CrY
CR 2008/9 (traduction)
CR 2008/9 (translation)
Lundi 26 mai 2008 à 15 heures
Monday 26 May 2008 at 3 p.m - 2 -
8 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Monsieur Djerić, vous avez la parole.
M. DJERIC : Merci beaucoup, Madame le président. Madame le président, Messieurs de la
Cour, je souhaiterais, tout d’abord, préciser que l’on m’a signalé que j’avais fait une erreur dans
mon exposé de ce matin. Au paragraphe 10, j’ai indiqué que la Bosnie-Herzégovine avait été créée
au printemps 1991. Il s’agit bien sûr du printemps 1992.
D EUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE :IRRECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE POUR AUTANT
QU ’ELLE RENVOIE À DES ACTES OU OMISSIONS ANTÉRIEURS AU 27 AVRIL 1992 (SUITE )
26. Madame le président, Messieurs de la C our, j’ai commencé à aborder, avant la pause
déjeuner, notre deuxième exception préliminaire selon laquelle la requête est irrecevable pour
autant qu’elle renvoie à des actes ou omissions anté rieurs au 27 avril 1992, date à laquelle la RFY
⎯ le défendeur en la présente affaire ⎯ a vu le jour. Le demandeur a invoqué le paragraphe 2 de
l’article 10 des projets d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat afin d’établir un lien entre
la RFY et les événements surve nus avant qu’elle ne voie le jour . Nous avons démontré que, d’un
point de vue juridique, cette disposition n’était tout simplement pas applicable en la présente
espèce.
27. Ensuite, nous avons démontré que les orga nes de la RFSY n’étaient pas, contrairement à
ce que soutient le demandeur, des «organes de facto de la RFY en voie de formation» et que la
RFSY ⎯ l’ex-Yougoslavie ⎯ existait en tant que sujet de dro it international en 1991 et au début
de l’année1992. A cette époque, la RFSY concluait bien des traités bilatéraux et multilatéraux,
participait bien à des conférences internationales et à d es réunions d’organisations internationales,
et entretenait bien des relations diplomatiques avec d’autres Etat s. Il s’agit là d’autant d’éléments
de preuve de ce que la RFSY était toujours r econnue comme un Etat opérationnel en 1991 et au
début de l’année1992. De surcroît, les organes fédéraux de l’ex-Yougoslavie, ainsi que leurs
principaux dirigeants, n’étaient pas exclusivemen t Serbes, mais comptaient en leur sein des
personnes originaires d’autres républiques constitutives de la RFSY. L’on ne saurait donc partir du
principe qu’il existe une continuité entre la RFSY et la RFY, puis que les autorités fédérales de la
RFSY n’étaient pas identiques à celles de la RFY. Pour conclure, c’est la RFSY qui exerçait les - 3 -
9 fonctions gouvernementales à cette époque. Dès lo rs, la responsabilité découlant de ses actes et
omissions ne peut être attribuée qu’à la R FSY (l’ex-Yougoslavie) et non à la RFY (la
Serbie-et-Monténégro), laquelle a vu le jour le 27 avril 1992.
Cette exception préliminaire a-t-elle trait à la recevabilité ou au fond ?
28. Madame le président, je souhaiterais ma intenant en venir à l’argument du demandeur
selon lequel cette exception préliminaire «touche au fond et ne soulève pas de questions portant sur
la recevabilité» 1. Le demandeur allègue notamment que notre deuxième exception préliminaire n’a
aucunement trait à l’un quelconque des facteurs en raison desquels la Cour ne pourrait pas
connaître de l’affaire et que, partant, il ne s’agit pas d’une exception d’irrecevabilité 2.
29. Le défendeur n’a jamais cherché à justifier son exception préliminaire en arguant que la
Cour ne saurait connaître de l’affaire. Si nous avons soulevé une exception d’irrecevabilité, c’est
pour soumettre à la Cour une question qui dém ontre l’absence de co mpétence à l’égard du
défendeur, mais qui ne saurait se réduire à une simple question de compétence rationae personae
étant donné qu’elle soulève une qu estion plus fondamenta le quant à la personnalité juridique du
défendeur: ce dernier existait-il avant le 27avr il1992 et une instance peut-elle être introduite
contre lui à raison des événements qui se sont produi ts avant qu’il ne voie le jour. Cette exception
est une exception à la recevabilité différente de celle relative à l’existence d’une compétence
rationae temporis en vertu de la convention sur le génoc ide. Dans ses observations écrites, le
demandeur n’a pas distingué ces deux questions. Or, la différence apparaît clairement si l’on
postule, arguendo, que la Cour se déclare compétente en vertu de la convention sur le génocide
pour ce qui concerne une période antérieure à la da te à laquelle le défendeur à vu le jour. Il ne
s’agit là que d’une pure hypothèse : ainsi que M. Zimmermann le démontrera, la convention sur le
génocide ne saurait s’appliquer à des événements an térieurs au 27avril1992. Néanmoins, même
dans cette hypothèse, la requête demeurerait irrecevable pour autant qu’elle porte sur des demandes
relatives à la période antérieure au 27avril1992, date à laquelle le défendeur a vu le jour. De
surcroît, permettez-moi d’ajouter que, à un moment donné de la période à laquelle le demandeur
1
Observations écrites, par. 3.5-3.9.
2
Ibid., par. 3.8. - 4 -
cherche à étendre la compétence, aucune des Parties n’existait . La Croatie est devenue un Etat le
10 8 octobre 1991. Ni le demandeur ni le défendeur ne pouvaient av oir des droits ou des obligations
avant de voir le jour. Les demandes se rapportant à des actes antérieurs à la naissance des Parties
devraient être déclarées irrecevables et ce, même si la compétence était établie.
30. Madame le président, quelle que soit la catégorie dans laquelle on range notre deuxième
exception préliminaire, elle tombe incontestablement sous le coup du paragr aphe1 de l’article79
du Règlement de 1978, lequel définit les exceptions préliminaires de la manière suivante : «Toute
exception à la compétence de la Cour ou à la recevabilité de la requête ou toute autre exception sur
laquelle le défendeur demande une décision avan t que la procédure sur le fond se poursuive…»
(C’est moi qui souligne.) Conformément à cette disposition, la Cour connaît de toute exception
appelant une décision avant la procédure au f ond et pas uniquement de celles relatives à la
compétence et à la recevabilité (voir, par exemple, Questions d’interprétation et d’application de
la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe
libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 26, par. 47.) ⎯ à
condition, bien entendu, que cette exception soit exclusivement préliminaire. En tout état de cause,
la Cour a indiqué qu’une classification stricte des exceptions préliminaires ne revêtait pas une
«importance décisive» ( Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c.Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J.Recueil1984 ,
p. 429, par. 84).
31. Madame le président, la deuxième excepti on préliminaire est de nature exclusivement
préliminaire. Nous disons simplement que le défendeur n’existait pas avant le 27 avril 1992 et que,
partant, il n’existait pas au moment des événemen ts qui se sont produits avant cette date. La
question de savoir si la RFY existait ou non avant le 27avril1992 est sans rapport avec celle de
l’existence ou non de certains événements qui se seraient produits avant cette date et qui forment
l’objet de la demande en la présente affaire. La réponse à la première question ne préjuge pas de
celle apportée à la seconde. - 5 -
32. Pour ce qui concerne la question de l’ attribution, le principe général est qu’un
comportement ne saurait être attribué à une entité qui n’existait pas à l’époque où ledit
comportement a eu lieu. En vertu de cette règle, la responsabilité de la RFY ne pouvait pas prima
facie être mise en cause et la requête est prima facie irrecevable.
11 33. La seule exception à ce principe est énoncée au paragraphe2 de l’article10 des projets
d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat. Or, nous avons démontré que cette exception
n’était tout simplement pas applicable d’un point de vue juridique en la présente espèce et ce,
indépendamment de la controverse susceptible de se faire jour quant aux faits de l’espèce.
34. De plus, même si l’exception énoncée au pa ragraphe2 de l’article10 était applicable,
quod non, il convient de rappeler que cette di sposition est une règle d’attribution ⎯ une règle
secondaire ⎯ dont l’application dépend de l’existence d’une règle primaire. Ce n’est que s’il
existe une règle primaire imposant une obligatio n internationale à un mouvement insurrectionnel
que la règle secondaire d’attribution ⎯ telle que celle énoncée au pa ragraphe2 de l’article10
⎯ peut s’appliquer. Ainsi que la Cour l’a dit en l’affaire Gabčíkovo-Nagymaros :
«C’est au regard du droit des traités qu’il convient de déterminer si une
convention est ou non en vigueur, et si e lle a ou non été régulièrement suspendue ou
dénoncée. C’est en revanche au regard du droit de la responsabilité des Etats qu’il y a
lieu d’apprécier dans quelle mesure la suspension ou la dénonciation d’une convention
qui serait incompatible avec le droit des traités engage la responsabilité de l’Etat qui y
a procédé.» (Projet Gab číkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt,
C.I.J. Recueil 1997, p. 38, par. 47.)
35. L’affaire ayant été introduite en vertu de l’ article IX de la convention sur le génocide, la
règle primaire ne peut être que la convention sur le génocide. La question de savoir si cet
instrument était en vigueur à l’égard du mouvement en question, et celle de savoir si celui-ci
pouvait y être partie, sont exclusivement préliminaires. Autrement dit, la question qui se pose n’est
pas celle de l’attribution et du fond, contrairemen t à ce que le demandeur cherche à faire accroire.
En réalité, la principale question est celle de l’ex istence de la règle primaire, ce qui, en l’espèce,
implique nécessairement l’existence du titre de compétence, dans la mesure où l’instrument
contenant la règle primaire ⎯la convention sur le génocide ⎯ est le seul titre de compétence
possible. Dès lors, s’agissant d es événements survenus avant la création de la RFY, et pour autant
que le paragraphe2 de l’ article10 soit applicable, quod non, la Cour devrait tout d’abord se - 6 -
pencher sur la question de savoir si le mouvement au sens de cette disposition peut, par principe,
être partie à la convention sur le génocide. Aux fins de trancher cette question, la Cour n’aura à
aborder aucun aspect relevant du fond. Elle n’au ra pas non plus à examiner des événements qui
sont à l’origine de la présente requête, ni même à se pencher sur la question de l’existence d’un
«mouvement». Cette question ne peut, dès lors , en aucun cas préjuger du fond et apparaît
12 clairement comme exclusivement préliminaire . Y répondre est indispensable avant que la
procédure ne se poursuive au fond.
