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132-20080903-ORA-01-01-BI
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CR 2008/19 (traduction)

CR 2008/19 (translation)

Mercredi 3 septembre 2008 à 10 heures

Wednesday 3 September 2008 at 10 a.m. - 2 -

10 The PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte et nous allons entendre la

suite du premier tour de plaidoiries de la Roumanie ; la parole est à M. Crawford.

M. CRAWFORD :

IV. LES CÔTES ET LA ZONE PERTINENTES
(SUITE )

1. Madame le président, Messieurs de la Cour , hier, j’ai analysé l’approche que la Cour a

adoptée dans des affaires antérieures en ce qui concer ne les côtes pertinentes. Dans cette seconde

partie de mon exposé, j’aborderai la présente controverse.

Les côtes et la zone pertinente aux fins du présent différend

[Projection n 10: les lignes revendiquées par les Parties et la ligne d’équidistance/médiane entre

les côtes continentales.]

2. Vous pouvez à présent voir représentées à l’écran les lignes revendiquées respectivement

par les Parties, ainsi que la ligne d’équidistan ce entre les côtes continentales; cela correspond à

l’onglet IV-11 du dossier de plaidoiries. Le premie r point à souligner est que les côtes pertinentes,

ici, sont en partie adjacentes et en partie face à face. La frontière terrestre entre les Parties se

termine au delta du Danube. Dans ces conditions, les côtes respec tives des Parties faisant face à

l’est, le long du delta, sont manifestement pertinentes: elles font directement face à la zone à

délimiter, elles donnent lieu à un chevauchement de droits dans cette zone et elles génèrent des

points de base pour une ligne d’équidistance provisoire par rapport aux côtes continentales.

3. La ligne d’équidistance/médiane provisoire reflète cette distinction entre côtes se faisant

face et côtes adjacentes. J’ai déjà mentionné le pointT. A l’ouest du pointT, la ligne

d’équidistance provisoire est déterminée par des points situés sur les côtes adjacentes des Parties le

long du delta du Danube; au-delà du pointT, la ligne médiane provisoire est déterminée par des

points situés sur les côtes des Parties se faisant face.

4. En ce qui concerne les côtes se faisant face, le littoral de la Crimée, en Ukraine au sud du

cap Tarkhankut, est manifestement pertinent ⎯ il fait face lui aussi à la zone de délimitation, donne

lieu à un titre chevauchant avec celui qui est déterminé par la côte roumaine opposée ⎯ - 3 -

Le PRESIDENT: Monsieur Crawford, je su is désolée de déjà vous interrompre mais

j’apprends que les interprètes vous sauraient gré de poursuivre plus lentement.

M.CRAWFORD: Je suis désolé. Je m’y appliquerai. ⎯et génère les points de base, du
11

côté ukrainien, pour la construction de la ligne médiane. Lorsqu’ on participe à un marathon, il est

prudent de commencer lentement !

Le PRESIDENT : Et de poursuivre lentement !

M. CRAWFORD : Du côté roumain, la côte pertinente est tout le littoral roumain, depuis la

frontière avec l’Ukraine au nord, au delta du Danube , jusqu’à la frontière terrestre avec la Bulgarie

au sud, près de Vama Veche, dont l’intégralité se projette dans la zone pertinente déterminée par

les côtes se faisant face.

[Fin de la projection no 10.]

5. Dans la duplique, l’Ukraine objecte que la distinction est artificielle, qu’elle ne tient pas
1
compte de l’île des Serpents et qu’elle revient à compter deux fois le littoral roumain . Je

répondrai à ces trois objections.

6. Premièrement, en ce concerne le caractère artificiel de la distinction, si tel est le cas, alors

il s’agit là d’une distinction artificielle que l’Ukraine a expressément acceptée. Je rappelle l’accord

additionnel de 1997, dont le paragraphe 4 b) imposait aux parties d’appliquer :

«le principe de la ligne d’équidistance dans les zones à délimiter lorsque les côtes sont

adjacentes et le principe de la ligne médiane lorsque les côtes se font face»

[«the principle of the equidistance line in areas submitted to delimitation where the
coasts are adjacent and the principle of the median line in areas where the coasts are

opposite»].

A l’évidence, les parties envisag eaient, premièrement, qu’elles devraient distinguer «les zones à

délimiter lorsque les côtes sont adjacentes» [«areas submitted to delimitation where the coasts are

adjacent»] de celles où «les côtes se font f ace» [«areas where the coasts are opposite»] et,

deuxièmement, qu’elles appliqueraient en conséquence soit le principe de «la ligne d’équidistance»

[«the equidistance line»], soit celui de «la ligne médiane» [«the median line»].

1
Voir la duplique de l’Ukraine (DU), par. 4.57-4.64. - 4 -

7. De surcroît, cette distinction a toujours été reconnue en délimitation maritime et il se

trouve en effet que l’Ukraine la reco nnaît dans sa législation intérieure 2. Chacun des articles

pertinents de la Convention de 1982 concernant la délimitation mentionne expressément les «Etats

dont les côtes sont adjacentes ou se font face » [«States with opposite or adjacent coasts»]:

article15 (mer territoriale), article74 (zone économique exclusive) et article83 (plateau

3
continental). C’était également le cas des conventions de Genève de 1958 . Comme l’a conclu la

12 4
Cour permanente d’arbitrage dans l’affaire Anglo-française, il n’y a pas de troisième catégorie ,

c’est-à-dire de situation géographique où la délimita tion est à effectuer entre des côtes qui ne sont

5
ni adjacentes ni face à face . En conséquence, dans cette affair e, le Tribunal arbitral a considéré

que les côtes des deux parties dans la Manche se faisaient face (malgré la présence des îles

anglo-normandes), mais qu’elles devaient être considérées comme se trouvant davantage dans une

6
relation d’adjacence s’agissant de la délimitation dans l’océan Atlantique .

8. La deuxième objection de l’Ukraine revient à dire qu’il n’est pas tenu compte de l’île des

7
Serpents dans la détermin ation des côtes pertinentes . Il y a à cela plusieurs réponses qui se

renforcent mutuellement et que nous vous présenterons au cours des prochains jours. Mais ce sont

les côtes et les zones pertinentes qui me préo ccupent dans l’immédiat, et il est courant de

déterminer celles-ci sans tenir compte des petites formations se trouvant au large, comme l’a fait la

Cour, par exemple, dans le c as l’îlot Filfla dans l’affaire Libye/Malte ( Plateau continental

(Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J.Recueil1985 , p.50, par.68. Je ferai simplement

observer qu’il n’est pas contesté que l’île des Serpents se trouve dans la zone pertinente à délimiter.

Si elle n’y était pas, nous n’aurions pas de problème. En fait, si nous voulions ajouter à la longueur

totale des côtes indiquées par l’Ukraine, soit 1058 ki lomètres, les «côtes» sud de l’île des Serpents,

2
Contre-mémoire de l’Ukraine (CMU), annexe 47.
3 Convention sur le plateau continental, Genève, 29avril1958, NationsUnies, Recueil des traités , vol.499,
p.312, art.6; Convention sur la mer territoriale et zone contigüe, Genève, 29 avril 1958, Nations Unies, Recueil des

traités, vol. 516, p. 205, art. 12.
4 Délimitation du plateau continental entre le Royaume- Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la

République française, décision du 30juin1977, Nations-U nies, Recueil des sentences arbitrales, vol.XVIII , p.118-119,
par. 237.
5 Ibid., p. 63-65, par. 89-94 ; p. 105, par. 206.

6 Ibid., p. 125, par.253 ; Cf. p. 120, par. 242.

7 DU, par. 75-79. - 5 -

cela représenterait 450 m supplémentaires, c’est-à-dir e 0,0004 pour cent de la longueur totale, une

différence mesurée à la quatrième décimale. Cela donne une idée de l’exiguïté de la formation

⎯mais n’ajoute rien à l’équati on des côtes pertinentes. L’île des Serpents n’était pas
non plus,

bien entendu, incluse comme point de base dans la liste des coordonnées de la mer territoriale

présentée par l’Ukraine en application de l’article 16 de la convention de 1982 8.

9. La troisième objection de l’Ukraine revient à dire que la Roumanie compte deux fois son

littoral, une fois aux fins de déterminer les côtes adjacentes et une fois aux fins de déterminer les

côtes se faisant face. Mais dans ces conditions, bien sûr, la même côte est souvent comptée deux

fois. La façade maritime roumai ne génère une frontière maritime latérale par rapport à la côte

ukrainienne du Danube adjacente, et une frontiè re maritime opposée par rapport à la côte de

13 Crimée. La lecture des arguments de l’Ukrain e donne l’impression d’une côte roumaine épuisée

par l’épreuve d’une simple délimitation, et ne pouvant supporter les attaques de nouvelles côtes.

Mais les côtes ne s’épuisent pas de cette manière. Si ⎯et s’il s’agit là strictement d’une

hypothèse ⎯ la péninsule de Crimée faisait toujours partie de la Fédération de Russie, alors la côte

roumaine ferait face à la côte russe et serait adjacente à la côte ukrainienne. La situation n’est pas

différente lorsque les côtes dépendent d’un seul souverain.

o
[Projection n 11: exemple comparatif des côtes per tinentes/non pertinentes dans l’affaire
Tunisie/Libye et dans l’affaire Libye/Malte.]

10. Faisons une autre hypothèse. Supposons que Malte et la Tunisie forment un seul Etat ; la

carte projetée à l’écran se trouve sous l’ongletIV-12 du dossier de plaidoiries. Dans cette

hypothèse, pourrait-on sérieusement contester que la côte libyenne pertinente à l’ouest de Ras

Tajoura est à prendre en considération aux fins de la délimitation de la frontière sur la base de la

côte adjacente du continent tunisien, comme vous l’avez établi dans Libye/Tunisie, et qu’en même

temps, toute la côte depuis Ras Ajdir jusqu’à au moins Ras Zarruq, y compris le même secteur

jusqu’à Ras Tajoura, est pertinente aux fins de déterminer la frontièr
e sur la base de la côte opposée

de Malte, comme l’avez établi dans l’affaire Libye/Malte? Une telle appr oche ne donne lieu à

aucun «compte double» du segment de côte qui est commun aux deux délimitations.

[Fin de la projection n o11.]

8
Voir la réplique de la Roumanie (RR), par. 8.11-8.16. - 6 -

11. En bref ⎯et cela semble évident ⎯ il y a dans cette affaire des côtes pertinentes

adjacentes et des côtes pertinentes se faisant face.

12. J’aborde à présent l’identification de ces côte s, et je commencerai par le littoral roumain,

qui est beaucoup plus simple que celui de l’Ukraine.

[Projection n 12 : la côte roumaine.]

13. En ce qui concerne le secteur de la ligne d’équidistance établie sur la base des côtes

adjacentes, la côte roumaine consiste en deux segments distincts. Comme vous pouvez le voir à

l’écran, ainsi que sous l’ongletIV-13, à partir de la frontière avec l’Ukraine, la côte roumaine

s’étend généralement en direction du sud sur une distance d’environ 70kilomètres jusqu’à la

péninsule de Sacalin. Les seules formations importantes sur ce littoral sont la digue de Sulina et

l’embouchure du bras du Danube Saint-George, qui se trouve juste au nord de la péninsule de

Sacalin. La péninsule de Sacalin forme la limite méridionale de ce segment de la côte roumaine.

14 C’est un promontoire étroit, comme vous l’avez vu hi er. Après cette péninsule, la côte s’oriente

vers l’ouest et suit cette direction jusqu’au lac Razim, un lac saumâtre séparé de la mer par une

bande de terre étroite. La côte prend ensuite peu à peu la direction du sud, qu’elle garde

généralement jusqu’à la frontière terrestre avec la Bulgarie, au sud de Vama Veche. Cette partie de

la côte roumaine constitue un autre segment.

14. Il n’y a aucune raison de tenir compte de la côte roumaine au sud et à l’ouest de la

péninsule de Sacalin s’agissant du secteur régi par les côtes adjacentes. Alors que le segment de

70 kilomètres de côte roumaine sur le delta est qu asiment orienté plein est, le littoral situé plus au

sud est généralement orienté sud-ouest, tout comme le littoral de la Crimée qui lui fait face est

généralement orienté sud-est. V ous vous rappelez que la Cour n’a pas tenu compte de la côte

tunisienne au nord de Ras Kaboudia dans l’affaire Tunisie/Libye, Ras Kaboudia marquant un

changement d’orientation du littoral qui, passé ce point, tournait le dos da vantage qu’il ne faisait

face à la zone à délimiter. Il en va de même ici. L’affaire Tunisie/Libye était pareillement une

affaire de côtes adjacentes.

o
[Fin de la projection n 12.]

[Projection n 13 : les côtes des Parties se faisant face.] - 7 -

15. En revanche, comme vous pouvez le voir à l’ écran, et sous l’onglet IV-14, toute la côte

roumaine est en relation d’opposition par rapport à la rapport à la côte de la péninsule de Crimée au

sud du cap Tarkhankut, qui fait face au sud-ouest, ce qui génère entre ces deux côtes un espace où

se chevauchent des droits éventuels à une zone économique exclusive. La distance entre Vama

Veche et le cap Sarych est de 226 milles. L’inté gralité du littoral roumain est pertinente en regard

de la côte de la péninsule de Crimée qui lui fait face.

16. En ce qui concerne la côte ukrainienne, no s collègues de la Partie adverse ont fait preuve

d’une imagination cartographique débridée. Il fa ut toutefois reconnaître qu’ils avaient du pain sur

la planche. Tout du long, la côte ukrainienne est profondément échancrée par d’importants golfes

et bras de mer. Le golfe de Kalamits’ka ne pose pas de problème particulier mais d’autres, tout

particulièrement le golfe de Karkinitsk’a, soulève des difficultés de taille.

o
[Fin de la projection n 13.]

[Projection n 14 : les segments de la côte ukrainienne.]

17. A l’écran apparaît à présent la côte de l’Uk raine qui est adjacente à celle de la Roumanie

—cela figure sous l’ongletIV-15 de vos dossiers. Voyons d’abord le segment de côte adjacente

qui longe la partie du delta du Danube appartenant à l’Ukraine. Nous l’avons appelé «segment 1».

Sa pertinence est incontestable.

15 18. Immédiatement au nord se succèdent, en en filade, des lacs côtiers coupés de la mer par

d’étroites bandes de terre — un phénomène commun autour de la mer Noire. La côte fait alors face

au sud-est et génère des zones de chevauchement de titres maritimes. Le segment2, qui s’étend

jusqu’au pointS, situé à l’entrée de l’estuaire du Dniestr, est, sans conteste, tout aussi pertinent

pour la délimitation.

19. La critique, par l’Ukraine, de la préte ndue suppression de côtes ukrainiennes, se rapporte

plutôt au segment 3, tel qu’exposé par la Roumanie, que vous apercevez à présent à l’écran — c’est

le segment côtier qui part de l’estuaire du Dniestr et qui s’étend vers le nord-est en direction

d’Odessa, là où la côte s’infléchit davantage vers l’est.

20. Naturellement, notre analyse ne porte pour le moment que sur la délimitation sur la base

de côtes adjacentes. Pour pouvoir mieux apprécier la situation, nous considérons à présent les

façades côtières qui, pour ainsi dire, sont orientées directement vers le large, sans la moindre côte - 8 -

en face. Franchement, je ne vois pas la pertinen ce, en tant que côte adjacente, ni de la côte

roumaine à l’ouest et au sud-ouest de la péninsule de Sacalin, ni de la côte ukrainienne au nord de

l’estuaire du Dniestr. Ces côtes tournent le dos à la zone située au large du delta du Danube qui est

celle qui compte pour la délimitation. Supposons également, pour les besoins de l’argumentation,

que la péninsule de Crimée appartienne encore à la Fédération de Russie et que la frontière terrestre

entre l’Ukraine et la Russie se trouve juste au nord d’Odessa, de sorte que tout ce qu’il incomberait

à la Cour de faire dans le différend entre la Roumanie et l’Ukraine serait de délimiter la frontière

entre leurs côtes adjacentes. Pourrait-on alors vrai ment dire que la côte ukrainienne aux alentours

d’Odessa a la moindre importance à cet égard, de même que la côte roumaine aux alentours de

Constanţa, située approximativement à la même distance du point terminal de la frontière

terrestre ? Sur quelle base pourrait-on dire que le segment côtier 3, qui est beaucoup plus éloigné,

puisse faire la moindre différence en ce qui concerne la délimitation entre des côtes adjacentes ? Il

s’infléchit davantage vers le nord, tourne le dos à la zone à délimiter, et sa projection ne chevauche

aucun titre généré par la côte roumaine. Il est aussi , comparativement, beaucoup plus éloigné de la

zone à délimiter que ne le sont d’autres segment s de la côte de l’Ukraine qui —en vertu du

principe de proximité comparative — sont pertinents.

