre cette omission significative. De
même,aucune des Parties n'a fait valoir que les travaux préparatoires
étaient fragmentaires, peu concluants ou justifiaient par ailleurs qu'on en
fasse abstraction ou l'économie.

LES FAITS ET LE DROIT EN L'ESPÈCE

La Cour fonde sa compétencesur les engagements pris par Qatar et
Bahreïnen 1987et en 1990.Ellea conclu que leséchangesde lettres de 1987
et le procès-verbal deDoha de 1990constituaient des accords internatio-
naux créantdes droits et des obligations pour les Parties. Elle ne dit pas
- et Qatar ne le soutenait pas davantage en l'occurrenc- que les enga-
gements pris en 1987suffisent à fonder sa compétence.Il n'est donc pas
contestéque le consentement de Qatar et de Bahreïn à êtreliéspar la
disposition aux termes de laquelle

((toutes les questions en litige seront soumisàsla Cour internatio-
nale de Justice, La Haye, pour qu'ellerende une décisiondéfinitive
et obligatoire pour les deux partie..»
n'est pas en lui-mêmedéterminant.Comme les Parties en conviennent, et

comme la Cour leur en donne acte, le contenu de ces questions en litige
n'a pas étédéfini en 1987.En outre, les échanges de lettres de 1987pré-
voyaient la constitution d'une commission tripartite
«en vue d'entrer en rapport avecla Cour internationale de Justice et
d'accomplir les formalités requisespour que le différend soit soumis

à la Cour..»
De l'avis de Bahreïn, cette dernière disposition signifiait que la com-
mission tripartite élaborerait un compromis, interprétation corroborée,
d'après lui,par les travaux ultérieurs de la commissiontripartite qui, de
fait, ont portéexclusivement sur la rédaction d'un compromis. Pourquoi
créer un organe comme la commission tripartite si ce n'étaitpour pré-

parer, et seulement pour préparer,un compromis? Sil'intention avait été
d'autoriser le dépôt d'unerequête unilatérale, une commissionn'aurait
été ni nécessairnei créée.
Quant à lui, Qatar a soutenu en l'espèceque, par les engagementscumulés auxquelsellesont souscrits en 1987et en 1990,lesParties avaient

inconditionnellement conféré compétence à la Cour pour que celle-ciexa-
mine toutes les questions en litigeentre elles.Qatar a fait valoir que, dans
l'intention desParties, la conclusion d'un compromisn'étaitque l'unedes
manières d'entrer en rapport avec la Cour et de satisfaire aux exigences
applicables pour saisir celle-cidu différend;par le présentarrêt,la Cour
se rallieàcette thèse.
Néanmoins, le projet de lettre au Greffier que Qatar avait soumis en
1987 à l'approbation de Bahreïn en vue de porter le différenddevant la
Cour indiquait qu'il faudrait ((rédigerle compromis nécessaire à cet
égard...))(mémoirede Qatar, annexe 11.18,p. 2; les italiques sont de
moi). Cette lettre de Qatar n'étaie guèrla conclusion à laquelle la Cour
est arrivéedans le présentarrêt, quandelle dit que:

«tout porte à croire que si la commission a exploré cettevoie [du
compromis],c'estsimplementparce que celle-ci luia paru, à l'époque,
la plus naturelle et la plus propreà donner effet au consentement

des Parties)) (par.8).
Au contraire, les élémentsde preuve de l'époque,que Qatar lui-mêmea
apportés, indiquent que les Parties- Qatar tout autant que Bahreïn -
considéraient la conclusiond'un compromis comme «nécessaire».Ainsi,
la conclusion de la Cour sur ce point est sans doute au nombre de celles

qui ne sont pas si «claires».
Quoi qu'il en soit, il demeure admis que les Parties considèrent que
les échangesde lettres de 1987ne suffisent pasà fonder la compétence de
la Cour. Si ces échanges avaient autorisé le dépôt immédiat d'une
requête unilatérale,l'une ou l'autre des Parties aurait sans doute
exercécette faculté. Or, quatre ans se sont écoulésavant que Qatar ne
dépose sa requête.De plus, lors des audiences, le conseil de Qatar a
reconnu que:

«Qatar n'a[vait] pas prétendu que les termes de l'accord de 1987
constituaient en eux-mêmesune baseimmédiate qui permette l'exer-
cice de la compétencede la Cour.)) (CR 9411,p. 49.)

Par conséquent,toute conclusion sur la compétencene peut se fonder
que sur les effets conjugués des engagements de 1987 et de 1990. Il
convient donc de rechercher le sens du procès-verbal de Doha de 1990.
Son passage pertinent est ainsi libellé:

«Les bons offices du Serviteur des deux Lieux saints. le roi
Fahd Ben Abdul Aziz, se poursuivront entre les deux pays jusqu'au
mois de ...mai 1991. A l'expiration de ce délai,les deux parties
pourront soumettre la question à la Cour internationale de Justice
conformément àla formule bahreïnite, qui a étéacceptéepar Qatar,
et aux procédures qui en découlent. Les bons offices de l'Arabie
saoudite se poursuivront pendant que la question sera soumise à
l'arbitrage» DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SCHWEBEL)
34

Le principal sujet de désaccord entre les Parties au cours de la phase
actuelle de la procédure, ainsi que la question litigieuse sur laquelle se
son centrés leurs échanges depiècesécriteset d'expertises et leurs plai-
doiries, porte sur le sens du membre de phrase «les deux parties)),rendu
dans l'original arabe par l'expression «al-tarafan C)o).me la Cour le
rappelle dans son arrêt,cette disposition est tiréed'un projet présentéà
Doha par le Gouvernement omanais, qui, dans la version proposée par
Oman, se lisait comme suit: «A l'expiration de ce délai, l'uneou l'autre
des parties peut soumettre l'affaireà la Cour internationale de Justice.»
Bahreïn a demandéque cette disposition fût amendée,pour remplacer

((l'une ou l'autre des parties)) par «al-tarafan c'es-à-dire «les deux
parties)). Bahreïn a donc insistépour que l'autorisation de saisir la Cour
donnée à ((l'uneou l'autre des parties)) fût supprimée,et Qatar a accepté
cet amendement.
Trois points de vue s'affrontent sur la portéede la modification ainsi
apportéeau texte omanais.
Bahreïn soutient que son insistance à faire remplacer «l'une ou l'autre
des parties)) par«les deux parties)), remplacement qu'il a posé comme
condition de sa signature du procès-verbalde Doha, démontrequ'il avait
pour intention d'exclure une saisine unilatérale de laCour. A mon sens,
cette interprétation est non seulement plausible, mais convaincante.
Qatar fait valoir que ce changement visait à indiquer ((clairement que

Qatar et Bahreïn avaient chacun le droit de déposer une requête unilaté-
rale auprèsde la Cour». Lors du deuxièmetour de plaidoiries, l'agent de
Qatar a soutenu ce qui constitue la dernière position de Qatar sur cette
question cruciale:
((Maintenant, qu'en est-il du projet omanais?Là encore, il n'existe

aucune preuve de l'exclusiond'une requête unilatérale. Sur le projet
omanais, Bahreïn a simplement remplacé((l'uneou l'autre des par-
ties» par «les parties)), indiquant ainsi clairement que Qatar et
Bahreïn avaient chacun le droit de déposer une requête unilatérale
auprès de la Cour. Bahreïn a égalementajouté une référenceaux
procéduresde la Cour. Je pense que ces modifications objectives du
texte ne constituent nullement des répudiations de l'accord réalisé
durant les discussions à Doha pour que la Cour puisse désormais
êtresaisiepar la voie d'une requête unilatérale, maiplutôt des affir-
mations subjectives des intentions qui auraient étécelles des négo-
ciateurs de Bahreïn.)) (CR 9417,p. 16.)

Il suffit de lire cet argument pour le rejeter.
Sil'objectif desParties- sileur intention commune - était d'indiquer
clairement que ((Qatar et Bahreïn avaient chacun le droit de déposer une
requête unilatéraleauprès de la Cour», la disposition aux termes de
laquelle((l'uneou l'autre des parties peut soumettre l'affair..» n'aurait
pas étémodifiée.Sous cette forme, elle atteignait cet objectif clairement,

simplement et précisément.Tel quel, non modifiéce libellépermettait à
l'une ou à l'autre Partie de déposer une requête unilatéralaeuprès de la

32 DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP. DISS.SCHWEBEL) 35

Cour. On ne s'explique pas comment le remplacement de ce libellépar
((lesdeux parties»pourrait signifierque chacune des Parties - en raison
de ce changement - était autorisée à déposer une requêteunilatérale
auprès de la Cour. Et il est tout aussi incompréhensible de soutenir,
comme l'agent de Qatar l'a fait, que ces ((modifications objectives du
texte)) du projet omanais - du texte- étaientdes ((affirmationssub-
jectives desintentions qui auraient étécellesdesnégociateursde Bahreïn)).

Comment des modifications consignéesdans un texte agréépar les deux
Parties auraient-elles pu n'être riende plus que des «affirmations subjec-
tives des intentions qui auraient étécellesdes négociateursde Bahreïn))?
En outre, mêmesi, comme semble le soutenir Qatar, on considèreque
la modification apportée au texte exprimait l'intention des négociateurs
de Bahreïn, et non pas celle des négociateursde Qatar, cet argument de
Qatar ne revient-il pas à admettre que l'intention commune des deux
Parties d'autoriser le dépôt d'une requête unilatérale faisaitdéfaut?
Pour sa part, la Cour dit que:

(([elle]ne considèrepas nécessairede faire appel à des moyens com-
plémentairesd'interprétationpour déterminerle sens du procès-ver-
bal de Doha ...toutefois, comme dans d'autres affaires ...elleestime
pouvoir recourir à ces moyens complémentairespour y rechercher
une confirmation éventuellede l'interprétation qu'elle a tirée du

texte)) (arrêt,par. 40).
Elle résume ensuiteles arguments des Parties sur les travaux prépara-
toires et conclut:

((La Cour constate que le projet omanais initial autorisait explici-
tement une saisine par l'une ou l'autre des Parties et que cette for-
mulation n'a pas été retenue.Mais le texte finalement agréé ne dis-
pose pas que la saisine de la Cour ne peut êtreopéréeque par les
deux Parties agissant de concert, soit conjointement, soit séparé-
ment. La Cour ne voit pas pourquoi l'abandon d'une rédaction cor-

respondant à I'interprétation queQatar donne du procès-verbal de
Doha impliquerait que celui-ci dût êtreinterprétéselon la thèsede
Bahreïn. En conséquenceelle n'estime pas pouvoir tirer des travaux
préparatoires tels qu'ils lui ont étéprésentés - c'est-à-dire réduits
aux divers projets susmentionnés - d'éléments complémentaires
déterminants pour l'interprétation du texte agréé;quelles qu'aient
pu êtreles motivations de chacune des Parties, la Cour ne peut que
s'en tenir aux termes mêmesdu procès-verbal traduisant leur com-
mune intention et à l'interprétation qu'elle en a déjà donnée.))
(Par. 41.)

