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CR 2013/11 (traduction)

CR 2013/11 (translation)

Vendredi 28 juin 2013 à 10 heures

Friday 28 June 2013 at 10 a.m. - 2 -

14 Le PRESIDENT : Bonjour. Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. MM. les juges

Abraham et Skotnikov, pour des raisons qu’ils ont dûment portées à ma connaissance, ne sont pas

en mesure de siéger aujourd’hui. La Cour entendra ce matin la fin du premier tour de plaidoiries de

l’Australie. J’appelle à la barre M. Crawford pour qu’il poursuive son exposé. Vous avez la

parole, Monsieur Crawford.

M. CRAWFORD : Merci, Monsieur le président. J’ai démontré hier que le programme

JARPA II ne satisfaisait à aucune des conditions nécessaires pour être qualifié de programme de

recherche scientifique au sens de l’article VIII de la convention de 1946. Pour compléter mon

exposé sur ce point, je ferai deux observations, ou plutôt trois.

Premièrement, quand bien même il aurait été justifié de recourir initialement, et dans une

certaine mesure, à des méthodes de recherche létales, il est impossible qu’il ait fallu dix-huit ans

pour formuler une hypothèse vérifiable, et ce, sur sept-mille baleines. Voilà qui répond à la

question posée hier par M. le juge Bennouna.

Deuxièmement, pour répondre à la question posée par M. le juge Cançado Trindade, ainsi

que l’ont précisé nos experts, des méthodes non létales sont à présent largement disponibles.

Certes, elles ne sont pas gratuites, mais la chasse dans l’Antarctique ne l’est pas non plus. Tout

Etat qui a la capacité d’y entreprendre et d’y poursuivre une mission a accès à la technologie

idoine. Le fait que, au bout de dix-huit ans d’exécution du programme JARPA, le Japon n’ait pas

fait une pause, qu’il n’ait pas fait d’inventaire des stocks ni d’analyse, qu’il n’ait pas répondu aux

critiques ni fait évaluer le programme par des pairs, qu’il n’ait envisagé aucune autre solution et

n’ait émis aucune hypothèse porte un coup fatal à son argumentation, un coup fatal. Le Japon s’est

contenté de poursuivre ses activités létales comme si de rien n’était et de deux ! et d’étendre

le programme à d’autres espèces, et de trois !

L’autre aspect qui porte un coup fatal à l’argumentation japonaise est que ce que le Japon a

mis en application est sans rapport avec le permis spécial qu’il a délivré, lequel était pourtant

soi-disant l’élément à l’origine de toutes ses activités et la justification de celles-ci. Si, avec les

pierres évoquées par M. Poincaré, je construisais une maison ne correspondant en rien au plan

établi par l’architecte, ce serait une drôle de maison, permettez-moi de vous le dire. Si je menais - 3 -

un programme scientifique sans rapport aucun avec le permis autorisant sa mise en œuvre, il ne

pourrait pas être considéré comme de la science.

2. JARPA II est un programme de chasse à la baleine
à des fins commerciales

45. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, on pourrait penser que cela

suffit à établir le bien-fondé de la thèse de l’Australie au regard de la convention de 1946. Mais ce

n’est pas tout. Non seulement le programme JARPA II n’est pas justifié au regard de l’article VIII,

15 mais c’est un cas flagrant de chasse à des fins commerciales interdite par le moratoire, et je le

démontrerai en trois points :

Premièrement, la convention établit trois catégories de chasse à la baleine. La seule qui

corresponde au programme JARPA II est la chasse commerciale.

Deuxièmement, dans le cadre du programme JARPA II, comme dans le cadre précédent, à

savoir JARPA I, le Japon continue de pratiquer la chasse commerciale dans l’océan Austral,

bien qu’à moindre échelle.

Troisièmement, le caractère et le but commerciaux de JARPA II ressortent clairement de la

conception et de la mise en œuvre de ce programme.

a) La classification des activités de chasse à la baleine dans la convention de 1946

46. Premièrement, la convention de 1946 établit un régime complet de réglementation de la

conservation et de la gestion des baleines. Ce faisant, elle prévoit trois catégories, et seulement

trois, de chasse à la baleine :

1) la chasse au titre d’un permis spécial ;

2) la chasse aborigène de subsistance ; et

3) la chasse commerciale.

Il n’y en a pas de quatrième, comme la chasse à la baleine pratiquée à titre de loisir, par exemple.

47. Pour les raisons que j’ai exposées, le programme JARPA II n’est pas un programme de

chasse à la baleine en vue de recherches scientifiques. Il est tout à fait évident qu’il ne s’agit pas

non plus de chasse aborigène de subsistance. Par conséquent, il tombe dans la dernière catégorie, à - 4 -

savoir la chasse commerciale, et cela n’est pas le simple fruit d’un hasard de classification : cela

correspond à la réalité.

b) Le Japon continue de pratiquer la chasse commerciale dans le cadre des programmes

JARPA et JARPA II

48. Dans son contre-mémoire, le Japon soutient que sept caractéristiques permettent de

déterminer si un programme de chasse à la baleine est mené à des fins commerciales ou

1
scientifiques . Nous ne les faisons pas toutes nôtres, mais il est intéressant de voir ce qui se produit

lorsqu’on applique ces caractéristiques.

16 49. La première caractéristique définie par le Japon est la zone de chasse et la trajectoire. En

ce qui concerne la question de la zone de chasse, les programmes JARPA et JARPA II ont

largement été menés dans les zones productives dans lesquelles le Japon pratiquait la chasse

commerciale avant 1988.

50. Dans sa proposition de permis pour le programme JARPA, le Japon soutenait qu’il était

2
«plus efficace» d’exécuter le programme dans ces zones productives . De même, le programme

JARPA II est largement mené dans ces zones. De fait, le Japon a même réduit davantage sa zone

de chasse dans le cadre de ce programme, au motif que, dans la zone désormais abandonnée, la
3
densité de petits rorquals était inférieure . Cela peut certes être qualifié de «plus efficace», mais

seulement si l’on mesure l’efficacité à l’aune du nombre de baleines tuées par unité d’effort, du

taux de capture global par unité d’effort. En revanche, ce raisonnement ne tient pas si l’on mesure

l’efficacité à l’aune des nouvelles connaissances scientifiques acquises, puisqu’il est alors

4
nécessaire d’étudier aussi bien les zones moins peuplées que les plus peuplées .

51. La seconde caractéristique définie par le Japon porte sur les espèces cibles et le nombre

de prises. Or, l’espèce qui était la cible unique du programme JARPA, et qui a représenté 99,5 %

des prises effectuées par le Japon dans le cadre du programme JARPA II le petit rorqual de

1
CMJ, par. 5.127-5.138.
2Proposition de permis pour le programme JARPA, 1987, p. 8 (MA, annexe 156).

3CMJ, par. 5.38.
4
Mangel, opinion d’expert initiale, par. 5.47-5.48 (MA, appendice 2). - 5 -

l’Antarctique , était également la cible principale des opérations de chasse commerciale menées

par le Japon pendant la décennie qui a précédé 1988.

52. La troisième caractéristique est la sélection des baleines tuées. Le Japon soutient que,

dans le cadre des opérations de chasse menées à des fins de recherche, «la sélection des spécimens

capturés s’effectue sur la base de procédures d’échantillonnage aléatoire» . Cette assertion soulève

plusieurs problèmes. Premièrement, en ce qui concerne les rorquals communs, le Japon ne cible

que les plus petits, car il ne peut pas capturer les plus gros. Quant aux petits rorquals, c’est en

quelque sorte l’inverse, puisque ceux qui sont de plus petite taille sont sous-représentés. On se

demande pourquoi. Ces faits soulèvent de sérieuses questions sur les procédures d’échantillonnage

prétendument aléatoire appliquées par le Japon dans le cadre du programme JARPA II.

53. Les quatrième et cinquième caractéristiques mentionnées par le Japon sont les

informations ou données obtenues et les échantillons de tissu prélevés dans le cadre des opérations

de chasse à la baleine. Le Japon soutient que la chasse scientifique se distingue de la chasse

commerciale par le fait que, dans le cadre des programmes de chasse scientifique, davantage de

17 données, d’informations et d’échantillons de tissu sont recueillis que dans le cadre d’opérations de

6
chasse commerciale . Eh bien, si tel est le cas, il suffirait de prélever au passage les bouchons de

cérumen dans les oreilles des baleines pour justifier la chasse pratiquée pour approvisionner les

restaurants.

54. Ce n’est pas parce qu’on y collecte des données supplémentaires qu’une opération de

chasse à la baleine a un but scientifique , à moins que les données ne soient effectivement utilisées,

8
et ce pour confirmer ou infirmer une hypothèse . Pour le Japon, accumulation de données égale

recherche scientifique. Or, la science n’est pas une collection de timbres : dans le cadre du

programme JARPA II, les données relatives aux baleines de l’océan Austral sont collectées sans fin

ni objet .

5
CMJ, par. 5.134.
6 CMJ, par. 5.135 et 5.136.

7 Mangel, opinion d’expert initiale, par. 6.1 (MA, appendice 2).
8
Mangel, opinion d’expert complémentaire, par. 3.3.
9 Mangel, opinion d’expert initiale, par. 6.1 et 6.19 (MA, appendice 2) ; Mangel, opinion d’expert
complémentaire, par. 3.10 et 7.1-7.5. - 6 -

55. En ce qui concerne la sixième caractéristique définie par le Japon les personnels

impliqués , le simple fait que certains scientifiques ou chercheurs soient présents à bord d’un

baleinier ne constitue pas un critère pour qualifier de scientifique l’opération en question. Sinon, la

présence d’éminents savants dans cette pièce suffirait à qualifier ma présentation d’activité menée

en vue de recherches scientifiques, ce qu’elle n’est pas, je peux vous l’assurer !

56. Enfin, en tant que septième caractéristique, le Japon invoque l’obligation, énoncée au

paragraphe 2 de l’article VIII, de traiter les recettes issues de la vente de chair de baleine

conformément aux directives formulées par le gouvernement qui a délivré le permis. L’échelle à

laquelle est pratiquée la chasse commerciale témoigne de l’intention de destiner de la chair de

baleine à un usage commercial.

57. Or, le fait que les recettes soient traitées conformément aux directives formulées par le

gouvernement concerné n’ôte pas à une opération de chasse à la baleine son caractère commercial.

Je reviens à mon exemple du restaurant. En 2003, la CBI a relevé ce qui suit, et vous trouverez

cette citation sous l’onglet n 106 de vos dossiers de plaidoiries : «[L]’article VIII de la convention

de 1946 n’a pas vocation à être exploité de façon à fournir de la chair de baleine destinée à des fins
10
commerciales et ne doit pas être utilisé à cet effet».

18 c) Quatre indices révélateurs du but commercial des programmes JARPA et JARPA II

58. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la manière dont est conçu et

exécuté le programme JARPA II révèle sa nature commerciale. Avec ce programme, le Japon ne

cherche pas tant à poursuivre des objectifs scientifiques qu’à continuer de pratiquer la chasse pour

alimenter le marché de la chair de baleine. En appliquant l’interprétation des termes «commercial»

ou «à des fins commerciales» retenue dans d’autres instruments internationaux sur l’environnement

tels que la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages

11
menacées d’extinction (CITES) , je présenterai quatre éléments qui révèlent le but commercial du

programme JARPA II.

10Résolution sur la chasse à la baleine au titre d’un permis spécial, résolution 2003-2, annexe F, rapport du
président sur les travaux de la cinquante-cinquième réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission
baleinière internationale, 2003, p. 102 (résolution 2003-2) (MA, annexe 38).
11
Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction
(CITES), résolution Conf. 5.10 (Rev. CoP15), définition de l’expression «à des fins principalement commerciales»,
adoptée à la cinquième assemblée de la conférence des parties, à Buenos Aires (Argentine) 22 avril-3 mai 1985. - 7 -

59. Premièrement, le programme prévoit la production, la vente et la distribution de chair de

baleine. [Onglet n 107 Affichage.] Le modèle de gestion des opérations de chasse

«scientifique» menées par le Japon, établi en 1988, obéit à un schéma commercial selon lequel les

coûts sont couverts, pour l’essentiel, par le produit de la vente de chair de baleine. Le document

qui s’affiche à l’écran représente le circuit de distribution des «sous-produits» la chair de

baleine , lequel est bien plus complexe que le système de répartition des produits à usage

scientifique du programme JARPA II, qu’on ne voit pas ici. Parallèlement aux ventes en gros, une

partie de la chair de baleine est écoulée auprès des coopératives de pêche et d’autres entreprises de

transformation. Elle est également introduite dans les circuits de consommation, et est servie

notamment dans les cantines scolaires, où elle n’est, nous dit-on, guère appréciée. [Fin de

l’affichage.]

60. Tout récemment encore, en octobre 2012, le directeur de l’agence japonaise des

pêcheries a ouvertement admis devant une sous-commission parlementaire qu’il était nécessaire

que le Japon poursuive son programme de chasse à la baleine «scientifique» dans l’océan Austral

o
afin d’assurer la survie du marché de la chair de petit rorqual (onglet n 108) ; je le cite :

«La chair de petit rorqual est un mets prisé pour sa saveur et son arome,
notamment lorsqu’il est consommé en sashimi et sous d’autres formes similaires…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

[L]e programme de chasse à la baleine en vue de recherches scientifiques mené

dans l’océ12 Austral était nécessaire pour assurer la stabilité de l’offre de chair de petit
rorqual.»

61. En réalité, les ventes de chair de baleine sont en déclin. La consommation a atteint son

apogée en 1962, atteignant un volume de quelque 400 000 tonnes. Elle se situe, depuis quelques

13
années, aux alentours de 4000 tonnes . En janvier 2013, 4355 tonnes de chair de baleine étaient

stockées dans les entrepôts frigorifiques des distributeurs . Cela n’est pas rien. Pour enrayer la

19 baisse des ventes, l’Institut de recherche sur les cétacés a pris de nouvelles mesures de promotion

commerciale.

12Gouvernement japonais, procès-verbal de la réunion de la sous-commission de la commission d’audit et de
contrôle de l’administration de la chambre des représentants, 23 octobre 2012, déclaration de M. Kazuyoshi Honkawa,
directeur de l’agence japonaise des pêcheries.

