Opinion individuelle de M. Nagendra Singh, Président (traduction)

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070-19860627-JUD-01-01-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. NAGENDRA SINGH,
PRESIDENT

[Traduction]

Bienquej'approuve entièrement lesdécisionsde laCourfigurantdans le
dispositif du présenitarrêt,il m'a paru nécessaired'yjoindre la présente
opinion individuelle:pour mettre en relief certains aspects que je juge
essentiels, soit du point de vue juridique, soit au regard d'une meilleure
coexistence pacifique entre Etats souverains.

Un élémentimportant qu'il a fallu prendre en considération pour
résoudreledifférend1 en l'espèceest l'existencedu principe du non-emploi
de la force. C'est en effet une notion bien établiedu droit international
moderne que l'emploi licite de la force est limité par des règles parti-
culières. Telle est la situation, quel que soit l'angle sous lequel on la
considère, celui dudroit coutumier ou celui du droit international conven-
tionnelen la matière.Toutefois le droit coutumier envisagele cas excep-
tionnel où doit êtrereconnu le <<droit naturelr)d'employer la force en
cas de légitimedéfense.Ces notions, sur lesquellesreposent le principeet
l'exception auprincipe, existent indépendammentdu droit conventionnel
consacré dans la Charte des Nations Unies ou dans le systèmede droit
conventionnelinteraméricain yrelatif. A cepropos, il meparaît nécessaire
de mettre en relief certains aspectsde la question, ce queje vais tenter de
faire maintenant.
A) En fait, ce principe capital du non-emploi de la force dans les

relationsintemation.alesest au centre de ladoctrineconsacréepar letemps
qui s'estdéveloppéeau cours de ce siècle,plus particulièrement après les
deux guerres mondiales. Ce principe a alors été délibérément étendu à
l'illicéidu recours aux représailles arméesou àd'autres formesd'inter-
vention armée n'équivalant pas à la guerre, matière qui n'avait peut-être
pas ététraitéeparletlroit dela SociétdesNations ou par les tribunaux de
Nuremberg et de Tokyo mais qui devait êtreexpressément développée et
codifiéedans la Charte des Nations Unies. Le raisonnement qui sous-
tendait l'extension du principe du non-emploi de la force aux représailles
étaitlesuivant :si l'emploide la forceétait admisnon commeune mesure
limitéeetisoléede légitimedéfensemaisaussienriposte àdesprovocations
mineures appelant des contre-mesures, le jour ne serait pas loin ou le
mondeconnaîtrait u:netroisièmeguerre mondiale - catastrophe si redou-
téeen 1946qu'elleajustifiédesmesures concrèteset immédiatesdestinées
à en écarterla mena.ce. IIne fait donc pas de douteque ceraisonnementconstitueun élémend t e
base inhérentau droit, quels que soient les développements ultérieurs qui
ont maintenant trouvéleur expression dans des dispositions convention-
nelles, telles que l'article 2, paragraphe 4, et l'article 51 de la Charte des
Nations Unies. Il est vrai cependant que la réglementationjuridique de
l'emploide laforceremontebeaucoup plus haut que la Charte desNations
Unies, ce qui a bien étéreconnu. En réponse à la question de savoir si les
notions dont s'inspirent le principe du non-emploi de la force et l'excep-

tion a ceprincipe - à savoir I'emploide la force encas de légitimedéfense
- doivent êtreconsidéréescomme relevant du droit international coutu-
mier ou du droit coinventionnel.il faudrait dire, semble-t-il, que ces deux
notions sont intimement liéesau droit international coutumier par leurs
origines mais qu'elles ont étédéveloppéesensuite par le droit conven-
tionnel. Il serait vain, lorsqu'on cherche a déterminer si ces notions ap-
oartiennent au droit international coutumier ou au droit conventionnel.
d'essayerde fractionner chacune d'ellespour établirdans quelle mesure O;

dans quelle proportiion elle relèvedu droit international coutumier ou du
droit conventionnel. Point n'est besoin d'essayerde dissocier I'indisso-
ciable. En effet la simple logique montre que, si la notion a une origine
coutumière, comme dans le présent différend, etqu'elle a ensuite été
consacréepar le droit conventionnel, la Cour est fondée à statuer que le
différendne résulte pasd'un traité multilatéral etqu'il nesaurait donc en
I'occurrenceéchapper àsacompétenceenraisonde la réserveVandenberg
invoquéepar le défendeur.
On a égalementsoutenu que le raisonnement de la Cour, qui maintient

un parallélismeétrontentre le droit coutumier et l'article 2, paragraphe 4,
ainsique l'article51(delaCharte desNations Unies, ne sejustifierait que si
le texte conventionriel n'étaitqu'une simple codification de la coutume.
Comme cen'étaitpas lecas en l'espèce,on aprétenduenoutre que la Cour
semblait ap- -qu.r le traité enréalité maissous le nom ou le vocable de
coutume pour se soiistraire a la réserve relativeaux traités multilatéraux
invoquéepar ledéfendeur.Ceraisonnement semblefaire fidu problèmede
base :une notion dont lefondement conventionnel est supprimédisparaît-

elleà son tour ousubsiste-t-elleen tant que principe de droit reconnu par la
communautéinternationale ? Pour moi, les dispositions de la Charte ont
non seulement développé ce concept mais l'ont renforcé à tel point qu'il
demeurerait même si,pour une raison quelconque, la Charte étaitjugée
inapplicable.Autrement dit,j'estime que sil'onrejette l'idéeque la Charte
est la base de ce concept, cela n'empêchepas ce dernier de continuer à
exister. II y a une explication évidente à cela: l'élémenc toutumier qui a
évolué grâce a son développementdans le droit conventionnel est devenu
lanotion moderne de:droit international en lamatière,quecettenotion soit

tenue pour coutumiè:re,vu sesorigines, ou pour l'un des «principes géné-
raux de droit reconnus par les nations civilisées >).
Ilest vrai que, dans cecontexte, la Cour a fait preuve de prudence. C'est
ainsi qu'elle n'insistfepas sur l'obligation faite aux Etats Membres par
l'article51de la Charte de porter à la connaissance du Conseil de sécuritélesmesuresqu'ilsont prises,en tantque condition essentielledu concept de