A mon sens, l'explication ainsi avancéepar la Cour, pour étayerson
point de vue selon lequel les travaux préparatoires ne lui fournissent pas
d'éléments complémentaired séterminantspour l'interprétationdu texte,
n'est pas convaincante. Parce que «le texte finalement agrééne dispose

pas que la saisine de la Cour ne peut êtreopéréeque par les deux Parties DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS . CHWEBEL) 36

agissant de concert)), la Cour «ne voit pas pourquoi l'abandon d'une
rédaction correspondant à l'interprétation que Qatar donne du procès-
verbal de Doha impliquerait que celui-cidût être interprétéselon la thèse
de Bahreïn)). Mais la suppression des mots ((l'uneou l'autre des parties
peut soumettre l'affaire à la Cour internationale de Justice)) et leur
remplacement par «les deux parties pourront soumettre l'affaire...))

indiquaient de manière manifesteque Bahreïn n'entendaitpas que l'uneou
l'autre des parties puisse soumettre l'affaire; il me semble que si la Cour
ne voit pas quelque chose d'aussi clair,c'estfaute d'être disposéelevoir.
Plus haut dans son arrêt, laCour a conclu qu'une interprétation diffé-
rente de celle qu'elle retient ((priverait le membre de phrase de son effet
utile et risquerait en outre d'aboutir à des résultats déraisonnables))
(par. 35). Mais l'analyseque fait la Cour de la suppression du membre de
phrase ((l'uneou l'autre des parties)) privejustement cette suppressio-
et, partant, le texte adoptépar les Partie- de son sens utile et conduit,

à mon sens, à un ((résultatdéraisonnable)).Si, en insistant pour que la
disposition permettant à «l'une ou l'autre des parties)) de soumettre
l'affaireà la Cour fût supprimée, et en obtenant cette suppression,
Bahreïn n'avait pas pour intention d'exiger la saisine conjointe de la
Cour, alors quelle étaitson intention?
La Cour conclut que

((quelles qu'aient pu êtreles motivations de chacune des Parties, la
Cour ne peut que s'entenir aux termes mêmesdu procès-verbaltra-
duisant leur communeintentionet à l'interprétationqu'elle ena déjà
donnée))(par. 41).

Que la Cour ait choisi le mot «motivations» est révélateur desa dépré-
ciation de l'intention des Parties. Mais, mon avis, la faille essentiellede
son raisonnement réside en ce qu'elle prétend s'en tenir aux termes
mêmesdu procès-verbal((traduisant leur communeintention)),alors que
je pense que 1'01peut démontrer - ce qui a étéfait- que leur intention
commune ne pouvait être d'autoriser unesaisine unilatérale dela Cour.
Ainsi, à mon sens, l'analyseque la Cour fait du procès-verbalde Doha
est en désaccord avec les règles d'interprétation de la convention de

Vienne. Elle ne satisfait pas l'exigenced'une interprétation de bonne foi
des termes du traité «à la lumièrede son objet et de son but», puisque
l'objet etle but des deux Parties au traitén'étaientpas d'autoriser la sai-
sine unilatérale dela Cour. Elle ne met pas en Œuvrela disposition de la
convention sur le recours aux travaux préparatoires parce que, loin de
confirmer le sens que son interprétation a dégagé,les travaux prépara-
toires le contredisent. En outre, la carence de la Coàrdéterminerle sens
du traitéà la lumière destravaux préparatoires conduit, si ce n'està une
interprétation déraisonnabledu traitélui-même,du moins à une interpré-
tation ((manifestement ..déraisonnable))des travaux préparatoires.

Vu que, sur la base des moyens de preuve produits par les deux Parties
dont le caractère exact et complet n'est contesté par aucune d'elles,
Bahreïn a démontréqu'en signant leprocès-verbalde Doha son intention DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SCHWEBEL) 37

étaitd'exclure le dépôt d'unerequête unilatéraleauprès de la Cour; vu
que Qatar n'a réfuté cettdeémonstration que d'unemanière peuconvain-
cante; et vu que l'analyse de la Cour sur ce point crucial n'emporte guère .
plus la conviction, il s'ensuit que les échangesde lettres de 1987 et le
procès-verbalde 1990ne suffisentpas à fonder la compétencede la Cour.
La nécessaireintention commune et vérifiabledes Parties d'autoriser une
saisine unilatéralede la Cour fait défaut. Cette absence est- ou aurait
dû être - déterminante.
La Cour peut s'estimer fondée à faire abstraction des travaux prépa-
ratoires parce que le sens qu'elle dégage des termes mêmed su procès-

verbal de Doha est «clair». Mais si tel est l'objectif visépar l'arrêtde la
Cour, cette position està peine soutenable. Quelque traduction qu'on en
donne, l'expression ((al-tarafa da)), le procès-verbal de Doha, est
fondamentalement équivoque: elle peut signifier «conjointement» ou
«séparément»,comme la Cour elle-mêmele reconnaît. Le terme est
intrinsèquement ambigu. Mais l'analyse que la Cour fait d'autres dispo-
sitions du procès-verbal de Doha est-elle de nature à clarifier ce qui est
obscur?
Je ne le pense pas. L'analyse de la Cour cumule plusieurs arguments.
Le premier se fonde sur la disposition du procès-verbal de Doha aux
termes de laquelle «A l'expiration de ce délai,les deux parties pourront

soumettre la question à la Cour internationale de Justice)). La Cour sou-
tient que, dans son sens ordinaire, lemot «pourront» viseune possibilité,
voire un droit. En conséquence, en premierlieu et dans son sens le plus
naturel, la disposition confèreaux Parties la facultéou le droit de saisir la
Cour:

«prise comme telle, dans son sens le plus ordinaire, cette expression
n'impose pas une saisine par les deux Parties agissant de concert,
mais permet bien au contraire une saisine unilatérale.» (Par. 35.)
Certes. Mais cette expression n'impose pas davantage une saisine unila-
téraleni n'interdit une saisine conjointe. En ce cas, quels éclaircissements

le mot ((pourront)) apporte-t-il?
La Cour affirme ensuite qu'il découlede l'expression «A l'expiration
de ce délai» que lasaisineunilatéraleest régulière. Selonelle, toute autre
interprétation priverait ce membre de phrase de son effet utile. Mais tel
n'estpas lecas sil'on considèreque cette disposition signifiaitsimplement
qu'il ne serait pas possible de saisir la Cour au cours de la nouvelle
périodede cinq mois impartie aux bons offices du Gouvernement saou-
dien, et qu'une telle saisine deviendrait possible'expiration de ce délai.
La Cour poursuit en affirmant que leprocès-verbalde Doha avait pour
but de ((faire progresser le règlement du différenden donnant effet à
l'engagement formel des Parties d'en saisirla Cour» et que ce but sup-

posait la possibilité d'une requête unilatérale,isque la saisineconjointe
s'était avérée irréalisable. Malias Cour ne postule-t-elle pas ainsi ce
qui constitue l'objet du différend,à savoir que le but des deux Parties,
en signant le procès-verbalde Doha, était de faireprogresser le règlementdu différend enautorisant la saisineunilatérale?Il est tout aussi plausible
de considérerqu'il ressort des événementsqui ont eu lieu à Doha que
Bahreïn a maintenu imperturbablement sa position selon laquelle le
différend nepouvait êtrerégléque s'il était soumis conjointement à la
Cour dans son intégralitépar la voie d'un compromis. Tellepourrait bien
avoir étéla position de Bahreïn, mêmesi elle ne représentait pas un
((progrès».
Tout cela ne revient pasà dire que la Cour donne de cette disposition

une interprétation qui n'est pas plausible en considérantqu'à l'expiration
de la nouvelle périodedévolueaux bons offices de l'Arabie saoudite les
deux Parties pourraient lui soumettre le différend.Cela revient dire que
ce n'est pas la seule interprétation possible, ni même nécessairement la
plus plausible. On peut aussi bien faire valoir que ces dispositions du pro-
cès-verbalde Doha signifiaientplutôt: a) que les bons officesde l'Arabie
saoudite consacrés à l'examen au fond du différend entre Bahreïn et
Qatar devaient se poursuivre jusqu'en mai 1991;b) qu'au cours de cette
périodele différendne pourrait êtreportédevant la Cour; c) qu'à l'expi-
ration de cette périodeles deux Parties pourraient soumettre l'affaiàela
Cour; d) qu'au cours de l'examen de l'affaire par la Cour l'Arabie saou-

dite pourrait poursuivre ses bons offices en vue du règlement quant au
fond; et e) qu'au cas où un tel règlement interviendrait les Parties se
désisteraientde leur action devant la Cour.
Quel est l'effet de ces dispositions, selon l'interprétation que je viens
d'en donner, qui n'aurait pu êtreobtenu sans elles?
Elles indiquent non seulement que l'Arabie saoudite poursuivrait ses
efforts en vue d'un règlementquant au fond, mais aussi qu'au cours de
cette période decinq mois le différend nepourrait pas êtresoumis à la
Cour; à l'expiration de cette période,une telle soumission serait possible.
Le texte présente des ambiguïtés saisissanteqsuant au point de savoir si
l'affairepourrait alors être portée devanlta Cour conjointement ou sépa-

rément. Mais ces dispositions ne démontrent pas que le document de
Doha signifie qu'à l'expiration de la périodede cinq mois chacune des
deux Parties pourrait unilatéralement soumettre l'affaire et en saisirla
Cour valablement. Par respect pour le nouvel effort déployépar l'Arabie
saoudite en vue de régler leurs différendsl,es Parties sont convenues de
s'interdire de recourir la Cour pour une périodede cinq mois; à l'expi-
ration de cette période,«les deux parties pourront soumettre)- non pas
((soumettront » mais ((pourront soumettre)) l'affairà la Cour. Le verbe
«pourront» dénoteune incertitude et une facultéplutôt qu'une certitude
et une obligation. Pourquoi? On peut soutenir qu'à en juger par l'histo-
rique de leurs négociationsil étaitclair que les Parties pourraient parvenir

ou non à un accord sur les termes d'un compromis. Ainsi, contrairement
à ce qu'a fait la Cour, on peut interpréter le verbe ((pourront)) comme
étant nonpas favorable, mais contraire aux prétentions qataries.
Toutefois, ce qui reste si confus d'aprèsle texte et le contexte du pro-
cès-verbalde Doha devient évidentquand on analyse ce procès-verbal à
l'aide des travaux préparatoires. Aucun des arguments habituellementavancéscontre l'utilisation des travaux n'est valableen l'occurrence. En
l'espèce, lestravaux préparatoires ne sont pas fragmentaires, ils sont
complets. Aucune des deux Parties n'a laisséentendre qu'ils compre-
naient la moindre piècesupplémentaire;ledossier tout entier a été mis à la

disposition de la Cour. Les travaux préparatoires ne sont pas constitués
de déclarations partialeset intéressées faitpar l'une ou l'autre Partie au
cours d'une négociation multilatéralecomplexe. Au contraire, des négo-
ciations aboutissant à la signature de ce que la Cour a considéré comme
un accord international - bilatéral quant au fond et trilatéral dans
la forme, mais certainement pas le genre d'accord multilatéralcomplexe
issu d'une conférence à l'échellemondiale - ont débouchésur un docu-
ment préparatoire concis mais complet qui contient tout ce que les deux
Parties directement concernéesavaient à dire sur la questionà ce stade de
leur relation. Aucun élément destravaux préparatoires n'est ou n'était

confidentiel ou connu d'une seulePartie. Enfin, lestravaux préparatoires
ne sont pas ambigus; au contraire, une appréciation raisonnable de
ceux-ci milite uniquement en faveur de la position de Bahreïn.
La Cour n'explique pas davantage pourquoi les travaux préparatoires
ne lui fournissent aucun moyen de preuve complémentaire déterminant
aux finsde l'interprétationdu texte adopté.Mais ellelaisse aussi entendre
- en parlant de ((recourirà ces moyens complémentairespour y recher-
cher une confirmation éventuellede l'interprétation qu'elle a tiréedu
texte» - qu'ellefait abstraction des travaux préparatoires parcequ'ils ne

confirment pas le sens que son analyse a dégagéA . mon avis, si telle est
bien la position de la Cour, elle serait difficilementcompatible avec une
interprétation de ((bonne foi)), conformément à la règle qui, selon la
convention de Vienne, s'impose enmatière d'interprétationdes traités.
Les travaux préparatoires ne témoignent pas moins de l'intention des
parties lorsqu'ils contredisent que lorsqu'ils confirment le sens prétendu-
ment clair du texte ou du contexte des dispositions conventionnelles.
Ces considérations sont particulièrement importantes quand le traité
débattuest interprété de manière à attribuer compétence à la Cour. Siles
travaux préparatoires d'un traité démontrent queles parties n'ont pas eu

pour intention commune de conférer compétence à la Cour, celle-ci ne
peut pas se prévaloir dece traitépour établirsa compétence.

