Opinion dissidente de Sir Robert Jennings (traduction)

Document Number
068-19840321-JUD-01-09-EN
Parent Document Number
068-19840321-JUD-01-00-EN
Document File
Bilingual Document File

OPINION DISSIDENTE DE SIR ROBERT JENNINGS

[Traduction]

1. Je regrette de ne pouvoir me rallieà la décisionde ne pas autoriser
l'Italià intervenir dansla présenteespèce.Je souscrispleinement à l'idée

dela Courque ledroit d'intervenir doit s'entendre sousréservedu principe
du fondement consensuel de la compétencede la Cour. Par conséquent,je
puis aussi accepter de façon généralel'idéqeue l'Italienedoit pas pouvoir,
sous le couvert d'une intervention, saisir la Cour <<d'un différendentre
l'Italie, d'une part, et la Libye et Malte ou chacun de ces Etats pris
séparément,d'autre part, sans le consentement de ces derniers (para-
graphe 41 de l'arrêt). Maijse ne puis admettreque, partant de là, on refuse
à l'Italie l'autorisation d'intervenir pour protégersesintérêts d'orjuri-
dique, car ceux-ci, risquant d'ores etdéjàd'être directement enjeudans le
litige que la Libye et Malte ont porté devant la Cour par compromis,
peuvent se trouver en cause dans l'arrêt quitranchera ce différend.

2. C'estle principe mêmede la compétence consensuellequi, mêmeen
l'absence d'un lienjuridictionnel oude tout autre consentement des parties
principales, fait qu'une forme limitée d'intervention doit êtrepossible
lorsquelelitigeentre cesparties concerne un objet sur lequelun Etat tiers a
desdroits qui setrouvent enjeu et auxquels ilpeut donc êtreportéatteinte
dans leprocès.Faute d'unlienjuridictionnel, eneffet,cet Etat tiersnepeut
protégerses intérêts en invoquant l'article0,paragraphe 1,du Statut. Et
pourtant, l'instance principale ne doit pas avoir pour résultatque la Cour
exerce sa compétencesur une question qui mette enjeu les droits subs-
tantiels de l'Etat tiers, surtout en son absence, si celui-cidésire intervenir.
Ce caractère inacceptable d'une compétence exercée malgré l'existence
d'un intérêt substantield'un Etat tiers dans l'objet mêmedu différend,

alors que cet Etat n'estpas devant la Cour, estfort bien illustrépar l'affaire
de l'Ormonétairepris à Romeen 1943(C.I.J. Recueil1954,p. 19).11estvrai
que dans cette affaire l'intért ridique de l'Etat tier- l'Albanie - avait
étéporté devantla Cour par les termes mêmesdu compromis, quiinvitait
aussicet Etat àprésenter àla Cour unerequête à find'intervention,faculté
dont iln'usa pas. Mais,en l'absencede l'Albanie,la Cour refusa de statuer
sur les intérêtque les trois Etats estant devant la Cour pouvaient avoir
concernant l'objet du litige.
3. Ainsi, lorsqu'un Etat qui n'est pas partie à l'instance possède des
droits afférents à l'objet du différend, le fait que le consentement soit
indispensable pour quela Cour puisse exercersacompétencejoue dans les
deuxsens. Decedilemme,la Cour peut selibérerde plusieursfaçons, selon

lescirconstances del'affaire.Une solution possibleest derefuser purement
et simplement d'exercer cette compétence, commedans l'affaire de l'Or monétaire.Une autre attitude consiste à omettre de la décision l'élément
qui met, ou peut mettre en cause, l'intérêtde l'Etat tiers; cependant,
comme on le verra plus loin, il ne suffit pas toujours pour cela d'invoquer
l'article 59du Statut. Mais une autre solution est certainement possible :
c'estune intervention où la participation de l'Etat intervenant est stricte-
ment limitée à la démonstration et àla sauvegarde de sesdroits, tels qu'ils
sont effectivement mis en jeu dans l'instance principale. Et c'est à la
lumièredela nécessité de cetteinterventionstricte - nécessitéqu'impose le
principe du consentement lui-même - qu'il convient de considérer la
signification de l'article 62du Statut.

4. L'article 62du Statut de la Cour se lit comme suit
<<1. Lorsqu'un Etat estime que, dansun différend,un intérêd t'or-

dre juridique est pour lui en cause, il peut adresser à la Cour une
requête, à fin d'intervention.
2. La Cour décide. i)
Cet article impose donc deux conditions, et deux conditions seulement, à
17Etatdésireux d'intervenir : tout d'abord, il faut qu'il estime que, <dans

un différend, unintérêt d'ordre juridiqueest pour lui en cause i); et, en
second lieu, que la Cour l'autorise pour ce motif à intervenir.
5. Je n'évoqueraipas ici la genèse ni les travaux préparatoires de l'ar-
ticle 62, que M. Oda a retracésde façon claire et convaincante dans son
opinion individuelle sur la requêtede Malte à fin d'intervention dans
l'affaire du plateau continental entre la Tunisie et la Libye (C.I.J.Recueil
1981, p. 23). Toutefois, le libelléde l'article répond parfaitement à l'hy-
pothèsed'une intervention strictement limitée àl'objet de l'instance prin-
cipale et aux questions qui y sont évoquées, eton se trouve donc dans
une situation où, comme je le disais plus haut, c'est leprincipe mêmedu
consentement qui veut qu'une intervention ainsi restreinte reste possible.

Lorsque l'instance principale est portée devant la Cour en vertu d'un
compromis, la portéede cette intervention sera définiepar le compromis
lui-même.Si donc l'intervention dansla présente espèceétaitlimitée à la
sauvegarde des intérêts italiens d'ordrejuridique qui avaient déjàétémis
enjeu par lecompromis,et quipouvaient doncêtremis << encause i)dansle
différend, elle devaitêtreautorisée, même en l'absence d'un lienjuridic-
tionnel ou de tout autre consentement de la part des Parties principales. Je
ne vois pas pourquoi, si A et B se contestent la propriétéd'un objet que
j'estime en fait m'appartenir, je devrais me tenir coi, sans qu'il me soit
permis d'avertir officiellementla Cour de ce queje considère commemes

droits, tels qu'ils me paraissent êtreen cause dans le différend.Les pou-
voirs de la Cour devant une telle intervention sontune autre question, sur
laquelle je reviendrai ;mais il ne me paraît pas douteux que ce type
d'intervention, limitée mais nécessaire, soit conforme à l'esprit de l'ar-
ticle 62. 6. Cette conclusion ne préjugepas de la question de savoir si un genre
d'intervention beaucoup plus large, proche de l'acception de ce terme en
droitinterne, estpossible sur labase de l'article62.LaCour n'avaitpas à se
prononcer sur cette question dans la présenteespèce,car tel n'étaitpas le
genre d'intervention que recherchait l'Italie. Mais ce qui paraît incontes-
table- etje puis ici me rallier avec ce qui semble êtrel'avisde la Cour-
c'estque,mêmeenvertude l'article 62,sil'intention de 1'Etatquidemande
à intervenir est d'ester en qualitéde véritable tiercepartie à l'affaire et
d'intenter en réalituneaction nouvelleetdifférentecontre l'uneoul'autre
des parties originaires, ou contre les deux, cette intervention ne doit pas
êtreautorisée,sauf siles parties principales y ont consenti d'une façon ou
d'une autre. Sans cela, un Etat qui n'aurait pas la possibilitéd'introduire
une instancecontre son adversaire en invoquant l'article40,paragraphe 1,

du Statutpourrait profiter de ceque cetadversaire setrouve enprocès avec
un autre Etat pour essayer d'intenter sa propre action par le biais de
l'intervention. Ceserait là violerleprincipefondamental de la compétence
consensuelle, et d'une manière qui ferait du recours à la Cour une entre-
prise hérissée d'embûches.
7. La Cour semble êtred'avis que,dans sa requête,l'Italie s'esten effet
égarée verscette conception élargiede l'intervention, et cherchaità greffer
sur l'instance principale des questions distinctes, concernant son propre
plateaucontinental. Je reviendrai un peu plus loin sur cette question. Mais
ilconvient d'observer icique si,dans son argumentation, l'Italie a dépassé
leslimitesadmissibles d'une intervention stricte, c'estprécisémentdans la
mesure où ellel'afait qu'elleserafrustréepar la décisionfinale de la Cour
dans l'instance principale. Or lefait de demander trop n'entache pas en soi

de nullité lademande d'intervention, si celle-cienglobe son objet réel.La
requête maltaisede 1981aété rejetéeparceque Maltedemandait trop peu
et se refusaità entrer directement dans le différend entre la Libye et la
Tunisie ; il serait regrettable que la Cour paraisse maintenant rejeter la
requêtede l'Italie parce que celle-ci demande trop. Cela dit, tout dépend
évidemmentde la nature des intérêtistaliens d'ordrejuridique sur lesquels
la requête est fondéee ,t qu'il convient donc de considérer à présent.

8. L'article 62 n'exigepas que l'Etat, au moment où il demande l'au-

torisation d'intervenir, démontreet définissede façon préciseles intérêts
qu'il estime être pour luien cause dans le différend. Cela serait d'ailleurs
difficile,car l'intervention, dans la mesure où elledoit rester dans lecadre
desquestions évoquéeslorsdel'instance principale,ne peut pas nepas être
influencéepar ledéroulement desdébatsdans cette instance, qu'il s'agisse
dela suite delaprocédureécriteoudesaudiences.Et ileûtété d'autant plus
désobligeantd'exigerde l'Italie une preuve aussi absolue des intérêts qui
sont pour elle en cause, qu'elle n'avait pas étéautorisée à recevoir com- PLATEAU CONTINENTA (OP. DISS.JENNINGS) 151

munication des écrituresdéjàéchangées entre les Parties. Mais l'article 62
ne requiert qu'unechose :c'estquel'intervenant éventuel <(estime qu'un
tel intérêtst pour lui ((en cause )).
9. Contrairement cependantau cas de l'intervention faite surlabase de
l'article63, c'estàla Cour elle-mêmede décider,et la Cour, pour ce faire,
doit manifestement exercer un pourvoir d'appréciation trèslarge dans
l'appréciation des circonstances de l'espèce.Cela ne signifie pas que la

Courait sur cepoint un pouvoir discrétionnaireabsolu,tant s'enfaut. Elle
doit seulement décider siles conditions de l'intervention prévues à l'ar-
ticle 62 sont remplies ou non - autrement dit, en l'espèce,s'ily avait pour
l'Italie des motifs suffisamment solides et convaincants d'~estime[r]
avoir effectivement des intérêts d'ordre juridique<< en cause dans le
différendentre la Libye et Malte. Et c'est tout.
10. Point n'est besoin icide reprendre et d'analyser toute la documen-
tation et l'argumentation que l'Italie a présentéessur la question de savoir
quels étaientsesintérêtsjuridiquessusceptibles d'être encause. Considé-

rant la situation géogaphiquede l'Italie par rapport aux Parties princi-
pales, dans une mer étroite etresserrée,avec des zones communes de pla-
teau continental où. Dour citer les termes de la Cour dans l'arrêtconcer-
nant lesaffaires du PiuteaucontinentaldelamerduNord, <il setrouve que
les prétentions de plusieurs Etats convergent, se rencontrent et s'entre-
croisent...))(C.I.J. Recueil 1969,par. 89), et considérant aussi les préten-
tions déjà publiquement formuléespar Malte à l'appui de sa tentative
d'intervention en 1981,je ne vois pas comment on pourrait nier que
la requêtede l'Italie satisfaisait aux conditions du paragraphe 1 de l'ar-

ticle 62.
11. Peut-être est-ce icile lieu de se demander en quoi la position de
l'Italie différaitde celle de Malte en 1981,lorsque cepays s'estvu refuser
l'autorisation d'intervenir sur la base de l'article 62 dans l'affaire entre la
Libye et la Tunisie ? Une réponse à cette question serait sans doute que,
dans la mesure où la Cour peut librement apprécier les circonstances de
chaque espèce,elledoit exercercetteliberté,etquela façon dont elles'yest
prise dans d'autres affaires importe peu. Mais il faut aussi noter qu'il y a
une distinction subtile, mais réelle,entre la présente requêteet celle de

Malte, tellequ'elle avaitétéinterprété per laCour.Dans son arrêtsur lare-
quêtemaltaise (C.I.J. Recueil 1981,p. 12,par 19),la Cour a dit en effet :
<L'intérêt d'ordrjeuridique invoquépar Malte ne se rattache à
aucun intérêtjuridique a lpipartenantenproprequi serait directement

encause dans laprésenteinstanceentre laTunisieetla Libye,ouentre
Malte et l'un ou l'autre de ces Etats. Il concerne en réalitél'effet
qu'auraient éventuellement, surune délimitation ultérieuredu pla-
teau continental de Malte, des considérations que la Cour pourrait
formuler dans sa décision à propos de points en litigeentre laTunisie
et la Libye relativement à la délimitationde leursplateaux continen-
taux. (Les italiques sout de moi.)

Or il va de soi que, si la Cour avait raison de définir ainsila requêtede Malte, c'estajuste titre qu'ellea conclu quecetterequêtene répondaitpas
aux conditions de l'article 62, qui sont précisément l'existencd'un in-
térêtjuridique..appartenant enpropre ))àl'Etat intervenant, et lefaitque
cet intérêtsoit <directement en cause 1)dans l'instance entre les parties
principales.