36. Madame le président, ce n’est que si la convention sur le génocide était applicable en
tant que droit conventionnel , dans son ensemble ⎯y compris son articleIX ⎯, au prétendu
«mouvement» qui est parvenu à créer la RFY, quod non, que les actes de ce mouvement pourraient
régulièrement relever de la compétence de la Cour. Nous nous perm ettons respectueusement
d’avancer que tel n’est pas le cas. Nous estimons que tout mouvement de cette nature peut être lié
par les règles générales du droit international mais pas par la convention sur le génocide à laquelle
seuls des Etats peuvent être partie. Sans ob ligation conventionnelle, il ne saurait y avoir de
violation d’un traité3.
37. Permettez-moi d’ajouter immédiatement que tous les acteurs de ce conflit ont toujours
été liés par l’interdiction de commettre un génocide en vertu du droit international coutumier. En
conséquence, quiconque a violé cette obligation serait pénalement responsable en vertu du droit
international, y compris devant le TPIY. Or, comme chacun sait, personne n’a jamais été poursuivi
devant le TPIY pour avoir commis un génocide c ontre des Croates en Croatie. En la présence
espèce, il n’est pas question de responsabilité pénale individuelle, mais de responsabilité de l’Etat.
Quiconque invoque la possible la responsabilité de l’ Etat pour violation d’une convention en se
fondant sur la théorie in statu nascendi, doit, à titre liminaire, répondre à la question de savoir si les
obligations conventionnelles sont applicables à des acteurs non étatiques.
38. Pour conclure, la deuxième exception pré liminaire est exclusivement préliminaire étant
donné qu’elle a trait à la règle gé nérale selon laquelle un Etat ne saurait être responsable à raison
des événements qui se sont produits avant qu’il ne voie le jour. Par ailleurs, cette exception est
3
Voir art. 13 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat. - 7 -
exclusivement préliminaire en ce qu’elle a trait à l’applicabilité du paragraphe 2 de l’article 10 des
articles de la CDI sur la responsabilité de l’Et at. Même si l’exception du paragraphe2 de
l’article10 était applicable, quod non, son application dépendrait de l’existence d’une règle
primaire, laquelle est, en la présence espèce, égalem ent la seule source de compétence de la Cour.
Par conséquent, en l’espèce, comme en toute affaire, la Cour doit commencer par l’examen du titre
de compétence, ce qui est exclusivement prélimin aire. A cet égard, le défendeur estime qu’un
13 mouvement au sens du paragraphe 2 de l’article10 des articles de la CDI sur la responsabilité de
l’Etat ne saurait en aucun cas être partie à la convention sur le génocide, laquelle est la règle
primaire et la seule base de compétence en la présente affaire.
39. Madame le président, Messieurs de la C our, ainsi s’achève mon exposé et je souhaiterais
vous remercier de votre attention. Madame le président, je vous prie de bien vouloir donner la
parole à M. Zimmermann.
Le PRESIDENT : Merci, M. Djeric. J’appelle maintenant à la barre M. Zimmermann.
M. ZIMMERMANN : Merci, Madame le président.
I.E TENDUE DE LA COMPÉTENCE RATIONE TEMPORIS
1. Madame le président, Messieurs de la Cour, j’en viens à présent au point suivant, à savoir
que la requête de la Croatie est irrecevable pour autant qu’elle se rapporte à des actes ou omissions
antérieurs au 27avril1992, cette ho norable Cour n’ayant pas compétence ratione temporis à cet
égard.
2. Néanmoins, permettez-moi tout d’abord de rappeler que la présente exception est soulevée
en sus des arguments que nous avons présentés ju squ’à présent, et qui montrent que la Cour n’est
pas du tout compétente pour connaître de la présente affaire.
3. Cette exception ratione temporis s’ajoute également à l’argument, présenté auparavant par
mon collègue Vladmir Djeri ć, selon lequel la Cour n’a pas compétence ratione personae à l’égard
des actes antérieurs au 27 avril 1992. - 8 -
4. Pour ce qui est de la question de savoir si, et, le cas échéant, dans quelle mesure la Cour
peut exercer sa compétence à l’égard de la Serbie sur le fondement de l’article IX de la convention
sur le génocide, il importe de distinguer clairement deux questions :
⎯ Premièrement, celle de la date d’entrée en vigueur de l’articleIX de la convention sur le
génocide entre la Croatie et la Serbie, si tant est que la Cour conclue que cet article est
effectivement entré en vigueur entre les deux Pa rties indépendamment de la réserve valide que
la Serbie a formulée à son égard. A ce propos, je vais à présent montrer que la première date
possible serait le 27 avril 1992.
⎯ Deuxièmement, je démontrerai également que la conve ntion sur le génocide, y compris la
clause juridictionnelle contenue à l’article IX, ne saurait s’appliquer aux actes intervenus avant
14 que la Serbie n’ait commencé à ex ister en tant qu’Etat et, partant, avant qu’elle n’ait pu être
liée par la Convention. Autrement dit, la Convention ne saurait s’appliquer aux actes
antérieurs au 27 avril 1992.
5. Pour ce qui est de la première date à co mpter de laquelle la Se rbie a pu être liée par
l’articleIX de la convention sur le génocide, je commencerai par dire que la Serbie (la RFY à
l’époque) ⎯autrement dit le défendeur en l’espèce ⎯ n’a commencé à exister qu’à partir du
27 avril 1992. Comme l’a déjà démontré mon collègue Tibor Varady, il ne fait donc aucun doute
que la Serbie n’était pas dotée d’une personnalité juridique internationale avant cette date.
6. La seule manière de parvenir à une conclu sion différente reviendrait à considérer que la
Serbie constitue la même entité que l’ancienne Ré publique fédérative socialiste de Yougoslavie.
Mais comme nous le savons tous, il est généralement admis que ce n’est pas le cas.
En réalité, l’existence de cette identité a t oujours été fermement contestée par la Croatie et
les autres Etats successeurs de l’ex-Yougoslavie.
Par ailleurs, l’admission de la RFY en qua lité de nouveau Membre de l’Organisation des
NationsUnies a également prouvé ⎯si tant est qu’il le fallût ⎯ que la RFY, aujourd’hui Serbie,
est un Etat successeur de l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie, la dénommée
«ex-Yougoslavie». - 9 -
Enfin, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, l’ancienne République yougoslave de Macédoine,
la République de Slovénie et la RFY ont signé un «accord sur les questions de succession» dans
lequel ces Etats ont déclaré être «en égalité souveraine les cinq Etats successeurs de
4
l’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie» .
7. En tant qu’Etat successeur de l’ex-Yougosla vie, la RFY, l’actuelle Serbie, ne pouvait
⎯dans le meilleur des cas ⎯ adhérer à la convention sur le génocide, et être à ce titre
obligatoirement liée par l’articleIX de ladite Convention, qu’à partir du moment où elle a
commencé à exister, et il s’agit bien du 27 avril 1992.
8. Ce fait est confirmé par la pratique même de la Croatie. Celle-ci a déclaré, au sujet de sa
propre situation, et je me réfère à la notification de succession de la Croatie au sujet des traités
auxquels l’ancienne Yougoslavie était partie, que les traités de l’ancienne Yougoslavie auxquels la
15 Croatie a succédé après qu’elle eût notifié sa succession «prendr[aient] effet à compter du
8 octobre 1991, date à laquelle la République de Croatie est devenue indépendante» 5.
9. Par conséquent, même s’il ne fallait pas tenir compte de notre position bien fondée selon
laquelle ce n’est qu’après avoir adhéré à la convention sur le génocide en2001 que la Serbie est
devenue liée par cette Convention et qu’elle n’a jamais été liée par son article IX, le seul moment à
compter duquel la Serbie a pu être liée par la convention sur le génocide était ⎯ selon une pratique
bien établie et de la même manière que la Croatie l’a déclaré à son propre sujet dans ses propres
notifications de succession ⎯ la date à laquelle la RFY, auj ourd’hui Serbie, est devenue un Etat
indépendant, et il s’agit bien du 27 avril 1992.
10. En outre, à cet égard, la réaction de la Bosnie-Herzégovine comme celle de la Croatie
elle-même à l’adhésion de la RFY et à sa réserve à l’article IX de la convention sur le génocide en
disent long.
4
Accord sur les questions de succession entre les cinq Et ats successeurs de l’ex-République fédérative socialiste
de Yougoslavie, ILM 41 (2002), 3 ; les italiques sont de nous.
5 NationsUnies, Recueil des traités, Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, état au
31 décembre 2005, informations de nature historique, p. XII. - 10 -
11. Dans l’objection qu’elle a formulée le 27décembre2001, la Bosnie-Herzégovine a
déclaré ce qui suit : «la République fédérale de Yougoslavie a effectivement succédé à l’ancienne
République fédérative socialiste de Yougoslavie en date du 27 avril 1992 (date de la proclamation
6
de la RFY) en tant que partie à la convention sur le génocide » . La Bosnie a ajouté que le
27 avril 1992, «[était] le jour où la RFY [était] devenue liée par la convention sur le génocide» 7.
12. Dans le même ordre d’idées, la Croatie a déclaré dans son objection que la RFY,
l’actuelle Serbie, était liée par la convention sur le génocide «depui s qu’elle [était] devenue l’un
8
des cinq Etats successeurs égaux de l’ex-RFSY» . Je cite encore: «est liée depuis qu’elle est
devenue un Etat successeur de l’ancienne Yougoslavie» 9.
13. En effet, dans ses observations écrites 10, la Croatie confirme elle-même que la RFY,
l’actuelle Serbie, a commencé à exister le jour où une proclamation formelle des parlements de la
Serbie et du Monténégro a été adoptée à cette fin, autrement dit, le 27 avril 1992.
16 14. La Serbie n’ayant commencé à exister en tant qu’Etat que le 27avril1992, elle ne
pouvait, dans le meilleur des cas, qu’être liée par la convention sur le génocide et par son article IX
à partir de cette date.
