Opinion individuelle de M. Shahabuddeen (traduction)

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084-19950630-JUD-01-02-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. SHAHABUDDEEN

[Traduction]

L'affaire met en jeu d'importants principes du droit international
contemporain - principes qui ont changé la physionomie de la commu-
nauté internationale, modifiéla composition de ses principales institu-
tions, agi sur leur orientation et influésur leur façon de voir. Mais le
mandat de la Cour étant limitépar le caractère consensuelde sajuridic-
tion, la Cour a fait dépendre sa décision de la question préliminaire de
savoir dans quelle mesure elle peut statuer quand l'issue du différend
pourrait avoir des incidencessur la position juridique d'une tiercepartie.

A l'appui de l'arrêtj,e formule quelques observations supplémentaires.

1. LE PRINCIPE SUIVANT LEQUEL LA COUR NE PEUT PAS EXERCER
SA JURIDICTION À L'ÉGARD D'UN ETAT SANS SON CONSENTEMENT

Traduisant une conception généraledu droit interne, l'article 59 du
Statut de la Cour dispose que ([l]adécision dela Cour n'est obligatoire

que pour les parties en litige et dans le cas qui a étédécidé)).Maisil ne
s'ensuitpas que la Cour a toute latitude pour trancher un différendentre
des parties sans tenir aucun compte des incidences que sa décision peut
avoir pour la position juridique d'une non-partie. En vertu de la règle
concernant les((partiesindispensables »,quelque formeque celle-cirevête,
le problèmeest résolu endroit interne par l'exerciceappropriédu pouvoir
de prescrirela participationàl'instance d'unEtat tiers. Or, ce pouvoir fait
défaut à la Cour; et le droit d'intervention ou le droit d'introduire une
instance distincte quand c'est possible n'est pas toujours une garantie

suffisante.Par conséquent,quand la situation est telleque l'arrêtdemandé
va représenteren fait, sinon en droit, une décisionconcernant lesdroits et
obligations d'une non-partie, il est demandé à la Cour d'exercer sa juri-
diction à l'égard d'unEtat en l'absence de son consentement.Or, l'arrêt
rendu dans l'affaire de l'Ormonétairepris à Rome en 1943 dit que la
Cour ne le peut pas.
Ceprécédena t suscitédesinterrogations'. En un sensfondamental, ces
interrogations tiennentà ce que, comme l'a fait observerM. Jessup: «Le

droit établit constamment un équilibreentre des intérêts divergents.))
(BarcelonaTraction, Light and PowerCompany,Limited, deuxièmephase,

'Certaines de cesquestions ont été examinéepsar D. H. N. Johnson, «The Case of the
Monetary Gold Removed from Rome in 1943», International and Comparative Law
Nicaragua, affaire des Activités militaires etparamilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaraguac.Etats-Unis d'Amérique), en date du 30juin 1984,par. 257.arrêt, C.Z.J R.ecueil 1970, p. 206, par. 81; opinion individuelle.) En
l'espèce, leintérêts contradictoires entre lesquelil faut assurer l'équilibre
si l'on veut éviter qu'ilse heurtent sont ceux du Portugal - obtenir que
la Cour statue sur le différendindépendammentdes effets possiblesde la
décisionsur l'Indonésie - et ceux de l'Indonésie - obtenir que la Cour
ne se prononce pas sur ses droits et obligations sans son consentement.

Des problèmesde ce type sont susceptibles de se poser parce que, vu le
caractère de plus en plus complexe que revêtent les relationsinternatio-
nales, il est rare que les différendsd'ordre juridique entre Etats soient
purement bilatéraux. Commeon l'afait valoir devant la Cour à l'occasion
d'une autre affaire, l'argument qui suit logiquement est que :

((vouloir empêcher laCour de statuer sans la présencede tous ces
Etats, mêmequand les parties à la procédureont pleinement accepté
sa compétence, seraitdonc soumettre à une restriction grave et arbi-
traire sa faculté de s'acquitterde ses fonctions»'.

Il est difficilede situer avecprécisionlepoint d'équilibreentre cesconsi-
dérationsopposéessans que la Cour ait parfois à exercer sa compétence
quand bien mêmeles intérêts d'un Etat non partie à l'instance devraient
en êtreaffectésdans une certaine mesure, comme il est arrivédans quel-
ques affaires. Une interprétation équitableserait de dire que la Cour
s'emploie à définirune limite au-delà de laquelle l'effetde sa décisionpour

1'Etat non partie atteindrait un degréqui ne serait plus judiciairement
tolérable. Cette limite est atteinte lorsque, pour reprendre les termes
mêmesde la Cour, les intérêtjsuridiques de 1'Etatnon partie ne seraient
pas simplement affectéspar l'arrêt maisen constitueraient l'objet même.
Peut-êtreaurait-on pu trouver une autre formule; mais le critère ainsi
adoptén'est pas, quant au fond, un élémentnouveau de la penséejuri-
dique. Ce problème juridique à résoudrese retrouve de manière similaire
dans d'autres secteurs du droit: il s'agit de savoir dans quelle mesure un
choix donnépeut être considéré commsee situant dans un domaine auto-
risé bien qu'ilproduise des effets dans un domaine exclu. En songeant

certainement à la pratique constitutionnelle de certains Etats, sir Percy
Spender, dans l'affaire relativeà l'Application de la convention de 1902
pour régler latutelle des mineurs, faisait observer qu'«une loi peut pro-
duire des effets dans une certaine matière sans êtrepour autant une loi
portant sur cette matière» (C.I.J. Recueil 1958,p. 118).Il serait possible
mutatis mutandis d'appliquer cette approche au problème dont la Cour
est saisie: l'arrêtqui lui est demandéproduirait-il un effet qui touche aux
intérêts juridiques de l'Indonésie sans êtproeur autant un arrêtportant
sur les intérêtsen question?
Bien sûr, on peut tirer argument des situations marginales; mais il y a

une lignede démarcationet dans la pratique il est souvent possible de dire
que telle situation se situe en deçà ou au-delà. L'affaire deOr monétaire

lMémoiredu Nicaragua, cità la note précédente,par. 248.

34représente cettelignede démarcation.Quellesque soient lescritiques de la
doctrine, leprincipe fondamental de l'affaire n'apas été contesté. Mêm sie
les circonstances de l'affaire del'Or monétaire nese sont pas reproduites
de manière identique,le principe de l'arrêt aété affirmé. Il ne serait pas
non plus exact de dire, sans nuancer fortement l'affirmation,que, depuis
1954,le principe de l'Or monétairen'a d'aucunemanière été appliqué;il
est possible d'attribuer la façon dont les arrêtsont été formuléd sans cer-

taines affairesàla nécessitéde tenir dûment compte du principe'. Quand il
n'estpas possible de distinguerentre lescirconstances d'une affaire et celles
de l'Or monétaire, ledit principe s'applique incontestablementE. n l'espèce,
ce que le Portugal a voulu faire, c'estprécisément différencierl'instancdee
l'affaire del'Ormonétaire, etnon pas contester ceprécédentS . on conseila
rejetélesarguments de l'Australiequi tendaient, à son avis,«à faire penser
que le Portugal remet en causele bien-fondé de l'Or monétaire))(CR 9516,
p. 11,M. Dupuy). Il n'ya pas lieu d'examinerici toutes les affaires, réelles

ou hypothétiques,dont on peut penser qu'elles appuient la tentative de
s'écarter del'Or monétaire.L'arrêtse réfère à l'affairede Certaines terres
à phosphates àNauru (Nauru c.Australie). Je me bornerai, pour ma part,
à évoquer uneautre affaire.
L'affaire du Détroitde Corfou,fond, est celle qui se rapproche le plus
de l'idéeque la Cour est compétentedansla présente instancenonobstant
toutes les questions susceptibles d'être poséeasu sujet de la licéitédu
comportement d'un Etat tiers. Dans cette affaire, l'argument de 1'Alba-
nie, comme le rappelle très bien M. Weeramantry dans l'opinion dissi-

dente qu'il a jointe au présent arrêt,aurait dû suffire à alerter la Cour
quant àla question de savoir si ellepouvait,à juste titre, débouter1'Alba-
nie sans prendre position sur la responsabilitéinternationale de la You-
goslavie en l'absencede celle-ci2.Mais il ne me semble pas que la Cour
ait examinéles moyens de preuve dans le but de conclure à la responsa-
bilitéinternationale de la Yougoslavie enraison du comportementqui lui
était reproché;elle cherchait à établirsi le Royaume-Uni avait ou non
raison de soutenir que le mouillage des mines avait étéeffectué avecla

connivence de l'Albanie. Tenant pour acquis que le mouillage des mines
avait été effectué par deux navires de guerre yougoslaves, le Royaume-
Uni soutenait que ce fait

((impliquerait une collusion entre le Gouvernement albanais et le
Gouvernement yougoslave, collusion qui se serait manifestée ou

'Plateau continental(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), àfin d'intervention,
arrêt,C.Z.J. Recueil 1981, p. 20, par. 35; Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe
libyenne), arrêt,C.I.J. Recueil 1982,62,par. 75, et p. 94, par. 133,al. C 3, dernière
phrase;Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte),àrfin d'interven-
tion, arrêt,C.Z.J. Recueil 1984, p. 25-27, par. 40-43, et Plateau continental (Jamahiriya
arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J.Recueil 1985,p. 25-28, par. 21-23.
Voir aussiC.Z.J. Mémoires, Détroitde Corfou, vol. IV, p. 609-610, duplique de
M. Joe Nordmann, conseil du Gouvernement albanais. dans une demande d'assistance par le Gouvernement albanais au
Gouvernement yougoslave, ou par un acquiescement au mouillage
par les autorités albanaises))C.I.J. Recueil 1949, p. 16, et C.I.J.
Mémoires,Détroitde Corfou, vol. IV, p. 495, sir Frank Soskice).