12. Tout ce que l'article 62 du Statut requiert de 1'Etatdemandant à
intervenir, c'est d'estimer que dans un différendun intérêtd'ordre jun-

dique estpour luiencause.Maisl'article 81du texte de 1978du Règlement
ajouteà cela deux autres conditions, à savoir que soient indiqués :
«b) l'objet précisde l'intervention ;
c) toute base de compétencequi, selon 1'Etatdemandant à inter-
venir, existerait entre lui et les part)).

Comme leRèglementnepeut accentuer nimodifierl'effetdu Statut, ilfaut
supposer que cesdeux indicationsne sont requises que pourpermettre à la
Cour de mieuxjuger si les conditions de l'intervention inscrites au Statut
sont remplies.
13. Je ne m'attarderai pas sur la condition énoncéeà l'alinéac). Ellene

signifiepas qu'une basedecompétence soitrequisedans tous lescas - bien
au contraire. Et si elle est applicable, c'est seulement lorsque, et dans la
mesure où, l'Etat intervenant cherche à joindre une action différente à
l'instance première.
14. Pour cequi estde <<l'objet précisdel'interventionD,sansdoute cette
clause a-t-elle pour but de permettreà la Cour de s'assurer que l'objet de
l'intervention est réellement la sauvegarde desdroitsjuridiques en cause
dans le différend, et de constater jusqu'à quel point l'intervention peut
répondre à d'autres motifs. Or personne n'a prétendu que la requête
italienne dans la présente espèce eût pour objet autre chose que la pro-
tection de ceque l'Italie estimait êtrepourelleun intérêt d'ordrejuridique

en cause dans ce différend. Mais il y a autre chose dans cette clause de
<<l'objet préciso.En effet la Cour doit considérer,outre l'existence d'in-
térêtsdu type mentionné à l'article 62,ce que l'Etat intervenant entend
demander àlaCour defaire àpropos de cesintérêtsS .icet Etat est autorisé
à intervenir, de quelle façon par exemple demandera-t-il à la Cour de
modifier sa décisiondans l'instance principale ? Ou bien y a-t-il d'autres
moyensde demander à la Courd'aider 1'Etatintervenant ?Manifestement,
donc, ce genre d'indication peut contribuer à la décision de la Cour
d'admettre ou non l'intervention.
15. Avant cependant de passer à l'examen de ces questions, je rappel-
lerai brièvement l'argument avancépar les deux Parties principales selon

lequel il existerait une autre condition, qui ne serait mentionnée ni à
l'article 62duStatut niàl'article81du Règlement,etqui seraitl'obligation
de 1'Etatintervenant de prouver la réalitéd'un différendentrelui et l'une
ou l'autre des parties principales, ou mêmeles deux ;voire, lorsqu'il s'agitd'une affaire de délimitation du plateau continental, de tentatives de

négociationpour aboutir àun accord.Detoute évidence,il peut y avoir un
différend ou des différends réels,et il a pu y avoir des négociations
antérieures ;mais la question est de savoir si cela est indispensable pour
que la demande d'intervention soit valable.
16. A cette objectioà la requêteitalienne,il suffiraitde répondrequ'il
n'est pas permis de modifier de la sorte les effets du Statut de la Cour.
Exiger qu'il y ait un différend réel avecl'intervenant revient en effeà
exigerquelquechosequi n'estpas mentionné àl'article62.Tout ceque cet
articlerequiert, c'estque l'intervenant ait un intérêtjuridique, quipeutêtre

liéou non à un différend réel, maisqui est pour lui en cause dans le
différendentre les parties originaires.Ce dernier différend est le seul qui
importe dans le cadre de l'article 62.
17. Mais, en outre, exiger qu'il existe déjà un différendentre l'interve-
nant et l'une au moins des Parties, et que ce différendréelsoit l'objet de
l'intervention, serait ôter la requête italiennede la catégoriedes interven-
tions strictement limitéeset la ranger dans la catégorie des différends
((greffés sur l'affaire principale, pour lesquels un lien juridictionnel

seraitsansnul doute exigé.Un différendréelaurait en effet sesdimensions
propres, et l'onpeut mêmeconcevoirun différendqui,bien qu'étantmisen
causepar la décisiondela Cour,seraitbeaucouppluslarge que ledifférend
entre les partieà l'instance. Affirmer qu'un différendréelavec l'interve-
nant est une condition nécessairede l'intervention reviendrait donc à
exigerun lienjuridictionnel dans presque tous lescas,puisquecedifférend
seraitforcémentautreque ledifférendentre lesparties principales. Et cela
n'aiderait en rien la Cour à résoudre le dilemme ou elle se trouve en
risquant de violer le principe du consentement en prenant une décision,

quelle qu'ellesoi- problème qui trouve sa solution, au contraire, dans
l'intervention prise au sens que lui donne clairement l'article 62, et stric-
tementlimitée à cequiest mis enjeu par lesparties dans ledifférend entre
elles.
18. Voyonsmaintenant lesdifficultésqu'ilyaurait eu,d'aprèslaCour, à
restreindre de la sorte l'intervention demandée par l'Italie.

L'INTERVENTION DE L'ITALIE AURAIT-ELL OEBLIGÉ LA COUR
A SE PRONONCER SUR UN NOUVEAU DIFFÉREND ?

19. LaCourneparaît pas trop préoccupée dans son arrêtpar laquestion

de savoir si les intérêts italiensfont déjàl'objet d'un différendréel.Par
contre ellesembleredouter, sil'onpeut dire,d'êtreobligée,enaccédant àla
requête italienne,de se prononcer, sans le consentementdes Partiesprin-
cipales, sur un nouveau litige entre l'Italie et celles-ci, suscitéou non par
l'intervention elle-même.Comme il est dit au paragraphe 31 de l'arrêt :

(<Il s'ensuit que,sil'Italie était adàintervenir dansla présente PLATEAU CONTINENTAL (OP. DISS. JENNINGS) 154

procédure en vuede poursuivre l'objet qu'elle-mêmea dit vouloir
rechercher,laCour seraitappelée,pourdonner effet à l'intervention,à
trancher un différend, ouun élémentde différend,entre l'Italie et
l'une ou l'autre des Parties principales, ou les deux.>)

Quand l'Italie demande que ses droits soient sauvegardés )>,la Cour
craint que cela ne l'amène inévitablement à statuer sur la validitéde ces
droits (par. 32); et si l'une des Parties principales niait l'existence de ces
droits, il en résulteraitun nouveau litige, sur lequel la Cour estime qu'elle
ne pourrait se prononcer sans le consentement des Parties. On dirait
presque que la Cour sevoit entraînéesur une voiequ'elle sait devoir éviter,
tout en n'étant pas sûred'être capable de l'éviter. Pour nepas passer ainsi,

inexorablement, de la sauvegarde des droits invoquésa la résolutiond'un
nouveau litige, la Cour ne trouve d'autre planche de salut que de ne pas
mêmefaire lepremier pas dans cette direction. Mais, siceraisonnement est
correct, il devient évidemment impossible oupresque qu'une tiercepartie
réussissejamais à sauvegarder ses droits par une intervention faite sur la
base del'article62,sauf silesparties principales donnent à un moment ou à
un autre leur consentement a cetteintervention. En effet, si l'intervention
faite sur la base de l'article 62(mais non pas, apparemment, sur la base de

l'article 63) est inadmissible lorsqu'elle risque de faire apparaître un dif-
férendentre l'intervenant et les ~arties. on voit mal dans auels cas une
requêteintroduite en vertu de ce texte pourrait aboutir, si cen'est lorsque
les parties principales sont disposéesen fait à accueillir l'intervention.
20. Cette conclusion de la Cour ne l'aide d'ailleurs pas à sortir de
l'impasse - fort gênante, comme celatransparaît dans de nombreux pas-
sages de l'arrêt- où elle se trouve nécessairementquand les parties à une
instance lui demandent de statuer sur une question denature à mettre en

cause lesdroits d'une tiercepartie. Et ellene la dégageen riendu dilemme
que créeprécisément lraèglequi veut qu'ellene puisse seprononcer sur un
différendsansleconsentement de tous lesEtats directement intéressés.En
réalité,l'unique solutionau problème,silaCour veut seprononcer, est une
intervention de 1'Etattiers strictement limitéeaux questions déjàportées
devant la Cour - en l'espèce,par lecompromis conclu entre lesParties ;la
seule autre attitude possible consistantà refuser purement et simplement

deseprononcer. (L'idéed'unedécisiondecaractère (<relatif))appuyée sur
l'article 59, sera discutée plus loin.)
21. Cependant la Cour, en refusant de statuer sur ces aspects de la
délimitation, se déroberait à la tâche mêmequi lui incombe en vertu du
compromis. Il est en effet indispensable, pour toute délimitation du pla-
teau continental, de considérer touteslescirconstances pertinentes, et l'on
imagine difficilement une circonstance plus pertinente que les droitsjuri-
diques d'un Etat situédans le voisinage géographiqueimmédiatdes par-

ties.De plus, quand l'objet finaldel'opération estletracéd'uneligne,ilest
à craindre qu'un manque de précisionquant àl'emplacement du point de
départet du point d'arrivéede cette ligne ne soit un grave défaut.
22. Prenons, comme exemple pratique du problèmeauquel seheurte la Cour,l'hypothèseavancéeenaudience (voiraussiparagraphe 39del'arrêt)
oùl'une desextrémités de lalignededélimitationserait un point triple,àla
jonction des plateaux continentaux des Parties principales et de l'Italie.
Penser, commela Cour semblelefaire, que la déterminationd'un telpoint
triple résulteessentiellement de la résolutionde litiges distincts, revàent
admettre que l'emplacement correct d'une délimitationde plateau conti-
nental peut êtredéterminépar un tribunal à l'issue d'une sorte de com-
promis entre les différentesrevendications. Or une telle hypothèse est
certainement contraire aux principes. Les délimitationsde plateau conti-
nental sont déterminées en vertudu droit applicable, compte tenu de
toutes lescirconstances pertinentes. Maisl'étendue desrevendicationsdes
parties n'est pas une circonstance pertinente. Les droits sur le plateau

continental appartiennent à tel ou tel Etat, qu'ils soient ou non revendi-
qués.Les revendications sont donc dénuées de pertinence, sice n'est dans
lamesure où ellespeuvent êtrejustifiées devantlaCour sur labase du droit
applicable. Si l'emplacement correct en droit d'un point de la ligne déli-
mitant leplateau continental entre laLibyeetMalte setrouve êtreun point
triple, situàlajonction du plateau continental italien, cetemplacement ne
changera pas selon que l'Italie aura ou non étéadmise à intervenir dans
l'affaire. Lecompromissuffit à soumettre à laCour laquestion tout entière
de l'emplacement de ce point, et les arguments de l'Italie concernant
l'étenduede ses propres intérêts,tels qu'ils sont déjà enjeu à cet égard,
n'élargissaientpas le problème : ils pouvaient seulement contribuer à
l'éclairer.

23. S'il ne s'agit pas ici du genre de situations où l'article 62 rend
possible l'intervention d'un Etat tiers dont lesintérêsont en cause, il est
difficile de voir dans quel cas cette possibilitépourra jouer. Les questions
quel'Italieaurait euledroit deporterdevant laCourdans uneintervention
faite sur la base de l'article 62 n'auraient étéque d'autres aspects des
questions déjà soulevéesdans le compromis entre les Parties. La Cour,
citant (par. 40) le passage de l'arrêt surl'affaire de l'Ormonétaireprisà
Rome en 1943 (C.I.J. Recueil 1954, p. 32) ou il est dit que les intérêts
juridiques de 1'Etattiers <seraient non seulement touchéspar une déci-
sion, mais constitueraient l'objet même de ladite décisionD, ajoute :(<ce
qui n'est pas le cas icD.Or, il me semble précisémentque les intérêts de
l'Italie constituent en l'espèceune partie de l'objet de la décision,et que

c'est ce qu'illustre trèsexactement la question du point triple de délimi-
tation.

24. Il convient de se demander maintenant si la Cour est compétente
pour connaître d'une intervention aussi strictement limitée.A cet égard,il
n'est pasdouteux que l'article62lui-mêmedonne à la Cour lacompétence
incidente nécessairepour se prononcer sur toutes les questions de procé-
dure relativesà une intervention. De plus, et en supposant toujours quel'intervention ne concerneque des questionsqui << seraientnon seulement
touché[e]spar une décision, mais constitueraient l'objet mêmede ladite
décision O,il semble que la compétencede la Cour pour se prononcer sur
les questions de fond qui répondent à ces conditions ne fasse pas de
difficulté.L'affaire de l'Or monétairemontre d'ailleurs que, si les droits
d'un Etat tiers sontdirectement mis enjeu par lesquestions mêmesqui ont
étéportéesdevant la Cour par les parties, ce n'est pas quand l'Etat tiers
intervientque se pose le problème de la compétence : c'est quand il n'in-
tervientpas. Et c'estapparemment cequepense laCour elle-même,comme
en témoigneson désirde se convaincre que l'intervention demandée par

l'Italie aurait en quelquesorte résistéauxeffortspour la confinerdans une
sphèreaussi strictement limitée.De ce quedit la Cour àce sujet, il résulte
logiquement que, si l'intervention avait pu être ainsilimitée, iln'y aurait
pas eu de problèmede compétence,et leconsentement des Partiesn'aurait
pas éténécessaire.
25. Il est instructià ce propos de considérerl'intervention faite sur la
base de l'article63 du Statut. Comme on le sait, l'article 63 reconnaît un
droit d'intervention, sansquela permission dela Cour soit requise, à tous
les Etats parties à une convention dont l'interprétation est en jeu. Cet
article a étinvoquédeuxfois :dans lecas du VapeurWimbledon, en 1922

(C.P.J.I. sérieCno3,vol. 1,p. 118-122),où, il est vrai, lespartiesn'avaient
pas élevéd'objection contre l'intervention ;et dans l'affaire Haya de la
Torre(C.I.J. Recueil 1951,p. 76-77),où la Cour a admis une intervention
sur la base de l'article 63,bien qu'une des parties eût objecté àI'interven-
tion et eûtsoutenu qu'elleétaitirrecevable.C'est danscettedernièreaffaire
que l'on trouve l'important énoncésuivant, où la Cour apparemment ne
songeait pas seulement à l'intervention faite sur la base de l'article 63:

(<toute intervention est un incident de procédure ;par conséquent,
une déclaration déposée à fin d'intervention ne revêt,en droit, ce
caractèreque si ellea réellementtrait à cequi est l'objet de l'instance
en cours )).

