Opinion individuelle de M. Ago

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063-19820224-JUD-01-01-EN
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063-19820224-JUD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M.AG0

1. Je souscrispleinement àla conclusion àlaquellelaCourestparvenue
en définissantcomme elle l'a fait la méthode àappliquer pour la délimi-

tation des zones de plateau continental àreconnaître respectivement à la
Tunisieet àla Libye. J7approuvetout particulièrement le ralliementde la
Cour, à une si grande majorité, à l'idéeque la <(zone de délimitation ))
doive être considéréecomme composée de deux secteurs distincts
(par. 114), la caractéristique dominante du premier étant l'unité fonda-
mentale de la direction est-nord-estdescôteslibyenne et tunisienne adja-
centes, de Ras Tadjoura à Ras Ajdir et de Ras Ajdir au point le plus
occidental du golfe de Gabès, et celle du second étant par contre la
quasi-oppositiondescôtes desdeuxpays àpartir de cedernier point, où la

côtetunisienne vire aunord-est aveclepromontoire du Sahel,endirection
de RasKapoudia. En toute logique,c'est avecunepleinesatisfactionqueje
voisla Cour en avoir tiré la conclusionqu'elledoit adopter, pour les deux
secteurs, deux lignes de délimitationà inclinaison différente, la première
suivant une direction perpendiculaire à la côte et unissant idéalement le
point d'arrivéede la frontière terrestre avec le point de rencontre de la
mêmeligne avecleparallèlepassant par l'extrémitélaplus occidentaledu
golfede Gabès(34" 10'30"), et laseconde sedirigeant vers lelarge à partir
de cedernierpoint suivant une angulation de 52" parrapport au méridien.

La délimitation résultantde l'adoption de cette lignebriséecomposéede
deux segments me paraît en effet constituer, au vu de tous les éléments
pouvant entrer en ligne de compte en l'espèce,une bonne illustration de
cette (solution équitable u que le texte final de l'article 83 du projet de
convention de 1981sur ledroit delamerindique comme étantlerésultat à
atteindre par ladélimitationàeffectuer entre deuxEtatsdont lescôtessont
adjacentes ou se font face.
2. Par contre, c'estquant à lajustification donnée de l'inclinaison de la
ligneen question, et notamment de sonpremier segment,quej'ai quelques
réserves àformuler. Pour cettejustification, l'arrêt de la Cour se base en

premier lieu sur la constatation d'un fai: à savoir que, jusqu'en 1974 -
et on peut direjusqu'à aujourd'hui pour autant que l'on se tienne à une
zone ne dépassant pas les 50 milles de la côte - les deux Etats en litige
ont spontanément adopté,en fait, comme limite orientale des permis et
concessions tunisiens de recherche et d'exploitation d'hydrocarbures et
comme limite occidentale des permis et concessions libyens, une ligne
partant de RasAjdirsuivantuneangulation de26"parrapport auméridien
etpar conséquentplusoumoinsperpendiculaire àlacôte.Ce n'estqu'à titre
de justification complémentaire qu'un argument d'ordre historico-juri-

dique aété aussimentionné,celuitirédumodusviven dipour employerlestermes de l'arrêt - ayant existéentre les puissances responsables des
relations extérieuresdes deux pays concernés avant leur accession à l'in-
dépendance, et ayant été consacré par l'observation defacto d'une limite
entre les compétencesmaritimes respectives des deux pays en matière de

pêche,de pêchedesépongesnotamment. Cette limite suivait elleaussiune
ligne perpendiculaire à la côte au point d'intersection avec la frontière
terrestre.
3. Enréalitéj,e nesauraispartager l'avisdelamajoritédelaCour quant à
la prétendue absenced'une véritable (frontière maritime ))entre les deux
paysàl'époque antérieure àladécolonisation. C'estunfaitétabliqu'en1914

l'Italie,quiavaitacquis lasouverainetésurlesterritoires delaTripolitaineet
de la Cyrénaïque à la suite de la cession que lui en avait faite l'Empire
ottomanpar le traité de Lausanne de 1912,proposa aux autorités respon-
sablesdesrelationsextérieuresdelaRégencedelaTunisie,sousprotectorat
français, d'adopter commelimiteentre lesactivitésmaritimesdesdeuxpays
uneligne (<normale à ladirection générale delacôte ))avecuneorientation

approximative nord-nord-est. Et c'est égalementun fait établi que les
autoritésdu protectorat, saisiesde cetteproposition,n'insistèrent paspour
l'adoption d'uneligneorientéenord-est à 45" etnefirentaucuneopposition
à la mise en application - qu'ellefût provisoire ou non - par les autorités
italiennes du gouvernement de la Tripolitaine de la frontière maritime
qu'ellesavaientproposée. On ignore si, dans les années qui suivirent,une
quelconquecorrespondancediplomatiqueeut lieu à cesujet entre les deux

pays, mais le fait concluant me paraît êtrequ'en date du 16avril 1919le
gouvernement italien de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque adopta des
<<Instructions pour la surveillancedela pêchemaritimedans leseaux dela
Tripolitaine etdela Cyrénaïque )etquel'article 3deces instructions - que
le présent arrêta lui-mêmecité au paragraphe 93 - disait textuelle-
ment :