Par sa demande d'assistance ou son acquiescement supposé,l'Albanie
serait devenue l'auteur des actes de la Yougoslavie; et c'est en devenant
l'auteur des actes de la Yougoslavie qu'elle aurait engagé sapropre res-
ponsabilité internationale. Concrètement, la preuve du mouillage des
mines par la Yougoslavie aurait étél'un des éléments defait prouvant
que l'Albanie avait commis des actes engageant sa propre responsabilité
internationale. La Cour, aux fins de conclureà la responsabilitéinterna-

tionale de l'Albanie, n'avait donc pas déciderque la Yougoslavie avait
engagé saresponsabilité internationale du fait du comportement qui lui
était imputé, c'est-à-direle mouillage des mines.Il ne se posait paà la
Cour de problèmedu type de celui qui fut plus tard soulevédans l'affaire
de l'Or monétaire,où la Cour aurait dû déciderque 1'Etatabsent avait
engagésa responsabilité internationale avant d'êtreen mesure d'écarter
juridiquement le droit de propriété reconnude cet Etat sur l'or afin d'en
transférer la propriété d'autres Etats. L'affaire du Détroitde Corfoune
s'oppose pas à celle de l'Or monétaire;elle n'indique pas non plus que
cette dernière soit inapplicable aux circonstances de l'espèce.
En 1984,la Cour a fait observer que «les circonstancesde l'affaire de
l'Or monétairemarquent vraisemblablement la limite du pouvoir de la
Cour de refuser d'exercer sajuridiction))(Activitésmilitaires et parami-

litaires au Nicaragua et contrecelui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amé-
rique), compétence et recevabilité, arrêC t,.I.J. Recueil 1984,p. 431,
par. 88). Il est vrai aussi qu'en dehors du domaine où il est exclu qu'elle
pénètre «la Cour doit avoir la faculté, et elle a en fait l'obligation, de se
prononcer aussi complètement que possible dans les circonstances de
chaque espèce))(Plateau continental (Jarnahiriyaarabelibyenne/Malte),
requête à Jin d'intervention, arrêt, C.I.J.Recueil 1984, p. 25, par. 40).
Mais il est égalementreconnu dans ces observations que le principe de
l'affairedel'Or monétairedemeure intact, car il est fondé directementsur
le caractère consensuel de la compétencede la Cour en matière conten-
tieuse. Le principe empêche-t-illa Cour de statuer sur le fond de la
requête duPortugal?

II. L'ARRET DEMANDÉ À LA COUR LUI IMPOSE-T-IL DE STATUER
SUR LES INTÉRÉTS JURIDIQUES DE L'INDONÉSIE?

Le Portugal fonde sa demande sur la prémissesuivant laquelle c'est lui
qui possèdele pouvoir exclusifde conclure des traitésau nom du Timor
oriental en ce qui concerne les ressources de son plateau continental,

quelle que soit la source dudit pouvoir. L'Australie soutient que c'est
l'Indonésie quipossèdece pouvoir. La prémissedu Portugal est donc en
litige. La Cour doit d'abord trancher ce litige concernant la prémissedu
Portugal et déciderque le pouvoir de conclure des traitésappartenait au
Portugal et, partant, n'appartenait pas à l'Indonésie,avant d'aller plus
loin et de décidersil'Australiea engagé sa responsabilitinternationale en
négociant etconcluant le traitéde 1989avec l'Indonésie eten commen-
çant à l'exécuter.Concrètement, pour statuer contre l'Australie, il faut
préalablement décider que l'Indonésie ne possédaitpas le pouvoir de
conclure des traités. Normalement, la Cour ne peut pas prendre une telle
décisionavant d'avoir examiné la question desavoir silescirconstances de

l'entrée etdu maintien de l'Indonésieau Timor oriental empêchaient cette
dernière d'acquérirce pouvoir au regard du droit international général.
Cette décision reviendraità se prononcer sur la responsabilitéinternatio-
nale de l'Indonésie en l'absence deconsentement de sa part. La Cour ne
peut pas procéder ainsi.

Cela semblerait régler l'affaire,si ce n'est que le Portugal fait aussi
valoir que les résolutions del'Assemblée générae lt du Conseil de sécu-
ritéont établi de façon concluante sa qualité d'autoritéadministrante,
que cette qualité implique le pouvoir exclusif de conclure au nom du
Timor oriental des traitésconcernant les ressources du plateau continen-

tal de celui-ci, que ces résolutions doivent êtreconsidéréespar la Cour
comme des donnéeset qu'en conséquencela Cour ne serait pas tenue de
se prononcer sur les intérêts juridiques del'Indonésie.
Toutefois, cette façon de présenter la question n'effacepas le fait que
ce que le Portugal demande à la Cour d'accepter comme des données
n'est pas le simple texte des résolutions, mais bien le texte desdites
résolutionstel qu'il lesinterprète. Les diversesrésolutions constitueraient
le fondement de la décisionde la Cour; elles n'empêcheraientpas que la
Cour soit tenue d'en dire la signification. Comme les Parties en con-
viennent, la Cour a le pouvoir de les interpréter.
L'interprétation que le Portugal donne des résolutionsest fortement
contestéepar l'Australie. Le problème que celle-ci soulève ainsin'a rien
de superficiel; la Cour doit se prononcer ce sujet et elle l'a fait. D'après
la conclusion à laquelle elle est parvenue, les résolutionsne suffisentpas

à déterminersi c'est le Portugal qui a le pouvoir de conclure des traités,
comme il le revendique, ou bien si c'est l'Indonésie qui ace pouvoir,
comme le soutient l'Australie. Avant de pouvoir répondre à cette ques-
tion, il faudrait en examiner d'autres et, notamment, se demander si, en
raison du comportement qui lui est imputé, l'Indonésie aengagé sa res-
ponsabilité internationale d'une façon qui lui ôte, au regard du droit
international généralt,oute qualitépour acquérirce pouvoir de conclure
des traités.Le Portugal accepte que la Cour ne puisse se prononcer si elle
doit à cette fin statuer sur la responsabilité internationale de l'Indonésie. Cependant, mêmesi l'interprétationque donne le Portugal des résolu-
tions était correcte,on aboutirait au mêmerésultat.En fin de compte, la
Cour doit, avant toute chose, êtreconvaincue que, quel qu'en soit le fon-
dement, le pouvoir de conclure des traités appartient au Portugal et non

à l'Indonésie.Si la Cour devait accepter l'interprétation que donne le
Portugal desrésolutions, elledéciderait en effet,sansentendre l'Indonésie
sur une question d'interprétation portant sur le fond, que c'est le Portu-
gal et non l'Indonésiequi détenait le pouvoir de conclure des traités;
accepter l'interprétationdu Portugal reviendrait simplement àétayerplus
rapidement la revendication du Portugal du pouvoir de conclure des trai-
tés. Mais les intérêts juridiquesde l'Indonésien'en seraient pas moins
déterminés sans son consentement.En fait, il s'agit de savoir non seule-
ment sil'interprétation du Portugalestjuste mais égalementsi,enconcluant
qu'elle l'est, laCour se prononcerait sur les intérêts juridiques dendo-
nésie.
De surcroît, comme la Cour ne pourrait pas se prononcer, en vertu du
principe de l'Or monétaire, mêmesi l'interprétation que le Portugal
donne des résolutionsétaitcorrecte, il est possible d'écarter la requdue
Portugal sans que la Cour ait à déterminersi oui ou non les résolutions
doivent êtreinterprétées commel'indique le Portugal; la Cour pourrait
parvenir à sa décisionen présumant que l'interprétation du Portugal est
correcte, sans pourtant se prononcer a ce sujet.

La question peut êtreégalement examinéedu point de vue des effets
qu'aurait l'arrêtdemandésur les droits de l'Indonésieen vertu du traité
de 1989et sur la validitédu traitélui-même.
Tout d'abord, en ce qui concerne les droits de l'Indonésieen vertu du
traité, auxtermes de la conclusion5 b) de la requête,s'ily étaitfait droit,
l'Australie devrait s'abstenir de donner effet au traité,etndonésieper-
drait ainsi le bénéfide l'application du traité parl'Australie. Il ne s'agit
pas là d'une question d'intérêt purement théorique, puisque l'Indonésie
serait privéedes avantages concrets auxquels elle a droit conformément
au traité, y compris d'éventuels avantages financiers, comme l'arrêt
demandédans l'affaire de l'Or monétaireaurait, d'une manière analogue,
privé l'Albanie deson droit aux biens visésdans cette affaire. L'article
du Statut de la Cour ne protégerait pas l'Indonésiecontre de tels effets.
Dans l'affaire El Salvador v. Nicaragua, El Salvador demandait que le
Gouvernement du Nicaragua soit astreint à ne pas appliquer le traité
Bryan-Chamorro '.La Cour de justice centraméricainea estiméque:

«La Cour n'a pas compétencepour déclarernul et non avenu le
traité Bryan-Chamorro, selon la requête de lahaute partie deman-
deresse tendant à ce que le Gouvernement du Nicaragua «soit

'American Journal oflnternational Law, 1917,vol. 11,p. 683. astreintà ne pas appliquer le traitéBryan-Chamorro)). Sur ce point,
la Cour s'abstient de se prononcer puisque, ainsi qu'elle l'a déjà
déclarés,a compétencese borne à déterminerles relations juridiques
entre les hautes parties en litige età rendre des ordonnances les
concernant exclusivement, en tant qu'entitéssouveraines soumises à

sa juridiction. Prononcer d'une manière absoluela nullitédu traité
Bryan-Chamorro ou mêmefaire droit à la simple demande d'une
injonction d'abstention reviendrait à décider desdroits de l'autre
partie signataire du traité, sans avoir entendu cette dernière et sans
que celle-ciait acceptéla juridiction de la Cour.»'