Cela montre bien que ce quej'appelle une interventionstrictement limitée
est en fait le seul genre d'intervention prévudans le Statut. Et la Cour
ajoutait plus loin (p. 77) cette intéressante conclusion :
<<leseulpoint qu'ilimporte devérifierestde savoir sil'interventiondu

Gouvernementde Cuba a bien pour objet l'interprétation de la con-
vention de La Havane relativement àl'obligation quiincomberait à la
Colombie de remettre le réfugié auxautoritéspéruviennes )>.

26. La comparaison entre les situations quijustifient l'intervention au

titre de ces deux articles complémentairesest significative. Pour un Etat
partie à une convention dont l'interprétation est mise en jeu dans une
affaire,1'0intérêd t 'ordre juridique ..en cause ))est tellement manifeste
que le droit d'intervenir lui est reconnu par le Statut lui-même,sans
décision spécialede la Cour. Mais, cela mis à part, ces deux articles sont rigoureusementparallèles. Or on n'ajamais prétendu qu'une intervention
faite sur la base de l'article 63 nécessitaitle consentement des parties à
l'instance ; d'ailleurs, dans l'affaire Haya de la Torre,l'une des parties
s'était opposée à l'intervention. De plus, l'article 63 envisage clairement
quel'intervenant présenteradesconclusionsvisant la teneur del'arrêtdans
l'affaire principale dont la Cour est déjàsaisie, puisqu'il y est dit que
tl'interprétation contenuedansla sentence estégalementobligatoire àson

égard D. Et l'Italie, comme on le sait, s'était dite prête à prendre un
engagement analogue si elle était autorisée à intervenir sur la base de
l'article62. L'arrêt dela Cour ne traite pas del'article 63 ;mais les motifs
invoquéspour rejeterlarequêteitaliennesemblentmalcadrer avecledroit
d'intervention prévudans cettedisposition,et aveclefait quedans l'affaire
Haya de la Torrela Cour n'avait vuaucune objection à ce qu'une telle
intervention fût reçue malgré l'opposition d'une des parties.

27. La Cour, tout en rejetant la demande d'intervention de l'Italie,
reconnaît qu'elle (<ne saurait entièrement écarter la question de l'intérêt
juridique de l'Italieainsique d'autresEtats de la régionméditerranéenne
(par. 41). Pour résoudre ce problème, elle se fonde en premier lieu sur
l'article59 du Statut, en déclarant (par.42) que les droits del'Italie seront
sauvegardés,sans qu'une intervention soit nécessaire,par lejeu de cette
disposition.On a mêmesoutenu en plaidoiriequ'un arrêtde la Cour était

resinteraliosactapour tout Etat tiers (voir paragraphe 26 de l'arrêt). C'est
làune thèsesurlaquelleil ya beaucoup à dire,car l'article59estun élément
important du Statut, et il importe qu'il soit considérédans sa juste per-
pective.
La Cour,parlant del'article 59,commence par citer la Courpermanente
de Justice internationale, qui avait affirmé (sérieA no13, p. 21) que (<le
but de l'article59estseulementd'éviterque desprincipesjuridiques admis
par la Cour dans une affaire déterminée soient obligatoires pour d'autres
Etats ou d'autres litiges)(voirparagraphe 42del'arrêt). Celarevient àdire

simplementque les principes qui inspirent la décision de la Cour dans un
arrêtne sont pas obligatoiresau sens où ilspourraient l'êtredans certains
régimesde common law, en vertu d'un systèmeplus ou moins rigide de
précédentsjudiciaires.Maisilsuffitd'étudiertant soitpeulajurisprudence
de la Cour pour constater que l'article 59 n'exclut en aucune façon l'au-
torité du précédent. L'idéq eue l'article 59 protège les intérêts desEtats
tiers, du moins dans ce sens, est donc illusoire.
Onpeut égalementconsidérerque l'application de l'article59vaut aussi
- comme c'est manifestement le cas - et surtout pour le dispositif de

l'arrêt; et il est vrai que les droits et obligations particuliers crééspar le
dispositif visent les partiesà l'instance, et elles seulement, et seulement
pour ce qui concernel'affaire jugée.Dans ce sens très particulier et pure-
ment juridique, l'Italie sera certes protégée, et c'est là une protection
importante, que l'on ne saurait mettre en doute. 28. Il seraitnéanmoinsimprudent, mêmesurleplan strictdesprincipes
juridiques, de supposer que les effets d'un arrêtsont parfaitement limités
par les dispositionsdel'article 59.En effet,tous les Etats parties au Statut
de la Cour ont l'obligation généralede respecter les arrêtsde celle-ci. Or
l'arrêtà venir dans l'affaire Libye/Malte aura pour objet même, selonles
termes du compromis, lesprincipes etrèglesde droitinternational quisont

applicables à la délimitationde (<la zone du plateau continental relevant
dela RépubliquedeMalte et de la zone du plateau continental relevant de
la Républiquearabe libyenne >)ainsique lesmodalités d'application pra-
tique de ces principes et règles à la délimitation de ces (zones >> par voie
d'accord. Dans ces conditions, l'opinion publique aura-t-elle tort de pen-
ser, comme elle le fera sans doute, que c'est précisément surcela que la
Cour se sera prononcée ?
29. De plus, les termes mêmesdu compromis en l'espècefont courir un

autre risque à l'Italie, caril nefaut pas oublier que l'arrêt serendu en vue
d'un accord bilatéralde délimitationentrela Libyeet Malte. Si doncil en
résulte un accord qui empiètesur le plateau continental de l'Italie, et qui
pourtant jouisse apparemment de toute l'autorité d'un arrêtde la Cour,
celle-ci peut-elle croire qu'il suffirà l'Italie d'invoquer l'article 59 pour
trouverun recours adéquat ? Et le danger sera encoreplus considérable si
laCour, soucieusedenepas paraîtreporter atteinte auxintérêts del'Italie,
évitede définirtrop précisémentles zones en cause, ou se contente d'un

prononcé trèsgénéralsulresprincipes, règleset méthodesapplicables ; en
effet, l'accord bilatéral futur, quelle qu'en soit la portéeou la précision,
passera néanmoins pour un prolongement de l'arrêt de la Cour.Dans ces
conditions, parler de l'article 59 comme d'un moyen de protection suffi-
sant pour l'Italie paraît friser l'ironie.
30. Par ailleurs, donner àl'article 59 la très large interprétation que la
Cour semble retenir - et qui ferait de chacune de ses décisions quelque
chose d'analogue à un accord bilatéral, res inter aliosacta pour les Etats

tiers - n'aurait-il.Das Aour effet d'interdire dorénavant à la Cour tout
prononcé utile et concret sur les questions de souveraineté et de droits
souverains (cesderniers étantl'objet mêmede la présenteespèce) ? Parler
de (<droits souverains >)opposables à une autre partie seulement ressemble
fort, en effet,à une contradiction dans les termes. Et une décision (rela-
tive 1)sur les droits afférents au plateau continental paraîtrait particuliè-
rement étrange, émanant d'une Courqui a fait du (<non-empiétement >)

l'un des principes directeurs du droit applicable (C.I.J. Recueil 1969,
par. 101C 1) et, qui plus est, s'est ainsi prononcée à propos d'une déli-
mitation par voie d'accord.
31. C'est du reste ce que semble admettre le passage de l'arrêt(par. 43)
où onpeublire qu'6ilne fait pas de doute que, dans sonarrêtfutur, laCour
tiendra compte, comme d'un fait, de l'existence d'autres Etats ayant des
prétentionsdansla région ;aprèsquoila Courcite un extrait de l'arrêten
l'affaire du Statut juridique du Groënland oriental,où il étaitdit qu'une

(<circonstance dont doit tenir compte tout tribunal ayant à trancher une question de souverainetésurun territoireparticulier estla mesure
dans laquelle la souverainetéest égalementrevendiquéepar une autre
Puissance ))(C.P.J.I. sérieA/B no53, p. 46).

Cependant il est curieux de constater qu'immédiatementaprèscette cita-
tion, dans le mêmeparagraphe, la Cour affirme que son arrêt << sera
exprimésans préjudicedes droits et titres d'Etats tiers >) - sans d'ailleurs
parvenir apparemment à décidersi elle tiendra effectivement compte de
l'existenced'autres Etatsayant desprétentionsdansla région,ou si ellese

prononcera seulement de façon relative et uniquement sur les prétentions
de la Libye et de Malte, comme s'iln'y avaitpas d'autres prétentions en
jeu. La Cour semble ainsi attirée tantôt par une façon d'aborder le pro-
blème,et tantôt par une autre, ce qui est symptomatique du dilemme que
l'intervention limitéesur la base de l'article 62 a précisémentpour objet
d'écarter.

32. Quoi qu'il en soit, une décisionportant uniquement sur les pré-
tentions rivales de la Libye et de Malte >)est une façon inusitéede con-
cevoir des <<droits souverains ))et il est particulièrement curieux de cons-
tater ce bilatéralismevelléitairealors qu'il s'agitde droits sur le plateau
continental, dontla Coura déjàdit qu'ils<< existent ipsofactoetabinitioen
vertu de la souverainetéde 1'Etatsur [son]territoire >)et qu'4il y a là un

droit inhérent >)(C.I.J. Recueil 1969, p. 22).
33. Des considérations très semblables s'applique.- - à l'idéed'intro-
duire dans l'arrêt uneréserveprotégeantsousuneforme ou sous uneautre
les intérêts italiens.Une réservedoit êtreauthentique, pour n'êtrepas
fallacieuse. Sil'arrêtne tient pas dûment compte des droitsdesEtats tiers
pertinents pour la résolution du litige, il faut, pour qu'une telle réserve

suffise,qu'elle soitautre chosequ'une simpleclauseconditionnelle : ilfaut
qu'elle limite effectivement la portée de l'arrêt. Il faut qu'elle montre
clairement que la décision estpartiellement hypothétique, et fondéesur la
prémisse - inexacte - que seuleslesprétentions desParties à l'affaire sont
enjeu. Etje n'ai pas à souligner qu'une telle ligne de conduite risque fort

d'entraîner la Cour dans une suite d'arrêts contradictoires et inconci-
liables sur le même espacemarin.
34. Outre lespérils,lacunes et imperfections qui résultentdu recours à
l'article 59 pour introduire un bilatéralisme ou un relativisme déplacés
dans lesarrêtsdela Cour concernant des <droits souverains ))l'argument
qui voudrait que l'Italie soit suffisamment protégéepar l'article 59 est

réfutétout simplement par lefaitque l'article 62faitpartie du Statut de la
Cour. tout comme l'article59.eta2'ilLournit une solutionraisonnable - et
parfaitement conforme aux principes - du problèmeprécisdevant lequel
la Cour étaitplacée en l'espèce.Si un Etat désireuxd'intervenir a réelle-
ment desdroits qui sont <(pour lui encause )>,il n'est donc pas possible de

dire que ces droits sont malgrétout hors cause grâce à l'article 59. L'ar-
ticle 59, après tout, s'applique à toutes les affaires dont la Cour est saisie,
sans exception. S'ila pour effet que les droits des Etats tiers ne peuvent
jamais êtremisen cause dans un arrêt,cesdroits des Etats tiers ne peuventpas davantage êtremis en cause au sens de l'article 62.Or l'interprétation
d'unarticle duStatut quipriverait de toute significationun autre article du
mêmechapitre du Statut ne saurait êtrevalable.

(Signé R). Y. JENNINGS.

Bilingual Content

148

DISSENTING OPINION OF SIR ROBERT JENNINGS

1. 1regret that 1am not able to agreewith the Court's decision torefuse
Italy permission to intervenein the present case. 1am in entire agreement
with the Court that a right of intervention must be qualified by the
principle of theconsensualbasis of theCourt'sjurisdiction. Accordingly, 1
can also broadly agree with the proposition that Italy could not be per-
mitted, under the guiseof intervention, toattempt to seise the Court "of a

dispute between Italy on the one hand and Libya and Malta on the other,
or each of them separately, without the consent of the latter States"
(paragraph 41of the Court's Judgment). 1cannot agree,however, that this
proposition can be taken to the length of refusicg Italy permission to
intervene, to protect its interests of a legalnature which, because theymay
already be involved directly in the dispute between Libya and Malta
submitted to the Court by the Special Agreement, may be affected by the
Court's decison in the case.
2. It is the principle of consensualjurisdiction itself which, evenin the
absence of a jurisdictional link or other consent of the main parties,
requires the possibility of a limited form of intervention when the case
between theoriginalparties isabout a subject-matterin whicha third State
has rights which areput in issue, and thereforeinjeopardy, by the action.
In theabsence of ajurisdictional link,that third State isnot in aposition to
protect its interests by an application under Article 40.1of the Statute. Yet
neither should the main action result in the Court exercisingjurisdiction
over a matter in which the third State has material rights, and in the
absence of that third State, if it desires to intervene. The impropriety of
exercisingjurisdictionin theface of a substantial interest of a third State in

the same subject-matter, that State not beingbefore the Court, is strikingly
illustrated by theMonetary GoldRemovedfrom Rome in 1943case (I.C.J.
Reports1954,p. 19).It is true that in that case the legalinterest of the third
State,Albania, wasbeforetheCourt because of the terms of the compromis
itself, by which also Albania was in effect invited to make application to
the Courtto intervenebut didnot do so. Yet in the absence of Albania, the
Court refused even to pass upon the contingent interests in the same
subject-matter of the three States who were before the Court.