13«Antarctic scientific whaling program at a crossroads. Over-supply of whale meat. Ending the program also
an option», Asahi Shimbun, 19 février 2011, p. 3.
14
J. Sakuma, «Profitable Fisheries ? What Comes Next ? Bold Predictions on the Future of Research Whaling ?»,
Iruka & Kujira (Dolpin & Whale) Action Network website, 5 juin 2013. - 8 -

62. Deuxièmement, JARPA II est conçu pour préserver l’utilité économique de l’industrie

baleinière japonaise et des autres parties prenantes, ou leur procurer un avantage. Les permis de

chasse à la baleine prétendument délivrés à des fins «scientifiques» servent à maintenir les

institutions et le personnel nécessaires pour assurer la poursuite, à long terme, des opérations de

chasse pélagique dans la perspective de la reprise par le Japon de ses opérations commerciales en

cas de levée du moratoire. Comme l’a souligné un ancien directeur général de l’institut de

recherche sur les cétacés (onglet n °109), «[l]a chasse à la baleine à des fins scientifiques permet de

préserver les installations et les équipes techniques, et ainsi de réagir rapidement à toute décision de
15
reprise de la chasse à la baleine [commerciale autorisée]» .

63. Troisièmement, JARPA II est mis en œuvre à une échelle commerciale. Dans ce

programme, tout comme dans JARPA, les opérations sont d’une telle ampleur qu’elles ne peuvent

être considérées que comme commerciales, même si elles ont été réduites depuis 1988. La taille

des échantillons n’est pas fixée en fonction de considérations scientifiques, mais des volumes de

captures que l’industrie baleinière juge nécessaires pour se perpétuer selon son modèle

16
d’autofinancement .

64. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, 935 petits rorquals,

50 rorquals communs et 50 baleines à bosse, c’est plus que ce qui est raisonnablement nécessaire

pour des travaux qui relèveraient d’un programme légitime de recherche scientifique. Ces tailles

d’échantillons ont été fixées dans le but de tirer de la vente des sous-produits des recettes

suffisantes pour que la chasse à la baleine puisse se perpétuer.

65. Le recul des captures annuelles effectives au titre de JARPA II observé ces dernières

années tient au déclin de la demande des consommateurs ; ces captures demeurent cependant bien

au-dessus de ce qui serait raisonnablement nécessaire aux fins de la recherche scientifique, à

supposer que celle-ci nécessite le recours à des méthodes létales. Or, pareilles méthodes ne sont

plus nécessaires pour acquérir de nouvelles connaissances utiles à la conservation et à la gestion

des peuplements baleiniers, et cette évolution ne date pas des dernières années.

20 66. Quatrièmement, le programme JARPA II, en particulier les volumes de captures, obéit au

marché, comme vous pouvez le constater maintenant à l’écran. Le nombre effectif moyen des

15 MA, annexe 78, S. Ohsumi, «Un demi-siècle à la poursuite de la baleinPropositions pour repenser la
chasse à la baleine (Seizando-Shoten Publishing Co. Ltd, 2008), p. 158.

16MA, annexe 77, T. Kasuya, «Chasse à la baleine et autres cétacés pratiquée par le Japon» (2007) 14 (1) Env Sci
Pollut Res, p. 45-46. - 9 -

captures n’atteint même pas la moitié du nombre prévu. Pour les rorquals communs, le nombre

effectif est égal au vingtième du nombre prévu. Pardonnez-moi, c’est ce que vous auriez pu voir à

l’écran si le document avait été affiché… Je vous demande donc de l’imaginer !

67. Le Japon invoque l’incendie qui s’est déclaré sur son usine flottante lors de la

saison 2006/2007, ainsi que les actions de l’organisation Sea Shepherd Conservation Society pour

expliquer le recul des captures, et reproche à l’Australie de minimiser la gravité et les dangers des

17
actes de violence commis selon lui dans l’océan Austral . Cette dernière allégation, quoique

nullement pertinente en la présente affaire, mérite sans doute que je m’y arrête brièvement.

L’Australie est parfaitement consciente des dangers de l’océan Austral. L’autorité australienne

chargée de la sécurité maritime adresse chaque année à l’organisation Sea Shepherd et à la flotte

japonaise de baleiniers des mises en garde contre les dangers liés à leurs activités dans cette zone.

L’Australie a, à maintes reprises, condamné les comportements dangereux, irresponsables ou

illicites dans l’océan Austral, et se conforme à toutes ses obligations internationales, notamment en

matière de recherche et sauvetage, lorsque des incidents s’y produisent.

68. Le vrai motif de la décision du gouvernement japonais de réduire ses objectifs de prises

est tout simplement commercial, à savoir la chute de la demande intérieure de chair de baleine.

M. Komatsu, ancien directeur général de l’agence japonaise des pêcheries, dont le nom est souvent

cité, a confirmé dans de nombreuses déclarations publiques que cette réduction des prises

s’inscrivait dans une stratégie de soutien du cours de la chair de baleine. En juin 2010, il a dit que
o
le Japon avait choisi de réduire ses objectifs de capture je vous renvoie à l’onglet n °110 en

raison de «la stagnation des ventes de chair de baleine». Selon lui, «[u]n fonctionnaire avait dû

penser qu’une réduction de l’offre de chair de baleine pourrait permettre d’en relever un tant soit

peu le cours» , stratégie commerciale somme toute assez efficace.

69. [Affichage.] Aujourd’hui, les stocks de chair de baleine congelée du Japon sont
19
quatre fois ce qu’ils étaient il y a quinze ans . C’est ce que vous voyez et je m’en réjouis sur

le graphique qui s’affiche à présent à l’écran (onglet n °111). Le Japon n’a pas une capacité

illimitée de stockage de chair congelée. Comme l’ont fait observer des membres de l’équipage de

17CMJ, par. 5.73-5.74.
18
MA, annexe 148, transcription d’un entretien télévisé, Australian Broadcasting Corporation Television,
«Rencontre avec un ancien responsable de l’agence japonaise des pêcheries», Lateline, 17 juin 2010.
19International Fund for Animal Welfare, «The Economics of Japanese Whaling : A Collapsing Industry Burdens
Taxpayers», point 2, site Internet IFAW Australia, accessible à l’adresse :

http://www. Ifaw.org/australia/resource-centre/economics-japanese-whaling, consulté le 5 juin 2013. - 10 -

baleiniers, depuis le relèvement des objectifs de capture qui a coïncidé avec le lancement de
21

JARPA II, de grandes quantités de chair de baleine de moindre qualité sont rejetées à la mer chaque
20
jour , au mépris de l’obligation énoncée au paragraphe 2 de l’article VIII concernant les excédents

par rapport aux «besoins de la recherche» ! [Fin de l’affichage.]

70. Le Japon a cherché, par d’autres moyens, à réduire le coût de ses opérations au titre de

permis spéciaux. Pour les quatre premières saisons de JARPA II, il a déployé six navires dans

l’océan Austral. Ce chiffre a été ramené à cinq pour la saison 2009/2010, puis à quatre pour les

trois dernières saisons.

71. Le Japon a également limité la durée de ses campagnes de chasse lors des trois dernières

saisons. En 2012/2013, la flottille baleinière n’a appareillé que le 20 décembre, soit avec plus d’un

mois de retard par rapport à la normale. Et pourtant, je le répète, la taille des échantillons prévus

par le permis spécial n’a pas varié : 935 petits rorquals, 50 rorquals communs et 50 baleines à

bosse. Les prises effectives ont atteint, cette année-là, 103 petits rorquals, soit 10 % de l’objectif.

La délivrance d’un «permis spécial», qui, en principe, eu égard au caractère exceptionnel de

l’autorisation recherchée, exige dans chaque cas l’examen des justifications qui doivent être

fournies dans la demande, n’est plus qu’une simple formalité administrative répétée d’année en

année, détachée de la réalité et sans rapport avec la science.

72. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, considérées ensemble, ces

quatre indices montrent de manière convaincante que le programme JARPA II couvre en fait une

opération de chasse à la baleine conduite à des fins commerciales ou connexes. L’Australie n’est

pas seule à faire cette analyse, et des déclarations au même effet ont été formulées, notamment, par

l’Allemagne , le Brésil , la Nouvelle-Zélande , le Royaume-Uni et le groupe de Buenos Aires.

Ce dernier a relevé que les limites de captures prévues par JARPA II «indiqu[ai]ent clairement la

20 MA, annexe 149, A. Ideta, «Article de fond : Le procès pour vol des militants de Greenpeace»,
Chunichi Shimbun, 26 août 2010 (édition du matin), p. 12 ; Greenpeace Japon, «Le secteur baleinier devant la justice :
scandale de la viande de baleine et procès de deux militants de Greenpeace», (mars 2011), site Internet de Greenpeace
accessible à l’adresse : http://www.greenpeace.org/international/en/publications/reports/whaling…, consulté le
5 juin 2013.

21 Intervention de l’Allemagne, CBI 55, compte rendu du point 12.2 de l’ordre du jour Permis
scientifiques Discussions au sein de la commission et mesures adoptées en conséquence [0:00:45].

22 Intervention du Brésil, CBI 55, compte rendu du point 12.2 de l’ordre du jour Permis
scientifiques Discussions au sein de la commission et mesures adoptées en conséquence [0:28:22].

23Intervention de la Nouvelle-Zélande, CBI 58, compte rendu du point 11.2 de l’ordre du jour Permis
scientifiques Discussions au sein de la commission et mesures adoptées en conséquence [0:04:01].

24Intervention du Royaume-Uni, CBI 60, compte rendu du point 9 de l’ordre du jour Permis scientifiques
[0:24:15]. - 11 -

25
nature commerciale de l’opération et l’absence totale de justification scientifique» . En 2003, la

22 CBI a déclaré «que les opérations de chasse à la baleine au titre d’un permis spécial, … menées ou

envisagées, [étaient] contraires à l’esprit du moratoire interdisant la chasse à la baleine à des fins

commerciales et à la volonté de la commission» . 26

3. Les conséquences juridiques : les violations commises par le Japon

73. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais à présent exposer les

violations de la convention de 1946 que le Japon a ainsi commises. Les dispositions concernées

sont celles qui ont trait à la limitation des opérations des usines flottantes, au moratoire et au

sanctuaire.

a) La limitation des opérations des usines flottantes

74. La limitation des opérations des usines flottantes établie en 1979 au point d) du

paragraphe 10 du règlement annexé à la convention de 1946 interdit de faire usage d’une usine

flottante ou d’un navire baleinier rattaché à celle-ci pour capturer, tuer ou traiter des baleines. Ce

moratoire s’applique aux cachalots, aux orques et à toutes les baleines à fanons, à l’exception des

petits rorquals.

75. Le rorqual commun est, bien entendu, une espèce de baleine à fanons. Or, depuis le

lancement de JARPA II, le Japon a capturé 18 rorquals communs.

76. Le «navire principal de la flotte de recherche scientifique» japonaise est manifestement

une usine flottante au sens du paragraphe 1 de l’article II de la convention de 1946. Les «bateaux

utilisés aux fins d’observation et d’échantillonnage» dans le cadre de JARPA II sont des «navires

baleiniers» au sens du paragraphe 3 de l’article II de la convention. Ces navires baleiniers sont

«rattachés» à l’usine flottante au sens de la définition qui est donnée de ce terme. En conséquence,

il y a violation de la disposition relative à la limitation des opérations des usines flottantes.

25«Les membres du «groupe de Buenos Aires» protestent contre la nouvelle campagne de chasse à la baleine du
Japon dans le sanctuaire de l’océan Austral, et invitent le Gouvernement japonais à mettre fin à ses opérations
prétendument «scientifiques»», communiqué de presse n °022/13, 4 février 2013.
26
MA, annexe 38, résolution 2003-2. - 12 -

b) Le moratoire de la chasse à la baleine à des fins commerciales

77. J’en viens au moratoire interdisant la chasse commerciale, qui a été établi en 1982 au

point e) du paragraphe 10 du règlement annexé à la convention de 1946. Il est entré en vigueur

er 27
pour le Japon le 1 mai 1987, et a depuis force contraignante à son égard .

23 78. Dans le cadre du programme JARPA II, le Japon aurait tué au total 3633 petits rorquals

et 18 rorquals communs en huit saisons de chasse. Pour les raisons que j’ai exposées, il s’agit là de

chasse «à des fins commerciales», pratiquée en violation du moratoire.

c) Le sanctuaire de l’océan Austral

79. [Onglet n 63o Affichage.] Vient ensuite le sanctuaire de l’océan Austral, établi

en 1994 au point b) du paragraphe 7 du règlement annexé à la convention de 1946. Cette

disposition interdit de pratiquer la chasse commerciale dans les eaux du sanctuaire tel qu’il est

défini par les coordonnées qui y sont données. Or, les opérations menées dans le cadre de

JARPA II se déroulent entièrement dans les limites du sanctuaire. [Fin de l’affichage.]

80. La Japon a, à de nombreuses reprises, tenté en vain d’obtenir l’abrogation du point b) du

paragraphe 7 ou d’en limiter le champ d’application . La commission a rejeté ses propositions, et

l’interdiction concernant le sanctuaire reste en vigueur. Le Japon a exercé le droit que lui confère

l’article V de la convention de 1946 de présenter une objection à l’application du point b) du

29
paragraphe 7 , mais cette objection ne vaut que pour la chasse aux petits rorquals pratiquée à des

fins commerciales dans le sanctuaire et est indépendante du moratoire. Le Japon ne conteste pas

27 IWC Circular Communication RG/VJH/16129, «Withdrawal of Objection to Schedule Paragraph 10 (e) by
Japan», 1 July 1986 enclosing Note from the Ambassador of Japan to the United Kingdom to the Secretary of the
International Whaling Commission (MA, annexe 54).

28Chairman’s Report of the Fifty-First Annual Meeting, Annual Report of the International Whaling Commission
1999, p. 10; Chairman’s Report of the Fifty-Second Annual Meeting, Annual Report of the International Whaling
Commission 2000, p. 14; Chair’s Report of the Fifty-Third Annual Meeting, Annual Report of the International Whaling
Commission 2001, p. 13; Chair’s Report of the Fifty-Fourth Annual Meeting, Annual Report of the International Whaling
Commission 2002, pp. 28-30, 35; Chair’s Report of the Fifty-Fifth Annual Meeting, Annual Report of the International
Whaling Commission 2003, p. 24; Chair’s Report of the Fifty-Sixth Annual Meeting, Annual Report of the International
Whaling Commission 2004, p. 33; Chair’s Report of the Fifty-Seventh Annual Meeting, Annual Report of the

International Whaling Commission 2005, p. 34; Chair’s Report of the Fifty-Eighth Annual Meeting, Annual Report of the
International Whaling Commission 2006, p. 27.
29Communication circulaire de la CBI n° RG/VJH/25435 datée du 15 août 1994 et intitulée «Objection du Japon
au sanctuaire de l’océan Austral», accompagnée d’une note en date du 12 août 1994 adressée au secrétaire de la CBI par
l’ambassade du Japon au Royaume-Uni (MA, annexe 55). - 13 -

que la disposition relative au sanctuaire s’applique à toutes les autres espèces . Ainsi, le point b)

du paragraphe 7 s’applique à la capture des rorquals communs pratiquée dans le cadre du

programme JARPA II.