Bien qu'El Salvador n'ait pas demandé une ordonnance déclarant le
traité Bryan-Chamorro nul et non avenu2, de l'avisde la Cour de justice
centraméricaine,la demande d'El Salvadortendant à ce que leNicaragua

«soit astreint à ne pas appliquer)) le traité revenait en faità inviter la
Cour à ((déclarer..le traiténul et non avenu)), ce que naturellement elle
ne pouvait pas faire en l'absencede l'autre partie au traité.Quoi qu'il en
soit, «la simple demande d'une injonction d'abstention)) aurait eu le
même effetqu'une demande de nullité;ellesseraient toutes deux revenues
«à décider desdroits de l'autre partie signataire du traité, sans avoir
entendu cette dernière et sans que celle-ciait acceptéla juridiction de la
Cour)). La demande d'injonction a été refusée.
S'agissant, en second lieu, de la validitédu traitéde 1989,il existe des
situations où la Cour peut estimer qu'une obligation internationale a été
violéepar le fait de négocieret de conclure un traité incompatible avec

cette obligation, sans que cette décision soit considérée comm euchant à
la validitédu traité3.Mais une situation de ce genre est différented'une
situation où l'élément essentiedle la prétendue violationet de toute répa-
ration demandéeimplique nécessairementqu'un Etat partie à un traité
bilatéral conclu avecle défendeur,mais qui n'est pas partie à l'instance,
n'avait pas le pouvoir, en droit international, de conclure le traité. Si
c'étaitlà le véritablefondement de la décision, commece serait le cas dans
la présente instance,il serait difficilede ne pas conclure que la validitédu
traité aété décidée en l'absend ce 1'Etatconcerné.En outre, comme on
l'a dit, une décisionenjoignant à l'Australie de ne pas appliquer le traité
présupposeraiten elle-même une constatation d'invalidité.

'Atnerican Journal of International Law, 1917,vol. 11,p. 729.[Traduction du GreffeJ
Voir la troisièmedemande du Costa Rica dans Costa Rica v. Nicaragua (American
Journal of International Law, 1917, vol. 11, p. 202), qui priait la Cour de «dire et juger
que ledit traitéest nul et non avenu)). Cette demande a étérejetée.

Voir convention de Vienne sur le droit des traités de1969,art. ainsi que les
(American Journal of International Law, 1917,vol. 11,p. 181)et El Salvador v. Nicaragua
(ibid., p. 674), ainsi que l'interprétationpar M. Schücking de l'arrêt rendudans l'affaire
Oscar Chinn (C.P.J.I. sérieA/B no63, p. 148,troisièmeparagraphe). Dans l'affaire El Salvador v. Nicaragua, la Cour de justice centramé-
ricaine a dit clairement, et àjuste titre, qu'elle ne se refuserait pasà sta-
tuer «en invoquant l'argument assez mince qu'un Etat tiers ... a des
intérêtlsiésaux questions en litige))'.Mais de toute évidencela Cour cen-
traméricainen'a pas estiméque l'argument fût «mince» dans la mesure
où l'arrêtdemandél'aurait obligée àse prononcer sur les droits d'un Etat
non partie, et notamment sur la validitéd'un traité entre cet Etat et le
défendeur.C'est manifestement en partant du principe qu'elle nepouvait
pas trancher ces questions, soit directement soit indirectement, et qu'elle

ne le ferait pas qu'elleajugé possiblede déclarerque le défendeur(([était]
dans l'obligation - en recourant à tous lesmoyens que lui offrait le droit
international - de rétabliret de maintenir le statut juridique qui existait
antérieurement))au traité2.En fait la Cour a pu se dire compétentepour
statuer à l'égardde certains moyens de réparation demandéspar El Sal-
vador, mais pas de tous. En l'espèce,par contre, il est impossible de faire
droit à un seul des chefs de demande formulés par le Portugal sans
statuer sur les intérêts juridiquesd'un Etat absent.

Présentantun argument intéressantet réfléchil,e conseil du Portugal a
fait valoir que:

((d'autres juridictions...se sont prononcéessur la violation d'obli-
gations découlantd'un traité, dansdes affaires où il y avait conflit
d'obligations, sansqu'ellesse prononcent sur la résolution decelui-ci
en dépit de l'absence del'autre partieau traitéduquel découlait l'autre
obligation incompatible))(CR 95113,p. 55, M. Galvao Teles).

Le conseil a citéles affaires Soering v. United Kingdom (EHRR, vol. 11,
p. 439), The Netherlands v. Short (ILM, 1990,vol. 29-11,p. 1375et suiv.)
et Ng v. Canada (CC PRIC/49/D.469/1991), ajoutant que la fonction des
organes judiciaires dans ces affaires les obligerait «à répondrea la ques-
tion qui leur étaitposée. [Ils]n'avaient pas, par exemple, àdécidersur les
droits des Etats-Unis, partie au traité et absents de l'instance.)) Comme
semble le reconnaître cet argument, la ligne de démarcation est déter-
minéepar la question de savoir si l'arrêtdemandé porterait non seule-
ment sur les droits des parties, mais égalementsur ceux de 1'Etatabsent.
A mon avis, la décisiondemandéeen l'occurrence toucherait aux droits
d'un Etat absent. Les différencesd'institution mises à part, il s'agit là
d'un point sur lequel les trois affaires citéespeuvent êtredistinguées.

'American Journal of International Law, 1917,vol. 11,p. 699.
Zbid., p. 730,cinquièmeparagraphe du disposif. Il a égalementétésoutenu au nom du Portugal que, en vertu de I'ar-
ticle 59du Statut de la Cour, une décisionde cette dernière en faveurde
ce pays ne serait obligatoire que pour lui et l'Australie; l'Indonésie,en
tant que non-partie à l'affaire, ne seraitpas liée.Mais le problème a un
caractère plus fondamental que celui visédans cette disposition. Celle-ci
s'applique à une décisiondûment rendue pour les parties en litige; la
disposition n'entre pas en jeu avant qu'une telle décisionait étérendue
(voir, sur ce point, l'affaire der monétairepris àRome en 1943, arrêt,

C.Z.J. Recueil 1954,p. 33,premier paragraphe). Pour lesraisons exposées
ci-dessus,la décisiondemandéepar le Portugal ne serait pas une décision
dûment rendue mêmepour les Parties en litige. Le fait qu'en vertu de
l'article 59 du Statut l'Indonésie ne seraitpas liée n'estpas une raison
pour que la Cour tente de faire ce qu'elle ne peut pasjuridiquement faire
cette disposition nejoue pas comme une restriction juridique permanente,
sous réservede laquelle la Cour pourrait librement se prononcer sur les
intérêtjsuridiques d'un Etat en l'absence de son consentement.

III. LA PREMIÈRE CONCLUSION DU PORTUGAL

On peut dire un mot sur la question particulière de savoir si les motifs

sur lesquels se fonde l'arrêtont empêché la Cour de faire droit àla pre-
mière des cinq conclusionsdu Portugal, dans laquelle il était demandé à
la Cour de
«[dlire etjuger que, d'une part, les droits du peuple du Timor orien-
talà disposer de lui-même, àl'intégrité et l'unitéde son territoire et
à sa souverainetépermanente sur ses richesses et ressources natu-

relles et, d'autre part, les devoirs, les compétenceset les droits du
Portugal en tant que puissance administrante du Territoire du Timor
oriental sont opposablesà l'Australie, laquelle est tenuede ne pas les
méconnaîtreet de les respecter)).
Point n'est besoin de s'étendre sur la distinction entre moyens et

conclusions1. Le Portugal reconnaît cette distinction; il ne suggèrepas
que la Cour puisse faire droit sa première conclusion considérée en tant
que moyen en faveur de l'arrêtdemandé, sans constituer en soi un élé-
ment de cet arrêt.Il est alors nécessaire d'examinerdans quel sens la pre-
mière conclusiondu Portugal pourrait êtreconsidérée comme un élément
de l'arrêtdemandé.
Cela ne serait possible que si, comme l'indique l'énoncé mêm dee cette
conclusion, une déclarationjudiciaire selon laquelle les droits revendi-
qués seraientopposables à l'Australie étaitnécessairepour que l7Austra-
lie reconnaisse qu'elle est tenue «de ne pas les méconnaître et de les

respecter)). On suppose donc que l'Australie les a méconnus et ne les a

The Law and Procedureof the International Court of Justice, 1986,vol. 2, p. 578et suiv.

41pas respectés.Mais si l'on se demande pourquoi elle serait censéeavoir

agi ainsi, la seule réponseest que l'Austraainégocié ectonclu le traité
de 1989avec l'Indonésieet a commencéde lui donner effet.

Ainsi, la question fondamentale que pose le Portugal dans sa première
conclusion équivaut à celle de savoir si le pouvoir de conclure des traités
revient juridiquement au Portugal ou à l'Indonésie.Comme la Cour ne
peut pas trancher cette dernière question en l'absencede l'Indonésie,elle
n'a pas compétencepour faire droità cette conclusion. Il ne peut être fait
droità une conclusion, quelle que soit la manière dont elle est formulée,
que s'ily a lieu de le faire pour réglerle différendentre les pàl'ins-
tance. Si la Cour ne peut trancher le différend,elle ne peut faire dàoit
aucune des conclusions présentées.

IV. CONCLUSION

Le droit international met l'accent sur le fond, plutôt que sur la forme.
Si l'on considèrele problème sous cet angle, il est manifeste que la
requêtedu Portugal amènerait la Cour à déterminer, en l'absence de
l'Indonésie,les intérêtsjuridiques celle-ci, compris le pouvoir qu'elle
revendique de conclure des traitésau sujet du Timor oriental et la ques-
tion de sa responsabilité internationale, comme condition préalaàlune
décision sur l'allégation du Portugal selon laquelle l'Australie aurait
engagé sa responsabilité internationale envers lui en négociant et en
concluant le traitéde 1989avecl'Indonésieet en en commençant l'exécu-
tion. Je conviens que la Cour ne saurait statuer.

(SignéM )ohamed SHAHABUDDEEN.

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SEPARATE OPINION OF JUDGE SHAHABUDDEEN

The case touches on important principles of contemporary interna-
tional law - principles which have changed the shape of the interna-
tional community, altered the composition of its leading institutions,
affected their orientation, and influencedtheir outlook. But, the mandate
of the Court being limited by the consensual nature of its jurisdiction, its
decision has turned on the preliminary question how far it may adjudi-

cate where the outcome would have consequences for the legal position
of a third Party. In support of the Judgment, 1would add the following
observations.