3. Thus, where rights in the subject-matter of the action belong to a
State which is not aparty to the action, the requirement of consent to the
exerciseofjurisdiction by the Court cutsboth ways.It places the Court in a
dilemma from whichit may be able to extricate itself inmore than oneway
depending upon thecircumstances of the case.Onewaymaybe to refuse to
exercisejurisdiction at all,as in the MonetaryGoldcase.Another way may OPINION DISSIDENTE DE SIR ROBERT JENNINGS

[Traduction]

1. Je regrette de ne pouvoir me rallieà la décisionde ne pas autoriser
l'Italià intervenir dansla présenteespèce.Je souscrispleinement à l'idée

dela Courque ledroit d'intervenir doit s'entendre sousréservedu principe
du fondement consensuel de la compétencede la Cour. Par conséquent,je
puis aussi accepter de façon généralel'idéqeue l'Italienedoit pas pouvoir,
sous le couvert d'une intervention, saisir la Cour <<d'un différendentre
l'Italie, d'une part, et la Libye et Malte ou chacun de ces Etats pris
séparément,d'autre part, sans le consentement de ces derniers (para-
graphe 41 de l'arrêt). Maijse ne puis admettreque, partant de là, on refuse
à l'Italie l'autorisation d'intervenir pour protégersesintérêts d'orjuri-
dique, car ceux-ci, risquant d'ores etdéjàd'être directement enjeudans le
litige que la Libye et Malte ont porté devant la Cour par compromis,
peuvent se trouver en cause dans l'arrêt quitranchera ce différend.

2. C'estle principe mêmede la compétence consensuellequi, mêmeen
l'absence d'un lienjuridictionnel oude tout autre consentement des parties
principales, fait qu'une forme limitée d'intervention doit êtrepossible
lorsquelelitigeentre cesparties concerne un objet sur lequelun Etat tiers a
desdroits qui setrouvent enjeu et auxquels ilpeut donc êtreportéatteinte
dans leprocès.Faute d'unlienjuridictionnel, eneffet,cet Etat tiersnepeut
protégerses intérêts en invoquant l'article0,paragraphe 1,du Statut. Et
pourtant, l'instance principale ne doit pas avoir pour résultatque la Cour
exerce sa compétencesur une question qui mette enjeu les droits subs-
tantiels de l'Etat tiers, surtout en son absence, si celui-cidésire intervenir.
Ce caractère inacceptable d'une compétence exercée malgré l'existence
d'un intérêt substantield'un Etat tiers dans l'objet mêmedu différend,

alors que cet Etat n'estpas devant la Cour, estfort bien illustrépar l'affaire
de l'Ormonétairepris à Romeen 1943(C.I.J. Recueil1954,p. 19).11estvrai
que dans cette affaire l'intért ridique de l'Etat tier- l'Albanie - avait
étéporté devantla Cour par les termes mêmesdu compromis, quiinvitait
aussicet Etat àprésenter àla Cour unerequête à find'intervention,faculté
dont iln'usa pas. Mais,en l'absencede l'Albanie,la Cour refusa de statuer
sur les intérêtque les trois Etats estant devant la Cour pouvaient avoir
concernant l'objet du litige.
3. Ainsi, lorsqu'un Etat qui n'est pas partie à l'instance possède des
droits afférents à l'objet du différend, le fait que le consentement soit
indispensable pour quela Cour puisse exercersacompétencejoue dans les
deuxsens. Decedilemme,la Cour peut selibérerde plusieursfaçons, selon

lescirconstances del'affaire.Une solution possibleest derefuser purement
et simplement d'exercer cette compétence, commedans l'affaire de l'Orbe to avoid that part of a decision which does or rnay affect the interest of
the third State ;although, as will be shown below, ths cannot always be
achieved simply by calling attention to Article 59 of the Court's Statute.
But another wayis surely an interventionin which theparticipation of the
intervening State is limitedstrictly to the demonstration and safeguarding

of its own rights actually called in questionin the main action ;and it is in
the context of this need for the possibility of strict intervention, a need
which the consensualprinciple itself imposes, that the meaning of Article
62 of the Statute must be considered.

ARTICLE 62 OF THE STATUTE

4. Article 62 of the Court's Statute provides :

"1. Should a State consider that it has an interest of a legal nature
which rnay be affected by the decision in the case, it rnay submit a
request to the Court to be permitted to intervene.
2. It shall be for the Court to decide upon this request."

It thus laysdown two, and only two, requirements for the State wishing to
intervene :first, that it considers that it has "an interest of a legal nature
which rnay be affected by the decision in the case" and, second, that the
Court for this reason permit it to intervene.
5. It is happily not necessary here to consider either the history or the
preparatory work of Article 62 because these have been examined with
cogencyand clarity in the separate opinion of Judge Oda in thecase of the
application by Malta to intervene in the case concerning the continental
shelfbetween Tunisia and Libya (I.C.J.Reports1981,p. 23).It is,however,
evident from the wording of Article 62 that an intervention under that
articleisadmirablysuited to interventionlimited to the subject-matter and
the issuesraisedin the main action, thus providing for thesituation where,
as mentioned above, it is the consensualprinciple itself whichcommends
the possibility of such limited intervention. Where the main action is

brought before the Court by a special agreement, such intervention willbe
qualified by the special agreement itself. If the intervention in the present
case were thus limited to safeguarding Italian interests of a legal nature
already put in issueby the specialagreement,and whch, therefore, rnaybe
"affected by the decisioninthe case", suchalimitedinterventionshould be
permissible evenin the absence of anyjurisdictional link or other consent
of the main Parties. 1 am unable to see why, if A and B are engaged in
litigation about an item of property whch 1believein fact belongs to me, 1
should be required to stand idly by, and rnay not be permitted formallyto
alert thecourt to what 1believeto be my rights, and whch 1believe rnaybe
affected by the court's decision. The powers of the court in face of such an
intervention is another matter to which we shall return ; but that such a
limited but necessary form of intemention comes within the intention of
Article 62, seems to be beyond question. monétaire.Une autre attitude consiste à omettre de la décision l'élément
qui met, ou peut mettre en cause, l'intérêtde l'Etat tiers; cependant,
comme on le verra plus loin, il ne suffit pas toujours pour cela d'invoquer
l'article 59du Statut. Mais une autre solution est certainement possible :
c'estune intervention où la participation de l'Etat intervenant est stricte-
ment limitée à la démonstration et àla sauvegarde de sesdroits, tels qu'ils
sont effectivement mis en jeu dans l'instance principale. Et c'est à la
lumièredela nécessité de cetteinterventionstricte - nécessitéqu'impose le
principe du consentement lui-même - qu'il convient de considérer la
signification de l'article 62du Statut.

4. L'article 62du Statut de la Cour se lit comme suit
<<1. Lorsqu'un Etat estime que, dansun différend,un intérêd t'or-

dre juridique est pour lui en cause, il peut adresser à la Cour une
requête, à fin d'intervention.
2. La Cour décide. i)
Cet article impose donc deux conditions, et deux conditions seulement, à
17Etatdésireux d'intervenir : tout d'abord, il faut qu'il estime que, <dans

un différend, unintérêt d'ordre juridiqueest pour lui en cause i); et, en
second lieu, que la Cour l'autorise pour ce motif à intervenir.
5. Je n'évoqueraipas ici la genèse ni les travaux préparatoires de l'ar-
ticle 62, que M. Oda a retracésde façon claire et convaincante dans son
opinion individuelle sur la requêtede Malte à fin d'intervention dans
l'affaire du plateau continental entre la Tunisie et la Libye (C.I.J.Recueil
1981, p. 23). Toutefois, le libelléde l'article répond parfaitement à l'hy-
pothèsed'une intervention strictement limitée àl'objet de l'instance prin-
cipale et aux questions qui y sont évoquées, eton se trouve donc dans
une situation où, comme je le disais plus haut, c'est leprincipe mêmedu
consentement qui veut qu'une intervention ainsi restreinte reste possible.

Lorsque l'instance principale est portée devant la Cour en vertu d'un
compromis, la portéede cette intervention sera définiepar le compromis
lui-même.Si donc l'intervention dansla présente espèceétaitlimitée à la
sauvegarde des intérêts italiens d'ordrejuridique qui avaient déjàétémis
enjeu par lecompromis,et quipouvaient doncêtremis << encause i)dansle
différend, elle devaitêtreautorisée, même en l'absence d'un lienjuridic-
tionnel ou de tout autre consentement de la part des Parties principales. Je
ne vois pas pourquoi, si A et B se contestent la propriétéd'un objet que
j'estime en fait m'appartenir, je devrais me tenir coi, sans qu'il me soit
permis d'avertir officiellementla Cour de ce queje considère commemes

droits, tels qu'ils me paraissent êtreen cause dans le différend.Les pou-
voirs de la Cour devant une telle intervention sontune autre question, sur
laquelle je reviendrai ;mais il ne me paraît pas douteux que ce type
d'intervention, limitée mais nécessaire, soit conforme à l'esprit de l'ar-
ticle 62. 6. This conclusion is without prejudice to the question whether an
altogether broader kind of intervention, rather in the sense in which that
term is used in municipal laws, is possible under Article 62. That is not a
matter the Court has to decide in the present case because it is not the kind
of intervention that Italy seeks. What does seem beyond question - and
here again one can respectfully agreewith what seemsto be the opinion of
theCourt - isthat evenunder Article 62,if thepurpose ofthe State seeking

tointervene is to become a true third party in the case, and in effect to tack
on a new and different case against either or both of the originalparties,
then it may readily be accepted that this intervention could not be per-
mitted unless the principal parties had in some way given their consent.
Othenvise a State which had no possibility of bringing a case by applica-
tion under Article 40.1of the Statute againstits opponent, might seizethe
opportunity ofitsopponent being engagedin litigation with another State,
to attempt to mount its own case by way of intervention. This would
breach the primary principle of consensualjurisdiction, and do so, more-
over, in a way that would make litigation before the Court an unattrac-
tively hazardous occupation.
7. The Court seems to be of the opinion that the Italian request has in
fact strayed into thisbroader notion of intervention, and is seeking to tack
on to the main case distinct questions about its continental shelf. To this

question we shall return shortly. But it is relevant here to observe that if
Italy has, in thecourse of argument, strayedbeyond the permissiblelimits
ofa strictintervention, then it would tothat extent have to be disappointed
by the Court's eventual decision in the main case. But asking too much
should not vitiate the application to intervene, provided the proper pur-
poses are included.The Maltese application of 1981wasrejected in effect
because Malta asked too little, and drew back from direct involvement in
the dispute between Libya and Tunisia. It would be unfortunate if the
Court now appears to reject Italy'sapplication because they had asked too
much. Obviously, however, al1this depends upon the nature of the Iralian
interests of a legalnature on which the application relies ;and to these we
may now turn.

8. Article 62 does not require a State, at the stage of requesting per-
mission to intervene, to prove and precisely identify the interests which it
believes maybe affected by the decision inthe case. Indeed,itcouldhardly
do so,forin sofar as theintervention must be confined to the issuesraised
in the main case,much depends upon thecoursethe main hearing may take
whether in a later stage of written pleadings or in the oral pleadings. It
would beparticularlyunkind to require suchan absolute demonstration of
its possibly affected interests from Italy, which has not been permitted
access to the written pleadings already exchanged between the Parties. 6. Cette conclusion ne préjugepas de la question de savoir si un genre
d'intervention beaucoup plus large, proche de l'acception de ce terme en
droitinterne, estpossible sur labase de l'article62.LaCour n'avaitpas à se
prononcer sur cette question dans la présenteespèce,car tel n'étaitpas le
genre d'intervention que recherchait l'Italie. Mais ce qui paraît incontes-
table- etje puis ici me rallier avec ce qui semble êtrel'avisde la Cour-
c'estque,mêmeenvertude l'article 62,sil'intention de 1'Etatquidemande
à intervenir est d'ester en qualitéde véritable tiercepartie à l'affaire et
d'intenter en réalituneaction nouvelleetdifférentecontre l'uneoul'autre
des parties originaires, ou contre les deux, cette intervention ne doit pas
êtreautorisée,sauf siles parties principales y ont consenti d'une façon ou
d'une autre. Sans cela, un Etat qui n'aurait pas la possibilitéd'introduire
une instancecontre son adversaire en invoquant l'article40,paragraphe 1,

du Statutpourrait profiter de ceque cetadversaire setrouve enprocès avec
un autre Etat pour essayer d'intenter sa propre action par le biais de
l'intervention. Ceserait là violerleprincipefondamental de la compétence
consensuelle, et d'une manière qui ferait du recours à la Cour une entre-
prise hérissée d'embûches.
7. La Cour semble êtred'avis que,dans sa requête,l'Italie s'esten effet
égarée verscette conception élargiede l'intervention, et cherchaità greffer
sur l'instance principale des questions distinctes, concernant son propre
plateaucontinental. Je reviendrai un peu plus loin sur cette question. Mais
ilconvient d'observer icique si,dans son argumentation, l'Italie a dépassé
leslimitesadmissibles d'une intervention stricte, c'estprécisémentdans la
mesure où ellel'afait qu'elleserafrustréepar la décisionfinale de la Cour
dans l'instance principale. Or lefait de demander trop n'entache pas en soi

de nullité lademande d'intervention, si celle-cienglobe son objet réel.La
requête maltaisede 1981aété rejetéeparceque Maltedemandait trop peu
et se refusaità entrer directement dans le différend entre la Libye et la
Tunisie ; il serait regrettable que la Cour paraisse maintenant rejeter la
requêtede l'Italie parce que celle-ci demande trop. Cela dit, tout dépend
évidemmentde la nature des intérêtistaliens d'ordrejuridique sur lesquels
la requête est fondéee ,t qu'il convient donc de considérer à présent.

