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Uncorrected Translation
RU
CR 2008/19 (traduction)
CR 2008/19 (translation)
Mercredi 3 septembre 2008 à 10 heures
Wednesday 3 September 2008 at 10 a.m. - 2 -
10 The PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte et nous allons entendre la
suite du premier tour de plaidoiries de la Roumanie ; la parole est à M. Crawford.
M. CRAWFORD :
IV. LES CÔTES ET LA ZONE PERTINENTES
(SUITE )
1. Madame le président, Messieurs de la Cour , hier, j’ai analysé l’approche que la Cour a
adoptée dans des affaires antérieures en ce qui concer ne les côtes pertinentes. Dans cette seconde
partie de mon exposé, j’aborderai la présente controverse.
Les côtes et la zone pertinente aux fins du présent différend
[Projection n 10: les lignes revendiquées par les Parties et la ligne d’équidistance/médiane entre
les côtes continentales.]
2. Vous pouvez à présent voir représentées à l’écran les lignes revendiquées respectivement
par les Parties, ainsi que la ligne d’équidistan ce entre les côtes continentales; cela correspond à
l’onglet IV-11 du dossier de plaidoiries. Le premie r point à souligner est que les côtes pertinentes,
ici, sont en partie adjacentes et en partie face à face. La frontière terrestre entre les Parties se
termine au delta du Danube. Dans ces conditions, les côtes respec tives des Parties faisant face à
l’est, le long du delta, sont manifestement pertinentes: elles font directement face à la zone à
délimiter, elles donnent lieu à un chevauchement de droits dans cette zone et elles génèrent des
points de base pour une ligne d’équidistance provisoire par rapport aux côtes continentales.
3. La ligne d’équidistance/médiane provisoire reflète cette distinction entre côtes se faisant
face et côtes adjacentes. J’ai déjà mentionné le pointT. A l’ouest du pointT, la ligne
d’équidistance provisoire est déterminée par des points situés sur les côtes adjacentes des Parties le
long du delta du Danube; au-delà du pointT, la ligne médiane provisoire est déterminée par des
points situés sur les côtes des Parties se faisant face.
4. En ce qui concerne les côtes se faisant face, le littoral de la Crimée, en Ukraine au sud du
cap Tarkhankut, est manifestement pertinent ⎯ il fait face lui aussi à la zone de délimitation, donne
lieu à un titre chevauchant avec celui qui est déterminé par la côte roumaine opposée ⎯ - 3 -
Le PRESIDENT: Monsieur Crawford, je su is désolée de déjà vous interrompre mais
j’apprends que les interprètes vous sauraient gré de poursuivre plus lentement.
M.CRAWFORD: Je suis désolé. Je m’y appliquerai. ⎯et génère les points de base, du
11
côté ukrainien, pour la construction de la ligne médiane. Lorsqu’ on participe à un marathon, il est
prudent de commencer lentement !
Le PRESIDENT : Et de poursuivre lentement !
M. CRAWFORD : Du côté roumain, la côte pertinente est tout le littoral roumain, depuis la
frontière avec l’Ukraine au nord, au delta du Danube , jusqu’à la frontière terrestre avec la Bulgarie
au sud, près de Vama Veche, dont l’intégralité se projette dans la zone pertinente déterminée par
les côtes se faisant face.
[Fin de la projection no 10.]
5. Dans la duplique, l’Ukraine objecte que la distinction est artificielle, qu’elle ne tient pas
1
compte de l’île des Serpents et qu’elle revient à compter deux fois le littoral roumain . Je
répondrai à ces trois objections.
6. Premièrement, en ce concerne le caractère artificiel de la distinction, si tel est le cas, alors
il s’agit là d’une distinction artificielle que l’Ukraine a expressément acceptée. Je rappelle l’accord
additionnel de 1997, dont le paragraphe 4 b) imposait aux parties d’appliquer :
«le principe de la ligne d’équidistance dans les zones à délimiter lorsque les côtes sont
adjacentes et le principe de la ligne médiane lorsque les côtes se font face»
[«the principle of the equidistance line in areas submitted to delimitation where the
coasts are adjacent and the principle of the median line in areas where the coasts are
opposite»].
A l’évidence, les parties envisag eaient, premièrement, qu’elles devraient distinguer «les zones à
délimiter lorsque les côtes sont adjacentes» [«areas submitted to delimitation where the coasts are
adjacent»] de celles où «les côtes se font f ace» [«areas where the coasts are opposite»] et,
deuxièmement, qu’elles appliqueraient en conséquence soit le principe de «la ligne d’équidistance»
[«the equidistance line»], soit celui de «la ligne médiane» [«the median line»].
1
Voir la duplique de l’Ukraine (DU), par. 4.57-4.64. - 4 -
7. De surcroît, cette distinction a toujours été reconnue en délimitation maritime et il se
trouve en effet que l’Ukraine la reco nnaît dans sa législation intérieure 2. Chacun des articles
pertinents de la Convention de 1982 concernant la délimitation mentionne expressément les «Etats
dont les côtes sont adjacentes ou se font face » [«States with opposite or adjacent coasts»]:
article15 (mer territoriale), article74 (zone économique exclusive) et article83 (plateau
3
continental). C’était également le cas des conventions de Genève de 1958 . Comme l’a conclu la
12 4
Cour permanente d’arbitrage dans l’affaire Anglo-française, il n’y a pas de troisième catégorie ,
c’est-à-dire de situation géographique où la délimita tion est à effectuer entre des côtes qui ne sont
5
ni adjacentes ni face à face . En conséquence, dans cette affair e, le Tribunal arbitral a considéré
que les côtes des deux parties dans la Manche se faisaient face (malgré la présence des îles
anglo-normandes), mais qu’elles devaient être considérées comme se trouvant davantage dans une
6
relation d’adjacence s’agissant de la délimitation dans l’océan Atlantique .
8. La deuxième objection de l’Ukraine revient à dire qu’il n’est pas tenu compte de l’île des
7
Serpents dans la détermin ation des côtes pertinentes . Il y a à cela plusieurs réponses qui se
renforcent mutuellement et que nous vous présenterons au cours des prochains jours. Mais ce sont
les côtes et les zones pertinentes qui me préo ccupent dans l’immédiat, et il est courant de
déterminer celles-ci sans tenir compte des petites formations se trouvant au large, comme l’a fait la
Cour, par exemple, dans le c as l’îlot Filfla dans l’affaire Libye/Malte ( Plateau continental
(Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J.Recueil1985 , p.50, par.68. Je ferai simplement
observer qu’il n’est pas contesté que l’île des Serpents se trouve dans la zone pertinente à délimiter.
Si elle n’y était pas, nous n’aurions pas de problème. En fait, si nous voulions ajouter à la longueur
totale des côtes indiquées par l’Ukraine, soit 1058 ki lomètres, les «côtes» sud de l’île des Serpents,
2
Contre-mémoire de l’Ukraine (CMU), annexe 47.
3 Convention sur le plateau continental, Genève, 29avril1958, NationsUnies, Recueil des traités , vol.499,
p.312, art.6; Convention sur la mer territoriale et zone contigüe, Genève, 29 avril 1958, Nations Unies, Recueil des
traités, vol. 516, p. 205, art. 12.
4 Délimitation du plateau continental entre le Royaume- Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la
République française, décision du 30juin1977, Nations-U nies, Recueil des sentences arbitrales, vol.XVIII , p.118-119,
par. 237.
5 Ibid., p. 63-65, par. 89-94 ; p. 105, par. 206.
6 Ibid., p. 125, par.253 ; Cf. p. 120, par. 242.
7 DU, par. 75-79. - 5 -
cela représenterait 450 m supplémentaires, c’est-à-dir e 0,0004 pour cent de la longueur totale, une
différence mesurée à la quatrième décimale. Cela donne une idée de l’exiguïté de la formation
⎯mais n’ajoute rien à l’équati on des côtes pertinentes. L’île des Serpents n’était pas
non plus,
bien entendu, incluse comme point de base dans la liste des coordonnées de la mer territoriale
présentée par l’Ukraine en application de l’article 16 de la convention de 1982 8.
9. La troisième objection de l’Ukraine revient à dire que la Roumanie compte deux fois son
littoral, une fois aux fins de déterminer les côtes adjacentes et une fois aux fins de déterminer les
côtes se faisant face. Mais dans ces conditions, bien sûr, la même côte est souvent comptée deux
fois. La façade maritime roumai ne génère une frontière maritime latérale par rapport à la côte
ukrainienne du Danube adjacente, et une frontiè re maritime opposée par rapport à la côte de
13 Crimée. La lecture des arguments de l’Ukrain e donne l’impression d’une côte roumaine épuisée
par l’épreuve d’une simple délimitation, et ne pouvant supporter les attaques de nouvelles côtes.
Mais les côtes ne s’épuisent pas de cette manière. Si ⎯et s’il s’agit là strictement d’une
hypothèse ⎯ la péninsule de Crimée faisait toujours partie de la Fédération de Russie, alors la côte
roumaine ferait face à la côte russe et serait adjacente à la côte ukrainienne. La situation n’est pas
différente lorsque les côtes dépendent d’un seul souverain.
o
[Projection n 11: exemple comparatif des côtes per tinentes/non pertinentes dans l’affaire
Tunisie/Libye et dans l’affaire Libye/Malte.]
10. Faisons une autre hypothèse. Supposons que Malte et la Tunisie forment un seul Etat ; la
carte projetée à l’écran se trouve sous l’ongletIV-12 du dossier de plaidoiries. Dans cette
hypothèse, pourrait-on sérieusement contester que la côte libyenne pertinente à l’ouest de Ras
Tajoura est à prendre en considération aux fins de la délimitation de la frontière sur la base de la
côte adjacente du continent tunisien, comme vous l’avez établi dans Libye/Tunisie, et qu’en même
temps, toute la côte depuis Ras Ajdir jusqu’à au moins Ras Zarruq, y compris le même secteur
jusqu’à Ras Tajoura, est pertinente aux fins de déterminer la frontièr
e sur la base de la côte opposée
de Malte, comme l’avez établi dans l’affaire Libye/Malte? Une telle appr oche ne donne lieu à
aucun «compte double» du segment de côte qui est commun aux deux délimitations.
[Fin de la projection n o11.]
8
Voir la réplique de la Roumanie (RR), par. 8.11-8.16. - 6 -
11. En bref ⎯et cela semble évident ⎯ il y a dans cette affaire des côtes pertinentes
adjacentes et des côtes pertinentes se faisant face.
12. J’aborde à présent l’identification de ces côte s, et je commencerai par le littoral roumain,
qui est beaucoup plus simple que celui de l’Ukraine.
[Projection n 12 : la côte roumaine.]
13. En ce qui concerne le secteur de la ligne d’équidistance établie sur la base des côtes
adjacentes, la côte roumaine consiste en deux segments distincts. Comme vous pouvez le voir à
l’écran, ainsi que sous l’ongletIV-13, à partir de la frontière avec l’Ukraine, la côte roumaine
s’étend généralement en direction du sud sur une distance d’environ 70kilomètres jusqu’à la
péninsule de Sacalin. Les seules formations importantes sur ce littoral sont la digue de Sulina et
l’embouchure du bras du Danube Saint-George, qui se trouve juste au nord de la péninsule de
Sacalin. La péninsule de Sacalin forme la limite méridionale de ce segment de la côte roumaine.
14 C’est un promontoire étroit, comme vous l’avez vu hi er. Après cette péninsule, la côte s’oriente
vers l’ouest et suit cette direction jusqu’au lac Razim, un lac saumâtre séparé de la mer par une
bande de terre étroite. La côte prend ensuite peu à peu la direction du sud, qu’elle garde
généralement jusqu’à la frontière terrestre avec la Bulgarie, au sud de Vama Veche. Cette partie de
la côte roumaine constitue un autre segment.
14. Il n’y a aucune raison de tenir compte de la côte roumaine au sud et à l’ouest de la
péninsule de Sacalin s’agissant du secteur régi par les côtes adjacentes. Alors que le segment de
70 kilomètres de côte roumaine sur le delta est qu asiment orienté plein est, le littoral situé plus au
sud est généralement orienté sud-ouest, tout comme le littoral de la Crimée qui lui fait face est
généralement orienté sud-est. V ous vous rappelez que la Cour n’a pas tenu compte de la côte
tunisienne au nord de Ras Kaboudia dans l’affaire Tunisie/Libye, Ras Kaboudia marquant un
changement d’orientation du littoral qui, passé ce point, tournait le dos da vantage qu’il ne faisait
face à la zone à délimiter. Il en va de même ici. L’affaire Tunisie/Libye était pareillement une
affaire de côtes adjacentes.
o
[Fin de la projection n 12.]
[Projection n 13 : les côtes des Parties se faisant face.] - 7 -
15. En revanche, comme vous pouvez le voir à l’ écran, et sous l’onglet IV-14, toute la côte
roumaine est en relation d’opposition par rapport à la rapport à la côte de la péninsule de Crimée au
sud du cap Tarkhankut, qui fait face au sud-ouest, ce qui génère entre ces deux côtes un espace où
se chevauchent des droits éventuels à une zone économique exclusive. La distance entre Vama
Veche et le cap Sarych est de 226 milles. L’inté gralité du littoral roumain est pertinente en regard
de la côte de la péninsule de Crimée qui lui fait face.
16. En ce qui concerne la côte ukrainienne, no s collègues de la Partie adverse ont fait preuve
d’une imagination cartographique débridée. Il fa ut toutefois reconnaître qu’ils avaient du pain sur
la planche. Tout du long, la côte ukrainienne est profondément échancrée par d’importants golfes
et bras de mer. Le golfe de Kalamits’ka ne pose pas de problème particulier mais d’autres, tout
particulièrement le golfe de Karkinitsk’a, soulève des difficultés de taille.
o
[Fin de la projection n 13.]
[Projection n 14 : les segments de la côte ukrainienne.]
17. A l’écran apparaît à présent la côte de l’Uk raine qui est adjacente à celle de la Roumanie
—cela figure sous l’ongletIV-15 de vos dossiers. Voyons d’abord le segment de côte adjacente
qui longe la partie du delta du Danube appartenant à l’Ukraine. Nous l’avons appelé «segment 1».
Sa pertinence est incontestable.
15 18. Immédiatement au nord se succèdent, en en filade, des lacs côtiers coupés de la mer par
d’étroites bandes de terre — un phénomène commun autour de la mer Noire. La côte fait alors face
au sud-est et génère des zones de chevauchement de titres maritimes. Le segment2, qui s’étend
jusqu’au pointS, situé à l’entrée de l’estuaire du Dniestr, est, sans conteste, tout aussi pertinent
pour la délimitation.
19. La critique, par l’Ukraine, de la préte ndue suppression de côtes ukrainiennes, se rapporte
plutôt au segment 3, tel qu’exposé par la Roumanie, que vous apercevez à présent à l’écran — c’est
le segment côtier qui part de l’estuaire du Dniestr et qui s’étend vers le nord-est en direction
d’Odessa, là où la côte s’infléchit davantage vers l’est.
20. Naturellement, notre analyse ne porte pour le moment que sur la délimitation sur la base
de côtes adjacentes. Pour pouvoir mieux apprécier la situation, nous considérons à présent les
façades côtières qui, pour ainsi dire, sont orientées directement vers le large, sans la moindre côte - 8 -
en face. Franchement, je ne vois pas la pertinen ce, en tant que côte adjacente, ni de la côte
roumaine à l’ouest et au sud-ouest de la péninsule de Sacalin, ni de la côte ukrainienne au nord de
l’estuaire du Dniestr. Ces côtes tournent le dos à la zone située au large du delta du Danube qui est
celle qui compte pour la délimitation. Supposons également, pour les besoins de l’argumentation,
que la péninsule de Crimée appartienne encore à la Fédération de Russie et que la frontière terrestre
entre l’Ukraine et la Russie se trouve juste au nord d’Odessa, de sorte que tout ce qu’il incomberait
à la Cour de faire dans le différend entre la Roumanie et l’Ukraine serait de délimiter la frontière
entre leurs côtes adjacentes. Pourrait-on alors vrai ment dire que la côte ukrainienne aux alentours
d’Odessa a la moindre importance à cet égard, de même que la côte roumaine aux alentours de
Constanţa, située approximativement à la même distance du point terminal de la frontière
terrestre ? Sur quelle base pourrait-on dire que le segment côtier 3, qui est beaucoup plus éloigné,
puisse faire la moindre différence en ce qui concerne la délimitation entre des côtes adjacentes ? Il
s’infléchit davantage vers le nord, tourne le dos à la zone à délimiter, et sa projection ne chevauche
aucun titre généré par la côte roumaine. Il est aussi , comparativement, beaucoup plus éloigné de la
zone à délimiter que ne le sont d’autres segment s de la côte de l’Ukraine qui —en vertu du
principe de proximité comparative — sont pertinents.
21. Permettez-moi d’exposer la même idée autr ement. Dans la partie située à l’extrême
nord-ouest de la merNoire, le segment3 fait di rectement face aux golfes de Crimée. Il n’y a
simplement pas de chevauchement de titres potentiels générés par le segment 3 de l’Ukraine et les
16
70km de la côte roumaine situées au sud de la frontière, qui sont considérés comme des côtes
potentiellement adjacentes.
22. Le cas est comparable à celui qu’a examiné la Cour dans l’affaire Tunisie/Libye; et je
reprends les termes qu’elle a employés dans ladite affaire pour préciser que :
«sur la côte de chacune des deux parties, l’existence d’un point au-delà duquel ladite
côte ne peut plus avoir de lien avec les côtes de l’autr e partie aux fins de la
délimitation des fonds marins. Au-delà de ce point, les fonds marins au large de la
côte ne peuvent donc pas constituer une z one de chevauchement des extensions du
territoire des deux parties et, de ce fait, n’ont aucun rôle à jouer dans la délimitation.»
(Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya ar abe libyenne), arrêt, C.I.J.Recueil1982,
p. 61-62, par. 75.)
[«there comes a point on the coast of each of the two Parties beyond which the coast
in question no longer has a relationship with the coast of the other Party relevant for - 9 -
submarine delimitation. The sea-bed areas off the coast beyond that point cannot
therefore constitute an area of overlap of the extensions of the territories of the two
Parties, and are therefore not relevant to the delimitation.»]
Pour vérifier si tel est le cas — exercice pour leque l il faut savoir faire preuve de discernement, les
mathématiques ne suffisant pas—, il faut tenir comp te de la configuration et de l’orientation des
côtes et de la distance qui les sépare du lieu considéré.
23. Pour ces raisons, ce que nous avons appelé «segment 3» de la côte ukrainienne n’est pas
pertinent pour la délimitation des côtes adjacentes. Je reviendrai ultérieurement sur cet aspect, dans
le contexte des côtes qui se font face.
24. Cela dit, fidèle au principe qui a consis té pour nous jusqu’ici à aller du connu vers le
moins connu, je vais examiner la côte ukraini enne de Crimée qui se trouve en face, au sud du
cap Tarkhankut. Il est incontestable que celle-ci est en opposition avec la côte roumaine qui lui fait
face —et, plus au nord, avec la côte ukrainienne qui lui fait face. Nous l’avons appelé
«segment 8».
25. Mais il semble évident que le segment suivant, auquel nous avons donné le numéro7,
n’est pas pertinent. C’est la côte septentrionale de la péninsule de Crimée. Elle est orientée vers le
nord-ouest. La côte qui lui fait face se trouve de l’ autre côté du golfe deKarkinitsk’a. Elle est
située vis-à-vis des échancrures profondes du golfe et pas du tout vis-à-vis de la zone de
délimitation. Pourtant, l’Ukraine persiste à vouloir l’inclure dans le tronçon côtier pertinent. Nul
doute que les conseils de l’Ukraine nous diront de quelle manière cette côte, essentiellement
orientée vers le nord, située loin de la zone de délimitation, et sans aucun rapport avec cette
dernière, pourrait être pertinente.
17 26. La situation est sensiblement différente de celle de l’affaire du Golfe de Maine invoquée
par l’Ukraine. Si la frontière terrestre entre l’ Ukraine et la Roumanie —pour continuer ma série
d’hypothèses politico-géographiques— avait été situ ée quelque part aux environs de la ville
ukrainienne de Skadovsk, que vous apercevez à prés ent à l’écran, la côte qui se trouve en face, au
nord-est du capTarkhankut, à quelque 45milles de distance, aurait sans conteste été pertinente.
Mais ce n’est pas là que ce trouve la frontière. - 10 -
27. Ce qui vaut pour le segment 7 doit valoir aussi pour la majeure partie du segment 6 qui
est situé en face du segment7 dans le golfe deKarkinitsk’a. Il ne fait pas face à la zone très
éloignée de la ligne d’équidistance provisoire et il n’est, dirais-je, évidemment pas pertinent aux
fins de la présente espèce.
28. En ce qui concerne le segment3 proprement dit, que nous réexaminons à présent, il ne
fait manifestement face à aucune côte roumaine. En revanche, il se trouve partiellement en face du
segment5, et partiellement en face du segment7, c’est-à-dire la rive méridionale du golfe de
Karkinitsk’a. Le segment4 —court tronçon s itué au nord-est d’Odessa— lui non plus, ne fait
face ou n’est adjacent à aucune partie de la côte roumaine. En plus, par rapport à d’autres sections
de la côte ukrainienne qui sont incontestablement pertinentes, il est extrêmement éloigné de la zone
de délimitation. Si la côte située au sud d’Odessa n’est pertinente pour la délimitation sous aucun
des deux aspects —comme c’est assurément le cas—, alors il en va de même de la côte au
nord-est d’Odessa.