4. Conclusions

81. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le programme JARPA II n’est

pas conçu en vue de recherches scientifiques, qu’on le considère dans le contexte de la

conservation et de la gestion des peuplements baleiniers ou dans n’importe quel autre contexte. Il

ne possède pas une seule des quatre caractéristiques essentielles d’un tel programme. Dans le cadre

de ses deux programmes, le Japon a tué plus de 10 000 baleines, selon lui pour acquérir des

24 renseignements qu’il prétend nécessaires, mais qui en fait ne le sont ni pour assurer d’une manière

appropriée et efficace la conservation et la gestion des peuplements baleiniers dans l’océan Austral,

ni à aucune autre fin scientifique précise.

82. La conception et l’exécution de JARPA II confirment que le véritable objectif du Japon

est de poursuivre «sous une forme ou sous une autre» ses activités de chasse à la baleine, en

l’occurrence d’entretenir par autofinancement son industrie baleinière grâce à la vente des

«sous-produits», à savoir la chair de baleine, en attendant la reprise de la chasse à des fins

commerciales : voilà son véritable but. C’est de ce but, et nullement de la science, que procède la

vocation de JARPA II. Le modèle qui régit la chasse à la baleine «scientifique» telle que la

pratique le Japon est fondé sur des considérations économiques, et non scientifiques. Le Japon n’a

pas même donné un semblant d’explication, sur la manière dont la réduction de ses prises annuelles

se répercute sur ses prétendues recherches. Ce qu’il a fait, en revanche, c’est chercher à stimuler et

promouvoir la consommation de chair de baleine. La prédominance des considérations

commerciales dans la mise en œuvre de JARPA II est manifeste. Pour toutes ces raisons, ce

programme n’est pas protégé par l’article VIII.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre patiente

attention.

30Communication circulaire de la CBI n° RG/VJH/25479 datée du 12 septembre 1994 et intitulée «Objection du
Japon au nouveau paragraphe 7 b) du règlement annexé à la convention de 1946», accompagnée d’une lettre
(MA, annexe 56). - 14 -

Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Crawford. J’invite à présent le Solicitor-General

d’Australie, M. Gleeson à poursuivre. Vous avez la parole, Monsieur.

M. GLEESON :

L EJ APON A MANQUÉ DE BONNE FOI ET ABUSÉ DE SES DROITS DANS SES RAPPORTS
AVEC LA CBI ET DANS LA DÉLIVRANCE DE PERMIS SPÉCIAUX

I. Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, mon exposé est

complémentaire à celui de M. Crawford que vous venez d’entendre. J’aborderai deux questions,

soit l’omission, de la part du Japon, d’agir avec bonne foi et l’abus de droit auquel il s’est livré.

Cette partie de l’argumentation de l’Australie comporte deux éléments essentiels, mais connexes.

Le premier découle inévitablement de ce que vous avez entendu de la part du conseil précédent.

Lorsque l’on comprend les véritables objet et but de la convention, le rôle et la portée effectifs de

l’article VIII et la nature réelle de JARPA, ce dont vient de parler M. Crawford, force est de

constater que les objectifs poursuivis par le Japon dans la délivrance des permis déborde ce que

permet l’article VIII. Comme les éléments factuels de cette partie de l’argumentation ont déjà été

exposés, je n’ajouterai rien à ce sujet.

25 2. Le second élément de cette partie de notre argumentation, que je tenterai maintenant

d’exposer, est le suivant : l’obligation d’agir avec bonne foi qui pesait sur le Japon lui imposait

d’observer, du moins dans une certaine mesure, les lignes directrices et les résolutions de la CBI,

ainsi que les rapports du comité scientifique, ce qu’il n’a malheureusement pas fait. Afin de

développer cette partie de notre argumentation, je tenterai de faire devant vous un rappel

chronologique des faits. J’indiquerai les références aux onglets du dossier de plaidoiries, et

j’insisterai sur environ sept documents, que je vous inviterai à lire en particulier à ce sujet.

3. A la fin de mon exposé, je ferai la synthèse de nos arguments de droit sur le défaut de

bonne foi et l’abus de droit. - 15 -

II. Le Japon et la CBI : la période JARPA (1987-2005)

4. Le Japon n’aurait jamais dû entreprendre ses activités au moment et de la manière

choisis : Le point de départ reconnu par les deux Parties se trouve dans la proposition initiale

relative au programme JARPA. Même si la présente instance concerne spécifiquement le

programme JARPA II, il est essentiel, pour bien comprendre ce qui s’est passé, de connaître les

rapports que le Japon a eus avec la CBI depuis les débuts du programme JARPA. Je me

contenterai, en ce qui concerne cette partie de l’argumentation, de faire référence aux documents

les plus importants, que vous trouverez sous les onglets n 5, 6 et 7 du premier volume du dossier

de plaidoiries. Il s’agit des premières textes officiels émanant de la CBI : l’annexe L de 1985 et les

résolutions 1986-2 et 1987-1 . L’importance de ces documents tient à ce qu’ils montrent ce que,

dès le début, la CBI considérait comme «les conditions minimales à remplir pour que des cétacés

puissent être mis à mort à des fins de recherche» [traduction du Greffe].

5. Ces conditions minimales ayant été énoncées par la commission, un certain nombre de

membres du comité scientifique, un nombre important, ont, dès le début en 1987, émis de sérieuses

réserves concernant la méthodologie proposée dans le cadre du programme JARPA

(onglet n 114) . 33

26 6. Quelle a été la réponse du Japon aux réserves exprimées par le comité scientifique ? Le

Japon a répondu qu’il s’agissait d’une simple «divergence de vues» et que la solution au problème

consistait à permettre au programme JARPA de se poursuivre les divergences de vues pouvant être

34
résolues plus tard . De fait, le Japon a demandé à la commission de reporter à la réunion de 1988

l’examen du programme JARPA. A son tour, la commission a demandé au Japon, comme on

pouvait s’y attendre, de différer la délivrance de permis afférents au programme JARPA jusqu’à ce

31 Projet de lignes directrices pour l’examen des permis scientifiques, annexe L, rapport du comité scientifique,
Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1986, vol. 36, p. 133 (annexe L de 1985) (MA, annexe 42) ;
résolution sur les permis spéciaux en vue de recherches scientifiques, appendice 2, rapport du président sur les travaux de
la trente-huitième réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1987, vol. 37,

p. 25 (résolution 1986-2) (MA, annexe 43) ; résolution sur les programmes en vue de recherches scientifiques,
appendice 1, rapport du président sur les travaux de la trente-neuvième réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la
commission baleinière internationale, 1988, vol. 38, p. 27-28 (résolution 1987-1) (MA, annexe 44). Voir aussi MA,
par. 4.25-4.27.
32
IWC39, compte rendu de la séance plénière d’ouverture, 22 juin 1987, IWC/39/VR, p. 16-17.
33 «Rapport du comité scientifique», Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1988, vol. 38,
p. 57 (extraits reproduits à l’annexe 82 du contre-mémoire du Japon). Le texte intégral du passage du rapport concernant
les permis japonais (p. 55-58) est reproduit sous l’onglet n 114 du dossier de plaidoiries.

34 Intervention du Japon, IWC39, compte rendu de la séance plénière d’ouverture, 22 juin 1987, IWC/39/VR,
p. 142. - 16 -

que cet examen ait pu avoir lieu, mais la réponse du Japon est celle que vous voyez à l’écran et qui

o
figure sous l’onglet n 115. Voici en effet la raison pour laquelle le Japon a refusé de reporter la

mise à exécution du programme JARPA [projection à l’écran] :

«Notre ministère des finances nous a accordé des crédits de plus de quatre
millions de dollars, que nous perdrons à tout jamais si ne nous les utilisons pas. Il
nous faut donc procéder à la mise à exécution et je pense que, même s’il existe une

divergence35e vues parmi les éminents scientifiques, nous sommes en droit d’aller de
l’avant.» [Traduction du Greffe.] [Fin de la projection.]

7. Voilà, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’attitude adoptée dès le

départ par le Japon et qui est restée la même depuis. Elle constitue la toile de fond où s’inscrit le

premier document que je vous invite à lire et qui se trouve sous l’onglet n 116, soit la première

résolution prise par la commission, dans laquelle elle exprime sa position au sujet du programme

JARPA . J’aimerais en particulier attirer votre attention sur le paragraphe où la commission se dit

d’avis que le programme JARPA ne remplit pas les conditions, énoncées dans la résolution

de 1986, en ce qu’il ne semblait pas, à la lumière des informations disponibles, être conçu de façon

à produire des renseignements essentiels à la bonne gestion des populations et que les captures

prévues n’allaient pas, à ce stade, faciliter concrètement l’évaluation exhaustive mentionnée au

paragraphe 10 e) du règlement annexé à la convention. Vient ensuite la recommandation selon

laquelle le Japon devrait s’abstenir de délivrer les permis spéciaux en question jusqu’à ce que le

comité scientifique ait pu résoudre les graves incertitudes et qu’il ait pu être établi que les méthodes

de recherche envisagées produiraient des résultats suffisamment fiables pour les besoins de

l’évaluation exhaustive ou pour répondre à d’autres besoins d’importance cruciale en matière de

recherche.

27 8. Cette résolution a été adoptée par une majorité écrasante au sein de la commission,

conformément au processus décisionnel établi sous le régime de la convention et accepté par le

37
Japon .

35 Intervention du Japon, IWC39, compte rendu de la séance plénière d’ouverture, 22 juin 1987, IWC/39/VR,
p. 145.
36
Résolution sur la proposition de permis spéciaux du japon, appendice 4, rapport du président sur les travaux de
la trente-neuvième réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1988, vol. 38,
p. 29 (résolution 1987-4) (MA, annexe 10).
37Voir le tableau auquel s’est référé M. Crawford et reproduit sous l’onglet n 57, dans lequel sont exposés les

résultats détaillés du vote afférent à chaque résolution. - 17 -

9. L’Australie soutient que, en exécution de son obligation d’agir de bonne foi, le Japon

aurait dû, dès le départ, prendre en considérations quatre questions au titre de cette résolution :

Premièrement, comment les objectifs du programme JARPA auraient-ils pu être revisés pour

répondre aux besoins d’importance cruciale définis par la CBI et le comité scientifique en

matière de recherche ?

Deuxièmement, comment les méthodes envisagées par le programme JARPA auraient-elles pu

être adaptées afin de permettre vraisemblablement la réalisation de tels objectifs ?

Troisièmement, plutôt que de partir avec l’idée préconçue selon laquelle un certain nombre de

baleines devaient être mises à mort chaque année, serait-il possible de recourir à des méthodes

non létales existantes ou raisonnablement susceptibles d’être mises au point, à titre de solution

de rechange totale ou partielle ?

Quatrièmement, la mise à exécution du programme JARPA devrait-elle être suspendue ou

reportée jusqu’à ce qu’il puisse être répondu à ces questions ?

10. L’Australie soutient que jamais, au cours des vingt-huit années qui sont suivi, le Japon

n’a sérieusement examiné ces questions. Il a certes apporté quelques modifications mineures à sa

proposition et entrepris une «étude de faisabilité», mais n’a jamais abordé la substance de la

38
résolution de la CBI .

11. Au cours des années qui ont suivi, la CBI a, par de nettes majorités, adopté des

résolutions analogues , mais la réponse du Japon est restée la même.

12. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, vous ne trouverez dans le

contre-mémoire aucune explication sérieuse des raisons pour lesquelles le Japon aurait, de bonne

foi, choisi de ne pas tenir compte de la résolution que je viens de vous montrer et les autres

résolutions de même effet. [Projection suivante.] Ce que vous verrez, de la part du Japon, et qui

28 est résumé à l’écran et sous l’onglet n 119 du dossier de plaidoiries, c’est la regrettable attaque à

laquelle le Japon s’est livré contre la CBI elle-même. Ainsi, la perception que fait valoir le Japon

38Rapport de la réunion extraordinaire du comité scientifique sur l’examen des permis de recherche japonais
(étude de faisabilité), Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1989, vol. 39, p. 159, 162 (extraits
reproduits à l’annexe 83 du contre-mémoire du Japon).
39
Résolution sur la proposition du Japon de capturer des baleines dans l’hémisphère Sud au titre d’un permis
spécial, appendice 3, rapport du président sur les travaux de la quarante-et-unième réunion annuelle de la CBI, Rapport
annuel de la commission baleinière internationale, 1990, vol. 40, p. 36 (résolution 1989-3) (MA, annexe 16). - 18 -

concernant les résolutions prises par l’organe collégial constitué par le traité peut être résumée

ainsi :

elles auraient «souvent été adoptées sans avis concordant du comité scientifique» ;

elles «apparaissent clairement comme des décisions politiques, motivées davantage par les

convictions et l’attitude proconservation des Etats … que par des connaissances scientifiques».

Puis, dans un accès de grandiloquence, il affirme qu’elles
40
représentent la «tyrannie de la majorité» dénoncée par de Tocqueville .

13. En somme, le Japon ne tient aucun compte des résolutions de la CBI qui ne lui plaisent

pas, raillant ceux qui les défendent et qu’il accuse de «faire de la politique». Il écarte également les

prises de position motivées du comité scientifique appelant à la modification ou au retrait de ses

propositions, qu’il assimile à de simples opinions émanant d’un organisme incapable de parvenir à

un consensus. [Fin de la projection.]

14. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, si j’ai pris le temps de revenir

sur ce qui s’est passé dès les débuts, de 1987 à 1989, c’est pour illustrer, par une sorte de

microcosme, à quel moment le Japon a cessé, d’après l’Australie, d’agir en conformité avec la

norme de bonne foi. Avant de passer à la première proposition afférente au programme JARPA,

puis-je me permettre de mentionner brièvement cinq autres éléments qui ont marqué les

années 1987 à 2005 ?