8. L'article 62 n'exigepas que l'Etat, au moment où il demande l'au-

torisation d'intervenir, démontreet définissede façon préciseles intérêts
qu'il estime être pour luien cause dans le différend. Cela serait d'ailleurs
difficile,car l'intervention, dans la mesure où elledoit rester dans lecadre
desquestions évoquéeslorsdel'instance principale,ne peut pas nepas être
influencéepar ledéroulement desdébatsdans cette instance, qu'il s'agisse
dela suite delaprocédureécriteoudesaudiences.Et ileûtété d'autant plus
désobligeantd'exigerde l'Italie une preuve aussi absolue des intérêts qui
sont pour elle en cause, qu'elle n'avait pas étéautorisée à recevoir com-Article 62requires only that the would-be intervener "consider" that it has
such an interest which "may" be affected by the decision.

9. In contrast to intervention under Article 63, however, it is for the
Court itself to decide upon the request, and here the Court clearly has to
exercisea considerablemeasure of appreciation of theparticular situation
in coming to its decision. This is farfrom saying the Courthas a complete
discretion. What it has to do is to decide whether the requirements of
intervention under Article 62are complied with or not :that is to Sayit has

to decide in this case whether there are sufficiently cogent and convincing
grounds upon which Italy might reasonably "consider" that it does indeed
have interests of a legalnature which "may" be affected by the decision in
the case between Libya and Malta. And that is all.
10. There is no need for the purposes of this opinion to expound and
analyse the considerable material and argument that Italy brought to bear
upon ths question of what its potentially affected legal interests rnay be.
Given the geographical position of Italy in relation to themain Parties, in a
narrow, enclosed sea,with common shelf areas, where in the words of this
Court in the North Sea ContinentalSheIfcases "it happens that the claims
of several States converge, meet and intercross ..." (I.C.J. Reports 1969,
para. 89) ;and giventheclaimsalready made public by Malta insupport of
its attempted intervention in 1981,itisdifficult to seehowitcould possibly
be denied that Italy has fulfilled the requirements of paragraph 1of Arti-
cle 62.

11. The question may be asked how the position of Italy differs from
that of Malta in 1981when it was refused permission to intervene under

Article 62 in the case between Libya and Tunisia ?One reply no doubt is
thatin sofar astheCourt isgivenafreedom ofappreciation to be exercised
in relation to the circumstances of eachparticular case,itmust doprecisely
that ;and how that appreciation wasmade in other casesisneither herenor
there. But it is also to be noted that there is a nice but material distinction
between the present application and the Maltese application, as it was
perceivedby the Court. In its Judgment (I.C.J.Reports1981,p. 12,para. 19)
on the Maltese application the Court said :

"The interest of a legal nature invoked by Malta does not relate to
any legal interest of its own directly in issue as between Tunisia and
Libya in thepresent proceedings oras between itself and either one of
those countries. It concerns rather the potential implications of rea-
sons which the Court may give in its decision in the present case on
matters in issue as between Tunisia and Libya with respect to the
delimitation of their continental shelvesfor asubsequentdelimitation
of Malta's own continental shelf." (Emphasis supplied.)

It is evident that, if the Court was right in thus qualifying the Maltese PLATEAU CONTINENTA (OP. DISS.JENNINGS) 151

munication des écrituresdéjàéchangées entre les Parties. Mais l'article 62
ne requiert qu'unechose :c'estquel'intervenant éventuel <(estime qu'un
tel intérêtst pour lui ((en cause )).
9. Contrairement cependantau cas de l'intervention faite surlabase de
l'article63, c'estàla Cour elle-mêmede décider,et la Cour, pour ce faire,
doit manifestement exercer un pourvoir d'appréciation trèslarge dans
l'appréciation des circonstances de l'espèce.Cela ne signifie pas que la

Courait sur cepoint un pouvoir discrétionnaireabsolu,tant s'enfaut. Elle
doit seulement décider siles conditions de l'intervention prévues à l'ar-
ticle 62 sont remplies ou non - autrement dit, en l'espèce,s'ily avait pour
l'Italie des motifs suffisamment solides et convaincants d'~estime[r]
avoir effectivement des intérêts d'ordre juridique<< en cause dans le
différendentre la Libye et Malte. Et c'est tout.
10. Point n'est besoin icide reprendre et d'analyser toute la documen-
tation et l'argumentation que l'Italie a présentéessur la question de savoir
quels étaientsesintérêtsjuridiquessusceptibles d'être encause. Considé-

rant la situation géogaphiquede l'Italie par rapport aux Parties princi-
pales, dans une mer étroite etresserrée,avec des zones communes de pla-
teau continental où. Dour citer les termes de la Cour dans l'arrêtconcer-
nant lesaffaires du PiuteaucontinentaldelamerduNord, <il setrouve que
les prétentions de plusieurs Etats convergent, se rencontrent et s'entre-
croisent...))(C.I.J. Recueil 1969,par. 89), et considérant aussi les préten-
tions déjà publiquement formuléespar Malte à l'appui de sa tentative
d'intervention en 1981,je ne vois pas comment on pourrait nier que
la requêtede l'Italie satisfaisait aux conditions du paragraphe 1 de l'ar-

ticle 62.
11. Peut-être est-ce icile lieu de se demander en quoi la position de
l'Italie différaitde celle de Malte en 1981,lorsque cepays s'estvu refuser
l'autorisation d'intervenir sur la base de l'article 62 dans l'affaire entre la
Libye et la Tunisie ? Une réponse à cette question serait sans doute que,
dans la mesure où la Cour peut librement apprécier les circonstances de
chaque espèce,elledoit exercercetteliberté,etquela façon dont elles'yest
prise dans d'autres affaires importe peu. Mais il faut aussi noter qu'il y a
une distinction subtile, mais réelle,entre la présente requêteet celle de

Malte, tellequ'elle avaitétéinterprété per laCour.Dans son arrêtsur lare-
quêtemaltaise (C.I.J. Recueil 1981,p. 12,par 19),la Cour a dit en effet :
<L'intérêt d'ordrjeuridique invoquépar Malte ne se rattache à
aucun intérêtjuridique a lpipartenantenproprequi serait directement

encause dans laprésenteinstanceentre laTunisieetla Libye,ouentre
Malte et l'un ou l'autre de ces Etats. Il concerne en réalitél'effet
qu'auraient éventuellement, surune délimitation ultérieuredu pla-
teau continental de Malte, des considérations que la Cour pourrait
formuler dans sa décision à propos de points en litigeentre laTunisie
et la Libye relativement à la délimitationde leursplateaux continen-
taux. (Les italiques sout de moi.)

Or il va de soi que, si la Cour avait raison de définir ainsila requêtede 152 CONTINENTAL SHELF (DISS. OP. JENNINGS)

application, it was entirely correct in holding that it failed to satisfy the
requirement of Article 62, which is precisely "a legal interest of its own7'
which is"directly in issue" between the main parties.

THE ~QUIREMENTS OF THE COURT'S RULES

12. Article 62 of the Statute requires only that a State requesting per-
mission to intemene consider that ishas an interest of a legalnature which
may be affected by the decision in the case ; but Article 81 of the 1978
version of the Rules adds two further requirements, namely :

"(b) the precise object of the intervention ;
(c) any basis ofjunsdiction whichis claimed to exist as between the
State applying to intemene and the parties to the case".

Sincethe Rules cannot add to or modify the effect of the Statute, it has to
be assumed that these additional items of information are required only to
enable the Court more effectively to appreciate whether the statutory
requirements of intemention are fulfilled.
13. The requirement in paragraph (c) need not detain us. It does not
suggest that a basis of jurisdiction is required in al1cases :quite the
contrary ;though it may wellbe relevant if and in so far as the requesting
State is seehng tojoin a different case with the original one.

14. As to the "precise object of the intervention", this is presumably to

enable the Court to assure itself how far the object is indeed the safe-
guarding of legalrights whichmay be affectedby the decision, and howfar
other purposes might be involved. There has been no suggestion that the
Italian application in thepresent case has any object other than to protect
what it believesto beits rights of a legalnaturethat may be affected by the
decision. Nevertheless, there is something more to this question of "the
precise object". For the Court has to consider, besides the existence of
interests of the kind referred to in Article 62, what the intemening State
proposes to asktheCourt to do about them. If,for example,itwereallowed
to intervene, in what ways might it be asking the Court to modify the
decision it has to make in themain case ?Or arethereother waysin which
the Court might be asked to assist the intemening State? Obviously,

therefore, this kind of information is relevant to the Court's consideration
whether or not the intervention should be permitted.

15. Before turning to those aspects, it will be convenient briefly to
mention the argument put forward by both the main Parties that there is
another requirement not mentioned in either Article 62 of the Statute, nor
yet in Article 81of the Rules, namely, that the would-be intervening State
must show an existing dispute with either, or perhaps both, of the main
parties ;and perhaps also ahistory of attempted negotiation of agreement Malte, c'estajuste titre qu'ellea conclu quecetterequêtene répondaitpas
aux conditions de l'article 62, qui sont précisément l'existencd'un in-
térêtjuridique..appartenant enpropre ))àl'Etat intervenant, et lefaitque
cet intérêtsoit <directement en cause 1)dans l'instance entre les parties
principales.

12. Tout ce que l'article 62 du Statut requiert de 1'Etatdemandant à
intervenir, c'est d'estimer que dans un différendun intérêtd'ordre jun-

dique estpour luiencause.Maisl'article 81du texte de 1978du Règlement
ajouteà cela deux autres conditions, à savoir que soient indiqués :
«b) l'objet précisde l'intervention ;
c) toute base de compétencequi, selon 1'Etatdemandant à inter-
venir, existerait entre lui et les part)).

Comme leRèglementnepeut accentuer nimodifierl'effetdu Statut, ilfaut
supposer que cesdeux indicationsne sont requises que pourpermettre à la
Cour de mieuxjuger si les conditions de l'intervention inscrites au Statut
sont remplies.
13. Je ne m'attarderai pas sur la condition énoncéeà l'alinéac). Ellene

signifiepas qu'une basedecompétence soitrequisedans tous lescas - bien
au contraire. Et si elle est applicable, c'est seulement lorsque, et dans la
mesure où, l'Etat intervenant cherche à joindre une action différente à
l'instance première.
14. Pour cequi estde <<l'objet précisdel'interventionD,sansdoute cette
clause a-t-elle pour but de permettreà la Cour de s'assurer que l'objet de
l'intervention est réellement la sauvegarde desdroitsjuridiques en cause
dans le différend, et de constater jusqu'à quel point l'intervention peut
répondre à d'autres motifs. Or personne n'a prétendu que la requête
italienne dans la présente espèce eût pour objet autre chose que la pro-
tection de ceque l'Italie estimait êtrepourelleun intérêt d'ordrejuridique

en cause dans ce différend. Mais il y a autre chose dans cette clause de
<<l'objet préciso.En effet la Cour doit considérer,outre l'existence d'in-
térêtsdu type mentionné à l'article 62,ce que l'Etat intervenant entend
demander àlaCour defaire àpropos de cesintérêtsS .icet Etat est autorisé
à intervenir, de quelle façon par exemple demandera-t-il à la Cour de
modifier sa décisiondans l'instance principale ? Ou bien y a-t-il d'autres
moyensde demander à la Courd'aider 1'Etatintervenant ?Manifestement,
donc, ce genre d'indication peut contribuer à la décision de la Cour
d'admettre ou non l'intervention.
15. Avant cependant de passer à l'examen de ces questions, je rappel-
lerai brièvement l'argument avancépar les deux Parties principales selon

lequel il existerait une autre condition, qui ne serait mentionnée ni à
l'article 62duStatut niàl'article81du Règlement,etqui seraitl'obligation
de 1'Etatintervenant de prouver la réalitéd'un différendentrelui et l'une
ou l'autre des parties principales, ou mêmeles deux ;voire, lorsqu'il s'agitwhere the case is about continental shelf boundaries. Obviously there rnay
be an existing dispute or disputes, and there rnay have been prior nego-
tiations ; the question is whether there has to be, before a valid request to
intervene rnay be made.