15. Mais si la RFY, l’actuelle Serbie, n’existait même pas comme Etat et ne pouvait donc pas
être partie à la convention sur le génocide avant le 27 avril 1992, comment aurait-elle pu conférer
une compétence à la Cour pour connaître, sur la base de l’articleIX de la convention sur le
génocide, d’actes antérieurs à cette date ?
16. A cet égard, il est tout d’abord important de noter que cette question n’avait pas été
résolue par la Cour dans l’arrêt qu’elle a rendu en 1996 sur sa compétence dans l’affaire portée par
la Bosnie-Herzégovine contre la RFY qui examin ait uniquement la question de l’éventuel effet
rétroactif de la notification de succession de la Bosnie.
6
NationsUnies, Recueil des traités , Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, état au
31 décembre 2005, chap. IV, 1. p. 133, note de bas de page 15 ; les italiques sont de nous.
7
Ibid.
8
Ibid.
9Ibid.
10Observations écrites de la République de Croatie, (ci-après «observations écrites), par. 3.25. - 11 -
17. En particulier, il sied de relever que la question de l’étendue de la compétence au regard
de la RFY n’avait pas même été soulevée par les parties et encore moins tranchée par la Cour.
18. Au paragraphe 17 de son arrêt de 1996, la Cour souligne ce point quand elle déclare qu’il
n’a pas été contesté —à l’époque, et entre les de ux parties, à savoir la Bosnie-Herzégovine et la
RFY — que la «Yougoslavie» était partie à la conven tion sur le génocide et liée par son article IX.
19. En l’espèce, la situation est complètement différente :
⎯ Premièrement, contrairement à la situation qui prévalait en1996, il est aujourd’hui clair et
incontesté que la Serbie n’est pas l’Etat qui a ratifié sans réserve la convention sur le génocide
en 1950.
⎯ Deuxièmement, la RFY, aujourd’hui Serbie, a formulé une réserve à l’article IX au moment de
son adhésion à la convention sur le génocide.
⎯ Troisièmement, le défendeur conteste donc que la Serbie ait jamais été liée par l’article IX de la
convention sur le génocide et les faits contredisent cette idée.
⎯ Quatrièmement, dans le cadre de la procédure qui a débouché sur l’arrêt de 1996, le seul point
soulevé par la RFY reposait sur le fait que la notification de succession de la Bosnie ne pouvait
avoir un effet rétroactif au rega rd de la date de l’indépenda nce de la Bosnie-Herzégovine.
D’autre part, le statut de la RFY à l’égard de l’article IX de la convention sur le génocide n’a
pas été examiné étant donné qu’il n’était pas contesté.
20. Madame le président, Messieurs de la Cour, en1996, la question de savoir si la
compétence de la Cour à l’égard de la Serb ie pouvait couvrir les prétendus actes génocides
17 accomplis avant le 27avril1992 et avant l’adhésion de la Serbie à la convention sur le génocide
n’a été ni soulevée ni examinée. En outre, cette question ne pouvait de toute façon pas lier les
parties à cette affaire en application de l’article 59 du Statut de la Cour.
21. Mais en quoi l’arrêt de1996 nous intéresse en l’espèce? Si l’on suit la logique de cet
arrêt, la Croatie pourrait ⎯ comme la Bosnie-Herzégovine ⎯ devenir partie à la convention sur le
génocide en notifiant sa succession, et le défendeur ne conteste pas ce fait. Et, comme l’a dit
M. le juge Shahabuddeen, un Etat successeur qui noti fie sa succession devient de ce fait partie à la
convention sur le génocide «à compter de la da te de son accession à l’indépendance» (Affaire
relative à l’Application de la convention pour la p révention et la répression du crime de génocide - 12 -
(Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II),
opinion individuelle de M. le juge Shahabuddeen). En effet, pour continuer à citer l’opinion
individuelle de M. le juge Shahabuddeen : «le lien consensuel est parfait lorsque l’Etat successeur
se prévaut de cet engagement en décidant de se considérer comme partie au traité» (ibid.). Ainsi,
pour avoir notifié sa succession à la convention sur le génocide, la Croatie doit être considérée,
selon M.le jugeShahabuddeen, «à compter de [son] accession à l’indépendance, comme la
continuation de l’Etat prédécesseur en tant que partie à la Convention».
22. Je suppose qu’il y a un consensus dans cette salle à cet égard. Mais cela implique aussi
nécessairement que les mêmes observations s’appliquent à la Serbie étant donné que ⎯ comme l’a
reconnu la Croatie ⎯ la Serbie est l’un des cinq Etats successeurs égaux de l’ancienne
Yougoslavie.
23. Ainsi, à l’image de la Bosnie-Herzégovine et de la Croatie elle-même, la Serbie ⎯ si tant
est qu’elle soit devenue liée par l’article IX de la convention sur le génocide, quod non ⎯ n’aurait
pu devenir liée par cette Conven tion qu’au plus tôt à partir du moment où elle a commencé à
exister, c’est–à-dire le 27 avril 1992.
24. A vrai dire, le lien consensuel entre la Croatie et la RFY, qui venait d’être créée et qui est
aujourd’hui la Serbie au regard de la conve ntion sur le génocide, n’aurait pu être établi qu’ après la
création de la RFY. Jusqu’à cette date, ce lien ne pouvait qu’exister ⎯ et a effectivement existé ⎯
entre la Croatie et la République fédérative so cialiste de Yougoslavie qui existait encore à
18
l’époque. Un tel lien consensuel ne pouvait pas s’appliquer à un Etat, la RFY, aujourd’hui la
Serbie, qui n’existait pas encore, et qui ne pouva it donc pas être partie à la convention sur le
génocide et à son article IX.
25. Ainsi, le lien consensuel requis ne pouva it pas engager la Serbie et ne l’engagea pas
avant le 27avril1992, étant donné que la RFY, aujourd’hui Serbie, elle-même a été uniquement
créée et a commencé à exister à cette date. Ainsi, la Serbie ne peut être soumise à la compétence
de la Cour au sujet d’actes antérieurs à cette date.
26. La seule possibilité d’établir le statut de la Serbie comme partie contractante à la
convention sur le génocide pour toute date antérieure au 27avril1992 consisterait à faire valoir - 13 -
que cet Etat assure la continuité de la personnalité juridique de l’ex-Yougoslavie, mais l’on peut
présumer que la plupart des personnes présentes dans cette salle ne partagent pas cet avis.
27 Madame le président, Messieurs de la Cour , conclure à la compétence de la Cour pour
connaître d’actes qui auraient été accomplis par la Serbie avant le 27avril1992 reviendrait à
appliquer rétroactivement la convention sur le gé nocide et son articleIX à une période pendant
laquelle cette convention n’était pas encore entrée en vigueur entre les Parties et qui est, de surcroît,
une période pendant laquelle le défendeur n’existait même pas encore.
28. En effet, le demandeur veut nous pousser à croire que la convention sur le génocide et
son articleIX pourraient couvrir des actes interv enus avant l’existence du lien consensuel requis
entre la Croatie d’une part, et la RFY, aujourd’ hui Serbie, d’autre part, autrement dit des actes
intervenus avant que la Serbie n’existe comme Etat.
29. La question de l’éventuelle applicati on rétroactive d’un traité donné est régie par
l’article 28 de la convention de Vie nne sur le droit des traités, dont on peut dire qu’il a consacré le
droit international coutumier à ce sujet. Pour des raisons pratiques, permettez-moi de lire cet
article 28 :
«Article 28. Non-rétroactivité des traités
«A moins qu’une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs
établie, les dispositions d’un traité ne lient pas une partie en ce qui concerne un acte
ou fait antérieur à la date d’entrée en vigueur de ce traité au regard de cette partie ou
une situation qui avait cessé d’exister à cette date.» (Les italiques sont de nous.)
19 30. En outre, bien avant la rédaction de la convention de Vienne susmentionnée, la Cour
avait déclaré qu’un traité ne pouvait être appliqué rétroactivement que «s’il avait existé une clause
ou une raison particulières appelant une interprétation rétroactive». (Affaire Ambatielos (Grèce
c. Royaume-Uni), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 40.) - 14 -
31. Ou pour citer sir Gerald Fitzmaurice, al ors rapporteur spécial de la Commission de droit
international sur le droit des traités : «Il est évident que ce résultat n’est possible quesi le traité le
prévoit expressément ou l’implique de façon absolument nécessaire . Il y a toujours une
présomption de non-rétroactivité.» 11
32. Ainsi, l’on doit partir du principe que l es traités ne peuvent s’a ppliquer rétroactivement
⎯et plus particulièrement ⎯ qu’ils ne peuvent encore moins s’appliquer à un Etat ⎯ comme la
RFY, aujourd’hui Serbie ⎯ qui n’existait même pas pendant la période concernée.
33. La non-rétroactivité des traités étant un principe fondamental, c’est au demandeur qu’il
incombe de démontrer que la convention sur le génocide relève de l’une des deux exceptions
prévues à l’article 28 de la convention de Vienne sur le droit des traités, quod non.
34. Madame le président, Messieurs de la C our, la Croatie ne s’est pas acquittée de cette
charge. A vrai dire, elle n’a même pas essayé de le faire. A l’inverse, elle s’est simplement
contentée de nous renvoyer à ce que la Cour ava it dit en1996. Cependant, comme nous l’avons
démontré, la seule question dont la Cour avait ét é saisie, qu’elle avait dû donc examiner et sur
laquelle elle s’était prononcée en 1996 était de savoi r si la notification de succession présentée par
la Bosnie-Herzégovine avait eu pour effet de lier ce pays par la Convention au moment de son
indépendance. Rien de moins, mais rien de plus non plus.
35. En effet la Croatie semble laisser entendre que la Cour appliquait l’une des exceptions
prévues à l’article 28 de la convention de Vienne sur le droit des traités, sans pour autant le dire. Il
est cependant très difficile de croire que la C our souhaitait effectivement appliquer l’une de ces
exceptions sans le mentionner.