21. Permettez-moi d’exposer la même idée autr ement. Dans la partie située à l’extrême

nord-ouest de la merNoire, le segment3 fait di rectement face aux golfes de Crimée. Il n’y a

simplement pas de chevauchement de titres potentiels générés par le segment 3 de l’Ukraine et les
16

70km de la côte roumaine situées au sud de la frontière, qui sont considérés comme des côtes

potentiellement adjacentes.

22. Le cas est comparable à celui qu’a examiné la Cour dans l’affaire Tunisie/Libye; et je

reprends les termes qu’elle a employés dans ladite affaire pour préciser que :

«sur la côte de chacune des deux parties, l’existence d’un point au-delà duquel ladite
côte ne peut plus avoir de lien avec les côtes de l’autr e partie aux fins de la
délimitation des fonds marins. Au-delà de ce point, les fonds marins au large de la
côte ne peuvent donc pas constituer une z one de chevauchement des extensions du

territoire des deux parties et, de ce fait, n’ont aucun rôle à jouer dans la délimitation.»
(Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya ar abe libyenne), arrêt, C.I.J.Recueil1982,
p. 61-62, par. 75.)

[«there comes a point on the coast of each of the two Parties beyond which the coast

in question no longer has a relationship with the coast of the other Party relevant for - 9 -

submarine delimitation. The sea-bed areas off the coast beyond that point cannot
therefore constitute an area of overlap of the extensions of the territories of the two
Parties, and are therefore not relevant to the delimitation.»]

Pour vérifier si tel est le cas — exercice pour leque l il faut savoir faire preuve de discernement, les

mathématiques ne suffisant pas—, il faut tenir comp te de la configuration et de l’orientation des

côtes et de la distance qui les sépare du lieu considéré.

23. Pour ces raisons, ce que nous avons appelé «segment 3» de la côte ukrainienne n’est pas

pertinent pour la délimitation des côtes adjacentes. Je reviendrai ultérieurement sur cet aspect, dans

le contexte des côtes qui se font face.

24. Cela dit, fidèle au principe qui a consis té pour nous jusqu’ici à aller du connu vers le

moins connu, je vais examiner la côte ukraini enne de Crimée qui se trouve en face, au sud du

cap Tarkhankut. Il est incontestable que celle-ci est en opposition avec la côte roumaine qui lui fait

face —et, plus au nord, avec la côte ukrainienne qui lui fait face. Nous l’avons appelé

«segment 8».

25. Mais il semble évident que le segment suivant, auquel nous avons donné le numéro7,

n’est pas pertinent. C’est la côte septentrionale de la péninsule de Crimée. Elle est orientée vers le

nord-ouest. La côte qui lui fait face se trouve de l’ autre côté du golfe deKarkinitsk’a. Elle est

située vis-à-vis des échancrures profondes du golfe et pas du tout vis-à-vis de la zone de

délimitation. Pourtant, l’Ukraine persiste à vouloir l’inclure dans le tronçon côtier pertinent. Nul

doute que les conseils de l’Ukraine nous diront de quelle manière cette côte, essentiellement

orientée vers le nord, située loin de la zone de délimitation, et sans aucun rapport avec cette

dernière, pourrait être pertinente.

17 26. La situation est sensiblement différente de celle de l’affaire du Golfe de Maine invoquée

par l’Ukraine. Si la frontière terrestre entre l’ Ukraine et la Roumanie —pour continuer ma série

d’hypothèses politico-géographiques— avait été situ ée quelque part aux environs de la ville

ukrainienne de Skadovsk, que vous apercevez à prés ent à l’écran, la côte qui se trouve en face, au

nord-est du capTarkhankut, à quelque 45milles de distance, aurait sans conteste été pertinente.

Mais ce n’est pas là que ce trouve la frontière. - 10 -

27. Ce qui vaut pour le segment 7 doit valoir aussi pour la majeure partie du segment 6 qui

est situé en face du segment7 dans le golfe deKarkinitsk’a. Il ne fait pas face à la zone très

éloignée de la ligne d’équidistance provisoire et il n’est, dirais-je, évidemment pas pertinent aux

fins de la présente espèce.

28. En ce qui concerne le segment3 proprement dit, que nous réexaminons à présent, il ne

fait manifestement face à aucune côte roumaine. En revanche, il se trouve partiellement en face du

segment5, et partiellement en face du segment7, c’est-à-dire la rive méridionale du golfe de

Karkinitsk’a. Le segment4 —court tronçon s itué au nord-est d’Odessa— lui non plus, ne fait

face ou n’est adjacent à aucune partie de la côte roumaine. En plus, par rapport à d’autres sections

de la côte ukrainienne qui sont incontestablement pertinentes, il est extrêmement éloigné de la zone

de délimitation. Si la côte située au sud d’Odessa n’est pertinente pour la délimitation sous aucun

des deux aspects —comme c’est assurément le cas—, alors il en va de même de la côte au

nord-est d’Odessa.

29. Cela nous laisse la partie occidentale du segment6 qui est orientée vers le large et non

vers une autre côte ukrainienne. Elle peut donc nous intéresser dans le cas présent. Mais il

convient de faire quatre remarques au sujet de ce seg ment. Premièrement, il est éloigné de la zone

pertinente — près de 120 milles marins. Deuxièmement, d’autres portions de la côte, en particulier

celles qui se trouvent au sud de la ligne reliant le point S et le cap Tarkhankut, se projettent sur la

zone à délimiter et sont beaucoup plus proches de celle-ci. Troisièmement, ce court tronçon côtier

est éclipsé par les segments1, 2 et8. Quatri èmement, ce segment ne présente aucune relation

particulière avec la côte roumaine ; il n’est ni situé en face ni adjacent.

o
[Fin de la projection n 14.]

30. Avant de conclure sur ces points, je vais dire quelques mots au sujet de la manière dont

l’Ukraine présente son propre littoral.

o
[Projection n 15: la projection de la côte ukrainienne telle que pr ésentée par l’Ukraine dans son
contre-mémoire (CMU, figure 3-4.]

31. Dans son contre-mémoire, l’Ukraine a inséré la figure3-4 qui réduit son littoral à

trois secteurs, dont les lignes de base ne présentent aucune relation étroite avec son littoral actuel ;

18 cette illustration se trouve sous l’onglet IV-16 du dossier de plaidoiries. Dans notre réplique, nous - 11 -

avons critiqué ce graphique à de nombreux égard, soulignant ses incohérences, son caractère

arbitraire, etc. Nous avons signalé, entre autres, que la flèche tracée à partir de la côte ukrainienne

orientée vers le sud s’étendait jusqu’à 223 milles marins 9.

[Fin de la projection n 15.]

o
[Projection n 16: la projection de la côte ukrainienne telle que présentée par l’Ukraine dans sa
duplique (RU, figure 4-4).]

32. Le croquis figurant sous l’onglet IV-17 illust re la deuxième tentative de l’Ukraine. Elle

y rectifie certaines erreurs qu’elle a faites lors de sa première tentative — la demande se limite à

présent à des zones couvertes par des arcs de 200 milles, par exemple. Mais elle démontre aussi la

futilité de ce type de représenta tion graphique dans le s zones relativement restreintes de la

mer Noire. Il convient de relever les points suivants :

1. Les arcs reposant sur les li gnes de base varient beaucoup —les angles correspondants varient

de 65° à environ 160°.

2. Les lignes de base à partir desquelles sont tracés deux des arcs (dans les secteurs central et

oriental) ne sont en rapport avec aucune des côtes proprement dites.

3. La base de l’arc central, située du côté occide ntal, qui revêt une importance capitale, est tracée

face à la côte, à de nombreux milles de celle-ci et d’une manière qui n’en reflète pas du tout la

morphologie.

4. Presque toute la côte du golfe de Karkinits’ka, ainsi que le segment côtier compris entre Odessa

et le golfe de Yahorlytska, ont été omis. Pourtant, l’Ukraine considère que ces segments côtiers

sont pertinents sur toute leur longueur aux fins de l’application de son critère de

proportionnalité : elle semble vouloir à la fois simp lifier le relief de son littoral et en conserver

toute la complexité !

5. Enfin, il ressort implicitement du graphique que peu importe la manière dont les côtes sont

analysées ou l’existence de relations particulières entre elles, et qu’il nous suffit de calculer par

ordinateur des arcs de 200 milles.

o
[Fin de la projection n 16.]

9RR, par. 3.41-3.46, et figure RR4. - 12 -

[Projection n 17: carte du bassin occidental de la merNoire présentant des projections sur

200milles marins, tracées d’une manière comparable à celle qu’a adoptée l’Ukraine pour sa
projection côtière.]

33. Mais bien entendu, si l’Ukraine veut se liv rer à ces petits jeux, nous serons deux. Parmi

les problèmes — et pas le moindre — que pose la mé thode de projection de l’Ukraine, c’est de ne

pas aller assez loin. J’ai déjà fait des observa tions sur les différentes caractéristiques de la

merNoire en tant que mer semi-fermée, dont pr esque chaque espace maritime se trouve dans la

limite des 200 milles de deux, trois, voire quatre Et ats côtiers. Le graphique qui apparaît à présent

à l’écran le montre; il se trouve sous l’ongletIV-18 du dossier de plaidoiries. Nous avons déjà

19 tracé, à l’ukrainienne, les projections des fronts côtiers sur 200milles sur tout le pourtour, en

respectant, à mon avis, plus fidèlement que l’Uk raine a pu le faire la géographie côtière de la

région située entre Odessa et le cap Sarych. Vous pouvez constater le désastre. Tout au plus, cela

illustre les problèmes de la délimitation dans des ea ux relativement fermées. Cela ne les résout en

rien.

[Fin de la projection n o17.]

o
[Projection n 18: carte du bassin occidental de la merNoire comprenant des projections de
200 milles marins à partir de la côte de la Roumanie.]

34. La même remarque peut être faite dans un cadre bilatéral, limité à la Roumanie et à

l’Ukraine. Une projection de 200 milles, tracée à l’ukrainienne à partir des fronts côtiers roumains

—que vous apercevez à l’écran et qui figure sous l’ongletIV-19—, couvre de vastes étendues

comprenant l’ensemble des eaux de la partie septe ntrionale du bassin occidental que la Roumanie

ne revendique pas. Si c’est là une manière d’identifier les côtes pertinentes et les zones pertinentes,

alors la formule a perdu son utilité.

o
[Fin de la projection n 18.]

35. Je passe aux zones pertinentes que j’ai définies —après analyse de votre

jurisprudence— comme étant les zones dans les quelles les projections des côtes pertinentes des

Parties génèrent un chevauchement de titres dans la région où la délimitation doit être effectuée, et

comme recouvrant les espaces maritimes auxquels doit s’appliquer la délimitation.

o
[Projection n 19: les différences entre les positions d es Parties sur la zone de délimitation
pertinente (sur la base de la figure RR11).] - 13 -

10
36. Selon l’analyse qui en a été faite dans les pièces de procédure , il y a trois points de

désaccord concernant la zone pertinente : premièrement, la limite avec la Bulgarie ; deuxièmement,

la limite orientale; et troisièmement, la limite septentrionale. Elles apparaissent à présent à

l’écran ; elles figurent sous l’onglet IV-20 de votre dossier et sont représentées sur la figure 4-11 de

la duplique 11.

37. Le plus petit et le moins important de ces désaccords concerne la zone située au sud de la

ligne d’équidistance provisoire entre la Bulgarie et la Roumanie. L’Ukraine persiste à inclure cette

zone dans la délimitation 12. En ce qui nous concerne, nous a vons indiqué les raisons qui nous ont

amenés à l’exclure. Mais l’élément qu’il convient de mettre en avant est le suivant: un Etat qui

continue à insister sur une différence aussi petite concernant des zones pertinentes se sert de ces

20 dernières à des fins inacceptables — il cherche à divi ser les zones pertinentes à l’aide de formules

arithmétiques; autrement, cela n’aurait aucun sen s. Cette approche étant inadmissible, nous

laissons à la Cour le soin de trancher cette question.

38. La deuxième différence entre les deux manièr es d’envisager la zone pertinente concerne

la partie sud-est. Pour justifier l’exclusion de cette zone triangulaire, l’Ukraine indique qu’elle n’a

«rien à voir» avec la Roumanie, concernant une zone maritime située entre l’Ukraine, d’une part, et

13
soit la Turquie soit la Bulgarie, de l’autre . La ligne qu’elle prétend tracer pour exclure cette zone

n’a aucune signification juridique ; c’est simplement la ligne reliant le cap Sarych au tripoint entre

la Roumanie, l’Ukraine et la Turquie 14. Par ailleurs, les zones maritimes situées à l’intérieur de ce

triangle représentent un chevauchement de titres pot entiels, aussi bien pour la Roumanie que pour

l’Ukraine (de même que pour la Turquie et, en partie, pour la Bulgarie) 15; c’est l’une des

configurations à quatre Etats. A une réserve mineure près, elle se trouve dans la zone pertinente en

la présente espèce.

10Le plus récemment dans DU, par. 4.70-4.83.
11
Ibid., en regard de la page 84.
12
Ibid., par. 4.81-4.83.
13Voir CMU, par. 3.71.

14RR, par. 3.82.

15Ibid., par. 3.83. - 14 -

39. La réserve concerne un petit triangle situé au sud-est, au-delà des 200milles de la côte

roumaine. Vous pouvez le voir à l’écran. Il ne fait pas partie de la zone pertinente.

40. Je passe au troisième point de désaccord, le plus important, qui concerne la zone située

au nord de la ligne reliant le point S et le cap Ta rkhankut. Comme je l’ai indiqué, les côtes faisant

face à cette zone sont toutes ukrainiennes, et auc une d’entre elles n’est pertinente pour la présente

délimitation. Si le critère définissant une zone non pertinente est celui de n’avoir «rien à voir» avec

l’autre Etat — qui est le critère employé par l’Uk raine pour exclure le triangle situé au sud-est —,

alors la zone septentrionale devrait certainement êt re exclue, car n’ayant, elle aussi, «rien à voir»

avec la Roumanie.

o
[Fin de la projection n 19.]

Conclusion

o
[Projection n 20 : les côtes pertinentes et la zone pertinente.]

41. Madame le président, Messieurs de la C our, en résumé, il s’agit ici d’une délimitation

concernant deux secteurs. Comme nous le voyons à l’ écran et sous l’onglet IV-21, dans le secteur

des côtes adjacentes, les côtes per tinentes sont, côté roumain, celles allant de la frontière terrestre

internationale jusqu’à la péninsule de Sacalin . Côté ukrainien, elles correspondent au tronçon

côtier allant de la frontière terrest re jusqu’au pointS, dans l’estuaire du Dniestr. Dans le secteur

21 des côtes se faisant face, les côt es pertinentes sont, côté roumain, l’ensemble du littoral et, côté

ukrainien, la façade côtière s’exposant au sud-ouest, allant du cap Sarynch au cap Tarkhankut. La

zone pertinente est celle dont la projection fait face aux côtes pertinentes, aussi loin que s’étend le

titre maritime des deux Parties. C’est aussi simple que cela.

o
[Fin de la projection n 20.]

V. L A DÉLIMITATION CONVENUE AUTOUR DE L ’ÎLE DES SERPENTS

Introduction

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, j’aborde à présent un autre point, dont la

présentation n’était pas prévue pour aujourd’hui, mais il y a eu un changement. J’en viens donc à - 15 -

la question du segment initial de la frontière mar itime délimitant les zones maritimes relevant des

Parties, à partir du point d’intersection des limites extérieures de leurs mers territoriales, comme

convenu en 2003. Ce point a été dénommé point F par la Roumanie.

2. Je montrerai qu’un accord conclu en 1949 défi nit le segment initial de la frontière comme

longeant un arc de 12milles marins autour de l’île des Serpents. Dans ses pièces de procédure,

l’Ukraine accepte les avantages qu’elle tire de cet accord. Elle reconnaît ainsi qu’elle bénéficie

d’un arc de 12 milles marins autour de l’île des Serpents, alors que c’est davantage que ce à quoi

elle aurait pu prétendre sans cet accord. Même en 1949, la distance entre l’île des Serpents et la

côte roumaine était inférieure à 24milles. Mais l’Ukraine n’accepte pas le revers de la médaille

⎯à savoir que la frontière délimi tait le domaine maritime de l’île entre les deux Etats à toutes

fins ⎯ bien que cette délimitation fût clairement re présentée sur des cartes faisant autorité qui

avaient été publiées à l’époque.

[Projection n o1: la frontière convenue autour de l’île des Serpents, extrait de la publication
intitulée Lighthouses of Ukraine.]