29. Cela nous laisse la partie occidentale du segment6 qui est orientée vers le large et non
vers une autre côte ukrainienne. Elle peut donc nous intéresser dans le cas présent. Mais il
convient de faire quatre remarques au sujet de ce seg ment. Premièrement, il est éloigné de la zone
pertinente — près de 120 milles marins. Deuxièmement, d’autres portions de la côte, en particulier
celles qui se trouvent au sud de la ligne reliant le point S et le cap Tarkhankut, se projettent sur la
zone à délimiter et sont beaucoup plus proches de celle-ci. Troisièmement, ce court tronçon côtier
est éclipsé par les segments1, 2 et8. Quatri èmement, ce segment ne présente aucune relation
particulière avec la côte roumaine ; il n’est ni situé en face ni adjacent.
o
[Fin de la projection n 14.]
30. Avant de conclure sur ces points, je vais dire quelques mots au sujet de la manière dont
l’Ukraine présente son propre littoral.
o
[Projection n 15: la projection de la côte ukrainienne telle que pr ésentée par l’Ukraine dans son
contre-mémoire (CMU, figure 3-4.]
31. Dans son contre-mémoire, l’Ukraine a inséré la figure3-4 qui réduit son littoral à
trois secteurs, dont les lignes de base ne présentent aucune relation étroite avec son littoral actuel ;
18 cette illustration se trouve sous l’onglet IV-16 du dossier de plaidoiries. Dans notre réplique, nous - 11 -
avons critiqué ce graphique à de nombreux égard, soulignant ses incohérences, son caractère
arbitraire, etc. Nous avons signalé, entre autres, que la flèche tracée à partir de la côte ukrainienne
orientée vers le sud s’étendait jusqu’à 223 milles marins 9.
[Fin de la projection n 15.]
o
[Projection n 16: la projection de la côte ukrainienne telle que présentée par l’Ukraine dans sa
duplique (RU, figure 4-4).]
32. Le croquis figurant sous l’onglet IV-17 illust re la deuxième tentative de l’Ukraine. Elle
y rectifie certaines erreurs qu’elle a faites lors de sa première tentative — la demande se limite à
présent à des zones couvertes par des arcs de 200 milles, par exemple. Mais elle démontre aussi la
futilité de ce type de représenta tion graphique dans le s zones relativement restreintes de la
mer Noire. Il convient de relever les points suivants :
1. Les arcs reposant sur les li gnes de base varient beaucoup —les angles correspondants varient
de 65° à environ 160°.
2. Les lignes de base à partir desquelles sont tracés deux des arcs (dans les secteurs central et
oriental) ne sont en rapport avec aucune des côtes proprement dites.
3. La base de l’arc central, située du côté occide ntal, qui revêt une importance capitale, est tracée
face à la côte, à de nombreux milles de celle-ci et d’une manière qui n’en reflète pas du tout la
morphologie.
4. Presque toute la côte du golfe de Karkinits’ka, ainsi que le segment côtier compris entre Odessa
et le golfe de Yahorlytska, ont été omis. Pourtant, l’Ukraine considère que ces segments côtiers
sont pertinents sur toute leur longueur aux fins de l’application de son critère de
proportionnalité : elle semble vouloir à la fois simp lifier le relief de son littoral et en conserver
toute la complexité !
5. Enfin, il ressort implicitement du graphique que peu importe la manière dont les côtes sont
analysées ou l’existence de relations particulières entre elles, et qu’il nous suffit de calculer par
ordinateur des arcs de 200 milles.
o
[Fin de la projection n 16.]
9RR, par. 3.41-3.46, et figure RR4. - 12 -
[Projection n 17: carte du bassin occidental de la merNoire présentant des projections sur
200milles marins, tracées d’une manière comparable à celle qu’a adoptée l’Ukraine pour sa
projection côtière.]
33. Mais bien entendu, si l’Ukraine veut se liv rer à ces petits jeux, nous serons deux. Parmi
les problèmes — et pas le moindre — que pose la mé thode de projection de l’Ukraine, c’est de ne
pas aller assez loin. J’ai déjà fait des observa tions sur les différentes caractéristiques de la
merNoire en tant que mer semi-fermée, dont pr esque chaque espace maritime se trouve dans la
limite des 200 milles de deux, trois, voire quatre Et ats côtiers. Le graphique qui apparaît à présent
à l’écran le montre; il se trouve sous l’ongletIV-18 du dossier de plaidoiries. Nous avons déjà
19 tracé, à l’ukrainienne, les projections des fronts côtiers sur 200milles sur tout le pourtour, en
respectant, à mon avis, plus fidèlement que l’Uk raine a pu le faire la géographie côtière de la
région située entre Odessa et le cap Sarych. Vous pouvez constater le désastre. Tout au plus, cela
illustre les problèmes de la délimitation dans des ea ux relativement fermées. Cela ne les résout en
rien.
[Fin de la projection n o17.]
o
[Projection n 18: carte du bassin occidental de la merNoire comprenant des projections de
200 milles marins à partir de la côte de la Roumanie.]
34. La même remarque peut être faite dans un cadre bilatéral, limité à la Roumanie et à
l’Ukraine. Une projection de 200 milles, tracée à l’ukrainienne à partir des fronts côtiers roumains
—que vous apercevez à l’écran et qui figure sous l’ongletIV-19—, couvre de vastes étendues
comprenant l’ensemble des eaux de la partie septe ntrionale du bassin occidental que la Roumanie
ne revendique pas. Si c’est là une manière d’identifier les côtes pertinentes et les zones pertinentes,
alors la formule a perdu son utilité.
o
[Fin de la projection n 18.]
35. Je passe aux zones pertinentes que j’ai définies —après analyse de votre
jurisprudence— comme étant les zones dans les quelles les projections des côtes pertinentes des
Parties génèrent un chevauchement de titres dans la région où la délimitation doit être effectuée, et
comme recouvrant les espaces maritimes auxquels doit s’appliquer la délimitation.
o
[Projection n 19: les différences entre les positions d es Parties sur la zone de délimitation
pertinente (sur la base de la figure RR11).] - 13 -
10
36. Selon l’analyse qui en a été faite dans les pièces de procédure , il y a trois points de
désaccord concernant la zone pertinente : premièrement, la limite avec la Bulgarie ; deuxièmement,
la limite orientale; et troisièmement, la limite septentrionale. Elles apparaissent à présent à
l’écran ; elles figurent sous l’onglet IV-20 de votre dossier et sont représentées sur la figure 4-11 de
la duplique 11.
37. Le plus petit et le moins important de ces désaccords concerne la zone située au sud de la
ligne d’équidistance provisoire entre la Bulgarie et la Roumanie. L’Ukraine persiste à inclure cette
zone dans la délimitation 12. En ce qui nous concerne, nous a vons indiqué les raisons qui nous ont
amenés à l’exclure. Mais l’élément qu’il convient de mettre en avant est le suivant: un Etat qui
continue à insister sur une différence aussi petite concernant des zones pertinentes se sert de ces
20 dernières à des fins inacceptables — il cherche à divi ser les zones pertinentes à l’aide de formules
arithmétiques; autrement, cela n’aurait aucun sen s. Cette approche étant inadmissible, nous
laissons à la Cour le soin de trancher cette question.
38. La deuxième différence entre les deux manièr es d’envisager la zone pertinente concerne
la partie sud-est. Pour justifier l’exclusion de cette zone triangulaire, l’Ukraine indique qu’elle n’a
«rien à voir» avec la Roumanie, concernant une zone maritime située entre l’Ukraine, d’une part, et
13
soit la Turquie soit la Bulgarie, de l’autre . La ligne qu’elle prétend tracer pour exclure cette zone
n’a aucune signification juridique ; c’est simplement la ligne reliant le cap Sarych au tripoint entre
la Roumanie, l’Ukraine et la Turquie 14. Par ailleurs, les zones maritimes situées à l’intérieur de ce
triangle représentent un chevauchement de titres pot entiels, aussi bien pour la Roumanie que pour
l’Ukraine (de même que pour la Turquie et, en partie, pour la Bulgarie) 15; c’est l’une des
configurations à quatre Etats. A une réserve mineure près, elle se trouve dans la zone pertinente en
la présente espèce.
10Le plus récemment dans DU, par. 4.70-4.83.
11
Ibid., en regard de la page 84.
12
Ibid., par. 4.81-4.83.
13Voir CMU, par. 3.71.
14RR, par. 3.82.
15Ibid., par. 3.83. - 14 -
39. La réserve concerne un petit triangle situé au sud-est, au-delà des 200milles de la côte
roumaine. Vous pouvez le voir à l’écran. Il ne fait pas partie de la zone pertinente.
40. Je passe au troisième point de désaccord, le plus important, qui concerne la zone située
au nord de la ligne reliant le point S et le cap Ta rkhankut. Comme je l’ai indiqué, les côtes faisant
face à cette zone sont toutes ukrainiennes, et auc une d’entre elles n’est pertinente pour la présente
délimitation. Si le critère définissant une zone non pertinente est celui de n’avoir «rien à voir» avec
l’autre Etat — qui est le critère employé par l’Uk raine pour exclure le triangle situé au sud-est —,
alors la zone septentrionale devrait certainement êt re exclue, car n’ayant, elle aussi, «rien à voir»
avec la Roumanie.
o
[Fin de la projection n 19.]
Conclusion
o
[Projection n 20 : les côtes pertinentes et la zone pertinente.]
41. Madame le président, Messieurs de la C our, en résumé, il s’agit ici d’une délimitation
concernant deux secteurs. Comme nous le voyons à l’ écran et sous l’onglet IV-21, dans le secteur
des côtes adjacentes, les côtes per tinentes sont, côté roumain, celles allant de la frontière terrestre
internationale jusqu’à la péninsule de Sacalin . Côté ukrainien, elles correspondent au tronçon
côtier allant de la frontière terrest re jusqu’au pointS, dans l’estuaire du Dniestr. Dans le secteur
21 des côtes se faisant face, les côt es pertinentes sont, côté roumain, l’ensemble du littoral et, côté
ukrainien, la façade côtière s’exposant au sud-ouest, allant du cap Sarynch au cap Tarkhankut. La
zone pertinente est celle dont la projection fait face aux côtes pertinentes, aussi loin que s’étend le
titre maritime des deux Parties. C’est aussi simple que cela.
o
[Fin de la projection n 20.]
V. L A DÉLIMITATION CONVENUE AUTOUR DE L ’ÎLE DES SERPENTS
Introduction
1. Madame le président, Messieurs de la Cour, j’aborde à présent un autre point, dont la
présentation n’était pas prévue pour aujourd’hui, mais il y a eu un changement. J’en viens donc à - 15 -
la question du segment initial de la frontière mar itime délimitant les zones maritimes relevant des
Parties, à partir du point d’intersection des limites extérieures de leurs mers territoriales, comme
convenu en 2003. Ce point a été dénommé point F par la Roumanie.
2. Je montrerai qu’un accord conclu en 1949 défi nit le segment initial de la frontière comme
longeant un arc de 12milles marins autour de l’île des Serpents. Dans ses pièces de procédure,
l’Ukraine accepte les avantages qu’elle tire de cet accord. Elle reconnaît ainsi qu’elle bénéficie
d’un arc de 12 milles marins autour de l’île des Serpents, alors que c’est davantage que ce à quoi
elle aurait pu prétendre sans cet accord. Même en 1949, la distance entre l’île des Serpents et la
côte roumaine était inférieure à 24milles. Mais l’Ukraine n’accepte pas le revers de la médaille
⎯à savoir que la frontière délimi tait le domaine maritime de l’île entre les deux Etats à toutes
fins ⎯ bien que cette délimitation fût clairement re présentée sur des cartes faisant autorité qui
avaient été publiées à l’époque.
[Projection n o1: la frontière convenue autour de l’île des Serpents, extrait de la publication
intitulée Lighthouses of Ukraine.]
3. La Cour n’ignore pas que la Roumanie et l’Union Soviétique ont conclu un certain
nombre d’accords relatifs à la frontière les séparant. Le plus important est le procès-verbal général
du 27septembre1949, dans lequel figurent les r ésultats des travaux de la commission mixte
soviéto-roumaine chargée de l’établissement de la frontière d’Etat. La frontière définie dans cet
accord a été confirmée dans tous les accords ultérieurs, que je peux donc examiner plus
brièvement. Pris ensemble, ces accords montrent clairement trois choses :
22 Premièrement, il y a eu un accord sous forme d’un traité. Deuxièmement, cet accord opérait
une délimitation à toutes fins, et pas simplement une délimitation unilatérale déterminant le droit de
l’URSS à une mer territoriale de 12 milles marins to ut en lui laissant la possibilité de revendiquer
d’autres zones situées au sud de cette ligne de 12 milles marins. Troisièmement, il s’agissait d’un
accord délimitant la frontière autour de l’île des Serpents: la délimitati on ne se limitait pas à un
segment initial court situé à l’ouest, sans tenir compte de tous les autres secteurs.
4. Voilà pour les trois points: ils sont tous représentés à l’écran et reproduits sous
l’ongletV-1 figurant dans le dossier de plaidoiri es. Il s’agit d’une carte publiée par le service
hydrographique ukrainien dans le livre bien illust ré qu’ils ont publié en 2007 et qui est intitulé - 16 -
16
Lighthouses of Ukraine . Nous avons offert un exemplaire de cet ouvrage à la Cour et nous le
recommandons comme livre de chevet ! Cet ouvrag e montre une frontière autour de l’île. Cette
frontière sépare les eaux roumaines des eaux ukrainiennes. Elle ne s’arrête pas en cours de route ;
elle va jusqu’à l’autre côté. C’est ce qu’un organisme de l’Etat ukrainien a publié en 2007.
[Fin de la projection n o 1.]
5. Avant d’examiner l’accord de 1949 et les désaccords de l’Ukraine à ce sujet, je
souhaiterais rappeler deux points qui ne sont pas contestés. Premièrement, quelque soit l’accord
conclu en 1949, celui-ci est toujours en vigueur. Deuxièmement, cet accord lie l’Ukraine en sa
qualité de successeur de l’Union Soviétique au rega rd de l’île. L’Ukraine a expressément reconnu
17
le caractère contraignant de ces accords antérieurs dans l’accord additionnel de 1972 . Elle l’a fait
en référence au traité de 1961 relatif au régime de la frontière d’Etat, qui lui-même affirmait
18
expressément l’applicabilité du procès-verbal de 1949 et des accords ultérieurs . Elle a réaffirmé
cette reconnaissance en 2003, étant donné que le traité sur le régime de la frontière signé cette
année-là établit la frontière terrestre et la limite de la mer territoriale en référence au traité de 1961
19
relatif au régime de la frontière d’Etat .
6. Mon exposé est divisé en deux parties. Da ns un premier temps, je présenterai les accords
et les cartes dans l’ordre chronologique. J’ai bien peur de ne pouvoir adopt er une autre approche.
Je réagirai ensuite aux divers points soulevés par l’Ukraine dans sa tentative de ne pas tenir compte
de l’importance de ces accords et cartes.
23 A. L’accord de 1949 et sa confirmation par la pratique ultérieure
1. Le procès-verbal général de 1949
7. Madame le président, Messieurs de la Cour, le procès-verbal général de 1949 relatif à la
ligne frontière entre la République populaire de Roumanie et l’Union des Républiques socialistes
16
Ministère des transports et de la communicatio n de l’Ukraine, service hydrographique d’Etat Lighthouses of
Ukraine (Reference Photoinformation Edition, Logos Publishers, Kyiv, 2007: ISBN 966-581-842-2), p. 50.
17
Mémoire de la Roumanie (MR), annexe 2
18 MR, annexe 18
19 MR, annexe 3. - 17 -
20
soviétiques fut signé à Bucarest le 27septembre1949 . Il couvre la totalité de la frontière entre
les deux Etats, à partir du tripoint avec la Hongrie à l’ouest jusqu’à la frontière maritime en mer
noire. Il s’agit d’un texte d’une très grande précision.
8. Le passage pertinent du procès verbal général de 1949 relatif à la portion maritime de la
frontière est reproduit sous l’ongletV-2 du dossi er de plaidoiries. Partant de la borne
frontière no 1437, qui est la dernière sur terre, ce text e établit la frontière en mer noire entre les
zones dont les Parties ont convenu qu ’elles relèveraient de chacune d’entre elles. Le tracé de la
frontière au large peut être observé sur deux car tes qui, j’en ai bien peur, occuperont une bonne
partie de votre temps pendant les deux semaines à venir. Ce sont les cartes133 et134 qui sont
reproduites dans le dossier de plaidoiries sous les onglets V-3 et V-4. Comme vous le savez, il y a
un désaccord entre les Parties sur l’étendue de la frontière représentée sur la carte 133. Mais lisons
le procès-verbal tout en examinant ces deux cartes, en commençant par la carte n o 133. Certes, le
procès verbal n’est peut-être pas un modèle de conc ision, mais il est d’une extrême précision : les
Parties ont pris soin de définir ce qu’elles faisaient et le résultat nous semble clair.
[Projection n o 2 : carte 133 annexée au procès-verbal général de 1949.]
9. Le procès-verbal se lit comme suit :
o
«A partir de la borne frontière n 1437, la frontière traverse le milieu du chenal
de Musuna (Musura) dans une directi on sud-sud-est jusqu’à l’embouchure de ce
chenal en suivant l’alignement n 1, l’île de Limba revenant à l’URSS et l’île n o3 à la
o
RPR» c’est-à-dire, à la Roumanie, «jusqu’à la borne frontière n 1438 (bouée).
La borne frontière n 1438 est fixée (ancrée) dans l’eau au point d’inflexion de
la ligne frontière dans la mer Noire».
[«From the border sign No.1437 the boundary goes through the middle of the
Musuna (Musura) channel in a south-sout h-east direction, until the mouth of the
Musuna (Musura) channel on the alignmen t no. 1 leaving Limba Island on the USSR
side, and the island No. 3 on the PRR [that is, the Romanian] side going to border sign
no. 1438 (buoy).
The border sign no. 1438 is fixed (anchored ) in water in the point of the change
of the direction of the boundary line in the Black Sea».]
Ce qui nous amène au point 1438.
o
24 [Fin de la projection n 2.]
20MR, annexe 13. - 18 -
o
[Projection n 3 : carte 134 annexée au procès-verbal général de 1949.]
0
10. Après avoir défini les coordonnées de la borne frontièren 1438, le procès-verbal
continue comme suit : (ce qui nous amène à la carte 134 (onglet V-4)) :
«A partir de la borne frontière n o1438 (bouée), la frontière d’Etat traverse la
o
mer Noire en suivant une ligne droite de 102° 30' 0" jusqu’à la borne frontière n 1439
(balise)
o
La borne frontière n 1439 (balise) est fixée dans l’eau au point d’inflexion de la
ligne frontière d’Etat dans la mer Noire, à savoir à l’intersection de la ligne droite qui
suit l’azimut 102°30'0" à partir de la borne frontièren o 1438 (bouée) avec la limite
extérieure de la zone frontière maritime soviétique de 12milles qui entoure l’île des
Serpents .»1
[«From the border sign no. 1438 (buoy) the State boundary passes in the Black
Sea in a straight line, on the azimuth of 102°30’0" to the border sign no.1439
(beacon).
The border sign No. 1439 (beacon), is fixed in water, in the point where the
State boundary line going through the Black Sea changes its direction, at the
intersection of the straight line going from the border sign no.1438 (buoy) on the
azimuth of 102° 30’ 0", with the outer marg in of the Soviet marine boundary zone of
12 miles, surrounding Serpents’ Island».]
L’intersection de l’azimut avec la limite extérieure de la zone frontière maritime soviétique de
12milles qui entoure l’île des Serpents. Après avoir défini les coordonnées de la borne
o
frontière n 1439, le procès-verbal continue :
o
«La ligne frontière d’Etat, à partir de la borne frontière n 1439 (balise), suit la
limite extérieure de la zone frontière ma ritime de 12milles, attribuant l’île des
22
Serpents à l’URSS.»
[«The State boundary line, from the border sign No. 1439 (beacon), goes on the
exterior margin of the marine boundary zone, of 12 miles, leaving Serpents’ Island on
the side of the USSR.»]
11. Un certain nombre de points peuvent être soulevés au sujet du procès-verbal :
Premièrement, le libellé est clair. La «li gne frontière d’Etat» («the State boundary line»), à
savoir, la ligne séparant les zones appartenant à la Roumanie de celles qui relèvent de l’URSS
o o
s’étend de la borne frontière n 1438 à la borne frontière n 1439. La «ligne frontière d’Etat» («the
o
State boundary line») ne s’arrête pas au niveau de la borne frontière n 1439, elle est expressément
25 décrite comme «sui[vant] («to go on») «la limite extérieure de la zone frontière maritime de
12 milles» («the exterior margin of the maritime boundary zone, of 12 miles»).
21Traduction de la Roumanie
22Traduction de la Roumanie. - 19 -
Deuxièmement, la ligne frontière d’Etat est représentée de la même manière sur toute sa
longueur, y compris sur le segment s’étendant au-delà de la borne frontière n o1439.