Iégitimedéfense,mais qu'elle en parle comme d'un indice du comporte-
ment de 1'Etatqui iinvoquele droit de légitime défensesans suivre assu-
rément letraité à la lettre. Les observations que la Cour formule à ce
propos au paragraphe 200 de son arrêt sont vraiment pertinentes. En la
présente affaire,la Cour a donc agi logiquement :elle a décidéde ne pas
appliquer les traités multilatérauxau règlement du différend mais de
limiter sesobservations au droit international coutumier sous-jacent, en se
déclarant compétentepour appliquer le droit coutumier au règlementde
l'affaire. Ce faisant.,la Cour a non seulement agi comme l'exigeaient les
circonstances de l'espèce - et celapour de nombreuses raisons - mais elle

a fait Œuvre méritoiireen soulignant que le principe du non-emploi de la
force relevait dujus cogens et qu'il étaitau cŒurdes efforts déployéspar
l'humanité pourpro~mouvoirla paix dans un monde déchirépar les luttes.
Il n'est pas nécessaired'insister sur ce point.
B) De plus, j'estiine que, dans la présente affaire surtout, il fallait que
toutes les sources de droit mentionnées a l'article 38 du Statut soient
compatibles avecle grand principejuridique du non-emploi de la force et
qu'elles le respectent, ce qui correspond clairement a l'intention de la
communautéintern(ationa1een 1946 ;la Cour ajugénécessairede rappe-
lerceprincipemaintenant en 1986,pour servirau mieuxlesintérêtd se tous
les Etats. Par conséquent, en insistant sur les doutes que soulèvele pa-

rallélismeétroitqui a pu êtreétablientre le droit coutumier et le droit
conventionnel à propos des principes du non-emploi de la force et de la
Iégitimedéfensee ,t ens'enautorisantpour considérercesprincipescomme
étantfondéssurdes traitésetcommefaisant dèslorsobstacle au règlement
du différendpar la Cour, on priverait celle-cid'une excellente occasion de
dire le droit dans l'intérêdte la communautéinternationale. La Cour, en
tant qu'organe judiciaire principal de l'organisation des Nations Unies,
doit promouvoir la paix et ne peut manquer de s'engager dans cette
voie.
Mêmesi la Charte ne codifiait pas le droit coutumier actuel relatif au
non-emploi de la force et à la légitime défense mais qu'on s'acheminait

nettement vers une interdiction des représaillesimpliquant l'emploi de la
force, il n'en demeurerait pas moins que, considéréssous l'angle de cette
évolution, ou sous celui de leur formulation précise, lesprincipes en
question relèveraientmaintenant sansaucun doute du droit international,
qu'on le qualifie de coutumier ou qu'on le rattache aux <principes géné-
raux dedroit reconrius par les nations civilisées )).Ce ne serait pas allerà
l'encontre de l'intention de 1'Etatqui invoque la réserveVandenberg que
de se fonder là-dessus, puisqu'un plaideur ne peut jamais prétendre pou-
voir écarter totalement ledroit dans son ensemble, qu'il s'agissedu droit
conventionnel - en invoquant à cet effet une telle réserve- ou du droit

coutumier - en prétextant que ce dernier a un contenu identique au
premier et qu'ilest par conséquent inapplicable. Pourrait-il alors soutenir
qu'aucun droit n'estapplicable a sa conduite ? La réserveVandenberg n'a
pas étéconçue comimeune clause discrétionnaire mais, interprétéede lasorte,elleserait certa.inementbienplus catastrophiquecar elleempêcherait
totalement la bonne administration de lajustice. C'est pourquoi la Cour
s'est bornée à appliquer le droit international coutumier à la présente
affaireet a jugéque le droit conventionnel n'étaitpas applicable. Elle ne

pouvait décemment réglerle présent différend en appuyant l'idée qu'il
échappaittotalement au droit, comme on l'avaitplaidé,alorsquela clause
facultative viséà l'article 36,paragraphe 2,du Statut a pour uniqueobjet
de donner à la Cour une base de compétence,si limitée soit-ellepar des
réserves.

Il est un autre élémentimportant sur lequel il a fallu insister,irla
difficulté que la Cour a éprouvéedu fait de la non-comparution du
défendeurpendant la phase consacréeaufond.C'est au moment de sefaire

uneidéeexactedes moyens depreuveprésentés à laCourpar ledemandeur
que celle-cia ressenti1leplus vivement l'absencedu défendeur.LaCour est
partie du principe qu'elle devait respecter scrupuleusement l'articleu
Statut. Mais cet article ne pouvait l'obliàeallerau-delàdes procédures
régulièreset àrechercher l'une après l'autre chacune des sources d'infor-
mation, procheset lointaines(aux quatre coinsdu monde), avant de statuer
en l'espèce.Les moyens de preuve n'auraient peut-être pas répondu à
l'attente de la Cour, comme l'a laissé percevoir l'absencedu défendeur.
Toutefois,dans cescconditions,laCour s'est efforcéede réaliserune égalité
aussi parfaite que possible entre lesparties et d'appliquer ledroit aux faits
de l'espècede manière àparvenir à desconclusions exactes en l'absencedu
défendeur.

Pour ma part, en ce qui concerne le flux d'armes du Nicaragua vers El
Salvador,j'estime qu.e,même sil'on admet que ceflux ait pu êtreà la fois
régulieret important, et qu'il ait duréun certain nombre d'années, si bien
qu'il équivaudraità une intervention du Nicaragua au Salvador, ce flux
d'armesnesaurait équivaloir à une <agression armée contre ElSalvador.
Par ailleurs, le demandeur ne peut pas avoir ignoréce flux, qui prenait
la forme de fourniture d'armes aux rebelles d'El Salvador. En allant jus-
qu'à admettre tout cela, la Cour ne pouvait pas dire que cette fourniture
d'armes, considérée .mêm comme un but avouéde la politique du Nica-
ragua, pouvait équivaloir à une agression armée ))contre El Salvador,
de manière à justifier l'exercice par les Etats-Unis du droit de légitime
défense collective contre le Nicaragua. Quel que soit le raisonnement

que l'on adopte,cettleconclusion de la Cour s'impose. C'est pourquoi j'ai
votépour le sous-paragraphe2 du dispositif de l'arrêt (par.292).
De plus, il a étéavancéque la Cour, dans son arrêt, devait émettre des
critiquesàl'encontreducomportementduNicaragua sielleestimaitque ce
pays, en raison dudit:flux d'armes vers El Salvador, violait le principe de
non-intervention dans les affaires d'un Etat, la fourniture d'armes étant ACTIVITÉS MILITAIRES ETPARAMILITAIRES(OP.IND. NAGENDRA SINGH) 155

imputable au Nicaragua. Je suis d'avis que la Cour a eu raison d'estimer
qu'elle ne pouvait le faire, parce que l'affairedont elleétaitsaisieopposait

le Nicaragua et les Etats-Unis, et non pas le Nicaragua et El Salvador. En
l'occurrence. laour ne devait statuer sur lecomportement du Nicaragua
quedans la mesure où il comptait pour établir la validitéde la thèsede la
légitimedéfenseinvoquéepar le défendeur. Dans ce contexte particulier,
tout cequ'il fallait faire, c'étaitdéterminersi leflux d'armes du Nicaragua
vers El Salvadorétait à ce point important qu'iljustifiait l'intervention du
défendeurau titre de la légitimedéfense collective.La Cour a examinécet
aspect de la question dans ledétailaux paragraphes 128 à 160et 227 à 237
de son arrêt,etje souscris entièrement aux conclusions auxquelles elle est
parvenueen droit. Aucun tribunal ne saurait aller plus loin pour apprécier
lecomportement d'un défendeur absent. sauf à réduire ànéantleprincipe