((En cequiconcernelafrontièremaritime [confinedimare]entrela
Tripolitaine et la Tunisie, il a étéconvenu [fu convenuto]d'adopter,

comme ligne de délimitation la perpendiculaire [normale] à la côte
tirée au point frontière soit,dans le cas présent, la direction approxi-
mative nord-nord-est en partant de Ras Ajdir. ))

Vu le caractère officiel et public de ces instructions, il est impensable
qu'elles n'aient pas été connues parles autorités du protectorat voisin,
lesquelles n'auraient pas manqué de faire des remontrances àTripoli et à
Romesi l'assertion à propos de ce qui avait été convenu ))au sujet de la
(<frontière maritime ))entre la Tunisie et la Libye avait rencontré une
opposition ouundésaccorddeleurpart. Jenote aussiquelesinstructions en
questionne selimitaientpas àrappeler l'existenced'unefrontièremaritime

<<convenue ))maisétendaientla limite aux fins de la surveillance concer-
nant la pêche,lelongd'une ligneperpendiculaire àla côte,bien au-delàde
l'étenduedes3millesdemer territoriale.Atout cela,onnesauraitopposerle
fait que sur une étendue de 8 milles en deçà de la ligne de la frontièremaritime de la Tripolitaine avec la Tunisie, tout comme de celle de la
Cyrénaique avec l'Egypte, les instructions disposaient que les navires
étrangerstrouvéssans un permis de pêche régulièrement délivr par les
autoritésmaritimes italiennes seraient passibles d'une mesure d'éloigne-
ment etnon pas delamesureplusgravedelasaisie.Cette concessionn'était

justifiéeque par le désird'éviterdes contestations quant à la position
effectivedunavire aumoment delacontravention etn'affectaitdoncen rien
la détermination de la frontière maritime. Comme le présent arrêtle
rappelle au paragraphe 94, la direction martime de la rip polit ainut
ensuite à confirmer,-par les instructions sur la surveillance maritime du
25 juin 1931, les mêmesprescriptions, lesquelles, une fois de plus, ne
provoquèrentpaslamoindre réservenilamoindreopposition delapart des
autoritéscompétentesdu Protectorat.
4.A mon avis, tous ces faits prouvent que l'existenceà l'époque d'un
acquiescementdelapartde cesautoritésnesauraitêtrenié,cecidans lesens
propre du terme acquiescement, qui indique un consentement manifesté
par l'inaction,ou,commele dit bien MacGibbon (<The Scopeof Acquies-
cence in International Law ))British Year Book of International Law,
XXXI, 1954,p. 143) : (par lesilenceoul'absencedeprotestationdans des
circonstancesqui exigeraient une réactionpositive exprimant une objec-

tion ))ou encore comme le dit Sperduti (<<Prescrizione, consuetudine e
acquiescenza in diritto internazionalr),Rivista di diritto internazionale,
1961): <<ar lapassivitégardéeparrapport àunesituationpar lesujet...qui
avait titre pour s'opposerà elleu.En l'espèce,cette absence de réaction
négative n'avaitd'ailleurs rien de surprenant, vu que l'adoption d'une
frontièremaritimelelongdu <tracéd'uneligneperpendiculaire à la côteà
l'endroit où la frontière entre les deux territoires atteint la )(C.I.J.
Recueil 1969, p. 34, par. 51) constitue, par rapportàune côte ayant les
caractéristiques de la côte africaine des deux côtés de Ras Ajdir, la
méthodede délimitation incontestablement la plus équitable et la plus
respectueuse de l'égalité dedsroits des deux pays adjacents.Yen conclus
qu'il est difficile de contester que,jusqu'au moment de l'accession l'in-
dépendancede la Libye et de la Tunisie, une délimitation a bel et bien
existéentre les deux pays et non pas une simple < <bauchede frontière ))