Troisièmement, la «zone frontière maritime de 12milles», [«the marine boundary zone, of
12 miles»] dont la limite extérieu re est parcourue par la ligne fron tière d’Etat, est la même que la
zone de 12 milles marins décrite plus haut co mme «entour[ant]» («surrounding» ou «around») l’île
des Serpents.
12. En d’autres termes, les Parties ont convenu que la frontière suivrait «la limite extérieure
de la zone frontière maritime» («the exterior ma rgin of the marine boundary zone»). Cette zone,
est la «zone frontière maritime» («maritime boundary zone») de 12 milles qui a été décrite plus tôt
dans le procès-verbal comme «entourant» («surrounding» ⎯ou «around» selon la traduction
23
ukrainienne) l’île des Serpents . L’effet de ces termes est indéni able. La frontière convenue suit
«la limite extérieure de la zone frontière mariti me» («the exterior margin of the marine boundary
zone»). La zone frontière maritime elle-même entoure l’île des Serpents et la frontière encercle
cette île le long de sa limite extérieure. Il ne peut exister de zone sans frontière. Elle suit l’arc de
12milles marins, formant la limite extérieure de cette «zone frontière maritime» («marine
boundary zone») de 12 milles reproduite sur toutes les cartes.
13. L’Ukraine fait valoir que l’utilisation de l’expression «qui ent oure» («surrounding» ou
«around») dans le procès-verbal ne définit pas en réalité le tracé de la frontière, mais uniquement la
localisation du point1439, et ajout e que le paragraphe pertinent du procès-verbal général décrit
24
l’arc et non la frontière .
14. Il est vrai que l’expression «qui ent oure» («surrounding» ou «around») est utilisée dans
le paragraphe décrivant la borne frontière 1439 afin de définir le point d’intersection entre l’azimut
allant de la borne frontière n o1438 à l’arc de 12 milles marins. Mais l’on ne saurait interpréter les
paragraphes suivants, qui décrivent la suite du tracé de la frontière au-delà de la borne
frontière n o1439, de manière isolée. La «zone frontière maritime de 12 milles marins [the 12-mile
«marine boundary zone»] est la même dans les deux cas, et doit être dans les deux cas interprétée
23
CMU, par. 5.43.
24RU, par. 3.24. - 20 -
26 comme une zone frontière maritime «qui ento ure» («going around» ou «surrounding») l’île des
Serpents. Utiliser l’expression («qui entoure») simplement pour décrire l’arc comme le propose
l’Ukraine aurait été complètement superflu.
[Fin de la projection n 3.]
2. Les procès-verbaux spécifiques
15. Les procès-verbaux spécifiques relatifs aux bornes frontières n os 1438 et 1439 sont
rédigés en des termes similaires et confirment cette interprétation 25. Le procès-verbal spécifique
o 26
relatif à la borne frontière n 1438 (qui figure dans le dossier de plaidoiries sous l’ongletV-5)
prévoit que,
«à partir de la borne frontière n o1438 (bouée), la frontière d’Etat dans la mer Noire
poursuit une ligne droite de 102° 30' 0" d’azi mut, jusqu’à ce qu’elle atteigne la limite
extérieure de la zone frontière maritime soviétique de 12milles qui entoure l’île des
Serpents, la borne frontière n 1439 (balise)»
[«from the Border Sign 1438 (buoy), the State boundary in the Black Sea passes in a
straight line, on the azimuth of 102°30' 0", till it reaches the exterior limit of the
Soviet marine boundary zone, of 12 miles, surrounding Serpents’ Island, to the Border
Sign no. 1439 (beacon)»] . 27
o 28
16. De la même manière, le procès-verbal spécifique relatif à la borne frontière n 1439
(qui figure dans le dossier de plaidoiries sous l’onglet V-6) prévoit clairement que, au-delà de ladite
borne, la frontière d’Etat se poursuit en suivant l’arc de 12milles marins entourant l’île des
Serpents. Ce procès-verbal dispose que :
«la ligne frontière, à partir de la borne frontière n o1438 (bouée) traverse la mer Noire
suivant une ligne droite de 102°30'0" d’ azimut jusqu’à ce qu’elle atteigne la limite
extérieure de la zone frontière maritime soviétique de 12milles qui entoure l’île des
o o
Serpents, à la borne frontière n 1439 (balise), et de la borne frontière n 1439 (balise),
la ligne frontière longe la limite extérieure de la zone frontière maritime soviétique de
12 milles, attribuant l’île des Serpents à l’URSS»
[«the boundary line, from the Border Sign no . 1438 (buoy) passes in the Black Sea in
a straight line, on the azimuth of 102°30'0" till it reaches the exterior limit of the
Soviet marine boundary zone of 12 miles surrounding Serpents’ Island, to the Border
25
MR, par. 4.7, 4.8.
26 Ibid., annexe 14.
27 Traduction de la Roumanie.
28 MR, annexe 15. - 21 -
Sign 1439 (beacon) and from the Border Si gn no. 1439 (beacon), the boundary passes
on the exterior margin of the Soviet marine boundary zone of 12miles, leaving
Serpents’ Island on the USSR side»] . 29
27 17. Là encore, le procès-verbal spécifique — tout comme le procès-verbal général — prévoit
expressément que la frontière se poursu it au-delà de la borne frontière n o1439, et qu’elle suit «la
limite extérieure» de la «zone frontière maritime soviétique» de 12milles qui entoure l’île des
Serpents.
[Projection n o4: croquis figurant dans le procès-verbal spécifique de1949 relatif à la borne
frontière n 1439]
18. Il s’agissait là d’un croquis figurant dans le procès-verbal spécifique relatif à la borne
frontière n o1439. Comme vous pouvez le voir à l’écran, et comme cela ressort du procès-verbal
spécifique lui-même, ce croquis figurait dans le co rps du texte du procès-verbal. Ce n’était ni un
additif ni une annexe ; il faisait partie intégrante du texte. La frontière y est représentée de la même
manière, par des points et des tirets, et ce, sur toute sa longueur. Elle longe une partie de l’arc de
12 milles marins entourant l’île des Serpents et se prolonge vers l’est jusqu’à l’extrémité du croquis
— jusqu’au bord du croquis ; elle ne s’arrête pas avant. Des abréviations figurent au nord et au sud
de la frontière afin d’indiquer à qui appartiennent les eaux situées de part et d’autre de celle-ci, à
savoir l’Union soviétique au nord, et la Roumanie au sud — elles apparaissent également à l’écran.
19. L’Ukraine critique le fait que la Roumanie fasse référence aux croquis, au motif qu’ils
«n’établissent pas» une frontière maritime 30. Elle affirme que ces croquis sont «substantiellement
inexacts» et «doivent céder le pas à la ligne frontière complète qui est représentée de façon
définitive sur les cartes ⎯y compris la carte 134, géographiquement fiable ⎯ qui définissent la
31
frontière telle que convenue dans le procès-verbal général de 1949» . Trois observations au moins
peuvent être formulées à cet égard :
1) premièrement, les croquis font partie intégrante des procès-verbaux spécifiques et il faut leur
attacher l’importance qui en découle. De plus, ils confirment le sens du libellé des
o
procès-verbaux, à savoir que la ligne frontiè re d’Etat s’étend au-delà de la borne n 1439, le
long de l’arc de 12milles marins entourant l’île des Serpents, et qu’elle revêt la même nature
29
Traduction de la Roumanie.
30
DU, par. 3.47.
31Ibid.. - 22 -
sur toute sa longueur. La valeur des croquis ne dé pend pas de la question de savoir s’ils sont à
l’échelle ou géographiquement exacts.
28 2) deuxièmement, l’affirmation de l’Ukraine sel on laquelle la «ligne frontière complète» est
32
représentée de façon définitive sur la carte134 est tout simplement fausse. Le seul objet
affiché de cette carte est de représenter la frontière entre les bornes n os1438 et 1439.
L’affirmation de l’Ukraine selon laquelle la carte 134 «défini[t]» la frontière est tout aussi
fausse : cette carte n’a aucun statut particulier aux fins de définir la frontière ailleurs que dans le
secteur situé entre les deuxpoints auxquels elle se rapporte; elle n’a certainement pas pour
objet de représenter de manière définitive la frontière au-delà de la borne n o1439, et aucun
point terminal n’y est représenté ;
3) troisièmement, quand bien même y aurait- il une quelconque incohérence entre les croquis
figurant dans les procès-verbaux spécifiques et la carte 134, ce qui n’est pas le cas, ces croquis
⎯qui font partie intégrante des procès-verbaux descriptifs spécifiques— ne sauraient en
aucune manière «céder le pas» à la carte134. Ce qui est représenté sur cette carteet sur les
croquis considérés conjointement, c’est une frontiè re interétatique longeant cet arc de 12 milles
marins et ne s’arrêtant pas en un quelconque point déterminé ou précisément désigné. Et même
si — ce qui n’est pas le cas —, même si l’on devait estimer que figure sur la carte 134 un point
terminal précis, cette carte devrait, compte tenu de l’objet qui a présidé à son établissement, être
considérée comme secondaire par rapport au procès-verbal général de 1949 et aux
procès-verbaux descriptifs spécifiques, qui sont les textes produisant des effets juridiques et
dans lesquels aucun point terminal particulier n’est défini.
o
[Fin de la projection n 4.]
3. La carte 134
[Projection n 5 : carte 134 annexée au procès-verbal général de 1949.]
20. Permettez-moi d’expliquer la fonction par ticulière de la carte 134 en la replaçant dans
son contexte. Cette carte fait partie d’un atlas cartographique ⎯d’un volumineux atlas
cartographique— joint au procès-ve rbal de1949. Cet atlas se compose de 134cartes détaillées
32Ibid. - 23 -
représentant différents secteurs de la frontière situés entre deux bornes frontière ou un nombre
limité d’entre elles, ainsi que plusieurs cartes représentant des segments plus importants de cette
frontière. La carte 134 est la dernière des cartes détaillées. L’atlas cartographique est un document
volumineux: il ne faut pas moins de deux juristes internationaux pour la porter, ce qui est sans
doute une bonne nouvelle pour l’emploi !
29 21. L’Ukraine dit plusieurs choses au sujet de la carte 134 : qu’elle est la «carte visée dans le
procès-verbal comme étant celle couvrant ce secteur maritime de la frontière» 33, qu’elle «montrait
34
cette frontière telle que convenue» , qu’elle représentait la «ligne frontière complète» et qu’elle
«définiss[ait] la frontière telle que conve nue dans le procès-ve rbal général de1949» 35. Ces
affirmations sont dépourvues de tout fondement.
22. En témoigne le fait que l’atlas cartogra phique qui accompagnait le procès-verbal général
de1949 ait été signé par les représentants de la Roum anie et de l’Union sovi étique. Cet atlas, si
volumineux soit-il, fait partie de l’accord. Il fait partie des « documents de démarcation» qui ont
établi le tracé de la frontière aux côtés des procès-verbaux eux-mêmes. Il est reconnu comme tel
par les traités de 1997 et de 2003 conclus entre les deux Parties.
Ainsi, l’article premier du traité de 2003 sur le régime de la frontière précise que
«[l]a frontière qui sépare la Roumanie et l’Ukraine passe par les endroits définis et
décrits dans le traité [de 1961]…ainsi que dans tous les documents de démarcation
correspondants, les cartes sur lesquelles figure la frontière d’Etat entre l’ancienne
République populaire de Roumanie et l’ancienne Union des Républiques socialistes
soviétiques, les protocoles relatifs à l’empla cement des bornes, avec leurs croquis,
annexes correspondantes et documents additionnels, de même que dans les documents
approuvés … relatifs à l’inspection de leur frontière commune…»
[«[t]he State border between Romania and Ukraine passes on the ground as defined
and described in the [1961] Treaty . . . as well as in all the corresponding demarcation
documents, the maps of the State border between the former People’s Republic of
Romania and Union of the Soviet Socialist Republics, the protocols of the border signs
with their draft sketches, the corresponding annexes and their additions, as well as the
documents of verifications of the State border line . . .»].
Tous ces éléments, y compris l’atlas cartographique, sont énumérés, et il leur est conféré un statut
équivalent.
33DU, par. 3.27.
34
Ibid., par. 3.40.
35Ibid., par. 3.47. - 24 -
23. Les cartes figurant dans l’atlas cartographique ne sauraient donc être considérées
isolément. Elles doivent être interprétées à la lumière de l’objet qui a présidé à leur établissement,
à savoir accompagner le procès-verbal général de 1949 et représenter les différents secteurs de la
frontière dont la délimitation était convenue dans ce procès-verbal.
o
[Fin de la projection n 5.]
30 24. Cela étant posé, il est clair qu’il n’exis te aucune contradiction entre le texte des
procès-verbaux et la carte134. A cet égard, il est utile de se reporter de nouveau aux deux
dernières cartes de l’atlas, c’est -à-dire les cartes 133 et 134, qui, je vous le rappelle, figurent dans
votre dossier sous les onglets V-3 et V-4.
o
[Projection n 6 : carte 133 annexée au procès-verbal général de 1949.]
36
25. Comme son titre l’indique , la carte 133 a pour objet de représenter la frontière entre les
bornes frontière n os1436 et 1438. Certaines de ces cartes re présentaient un seul secteur, d’autres
deux. La carte 133 représente une partie de la frontière terrestre ainsi que le début de la frontière
maritime, montrant le coude décrit par celle-ci au niveau de la borne n o1438. Le symbole utilisé
pour tracer la frontière est le même sur toute sa longueur : dans la dernière portion du Danube, où
elle suit l’embouchure du canal Musura, la frontière est symbolisée par des points et des tirets ; là
où elle divise des zones de haute mer, les même s signes sont employés. La légende figurant à
droite de la carte est également importante à cet ég ard : les signes utilisés sont assortis de mentions
en roumain —et j’espère que les personnes parl ant cette langue excuseront ma prononciation—,
«linia frontierei de Stat» pour le tracé de la frontière terrestre et «linia frontierei de Stat pe ap ă şi
adâncimi» pour celui de la frontière maritime, ce qui, me dit-on, peut se traduire par «la ligne
frontière d’Etat» et «la ligne frontière d’Etat en mer et dans la colonne d’eau».
[Fin de la projection n o6.]
o
[Projection n 7 : carte 134 annexée au procès-verbal général de 1949.]
26. La dernière carte de l’atlas — la carte 134 — est intitulée «Carte de la ligne frontière
entre l’Union des Républiques socialistes soviétiques et la République populaire de Roumanie entre
36DU, par. 3.27. - 25 -
os
les bornes n 1438 et 1439». Ce titre indique clairement son objet: représenter la frontière entre
ces deux bornes, rien de plus.
27. Bien que la carte 134 ne soit assortie d’au cune légende, la frontière y est symbolisée par
les mêmes points et tirets que ceux utilisés pour le tracé de la partie maritime de la frontière sur la
carte133; et cette frontière est représentée sur toute sa longueur, sans interruption. On relèvera
également que, là encore, les mêmes symboles sont utilisés pour représenter le prolongement de la
o
frontière de chaque côté des bornes fr ontière: avant la borne frontière n 1438, en direction de
o
l’embouchure du Musura ; et après la borne frontière n 1439, le long de l’arc de 12 milles marins
31 entourant l’île des Serpents. Là encore, les zones maritimes situées de part et d’autre de la frontière
sont clairement identifiées, des abréviations pr écisant leur appartenance et ce, non pas une fois
mais deux. On notera en particulier que, dans l’un de ces deux cas, ces abréviations apparaissent
o
dans le secteur de la frontière situé après la borne n 1439 qui longe l’arc de 12milles marins
entourant l’île des Serpents.
os
28. Dès lors qu’il s’agit d’une carte représentant la frontière entre les bornes n 1438
et1439, il n’est guère surprenant que la frontière située au-delà de ces points n’apparaisse pas de
manière tout à fait détaillée. Contrairement à ce que soutient l’Ukraine, la carte 134 ne visait pas
37
«spécifiquement à montrer la frontière qui avait été convenue dans le procès-verbal» dans son
intégralité, et n’était pas non plus une «carte frontalière» 38générale.
29. L’Ukraine fonde toute sa thèse à cet égard su r le fait que la frontière représentée le long
de l’arc de 12 milles marins entour ant l’île des Serpents sur la carte 134 n’atteigne pas le bord de
ladite carte, laissant ainsi un espace vide. On ne peut toutefois en tirer aucune conclusion.
30. Le fait qu’il a été accordé moins de soin à la représentation de la frontière à l’est de la
borne frontière n o 1439 sur la carte134 ressort de la faç on dont ladite frontière est représentée à
o
l’ouest de la borne n 1438. Dans ce secteur, il existe en effet incontestablement une frontière
convenue, laquelle se prolonge à l’intérieur du Danube. Or, la frontière représentée sur la carte 134
o
ne va pas jusqu’à la borne n 1437, qui est située nettement à l’in térieur du chenal de Musura. En
fait, comme vous pouvez le voir, la ligne s’arrête à l’embouchure du chenal de Musura. Il serait
37DU, par. 3.40.
38Ibid. - 26 -
absurde d’avancer que cela signifie que la frontière prend fin là où elle s’arrête sur la carte 134. Le
o
même raisonnement s’applique à la frontière à l’est de la borne n 1439.
o
[Fin de la projection n 7.]
[Projection n 8 : planche I annexée au procès-verbal général de 1949 (figure RR18).]
31. Le fait que la carte 134 n’était pas censée représenter l’ensemble de la frontière sur l’arc
de 12milles entourant l’île des Serpents est conf irmé par d’autres cartes contenues dans l’atlas
cartographique. La plancheI de ce dernier, sous l’onglet7 du dossier de plaidoiries, offre un
aperçu du tracé de la frontière depuis son point du départ au tripoint entre la Roumanie, l’Union
soviétique et la Hongrie à l’ouest, jusqu’à la mer Noire. Bien que l’échelle soit effectivement très
petite, il ressort à l’évidence que le secteur de l’arc repr ésenté autour de l’île des Serpents est
sensiblement plus étendu que celui figurant sur la carte 134.
[Fin de la projection n o 8.]
32
o
[Projection n 9 : planche V annexée au procès-verbal général de 1949.]
32. De même, la planche V (onglet V-8), qui constitue la clef des cartes détaillées couvrant
la partie orientale de la frontière allant de la borne frontière1230 jusqu’à la borne frontière1439,
montre également que la frontière située au-delà de la borne frontière1439 se prolonge beaucoup
plus loin le long de l’arc de 12 milles tracé à partir de l’île des Serpents.
[Fin de la projection n o 9.]
o
[Projection n 10: les différentes positions du point term inal de la frontière représentées sur la
carte 134, la planche I et la planche V.]
33. Les longueurs différentes de la frontière au-delà du point1439 selon ces trois cartes de
l’atlas cartographique apparaissent lorsque l’on j uxtapose la carte134 et les planchesI etV à la
même échelle, comme le montre le graphique sous l’onglet V-9 du dossier de plaidoiries. L’arc de
cercle représenté sur la carte 134, l’arc le plus c ourt des trois, est approximativement de 23°. Vous
pouvez voir à présent, en surimpression sur la carte 134, l’étendue de la frontière représentée sur la
plancheV de l’atlas cartographique; elle sous-t end un angle d’environ37°. Si l’on procède de - 27 -
même avec la plancheI, vous vous apercevez que la longueur de la frontière est beaucoup plus
importante ⎯ l’angle mesure presque 63°. L’extrémité de la frontière représentée se trouve, sur la
première carte, à un point de l’arc situé au sud-sud-est de l’île des Serpents.
39
34. L’Ukraine fait valoir que les planches I et V n’ont pas de valeur . Mais chacune de ces
trois planches fait partie de l’atlas cartographique, qui lui-même fait partie de l’accord de
délimitation d’ensemble. Le fait que les de ux autres cartes contenues dans le même atlas
représentent une frontière qui s’étend plus loin au tour de l’arc des 12milles que ne l’indique la
carte134 confirme que cette derniè re n’était pas destinée à «définir » la longueur de la frontière
autour de l’île.
o
[Fin de la projection n 10.]
4. Les accords ultérieurs
35. Après la conclusion des procès-verbaux de 1949, la frontière ainsi convenue fut
officiellement confirmée dans le traité de 1949 relatif au ré gime de la frontière d’Etat
40
roumano-soviétique, signé à Moscou le 25novembre1949 . Ce traité rappelle et confirme la
33 frontière «tracée sur le terrain telle qu’elle a ét é déterminée dans les documents de démarcation
signés le 27 septembre 1949 à Bucarest…». En d’autres termes, le traité de Moscou confirme toute
l’opération entreprise par les procès-verbaux gé néraux et spécifiques ainsi que par les cartes
annexées. Après la première étape de démarcation, les éléments de la délimitation furent confirmés
par un traité ultérieur.
36. Telle était la position existante en 1949. Le procès-verbal de 1949 ainsi que le traité de
Moscou établissaient une frontière maritime qui se prolongeait au-delà de la borne frontière 1439,
le long de la limite extérieure de la «zone fr ontière maritime» de 12milles entourant l’île des
Serpents. Après le traité de Moscou, après le procès-verbal général, la Roumanie ne pouvait
affirmer qu’il n’existait pas de zone frontière ma ritime entourant l’île des Serpents. L’Ukraine,
elle, semble toujours pouvoir l’affirmer.
[Projection n 11: carte134 annexée au procès-verbal général de1949, représentant la mer
territoriale roumaine de 6 milles marins établie d’après la situation des côtes en 1949.]