mêmede l'égalité clesparties et à favoriser le défendeur par rapport au
demandeur.
Vu les observations qui précèdent, il est difficile d'accepter l'argument
selon lequel on est fondé àconsidérerqu'en l'espècela Cour s'estbornée à
adopter les faux témoignagesde témoins citéspar le Nicaragua sur un
point essentiel au rkglement de la présente affaire. Par exemple, au para-
graphe 84 de son arrêt,la Cour va jusqu'à dire que les déclarations de
M. Chamorro sur un point particulier (<reposent uniquement sur ce qu'il
avait entendu dire )>;elle les appréciedonc en les situant dûment dans le
cadre de l'affaire.
D'ailleurs, la Cour a jugé utilede mentionner, aux paragraphes 59 et

suivants de son arrêt,lesprincipes qu'elle avait retenus pour apprécier les
moyens de preuve produits. Ces principes sont, à tous points de vue,
équitables et justes. et il convient de le souligner.
De même.au paragraphe 135de l'arrêt, oùelle se fonde sur le témoi-
gnage de M. David IUacMichael.la Cour n'apasperdu de vue lesprincipes
fondamentaux à suivre lorsqu'ellea appréciésa déposition,et elle a relevé,
à propos de la valeiurprobante de cette déposition, que

<(la dépositiond'un témoin cité par le Nicaragua pour réfuter I'allé-
gation des Etats-Unis suivant laquelle le Gouvernement du Nicara-
gua livrait des armes à l'opposition arméeau Salvador n'a contredit
que partiellement cette allégation (les italiques sont de moi).

Ilconvient de signaler que la Cour a formulédesobservationsanalogues
au paragraphe 146 de son arrêt.
En outre. quand lbienmême l'article61 du Statut prévoit la possibilité
d'une revision, nul .nepeut contester, à aucun moment ni pour quelques
raisons que ce soit, la validitéd'un arrêt.La décisionde la Cour est le
résultat d'un travail collégial.C'est le résultat auquel sont parvenus non
moins de quinze juges, après de longs délibérés et un échange de vues
complet. Seconformant auStatut et au Règlementde laCour, cesjuges ont
étudiéles thèses des Parties et tous leurs moyens de preuve. Dans la

présente affaire, colmme dans toutes les autres, grand soin a étépris
d'observer strictement lesrèglesdeprocédureprescrites, et ladécisionaétéacquise à unenette majorité.Quiplusest, lecaractèreobligatoire que revêt
l'arrêctonformémentau Statut(art. 59)prend un caractèresacro-saint à la
lumièred'unedisposition delaChartedes Nations Unies (art. 94) :tous les
Membres des Nations Unies ont contracté l'obligation de se conformer
aux décisions de la Cour qui s'adressent à eux et de respecter son

arrêt.

III

J'ajouterai queje conviens que lemanuel de la CIA intitulé Operaciones
sicolbgicasenguerradeguerrillasne peut constituer une violation du droit
humanitaire en tant que teletqu'il n'estqu'un encouragement à commettre
des violations du droit humanitaire, ce que la Cour s'estefforcéede bien
mettre en évidenceau sous-paragraphe 9 du dispositif de l'arrêt (par.292).
De plus je soulignerai qu'il a étéaffirméque ledit manuel avait étécon-
damnépar la commission permanente restreinte du renseignement de la
Chambredes représi:ntantsdesEtats-Unis, qu'une tentative avait étéfaite
d'en récupéred res e:templaires,etque lescontrasavaient été priésde n'en
tenir aucun compte:. Tout cela traduit bien les saines inquiétudes du

défendeur,chezqui ]lerespect de la bonnejustice et des droits de l'homme
remonte bien haut.
11n'en demeure pas moins que ce manuel a étépublié et qu'il est
attribuable au défendeur par le fait de la CIA - bien qu'élaboré à un
échelonsubalterne --, ce qui est d'autant plus regrettable que les Etats-
Unis se sont toujours montrés respectueux de la légalitétant àl'échelon
national qu'international.

Je ne saurais conclure sans insister sur l'importance capitale de la doc-
trine de la non-intervention dans lesaffairesdesEtats, qui est siessentielle
pour la paix et le pr~ogrède la communautéinternationale. Ne pas tenir
compte de cette doc:trine,c'est saper l'ordre international et favoriser la

violence et les effusions de sang, ce qui risque de déboucher sur une
catastrophe. La con.tribution importante que le système conventionnel
latino-américainde mêmeque la Charte des Nations Unies apportent aux
fondements d'un ordre public stable implique reconnaissance claire et
nette du principe de:non-intervention, lequel doit êtreconsidéré comme
une règlede droit absolueet sacréedont l'inobservation pourrait avoir des
conséquencesdésastreuseset causer d'indicibles souffrances à l'humanité.
Le sous-paragraphe 16 par lequel se termine le dispositif de l'arrêt
(par. 292) a étéadopté à l'unanimitépar la Cour. Il repose en fait sur le
respect dû aux principes fondamentaux du non-emploi de la force et de la
non-intervention dans les affairesdes Etats. C'est ajuste titre que la Cour
les a tous deux qualifiésde principes de droit international coutumier,consacréscependant. par le droit conventionnel mais applicables en l'es-
pèceen tant qu'expr'essionancienne du droit coutumier, soucieuse qu'elle
étaitde respecter pleinement le point de vue du défendeur,ce qu'ellea eu
raison de faire. Quai qu'il en soit, les notions dont s'inspirent cesdeux
principes apparaissent maintenant dans toute leur manifestation, dotées
d'une vigueur nouvellepour avoir étéencore renforcéespar le consente-
ment exprès des Etats et en particulier par celui des Parties au présent
différend.II faut vraiment que cet acquis pèsede tout le poids qui peut
s'attacher au droit dans une affairejudiciaire, et il n'estpas de réservequi
puissejamais exclurcrcette réalité essentieldu droit international, de la
vie internationale et des relations interétatiques. Tel està mon avis,
l'essencedu présent arrêt,quela Cour a rendu avecl'espoir trèssincèrede
servir au mieux les intérêtde la communauté internationale.

(Signé)NAGENDRS AINGH.

Bilingual Content

151

SEPARATE OPINION OF PRESIDENT NAGENDRA SINGH

While fully endorsing the operative holdings of the Court in this Judg-
ment, 1have considered it necessary to append this separate opinion to

emphasize certain aspects which 1consider essential, either from the legal
standpoint or for promoting peaceful community existence of sovereign
States.