(Signé) Stephen M. SCHWEBEL.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF VICE-PRESIDENT SCHWEBEL

1regret that 1have been unable to join in supporting the Judgment of
the Court.
In the law of treaties, "the primary object of interpretation, namely,
the revealing of the intention of the parties", is, in the words of that late,
great Judge and authority on the law of treaties, Sir Hersch Lauterpacht,
paramount :

"The intention of the parties - express or implied - is the law.
Any considerations - of effectivenessor otherwise - which tend to
transform the ascertainable intention of the parties into a factor of
secondary importance are inimical to the true purpose of interpreta-
tion." (H. Lauterpacht, "Restrictive Interpretation and the Principle
of Effectivenessin the Interpretation of Treaties", British Year Book
of International Law, 1949,Vol. XXVI, p. 73.)

As Lord McNair, no less an authority on the law of treaties and an
eminent former President of this Court, put it:

"Many references are to be found . . .to the primary necessity of
giving effect to the 'plain terms' of a treaty, or construing words
according to their 'general and ordinary meaning' . . .But this
so-called rule of interpretation like others is merely a starting-point,
a prima facie guide, and cannot be allowed to obstruct the essential
quest in the application of treaties, namely to search for the real
intention of the contracting parties in using the language employed
by them." (Lord McNair, The Law of Treaties, 1961,p. 366.)

"The intention of the parties", in law, refers to the common intention
of both parties. It does not refer to the singular intention of each party
which is unshared by the other. To speak of "the" intention of "the
parties" as meaning the diverse intentions of each party would be
oxymoronic.
In thejurisprudence of this Court, jurisdiction can be conferred upon it
only by the common intention of both parties to the case. As held by a

Chamber of this Court in the case concerning the Land, Island andMari-
time Frontier Dispute "it is only from the meeting of minds ... that juris-
diction is created" (I.C.J. Reports 1992,p. 585,para. 378).That intention
may be jointly expressed, as by the conclusion of a special agreement.
It may be unilaterally expressed, as by the invocation of overlapping or
identical acceptances of the Court's compulsory jurisdiction under the
optional clause or through treaty proviso. But if that common intention OPINION DISSIDENTE DE M. SCHWEBEL, VICE-PRÉSIDENT

[Traduction]

Je suis au regret de n'avoir pu me rallierà l'arrêtde la Cour.

En droit des traités, selonles termes de feu sir Hersch Lauterpacht,
juge éminent etautoritéen matièrede droit des traités, ((l'objetessentiel
de l'interprétation,àsavoir la mise aujour de l'intention des parties)), est
primordial:

((Expresseou tacite, l'intention desparties est la loi. Toutes consi-
dérations - relativesà l'effetutile ouà d'autres aspects- qui ten-
dent à transformer l'intention vérifiabledes parties en un facteur
d'importance secondaire sont contraires au but véritable de l'inter-
prétation.)) (H. Lauterpacht, ((Restrictive Interpretation and the
Principle of Effectivenessin the Interpretation ofreaties)), The Bri-
tish Year Book of ZnternationalLaw, 1949,vol. XXVI, p. 73.)

Comme l'a écrit lordMcNair, autorité nonmoins distinguéeen matière
de droit des traités et ancien président éminent de lCa our:
«On trouvera de nombreuses références ..à la nécessité essentielle

de donner effet aux «simples termes» d'un traité,ou d'interpréterles
mots suivant leur ((sensgénéral etordinaire»... Mais cette prétendue
règle d'interprétation semblable à d'autres n'est qu'un point de
départ, un guide à priori, et elle ne saurait faire obstaclàla quête
essentielle dans l'application des traités,à savoir la recherche de
l'intention que lesparties contractantes avaient réellementen s'expri-
mant comme elles l'ont fait.» (Lord McNair, The Law of Treaties,
1961,p. 366.)

En droit, on entend par ((intention des parties» l'intention commune
aux deux parties. Il ne s'agit pas de l'intention particulière de chacune,
que l'autre ne partage pas. Il serait antinomique de parler de «l'»inten-
tion «des parties» pour dénommer l'intention distincte de chacune
d'elles.
Selon la jurisprudence de la Cour, seulel'intention communedes deux
parties est attributive de compétence. Comme unechambre de la Cour l'a
dit dans l'affaire duDifférend frontalier terrestre,insulaire et maritime,
((c'estseulement de la rencontre des volontés ...que naît la compétence))

(C.Z.J. Recueil 1992, p. 585,par. 378).Cette intention peut êtreexprimée
conjointement, comme par la conclusion d'un compromis.Ellepeut s'ex-
primer unilatéralement, comme sur la base de déclarations concor-
dantes ou identiques d'acceptation de la juridiction obligatoire de la
Cour faites conformément à la clause facultative ou sur la base de clausesis lacking, if the intention to submit to the Court's jurisdiction is that of
one but not both parties, the Court is without jurisdiction to decide the
merits of the dispute.
In my view, these axiomatic considerations combine to defeat the
Court's jurisdiction in this case.
Before explaining why 1so conclude on the facts of this case, an expo-
sition of elements of the law respecting the interpretation of treaties may
be in order.

The Vienna Convention on the Law of Treaties is accepted by this
Court as an authoritative codification of international law. Its provisions
on interpretation of treaties however wereparticularly contested, to some
extent in the International Law Commission which composed them, and
much more acutely in the United Nations Conference on the Law of
Treaties itself. Nevertheless they were adopted by large majorities. The
Convention, as of this writing, has 78 parties, not includingBahrain and
Qatar (and not including the United States of America, the principal
critic of those provisions).

In his Third Report on the Law of Treaties, the distinguished Special
Rapporteur of the Commission, Sir Humphrey Waldock, set out an
approach which was sustained in the further work of the Commission on
treaty interpretation and ultimately by the Vienna Conference itself:

"Writers also differ to some extent in their basic approach to the
interpretation of treaties according to the relative weight which they
give to -

(a) the text of the treaty as the authentic expression of the inten-
tions of the parties;
(b) the intentions of the parties as a subjective element distinct
from the text; and
(c) the declared or apparent objectsand purposes of the treaty.
Some, like Sir H. Lauterpacht, place the main emphasis on the
intentions of the parties and in consequence admit a liberal recourse
to the travauxpréparatoiresand to other evidence of the intentions

of the contracting States as means of interpretation. Some givegreat
weight to the objects and purposes of the treaty and are in conse-
quencemore ready, especiallyin the case of general multilateral trea-
ties,to admit teleologicalinterpretations of the text which go beyond,
or even diverge from, the original intentions of the parties as
expressed in the text. The majority of modern writers, however,
insists upon the primacy of the text as the basis for the interpretation DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS. CHWEBEL) 28

conventionnelles. Mais si cette intention commune fait défaut, si une
seule des parties, et non les deux, entend conférer compétencà la Cour,
cette dernière n'estpas compétentepour trancher le fond du différend.
De mon point de vue, les principes élémentairesqueje viens derappeler
se conjuguent pour faire échecà la compétencede la Cour en l'espèce.
Avant d'expliquer cequi m'amène à une telle conclusion sur lesfaits de
l'instance, il peut êtreutile d'exposer certaines règlesde droit relatàves
l'interprétationdes traités.

La Cour reconnaît que la convention de Vienne sur le droit des traités
est une codification du droit international faisant autorité.Toutefois, les
dispositions de cette convention relativàsl'interprétation des traitont
été particulièrement contestées,jusqu'à un certain point sein dela Com-
mission du droit international qui les a rédigst beaucoup plus vivement
au seinde la conférencedesNations Unies sur ledroit des traités.Ellesont
néanmoins été adoptées à de larges majorités.A la date de rédactionde
la présente opinion, la convention compte soixante-dix-huit parties, au

nombre desquellesnefigurentni Bahreïn ni Qatar (nilesEtats-Unis d'Amé-
rique, principal auteur des critiquàsl'encontre de ces dispositions).
Dans son troisièmerapport sur le droit des traités,l'éminentrappor-
teur spécialde la Commission, sir Humphrey Waldock, a exposé une
méthodeque la Commission a admise dans ses travaux ultérieursrelatifs
à l'interprétation des traitéset que la conférencede Vienne elle-mêmea
finalement adoptée:

«Les auteurs diffèrent aussi enquelque mesure dans leur attitude
fondamentale à l'égardde l'interprétation des traitésselon l'impor-
tance relative qu'ils attachent
a) au texte du traité en tant qu'expression authentique des inten-
tions des parties;
b) aux intentions des parties en tant qu'élément subjectif distitud

texte; et
c) à l'objet etau but déclarésou apparents du traité.
Certains auteurs, comme sir H. Lauterpacht, font porter l'accent
principal sur les intentions des parties et, par conséquent,admettent
qu'on fasse amplement appel aux travaux préparatoires et àd'autres
preuves des intentions des Etats contractants en tant que moyens
d'interprétation. D'autresauteurs attachent beaucoup d'importance

à l'objet et aux buts du traitéet sont par conséquent plus disposés,
notamment dans le cas de traités multilatérauxgénéraux, àadmettre
des interprétations téléologiquedu texte allant au-delà ou s'écartant
même desintentions primitives des parties telles qu'ellessont expri-
méesdans le texte. Mais la plupart des auteurs modernes insistent of a treaty, while at the same time giving a certain place to extrinsic
evidence of the intentions of the parties and to the objects and pur-
poses of the treaty as means for correcting or, in limited measure,
supplementing the text." (Yearbook of the International Law Com-
mission, 1964,Vol. II, pp. 53-54,para. 4.)

At the same time, Sir Humphrey continued,

"recourse to many of these principles is discretionary rather than
obligatory, and the interpretation of documents is to some extent an
art, not an exact science" (ibid., p. 54, para. 6).