Reflecting a view generally held in municipal law, Article 59 of the
Statute of the Court provides that "[tlhe decision of the Court has no
binding force except between the parties and in respect of that particular
case". But it does not follow that the Court is free to determine a dispute
between parties in entire disregard of the implications of the decision for
the legal position of a non-party. Under one form or another of an
"indispensable parties" rule, the problem involved is solved in domestic

legal systems through an appropriate exercise of the power of joinder.
The Court lacks that power; and the right of intervention, or to institute
separate legal proceedings where possible, is not always a sufficient safe-
guard. Hence, when situations arise in which the requested judgment
would in fact, even though not in law, amount to a determination of the
rights and obligations of a non-party, the Court is being asked to exercise
jurisdiction over a State without its consent. Monetary Gold Removed
from Rome in 1943 says it cannot do that.

That precedent has given rise to questions l.In a fundamental sensethe
questions stem from the fact that, as was remarked by Judge Jessup,
"Law is constantly balancing conflicting interests" (Barcelona Traction,
Light and Power Company, Limited, Second Phase, Judgment, I.C.J.

1Some were considered in D. H. N. Johnson, "The Case of the Monetary Gold
Removed from Rome in 1943", International and Comparative Law Quarterly, 1955,
Vol. 4,p. 93. The Court had that article before itin 1984.See Memorial of Nicaragua,
Military and Pararnilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United
States of America), Jurisdiction and Adrnissibility, dated 30 June 1984,para. 257. OPINION INDIVIDUELLE DE M. SHAHABUDDEEN

[Traduction]

L'affaire met en jeu d'importants principes du droit international
contemporain - principes qui ont changé la physionomie de la commu-
nauté internationale, modifiéla composition de ses principales institu-
tions, agi sur leur orientation et influésur leur façon de voir. Mais le
mandat de la Cour étant limitépar le caractère consensuelde sajuridic-
tion, la Cour a fait dépendre sa décision de la question préliminaire de
savoir dans quelle mesure elle peut statuer quand l'issue du différend
pourrait avoir des incidencessur la position juridique d'une tiercepartie.

A l'appui de l'arrêtj,e formule quelques observations supplémentaires.

1. LE PRINCIPE SUIVANT LEQUEL LA COUR NE PEUT PAS EXERCER
SA JURIDICTION À L'ÉGARD D'UN ETAT SANS SON CONSENTEMENT

Traduisant une conception généraledu droit interne, l'article 59 du
Statut de la Cour dispose que ([l]adécision dela Cour n'est obligatoire

que pour les parties en litige et dans le cas qui a étédécidé)).Maisil ne
s'ensuitpas que la Cour a toute latitude pour trancher un différendentre
des parties sans tenir aucun compte des incidences que sa décision peut
avoir pour la position juridique d'une non-partie. En vertu de la règle
concernant les((partiesindispensables »,quelque formeque celle-cirevête,
le problèmeest résolu endroit interne par l'exerciceappropriédu pouvoir
de prescrirela participationàl'instance d'unEtat tiers. Or, ce pouvoir fait
défaut à la Cour; et le droit d'intervention ou le droit d'introduire une
instance distincte quand c'est possible n'est pas toujours une garantie

suffisante.Par conséquent,quand la situation est telleque l'arrêtdemandé
va représenteren fait, sinon en droit, une décisionconcernant lesdroits et
obligations d'une non-partie, il est demandé à la Cour d'exercer sa juri-
diction à l'égard d'unEtat en l'absence de son consentement.Or, l'arrêt
rendu dans l'affaire de l'Ormonétairepris à Rome en 1943 dit que la
Cour ne le peut pas.
Ceprécédena t suscitédesinterrogations'. En un sensfondamental, ces
interrogations tiennentà ce que, comme l'a fait observerM. Jessup: «Le

droit établit constamment un équilibreentre des intérêts divergents.))
(BarcelonaTraction, Light and PowerCompany,Limited, deuxièmephase,

'Certaines de cesquestions ont été examinéepsar D. H. N. Johnson, «The Case of the
Monetary Gold Removed from Rome in 1943», International and Comparative Law
Nicaragua, affaire des Activités militaires etparamilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaraguac.Etats-Unis d'Amérique), en date du 30juin 1984,par. 257.Reports 1970, p. 206, para. 81, separate opinion). The interests which
are in conflict here, and which need to be balanced against each other if
collision is to be avoided, are those of Portugal in having its case deter-
mined by the Court notwithstanding possible effects of the decision on

Indonesia, and those of Indonesia in not having its rights and obliga-
tions determined by the Court without its consent. Problems of this kind
are apt to arise from the fact that, in the increasingly complex character
of international relations, legal disputes between States are rarely purely
bilateral. The argument follows that, as it was put to the Court in
another case, if

"the Court could not adjudicate without the presence of al1 such
States, even where the parties before it had consented fully to its
jurisdiction, the result would be a severe and unwarranted constric-
tion of the Court's ability to carry out its functions" l.

It is difficult to think of any point at which a balance may be struck
between these competing considerations without the Court having some-
times to assumejurisdiction notwithstanding that the interests of a non-
party State would to some extent be affected, as has happened in some
cases. A fair interpretation is that what the Court has been doing was to
identify some limit beyond which the degree to which the non-party State
would be affected would exceed what isjudicially tolerable. That limit is
reached where, to follow the language of the Court, the legal interests of
the non-party would not merely be affected by the judgment, but would
constitute its very subject-matter.
Possibly another formulation might have been invented; but the test
adopted is not in substance new to legal thought. The juridical problem

to be solved has recognizable parallels in other areas of the law: it con-
cerns the extent to which a given course of action could be regarded as
lying within a permissible field although it produces effectswithin a for-
bidden one. No doubt with the constitutional jurisprudence of some
countries in mind, in the case of the Application of the Convention of
1902 Governing the Guardianship of IndfantsJudge Sir Percy Spender
remarked that a "law may produce an effect in relation to a subject-
matter without being a law on that subject matter" (1.C.J. Reports 1958,
p. 118). That approach could be redirected to the problem before the
Court: would the requested judgment produce an effect in relation to
the legal interests of Indonesia without being a judgment on those
interests?

Obviously, there could be argument concerning marginal situations;

but there is a dividing line, and it is often practicable to Saythat a given
situation falls on one side or the other of it. Monetary Gold represents

'Memorial of Nicaragua, cited in the preceding note, para. 248arrêt, C.Z.J R.ecueil 1970, p. 206, par. 81; opinion individuelle.) En
l'espèce, leintérêts contradictoires entre lesquelil faut assurer l'équilibre
si l'on veut éviter qu'ilse heurtent sont ceux du Portugal - obtenir que
la Cour statue sur le différendindépendammentdes effets possiblesde la
décisionsur l'Indonésie - et ceux de l'Indonésie - obtenir que la Cour
ne se prononce pas sur ses droits et obligations sans son consentement.

Des problèmesde ce type sont susceptibles de se poser parce que, vu le
caractère de plus en plus complexe que revêtent les relationsinternatio-
nales, il est rare que les différendsd'ordre juridique entre Etats soient
purement bilatéraux. Commeon l'afait valoir devant la Cour à l'occasion
d'une autre affaire, l'argument qui suit logiquement est que :

((vouloir empêcher laCour de statuer sans la présencede tous ces
Etats, mêmequand les parties à la procédureont pleinement accepté
sa compétence, seraitdonc soumettre à une restriction grave et arbi-
traire sa faculté de s'acquitterde ses fonctions»'.

Il est difficilede situer avecprécisionlepoint d'équilibreentre cesconsi-
dérationsopposéessans que la Cour ait parfois à exercer sa compétence
quand bien mêmeles intérêts d'un Etat non partie à l'instance devraient
en êtreaffectésdans une certaine mesure, comme il est arrivédans quel-
ques affaires. Une interprétation équitableserait de dire que la Cour
s'emploie à définirune limite au-delà de laquelle l'effetde sa décisionpour

1'Etat non partie atteindrait un degréqui ne serait plus judiciairement
tolérable. Cette limite est atteinte lorsque, pour reprendre les termes
mêmesde la Cour, les intérêtjsuridiques de 1'Etatnon partie ne seraient
pas simplement affectéspar l'arrêt maisen constitueraient l'objet même.
Peut-êtreaurait-on pu trouver une autre formule; mais le critère ainsi
adoptén'est pas, quant au fond, un élémentnouveau de la penséejuri-
dique. Ce problème juridique à résoudrese retrouve de manière similaire
dans d'autres secteurs du droit: il s'agit de savoir dans quelle mesure un
choix donnépeut être considéré commsee situant dans un domaine auto-
risé bien qu'ilproduise des effets dans un domaine exclu. En songeant

certainement à la pratique constitutionnelle de certains Etats, sir Percy
Spender, dans l'affaire relativeà l'Application de la convention de 1902
pour régler latutelle des mineurs, faisait observer qu'«une loi peut pro-
duire des effets dans une certaine matière sans êtrepour autant une loi
portant sur cette matière» (C.I.J. Recueil 1958,p. 118).Il serait possible
mutatis mutandis d'appliquer cette approche au problème dont la Cour
est saisie: l'arrêtqui lui est demandéproduirait-il un effet qui touche aux
intérêts juridiques de l'Indonésie sans êtproeur autant un arrêtportant
sur les intérêtsen question?
Bien sûr, on peut tirer argument des situations marginales; mais il y a

une lignede démarcationet dans la pratique il est souvent possible de dire
que telle situation se situe en deçà ou au-delà. L'affaire deOr monétaire

lMémoiredu Nicaragua, cità la note précédente,par. 248.

34that line. Whatever the academic criticisms, the essential principle of the
case has not been challenged. The case may be distinguished, but the
cases distinguishing it have also affirmed it. Nor would it be correct to
Say, without important qualification, that since 1954 the principle of
the case has in no sense been applied; it is possible to attribute the shape
of the judgments given in some of the cases to the need to take account
of it'. Certainly, where a case cannot be distinguished, the principle

applies. In this case, the effort of Portugal was to distinguish and not
to attack Monetary Gold; its counsel rejected what he understood to be
an Australian attempt to "imply that Portugal is questioning the sound-
ness of the Monetary Gold case" (CR 9516,p. 11, Professor Dupuy). It
is not necessary to examine al1the cases, real or hypothetical, which may
be thought supportive of an attempt to distinguish Monetary Gold. The
case concerning Certain Phosphate Lands in Nauru (Nauru v. Australia)
has been considered in the Judgrnent. 1 shall limit myself to one other
case.