16. One sufficientanswertothisobjection to theItalian request isthat it
isnot permissible thus to seekto amend theeffectof the Court's Statute. To

require there to be an existing dispute with the intervener is to require
something not mentioned in Article 62. What that article requires of the
intervener is alegalinterest, whichrnayor rnaynot be related toan existing
dispute, but which rnay be affected by the decision the Court makes in
respect of the dispute between the main parties. That is the dispute that
matters for Article 62.
17. Furthermore, however, to require that there be already an existing
dispute between the intervener and at least oneof the parties, and that such
existing dispute be the subject-matter of the intervention, is to take the
Italian application outside the category of a strictly limited intervention,
and to place it in the category of "tacked disputes", where ajurisdictional
link would surely be required. An existing dispute would have its own
dimensions, and indeed one can easily imagine a dispute that might be
affected by the Court's decision but which was at the same time an

altogether larger question than one put in issuebetween the parties in the
case.Thus to Saythat an existingdispute with the intervener is acondition
of intervention would beto import the requirement of ajurisdictional link
in virtually al1cases,for such a dispute must be different fromthe dispute
in the case.This would do nothing to assist the Court in its dilemma where
itfinds itselfin danger ofbreaching the consensualprinciple ifitmakesany
decision ; a problem, however, for the solution of which intervention
within the plain meaning ofArticle 62,and alsostrictly limited to what has
been put into issue in the case by the parties, in theirdispute, seems
particularly apt.
18. It is time now to turn to the difficulties which the Court evidently
sees in any attempt thus to limit the intervention sought by Italy.

19. The Court's Judgment seemsnot to be very much troubled over the
question whether the Italian interests form part of an already existing
dispute ;it is, however, one might almost Say,preoccupied by an appre-
hension that to entertain the Italian request might involve the Court in
passing, without the consent of those Parties, upon anew dispute between
Italy andthe Parties ;albeit oneexcitedby the intervention itself.Thus, the

Court says (para. 31) :
"Therefore if Italy were permitted to intervene in the present pro-d'une affaire de délimitation du plateau continental, de tentatives de

négociationpour aboutir àun accord.Detoute évidence,il peut y avoir un
différend ou des différends réels,et il a pu y avoir des négociations
antérieures ;mais la question est de savoir si cela est indispensable pour
que la demande d'intervention soit valable.
16. A cette objectioà la requêteitalienne,il suffiraitde répondrequ'il
n'est pas permis de modifier de la sorte les effets du Statut de la Cour.
Exiger qu'il y ait un différend réel avecl'intervenant revient en effeà
exigerquelquechosequi n'estpas mentionné àl'article62.Tout ceque cet
articlerequiert, c'estque l'intervenant ait un intérêtjuridique, quipeutêtre

liéou non à un différend réel, maisqui est pour lui en cause dans le
différendentre les parties originaires.Ce dernier différend est le seul qui
importe dans le cadre de l'article 62.
17. Mais, en outre, exiger qu'il existe déjà un différendentre l'interve-
nant et l'une au moins des Parties, et que ce différendréelsoit l'objet de
l'intervention, serait ôter la requête italiennede la catégoriedes interven-
tions strictement limitéeset la ranger dans la catégorie des différends
((greffés sur l'affaire principale, pour lesquels un lien juridictionnel

seraitsansnul doute exigé.Un différendréelaurait en effet sesdimensions
propres, et l'onpeut mêmeconcevoirun différendqui,bien qu'étantmisen
causepar la décisiondela Cour,seraitbeaucouppluslarge que ledifférend
entre les partieà l'instance. Affirmer qu'un différendréelavec l'interve-
nant est une condition nécessairede l'intervention reviendrait donc à
exigerun lienjuridictionnel dans presque tous lescas,puisquecedifférend
seraitforcémentautreque ledifférendentre lesparties principales. Et cela
n'aiderait en rien la Cour à résoudre le dilemme ou elle se trouve en
risquant de violer le principe du consentement en prenant une décision,

quelle qu'ellesoi- problème qui trouve sa solution, au contraire, dans
l'intervention prise au sens que lui donne clairement l'article 62, et stric-
tementlimitée à cequiest mis enjeu par lesparties dans ledifférend entre
elles.
18. Voyonsmaintenant lesdifficultésqu'ilyaurait eu,d'aprèslaCour, à
restreindre de la sorte l'intervention demandée par l'Italie.

L'INTERVENTION DE L'ITALIE AURAIT-ELL OEBLIGÉ LA COUR
A SE PRONONCER SUR UN NOUVEAU DIFFÉREND ?

19. LaCourneparaît pas trop préoccupée dans son arrêtpar laquestion

de savoir si les intérêts italiensfont déjàl'objet d'un différendréel.Par
contre ellesembleredouter, sil'onpeut dire,d'êtreobligée,enaccédant àla
requête italienne,de se prononcer, sans le consentementdes Partiesprin-
cipales, sur un nouveau litige entre l'Italie et celles-ci, suscitéou non par
l'intervention elle-même.Comme il est dit au paragraphe 31 de l'arrêt :

(<Il s'ensuit que,sil'Italie était adàintervenir dansla présente ceedingsin order to pursue thecourseit hasitselfindicated itwishesto
pursue, the Court would be called upon, in order to giveeffect to the
intervention, to settle a dispute, or some part of a dispute, between
Italy and one or both of the principal Parties."

When Italy asks for the "safeguard of her rights, the Court sees that as

leading inevitably to its having to make a finding on the validity of those
rights (para. 32) ; and if one of themain Parties should deny the existence
of those rights then there emerges a new dispute ; and such a dispute the
Court feelsthat it could not decide in the absence ofconsent of the Parties.
1sseemsalmost asif theCourt seesthe way along aroad it knows it should
not take but cannot trust itself not to take it. From what it thus seesas an
inexorable progression from safeguarding rights to the adjudgment of a
new dispute, the Court finds safety only by refusing to take even the first
step. But if this reasoning is correct, then there is, of course, virtually no
practical possibility of a third party ever safeguarding its rights by inter-
vention under Article 62, Savewhen the main parties have at some stage
given their consent. For if intervention under Article 62 (though not it
seems under Article 63)is not permissible where it might or could excite
some dispute between the intervener and theparties, then it is difficult to
imagine in what circumstances an application under Article 62 could be

successful, other than where the main parties are prepared, in effect, to
welcome the intervention.

20. Yet this conclusion of the Court does nothing to extract it from the
impasse in which theCourt mustfind itself - an impasse the awkwardness
ofwhich appears through the Judgment in many places - when it is asked
by the parties to a case to adjudge a matter which possibly involves the
rights of a third party. It does nothing to extricate the Court from the
dilemma presented preciselyby the rule that it may not adjudge a dispute
without theconsent of al1the States directly involved. In fact the onlyway
out, if the Court is to deal with the matter at all, is an intervention by the
third party, the intervention being strictly limited to the matters already
put in issueby, in thiscase,the SpecialAgreementbetween the Parties ;the
only realistic alternative being to refuse to decide such an issue at all. (The

notion that it can be dealt with on a "relative" basis, whilst drawing
attention to Article 59, will be considered later.)
21. But to refuse to adjudicate upon these aspects of the boundary
would be to resile from the very task that the Court is asked to perform in
the SpecialAgreement. In determining anycontinental shelfboundary it is
necessary to draw attention to al1the relevant circumstances, and it is
difficult to imagine a more relevant circumstance than the legalrights of a
geographicallyirnmediateneighbour. Besides,where theultimate object of
the exerciseis the drawing of aline, it might be thought that a failure to be
reasonably specific about how to locate the beginning and how to locate
the end of the line would be a serious defect.
22. Let us take, as a convenient example of the problem that faces the PLATEAU CONTINENTAL (OP. DISS. JENNINGS) 154

procédure en vuede poursuivre l'objet qu'elle-mêmea dit vouloir
rechercher,laCour seraitappelée,pourdonner effet à l'intervention,à
trancher un différend, ouun élémentde différend,entre l'Italie et
l'une ou l'autre des Parties principales, ou les deux.>)

Quand l'Italie demande que ses droits soient sauvegardés )>,la Cour
craint que cela ne l'amène inévitablement à statuer sur la validitéde ces
droits (par. 32); et si l'une des Parties principales niait l'existence de ces
droits, il en résulteraitun nouveau litige, sur lequel la Cour estime qu'elle
ne pourrait se prononcer sans le consentement des Parties. On dirait
presque que la Cour sevoit entraînéesur une voiequ'elle sait devoir éviter,
tout en n'étant pas sûred'être capable de l'éviter. Pour nepas passer ainsi,

inexorablement, de la sauvegarde des droits invoquésa la résolutiond'un
nouveau litige, la Cour ne trouve d'autre planche de salut que de ne pas
mêmefaire lepremier pas dans cette direction. Mais, siceraisonnement est
correct, il devient évidemment impossible oupresque qu'une tiercepartie
réussissejamais à sauvegarder ses droits par une intervention faite sur la
base del'article62,sauf silesparties principales donnent à un moment ou à
un autre leur consentement a cetteintervention. En effet, si l'intervention
faite sur la base de l'article 62(mais non pas, apparemment, sur la base de

l'article 63) est inadmissible lorsqu'elle risque de faire apparaître un dif-
férendentre l'intervenant et les ~arties. on voit mal dans auels cas une
requêteintroduite en vertu de ce texte pourrait aboutir, si cen'est lorsque
les parties principales sont disposéesen fait à accueillir l'intervention.
20. Cette conclusion de la Cour ne l'aide d'ailleurs pas à sortir de
l'impasse - fort gênante, comme celatransparaît dans de nombreux pas-
sages de l'arrêt- où elle se trouve nécessairementquand les parties à une
instance lui demandent de statuer sur une question denature à mettre en

cause lesdroits d'une tiercepartie. Et ellene la dégageen riendu dilemme
que créeprécisément lraèglequi veut qu'ellene puisse seprononcer sur un
différendsansleconsentement de tous lesEtats directement intéressés.En
réalité,l'unique solutionau problème,silaCour veut seprononcer, est une
intervention de 1'Etattiers strictement limitéeaux questions déjàportées
devant la Cour - en l'espèce,par lecompromis conclu entre lesParties ;la
seule autre attitude possible consistantà refuser purement et simplement

deseprononcer. (L'idéed'unedécisiondecaractère (<relatif))appuyée sur
l'article 59, sera discutée plus loin.)
21. Cependant la Cour, en refusant de statuer sur ces aspects de la
délimitation, se déroberait à la tâche mêmequi lui incombe en vertu du
compromis. Il est en effet indispensable, pour toute délimitation du pla-
teau continental, de considérer touteslescirconstances pertinentes, et l'on
imagine difficilement une circonstance plus pertinente que les droitsjuri-
diques d'un Etat situédans le voisinage géographiqueimmédiatdes par-

ties.De plus, quand l'objet finaldel'opération estletracéd'uneligne,ilest
à craindre qu'un manque de précisionquant àl'emplacement du point de
départet du point d'arrivéede cette ligne ne soit un grave défaut.
22. Prenons, comme exemple pratique du problèmeauquel seheurte la Court the possibility, discussed in argument before the Court (and see
paragraph 39 of the Judgment), that the correct location of a terminus of
theboundary linemight wellturn out to beatripoint, being thejunction of
the continental shelvesof the two Parties and of Italy. To see this task of
establishing a tripoint as being essentially a consequence of resolving
distinct disputes, as the Court seems to do, is to assume that the correct

location of acontinental shelfboundary isdetermined by acourt of lawby
establishing some sort of compromise between different claims. Such an
assumption is surely contrary to principle. Continental shelf boundaries
are established by the applicable law, talung account of al1the relevant
circumstances. The actual extent of the claims of the parties is not a
relevant circumstance. Continental shelfrights in fact belongwhether they
are claimed or not. Claims are, therefore, irrelevant except in sofar asthey
can bejustified before the Court by reference to theapplicable law. If the
correct location in law of apoint on the Libyan/Maltese continental shelf
boundary is a tripoint with the Italian continental shelf,it surelycannot be
in a different place depending whether ornot Italybepermitted tobecome
an intervening party in the case. Thequestion of the location of that point
is, in its entirety, already before the Court in the terms of the Special
Agreement. HearingItalian argument about the extent of its own interests
already involved in that question, does not enlarge that question at al1;it
merely gives some promise of shedding more light upon it.

23. If this is not the kind of situation in which Article 62 contemplates

the possibility of intervention by a third State whose interests might be
affectedby a decision,it isdifficult to seewhen it would operate at all.The
questions that Italy could properly raise before the Court in an interven-
tion under Article 62 are solely aspects of the questions already raised in
the SpecialAgreement between the Parties. The Court (para. 40) cites the
passage from the case of the Monetaiy GoldRemovedfrom Rome in 1943
(Z.C. Jeports 1954,p. 32) where the legal interests of the third State
"would not only be affected by a decision, but would form the very
subject-matter of the decision" :"which is not the case here", adds the
Court. But is seemsto me that those interests do indeed form a part of the
very subject-matter of the decision ;and that the question of a boundary
tripoint is a very exact illustration of that fact.