3. La Cour n’ignore pas que la Roumanie et l’Union Soviétique ont conclu un certain

nombre d’accords relatifs à la frontière les séparant. Le plus important est le procès-verbal général

du 27septembre1949, dans lequel figurent les r ésultats des travaux de la commission mixte

soviéto-roumaine chargée de l’établissement de la frontière d’Etat. La frontière définie dans cet

accord a été confirmée dans tous les accords ultérieurs, que je peux donc examiner plus

brièvement. Pris ensemble, ces accords montrent clairement trois choses :

22 Premièrement, il y a eu un accord sous forme d’un traité. Deuxièmement, cet accord opérait

une délimitation à toutes fins, et pas simplement une délimitation unilatérale déterminant le droit de

l’URSS à une mer territoriale de 12 milles marins to ut en lui laissant la possibilité de revendiquer

d’autres zones situées au sud de cette ligne de 12 milles marins. Troisièmement, il s’agissait d’un

accord délimitant la frontière autour de l’île des Serpents: la délimitati on ne se limitait pas à un

segment initial court situé à l’ouest, sans tenir compte de tous les autres secteurs.

4. Voilà pour les trois points: ils sont tous représentés à l’écran et reproduits sous

l’ongletV-1 figurant dans le dossier de plaidoiri es. Il s’agit d’une carte publiée par le service

hydrographique ukrainien dans le livre bien illust ré qu’ils ont publié en 2007 et qui est intitulé - 16 -

16
Lighthouses of Ukraine . Nous avons offert un exemplaire de cet ouvrage à la Cour et nous le

recommandons comme livre de chevet ! Cet ouvrag e montre une frontière autour de l’île. Cette

frontière sépare les eaux roumaines des eaux ukrainiennes. Elle ne s’arrête pas en cours de route ;

elle va jusqu’à l’autre côté. C’est ce qu’un organisme de l’Etat ukrainien a publié en 2007.

[Fin de la projection n o 1.]

5. Avant d’examiner l’accord de 1949 et les désaccords de l’Ukraine à ce sujet, je

souhaiterais rappeler deux points qui ne sont pas contestés. Premièrement, quelque soit l’accord

conclu en 1949, celui-ci est toujours en vigueur. Deuxièmement, cet accord lie l’Ukraine en sa

qualité de successeur de l’Union Soviétique au rega rd de l’île. L’Ukraine a expressément reconnu

17
le caractère contraignant de ces accords antérieurs dans l’accord additionnel de 1972 . Elle l’a fait

en référence au traité de 1961 relatif au régime de la frontière d’Etat, qui lui-même affirmait

18
expressément l’applicabilité du procès-verbal de 1949 et des accords ultérieurs . Elle a réaffirmé

cette reconnaissance en 2003, étant donné que le traité sur le régime de la frontière signé cette

année-là établit la frontière terrestre et la limite de la mer territoriale en référence au traité de 1961

19
relatif au régime de la frontière d’Etat .

6. Mon exposé est divisé en deux parties. Da ns un premier temps, je présenterai les accords

et les cartes dans l’ordre chronologique. J’ai bien peur de ne pouvoir adopt er une autre approche.

Je réagirai ensuite aux divers points soulevés par l’Ukraine dans sa tentative de ne pas tenir compte

de l’importance de ces accords et cartes.

23 A. L’accord de 1949 et sa confirmation par la pratique ultérieure

1. Le procès-verbal général de 1949

7. Madame le président, Messieurs de la Cour, le procès-verbal général de 1949 relatif à la

ligne frontière entre la République populaire de Roumanie et l’Union des Républiques socialistes

16
Ministère des transports et de la communicatio n de l’Ukraine, service hydrographique d’Etat Lighthouses of
Ukraine (Reference Photoinformation Edition, Logos Publishers, Kyiv, 2007: ISBN 966-581-842-2), p. 50.
17
Mémoire de la Roumanie (MR), annexe 2
18 MR, annexe 18

19 MR, annexe 3. - 17 -

20
soviétiques fut signé à Bucarest le 27septembre1949 . Il couvre la totalité de la frontière entre

les deux Etats, à partir du tripoint avec la Hongrie à l’ouest jusqu’à la frontière maritime en mer

noire. Il s’agit d’un texte d’une très grande précision.

8. Le passage pertinent du procès verbal général de 1949 relatif à la portion maritime de la

frontière est reproduit sous l’ongletV-2 du dossi er de plaidoiries. Partant de la borne

frontière no 1437, qui est la dernière sur terre, ce text e établit la frontière en mer noire entre les

zones dont les Parties ont convenu qu ’elles relèveraient de chacune d’entre elles. Le tracé de la

frontière au large peut être observé sur deux car tes qui, j’en ai bien peur, occuperont une bonne

partie de votre temps pendant les deux semaines à venir. Ce sont les cartes133 et134 qui sont

reproduites dans le dossier de plaidoiries sous les onglets V-3 et V-4. Comme vous le savez, il y a

un désaccord entre les Parties sur l’étendue de la frontière représentée sur la carte 133. Mais lisons

le procès-verbal tout en examinant ces deux cartes, en commençant par la carte n o 133. Certes, le

procès verbal n’est peut-être pas un modèle de conc ision, mais il est d’une extrême précision : les

Parties ont pris soin de définir ce qu’elles faisaient et le résultat nous semble clair.

[Projection n o 2 : carte 133 annexée au procès-verbal général de 1949.]

9. Le procès-verbal se lit comme suit :

o
«A partir de la borne frontière n 1437, la frontière traverse le milieu du chenal
de Musuna (Musura) dans une directi on sud-sud-est jusqu’à l’embouchure de ce
chenal en suivant l’alignement n 1, l’île de Limba revenant à l’URSS et l’île n o3 à la
o
RPR» c’est-à-dire, à la Roumanie, «jusqu’à la borne frontière n 1438 (bouée).

La borne frontière n 1438 est fixée (ancrée) dans l’eau au point d’inflexion de

la ligne frontière dans la mer Noire».

[«From the border sign No.1437 the boundary goes through the middle of the
Musuna (Musura) channel in a south-sout h-east direction, until the mouth of the

Musuna (Musura) channel on the alignmen t no. 1 leaving Limba Island on the USSR
side, and the island No. 3 on the PRR [that is, the Romanian] side going to border sign
no. 1438 (buoy).

The border sign no. 1438 is fixed (anchored ) in water in the point of the change
of the direction of the boundary line in the Black Sea».]

Ce qui nous amène au point 1438.

o
24 [Fin de la projection n 2.]

20MR, annexe 13. - 18 -

o
[Projection n 3 : carte 134 annexée au procès-verbal général de 1949.]
0
10. Après avoir défini les coordonnées de la borne frontièren 1438, le procès-verbal

continue comme suit : (ce qui nous amène à la carte 134 (onglet V-4)) :

«A partir de la borne frontière n o1438 (bouée), la frontière d’Etat traverse la
o
mer Noire en suivant une ligne droite de 102° 30' 0" jusqu’à la borne frontière n 1439
(balise)

o
La borne frontière n 1439 (balise) est fixée dans l’eau au point d’inflexion de la
ligne frontière d’Etat dans la mer Noire, à savoir à l’intersection de la ligne droite qui
suit l’azimut 102°30'0" à partir de la borne frontièren o 1438 (bouée) avec la limite

extérieure de la zone frontière maritime soviétique de 12milles qui entoure l’île des
Serpents .»1

[«From the border sign no. 1438 (buoy) the State boundary passes in the Black
Sea in a straight line, on the azimuth of 102°30’0" to the border sign no.1439

(beacon).

The border sign No. 1439 (beacon), is fixed in water, in the point where the
State boundary line going through the Black Sea changes its direction, at the

intersection of the straight line going from the border sign no.1438 (buoy) on the
azimuth of 102° 30’ 0", with the outer marg in of the Soviet marine boundary zone of

12 miles, surrounding Serpents’ Island».]

L’intersection de l’azimut avec la limite extérieure de la zone frontière maritime soviétique de

12milles qui entoure l’île des Serpents. Après avoir défini les coordonnées de la borne

o
frontière n 1439, le procès-verbal continue :

o
«La ligne frontière d’Etat, à partir de la borne frontière n 1439 (balise), suit la
limite extérieure de la zone frontière ma ritime de 12milles, attribuant l’île des
22
Serpents à l’URSS.»

[«The State boundary line, from the border sign No. 1439 (beacon), goes on the

exterior margin of the marine boundary zone, of 12 miles, leaving Serpents’ Island on
the side of the USSR.»]

11. Un certain nombre de points peuvent être soulevés au sujet du procès-verbal :

Premièrement, le libellé est clair. La «li gne frontière d’Etat» («the State boundary line»), à

savoir, la ligne séparant les zones appartenant à la Roumanie de celles qui relèvent de l’URSS

o o
s’étend de la borne frontière n 1438 à la borne frontière n 1439. La «ligne frontière d’Etat» («the

o
State boundary line») ne s’arrête pas au niveau de la borne frontière n 1439, elle est expressément

25 décrite comme «sui[vant] («to go on») «la limite extérieure de la zone frontière maritime de

12 milles» («the exterior margin of the maritime boundary zone, of 12 miles»).

21Traduction de la Roumanie

22Traduction de la Roumanie. - 19 -

Deuxièmement, la ligne frontière d’Etat est représentée de la même manière sur toute sa

longueur, y compris sur le segment s’étendant au-delà de la borne frontière n o1439.

Troisièmement, la «zone frontière maritime de 12milles», [«the marine boundary zone, of

12 miles»] dont la limite extérieu re est parcourue par la ligne fron tière d’Etat, est la même que la

zone de 12 milles marins décrite plus haut co mme «entour[ant]» («surrounding» ou «around») l’île

des Serpents.

12. En d’autres termes, les Parties ont convenu que la frontière suivrait «la limite extérieure

de la zone frontière maritime» («the exterior ma rgin of the marine boundary zone»). Cette zone,

est la «zone frontière maritime» («maritime boundary zone») de 12 milles qui a été décrite plus tôt

dans le procès-verbal comme «entourant» («surrounding» ⎯ou «around» selon la traduction

23
ukrainienne) l’île des Serpents . L’effet de ces termes est indéni able. La frontière convenue suit

«la limite extérieure de la zone frontière mariti me» («the exterior margin of the marine boundary

zone»). La zone frontière maritime elle-même entoure l’île des Serpents et la frontière encercle

cette île le long de sa limite extérieure. Il ne peut exister de zone sans frontière. Elle suit l’arc de

12milles marins, formant la limite extérieure de cette «zone frontière maritime» («marine

boundary zone») de 12 milles reproduite sur toutes les cartes.

13. L’Ukraine fait valoir que l’utilisation de l’expression «qui ent oure» («surrounding» ou

«around») dans le procès-verbal ne définit pas en réalité le tracé de la frontière, mais uniquement la

localisation du point1439, et ajout e que le paragraphe pertinent du procès-verbal général décrit

24
l’arc et non la frontière .

14. Il est vrai que l’expression «qui ent oure» («surrounding» ou «around») est utilisée dans

le paragraphe décrivant la borne frontière 1439 afin de définir le point d’intersection entre l’azimut

allant de la borne frontière n o1438 à l’arc de 12 milles marins. Mais l’on ne saurait interpréter les

paragraphes suivants, qui décrivent la suite du tracé de la frontière au-delà de la borne

frontière n o1439, de manière isolée. La «zone frontière maritime de 12 milles marins [the 12-mile

«marine boundary zone»] est la même dans les deux cas, et doit être dans les deux cas interprétée

23
CMU, par. 5.43.
24RU, par. 3.24. - 20 -

26 comme une zone frontière maritime «qui ento ure» («going around» ou «surrounding») l’île des

Serpents. Utiliser l’expression («qui entoure») simplement pour décrire l’arc comme le propose

l’Ukraine aurait été complètement superflu.

[Fin de la projection n 3.]

2. Les procès-verbaux spécifiques

15. Les procès-verbaux spécifiques relatifs aux bornes frontières n os 1438 et 1439 sont

rédigés en des termes similaires et confirment cette interprétation 25. Le procès-verbal spécifique

o 26
relatif à la borne frontière n 1438 (qui figure dans le dossier de plaidoiries sous l’ongletV-5)

prévoit que,

«à partir de la borne frontière n o1438 (bouée), la frontière d’Etat dans la mer Noire

poursuit une ligne droite de 102° 30' 0" d’azi mut, jusqu’à ce qu’elle atteigne la limite
extérieure de la zone frontière maritime soviétique de 12milles qui entoure l’île des
Serpents, la borne frontière n 1439 (balise)»

[«from the Border Sign 1438 (buoy), the State boundary in the Black Sea passes in a

straight line, on the azimuth of 102°30' 0", till it reaches the exterior limit of the
Soviet marine boundary zone, of 12 miles, surrounding Serpents’ Island, to the Border
Sign no. 1439 (beacon)»] . 27

o 28
16. De la même manière, le procès-verbal spécifique relatif à la borne frontière n 1439

(qui figure dans le dossier de plaidoiries sous l’onglet V-6) prévoit clairement que, au-delà de ladite

borne, la frontière d’Etat se poursuit en suivant l’arc de 12milles marins entourant l’île des

Serpents. Ce procès-verbal dispose que :

«la ligne frontière, à partir de la borne frontière n o1438 (bouée) traverse la mer Noire

suivant une ligne droite de 102°30'0" d’ azimut jusqu’à ce qu’elle atteigne la limite
extérieure de la zone frontière maritime soviétique de 12milles qui entoure l’île des
o o
Serpents, à la borne frontière n 1439 (balise), et de la borne frontière n 1439 (balise),
la ligne frontière longe la limite extérieure de la zone frontière maritime soviétique de
12 milles, attribuant l’île des Serpents à l’URSS»

[«the boundary line, from the Border Sign no . 1438 (buoy) passes in the Black Sea in
a straight line, on the azimuth of 102°30'0" till it reaches the exterior limit of the

Soviet marine boundary zone of 12 miles surrounding Serpents’ Island, to the Border

25
MR, par. 4.7, 4.8.
26 Ibid., annexe 14.

27 Traduction de la Roumanie.

28 MR, annexe 15. - 21 -

Sign 1439 (beacon) and from the Border Si gn no. 1439 (beacon), the boundary passes
on the exterior margin of the Soviet marine boundary zone of 12miles, leaving
Serpents’ Island on the USSR side»] . 29

27 17. Là encore, le procès-verbal spécifique — tout comme le procès-verbal général — prévoit

expressément que la frontière se poursu it au-delà de la borne frontière n o1439, et qu’elle suit «la

limite extérieure» de la «zone frontière maritime soviétique» de 12milles qui entoure l’île des

Serpents.

[Projection n o4: croquis figurant dans le procès-verbal spécifique de1949 relatif à la borne
frontière n 1439]

18. Il s’agissait là d’un croquis figurant dans le procès-verbal spécifique relatif à la borne

frontière n o1439. Comme vous pouvez le voir à l’écran, et comme cela ressort du procès-verbal

spécifique lui-même, ce croquis figurait dans le co rps du texte du procès-verbal. Ce n’était ni un

additif ni une annexe ; il faisait partie intégrante du texte. La frontière y est représentée de la même

manière, par des points et des tirets, et ce, sur toute sa longueur. Elle longe une partie de l’arc de

12 milles marins entourant l’île des Serpents et se prolonge vers l’est jusqu’à l’extrémité du croquis

— jusqu’au bord du croquis ; elle ne s’arrête pas avant. Des abréviations figurent au nord et au sud

de la frontière afin d’indiquer à qui appartiennent les eaux situées de part et d’autre de celle-ci, à

savoir l’Union soviétique au nord, et la Roumanie au sud — elles apparaissent également à l’écran.

19. L’Ukraine critique le fait que la Roumanie fasse référence aux croquis, au motif qu’ils

«n’établissent pas» une frontière maritime 30. Elle affirme que ces croquis sont «substantiellement

inexacts» et «doivent céder le pas à la ligne frontière complète qui est représentée de façon

définitive sur les cartes ⎯y compris la carte 134, géographiquement fiable ⎯ qui définissent la

31
frontière telle que convenue dans le procès-verbal général de 1949» . Trois observations au moins

peuvent être formulées à cet égard :

1) premièrement, les croquis font partie intégrante des procès-verbaux spécifiques et il faut leur

attacher l’importance qui en découle. De plus, ils confirment le sens du libellé des

o
procès-verbaux, à savoir que la ligne frontiè re d’Etat s’étend au-delà de la borne n 1439, le

long de l’arc de 12milles marins entourant l’île des Serpents, et qu’elle revêt la même nature

29
Traduction de la Roumanie.
30
DU, par. 3.47.
31Ibid.. - 22 -

sur toute sa longueur. La valeur des croquis ne dé pend pas de la question de savoir s’ils sont à

l’échelle ou géographiquement exacts.

28 2) deuxièmement, l’affirmation de l’Ukraine sel on laquelle la «ligne frontière complète» est

32
représentée de façon définitive sur la carte134 est tout simplement fausse. Le seul objet

affiché de cette carte est de représenter la frontière entre les bornes n os1438 et 1439.