By no means were the intentions of the parties to be depreciated; on the
contrary,
"the text must be presumed to be the authentic expression of the
intentions of the parties; . . .in consequence, the starting point and

purpose of interpretation is to elucidate the meaning of the text, not
to investigate ab initio the intentions of the parties. While not
excluding recourse to other indications of the intentions of the par-
ties in appropriate cases, it makes the actual text the dominant fac-
tor in the interpretation of a treaty." (Ibid., p. 56, para. 13.)
Hefurther explained hisproposals which,in substance, today are reflected
in the text of the Vienna Convention, as follows:

"where either the natural and ordinary meaning of the terms in their
context does not givea viable result or for one reason or another the
meaning is not clear . . .it is permissible to fix the meaning of the
terms by reference to evidence or indications of the intentions of the
parties outside the ordinary sense of their words .. ." (ibid., p. 57,
para. 16).

Accordingly, the text proposed:

"recognizes the propriety of recourse to extraneous evidence or indi-
cations of the intentions of the parties for the purpose of: (a) coiz-
jîrirnzingthe natural and ordinary meaning of a term; (b) deter- 1
mining the meaning of an ambiguous or obscure term or of a term
whose natural and ordinary meaning gives an absurd or unreason-
able result; and (c) establishing the use of a term by the parties with
a special meaning" (ibid., p. 58, para. 20).

Sir Humphrey pointed out that,
"Moreover, it is the constant practice of States and tribunals to

examine any relevant travaux préparatoiresfor such light as they
may throw upon the treaty .. . DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS. CHWEBEL) 29

sur la primautédu texte en tant que base d'interprétationdes traités,
tout en accordant une certaine place aux preuves extrinsèques des
intentions des parties età l'objet et aux buts du traitéen tant que
moyens permettant de redresser ou, dans une mesure limitée, de
compléterle texte.» (Annuaire de la Commissiondu droit internatio-
nal, 1964,vol. II, p. 54-55, par. 4.)

En mêmetemps, sir Humphrey Waldock ajoutait que:

«l'application d'un grand nombre de ces principes est plutôt discré-
tionnaire qu'obligatoire, et l'interprétation des documents est dans
une certaine mesure un art, non une science exacte» (ibid., p. 55,
par. 6).
En aucun cas, les intentions des parties ne devraient êtredépréciées. Au

contraire,
«il faut présumer quele texte est l'expressionauthentique de l'inten-
tion des parties et que, par suite, le point de départ,comme aussi le
but de l'interprétation est d'élucider le sensdu texte, et non pas de

rechercher ab initio quelle étaitl'intention desparties. Sansexclurele
recours à d'autres indices de l'intention des parties, s'ily a lieu, l'ar-
ticle fait du texte lui-mêmle facteur primordial de l'interprétationdu
traité.» (Ibid., p. 57, par..)
Sir Humphrey Waldock a expliqué plusavant ses propositions, qui sont
aujourd'hui reprises, pour l'essentiel, dans le texte de la convention de

Vienne:
«[quand] le sens naturel et ordinaire des termes, dans leur contexte,
n'aboutit pas à un résultat plausibleou [quand], pour une raison ou
l'autre, le sens n'est pas clair ... il est admissible que le sens des
termes soit déterminé,d'après des preuves ou des indications rela-

tives aux intentions desparties, en dehors du sens ordinaire des mots
employés))(ibid., p. 58, par. 16).
En conséquence,le texte proposait de reconnaître:

«que l'on peut avoir recours à des preuves ou indices extérieursde
l'intention des parties aux fins: a) de confirmer le sens naturel et
ordinaire d'un terme; b) de déterminerle sens d'un terme ambigu
ou obscur ou d'un terme dont le sens naturel et ordinaire conduit
à une interprétation absurde ou déraisonnable; c) d'établirle sens
spécial que les parties ont attribué à un terme)) (ibid., p. 59,
par. 20).

Sir Humphrey Waldock a fait observer:

«De plus, c'est la pratique constante des Etats et des tribunaux
d'examiner les travaux préparatoires pertinents pour y chercher tout
ce qui peut éclairerle sens du traité... Recourse to travaux préparatoiresas a subsidiary means of inter-
preting the text . . .is frequent both in State practice and in cases
before international tribunals." (Yearbook of the International Law
Commission, 1964, Vol. II, p. 58, paras. 20 and 21.)

He continued:
"Today, it is generally recognized that some caution is needed in
the use of travaux préparatoiresas a means of interpretation. They

are not, except in the case mentioned, an authentic means of inter-
pretation. They are simply evidenceto be weighedagainst any other
relevant evidence of the intentions of the parties, and their cogency
depends on the extent to which they furnish proof of the common
understanding of the parties as to the meaning attached to the terms
of the treaty." (Ibid., p. 58,para. 21.)

The subsequent evolution of what came to be Articles 31 and 32 of the
Vienna Convention, in the Commission and in the light of the commen-
taries and proposals of Governments, and climacticallyat the Conference
itself, is well known and fundamentally consonant with what has been
described. But it may be instructive for present purposes to quote a few
more elements of the travaux préparatoiresof the Vienna Convention,
as they are first ofal1to be found in the exchanges in the body which
prepared the draft of it:

"It was true that there existed a number of apparently consistent
pronouncements by the International Court of Justice and arbitral
tribunals to the effectthattravauxpréparatoireshad only been used
to confirm what had been found to be the clear meaning of the text
of a treaty.However, that case-lawwould be much more convincing
if from the outset the Court or tribunal had refused to admit con-
sideration of travaux prépauatoires until it had first established
whether or not the text was clear, but in fact, what had happened
was that on al1those occasions the travaux préparatoireshad been
fully and extensivelyplaced before the Court or arbitral tribunal by
one or other of the parties, if not by both. In the circumstances, to
state that thetravaux préparatoireshad been used only to confirm
an opinion already arrived at on the basis of the text of the treaty

was coming close to a legal fiction. It was impossible to know by
what processesjudges reached their decisionsand it was particularly
difficult to accept the proposition that the travaux préparatoires
had not actually contributed to form their opinion as to the mean-
ing of a treaty which, nevertheless, they stated to be clear from its
text, but which, as the pleadings in fact showed, was not so. At al1
events, it could be supposed that al1practitioners of international
law werefreein their use of travauxpréparatoires." (Yearbook of the DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS . CHWEBEL) 30

Le recours aux travaux préparatoires en tant que moyens subsi-
diaires d'interprétation dutexte est fréquent..tant dans la pratique
des Etats que dans les affaires dont sont saisisles tribunaux interna-
tionaux.» (Annuaire de la Commissiondu droit international, 1954,
vol. II, p. 59, par. 20 et.)

Il ajoutait:

«II est généralement reconnuaujourd'hui qu'une certaine pru-
dence est de mise dans l'utilisation des travaux préparatoires comme
moyens d'interprétation. Sauf dans le cas mentionné,ils ne consti-
tuent pas des moyens authentiques d'interprétation. Ce ne sont que
de simples preuves à mettre en regard des autres preuves pertinentes
de l'intention des parties, et leur force dépend de la mesure dans
laquelle ils témoignentde l'accord commun des parties sur le sens
attachéaux termes du traité.))(Ibid., p. 59-60,par. 21.)

On sait bien comment ce qui allait devenir les articles 31 et 32 de la
convention de Vienne a évolué par la suite au sein dela Commission, à la
lumièredes commentaires et propositions des gouvernements et, à son
point culminant, au sein de la conférenceelle-mêmec ;ette évolutioncor-

respond pour l'essentiel à ce qui vient d'êtreretracé. Mais il pourrait
être instructif, auxprésentesfins, de citer certains élémentssupplémen-
taires des travaux préparatoires de la convention de Vienne, tels qu'ils
ressortent en premier lieu desdébatsde l'organe qui a élaboré le projet de
convention:

((11est vrai qu'il existe plusieurs décisions dela Cour internatio-
nale de Justice et des tribunaux arbitraux qui vont toutes apparem-
ment dans le mêmesens, selon lesquelles les travaux préparatoires
n'ont servi qu'à confirmer ce qui avait étjugécomme étantle sens
clair du texte d'un traité. Cependant,ces précédents seraient beau-
coup plus convaincants si, dèsle début,la Cour ou le tribunal avait
refuséd'admettre tout recours aux travaux préparatoires tant qu'ils
n'auraient pas établisi le texte étaitclair ou ne l'étaitpas; or, ce qui
est arrivé,en fait, c'est que, dans tous ces cas, les travaux prépara-
toires ontétéamplement produits devant la Cour ou le tribunal arbi-
tral par l'une ou par l'autre partie, voire par les deux parties. Dans
ces conditions, c'est côtoyer de bien près la fictionjuridique que de
dire que les travaux préparatoires n'ont été utiliséqsue pour confir-

mer une opinion à laquelle on serait déjà arrivéen prenant pour base
le texte du traité.Il est impossible de savoir par quels procédésles
juges parviennent àleur décisionet ilest particulièrementdifficilede
souscrireà la proposition selon laquelle les travaux préparatoires
n'auraient pas effectivement contribué à former leur opinion sur le
sens d'un traitéqu'ils ont néanmoinsdit êtreclair d'aprèsle texte,
alors que les plaidoiries ont montré en réalité qu'ilne l'étaitpas.
Quoi qu'il en soit, on peut supposer que lespraticiens du droitnter- International Law Commission, 1964,Vol. 1, Mr. Rosenne, p. 283,
para. 17.)

"the clearness or ambiguity of a provision was a relative matter;
sometimes one had to refer [to]the preparatory work or look at the

circumstances surrounding the conclusion of the treaty in order to
determine whether the text was really clear and whether the seeming
clarity was not simply a deceptive appearance" (ibid., Mr. Yasseen,
p. 313, para. 56).
"In his view, it was unrealistic to imagine that the preparatory
work was not really consulted by States, organizations and tribunals
whenever they saw fit, before or at any stage of the proceedings,
even though they might afterwards pretend that they had not given
itmuch attention . . .the reference to confirmation and, afortiori,
verificationtended to undermine the text of a treaty in the sensethat

there was an express authorization to interpret it in the light of
something else; nevertheless that was what happened in practice."
(Ibid., Sir Humphrey Waldock, p. 314, para. 65.)

The text of the Convention adopted in Vienna respecting "Supplemen-
tary means of interpretation" (Art. 32) provides that,

"Recourse may be had to supplementary means of interpretation,
including the preparatory work of the treaty and the circumstances
of its conclusion, inorder to confirm the meaning resulting from the
application of article 31, or to determine the meaning when the
interpretation according to article 31 :

(a) leaves the meaning ambiguous or obscure .. ."
But what was not settled was, what happens when the travaux prépara-
toires turn out not to confirm but contradict the meaning arrived at by
application of the general rule of interpretation? There are a fewpassages
in statements of the Special Rapporteur that appear to cut one way or

another; quoted above is an indication by him that the process of con-
firmation or verification could indeed tend to "undermine" the text of a
treaty.
Surprisingly little attention was directed to this critical question. The
most pertinent answer may have been that proffered by the representative
of Portugal at the Vienna Conference:
"What would happen if, though the text of a treaty was appar-
ently clear, in seeking confirmation in the preparatory work and

other surrounding circumstances a divergent meaning came to light?
It was impossible to be sure in advance that those circumstances
would confirm the textual meaning of the treaty. If the emphasis
were placed on good faith, it would appear that in such a case those
circumstances should be taken into consideration, although they did DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SCHWEBEL) 31

national sont tous libres d'utiliseà leur guise les travaux prépara-
toires.)) (Annuaire de la Commission du droit international, 1964,
vol.1, M. Rosenne, p. 296-297, par. 17.)
«la notion de clartéou d'ambiguïtéd'une disposition est toute rela-
tive; parfois il faut se reporter aux travaux préparatoires ou exami-
ner les circonstances de la conclusion du traité afin de savoir si le
texte est vraiment clair et si sa clarté apparente n'est pas en fait
trompeuse)) (ibid.,M. Yasseen, p. 327, par. 56).