24. At this point the question of the Court's competence to entertain
this kind of strictly limited intervention must be considered. That the

Court hasby virtue ofArticle 62itself the necessaryincidentaljurisdiction
to deal with al1procedural matters concerning an intervention is not in
doubt. Furthermore, always provided that the intervention be limited to Cour,l'hypothèseavancéeenaudience (voiraussiparagraphe 39del'arrêt)
oùl'une desextrémités de lalignededélimitationserait un point triple,àla
jonction des plateaux continentaux des Parties principales et de l'Italie.
Penser, commela Cour semblelefaire, que la déterminationd'un telpoint
triple résulteessentiellement de la résolutionde litiges distincts, revàent
admettre que l'emplacement correct d'une délimitationde plateau conti-
nental peut êtredéterminépar un tribunal à l'issue d'une sorte de com-
promis entre les différentesrevendications. Or une telle hypothèse est
certainement contraire aux principes. Les délimitationsde plateau conti-
nental sont déterminées en vertudu droit applicable, compte tenu de
toutes lescirconstances pertinentes. Maisl'étendue desrevendicationsdes
parties n'est pas une circonstance pertinente. Les droits sur le plateau

continental appartiennent à tel ou tel Etat, qu'ils soient ou non revendi-
qués.Les revendications sont donc dénuées de pertinence, sice n'est dans
lamesure où ellespeuvent êtrejustifiées devantlaCour sur labase du droit
applicable. Si l'emplacement correct en droit d'un point de la ligne déli-
mitant leplateau continental entre laLibyeetMalte setrouve êtreun point
triple, situàlajonction du plateau continental italien, cetemplacement ne
changera pas selon que l'Italie aura ou non étéadmise à intervenir dans
l'affaire. Lecompromissuffit à soumettre à laCour laquestion tout entière
de l'emplacement de ce point, et les arguments de l'Italie concernant
l'étenduede ses propres intérêts,tels qu'ils sont déjà enjeu à cet égard,
n'élargissaientpas le problème : ils pouvaient seulement contribuer à
l'éclairer.

23. S'il ne s'agit pas ici du genre de situations où l'article 62 rend
possible l'intervention d'un Etat tiers dont lesintérêsont en cause, il est
difficile de voir dans quel cas cette possibilitépourra jouer. Les questions
quel'Italieaurait euledroit deporterdevant laCourdans uneintervention
faite sur la base de l'article 62 n'auraient étéque d'autres aspects des
questions déjà soulevéesdans le compromis entre les Parties. La Cour,
citant (par. 40) le passage de l'arrêt surl'affaire de l'Ormonétaireprisà
Rome en 1943 (C.I.J. Recueil 1954, p. 32) ou il est dit que les intérêts
juridiques de 1'Etattiers <seraient non seulement touchéspar une déci-
sion, mais constitueraient l'objet même de ladite décisionD, ajoute :(<ce
qui n'est pas le cas icD.Or, il me semble précisémentque les intérêts de
l'Italie constituent en l'espèceune partie de l'objet de la décision,et que

c'est ce qu'illustre trèsexactement la question du point triple de délimi-
tation.

24. Il convient de se demander maintenant si la Cour est compétente
pour connaître d'une intervention aussi strictement limitée.A cet égard,il
n'est pasdouteux que l'article62lui-mêmedonne à la Cour lacompétence
incidente nécessairepour se prononcer sur toutes les questions de procé-
dure relativesà une intervention. De plus, et en supposant toujours quematters which both "would be affected by the decision" and alsoform an
integral part of "the very subject-matter of a decision", there would seem
tobe noproblemabout thecompetence of theCourtto dealwith matters of
substance that fulfil those conditions. As becomes apparent from the
Monetaty Gold case itself, where third State rights are thus directly
involved in the very issues submitted to the Court by the parties, the

problem of competence anses not when the concerned third State inter-
venes but when it does not. Indeed this seems to be appreciated by the
Court itself, as appears from its anxiety, to persuade itself that the inter-
ventionrequested by Italy would in somewaydefy any attempt to confine
it to this sphere of strictly limited intervention. The clear implication of
what the Court says on this matter is that, if the intervention could be so
limited,there would be no problem about competenceand the consent of
the Parties would not be required.

25. In thisconnection it isinstructiveto consider an intervention under
Article 63of the Statute. Article 63,of course, givesa right of intervention,
withoutthe need of any permission fromtheCourt, toanyStatesparties to
a convention the construction of which "is in question" in a case.This has
been invoked twice :in the case of the S.S. "Wimbledon" in 1922(P. C.I.J.,

Series C, No. 3, Vol. 1,pp. 118-122),where, however, the parties had no
objection to the intervention ; and in the Haya de la Torrecase (I.C.J.
Reports 1951,pp. 76-77), wherethe Court admitted an intervention under
Article 63 even thoughone of theparties did object and arguedthat it was
inadmissible. It was in this latter case that the Court made the important
pronouncement,not apparently intended tobe confined to an intervention
under Article 63, that :

"every intervention is incidental to the proceedings in a case ; it
follows that a declaration filed as an intervention only acquires that
character, in law, if it actually relates to the subject-matter of the
pending proceedings".
This, of course, suggests that what we have called strictly lirnited inter-
vention is in fact the only lund contemplated by the Court's Statute. And

later the Court concludes (p. 77) with the interesting observation that :
"the onlypoint which itis necessary to ascertain is whethertheobject
of the intervention of the Government of Cuba is in fact the in-
terpretation of the Havana Convention in regard to the question
whether Colombia is under an obligation to surrender the refugee to
the Peruvian authorities".

26. The parallel between the situations required tojustify intervention
under these two complementary articles is instructive. The party to a
convention the construction of which "is in question" in a case, so clearly
has an "interest of a legalnature which may be affected by the decision in
the case", that a right of intervention is given by the Statute itself without
need of a special decision by the Court. Otherwisethe parallel is striking.l'intervention ne concerneque des questionsqui << seraientnon seulement
touché[e]spar une décision, mais constitueraient l'objet mêmede ladite
décision O,il semble que la compétencede la Cour pour se prononcer sur
les questions de fond qui répondent à ces conditions ne fasse pas de
difficulté.L'affaire de l'Or monétairemontre d'ailleurs que, si les droits
d'un Etat tiers sontdirectement mis enjeu par lesquestions mêmesqui ont
étéportéesdevant la Cour par les parties, ce n'est pas quand l'Etat tiers
intervientque se pose le problème de la compétence : c'est quand il n'in-
tervientpas. Et c'estapparemment cequepense laCour elle-même,comme
en témoigneson désirde se convaincre que l'intervention demandée par

l'Italie aurait en quelquesorte résistéauxeffortspour la confinerdans une
sphèreaussi strictement limitée.De ce quedit la Cour àce sujet, il résulte
logiquement que, si l'intervention avait pu être ainsilimitée, iln'y aurait
pas eu de problèmede compétence,et leconsentement des Partiesn'aurait
pas éténécessaire.
25. Il est instructià ce propos de considérerl'intervention faite sur la
base de l'article63 du Statut. Comme on le sait, l'article 63 reconnaît un
droit d'intervention, sansquela permission dela Cour soit requise, à tous
les Etats parties à une convention dont l'interprétation est en jeu. Cet
article a étinvoquédeuxfois :dans lecas du VapeurWimbledon, en 1922

(C.P.J.I. sérieCno3,vol. 1,p. 118-122),où, il est vrai, lespartiesn'avaient
pas élevéd'objection contre l'intervention ;et dans l'affaire Haya de la
Torre(C.I.J. Recueil 1951,p. 76-77),où la Cour a admis une intervention
sur la base de l'article 63,bien qu'une des parties eût objecté àI'interven-
tion et eûtsoutenu qu'elleétaitirrecevable.C'est danscettedernièreaffaire
que l'on trouve l'important énoncésuivant, où la Cour apparemment ne
songeait pas seulement à l'intervention faite sur la base de l'article 63:

(<toute intervention est un incident de procédure ;par conséquent,
une déclaration déposée à fin d'intervention ne revêt,en droit, ce
caractèreque si ellea réellementtrait à cequi est l'objet de l'instance
en cours )).

Cela montre bien que ce quej'appelle une interventionstrictement limitée
est en fait le seul genre d'intervention prévudans le Statut. Et la Cour
ajoutait plus loin (p. 77) cette intéressante conclusion :
<<leseulpoint qu'ilimporte devérifierestde savoir sil'interventiondu

Gouvernementde Cuba a bien pour objet l'interprétation de la con-
vention de La Havane relativement àl'obligation quiincomberait à la
Colombie de remettre le réfugié auxautoritéspéruviennes )>.

26. La comparaison entre les situations quijustifient l'intervention au

titre de ces deux articles complémentairesest significative. Pour un Etat
partie à une convention dont l'interprétation est mise en jeu dans une
affaire,1'0intérêd t 'ordre juridique ..en cause ))est tellement manifeste
que le droit d'intervenir lui est reconnu par le Statut lui-même,sans
décision spécialede la Cour. Mais, cela mis à part, ces deux articles sontYet it has never been supposed that an intervention under Article 63
requires the consent of the parties to the case ;indeed in the Haya de la
Torre case the intervention had been opposed by one of the parties.
Furthermore, in Article 63 it is clearly contemplated that the intervener
willmakesubmissions in regard to the content of thejudgment to be given

by theCourt in the main casealreadybefore it ;for thearticle provides that
"the construction givenby thejudgment willbe equallybinding upon" the
interveningState.Italydid, ofcourse,offer alikecommitment if allowedto
intervene under Article 62. The Court's Judgment does not deal with
Article 63 ; but the reasons given for rejecting the Italian request do seem
tosit uneasilywith theright ofinterventionprovided inArticle 63and with
thefact that thisCourt hasinthe Haya dela Torrecase seennodifficulty in
such an intervention going forward even when one of the parties opposed
it.

ARTICLE 59 OF THE STATUTE

27. Whilst rejecting the Italian application to intervene the Court
nevertheless, concedes that it "cannot wholly put aside the question of the

legal interest of Italy as well as of other States of the Mediterranean
region" (para. 41).And to cope with thisproblem, the Court first relies on
Article 59 of the Statute. Thus the Court (para. 42) is of the opinion that,
without the need to intervene, Italy's rights will be safeguarded by the
effect of Article 59 of theStatute ;indeed, in the oral presentation it was
even suggested that ajudgment of the Court is resinteraliosacta,for any
third-party State (seeparagraph 26of theJudgment).Onthis thesisthere is
much tobe said,because Article 59isan important provision of the Statute
and it is important that it should be seen in a proper perspective.
TheCourt begins its discussion ofArticle 59by citingtheobservation of
the Permanent Court of International Justice (Series A, No. 13, p. 21)
that "the object of Article 59is simply to prevent legalprinciplesaccepted
by the Court in aparticular casefrom being binding alsoupon other States
or in other disputes" (seeparagraph 42 of the Judgment). This is no more

than to Saythat theprinciples of decision of ajudgment are not bindingin
the sense that they might be in some common law systems through a more
or less rigid system of binding precedents. But the slightest acquaintance
with the jurisprudence of this Court shows that Article 59 does by no
manner of means exclude the force of persuasive precedent. So the idea
that Article 59is protective of third States'interestsin this sense at least is
illusory.
Alternatively, Article 59 may be considered as applying, as it clearly
does also, more particularly to the dispositifof ajudgment ; and it is true
that the particular rights and obligations created by the dispositif are
addressed, and only addressed, to the parties to the case, and in respect
only of that case.Andin that quite particular and technical sense,Italy will
certainly be protected. This is an important protection, and it would be
quite wrong to suggest othenvise. rigoureusementparallèles. Or on n'ajamais prétendu qu'une intervention
faite sur la base de l'article 63 nécessitaitle consentement des parties à
l'instance ; d'ailleurs, dans l'affaire Haya de la Torre,l'une des parties
s'était opposée à l'intervention. De plus, l'article 63 envisage clairement
quel'intervenant présenteradesconclusionsvisant la teneur del'arrêtdans
l'affaire principale dont la Cour est déjàsaisie, puisqu'il y est dit que
tl'interprétation contenuedansla sentence estégalementobligatoire àson

égard D. Et l'Italie, comme on le sait, s'était dite prête à prendre un
engagement analogue si elle était autorisée à intervenir sur la base de
l'article62. L'arrêt dela Cour ne traite pas del'article 63 ;mais les motifs
invoquéspour rejeterlarequêteitaliennesemblentmalcadrer avecledroit
d'intervention prévudans cettedisposition,et aveclefait quedans l'affaire
Haya de la Torrela Cour n'avait vuaucune objection à ce qu'une telle
intervention fût reçue malgré l'opposition d'une des parties.