L’affirmation de l’Ukraine selon laquelle la carte 134 «défini[t]» la frontière est tout aussi

fausse : cette carte n’a aucun statut particulier aux fins de définir la frontière ailleurs que dans le

secteur situé entre les deuxpoints auxquels elle se rapporte; elle n’a certainement pas pour

objet de représenter de manière définitive la frontière au-delà de la borne n o1439, et aucun

point terminal n’y est représenté ;

3) troisièmement, quand bien même y aurait- il une quelconque incohérence entre les croquis

figurant dans les procès-verbaux spécifiques et la carte 134, ce qui n’est pas le cas, ces croquis

⎯qui font partie intégrante des procès-verbaux descriptifs spécifiques— ne sauraient en

aucune manière «céder le pas» à la carte134. Ce qui est représenté sur cette carteet sur les

croquis considérés conjointement, c’est une frontiè re interétatique longeant cet arc de 12 milles

marins et ne s’arrêtant pas en un quelconque point déterminé ou précisément désigné. Et même

si — ce qui n’est pas le cas —, même si l’on devait estimer que figure sur la carte 134 un point

terminal précis, cette carte devrait, compte tenu de l’objet qui a présidé à son établissement, être

considérée comme secondaire par rapport au procès-verbal général de 1949 et aux

procès-verbaux descriptifs spécifiques, qui sont les textes produisant des effets juridiques et

dans lesquels aucun point terminal particulier n’est défini.

o
[Fin de la projection n 4.]

3. La carte 134

[Projection n 5 : carte 134 annexée au procès-verbal général de 1949.]

20. Permettez-moi d’expliquer la fonction par ticulière de la carte 134 en la replaçant dans

son contexte. Cette carte fait partie d’un atlas cartographique ⎯d’un volumineux atlas

cartographique— joint au procès-ve rbal de1949. Cet atlas se compose de 134cartes détaillées

32Ibid. - 23 -

représentant différents secteurs de la frontière situés entre deux bornes frontière ou un nombre

limité d’entre elles, ainsi que plusieurs cartes représentant des segments plus importants de cette

frontière. La carte 134 est la dernière des cartes détaillées. L’atlas cartographique est un document

volumineux: il ne faut pas moins de deux juristes internationaux pour la porter, ce qui est sans

doute une bonne nouvelle pour l’emploi !

29 21. L’Ukraine dit plusieurs choses au sujet de la carte 134 : qu’elle est la «carte visée dans le

procès-verbal comme étant celle couvrant ce secteur maritime de la frontière» 33, qu’elle «montrait

34
cette frontière telle que convenue» , qu’elle représentait la «ligne frontière complète» et qu’elle

«définiss[ait] la frontière telle que conve nue dans le procès-ve rbal général de1949» 35. Ces

affirmations sont dépourvues de tout fondement.

22. En témoigne le fait que l’atlas cartogra phique qui accompagnait le procès-verbal général

de1949 ait été signé par les représentants de la Roum anie et de l’Union sovi étique. Cet atlas, si

volumineux soit-il, fait partie de l’accord. Il fait partie des « documents de démarcation» qui ont

établi le tracé de la frontière aux côtés des procès-verbaux eux-mêmes. Il est reconnu comme tel

par les traités de 1997 et de 2003 conclus entre les deux Parties.

Ainsi, l’article premier du traité de 2003 sur le régime de la frontière précise que

«[l]a frontière qui sépare la Roumanie et l’Ukraine passe par les endroits définis et
décrits dans le traité [de 1961]…ainsi que dans tous les documents de démarcation
correspondants, les cartes sur lesquelles figure la frontière d’Etat entre l’ancienne

République populaire de Roumanie et l’ancienne Union des Républiques socialistes
soviétiques, les protocoles relatifs à l’empla cement des bornes, avec leurs croquis,
annexes correspondantes et documents additionnels, de même que dans les documents

approuvés … relatifs à l’inspection de leur frontière commune…»

[«[t]he State border between Romania and Ukraine passes on the ground as defined

and described in the [1961] Treaty . . . as well as in all the corresponding demarcation
documents, the maps of the State border between the former People’s Republic of
Romania and Union of the Soviet Socialist Republics, the protocols of the border signs

with their draft sketches, the corresponding annexes and their additions, as well as the
documents of verifications of the State border line . . .»].

Tous ces éléments, y compris l’atlas cartographique, sont énumérés, et il leur est conféré un statut

équivalent.

33DU, par. 3.27.
34
Ibid., par. 3.40.
35Ibid., par. 3.47. - 24 -

23. Les cartes figurant dans l’atlas cartographique ne sauraient donc être considérées

isolément. Elles doivent être interprétées à la lumière de l’objet qui a présidé à leur établissement,

à savoir accompagner le procès-verbal général de 1949 et représenter les différents secteurs de la

frontière dont la délimitation était convenue dans ce procès-verbal.

o
[Fin de la projection n 5.]

30 24. Cela étant posé, il est clair qu’il n’exis te aucune contradiction entre le texte des

procès-verbaux et la carte134. A cet égard, il est utile de se reporter de nouveau aux deux

dernières cartes de l’atlas, c’est -à-dire les cartes 133 et 134, qui, je vous le rappelle, figurent dans

votre dossier sous les onglets V-3 et V-4.

o
[Projection n 6 : carte 133 annexée au procès-verbal général de 1949.]
36
25. Comme son titre l’indique , la carte 133 a pour objet de représenter la frontière entre les

bornes frontière n os1436 et 1438. Certaines de ces cartes re présentaient un seul secteur, d’autres

deux. La carte 133 représente une partie de la frontière terrestre ainsi que le début de la frontière

maritime, montrant le coude décrit par celle-ci au niveau de la borne n o1438. Le symbole utilisé

pour tracer la frontière est le même sur toute sa longueur : dans la dernière portion du Danube, où

elle suit l’embouchure du canal Musura, la frontière est symbolisée par des points et des tirets ; là

où elle divise des zones de haute mer, les même s signes sont employés. La légende figurant à

droite de la carte est également importante à cet ég ard : les signes utilisés sont assortis de mentions

en roumain —et j’espère que les personnes parl ant cette langue excuseront ma prononciation—,

«linia frontierei de Stat» pour le tracé de la frontière terrestre et «linia frontierei de Stat pe ap ă şi

adâncimi» pour celui de la frontière maritime, ce qui, me dit-on, peut se traduire par «la ligne

frontière d’Etat» et «la ligne frontière d’Etat en mer et dans la colonne d’eau».

[Fin de la projection n o6.]

o
[Projection n 7 : carte 134 annexée au procès-verbal général de 1949.]

26. La dernière carte de l’atlas — la carte 134 — est intitulée «Carte de la ligne frontière

entre l’Union des Républiques socialistes soviétiques et la République populaire de Roumanie entre

36DU, par. 3.27. - 25 -

os
les bornes n 1438 et 1439». Ce titre indique clairement son objet: représenter la frontière entre

ces deux bornes, rien de plus.

27. Bien que la carte 134 ne soit assortie d’au cune légende, la frontière y est symbolisée par

les mêmes points et tirets que ceux utilisés pour le tracé de la partie maritime de la frontière sur la

carte133; et cette frontière est représentée sur toute sa longueur, sans interruption. On relèvera

également que, là encore, les mêmes symboles sont utilisés pour représenter le prolongement de la

o
frontière de chaque côté des bornes fr ontière: avant la borne frontière n 1438, en direction de

o
l’embouchure du Musura ; et après la borne frontière n 1439, le long de l’arc de 12 milles marins

31 entourant l’île des Serpents. Là encore, les zones maritimes situées de part et d’autre de la frontière

sont clairement identifiées, des abréviations pr écisant leur appartenance et ce, non pas une fois

mais deux. On notera en particulier que, dans l’un de ces deux cas, ces abréviations apparaissent

o
dans le secteur de la frontière situé après la borne n 1439 qui longe l’arc de 12milles marins

entourant l’île des Serpents.

os
28. Dès lors qu’il s’agit d’une carte représentant la frontière entre les bornes n 1438

et1439, il n’est guère surprenant que la frontière située au-delà de ces points n’apparaisse pas de

manière tout à fait détaillée. Contrairement à ce que soutient l’Ukraine, la carte 134 ne visait pas

37
«spécifiquement à montrer la frontière qui avait été convenue dans le procès-verbal» dans son

intégralité, et n’était pas non plus une «carte frontalière» 38générale.

29. L’Ukraine fonde toute sa thèse à cet égard su r le fait que la frontière représentée le long

de l’arc de 12 milles marins entour ant l’île des Serpents sur la carte 134 n’atteigne pas le bord de

ladite carte, laissant ainsi un espace vide. On ne peut toutefois en tirer aucune conclusion.

30. Le fait qu’il a été accordé moins de soin à la représentation de la frontière à l’est de la

borne frontière n o 1439 sur la carte134 ressort de la faç on dont ladite frontière est représentée à

o
l’ouest de la borne n 1438. Dans ce secteur, il existe en effet incontestablement une frontière

convenue, laquelle se prolonge à l’intérieur du Danube. Or, la frontière représentée sur la carte 134

o
ne va pas jusqu’à la borne n 1437, qui est située nettement à l’in térieur du chenal de Musura. En

fait, comme vous pouvez le voir, la ligne s’arrête à l’embouchure du chenal de Musura. Il serait

37DU, par. 3.40.

38Ibid. - 26 -

absurde d’avancer que cela signifie que la frontière prend fin là où elle s’arrête sur la carte 134. Le

o
même raisonnement s’applique à la frontière à l’est de la borne n 1439.

o
[Fin de la projection n 7.]

[Projection n 8 : planche I annexée au procès-verbal général de 1949 (figure RR18).]

31. Le fait que la carte 134 n’était pas censée représenter l’ensemble de la frontière sur l’arc

de 12milles entourant l’île des Serpents est conf irmé par d’autres cartes contenues dans l’atlas

cartographique. La plancheI de ce dernier, sous l’onglet7 du dossier de plaidoiries, offre un

aperçu du tracé de la frontière depuis son point du départ au tripoint entre la Roumanie, l’Union

soviétique et la Hongrie à l’ouest, jusqu’à la mer Noire. Bien que l’échelle soit effectivement très

petite, il ressort à l’évidence que le secteur de l’arc repr ésenté autour de l’île des Serpents est

sensiblement plus étendu que celui figurant sur la carte 134.

[Fin de la projection n o 8.]
32
o
[Projection n 9 : planche V annexée au procès-verbal général de 1949.]

32. De même, la planche V (onglet V-8), qui constitue la clef des cartes détaillées couvrant

la partie orientale de la frontière allant de la borne frontière1230 jusqu’à la borne frontière1439,

montre également que la frontière située au-delà de la borne frontière1439 se prolonge beaucoup

plus loin le long de l’arc de 12 milles tracé à partir de l’île des Serpents.

[Fin de la projection n o 9.]

o
[Projection n 10: les différentes positions du point term inal de la frontière représentées sur la
carte 134, la planche I et la planche V.]

33. Les longueurs différentes de la frontière au-delà du point1439 selon ces trois cartes de

l’atlas cartographique apparaissent lorsque l’on j uxtapose la carte134 et les planchesI etV à la

même échelle, comme le montre le graphique sous l’onglet V-9 du dossier de plaidoiries. L’arc de

cercle représenté sur la carte 134, l’arc le plus c ourt des trois, est approximativement de 23°. Vous

pouvez voir à présent, en surimpression sur la carte 134, l’étendue de la frontière représentée sur la

plancheV de l’atlas cartographique; elle sous-t end un angle d’environ37°. Si l’on procède de - 27 -

même avec la plancheI, vous vous apercevez que la longueur de la frontière est beaucoup plus

importante ⎯ l’angle mesure presque 63°. L’extrémité de la frontière représentée se trouve, sur la

première carte, à un point de l’arc situé au sud-sud-est de l’île des Serpents.

39
34. L’Ukraine fait valoir que les planches I et V n’ont pas de valeur . Mais chacune de ces

trois planches fait partie de l’atlas cartographique, qui lui-même fait partie de l’accord de

délimitation d’ensemble. Le fait que les de ux autres cartes contenues dans le même atlas

représentent une frontière qui s’étend plus loin au tour de l’arc des 12milles que ne l’indique la

carte134 confirme que cette derniè re n’était pas destinée à «définir » la longueur de la frontière

autour de l’île.

o
[Fin de la projection n 10.]

4. Les accords ultérieurs

35. Après la conclusion des procès-verbaux de 1949, la frontière ainsi convenue fut

officiellement confirmée dans le traité de 1949 relatif au ré gime de la frontière d’Etat
40
roumano-soviétique, signé à Moscou le 25novembre1949 . Ce traité rappelle et confirme la

33 frontière «tracée sur le terrain telle qu’elle a ét é déterminée dans les documents de démarcation

signés le 27 septembre 1949 à Bucarest…». En d’autres termes, le traité de Moscou confirme toute

l’opération entreprise par les procès-verbaux gé néraux et spécifiques ainsi que par les cartes

annexées. Après la première étape de démarcation, les éléments de la délimitation furent confirmés

par un traité ultérieur.

36. Telle était la position existante en 1949. Le procès-verbal de 1949 ainsi que le traité de

Moscou établissaient une frontière maritime qui se prolongeait au-delà de la borne frontière 1439,

le long de la limite extérieure de la «zone fr ontière maritime» de 12milles entourant l’île des

Serpents. Après le traité de Moscou, après le procès-verbal général, la Roumanie ne pouvait

affirmer qu’il n’existait pas de zone frontière ma ritime entourant l’île des Serpents. L’Ukraine,

elle, semble toujours pouvoir l’affirmer.

[Projection n 11: carte134 annexée au procès-verbal général de1949, représentant la mer
territoriale roumaine de 6 milles marins établie d’après la situation des côtes en 1949.]

39
DU, par. 3.36.
40MR, annexe 16. - 28 -

37. En1949, la Roumanie ne revendiquait qu’une mer territoriale de 6milles, ce que vous

pouvez voir maintenant en surimpression sur la carte134 (ongletV-10); nous appellerons

«pointA» le point terminal de la mer territori ale de 6milles qui existait en1949. Ainsi que le

montrent clairement les symboles employés sur les croquis contenus dans les procès-verbaux

spécifiques et les cartes133 et134, la frontière maritime ainsi délimitée était représentée de la

même manière sur toute sa longueur, même si ce n’ est que dans sa partie intérieure, à l’ouest du

pointA, qu’elle séparait les mers territoriales de la Roumanie et de l’Union soviétique, telles

qu’elles existaient alors. Dans sa partie extérieure, au sud et à l’est du point A, s’étendait une zone

située au-delà de la mer territoriale roumaine de 6milles marins que l’on désignait pourtant

clairement comme roumaine. Comme vous le vo yez, sur la carte134, les initiales «RPR»,

signifiant Republica Populară Română, sont situées au-delà de la ligne de 6milles, tandis que les

initiales «URSS» figurent dans la position correspondante au nord de la frontière, située dans la

«zone frontière maritime» de 12 milles entourant l’île des Serpents.

38. Selon l’interprétation naturelle de l’accord de 1949, la Roumanie et l’Union soviétique

entendaient ainsi établir une frontière maritime polyvalente entre les zones leur appartenant, et l’île

des Serpents devait être limitée à une «zone frontière maritime» de 12 milles. En conséquence, les

34 parties sont convenues que, quoiqu’il advînt ul térieurement, l’île des Serpents ne pouvait

revendiquer, sur le plan du droit à des espaces maritimes, que cette bande de 12 milles.

[Fin de la projection no11.]

39. Après1949, l’Union soviétique et la Ro umanie conclurent plusieurs autres accords,

aucun d’entre eux ne modifiant la frontière maritime convenue en 1949.

40. Un certain nombre de nouveaux accords bila téraux furent conclus en 1954, dont une loi

démarquant à nouveau l’emplacement de la bouée constituant la borne frontière1439, qui avait
41
disparu . Quelle que soit l’attention apportée par les démarqueurs, les bornes frontières ont

tendance à disparaître! L’accord de1954 reprend pour l’essentiel les termes du procès-verbal

de 1949.

41
MR, annexe 17. - 29 -

42
41. Le traité de 1961 relatif au régime de la frontière n’eut aucune incidence sur le tracé de

la frontière maritime dans le secteur considéré ; il affirmait le maintien en vigueur du procès-verbal

de 1949. Il envisageait de nouveaux travaux de démarcation, qui furent accomplis en 1961-1962 et

43
qui débouchèrent sur un procès-verbal définitif signé en 1963 .

42. Les termes du procès-verbal de 1963 s ont pour l’essentiel les mêmes que ceux employés

en 1949, si ce n’est que la description générale de la borne frontière 1439 fait désormais état d’une

«mer territoriale soviétique» de 12milles et non d’une «zone frontière ma ritime» de 12milles.