20 36. Cette tentative croate d’essayer de deviner l’intention de la Cour est également contredite
par les faits suivants :
⎯ les parties n’avaient absolument pas débattu de cette question en 1996 ;
⎯ par ailleurs, comme l’illustre l’objection (que j’ai mentionnée plus haut) de la Bosnie à
l’adhésion de la RFY, aujourd’hui Serbie, à la convention sur le génocide, la Bosnie elle-même
11
Quatrième rapport de sir Gerald Fitzmaurice, Rapporteur spécial sujet : Droit des traités. Extrait de l’Annuaire
de la Commission du droit international, 1959, vol. II, p. 74, par. 122 ; les italiques sont de nous. - 15 -
estime que la convention sur le génocide s’applique entre elle et la Serbie au plus tôt à partir du
27 avril 1992 ;
⎯ enfin, la RFY, aujourd’hui Serbie, n’a commencé à exister en tant qu’Etat qu’à partir de cette
date.
37. A l’inverse, en 1996, la Cour a simplement confirmé qu’à la suite d’une notification de
succession, l’Etat successeur devenait partie au traité à compter de la date de succession des Etats
concernés, autrement dit, à partir de la date à laquelle il a commencé à exister en tant que nouvel
Etat.
38. Madame le président, Messieurs de la Cour , plusieurs éminents spécialistes ont pris une
position claire portant précisément sur la possibilité d’appliquer rétroactivement la convention sur
le génocide.
39. Déjà en 1949, dans son commentai re sur la convention sur le génocide,
NehemiahRobinson avait déclaré ce qui suit: «l’on ne saurait guère sout enir que la Convention
oblige ses signataires à punir les auteurs de crimes pour des actes commis avant l’entrée en vigueur
12
de cette Convention pour le pays concerné» . Robinson, ajoute plus précisément au sujet de
l’article IX de la Convention : «l’article IX ne saurait être invoqué si ce n’est pour des faits commis
13
par cet Etat à la suite de la ratification de la Convention…» .
40. Par ailleurs, dans son livre sur le génoc ide, William Schabas examine spécifiquement la
question de savoir si l’exception prévue à l’article28 de la convention de Vienne sur le droit des
traités pourrait s’appliquer à la convention sur le génocide :
«Aux termes de l’article28 de la convention de Vienne sur le droit des traités,
«à moins qu’une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie,
les dispositions d’un traité ne lient pas une partie en ce qui concerne un acte ou fait
antérieur à la date d’entrée en vigueur de ce traité au regard de cette partie ou une
situation qui avait cessé d’exister à cette da te»…Rien dans la convention sur le
génocide ne tend à indiquer «une intention différente». Ainsi, «la convention sur le
génocide ne s’applique tout simplement p as aux actes commis avant sa date d’entrée
en vigueur».» 14
12N. Robinson, The Genocide Convention, 1960, Institute of Jewish affairs, World Jewish Congress, p. 114.
13
Ibid.
14W.Schabas, Genocide in International Law, 2000, p. 541. - 16 -
21 Toujours selon Schabas, «le dispositif de la Convention, dont son articleIX , peut uniquement
s’appliquer au génocide commis après l’entrée en vigueur de cette Convention pour un Etat
15
partie» .
41. La Croatie essaie cependant de s’en remettr e à l’objet et au but de la convention sur le
génocide qui, à son avis, nécessite une applica tion rétroactive de cette Convention. Une
application rétroactive censée couvrir une période pendant laquelle le défe ndeur n’était même pas
doté d’une personnalité internationale.
42. Mais commençons d’abord par relever que l’article 28 de la convention de Vienne sur le
droit des traités ne renvoie pas à l’objet et au but d’un traité donné. Au contraire, cet article utilise
une formule beaucoup plus rigoureuse en exigeant que cette intention «ressorte du traité».
43. Le seul argument étayant l’interprétation sa ugrenue que fait la Croatie de la clause
juridictionnelle contenue à l’articleIX en essayant de l’appliquer à des actes qui auraient été
accomplis alors que le défendeur n’existait pas enco re, est celui de l’interruption de la protection
16
accordée par la Convention . Or cet argument ne peut pas méconnaître les principes essentiels du
droit des traités. En outre, la Convention à continué à s’appliquer entre la Croatie (en sa qualité
d’Etat ayant déjà adhéré à la convention sur le génocide) et la République fédérative socialiste de
Yougoslavie à partir du moment où la Croatie a commencé à exister. Il n’y a donc pas eu
«d’interruption».
44. Que l’article IX de la convention sur le génocide ne puisse être appliqué rétroactivement
est également confirmé par les tr avaux de rédaction de la conven tion de Vienne sur le droit des
traités elle-même. Dans le cadre de ces travaux, et dans son commentaire concernant notamment
les clauses juridictionnelles, la CDI a expressément déclaré que «lorsqu’une clause juridictionnelle
se trouve incluse dans les clauses de fond d’un traité, dont elle a pour objet de garantir l’exécution,
le principe de la non-rétroactivité peut avoir pour effet de limiter ratione temporis l’application de
la clause juridictionnelle» 17.
15
Ibid. ; les italiques dont de nous.
16Observations écrites, par. 3.14.
17Projet d’articles sur le droit des traités, avec comme ntaires, adopté par la Commission du droit international à
sa dix-huitième session, NationsUnies, Documents officiels de la confér ence sur le droit des trait, première et
deuxième sessions, Vienne, 26 mars-24 mai 1968 et 9 avril-22 mai 1969, p. 35, par. 2. - 17 -
45. Enfin, l’approche proposée par le de mandeur conduirait à des résultats quelque peu
saugrenus voir quasi-absurdes. Cette approche élar girait les bases de compétence de la Cour étant
22 donné qu’elle donnerait la possibilité de saisir cette instance judicaire de tous actes de génocide qui
auraient été commis par n’importe lesquels d es 140pays qui sont aujourd’hui parties à la
convention sur le génocide, indépendamment de la question de savoir si ces actes ont été commis
avant ou après l’entrée en vigueur de la convention sur le génocide dans ces Etats.
46. A vrai dire, si l’on devait suivre l’appr oche de la Croatie, la Cour serait compétence
indépendamment de la question de savoir si l’Etat en cause existait ou non au moment décisif.
Force est de constater qu’adopter une telle approche revi endrait à ouvrir la bo îte de Pandore, mais
la convention sur le génocide ne constitue simplement pas une telle boîte.
47. Il découle de ce qui précède que ni la c onvention sur le génocide dans son ensemble, ni
son article IX ne sauraient s’appliquer à l’égard d’actes qui auraient été commis avant que la RFY,
aujourd’hui Serbie, n’ait vu le jour, autrement dit, avant le 27 avril 1992.
48. Par conséquent, la Cour ne peut en au cun cas exercer sa compétence à l’égard d’actes
commis avant que la RFY, aujourd’hui Serbie, n’ex iste en tant que nouvel Etat: elle n’est pas
compétente pour des actes antérieurs à la date que j’ai déjà mentionnée plusieurs fois.
49. Madame le président, Messieurs de la Cour , j’en viens à présent à la troisième exception
préliminaire, qui a trait à certaines demandes sp écifiques de la Croatie tendant notamment à
déferrer des personnes, à fournir des informations au sujet de personnes disparues, et, en dernier
lieu, à restituer des biens culturels. Toutes ces de mandes ne relèvent pas de la compétence de la
Cour sur la base de l’articleIX de la conventio n sur le génocide ou sont autrement irrecevables.
Permettez-moi de commencer par la demande la Croatie tendant à déférer certaines personnes
devant une instance judicaire. - 18 -
O
II.E XCEPTION PRÉLIMINAIRE N 3
a) Remise de personnes
50. Madame le président, dans ses observations écrites, la Croatie continue d’affirmer que le
défendeur n’a pas traduit en justice les personne s qui, à ce qu’elle prétend, sont soupçonnées
d’avoir commis les actes de génocide sur le territoire de la Croatie et qu’il n’a pas fait en sorte que
18
23 ces personnes soient punies . Cette affirmation ne relève cependant pas de la compétence ratione
materiae de la Cour et ce, pour plusieurs raisons.
51. Premièrement, la Croatie reconnaît elle-même da ns ses observations écrites que sa
19
conclusion est sans objet en ce qui concerne les personnes qui ont été transférées au TPIY .
52. Depuis l’an 2000, cinq personnes accusées d’avoir commis des crimes sur le territoire de
la Croatie ont été arrêtées en Serbie et transférées au TPIY 20. La Serbie a par ailleurs coopéré à la
reddition volontaire de sept autres personnes mises en accusation pour avoir commis des crimes en
21
Croatie .
53. En fait, il n’y a qu’une seule personne accusée par le TPIY d’avoir commis des crimes en
Croatie qui reste en fuite, à savoir Goran Hadži ć, un Serbe de Croatie. Quant à savoir où il se
trouve, les avis divergent évidemment. Ce qui est sûr en revanche, c’est que la Serbie a procédé ou
coopéré au transfert de 12personnes mises en accusa tion sur un total de 13. Il convient aussi de
noter que dans le cas de M. Hadži ć, comme en fait dans celui de toutes les autres mises en
accusation en rapport avec la guerre en Croatie, seule la commission de crimes de guerre et de
crimes contre l’humanité est retenue dans l’acte d’accusation du TPIY. Le crime de génocide n’est
22
pas retenu, ni même mentionné, dans cet acte d’accusation .
18Observations écrites, par. 4.2.
19Ibid., par. 4.5.
20Il s’agit de: Slobodan Miloševi ć, Jovica Staniši ć, Franko Simatovi ć, Veselin Šljivancanin et
Vladimir Kovačević.
21Il s’agit de: Vojislav Šešelj, Mile Mrkši ć, Momčilo Perišić, Pavle Strugar, Miodrag Joki ć, Milan Marti ć et
Miroslav Radić.
22 o
Le procureur c. Goran Hadžić, affaire n IT-04875-I, acte d’accusation du 4 juin 2004. - 19 -
55. Permettez-moi de le répéter: la commiss ion d’actes de génocide n’a été retenue par le
TPIY à l’encontre d’aucune personne, y compris la seule qui reste en fuite, accusée d’avoir commis
des crimes en Croatie. Or, l’obligation de coopérer avec le TPIY qui découle de l’article VI de la
convention sur le génocide concerne seulement, comme la Cour l’a récemment confirmé, la
coopération visant les personnes accusées de génocide ( Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.Serbie-et-Monténégro) ,
arrêt du 26 février 2007, par.448). C’est pour cette seule raison qu’une allégation de
non-coopération avec le TPIY en ce qui concerne Goran Hadžić n’entre même pas prima facie dans
24 le champ des violations possibles de la convention sur le génocide. Elle sort aussi par conséquent
du champ de la compétence que confère à la Cour l’article IX de la convention sur le génocide.