sansportéedéfinitive, unedélimitationconcernant avant tout leurs eaux
territoriales respectives, mais se poursuivant aussi considérablementau-
delà, ne fût-ce qu'aux fins de la délimitation des zones respectives de
surveillance de la pêche maritime.
5. En conséquence,je suis convaincu que l'ordre, etl'ordre de valeur
aussi,desargumentations invoquéespar laCour enfaveurdel'adoption de
la méthode pratique qu'elle a choisie comme devant être indiquéeaux
Partiespour ladéterminationdupremier segmentdelalignedélimitantles
zones du plateau continental revenant respectivement à la Tunisie eà la
Libye aurait dû êtreinversé.L'existence d'une délimitationprolongée
au-delàdelalimite extérieuredeseauxterritorialesayantétérespectéesans
qu'aucunedifficultésesoit élevépeendant lesquatre décenniesantérieures
àl'accessiondesdeuxEtats àl'indépendance,elleauraitdûêtreconsidérée,je pense, comme la donnée de base, s'imposant aux Parties après l'indé-
pendance également,en vertu des mêmesprincipes du droit international
générae ln matièrede successiond'Etats et desmêmesprincipes proclamés

par l'organisation del'unitéafricaine, quelaCoura évoqués àpropos dela
frontièreterrestre de 1910.Endisant cela,jen'entends nullementminimiser
l'importance du faitque,dansl'attribution despermisetdesconcessions de
recherche et d'exploitation des ressources du sous-sol maritime en hydro-
carbures, lesParties sesontl'unecommel'autre tenues,jusqu'à unecertaine
date età une certainelatitudeà lamêmeligneperpendiculaire à la côte.Je
tiens seulement à dire que c'est cedeuxièmefait qui me paraît êtrecom-
plémentaireet surtout confirmatif du premier, plutôt que le contraire. La
continuité que l'on constate dans la conduite observéepar les Parties
concernées, à deux époquesdistinctesqui se sont succédé,est à mes yeux
révélatricedu fait que la Tunisie et la Libye, lorsqu'elles ont octroyédes
permis et desconcessions de rechercheset d'exploitation desressources du
sous-solmaritime en hydrocarbures,étaient l'une et l'autre implicitement
conscientes de l'existenced'unelignede délimitationdéterminée,quiavait

traditionnellement eu la valeur de frontièremaritimeentre elles et qui ne
pouvait que logiquement s'appliquer aussi, dûment prolongéejusqu'àune
certaine distance des deux côtes adjacentes, à la détermination de la
nouvelle frontière entre les zones respectives du plateau continental.
6. Autrement dit, l'existenced'une ligne grossomodocontinue,qui suit
une directionperpendiculaire à la côteou,plus précisément,une inclinai-
son de 26" par rapport au méridien, ligne le long de laquelle, au sud du
34eparallèledu moins, les permis et les concessionsaccordéspar les deux
Etats limitrophes sejuxtaposent sans sechevaucher, prend d'aprèsmoi sa
vraie et entière valeur aux fins de la solution recherchéequanà la déli-
mitation des zones respectives de plateau continental de ces Etats, si on
réalise qu'elle nefait que se greffer sur l'autre, déjà historiquement et
juridiquement établie, constituant quant à elle la délimitation des eaux

territoriales etdeszonesde surveillancedelapêcheO. npeutdire, enréalité,
qu'ilnes'agitqued'une seuleetmême ligne.Celle-ci,conçueàl'originepour
s'appliquer àdes finalitésdéterminéeset limitées,s'esetn fait simplement
étendueplus récemment àde nouvelles finalitésplus importantes; elle a
donctous lestitrespour êtreconsidéréet,oujoursdans lesecteurauquel on
seréfèreici,commela ligneuniquededélimitationdes eaux et du sous-sol
marin entre lesdeux Etats voisins. En seplaçant dans cette perspective,je
croisquel'onvoit apparaître commeencorerenforcéel'argumentation déjà
valablement fourniepour étayerune décision à laquelle,commeje l'aidit,
j'apporte mon plein accord.

(Signé)Roberto AGO.