«A son avis, c'estne pas tenir compte de la réalitéque d'imaginer
que les Etats, les organisations et les tribunaux ne consultent pas
vraiment les travaux préparatoires chaque fois qu'ilslejugent néces-
saire, avant le débutou durant une phase donnée de la procédure,
encore qu'ils puissent prétendreensuite n'y avoir pas attachébeau-
coup d'importance. ...la mention de la confirmation et, afortiori, de
la vérification, tenà affaiblir le texte d'un traité ence sens qu'elle
donne l'autorisation expresse de l'interpréterà la lumière d'autres

élémentsc ;'estnéanmoinsce qui seproduit dans la pratique. »(Zbid.,
sir Humphrey Waldock, p. 328, par. 65.)
Le texte de la convention adopté a Vienne au sujet des «moyens com-
plémentairesd'interprétation))(art. 32) dispose que:

«Il peut être fait appelàdes moyens complémentairesd'interpré-
tation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances
dans lesquelles le traitéa été conclu, en vue soitde confirmer le sens
résultant de l'application de l'article 31, soit de déterminerle sens
lorsque l'interprétation donnée conformément à l'article :1

a) laisse le sens ambigu ou obscur...))
Mais ce qui n'a pas été régléc,'est ce qui advient quand les travaux pré-
paratoires ne confirment pas, mais contredisent le sens dégagépar l'appli-
cation de la règlegénéraled'interprétation. Quelques passages, dans les
exposésdu rapporteur spécial, semblent pencherdans un sens ou dans un

autre. Dans la citation qui précède, celui-ciindique que le processus de
confirmation ou de vérificationpourrait effectivementcontribuer à «affai-
blir» le texte d'un traité.
Il est étonnant que cette question capitale ait si peu retenu l'attention.
Sans doute est-ce le représentant du Portugal à la conférencede Vienne
qui a apporté la réponsela plus pertinente:
«Que se passerait-il dans l'hypothèse où, en présence d'untraité

dont le texte est apparemment clair, l'examen destravaux prépara-
toires et des autres circonstances environnantes, qui devait confirmer
le sens de ce texte, viendraàrévéleu rne significationdifférente?On
ne peut jamais êtresûr d'avanceque cescirconstances confirmeront le
sens littéraldu traité.Si l'on met l'accent sur la bonne foi, il semble
que 1'01-1evrait alors tenir compte de telles circonstances, même not lead to the confirmation of the meaning . . ."(United Nations
Conference on the Law of Treaties, First Session, 1968, OfJicial
Records, p. 183.)
It is significant for the case now before the Court that it does not seem
to have occurred to counsel on either side that their concentration on the
content of the travaux préparatoirescould be questionable or beside the
point. Neither Party suggested that the text of the treaty was so clear that

the Court would be justified in declining to weigh the preparatory work
in the scalesofjustice. Mired as they were in the ample ambiguities of the
text, that suggestive omission is understandable. Nor did either Party
suggest that the preparatory work was fragmentary, inconclusive, or
othenvise open to discounting or disregard.

The Court founds its jurisdiction upon the comrnitments entered into
by Qatar and Bahrain in 1987and in 1990.It has concluded that the 1987
exchanges of letters and the 1990Doha Minutes are international agree-
ments creating rights and obligations for the Parties. It does not conclude
- nor, for that matter, did Qatar maintain - that the commitments
undertaken in 1987of themselves suffice to sustain the Court's jurisdic-
tion. Thus it is undisputed that the consent of Qatar and Bahrain to the
provision that

"Al1 the disputed matters shall be referred to the International
Court of Justice, at The Hague, for a final ruling binding upon both
parties . . ."

of itself is not determinative. As the Parties agree, and the Court records,
what those disputed matters were was not settled in 1987.Moreover, the
1987exchanges of letters provided for the creation of a Tripartite Com-
mittee
"for the purpose of approaching the International Court of Justice,
and satisfying the necessary requirements to have the dispute sub-

mitted to the Court . . .".
In Bahrain's view, the latter provision imported that the Tripartite
Committee would prepare a special agreement, an interpretation, it con-
tends, that is borne out by the subsequent activities of the Tripartite
Cornmittee which were in fact exclusivelydirected towards conclusion of
a specialagreement. Why create the machinery of a Tripartite Committee
if not to prepare, and only to prepare, a special agreement? If the inten-
tion had been to authorize unilateral application, no committee at al1

would have been needed or established.
Qatar in these proceedings has however maintained that, by reason of si elles n'apportent pas la confirmation du sens...)) (Conférence des
Nations Unies sur le droit des traités, première session,1968,Docu-
ments officie p.s198.)
11est révélateurpour l'affaire dont la Cour est saisie qu'aucun des

conseils de l'une ou l'autre Partie ne semble avoir envisagé qu'ilpuisse
êtrediscutable ou hors de propos de centrer leur argumentation sur le
contenu des travaux préparatoires. Aucune des deux Parties n'a laissé
entendre que le texte du traité était tellement clair que la Cour serait
fondée àrefuser d'apprécierdans sa décisionle poids des travaux prépa-
ratoires. Embourbées commeellesl'étaientdans lesprofondes ambiguïtés
du texte, les Parties ont pu commettre cette omission significative. De
même,aucune des Parties n'a fait valoir que les travaux préparatoires
étaient fragmentaires, peu concluants ou justifiaient par ailleurs qu'on en
fasse abstraction ou l'économie.

LES FAITS ET LE DROIT EN L'ESPÈCE

La Cour fonde sa compétencesur les engagements pris par Qatar et
Bahreïnen 1987et en 1990.Ellea conclu que leséchangesde lettres de 1987
et le procès-verbal deDoha de 1990constituaient des accords internatio-
naux créantdes droits et des obligations pour les Parties. Elle ne dit pas
- et Qatar ne le soutenait pas davantage en l'occurrenc- que les enga-
gements pris en 1987suffisent à fonder sa compétence.Il n'est donc pas
contestéque le consentement de Qatar et de Bahreïn à êtreliéspar la
disposition aux termes de laquelle

((toutes les questions en litige seront soumisàsla Cour internatio-
nale de Justice, La Haye, pour qu'ellerende une décisiondéfinitive
et obligatoire pour les deux partie..»
n'est pas en lui-mêmedéterminant.Comme les Parties en conviennent, et

comme la Cour leur en donne acte, le contenu de ces questions en litige
n'a pas étédéfini en 1987.En outre, les échanges de lettres de 1987pré-
voyaient la constitution d'une commission tripartite
«en vue d'entrer en rapport avecla Cour internationale de Justice et
d'accomplir les formalités requisespour que le différend soit soumis

à la Cour..»
De l'avis de Bahreïn, cette dernière disposition signifiait que la com-
mission tripartite élaborerait un compromis, interprétation corroborée,
d'après lui,par les travaux ultérieurs de la commissiontripartite qui, de
fait, ont portéexclusivement sur la rédaction d'un compromis. Pourquoi
créer un organe comme la commission tripartite si ce n'étaitpour pré-

parer, et seulement pour préparer,un compromis? Sil'intention avait été
d'autoriser le dépôt d'unerequête unilatérale, une commissionn'aurait
été ni nécessairnei créée.
Quant à lui, Qatar a soutenu en l'espèceque, par les engagementsthe cumulative commitments undertaken in 1987 and 1990, the Parties
unconditionally conferredjurisdiction on the Court to deal with the mat-
ters in dispute between them. Qatar contends that, in the intention of the
Parties, a special agreement was but one possible mode of approaching
the Court and satisfying its requirements for submission of the dispute, a
position with which the Court agrees in today's Judgment.

Yet, in 1987, in the draft letter to the Court's Registrar which it
presented to Bahrain for its agreement with a viewto submitting the case
to the Court, Qatar provided for "preparing the necessary Special Agree-
ment in this respect . .." (Memorial of Qatar, Ann. 11.18,p. 2; emphasis
added). Qatar's letter hardly supports the Court's conclusion in this
Judgrnent that

"everything tends to suggest that, if the Committee explored that
possibility [of a special agreement], it did so simply because that
course appeared to it, at the time, to be the most natural and the
best suited to give effect to the consent of the Parties" (para. 28).

On the contrary, the contemporaneous evidence of Qatar itself indicates
that the Parties - Qatar no less than Bahrain - saw conclusion of a
special agreement as "necessary". So the Court's conclusion in this
regard may be one of several that is not so "clear".

Be that as it may, it remains uncontested that of themselves the 1987
exchanges of letters are accepted by the Parties as insufficient to found

the jurisdiction of the Court. If it had been the meaning of the 1987
exchangesto authorize immediate and unilateral application to the Court,
one or the other Party presumably would have exercised that authority.
Yet it took Qatar another four years to submit its Application. More-
over, in the oral hearings, Qatar's counsel acknowledged that:

"Qatar has not asserted that the terms of the 1987Agreement by
themselves provided an immediate basis for enabling the Court to
exercise itsjurisdiction." (CR 9411,p. 49.)
Thus any finding of jurisdiction can be based only on the combined
effect of the 1987and 1990commitments. It is accordingly necessary to

examine the meaning of the 1990 Doha Minutes. In pertinent part, they
provide:
"The good offices of the Custodian of the Two Holy Mosques,
King Fahd Ben Abdul Aziz, shall continue between the two coun-
tries until. .May 1991.Once that period has elapsed,the two parties

may submit the matter to the International Court of Justice in
accordance with the Bahraini formula, which has been accepted by
Qatar, and with the procedures consequent on it.The good officesof
the Kingdom of Saudi Arabia will continue during the period when
the matter is under arbitration."cumulés auxquelsellesont souscrits en 1987et en 1990,lesParties avaient

inconditionnellement conféré compétence à la Cour pour que celle-ciexa-
mine toutes les questions en litigeentre elles.Qatar a fait valoir que, dans
l'intention desParties, la conclusion d'un compromisn'étaitque l'unedes
manières d'entrer en rapport avec la Cour et de satisfaire aux exigences
applicables pour saisir celle-cidu différend;par le présentarrêt,la Cour
se rallieàcette thèse.
Néanmoins, le projet de lettre au Greffier que Qatar avait soumis en
1987 à l'approbation de Bahreïn en vue de porter le différenddevant la
Cour indiquait qu'il faudrait ((rédigerle compromis nécessaire à cet
égard...))(mémoirede Qatar, annexe 11.18,p. 2; les italiques sont de
moi). Cette lettre de Qatar n'étaie guèrla conclusion à laquelle la Cour
est arrivéedans le présentarrêt, quandelle dit que:

«tout porte à croire que si la commission a exploré cettevoie [du
compromis],c'estsimplementparce que celle-ci luia paru, à l'époque,
la plus naturelle et la plus propreà donner effet au consentement

des Parties)) (par.8).
Au contraire, les élémentsde preuve de l'époque,que Qatar lui-mêmea
apportés, indiquent que les Parties- Qatar tout autant que Bahreïn -
considéraient la conclusiond'un compromis comme «nécessaire».Ainsi,
la conclusion de la Cour sur ce point est sans doute au nombre de celles

qui ne sont pas si «claires».
Quoi qu'il en soit, il demeure admis que les Parties considèrent que
les échangesde lettres de 1987ne suffisent pasà fonder la compétence de
la Cour. Si ces échanges avaient autorisé le dépôt immédiat d'une
requête unilatérale,l'une ou l'autre des Parties aurait sans doute
exercécette faculté. Or, quatre ans se sont écoulésavant que Qatar ne
dépose sa requête.De plus, lors des audiences, le conseil de Qatar a
reconnu que:

«Qatar n'a[vait] pas prétendu que les termes de l'accord de 1987
constituaient en eux-mêmesune baseimmédiate qui permette l'exer-
cice de la compétencede la Cour.)) (CR 9411,p. 49.)