Corfu Channel, Merits, comes closest to the view that the Court is not
necessarily prevented from acting by the circumstance that the lawful-
ness of the conduct of a third State may seem to be involved. In that
case, the argument of Albania, as correctly recalled in Judge Weera-
mantry's dissenting opinion to the present Judgment, should have been
enough to alert the Court to the question whether it could properly find
against Albania if it could not do so without making a determination as

to Yugoslavia's international responsibility in its absence2. However, it
does not appear to me that the evidence was examined with a view to
making a finding of international responsibility against Yugoslavia in
respect of its alleged conduct; it was examined as a method of proof, or
disproof, of the British allegation that the mines had been laid with the
connivance of Albania. Assuming that the minelaying operation had
been carried out by two Yugoslav warships, the United Kingdom argued
that this

"would imply collusion between the Albanian and the Yugoslav

Governments, consisting either of a request by the Albanian Gov-

' Continental Shelf (Tunisia/Libyan Arab Jamahiriya), Application for Permission to
Zntervene,Judgment, I.C.J. Reports 1981, p. 20, para. 35; Continental Shelf (Tunisia/
Libyan Arab Jamahiriya), Judgment, I.C.J. Reports 1982,pp. 61-62,para. 75, and p. 94,
para. 133, subpara. (3), last sentence; Continental Shelf (Libyan Arab Jarnahiriyu/
Malta), Application for Permissionto Zntervene,Judgment, I.C.J. Reports 1984, pp. 25-
27, paras. 40-43; and Continental Shelf (Libyan Arab Jamahiriya/Malta), Judgment,
I.C.J. Reports 1985,. 25-28,paras. 21-23.
See also,C.J. Pleadings, Corfu Channel,Vol. IV, pp. 609-610,duplique de M. Joe
Nordmann, conseil du Gouvernement albanais.représente cettelignede démarcation.Quellesque soient lescritiques de la
doctrine, leprincipe fondamental de l'affaire n'apas été contesté. Mêm sie
les circonstances de l'affaire del'Or monétaire nese sont pas reproduites
de manière identique,le principe de l'arrêt aété affirmé. Il ne serait pas
non plus exact de dire, sans nuancer fortement l'affirmation,que, depuis
1954,le principe de l'Or monétairen'a d'aucunemanière été appliqué;il
est possible d'attribuer la façon dont les arrêtsont été formuléd sans cer-

taines affairesàla nécessitéde tenir dûment compte du principe'. Quand il
n'estpas possible de distinguerentre lescirconstances d'une affaire et celles
de l'Or monétaire, ledit principe s'applique incontestablementE. n l'espèce,
ce que le Portugal a voulu faire, c'estprécisément différencierl'instancdee
l'affaire del'Ormonétaire, etnon pas contester ceprécédentS . on conseila
rejetélesarguments de l'Australiequi tendaient, à son avis,«à faire penser
que le Portugal remet en causele bien-fondé de l'Or monétaire))(CR 9516,
p. 11,M. Dupuy). Il n'ya pas lieu d'examinerici toutes les affaires, réelles

ou hypothétiques,dont on peut penser qu'elles appuient la tentative de
s'écarter del'Or monétaire.L'arrêtse réfère à l'affairede Certaines terres
à phosphates àNauru (Nauru c.Australie). Je me bornerai, pour ma part,
à évoquer uneautre affaire.
L'affaire du Détroitde Corfou,fond, est celle qui se rapproche le plus
de l'idéeque la Cour est compétentedansla présente instancenonobstant
toutes les questions susceptibles d'être poséeasu sujet de la licéitédu
comportement d'un Etat tiers. Dans cette affaire, l'argument de 1'Alba-
nie, comme le rappelle très bien M. Weeramantry dans l'opinion dissi-

dente qu'il a jointe au présent arrêt,aurait dû suffire à alerter la Cour
quant àla question de savoir si ellepouvait,à juste titre, débouter1'Alba-
nie sans prendre position sur la responsabilitéinternationale de la You-
goslavie en l'absencede celle-ci2.Mais il ne me semble pas que la Cour
ait examinéles moyens de preuve dans le but de conclure à la responsa-
bilitéinternationale de la Yougoslavie enraison du comportementqui lui
était reproché;elle cherchait à établirsi le Royaume-Uni avait ou non
raison de soutenir que le mouillage des mines avait étéeffectué avecla

connivence de l'Albanie. Tenant pour acquis que le mouillage des mines
avait été effectué par deux navires de guerre yougoslaves, le Royaume-
Uni soutenait que ce fait

((impliquerait une collusion entre le Gouvernement albanais et le
Gouvernement yougoslave, collusion qui se serait manifestée ou

'Plateau continental(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), àfin d'intervention,
arrêt,C.Z.J. Recueil 1981, p. 20, par. 35; Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe
libyenne), arrêt,C.I.J. Recueil 1982,62,par. 75, et p. 94, par. 133,al. C 3, dernière
phrase;Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte),àrfin d'interven-
tion, arrêt,C.Z.J. Recueil 1984, p. 25-27, par. 40-43, et Plateau continental (Jamahiriya
arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J.Recueil 1985,p. 25-28, par. 21-23.
Voir aussiC.Z.J. Mémoires, Détroitde Corfou, vol. IV, p. 609-610, duplique de
M. Joe Nordmann, conseil du Gouvernement albanais. ernment to the Yugoslav Government for assistance, or of acquies-
cence by the Albanian authorities in the laying of the mines" (I.C.J.
Reports 1949, p. 16; and I.C.J. Pleadings, Corfu Channel, Vol. IV,
p. 495, Sir Frank Soskice).

By its suggested request or acquiescence,Albania would make Yugosla-
via'sacts its own; it would be by making Yugoslavia's acts its ownthat
it would engage international responsibility. In effect, proof of the mines
having been laid by Yugoslavia would be part of the factualerial evi-
dencing the commission of acts by Albania which independently engaged
its international responsibility. A determination by the Court that
slavia engaged international responsibility by reason of its alleged con-
duct in laying the mines would not have to be made for the purpose of
making a finding of international responsibility against Albania. The
Court did not have before it the type of issueter raised in Monetary

Gold, in which a determination that the absent State had engaged inter-
national responsibility would have had to be made as a precondition to
its admitted ownership of the gold being legally setide by the Court
and passed on by it to others. Corfu Channel is not at variance with
Monetary Gold; nor does it show that the latter is inapplicable to the
circumstances of the instant case.

In 1984the Court observed that the "circumstances of theMonetary
Gold case probably represent the limit of the power of the Court to refuse
to exercise its jurisdiction"litary and Paramilitary Activities in and
against Nicaragua (Nicaragua v. United States of America), Jurisdiction
and Admissibility, Judgment,.C.J. Reports 1984, p. 431,para. 88).True,
too, outside of the prohibited area, "it must be open to the Court, and
indeed its duty, to givethellest decision it may in the circumstances of
each case" (Continental Shelf (Libyan Arab JamahiriyaiMalta), Appli-

cationfor Permission to Intervene, Judgment, 1.C.J. Reports 1984, p. 25,
para. 40). But these remarks also recognizedthat the principle of the case
remains intact, being directly founded on the consensual nature of the
Court's contentiousjurisdiction. Would it apply to prevent the Court
from adjudicating on the merits of Portugal's case?

II. WHETHER THE REQUESTE JDDGMEN WTOULDREQUIRE
THE COURT TO DETERMINIE NDONESIA L'SGAL INTERESTS

The premise of Portugal's claim is that, whatever may be the basis, it
possesses the exclusive power to enter into treaties on behalf of East
Timor in respect of the resources of its continental shelf; Australia
tends that it is Indonesia which possessesthe power. The premise of Por-
tugal's claimisthus in dispute. dans une demande d'assistance par le Gouvernement albanais au
Gouvernement yougoslave, ou par un acquiescement au mouillage
par les autorités albanaises))C.I.J. Recueil 1949, p. 16, et C.I.J.
Mémoires,Détroitde Corfou, vol. IV, p. 495, sir Frank Soskice).

Par sa demande d'assistance ou son acquiescement supposé,l'Albanie
serait devenue l'auteur des actes de la Yougoslavie; et c'est en devenant
l'auteur des actes de la Yougoslavie qu'elle aurait engagé sapropre res-
ponsabilité internationale. Concrètement, la preuve du mouillage des
mines par la Yougoslavie aurait étél'un des éléments defait prouvant
que l'Albanie avait commis des actes engageant sa propre responsabilité
internationale. La Cour, aux fins de conclureà la responsabilitéinterna-

tionale de l'Albanie, n'avait donc pas déciderque la Yougoslavie avait
engagé saresponsabilité internationale du fait du comportement qui lui
était imputé, c'est-à-direle mouillage des mines.Il ne se posait paà la
Cour de problèmedu type de celui qui fut plus tard soulevédans l'affaire
de l'Or monétaire,où la Cour aurait dû déciderque 1'Etatabsent avait
engagésa responsabilité internationale avant d'êtreen mesure d'écarter
juridiquement le droit de propriété reconnude cet Etat sur l'or afin d'en
transférer la propriété d'autres Etats. L'affaire du Détroitde Corfoune
s'oppose pas à celle de l'Or monétaire;elle n'indique pas non plus que
cette dernière soit inapplicable aux circonstances de l'espèce.
En 1984,la Cour a fait observer que «les circonstancesde l'affaire de
l'Or monétairemarquent vraisemblablement la limite du pouvoir de la
Cour de refuser d'exercer sajuridiction))(Activitésmilitaires et parami-

litaires au Nicaragua et contrecelui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amé-
rique), compétence et recevabilité, arrêC t,.I.J. Recueil 1984,p. 431,
par. 88). Il est vrai aussi qu'en dehors du domaine où il est exclu qu'elle
pénètre «la Cour doit avoir la faculté, et elle a en fait l'obligation, de se
prononcer aussi complètement que possible dans les circonstances de
chaque espèce))(Plateau continental (Jarnahiriyaarabelibyenne/Malte),
requête à Jin d'intervention, arrêt, C.I.J.Recueil 1984, p. 25, par. 40).
Mais il est égalementreconnu dans ces observations que le principe de
l'affairedel'Or monétairedemeure intact, car il est fondé directementsur
le caractère consensuel de la compétencede la Cour en matière conten-
tieuse. Le principe empêche-t-illa Cour de statuer sur le fond de la
requête duPortugal?