57. Deuxièmement, la Croatie prétend que la Serbie a l’obligation de punir elle-même ses
ressortissants qui seraient les auteurs d’actes de génocide, même lorsque ceux-ci ont été commis à
l’étranger, c’est-à-dire en Croatie 23. Cependant, la Cour a ré cemment confirmé de façon
catégorique que la convention sur le génocide en général, et son articleVI en particulier,
«n’oblige[nt] les Etats contractants qu’à in stituer et exercer une compétence pénale territoriale»
(Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c.Serbie-et-Monténégro), arrêt du 26février2007, par.442; les italiques
sont de nous). La Cour poursuit, indiquant en termes non équivoques que «si [la Convention]
n’interdit certes pas aux Etats de conférer à leur s tribunaux pénaux, en ma tière de génocide, une
compétence fondée sur d’autres critères que le lieu de commission du crime …, [elle] ne leur
impose pas d’agir ainsi» (ibid. ; les italiques sont de nous).
58. Il s’ensuit que l’on ne saurait reprocher à la Serbie, même prima facie, de ne pas avoir
traduit devant ses propres tribunaux les personnes que la Croatie accuse d’avoir commis des actes
de génocide en dehors du territoire de la Serbie , c’est-à-dire en Croatie. Il ne s’agit tout
simplement pas d’une obligation découlant de la convention sur le génocide.
23
MC, par. 7.100. - 20 -
59. En même temps, il importe aussi de souli gner que la Serbie a e ffectivement engagé un
nombre appréciable de procédures pénales à l’encontre de personnes accusées de crimes autres que
le génocide, commis durant le conflit armé en Croatie, et que les tribunaux serbes ont prononcé des
jugements dans ces affaires. Il convient par ailleur s de noter que les autorités croates et serbes ont
étroitement collaboré, dans un nombre appréciable de cas, pour poursuivre les auteurs de crimes
24
commis en Croatie .
60. Quoi qu’il en soit, la Cour elle-même a c onfirmé que dans une affaire portée devant elle
en application de l’articleIX de la convention sur le génocide, elle n’est «sans doute …pas
compétente … pour sanctionner une violation par le défendeur de ses obligations autres que celles
qui résultent de la Convention» (ibid., par. 449).
25 61. En conséquence, même si la Cour deva it conclure d’une manière générale qu’elle a
compétence en vertu de l’articleIX de la Convention, quod non, elle ne peut appliquer sa
compétence à l’allégation selon laquelle la Serbie n’a pas puni des personnes qui auraient commis
des actes de génocide hors de son territoire, c’est-à-dire sur le territoire de la Croatie.
62. Troisièmement, la Croatie semble aussi prétendre que la Serbie a violé la convention sur
25
le génocide en ne lui remettant pas des personnes qui auraient commis des actes de génocide .
Cependant, la Croatie n’a pas indiqué d’où devrait découler une telle obligation, étant donné que la
seule obligation de coopérer en ce qui concerne la punition de personnes accusées de génocide se
trouve, comme la Cour l’a récemment confirmé, à l’ article VI de la Conve ntion (affaire relative à
l’Application de la convention pour la p révention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c.Serbie-et-Monténégro) , arrêt du 26février2007, par.443). Or, cette
obligation se limite à la coopération avec le tribunal international mentionné à l’article VI.
63. Il n’est donc pas même possible qu’une no n-coopération de cette nature avec la Croatie
constitue une violation de la Conve ntion. Par conséquent, ces affirmations n’entrent pas non plus
dans le domaine de compétence de la Cour découlant de l’article IX de la Convention.
24
Voir la rubrique intitulée «Reg ional Cooperation» sur le:site
http://www.tuzilastvorz.org.rs/html_trz/PREDMETI_ENG.htm.
25Observations écrites, par. 4.6. - 21 -
b) Personnes portées disparues
64. Madame le président, Messieurs de la Cour, permettez-moi à présent d’exposer notre
exception concernant la demande de la Croatie tenda nt à obtenir des renseignements sur le sort de
ressortissants croates portés disparus par suite d’actes de génocide allégués.
65. Nous faisons respectueusement valoir que ⎯outre le fait que les actes commis en
Croatie ne constituent pas même prima facie un génocide et que d’ailleurs, il y a aussi un nombre
assez considérable de Serbes de souche qui sont toujours portés disparus par suite de la guerre en
Croatie ⎯ la demande de la Croatie est devenue sans objet parce que les renseignements dont
dispose la Serbie ont déjà été communiqués à la Croatie.
26 66. Il va sans dire que les observations écrite s de la Croatie, qui datent du 29avril2003,
pouvaient seulement rendre compte de la situatio n telle qu’elle existait alors. Depuis lors,
cependant, les deux Parties ont encore plus sensi blement intensifié leur coopération en ce qui
concerne la localisation et l’identification des personnes portées disparues.
67. Notamment, entre 2002 et 2007, des exhumati ons ont eu lieu dans dix endroits différents
26
en Serbie, en présence de représentants croates , ce qui a donné lieu à l’identification de plus de
200 personnes 27 et a abouti au transfert de plus de 70 corps vers la République de Croatie . 28
68. En mars2007, les deux Parties ont conclu que les exhumations en question avaient été
«réalisées conformément à l’accord, aux principes convenus, à la méthode de travail et aux normes
en vigueur» 29.
26
Les endroits où ces exhumations ont eu lieu sont Novi Sad, Sremska Mitrovica, Indjija, Ruma, Šabac, Loznica,
Belgrade, Smederevo, Pančevo et Kovin.
27
Additif en date du 14 juillet 2008 à la lettre decommission des questions humanitaires et des personnes
disparues de Serbie-et-Monténégro (République de Serbie) en réponse aux allégations du président du bureau chargé des
détendus et des personnes disparues de la République de Croatie, le colonel Ivan Grujić, p. 3 du texte original et p. 5 de la
traduction anglaise (pour la traduction française, voir p.17 du document intitu lé «Documents nouveaux produits par le
Gouvernement de la République de Serbie»).
28
Ibid.
29
Procès-verbal de la réunion entre les membres de la commission des personnes disparues du Gouvernement de
la République de Serbie et ceux de la commission chargée des détenus et des personnes disparues du Gouvernement de la
République de Croatie qui s’est tenue à Belgrade les 13 et 14 mars 2007, p. 6 de l’original et p. 7 de la traduction anglaise
(pour la traduction française, voir p.29 du document intitulé «Documents nouveaux produits par la République de
Serbie»). - 22 -
69. De plus, les Parties ont mis en place un système de «visites préliminaires», dans le cadre
duquel chacune peut demander à visiter des charniers sur le territoire de l’autre si elle dispose
d’informations quant au lieu où pourrait se tr ouver une fosse commune où des personnes disparues
30
pourraient être retrouvées . De fait, certaines de ces visites préliminaires ont déjà eu lieu à la
demande des autorités croates 31.
70. Outre les activités susmentionnées (c’est-à-d ire la conduite d’exhumations planifiées, les
activités d’identification et le transfert de dépou illes mortelles), la Serbie a jusqu’ici également
répondu à diverses demandes ponctuelles de la Croatie concernant la vérification d’informations,
32
27 des exhumations et le transfert de dépouilles mortelles . Dans le cadre de ces activités
ponctuelles, les dépouilles mortelles de 29 autres personnes ont été transférées de Serbie en
Croatie 33.
71. Enfin, aussi bien la Serbie que la Croatie participent aux travaux de la commission
internationale pour les personnes disparues. La commission chargée des questions humanitaires et
des personnes disparues de la RFY a signé dè s 2002 un accord de coopération avec cette
commission internationale afin que celle-ci «l’aide à faire face aux problèmes des personnes
30Additif en date du 14janvier2008 à la lettre de la commission des questions hu manitaires et des personnes
disparues de Serbie-et-Monténégro (République de Serbie) en réponse aux allégations du président du bureau chargé des
détenus et des personnes dispar ues de la République de Croa tie, le colonel Ivan Gruji ć, p.6 de l’original et p.10 de
l’anglais (pour la traduction française, voir p. 15 du documen t intitulé «Documents nouveaux produits par la République
de Serbie»).
L’existence d’un tel accord a été confirmée par le colonel Gruji ć lors d’une déclaration faite après la réunion que
les deux commissions ont tenue les 13 et 14 mars 2007, déclaratio n rapportée dans un article du quotidien Glas javnosti,
«Les listes et exhumations devi ennent une préoccupation commune» (Spiskovi i eshumacije bice zajednicka briga) ,
15mars2007, qui peut être consulté à l’adresse: http ://arhiva.glas-javnosti.co.yu/arhiva/2007/03/15/srpski/D07031402.
shtml.
31
De telles visites ont eu lieu à Sremska Kamenica et Sremski Karlovci.
32
Additif en date du 14janvier2008 à la lettre de la commission des questions hu manitaires et des personnes
disparues de Serbie-et-Monténégro (République de Serbie) en réponse aux allégations du président du bureau chargé des
détenus et des personnes disparues de la République de Croatie, le colonel Ivan Gruji ć, p. 3 et 6 de l’original et p. 4 et 9
de la traduction anglaise (pour la tr aduction française, voir p.17, 19 et 20 du document intitulé «Documents nouveaux
produits par la République de Serbie»).
33
Ibid., p.3 de l’original et p.5 de la traduction anglai se (pour la traduction française, voir p.18 du document
intitulé «Documents nouveaux produits par la République de Serbie»). - 23 -
disparues lors des conflits qui ont eu lieu en Croatie et en Bosnie-Herzégovine entre 1991
et 1995» 34 alors que la Croatie n’a commencé à échanger des données avec cette commission
qu’en 2005 35.
72. Il est aussi intéressant de noter que la Croatie elle-même a confirmé que ces activités
communes avaient eu un impact mesurable su r le règlement du problème des personnes
36
disparues .