Par conséquent,toute conclusion sur la compétencene peut se fonder
que sur les effets conjugués des engagements de 1987 et de 1990. Il
convient donc de rechercher le sens du procès-verbal de Doha de 1990.
Son passage pertinent est ainsi libellé:

«Les bons offices du Serviteur des deux Lieux saints. le roi
Fahd Ben Abdul Aziz, se poursuivront entre les deux pays jusqu'au
mois de ...mai 1991. A l'expiration de ce délai,les deux parties
pourront soumettre la question à la Cour internationale de Justice
conformément àla formule bahreïnite, qui a étéacceptéepar Qatar,
et aux procédures qui en découlent. Les bons offices de l'Arabie
saoudite se poursuivront pendant que la question sera soumise à
l'arbitrage» The main difference between the Parties in this phase of the case, the
focus of dispute in their exchange of written pleadings and of expert

opinions and in oral argument, was over the meaning of the phrase, "the
two parties", as it was rendered in the original Arabic by the expression
"al-tarafan". As the Court recalls in its Judgment, this provision derived
from a draft presented at Doha by the Government of Oman, which, as
proposed by Oman, read: "Once that period has elapsed, either of the
two parties may submit the matter to the International Court of Justice."
Bahrain required the amendment of this provision to specify in place of
"either of the two parties" the expression "al-tarafan", i.e., "the two par-
ties". Bahrain thus insisted on deletion of authorization for "either of'
the two Parties to seise the Court. Qatar accepted that amendment.

There are three viewsabout the significance ofthe change in the Omani
text which was brought about in this way.
Bahrain maintains that its insistence, as the price of its signature of the
Doha Minutes, on changing "either of the two parties" to "the two par-
ties" demonstrates that its intention was to exclude unilateral recourse to
the Court. In my view, that interpretation is not only plausible but per-
suasive.
Qatar claims that the purpose of the change was to make "clear that
both Qatar and Bahrain had the right to make a unilateral application to
the Court". The Agent of Qatar maintained in the second round of the

hearings - in the ultimate word of Qatar on this crucial question - the
following :
"Now, what about the Omani draft? Again, there is no evidence
of a rejection of unilateral application. On the Omani draft, Bahrain
simply changed 'either of the parties' to 'the parties', thus making

clear that both Qatar and Bahrain had the right to make a unilateral
application to the Court. Bahrain also added a reference to the
Court's procedures. 1believethat these objective changes to the text
are not at al1rejections of the agreement reached during discussions
at Doha that reference to the Court could now be by unilateral
application, but rather subjectivestatements of the allegedintentions
of Bahrain's negotiators." (CR 9417,p. 16.)

One has only to read this argument to reject it.
If the object of the Parties -iftheir common intention - was to make
clear that "both Qatar and Bahrain had the right to make a unilateral
application to the Court", the provision that "either of the two parties
may submit the matter" would have been left unchanged. That wording
achieved that object clearly, simply, and precisely. As it was, that
unchanged phraseology authorized either of the two Parties to make uni-

lateral application to the Court. To suggest that the change of that DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SCHWEBEL)
34

Le principal sujet de désaccord entre les Parties au cours de la phase
actuelle de la procédure, ainsi que la question litigieuse sur laquelle se
son centrés leurs échanges depiècesécriteset d'expertises et leurs plai-
doiries, porte sur le sens du membre de phrase «les deux parties)),rendu
dans l'original arabe par l'expression «al-tarafan C)o).me la Cour le
rappelle dans son arrêt,cette disposition est tiréed'un projet présentéà
Doha par le Gouvernement omanais, qui, dans la version proposée par
Oman, se lisait comme suit: «A l'expiration de ce délai, l'uneou l'autre
des parties peut soumettre l'affaireà la Cour internationale de Justice.»
Bahreïn a demandéque cette disposition fût amendée,pour remplacer

((l'une ou l'autre des parties)) par «al-tarafan c'es-à-dire «les deux
parties)). Bahreïn a donc insistépour que l'autorisation de saisir la Cour
donnée à ((l'uneou l'autre des parties)) fût supprimée,et Qatar a accepté
cet amendement.
Trois points de vue s'affrontent sur la portéede la modification ainsi
apportéeau texte omanais.
Bahreïn soutient que son insistance à faire remplacer «l'une ou l'autre
des parties)) par«les deux parties)), remplacement qu'il a posé comme
condition de sa signature du procès-verbalde Doha, démontrequ'il avait
pour intention d'exclure une saisine unilatérale de laCour. A mon sens,
cette interprétation est non seulement plausible, mais convaincante.
Qatar fait valoir que ce changement visait à indiquer ((clairement que

Qatar et Bahreïn avaient chacun le droit de déposer une requête unilaté-
rale auprèsde la Cour». Lors du deuxièmetour de plaidoiries, l'agent de
Qatar a soutenu ce qui constitue la dernière position de Qatar sur cette
question cruciale:
((Maintenant, qu'en est-il du projet omanais?Là encore, il n'existe

aucune preuve de l'exclusiond'une requête unilatérale. Sur le projet
omanais, Bahreïn a simplement remplacé((l'uneou l'autre des par-
ties» par «les parties)), indiquant ainsi clairement que Qatar et
Bahreïn avaient chacun le droit de déposer une requête unilatérale
auprès de la Cour. Bahreïn a égalementajouté une référenceaux
procéduresde la Cour. Je pense que ces modifications objectives du
texte ne constituent nullement des répudiations de l'accord réalisé
durant les discussions à Doha pour que la Cour puisse désormais
êtresaisiepar la voie d'une requête unilatérale, maiplutôt des affir-
mations subjectives des intentions qui auraient étécelles des négo-
ciateurs de Bahreïn.)) (CR 9417,p. 16.)

Il suffit de lire cet argument pour le rejeter.
Sil'objectif desParties- sileur intention commune - était d'indiquer
clairement que ((Qatar et Bahreïn avaient chacun le droit de déposer une
requête unilatéraleauprès de la Cour», la disposition aux termes de
laquelle((l'uneou l'autre des parties peut soumettre l'affair..» n'aurait
pas étémodifiée.Sous cette forme, elle atteignait cet objectif clairement,

simplement et précisément.Tel quel, non modifiéce libellépermettait à
l'une ou à l'autre Partie de déposer une requête unilatéralaeuprès de la

32phraseology to "the two parties" rather imports that each of the Parties
- because of that change - is entitled to make a unilateral application
to the Court is unintelligible. And for the Qatari Agent to state that these

"objective changes to the text" of the Omani draft - to the text - are
"subjective statements of the alleged intentions of Bahrain's negotiators"
is equally incomprehensible. How could recorded changes in a text
accepted by both sides have been no more than "subjective statements of
the alleged intentions of Bahrain's negotiators"?

Moreover, even if, as Qatar appears to argue, the change in the text is
taken to have manifested the intentions only of Bahrain's negotiators,
and not Qatar's, does not this argument of Qatar concede that a com-
mon intention of both Parties to authorize unilateral application was

lacking?
l or ~itspart, the Court states:
"the Court does not consider it necessary to resort to supplementary
means of interpretation in order to determine the meaning of the
Doha Minutes ... however, as in other cases ... it considers that it

can have recourse to such supplementary means in order to seek a
possible confirmation of its interpretation of the text" (Judgment,
para. 40).
It then summarizes the arguments of the Parties on the travauxprépaua-
toires, and concludes:

"The Court notes that the initial Omani draft expresslyauthorized
a seisinby one or the other of the Parties, and that that formulation
was not accepted. But the text finally adopted did not provide that
the seisin of the Court could only be brought about by the two Par-
ties acting in concert, whether jointly or separately. The Court is

unable to see why the abandonment of a form of words correspond-
ing to the interpretation given by Qatar to the Doha Minutes should
imply that they must be interpreted in accordance with Bahrain's
thesis. As a result, it does not consider that the travaux prépara-
toires, in the form in which they have been submitted to it - i.e.,
limited to the various drafts mentioned above - can provide it with
conclusivesupplementary elements for the interpretation of the text
adopted; whatever may have been the motives of each of the Parties,
the Court can only confine itself to the actual terms of the Minutes
as the expression of their common intention, and to the interpreta-
tion of them which it has already given." (Para. 41.)

In my view, such explanation as the Court thus offers in support of its
position that the travaux préparatoiresdo not provide it with conclu-
sive supplementary elements for interpretation of the text is unconvin-
cing. Because "the text finally adopted did not provide that the seisin of
the Court could only be brought about by the two Parties acting in con- DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP. DISS.SCHWEBEL) 35

Cour. On ne s'explique pas comment le remplacement de ce libellépar
((lesdeux parties»pourrait signifierque chacune des Parties - en raison
de ce changement - était autorisée à déposer une requêteunilatérale
auprès de la Cour. Et il est tout aussi incompréhensible de soutenir,
comme l'agent de Qatar l'a fait, que ces ((modifications objectives du
texte)) du projet omanais - du texte- étaientdes ((affirmationssub-
jectives desintentions qui auraient étécellesdesnégociateursde Bahreïn)).

Comment des modifications consignéesdans un texte agréépar les deux
Parties auraient-elles pu n'être riende plus que des «affirmations subjec-
tives des intentions qui auraient étécellesdes négociateursde Bahreïn))?
En outre, mêmesi, comme semble le soutenir Qatar, on considèreque
la modification apportée au texte exprimait l'intention des négociateurs
de Bahreïn, et non pas celle des négociateursde Qatar, cet argument de
Qatar ne revient-il pas à admettre que l'intention commune des deux
Parties d'autoriser le dépôt d'une requête unilatérale faisaitdéfaut?
Pour sa part, la Cour dit que:

(([elle]ne considèrepas nécessairede faire appel à des moyens com-
plémentairesd'interprétationpour déterminerle sens du procès-ver-
bal de Doha ...toutefois, comme dans d'autres affaires ...elleestime
pouvoir recourir à ces moyens complémentairespour y rechercher
une confirmation éventuellede l'interprétation qu'elle a tirée du

texte)) (arrêt,par. 40).
Elle résume ensuiteles arguments des Parties sur les travaux prépara-
toires et conclut:

((La Cour constate que le projet omanais initial autorisait explici-
tement une saisine par l'une ou l'autre des Parties et que cette for-
mulation n'a pas été retenue.Mais le texte finalement agréé ne dis-
pose pas que la saisine de la Cour ne peut êtreopéréeque par les
deux Parties agissant de concert, soit conjointement, soit séparé-
ment. La Cour ne voit pas pourquoi l'abandon d'une rédaction cor-

respondant à I'interprétation queQatar donne du procès-verbal de
Doha impliquerait que celui-ci dût êtreinterprétéselon la thèsede
Bahreïn. En conséquenceelle n'estime pas pouvoir tirer des travaux
préparatoires tels qu'ils lui ont étéprésentés - c'est-à-dire réduits
aux divers projets susmentionnés - d'éléments complémentaires
déterminants pour l'interprétation du texte agréé;quelles qu'aient
pu êtreles motivations de chacune des Parties, la Cour ne peut que
s'en tenir aux termes mêmesdu procès-verbal traduisant leur com-
mune intention et à l'interprétation qu'elle en a déjà donnée.))
(Par. 41.)