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OPINION INDIVIDUELLE DE M.AG0

1. Je souscrispleinement àla conclusion àlaquellelaCourestparvenue
en définissantcomme elle l'a fait la méthode àappliquer pour la délimi-

tation des zones de plateau continental àreconnaître respectivement à la
Tunisieet àla Libye. J7approuvetout particulièrement le ralliementde la
Cour, à une si grande majorité, à l'idéeque la <(zone de délimitation ))
doive être considéréecomme composée de deux secteurs distincts
(par. 114), la caractéristique dominante du premier étant l'unité fonda-
mentale de la direction est-nord-estdescôteslibyenne et tunisienne adja-
centes, de Ras Tadjoura à Ras Ajdir et de Ras Ajdir au point le plus
occidental du golfe de Gabès, et celle du second étant par contre la
quasi-oppositiondescôtes desdeuxpays àpartir de cedernier point, où la

côtetunisienne vire aunord-est aveclepromontoire du Sahel,endirection
de RasKapoudia. En toute logique,c'est avecunepleinesatisfactionqueje
voisla Cour en avoir tiré la conclusionqu'elledoit adopter, pour les deux
secteurs, deux lignes de délimitationà inclinaison différente, la première
suivant une direction perpendiculaire à la côte et unissant idéalement le
point d'arrivéede la frontière terrestre avec le point de rencontre de la
mêmeligne avecleparallèlepassant par l'extrémitélaplus occidentaledu
golfede Gabès(34" 10'30"), et laseconde sedirigeant vers lelarge à partir
de cedernierpoint suivant une angulation de 52" parrapport au méridien.

La délimitation résultantde l'adoption de cette lignebriséecomposéede
deux segments me paraît en effet constituer, au vu de tous les éléments
pouvant entrer en ligne de compte en l'espèce,une bonne illustration de
cette (solution équitable u que le texte final de l'article 83 du projet de
convention de 1981sur ledroit delamerindique comme étantlerésultat à
atteindre par ladélimitationàeffectuer entre deuxEtatsdont lescôtessont
adjacentes ou se font face.
2. Par contre, c'estquant à lajustification donnée de l'inclinaison de la
ligneen question, et notamment de sonpremier segment,quej'ai quelques
réserves àformuler. Pour cettejustification, l'arrêt de la Cour se base en

premier lieu sur la constatation d'un fai: à savoir que, jusqu'en 1974 -
et on peut direjusqu'à aujourd'hui pour autant que l'on se tienne à une
zone ne dépassant pas les 50 milles de la côte - les deux Etats en litige
ont spontanément adopté,en fait, comme limite orientale des permis et
concessions tunisiens de recherche et d'exploitation d'hydrocarbures et
comme limite occidentale des permis et concessions libyens, une ligne
partant de RasAjdirsuivantuneangulation de26"parrapport auméridien
etpar conséquentplusoumoinsperpendiculaire àlacôte.Ce n'estqu'à titre
de justification complémentaire qu'un argument d'ordre historico-juri-

dique aété aussimentionné,celuitirédumodusviven dipour employerles SEPARATE OPINION OF JUDGE AG0

[Translation]

1. 1entirelyconcurintheconclusion reached by theCourt in definingas
it has the method to be applied for the delimitation of the respective areas
of continental shelf to be attributed to Tunisia and Libya. 1 especially
approve the Court's endorsement, by so large a majority, of the idea that
the "area of delimitation" must be consideredas composed of two distinct
sectors (para. 14),with the first being predominantly characterized by the
fundamental unity of the east-northeast direction of the Libyan and

Tunisian adjacent coasts, from Ras Tajoura to Ras Ajdir and from Ras
Ajdir to thewesternmostpoint of the Gulf ofGabes, and thesecond,onthe
other hand, by the quasi-opposite relationship of the coasts of the two
countries as from the point last mentioned, at which the Tunisian coast,
with the Sahel promontory, veers north-east in the direction of Ras
Kaboudia. As is only consistent, 1 am wholly gratified to note that the
Court has concludedfromthisthat it must,for thesetwosectors,adopt two
delimitation linesat different angles,thefirstrunningperpendicular to the
coastline and notionally linking the endpoint of the land frontier with the
point where the linein questionintersectstheparallel passing through the
western extremity of the Gulf of Gabes (34" 10' 30"), and the second
running seaward from that point at abearing of 52" to the meridian. For 1
feelthat thedelimitationresultingfrom theadoption of thisbroken line in
two segments constitutes,in thelight of al1the possible factors tobe taken
into account in the circumstances,a good illustration of that "equitable
solution" which thefinal text of Article 83of the 1981draft convention on

the Law of the Sea indicates as the result to be attained by a delimitation
carried out between two States with adjacent or opposite coasts.