A major consideration in the resolution of the dispute in this case has
been the principle of non-use of force. It is indeed a well-established tenet
ofmodern international lawthat the lawfuluseof forceiscircumscribed by
proper regulation, and this is so from whichever angle one looks at it,
whether thecustomary viewpoint or that of the conventional international
law on the subject. However the customary aspect does visualize the
exceptional need for the provision of the "inherent right" to use force in
self-defence. The aforesaid concepts of the principle and its exception do
have an existence independent of treaty-law as contained in the United
Nations Charter or the Inter-American system of conventional lawon the
subject. In this context it appears necessary to emphasize certain aspects,
which is attempted below.

(A) In fact this cardinal principle of non-use of force in international
relations has been the pivotal point of a time-honoured legal philosophy
that has evolved particularly after the two World Wars of the current
century. It has thus been deliberately extended to cover the illegality of
recourse to armed reprisals or other forms of armed intervention not
amounting to war which aspect may not have been established by the law
of the Leagueof Nations, or by the Nuremberg or TokyoTrials,but left to
be expressly developed and codified by the United Nations Charter. The
logicbehind this extension of the principle of non-use of force to reprisals
has been that if use of force was made permissible not asa lone restricted
measure of self-defence,but alsoforother minor provocationsdemanding
counter-measures, the day would soondawn when theworldwould haveto
face the major catastrophe of a third World War - an event so dreaded in
1946 as to have justified concrete measures being taken forthwith to
eliminate such a contingency arising in the future. OPINION INDIVIDUELLE DE M. NAGENDRA SINGH,
PRESIDENT

[Traduction]

Bienquej'approuve entièrement lesdécisionsde laCourfigurantdans le
dispositif du présenitarrêt,il m'a paru nécessaired'yjoindre la présente
opinion individuelle:pour mettre en relief certains aspects que je juge
essentiels, soit du point de vue juridique, soit au regard d'une meilleure
coexistence pacifique entre Etats souverains.

Un élémentimportant qu'il a fallu prendre en considération pour
résoudreledifférend1 en l'espèceest l'existencedu principe du non-emploi
de la force. C'est en effet une notion bien établiedu droit international
moderne que l'emploi licite de la force est limité par des règles parti-
culières. Telle est la situation, quel que soit l'angle sous lequel on la
considère, celui dudroit coutumier ou celui du droit international conven-
tionnelen la matière.Toutefois le droit coutumier envisagele cas excep-
tionnel où doit êtrereconnu le <<droit naturelr)d'employer la force en
cas de légitimedéfense.Ces notions, sur lesquellesreposent le principeet
l'exception auprincipe, existent indépendammentdu droit conventionnel
consacré dans la Charte des Nations Unies ou dans le systèmede droit
conventionnelinteraméricain yrelatif. A cepropos, il meparaît nécessaire
de mettre en relief certains aspectsde la question, ce queje vais tenter de
faire maintenant.
A) En fait, ce principe capital du non-emploi de la force dans les

relationsintemation.alesest au centre de ladoctrineconsacréepar letemps
qui s'estdéveloppéeau cours de ce siècle,plus particulièrement après les
deux guerres mondiales. Ce principe a alors été délibérément étendu à
l'illicéidu recours aux représailles arméesou àd'autres formesd'inter-
vention armée n'équivalant pas à la guerre, matière qui n'avait peut-être
pas ététraitéeparletlroit dela SociétdesNations ou par les tribunaux de
Nuremberg et de Tokyo mais qui devait êtreexpressément développée et
codifiéedans la Charte des Nations Unies. Le raisonnement qui sous-
tendait l'extension du principe du non-emploi de la force aux représailles
étaitlesuivant :si l'emploide la forceétait admisnon commeune mesure
limitéeetisoléede légitimedéfensemaisaussienriposte àdesprovocations
mineures appelant des contre-mesures, le jour ne serait pas loin ou le
mondeconnaîtrait u:netroisièmeguerre mondiale - catastrophe si redou-
téeen 1946qu'elleajustifiédesmesures concrèteset immédiatesdestinées
à en écarterla mena.ce. There can be no doubt therefore of the innate legalexistenceof thisbasic
reasoning, irrespective of the later developments which have now found a
place in the treaty provisions as reflected in Article 2, paragraph 4, and
Article 51 of the United Nations Charter. However it is pertinent that the
origin of legal regulation of use of force is much older than the United
Nations Charter and this has been acknowledged to be so. If an issue was
raised whether the concepts of the principle of non-use of force and the
exception to it in the form of use of force for self-defence are to be
characterized as either part of customary international law or that of
conventional law,the answerwould appear tobethat both theconceptsare
inherently based in customary international law in their origins, but have
been developed further by treaty-law. In any search to determine whether
these concepts belong to customary or conventional international law it
would appear to be a fallacy to try to split any concept to ascertain what
part or percentage of it belongs to customary law and what fraction
belongs to conventional law. There is no need to try to separate the
inseparable, because the simple logical approach would be that if the
concept in its origin wasacustomaryone,as in this case,and later built up
by treaty law, the Court would be right in ruling that the present dispute

before the Court does not arise under a multilateral treaty, so as to fa11
outside the Court's jurisdiction because of the Vandenberg Reservation
invoked by the Respondent.

It is also argued that the Court's reasoning maintaining a close paral-
lelismbetween customary lawand Article 2,paragraph 4,and Article 51of
the United Nations Charter, could bejustified only if the treaty text was a
mere codification of custom. As that was not the case here it is further
alleged that the Court appears "to apply the treaty in reality", but under
the name or caption of custom, to evade the multilateral treaty reservation
of the Respondent. This reasoning appears to missthe fundamental aspect
of the matter, whichiswhether, ifthetreaty baseof aconcept wasremoved,
that concept would fall to the ground or still survive as a principle of law
recognized by the community. It is submitted that the Charter provisions
have not only developed theconcept but strengthened it to the extent that
it would stand on its own even if the Charter for any reason was held
inapplicable in this case. It is submitted in short that the removal of the
Charter base of theconcept would stillenable that concept to survive.The
obvious explanation is that the customary aspect which has evolved with
the treaty-law development has come now to stay as the existing modern

concept of international law,whether customary, because of its origins, or
as "a general principle of international law recognized by civilized
nations".