15. Le Japon ne tient aucun compte des prises de position réitérées de la commission : Le

premier élément, qui a déjà été porté à votre connaissance, est que, à plusieurs reprises au cours des

années 1990, la commission a adopté des résolutions déclarant que le programme JARPA n’était

pas nécessaire pour la gestion des populations de cétacés et n’était pas conforme aux résolutions

40CMJ, par. 8.80, 8.87 et 8.101. - 19 -

41
29 initiales de 1986 et 1987 . Certaines de ces résolutions avaient été adoptées par consensus,

d’autres par de vastes majorités , la différence étant sans intérêt pour cette partie de

l’argumentation.

16. Le Japon ne tient aucun compte de la résolution 1995-9 : Le deuxième point

supplémentaire que je souhaite mentionner, dont M. Sand vous a parlé en fin de journée hier et à

propos duquel a témoigné M. Gales, correspond à la résolution 1995-9, document important qui

énonce les critères applicables ultérieurement, à l’époque où le programme JARPA II a été adopté.

17. Cette résolution est en outre importante parce que, c’est lorsque la commission a pour la

première fois examiné le programme JARPA I à l’aune de la résolution 1995-9 qu’elle a confirmé,

dans la résolution 1996-7, qu’il ne répondait pas aux conditions. Encore une fois, dans son

contre-mémoire, le Japon ne donne aucune explication sérieuse des raisons pour lesquelles il s’est

cru en droit de ne pas tenir compte de cette résolution. De fait, la position adoptée par lui à l’égard

o
de cette résolution importante est énoncée à l’écran et sous l’onglet n 120 en ces termes

43
méprisants : «nous n’avons pas l’intention de nous conformer à cette résolution» [Traduction du

Greffe].

18. Le troisième point supplémentaire concernant JARPA est que, lors de l’évaluation de

mi-parcours de 1997, le comité scientifique a examiné ce programme, après environ dix ans

o
d’application, pour conclure — la référence se trouve sous l’onglet n 123 — que les résultats

produits par JARPA n’étaient pas nécessaires à la gestion dans le cadre de la RMP et pouvaient, au

mieux, permettre d’y apporter diverses améliorations éventuelles. Ainsi, après dix ans, le

41
Résolution sur les captures effectuées par le Japon dans l’hémisphère Sud au titre d’un permis spécial,
appendice 2, rapport du président sur les travaux de la quarante-deuxième réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de
la commission baleinière internationale, 1991, vol. 41, p. 47-48 (résolution 1990-2) (MA, annexe 18) ; résolution sur les
captures effectuées par le Japon dans l’hémisphère Sud au titre d’un permis spécial, appendice 2, rapport du président sur
les travaux de la quarante-troisième réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière
internationale, 1992, vol. 42, p. 46 (résolution 1991-2) (MA, annexe 19) ; résolution sur les captures effectuées par le
Japon dans l’hémisphère Sud au titre d’un permis spécial, appendice 5, rapport du président sur les travaux de la
quarante-quatrième réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1993, vol. 43,
p. 71 (résolution 1992-5) (onglet n 118) ; résolution sur les captures effectuées par le Japon dans l’hémisphère Sud au
titre d’un permis spécial, appendice 7, rapport du président sur les travaux de la quarante-cinquième réunion annuelle de
la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1994, vol. 44, p. 33 (résolution 1993-7) (MA,

annexe 21) ; résolution sur les captures effectuées par le Japon dans l’hémisphère Sud au titre d’un permis spécial,
résolution 1994-10, appendice 15, rapport du président sur les travaux de la quarante-sixième réunion annuelle de la CBI,
Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1995, vol. 45, p. 47 (résolution 1994-10) (MA, annexe 25).
42Voir le tableau auquel s’est référé M. Crawford et reproduit sous l’onglet n 57 pour les résultats du vote

afférent à chaque résolution.
43Intervention du Japon, IWC48 (1996), compte rendu de la cinquième séance plénière, 28 juin 1996, p. 176. - 20 -

programme JARPA n’avait produit aucun résultat nécessaire à la gestion, son incidence se limitant

à des améliorations éventuelles. Tel est le contexte dans lequel est intervenu le second document

que je vous invite à lire et que vous trouverez sous l’onglet n 124, la résolution 1997-5.

30 19. Vous verrez, dans ce document, que le préambule contient plusieurs alinéas, tous exacts,

les deux derniers reprenant fidèlement la position à laquelle a abouti le comité scientifique, et qu’ils

sont suivis de plusieurs points constituant la résolution. Au nombre de ces points figurent,

premièrement, l’affirmation que le programme JARPA ne répond pas aux besoins d’une

importance cruciale pour la recherche ; deuxièmement, la réaffirmation que les Etats contractants

devraient s’abstenir de délivrer des permis spéciaux impliquant la mise à mort de cétacés ;

troisièmement, la réitération de la profonde inquiétude de la commission quant à la poursuite par le

Japon de son programme létal ; quatrièmement, l’exhortation du Gouvernement japonais à

s’abstenir, dans l’exercice de ses droits souverains, de délivrer de nouveaux permis ; et,

cinquièmement, élément important pour l’aspect scientifique de l’affaire, l’instruction adressée au

comité scientifique de ne pas tenir compte, sauf avis contraire, des petits rorquals de

l’hémisphère Sud dans le cadre de la RMP. En d’autres termes, la commission déclarait que les

données susceptibles d’être recueillies à l’aide de méthodes létales dans le cadre du programme

JARPA étaient inutiles ou impropres à la mise en œuvre de la RMP.

20. Si je vous ai demandé de considérer cette résolution comme un deuxième document

essentiel c’est parce qu’elle cristallise exactement la position à laquelle la commission est parvenue

après dix années d’application du programme JARPA. Il y est demandé au Japon de se poser les

quatre questions que j’ai mentionnées au début de mon intervention mais, malheureusement, vous

ne trouverez aucun élément montrant qu’il se soit penché sur ces résolutions ou qu’il se soit posé

ces questions.

21. 1998-2003 : les justifications du programme JARPA s’affaiblissent encore davantage :

Le troisième point supplémentaire que j’ai mentionné concernant le programme JARPA est que les

cinq années qui ont suivi, c’est-à-dire de 1998 à 2003, ont été marquées par la disparition de toute

justification de nature scientifique, aussi infime soit-elle et considérée de bonne foi, que le

44 Résolution sur les captures effectuées par le Japon dans l’océan Austral au titre d’un permis spécial,
résolution 1997-5, appendice 5, rapport du président sur les travaux de la quarante-neuvième réunion annuelle de la CBI,
Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1998, vol. 48, p. 47 (résolution 1997-5) (MA, annexe 29). - 21 -

programme JARPA ait pu avoir. C’est ce qui ressort d’une série de résolutions, parmi lesquelles la

résolution 1998-4 et celles adoptées à partir de 1999. Je souhaiterais appeler en particulier votre

attention sur la résolution 2003-2 , dont un extrait devrait apparaître à l’écran et dont je vous invite

o
à lire l’intégralité qui figure sous l’onglet n 106. [Projection à l’écran.] 2003 a été une année très

importante pour la convention, compte tenu de l’initiative de Berlin. Le document qui figure sous

l’onglet n 106, dont M. Crawford vous a parlé ce matin, contient une série de points qui tiennent

sur une page et résument fidèlement la position de la commission après quinze années d’application

du programme JARPA, lesquels points ont donné lieu à une série de recommandations, qui

reflètent réellement la raison de notre présence ici aujourd’hui. La commission a exprimé sa

profonde inquiétude à l’idée que les dispositions de l’article VIII pouvaient permettre à des pays de

31 pratiquer la chasse à la baleine à des fins commerciales en dépit du moratoire ; elle s’est dite d’avis

que les permis déjà accordés et ceux dont la délivrance était envisagée étaient contraires à l’esprit

du moratoire et à la volonté de la commission ; elle a déclaré que l’article VIII n’avait pas vocation

à être exploité pour fournir de la chair de baleine à des fins commerciales et ne devait pas être

utilisé à cet effet c’est exactement ce dont M. Crawford vous a parlé ; elle a réaffirmé que les

techniques non létales alors disponibles «fourniss[ai]ent en général des données de meilleure

qualité à moindre coût, tant du point de vue des populations de cétacés que du point de vue

budgétaire» ; MM. Mangel et Gales ont apporté des éléments de preuve à cet égard et ont exhorté

tous les pays à ne recourir qu’à des méthodes non létales dans le cadre de leurs recherches

scientifiques.

22. Comme M. Crawford l’a dit ce matin, au moment où allait prendre fin un projet d’une

durée de quinze à dix-huit ans, la bonne foi exigeait à tout le moins qu’un temps de réflexion soit

marqué, ne serait-ce que parce que la collecte de données s’était révélée si inutile et si contraire aux

vues de l’organe général de la convention qu’une remise en question fondamentale s’imposait.
o
23. Toutefois, la réponse du Japon, comme vous la verrez à l’écran et sous l’onglet n 126,

[projection suivante] tient dans la déclaration très simple de son commissaire auprès de la CBI,

45
Résolution sur la chasse à la baleine au titre d’un permis spécial, résolution 2003-2, annexe F, rapport du
président sur les travaux de la cinquante-cinquième réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission
baleinière internationale, 2003, p. 102 (résolution 2003-2) (MA, annexe 38). - 22 -

M. Komatsu : «[c]oncernant … l’aspect juridique … il s’agit d’opérations menées au titre de

l’article VIII. Cela ne vous concerne pas.» 46 [Traduction du Greffe.] [Fin de la projection.]

III. Le Japon n’aurait jamais dû proposer ni adopter

le programme JARPA II en 2005

24. J’aborderai à présent l’adoption du programme JARPA II en 2005. L’argument de

l’Australie est que la bonne foi exigeait du Japon qu’il ne propose ni n’adopte le programme

JARPA II au moment et de la manière choisis à cet effet. Comme vous le savez, la commission a

adopté, en 2003, une résolution préventive recommandant qu’aucun programme supplémentaire du

même type ne soit envisagé avant que le comité scientifique ait pu examiner en profondeur le

47
programme JARPA . Et, comme vous le savez aussi, en dépit de cette demande, le Japon a soumis

au comité scientifique le plan de recherche concernant le programme JARPA II en juin 2005, soit

dix-huit mois avant que l’examen du programme JARPA ait lieu, en 2006. Suivant le calendrier

établi par le Japon, le programme JARPA II aurait déjà été appliqué depuis deux ans avec des

32 captures potentielles allant jusqu’à 2000 baleines avant que l’examen du programme JARPA I

ait pu être achevé.

25. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le fait d’établir un tel

calendrier n’était pas un geste de bonne foi. Vous avez également entendu dire que, lorsque le

Japon a soumis la proposition au comité scientifique, en juin 2005 soit dix-huit mois avant

l’examen envisagé du programme JARPA , 63 membres du comité scientifique ont exprimé leur

opinion dans un article, disant qu’il n’était «pas valide, sur le plan scientifique, d’examiner la

proposition relative au programme JARPA II avant que la commission ait pu procéder à l’examen

complet des résultats produits dans le cadre du programme initial d’une durée de dix-huit années» 48

[traduction du Greffe].

46 Intervention du Japon, ICW55 (2003), compte rendu afférent au point 10.2 à l’ordre du jour (permis
scientifiques : discussions au sein de la commission et actions en découlant, projet de résolution sur les petits rorquals de
l’hémisphère Sud et la chasse à la baleine au titre de permis spéciaux [0:10:30]).

47Résolution sur la chasse au petit rorqual de l’hémisphère Sud et la chasse à la baleine au titre d’un permis
spécial, résolution 2003-3, annexe G, rapport du président sur les travaux de la cinquante-cinquième réunion annuelle de
la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 2003, p. 103 (résolution 2003-3) (MA, annexe 39).
48
S. Childerhouse et al., «Comments on the Government of Japan’s Proposal for a Second Phase of Special
Permit Whaling in Antarctic (JARPA II)», annexe O1, oeport of the Standing Working Group on Scientific Permits,
rapport du comité scientifique, J. Cetacean Res. Manage. n 8 (Suppl.), 2006, p. 260-261 (observations sur la proposition
afférente au programme JARPA II) (MA, annexe 52, p. 173, 179). - 23 -

26. Ces 63 scientifiques se sont sentis tenus de faire de brèves observations sur des points

préoccupants, mais ont refusé, fort justement, de prendre part à un quelconque «examen» complet

49
de la proposition relative au programme JARPA II . Par conséquent, seule une partie du comité

scientifique a examiné la proposition relative au programme JARPA II et, même alors, les

observations formulées par ces membres ont été nécessairement «limitées» . 50

27. Si je m’attarde sur ce point c’est que, dans son contre-mémoire, le Japon se permet

d’affirmer que, en 2005, le comité scientifique «a examiné … [le programme

JARPA II] … conformément aux lignes directrices applicables» . Or, lorsque des scientifiques

représentant plus de la moitié des délégations nationales du comité scientifique se déclarent

incapables de prendre part au prétendu «examen» et que les autres scientifiques se bornent à

exprimer des opinions «limitées», la conclusion qui s’impose et elle est essentielle pour

l’établissement du programme JARPA II est que le Japon a commencé à mettre en œuvre

JARPA II, premièrement, sans le soutien du comité scientifique et, deuxièmement, sans que ce

programme ait de lien précis avec les besoins définis par le comité comme présentant une

importance cruciale pour la recherche.

28. J’en arrive ainsi au quatrième document que je vous invite à lire et qui se trouve sous

o
l’onglet n 127. Il s’agit de la résolution 2005-1 de la commission, qui représente la première

réaction officielle de celle-ci à l’endroit de la décision du Japon de procéder à la mise à exécution

du programme JARPA II. Et il y a lieu de signaler les inquiétudes exprimées par la commission, en

particulier au bas de la première colonne ; celle qui concerne le doublement des captures, exposée

33 dans la seconde colonne ; celles concernant l’effet produit sur les populations menacées de rorquals

communs ; et celles portant sur la prise pour cibles des populations reproductrices de baleines à

bosse, vulnérables et de petite taille, qui vivent autour de quelques îlots du Pacifique Sud. Vous

pouvez voir ensuite la résolution, la demande faite au comité scientifique d’examiner les résultats

du programme JARPA dès que possible et l’exhortation du Japon à retirer le programme JARPA II

49 o
Rapportdu comité scientifique, J. Cetacean Res. Manage.(Suppl.2006, p. 49 (MA, annexe 52).
50Voir, en particulier, MA, annexe 52, p. 174-175.
51
CMJ, p. 427, par. 9.37. - 24 -

ou à le modifier, de manière à ce que les renseignements nécessaires à la réalisation des objectifs

annoncés soient obtenus «grâce à des méthodes non létales» . 52

53
29. Ce que ni la proposition afférente au programme JARPA II ni le contre-mémoire du

Japon ne contiennent, c’est un quelconque engagement du Japon à l’égard de cette résolution.