C’est la première fois qu’il est fa it référence à une mer territoriale soviétique de 12 milles dans les

accords de délimitation. Rien dans le texte du procès-verbal de1963 ne donne à penser que les

Parties avaient l’intention de m odifier les accords de1949. Et les événements ultérieurs le

confirment.

43. S’ensuivit un autre processus de démarcation ⎯ce qui semblait avoir lieu tous les

dix ans ⎯ en 1972-1973, qui déboucha sur la signature d’un autre procès-verbal général en 1974 et

de procès-verbaux séparés sur la description des bornes frontières. La description de la borne

frontière1439, dans le procès-ve rbal général de1974, comme en1963, fait également état d’une

44
35 «mer territoriale» soviétique de 12milles. Toutefois, à cette occasion, un autre procès-verbal

spécifique fut conclu pour la borne frontière 1439 ⎯ dont le texte se trouve sous l’onglet V-11. Ce

document fait référence, comme auparavant, à la «zone frontière maritime» soviétique, reprenant le

procès-verbal spécifique initial de la borne frontiè re1439 en1949. Et là encore, il dispose que

⎯ nous sommes en 1974 :

o
«de la borne frontière n 1439 (balise), la ligne fr ontière longe la limite
extérieure de la zone frontière maritime de l’URSS de 12milles, attribuant l’île des
45
Serpents à l’URSS» .

[«from the border sign n o1439 (beacon) the boundary passes on the exterior

margin of the USSR marine boundary zone of 12 miles, leaving Serpents’ Island to the
USSR side» .] 46

Image d’une continuité parfaite, en dépit des changements intervenus dans le droit de la mer.

42Ibid., annexe 18.
43
Ibid., annexe 19.
44
Ibid., annexe 21.
45Traduction de la Roumanie.

46MR, annexe 22. - 30 -

[Projection n 12: croquis contenu dans le procès-ve rbal spécifique de1974 de la borne

frontière 1439.]

44. Comme en1949, un croquis fut inclus dans le procès-verbal spécifique de1974 en tant

que partie intégrante. Comme le croquis de 1949, il représente avec le même symbole la frontière

sur toute sa longueur, y compris au-delà de la bor ne frontière 1439, en longeant l’arc des 12 milles

jusqu’à atteindre le bord de la carte. Une fois encore, les abréviations des noms des parties figurent

de chaque côté de la frontière afin d’indiquer à quel Etat appartient la zone en question.
[Fin de la projection n 12.]

45. Pour être complet, il convient de rappele r les événements survenus après l’indépendance

de l’Ukraine ⎯ situation à laquelle l’Ukraine a succédé, ce qui n’est pas contesté, mais elle y a bel

et bien succédé :

Premièrement, dans l’accord additionnel de 1997, l’Ukraine a expressément affirmé le

caractère obligatoire de la frontière convenue dans le traité de 1961 relatif au régime de la frontière,

ainsi que dans les procès-verbaux de 1949 et dans l’atlas cartographique.

Deuxièmement, le caractère obligatoire des exercices de délimitation et de démarcation

précédents fut de nouveau expressément réaffirmé, ceux-ci délimitant la frontière d’Etat séparant

36 l’Ukraine de la Roumanie jusqu’à l’intersection des limites extérieures de leurs mers territoriales,

en2003. J’ai déjà mentionné le traité de2003 47. L’article premier de ce traité dispose que la

frontière

«continue, depuis la borne1439 (bouée) indi quant la limite extérieure de la mer
territoriale de l’Ukraine autour de l’île aux serpents, jusqu’au point situé à 45° 05' 21"
de latitude nord et 30°02'27" de longitude est, qui est le point de jonction avec la
frontière d’Etat de la Roumanie à la limite extérieure de sa mer territoriale. Les mers

territoriales des parties contractantes mesu rées à partir des lignes de base auront
toujours, au point de jonction de leurs lim ites extérieures, une largeur de 12milles
marins.»

[«continues, from the border sign 1439 (buo y) on the outer limit of Ukraine’s
territorial waters around the Serpents’ Island, up to the point of à 45°05'21" north
latitude and 30° 02' 27" east longitude, which is the meeting point with the Romanian

State border passing on the outer limit of its territorial sea. The territorial seas of the
Contracting Parties measured from the b aselines shall permanently have, at the
meeting point of their outer limits, the width of 12 maritime miles.”]

47
MR, annexe 3. - 31 -

46. Le traité de2003 ne portait renonciati on à aucun des points convenus dans les accords

précédents. Il visait uniquement à fixer la frontière jusqu’à l’intersection des limites extérieures

des mers territoriales ⎯le point que nous avons désigné point F. Il n’a eu d’incidence ni sur le

procès-verbal de1949 ni sur les documents ultérieu rs puisque ceux-ci indiquaient le tracé de la

frontière maritime entre les Parties au-delà du point en question.

48
47. A la date de conclusion du traité de 2003 relatif au régime de la frontière , et à nouveau

lors de son entrée en vigueur 49, la Roumanie a de nouveau a ffirmé sa position selon laquelle la

détermination des coordonnées du de rnier point de la frontière de la mer territoriale entre les

Parties n’influait aucunement sur le processus de délimitation des plateaux continentaux et zones

économiques exclusives respectifs des Parties.

5. Conclusion sur les accords de 1949

48. Madame le président, Messieurs de la Cour, la série d’accords qui débuta par les

procès-verbaux de 1949 ainsi que les cartes et croquis qui les accompagnent montrent que l’Union

soviétique et la Roumanie convi nrent d’une frontière qui, au-delà de la borne frontière1439, se

poursuivait le long de l’arc de 12 milles «entourant» ou «autour de» l’île des Serpents, sans fixer de

point terminal. Les cartes jointes au procès-verbal de 1949 représentent cette frontière de diverses

manières et aucune importance n’est attachée aux points terminaux indiqués sur ces trois cartes. Ce

37 qui n’a pas changé, ce qui n’a pas varié durant ce long processus, c’est l’attribution expresse à l’île

des Serpents d’une «zone frontière maritime» de 12 m illes autour de celle-ci. La limite extérieure

de cette zone de 12 milles marqua it la frontière maritime ; au s ud de celle-ci se trouvait un espace

appartenant à la Roumanie. Dans ces conditions, le point terminal de la ligne figurant sur la

carte134, qui n’est ni défini, ni désigné, ni mentionné ni encore décrit, ne «définissait» pas la

longueur de la frontière. Cette frontière était la frontière de la zone, et cette zone était située autour

de l’île. C’est aussi simple que ça.

Madame le président, il est 11heures10. Le moment serait venu de faire une pause ⎯ ou

préféreriez-vous la faire dans vingt minutes ?

48
Ibid., annexe 23.
49Ibid., annexe 24. - 32 -

Le PRESIDENT: je pense que si vous le jugez opportun ⎯vous parlez depuis un certain

temps ⎯ la Cour accepte votre choix. Nous allons faire une pause.

L’audience est suspendue de 11 h 10 à 11 h 25.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir.

M. CRAWFORD: Madame le président, Messieurs de la Cour, après la pause-café,

venons-en aux cartes.

6. Les descriptions sur les cartes ultérieures de la ligne convenue dans les accords de 1949

a) Arguments de principe

49. La situation que j’exposais avant la pau se-café est illustrée sur de nombreuses cartes.

Celles-ci, produites par la Roumanie et par l’Un ion soviétique puis par l’Ukraine elle-même,

après1990, ainsi que par des Etats tiers, confirment ce qui ressort clairement du procès-verbal

de1949—à savoir qu’une ceinture de 12milles ent oure l’île des Serpents et que l’ensemble des

eaux situées au sud de cette ceinture appartient à la Roumanie.

50. A cet égard, il existe une nette différence de principe entre les Parties. Renvoyant au

dictum énoncé par la Chambre dans l’affaire du Différend frontalier (Différend frontalier (Burkina

Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 582-583, par. 54-56), l’Ukraine plaide que

50
seules les cartes faisant partie d’un accord entre les parties peuvent se révéler pertinentes .

38 51. L’Ukraine se montre toutefois fort sélectiv e dans son approche. Elle n’accorde de poids

qu’à la carte 134, sans en prêter aucun aux planches I et V, incluses dans le même atlas. Elle fait

également fi des croquis qui font partie intégran te des procès-verbaux décrivant spécifiquement les

bornes frontière.

52. En tout état de cause, l’Ukraine se méprend ici à la fois sur le dictum de la Chambre et

sur l’argument de la Roumanie.

53. Dans l’affaire du Différend frontalier, la Chambre a fait observer :

«les cartes peuvent acquérir une telle valeur juridique [c’est-à-dire, celle d’un titre
territorial] mais cette valeur ne découle pas alors de leurs seules qualités intrinsèques :

50
CMU, par. 5.129 ; DU, par. 3.52 ii). - 33 -

elle résulte de ce que ces cartes ont été intégrées parmi les éléments qui constituent
l’expression de la volonté de l’Etat ou des Etats concernés. Ainsi en va-t-il, par
exemple, lorsque des cartes sont annexées à un texte officiel dont elles font partie

intégrante.» ( Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 582, par. 54.)

Comme l’indique clairement l’expression «par exemple», la Chambre envisageait d’autres cas de

cartes pouvant constituer l’expression de la volonté de l’Etat.

54. Il peut par exemple s’agir d’une carte produite par un Etat qui illustre sans réserve une

frontière entre le territoire de celui-ci et celui d’un autre Etat. Dans ces conditions, la description

de la frontière constitue une expr ession de la volonté de l’Etat lui- même dans la mesure où, pour

citer l’arrêt de la Cour dans l’affaire des Minquiers et Ecréhous , la carte en question peut être

considérée comme une «preuve des vues officielles [de l’Etat] à l’époque» (Minquiers et Ecréhous

(France/Royaume-Uni), arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 71). Récemment encore, vous avez reconnu

la pertinence de telles cartes dans l’affaire Malaisie/Singapour ( Souveraineté sur Pedra

Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Ro cks et South Ledge (Malaisie/Singapour) , arrêt du

23 mai 2008, par. 271). Le recours aux cartes peut aussi se révéler approprié dans le cas d’une

carte susceptible d’être considérée comme une ad mission contraire aux intérêts de son auteur,

comme vous l’avez là encore reconnu récemment dans l’affaire Malaisie/Singapour, en référence à

la décision de la commission de délimitation des frontières entre l’Erythrée et l’Ethiopie ( ibid.,

39 citant la décision relative à la délimitation des frontières entre l’Erythrée et République fédérale

démocratique d’Ethiopie en date du 13 avril 2002, p. 28, par. 3.28).

55. Je ne veux pas dire que pareilles cartes constituent une source de titre, ni qu’elles priment

les termes exprès qui ont été utilisés dans les pro cès-verbaux de 1949 pour fixer la frontière. Elles

aident plutôt à éclaircir ou à confirmer l’interpré tation des procès-verbaux de 1949, et à révéler ce

que les parties avaient alors à l’esprit. Voilà pourquoi nous invoquons les différentes cartes

produites ultérieurement par l’Union soviétique et par la Roumanie, et ensuite par l’Ukraine.

56. De la même manière, les cartes produit es par des tierces parties peuvent se révéler

pertinentes en ce qu’elles traduisent l’interprétation d’observateurs avisés.

57. Les observations formulées par la Cour d’arbitrage dans l’affaire du Canal de Beagle

résument fort bien l’usage des cartes à cette fin : «il s’agit non pas d’opposer une ou plusieurs - 34 -

cartes à certaines attributions conventionnelles ou dé finitions frontalières, mais d’élucider ces

dernières—les éléments de preuve cartographiques pouvant être d’un certain secours en la

matière» [traduction du Greffe] 51.

La Cour d’arbitrage poursuivit en ces termes :

«les cartes publiées après la conclusion du traité peuvent éclaircir les intentions des
parties dans le cadre de ce dernier et, d’ une manière générale, la manière dont il
convient de l’interpréter. Ma is leur valeur particulière tient plutôt à ce que ces cartes
peuvent témoigner du point de vue adopté par l’une ou l’autre des parties à l’époque,
52
ou plus tard, au sujet de l’accord issu du traité.» [Traduction du Greffe.]

58. Ces observations sont particulièrement idoines dans le cas des différents types de cartes

produits par la Roumanie et par l’Union soviéti que, puis par l’Ukraine suivant son indépendance,

cartes sur lesquelles la frontière suit l’arc des 12milles qui entoure l’île des Serpents jusqu’à un

point situé à l’est. Toute carte produite par l’un quelconque des Etats parties à l’accord de 1949 qui

montre la frontière comme se prolongeant bien au -delà du secteur représenté sur la carte 134 revêt

une pertinence spéciale en ce qu’elle constitue une déclaration contraire à la thèse et aux intérêts de

l’Ukraine. Pareille carte sera d’autant plus per tinente si elle a été produite à une époque où soit

l’Union soviétique, soit l’Ukraine savait qu’il existait une divergence de vues.

40 b) Examen des documents cartographiques

59. Madame le président, Messieurs de la Cour, il n’est ⎯vous serez soulagés de

l’apprendre ⎯ pas dans mon intention de passer en revue la totalité des cartes pertinentes qui ont

été soumises au Greffe. Vous trouverez sous l’ongletV-13 de vos dossiers de plaidoiries un

tableau, qui en dresse la liste ⎯ répertoriant, autrement dit, le car tes qui représentent une frontière

maritime autour de l’île des Serp ents. Trente cartes de ce type sont reproduites dans le dossier

d’audience qui vous a été remis, en plus de celle extraite de la publication Lighthouses of Ukraine

que je vous ai projetée au début de mon expo sé: trente cartes, donc, qui font apparaître une

frontière autour de l’île des Serpents. Je me c ontenterai de brèves remarques sur quelques-uns des

51
Arbitrage concernant le canal de Beagle entre la Répub lique argentine et le Chili, Rapport et décision de la
Cour d’arbitrage, 18 février 1977, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XXI, p. 163-164, par. 137.
52Ibid., p. 164, par. 137. - 35 -

éléments les plus frappants que font apparaître certaines cartes soviétiques, ukrainiennes et

roumaines accessibles au public ainsi que ⎯et là je serai plus bref encore ⎯ certaines cartes

émanant d’autres Etats.

60. La première série de cartes date de la période immédiatement consécutive à la conclusion

des procès-verbaux de 1949: elles témoignent, peut-on penser, des vues des Parties quant à

l’accord de 1949 et à son effet.

[Projection 13: carte intitulée «Mer Noire: rive occidentale. De l’embouchure de Sulina au cap
Midia», établie par le service hydrographique sovié tique de la marine de la mer Noire (édition
de 1957).]

61. Commençons par la carte intitulée «Mer No ire: rive occidentale. De l’embouchure de

Sulina au cap Midia», établie par le service hydrographique soviétique de la marine de la mer Noire

en1957. Il s’agit de la cinquième entrée du tableau, et elle est reproduite sous l’ongletV-14 du

dossier de plaidoiries ; elle a été soumise à la Cour, qui l’a jugée recevable, l’an dernier. Sur cette

carte, la frontière maritime suit l’arc des 12milles autour de l’île des Serpents jusqu’à un point

situé approximativement est-sud-est de l’île ; là, elle s’interrompt en atteignant le bord de la carte.

La frontière se prolonge bien au-delà du point représenté sur la carte 134.

[Fin de la projection n o13.]

o
[Projection n 14: carte intitulée: «Partie occidentale de la mer Noire», établie par le service
hydrographique soviétique de la marine de la mer Noire (édition de 1957).]

62. Une deuxième carte, intitulée «Partie occi dentale de la mer Noire», émane également du

service hydrographique soviétique de la marine de la mer Noire. Il s’agit de la deuxième édition

d’une carte, établie en 1951, produite par l’Ukraine 53. Cette carte ne faisait pourtant apparaître

41 aucune frontière maritime, et ne contenait que des données destinées à la navigation. La carte

de1957, la deuxième édition, est mentionnée à la sixième ligne du tableau. La frontière, telle

qu’elle y est représentée, contourne la zone de 12milles autour de l’île des Serpents, jusqu’à un

point situé plein est de l’île.

[Fin de la projection n o14.]

o
[Projection n 15 : carte intitulée : «Partie nord-ouest de la mer Noire : de Constan ţa à Sébastopol»,
établie par la direction hydrographique maritime de la République populaire de Roumanie (édition
de 1958).]

53DU, annexe 3. - 36 -

63. La troisième carte, intitulée «Partie nord-ouest de la mer Noire: de Constan ţa à

Sébastopol», figure sous l’onglet V-16. Elle a été établie par la direction hydrographique maritime

de la République populaire de Roumanie en 1958, et vous la trouverez à la septième ligne du

tableau. La ligne frontière, sur cette carte, suit également l’arc des 12 milles et s’arrête à un point

situé plein est de l’île.

[Fin de la projection n 15.]

o
[Projection n 16: carte intitulée «Partie occidentale de la mer Noire: de l’estuaire du Dniestr
jusqu’à Sulina», établie par la direction hydrographique maritime de la République populaire de
Roumanie (édition de 1959).]