II. L'ARRET DEMANDÉ À LA COUR LUI IMPOSE-T-IL DE STATUER
SUR LES INTÉRÉTS JURIDIQUES DE L'INDONÉSIE?

Le Portugal fonde sa demande sur la prémissesuivant laquelle c'est lui
qui possèdele pouvoir exclusifde conclure des traitésau nom du Timor
oriental en ce qui concerne les ressources de son plateau continental,

quelle que soit la source dudit pouvoir. L'Australie soutient que c'est
l'Indonésie quipossèdece pouvoir. La prémissedu Portugal est donc en
litige. The Court must first resolve this dispute relating to Portugal's premise,
by determining that the treaty-making power belonged to Portugal and
therefore of necessity that it did not belong to Indonesia, before it could
go on to determine whether Australia engaged international responsibil-
ity by negotiating and concluding the 1989Treaty with Indonesia and by
commencing to implement it. In effect, a prerequisite to a decision
against Australia is a determination that Indonesia did not possess the
treaty-making power. In the ordinary way, the Court could not make
that determination without considering whether the circumstances of
Indonesia's entry into and continuing presence in East Timor disqualified

it from acquiring the power under general international law. That would
involve the determination of a question of Indonesia's responsibility in
the absence of its consent. The Court cannot do that.

That would seemto end the case, but for an argument by Portugal that
the resolutions of the General Assembly and the Security Council con-
clusively established its status as the administering Authority; that that
status carried with it the exclusivepower to enter into treaties on behalf
of East Timor in respect of the resources of its continental shelf; that the
resolutions should in these respects be treated by the Court as données;
and that in consequence a decision by the Court on Indonesia's legal
interests would not be required.
However, this way of putting the matter does not efface the fact that
what Portugal is asking the Court to accept as donnéesis not the mere
text of the resolutions, but the text of the resolutions as interpreted by
Portugal. The various resolutions would constitute the basis of the Court's

decisi&; they would not remove the need for a decision to be taken by
the Court as to what they meant. As the Parties accept, the Court has
power to interpret the resolutions.
Portugal's interpretation of the resolutions is closelycontested by Aus-
tralia. The issue so raised by Australia is not frivolous; the Court would
have to decide it. The Court has done so. On the conclusion which it has
reached, the resolutions do not sufficeto settle the question whether the
treaty-making power lay with Portugal, as Portugal claims, or with Indo-
nesia, as Australia claims. Other matters would have to be investigated
before that question could be answered. Such other matters would include
the question whether, by reason of its allegedconduct, Indonesia engaged
international responsibility which disqualified it from acquiring that
power under general international law. Portugal accepts that the Court
cannot act if the international responsibility of Indonesia would have to
be passed upon. La Cour doit d'abord trancher ce litige concernant la prémissedu
Portugal et déciderque le pouvoir de conclure des traitésappartenait au
Portugal et, partant, n'appartenait pas à l'Indonésie,avant d'aller plus
loin et de décidersil'Australiea engagé sa responsabilitinternationale en
négociant etconcluant le traitéde 1989avec l'Indonésie eten commen-
çant à l'exécuter.Concrètement, pour statuer contre l'Australie, il faut
préalablement décider que l'Indonésie ne possédaitpas le pouvoir de
conclure des traités. Normalement, la Cour ne peut pas prendre une telle
décisionavant d'avoir examiné la question desavoir silescirconstances de

l'entrée etdu maintien de l'Indonésieau Timor oriental empêchaient cette
dernière d'acquérirce pouvoir au regard du droit international général.
Cette décision reviendraità se prononcer sur la responsabilitéinternatio-
nale de l'Indonésie en l'absence deconsentement de sa part. La Cour ne
peut pas procéder ainsi.

Cela semblerait régler l'affaire,si ce n'est que le Portugal fait aussi
valoir que les résolutions del'Assemblée générae lt du Conseil de sécu-
ritéont établi de façon concluante sa qualité d'autoritéadministrante,
que cette qualité implique le pouvoir exclusif de conclure au nom du
Timor oriental des traitésconcernant les ressources du plateau continen-

tal de celui-ci, que ces résolutions doivent êtreconsidéréespar la Cour
comme des donnéeset qu'en conséquencela Cour ne serait pas tenue de
se prononcer sur les intérêts juridiques del'Indonésie.
Toutefois, cette façon de présenter la question n'effacepas le fait que
ce que le Portugal demande à la Cour d'accepter comme des données
n'est pas le simple texte des résolutions, mais bien le texte desdites
résolutionstel qu'il lesinterprète. Les diversesrésolutions constitueraient
le fondement de la décisionde la Cour; elles n'empêcheraientpas que la
Cour soit tenue d'en dire la signification. Comme les Parties en con-
viennent, la Cour a le pouvoir de les interpréter.
L'interprétation que le Portugal donne des résolutionsest fortement
contestéepar l'Australie. Le problème que celle-ci soulève ainsin'a rien
de superficiel; la Cour doit se prononcer ce sujet et elle l'a fait. D'après
la conclusion à laquelle elle est parvenue, les résolutionsne suffisentpas

à déterminersi c'est le Portugal qui a le pouvoir de conclure des traités,
comme il le revendique, ou bien si c'est l'Indonésie qui ace pouvoir,
comme le soutient l'Australie. Avant de pouvoir répondre à cette ques-
tion, il faudrait en examiner d'autres et, notamment, se demander si, en
raison du comportement qui lui est imputé, l'Indonésie aengagé sa res-
ponsabilité internationale d'une façon qui lui ôte, au regard du droit
international généralt,oute qualitépour acquérirce pouvoir de conclure
des traités.Le Portugal accepte que la Cour ne puisse se prononcer si elle
doit à cette fin statuer sur la responsabilité internationale de l'Indonésie. However, even if Portugal's interpretation of the resolutions is correct,

the result need not be affected. The prerequisite of which the Court must
ultimately be satisfied is that, whatever may be the basis, the treaty-
making power lay with Portugal and not with Indonesia. If the Court
were to accept Portugal's interpretation of the resolutions as correct,
what it would be deciding, without hearing Indonesia on a substantial
question of interpretation, is that it was Portugal and not Indonesia
which possessedthe treaty-making power; acceptance of Portugal's inter-
pretation as correct would merely shorten the proof of Portugal's claim
to the power. Indonesia's legal interests would nonetheless be determined
in its absence. In effect, the question is not merely whether Portugal's
interpretation is correct, but whether, in reaching the conclusion that it is
correct, the Court would be passing on Indonesia's legal interests.

There is a further point. As the Court would be barred by the Mon-
etavy Gold principle from acting even if Portugal's interpretation of the
resolutions were correct, it is possible to dispose of Portugal's Applica-
tion without the necessity for the Court to determine whether or not the
resolutions do indeed bear the interpretation proposed by it; the Court
could arrive at its judgment assuming, but without deciding, that Portu-
gal's interpretation is correct.

The matter may also be considered from the point of viewof the effects
of the requested judgment on the rights of Indonesia under the 1989
Treaty and on the validity of the Treaty itself.
First, as to Indonesia's rights under the Treaty. Submission 5 (6) of
the requested judgrnent would require Australia to abstain from imple-
menting the Treaty ; Indonesia would thus lose the benefit of implementa-

tion of the Treaty by Australia. That is not a matter of theoretical inter-
est; Indonesia would be deprived of concrete benefits to which it is
entitled under the Treaty, including possible financial benefits, in much
the same way as the judgment requested in Monetary Gold would have
deprived Albania of its right to the property involved in that case.
Article 59 of the Statute of the Court would not protect Indonesia
against these effects.
In El Salvador v. Nicaragua, El Salvador asked that "the Government
of Nicaragua be enjoined to abstain from fulfilling the . . . Bryan-
Chamorro Treaty ..." '.The Central American Court of Justice replied:
"The Court is without cornpetence to declare the Bryan-Chamorro
Treaty to be nul1and void, as in effect, the high party complainant
requests it to do when it prays that the Government of Nicaragua be

-
'American Journal of International Law, 1917, Vol. 11, p. 683. Cependant, mêmesi l'interprétationque donne le Portugal des résolu-
tions était correcte,on aboutirait au mêmerésultat.En fin de compte, la
Cour doit, avant toute chose, êtreconvaincue que, quel qu'en soit le fon-
dement, le pouvoir de conclure des traités appartient au Portugal et non

à l'Indonésie.Si la Cour devait accepter l'interprétation que donne le
Portugal desrésolutions, elledéciderait en effet,sansentendre l'Indonésie
sur une question d'interprétation portant sur le fond, que c'est le Portu-
gal et non l'Indonésiequi détenait le pouvoir de conclure des traités;
accepter l'interprétationdu Portugal reviendrait simplement àétayerplus
rapidement la revendication du Portugal du pouvoir de conclure des trai-
tés. Mais les intérêts juridiquesde l'Indonésien'en seraient pas moins
déterminés sans son consentement.En fait, il s'agit de savoir non seule-
ment sil'interprétation du Portugalestjuste mais égalementsi,enconcluant
qu'elle l'est, laCour se prononcerait sur les intérêts juridiques dendo-
nésie.
De surcroît, comme la Cour ne pourrait pas se prononcer, en vertu du
principe de l'Or monétaire, mêmesi l'interprétation que le Portugal
donne des résolutionsétaitcorrecte, il est possible d'écarter la requdue
Portugal sans que la Cour ait à déterminersi oui ou non les résolutions
doivent êtreinterprétées commel'indique le Portugal; la Cour pourrait
parvenir à sa décisionen présumant que l'interprétation du Portugal est
correcte, sans pourtant se prononcer a ce sujet.