39
DU, par. 3.36.
40MR, annexe 16. - 28 -
37. En1949, la Roumanie ne revendiquait qu’une mer territoriale de 6milles, ce que vous
pouvez voir maintenant en surimpression sur la carte134 (ongletV-10); nous appellerons
«pointA» le point terminal de la mer territori ale de 6milles qui existait en1949. Ainsi que le
montrent clairement les symboles employés sur les croquis contenus dans les procès-verbaux
spécifiques et les cartes133 et134, la frontière maritime ainsi délimitée était représentée de la
même manière sur toute sa longueur, même si ce n’ est que dans sa partie intérieure, à l’ouest du
pointA, qu’elle séparait les mers territoriales de la Roumanie et de l’Union soviétique, telles
qu’elles existaient alors. Dans sa partie extérieure, au sud et à l’est du point A, s’étendait une zone
située au-delà de la mer territoriale roumaine de 6milles marins que l’on désignait pourtant
clairement comme roumaine. Comme vous le vo yez, sur la carte134, les initiales «RPR»,
signifiant Republica Populară Română, sont situées au-delà de la ligne de 6milles, tandis que les
initiales «URSS» figurent dans la position correspondante au nord de la frontière, située dans la
«zone frontière maritime» de 12 milles entourant l’île des Serpents.
38. Selon l’interprétation naturelle de l’accord de 1949, la Roumanie et l’Union soviétique
entendaient ainsi établir une frontière maritime polyvalente entre les zones leur appartenant, et l’île
des Serpents devait être limitée à une «zone frontière maritime» de 12 milles. En conséquence, les
34 parties sont convenues que, quoiqu’il advînt ul térieurement, l’île des Serpents ne pouvait
revendiquer, sur le plan du droit à des espaces maritimes, que cette bande de 12 milles.
[Fin de la projection no11.]
39. Après1949, l’Union soviétique et la Ro umanie conclurent plusieurs autres accords,
aucun d’entre eux ne modifiant la frontière maritime convenue en 1949.
40. Un certain nombre de nouveaux accords bila téraux furent conclus en 1954, dont une loi
démarquant à nouveau l’emplacement de la bouée constituant la borne frontière1439, qui avait
41
disparu . Quelle que soit l’attention apportée par les démarqueurs, les bornes frontières ont
tendance à disparaître! L’accord de1954 reprend pour l’essentiel les termes du procès-verbal
de 1949.
41
MR, annexe 17. - 29 -
42
41. Le traité de 1961 relatif au régime de la frontière n’eut aucune incidence sur le tracé de
la frontière maritime dans le secteur considéré ; il affirmait le maintien en vigueur du procès-verbal
de 1949. Il envisageait de nouveaux travaux de démarcation, qui furent accomplis en 1961-1962 et
43
qui débouchèrent sur un procès-verbal définitif signé en 1963 .
42. Les termes du procès-verbal de 1963 s ont pour l’essentiel les mêmes que ceux employés
en 1949, si ce n’est que la description générale de la borne frontière 1439 fait désormais état d’une
«mer territoriale soviétique» de 12milles et non d’une «zone frontière ma ritime» de 12milles.
C’est la première fois qu’il est fa it référence à une mer territoriale soviétique de 12 milles dans les
accords de délimitation. Rien dans le texte du procès-verbal de1963 ne donne à penser que les
Parties avaient l’intention de m odifier les accords de1949. Et les événements ultérieurs le
confirment.
43. S’ensuivit un autre processus de démarcation ⎯ce qui semblait avoir lieu tous les
dix ans ⎯ en 1972-1973, qui déboucha sur la signature d’un autre procès-verbal général en 1974 et
de procès-verbaux séparés sur la description des bornes frontières. La description de la borne
frontière1439, dans le procès-ve rbal général de1974, comme en1963, fait également état d’une
44
35 «mer territoriale» soviétique de 12milles. Toutefois, à cette occasion, un autre procès-verbal
spécifique fut conclu pour la borne frontière 1439 ⎯ dont le texte se trouve sous l’onglet V-11. Ce
document fait référence, comme auparavant, à la «zone frontière maritime» soviétique, reprenant le
procès-verbal spécifique initial de la borne frontiè re1439 en1949. Et là encore, il dispose que
⎯ nous sommes en 1974 :
o
«de la borne frontière n 1439 (balise), la ligne fr ontière longe la limite
extérieure de la zone frontière maritime de l’URSS de 12milles, attribuant l’île des
45
Serpents à l’URSS» .
[«from the border sign n o1439 (beacon) the boundary passes on the exterior
margin of the USSR marine boundary zone of 12 miles, leaving Serpents’ Island to the
USSR side» .] 46
Image d’une continuité parfaite, en dépit des changements intervenus dans le droit de la mer.
42Ibid., annexe 18.
43
Ibid., annexe 19.
44
Ibid., annexe 21.
45Traduction de la Roumanie.
46MR, annexe 22. - 30 -
[Projection n 12: croquis contenu dans le procès-ve rbal spécifique de1974 de la borne
frontière 1439.]
44. Comme en1949, un croquis fut inclus dans le procès-verbal spécifique de1974 en tant
que partie intégrante. Comme le croquis de 1949, il représente avec le même symbole la frontière
sur toute sa longueur, y compris au-delà de la bor ne frontière 1439, en longeant l’arc des 12 milles
jusqu’à atteindre le bord de la carte. Une fois encore, les abréviations des noms des parties figurent
de chaque côté de la frontière afin d’indiquer à quel Etat appartient la zone en question.
[Fin de la projection n 12.]
45. Pour être complet, il convient de rappele r les événements survenus après l’indépendance
de l’Ukraine ⎯ situation à laquelle l’Ukraine a succédé, ce qui n’est pas contesté, mais elle y a bel
et bien succédé :
Premièrement, dans l’accord additionnel de 1997, l’Ukraine a expressément affirmé le
caractère obligatoire de la frontière convenue dans le traité de 1961 relatif au régime de la frontière,
ainsi que dans les procès-verbaux de 1949 et dans l’atlas cartographique.
Deuxièmement, le caractère obligatoire des exercices de délimitation et de démarcation
précédents fut de nouveau expressément réaffirmé, ceux-ci délimitant la frontière d’Etat séparant
36 l’Ukraine de la Roumanie jusqu’à l’intersection des limites extérieures de leurs mers territoriales,
en2003. J’ai déjà mentionné le traité de2003 47. L’article premier de ce traité dispose que la
frontière
«continue, depuis la borne1439 (bouée) indi quant la limite extérieure de la mer
territoriale de l’Ukraine autour de l’île aux serpents, jusqu’au point situé à 45° 05' 21"
de latitude nord et 30°02'27" de longitude est, qui est le point de jonction avec la
frontière d’Etat de la Roumanie à la limite extérieure de sa mer territoriale. Les mers
territoriales des parties contractantes mesu rées à partir des lignes de base auront
toujours, au point de jonction de leurs lim ites extérieures, une largeur de 12milles
marins.»
[«continues, from the border sign 1439 (buo y) on the outer limit of Ukraine’s
territorial waters around the Serpents’ Island, up to the point of à 45°05'21" north
latitude and 30° 02' 27" east longitude, which is the meeting point with the Romanian
State border passing on the outer limit of its territorial sea. The territorial seas of the
Contracting Parties measured from the b aselines shall permanently have, at the
meeting point of their outer limits, the width of 12 maritime miles.”]
47
MR, annexe 3. - 31 -
46. Le traité de2003 ne portait renonciati on à aucun des points convenus dans les accords
précédents. Il visait uniquement à fixer la frontière jusqu’à l’intersection des limites extérieures
des mers territoriales ⎯le point que nous avons désigné point F. Il n’a eu d’incidence ni sur le
procès-verbal de1949 ni sur les documents ultérieu rs puisque ceux-ci indiquaient le tracé de la
frontière maritime entre les Parties au-delà du point en question.
48
47. A la date de conclusion du traité de 2003 relatif au régime de la frontière , et à nouveau
lors de son entrée en vigueur 49, la Roumanie a de nouveau a ffirmé sa position selon laquelle la
détermination des coordonnées du de rnier point de la frontière de la mer territoriale entre les
Parties n’influait aucunement sur le processus de délimitation des plateaux continentaux et zones
économiques exclusives respectifs des Parties.
5. Conclusion sur les accords de 1949
48. Madame le président, Messieurs de la Cour, la série d’accords qui débuta par les
procès-verbaux de 1949 ainsi que les cartes et croquis qui les accompagnent montrent que l’Union
soviétique et la Roumanie convi nrent d’une frontière qui, au-delà de la borne frontière1439, se
poursuivait le long de l’arc de 12 milles «entourant» ou «autour de» l’île des Serpents, sans fixer de
point terminal. Les cartes jointes au procès-verbal de 1949 représentent cette frontière de diverses
manières et aucune importance n’est attachée aux points terminaux indiqués sur ces trois cartes. Ce
37 qui n’a pas changé, ce qui n’a pas varié durant ce long processus, c’est l’attribution expresse à l’île
des Serpents d’une «zone frontière maritime» de 12 m illes autour de celle-ci. La limite extérieure
de cette zone de 12 milles marqua it la frontière maritime ; au s ud de celle-ci se trouvait un espace
appartenant à la Roumanie. Dans ces conditions, le point terminal de la ligne figurant sur la
carte134, qui n’est ni défini, ni désigné, ni mentionné ni encore décrit, ne «définissait» pas la
longueur de la frontière. Cette frontière était la frontière de la zone, et cette zone était située autour
de l’île. C’est aussi simple que ça.
Madame le président, il est 11heures10. Le moment serait venu de faire une pause ⎯ ou
préféreriez-vous la faire dans vingt minutes ?
48
Ibid., annexe 23.
49Ibid., annexe 24. - 32 -
Le PRESIDENT: je pense que si vous le jugez opportun ⎯vous parlez depuis un certain
temps ⎯ la Cour accepte votre choix. Nous allons faire une pause.
L’audience est suspendue de 11 h 10 à 11 h 25.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir.
M. CRAWFORD: Madame le président, Messieurs de la Cour, après la pause-café,
venons-en aux cartes.
6. Les descriptions sur les cartes ultérieures de la ligne convenue dans les accords de 1949
a) Arguments de principe
49. La situation que j’exposais avant la pau se-café est illustrée sur de nombreuses cartes.
Celles-ci, produites par la Roumanie et par l’Un ion soviétique puis par l’Ukraine elle-même,
après1990, ainsi que par des Etats tiers, confirment ce qui ressort clairement du procès-verbal
de1949—à savoir qu’une ceinture de 12milles ent oure l’île des Serpents et que l’ensemble des
eaux situées au sud de cette ceinture appartient à la Roumanie.
50. A cet égard, il existe une nette différence de principe entre les Parties. Renvoyant au
dictum énoncé par la Chambre dans l’affaire du Différend frontalier (Différend frontalier (Burkina
Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 582-583, par. 54-56), l’Ukraine plaide que
50
seules les cartes faisant partie d’un accord entre les parties peuvent se révéler pertinentes .
38 51. L’Ukraine se montre toutefois fort sélectiv e dans son approche. Elle n’accorde de poids
qu’à la carte 134, sans en prêter aucun aux planches I et V, incluses dans le même atlas. Elle fait
également fi des croquis qui font partie intégran te des procès-verbaux décrivant spécifiquement les
bornes frontière.
52. En tout état de cause, l’Ukraine se méprend ici à la fois sur le dictum de la Chambre et
sur l’argument de la Roumanie.
53. Dans l’affaire du Différend frontalier, la Chambre a fait observer :
«les cartes peuvent acquérir une telle valeur juridique [c’est-à-dire, celle d’un titre
territorial] mais cette valeur ne découle pas alors de leurs seules qualités intrinsèques :
50
CMU, par. 5.129 ; DU, par. 3.52 ii). - 33 -
elle résulte de ce que ces cartes ont été intégrées parmi les éléments qui constituent
l’expression de la volonté de l’Etat ou des Etats concernés. Ainsi en va-t-il, par
exemple, lorsque des cartes sont annexées à un texte officiel dont elles font partie
intégrante.» ( Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 582, par. 54.)
Comme l’indique clairement l’expression «par exemple», la Chambre envisageait d’autres cas de
cartes pouvant constituer l’expression de la volonté de l’Etat.
54. Il peut par exemple s’agir d’une carte produite par un Etat qui illustre sans réserve une
frontière entre le territoire de celui-ci et celui d’un autre Etat. Dans ces conditions, la description
de la frontière constitue une expr ession de la volonté de l’Etat lui- même dans la mesure où, pour
citer l’arrêt de la Cour dans l’affaire des Minquiers et Ecréhous , la carte en question peut être
considérée comme une «preuve des vues officielles [de l’Etat] à l’époque» (Minquiers et Ecréhous
(France/Royaume-Uni), arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 71). Récemment encore, vous avez reconnu
la pertinence de telles cartes dans l’affaire Malaisie/Singapour ( Souveraineté sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Ro cks et South Ledge (Malaisie/Singapour) , arrêt du
23 mai 2008, par. 271). Le recours aux cartes peut aussi se révéler approprié dans le cas d’une
carte susceptible d’être considérée comme une ad mission contraire aux intérêts de son auteur,
comme vous l’avez là encore reconnu récemment dans l’affaire Malaisie/Singapour, en référence à
la décision de la commission de délimitation des frontières entre l’Erythrée et l’Ethiopie ( ibid.,
39 citant la décision relative à la délimitation des frontières entre l’Erythrée et République fédérale
démocratique d’Ethiopie en date du 13 avril 2002, p. 28, par. 3.28).
55. Je ne veux pas dire que pareilles cartes constituent une source de titre, ni qu’elles priment
les termes exprès qui ont été utilisés dans les pro cès-verbaux de 1949 pour fixer la frontière. Elles
aident plutôt à éclaircir ou à confirmer l’interpré tation des procès-verbaux de 1949, et à révéler ce
que les parties avaient alors à l’esprit. Voilà pourquoi nous invoquons les différentes cartes
produites ultérieurement par l’Union soviétique et par la Roumanie, et ensuite par l’Ukraine.
56. De la même manière, les cartes produit es par des tierces parties peuvent se révéler
pertinentes en ce qu’elles traduisent l’interprétation d’observateurs avisés.
57. Les observations formulées par la Cour d’arbitrage dans l’affaire du Canal de Beagle
résument fort bien l’usage des cartes à cette fin : «il s’agit non pas d’opposer une ou plusieurs - 34 -
cartes à certaines attributions conventionnelles ou dé finitions frontalières, mais d’élucider ces
dernières—les éléments de preuve cartographiques pouvant être d’un certain secours en la
matière» [traduction du Greffe] 51.
La Cour d’arbitrage poursuivit en ces termes :
«les cartes publiées après la conclusion du traité peuvent éclaircir les intentions des
parties dans le cadre de ce dernier et, d’ une manière générale, la manière dont il
convient de l’interpréter. Ma is leur valeur particulière tient plutôt à ce que ces cartes
peuvent témoigner du point de vue adopté par l’une ou l’autre des parties à l’époque,
52
ou plus tard, au sujet de l’accord issu du traité.» [Traduction du Greffe.]
58. Ces observations sont particulièrement idoines dans le cas des différents types de cartes
produits par la Roumanie et par l’Union soviéti que, puis par l’Ukraine suivant son indépendance,
cartes sur lesquelles la frontière suit l’arc des 12milles qui entoure l’île des Serpents jusqu’à un
point situé à l’est. Toute carte produite par l’un quelconque des Etats parties à l’accord de 1949 qui
montre la frontière comme se prolongeant bien au -delà du secteur représenté sur la carte 134 revêt
une pertinence spéciale en ce qu’elle constitue une déclaration contraire à la thèse et aux intérêts de
l’Ukraine. Pareille carte sera d’autant plus per tinente si elle a été produite à une époque où soit
l’Union soviétique, soit l’Ukraine savait qu’il existait une divergence de vues.
40 b) Examen des documents cartographiques
59. Madame le président, Messieurs de la Cour, il n’est ⎯vous serez soulagés de
l’apprendre ⎯ pas dans mon intention de passer en revue la totalité des cartes pertinentes qui ont
été soumises au Greffe. Vous trouverez sous l’ongletV-13 de vos dossiers de plaidoiries un
tableau, qui en dresse la liste ⎯ répertoriant, autrement dit, le car tes qui représentent une frontière
maritime autour de l’île des Serp ents. Trente cartes de ce type sont reproduites dans le dossier
d’audience qui vous a été remis, en plus de celle extraite de la publication Lighthouses of Ukraine
que je vous ai projetée au début de mon expo sé: trente cartes, donc, qui font apparaître une
frontière autour de l’île des Serpents. Je me c ontenterai de brèves remarques sur quelques-uns des
51
Arbitrage concernant le canal de Beagle entre la Répub lique argentine et le Chili, Rapport et décision de la
Cour d’arbitrage, 18 février 1977, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XXI, p. 163-164, par. 137.
52Ibid., p. 164, par. 137. - 35 -
éléments les plus frappants que font apparaître certaines cartes soviétiques, ukrainiennes et
roumaines accessibles au public ainsi que ⎯et là je serai plus bref encore ⎯ certaines cartes
émanant d’autres Etats.
60. La première série de cartes date de la période immédiatement consécutive à la conclusion
des procès-verbaux de 1949: elles témoignent, peut-on penser, des vues des Parties quant à
l’accord de 1949 et à son effet.
[Projection 13: carte intitulée «Mer Noire: rive occidentale. De l’embouchure de Sulina au cap
Midia», établie par le service hydrographique sovié tique de la marine de la mer Noire (édition
de 1957).]
61. Commençons par la carte intitulée «Mer No ire: rive occidentale. De l’embouchure de
Sulina au cap Midia», établie par le service hydrographique soviétique de la marine de la mer Noire
en1957. Il s’agit de la cinquième entrée du tableau, et elle est reproduite sous l’ongletV-14 du
dossier de plaidoiries ; elle a été soumise à la Cour, qui l’a jugée recevable, l’an dernier. Sur cette
carte, la frontière maritime suit l’arc des 12milles autour de l’île des Serpents jusqu’à un point
situé approximativement est-sud-est de l’île ; là, elle s’interrompt en atteignant le bord de la carte.
La frontière se prolonge bien au-delà du point représenté sur la carte 134.
[Fin de la projection n o13.]
o
[Projection n 14: carte intitulée: «Partie occidentale de la mer Noire», établie par le service
hydrographique soviétique de la marine de la mer Noire (édition de 1957).]
62. Une deuxième carte, intitulée «Partie occi dentale de la mer Noire», émane également du
service hydrographique soviétique de la marine de la mer Noire. Il s’agit de la deuxième édition
d’une carte, établie en 1951, produite par l’Ukraine 53. Cette carte ne faisait pourtant apparaître
41 aucune frontière maritime, et ne contenait que des données destinées à la navigation. La carte
de1957, la deuxième édition, est mentionnée à la sixième ligne du tableau. La frontière, telle
qu’elle y est représentée, contourne la zone de 12milles autour de l’île des Serpents, jusqu’à un
point situé plein est de l’île.
[Fin de la projection n o14.]
o
[Projection n 15 : carte intitulée : «Partie nord-ouest de la mer Noire : de Constan ţa à Sébastopol»,
établie par la direction hydrographique maritime de la République populaire de Roumanie (édition
de 1958).]
53DU, annexe 3. - 36 -
63. La troisième carte, intitulée «Partie nord-ouest de la mer Noire: de Constan ţa à
Sébastopol», figure sous l’onglet V-16. Elle a été établie par la direction hydrographique maritime
de la République populaire de Roumanie en 1958, et vous la trouverez à la septième ligne du
tableau. La ligne frontière, sur cette carte, suit également l’arc des 12 milles et s’arrête à un point
situé plein est de l’île.
[Fin de la projection n 15.]
o
[Projection n 16: carte intitulée «Partie occidentale de la mer Noire: de l’estuaire du Dniestr
jusqu’à Sulina», établie par la direction hydrographique maritime de la République populaire de
Roumanie (édition de 1959).]
64. Une quatrième carte, intitulée «Partie occi dentale de la mer Noire: de l’estuaire du
Dniestr jusqu’à Sulina», représente de la même façon la ligne frontière. Il s’agit, dans ce cas aussi,
d’une carte roumaine et elle date de1959; elle est mentionnée à la huitième ligne du tableau, et
reproduite dans le dossier de plaidoiries, sous l’onglet V-17.
o
[Fin de la projection n 16.]
65. Ces cartes montrent la manière dont les parties aux procès-verbaux de 1949 se
représentaient la situation dans la période immédiatement consécutive à leur conclusion.
66. Je voudrais maintenant appeler votre attention sur une deuxième série de cartes établies
par la Roumanie et par l’Ukraine alors que se poursuivaient leurs négociations sur la délimitation.
[Projection n o17: cartes intitulées «Mer Noire et mer d’Azov», établie par le service
hydrographique ukrainien (édition de 2000), et «Parti e occidentale de la mer Noire», établie par la
section «Ukrmorcartographia» de l’Institut hydrographique ukrainien (édition de 2003).]