64. Une quatrième carte, intitulée «Partie occi dentale de la mer Noire: de l’estuaire du

Dniestr jusqu’à Sulina», représente de la même façon la ligne frontière. Il s’agit, dans ce cas aussi,

d’une carte roumaine et elle date de1959; elle est mentionnée à la huitième ligne du tableau, et

reproduite dans le dossier de plaidoiries, sous l’onglet V-17.

o
[Fin de la projection n 16.]

65. Ces cartes montrent la manière dont les parties aux procès-verbaux de 1949 se

représentaient la situation dans la période immédiatement consécutive à leur conclusion.

66. Je voudrais maintenant appeler votre attention sur une deuxième série de cartes établies

par la Roumanie et par l’Ukraine alors que se poursuivaient leurs négociations sur la délimitation.

[Projection n o17: cartes intitulées «Mer Noire et mer d’Azov», établie par le service

hydrographique ukrainien (édition de 2000), et «Parti e occidentale de la mer Noire», établie par la
section «Ukrmorcartographia» de l’Institut hydrographique ukrainien (édition de 2003).]

67. Le service hydrographique ukrainien et la section «Ukrmorcartogr aphia» de l’Institut

hydrographique ukrainien ont établi un certain nombre de cartes représentant la frontière le long de

l’arc des 12 milles autour de l’île des Serpents, jusqu’à un point situé plein est de l’île. C’est le cas

sur la carte publiée en 2000 ainsi que sur celle, plus tardive, de 2003 ⎯ ces cartes figurent sous les

onglets V-18 et V-19.

o
[Fin de la projection n 17.]

o
[Projection n 18: carte intitulée «Partie occidentale de la Mer Noire: d’Odessa jusqu’à
42 l’embouchure de Sulina», établie par la section «Ukrmorcartographia» de l’ Institut hydrographique
ukrainien (édition de 2001).] - 37 -

68. La carte ukrainienne de2001 ⎯mentionnée à la ligne27 du tableau et reproduite sous

l’onglet V-20 ⎯ revêt une pertinence particulière. Sur cette carte, la frontière se prolonge jusqu’à

un point situé à l’est de l’île des Serpents sur l’ arc des 12 milles ; jusqu’à ce point, la frontière est

figurée au moyen du symbole utilisé pour représenter les «frontières maritimes internationales».

L’arc des 12 milles se prolonge de là vers le nord et l’ouest, jusqu’à son intersection avec la limite

extérieure de la mer territoriale générée par le territoire continental ukrainien, au nord. Ce segment

d’arc est figuré au moyen du symbole indiquant la «limite extérieure de la mer territoriale» d’un

Etat ⎯ la différence de trait est tout à fait délibérée.

69. Cette carte, établie et publiée par l’ Ukraine, montre que celle-ci considérait

indéniablement que la frontière, au sud de l’île des Serpents, se prolongeait bien au-delà du point

représenté sur la carte 134. En outre, des symboles différents étant clairement utilisés au nord et au

sud, il y a lieu de conclure que le segment de fron tière au sud de l’île n’était pas censé marquer la

seule limite de la mer territoriale, mais une frontière maritime internationale à toutes fins. Cette

carte est assurément assimilable à une déclaration alla nt à l’encontre des intérêts de l’Etat dont elle

émane.

[Fin de la projection n o18.]

o
[Projection n 19: cartes intitulées «Partie occidentale de la mer Noire» et «Côte roumaine de la
mer Noire: du cap Kaliakra au delta du Danube» , établies par la direction hydrographique

maritime de Roumanie (édition de 2003).]

70. Deux cartes établies par la Roumanie en2003 (elles sont reproduites sous les

onglets V-21 et V-22) représentent également la ligne frontière longeant l’arc des 12 milles autour

de l’île des Serpents jusqu’à un point situé plein est de celle-ci.

[Fin de la projection n 19.]

71. Ces cartes appellent plusieurs observations :

1) Elles ont été établies par les organes officiels, et compétents, de la Roumanie et de l’Union

soviétique, puis de l’Ukraine.

2) La frontière, telle que figurée sur ces cartes, s’étend toujours au-delà du point représenté sur la

carte 134, et apparaît comme ayant le même caractère sur toute sa longueur.

3) La frontière est toujours représentée. - 38 -

4) L’Union soviétique puis l’Ukraine n’ont jamais élevé d’objection à l’étendue de la frontière

représentée sur les cartes roumaines.

5) Non seulement elles n’ont pas objecté mais elles ont elles-mêmes publié des cartes figurant une

frontière se prolongeant, sur le pourtour de l’île des Serpents, jusqu’à un point situé à l’est de

celle-ci. Ces cartes sont assimilables à une série de déclarations contraires aux intérêts de l’Etat

dont elles émanent, faites sur une longue période.

43 72. Pour finir, je mentionnerai ⎯ mais plus brièvement ⎯ les cartes émanant d’Etats tiers :

la France (ligne 17 du tableau) ; l’Allemagne (ligne 18) ; la Bulgarie (ligne 20), et la Fédération de

Russie (ligne 21).

o
[Projection n 20 : carte intitulée «Carte de la mer Noire : côtes soviétique et roumaine, du delta du
Danube jusqu’à Il’icevsk», établie par l’Institut fédéral allema nd de navigation maritime et
d’hydrologie (édition de 1991).]

73. Je ne montrerai qu’une seule de ces cartes : celle établie par l’Allemagne en 1991, qui est

reproduite sous l’ongletV-23 de vos dossiers de pl aidoiries. La frontière y est figurée le long de

l’arc entourant l’île des Serpents jusqu’à un point situé plein est ; le même symbole est utilisé sur

toute la longueur de la ligne fr ontière, qu’elle passe sur terre ou en mer. Revêt ici une pertinence

toute particulière le trait tracé au sud-est de l’île des Serpents. Vous voyez à présent un

élargissement de la carte: du côté de la fron tière où se trouve l’île des Serpents, les eaux sont

clairement présentées comme russes tandis que, de l’autre côté, elles apparaissent comme

roumaines. Un trait analogue est utilisé pour repré senter le segment de la frontière borné par les

points 1438 et 1439.

[Fin de la projection no 20.]

74. Prises conjointement, ces cartes attestent que les Parties, et les Etats tiers, considéraient

que la frontière convenue suivait l’arc des 12 milles tout au moins jusqu’à un point situé à l’est de

l’île des Serpents. Les cartes confirment le sens clair de l’accord de 1949.

75. Toutes les cartes que j’ai mentionnées emploient un même symbole pour représenter la

frontière jusqu’à un point situé à l’ est de l’île des Serpents, où elle s’achève. De toute évidence, il

était estimé que la frontière était de même nature sur toute sa longueur; elle séparait des espaces

appartenant à la Roumanie d’espaces appartenant d’abord à l’Union soviétique, puis à l’Ukraine. - 39 -

76. L’Ukraine, certes, conteste la pertinence d es cartes soumises à la Cour par la Roumanie,

mais ⎯ et c’est là le point clé ⎯ elle n’a pas été à même de produi re une seule carte, postérieure à

l’accord, à l’appui de la thèse qu’elle défend, à savoir que la frontière convenue en1949 ne

s’étendait pas au-delà de la limite représentée sur la carte134 ⎯pas une seule. Tout au plus

peut-elle produire quelques cartes ne faisant apparaître aucune fron tière maritime. Ces cartes sont

dépourvues de pertinence. Elles ne valent reconnaissance ni d’une thèse ni d’une autre. Elles sont

comme un témoin qu’on aurait appelé à la barre et qui ne dirait rien.

77. Je le répète : l’Ukraine n’ a pas été en mesure de produire une seule carte postérieure à la

conclusion des procès-verbaux de 1949 ⎯ pas une seule ⎯ à l’appui de la frontière qu’elle défend.

44
B. Les objections de l’Ukraine

78. Madame le président, Messieurs de la C our, j’aborde à présent la deuxième partie, bien

plus brève, de cette plaidoirie: l’examen des obj ections faites par l’Ukrain e aux arguments de la

Roumanie que je viens de m’efforcer d’exposer à l’instant. La Roumanie présente sixobjections

⎯ pardon, l’Ukraine fait six objections ⎯ je n’ai pas changé de camp !

1. Les accords de délimitation au sens des paragraphes 4 des articles 74 et 83

79. Premièrement, l’Ukraine, tout en acceptant le caractère valide et contraignant des

différents accords, fait valoir qu’ ils ne constituent pas des «accords de délimitation» au sens des

paragraphes 4 des articles 74 et 83 car ils ne déli mitent pas les plateaux continentaux ou les zones

économiques exclusives des Parties mais séparent ces zones de la mer territoriale des 12 milles qui

appartient à l’Ukraine autour de l’île des Serpents . M.Pellet a traité de cet argument en ce qu’il

concerne la compétence, je l’envisagerai en ce qu’il se rapporte au fond.

80. Les paragraphes 4 des articles 74 et 83 ne disposent pas qu’un accord auquel ces articles

se réfèrent devrait délimiter des zones ayant le même caractère. Dans la mesure où le

procès-verbal général de1949 et les accords ulté rieurs ont abouti à une délimitation des zones

maritimes des Parties et où la frontière délimite , sur au moins un côté, un plateau continental ou

une zone économique exclusive, il s’agit donc d’accords «délimitant» un plateau continental ou une

zone économique exclusive au sens des paragraph es4 des articles74 et83 et, suivant le sens

commun donné à ces termes, ils délimitent la zone. - 40 -

81. Un instant de réflexion permettra de c onstater que tel est souvent le cas par exemple,

lorsqu’une petite île appartenant à un Etat se trouve à proximité de la ligne d’équidistance ou de la

ligne médiane continentale. Dans ces conditions, il est courant, sinon constant, que la petite île

bénéficie seulement d’une enclave ou d’une semi -enclave de 12milles. Une telle frontière

constitue indubitablement une dé limitation du plateau continenta l et de la zone économique

exclusive de l’Etat adverse, même si le long d’une partie de son tracé, elle n’a, sur un côté, qu’une

mer territoriale. L’argument de l’Ukraine peut être poussé jusqu’à l’ab surde: un accord traçant

une ligne de 13milles ou de 12milles et demi aut our d’une île est un accord de délimitation, de

même si la distance est de 12 milles et 1 mètre, mais tel ne serait pas le cas si elle était de 12 milles

exactement, et pourtant 12 milles représente la forme courante.

45 2. L’absence d’accord exprès concernant le pointX et l’absence de cartes contemporaines

montrant un prolongement de la frontière jusqu’au point X

82. Deuxièmement, l’Ukraine fait valoir qu’au cun des accords ne dispose que la frontière

convenue se prolonge jusqu’au point plein est de l’île des Serpents ⎯ celui que nous avons appelé

54
le point X .

83. Mais la longueur de la frontière convenue est fixée par les termes employés dans le

procès-verbal général de 1949 lui-même et confirmée dans des accords ultérieurs. Le procès-verbal

prévoit clairement que la frontière suit la limite extérieure de la zone frontière maritime de

12 milles autour de l’île des Serpents ; elle va donc aussi loin que la zone, face à la Roumanie.

84. Quoi qu’il en soit, l’argument de l’Ukraine peut être interprété dans les deux sens : il n’y

a pas non plus de limitation expresse de la frontière. Une frontière qui suit un arc de moins de 23°

ne saurait être considérée comme «entourant» l’île des Serpents.

85. L’Ukraine souligne qu’aucune des cartes jointes au procès-verbal ne montre que la

55
frontière convenue se prolonge jusqu’au point X . Mais, encore une fois, il faut partir du véritable

sens du procès-verbal : que signifiait-il ? Les planches I et V montrent que la frontière convenue se

prolonge au-delà du point où elle s’arrête sur la carte134: il est évident que la zone n’est pas

54
DU, par. 3.12.
55
Ibid., par. 3.25-3.28. - 41 -

limitée comme le montre la carte134. En outre, les cartes produites par les parties au

procès-verbal de1949 montrent que celles-ci comprenaient très bien que la frontière convenue

n’était pas limitée ainsi.

3. Le mandat de la commission mixte de démarcation de la frontière

86. Troisièmement, l’Ukraine fait observer que la tâche de la commission mixte

soviéto-roumaine qui a établi le procès-verba l de1949 «ne comprenait pas la démarcation du

56
secteur maritime de la frontière» : la commission était «uniquement chargée de démarquer la

frontière d’Etat jusqu’à la borne frontière 1439».

87. La première observation n’est bien évidemment pas fondée. Après tout, la commission

de démarcation a fixé l’emplacement de deux bornes frontières situées en mer : 1439 et 1438.

88. Quand à la seconde, il est vrai que la bor ne frontière1439 était la dernière à avoir été

démarquée. Mais le fait que celle-ci ait été le «point terminal de la ligne frontière démarquée» 57

46 n’a aucune conséquence pour la délimitation effectuée par le procès-verbal général de1949 et

confirmée sans réserve dans le traité de Moscou.

89. Il ressort des termes clairs du procès-verbal général de 1949 et de la manière dont elle est

représentée sur les cartes jointes qui font partie de l’accord que la frontière délimitée d’un commun

accord se prolonge au-delà de la borne frontière 1439 et suit la limite extérieure de la zone frontière

maritime de 12milles autour de l’île. La conclusion selon laquelle le procès-verbal a délimité la

frontière au-delà de la borne frontière1439 s’accorde parfaitement avec une démarcation des

bornes frontières selon des termes qui couvraient également un processus de délimitation.

90. L’Ukraine fait valoir que «la commission mixte considérait le point1439 comme «le

point terminal de la ligne frontière démarquée»» 58. Il s’agissait certainement du point terminal

démarqué, mais le fait est que les Parties en ont convenu et qu’elles ont ainsi inévitablement

délimité le tracé de la frontière autour de l’île des Serpents. Il est expressément indiqué qu’elle

«suit la limite extérieure de la zone frontière maritime de 12 milles». La zone était reconnue et ce,

56DU, par. 3.14.
57
Ibid., par. 3.15.
58Ibid., par. 3.19 ; les italiques sont dans l’original. - 42 -

non seulement comme une zone appartenant à l’Un ion soviétique. La frontière définie comme

suivant la limite extérieure de celle-ci séparait «la zone frontière maritime» appartenant à

l’Union soviétique des espaces relevant de la Roumanie.

91. Quelle que soit la portée du mandat que la commission mixte ait pu avoir, l’Ukraine ne

peut se soustraire au fait que la commission a e ffectivement délimité la frontière au-delà de la

borne frontière1439 et que cette délimitation a été expressément approuvée dans son intégralité

dans une série d’accords ultérieurs.

4. Les travaux préparatoires de la commission mixte

92. Quatrièmement, l’Ukraine fait état des doc uments produits par la commission : elle note

que les travaux n’envisagent aucunement que la frontière se prolonge jusqu’au point X 59.

93. Mais, de la même façon, les travaux pr éparatoires ne contiennent rien quant à la

limitation de la frontière sur laquelle s’ appuie l’Ukraine. Ces travaux précisent ⎯ sans rien

indiquer de plus ⎯ que la frontière passe sur «la marge extérieure de la limite marine de

12milles». La zone ne s’arrêtait pas juste après avoir commencé dans le secteur sud-ouest du

47
cercle; or, si la zone ne s’arrêtait pas, il en a llait de même pour la frontière qui suivait sa limite

extérieure.

94. En fait, les travaux préparatoires n’apportent pas beaucoup d’éléments pour étayer l’une

ou l’autre des thèses. Le seul point indiscutable est que la commission mixte a convenu que la

60
frontière maritime «suit l’arc autour de l’île des Serpents au-delà du point 1439» . A cet égard, les

travaux concordent avec la position de la Roumanie et non avec celle de l’Ukraine.

5. La carte 134 qu’invoque l’Ukraine

95. Cinquièmement, l’Ukraine est obligée de fair e pour le mieux avec le peu qu’elle a. Elle

accepte que le procès-verbal de1949 a a bouti à une frontière convenue suivant « sur une certaine

61
distance l’arc des 12 milles marins limitant la mer territoriale de l’île des Serpents» . Cependant

celui-ci prend bien soin de ne pas définir le point convenu, et il ne dit pas que la frontière convenue

59Ibid., par. 3.20-3.21.
60
Ibid., par. 3.21.
61Ibid., par. 3.7 ; les italiques sont dans l’original ; voir aussi par. 3.22 et 3.35; cf. par. 3.17. - 43 -

se prolongeait même aussi loin que ce qui figure sur la carte134. C’est en vain que vous

chercherez dans la duplique une formule claire à ce sujet: si l’on va au-delà de la borne

frontière 1439, où s’arrête la frontière ? L’Ukraine ne le dit jamais. Elle se borne plutôt à dire, de

manière négative, qu’«il n’y a pas de frontière conve nue suivant l’arc autour de l’île des Serpents

au-delà du point d’intersection…» 62; qu’aucun élément de preuve n’indique que «la frontière

63
convenue…s’étend jusqu’au «pointX» ; qu’«il n’y a pas de fron tière maritime convenue qui

s’étende plus à l’est que le point conve nu dans le traité ukraino-roumain de 2003» 64. Une série de

formules négatives ne constitue pas une thèse affirmative.