La question peut êtreégalement examinéedu point de vue des effets
qu'aurait l'arrêtdemandésur les droits de l'Indonésieen vertu du traité
de 1989et sur la validitédu traitélui-même.
Tout d'abord, en ce qui concerne les droits de l'Indonésieen vertu du
traité, auxtermes de la conclusion5 b) de la requête,s'ily étaitfait droit,
l'Australie devrait s'abstenir de donner effet au traité,etndonésieper-
drait ainsi le bénéfide l'application du traité parl'Australie. Il ne s'agit
pas là d'une question d'intérêt purement théorique, puisque l'Indonésie
serait privéedes avantages concrets auxquels elle a droit conformément
au traité, y compris d'éventuels avantages financiers, comme l'arrêt
demandédans l'affaire de l'Or monétaireaurait, d'une manière analogue,
privé l'Albanie deson droit aux biens visésdans cette affaire. L'article
du Statut de la Cour ne protégerait pas l'Indonésiecontre de tels effets.
Dans l'affaire El Salvador v. Nicaragua, El Salvador demandait que le
Gouvernement du Nicaragua soit astreint à ne pas appliquer le traité
Bryan-Chamorro '.La Cour de justice centraméricainea estiméque:

«La Cour n'a pas compétencepour déclarernul et non avenu le
traité Bryan-Chamorro, selon la requête de lahaute partie deman-
deresse tendant à ce que le Gouvernement du Nicaragua «soit

'American Journal oflnternational Law, 1917,vol. 11,p. 683. enjoined 'to abstain from fulfillingthe said Bryan-Chamorro Treaty'.
On this point the Court refrains from pronouncing decision, because,

as it has already declared, its jurisdictional power extends only to
establishing the legal relations among the high parties litigant and to
issuing orders affecting them, and them exclusively, as sovereign
entities subject to itsjudicial power. To declare absolutely the nullity
of the Bryan-Chamorro Treaty, or to grant the lesser prayer for the
injunction of abstention, would be equivalent to adjudging and
deciding respecting the rights of the other party signatory to the
treaty, without having heard that other party and without its having
submitted to the jurisdiction of the Court." '

Although El Salvador had not asked for an order declaring the Bryan-
Chamorro Treaty to be invalid2, in the view of the Central American
Court of Justice its prayer for an order enjoining Nicaragua "to abstain
from fulfilling" the Treaty was "in effect" a request that the Court should
"declare the ... Treaty to be nul1and void", which of course it could not
do in the absence of the other party to the Treaty. Thus, to grant "the
lesserprayer for the injunction of abstention" would have the same effect
as a declaration of invalidity; they would both "be equivalent to adjudg-
ing and deciding respecting the rights of the other party signatory to the
treaty, without having heard that other party and without its having sub-
mitted to the jurisdiction of the Court". The injunction was refused.
Second, as to the validity of the 1989Treaty. There are situations in

which the Court may determine that an international obligation has been
breached by the act of negotiating and concluding an inconsistent treaty,
without the decision being considered as passing on the validity of the
treaty 3.But a situation of that kind is distinguishable from one in which
the essential ground of the alleged breach and of any relief sought neces-
sarily implies that a State which is a party to a bilateral treaty with the
respondent but not a party to the case lacked the capacity in interna-
tional law to enter into the treaty. Where this would be the true ground
of decision, as it would be here, it is difficult to avoid the conclusion that
the validity of the treaty was being passed upon in the absence of the
State concerned. Further, as pointed out above, an order enjoining Aus-
tralia from implementing the Treaty would itself presuppose a finding of

invalidity.

' American Journal of International Law, 1917,Vol. 11,p. 729.
Cf. the third prayer of Costa Rica in Costa Rica v. Nicaragua (American Journal of
International Law, 1917,Vol. 11, p. 202), where the Central American Court of Justice
was asked to "declare and adjudge said treaty to be nul1and void and without effect". The
prayer was refused.
See the Vienna Convention on the Law of Treaties 1969,Art. 30, para. 5, and the
decisionsof the Central American Court of Justice in Costa Rica v. Nicaragua(American
p. 674); and consider Judge Schücking'sunderstanding of the judgment in Oscar Chinnid.,
(P.C.I.J., Series A/B, No. 63,148,third paragraph). astreintà ne pas appliquer le traitéBryan-Chamorro)). Sur ce point,
la Cour s'abstient de se prononcer puisque, ainsi qu'elle l'a déjà
déclarés,a compétencese borne à déterminerles relations juridiques
entre les hautes parties en litige età rendre des ordonnances les
concernant exclusivement, en tant qu'entitéssouveraines soumises à

sa juridiction. Prononcer d'une manière absoluela nullitédu traité
Bryan-Chamorro ou mêmefaire droit à la simple demande d'une
injonction d'abstention reviendrait à décider desdroits de l'autre
partie signataire du traité, sans avoir entendu cette dernière et sans
que celle-ciait acceptéla juridiction de la Cour.»'

Bien qu'El Salvador n'ait pas demandé une ordonnance déclarant le
traité Bryan-Chamorro nul et non avenu2, de l'avisde la Cour de justice
centraméricaine,la demande d'El Salvadortendant à ce que leNicaragua

«soit astreint à ne pas appliquer)) le traité revenait en faità inviter la
Cour à ((déclarer..le traiténul et non avenu)), ce que naturellement elle
ne pouvait pas faire en l'absencede l'autre partie au traité.Quoi qu'il en
soit, «la simple demande d'une injonction d'abstention)) aurait eu le
même effetqu'une demande de nullité;ellesseraient toutes deux revenues
«à décider desdroits de l'autre partie signataire du traité, sans avoir
entendu cette dernière et sans que celle-ciait acceptéla juridiction de la
Cour)). La demande d'injonction a été refusée.
S'agissant, en second lieu, de la validitédu traitéde 1989,il existe des
situations où la Cour peut estimer qu'une obligation internationale a été
violéepar le fait de négocieret de conclure un traité incompatible avec

cette obligation, sans que cette décision soit considérée comm euchant à
la validitédu traité3.Mais une situation de ce genre est différented'une
situation où l'élément essentiedle la prétendue violationet de toute répa-
ration demandéeimplique nécessairementqu'un Etat partie à un traité
bilatéral conclu avecle défendeur,mais qui n'est pas partie à l'instance,
n'avait pas le pouvoir, en droit international, de conclure le traité. Si
c'étaitlà le véritablefondement de la décision, commece serait le cas dans
la présente instance,il serait difficilede ne pas conclure que la validitédu
traité aété décidée en l'absend ce 1'Etatconcerné.En outre, comme on
l'a dit, une décisionenjoignant à l'Australie de ne pas appliquer le traité
présupposeraiten elle-même une constatation d'invalidité.

'Atnerican Journal of International Law, 1917,vol. 11,p. 729.[Traduction du GreffeJ
Voir la troisièmedemande du Costa Rica dans Costa Rica v. Nicaragua (American
Journal of International Law, 1917, vol. 11, p. 202), qui priait la Cour de «dire et juger
que ledit traitéest nul et non avenu)). Cette demande a étérejetée.

Voir convention de Vienne sur le droit des traités de1969,art. ainsi que les
(American Journal of International Law, 1917,vol. 11,p. 181)et El Salvador v. Nicaragua
(ibid., p. 674), ainsi que l'interprétationpar M. Schücking de l'arrêt rendudans l'affaire
Oscar Chinn (C.P.J.I. sérieA/B no63, p. 148,troisièmeparagraphe). In El Salvador v. Nicaragua, the Central American Court of Justice
made it clear, and rightly so, that it would not decline to act on "the
trivial argument that a third nation ... possessesinterests connected with
the matters or questions in controversy" '. But the Court obviously did
not consider that the argument was "trivial" in so far as the requested
judgment would require it to determine the rights of a non-party State,
inclusive of the question of the validity of a treaty entered into between
that State and the respondent. It was on the clear basis that it could not
and would not determine these matters, either directly or indirectly, that
it found it possible to declare that the respondent "is under the obligation
- availing itself of al1possible means provided by international law - to
re-establish and maintain the legal status that existed prior to the"
treaty 2.In effect, the Court was able to assume competence to act in rela-
tion to some of the reliefs claimed by El Salvador, but not in relation to
all. Here, by contrast, none of the reliefs requested by Portugal could be

granted without passing on the legal interests of an absent State.

In an interesting and careful argument, counsel for Portugal submitted

that
"other courts . . .have ruled on the violation of obligations derived
from a treaty, in cases where there was a conflict of obligations,
without ruling on the resolution of the conflict, despite the absence
of the other party to the treaty from which the other incompatible
obligation derived" (CR 95/13, p. 55, Professor Galvâ'o Teles).

Counsel cited Soering v. United Kingdom (EHRR, Vol. 11, p. 439),
The Netherlands v. Short (ILM, 1990,Vol. 29-11,pp. 1375et seq.) and
Ng v. Canada (CC PRIC/49/D.46911991),adding that the judicial func-
tion of the adjudicating bodies in those casesobliged them "to answer the
question that wasput to them. They were not, for example, required to
decide on the rights of the United States, which was a party to the treaty
and absent from the proceedings." As this argument of counsel seems to
recognize, the dividing line is set by asking whether the requested judg-
ment would be deciding not merely the rights of the parties, but those of
the absent State as well. In my opinion, the judgment requested in this
case would decide the rights of an absent State. Institutional and struc-
tural differences apart, this is a point on which the three cited cases are

distinguishable.

' American Journal of InternationalLaw, 1917,Vol. 11,p. 699.
Zbid.,p. 730,fifth paragraph of the dispositif.

40 Dans l'affaire El Salvador v. Nicaragua, la Cour de justice centramé-
ricaine a dit clairement, et àjuste titre, qu'elle ne se refuserait pasà sta-
tuer «en invoquant l'argument assez mince qu'un Etat tiers ... a des
intérêtlsiésaux questions en litige))'.Mais de toute évidencela Cour cen-
traméricainen'a pas estiméque l'argument fût «mince» dans la mesure
où l'arrêtdemandél'aurait obligée àse prononcer sur les droits d'un Etat
non partie, et notamment sur la validitéd'un traité entre cet Etat et le
défendeur.C'est manifestement en partant du principe qu'elle nepouvait
pas trancher ces questions, soit directement soit indirectement, et qu'elle

ne le ferait pas qu'elleajugé possiblede déclarerque le défendeur(([était]
dans l'obligation - en recourant à tous lesmoyens que lui offrait le droit
international - de rétabliret de maintenir le statut juridique qui existait
antérieurement))au traité2.En fait la Cour a pu se dire compétentepour
statuer à l'égardde certains moyens de réparation demandéspar El Sal-
vador, mais pas de tous. En l'espèce,par contre, il est impossible de faire
droit à un seul des chefs de demande formulés par le Portugal sans
statuer sur les intérêts juridiquesd'un Etat absent.