2. On the other hand, 1 have a few reservations with regard to the
justification given for the inclination of the line in question, in particular
where its first segment is concerned. The Judgment bases itself in the first
place, for the purposes of thatjustification, on a finding of fact :namely
that, up to 1974 - considering only the area within 50 miles of the coast-
line, one could Sayup to the present time - the two States Parties to the
disputespontaneouslyadopted astheeasternlimit of the Tunisian licences
and concessions for hydrocarbon explorationand exploitation,and as the
western limit of the Libyan licences and concessions, a linerunning from
RasAjdir at abearing of26" to themeridian and consequentlymore or less
perpendicular to the coastline. It is only by way of supplementaryjusti-

fication that referencehas alsobeen made to ahistorico-juridicalargument
drawnfrom the modusvivendi - to employ the same term as the Judgmenttermes de l'arrêt - ayant existéentre les puissances responsables des
relations extérieuresdes deux pays concernés avant leur accession à l'in-
dépendance, et ayant été consacré par l'observation defacto d'une limite
entre les compétencesmaritimes respectives des deux pays en matière de

pêche,de pêchedesépongesnotamment. Cette limite suivait elleaussiune
ligne perpendiculaire à la côte au point d'intersection avec la frontière
terrestre.
3. Enréalitéj,e nesauraispartager l'avisdelamajoritédelaCour quant à
la prétendue absenced'une véritable (frontière maritime ))entre les deux
paysàl'époque antérieure àladécolonisation. C'estunfaitétabliqu'en1914

l'Italie,quiavaitacquis lasouverainetésurlesterritoires delaTripolitaineet
de la Cyrénaïque à la suite de la cession que lui en avait faite l'Empire
ottomanpar le traité de Lausanne de 1912,proposa aux autorités respon-
sablesdesrelationsextérieuresdelaRégencedelaTunisie,sousprotectorat
français, d'adopter commelimiteentre lesactivitésmaritimesdesdeuxpays
uneligne (<normale à ladirection générale delacôte ))avecuneorientation

approximative nord-nord-est. Et c'est égalementun fait établi que les
autoritésdu protectorat, saisiesde cetteproposition,n'insistèrent paspour
l'adoption d'uneligneorientéenord-est à 45" etnefirentaucuneopposition
à la mise en application - qu'ellefût provisoire ou non - par les autorités
italiennes du gouvernement de la Tripolitaine de la frontière maritime
qu'ellesavaientproposée. On ignore si, dans les années qui suivirent,une
quelconquecorrespondancediplomatiqueeut lieu à cesujet entre les deux

pays, mais le fait concluant me paraît êtrequ'en date du 16avril 1919le
gouvernement italien de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque adopta des
<<Instructions pour la surveillancedela pêchemaritimedans leseaux dela
Tripolitaine etdela Cyrénaïque )etquel'article 3deces instructions - que
le présent arrêta lui-mêmecité au paragraphe 93 - disait textuelle-
ment :

((En cequiconcernelafrontièremaritime [confinedimare]entrela
Tripolitaine et la Tunisie, il a étéconvenu [fu convenuto]d'adopter,

comme ligne de délimitation la perpendiculaire [normale] à la côte
tirée au point frontière soit,dans le cas présent, la direction approxi-
mative nord-nord-est en partant de Ras Ajdir. ))

Vu le caractère officiel et public de ces instructions, il est impensable
qu'elles n'aient pas été connues parles autorités du protectorat voisin,
lesquelles n'auraient pas manqué de faire des remontrances àTripoli et à
Romesi l'assertion à propos de ce qui avait été convenu ))au sujet de la
(<frontière maritime ))entre la Tunisie et la Libye avait rencontré une
opposition ouundésaccorddeleurpart. Jenote aussiquelesinstructions en
questionne selimitaientpas àrappeler l'existenced'unefrontièremaritime

<<convenue ))maisétendaientla limite aux fins de la surveillance concer-
nant la pêche,lelongd'une ligneperpendiculaire àla côte,bien au-delàde
l'étenduedes3millesdemer territoriale.Atout cela,onnesauraitopposerle
fait que sur une étendue de 8 milles en deçà de la ligne de la frontière- which existed between the Powers responsible for the externalrelations
of the twocountriesconcernedbeforetheir accession toindependence and
wasconsecratedby the defacto observation of aboundary between the two
countries' respective maritime jurisdictions over fishing, in particular
sponge-fishing. This boundary also followed a line perpendicular to the
coastline at the point of intersection with the land frontier.