IV. Le Japon poursuit la mise en œuvre du programme JARPA II
sans tenir compte de la CBI

30. Le programme JARPA II est mis en œuvre en dépit de cette résolution et vous trouverez

l’inévitable, et quelque peu déplorable, fin de ce récit chronologique sous l’onglet suivant,

l’onglet n 128. En effet, la commission, dans sa résolution 2007-1 donc après que le comité

scientifique a examiné le programme JARPA , a fait observer, vers la fin de la première colonne,

que le comité scientifique avait constaté en atelier qu’aucun des objectifs du programme JARPA I

n’avait été atteint et que les résultats de ce programme n’étaient pas nécessaires pour la gestion

dans le cadre de la RMP. La commission a soulevé certains autres point avant d’exprimer dans

la seconde colonne, juste avant les résolutions sa conviction selon laquelle les buts du

programme JARPA II ne répondaient pas à des besoins d’une importance cruciale pour la

recherche, et d’appeler ensuite le Japon à tenir compte de 31 recommandations du comité

scientifique et à suspendre indéfiniment l’application des aspects létaux du programme JARPA II à

l’intérieur du sanctuaire de l’océan Austral. Ainsi, ce que vous avez devant vous est une résolution

de la CBI, exprimée en termes simples et fondée sur les travaux du comité scientifique et sur la

bonne foi, qui intime au Japon de prendre réellement et sérieusement en compte les points qu’elle

contient ; or le Japon n’en a rien fait.

52Résolution sur le programme JARPA II, résolution 2005-1, annexe C, rapport du président sur les travaux de la
cinquante-septième réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 2005, p. 1
(résolution 2005-1) (MA, annexe 40).
53
Gouvernement japonais, «Planification de la deuxième phase du programme japonais de recherches
scientifiques sur les baleines dans l’Antarctique au titre d’un permis spécial («JARPA II») : suivi de l’écosystème de
l’Antarctique et élaboration de nouveaux objectifs de gestion des ressources baleinières», 2005, SC/57/01 (plan
JARPA II) (MA, annexe 105, en particulier p. 20). - 25 -

V. La délivrance par le Japon de permis spéciaux dans le cadre du programme JARPA II
n’est pas conforme au paragraphe 30 du règlement annexé à la convention

31. Permettez-moi d’aborder maintenant un aspect factuel connexe des rapports du Japon

avec la commission, soit la question de savoir si les permis délivrés par lui sont conformes au

paragraphe 30 du règlement annexé à la convention.

34 32. M. Crawford a expliqué plus tôt cette semaine le fonctionnement du paragraphe 30, qui

impose aux Etats contractants de présenter toute proposition de permis spécial à la CBI

suffisamment de temps avant la délivrance pour permettre au comité scientifique de faire des

observations. Les permis doivent en outre répondre à certaines conditions.

33. Omission de présenter ses propositions à l’avance : Nous souhaitons attirer l’attention de

la Cour sur deux aspects des façons d’agir du Japon. En premier lieu, pour les huit campagnes de

chasse à la baleine visées par le programme JARPA II, le Japon n’a soumis ses propositions à la

CBI qu’après la délivrance des permis , et non avant. A l’évidence, le comité scientifique n’a pas

pu jouer son rôle dans ces conditions.

34. Omission de fournir les renseignements requis dans les permis : En second lieu, les

permis délivrés par le Japon ne contiennent pas l’information requise par le paragraphe 30. Vous

vous souviendrez peut-être que, mercredi, j’ai montré à l’écran un exemple de la forme que

prenaient les permis délivrés au cours des quelque six premières années d’existence du programme

JARPA. Or ces permis ne contenaient pas les renseignements exigés par le paragraphe 30, dont les

dispositions ont été explicitées par la commission dans un document que je vous invite à lire et qui

figure sous les onglets n 131 et 132 . Si cela ne vous ennuie pas, je vous invite à vous reporter à

l’onglet n 132, l’annexe O des rapports du comité scientifique, où vous verrez la liste des éléments

que doivent réunir les propositions pro forma, et un coup d’œil rapide permet de voir le lien avec

les éléments énumérés à l’annexe P qui a été examinée hier. Voilà le genre d’éléments que la

commission et le comité scientifique exigeaient de l’auteur de toute proposition, afin d’être en

54 Permis spécial n 17-SUIKAN-2389 du 1 novembre 2005 (MA, annexe 82) ; permis spécial
n 18-SUIKAN-2610 du 13 novembre 2006 (MA, annexe 83) ; permis spécial n 19-SUIKAN-1911 du 7 novembre 2007
(MA, annexe 84) ; permis spécial n 20-SUIKAN-1727 du 5 novembre 2008 (MA, annexe 85) ; permis spécial
o o
n 21-SUIKAN-1605 du 12 novembre 2009 o(MA, annexe 86) ; peomis spécial n 22-SUIKer-1577 du
29 novemore 2010 (MA, annexe 8o) (onglet n 133) ; permis spécial n 23-SUIKAN-1o74 du 1 décembre 2011
(onglet n 134) ; permis spécial n 24-SUIKAN-1893 du 20 décembre 2012 (onglet n 135) (permis JARPA II).
55
Rapport du comité scientifique, J. Cetacean Res. Manage. No. 9 (Suppl.), 2007, p. 57-58 ; «Report of the
Standing Working Group on Scientific Permits», annexe O, rapport du comité scientifique, J. Cetacean Res. Manage.
No. 9 (suppl.), 2007, p. 346-348. - 26 -

mesure d’évaluer celle-ci comme il se doit. Or, en un mot comme en cent, le Japon ne s’est pas

conformé à cette exigence.
os
35. Le dernier document que je vous invite à lire ce matin se trouve sous les onglets n 134

et 135 ; il s’agit des permis modifiés. Ainsi, au cours des deux dernières années, peut-être en

raison de la présente instance, afin d’offrir un peu plus que ce qui, comme nous l’avons vu

mercredi, était de la recherche au moyen de harpons à grenade, le permis actuel reproduit, au

paragraphe 1, les quatre objectifs du programme JARPA II. Il s’agit manifestement là d’une

35 tentative en vue de remédier aux déficiences des permis antérieurs, mais qui reste nettement

insuffisante pour permettre au comité scientifique d’évaluer convenablement la recherche

proposée. Un simple coup d’œil au premier objectif, soit le suivi de l’écosystème de l’Antarctique,

incite à se demander comment les membres du comité scientifique auraient pu utilement examiner

une telle proposition.

VI. Conclusions concernant l’argumentation relative à l’absence de bonne foi

36. Permettez-moi maintenant de conclure à propos de la question du manque de bonne foi,

et de m’écarter un moment du rappel chronologique que je vous ai présenté. Il y a eu

18 campagnes de chasse à la baleine dans le cadre du programme JARPA et maintenant 8 dans le

cadre du programme JARPA II, lequel ne comporte pas de date d’expiration. Il doit faire l’objet

d’un examen l’an prochain, mais, selon la position officielle du Japon, il est censé se poursuivre

indéfiniment, comme je vous l’ai montré mercredi. Il en découle cinq conclusions en ce qui

concerne le manque de bonne foi du Japon :

La première est un postulat en droit : la formulation de recommandations par la CBI est une

fonction conventionnelle confiée à celle-ci par l’article VI, et ces recommandations doivent à

tout le moins guider l’exercice de la faculté prévue à l’article VIII, dans le respect des objet et

but de la convention, en vue de définir une perception commune parmi les Etats contractants

56
quant à la juste portée de l’article VIII ; il s’agit là d’une hypothèse en droit ;

La deuxième est un postulat de fait : La CBI, s’appuyant à bon droit sur les travaux du comité

scientifique, a recommandé en des termes on ne peut plus fermes, clairs et constants que les

56Intervention des Etats-Unis d’Amérique, IWC39, compte rendu de la deuxième séance plénière, 24 juin 1987,
IWC/39/VR, p. 40-41. - 27 -

activités de chasse à la baleine au titre d’un permis spécial auxquelles se livrait le Japon

devaient cesser ou être modifiées ;

La troisième hypothèse est également de nature factuelle. En faisant ses recommandations, la

CBI a signalé les difficultés que posent les activités japonaises de chasse à la baleine au regard

de l’objet et de la lettre de la convention, et dont il existe des preuves solides. Ces difficultés

relèvent des trois aspects définis par M. Crawford : les activités de chasse à la baleine du Japon

minent les mesures de conservation adoptées par la commission, en particulier l’instauration du

57
36 sanctuaire de l’océan Austral et le moratoire ; elles présentent les caractéristiques de la chasse

à la baleine commerciale ; elles écartent les méthodes non létales même lorsqu’elles

59
pourraient raisonnablement être utilisées ;

La quatrième conclusion est d’ordre factuel et concerne la réponse du Japon à ces

recommandations circonstanciées : il n’a même jamais envisagé d’apporter le moindre

changement aux aspects principaux de ses méthodes létales ; l’échelle, la continuité et la

permanence n’ont jamais été remis en question ;

La cinquième conclusion, qui comporte des éléments de droit et de fait, est la suivante : la Cour

ne devrait pas écarter les résolutions de la CBI comme étant tout simplement l’œuvre de la

«majorité tyrannique» dont parle de Tocqueville.

37. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, une fois posés ces éléments

contextuels, ce que j’ai à dire sur le plan du droit se résume en peu de mots, puisque les règles en

matière de bonne foi sont bien établies à la Cour, et encore mieux connues de vous. Permettez-moi

60
de citer ce qu’a dit la Cour dans l’affaire Gabčikovo :

57Résolution 1995-9 (MA, annexe 46) ; résolution 1985-2, résolution sur les permis scientifiques, appendice 2,
rapport du président sur les travaux de la trente-septième réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission

baleinière internationale, 1986, vol. 36, p. 26 (MA, annexe 7) ; résolution sur la chasse à la baleine au titre d’un permis
spécial, résolution 2003-2, annexe F, rapport du président sur les travaux de la cinquante-cinquième réunion annuelle de
la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 2003, p. 102 (MA, annexe 38) ; initiative de Berlin,
annexe II, activités de conservation de la CBI (compilation annotée, 1976-2001), p. 28 (MA, annexe 37) ; résolution
1995-8, résolution sur la chasse à la baleine dans les sanctuaires au titre d’un permis spécial, rapport du président sur les
travaux de la quarante-septième réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission baleinière internationale,
1996, vol. 46, p. 46 (MA, annexe 27) ; résolution 1996-7 (MA, annexe 28) ; résolution 1997-5 (MA, annexe 29) ;
résolution 1998-4 (MA, annexe 31) ; résolution 1999-3 (MA, annexe 32) ; résolution 2000-4 (MA, annexe 33) ;
résolution 2001-7 (MA, annexe 35) ; résolution 2003-3 (MA, annexe 39) ; résolution 2007-1, (MA, annexe 41).
58
Par exemple, résolution 1985-2 (MA, annexe 7) ; résolution 2003-2 (MA, annexe 38).
59
Par exemple, résolution 1995-9 (MA, annexe 46) ; résolution 2003-2 (MA, annexe 38).
60Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 78-79, par. 142. Voir aussi
Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 268, par. 46 - 28 -

«L’article 26 [de la convention de Vienne sur le droit des traités] associe
deux éléments, qui sont d’égale importance... «Tout traité ... lie les parties et doit être
exécuté ... de bonne foi.» De l’avis de la Cour, ce dernier élément implique qu'au cas

particulier c’est le but du traité, et l’intention dans laquelle les parties ont conclu
celui-ci, qui doivent prévaloir sur son [interprétation] littérale. Le principe de bonne
foi oblige les Parties à l’appliquer de façon raisonnable et de telle sorte que son but
puisse être atteint.»

38. Comme l’a dit M. le juge Keith dans l’affaire Djibouti c. France à propos des principes

de «bonne foi, abus de droit et détournement de pouvoir», ceux-ci exigent des administrations

nationales qu’elles exercent le pouvoir en question aux fins pour lesquelles il a été conféré et non à

61
des fins inacceptables ou pour des raisons non légitimes .

37 39. S’agissant d’appliquer ces principes au traité en cause, la principale considération qui

doit animer les Etats contractants, y compris le Japon, est celle de collaborer de bonne foi en vue de

62
la réalisation des objet et but principaux de la CBI, tels qu’ils ont été résumés .

40. En persistant à faire prévaloir sa détermination à poursuivre ses activités de chasse à la

baleine à des fins commerciales sur son obligation de collaborer avec la CBI, le Japon, pour

paraphraser M. le juge Lauterpacht dans l’avis consultatif en l’affaire concernant la Procédure de

vote applicable aux questions touchant les rapports et pétitions relatifs au territoire du Sud-Ouest

africain, a persisté à ne pas tenir compte de l’avis solennellement exprimé de la commission et a

manqué de loyauté envers les objet et but de la convention . 63

VII. L’abus de droit

41. L’existence du principe et ses limites : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de

la Cour, le dernier sujet de cet exposé porte sur la question de savoir si la conduite du Japon

constitue un abus de droit. L’Australie reconnaît que la Cour n’a pas eu besoin, jusqu’à présent, de

trancher une affaire sur la base de ce principe, mais son existence, dont je dirai un mot, n’en est pas

pour autant niée, ni le fait qu’il s’impose en l’espèce. Le Japon ne vous présente pas d’argument

solide pour démontrer que la Cour devrait rejeter l’existence même du principe sur le plan

juridique, et sa position est à cet égard juste. Ce principe doit avoir un rôle à jouer en droit

61
Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 279, par. 6.
62 Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Egypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980,
p. 95, par. 48.
63
Procédure de vote applicable aux questions touchant les rapports et pétitions relatifs au Territoire du
Sud-Ouest africain, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1955, opinion individuelle de M. Lauterpacht, p. 120. - 29 -

international, en particulier dans le cadre de la règle pacta sunt servanda, autant que dans la plupart

des systèmes nationaux que nous connaissons. Il est permis de penser que seule la portée du

principe reste matière à débat.