73. Ces faits suffisent à rendre la demande croate irrecevable. Mais cette demande
d’informations sur le sort des personnes disparues est irrecevable également pour une autre raison.
74. Madame le président, les deux Parties ont non seulement conclu un «protocole sur la
coopération» qui les oblige à échanger des données sur les personnes disparues 37, mais elles ont
aussi conclu un accord formel sur la normalisa tion, dont l’article6 énonce une obligation
inconditionnelle et illimitée d’échanger toutes informations disponibles au sujet des personnes
disparues.
75. La Croatie invoque maintenant votre jurisprudence dans l’affaire de la Compétence en
matière de pêcheries pour démontrer que les accords bila téraux susmentionnés n’excluent pas
l’exercice de la compétence en vertu de l’article IX de la convention sur le génocide 38 .
28 76. Pourtant, il y a d’importantes différences entre la situation en l’espèce et celle qui existait
dans le cadre de l’accord provisoire en cause dans l’affaire de la Compétence en matière de
pêcheries.
77. Premièrement, à la différence de l’accord britannico-islandais, l’accord de 1996 entre la
Croatie et la Serbie sur la normalisation n’est pas lim ité dans le temps. Il ne contient même pas de
clause de dénonciation.
34Commission internationale pour les personnes disparues, fiche récapitulative concernant la République de
Serbie, disponible à l’adresse : http://www.ic-mp.org/?page_id=27.
35Rapport de la commission des détenus et des personnes disparues de la République de Croatie sur la
localisation des détenus et des personnes disparues durant la période allant du 1anvier2004 au 1 ermars 2006, p. 14,
disponible à l’adresse : http://hidra.srce.hr/arhiva/10/7252/www.vlada.hr/Download/2006/03/09/14….
36Voir ibid., où l’on peut lire : «son impact [celui de l’échande résultats d’analyses de sang] est attesté par
l’identification de 50 dépouilles exhumées en République de Croatie, Bosnie-Herzégovine et Serbie-et-Monténégro».
37On trouvera des détails supplémentaires dans les exceptions préliminaires, par. 5.7.
38Observations écrites, par. 4.17-4.19. - 24 -
78. Deuxièmement, dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries , la Cour a
appuyé son raisonnement sur le fait que l’accord provisoire avait été conclu en attendant un
règlement du différend qui était déjà sub judice, les parties s’attendant donc à ce que la Cour
tranche la question de toute façon. L’accord de 1996, au contraire, a été conclu trois ans avant que
la présente instance ait même été introduite. Ceci co nfirme l’intention des deux Parties, la Croatie
et la Serbie, de régler la qu estion des personnes disparues elles-mêmes une fois pour toute et
d’aboutir à un règlement global de la question.
79. Troisièmement enfin, la Cour a en 1974 considéré comme particulièrement pertinent que
l’accord provisoire contienne une clause de sauvegarde expresse ( Compétence en matière de
pêcheries (Royaume-Uni c.Islande), fond, arrêt, C.I.J.Recueil1974, p.18, par.37). Ceci est
radicalement différent de la situation en l’espèce, l’article6 de l’accord de normalisation de1996
exprimant l’intention inconditionnelle des parties de «régler le problème des personnes disparues»
et pas seulement de prévoir une sorte d’accord ou arrangement provisoire.
80. La Croatie ne peut donc maintenant soulever le problème des personnes disparues dans le
cadre de la présente affaire.
81. Ce résultat a été encore corroboré lors d’une réunion des chefs de Gouvernement de la
Croatie et de la Serbie qui a eu lieu en novembre 2005. Après cette réunion, il a été confirmé qu’en
ce qui concerne le problème des personnes disparues les deux Parties avaient «la ferme intention de
39
régler les problèmes par des contacts directs» .
82. La Serbie considère donc que la demande de la Croatie tendant à ce qu’elle fournisse des
informations sur les personnes disparues est irrecevable.
29 83. Permettez-moi maintenant de passer à la dernière question relevant de cette exception
préliminaire, à savoir la demande croate de restitution de biens culturels.
39Site web du Gouvernement de la République de Croatie, déclaratons et discours du président du
Gouvernement «Le président du Gouvernem ent de la République de Croatie, M. Sanader, rencontre le président du
Gouvernement de la République de Serbie, K.ostunica», 23 novembre 2005, à l’adress:e
http://www.vlada.hr/hr/naslovnica/izjave_i_govori_predsjednika_vlade/20…
ikom_vlade_republike_srbije_kostunicom. Traduit à partir d’une traduction anglaise de l’original; les italiques sont de
nous. - 25 -
c) Demande de restitution de biens culturels
84. Madame le président, aux termes de l’article IX de la convention sur le génocide, la Cour
n’a compétence que pour connaître des différends re latifs à «l’interprétation, l’application ou
l’exécution» de la convention sur le génocide.
85. Ainsi, les faits allégués, à supposer qu’ils se soient produits et puissent être attribués au
défendeur, c’est-à-dire la saisie ou la destruction de biens culturels et leur non-restitution, doivent
constituer des actes de génocide pour que la Cour puisse exercer sa compétence en vertu de
l’article IX de la convention sur le génocide.
86. Or, la Cour a récemment confirmé que «l a destruction du patrimoine historique, culturel
et religieux ne peut pas être considéré comme une soumission intentionnelle du groupe à des
conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique…» 40.
87. Par voie de conséquence, la Cour a égal ement jugé que la destruction du patrimoine
historique, culturel et religieux «n’entre pas da ns la catégorie des actes de génocide énumérés à
l’article II de la Convention» 41.
88. La demande de restitution de bien s culturels relève donc encore moins — même prima
facie — du champ d’application de la convention sur le génocide.
89. En outre, cette demande est elle aussi devenue sans objet et doit également pour cette
raison être jugée irrecevable.
90. En avril2002, la RFY et la République de Croatie ont signé un accord de coopération
42
dans le domaine de la cu lture et de l’éducation . Cet accord a créé une «commission
intergouvernementale pour la restitution des biens cu lturels de la République de Croatie et de la
Serbie-et-Monténégro» dans le cadre duquel, de puis lors, la restitution des biens culturels
provenant de Croatie et se trouvant en Serbie en raison de la guerre a été organisée.
40 Ibid.
41 Ibid.
42
Entré en vigueur le 25février2003 en application du paragraphe1 de son article18. Voir la déclaration sur
l’entrée en vigueur de l’accord entre la République fédé rale de Yougoslavie et la République de Croatie sur la
coopération dans le domaine de la culture et de l’éducation, Journal officiel de la Ré publique de Croatie, accords
internationaux, n 8/03, Journal officiel de la Serbie-et-Monténégro, accords internationaux, n 12/02. - 26 -
30 91. Dans l’ensemble, durant la seule période 2001-2007, 25 199 objets ont été restitués par la
Serbie à la Croatie 43, y compris, notamment, des collections d’art de Vukovar comme la
«collection Bauer», ainsi que des objets d’art et de culte appartenant aux églises catholiques et à
diverses églises orthodoxes — et ceci a effectivement été confirmé par les autorités croates 44.
92. Par ailleurs, il n’existe même pas de diffé rend entre la Croatie et la Serbie quant à la
restitution de biens culturels démantelés à l’occasion du conflit armé.
93. Madame le président, selon la jurispruden ce bien établie de la Cour, «un différend est un
désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou
d’intérêts entre des parties» (voir Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt n o 2, 1924, C.P.J.I.
o
série A n 2, p. 6, 11 ; voir également, par exemple, affaire relative à Certains biens (Liechtenstein
c. Allemagne), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 18, par. 24).
94. Or l’accord croato-serbe de coopération dans le domaine de la culture et de l’éducation
dispose en son article10 que les parties se restituent mutuellement les biens culturels
conformément au droit international. Les deux Pa rties y conviennent aussi que les biens culturels
dont les propriétaires légitimes se trouvent en Croatie doivent être restitués à la Croatie.
95. Ainsi, la Serbie considère qu’il n’existe aucun différend entre les Parties à cet égard,
d’autant plus que les biens culturels en cause ont dans une large mesure déjà été restitués à la
Croatie par la Serbie, la demande étant ainsi sans objet et donc irrecevable. Même s’il y avait un
différend, il n’entrerait pas, comme je l’ai démontré, dans le cham p d’application de la convention
sur le génocide.
43Ministère de la culture de la République de Croatie, «La restitution de biens culturels par la Serbie à la Croatie
se poursuit», 25 avril 2007, disponible à l’adresse : http://www.min-kulture.hr/novost/default.aspx?id=2935.
44Les biens restitués comprennent, comme la Croatie elle-même l’a confirmé, notamment, et outre les objets déjà
mentionnés restitués au musée de la ville de Vukovar, des peintures de la galerie des beaux-arts d’Osijek, des livres et des
certificats de mariage appartenant à la librairie francaine des églises St.Phillip etJakovo de Vukovar, restitués
en2004; des sculptures en bois appartenant au groupe des sc ulpteurs d’art naïf d’Ernestinovo, restituées en2004; des
icônes faisant partie de l’iconostase de l’église St. Georgius de Bobota, près de Vukovar, restituées également en 2004 ;
des registres appartenant à la municipalité de Gracanac, restitués en 2005; plusieurs pièces appartenant au musée
archéologique de Zagreb, restituées en 2006, ainsi que la croixles icônes et deux battants de porte faisant partie de
l’iconostase de l’église de Bobota, restitués en 2007; voir miistère de la culture de la République de Croatie, «La
restitution de biens culturels par la Serbie à la Croatie se poursuit», 25avril2007, disponible à l’adresse:
http://www.min-kulture.hr/novost/default.aspx?id=2935. - 27 -
III.CONCLUSION
96. Madame le président, permettez-moi de conclure.
31 97. J’ai démontré que la Cour, même si elle devait se déclarer compétente d’une manière
générale, ne peut exercer sa compétence à l’égar d d’actes qui se sont produits avant que la Serbie
n’existe en tant qu’Etat, c’est–à-dire à l’égard d’actes antérieurs au 27 avril 1992.