3. Truth to tell, 1am unable to share the opinion of the majority of the
Court concerning the alleged absence of any genuine "maritime boun-
dary" between the two countries during the period preceding decoloniza-
tion. It is an established fact that in 1914 Italy, which had acquired
sovereigntyoverthe territories ofTripolitania andCyrenaica through their

cession to it by the Ottoman Empire under the 1912Treaty of Lausanne,
proposed to the authorities responsible for the extemal relations of the
Regency of Tunisia under the French protectorate the adoption as a limit
between the maritime activities of the two countries of a line being the
"normal to the general direction of the coastline" and bearing approxi-
mately north-northeast. And it is likewise an established fact that the
Protectorate authorities, when this proposa1had been submitted to them,
did not insist on the adoption of alinebearingnorth-east at 45' and made
no opposition to the implementation - provisional or otherwise - by the
Italian authorities of the Government of Tripolitania of the maritime
boundary they had proposed. It is not known whether, in the years which
followed, there was any exchange of diplomatic correspondence on the
subject between the twocountries, but the conclusivefactappears to meto

be that on 16 April 1919 the Italian Govemment of Tripolitania and
Cyrenaica issued "Instructions for the surveillance of maritime fishingin
the waters of Tripolitania and Cyrenaica" and that Article 3 of these
Instructions - which the Judgment itself quotes in paragraph 93 - stated
literally as follows :
"As far asthe seaborder [confine di mare]between Tripolitania and

Tunisia isconcerned, it was agreed [fu convenuto]toadopt asaline of
delimitation the line perpendicular [normale] to the Coast at the
border point, which is, in this case, the approximate bearing north-
northeast from Ras Ajdir."
Given the officia1 and public character of these "Instructions", it is
unthinkable that they shouldnot havebeen known to theauthorities of the
neighbouring Protectorate, which would not have failed to remonstrate

withTripoliand Rome if theassertion as to what had been "agreed" on the
subject of the "sea border" between Tunisia and Libya had aroused any
objection or disagreement on their part. 1alsonotethat the "Instructions"
in question werenot confined to recalling the existence of an "agreed" sea
border but extendedtheboundary for the purposes of fishing surveillance,
along a line perpendicular to the coastline, well beyond the extent of the
three-mileterritorial sea.It isof no avail to object against al1this that, over
a distance of eight miles on the near side of Tripolitania's maritime bor-maritime de la Tripolitaine avec la Tunisie, tout comme de celle de la
Cyrénaique avec l'Egypte, les instructions disposaient que les navires
étrangerstrouvéssans un permis de pêche régulièrement délivr par les
autoritésmaritimes italiennes seraient passibles d'une mesure d'éloigne-
ment etnon pas delamesureplusgravedelasaisie.Cette concessionn'était

justifiéeque par le désird'éviterdes contestations quant à la position
effectivedunavire aumoment delacontravention etn'affectaitdoncen rien
la détermination de la frontière maritime. Comme le présent arrêtle
rappelle au paragraphe 94, la direction martime de la rip polit ainut
ensuite à confirmer,-par les instructions sur la surveillance maritime du
25 juin 1931, les mêmesprescriptions, lesquelles, une fois de plus, ne
provoquèrentpaslamoindre réservenilamoindreopposition delapart des
autoritéscompétentesdu Protectorat.
4.A mon avis, tous ces faits prouvent que l'existenceà l'époque d'un
acquiescementdelapartde cesautoritésnesauraitêtrenié,cecidans lesens
propre du terme acquiescement, qui indique un consentement manifesté
par l'inaction,ou,commele dit bien MacGibbon (<The Scopeof Acquies-
cence in International Law ))British Year Book of International Law,
XXXI, 1954,p. 143) : (par lesilenceoul'absencedeprotestationdans des
circonstancesqui exigeraient une réactionpositive exprimant une objec-

tion ))ou encore comme le dit Sperduti (<<Prescrizione, consuetudine e
acquiescenza in diritto internazionalr),Rivista di diritto internazionale,
1961): <<ar lapassivitégardéeparrapport àunesituationpar lesujet...qui
avait titre pour s'opposerà elleu.En l'espèce,cette absence de réaction
négative n'avaitd'ailleurs rien de surprenant, vu que l'adoption d'une
frontièremaritimelelongdu <tracéd'uneligneperpendiculaire à la côteà
l'endroit où la frontière entre les deux territoires atteint la )(C.I.J.
Recueil 1969, p. 34, par. 51) constitue, par rapportàune côte ayant les
caractéristiques de la côte africaine des deux côtés de Ras Ajdir, la
méthodede délimitation incontestablement la plus équitable et la plus
respectueuse de l'égalité dedsroits des deux pays adjacents.Yen conclus
qu'il est difficile de contester que,jusqu'au moment de l'accession l'in-
dépendancede la Libye et de la Tunisie, une délimitation a bel et bien
existéentre les deux pays et non pas une simple < <bauchede frontière ))