42. Sur cette question, l’Australie proposera à la Cour quatre postulats fondamentaux que je

tenterai d’appliquer au contexte où la question se pose directement entre Etats. En effet, ces

postulats peuvent être exposés quelque peu différemment dans d’autres contextes du droit

international. Le premier postulat que nous vous soumettons consiste à dire que cette notion est un

principe général de droit, qui peut être appliqué par la Cour au même titre que les décisions

judiciaires et la doctrine pertinentes, comme le prévoient les alinéas c) et d) du paragraphe 1 de

l’article 38 de son Statut. Deuxièmement, cette notion est une application particulière du principe

64
38 de bonne foi à l’exercice de droits par les Etats . Troisièmement, comme l’enseignent les

décisions judiciaires et la doctrine, il importe de ne pas laisser la question de l’abus de droit dans

l’abstrait. Il faut en effet définir le contexte dans lequel survient l’abus allégué pour comprendre

les limites du principe. Dans certaines affaires contrairement à la présente instance , l’abus

survient dans le contexte de l’exercice par un Etat d’un droit souverain apparemment général,

d’une manière qui pourrait entraver le droit ou l’intérêt d’un autre Etat ou y faire échec . En pareil

cas, la notion d’abus de droit permet de restreindre, comme de juste, le droit apparemment général

d’un Etat, de manière à reconnaître les intérêts ou les droits des autres Etats. Selon le quatrième

postulat, la question de l’abus de droit se pose en l’espèce dans le contexte plus étroit d’un traité, et

il s’agit de savoir si l’exercice d’un droit ou en l’occurrence le recours à une exception telle que

celle de l’article VIII conféré par le traité peut être considéré comme abusif par rapport à un

droit également prévu par celui-ci, s’agissant d’un traité visant à sauvegarder un intérêt commun

défini. Je saisis l’occasion pour rappeler à la Cour l’exposé que nous avons fait précédemment sur

64 Etats-Unis Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes,
rapport de l’organe d’appel, 1999, ILM, vol. 38, p. 119, par. 158, citant B. Cheng, General Principles of Law as
applied by InternationaCourts and Tribunals,tevens and Sons Ltd, 1953, p. 125.
65
Voir, par exemple, l’opinion individuelle du juge Alvarez dans l’affaire du Détroit de Corfou (Royaume-Uni
c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 47-48, et son opinion dissidente dans l’avis consultatif sur la Compétence
de l’Assemblée générale pour l’admission d’un Etat aux Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 14. Voir
également l’opinion individuelle du juge Ammoun dans l’affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company,
Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 324, citant sa précédente opinion en
l’affaire du Plateau continental de la mer du Nord (RépubliqueFédéraled’Allemagne/Pays-Bas), p. 35. - 30 -

l’importance que revêt le respect par tous les Etats contractants de l’intégrité de cette convention

pour servir leur intérêt commun.

43. Voici maintenant notre dernier postulat : l’abus de droit se mesure, dans le présent

contexte, en fonction de ce que le titulaire du droit en l’occurrence, le Japon s’écarte des

normes applicables à l’exercice raisonnable et de bonne foi du droit en question ou des véritables

objectifs pour lesquels ce droit est accordé par le traité, au point d’ôter tout caractère contraignant

aux obligations qui lui incombent à ce titre et, ce faisant, les prive de leur nature juridique et nie les

droits que le traité confère aux autres membres.

44. S’agissant de la notion d’abus de droit, nous renvoyons la Cour aux sources qui figurent

dans notre mémoire, et nous avons reproduit à votre intention celles qui nous intéressent ici sous

o
l’onglet n 136 du dossier de plaidoiries. Parmi ces sources, j’en mentionnerai trois ce matin.

39 45. La première, dont un extrait devrait apparaître à l’écran à l’instant, et que vous trouverez

sous l’onglet n 137, tient dans ce qu’a dit de l’abus de droit l’organe d’appel de l’OMC dans

l’affaire des «Crevettes», dont le contexte est particulièrement proche de celui de la présente

instance . [Projection à l’écran.]

46. La deuxième source que je vous propose ce matin est le commentaire de

sir Gerald Fitzmaurice issu de l’article intitulé «Law and Procedure of the Court». Cet auteur a fait

observer très justement, comme je l’ai fait au début de mon exposé, que la Cour n’a pas encore eu à

trancher d’affaire sur la base du principe de l’abus de droit ; voici sa position à cet égard, que nous

faisons respectueusement nôtre :

«[M]ême si un Etat peut avoir le droit absolu d’agir de telle ou telle manière, il

ne doit pas l’exercer de sorte à en abuser ; il doit exercer ses droits de bonne foi et
avec le sens des responsabilités ; ses actes doivent être justement motivés et il ne doit
pas agir arbitrairement ou inconsidérément.» 67 [Traduction du Greffe.]

66 Etats-Unis Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes,
rapport de l’organe d’appel, 1, ILM, vol. 38, p. .
67
G Fitzmaurice, «The Law and Procedure of the International Court of Justice, 1951-54: General Principles and
Sources of Law», 1950, BYIL, vol. 27, p. 12-13. - 31 -

47. La dernière source que nous vous présentons ici est la définition que vous voyez à
68 o
présent à l’écran qu’offre le dictionnaire de cette notion. (Onglet n 138.) [Projection

suivante.]

48. Application du principe : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le

cadre étant ainsi exposé et une fois acceptés les éléments de fait présentés par l’Australie, il est

difficile d’imaginer un scénario cadrant mieux avec la notion d’abus de droit.

49. Permettez-moi maintenant de vous présenter l’argumentation de l’Australie concernant

l’existence de l’abus de droit. Le droit en cause est celui de délivrer des permis spéciaux au titre de

l’article VIII. Les obligations correspondantes du Japon sont celles qui sont énoncées à l’alinéa b)

du paragraphe 7 et aux alinéas d) et e) du paragraphe 10 du règlement annexé à la convention

de 1946, dont vous avez déjà entendu parler. Le Japon a exercé ce droit d’une manière qui fait

intervenir cinq éléments concourant à en faire un abus. A partir de tout ce que vous avez entendu,

voici quels sont ces cinq éléments : premièrement, l’échelle à laquelle le Japon exerce ce droit ; la

période illimitée sur laquelle il l’exerce ; les visées commerciales reconnues qui motivent cet

exercice ; l’absence de besoin scientifique démontré ; et, cinquièmement, comme je l’ai déjà

mentionné aujourd’hui, le non-respect de nombreuses résolutions de la CBI. Ces cinq points réunis

démontrent l’absence de bonne foi et de modération, ainsi que l’irruption d’un objectif

40 inacceptable, au point que le Japon a cherché à ôter tout caractère contraignant à ses obligations et

les a privées de leur nature juridique, niant ainsi les droits que le traité accorde aux autres membres.

50. L’argumentation du Japon : Comme je l’ai déjà mentionné, le Japon ne formule pas

directement devant vous la notion de l’abus de droit, pas plus qu’il n’en rejette l’existence. Si vous

rassemblez différentes parties du mémoire pardon, du contre-mémoire vous verrez que le

Japon reconnaît effectivement que le droit qu’il tire de l’article VIII est soumis à quelque

contrainte. Il dit, dans un paragraphe, que ce droit doit être exercé pour servir les objet et but de la

convention, en tenant compte des vues de la commission , puis, dans un autre, que ce droit ne doit

68«Exercice par un Etat d’un droit d’une manière ou dans des circonstances qui font apparaître que cet exercice a
été pour cet Etat un moyen indirect de manquer à une obligation internationale lui incombant ou a été effectué dans un
but ne correspondant pas à celui en vue duquel ledit droit est reconnu à cet Etat.» J. Basdevant (dir.), Dictionnaire de la
terminologie du droit international, Paris, Sirey, 1960.

69CMJ, par. 8.13. - 32 -

pas être exercé arbitrairement ou de manière inconsidérée . Nous prions la Cour de conclure que

la manière dont le Japon formule la contrainte qui pèse sur le droit qu’il tire de l’article VIII n’a pas

suffisamment de valeur en droit et conduit rapidement à des arguments erronés selon lesquels la

Cour n’aurait qu’un rôle négligeable à jouer dans l’évaluation d’une violation. La «marge

d’appréciation» que conserverait, selon le Japon, le titulaire du droit est tellement vaste qu’elle

absorbe toute contrainte qui peut peser sur l’exercice du droit.

51. Toutefois, et je conclurai sur ce point, même si vous n’acceptiez que la seule contrainte

plus légère qu’avance le Japon, vous y trouveriez matière à violation. Pour toutes les raisons

avancées jusqu’à présent, le Japon a :

poursuivi un objectif étranger à la convention ;

systématiquement manqué d’accorder une réelle attention aux vues de la CBI, lorsqu’elle l’a

prié de remettre à plus tard, de suspendre ou de modifier son programme ;

agi de manière arbitraire ou inconsidérée, au sens où la nécessité impérative de tuer autant

d’individus faisant l’objet de l’étude, sous prétexte d’en apprendre davantage à leur sujet, n’a

jamais été démontrée.

52. Monsieur le président, voilà qui conclut mon exposé. Je vous remercie de votre

attention.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le Solicitor-General. L’audience est à présent

suspendue pour 15 minutes et j’appellerai ensuite M. Burmester à la barre.

L’audience est suspendue de 11 h 30 à 11 h 45.

Le PRESIDENT : Veuillez-vous asseoir. L’audience reprend et je donne la parole à

M. Henry Burmester, qui abordera la question de la compétence de la Cour. Vous avez la parole.

70CMJ, par. 7.16. - 33 -

41 M. BURMESTER :

La Cour est compétente

1. Je vous remercie. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la dernière

question que l’Australie examinera lors de ce premier tour de plaidoiries est celle de la compétence.

2. Bien que la compétence soit généralement la première question à régler, nous l’avons

délibérément réservée pour la fin de notre présentation. L’Australie attache de l’importance à

l’obligation qu’a la Cour de s’assurer de sa propre compétence. Si la Cour saisit bien en quoi

consiste le différend porté devant elle, elle n’en comprendra que mieux pourquoi l’argument du

Japon relatif à la compétence est dépourvu de fondement.

3. Voilà pourquoi il importait à l’Australie d’exposer tout d’abord à la Cour la substance du

différend de manière détaillée. La Cour, ayant maintenant entendu cet exposé, comprendra (selon

nous) beaucoup plus aisément pourquoi l’argument du Japon relatif à la compétence repose sur une

conception totalement erronée du différend et est donc voué à l’échec.

4. Tout d’abord, j’exposerai brièvement la base sur laquelle l’Australie fonde la compétence

de la Cour et l’argument du Japon tendant à contester cette base de compétence. J’en viendrai

ensuite à la manière dont il convient d’interpréter la réserve à la déclaration faite au titre de la

clause facultative dont le Japon tire spécifiquement argument pour tenter de faire obstacle à la

compétence de la Cour et je démontrerai pourquoi, du point de vue juridique, l’interprétation

japonaise doit être rejetée.

La base de compétence

5. L’Australie fonde la compétence de la Cour sur les déclarations au titre de la clause

facultative que le Japon et elle ont respectivement faites en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du

71
Statut . L’Australie a fait sa déclaration le 22 mars 2002 et le Japon a fait la sienne le

9 juillet 2007.

71 Déclaration de l’Australie en date du 22 mars 2002, signée par A. J. G. Downer, ministre des affaires
étrangères ; déclaration du Japon en date du 9 juillet 2007, signée par Kenzo Oshima, représentant permanent du Japon
auprès de l’Organisation des Nations Unies. - 34 -

6. Les deux déclarations s’appliquent à tout «différend» au sens du paragraphe 2 de

l’article 36, sous condition de réciprocité. Comme la Cour le sait, le Japon peut ainsi invoquer

toute réserve pertinente figurant dans la déclaration de l’Australie pour tenter de faire obstacle à la

compétence. Toutefois, aucune n’est pertinente dans la présente affaire. Le Japon n’en tente pas

moins de faire jouer l’une des réserves australiennes.

42 7. Le Japon prétend en effet que le différend dont la Cour est saisie tombe sous le coup de la

réserve formulée à l’alinéa b). Je dois vous donner lecture de cette réserve car son libellé est

déterminant. Vous en trouverez le texte sous l’onglet n 140 de votre dossier, ainsi qu’à l’écran.

[Projection.]

8. Cette réserve se lit comme suit :

«b)[la déclaration ne s’applique pas] à tout différend relatif à la délimitation de zones
maritimes, y compris la mer territoriale, la zone économique exclusive et le plateau

continental, ou en rapport avec cette délimitation ou découlant de l’exploitation de
toute zone objet d’un différend adjacente à une telle zone maritime en attente de
délimitation ou en faisant partie, concernant une telle exploitation ou en rapport
avec celle-ci».

9. Le Japon reconnaît que le présent différend ne relève pas de la première partie de cette

réserve. Il prétend cependant qu’il relève de la deuxième partie. Je cite :

«il s’agit d’un différend «découlant de l’exploitation de toute zone objet d’un
différend adjacente à une telle zone maritime en attente de délimitation ou en faisant
partie, concernant une telle exploitation ou en rapport avec celle-ci» ... parce que le

programme JARPA II est mis en œuvre à l’intérieur ou autour d’espaces maritimes
qui, selon l’Australie, relèvent de la zone économique exclusive (ci-après «la ZEE») à
laquelle elle a droit du fait de sa prétendue souveraineté sur une grande partie du
continent antarctique» .72

10. Il est aisé de répondre à cet argument. La réserve vise les situations mettant en jeu une

délimitation maritime, et exclusivement ces situations-là. Le fait est que cette réserve devait

s’appliquer et, de fait, s’applique uniquement aux situations faisant intervenir une délimitation

maritime pendante. Point. Il n’est pas question de cela entre le Japon et l’Australie. En particulier,

la réserve ne s’applique pas à un différend relatif à la validité ou au défaut de validité du

programme JARPA II du Japon au regard de la convention de 1946, ce différend n’ayant pas le

moindre lien avec une quelconque délimitation. [Fin de la projection.]

72CMJ, par. 1.15. - 35 -

11. Monsieur le président, je ne m’arrêterai toutefois pas là. Je vais essayer d’aider la Cour

en lui exposant plus précisément pourquoi l’argument d’incompétence soulevé par le Japon est

dépourvu de fondement. Comme je vais le démontrer, en cherchant ainsi à se prévaloir de la

réserve australienne, le Japon ne tient compte ni des termes mêmes de cette réserve ni du contexte

dans lequel elle a été formulée. Il s’efforce laborieusement, et de manière totalement artificielle, de

trouver un lien entre notre différend relatif à la chasse à la baleine, qui relève de la convention

de 1946, et la question complètement distincte de la délimitation maritime. Pareil lien n’existe pas.