A mon sens, l'explication ainsi avancéepar la Cour, pour étayerson
point de vue selon lequel les travaux préparatoires ne lui fournissent pas
d'éléments complémentaired séterminantspour l'interprétationdu texte,
n'est pas convaincante. Parce que «le texte finalement agrééne dispose

pas que la saisine de la Cour ne peut êtreopéréeque par les deux Partiescert .. .",the Court "is unable to see why the abandonment of a form of

words corresponding to the interpretation given by Qatar to the Doha
Minutes should imply that they must be interpreted in accordance with
Bahrain's thesis". But since deletion of the specification, "either of the
two parties may submit the matter to the International Court of Justice"
in favour of the adopted provision, "the two parties may submit the mat-
ter . . .surelymanifested Bahrain's intention that "either of the two par-
ties" may not submit the matter, the Court's inability to see so plain a
point suggests to me its unwillingness to do so.
In preceding passages of the Judgment, the Court holds that an inter-
pretation other than that it chooses "would deprive the phrase of its
effect and could well, moreover, lead to an unreasonable result"

(para. 35). But in interpreting the meaning of the deletion of the phrase,
"either of', the Court deprives that deletion - and hence the text
adopted by the Parties - of its effect and produces what in my view is
"an unreasonable result". If it was not the intention of Bahrain to require
joint seisin of the Court by insisting on, and achieving,the excision of the
provision permitting "either of' the two Parties to submit the matter to
the Court, what was its intention?

The Court concludes that,

"whatever may have been the motives of each of the Parties, the
Court can only confine itself to the actual terms of the Minutes as
the expression of their common intention, and to the interpretation
of them which it has already given" (para. 41).

The Court's choice ofthe word "motives" is revealing of its devaluation of
the intention of the Parties. But the fundamental flaw in its reasoning, as
1seeit, is the contention that it adheres to the actual terms of the Minutes
"as the expression of their common intention" when 1 believe that it is
demonstrable - and has been demonstrated - that their common inten-
tion could not have been to authorize unilateral application to the Court.
Thus in my view the Court's construction of the Doha Minutes is at
odds with the rules of interpretation prescribed by the Vienna Conven-

tion. It does not comport with a good faith interpretation of the treaty's
terms "in the light of its object and purpose" because the object and pur-
pose of both Parties to the treaty was not to authorize unilateral recourse
to the Court. It does not implement the Convention's provision for
recourse to the preparatory work, because, far from confirming the
meaning arrived at by the Court's interpretation, the preparatory work
vitiates it. Moreover, the Court's failure to determine the meaning of the
treaty in the light of its preparatory work results, if not in an unreason-
able interpretation of the treaty itself, in an interpretation of the prepara-
tory work which is "manifestly . . unreasonable".
Since, by using evidence submitted by both sides whose accuracy and

comprehensiveness is contested by neither, Bahrain has demonstrated
that its intention in signing the Doha Minutes was to exclude unilateral DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISSS . CHWEBEL) 36

agissant de concert)), la Cour «ne voit pas pourquoi l'abandon d'une
rédaction correspondant à l'interprétation que Qatar donne du procès-
verbal de Doha impliquerait que celui-cidût être interprétéselon la thèse
de Bahreïn)). Mais la suppression des mots ((l'uneou l'autre des parties
peut soumettre l'affaire à la Cour internationale de Justice)) et leur
remplacement par «les deux parties pourront soumettre l'affaire...))

indiquaient de manière manifesteque Bahreïn n'entendaitpas que l'uneou
l'autre des parties puisse soumettre l'affaire; il me semble que si la Cour
ne voit pas quelque chose d'aussi clair,c'estfaute d'être disposéelevoir.
Plus haut dans son arrêt, laCour a conclu qu'une interprétation diffé-
rente de celle qu'elle retient ((priverait le membre de phrase de son effet
utile et risquerait en outre d'aboutir à des résultats déraisonnables))
(par. 35). Mais l'analyseque fait la Cour de la suppression du membre de
phrase ((l'uneou l'autre des parties)) privejustement cette suppressio-
et, partant, le texte adoptépar les Partie- de son sens utile et conduit,

à mon sens, à un ((résultatdéraisonnable)).Si, en insistant pour que la
disposition permettant à «l'une ou l'autre des parties)) de soumettre
l'affaireà la Cour fût supprimée, et en obtenant cette suppression,
Bahreïn n'avait pas pour intention d'exiger la saisine conjointe de la
Cour, alors quelle étaitson intention?
La Cour conclut que

((quelles qu'aient pu êtreles motivations de chacune des Parties, la
Cour ne peut que s'entenir aux termes mêmesdu procès-verbaltra-
duisant leur communeintentionet à l'interprétationqu'elle ena déjà
donnée))(par. 41).

Que la Cour ait choisi le mot «motivations» est révélateur desa dépré-
ciation de l'intention des Parties. Mais, mon avis, la faille essentiellede
son raisonnement réside en ce qu'elle prétend s'en tenir aux termes
mêmesdu procès-verbal((traduisant leur communeintention)),alors que
je pense que 1'01peut démontrer - ce qui a étéfait- que leur intention
commune ne pouvait être d'autoriser unesaisine unilatérale dela Cour.
Ainsi, à mon sens, l'analyseque la Cour fait du procès-verbalde Doha
est en désaccord avec les règles d'interprétation de la convention de

Vienne. Elle ne satisfait pas l'exigenced'une interprétation de bonne foi
des termes du traité «à la lumièrede son objet et de son but», puisque
l'objet etle but des deux Parties au traitén'étaientpas d'autoriser la sai-
sine unilatérale dela Cour. Elle ne met pas en Œuvrela disposition de la
convention sur le recours aux travaux préparatoires parce que, loin de
confirmer le sens que son interprétation a dégagé,les travaux prépara-
toires le contredisent. En outre, la carence de la Coàrdéterminerle sens
du traitéà la lumière destravaux préparatoires conduit, si ce n'està une
interprétation déraisonnabledu traitélui-même,du moins à une interpré-
tation ((manifestement ..déraisonnable))des travaux préparatoires.

Vu que, sur la base des moyens de preuve produits par les deux Parties
dont le caractère exact et complet n'est contesté par aucune d'elles,
Bahreïn a démontréqu'en signant leprocès-verbalde Doha son intentionapplication to the Court, since Qatar's rebuttal of that demonstration is

unconvincing, and since the Court's analysis on that critical point is
no more convincing, it follows that the 1987 exchanges of letters and
1990Minutes do not sufficeto support a finding of the Court's jurisdic-
tion. The requisite common, ascertainable intention of the Parties to
authorize unilateral reference to the Court is absent. Its absence is - or
should have been - determinative.

The Court rnay believeitself justified in discounting the travaux pré-
paratoires because the meaning of the actual terms of the Doha Minutes
as it construes them is "clear". But if that is the purport of the Court's
Judgment, that position is hardly tenable. The expression in the Doha
Minutes of "al-tarafan", however translated, is quintessentially unclear;
as the Court itself acknowledges, it is capable of being construed as
meaning jointly or separately. The term is inherently ambiguous. 1sthe

Court's analysis of other provisions of the Doha Minutes such as to
render clear what is opaque?

Not in my view. The Court's analysis consists of several, cumulative
arguments. The first turns on the provision of the Doha Minutes that,
"Once that period has elapsed, the two parties rnay submit the matter to
the International Court of Justice." The Court maintains that the word
"may", in its ordinary meaning, envisages a possibility, or even a right.
Accordingly,in the firstplace, and in its most natural sense,the provision
suggests the option or right for them to seise the Court:

"Taken as such, in its most ordinary meaning, that expression
does not require a seisinby both Parties acting in concert but, on the
contrary, allows a unilateral seisin." (Para. 35.)

True enough. But equally, that expression does not require a unilateral
seisin, or disallow a joint seisin. What clear light then does the word
"may" shed?
The Court then maintains that the proviso, "Once that period has
elapsed", imports that unilateral application is in order. Any other inter-
pretation would, the Court maintains, deprive the provision of its effect.
But that is not so, if the provision is interpreted to mean no more than
that, during the renewed five-month period of the good offices of the
Saudi Arabian Government,there rnay be no recourse to the Court; once
that period has elapsed, there rnay be.
The Court continues that the purpose of the Doha Minutes was "to
advance the settlement of the dispute by giving effectto the forma1com-
mitment of the Parties to refer it to the Court" and that this purpose

implies that unilateral application is permitted sincejoint application had
been shown to have been unachievable. But does not the Court thereby
assume what is in dispute, namely, that the purpose of both Parties in
signing the Doha Minutes was to advance settlement of the dispute by DÉLIMITATION ET QUESTIONS (OP.DISS.SCHWEBEL) 37

étaitd'exclure le dépôt d'unerequête unilatéraleauprès de la Cour; vu
que Qatar n'a réfuté cettdeémonstration que d'unemanière peuconvain-
cante; et vu que l'analyse de la Cour sur ce point crucial n'emporte guère .
plus la conviction, il s'ensuit que les échangesde lettres de 1987 et le
procès-verbalde 1990ne suffisentpas à fonder la compétencede la Cour.
La nécessaireintention commune et vérifiabledes Parties d'autoriser une
saisine unilatéralede la Cour fait défaut. Cette absence est- ou aurait
dû être - déterminante.
La Cour peut s'estimer fondée à faire abstraction des travaux prépa-
ratoires parce que le sens qu'elle dégage des termes mêmed su procès-

verbal de Doha est «clair». Mais si tel est l'objectif visépar l'arrêtde la
Cour, cette position està peine soutenable. Quelque traduction qu'on en
donne, l'expression ((al-tarafa da)), le procès-verbal de Doha, est
fondamentalement équivoque: elle peut signifier «conjointement» ou
«séparément»,comme la Cour elle-mêmele reconnaît. Le terme est
intrinsèquement ambigu. Mais l'analyse que la Cour fait d'autres dispo-
sitions du procès-verbal de Doha est-elle de nature à clarifier ce qui est
obscur?
Je ne le pense pas. L'analyse de la Cour cumule plusieurs arguments.
Le premier se fonde sur la disposition du procès-verbal de Doha aux
termes de laquelle «A l'expiration de ce délai,les deux parties pourront

soumettre la question à la Cour internationale de Justice)). La Cour sou-
tient que, dans son sens ordinaire, lemot «pourront» viseune possibilité,
voire un droit. En conséquence, en premierlieu et dans son sens le plus
naturel, la disposition confèreaux Parties la facultéou le droit de saisir la
Cour:

«prise comme telle, dans son sens le plus ordinaire, cette expression
n'impose pas une saisine par les deux Parties agissant de concert,
mais permet bien au contraire une saisine unilatérale.» (Par. 35.)
Certes. Mais cette expression n'impose pas davantage une saisine unila-
téraleni n'interdit une saisine conjointe. En ce cas, quels éclaircissements

le mot ((pourront)) apporte-t-il?
La Cour affirme ensuite qu'il découlede l'expression «A l'expiration
de ce délai» que lasaisineunilatéraleest régulière. Selonelle, toute autre
interprétation priverait ce membre de phrase de son effet utile. Mais tel
n'estpas lecas sil'on considèreque cette disposition signifiaitsimplement
qu'il ne serait pas possible de saisir la Cour au cours de la nouvelle
périodede cinq mois impartie aux bons offices du Gouvernement saou-
dien, et qu'une telle saisine deviendrait possible'expiration de ce délai.
La Cour poursuit en affirmant que leprocès-verbalde Doha avait pour
but de ((faire progresser le règlement du différenden donnant effet à
l'engagement formel des Parties d'en saisirla Cour» et que ce but sup-

posait la possibilité d'une requête unilatérale,isque la saisineconjointe
s'était avérée irréalisable. Malias Cour ne postule-t-elle pas ainsi ce
qui constitue l'objet du différend,à savoir que le but des deux Parties,
en signant le procès-verbalde Doha, était de faireprogresser le règlementauthorizing unilateral application? An equally plausible construction of
the events that transpired at Doha was that Bahrain inexorably main-
tained its position that the dispute could be settled only by joint referral

to the Court by way of special agreement of the dispute in al1its ele-
ments. If that position constituted no "advance", it rnay nevertheless
have constituted Bahrain's position.