98. De plus, j’ai aussi montré que la Serbie avait exécuté son obligation de coopérer avec le
TPIY en ce qui concerne les personnes accusées de crimes commis en Croatie. Permettez-moi
toutefois de rappeler une nouvelle fois qu’aucu ne de ces personnes n’a jamais été mise en
accusation par le TPIY pour génocide et que, par a illeurs, il n’existe aucune obligation découlant
de la convention sur le génocide soit de remettre des personnes à un autre Etat, soit de les traduire
en justice pour des actes de génocide qui auraient été commis à l’étranger.
99. La Serbie a aussi pleinement coopéré avec la Croatie en ce qui concerne le sort des
personnes disparues. En outre, les deux Etats sont convenus de régler la question par des contacts
directs, et la demande présentée à cet égard, qui ne pourrait de toute manière s’appliquer qu’aux
personnes portées disparues du fait d’actes de génocide, est irrecevable.
100. Enfin, la demande de restitution de biens culturels n’entre pas dans le champ
d’application de la convention sur le génocide. En outre, elle est aussi devenue sans objet parce
que la Serbie a déjà restitué les biens culturels en cause à la Croatie.
Je vous remercie de votre attention.
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Zimmermann. Je donne la parole à
M. Varady.
M. VARADY : Je vous remercie.
OBSERVATIONS FINALES
1. Madame le président, Messieurs de la Cour, je voudrais maintenant porter à votre attention
un résumé des arguments que nous avons avancés ce matin et cet après-midi. Je vais commencer
par les arguments que vient tout juste d’exposer mon confrère, M. Zimmermann au sujet de notre
troisième objection préliminaire. - 28 -
2. M.Zimmermann a démontré que la Cour ne peut connaître d’un certain nombre de
demandes, non seulement parce qu’elle n’a pas compétence, mais aussi parce que ces demandes ne
sont pas recevables ou qu’elles sont théoriques. Elle ne peut connaître de la demande concernant la
«traduction en justice des responsables» parce que les agissements ⎯ ou l’inaction ⎯ allégués ne
sont pas visés, à la lecture même de l’article VI de la convention sur le génocide, par cette
32
disposition. Il faut noter que l’articleVI pr évoit une obligation de coopération concernant les
personnes accusées de génocide ⎯ et nul n’a été accusé par le TPIY pour des actes de génocide qui
auraient été commis en Croatie. En outre, la demande est théorique, puisque la Serbie a coopéré
avec le TPIY au sujet de personnes inculpées de crim es commis en Croatie. La Serbie a transféré
12 inculpés sur 13, ou elle a coopéré à leur transfert.
3. En ce qui a trait aux personnes portées disparues, il est vrai que l’on ne les a pas toutes
retrouvées ⎯ et cela vaut pour les Croates et les Serbes. On ne peut probablement pas s’attendre à
un taux de réussite de100% quand il y a eu un conflit armé. Il est aussi vrai, cependant, que la
Croatie et la Serbie coopèrent sans problèmes en ce qui concerne les personnes portées disparues.
On a signé des ententes dont le but déclaré était de «régler le problème des personnes disparues».
Il y a eu des résultats importants. Nul dout e que les dispositifs actuels sont susceptibles
d’amélioration, mais cela n’a aucun rapport avec l’engagement d’une action en vertu de la
convention sur le génocide.
4. Les mêmes considérations valent en ce qui concerne les biens culturels. Manifestement,
ceux-ci doivent être rendus à leur s légitimes propriétaires. Cepend ant, je voudrais dire aussi que,
vu les faits, il y a eu des progrès considérables de puis le moment du dépôt de sa requête par la
Croatie. Par exemple, pour ne parler que de la période alla nt de2001 à2007, 25199objets
constituant des biens culturels ont été rendus à la Croatie par la Serbie. Les deux pays coopèrent.
Je tiens à être clair: je dois dire que tout cela est douloureux, et il est aussi honteux que les
destructions causées par le conflit aient aussi touc hé le patrimoine culturel. Je n’ai nullement
l’intention de minimiser le problème, à fortiori de nier sa gravité. Mais là encore, tout cela ne
relève pas de la procédure prévue par l’article IX de la convention sur le génocide. - 29 -
5. J’en arrive à la deuxième objection préliminaire. Je voudrais rappeler que la naissance du
défendeur remonte au 27avril1992. Par cette obj ection, le défendeur fait valoir essentiellement
que la compétence la Cour ne peut s’étendre à une période qui précède la naissance de celui-ci.
Premièrement, la compétence conférée par l’articleIX de la convention sur le génocide ne peut
s’étendre à des faits qui ont eu lieu avant que les parties au différend ne deviennent liées par cette
disposition. En outre, même si cette compétence pouvait être étendue à des faits qui ont eu lieu
avant que l’Etat intéressé ne soit lié par celle-ci ⎯ ce qui n’est pas le cas ⎯ elle ne peut s’étendre à
des faits qui ont eu lieu avant qu’il ne devienne un Etat.
33 6. Madame le président, notre position est que le défendeur n’est lié par la convention sur le
génocide que depuis2001, et qu’il n’a jamais été lié par l’articleIX. Si l’on devait déterminer à
quel moment, théoriquement, le défendeur a pu devenir partie à cette conve ntion, l’on ne saurait
retenir une date antérieure au 27avril1992. Le demandeur n’a pas fait valoir de date antérieure
non plus. Il s’agit là d’une hypothèse que nous contes tons vigoureusement. Pour les besoins de la
discussion, même si cet argument devait être retenu, il ne saurait justifier l’application rétroactive
de la convention sur le génocide à une période antérieure au 27 avril 1992.
7. Même si l’on devait retenir, pour les beso ins de la discussion, deux arguments qui ont été
réfutés (selon le premier, le défendeur est lié par la convention sur le génocide depuis
le27avril1992 et, selon l’autre, celle-ci est susceptible d’application rétroactive), la thèse
fondamentale du demandeur reste infondée. Les faits antérieurs à l’existence du défendeur ne sont
pas susceptibles de recours. Le demandeur cherche à surmonter cet obstacle en faisant valoir qu’il
y a une éventuelle exception pour les agissements du mouvement qui réussit à établir un nouvel
état. Le demandeur allègue que les faits relatifs à la dissolution de l’ex-Yougoslavie entre dans les
prévisions de l’article 10 des articles de la CDI sur la responsabilité des Etats.
8. Mais tel n’est pas le cas. Comme cela a été démontré par mon confrère,
M. Vladimir Djeric, le paragraphe 2 de l’article 10 des articles de la CDI sur la responsabilité des
Etats ne vise tout simplement les faits de la présente espèce. La Convention n’était pas en vigueur
en ce qui concerne le défendeur avant le 27avril1992 ⎯parce qu’il n’existait pas alors; et il ne
pouvait viser quelque mouvement que ce soit non plus, parce que seuls les Etats peuvent être
parties à la convention sur le génocide. En outre, les circonstances qui ont entouré la dissolution de - 30 -
l’ex-Yougoslavie ne sont même pas comparables à ce qui est visé par le paragraphe2 de
l’article10. Le cadre conceptuel est complètement différent. La RFY n’a pas été crée au terme
d’un processus de décolonisation, de sécessi on, ou à la suite du succès d’un mouvement
insurrectionnel ou révolutionnaire. En guise de conclusion, il est tout simplement impossible de
soutenir que la compétence de la Cour ⎯à supposer d’ailleurs qu’elle soit compétente à quelque
titre que ce soit ⎯ s’étende à des faits antérieurs au 27 avril 1992.
9. Madame le président, je voudrais maintenant passer à notre première objection
préliminaire, qui est notre objection fondamentale. La portée de celle-ci n’est pas limitée à des
demandes ou à des périodes spécifiques. Notre conviction est que la Cour n’a pas compétence en
34 la présente espèce. Comme nous l’avons exposé, notre objection principale relative à la
compétence repose sur deux éléments principaux: premièrement, le défendeur n’a pas été le
continuateur de l’ex-Yougoslavie, que ce soit sur le plan de la personnalité étatique ou sur celui des
traités, et deuxièmement, il n’était pas membre des NationsUnies (et n’était pas partie au Statut)
avant le 1ernovembre 2000. Nous avons aussi signalé que ces faits sont maintenant généralement
acceptés, en nous appuyant sur les observations de la Cour, des autorités des NationsUnies
compétentes et des parties elles-mêmes.
10. Madame le président, le défendeur n’éta it pas membre des NationsUnies et n’était pas
er
partie au Statut avant le 1 novembre2000. Il faut donc en conclure que la Cour n’a pas
compétence en la présente espèce, pour deux raisons distinctes. Premièrement, elle n’a pas
compétence parce que le défendeur, qui n’était pas partie au Statut, n’était pas admis à ester devant
la Cour au moment où la requête a été présentée. Le Statut énonce les droits et obligations des
parties à cet instrument, ainsi que les champs de compétences de la Cour à leur égard. Le
défendeur n’était pas visé par l’ensemble des dro its et obligations pertinents et des critères de
compétence lors du dépôt de la requête. La Cour n’a pas non plus été valablement saisie puisque,
au moment du dépôt de la requête , l’une des parties au différend ⎯ et donc le différend ⎯ n’était
pas dans son champ juridictionnel.
11. En outre, il n’y a pas compétence, car il n’y a pas de fondement de compétence. En la
présente espèce, la seule question qui se pose est celle des liens entre le défendeur et la convention
sur le génocide. Notre réponse est sans ambiguïté. - 31 -
12. La RFY a bien essayé de perpétuer la pe rsonnalité de l’ex-Yougoslavie, et elle a dit
clairement qu’elle serait le continuateur de celle-ci à tous égards, notamment en ce qui concerne la
qualité de Membre des NationsUnies et de t outes les organisations internationales et la
participation aux traités. Cepe ndant, la question de la qualité de Membre des NationsUnies,
d’autres organisations internationales et de partie à des traités ne peuvent être réglées par la simple
application du principe de la continuité de l’Etat. Sinon, plus d’Etats encore pourraient prétendre à
la qualité de continuateur ; le chaos régnerait si des affirmations de ce genre devaient aboutir à la
reconnaissance automatique de la qualité de membre des nouveaux Etats.