In this context the Court's approach has indeed been cautious. For
example, the requirement "to report" under Article 51of the Charter isnot
insisted upon as an essential condition of the concept of self-defence but IIne fait donc pas de douteque ceraisonnementconstitueun élémend t e
base inhérentau droit, quels que soient les développements ultérieurs qui
ont maintenant trouvéleur expression dans des dispositions convention-
nelles, telles que l'article 2, paragraphe 4, et l'article 51 de la Charte des
Nations Unies. Il est vrai cependant que la réglementationjuridique de
l'emploide laforceremontebeaucoup plus haut que la Charte desNations
Unies, ce qui a bien étéreconnu. En réponse à la question de savoir si les
notions dont s'inspirent le principe du non-emploi de la force et l'excep-

tion a ceprincipe - à savoir I'emploide la force encas de légitimedéfense
- doivent êtreconsidéréescomme relevant du droit international coutu-
mier ou du droit coinventionnel.il faudrait dire, semble-t-il, que ces deux
notions sont intimement liéesau droit international coutumier par leurs
origines mais qu'elles ont étédéveloppéesensuite par le droit conven-
tionnel. Il serait vain, lorsqu'on cherche a déterminer si ces notions ap-
oartiennent au droit international coutumier ou au droit conventionnel.
d'essayerde fractionner chacune d'ellespour établirdans quelle mesure O;

dans quelle proportiion elle relèvedu droit international coutumier ou du
droit conventionnel. Point n'est besoin d'essayerde dissocier I'indisso-
ciable. En effet la simple logique montre que, si la notion a une origine
coutumière, comme dans le présent différend, etqu'elle a ensuite été
consacréepar le droit conventionnel, la Cour est fondée à statuer que le
différendne résulte pasd'un traité multilatéral etqu'il nesaurait donc en
I'occurrenceéchapper àsacompétenceenraisonde la réserveVandenberg
invoquéepar le défendeur.
On a égalementsoutenu que le raisonnement de la Cour, qui maintient

un parallélismeétrontentre le droit coutumier et l'article 2, paragraphe 4,
ainsique l'article51(delaCharte desNations Unies, ne sejustifierait que si
le texte conventionriel n'étaitqu'une simple codification de la coutume.
Comme cen'étaitpas lecas en l'espèce,on aprétenduenoutre que la Cour
semblait ap- -qu.r le traité enréalité maissous le nom ou le vocable de
coutume pour se soiistraire a la réserve relativeaux traités multilatéraux
invoquéepar ledéfendeur.Ceraisonnement semblefaire fidu problèmede
base :une notion dont lefondement conventionnel est supprimédisparaît-

elleà son tour ousubsiste-t-elleen tant que principe de droit reconnu par la
communautéinternationale ? Pour moi, les dispositions de la Charte ont
non seulement développé ce concept mais l'ont renforcé à tel point qu'il
demeurerait même si,pour une raison quelconque, la Charte étaitjugée
inapplicable.Autrement dit,j'estime que sil'onrejette l'idéeque la Charte
est la base de ce concept, cela n'empêchepas ce dernier de continuer à
exister. II y a une explication évidente à cela: l'élémenc toutumier qui a
évolué grâce a son développementdans le droit conventionnel est devenu
lanotion moderne de:droit international en lamatière,quecettenotion soit

tenue pour coutumiè:re,vu sesorigines, ou pour l'un des «principes géné-
raux de droit reconnus par les nations civilisées >).
Ilest vrai que, dans cecontexte, la Cour a fait preuve de prudence. C'est
ainsi qu'elle n'insistfepas sur l'obligation faite aux Etats Membres par
l'article51de la Charte de porter à la connaissance du Conseil de sécurité153 MILlTARY AND PARAMlLITARY ACTlVITIES (SEPO. P.NAGENDRA SINGH)

mentioned by the Court as an indication of the attitude of the State which

is invoking the right of self-defence but certainly not closelyfollowing the
treaty. The Court's observations in paragraph 200 of the Judgment are
indeed to the point in this connection. In the present case therefore the
Court's approach has been a logicalone, inasmuch as it has decided not to
apply the multilateral treaties to the resolution of this dispute but to
confine its observations to the basis of customaryinternational law, ruling
that it had jurisdiction to apply customary law for the settlement of the
case before the Court.It isfelt that this is not only the correct approach in
thecircumstances of this case for many reasons, but alsothat itrepresents
the contribution of the Court in emphasizing that the principle of non-use
offorcebelongs to therealm ofjus cogens,and isthe verycornerstone of the
human effort to promote peace in a world torn by strife. This aspect does

need to be emphasized.

(B) Furthermore, it is submitted that this is a pertinent case for which
al1sources of law mentioned in Article 38 of the Statute must surely be
compatible with and respect the major legalprinciple of non-use of force
which was clearly the intention of the international community in 1946 ;
the Court has felt the need to reiterate the same now in 1986in the best
interests of al1States. To lay emphasis therefore on a doubt as to how a
closeparallelism could ever have evolved between customary and conven-
tional lawin relation to the concept of non-use of forceand of self-defence,
and thereby to regard those concepts as treaty-based, and hence a bar to

the settlement of the dispute by the Court. would be to miss a major
opportunity to state the law so as to serve the best interests of the com-
munity. The Court as the principal judicial organ of the United Nations
has to promote peace. and cannot refrain from moving in that direc-
tion.

Even if the Charter werenot a codification of existing customary lawon
non-use of force and self-defence, and there were a clear progressive
development leading on to the banning of reprisals involving the use of
force, it needs to be stated that this developmental aspect, or the precise
formulatory aspect, issurely now a part of international law,whether it be

categorized as customary or as one of the "general principles of law
recognized by civilized nations". To invoke these could not amount to
defeatingthe intention of the State invoking the Vandenberg Reservation,
because no party before a tribunal could everplead that it could totally opt
out of al1the four corners of the law both conventional - because of the
reservation - and customary, because the latter was identical incontent to
the former and hence inapplicable. Could a party then claim not to have
any law applicable to its conduct ? The Vandenberg Reservation was not
intended to be a self-assessing reservation, but if this approach were
adopted it would certainly become much worse indeed, a self-defeating
one in relation to the due process of law. Therefore the Court confinedlesmesuresqu'ilsont prises,en tantque condition essentielledu concept de

Iégitimedéfense,mais qu'elle en parle comme d'un indice du comporte-
ment de 1'Etatqui iinvoquele droit de légitime défensesans suivre assu-
rément letraité à la lettre. Les observations que la Cour formule à ce
propos au paragraphe 200 de son arrêt sont vraiment pertinentes. En la
présente affaire,la Cour a donc agi logiquement :elle a décidéde ne pas
appliquer les traités multilatérauxau règlement du différend mais de
limiter sesobservations au droit international coutumier sous-jacent, en se
déclarant compétentepour appliquer le droit coutumier au règlementde
l'affaire. Ce faisant.,la Cour a non seulement agi comme l'exigeaient les
circonstances de l'espèce - et celapour de nombreuses raisons - mais elle