Présentantun argument intéressantet réfléchil,e conseil du Portugal a
fait valoir que:

((d'autres juridictions...se sont prononcéessur la violation d'obli-
gations découlantd'un traité, dansdes affaires où il y avait conflit
d'obligations, sansqu'ellesse prononcent sur la résolution decelui-ci
en dépit de l'absence del'autre partieau traitéduquel découlait l'autre
obligation incompatible))(CR 95113,p. 55, M. Galvao Teles).

Le conseil a citéles affaires Soering v. United Kingdom (EHRR, vol. 11,
p. 439), The Netherlands v. Short (ILM, 1990,vol. 29-11,p. 1375et suiv.)
et Ng v. Canada (CC PRIC/49/D.469/1991), ajoutant que la fonction des
organes judiciaires dans ces affaires les obligerait «à répondrea la ques-
tion qui leur étaitposée. [Ils]n'avaient pas, par exemple, àdécidersur les
droits des Etats-Unis, partie au traité et absents de l'instance.)) Comme
semble le reconnaître cet argument, la ligne de démarcation est déter-
minéepar la question de savoir si l'arrêtdemandé porterait non seule-
ment sur les droits des parties, mais égalementsur ceux de 1'Etatabsent.
A mon avis, la décisiondemandéeen l'occurrence toucherait aux droits
d'un Etat absent. Les différencesd'institution mises à part, il s'agit là
d'un point sur lequel les trois affaires citéespeuvent êtredistinguées.

'American Journal of International Law, 1917,vol. 11,p. 699.
Zbid., p. 730,cinquièmeparagraphe du disposif. It was also argued for Portugal that, by virtue of Article 59 of the Stat-
ute of the Court, a judgment of the Court in favour of it would be bind-
ing only as between itself and Australia; Indonesia, as a non-party to the
case,would not be bound. But the problem involved ismore fundamental
than that to which that provision is directed. The provision applies to a
judgment duly given as between the litigating parties; until such a judg-
ment has been given, the provision does not begin to speak (see, on this
point, Monetary Gold Removed from Rome in 1943, Judgment, I.C.J.

Reports 1954, p. 33, first paragraph). For the reasons set out above, the
judgment requested by Portugal would not be a judgment duly given
even as between the litigating Parties. The fact that, by virtue of Ar-
ticle 59 of the Statute, Indonesia would not be bound is not a reason why
the Court should attempt to do what it cannot legally do: the provision
does not operate as a standing reservation in law subject to which the
Court is at liberty to pronounce on the legal interests of a State in the
absence of its consent.

A word may be said on the question whether the grounds on which the
Judgrnent rests prevented the Court from granting the first of Portugal's
five submissions, in which the Court was asked

"[tlo adjudge and declare that, first, the rights of the people of East
Timor to self-determination, to territorial integrity and unity and to
permanent sovereignty over its wealth and natural resources and,
secondly, the duties, powers and rights of Portugal as the adminis-
tering Power of the Territory of East Timor are opposable to Aus-
tralia, which is under an obligation not to disregard them, but to
respect them".

There is no need to dwell on the distinction between arguments and
conclusions'. Portugal recognizes the distinction; it does not suggest that
the Court can grant its first submission considered as an argument
intended to support the requested judgment but not in itself constituting
part of the decision. Itis necessary then to seewhat is the sense in which
Portugal's first submission could be regarded as part of the requested

decision.
Portugal's first submission can only be considered as part of the
requested decision if, as the wording of the submission itself implies, a
judicial declaration that the claimed rights are opposable to Australia is
required to ensure that Australia recognizes that it "is under an obliga-
tion not to disregard them, but to respect them". The implication is that

l Seethe discussion ofthe cases in Sir Gerald Fitzmaurice, The Law and Procedureof
the International Court of Justice, 1986,Vol. 2, pp. 578 ff.

41 Il a égalementétésoutenu au nom du Portugal que, en vertu de I'ar-
ticle 59du Statut de la Cour, une décisionde cette dernière en faveurde
ce pays ne serait obligatoire que pour lui et l'Australie; l'Indonésie,en
tant que non-partie à l'affaire, ne seraitpas liée.Mais le problème a un
caractère plus fondamental que celui visédans cette disposition. Celle-ci
s'applique à une décisiondûment rendue pour les parties en litige; la
disposition n'entre pas en jeu avant qu'une telle décisionait étérendue
(voir, sur ce point, l'affaire der monétairepris àRome en 1943, arrêt,

C.Z.J. Recueil 1954,p. 33,premier paragraphe). Pour lesraisons exposées
ci-dessus,la décisiondemandéepar le Portugal ne serait pas une décision
dûment rendue mêmepour les Parties en litige. Le fait qu'en vertu de
l'article 59 du Statut l'Indonésie ne seraitpas liée n'estpas une raison
pour que la Cour tente de faire ce qu'elle ne peut pasjuridiquement faire
cette disposition nejoue pas comme une restriction juridique permanente,
sous réservede laquelle la Cour pourrait librement se prononcer sur les
intérêtjsuridiques d'un Etat en l'absence de son consentement.

III. LA PREMIÈRE CONCLUSION DU PORTUGAL

On peut dire un mot sur la question particulière de savoir si les motifs

sur lesquels se fonde l'arrêtont empêché la Cour de faire droit àla pre-
mière des cinq conclusionsdu Portugal, dans laquelle il était demandé à
la Cour de
«[dlire etjuger que, d'une part, les droits du peuple du Timor orien-
talà disposer de lui-même, àl'intégrité et l'unitéde son territoire et
à sa souverainetépermanente sur ses richesses et ressources natu-

relles et, d'autre part, les devoirs, les compétenceset les droits du
Portugal en tant que puissance administrante du Territoire du Timor
oriental sont opposablesà l'Australie, laquelle est tenuede ne pas les
méconnaîtreet de les respecter)).
Point n'est besoin de s'étendre sur la distinction entre moyens et

conclusions1. Le Portugal reconnaît cette distinction; il ne suggèrepas
que la Cour puisse faire droit sa première conclusion considérée en tant
que moyen en faveur de l'arrêtdemandé, sans constituer en soi un élé-
ment de cet arrêt.Il est alors nécessaire d'examinerdans quel sens la pre-
mière conclusiondu Portugal pourrait êtreconsidérée comme un élément
de l'arrêtdemandé.
Cela ne serait possible que si, comme l'indique l'énoncé mêm dee cette
conclusion, une déclarationjudiciaire selon laquelle les droits revendi-
qués seraientopposables à l'Australie étaitnécessairepour que l7Austra-
lie reconnaisse qu'elle est tenue «de ne pas les méconnaître et de les

respecter)). On suppose donc que l'Australie les a méconnus et ne les a

The Law and Procedureof the International Court of Justice, 1986,vol. 2, p. 578et suiv.

41Australia has been disregarding them, and not respecting them. But, if it
is asked why it should be thought that Australia has been disregarding
them and not respecting them, the answercan only be that Australia has
negotiated and concluded the 1989Treaty with Indonesia and has com-
menced to implement it.
Thus, the fundamental issue raised by Portugal's first submissionis the
same as the question whether the treaty-making power is held in law by
Portugal or by Indonesia. As the Court cannot determine that question
in the absence of Indonesia, it cannot competently grant the submission.

A submission, however worded, can only be granted if the granting of it
is necessary for the resolution of the dispute between the parties to the
case. If the Court cannot determine the dispute, it cannot grant any of
the submissions sought.

IV. CONCLUSION

International law places the emphasis on substance rather than on
form. When the matter is thus regarded, it is apparent that Portugal's
Application would require the Court, in the absence of Indonesia, to
determine Indonesia's legal interests, inclusive of its claim to the-
making power in respect of East Timor and a question of itsinternational
responsibility, as a prerequisite to a determination of Portugal's claim
that Australia engaged international responsibility to Portugal byo-
tiating and concluding the 1989Treaty with Indonesia and by commen-
cing to implement it. 1agree that the Court cannot act.

(Signed )ohamed SHAHABUDDEEN.pas respectés.Mais si l'on se demande pourquoi elle serait censéeavoir

agi ainsi, la seule réponseest que l'Austraainégocié ectonclu le traité
de 1989avec l'Indonésieet a commencéde lui donner effet.

Ainsi, la question fondamentale que pose le Portugal dans sa première
conclusion équivaut à celle de savoir si le pouvoir de conclure des traités
revient juridiquement au Portugal ou à l'Indonésie.Comme la Cour ne
peut pas trancher cette dernière question en l'absencede l'Indonésie,elle
n'a pas compétencepour faire droità cette conclusion. Il ne peut être fait
droità une conclusion, quelle que soit la manière dont elle est formulée,
que s'ily a lieu de le faire pour réglerle différendentre les pàl'ins-
tance. Si la Cour ne peut trancher le différend,elle ne peut faire dàoit
aucune des conclusions présentées.

IV. CONCLUSION

Le droit international met l'accent sur le fond, plutôt que sur la forme.
Si l'on considèrele problème sous cet angle, il est manifeste que la
requêtedu Portugal amènerait la Cour à déterminer, en l'absence de
l'Indonésie,les intérêtsjuridiques celle-ci, compris le pouvoir qu'elle
revendique de conclure des traitésau sujet du Timor oriental et la ques-
tion de sa responsabilité internationale, comme condition préalaàlune
décision sur l'allégation du Portugal selon laquelle l'Australie aurait
engagé sa responsabilité internationale envers lui en négociant et en
concluant le traitéde 1989avecl'Indonésieet en en commençant l'exécu-
tion. Je conviens que la Cour ne saurait statuer.

(SignéM )ohamed SHAHABUDDEEN.

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Opinion individuelle de M. Shahabuddeen (traduction)

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