Or, sans un tel lien, l’argument japonais ne tient pas.

Le droit relatif aux déclarations

43 12. Le droit relatif à l’interprétation des déclarations faites au titre de la clause facultative

n’est pas en litige — le différend entre l’Australie et le Japon porte sur l’application de ce droit à la

réserve dans le contexte factuel de la présente affaire. Les principes juridiques pertinents ont été

73
exposés dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries , que le Japon a citée dans son
74
contre-mémoire .

13. Dans cette affaire, notamment, la Cour a mis l’accent sur deux éléments :

a) une déclaration doit être considérée et interprétée comme formant un tout, en tenant compte des

termes employés ;

b) il doit être tenu compte de l’intention que l’Etat ayant déposé la déclaration avait à l’époque où

il a accepté la juridiction obligatoire de la Cour.

14. La Cour n’est pas sans savoir que les déclarations faites au titre de la clause facultative

sont sui generis — elles constituent des déclarations unilatérales tout en donnant lieu à des

relations consensuelles entre des Etats. Elles ne constituent pas des traités et ce n’est donc pas

l’intention mutuelle des parties qui importe ; c’est celle de l’Etat qui en est l’auteur.

15. Ainsi, dans l’affaire de l’Anglo-Iranian Oil Co., la Cour a déclaré ce qui suit :

«la Cour ne saurait se fonder sur une interprétation purement grammaticale du texte.
Elle doit rechercher l’interprétation qui est en harmonie avec la manière naturelle et

73Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 452-454.

74CMJ, par. 1.16. - 36 -

raisonnable de lire le texte, eu égard à l’intention du Gouvernement … à l’époque où
celui-ci a accepté la compétence obligatoire de la Cour.» 75

16. La Cour doit donc clairement examiner le texte en tenant compte de l’intention qui le

sous-tend. Aussi commencerai-je, si vous le permettez, par vous fournir quelques éléments de

contexte afin d’éclaircir l’intention de l’Australie.

L’intention de l’Australie

17. L’Australie a fait sa déclaration à l’époque où elle a également formulé une réserve en

matière de délimitation maritime dans le cadre de la convention des Nations Unies sur le droit de la

mer . Aux annexes 166 et 167 de son contre-mémoire, le Japon a produit le communiqué de

presse publié par le Gouvernement australien ainsi que le texte de l’intervention faite par certains

44 représentants du Gouvernement australien devant une commission parlementaire pour exposer les

raisons de cette déclaration. Ces documents démontrent incontestablement que l’alinéa b) de la

déclaration australienne visait les différends relatifs à la délimitation de frontières maritimes,

y compris les différends liés à une telle délimitation.

18. Le Japon s’empare des références faites à l’Antarctique dans ces documents pour

conclure que la réserve concernait des espaces maritimes engendrés par le territoire antarctique

australien .7 Et tel est le cas, en ce sens que la réserve vise l’ensemble des questions de

délimitation maritime susceptibles d’intéresser l’Australie. C’est précisément de cela qu’il s’agit :

la réserve de l’Australie vise les différends relatifs ou liés à la délimitation maritime.

19. Cette réserve traduit une politique fondamentale, l’Australie étant convaincue que tout

conflit entre ses prétentions maritimes et celles d’autres Etats doit de préférence être réglé par la

négociation. Des ministres de l’époque avaient réaffirmé cette conviction dans le communiqué de

presse auquel je viens de faire référence et l’Australie, dont telle était la politique depuis

longtemps, avait déjà conclu plusieurs accords de délimitation maritime, dans lesquels étaient

75Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 104 ; voir
également Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 454, par. 49 ; voir enfin l’affaire du Navire «Louisa» (Saint-Vincent-et-les Grenadines c. Royaume d’Espagne),
affaire n° 18, arrêt rendu le 28 mai 2013 par le Tribunal international du droit de la mer, par. 82.

76 Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982,
Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1833, p. 3 [vol. 1834, p. 4 pour la version française] (entrée en vigueur le
16 novembre 1994) ; déclaration de l’Australie, 22 mars 2002.
77
CMJ, par. 1.32. - 37 -

parfois adoptées des solutions novatrices qui ne pouvaient être élaborées que dans le cadre de

négociations.

20. Pour mieux comprendre l’intention que nourrissait l’Australie en formulant cette

déclaration, il est intéressant d’examiner le cas des frontières maritimes qui devaient encore faire

l’objet d’un accord à l’époque. Cette année-là (en 2002), l’Australie négociait activement ses

frontières maritimes avec la Nouvelle-Zélande et le Timor-Leste. Le communiqué de presse du

Gouvernement australien faisait également référence à ces délimitations pendantes ainsi qu’à une

éventuelle délimitation avec des Etats ayant formulé des prétentions sur le territoire antarctique

jouxtant le territoire antarctique australien, à savoir la Norvège, la France et la Nouvelle-Zélande.

21. La Cour ne doit donc pas se laisser induire en erreur — à l’époque où la réserve a été

formulée, l’intention de l’Australie était uniquement de faire en sorte que les questions de

délimitation maritime soient réglées par voie de négociation. Cette intention ressort clairement des

déclarations des ministres et représentants du Gouvernement australien.

22. En ce qui concerne la Nouvelle-Zélande, l’Australie négociait depuis un certain temps

déjà aux fins de la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive. Dans un

cas comme dans l’autre, le contexte géographique était tel que le recours à une simple ligne

45 médiane n’allait pas forcément de soi, la possibilité de saisir la justice internationale ayant même

été évoquée. En fait, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont conclu un accord en 2004 — et n’ont
78
effectivement pas eu recours à une simple ligne médiane — mais il est évident que, en 2002,

l’Australie avait ces négociations à l’esprit en rédigeant sa réserve .

23. L’intention motivant la réserve devient également évidente si l’on songe à la situation

dans laquelle l’Australie se trouvait dans le cadre de ses négociations relatives à la délimitation

maritime avec le Timor-Leste. Deux mois après le dépôt de cette réserve, le Timor-Leste accéda à

l’indépendance. Il était déjà clair auparavant qu’il ne s’agissait pas pour l’Australie de négocier

simplement avec le Timor-Leste en vue de tracer une ligne de délimitation dans la zone dite du

78Traité entre le Gouvernement de l’Australie et le Gouvernement de la Nouvelle-Zélande relatif à
l’établissement de certaines frontières dans la zone économique exclusive et dans le plateau continental, ATS 2006, n° 4 ;
Nations Unies, Recueil des traités, vol. 2441, p. 235 [p. 245 pour la version française] (entré en vigueur le
25 janvier 2006).

79Communiqué de presse, CMJ, annexe 166. - 38 -

«Timor Gap», qui faisait l’objet d’un traité antérieur avec l’Indonésie et qui était traitée comme une

zone de développement conjoint. Il s’agit de la zone sur laquelle la Cour était appelée à se

prononcer dans l’affaire du Timor oriental . 80

24. J’épargnerai à la Cour un exposé détaillé des arrangements envisagés avec le

Timor-Leste. Mais ceux-ci ont été complexes. Ainsi, les négociations avec le Timor-Leste allaient

bien au-delà de la simple délimitation et imposaient notamment de négocier certains arrangements

aux fins du partage des ressources, qui donnèrent finalement lieu à trois traités entre l’Australie et

le Timor-Leste. Le Timor-Leste ne pouvait se substituer purement et simplement à l’Indonésie

dans le cadre des accords que cette dernière avait conclus par le passé avec l’Australie. Or, à

l’époque où l’Australie modifiait sa déclaration au titre de la clause facultative, des compagnies

pétrolières américaines intéressées par l’exploitation de zones situées au large du Timor-Leste

répétaient à qui voulait l’entendre que, selon certains conseils juridiques, le Timor-Leste était fondé

à revendiquer une part des ressources situées non pas uniquement au sein de l’ancienne zone

conjointe mais aussi dans des espaces situés par delà ses frontières, dont certains étaient déjà

exploités par l’Australie . L’exploitation à laquelle l’Australie s’était livrée jusque-là se trouvait

donc en péril, ce dont celle-ci avait évidemment conscience à l’époque où elle a rédigé sa réserve.

25. Etant donné la complexité des négociations qu’elle menait à l’époque pour délimiter ses

frontières avec la Nouvelle-Zélande et le Timor-Leste, il n’est guère étonnant que l’Australie ait

46 formulé sa réserve de manière à englober tous les différends connexes qui étaient susceptibles de

voir le jour dans le cadre d’une délimitation entre les parties concernées. Aussi a-t-elle a choisi une

formulation exhaustive, en faisant référence aux différends «découlant de l’exploitation de toute

zone objet d’un différend [ou adjacente à celle-ci] …, concernant une telle exploitation ou en

rapport avec celle-ci». Cette formulation tombe sous le sens dans le contexte de délimitations aussi

complexes que celle entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande ou le Timor-Leste. Ce qui n’a aucun

sens, c’est de vouloir l’appliquer à un différend qui n’oppose pas les parties à une délimitation

maritime elles-mêmes, et a fortiori à un différend totalement étranger à la délimitation maritime.

80Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 90.

81Voir Hamish McDonald, «Timor gas billions all at sea» (Sydney Morning Herald, 27 mars 2002), dont le texte
anglais peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.smh.com.au/articles/2002/03/26/1017089535182.html. - 39 -

Le contexte que je viens d’exposer montre aussi clairement que l’enjeu était alors l’exploitation de

ressources couvertes par un éventuel arrangement en matière de délimitation, et non une

quelconque exploitation dépourvue de rapport avec des questions de délimitation dont il se trouve

qu’elles se posent dans la même zone géographique.

26. Il est vrai que, comme le Japon l’a fait observer, la réserve figurant dans la version

revisée de la déclaration faite au titre de la clause facultative n’est pas expressément liée ou limitée

à des questions intéressant le Timor-Leste et la Nouvelle-Zélande. Mais comme je l’ai déjà dit, des

ministres ont réaffirmé le fort attachement de l’Australie à régler toutes ses questions de

délimitation maritime au moyen de négociations, de préférence à une action en justice. Tel est le

contexte dans lequel il a été fait référence à d’autres délimitations pendantes, notamment à celles à

réaliser avec d’autres Etats qui revendiquaient certaines parties du continent antarctique jouxtant le

territoire antarctique australien.

Les termes mêmes de la réserve

27. Ayant ainsi mis en évidence l’intention sous-jacente, j’en viens à présent à la réserve

«telle qu’elle se présente» , à la lumière de cette intention — et je rappelle à la Cour qu’elle

trouvera dans le dossier le texte de la réserve, que voici de nouveau à l’écran.

28. Le premier terme dont le Japon tire argument est la conjonction «ou», à sa première

occurrence dans la deuxième partie de la réserve . Le Japon voudrait faire croire que cette réserve

comprend deux parties distinctes et indépendantes qui sont séparées par la conjonction «ou».

[Projection — texte de la réserve avec le terme «ou» en surbrillance.] C’est le premier «ou», et non

celui-ci, qui devrait apparaître en surbrillance sur vos écrans.

29. Comme il a été souligné, le différend dont la Cour est saisie ne comporte aucun élément

de délimitation : il ne dépend nullement d’une délimitation et n’en met aucune en jeu, pas plus qu’il

47 n’impose à la Cour de circonscrire une zone à délimiter. La deuxième partie de la réserve,

lorsqu’elle est dûment interprétée, est manifestement liée à la première. De toute évidence,

82Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 105, cité
dans Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 454.

83CMJ, par. 1.18. - 40 -

l’utilisation de la conjonction «ou» dans ce contexte n’impose ni ne suppose d’interpréter cette

réserve comme contenant deux parties distinctes et totalement indépendantes. Dans le cas

contraire, le second élément que le Japon cherche à dissocier du premier aurait incontestablement

fait l’objet d’un paragraphe complètement distinct. [Fin de la projection.]

30. La seconde partie de la réserve renvoie en outre directement à la première partie,

puisqu’elle fait référence à «une telle zone maritime en attente de délimitation». Vous pouvez le

constater à l’écran, le terme «telle» étant en surbrillance [projection — réserve avec le terme

«telle» en surbrillance]. Cette formule est clairement liée à la première partie de la réserve, le

terme «telle» renvoyant à ce qui a déjà été dit . La deuxième partie de l’alinéa b) est donc claire :

il s’agit de préciser que la réserve s’étend non seulement aux différends relatifs à la délimitation

d’espaces maritimes eux-mêmes, mais aussi aux différends connexes concernant l’exploitation de

ressources qui sont susceptibles de voir le jour entre les Etats ayant des prétentions concurrentes

sur les espaces maritimes en attente de délimitation. [Fin de la projection.]

31. Prise dans son sens ordinaire, la réserve vise à exclure les différends relatifs à une

délimitation ou en rapport avec celle-ci ainsi que tout différend connexe découlant de la

délimitation pendante entre les Etats concernés, concernant une telle délimitation ou en rapport

avec celle-ci d’une manière ou d’une autre.

32. Le Japon a recours à une autre technique d’interprétation singulière. Il tente de scinder la

deuxième partie de la réserve en trois éléments distincts . Il déclare que le terme «exploitation» ne

se rapporte qu’au dernier élément, à savoir les différends en rapport avec l’exploitation de la zone

en litige. Là encore, vous pouvez lire la réserve à l’écran et voir le terme «exploitation»

[projection — réserve avec le terme «exploitation» en surbrillance]. Le Japon prétend que

l’«exploitation» ne s’applique qu’à l’expression «en rapport avec» mais non aux verbes

«découlant» ou «concernant» qui précèdent, avec lesquels elle n’aurait aucun lien. Cette

interprétation ne prend pas le texte «comme formant un tout» , et ne s’accorde pas avec l’intention

manifeste de l’Australie. Dans le document intitulé National Interest Analysis [analyse de l’intérêt

84Macquarie Concise Dictionary (Sydney, 5 éd., 2009), p. 1260.

85CMJ, par. 1.28.
86
Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 453. - 41 -

48 national] qui a été présenté à la commission parlementaire des traités, la deuxième partie de la

réserve a été résumée comme excluant les différends «concernant l’exploitation d’une zone en

litige ou adjacente à une zone en litige». En d’autres termes, le document officiel qui a été utilisé

pour expliquer la déclaration au Parlement australien rattachait expressément le verbe «concernant»

au terme «exploitation» et les combinait de fait l’un et l’autre dans le membre de phrase

«concernant l’exploitation de». Ce nonobstant, le Japon voudrait que la Cour fasse fi du sens

manifeste de la déclaration, qui impose pourtant de rattacher le terme «exploitation» aussi bien aux

verbes «découlant» et«concernant» qu’à l’expression «en rapport avec».