a fait Œuvre méritoiireen soulignant que le principe du non-emploi de la
force relevait dujus cogens et qu'il étaitau cŒurdes efforts déployéspar
l'humanité pourpro~mouvoirla paix dans un monde déchirépar les luttes.
Il n'est pas nécessaired'insister sur ce point.
B) De plus, j'estiine que, dans la présente affaire surtout, il fallait que
toutes les sources de droit mentionnées a l'article 38 du Statut soient
compatibles avecle grand principejuridique du non-emploi de la force et
qu'elles le respectent, ce qui correspond clairement a l'intention de la
communautéintern(ationa1een 1946 ;la Cour ajugénécessairede rappe-
lerceprincipemaintenant en 1986,pour servirau mieuxlesintérêtd se tous
les Etats. Par conséquent, en insistant sur les doutes que soulèvele pa-

rallélismeétroitqui a pu êtreétablientre le droit coutumier et le droit
conventionnel à propos des principes du non-emploi de la force et de la
Iégitimedéfensee ,t ens'enautorisantpour considérercesprincipescomme
étantfondéssurdes traitésetcommefaisant dèslorsobstacle au règlement
du différendpar la Cour, on priverait celle-cid'une excellente occasion de
dire le droit dans l'intérêdte la communautéinternationale. La Cour, en
tant qu'organe judiciaire principal de l'organisation des Nations Unies,
doit promouvoir la paix et ne peut manquer de s'engager dans cette
voie.
Mêmesi la Charte ne codifiait pas le droit coutumier actuel relatif au
non-emploi de la force et à la légitime défense mais qu'on s'acheminait

nettement vers une interdiction des représaillesimpliquant l'emploi de la
force, il n'en demeurerait pas moins que, considéréssous l'angle de cette
évolution, ou sous celui de leur formulation précise, lesprincipes en
question relèveraientmaintenant sansaucun doute du droit international,
qu'on le qualifie de coutumier ou qu'on le rattache aux <principes géné-
raux dedroit reconrius par les nations civilisées )).Ce ne serait pas allerà
l'encontre de l'intention de 1'Etatqui invoque la réserveVandenberg que
de se fonder là-dessus, puisqu'un plaideur ne peut jamais prétendre pou-
voir écarter totalement ledroit dans son ensemble, qu'il s'agissedu droit
conventionnel - en invoquant à cet effet une telle réserve- ou du droit

coutumier - en prétextant que ce dernier a un contenu identique au
premier et qu'ilest par conséquent inapplicable. Pourrait-il alors soutenir
qu'aucun droit n'estapplicable a sa conduite ? La réserveVandenberg n'a
pas étéconçue comimeune clause discrétionnaire mais, interprétéede laitself to applyingcustomary international law in this case and held treaty-
law as inapplicable. It could hardly promote in the settlement of the
dispute the concept of total evasion of law as pleaded, when the sole
intention of useof the optional clause under Article 36,paragraph 2,of the
Statute could be to confer somebasis ofjurisdiction on the Court, however
hedged about with reservations.

Another major consideration which has needed to be emphasized is the
difficulty which the Court has experienced as a result of the non-appear-
ance of the Respondent at the merits stage of the case. The regret most
keenly felt by the Court, owing to the absence of the Respondent, was in
relation to the correct appraisal of the evidencepresented to the Court by
the Applicant. Though careful observance of Article 53of the Statute has
been the key-note of the Court's approach, that Article could not require
theCourt to gobeyond the regular procedures and to seekout al1and every
source of information, farand near from different cornersof the world, in
order to adjudicate a case submitted to it. The evidence before the Court
may perhaps have fallen short of what the Court would have desired, as
became noticeable because of theabsence of the Respondent. However,in
the light of such a situation, the Court has endeavoured to achieve as
perfect an equality between the parties as possible. in order to assess the
application of the lawto thefacts of the casewith aviewto drawingcorrect
conclusions in the absence of the Respondent.

For my part, in regard to the flow of arms from Nicaragua to El
Salvador, 1believe that even if it isconceded that this may have been both
regular and substantial, as wellas spread over a number of years and thus
amounting to intervention by Nicaragua in El Salvador, still it could not
amount as such to an "armed attack" against El Salvador. Again, the
Applicant may not have been ignorant of this flowinvolvingthe supply of
arms to the rebelsin ElSalvador. However,evengranting al1this, theCourt
still could not hold that such supply of arms, even though imputable as an
avowed object of Nicaragua's policy,could amount to an "armed attack"
on El Salvador, so as to justify the exercise of the right of collective
self-defenceby the United StatesagainstNicaragua.This conclusion of the
Court is indeed warranted by whatever process of reasoning one adopts,
and hence 1havevoted for subparagraph (2)of operativeparagraph 292of
the Judgment.
Furthermore, it has been argued that the Court should in its Judgrnent
have passed strictures on the conduct of Nicaragua if it found that, by the
said flowof arms to El Salvador,Nicaragua was violating the principle of
non-intervention in the affairs of a State, because the arms supply wassorte,elleserait certa.inementbienplus catastrophiquecar elleempêcherait
totalement la bonne administration de lajustice. C'est pourquoi la Cour
s'est bornée à appliquer le droit international coutumier à la présente
affaireet a jugéque le droit conventionnel n'étaitpas applicable. Elle ne

pouvait décemment réglerle présent différend en appuyant l'idée qu'il
échappaittotalement au droit, comme on l'avaitplaidé,alorsquela clause
facultative viséà l'article 36,paragraphe 2,du Statut a pour uniqueobjet
de donner à la Cour une base de compétence,si limitée soit-ellepar des
réserves.

Il est un autre élémentimportant sur lequel il a fallu insister,irla
difficulté que la Cour a éprouvéedu fait de la non-comparution du
défendeurpendant la phase consacréeaufond.C'est au moment de sefaire

uneidéeexactedes moyens depreuveprésentés à laCourpar ledemandeur
que celle-cia ressenti1leplus vivement l'absencedu défendeur.LaCour est
partie du principe qu'elle devait respecter scrupuleusement l'articleu
Statut. Mais cet article ne pouvait l'obliàeallerau-delàdes procédures
régulièreset àrechercher l'une après l'autre chacune des sources d'infor-
mation, procheset lointaines(aux quatre coinsdu monde), avant de statuer
en l'espèce.Les moyens de preuve n'auraient peut-être pas répondu à
l'attente de la Cour, comme l'a laissé percevoir l'absencedu défendeur.
Toutefois,dans cescconditions,laCour s'est efforcéede réaliserune égalité
aussi parfaite que possible entre lesparties et d'appliquer ledroit aux faits
de l'espècede manière àparvenir à desconclusions exactes en l'absencedu
défendeur.