sansportéedéfinitive, unedélimitationconcernant avant tout leurs eaux
territoriales respectives, mais se poursuivant aussi considérablementau-
delà, ne fût-ce qu'aux fins de la délimitation des zones respectives de
surveillance de la pêche maritime.
5. En conséquence,je suis convaincu que l'ordre, etl'ordre de valeur
aussi,desargumentations invoquéespar laCour enfaveurdel'adoption de
la méthode pratique qu'elle a choisie comme devant être indiquéeaux
Partiespour ladéterminationdupremier segmentdelalignedélimitantles
zones du plateau continental revenant respectivement à la Tunisie eà la
Libye aurait dû êtreinversé.L'existence d'une délimitationprolongée
au-delàdelalimite extérieuredeseauxterritorialesayantétérespectéesans
qu'aucunedifficultésesoit élevépeendant lesquatre décenniesantérieures
àl'accessiondesdeuxEtats àl'indépendance,elleauraitdûêtreconsidérée,derline with Tunisia,just asin the caseof that of Cyrenaicawith Egypt, the
Instructions provided that foreign vessels found not to possess a fishing
licenceduly issuedby theItalianmaritimeauthorities would beliableto be
ordered awaybut not to the graver sanction of seizure.Thisconcessionwas
motivated simply by a desire to avoid disputesas to the actualposition of
the vesse1at the time of the infringement and thereforedid not affect the
determination of the maritime border in the slightest. As the Judgrnent
recalls in paragraph 94, the Maritime Director for Tripolitania subse-
quentlyhad occasion toconfirm these sameregulations by theInstructions
on maritime surveillanceof25June 1931,which,once again,did not arouse
theleastreservationor objection on the part of the relevant authorities in
the Protectorate.

4. In my view,al1thesefacts gotoprove theundeniable existenceat that
time, on the part of those authorities, of an acquiescence in the proper
sense of the term, connoting consent evinced by inaction or, as MacGib-
bon well expresses it, by "silence or absence of protest in circumstances
which generally cal1 for the positive reaction signifying an objection"
("The Scope of Acquiescence in International Law", British YearBook of
International Law,XXXI, 1954,p. 143)or then again, asSperduti says,by
"the passivity observed towards a situation by a person ... who had been

entitled to object to it" ("Prescrizione, consuetudine e acquiescenza in
diritto internazionale", Rivista di diritto internazionale,1961).In the cir-
cumstances, there was nothing surprising in this absence of negative reac-
tion, considering that the adoption of a sea border representing "the
drawing of aperpendicular to the coast at thepoint of itsintersection with
[the] land frontier" (I.C.J. Reports 1969, p. 34, para. 51) indisputably
constitutes,inrelation to acoastline with thecharacteristics of theAfrican
coast on either side of Ras Ajdir, the most equitable method of delimita-
tion and theone which best safeguardstheequality of the rights of the two
adjacentcountries. It is therefore, 1conclude, difficult to deny that, up to
the timeofLibya'sand Tunisia'saccessiontoindependence, it wasnomere
embryonicmaritime boundary, lacking any definitive effect, that existed
between the two countries, but a genuine delimitation which first and
foremost concerned their respective territorial waters but which also
extended considerablyfarther, if only for the purpose of delimiting the
respective surveillance zones for maritime fishing.

5. 1 am accordingly convinced that the order and hierarchy of the
argumentsput fonvard by the Court tojustify adoption of the practical
method it selected for indication to the Parties, as governing the determi-
nation of the first segment of the line delimiting the areas of continental
shelf appertaining respectively to Tunisia and Libya, should have been
reversed. The existence of a delimitationextending beyond the outer limit

of theterritorial waters, a delimitation whichfor four decades prior to the
accession of the two States to independence was respected without any
difficulty arising, should, 1 feel, have been considered as the basic factje pense, comme la donnée de base, s'imposant aux Parties après l'indé-
pendance également,en vertu des mêmesprincipes du droit international
générae ln matièrede successiond'Etats et desmêmesprincipes proclamés

par l'organisation del'unitéafricaine, quelaCoura évoqués àpropos dela
frontièreterrestre de 1910.Endisant cela,jen'entends nullementminimiser
l'importance du faitque,dansl'attribution despermisetdesconcessions de
recherche et d'exploitation des ressources du sous-sol maritime en hydro-
carbures, lesParties sesontl'unecommel'autre tenues,jusqu'à unecertaine
date età une certainelatitudeà lamêmeligneperpendiculaire à la côte.Je
tiens seulement à dire que c'est cedeuxièmefait qui me paraît êtrecom-
plémentaireet surtout confirmatif du premier, plutôt que le contraire. La
continuité que l'on constate dans la conduite observéepar les Parties
concernées, à deux époquesdistinctesqui se sont succédé,est à mes yeux
révélatricedu fait que la Tunisie et la Libye, lorsqu'elles ont octroyédes
permis et desconcessions de rechercheset d'exploitation desressources du
sous-solmaritime en hydrocarbures,étaient l'une et l'autre implicitement
conscientes de l'existenced'unelignede délimitationdéterminée,quiavait