96. A l’appui de sa thèse, l’Ukraine invoque la prétendue coïncidence entre le point

d’intersection des limites extérieures des mers territoriales des Parties, comme il fut convenu

en 2003, et le prétendu point terminal –– qui serait, dit-on, montré sur la carte 134. Sur la base de

cette apparente coïncidence, elle construit une hypothèse complexe, que n’étaye aucun élément de

preuve, selon laquelle la raison pour laquelle l’Union soviétique et la Roumanie ont peut-être

convenu de montrer une frontière ne s’étendant que jusqu’au point indiqué sur la carte 134 était que

48
les Parties envisageaient déjà que la Roumanie pour rait porter sa mer territoriale à 12 milles. Bref,

elle soutient que la frontière représentée sur la carte 134 était censée refléter cette possibilité.

97. Cependant, l’hypothèse de l’Ukraine doit êt re rejetée dès que l’on constate les réalités

géographiques et la configuration de la côte en 1949.

o
[Projection n 21 : effets du prolongement de la digue de Sulina.]

98. En 1949, la Roumanie revendiquait une mer territoriale de six milles –– et vous voyez, là

encore, la limite extérieure de cette mer territoriale de sixmilles, tracée en fonction de la ligne

côtière de l’époque –– cette diapositive et celles qui suivent sont reproduites sous l’onglet V-24 du

dossier de plaidoiries. On constate que la borne frontière1439 était largement à l’extérieur de la

mer territoriale, et que la limite extérieure de la mer territoriale de six milles coupait la frontière au

point situé entre les bornes frontière1438 et1439. Il convient de faire un certain nombre

d’observations.

62Ibid., par. 3.7.
63
Ibid., par. 3.25; voir aussi par. 3.22, 3.49 et 3.50.
64Ibid., par. 3.2; voir aussi par. 2.12, 3.5a), 3.65, 3.67. - 44 -

99. Premièrement, on se rappellera que le texte dit expressément que la borne frontière 1439

constitue l’un des points d’inflexion de la ligne de frontière, et ce en dépit du fait qu’elle était

clairement située à l’extérieur de la mer territoriale la Roumanie à l’époque.

100. Deuxièmement, comme je l’ai dit, la fr ontière est indiquée tout du long à l’aide des

mêmes symboles, alors que, vu les zones maritim es à l’époque, elle cons tituait une frontière qui

séparait les eaux faisant l’objet de régimes juridiques différents.

101. Troisièmement, les eaux au nord et au s ud de la frontière sont clairement désignées

comme rattachées aux deux Etats; un ensemble d’abréviations est situé sur les deux côtés de la

section où elle court le long de l’arc des 12 milles, largement à l’extérieur de la mer territoriale de

la Roumanie.

102. Quand à l’argument de l’Ukraine selon le quel on envisageait le point montré sur la

carte 134 en raison de l’élargissement de 12 milles, il est soutenu que ce point coïncide avec celui

qui marque la limite de la mer territoriale de 12 milles.

103. Mais si le procès-verbal général de 1949 avait visé l’établissement d’un point terminal

pour la frontière, les Parties auraient certainemen t mentionné ce point dans le texte et auraient

précisé les coordonnées de celui-ci, comme elles le firent méticuleusement en ce qui concerne tous

les autres 1439 points d’inflexion. Tel ne fut pas le cas.

104. En outre, le prétendu point terminal représenté sur la carte134 n’est pas au même

endroit que le point terminal marqua nt la limite extérieure de la mer territoriale des Parties, telle

que convenue en 2003. Je donne les coordonnées des deux points dans le texte de mon exposé ; je

49
ne les lirai pas ici, mais je demanderai au Greffe d’avoir l’obligeance de les inclure dans la version

imprimée de mon intervention. Point terminal représenté sur la carte134, dont les coordonnées

sont 45°05'24" de latitude nord et 30° 02'13" de longitude est; pointF(2003) , dont les

coordonnées sont 45°05'21"de latitude nord et 30°02'27" de longitude est. Je peux vous dire

que la différence entre le point terminal sur la carte134 et le point convenu en2003 est de

93mètres nord-sud et 219mètres est-ouest ––une différence non négligeable que les Parties

auraient relevée si elle avait existé6.

65
RU, par. 3.45. - 45 -

105. Mais, élément plus important encore, la R oumanie et l’Union soviétique n’auraient pas

pu prévoir que le point qui serait convenu en2003 serait le point d’intersection de la limite

extérieure des mers territoriales de 12 milles de la Roumanie et de l’Ukraine. Le point F n’est situé

là où il est qu’en raison d’importantes modifications matérielles de la digue de Sulina –– le point de

base roumain.

106. Ces modifications se sont produites entre les annéec sinquante et les

annéesquatre-vingt. Elles ont abouti à un prolongement de la digue d’en viron 1,5mille. Ces

prolongements n’ont pas suivi de calendrier précis ou de plan établi à l’avance, car ils ont été la

conséquence d’une sédimentation gr aduelle et irrégulière. Les Parties ne pouvaient prévoir,

en 1949, où la digue de Sulina se terminerait en 2003.

107. En fait, le point situé à 12 milles de l’extr émité de la digue de Sulina, telle qu’elle était

en1949, aurait été à une distance importante au nord-ouest du pointF, tel qu’il fut convenu

en 2003, et du prétendu point final de la frontiè re représentée sur la carte 134 –– vous pouvez voir

ceci sur l’écran maintenant. Le dernier poi nt convenu sur la carte134 se trouvait en fait

à 13,4 milles marins du point de base à l’extrémité de la digue, telle qu’elle était en 1949.

108. Si les Parties avaient eu l’intention de tenir compte d’un éventuel élargissement de la

mer territoriale de la Roumanie à 12miles, la frontière convenue entre elles aurait alors été bien

plus courte que celle que l’on voit sur la carte 134.

109. Bref, vu la configuration côtière réelle , même en ce qui concerne l’Ukraine quant aux

effets de la carte134, les Parties se sont n éanmoins entendues sur une frontière de longueur

relativement importante, de plus d’un mille, qui sép arait les zones à l’extérieur de la présumée mer

territoriale de 12milles de la Roumanie et de la zone maritime de 12milles autour de l’île des

Serpents.

50 6. La position de l’Ukraine concernant le statut des eaux des deux côtés de la ligne convenue

110. Enfin, sixièmement, l’Ukraine soutient que les parties n’ont pas pu avoir l’intention de

s’entendre sur une frontière maritime à toutes fins , vu que, à l’époque, on considérait que la zone

au-delà des mers territoriales était la haute mer 66. Selon elle, il serait plus exact de dire que la

66
RU, par. 3.73. - 46 -

Roumanie et l’Union soviétique se sont entendu es sur une frontière séparant les zones maritimes

rattachées à l’Union soviétique de la haute mer, sans préjudice des prétentions subséquentes de

celle-ci sur d’autres zones maritimes au sud.

111. A l’appui de cette thèse, l’Ukraine soutient que le procès-verbal de 1949 est muet sur le

statut des eaux au sud de la frontière convenue à l’ extérieur de la mer territoriale de 12 milles de la

Roumanie que les parties étaient censées envisager ; elle n’avance aucun élément de preuve à

67
l’appui de cette allégation . Mais cela ne peut être pertinent que si les parties avaient à l’esprit

l’élargissement de la mer territoriale et, ainsi que je l’ai dit, il n’y a aucun élément de preuve allant

en ce sens. Au surplus, cet argument ne cadre pa s avec l’étendue de la fron tière représentée sur la

carte 134, vu les réalités géographiques de 1949. Le fait demeure que l’abréviation «RPR» sur le

croquis inclus sur la carte 134 et figurant aussi dans le procès-verbal spécifique, est située au-delà

de la limite de 6 milles. Et qui plus est, elle est plus ou moins coupée par ce qui aurait été une mer

territoriale roumaine de 12 milles selon l’étendue de la digue de Sulina en 1949.

o
[Fin de la projection n 21.]

112. L’Ukraine fait valoir que le procès-ve rbal de1949 n’indique pas qu’il était de

l’intention des parties de tracer une frontière à toutes fins unique. Mais celui-ci ne fait pas non plus

mention du fait que la frontière maritime était censée avoir un caractère varié selon les différentes

parties de celle-ci. Il se borne à montrer le même symbole. Il ne précise non plus le point auquel la

modification s’est produite, ainsi que l’on aurait pu s’y attendre, vu le caractère exhaustif de

l’accord, si telle avait été l’intention des parties.

113. Si l’intention des parties était telle que le soutient l’Ukraine, elles n’auraient pas eu

recours à l’expression «ligne frontière d’Etat» pour qualifier la frontière. Au surplus, l’Ukraine n’a

pu citer un seul exemple, tiré de la pratique des Etats, d’un accord sur une frontière unilatérale qui

n’a pas d’incidence sur l’autre Etat.

51 114. En fait, l’expression «zone frontière mar itime» que l’on trouve dans l’accord de1949

est un cas unique. L’Union soviétique ne s’en est pas servie, que ce soit dans des traités ou

d’autres accords, ou dans ses propres décrets, à l’époque ou depuis lors. Il ne semble pas qu’elle

67
Ibid., par. 3.95 et cf. par. 3.88. - 47 -

68
ait été synonyme de «mer territoriale» . En 1949, l’Union soviétique ne revendiquait pas de mer

territoriale en tant que telle. Conformément à l’approche suivie antérieurement par la Russie

impériale 69, elle revendiquait plutôt un certain nombr e de différentes zones de compétence sur les

eaux contiguës à la côte. Ces zones avaient trait au contrôle douanier, aux pêches, à la

réglementation des communications radio, aux brise-glaces, à la prévention des dommages aux

70
câbles sous-marins, etc. . Dans les notes de bas de page, on trouvera des références à des textes en

langue anglaise sur le droit de la mer soviétique. Se fondant sur la pratique de l’Union soviétique,

le professeur Butler disait en 1968 que «l’on pouvait soutenir que l’Union soviétique n’a pas acquis

71
de ceinture d’eaux territoriales d’une étendue de douzemilles avant1960» [traduction du

Greffe]. C’est en1960 que l’Union soviétique a adopté une nouvelle loi sur la protection de la

frontière. Cela coïncida avec sa ratification des trois conventions de Genève de 1958.

115. Il est à noter qu’en1949, l’Union soviétique était bien au courant de l’institution du

plateau continental, qui était en pleine évolution. Elle n’a pas pris pour position qu’il y avait une

mer territoriale déterminée et rien au-delà. En 1944, on lui avait remis le projet de proclamation du

présidentTruman sur le plateau continental; ce lle-ci fut prononcée l’année suivante et fit l’objet

d’observations de la part de l’Union soviétique 72. Si l’Union soviétique avait voulu se réserver le

droit de revendiquer un plateau continental ou d’autres zones maritimes au-delà de 12 milles au sud

de l’île des Serpents, elle aurait pu le faire de nombreuses manières.

116. Vu les circonstances, la façon naturelle d’interpréter les procès-verbaux de 1949 est de

dire que la frontière devait cons tituer une frontière maritime à toutes fins séparant les zones

rattachées à l’Union soviétique de celles rattach ées à la Roumanie. La conséquence serait que,

quelque pût être l’évolution de la situation à l’avenir, évolution dont l’Unionsoviétique était

éventuellement consciente, l’Union soviétique ne revendiquerait rien au sud de la ligne convenue.

68 W.E. Butler, The Soviet Union and the Law of the Sea (Baltimore: Johns Hopkins Press, 1971), p.21;
W. E. Butler, “The Legal Regime of Russian Territorial Waters”, American Journal of International Law, Vol. 62 (1968),

p. 59-60.
69 Ibid., p. 52-54.

70 Ibid., p. 59-61; voir aussi L. B. Schapiro “The Limits of Russian Territorial Waters in the Baltic”, British Year
Book of International Law, Vol. 27 (1950), p. 447.

71 W.E.Butler, “The Legal Regime of Russian Territorial Waters”, American Journal of International Law ,
Vol. 62 (1968), p. 75.

72 Voir Foreign Relations of the United States, 1945, Vol. 2, p. 1496, 1507, 1508, 1510, 1511. - 48 -

52 117. L’Ukraine fait peu de cas de la pratique des Etats qu’invoque la Roumanie concernant

73
les frontières maritimes à toutes fins au motif que tous les exemples cités sont postérieurs à 1949.

Cependant, même avant1949, la pratique en matière de zones maritimes n’était pas fixée. A cet

égard, les divergences qui ont posé problème à la Cour dans l’affaire des Pêcheries (Royaume-Uni

c. Norvège) en1951 (voir, par exemple, C.I.J. Recueil 1951 , p.129-131), étaient déjà très

évidentes.

Conclusion

118. En conclusion, Madame le président, M essieurs les membres de Cour, le procès-verbal

de 1949, dont la teneur est confirmée par les carte s qui y sont annexées, a abouti à la délimitation

d’une frontière maritime à toutes fins le long de l’arc des 12milles autour de l’île des Serpents.

L’existence d’une telle frontière a été confirmée par des accords subséquents et par la production

cartographique des parties, et des Etats tiers. La Roumanie demande à la Cour de confirmer,

conformément au principe de la primauté des accords en matière de délimitation maritime, que

cette frontière constitue la partie initiale du premier secteur de la délimitation entre les Parties.

Madame le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre attention. Je vous prie

de donner maintenant la parole à M. Aurescu, qui poursuivra l’exposé de la Roumanie.

Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Crawford. Je passe la parole à M. Aurescu.

M. AURESCU :

LES CARACTÉRISTIQUES DE L ÎLE DES SERPENTS

1. Madame le président, Messieurs de la C our, il m’incombe aujourd’hui de vous présenter

les caractéristiques concrètes de l’île des Serpents, jetant ainsi les bases de deux arguments

juridiques fondamentaux de la Roumanie. Le premier de ces arguments est que, au-delà des

12 milles de mer territoriale qui lui sont déjà reconnus, l’île des Serpents ne doit pas être prise en

considération parmi les côtes à utiliser pour la délimitation maritime. Cet argument sera traité par

M.Pellet, qui prendra ma suite demain. Le s econd est que, comme M.Lowe l’exposera lui aussi

73
RU, par. 3.93. - 49 -

demain, les caractéristiques de cette formation—un petit rocher qui ne se prête ni à l’habitation

53 humaine, ni à une vie économique propre — font que, en application de la convention de 1982, l’île

ne confère aucun droit à un plateau continental ou à une zone économique exclusive, ce qui

confirme donc l’effet des accords roumano-soviétiques de 1949, 1963 et 1974.

2. Mais avant toute chose, pour commencer par les faits, je ferai ressortir quatre traits de

cette île :

⎯ premièrement, il s’agit d’une petite formation rocheuse sans lien avec la côte continentale ;

⎯ deuxièmement, elle n’a jamais été peuplée et demeure inhabitée à ce jour, puisqu’impropre à

l’habitation ;

⎯ troisièmement, elle n’a ni terre, ni végétati on, ni faune, ni eau, et conjugue climat très

rigoureux et inaccessibilité ;

⎯ quatrièmement, elle ne possède aucune ressource que ce soit, ne permet aucune production et

exclut toute vie économique propre.

1. L’île des Serpents est une petite formation rocheuse sans lien avec la côte continentale

3. Madame le président et Messieurs de la Cour, j’en viens à mon premier point: l’île des

Serpents est une petite formation rocheuse.

a) La situation géographique de l’île des Serpents

4. La formation maritime dénommée l’île des Serpents est située dans le bassin nord-ouest de

la merNoire, à 46,5km de la ville portuaire r oumaine de Sulina; la ville ukrainienne la plus

proche est Vilkovo, à 60,2 km de là. Odessa, la cap itale de la région administrative englobant l’île

des Serpents, est à 165kilomètres de celle-ci, qui c onstitue donc le point le plus éloigné de cette

région.

o
[Projection n 1 : photo satellite du delta du Danube, mise à la disposition du public sur le site de la
NASA à l’adresse suivante: http://earth .jsc.nasa.gov/sseop/EFS/lores.pl?PHOTO=NASA7-720-6
(RR, p. 142) (dossier de plaidoiries, onglet VI-1).]

5. L’emplacement de l’île des Serpents peut être observé sur la photo satellite que voici à

l’écran.