33. Le Japon tente également, quoique de manière assez maladroite, de faire croire que le

présent différend relève de l’«exploitation». Sa démarche paraît forcément étrange dans la mesure

où le Japon tend ainsi à postuler expressément que d’autres points de sa propre argumentation sont

erronés. Tout d’abord, le Japon indique que la «chasse commerciale à la baleine» alléguée par
87
l’Australie constitue une «exploitation» . Il se défend ailleurs dans ses exposés de pratiquer la

chasse à la baleine à des fins commerciales. Ensuite, le Japon soutient que le programme

JARPA II, en tant que programme de «recherche», constitue «un élément du processus aboutissant

88
à l’exploitation» et entre de ce fait dans les prévisions de la réserve .

34. Monsieur le président, la recherche scientifique peut être utile en vue de l’exploitation

future de ressources, mais cela ne justifie pas d’assimiler un différend relatif au caractère

scientifique d’une activité à un différend en matière d’exploitation. Surtout, ainsi qu’il a déjà été

exposé, la principale faille de l’interprétation japonaise réside en ce qu’elle tend à appliquer le volet

de la réserve relatif à l’«exploitation» en le coupant complètement du contexte de la délimitation.

Comme je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, la présente affaire ne met en jeu aucun différend en

matière de délimitation maritime. C’est pourtant ce dont la seconde partie de la réserve, lue dans

son ensemble, requiert clairement et expressément l’existence : il doit s’agir de l’«exploitation de

toute zone objet d’un différend adjacente à une telle zone maritime en attente de délimitation ou en

faisant partie». Le Japon n’a aucun différend avec l’Australie en matière de délimitation. Le

87
CMJ, par. 1.22.
88CMJ, par. 1.25. - 42 -

différend auquel il est partie devant la Cour ne tient nullement au statut des eaux dans lesquelles

l’activité en cause a lieu. [Fin de la projection.]

35. Le Japon laisse entendre que le différend dont la Cour est saisie présente un certain lien

ou rapport avec le territoire antarctique australien et les zones maritimes adjacentes. Dans son

89
contre-mémoire, il fait brièvement l’historique de la situation à cet égard , et notamment du droit

49 interne de l’Australie. Mais là n’est absolument pas la question. Le Japon reconnaît lui-même que

90
«le présent différend ne porte pas sur les revendications maritimes de l’Australie» . Il n’en ajoute

pas moins que :

«La licéité des revendications de souveraineté de l’Australie dans l’Antarctique
et de sa prétention à une ZEE au large du prétendu Territoire antarctique
australien … ne constitu[e] pas l[a] questio[n] dont est saisie la Cour. Aux fins de

déterminer si elle est compétente, il suffit à la Cour d’établir que ces revendications
existent, qu’elles n’ont fait l’objet d’aucun règlement et qu’elles couvrent une zone
géographique dans laquelle le programme JARPA II est mis en œuvre ou qui est
adjacente à celle-ci.» 91

36. La deuxième phrase dont je viens de vous donner lecture, qui concerne l’établissement

de la compétence de la Cour par rapport à la zone géographique dans laquelle le programme

JARPA II est mis en œuvre, constitue une déclaration extraordinaire : ainsi, selon le Japon, tout

différend de l’Australie avec un Etat se trouve exclu par la réserve formulée à l’alinéa b) s’il se

rapporte d’une certaine façon à des actes accomplis dans une zone faisant l’objet de prétentions

maritimes non réglées, indépendamment du point de savoir si le statut de cette zone ou sa

délimitation pendante revêtent la moindre pertinence aux fins du différend, ou de savoir si l’Etat en

question participe d’une manière ou d’une autre à la délimitation.

37. Je souligne que la Cour devrait refuser fermement de céder à l’invitation du Japon, qui

voudrait lui faire examiner les revendications maritimes que l’Australie peut ou non avoir

formulées dans l’océan Austral, ou la manière dont elle traite ces questions dans son droit interne.

L’affaire engagée par la Humane Society International, qui mettait en jeu le droit interne australien

92
et à laquelle le Japon a fait référence , n’est rien d’autre que cela : il s’agit d’une affaire de droit

89
CMJ, par. 1.3-1.55.
90CMJ, par. 1.43.

91CMJ, par. 1.45.
92
CMJ, par. 1.48-1.53. - 43 -

interne qui n’a pas de rapport avec le droit conventionnel en cause devant la Cour. Toutes ces

questions sont totalement dépourvues de pertinence et ne fondent nullement le Japon à tenter de se

prévaloir de la réserve.

38. Pour entrer dans les prévisions de la réserve, les situations ou faits qui sont envisagés

dans celle-ci, et qui sont censés avoir donné lieu à un différend, doivent être «réellement la cause»

93
du différend porté devant la Cour . Ou, selon le critère indiqué dans l’affaire de la Compétence en

matière de pêcheries et cité par le Japon , seuls les différends qui n’auraient pas vu le jour en

l’absence des mesures envisagées dans la réserve sont couverts par celle-ci. Ainsi que le Tribunal

du droit de la mer l’a récemment reconnu, pour qu’un différend concerne telle ou telle question, il

50 doit avoir une incidence sur cette question ou un lien avec elle . Le présent différend relatif à la

conformité du programme JARPA II à la convention sur la chasse à la baleine existe que

l’Australie revendique ou non des espaces maritimes jouxtant l’Antarctique, et indépendamment de

toute délimitation avec des Etats revendiquant des espaces adjacents.

39. Or, l’interprétation japonaise de la réserve revient à étendre celle-ci à des différends très,

très éloignés de ceux qui étaient manifestement visés au départ. A cet égard, considérons un

différend hypothétique qui, selon le Japon, serait exclu par la réserve de l’Australie.

40. Prenons ainsi l’exemple suivant. Imaginez qu’un différend existe entre l’Australie et un

autre Etat concernant un incident ayant occasionné une pollution marine au sud du parallèle situé

par 60° de latitude sud. Les obligations conventionnelles incombant à l’Australie et à l’autre Etat

interdisent le déversement de substances liquides nocives dans l’ensemble de cette zone, sans faire

de distinction selon le statut des eaux en question. L’Australie fait grief à l’autre Etat d’avoir

manqué à cette obligation conventionnelle particulière à raison des activités menées par l’un de ses

navires, qui a déversé des substances liquides nocives dans l’océan Austral sous le parallèle situé

par 60° de latitude sud, notamment dans des zones situées au sein de la zone économique exclusive

proclamée par l’Australie.

93
Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B n° 77, p. 82.
94CMJ, par. 1.20.
95
Affaire du Navire «Louisa» (Saint-Vincent-et-les Grenadines c. Royaume d’Espagne), arrêt rendu le
28 mai 2013 par le Tribunal international du droit de la mer, par. 83. - 44 -

41. Ce différend hypothétique porte manifestement sur le respect d’une obligation

conventionnelle relative à la pollution qui s’applique dans toute la zone pertinente de l’océan

Austral, que ces eaux relèvent ou non d’une compétence nationale. Pourtant, si l’on suit

l’interprétation japonaise de la réserve australienne, la compétence de la Cour, à la supposer établie

sur d’autres fondements, se trouverait exclue si l’Australie voulait introduire une instance.

Pourquoi ? Parce que, selon le Japon, si le navire accusé d’avoir rejeté des substances liquides

nocives l’avait notamment fait alors qu’il passait dans une zone revendiquée par l’Australie comme

zone économique exclusive, cela suffirait pour que la réserve entre en jeu, la zone en question

faisant l’objet de prétentions maritimes non réglées.

42. Du point de vue de l’Australie, cette analyse de la réserve par le Japon va forcément trop

loin. Le différend hypothétique ne tient nullement au statut des eaux concernées ni à une

quelconque prétention sur ces eaux. Il n’a pas non plus le moindre lien ou rapport avec la

délimitation des eaux en question. La tentative du Japon visant à appliquer la réserve australienne

aux activités de chasse à la baleine dont il est allégué qu’elles sont contraires à l’article VIII de la

convention de 1946 est tout aussi éloignée de l’intention qui sous-tend la réserve et du libellé de

celle-ci que l’exemple hypothétique que je viens de donner.

51 43. Il est d’autant plus évident que cette interprétation du Japon est erronée qu’elle fait

totalement abstraction de l’expression «en attente de délimitation», à la fin dans la réserve.

[Projection — texte de la réserve avec l’expression «en attente de délimitation» en surbrillance.]

La «délimitation», dans un contexte maritime, a un sens bien précis. Il s’agit de fixer des frontières
96
entre des Etats voisins, que leurs côtes soient adjacentes ou qu’elles se fassent face . En revanche,

on parle du tracé des limites au large des côtes («delineation» en anglais) et de l’établissement des

lignes de base («determination») . Une lecture de la réserve dans son ensemble, comme formant

un tout, confirme que celle-ci ne s’applique en aucun cas à un différend entre l’Australie et un autre

Etat concernant une convention multilatérale qui impose certaines obligations indépendamment du

96Johnston et Saunders, Ocean Boundary Making (1988), p. 9 ; S. P. Jagota, Maritime Boundary, 1985, p. 3 ;
Prosper Weil, The Law of Maritime Delimitation (1989), p. 5 [Perspectives du droit de la délimitation maritime (1988),
Pedone, Paris].

97Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, art. 3 et art. 76, par. 7. - 45 -

statut des eaux en question, en particulier lorsqu’aucune délimitation n’est pendante entre

l’Australie et l’autre Etat partie au différend.

44. En résumé, le Japon a beau tenter de se prévaloir de la réserve australienne en l’espèce, il

ne peut y parvenir car il voudrait faire jouer cette réserve dans un contexte qui n’a absolument rien

à voir avec son libellé. Ce libellé indique clairement que la délimitation constitue l’objet de la

réserve, qui s’étend aux différends connexes pouvant surgir entre les Etats parties à la délimitation,

y compris ceux qui concernent l’exploitation de ressources, alors que la délimitation demeure

pendante. Mais la réserve est limitée à de telles situations. Le différend dont la Cour est saisie n’a

rien à voir avec la délimitation et la réserve est dépourvue de pertinence. Quand bien même les

délimitations pendantes seraient réglées, cela ne changerait strictement rien au différend. [Fin de la

projection.]

Conclusion

45. Monsieur le président, la nature du différend relevant de la convention de 1946 est claire,

comme nous vous l’avons exposé de manière relativement approfondie. Le différend n’a

absolument aucun rapport avec une délimitation maritime. La réserve dont le Japon tente de se

prévaloir, eu égard non seulement à l’intention qui la sous-tend mais aussi à son libellé, ne

s’applique pas au présent différend. L’argument du Japon sur la compétence doit être rejeté.

46. Monsieur le président, le Solicitor-General propose de formuler quelques brèves

observations pour clore ce premier tour. Si la Cour le permet.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Burmester. La Cour sera assurément

heureuse d’entendre quelques brèves observations pour clore ce premier tour. Vous avez la parole,

Monsieur le Solicitor-General.

52 M. GLEESON :

A LLOCUTION DE CLÔTURE : ARGUMENTATION DE L ’A USTRALIE

1. Monsieur le président, je n’ai jamais auparavant réussi à être bref, mais je comprends qu’il

me faut l’être aujourd’hui. Je vous remercie, ainsi que Mesdames et Messieurs de la Cour, de

l’attention que vous avez bien voulu prêter à la présentation des plaidoiries d’ouverture de - 46 -

l’Australie. Permettez-moi de vous dire quel plaisir tous les conseils ont eu à plaider dans le calme

et la dignité de cette illustre Cour et, si j’ose dire, loin du tumulte et des vociférations que nous

connaissons chez nous en Australie. Il ne me reste qu’à faire ces quelques brèves remarques. Nous

avons tenté, au cours de ces trois jours, de présenter une argumentation en cinq volets afin d’étayer

la conclusion selon laquelle le programme JARPA II contrevient à la convention.

2. Dans le cadre de cette argumentation, nous avons commencé par analyser la convention

elle-même et le régime complet qu’elle établit sur le fondement d’une position commune découlant

elle-même d’un intérêt commun. A ce chapitre, nos arguments ont été axés sur la portée du

règlement annexé à la convention, celle des lignes directrices et l’importance des objet et but de la

convention.

3. Dans un deuxième temps, nous nous sommes attachés à montrer que, en soi, l’article VIII

ne permet pas d’émettre un jugement et ne doit pas être pris isolément. Nous avons ensuite défini

les limites qui doivent lui être attribuées.

4. Troisièmement, nous avons présenté, expertise à l’appui, l’argument selon lequel, en droit

comme en fait, le programme JARPA II ne remplit pas les exigences objectives de l’article VIII.

5. Quatrièmement, comme M. Crawford l’a expliqué ce matin, le programme JARPA II non

seulement ne présente pas les caractéristiques essentielles aux travaux scientifiques, mais il affiche

toutes celles qui ne peuvent être associées qu’à des activités de chasse à la baleine à des fins

commerciales.

6. Ce matin, enfin, je suis revenu sur les mêmes éléments, mais dans la perspective, cette

fois, de l’obligation de bonne foi et de l’abus de droit.

7. Pour terminer, Monsieur le président, il me faut reconnaître que certains des arguments

présentés par l’Australie ont pris la forme de critiques sévères à l’endroit du comportement du

Japon dans le cadre du programme JARPA II. Nous avons formulé ces critiques à l’occasion de la

présentation de notre argumentation dans cette affaire qui revêt une grande importance pour nos

deux pays et, selon nous, pour le régime international général en matière d’environnement et de

conservation. Il n’en reste pas moins que, comme l’a précisé M. Campbell à l’ouverture de la - 47 -

présente affaire, l’Australie entretient d’excellents rapports avec le Japon et que, même s’il nous a

53 fallu exposer nos arguments avec clarté et fermeté, c’est la résolution du présent différend par la

Cour qui viendra cimenter ces rapports entre nos deux pays.

8. Monsieur le président, j’espère avoir observé vos consignes de départ dans ce qui met fin

aux plaidoiries de l’Australie.

Le PRESIDENT : Merci beaucoup, Monsieur le Solicitor-General. Ainsi prend fin, en effet,

le premier tour de procédure orale de l’Australie. La Cour se réunira à nouveau le mardi 2 juillet,

de 15 heures à 18 heures, afin d’entendre le Japon dans son premier tour de plaidoiries. Merci. La

séance est levée.

La séance est levée à 12 h 20.

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