Al1 this is not to say that the Court's construction of the provision
that, once the period for the renewed good offices of Saudi Arabia has
elapsed,the two Parties rnay submit the case to the Court, is implausible.
It is to say that it is not the sole, or necessarily the most, plausible
construction that can be made. It rnay alternatively be maintained that
these provisions of the Doha Minutes rather mean that (a) the good
officesof SaudiArabia in addressingthe substance of the dispute between
Bahrain and Qatar shall continue until May 1991; (b) during that
period, the case cannot be submitted to the Court; (c) once that period
has elapsed, the two Parties rnay submit the case to the Court; (d) dur-

ing the time of the consideration of the case by the Court, Saudi Arabia
rnay continue its good offices directed to a substantive settlement; and
(e) if such a settlement is attained, the case shall be withdrawn from the
Court.

What do these provisions, so interpreted, do that would not have
obtained without them?
They do indicate that, not only would Saudi Arabia extend its efforts
to bring about a substantive settlement, but that, during the fivemonths
of that period, the case could not be brought; thereafter it could be.
The text has its striking ambiguities about whether the case then could
be brought jointly or separately. But these provisions of themselves do
not demonstrate that the meaning of the Doha document is that, after
the end of the five-month period, each of the two Parties unilaterally
could submit the case and effectively seise the Court of it. For five

months, the Parties agreed to deny themselves recourse to the Court in
deference to a renewed Saudi Arabian effort to settle their differences;
after that period, "the two parties may" - not shall but rnay- submit
it to the Court. The word "rnay" imports uncertainty and permissive-
ness rather than certainty and obligation. Why? It rnay be argued,
because, given the record of their negotiations, it was clear that the
Parties might or might not reach agreement on the terms of a special
agreement. Thus, contrary to the Court's interpretation,the word "may"
can be interpreted to cut not in favour but against the Qatari
contentions.

What the text and context of the Doha Minutes leave so unclear is,
however, crystal clear when those Minutes are analysed with the assist-

ance of the travaux préparatoires.None of the usual arguments mar-du différend enautorisant la saisineunilatérale?Il est tout aussi plausible
de considérerqu'il ressort des événementsqui ont eu lieu à Doha que
Bahreïn a maintenu imperturbablement sa position selon laquelle le
différend nepouvait êtrerégléque s'il était soumis conjointement à la
Cour dans son intégralitépar la voie d'un compromis. Tellepourrait bien
avoir étéla position de Bahreïn, mêmesi elle ne représentait pas un
((progrès».
Tout cela ne revient pasà dire que la Cour donne de cette disposition

une interprétation qui n'est pas plausible en considérantqu'à l'expiration
de la nouvelle périodedévolueaux bons offices de l'Arabie saoudite les
deux Parties pourraient lui soumettre le différend.Cela revient dire que
ce n'est pas la seule interprétation possible, ni même nécessairement la
plus plausible. On peut aussi bien faire valoir que ces dispositions du pro-
cès-verbalde Doha signifiaientplutôt: a) que les bons officesde l'Arabie
saoudite consacrés à l'examen au fond du différend entre Bahreïn et
Qatar devaient se poursuivre jusqu'en mai 1991;b) qu'au cours de cette
périodele différendne pourrait êtreportédevant la Cour; c) qu'à l'expi-
ration de cette périodeles deux Parties pourraient soumettre l'affaiàela
Cour; d) qu'au cours de l'examen de l'affaire par la Cour l'Arabie saou-

dite pourrait poursuivre ses bons offices en vue du règlement quant au
fond; et e) qu'au cas où un tel règlement interviendrait les Parties se
désisteraientde leur action devant la Cour.
Quel est l'effet de ces dispositions, selon l'interprétation que je viens
d'en donner, qui n'aurait pu êtreobtenu sans elles?
Elles indiquent non seulement que l'Arabie saoudite poursuivrait ses
efforts en vue d'un règlementquant au fond, mais aussi qu'au cours de
cette période decinq mois le différend nepourrait pas êtresoumis à la
Cour; à l'expiration de cette période,une telle soumission serait possible.
Le texte présente des ambiguïtés saisissanteqsuant au point de savoir si
l'affairepourrait alors être portée devanlta Cour conjointement ou sépa-

rément. Mais ces dispositions ne démontrent pas que le document de
Doha signifie qu'à l'expiration de la périodede cinq mois chacune des
deux Parties pourrait unilatéralement soumettre l'affaire et en saisirla
Cour valablement. Par respect pour le nouvel effort déployépar l'Arabie
saoudite en vue de régler leurs différendsl,es Parties sont convenues de
s'interdire de recourir la Cour pour une périodede cinq mois; à l'expi-
ration de cette période,«les deux parties pourront soumettre)- non pas
((soumettront » mais ((pourront soumettre)) l'affairà la Cour. Le verbe
«pourront» dénoteune incertitude et une facultéplutôt qu'une certitude
et une obligation. Pourquoi? On peut soutenir qu'à en juger par l'histo-
rique de leurs négociationsil étaitclair que les Parties pourraient parvenir

ou non à un accord sur les termes d'un compromis. Ainsi, contrairement
à ce qu'a fait la Cour, on peut interpréter le verbe ((pourront)) comme
étant nonpas favorable, mais contraire aux prétentions qataries.
Toutefois, ce qui reste si confus d'aprèsle texte et le contexte du pro-
cès-verbalde Doha devient évidentquand on analyse ce procès-verbal à
l'aide des travaux préparatoires. Aucun des arguments habituellement shalled in opposition to the use of travaux apply. The preparatory work
in this instance is not fragmentary, it is complete. Neither of the Parties
suggested that there is a scrap more; the whole of the record has been
placed before the Court. The preparatory work is not composed of par-
tial, self-serving statementsmade by one side or another in the course of
a complex multilateral negotiation. Rather, a negotiation leading to sig-

nature of what has been held by the Court to be an international agree-
ment - essentially bilateral, in form trilateral, but certainly not the
complex type of multinational agreement that emerges from a global
conference - produced a terse but comprehensive preparatory docu-
ment which comprises al1that the two Parties directly concerned had to
say on the matter at that juncture of their relationship. None of the
preparatory work at issue was or is secret, or known to one but not
another Party. Finally, the preparatory work of itself isnot ambiguous;
on the contrary, a reasonable evaluation of it sustains only the position

of Bahrain.

The Court provides no more explanation of why the travauxprépara-
toires do not provide it with conclusive supplementary elements for the
interpretation of the text adopted than described above. But it also
implies - in referring "to resort to supplementary means of interpreta-
tion - in order to seeka possibleconfirmation of itsinterpretation of the
text" - that it discounts the travaux préparatoireson the ground that

they do not confirm the meaning to which its analysis has led. In my
view, such a position, if it be the position, would be hard to reconcile
with the interpretation of a treaty "in good faith" which is the cardinal
injunction of the Vienna Convention's rule of interpretation. The travaux
préparatoires are no less evidence of the intention of the parties when
they contradict as when they confirm the allegedly clear meaning of the
text or context of treaty provisions.
These considerations have special force when the treaty at issue is one
that is construed to confer iurisdiction on the Court. Where the travaux

préparatoires of a treaty dimonstrate the lack of a common intention of
the parties to conferjurisdiction on the Court, the Court is not entitled to
base itsjurisdiction on that treaty.

(Signed) Stephen M. SCHWEBEL.avancéscontre l'utilisation des travaux n'est valableen l'occurrence. En
l'espèce, lestravaux préparatoires ne sont pas fragmentaires, ils sont
complets. Aucune des deux Parties n'a laisséentendre qu'ils compre-
naient la moindre piècesupplémentaire;ledossier tout entier a été mis à la

disposition de la Cour. Les travaux préparatoires ne sont pas constitués
de déclarations partialeset intéressées faitpar l'une ou l'autre Partie au
cours d'une négociation multilatéralecomplexe. Au contraire, des négo-
ciations aboutissant à la signature de ce que la Cour a considéré comme
un accord international - bilatéral quant au fond et trilatéral dans
la forme, mais certainement pas le genre d'accord multilatéralcomplexe
issu d'une conférence à l'échellemondiale - ont débouchésur un docu-
ment préparatoire concis mais complet qui contient tout ce que les deux
Parties directement concernéesavaient à dire sur la questionà ce stade de
leur relation. Aucun élément destravaux préparatoires n'est ou n'était

confidentiel ou connu d'une seulePartie. Enfin, lestravaux préparatoires
ne sont pas ambigus; au contraire, une appréciation raisonnable de
ceux-ci milite uniquement en faveur de la position de Bahreïn.
La Cour n'explique pas davantage pourquoi les travaux préparatoires
ne lui fournissent aucun moyen de preuve complémentaire déterminant
aux finsde l'interprétationdu texte adopté.Mais ellelaisse aussi entendre
- en parlant de ((recourirà ces moyens complémentairespour y recher-
cher une confirmation éventuellede l'interprétation qu'elle a tiréedu
texte» - qu'ellefait abstraction des travaux préparatoires parcequ'ils ne

confirment pas le sens que son analyse a dégagéA . mon avis, si telle est
bien la position de la Cour, elle serait difficilementcompatible avec une
interprétation de ((bonne foi)), conformément à la règle qui, selon la
convention de Vienne, s'impose enmatière d'interprétationdes traités.
Les travaux préparatoires ne témoignent pas moins de l'intention des
parties lorsqu'ils contredisent que lorsqu'ils confirment le sens prétendu-
ment clair du texte ou du contexte des dispositions conventionnelles.
Ces considérations sont particulièrement importantes quand le traité
débattuest interprété de manière à attribuer compétence à la Cour. Siles
travaux préparatoires d'un traité démontrent queles parties n'ont pas eu

pour intention commune de conférer compétence à la Cour, celle-ci ne
peut pas se prévaloir dece traitépour établirsa compétence.

(Signé) Stephen M. SCHWEBEL.

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Document Long Title

Opinion dissidente de M. Schwebel, vice-président (traduction)

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