67. Le service hydrographique ukrainien et la section «Ukrmorcartogr aphia» de l’Institut
hydrographique ukrainien ont établi un certain nombre de cartes représentant la frontière le long de
l’arc des 12 milles autour de l’île des Serpents, jusqu’à un point situé plein est de l’île. C’est le cas
sur la carte publiée en 2000 ainsi que sur celle, plus tardive, de 2003 ⎯ ces cartes figurent sous les
onglets V-18 et V-19.
o
[Fin de la projection n 17.]
o
[Projection n 18: carte intitulée «Partie occidentale de la Mer Noire: d’Odessa jusqu’à
42 l’embouchure de Sulina», établie par la section «Ukrmorcartographia» de l’ Institut hydrographique
ukrainien (édition de 2001).] - 37 -
68. La carte ukrainienne de2001 ⎯mentionnée à la ligne27 du tableau et reproduite sous
l’onglet V-20 ⎯ revêt une pertinence particulière. Sur cette carte, la frontière se prolonge jusqu’à
un point situé à l’est de l’île des Serpents sur l’ arc des 12 milles ; jusqu’à ce point, la frontière est
figurée au moyen du symbole utilisé pour représenter les «frontières maritimes internationales».
L’arc des 12 milles se prolonge de là vers le nord et l’ouest, jusqu’à son intersection avec la limite
extérieure de la mer territoriale générée par le territoire continental ukrainien, au nord. Ce segment
d’arc est figuré au moyen du symbole indiquant la «limite extérieure de la mer territoriale» d’un
Etat ⎯ la différence de trait est tout à fait délibérée.
69. Cette carte, établie et publiée par l’ Ukraine, montre que celle-ci considérait
indéniablement que la frontière, au sud de l’île des Serpents, se prolongeait bien au-delà du point
représenté sur la carte 134. En outre, des symboles différents étant clairement utilisés au nord et au
sud, il y a lieu de conclure que le segment de fron tière au sud de l’île n’était pas censé marquer la
seule limite de la mer territoriale, mais une frontière maritime internationale à toutes fins. Cette
carte est assurément assimilable à une déclaration alla nt à l’encontre des intérêts de l’Etat dont elle
émane.
[Fin de la projection n o18.]
o
[Projection n 19: cartes intitulées «Partie occidentale de la mer Noire» et «Côte roumaine de la
mer Noire: du cap Kaliakra au delta du Danube» , établies par la direction hydrographique
maritime de Roumanie (édition de 2003).]
70. Deux cartes établies par la Roumanie en2003 (elles sont reproduites sous les
onglets V-21 et V-22) représentent également la ligne frontière longeant l’arc des 12 milles autour
de l’île des Serpents jusqu’à un point situé plein est de celle-ci.
[Fin de la projection n 19.]
71. Ces cartes appellent plusieurs observations :
1) Elles ont été établies par les organes officiels, et compétents, de la Roumanie et de l’Union
soviétique, puis de l’Ukraine.
2) La frontière, telle que figurée sur ces cartes, s’étend toujours au-delà du point représenté sur la
carte 134, et apparaît comme ayant le même caractère sur toute sa longueur.
3) La frontière est toujours représentée. - 38 -
4) L’Union soviétique puis l’Ukraine n’ont jamais élevé d’objection à l’étendue de la frontière
représentée sur les cartes roumaines.
5) Non seulement elles n’ont pas objecté mais elles ont elles-mêmes publié des cartes figurant une
frontière se prolongeant, sur le pourtour de l’île des Serpents, jusqu’à un point situé à l’est de
celle-ci. Ces cartes sont assimilables à une série de déclarations contraires aux intérêts de l’Etat
dont elles émanent, faites sur une longue période.
43 72. Pour finir, je mentionnerai ⎯ mais plus brièvement ⎯ les cartes émanant d’Etats tiers :
la France (ligne 17 du tableau) ; l’Allemagne (ligne 18) ; la Bulgarie (ligne 20), et la Fédération de
Russie (ligne 21).
o
[Projection n 20 : carte intitulée «Carte de la mer Noire : côtes soviétique et roumaine, du delta du
Danube jusqu’à Il’icevsk», établie par l’Institut fédéral allema nd de navigation maritime et
d’hydrologie (édition de 1991).]
73. Je ne montrerai qu’une seule de ces cartes : celle établie par l’Allemagne en 1991, qui est
reproduite sous l’ongletV-23 de vos dossiers de pl aidoiries. La frontière y est figurée le long de
l’arc entourant l’île des Serpents jusqu’à un point situé plein est ; le même symbole est utilisé sur
toute la longueur de la ligne fr ontière, qu’elle passe sur terre ou en mer. Revêt ici une pertinence
toute particulière le trait tracé au sud-est de l’île des Serpents. Vous voyez à présent un
élargissement de la carte: du côté de la fron tière où se trouve l’île des Serpents, les eaux sont
clairement présentées comme russes tandis que, de l’autre côté, elles apparaissent comme
roumaines. Un trait analogue est utilisé pour repré senter le segment de la frontière borné par les
points 1438 et 1439.
[Fin de la projection no 20.]
74. Prises conjointement, ces cartes attestent que les Parties, et les Etats tiers, considéraient
que la frontière convenue suivait l’arc des 12 milles tout au moins jusqu’à un point situé à l’est de
l’île des Serpents. Les cartes confirment le sens clair de l’accord de 1949.
75. Toutes les cartes que j’ai mentionnées emploient un même symbole pour représenter la
frontière jusqu’à un point situé à l’ est de l’île des Serpents, où elle s’achève. De toute évidence, il
était estimé que la frontière était de même nature sur toute sa longueur; elle séparait des espaces
appartenant à la Roumanie d’espaces appartenant d’abord à l’Union soviétique, puis à l’Ukraine. - 39 -
76. L’Ukraine, certes, conteste la pertinence d es cartes soumises à la Cour par la Roumanie,
mais ⎯ et c’est là le point clé ⎯ elle n’a pas été à même de produi re une seule carte, postérieure à
l’accord, à l’appui de la thèse qu’elle défend, à savoir que la frontière convenue en1949 ne
s’étendait pas au-delà de la limite représentée sur la carte134 ⎯pas une seule. Tout au plus
peut-elle produire quelques cartes ne faisant apparaître aucune fron tière maritime. Ces cartes sont
dépourvues de pertinence. Elles ne valent reconnaissance ni d’une thèse ni d’une autre. Elles sont
comme un témoin qu’on aurait appelé à la barre et qui ne dirait rien.
77. Je le répète : l’Ukraine n’ a pas été en mesure de produire une seule carte postérieure à la
conclusion des procès-verbaux de 1949 ⎯ pas une seule ⎯ à l’appui de la frontière qu’elle défend.
44
B. Les objections de l’Ukraine
78. Madame le président, Messieurs de la C our, j’aborde à présent la deuxième partie, bien
plus brève, de cette plaidoirie: l’examen des obj ections faites par l’Ukrain e aux arguments de la
Roumanie que je viens de m’efforcer d’exposer à l’instant. La Roumanie présente sixobjections
⎯ pardon, l’Ukraine fait six objections ⎯ je n’ai pas changé de camp !
1. Les accords de délimitation au sens des paragraphes 4 des articles 74 et 83
79. Premièrement, l’Ukraine, tout en acceptant le caractère valide et contraignant des
différents accords, fait valoir qu’ ils ne constituent pas des «accords de délimitation» au sens des
paragraphes 4 des articles 74 et 83 car ils ne déli mitent pas les plateaux continentaux ou les zones
économiques exclusives des Parties mais séparent ces zones de la mer territoriale des 12 milles qui
appartient à l’Ukraine autour de l’île des Serpents . M.Pellet a traité de cet argument en ce qu’il
concerne la compétence, je l’envisagerai en ce qu’il se rapporte au fond.
80. Les paragraphes 4 des articles 74 et 83 ne disposent pas qu’un accord auquel ces articles
se réfèrent devrait délimiter des zones ayant le même caractère. Dans la mesure où le
procès-verbal général de1949 et les accords ulté rieurs ont abouti à une délimitation des zones
maritimes des Parties et où la frontière délimite , sur au moins un côté, un plateau continental ou
une zone économique exclusive, il s’agit donc d’accords «délimitant» un plateau continental ou une
zone économique exclusive au sens des paragraph es4 des articles74 et83 et, suivant le sens
commun donné à ces termes, ils délimitent la zone. - 40 -
81. Un instant de réflexion permettra de c onstater que tel est souvent le cas par exemple,
lorsqu’une petite île appartenant à un Etat se trouve à proximité de la ligne d’équidistance ou de la
ligne médiane continentale. Dans ces conditions, il est courant, sinon constant, que la petite île
bénéficie seulement d’une enclave ou d’une semi -enclave de 12milles. Une telle frontière
constitue indubitablement une dé limitation du plateau continenta l et de la zone économique
exclusive de l’Etat adverse, même si le long d’une partie de son tracé, elle n’a, sur un côté, qu’une
mer territoriale. L’argument de l’Ukraine peut être poussé jusqu’à l’ab surde: un accord traçant
une ligne de 13milles ou de 12milles et demi aut our d’une île est un accord de délimitation, de
même si la distance est de 12 milles et 1 mètre, mais tel ne serait pas le cas si elle était de 12 milles
exactement, et pourtant 12 milles représente la forme courante.
45 2. L’absence d’accord exprès concernant le pointX et l’absence de cartes contemporaines
montrant un prolongement de la frontière jusqu’au point X
82. Deuxièmement, l’Ukraine fait valoir qu’au cun des accords ne dispose que la frontière
convenue se prolonge jusqu’au point plein est de l’île des Serpents ⎯ celui que nous avons appelé
54
le point X .
83. Mais la longueur de la frontière convenue est fixée par les termes employés dans le
procès-verbal général de 1949 lui-même et confirmée dans des accords ultérieurs. Le procès-verbal
prévoit clairement que la frontière suit la limite extérieure de la zone frontière maritime de
12 milles autour de l’île des Serpents ; elle va donc aussi loin que la zone, face à la Roumanie.
84. Quoi qu’il en soit, l’argument de l’Ukraine peut être interprété dans les deux sens : il n’y
a pas non plus de limitation expresse de la frontière. Une frontière qui suit un arc de moins de 23°
ne saurait être considérée comme «entourant» l’île des Serpents.
85. L’Ukraine souligne qu’aucune des cartes jointes au procès-verbal ne montre que la
55
frontière convenue se prolonge jusqu’au point X . Mais, encore une fois, il faut partir du véritable
sens du procès-verbal : que signifiait-il ? Les planches I et V montrent que la frontière convenue se
prolonge au-delà du point où elle s’arrête sur la carte134: il est évident que la zone n’est pas
54
DU, par. 3.12.
55
Ibid., par. 3.25-3.28. - 41 -
limitée comme le montre la carte134. En outre, les cartes produites par les parties au
procès-verbal de1949 montrent que celles-ci comprenaient très bien que la frontière convenue
n’était pas limitée ainsi.
3. Le mandat de la commission mixte de démarcation de la frontière
86. Troisièmement, l’Ukraine fait observer que la tâche de la commission mixte
soviéto-roumaine qui a établi le procès-verba l de1949 «ne comprenait pas la démarcation du
56
secteur maritime de la frontière» : la commission était «uniquement chargée de démarquer la
frontière d’Etat jusqu’à la borne frontière 1439».
87. La première observation n’est bien évidemment pas fondée. Après tout, la commission
de démarcation a fixé l’emplacement de deux bornes frontières situées en mer : 1439 et 1438.
88. Quand à la seconde, il est vrai que la bor ne frontière1439 était la dernière à avoir été
démarquée. Mais le fait que celle-ci ait été le «point terminal de la ligne frontière démarquée» 57
46 n’a aucune conséquence pour la délimitation effectuée par le procès-verbal général de1949 et
confirmée sans réserve dans le traité de Moscou.
89. Il ressort des termes clairs du procès-verbal général de 1949 et de la manière dont elle est
représentée sur les cartes jointes qui font partie de l’accord que la frontière délimitée d’un commun
accord se prolonge au-delà de la borne frontière 1439 et suit la limite extérieure de la zone frontière
maritime de 12milles autour de l’île. La conclusion selon laquelle le procès-verbal a délimité la
frontière au-delà de la borne frontière1439 s’accorde parfaitement avec une démarcation des
bornes frontières selon des termes qui couvraient également un processus de délimitation.
90. L’Ukraine fait valoir que «la commission mixte considérait le point1439 comme «le
point terminal de la ligne frontière démarquée»» 58. Il s’agissait certainement du point terminal
démarqué, mais le fait est que les Parties en ont convenu et qu’elles ont ainsi inévitablement
délimité le tracé de la frontière autour de l’île des Serpents. Il est expressément indiqué qu’elle
«suit la limite extérieure de la zone frontière maritime de 12 milles». La zone était reconnue et ce,
56DU, par. 3.14.
57
Ibid., par. 3.15.
58Ibid., par. 3.19 ; les italiques sont dans l’original. - 42 -
non seulement comme une zone appartenant à l’Un ion soviétique. La frontière définie comme
suivant la limite extérieure de celle-ci séparait «la zone frontière maritime» appartenant à
l’Union soviétique des espaces relevant de la Roumanie.
91. Quelle que soit la portée du mandat que la commission mixte ait pu avoir, l’Ukraine ne
peut se soustraire au fait que la commission a e ffectivement délimité la frontière au-delà de la
borne frontière1439 et que cette délimitation a été expressément approuvée dans son intégralité
dans une série d’accords ultérieurs.
4. Les travaux préparatoires de la commission mixte
92. Quatrièmement, l’Ukraine fait état des doc uments produits par la commission : elle note
que les travaux n’envisagent aucunement que la frontière se prolonge jusqu’au point X 59.
93. Mais, de la même façon, les travaux pr éparatoires ne contiennent rien quant à la
limitation de la frontière sur laquelle s’ appuie l’Ukraine. Ces travaux précisent ⎯ sans rien
indiquer de plus ⎯ que la frontière passe sur «la marge extérieure de la limite marine de
12milles». La zone ne s’arrêtait pas juste après avoir commencé dans le secteur sud-ouest du
47
cercle; or, si la zone ne s’arrêtait pas, il en a llait de même pour la frontière qui suivait sa limite
extérieure.
94. En fait, les travaux préparatoires n’apportent pas beaucoup d’éléments pour étayer l’une
ou l’autre des thèses. Le seul point indiscutable est que la commission mixte a convenu que la
60
frontière maritime «suit l’arc autour de l’île des Serpents au-delà du point 1439» . A cet égard, les
travaux concordent avec la position de la Roumanie et non avec celle de l’Ukraine.
5. La carte 134 qu’invoque l’Ukraine
95. Cinquièmement, l’Ukraine est obligée de fair e pour le mieux avec le peu qu’elle a. Elle
accepte que le procès-verbal de1949 a a bouti à une frontière convenue suivant « sur une certaine
61
distance l’arc des 12 milles marins limitant la mer territoriale de l’île des Serpents» . Cependant
celui-ci prend bien soin de ne pas définir le point convenu, et il ne dit pas que la frontière convenue
59Ibid., par. 3.20-3.21.
60
Ibid., par. 3.21.
61Ibid., par. 3.7 ; les italiques sont dans l’original ; voir aussi par. 3.22 et 3.35; cf. par. 3.17. - 43 -
se prolongeait même aussi loin que ce qui figure sur la carte134. C’est en vain que vous
chercherez dans la duplique une formule claire à ce sujet: si l’on va au-delà de la borne
frontière 1439, où s’arrête la frontière ? L’Ukraine ne le dit jamais. Elle se borne plutôt à dire, de
manière négative, qu’«il n’y a pas de frontière conve nue suivant l’arc autour de l’île des Serpents
au-delà du point d’intersection…» 62; qu’aucun élément de preuve n’indique que «la frontière
63
convenue…s’étend jusqu’au «pointX» ; qu’«il n’y a pas de fron tière maritime convenue qui
s’étende plus à l’est que le point conve nu dans le traité ukraino-roumain de 2003» 64. Une série de
formules négatives ne constitue pas une thèse affirmative.
96. A l’appui de sa thèse, l’Ukraine invoque la prétendue coïncidence entre le point
d’intersection des limites extérieures des mers territoriales des Parties, comme il fut convenu
en 2003, et le prétendu point terminal –– qui serait, dit-on, montré sur la carte 134. Sur la base de
cette apparente coïncidence, elle construit une hypothèse complexe, que n’étaye aucun élément de
preuve, selon laquelle la raison pour laquelle l’Union soviétique et la Roumanie ont peut-être
convenu de montrer une frontière ne s’étendant que jusqu’au point indiqué sur la carte 134 était que
48
les Parties envisageaient déjà que la Roumanie pour rait porter sa mer territoriale à 12 milles. Bref,
elle soutient que la frontière représentée sur la carte 134 était censée refléter cette possibilité.
97. Cependant, l’hypothèse de l’Ukraine doit êt re rejetée dès que l’on constate les réalités
géographiques et la configuration de la côte en 1949.
o
[Projection n 21 : effets du prolongement de la digue de Sulina.]
98. En 1949, la Roumanie revendiquait une mer territoriale de six milles –– et vous voyez, là
encore, la limite extérieure de cette mer territoriale de sixmilles, tracée en fonction de la ligne
côtière de l’époque –– cette diapositive et celles qui suivent sont reproduites sous l’onglet V-24 du
dossier de plaidoiries. On constate que la borne frontière1439 était largement à l’extérieur de la
mer territoriale, et que la limite extérieure de la mer territoriale de six milles coupait la frontière au
point situé entre les bornes frontière1438 et1439. Il convient de faire un certain nombre
d’observations.
62Ibid., par. 3.7.
63
Ibid., par. 3.25; voir aussi par. 3.22, 3.49 et 3.50.
64Ibid., par. 3.2; voir aussi par. 2.12, 3.5a), 3.65, 3.67. - 44 -
99. Premièrement, on se rappellera que le texte dit expressément que la borne frontière 1439
constitue l’un des points d’inflexion de la ligne de frontière, et ce en dépit du fait qu’elle était
clairement située à l’extérieur de la mer territoriale la Roumanie à l’époque.
100. Deuxièmement, comme je l’ai dit, la fr ontière est indiquée tout du long à l’aide des
mêmes symboles, alors que, vu les zones maritim es à l’époque, elle cons tituait une frontière qui
séparait les eaux faisant l’objet de régimes juridiques différents.
101. Troisièmement, les eaux au nord et au s ud de la frontière sont clairement désignées
comme rattachées aux deux Etats; un ensemble d’abréviations est situé sur les deux côtés de la
section où elle court le long de l’arc des 12 milles, largement à l’extérieur de la mer territoriale de
la Roumanie.
102. Quand à l’argument de l’Ukraine selon le quel on envisageait le point montré sur la
carte 134 en raison de l’élargissement de 12 milles, il est soutenu que ce point coïncide avec celui
qui marque la limite de la mer territoriale de 12 milles.
103. Mais si le procès-verbal général de 1949 avait visé l’établissement d’un point terminal
pour la frontière, les Parties auraient certainemen t mentionné ce point dans le texte et auraient
précisé les coordonnées de celui-ci, comme elles le firent méticuleusement en ce qui concerne tous
les autres 1439 points d’inflexion. Tel ne fut pas le cas.
104. En outre, le prétendu point terminal représenté sur la carte134 n’est pas au même
endroit que le point terminal marqua nt la limite extérieure de la mer territoriale des Parties, telle
que convenue en 2003. Je donne les coordonnées des deux points dans le texte de mon exposé ; je
49
ne les lirai pas ici, mais je demanderai au Greffe d’avoir l’obligeance de les inclure dans la version
imprimée de mon intervention. Point terminal représenté sur la carte134, dont les coordonnées
sont 45°05'24" de latitude nord et 30° 02'13" de longitude est; pointF(2003) , dont les
coordonnées sont 45°05'21"de latitude nord et 30°02'27" de longitude est. Je peux vous dire
que la différence entre le point terminal sur la carte134 et le point convenu en2003 est de
93mètres nord-sud et 219mètres est-ouest ––une différence non négligeable que les Parties
auraient relevée si elle avait existé6.
65
RU, par. 3.45. - 45 -
105. Mais, élément plus important encore, la R oumanie et l’Union soviétique n’auraient pas
pu prévoir que le point qui serait convenu en2003 serait le point d’intersection de la limite
extérieure des mers territoriales de 12 milles de la Roumanie et de l’Ukraine. Le point F n’est situé
là où il est qu’en raison d’importantes modifications matérielles de la digue de Sulina –– le point de
base roumain.
106. Ces modifications se sont produites entre les annéec sinquante et les
annéesquatre-vingt. Elles ont abouti à un prolongement de la digue d’en viron 1,5mille. Ces
prolongements n’ont pas suivi de calendrier précis ou de plan établi à l’avance, car ils ont été la
conséquence d’une sédimentation gr aduelle et irrégulière. Les Parties ne pouvaient prévoir,
en 1949, où la digue de Sulina se terminerait en 2003.
107. En fait, le point situé à 12 milles de l’extr émité de la digue de Sulina, telle qu’elle était
en1949, aurait été à une distance importante au nord-ouest du pointF, tel qu’il fut convenu
en 2003, et du prétendu point final de la frontiè re représentée sur la carte 134 –– vous pouvez voir
ceci sur l’écran maintenant. Le dernier poi nt convenu sur la carte134 se trouvait en fait
à 13,4 milles marins du point de base à l’extrémité de la digue, telle qu’elle était en 1949.
108. Si les Parties avaient eu l’intention de tenir compte d’un éventuel élargissement de la
mer territoriale de la Roumanie à 12miles, la frontière convenue entre elles aurait alors été bien
plus courte que celle que l’on voit sur la carte 134.