13. Afin d’expliciter la différence entre les a ffirmations de continuité qui ont été rejetées ou
retenues, le mieux est, par exemple, de comparer les différents sorts qui ont été réservés à
l’affirmation de la RFY et à celle de la Serbie. En2006, après la dissolution de la Serbie et du
Monténégro, la Serbie a fait une affirmation de continuité ⎯tout comme l’avait fait la RFY
35 en1992. Dans les deux cas, on invoquait avec insistance le principe de la continuité, et les
organismes des NationsUnies et les organismes internationaux ont effectivement compris que ce
principe était en cause. Cependant, le Mont énégro, ni personne d’autre, n’ont contesté
l’affirmation de la Serbie en 2006. Elle a été si gnée par le président de la République de Serbie et
45
confirmée par une lettre du ministre de s affaires étrangères serbe du 16juin2006 . En outre, le
Secrétaire général a réagi à ces lettres le 20juin2006, et insisté sur le fait qu’il réagissait «en
qualité de dépositaire des traités multilatéraux», et demandait des précisions. Le Secrétaire général
a demandé au ministre des affaires étrangèr es serbe de signer «dans les meilleurs délais»
[traduction du greffe] une lettre confirmant que
«toutes les formalités liées aux traités accomplies par Serbie-et-Monténégro resteront
en vigueur à l’égard de la République de Serbie avec effet au 3juin 2006. Par
conséquent, la République de Serbie main tiendra toutes les déclarations, réserves et
notifications faites par la Serbie-et-Monténégro jusqu’à notification contraire adressée
au Secrétaire général en sa qualité de dépositaire.»
45
Ces lettres sont citées dans llettre de la Cour du 19juillet quia été envoyée à la Croatie et à la
Serbie-Monténégro. - 32 -
Ultérieurement, le 30juin2006, le ministre d es affaires étrangères serbe a envoyé une lettre au
46
Secrétaire général dont le libellé éta it exactement celui qu’avait proposé celui-ci . L’affirmation
de continuité de2006 a été acceptée. La Serbie n’était pas tenue de donner notification de
succession ou d’accession à des traités spécifiques, elle était simplement la continuatrice de la
Serbie-et-Monténégro en matière de traités. Ce la ressort clairement de la base de données de la
collection des traités des NationsUnies, où il est indiqué que «dans tous les instruments publiés
dans les traités multilatéraux auprès du Secrétaire général, la dénomination «République de Serbie»
47
devait désormais être utilisée à la place de l’appellation «Serbie-et-Monténégro»» [traduction du
Greffe].
14. Par contraste, l’affirmation de continuité figurant dans la déclaration et la note de1992
n’a pas été signée par les autorités compétentes. Elle n’a pas été adressée au Secrétaire général en
qualité de dépositaire. Elle n’a pas fait l’objet de communications entre le dépositaire et les
organes compétents de la RFY. Elle contena it un énoncé de politique en ce qui concerne le
principe de la continuité, qui n’était pas suffisamment spécifique, même pour une déclaration de
continuité (ce qu’elle était censée être), à fortiori pour une notification de succession (ce qu’elle
36 n’était pas). En outre, tous les Etats successeurs, et presque toute la communauté internationale,
s’y sont opposés. L’affirmation de continuité de 1992 fut rejetée.
15. Madame le président, les affirmations de continuité doivent être acceptées pour qu’elles
soient efficaces. Nul ne conteste aujourd’hui que l’ affirmation de continuité de 1992 a été rejetée.
Cette démarche s’est soldée par un échec. Puisque nul effet ne découle de la déclaration et de la
note de1992, qui doivent être considérées comme des affirmations de continuité, le demandeur
tente de les faire passer pour ce quelles ne sont pas. Cependant, cela n’est tout simplement pas
possible.
46Base de données de la Collection des traités multilatéraux des Nations Unieaités multilatéraux déposés
auprès du Secrétaire général, dernière mise à jour au 15novembre2007, Info rmation de nature historique, dont voici le
lien : www.untreaty.un.org/ENGLISH/bible/englishinternetbible/historicalinfo.a….
47Note d’information du 21 juin 2006 concernant la Serb ie-et-Monténégro, base de données de la Collection des
traités multilatéraux des Nations Unies. - 33 -
Vpoilrquoi ⎯comme cela a été mentionné plus tôt aujourd’hui ⎯ l’invocation par
le demandeur des documents de 1992 est vague et embryonnaire. Dans le mémoire, il y a
l’observation dans une note de bas de page selon laquelle la note de 1992 «peut être traitée comme
une notification de succession à la convention sur le génocide», et on ne peut que la rapprocher de
celle qui figure dans les observations écrites sel on laquelle la déclaration «confirm[ait]» que la
RFY était liée par la convention «depuis qu’elle est devenue l’un des cinq Etats successeurs
égaux»; toutes deux sont sans fondement. Les de ux arguments sont totale ment contredits par
l’évolution concrète des événements, et le sort qui a été réservé au défendeur en ce qui concerne les
traités. Je me permets d’ajouter aussi que c’est le demandeur lui-même qui contredit ces deux
arguments.
17. Madame le président, je voudrais maintenant démontrer que la Croatie a bel et bien et
sans ambiguïté rejeté l’idée que l’on pouvait interp réter la déclaration et la note de1992 de telle
sorte que le défendeur était partie aux traités ou membre d’organisations internationales. La
Croatie n’a pas dit que ces documents pouvaient être réinterprétés de sorte qu’ils aient un effet.
Elle a dit catégoriquement que ces documents n’av aient absolument aucun effet. Je voudrais me
référer à la lettre du 16 février 19948, émanant du représentant permanent de la Croatie auprès des
Nations Unies et adressée au Secrétaire général. M. Zimmermann s’est déjà référé à cette lettre et
celle-ci figure dans les dossiers des juges, à l’onglet3. Elle commence par insister sur le fait
qu’elle est adressée au Secrétaire généra l «en qualité de dépositaire des conventions
internationales», et elle dével oppe une position de principe concernant la déclaration et la note
de 1992. Cette lettre fait valoir que la déclaration et la note de 1992 ne pouvaient absolument pas
aboutir à la continuation des traités, une idée qui ét ait catégoriquement rejetée. A la page1, au
37 troisième paragraphe, la Croatie cite des passages de la déclaration de 1992 et de la note de 1992,
selon lesquels, conformément au principe de la c ontinuité, la RFY continuera à assumer les droits
et les obligations de l’ex-Yougoslavie «y compris en ce qui concerne son appartenance à toutes les
organisations internationales et sa participation à tous les traités internationaux».
48
Lettre en date du 16février1994 émanant du représenta nt permanent de la Croatie auprès des NationsUnies
adressée au Secrétaire général, doc. S/1994/198 des Nations Unies (19 février 1994). - 34 -
18. Dans la phrase de cette lettre qui suit immédiatement le passage cité (vous pouvez suivre
cela à la page1, paragraphe4), la Croatie rejette sans ambages cette idée. Selon les termes du
représentant de la Croatie :
«La République de Croatie s’élève énergiquement contre le
fait que la
République fédérative de Yougoslavie (Ser bie et Monténégro) prétend assurer la
continuité de l’État et de la personnalité juridique et politique internationale de
l’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie.»
19. A la page 3, dans l’avant-dernier paragraphe de la lettre, la Croatie explique même ce qui
pourrait assurer la continuité relativement aux traité s (au lieu d’une déclaration de continuité) et
elle dit clairement que seule une manifestation de volonté en bonne et due forme peut être acceptée
à cet égard. Je cite à nouveau la lettre :
«[S]i la République fédéra tive de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) notifiait
son intention, en ce qui concerne son territoire, d’être considérée partie, en vertu de sa
succession à la République fédérative socialis te de Yougoslavie, aux traités conclus
par l’État prédécesseur à compter du 27avril1992, date à laquelle la République
fédérative de Yougoslavie (Serbie et Mont énégro), en sa qualité de nouvel État, a
assumé la responsabilité de ses relations in ternationales, la République de Croatie
honorerait pleinement cette notification de succession.» 49
20. Madame le président, la position prise par la Croatie ⎯ et par presque toute la
communauté internationale ⎯ s’est imposée, et le défendeur a manifesté sa volonté, comme il le
devait, au sujet de traités spécifiques. Ces mani festations ont été dûment notées et reconnues. Il
est tout simplement impossible de revenir maintenant sur une tentative qui a abouti à un échec clair
et net. Il est tout simplement impossible de tenter, d’une manière ou d’une autre, de rétablir une
«appartenance à toutes les organisations internati onales et [une] participation à tous les traités
internationaux» en se fondant sur la déclaration et la note de1992 ⎯et de leur donner effet
relativement à un seul traité choisi par le demande ur. Les choses se sont déroulées différemment.
Le défendeur est devenu membre d’organisations internationales ⎯ notamment des
Nations Unies ⎯ en posant ses candidatures, qui ont été acceptées; et il est devenu partie à des
traités spécifiques par des notifications de succession ou d’accession, qui ont été dûment acceptées.
Voilà comment le défendeur a fini par être lié pa r la convention sur le génocide en2001, tout en
formulant une réserve valable à l’articleIX. En la présente espèce, la compétence de la Cour ne
peut être fondée sur cette disposition.
49
Ibid. - 35 -
38 21. Madame le président, Messieurs de la Cour, notre thèse principale est que la Cour n’a pas
compétence parce que le défendeur n’était pas admis à ester devant elle au moment pertinent, et
qu’il n’existe nul fondement à la compétence de ce lle-ci. Nous avons aussi démontré que même si
la Cour avait compétence, ce qui n’est pas le cas, e lle ne pourrait s’étendre à des faits antérieurs à
la date de naissance du défendeur ⎯ et elle ne pourrait s’étendre aux demandes sur lesquelles nous
nous sommes exprimés dans notre troisième objection préliminaire.
Voilà qui conclut notre exposé aujourd’hui. Je vous remercie de votre attention.
Le PRESIDENT: Merci, MonsieurVarady. Voilà qui met fin à la séance d’aujourd’hui et
conclut le premier tour de plaidoiries de la Serbie . La Cour se réunira à nouveau demain à 16 h 30
pour entendre le premier tour de plaidoiries de la Croatie.
L’audience est levée.
L’audience est levée à 16 h 20.
___________
Traduction