27. La Cour, tout en rejetant la demande d'intervention de l'Italie,
reconnaît qu'elle (<ne saurait entièrement écarter la question de l'intérêt
juridique de l'Italieainsique d'autresEtats de la régionméditerranéenne
(par. 41). Pour résoudre ce problème, elle se fonde en premier lieu sur
l'article59 du Statut, en déclarant (par.42) que les droits del'Italie seront
sauvegardés,sans qu'une intervention soit nécessaire,par lejeu de cette
disposition.On a mêmesoutenu en plaidoiriequ'un arrêtde la Cour était

resinteraliosactapour tout Etat tiers (voir paragraphe 26 de l'arrêt). C'est
làune thèsesurlaquelleil ya beaucoup à dire,car l'article59estun élément
important du Statut, et il importe qu'il soit considérédans sa juste per-
pective.
La Cour,parlant del'article 59,commence par citer la Courpermanente
de Justice internationale, qui avait affirmé (sérieA no13, p. 21) que (<le
but de l'article59estseulementd'éviterque desprincipesjuridiques admis
par la Cour dans une affaire déterminée soient obligatoires pour d'autres
Etats ou d'autres litiges)(voirparagraphe 42del'arrêt). Celarevient àdire

simplementque les principes qui inspirent la décision de la Cour dans un
arrêtne sont pas obligatoiresau sens où ilspourraient l'êtredans certains
régimesde common law, en vertu d'un systèmeplus ou moins rigide de
précédentsjudiciaires.Maisilsuffitd'étudiertant soitpeulajurisprudence
de la Cour pour constater que l'article 59 n'exclut en aucune façon l'au-
torité du précédent. L'idéq eue l'article 59 protège les intérêts desEtats
tiers, du moins dans ce sens, est donc illusoire.
Onpeut égalementconsidérerque l'application de l'article59vaut aussi
- comme c'est manifestement le cas - et surtout pour le dispositif de

l'arrêt; et il est vrai que les droits et obligations particuliers crééspar le
dispositif visent les partiesà l'instance, et elles seulement, et seulement
pour ce qui concernel'affaire jugée.Dans ce sens très particulier et pure-
ment juridique, l'Italie sera certes protégée, et c'est là une protection
importante, que l'on ne saurait mettre en doute. 28. Nevertheless it would be unrealistic even in consideration of strict
legal principle, to suppose that the effects of ajudgment are thus wholly
confined by Article 59. Every State a member of the Court is under a
generalobligationtorespectthejudgments of the Court.The very subject-

matter of theJudgment in the Libya/MaIta case,according to the words of
the SpecialAgreement, willbe theprinciplesand rules ofinternational law
applicable to the delimitation of "the area of continental shelf which
appertainsto theRepublic ofMalta and thearea of continental shelfwhich
appertains to the Libyan Arab Republic" ;as well as the applications of
such principles and rules in practice in order to delimit "such areas" by
agreement. Will generalopinion be so very wrong if it assumes, as general
opinion surely will, that the Court's Judgment will have decided precisely
that ?
29. Furthermore, there isan addedperil for Italyinthe veryterms of the
Special Agreement in this case ; for it must be borne in mind that the
Judgment will be with a view to a bilateral boundary agreement between
Libya and Malta. If the result is an agreement which trespasseson Italian
continental shelf,yet is apparently backed by the powerful sanction of the

Court's Judgment, does the Court really believe that Italy will find an
adequate remedy in reciting the words of Article 59 ? The danger will be
the greater if the Court, in its anxiety not to seem to prejudice Italian
interests, wereeitherto avoidbeing very specificabout the zonesinvolved,
or were to confine itself to a decision in very general terms about relevant
principles, rules and methods ;for theresultingbilateral agreement,what-
ever its range, and precision, would still seem to have stemmed from the
Court'sjudgment. In this situation the mention of Article 59 as adequate
protection of Italy would seem almost to have a touch of irony.
30. Moreover, if Article 59 were to be given the very broad interpreta-
tion that the Court now seemsto have espoused,sothat everydecision isto
be analogous to a bilateral agreement, and res inter alios acta for third
States, does this not mean that the Court in effect disables itself from
malung useful and realistic pronouncements on questions of sovereignty

and sovereign rights (and the latter is what we are in fact dealing with in
this case)? "Sovereign rights" that are opposable only to only one other
party comes very near to a contradiction in terms. A relative decision on
continental shelf rights would seem especially odd coming from a Court
which laid down "non-encroachment" as one of the governingprinciples
of the applicable law (I.C.J. Reports 1969, para. 101 C (1)) ;and lays it
down, moreover, specifically in relation to delimitation by agreement.

31. Infact this point isvirtuallyconceded by theCourt in the part of the
Judgment (seepara. 43),where it says that "there can beno doubt that the
Court will,in its futurejudgment in the case, take account, as a fact, of the
existenceof other States having claimsinthe region" ; and it goeson tocite
apassagefromthe LegalSiatusofEastern Greenlandcase,whichsaysthat a

"circumstance which must be taken into account by any tribunal 28. Il seraitnéanmoinsimprudent, mêmesurleplan strictdesprincipes
juridiques, de supposer que les effets d'un arrêtsont parfaitement limités
par les dispositionsdel'article 59.En effet,tous les Etats parties au Statut
de la Cour ont l'obligation généralede respecter les arrêtsde celle-ci. Or
l'arrêtà venir dans l'affaire Libye/Malte aura pour objet même, selonles
termes du compromis, lesprincipes etrèglesde droitinternational quisont

applicables à la délimitationde (<la zone du plateau continental relevant
dela RépubliquedeMalte et de la zone du plateau continental relevant de
la Républiquearabe libyenne >)ainsique lesmodalités d'application pra-
tique de ces principes et règles à la délimitation de ces (zones >> par voie
d'accord. Dans ces conditions, l'opinion publique aura-t-elle tort de pen-
ser, comme elle le fera sans doute, que c'est précisément surcela que la
Cour se sera prononcée ?
29. De plus, les termes mêmesdu compromis en l'espècefont courir un

autre risque à l'Italie, caril nefaut pas oublier que l'arrêt serendu en vue
d'un accord bilatéralde délimitationentrela Libyeet Malte. Si doncil en
résulte un accord qui empiètesur le plateau continental de l'Italie, et qui
pourtant jouisse apparemment de toute l'autorité d'un arrêtde la Cour,
celle-ci peut-elle croire qu'il suffirà l'Italie d'invoquer l'article 59 pour
trouverun recours adéquat ? Et le danger sera encoreplus considérable si
laCour, soucieusedenepas paraîtreporter atteinte auxintérêts del'Italie,
évitede définirtrop précisémentles zones en cause, ou se contente d'un

prononcé trèsgénéralsulresprincipes, règleset méthodesapplicables ; en
effet, l'accord bilatéral futur, quelle qu'en soit la portéeou la précision,
passera néanmoins pour un prolongement de l'arrêt de la Cour.Dans ces
conditions, parler de l'article 59 comme d'un moyen de protection suffi-
sant pour l'Italie paraît friser l'ironie.
30. Par ailleurs, donner àl'article 59 la très large interprétation que la
Cour semble retenir - et qui ferait de chacune de ses décisions quelque
chose d'analogue à un accord bilatéral, res inter aliosacta pour les Etats

tiers - n'aurait-il.Das Aour effet d'interdire dorénavant à la Cour tout
prononcé utile et concret sur les questions de souveraineté et de droits
souverains (cesderniers étantl'objet mêmede la présenteespèce) ? Parler
de (<droits souverains >)opposables à une autre partie seulement ressemble
fort, en effet,à une contradiction dans les termes. Et une décision (rela-
tive 1)sur les droits afférents au plateau continental paraîtrait particuliè-
rement étrange, émanant d'une Courqui a fait du (<non-empiétement >)

l'un des principes directeurs du droit applicable (C.I.J. Recueil 1969,
par. 101C 1) et, qui plus est, s'est ainsi prononcée à propos d'une déli-
mitation par voie d'accord.
31. C'est du reste ce que semble admettre le passage de l'arrêt(par. 43)
où onpeublire qu'6ilne fait pas de doute que, dans sonarrêtfutur, laCour
tiendra compte, comme d'un fait, de l'existence d'autres Etats ayant des
prétentionsdansla région ;aprèsquoila Courcite un extrait de l'arrêten
l'affaire du Statut juridique du Groënland oriental,où il étaitdit qu'une

(<circonstance dont doit tenir compte tout tribunal ayant à trancher whch has to adjudicate upon a claim to sovereigntyover aparticular
territory, is the extent towhich the sovereigntyisalsoclaimedby some
other Power" (P.C.I.J., Series A/B, No. 53, p. 46).

It is curious to see this citation immediately followed in the same para-
graph by the statement that thejudgment of the Court "will be expressed,
upon its face, to be without prejudice to the rights and titles of third
States" ;though the Court never quite seems to decide whether it will

indeed take account of the existence of other States having claims in the
region ;or whether it will decide only on a relative basis, between the
claimssimply of Libya and Malta asif they alonewereinvolved. TheCourt
nibbles sometimes at the one and sometimes at theother wayof approach-
ing the matter ; whch is demonstrative of the very dilemma that limited
intervention under Article 62 was precisely intended to provide for.

32. In any event, a decision "only between the competing claims of
Libya and Malta", is a somewhat novelconcept of "sovereign rights", and
it is especially odd to see this enervating bilateralism sought to be applied
in respect of continental shelf rights which this Court has stated, to "exist
ipsofacto and abinitio,by virtue of [theState's] sovereigntyoverthe land",
and that "there is here an inherent right" (I.C.J. Reports 1969 at
p. 22).
33. Much the same considerationsapply to the suggestion of some sort
of proviso as a means of protectingItalian interests. A proviso must speak
the truth ; otherwise it is merely misleading. If thejudgment fails to take
proper account of third-State rights relevant to the determination of the
case, a proviso clausemust, if it is tobe sufficient, gobeyond mereproviso

and be a serious qualification of thejudgment. It would have to make it
clear that in part the decision is hypothetical and is based upon the false
premise that only the claims of the parties to the case are involved. That
such a course of action might easily involve the Court in successivecon-
tradictory and irreconcilablejudgments withrespect to the sameseaarea is
obvious.

34. Quite apart from the dangers, inadequacies and infelicities which
would result from using Article 59 as a vehicle for importing an inappro-
priate bilateralism or relativism into thejudgments of the Court concern-
ing "sovereign rights", the complete answer to the argument that Italy is
sufficiently protected by Article 59issimply that Article 62isjust as much
a part of the Court's Statute as is Article 59 ;and it provides a sensible
solution, entirely in accord with principle, of precisely the problem the
Court finds itself faced with. And if a would-be intervening State has
indeed rights "whch may be affectedby the decision of the Court", it isnot
permissible to Say then that the third State's rights are nevertheless not
affected because of Article 59. Article 59 applies, after all, in al1cases

without exception that come before the Court forjudgment. If Article 59
ensures that a third State's rightscan never be affected by ajudgment, this une question de souverainetésurun territoireparticulier estla mesure
dans laquelle la souverainetéest égalementrevendiquéepar une autre
Puissance ))(C.P.J.I. sérieA/B no53, p. 46).

Cependant il est curieux de constater qu'immédiatementaprèscette cita-
tion, dans le mêmeparagraphe, la Cour affirme que son arrêt << sera
exprimésans préjudicedes droits et titres d'Etats tiers >) - sans d'ailleurs
parvenir apparemment à décidersi elle tiendra effectivement compte de
l'existenced'autres Etatsayant desprétentionsdansla région,ou si ellese

prononcera seulement de façon relative et uniquement sur les prétentions
de la Libye et de Malte, comme s'iln'y avaitpas d'autres prétentions en
jeu. La Cour semble ainsi attirée tantôt par une façon d'aborder le pro-
blème,et tantôt par une autre, ce qui est symptomatique du dilemme que
l'intervention limitéesur la base de l'article 62 a précisémentpour objet
d'écarter.

32. Quoi qu'il en soit, une décisionportant uniquement sur les pré-
tentions rivales de la Libye et de Malte >)est une façon inusitéede con-
cevoir des <<droits souverains ))et il est particulièrement curieux de cons-
tater ce bilatéralismevelléitairealors qu'il s'agitde droits sur le plateau
continental, dontla Coura déjàdit qu'ils<< existent ipsofactoetabinitioen
vertu de la souverainetéde 1'Etatsur [son]territoire >)et qu'4il y a là un

droit inhérent >)(C.I.J. Recueil 1969, p. 22).
33. Des considérations très semblables s'applique.- - à l'idéed'intro-
duire dans l'arrêt uneréserveprotégeantsousuneforme ou sous uneautre
les intérêts italiens.Une réservedoit êtreauthentique, pour n'êtrepas
fallacieuse. Sil'arrêtne tient pas dûment compte des droitsdesEtats tiers
pertinents pour la résolution du litige, il faut, pour qu'une telle réserve

suffise,qu'elle soitautre chosequ'une simpleclauseconditionnelle : ilfaut
qu'elle limite effectivement la portée de l'arrêt. Il faut qu'elle montre
clairement que la décision estpartiellement hypothétique, et fondéesur la
prémisse - inexacte - que seuleslesprétentions desParties à l'affaire sont
enjeu. Etje n'ai pas à souligner qu'une telle ligne de conduite risque fort

d'entraîner la Cour dans une suite d'arrêts contradictoires et inconci-
liables sur le même espacemarin.
34. Outre lespérils,lacunes et imperfections qui résultentdu recours à
l'article 59 pour introduire un bilatéralisme ou un relativisme déplacés
dans lesarrêtsdela Cour concernant des <droits souverains ))l'argument
qui voudrait que l'Italie soit suffisamment protégéepar l'article 59 est

réfutétout simplement par lefaitque l'article 62faitpartie du Statut de la
Cour. tout comme l'article59.eta2'ilLournit une solutionraisonnable - et
parfaitement conforme aux principes - du problèmeprécisdevant lequel
la Cour étaitplacée en l'espèce.Si un Etat désireuxd'intervenir a réelle-
ment desdroits qui sont <(pour lui encause )>,il n'est donc pas possible de

dire que ces droits sont malgrétout hors cause grâce à l'article 59. L'ar-
ticle 59, après tout, s'applique à toutes les affaires dont la Cour est saisie,
sans exception. S'ila pour effet que les droits des Etats tiers ne peuvent
jamais êtremisen cause dans un arrêt,cesdroits des Etats tiers ne peuventmust mean that a third State's rights can never be affected in the sense of
Article 62.Tointerpret onearticle of the Statute in suchaway as to deprive
another article in the same section of the Statute of al1meaning, cannot be
right.

(Signed) R. Y. JENNINGS.pas davantage êtremis en cause au sens de l'article 62.Or l'interprétation
d'unarticle duStatut quipriverait de toute significationun autre article du
mêmechapitre du Statut ne saurait êtrevalable.

(Signé R). Y. JENNINGS.

Document file FR
Document Long Title

Opinion dissidente de Sir Robert Jennings (traduction)

Links