109. Bref, vu la configuration côtière réelle , même en ce qui concerne l’Ukraine quant aux
effets de la carte134, les Parties se sont n éanmoins entendues sur une frontière de longueur
relativement importante, de plus d’un mille, qui sép arait les zones à l’extérieur de la présumée mer
territoriale de 12milles de la Roumanie et de la zone maritime de 12milles autour de l’île des
Serpents.
50 6. La position de l’Ukraine concernant le statut des eaux des deux côtés de la ligne convenue
110. Enfin, sixièmement, l’Ukraine soutient que les parties n’ont pas pu avoir l’intention de
s’entendre sur une frontière maritime à toutes fins , vu que, à l’époque, on considérait que la zone
au-delà des mers territoriales était la haute mer 66. Selon elle, il serait plus exact de dire que la
66
RU, par. 3.73. - 46 -
Roumanie et l’Union soviétique se sont entendu es sur une frontière séparant les zones maritimes
rattachées à l’Union soviétique de la haute mer, sans préjudice des prétentions subséquentes de
celle-ci sur d’autres zones maritimes au sud.
111. A l’appui de cette thèse, l’Ukraine soutient que le procès-verbal de 1949 est muet sur le
statut des eaux au sud de la frontière convenue à l’ extérieur de la mer territoriale de 12 milles de la
Roumanie que les parties étaient censées envisager ; elle n’avance aucun élément de preuve à
67
l’appui de cette allégation . Mais cela ne peut être pertinent que si les parties avaient à l’esprit
l’élargissement de la mer territoriale et, ainsi que je l’ai dit, il n’y a aucun élément de preuve allant
en ce sens. Au surplus, cet argument ne cadre pa s avec l’étendue de la fron tière représentée sur la
carte 134, vu les réalités géographiques de 1949. Le fait demeure que l’abréviation «RPR» sur le
croquis inclus sur la carte 134 et figurant aussi dans le procès-verbal spécifique, est située au-delà
de la limite de 6 milles. Et qui plus est, elle est plus ou moins coupée par ce qui aurait été une mer
territoriale roumaine de 12 milles selon l’étendue de la digue de Sulina en 1949.
o
[Fin de la projection n 21.]
112. L’Ukraine fait valoir que le procès-ve rbal de1949 n’indique pas qu’il était de
l’intention des parties de tracer une frontière à toutes fins unique. Mais celui-ci ne fait pas non plus
mention du fait que la frontière maritime était censée avoir un caractère varié selon les différentes
parties de celle-ci. Il se borne à montrer le même symbole. Il ne précise non plus le point auquel la
modification s’est produite, ainsi que l’on aurait pu s’y attendre, vu le caractère exhaustif de
l’accord, si telle avait été l’intention des parties.
113. Si l’intention des parties était telle que le soutient l’Ukraine, elles n’auraient pas eu
recours à l’expression «ligne frontière d’Etat» pour qualifier la frontière. Au surplus, l’Ukraine n’a
pu citer un seul exemple, tiré de la pratique des Etats, d’un accord sur une frontière unilatérale qui
n’a pas d’incidence sur l’autre Etat.
51 114. En fait, l’expression «zone frontière mar itime» que l’on trouve dans l’accord de1949
est un cas unique. L’Union soviétique ne s’en est pas servie, que ce soit dans des traités ou
d’autres accords, ou dans ses propres décrets, à l’époque ou depuis lors. Il ne semble pas qu’elle
67
Ibid., par. 3.95 et cf. par. 3.88. - 47 -
68
ait été synonyme de «mer territoriale» . En 1949, l’Union soviétique ne revendiquait pas de mer
territoriale en tant que telle. Conformément à l’approche suivie antérieurement par la Russie
impériale 69, elle revendiquait plutôt un certain nombr e de différentes zones de compétence sur les
eaux contiguës à la côte. Ces zones avaient trait au contrôle douanier, aux pêches, à la
réglementation des communications radio, aux brise-glaces, à la prévention des dommages aux
70
câbles sous-marins, etc. . Dans les notes de bas de page, on trouvera des références à des textes en
langue anglaise sur le droit de la mer soviétique. Se fondant sur la pratique de l’Union soviétique,
le professeur Butler disait en 1968 que «l’on pouvait soutenir que l’Union soviétique n’a pas acquis
71
de ceinture d’eaux territoriales d’une étendue de douzemilles avant1960» [traduction du
Greffe]. C’est en1960 que l’Union soviétique a adopté une nouvelle loi sur la protection de la
frontière. Cela coïncida avec sa ratification des trois conventions de Genève de 1958.
115. Il est à noter qu’en1949, l’Union soviétique était bien au courant de l’institution du
plateau continental, qui était en pleine évolution. Elle n’a pas pris pour position qu’il y avait une
mer territoriale déterminée et rien au-delà. En 1944, on lui avait remis le projet de proclamation du
présidentTruman sur le plateau continental; ce lle-ci fut prononcée l’année suivante et fit l’objet
d’observations de la part de l’Union soviétique 72. Si l’Union soviétique avait voulu se réserver le
droit de revendiquer un plateau continental ou d’autres zones maritimes au-delà de 12 milles au sud
de l’île des Serpents, elle aurait pu le faire de nombreuses manières.
116. Vu les circonstances, la façon naturelle d’interpréter les procès-verbaux de 1949 est de
dire que la frontière devait cons tituer une frontière maritime à toutes fins séparant les zones
rattachées à l’Union soviétique de celles rattach ées à la Roumanie. La conséquence serait que,
quelque pût être l’évolution de la situation à l’avenir, évolution dont l’Unionsoviétique était
éventuellement consciente, l’Union soviétique ne revendiquerait rien au sud de la ligne convenue.
68 W.E. Butler, The Soviet Union and the Law of the Sea (Baltimore: Johns Hopkins Press, 1971), p.21;
W. E. Butler, “The Legal Regime of Russian Territorial Waters”, American Journal of International Law, Vol. 62 (1968),
p. 59-60.
69 Ibid., p. 52-54.
70 Ibid., p. 59-61; voir aussi L. B. Schapiro “The Limits of Russian Territorial Waters in the Baltic”, British Year
Book of International Law, Vol. 27 (1950), p. 447.
71 W.E.Butler, “The Legal Regime of Russian Territorial Waters”, American Journal of International Law ,
Vol. 62 (1968), p. 75.
72 Voir Foreign Relations of the United States, 1945, Vol. 2, p. 1496, 1507, 1508, 1510, 1511. - 48 -
52 117. L’Ukraine fait peu de cas de la pratique des Etats qu’invoque la Roumanie concernant
73
les frontières maritimes à toutes fins au motif que tous les exemples cités sont postérieurs à 1949.
Cependant, même avant1949, la pratique en matière de zones maritimes n’était pas fixée. A cet
égard, les divergences qui ont posé problème à la Cour dans l’affaire des Pêcheries (Royaume-Uni
c. Norvège) en1951 (voir, par exemple, C.I.J. Recueil 1951 , p.129-131), étaient déjà très
évidentes.
Conclusion
118. En conclusion, Madame le président, M essieurs les membres de Cour, le procès-verbal
de 1949, dont la teneur est confirmée par les carte s qui y sont annexées, a abouti à la délimitation
d’une frontière maritime à toutes fins le long de l’arc des 12milles autour de l’île des Serpents.
L’existence d’une telle frontière a été confirmée par des accords subséquents et par la production
cartographique des parties, et des Etats tiers. La Roumanie demande à la Cour de confirmer,
conformément au principe de la primauté des accords en matière de délimitation maritime, que
cette frontière constitue la partie initiale du premier secteur de la délimitation entre les Parties.
Madame le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre attention. Je vous prie
de donner maintenant la parole à M. Aurescu, qui poursuivra l’exposé de la Roumanie.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Crawford. Je passe la parole à M. Aurescu.
M. AURESCU :
LES CARACTÉRISTIQUES DE L ÎLE DES SERPENTS
1. Madame le président, Messieurs de la C our, il m’incombe aujourd’hui de vous présenter
les caractéristiques concrètes de l’île des Serpents, jetant ainsi les bases de deux arguments
juridiques fondamentaux de la Roumanie. Le premier de ces arguments est que, au-delà des
12 milles de mer territoriale qui lui sont déjà reconnus, l’île des Serpents ne doit pas être prise en
considération parmi les côtes à utiliser pour la délimitation maritime. Cet argument sera traité par
M.Pellet, qui prendra ma suite demain. Le s econd est que, comme M.Lowe l’exposera lui aussi
73
RU, par. 3.93. - 49 -
demain, les caractéristiques de cette formation—un petit rocher qui ne se prête ni à l’habitation
53 humaine, ni à une vie économique propre — font que, en application de la convention de 1982, l’île
ne confère aucun droit à un plateau continental ou à une zone économique exclusive, ce qui
confirme donc l’effet des accords roumano-soviétiques de 1949, 1963 et 1974.
2. Mais avant toute chose, pour commencer par les faits, je ferai ressortir quatre traits de
cette île :
⎯ premièrement, il s’agit d’une petite formation rocheuse sans lien avec la côte continentale ;
⎯ deuxièmement, elle n’a jamais été peuplée et demeure inhabitée à ce jour, puisqu’impropre à
l’habitation ;
⎯ troisièmement, elle n’a ni terre, ni végétati on, ni faune, ni eau, et conjugue climat très
rigoureux et inaccessibilité ;
⎯ quatrièmement, elle ne possède aucune ressource que ce soit, ne permet aucune production et
exclut toute vie économique propre.
1. L’île des Serpents est une petite formation rocheuse sans lien avec la côte continentale
3. Madame le président et Messieurs de la Cour, j’en viens à mon premier point: l’île des
Serpents est une petite formation rocheuse.
a) La situation géographique de l’île des Serpents
4. La formation maritime dénommée l’île des Serpents est située dans le bassin nord-ouest de
la merNoire, à 46,5km de la ville portuaire r oumaine de Sulina; la ville ukrainienne la plus
proche est Vilkovo, à 60,2 km de là. Odessa, la cap itale de la région administrative englobant l’île
des Serpents, est à 165kilomètres de celle-ci, qui c onstitue donc le point le plus éloigné de cette
région.
o
[Projection n 1 : photo satellite du delta du Danube, mise à la disposition du public sur le site de la
NASA à l’adresse suivante: http://earth .jsc.nasa.gov/sseop/EFS/lores.pl?PHOTO=NASA7-720-6
(RR, p. 142) (dossier de plaidoiries, onglet VI-1).]
5. L’emplacement de l’île des Serpents peut être observé sur la photo satellite que voici à
l’écran.
6. Madame le président et Messieurs de la Cour, je sais qu’être juge demande de la
perspicacité, mais il ne s’agit pas là d’un exam en ophtalmologique. Même si, dans la Rome - 50 -
antique, les Romains (ancêtres des Roumains) avaient coutume d’imaginer la «justice» sous la
forme d’une déesse aux yeux bandés, je puis vous assurer que vos yeux sont en parfait état. Le fait
est que l’île des Serpents — que je vous signale ici — est tout à fait insignifiante dans le contexte
géographique du secteur. En outre, elle n’a abso lument aucun lien avec la côte ukrainienne.
54
74
D’ailleurs, comme une agen ce de presse ukrainienne l’a indiqué en juin 2006 , l’île des Serpents
n’est rien qu’une «protubérance rocheuse» dans la mer Noire.
o
[Projection n 2: figure 3-5 intitulée «Agglomérations situées sur la côte ukrainienne en mer
Noire» (CMU, p. 21) (dossier de plaidoiries, onglet VI-2).]
7. L’Ukraine elle-même a implicitement confir mé cette réalité. Sur la figure3-5 de son
contre-mémoire intitulée «Agglomérations situées su r la côte ukrainienne en mer Noire», qui est
actuellement projetée à l’écran, l’île des Serpents n’apparaît tout simplement pas.
b) La petite taille de l’île des Serpents
75
8. L’Ukraine affirme que «les dimensions de l’île des Serpents ne sont pas négligeables» .
Mais les faits indiquent le contraire 76. L’île mesure quelque 662mètres de long et 440mètres de
77 2
large . Sa superficie se réduit à 0,17 km .
9. Naturellement érodée par les vagues et les vents, la surface de l’île rétrécit. Déjà constaté
au XIX e siècle , ce phénomène se poursuit. Un article ukrainien de 2007, que vous trouverez sous
79
l’onglet VI-3 de votre dossier , montre que l’île est une peau de chagrin —sa surface se réduisant
aujourd’hui à 16 ha., sous l’effet de cette érosion co ntinue et de la hausse du niveau de la mer. Ce
fait a été mentionné par plusieurs responsables ukr ainiens soucieux de consolider les rives pour
prévenir l’érosion et le partage de l’île des Serpents en deux parties, dont les propos ont été
80 81 82
rapportés dans la presse ukrainienne . En fait, tant en 2007 qu’en 2008 , le budget de l’Etat
74
RR, annexes 12 et 13. Voir également RR, p. 169, par. 5.124.
75DU, p. 76, par. 4.40.
76RR, p. 136-137, par. 5.30-5.34 ; p. 139-141, par. 5.38-5.41 ; p. 166-170, par. 5.109-5.125. Voir également DU,
p. 115, par. 6.63 et p. 116, par. 6.69.
77MR, p. 17, par. 2.10.
78MR, annexes 6, 44, 45, 46. Voir également MR, p. 151-154, par. 10.22-10.27.
79 o
Article intitulé «L’île de l’infortune» de Vladimir Katkevich paru dans le journal Zerkalo Nedeli, édition n 19
(648) du 19 au 25 mai 2007,http://www.zn.ua/1000/1550/59326/ [traduction du Greffe].
80
RR, annexes 7 et 27. Voir également RR, p. 140, par. 5.40 et p. 170-171, par. 5.127-5.128. - 51 -
ukrainien prévoyait des fonds spéciaux pour finan cer un programme de consolidation des rives de
l’île.
55 10. Les propres annexes de l’Ukraine—celle s du contre-mémoire— désignent l’île des
83
Serpents comme «ce petit morceau…de terre…iso lée au milieu de l’immensité des flots» , «une
84 85
petite île» , «un rocher solitaire et isolé» , une île «si petite que lorsque nous passions, nous
86 87
pouvions la voir dans sa totalité…Cet endroit isolé» , «la petite île des Serpents» aux
88 89
«dimensions négligeables» et à «la taille négligeable» , «cette petite terre isolée» et un «coin de
terre isolé» 90. Pour les médias ukrainiens, l’île des Serpents est une «minuscule partie du territoire
ukrainien» 91, «un îlot» et une «parcelle de terre rocailleuse» 92 , «un minuscule lopin de terre» 93,
94 95 96
«une petite île» , une «petite terre en mer» et une «petite protubérance sortant des flots» . Un
97
article de journal ukrainien de 2002 est catégorique : «La qualification même d’île est excessive» .
o
[Projection n 3: Comparatif des dimensions de l’île d es Serpents avec celles des îles de Filfla et
d’Abu Musa]
11. Vous pouvez actuellement voir à l’écran, et sous l’onglet n°VI-6 de votre dossier, un
comparatif des dimensions de l’île des Serp ents avec celles de deux autres formations
81 o o
Annexe3 de la loi n 489-V, publiée au journal officiel de l’Ukraine (Ofitsiniy Vistnik Ukrainy) n 52/2006,
disponible à l’adresse suivante: http://www.gdo.kiev.u a/files/db.php?st=3477&god=2006 ( dossier de plaidoiries,
onglet VI-4).
82
An3nede la lo1i0n-°VI, disponible à l’adresse suiv:ante
http://www.gdo.kiev.ua/files/db.php?st=1&god=2008 (dossier de plaidoiries, onglet VI-5).
83CMU, annexe 11 ; RR, p. 136, par. 5.31 et p. 166, par. 5.111.
84
CMU, annexe 48 ; RR, p. 137, par. 5.33 et p. 167, par. 5.113.
85
CMU, annexe 49; RR, p. 167, par. 5.115.
86
CMU, annexe 50 ; RR, p. 140, par. 5.39 et p. 167, par. 5.116.
87
CMU, annexe 54 ; RR, p. 140, par. 5.39 et p. 168, par. 5.117.
88
CMU, annexe 57 ; RR, p. 168, par. 5.119.
89
CMU, annexe 60 ; MR, annexe 42 ; RR, p. 168, par. 5.120.
90
CMU, annexe 63 ; RR, p. 168, par. 5.122.
91MR, annexe 57.
92Ibid., annexe 71.
93Ibid., annexe 36.
94Ibid., annexe 56.
95RR, p. 141, par. 5.41 et p. 169-170, par. 5.125.
96Article intitulé «L’île de l’infortune» de Vladimir Katkevich paru dans le journal Zerkalo Nedeli, édition n 19
(648) du 19 au 25mai2007, http://www.zn.ua/1000/1550/ 59326/ (dossier de plai doiries, onglet VI-3) [traduction du
Greffe].
97MR, annexe 33 ; MR, p. 143, par. 10.5. - 52 -
maritimes ⎯ l’île maltaise de Filfla qui, avec sa superficie de 0,06 km , couvre 35 % de la surface
2
de l’île des Serpents, et celle d’Abu Musa qui, avec ses 12 km , est 70 fois plus grande. Ces deux
îles ont été considérées—par la Cour dans l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe
libyenne/Malte), dans le cas de Filfla, et par le Tribunal arbitral dans le cadre de la délimitation
maritime entre Doubaï et Chardjah, dans le cas d’Abu Musa — comme dépourvues d’effet dans le
cadre du processus de délimitation.
56 c) L’île des Serpents en tant que formation rocheuse
12. L’Ukraine prétend que le caractère rocheux de l’île des Serpents n’en fait pas un rocher
au sens juridique du terme tel qu’exposé au paragrap he 3 de l’article 121 de la convention de 1982.
Mais là n’est pas la question. La Roumanie ne s’en tient pas uniquement à la composition
géologique de l’île des Serpents—dont le sous-sol et presque toute la surface sont effectivement
rocheux — mais invoque aussi les conséquences de ce fait, qui peuvent se résumer en un mot : l’île
est inhabitable.
13. Ainsi, un article du New York Times du 29 août 1856 intitulé «Infraction russe au
98
traité de Paris: la Russie occupe l’île des Serpents» , qui est reproduit dans votre dossier sous
l’ongletVI-7, indique que l’île des Serpents n’ est «rien d’autre qu’un rocher nu de taille très
réduite» 99[traduction du Greffe]. Cette appréciation se retrouve aussi dans la presse ukrainienne :
100 101
l’île des Serpents est un «rocher en mer» , «un rocher de pierre compacte» , une «île
102 103
rocheuse» , une «îlot rocheux» et une «surface purement rocailleuse…composée de roches
dures» 104. D’après une description datant d’août 2007—versée à votre dossier sous
98
http://query.nytimes.com/gst/abstract.html?res=9F01E3DC113CEF34BC4151DF….
99
D’autres sources sont citées dansle mémoire (MR, p.146-154, par.10. 12-10.27) et dans la réplique (RR,
p. 136-141, par. 5.30-5.41 et p. 166-171, par. 5.109-5.128).
100
MR, annexe 57.
101MR, annexe 36. Voir également MR, p. 146, par. 10.13.
102MR, annexe 58.
103RR, annexe 8. Voir également RR, p. 141, par. 5.41 et p. 169-170, par. 5.125.
104
MR, annexe 56. - 53 -
l’onglet VI-8 105 —, «à vue d’oiseau, l’île des Serpents pa raît exotique. Mais quiconque la voit de
plus près se retrouve au beau milieu de rochers abandonnés».
o
[Projection n 4 : Photographies de l’île des Serpents datant de l’entre-deux-guerres (MR, figure 18,
p.153; figure15, p.149, tirée du volume1931 de l’ouvrage de R.I. C ălinescu, Insula Şerpilor.
Schiţă monografic ă, également incluse dans le mémoire, à l’annexe6) (dossier de plaidoiries,
onglet VI-9)]
14. Madame le président, Messieurs de la Cour, voyez vous-mêmes de vos propres yeux
comme cette petite parcelle de territoire roch eux se révèle hostile et aride sur les photos—
projetées ici à l’écran—qui ont été prises par d es scientifiques roumains pendant la période de
l’entre-deux-guerres, et plus précisément en 1931. L’Ukraine accuse la Roumanie de présenter une
106
image «très sélective» de l’île des Serpents . Mais elle a tort. En fait, ces photos sont tout à fait
révélatrices, puisqu’elles ont été prises à une époque où nul ne contestait l’appartenance de l’île des
57
Serpents à la Roumanie et où nul ne s’interrogeait sur le rôle que celle-ci devrait finalement jouer
dans le cadre d’une éventuelle opé ration de délimitation maritime. Leur véracité et les intentions
de leurs auteurs ne sauraient être mises en doute. Il est évident qu’elles montrent les véritables
caractéristiques naturelles de l’île des Serpents. On ne peut en dire autant de l’image artificielle
que l’Ukraine tente depuis peu de donner de ce lieu naturellement inhospitalier. Je reviendrai
demain sur cette question.
[Projection 5—photographies de l’île des Serpents et de Filfla (dossier de plaidoiries, onglet
VI-10).]