Pour ma part, en ce qui concerne le flux d'armes du Nicaragua vers El
Salvador,j'estime qu.e,même sil'on admet que ceflux ait pu êtreà la fois
régulieret important, et qu'il ait duréun certain nombre d'années, si bien
qu'il équivaudraità une intervention du Nicaragua au Salvador, ce flux
d'armesnesaurait équivaloir à une <agression armée contre ElSalvador.
Par ailleurs, le demandeur ne peut pas avoir ignoréce flux, qui prenait
la forme de fourniture d'armes aux rebelles d'El Salvador. En allant jus-
qu'à admettre tout cela, la Cour ne pouvait pas dire que cette fourniture
d'armes, considérée .mêm comme un but avouéde la politique du Nica-
ragua, pouvait équivaloir à une agression armée ))contre El Salvador,
de manière à justifier l'exercice par les Etats-Unis du droit de légitime
défense collective contre le Nicaragua. Quel que soit le raisonnement

que l'on adopte,cettleconclusion de la Cour s'impose. C'est pourquoi j'ai
votépour le sous-paragraphe2 du dispositif de l'arrêt (par.292).
De plus, il a étéavancéque la Cour, dans son arrêt, devait émettre des
critiquesàl'encontreducomportementduNicaragua sielleestimaitque ce
pays, en raison dudit:flux d'armes vers El Salvador, violait le principe de
non-intervention dans les affaires d'un Etat, la fourniture d'armes étant 155 MILITARY AND PARAMILlTARY ACTIVITIES (SEP. OPNAGENDRA SINGH)

imputable to Nicaragua. It is submitted that the Court rightly felt that it
could not do so,because thecase before the Court wasbetween Nicaragua
and the United States, and not between Nicaragua and El Salvador. The
sole concern of the Court in this case was to adjudge the conduct of

Nicaragua in so far asit wasrelevant to the determination of the validity of
the plea of self-defence raised by the Respondent. In that particular con-
text, al1that was necessary was to determine if the said arms flow from
Nicaragua to El Salvador was of such an order as to warrant intervention
by the Respondent on theground ofcollectiveself-defence. Thisaspect the
Court hasexamined in detail inparagraphs 128to 160and 227to 237of the
Judgment, and 1am in entire agreement with the legalconclusions therein
stated. No tribunal could do more in appreciation of the position of the
absent Respondent, because to do otherwise would be to annihilate the
very principle of equality of parties by placing the Respondent in a posi-
tion more favourable than the Applicant.
In the light of the aforesaid reasoning, it isdifficult to accept thats a
just appreciation of thiscase to maintain that the Court simplyadoptedthe
false testimony of witnesses produced by Nicaragua on a matter which is

essential to the disposition of this case. Forxample in one paragraph of
the Judgment, paragraph 84, Mr. Chamorro's evidence on a particular
question is downgraded as "strictly hearsay", and therefore properly
evaluated in the context of this case.

In fact theCourt has found reason to mention in paragraphs 59ff. of its
Judgment the principles observed by it in the appraisal of the evidence
produced before it. These principles by al1standards are fair and just and
do merit a mention in this context.
Again. in paragraph 135 of the Judgment, where the evidence of
Mr. David MacMichael is relied upon. the Court has not lost sight of the
basic values in assessing the testimony and has noted the probative
importance of a witness

"called by Nicaragua in order to negate the allegation of the United
States that the Government of Nicaragua has been engaged in the
supply of arms to the armed opposition in El Salvador 'whose testi-
mony' only partly contradicted that allegation"(emphasis added).

Similar observations of the Court in paragraph 146arepertinent to men-
tion here.
Furthermore, leaving aside revision under Article 61 of the Statute, the
validity of a judgment is not a matter to be challenged at any stage by
anyone on any grounds. The decision of the Court is the result of a
collegiate exercise reached after prolonged deliberation and a full
exchange of viewsof no less than 15judges who, working according to the
Statute and Rules of Court, haveexamined the legalarguments and al1the
evidence before it. In this, asin al1other cases, everycare has been taken to

strictlyobserve the procedures prescribed and the decision is upheld by a
clear majority. What is more, thebinding character of thejudgment under ACTIVITÉS MILITAIRES ETPARAMILITAIRES(OP.IND. NAGENDRA SINGH) 155

imputable au Nicaragua. Je suis d'avis que la Cour a eu raison d'estimer
qu'elle ne pouvait le faire, parce que l'affairedont elleétaitsaisieopposait

le Nicaragua et les Etats-Unis, et non pas le Nicaragua et El Salvador. En
l'occurrence. laour ne devait statuer sur lecomportement du Nicaragua
quedans la mesure où il comptait pour établir la validitéde la thèsede la
légitimedéfenseinvoquéepar le défendeur. Dans ce contexte particulier,
tout cequ'il fallait faire, c'étaitdéterminersi leflux d'armes du Nicaragua
vers El Salvadorétait à ce point important qu'iljustifiait l'intervention du
défendeurau titre de la légitimedéfense collective.La Cour a examinécet
aspect de la question dans ledétailaux paragraphes 128 à 160et 227 à 237
de son arrêt,etje souscris entièrement aux conclusions auxquelles elle est
parvenueen droit. Aucun tribunal ne saurait aller plus loin pour apprécier
lecomportement d'un défendeur absent. sauf à réduire ànéantleprincipe

mêmede l'égalité clesparties et à favoriser le défendeur par rapport au
demandeur.
Vu les observations qui précèdent, il est difficile d'accepter l'argument
selon lequel on est fondé àconsidérerqu'en l'espècela Cour s'estbornée à
adopter les faux témoignagesde témoins citéspar le Nicaragua sur un
point essentiel au rkglement de la présente affaire. Par exemple, au para-
graphe 84 de son arrêt,la Cour va jusqu'à dire que les déclarations de
M. Chamorro sur un point particulier (<reposent uniquement sur ce qu'il
avait entendu dire )>;elle les appréciedonc en les situant dûment dans le
cadre de l'affaire.
D'ailleurs, la Cour a jugé utilede mentionner, aux paragraphes 59 et

suivants de son arrêt,lesprincipes qu'elle avait retenus pour apprécier les
moyens de preuve produits. Ces principes sont, à tous points de vue,
équitables et justes. et il convient de le souligner.
De même.au paragraphe 135de l'arrêt, oùelle se fonde sur le témoi-
gnage de M. David IUacMichael.la Cour n'apasperdu de vue lesprincipes
fondamentaux à suivre lorsqu'ellea appréciésa déposition,et elle a relevé,
à propos de la valeiurprobante de cette déposition, que

<(la dépositiond'un témoin cité par le Nicaragua pour réfuter I'allé-
gation des Etats-Unis suivant laquelle le Gouvernement du Nicara-
gua livrait des armes à l'opposition arméeau Salvador n'a contredit
que partiellement cette allégation (les italiques sont de moi).