traditionnellement eu la valeur de frontièremaritimeentre elles et qui ne
pouvait que logiquement s'appliquer aussi, dûment prolongéejusqu'àune
certaine distance des deux côtes adjacentes, à la détermination de la
nouvelle frontière entre les zones respectives du plateau continental.
6. Autrement dit, l'existenced'une ligne grossomodocontinue,qui suit
une directionperpendiculaire à la côteou,plus précisément,une inclinai-
son de 26" par rapport au méridien, ligne le long de laquelle, au sud du
34eparallèledu moins, les permis et les concessionsaccordéspar les deux
Etats limitrophes sejuxtaposent sans sechevaucher, prend d'aprèsmoi sa
vraie et entière valeur aux fins de la solution recherchéequanà la déli-
mitation des zones respectives de plateau continental de ces Etats, si on
réalise qu'elle nefait que se greffer sur l'autre, déjà historiquement et
juridiquement établie, constituant quant à elle la délimitation des eaux

territoriales etdeszonesde surveillancedelapêcheO. npeutdire, enréalité,
qu'ilnes'agitqued'une seuleetmême ligne.Celle-ci,conçueàl'originepour
s'appliquer àdes finalitésdéterminéeset limitées,s'esetn fait simplement
étendueplus récemment àde nouvelles finalitésplus importantes; elle a
donctous lestitrespour êtreconsidéréet,oujoursdans lesecteurauquel on
seréfèreici,commela ligneuniquededélimitationdes eaux et du sous-sol
marin entre lesdeux Etats voisins. En seplaçant dans cette perspective,je
croisquel'onvoit apparaître commeencorerenforcéel'argumentation déjà
valablement fourniepour étayerune décision à laquelle,commeje l'aidit,
j'apporte mon plein accord.

(Signé)Roberto AGO.which it was also incumbent upon the Parties to observe after indepen-
dence, by virtue of the same principles of generalinternational law in the
succession of States, and the same principles proclaimed by the Organi-
zation of African Unity, which the Court has evoked where the land
frontier of 1910is concerned. In saying this, 1do not in any way intend to
minimize the importance of the fact that, in granting licences and con-
cessionsfor theexploration and exploitation of thehydrocarbon resources
of thesubsoil of thesea-bed,theParties,up toa certain dateand asfar as a
certainlatitude, both kept to the sameperpendicular to thecoastline. Al11
wish to Sayis that it is this second fact which strikes me as supplementing

and, above all,confirmingthefirst, rather than the reverse.The continuity
noted in the conduct of the Parties concerned, throughout two distinct
successive periods, reveals to my mind that Tunisia and Libya, when
granting licences and concessions for the exploration and exploitation of
the hydrocarbon resources of the subsoil of the sea-bed, were both impli-
citly aware of the existence of a particular delimitation line which had
traditionally served as a maritimeboundary between them and, logically,
could not but apply also, as duly extended out to a certain distance from
the two adjacent coastlines, to the determination of the new boundary
between the respective areas of continental shelf.

6. In otherwords,the existenceofaroughly continuousline, followinga
directionperpendicular to thecoastlineor,more precisely,abearing of26"

to the meridian, a line along which, south of the 34thparallel at least, the
licences and concessions granted by the two bordering States are juxta-
posed without overlap, acquiresin my view its full proper value, for the
purpose of the desired solution to the problem of delimitingthe respective
continental shelf areas of those States, if it is realized that it is simply
grafted upon the other line, already historically and legally established,
which itself constitutes the delimitation of the territorial waters and the
zones of fishing surveillance. In point of fact, it can be said thatjust one
and the same line is involved. Thisline, originally devised to servecertain
specific and limited purposes, has in fact simply been extended more
recently to serve new and more important ends ;there is therefore every
inherentjustification for considering it - in the sectorto which mywords

relate - as the single delimitation line of the waters, sea-bed and subsoil
between the two neighbouringStates. Seenfrom that viewpoint, 1believe
that thereasoning, valid initself, whichhasbeen put fonvard in support of
theCourt's decision - towhich,as 1have said,1entirelysubscribe - willbe
seen to emerge reinforced.

(SigneR do)berto AGO.

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Opinion individuelle de M. Ago

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