15. Enfin, je note à quel point l’île des Serpen ts ressemble à l’île maltaise de Filfla, qualifiée
par la Cour de «rocher inhabité» dans l’affaire Libye/Malte (Plateau continental (Jamahiriya arabe
libyenne/Malte), arrêt, C.I.J.Recueil1985 , p.20, par.15). Dans cette affaire-là, la Cour n’avait
pas jugé équitable de «tenir compte de Filfla dans le calcul de la médiane provisoire entre Malte et
la Libye» ( ibid., p.48, par.64). Voici Filfla et l’île des Serpents à l’écran. Toutes deux ont le
même aspect rocheux, aride et impropre à toute habitation humaine ou activité économique.
105
Article du 30août2007 intitulé «Les habitants de ldes Serpents n’ont pas la vie facile» de l’agence de
presse ukrainienne Podrobnosti, http://www.podrobnosti.ua/podrobnosti/2007/08/30/452743.html (dossier de plaidoiries,
onglet VI-8).
106CMU, p. 24, par. 3.45. - 54 -
2. L’île des Serpents n’est actuellement pas peuplée et ne l’a jamais été
16. Madame le président, Messieurs de la Cour, le deuxième point que je souhaite soulever a
trait au fait que l’île des Serpents n’est actuellement pas peuplée et ne l’a jamais été. Une raison
simple explique cette absence de peuplement: l’ île ne se prête pas à l’habitation humaine. Cette
situation objective s’explique par l’aridité de l’île, par le fait qu’elle est dépourvue de toutes sortes
de ressources, à commencer par l’eau, par sa petite taille, par son éloignement et son inaccessibilité
et par son climat rigoureux et hostile. Tous ces fa cteurs réunis font naturellement de l’île des
Serpents un endroit qui ne se prête pas à l’hab itation humaine, même pour des séjours de courte
durée. Ces facteurs sont également à l’origine d’un fort sentiment de solitude et de problèmes
médicaux affectant particulièrement l’état psychol ogique de ceux qui sont obligés de séjourner sur
l’île pour une courte période pour des raisons professionnelles.
17. Ainsi, en 1947, un auteur roumain décrivit l’île des Serpents comme une île «perdue au
milieu des vagues, que jamais personne ne vis ite, à propos de laquelle jamais personne ne
s’enquiert»; un potentiel visiteur «se sen tirait aussi isolé que sur l’île de Robinson 107». D’après
une autre source roumaine de1942 «le gardien du phare…[et] deux ou trois fonctionnaires
58
chargés du contrôle des frontières y vivent comme des exilés108», alors que les soldats roumains
envoyés sur l’île en1944 afin d’y reconstruire le bâtiment du phare s’y sentirent, pour reprendre
leurs propres termes, «complètement coupés du reste du monde 109».
18. Il n’est donc guère surprenant que la Commission européenne du Danube, qui est
chargée de l’entretien du phare, ait eu beaucoup de mal à recruter des personnes pour occuper le
poste de gardien du phare. Un rapport publié en 1920 par cette Commission révèle que «les gens
ne veulent pas s’engager par le motif que devant être isolés du commerce des hommes, ils n’ont pas
le confort nécessaire au logement à l’île, lequel laisse beaucoup à désirer» 110. Il est écrit dans un
autre document de la Commission du Danube, datant de 1923 que le gardien du phare a quitté son
poste au bout de quelques mois seulement, au mo tif qu’il ne pouvait pas «vivre en isolement
107MR, annexe 46.
108
MR, annexe 43.
109
Ibid., annexe 10.
110RR, annexe 9. Voir aussi, RR, p. 153, par. 5.71. - 55 -
111
continuel» . En fait, l’Ukraine elle-même cite une source roumaine de 1958 : «ni les gardiens ni
les soldats ne résistent longtemps à la solitude … La vie y est si monotone qu’on en devient
112
neurasthénique» .
19. Mais peut-être que la meilleure description des effets néfastes de l’île des Serpents est
donnée par le médecin en chef du ministère ro umain des affaires intérieurs dans un rapport
de 1938 :
«L’île des Serpents est constituée de ro chers s’élevant…[loin] du continent,
jamais visible. Cette île, qui offre pour tout divertissement la vue et le bruit du
déferlement des vagues presque toujours démontées par des vents continuellement
changeants, a une influence néfaste et fr agilise le système nerveux ...provoquant une
débilité particulière se manifestant sous la forme d’un état dépressif général, de
dépressions nerveuses, d’asthénie psychique, d’insomnies, etc. … L’influence des
courants marins et de l’air salé est encore pire, [pour le système respiratoire humain]
entraînant des modifications respiratoires au niveau des poumons, des pleurésies
sèches et purulentes, maladies susceptibles de s’aggraver et même de causer la mo113si
les personnes atteintes de ces affections prolongent leur séjour sur l’île» .
20. Madame le président, messieurs de la Cour , les choses n’ont guère changé aujourd’hui.
Cette situation est très bien résumée par le titre d’un article ukrainien publié en 2005 : «A nouveau
59
au bout du monde» 114. Il n’est donc guère surprenant que l’île des Serpents n’ait jamais été
habitée.
21. Les avis des auteurs romains et grecs de l’antiquité convergent à ce t égard. L’historien
romain Ammianus Marcellinus décrit l’île de Leuce (l’ancien nom de l’île des Serpents) comme un
territoire «inhabité» et le qualifie, en latin, de « insula Leuce sine habitatores». Il ajoute que «ceux
que le hasard y conduit … regagnent leur navire le soir, car il est dit que ceux qui y passent la nuit
115
mettent leur vie en danger» . Selon le philosophe grec Maxime de Tyr : «personne ne se rend sur
116
l’île de plein gré» . Pour le philosophe et historien romain Flavius Arrianus, un contemporain de
l’empereur Hadrien, l’île est «inhabitée» 11.
111Sans objet en français. RR, annexe 11 ; voir aussi RR p. 153-154, par. 5.72.
112CMU, annexe 63 ; voir aussi, RR, p.178, par. 5.153.
113MR, annexe 40.
114
MR, annexe 71.
115
Ibid., annexe 44. Voir aussi MR, p. 163, par. 10.51.
116Ibid. Voir aussi, MR, p. 163-164, par. 10.56.
117Ibid. Voir aussi, MR, p. 163, par. 10.51. - 56 -
22. Un auteur roumain, qui publia en1894 une monographie bien documentée sur l’île des
Serpents, conclut, après un examen approfondi des sources de l’antiquité «l’île est inhabitée, selon
tous les auteurs cités» et «il n’y pas d’ét ablissement permanent de population sur Leuce» 118. Il
explique que des conditions hostiles «ont toujours em pêché les gens de s’installer sur cette île
solitaire». Pour résumer, je cite la versi on française d’une annexe du contre-mémoire «aucun
homme n’habitoit Leuce ... les anciens auteurs nous di sent que l’île d’Achille étoit déserte et sans
119
habitants» . En fait, selon la même source «l’île de Leuce n’étoit qu’un lieu qui réunissoit les
âmes ou les esprits des héros décédés 120».
23. Aucune source ne mentionne de population sur l’île des Serpents au Moyen Age. Il en
va de même des sources du XIXème siècle. C’est ainsi qu’un voyageur anglais écrivit en 1810 : «Il
n’y a là aucune habitation humaine.» 121
60 24. Ce ne fut qu’après la construction du phare que quelques personnes y furent affectées, et
encore, par roulement, pour des courtes périodes. Mais ces quelques personnes ne formaient pas
une population. Deux éditions d’instructions na utiques russes et soviétiques, publiées en1903
et 1931 respectivement, jointes aux annexes 12 et 13 du contre-mémoire de l’Ukraine, contiennent
les mêmes termes: «Outre les gardiens de phare civils et la garde composée de quatre
122
gardes-frontière roumains, personne n’habite sur l’île.» Deux éditions du The Black Sea Pilot,
publiées par l’amirauté britannique en 1920 et 1930, le confirment 123, tout comme l’édition de 1933
de la Grande encyclopédie soviétique : «exception faite des gardiens du phare et des fonctionnaires
124
roumains chargés du contrôle des frontières il n’y a[vait] aucune population» .
25. Madame le président, Messieurs de la Cour, l’île des Serpents n’a jamais été peuplée, et
c’est toujours le cas aujourd’hui. L’île est inhabitée, elle accueille unique ment des fonctionnaires
118Ibid. Voir aussi MR, p. 163-164, par. 10.53.
119CMU, annexe 49. Voir aussi RR, p. 175-176, par. 5.146.
120
H. Koehler «Mémoire sur les îles et la course consacrées à Achille dans le Pont-Euxin» in Mémoires de
l’Académie Impériale des Sciences de St. Petersburg, tome X, p. 571. Ce volume a été déposé au Greffe par l’Ukraine.
121
CMU, annexe 50. Voir aussi RR, p. 153, par. 5.68 et p. 176, par. 5.147.
122CMU, annexe 12 et 13. Voir aussi RR, p. 153, par. 5.69 et p. 175, par. 5.145.
123MR, annexe 59. Voir aussi MR, annexe 60.
124Ibid., annexe 41. - 57 -
(gardes-frontière et gardiens de phares) et des scientifiques qui y sont affectés à tour de rôle pour
des courtes durées en raison de son environnement inhospitalier 125.
26. Madame le président, il est futile de prétendre que quelques gardes-frontière et
scientifiques séjournant sur l’île des Serpents et en mission officielle ou pour des contrats de courte
durée constituent une population. Prenons la remise ostentatoire de pièces d’identité par le
président ukrainien pendant sa visite sur l’île des Serpents en novembre 2007. L’article de presse
en question est reproduit sous l’onglet VI-12 du dossier de plaidoiries. Il y est écrit ce qui suit :
«Le président a officiellement renforcé le droit de l’Ukraine sur l’île des
Serpents…il a remis des pièces d’identité à un groupe de six gardes-frontières.
Analysant ce moment, un représentant de l’administration présidentielle a déclaré ce
qui suit: «à première vue, cette cérémonie est ordinaire, mais en réalité, elle est très
importante pour notre pays. Le fait que nous ayons commencé à délivrer des pièces
d’identité aux habitants de l’île confirme son statut, ce qui est un autre argument à
invoquer dans le cadre des négociations avec la Roumanie aux fins de la délimitation
126
de son plateau continental.»
o
[Projection n 6: photo montrant la remise d’une carte d’identité à un garde-frontière pendant la
visite du président ukrainien sur l’île des Serpents (6 novembre 2007), disponible sur le site internet
61 du président de l’Ukraine : http ://www.preside nt.gov.ua/gallery/892.html#11592 (onglet V1-13 du
dossier de plaidoiries).]
Madame le président, Messieurs de la Cour , vous pouvez voir de vos propres yeux cette
«population» sur cette image, qui apparaît à l’éc ran et dans le dossier des plaidoiries sous
l’ongletV1-13, et qui a été téléchargée de la page internet du président ukrainien. Six
gardes-frontières ne font pas une population.
27. Dans sa duplique, l’Ukraine persiste à dire que l’île se prête à l’habitation humaine mais
127
ne présente guère de nouveaux arguments ou de nouveaux éléments de preuve . A l’inverse, elle
128
continue à faire grand cas de l’importance historique de l’île des Serpents, eu égard à sa
notoriété et à sa pertinence stratégique.
125RR, annexes11, 12, 13, 14 et15. Voir aussi, RR, p.154 , par.573 et p.177, par.5.151. Voir aussi l’article
intitulé «The Regional Council established the limits of the settlement of Serpents’Island», the Ukrainien press Agency
Reporter, 6juin2008. http:www.repor ter.com.ua./cgi-bin/view_material.pl?mt_id=33071; dossier de plaidoiries,
onglet V1-11.
126Article intitulé «VictorYushenko takes care of ha nding passports», publié par SergeiSidorenko dans le
journal Kommersant n o197, 7 novembre 2007. http://www.kommersant.ua/doc.html?DocID=822876&IssueId=41431 ;
dossier de plaidoiries, onglet VI-12.
127CMU, p. 116, par. 6.69.
128Voir CMU, par. 7.50-7.71, et quelques 23 annexes ; RU, par. 4.41, 6.68, 6.71. - 58 -
28. De l’avis de l’Ukraine, cette notoriété historique prouve l’importance de l’île et par
conséquent, son droit à un plateau continental et à une zone économique exclusive. Mais
l’importance historique n’est d’aucune utilité pour dé montrer la capacité de se prêter à l’habitation
humaine ou à une vie économique. En fait, toutes les sources historiques, de l’antiquité à nos jours,
soulignent l’absence d’une telle capacité. La notoriété de l’île des Serpents pendant l’antiquité était
uniquement liée à son importance religieuse due au culte posthume d’Achille et nous devons ce
renseignement aux mêmes auteurs qui ont révélé que cette île était déserte et inhabitée. Madame le
président, je pense que c’est une démarche hard ie que de développer un argument relatif à la
viabilité sur la base d’une notoriété due au culte d’un héros mort !
29. L’importance militaire stratégique de l’île des Serpents, qui explique son histoire
géopolitique de ces deux dernies siècles, y compri s le fait qu’elle a été enlevée à la Roumanie
en1948 n’est pas non plus pertinente, et ne saura it prouver sa capacité de se prêter à l’habitation
humaine ou à une vie économique, ces deux questions n’étant pas liées. Les occupations
temporaires de l’île par des soldats de divers pays pendant des guerres ou pendant la période
129
soviétique , dictées par des considérations purement militaires s’appliquant à ces moments de
l’histoire, étaient entièrement soutenues par des moyens externes.
30. A l’appui de l’argument selon lequel l’île des Serpents était habitée dans le passé,
l’Ukraine ne cite qu’un document dans sa dupliq ue, à savoir, un texte de1885 concernant une
inscription relative à l’île des Serpents, sur laquelle on pouvait lire ce qui suit :
«Elle n’est plus aujourd’hui habitée, dit-on, que par quelques pêcheurs; mais,
comme tant d’autres localités, jadis peuplées d’Hellènes, elle avait sans doute gardé,
62 durant le premier siècle de notre ère, une popula130n assez nombreuse, et elle
continuait de jouir d’une certaine prospérité.»
La citation choisie par l’Ukraine est tirée d’un texte analysant une ancienne inscription que l’auteur
décrit comme «très mutilée». En effet, comme le relève l’auteur du commentaire, cette inscription
ne vient pas de l’île des Serpents. Le commentaire en lui-même n’est pas une étude sur l’histoire
ou l’archéologie de l’île des Serpents et l’auteur , EmileEgger, n’était pas un historien mais un
129
DU, p. 118. par. 6.71 3), 4), 6), 7).
130
DU, p. 118, par. 6.71 1). - 59 -
131
philologue: il était professeur de littérature grecque à la faculté des lettres à Paris . L’auteur
émet simplement une supposition personnelle selon laquelle l’île des Serpents était peuplée au
premier siècle avant Jésus-Christ, par analogie, «mais comme tant d’autres localités, jadis peuplées
d’Hellènes, elle avait sans doute gardé…». 132 Cette supposition n’est pas tirée du texte de
l’inscription et n’est pas étayée par des faits hist oriques: il n’y avait pas de peuplement sur l’île
dans l’antiquité, elle n’a jamais été habitée par les Grecs ou par qui que ce soit d’autre. Tous les
auteurs de l’antiquité donnent la même information: l’île des Serpents était «sine habitatores»,
pour citer Ammianus Marcellinus.
133
31. Dans sa duplique, l’Ukraine renvoie à une «nécropole» exhumée sur l’île des Serpents,
qui atteste, selon elle, que des «communautés y vivaient dans l’antiquité». L’Ukraine se fonde à ce
sujet sur une étude russe de2002, sans toutefois indiquer que celle-ci renvoie aussi aux
«témoignages d’auteurs de l’Antiquité qui ont men tionné le caractère inhospitalier de Leuce». De
Quel type de nécropole s’agit-il ? De quelle période date-t- elle ? Quels restes ont été découverts ?
L’étude de 2002 ne contient aucune donnée scientifique et en fait, elle ne révèle rien. Elle indique
uniquement que cette «découverte» a été faite en 1842 par un commissaire chargé des mesures de
quarantaine, qui n’était pas un archéologue, et qui n’avait pas «achevé son examen». Selon cette
étude, une seule urne fut découverte, ainsi que, à divers endroits, une voûte avec un squelette
humain, et «8sépultures». Les scientifiques r oumains qui ont mené des études approfondies sur
l’île des Serpents pendant les 70années de souveraineté roumaine n’ont trouvé aucune trace de
«nécropole» ou d’habitation. Mais le fait ⎯ si c’est un fait ⎯ que quelques restes humains aient
été trouvés à un endroit donné, en l’absence de toute trace de peuplement, ne prouve pas que cet
endroit ait été habité. Une urne n’équivaut pas à une «nécropole» et ne prouve certainement pas la
63 capacité de l’île à se prêter à l’habitation humaine. Un endroit où des gens meurent, mais ne sont
jamais nés, voilà ce qu’est l’île des Serpents.
131Encyclopedia Britannica, 11 édition, vol. V09, 1911, p. 17.
http.//encyclopedia.jrank.org/ECG_EMS/EGGER.html.
132
Les italiques sont de nous.
133
DU, par. 6.71 2), qui fait référence à une étude russe insérée dans l’annexe 57 du contre-mémoire. - 60 -
134
32. Toujours dans sa duplique , l’Ukraine affirme à nouveau, comme elle l’avait déjà
avancé dans son contre-mémoire 13, que «selon les sources roumaines huitpersonnes y résidaient
en permanence» entre les deux guerres mondiales et que «la Roumanie projetait de construire un
complexe sur l’île, y compris un hôpital, une chapelle, un petit monastère et une station de
sauvetage». Je me permets de renvoyer la Cour à ce que nous a vons dit à ce sujet dans notre
Réplique 136. Pour ce qui est du premier point, pendant la période roumaine, les personnes se
trouvant sur l’île des Serpents y furent affectées de la même manière que l’Ukraine y envoie ses
fonctionnaires aujourd’hui: pour entretenir le pha re et surveiller la frontière. Il y avait des
rotations fréquentes, comme aujourd’hui en raison du cadre inhospitalier de l’île. Ils n’étaient pas
des «résidents permanents» et ne constituaient certainement pas une population. Pour ce qui est du
deuxième point, il convient de noter que le dénommé «projet» n’a jamais été réalisé. Il a échoué
⎯ au début des années 1930 et non à cause de la guerre ⎯ et je cite l’auteur invoqué par l’Ukraine
⎯«[en raison] [d]es vents féroces et irréguliers qui soufflent terriblement de l’automne au
137
printemps, [d]es difficultés de l’approvisionnement et surtout [du] coût de la construction» .
3. L’île des Serpents ne se prête pas à l’habitation humaine
33. Madame le président, Messieurs de la C our, la raison pour laquelle ces plans ont échoué
est que, sans un approvisionnement extérieur total, l’ île des Serpents est inhabitable. Voilà qui
m’amène à mon troisième point : l’île est dépourvue d’ eau, de terre, de végétation et de faune. Au
lieu de cela, la nature l’a «dotée» d’un climat rigoureux et insupportable.
34. L’absence de sources d’eau naturelles su r l’île des Serpents est solidement documentée
dans les pièces de procédure écrite 138. Tous ces documents, qu’ils soient anciens ou plus récents,
montrent que l’eau provient de rares précipitations ou doit être apportée du continent, sachant
qu’elle reste malgré tout insuffisante. Selon une annexe du contre-mémoire de l’Ukraine, des
64 scientifiques russes se sont, en juin 1841, rendus su r l’île des Serpents pendant quelques jours pour
134DU, par. 6.71 5).
135
CMU, par. 7.64.
136
RR, p. 154-155, par. 5.74-5.76.
137RR, p. 175, par. 5.144.
138MR, p.159-161, par. 10.39-10.46 et MR, annexes 6, 40, 45, 50, 51; RR, p.143-150, par.5.44-5.58 et
p. 171-174, par. 5.129-5.138. Voir également CMU, annexes 9, 57, 62, 63, 68, 73, 84, 91. - 61 -
y effectuer des recherches archéologiques, et je cite cette annexe ukraini enne : «Le manque d’eau
139
douce et la chaleur difficilement supportable ont forcé les voyageurs à précipiter leur départ.»
Le rapport du ministère roumain de l’intérieu r de1938 précise que «[l]’absence d’eau douce sur
l’île est difficile à supporter…l’eau de plui e, recueillie dans de grands réservoirs en
ciment … peut affecter, de manière négative, le ca nal alimentaire, en raison de son goût étrange et
de sa composition chimique particulière» 140.
35. Dans son contre-mémoire, l’Ukraine affirme qu’il existait autrefois de l’eau douce sur
141
l’île des Serpents et qu’un programme de forage entrepris en2003 a permis de découvrir de
nouvelles réserves 142. La première affirmation est vici ée par des traductions manifestement
143
inexactes des deux auteurs roumains de l’entre-deux-guerres cités par l’Ukraine . La seconde
l’est par l’interprétation erronée que l’Ukraine fait des informations qu’elle fournit elle-même 144.
Comme il est indiqué dans la réplique, une comp araison entre la composition chimique du liquide
extrait et «traité» par l’Ukraine et celle de l’eau de la mer Noire démontre que ce que l’Ukraine a
extrait n’est rien d’autre que de l’eau de mer c ontenant en plus certaines substances nocives. Le
liquide extrait est loin de satisfaire aux normes sanitaires généralement acceptées en matière d’eau
potable. Plutôt que d’essayer d’extraire ce liquide «boueux» ⎯pour reprendre le terme employé
par l’Ukraine dans l’annexe 9 de son contre-mémoire ⎯, il lui serait plus facile d’épurer l’eau de
145
mer qui, bien entendu, abonde en mer Noire .