Ilconvient de signaler que la Cour a formulédesobservationsanalogues
au paragraphe 146 de son arrêt.
En outre. quand lbienmême l'article61 du Statut prévoit la possibilité
d'une revision, nul .nepeut contester, à aucun moment ni pour quelques
raisons que ce soit, la validitéd'un arrêt.La décisionde la Cour est le
résultat d'un travail collégial.C'est le résultat auquel sont parvenus non
moins de quinze juges, après de longs délibérés et un échange de vues
complet. Seconformant auStatut et au Règlementde laCour, cesjuges ont
étudiéles thèses des Parties et tous leurs moyens de preuve. Dans la

présente affaire, colmme dans toutes les autres, grand soin a étépris
d'observer strictement lesrèglesdeprocédureprescrites, et ladécisionaététhe Statute (Art. 59) is made sacrosanct by a provision of the United
Nations Charter (Art. 94) : al1 Members of the United Nations have
undertaken an obligation to comply with the Court's decisions addressed
to them and to respect thejudgment.

III

May 1also add that 1agree with the viewthat the CIA Manual entitled
Operaciones sicologicas en guerra de guerrillas cannot be a breach of
humanitarian law as such, but only an encouragement provoking such
breaches, whichaspect the Court has endeavoured to bring out correctly in
subparagraph (9) of the operative paragraph 292 of the Judgment. Fur-
thermore, 1would also emphasize the assertion that the said manual was
condemned by the Permanent Select Committee on Intelligence of the
House of Representatives, an attempt was made to recall copies, and the
contras wereasked to ignoreit, al1ofwhichdoes reflect thehealthy concern
of the Respondent, which has a great legal tradition of respect for the
judicial process and human rights.

Nevertheless, that such a manual did appearand wasattributable to the

Respondent through the CIA,although compiled at a lowlevel,wasal1the
more regrettable because of the aforesaid traditional respect of the United
States for the rule of law, nationally and internationally.

1cannot conclude this opinion without emphasizing the key importance
of thedoctrine of non-intervention in the affairs of States which is sovital
for the peace and progress of the international community. To ignore this
doctrine is to undermine international order and to promote violenceand
bloodshed which may prove catastrophic in the end. The significant con-
tribution which the Latin American treaty system along with the United
NationsCharter make to the essentials ofsound public order embracesthe
clear, unequivocal expressiongivento the principle of non-intervention, to
be treated as a sanctifiedbsolute rule of lawwhosenon-observance could

lead to disastrous consequences causing untold misery to humanity. The
last subparagraph (16) of the operative paragraph 292 of the Judgment,
which has been adopted unanimously by the Court, really rests on the due
observance of the basicprinciples ofnon-use of forceand non-intervention
in the affairs of States. The Court has rightly held them both as principles
of customary international law although sanctified by treaty law, but
applicable in thiscase in the formercustomarymanifestation to fullymeetacquise à unenette majorité.Quiplusest, lecaractèreobligatoire que revêt
l'arrêctonformémentau Statut(art. 59)prend un caractèresacro-saint à la
lumièred'unedisposition delaChartedes Nations Unies (art. 94) :tous les
Membres des Nations Unies ont contracté l'obligation de se conformer
aux décisions de la Cour qui s'adressent à eux et de respecter son

arrêt.

III

J'ajouterai queje conviens que lemanuel de la CIA intitulé Operaciones
sicolbgicasenguerradeguerrillasne peut constituer une violation du droit
humanitaire en tant que teletqu'il n'estqu'un encouragement à commettre
des violations du droit humanitaire, ce que la Cour s'estefforcéede bien
mettre en évidenceau sous-paragraphe 9 du dispositif de l'arrêt (par.292).
De plus je soulignerai qu'il a étéaffirméque ledit manuel avait étécon-
damnépar la commission permanente restreinte du renseignement de la
Chambredes représi:ntantsdesEtats-Unis, qu'une tentative avait étéfaite
d'en récupéred res e:templaires,etque lescontrasavaient été priésde n'en
tenir aucun compte:. Tout cela traduit bien les saines inquiétudes du

défendeur,chezqui ]lerespect de la bonnejustice et des droits de l'homme
remonte bien haut.
11n'en demeure pas moins que ce manuel a étépublié et qu'il est
attribuable au défendeur par le fait de la CIA - bien qu'élaboré à un
échelonsubalterne --, ce qui est d'autant plus regrettable que les Etats-
Unis se sont toujours montrés respectueux de la légalitétant àl'échelon
national qu'international.

Je ne saurais conclure sans insister sur l'importance capitale de la doc-
trine de la non-intervention dans lesaffairesdesEtats, qui est siessentielle
pour la paix et le pr~ogrède la communautéinternationale. Ne pas tenir
compte de cette doc:trine,c'est saper l'ordre international et favoriser la

violence et les effusions de sang, ce qui risque de déboucher sur une
catastrophe. La con.tribution importante que le système conventionnel
latino-américainde mêmeque la Charte des Nations Unies apportent aux
fondements d'un ordre public stable implique reconnaissance claire et
nette du principe de:non-intervention, lequel doit êtreconsidéré comme
une règlede droit absolueet sacréedont l'inobservation pourrait avoir des
conséquencesdésastreuseset causer d'indicibles souffrances à l'humanité.
Le sous-paragraphe 16 par lequel se termine le dispositif de l'arrêt
(par. 292) a étéadopté à l'unanimitépar la Cour. Il repose en fait sur le
respect dû aux principes fondamentaux du non-emploi de la force et de la
non-intervention dans les affairesdes Etats. C'est ajuste titre que la Cour
les a tous deux qualifiésde principes de droit international coutumier,the viewpoint of the Respondent which the Court has rightly respected.
However, the concepts of both these principles do emerge in their mani-
festation here fully reinvigorated by being further strengthened by the
expressconsent of Statesparticularly theparties in dispute here.This must
indeed have al1the weightthat lawcould evercommand in anycaseand no
reservations could eversuppress this pivotal fact of inter-state law,lifeand
relations. This in myviewis the main thrust of theJudgment of the Court,
rendered with utmost sincerity in the hope ofserving the best interests of
the international community.

(Signed) NAGENDRA SINGH.consacréscependant. par le droit conventionnel mais applicables en l'es-
pèceen tant qu'expr'essionancienne du droit coutumier, soucieuse qu'elle
étaitde respecter pleinement le point de vue du défendeur,ce qu'ellea eu
raison de faire. Quai qu'il en soit, les notions dont s'inspirent cesdeux
principes apparaissent maintenant dans toute leur manifestation, dotées
d'une vigueur nouvellepour avoir étéencore renforcéespar le consente-
ment exprès des Etats et en particulier par celui des Parties au présent
différend.II faut vraiment que cet acquis pèsede tout le poids qui peut
s'attacher au droit dans une affairejudiciaire, et il n'estpas de réservequi
puissejamais exclurcrcette réalité essentieldu droit international, de la
vie internationale et des relations interétatiques. Tel està mon avis,
l'essencedu présent arrêt,quela Cour a rendu avecl'espoir trèssincèrede
servir au mieux les intérêtde la communauté internationale.

(Signé)NAGENDRS AINGH.

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Document Long Title

Opinion individuelle de M. Nagendra Singh, Président (traduction)

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