36. Dans sa duplique, l’Ukraine n’a contesté au cune de ces conclusions, lesquelles sont, de
surcroît, largement confirmées par la presse ukrai nienne. Dans un article de2005, il est ainsi
indiqué que
«[l]’eau manque. De l’eau, de l’eau, il y a de l’eau tout autour… Mais c’est de l’eau
de mer, de l’eau salée, impropre à la cons ommation. Pendant longtemps, l’eau a été
139CMU, annexe 57.
140
MR, annexe 40.
141
CMU, p. 23, par. 3.40-3.41.
142CMU, p. 23, par. 3.42.
143RR, p. 143-145, par. 5.45-5.48.
144Voir CMU, annexe 9, par opposition au par. 3.42 du CMU, p. 23. Voir aussi RR, par. 5.50-5.56.
145
Voir RR, p. 147-149, par. 5.53-5.54. - 62 -
acheminée depuis le continent, et les réserv es étaient conservées dans des réservoirs.
A l’évidence, il s’agissait d’une denrée aussi précieuse que l’or.» 146
147
Selon un article de 2006 , le chef du département de l’environnement et des ressources naturelles
65
de la région d’Odessa a déclaré que «l’île continu[ait] de souffrir du manque d’eau potable», qui est
apportée du continent. Dans un communiqué de presse de juin 2007, c’est-à-dire l’année dernière
⎯ce document figure dans votre dossier, sous l’ongletVI-14 ⎯, le bureau des études ukrainien
relève également qu’«[i]l n’y a t oujours ni approvisionnement en eau ni épuration de l’eau…sur
l’île»148.
37. Madame le président, Messieurs de la Cour, l’île des Serpents est pratiquement
dépourvue de terre et a une végétation très pauvre, qui s’étiole et brûle pendant l’été. Ce point est
confirmé par de nombreuses sources, y compri s ukrainiennes, datant de toutes les époques 149.
Ainsi, deux articles ukrainiens de2007 ⎯ils figurent dans le dossier de plaidoiries, sous les
150
onglets VI-15 et VI-3 ⎯ indiquent que «l’île est dépourvue de toute végétation» et que les seules
fleurs présentes sont celles qui ont été peintes par un enseigne de vaisseau stationné sur l’île 151.
38. Malgré les efforts de l’Ukraine pour apporte r de la terre et planter des arbres, toutes ces
tentatives visant à «améliorer» les conditions hostile s sur ce morceau de terr itoire rocheux qu’est
l’île des Serpents ont échoué en raison du climat rigoureux et inhospitalier qui y règne 152.
39. A l’occasion de sa visite sur l’île en novembre2007, le président ukrainien a planté un
pin et demandé aux gardes frontière et au département régional des forêts de planter d’autres arbres
sur l’île. La presse ukrainienne a jugé que ces initiatives étaient vaines. Un journal d’Odessa a
indiqué que «[l]e projet du président a[vait] pe u de chances d’aboutir. L’île des Serpents…est
exposée à tous les vents. Il n’y a jamais eu auc un arbre sur ce bout de territoire rocheux». A cet
146MR, annexe 71.
147
RR, annexe 7.
148
Communiqué de presse du bureau des études ukrainien en date du 26 juin 2007, «De si grands problèmes pour
une si petite île»; peut être consulté en anglais sur le site Internet officiel de cette institution à l’adresse suivante:
http://www.ac-rada.gov.ua/achamber/control/en/publish/article/main?art_….
149
MR, annexes 6, 40, 42, 43, 44, 46, 47, 48, 49. Voir également MR, p.154-159, par.10.29-10.38; RR,
p. 174-175, par. 5.142.
150
Article intitulé «L’Ukraine et la Roumanie bataillent sur le statut de l’île straté gique d’Achille», paru dans
l’hebdomadaire ukrainien de langue anglaise What’s On, n o 5, 16-27 février 2007, dossier de plaidoiries, onglet VI-15.
151 o
Article intitulé «L’île de tous les malheurs, Vladimir Katkevich, Zerkalo Nedeli, n 19 (648), 19-25 mai 2007,
http://www.zn.ua/1000/1550/59326/, dossier de plaidoiries, onglet VI-3.
152
MR, annexes 36, 52, 53. Voir également MR, p. 162, par. 10.47-10.49. - 63 -
égard, l’article évoquait le cas d’un «cerisier, planté quelques années auparava nt par une équipe de
scientifiques … qui s’est étiolé l’an dernier, malgré toute l’attention qui lui a été portée…» 153.
66 40. De même, l’île des Serpents n’abrite qu’une faune très limitée 154. La «Liste de la flore,
de la faune et des espèces de poissons des îles» annexée au contre-mémoire de l’Ukraine montre
qu’il n’y existe aucun mammifère, à l’exception de deux espèces de rats et de deux espèces de
155
chauves-souris . Madame le président, même les serpe nts qui ont donné leur nom à l’île sont
aujourd’hui disparus.
41. Non seulement l’île des Serpents est très petite, rocheuse, dépourvue d’eau, de terre, de
végétation et de faune, mais le climat qui y règne est épouvantable. Ce point est attesté par des
sources nombreuses et diverses remontant à des époques anciennes, et confirmé par les annexes du
contre-mémoire 156. Par rapport à cette litanie de plaintes qui dure depuis plusieurs siècles, le temps
à La Haye (sur lequel le juge Schwebel s’est prononcé dans son opinion individuelle en l’affaire de
la Délimitation maritime dans la région située en tre le Groenland et Jan Mayen (Danemark
c. Norvège), C.I.J. Recueil 1993, p. 120) est clément et constant.
42. L’île des Serpents «se trouve dans la zone la plus aride des steppes de l’Europe de l’est»,
«la quantité totale de précipitations [y est très faible et] distribuée inégalement au cours de l’année,
car il pleut surtout au printemps et à la fin de l’automne, de sorte que les étés sont extrêmement
secs et venteux», des tempêtes et de forts ouragans «souffla[n]t … jour et nuit, de façon continuelle
et irritante» 157. En 1931, l’auteur roumain que je viens de citer écrivait: «[i]l nous était presque
impossible de quitter l’habitation, lorsque nous n ous rendions sur le côté ouest, nous étions
confrontés à une terrible résistance presque inimag inable du violent ouragan». Ces «ouragans ne
sont pas rares sur l’île des Serpents, en partic ulier en hiver», «[l]e brouillard est un phénomène
158
fréquent en hiver et au printemps, synony me de grands dangers pour la navigation» et, «[l]ors
153
Article intitulé «En route pour Odessa, Yushchenko s’est contenté de visiter l’île des Serpents», Dmitri Orlov,
journal ukrainien d’Odessa Novii Region , 6 novembre 2007, http://www.nr2.ru/148600.html. Dossier de plaidoiries,
onglet VI-16.
154
MR, annexe 42, 44, 46. Voir aussi MR, p. 155-156, par. 10.32, 10.34, 10.36.
155
CMU, annexe 85. Voir aussi RR, p. 151, par. 5.63 et p. 175, par. 5.143.
156Voir CMU, annexes 9, 10, 63.
157MR, annexe 6. Voir également MR, p. 169, par. 10.68.
158Ibid. Voir également MR, annexe 54. - 64 -
d’hivers rigoureux, l’île des Serpents connaît des gelées terribles», de sorte que «la mer [est] gelée
sur plusieurs kilomètres autour de l’île, form ant un véritable banc de glace, que [l’on met]
beaucoup de temps à briser» 159.
43. A l’inverse, «[e]n été, l’île semble calcinée … [parce que l]e soleil de la steppe la brûle
67 très vite, aucun arbre ne l’ombrage». C’est pourqu oi, selon un autre auteur, «[l]’île est vide ou
presque vide…le sol inhospitalier, la roche brûlée par le soleil de la steppe [, elle est] rarement
humectée de pluie et parsemée çà et là d’une fine couche de terre rouge, toujours sèche». L’auteur
mentionne également «des vagues déchaînées qui déversent sur l’ île une pluie d’eau salée aussi
nuisible à la croissance des plantes que les rayons brûlants du soleil» 160.
44. La situation est la même aujourd’hui. Des articles parus dans la presse ukrainienne en
1995 et2003 font référence au «mauvais temps [l orsque] l’île est battue par des vents venant de
toutes parts … et des tempêtes» 161, à «de forts vents marins [qui] soufflent en permanence» et à des
162
températures au sol qui peuvent atteindre en été 50°-60°C : «[l]’été, le soleil est implacable et
l’hiver il y souffle un vent glacial…» 163. Autrement dit, il s’agit, selon un autre article de presse
ukrainien, de «conditions extrêmes» 164. Un article ukrainien de févr ier 2008 (qui figure dans votre
dossier sous l’onglet VI-17) relate les «aventures» d’un «habitant» temporaire de l’île, et le propos
est tout à fait sérieux: «pendant les tempêtes, al ler aux toilettes [sur l’île des Serpents] est
dangereux. «Récemment, me trouvant à côté de l’un e d’elles, le vent m’a presque poussé dans la
165
mer et je n’ai pu me sauver qu’en m’agrippant à la poignée de la porte».»
159
Ibid.
160
MR, annexe 43. Voir également MR, p. 159, par. 10.38.
161Ibid., annexe 56. Voir également MR, p. 170, par. 10.69.
162Ibid., annexe 56. Voir également MR, p. 170, par. 10.70.
163Ibid., annexe 57. Voir également MR, p. 170, par. 10.71.
164
Ibid., annexe 52.
165
Article intitulé «Des maisons et des saunas pour les habitants de l’île des Serpents», Alek sandr Sibirtzev,
journal ukrainien Segodnia, 25 février 2008, http://www.segodnya.ua/news/903291.html, dossier de plaidoiries,
onglet VI-17. - 65 -
4. L’île des Serpents est dépourvue de toute ressource et ne se prête pas à une vie
économique propre
45. Madame le président, Messieurs de la Cour, mon quatrième point est que l’île ne se prête
pas à une vie économique propre, et qu’elle n’en a d’ailleurs pas. En effet, elle ne se prête à
aucune activité économique, étant totalement dépourvue de ressources et impropre à toute
production.
46. Sa très petite taille, son sol rocheux et st érile, l’absence d’eau douce et son climat hostile
constituent un obstacle insurmontable à l’agricultu re, à quelque échelle que ce soit, ce qui rend la
survie humaine impossible sans un approvisionneme nt constant de l’extérieur. Dans ces
conditions, toute culture à des fins commerciales, en vue de créer un embryon de vie économique,
est inconcevable. Ainsi est-il indiqué dans une source datant de1940 que, en raison de
68 l’omniprésence de «rochers désertiques» et de l’ab sence de terre, «[l]’homme ne peut rien cultiver
sur cette terre ingrate» 166. Ainsi qu’il est indiqué dans l’annexe57 du contre-mémoire de
167
l’Ukraine, «l’île est impropre à l’agriculture» . Il n’y existe aucune autre ressource naturelle, ce
qui rend la vie économique impossible, et ce point est également reconnu par l’Ukraine : selon une
autre annexe du contre-mémoire, les rochers et pi erres arides de l’île, bien qu’«abondant[s]», sont
168
«absolument impropre[s]», même à des fins de construction .
47. Dès lors qu’aucune production n’est possibl e sur l’île des Serpents, l’approvisionnement
des quelques rares personnes tenues d’y demeurer afin d’entretenir le phare et de garder la frontière
se fait tout entier depuis le continent et ce, très difficilement. Cela est attesté par un nombre
considérable d’éléments, tant dans les écritures des deux Parties 169que dans les médias
170
ukrainiens . Ainsi, un document officiel russe datant de 1903 témoigne de la dépendance de l’île
des Serpents par rapport au continent: «les provi sions de[s gardiens du phare] sont apportées de
Sulina». Un document roumain de1938 indique que «l’approvisionnement est très difficile, le
171
transport étant fort malaisé, tout comme la pêche à proximité de l’île» . Il ressort d’un autre
166MR, annexe 46.
167CMU, annexe 63 ; RR, annexe 16. Voir également RR, p. 178, par. 5.153.
168
Ibid., annexe 57. Voir également RR, p. 184, par 5.176.
169
MR, annexes 40, 43, 45, 49, 62 ; CMU, annexes 5, 12, 66, 96.
170Voir MR, annexes 50, 51, 65 ; RR, annexe 15.
171MR, annexe 40. - 66 -
document roumain de1943 que l’île des Serpents «e st toujours aussi désert[e] qu’à l’époque des
voyages d’Hérodote… De temps à autre, une petite embarcation apporte les provisions nécessaires
au gardien du phare et aux agents affectés à son entretien.» 172
48. La situation est la même aujourd’hui. Il ressort d’un article ukrainien de2002 que les
rares transports effectués entre l’île et le con tinent le sont par hélicoptère, ce qui ne permet
173
d’emporter que «le strict minimum» . On peut lire dans un journal ukrainien de2003 que, «en
raison du mauvais temps et des orages, toutes les provisions, y compris l’eau potable, sont
apportées du continent pour plusieurs mois» 174. Un article publié en2006 dans le même journal
ukrainien indique que, «[l]e climat dict[ant] ses conditions [l]’on garde ici en permanence des
69
provisions pour trois ou quatre mois» 175. La même situation a été décrite en juin2008
⎯c’est-à-dire il y a seulement deux mois ⎯ par une agence de presse ukrainienne qui a indiqué
que (le document se trouve sous l’ongleV t I-11 du dossier de plaidoiries) «tout
l’approvisionnement nécessaire, y compris l’eau pot able, [était] effectué par hélicoptère et par
176
mer» .
49. A défaut d’approvisionnement extérieur, il ne serait pas possible de vivre sur l’île des
Serpents 177. Un voyageur français, dont les récits ont été publiés en1876, relate que, après
l’échouement de leur navire sur l’île des Serpents à la suite d’une terrible tempête, les survivants
d’un équipage turc «finirent par se manger entre eux» en raison de l’absence de denrées sur l’île, île
que l’auteur qualifie d’«endroit désolé». Sur l es vingt-cinqnaufragés, seuls quatre survécurent
178
grâce à «l’arrivée d’un navire [qui les] sauva … du désespoir et d’une mort certaine» .
50. En raison de son isolement, de la présence de dangereux rochers dans ses eaux
environnantes et de son climat rigoure ux, l’île des Serpents a toujours été ⎯ et est encore ⎯
172Ibid., annexe 43.
173
Ibid., annexe 65.
174
Ibid., annexe 51.
175RR, annexe 15 ; voir également RR, p. 183, par. 1.172.
176Article de presse intitulé «Le Conseil régional précise les limites du peuplement de l’île des Serpents», agence
de presse ukrainienne reporter , le 6juin2008, http://www.reporter.com. ua/cgi-bin/view_material.pl?mt_id=33071,
dossier de plaidoiries, onglet VI-11.
177Voir, par exemple, CMU, annexe 52. Voir également RR, p. 176, par. 5.149.
178MR, annexe 55. - 67 -
presque inaccessible 179 ou, ainsi qu’il est précisé dans un article ukrainien, un «lieu isolé et difficile
180
d’accès» et ce, tant par voie maritime qu’aérienne.
51. Ainsi, d’après un article ukrainien de 2002, «[e]n cas de tempête plus ou moins forte, les
navires ne peuvent pas rester près du rivage» 181. Il est précisé, dans un autre article de 2002, que
«l’île est … actuellement inaccessible depuis la mer. Les falaises à pic et les rochers immergés ne
permettent pas de maintenir des contacts réguliers avec le continent. Le principal moyen de
transport reste l’hélicoptère» 182, mais les vols sont rares 183et dangereux. On peut lire dans un autre
article de2004 que «l’accès à l’île est extrêmemen t difficile… La mise en place d’une liaison
184
régulière avec l’île des Serpents demeure à l’état de projet» , ce qui est confirmé par un autre
70 article de2007, lequel indique que «les moyens de transport pour accéder à l’île demeurent un
problème de la plus grande importance» 185.
52. En dépit des efforts de l’Ukraine pour c onstruire un poste d’amarrage, la sûreté de
186
l’accès reste insuffisante en raison des caractéristiques naturelles de l’île ; et la situation était
toujours la même en novembre 2007, lorsque le pr ésident ukrainien a demandé que la question du
«mouillage» soit résolue 187. D’après le site officiel du président ukrainien, ce dernier «estime qu’il
est important…de faire en sorte que ses résidents puissent se rendre régulièrement sur la partie
continentale du pays» 188. Je note que même les communiqués de presse officiels évitent
d’employer le mot «population», les personnes appelées «résidents» ⎯ quelques gardes-frontière,
179Ibid., annexes38, 39, 40, 43, 45, 46, 47; CMU, annexes12, 13, 14, 50. Voir également RR, p.176,
par. 5.148 ; RR, p. 181-182, par. 5.164-5.166.
180MR, annexe 57.
181
Ibid., annexe 33.
182
Ibid., annexe 64.
183
Ibid., annexe 51.
184Ibid., annexe 66.
185Article de presse intitulé «Les habitants de l’île des Serpents n’ont pas la vie facile», agence de presse
ukrainienne Podrobnosti, le 30août2007, http://www.podrobnosti.ua/ podrobnosti/2007/08/30/452743.html, dossier de
plaidoiries, onglet VI-8.
186CMU, annexe 5. Voir également RR, p. 181, par. 5.163.
187Communiqué de presse «Le président souhaite développer l’île des Serpents» (original en anglais), site officiel
du président de l’Ukraine, le 6novembre2007, http:/www.pr esident.gov.ua/en/news/8061.html, dossier de plaidoiries,
onglet VI-18.
188Communiqué de presse «Le président se rend sur l’île des Serpents» (original en a nglais), site officiel du
président de l’Ukraine, le 6novembre2007, http:/www.pr esident.gov.ua/en/news/8057.html, dossier de plaidoiries,
onglet VI-19. - 68 -
gardiens de phare et scientifiques isolés dans ce lieu éloigné pour de courtes périodes ⎯ ne formant
pas une population.
53. Madame le président, Messieurs de la C our, il ne saurait y avoir de vie économique dans
un lieu qui ne se prête pas à l’habitation humaine ; en effet, l’économie est un phénomène social,
intrinsèquement lié à la vie humaine. Que l’île soit petite, éloignée et isolée, qu’il soit très difficile
d’y accéder ⎯ par voie maritime ou aérienne ⎯, que son climat soit aride et hostile, qu’elle ne se
prête à aucune production, qu’elle soit dénuée de toute ressource, que l’approvisionnement ⎯ y
compris les denrées alimentaires et l’eau ⎯ doive être assuré depuis le continent et ce, avec de
considérables difficultés, tout cela est solidement documenté 189. Ces faits ne sauraient être
modifiés par les récentes tentatives de l’Ukrain e visant à créer une autre «réalité», tout à fait
artificielle, ainsi que je le démontrerai dans mon exposé de demain. Ces caractéristiques naturelles
de l’île des Serpents suffisent à exclure, à prio ri, la possibilité qu’elle puisse se prêter à une vie
économique propre, même la plus élémentaire.
54. Confrontée à cet état de fait incontestable, l’Ukraine en est réduite à affirmer, sans
aucunement étayer ses propos, que «l’île des Serp ents se prête pleinement à une vie économique
190
71 propre» . Toutefois, dans sa duplique, pas un seul document ou élément de preuve n’étaye cette
affirmation. Dès lors, je ne vois tout simplement pas à quel argument je pourrais répondre.
Conclusions
55. Madame le président, Messieurs de la Cour, il ressort aussi clairement que faire se peut
des informations dont nous disposons, et bien évidemment, des très nombreux éléments de preuve
présentés, que l’île des Serpents ne se prête aucunement à l’habitation humaine ou à une vie
économique propre étant donné que :
⎯ Premièrement, il s’agit d’une très petite form ation rocheuse située dans la merNoire,
négligeable dans le contexte géographique de la zone ; elle n’est en outre pas intégrée à la côte
et est isolée, l’accès y étant très difficile ;
189
Voir, par exemple, MR, p.173-179, par.10.80- 10.100; RR, p.156-160, par.5.80-5.93 et p.181-187,
par. 5.162-5.184 ; CMU, annexes 5, 9, 12, 13, 14, 57, 67, 68, 74, 84, 87, 88, 95, 96.
190DU, p. 116, par. 6.69. - 69 -
⎯ Deuxièmement, elle n’a jamais abrité aucune population, et n’en abrite toujours pas, et ne se
prête aucunement à l’habitation ;
⎯ Troisièmement, elle est dépourvue de terre, de végétation, de faune, d’eau, et son climat est très
rude et insupportable ;
⎯ Quatrièmement, elle ne dispose d’aucune ressour ce et ne se prête à aucune production, quelle
qu’elle soit ; elle ne se prête donc à aucune activité économique.
56. Madame le président, ainsi s’achève mon expo sé, et si vous le permettez, les plaidoiries
de la Roumanie pour aujourd’hui. Je remercie la Cour pour son attention et sa patience. Merci.
Le PRESIDENT: Merci, MonsieurAurescu. L’audience est levée et la Cour se réunira de
nouveau demain matin à 10 heures.
L’audience est levée à 12 h 50.
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Traduction