6. Madame le président et Messieurs de la Cour, je sais qu’être juge demande de la

perspicacité, mais il ne s’agit pas là d’un exam en ophtalmologique. Même si, dans la Rome - 50 -

antique, les Romains (ancêtres des Roumains) avaient coutume d’imaginer la «justice» sous la

forme d’une déesse aux yeux bandés, je puis vous assurer que vos yeux sont en parfait état. Le fait

est que l’île des Serpents — que je vous signale ici — est tout à fait insignifiante dans le contexte

géographique du secteur. En outre, elle n’a abso lument aucun lien avec la côte ukrainienne.
54
74
D’ailleurs, comme une agen ce de presse ukrainienne l’a indiqué en juin 2006 , l’île des Serpents

n’est rien qu’une «protubérance rocheuse» dans la mer Noire.

o
[Projection n 2: figure 3-5 intitulée «Agglomérations situées sur la côte ukrainienne en mer
Noire» (CMU, p. 21) (dossier de plaidoiries, onglet VI-2).]

7. L’Ukraine elle-même a implicitement confir mé cette réalité. Sur la figure3-5 de son

contre-mémoire intitulée «Agglomérations situées su r la côte ukrainienne en mer Noire», qui est

actuellement projetée à l’écran, l’île des Serpents n’apparaît tout simplement pas.

b) La petite taille de l’île des Serpents

75
8. L’Ukraine affirme que «les dimensions de l’île des Serpents ne sont pas négligeables» .

Mais les faits indiquent le contraire 76. L’île mesure quelque 662mètres de long et 440mètres de

77 2
large . Sa superficie se réduit à 0,17 km .

9. Naturellement érodée par les vagues et les vents, la surface de l’île rétrécit. Déjà constaté

au XIX e siècle , ce phénomène se poursuit. Un article ukrainien de 2007, que vous trouverez sous

79
l’onglet VI-3 de votre dossier , montre que l’île est une peau de chagrin —sa surface se réduisant

aujourd’hui à 16 ha., sous l’effet de cette érosion co ntinue et de la hausse du niveau de la mer. Ce

fait a été mentionné par plusieurs responsables ukr ainiens soucieux de consolider les rives pour

prévenir l’érosion et le partage de l’île des Serpents en deux parties, dont les propos ont été

80 81 82
rapportés dans la presse ukrainienne . En fait, tant en 2007 qu’en 2008 , le budget de l’Etat

74
RR, annexes 12 et 13. Voir également RR, p. 169, par. 5.124.
75DU, p. 76, par. 4.40.

76RR, p. 136-137, par. 5.30-5.34 ; p. 139-141, par. 5.38-5.41 ; p. 166-170, par. 5.109-5.125. Voir également DU,
p. 115, par. 6.63 et p. 116, par. 6.69.

77MR, p. 17, par. 2.10.

78MR, annexes 6, 44, 45, 46. Voir également MR, p. 151-154, par. 10.22-10.27.
79 o
Article intitulé «L’île de l’infortune» de Vladimir Katkevich paru dans le journal Zerkalo Nedeli, édition n 19
(648) du 19 au 25 mai 2007,http://www.zn.ua/1000/1550/59326/ [traduction du Greffe].
80
RR, annexes 7 et 27. Voir également RR, p. 140, par. 5.40 et p. 170-171, par. 5.127-5.128. - 51 -

ukrainien prévoyait des fonds spéciaux pour finan cer un programme de consolidation des rives de

l’île.

55 10. Les propres annexes de l’Ukraine—celle s du contre-mémoire— désignent l’île des

83
Serpents comme «ce petit morceau…de terre…iso lée au milieu de l’immensité des flots» , «une

84 85
petite île» , «un rocher solitaire et isolé» , une île «si petite que lorsque nous passions, nous

86 87
pouvions la voir dans sa totalité…Cet endroit isolé» , «la petite île des Serpents» aux

88 89
«dimensions négligeables» et à «la taille négligeable» , «cette petite terre isolée» et un «coin de

terre isolé» 90. Pour les médias ukrainiens, l’île des Serpents est une «minuscule partie du territoire

ukrainien» 91, «un îlot» et une «parcelle de terre rocailleuse» 92 , «un minuscule lopin de terre» 93,

94 95 96
«une petite île» , une «petite terre en mer» et une «petite protubérance sortant des flots» . Un

97
article de journal ukrainien de 2002 est catégorique : «La qualification même d’île est excessive» .

o
[Projection n 3: Comparatif des dimensions de l’île d es Serpents avec celles des îles de Filfla et

d’Abu Musa]

11. Vous pouvez actuellement voir à l’écran, et sous l’onglet n°VI-6 de votre dossier, un

comparatif des dimensions de l’île des Serp ents avec celles de deux autres formations

81 o o
Annexe3 de la loi n 489-V, publiée au journal officiel de l’Ukraine (Ofitsiniy Vistnik Ukrainy) n 52/2006,
disponible à l’adresse suivante: http://www.gdo.kiev.u a/files/db.php?st=3477&god=2006 ( dossier de plaidoiries,
onglet VI-4).
82
An3nede la lo1i0n-°VI, disponible à l’adresse suiv:ante
http://www.gdo.kiev.ua/files/db.php?st=1&god=2008 (dossier de plaidoiries, onglet VI-5).

83CMU, annexe 11 ; RR, p. 136, par. 5.31 et p. 166, par. 5.111.
84
CMU, annexe 48 ; RR, p. 137, par. 5.33 et p. 167, par. 5.113.
85
CMU, annexe 49; RR, p. 167, par. 5.115.
86
CMU, annexe 50 ; RR, p. 140, par. 5.39 et p. 167, par. 5.116.
87
CMU, annexe 54 ; RR, p. 140, par. 5.39 et p. 168, par. 5.117.
88
CMU, annexe 57 ; RR, p. 168, par. 5.119.
89
CMU, annexe 60 ; MR, annexe 42 ; RR, p. 168, par. 5.120.
90
CMU, annexe 63 ; RR, p. 168, par. 5.122.
91MR, annexe 57.

92Ibid., annexe 71.

93Ibid., annexe 36.

94Ibid., annexe 56.

95RR, p. 141, par. 5.41 et p. 169-170, par. 5.125.

96Article intitulé «L’île de l’infortune» de Vladimir Katkevich paru dans le journal Zerkalo Nedeli, édition n 19
(648) du 19 au 25mai2007, http://www.zn.ua/1000/1550/ 59326/ (dossier de plai doiries, onglet VI-3) [traduction du
Greffe].

97MR, annexe 33 ; MR, p. 143, par. 10.5. - 52 -

maritimes ⎯ l’île maltaise de Filfla qui, avec sa superficie de 0,06 km , couvre 35 % de la surface

2
de l’île des Serpents, et celle d’Abu Musa qui, avec ses 12 km , est 70 fois plus grande. Ces deux

îles ont été considérées—par la Cour dans l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe

libyenne/Malte), dans le cas de Filfla, et par le Tribunal arbitral dans le cadre de la délimitation

maritime entre Doubaï et Chardjah, dans le cas d’Abu Musa — comme dépourvues d’effet dans le

cadre du processus de délimitation.

56 c) L’île des Serpents en tant que formation rocheuse

12. L’Ukraine prétend que le caractère rocheux de l’île des Serpents n’en fait pas un rocher

au sens juridique du terme tel qu’exposé au paragrap he 3 de l’article 121 de la convention de 1982.

Mais là n’est pas la question. La Roumanie ne s’en tient pas uniquement à la composition

géologique de l’île des Serpents—dont le sous-sol et presque toute la surface sont effectivement

rocheux — mais invoque aussi les conséquences de ce fait, qui peuvent se résumer en un mot : l’île

est inhabitable.

13. Ainsi, un article du New York Times du 29 août 1856 intitulé «Infraction russe au

98
traité de Paris: la Russie occupe l’île des Serpents» , qui est reproduit dans votre dossier sous

l’ongletVI-7, indique que l’île des Serpents n’ est «rien d’autre qu’un rocher nu de taille très

réduite» 99[traduction du Greffe]. Cette appréciation se retrouve aussi dans la presse ukrainienne :

100 101
l’île des Serpents est un «rocher en mer» , «un rocher de pierre compacte» , une «île

102 103
rocheuse» , une «îlot rocheux» et une «surface purement rocailleuse…composée de roches

dures» 104. D’après une description datant d’août 2007—versée à votre dossier sous

98
http://query.nytimes.com/gst/abstract.html?res=9F01E3DC113CEF34BC4151DF….
99
D’autres sources sont citées dansle mémoire (MR, p.146-154, par.10. 12-10.27) et dans la réplique (RR,
p. 136-141, par. 5.30-5.41 et p. 166-171, par. 5.109-5.128).
100
MR, annexe 57.
101MR, annexe 36. Voir également MR, p. 146, par. 10.13.

102MR, annexe 58.

103RR, annexe 8. Voir également RR, p. 141, par. 5.41 et p. 169-170, par. 5.125.
104
MR, annexe 56. - 53 -

l’onglet VI-8 105 —, «à vue d’oiseau, l’île des Serpents pa raît exotique. Mais quiconque la voit de

plus près se retrouve au beau milieu de rochers abandonnés».

o
[Projection n 4 : Photographies de l’île des Serpents datant de l’entre-deux-guerres (MR, figure 18,
p.153; figure15, p.149, tirée du volume1931 de l’ouvrage de R.I. C ălinescu, Insula Şerpilor.
Schiţă monografic ă, également incluse dans le mémoire, à l’annexe6) (dossier de plaidoiries,

onglet VI-9)]

14. Madame le président, Messieurs de la Cour, voyez vous-mêmes de vos propres yeux

comme cette petite parcelle de territoire roch eux se révèle hostile et aride sur les photos—

projetées ici à l’écran—qui ont été prises par d es scientifiques roumains pendant la période de

l’entre-deux-guerres, et plus précisément en 1931. L’Ukraine accuse la Roumanie de présenter une

106
image «très sélective» de l’île des Serpents . Mais elle a tort. En fait, ces photos sont tout à fait

révélatrices, puisqu’elles ont été prises à une époque où nul ne contestait l’appartenance de l’île des
57

Serpents à la Roumanie et où nul ne s’interrogeait sur le rôle que celle-ci devrait finalement jouer

dans le cadre d’une éventuelle opé ration de délimitation maritime. Leur véracité et les intentions

de leurs auteurs ne sauraient être mises en doute. Il est évident qu’elles montrent les véritables

caractéristiques naturelles de l’île des Serpents. On ne peut en dire autant de l’image artificielle

que l’Ukraine tente depuis peu de donner de ce lieu naturellement inhospitalier. Je reviendrai

demain sur cette question.

[Projection 5—photographies de l’île des Serpents et de Filfla (dossier de plaidoiries, onglet
VI-10).]

15. Enfin, je note à quel point l’île des Serpen ts ressemble à l’île maltaise de Filfla, qualifiée

par la Cour de «rocher inhabité» dans l’affaire Libye/Malte (Plateau continental (Jamahiriya arabe

libyenne/Malte), arrêt, C.I.J.Recueil1985 , p.20, par.15). Dans cette affaire-là, la Cour n’avait

pas jugé équitable de «tenir compte de Filfla dans le calcul de la médiane provisoire entre Malte et

la Libye» ( ibid., p.48, par.64). Voici Filfla et l’île des Serpents à l’écran. Toutes deux ont le

même aspect rocheux, aride et impropre à toute habitation humaine ou activité économique.

105
Article du 30août2007 intitulé «Les habitants de ldes Serpents n’ont pas la vie facile» de l’agence de
presse ukrainienne Podrobnosti, http://www.podrobnosti.ua/podrobnosti/2007/08/30/452743.html (dossier de plaidoiries,
onglet VI-8).
106CMU, p. 24, par. 3.45. - 54 -

2. L’île des Serpents n’est actuellement pas peuplée et ne l’a jamais été

16. Madame le président, Messieurs de la Cour, le deuxième point que je souhaite soulever a

trait au fait que l’île des Serpents n’est actuellement pas peuplée et ne l’a jamais été. Une raison

simple explique cette absence de peuplement: l’ île ne se prête pas à l’habitation humaine. Cette

situation objective s’explique par l’aridité de l’île, par le fait qu’elle est dépourvue de toutes sortes

de ressources, à commencer par l’eau, par sa petite taille, par son éloignement et son inaccessibilité

et par son climat rigoureux et hostile. Tous ces fa cteurs réunis font naturellement de l’île des

Serpents un endroit qui ne se prête pas à l’hab itation humaine, même pour des séjours de courte

durée. Ces facteurs sont également à l’origine d’un fort sentiment de solitude et de problèmes

médicaux affectant particulièrement l’état psychol ogique de ceux qui sont obligés de séjourner sur

l’île pour une courte période pour des raisons professionnelles.

17. Ainsi, en 1947, un auteur roumain décrivit l’île des Serpents comme une île «perdue au

milieu des vagues, que jamais personne ne vis ite, à propos de laquelle jamais personne ne

s’enquiert»; un potentiel visiteur «se sen tirait aussi isolé que sur l’île de Robinson 107». D’après

une autre source roumaine de1942 «le gardien du phare…[et] deux ou trois fonctionnaires
58
chargés du contrôle des frontières y vivent comme des exilés108», alors que les soldats roumains

envoyés sur l’île en1944 afin d’y reconstruire le bâtiment du phare s’y sentirent, pour reprendre

leurs propres termes, «complètement coupés du reste du monde 109».

18. Il n’est donc guère surprenant que la Commission européenne du Danube, qui est

chargée de l’entretien du phare, ait eu beaucoup de mal à recruter des personnes pour occuper le

poste de gardien du phare. Un rapport publié en 1920 par cette Commission révèle que «les gens

ne veulent pas s’engager par le motif que devant être isolés du commerce des hommes, ils n’ont pas

le confort nécessaire au logement à l’île, lequel laisse beaucoup à désirer» 110. Il est écrit dans un

autre document de la Commission du Danube, datant de 1923 que le gardien du phare a quitté son

poste au bout de quelques mois seulement, au mo tif qu’il ne pouvait pas «vivre en isolement

107MR, annexe 46.
108
MR, annexe 43.
109
Ibid., annexe 10.
110RR, annexe 9. Voir aussi, RR, p. 153, par. 5.71. - 55 -

111
continuel» . En fait, l’Ukraine elle-même cite une source roumaine de 1958 : «ni les gardiens ni

les soldats ne résistent longtemps à la solitude … La vie y est si monotone qu’on en devient

112
neurasthénique» .

19. Mais peut-être que la meilleure description des effets néfastes de l’île des Serpents est

donnée par le médecin en chef du ministère ro umain des affaires intérieurs dans un rapport

de 1938 :

«L’île des Serpents est constituée de ro chers s’élevant…[loin] du continent,
jamais visible. Cette île, qui offre pour tout divertissement la vue et le bruit du
déferlement des vagues presque toujours démontées par des vents continuellement

changeants, a une influence néfaste et fr agilise le système nerveux ...provoquant une
débilité particulière se manifestant sous la forme d’un état dépressif général, de
dépressions nerveuses, d’asthénie psychique, d’insomnies, etc. … L’influence des

courants marins et de l’air salé est encore pire, [pour le système respiratoire humain]
entraînant des modifications respiratoires au niveau des poumons, des pleurésies

sèches et purulentes, maladies susceptibles de s’aggraver et même de causer la mo113si
les personnes atteintes de ces affections prolongent leur séjour sur l’île» .

20. Madame le président, messieurs de la Cour , les choses n’ont guère changé aujourd’hui.

Cette situation est très bien résumée par le titre d’un article ukrainien publié en 2005 : «A nouveau
59
au bout du monde» 114. Il n’est donc guère surprenant que l’île des Serpents n’ait jamais été

habitée.

21. Les avis des auteurs romains et grecs de l’antiquité convergent à ce t égard. L’historien

romain Ammianus Marcellinus décrit l’île de Leuce (l’ancien nom de l’île des Serpents) comme un

territoire «inhabité» et le qualifie, en latin, de « insula Leuce sine habitatores». Il ajoute que «ceux

que le hasard y conduit … regagnent leur navire le soir, car il est dit que ceux qui y passent la nuit

115
mettent leur vie en danger» . Selon le philosophe grec Maxime de Tyr : «personne ne se rend sur

116
l’île de plein gré» . Pour le philosophe et historien romain Flavius Arrianus, un contemporain de

l’empereur Hadrien, l’île est «inhabitée» 11.

111Sans objet en français. RR, annexe 11 ; voir aussi RR p. 153-154, par. 5.72.

112CMU, annexe 63 ; voir aussi, RR, p.178, par. 5.153.

113MR, annexe 40.
114
MR, annexe 71.
115
Ibid., annexe 44. Voir aussi MR, p. 163, par. 10.51.
116Ibid. Voir aussi, MR, p. 163-164, par. 10.56.

117Ibid. Voir aussi, MR, p. 163, par. 10.51. - 56 -

22. Un auteur roumain, qui publia en1894 une monographie bien documentée sur l’île des

Serpents, conclut, après un examen approfondi des sources de l’antiquité «l’île est inhabitée, selon

tous les auteurs cités» et «il n’y pas d’ét ablissement permanent de population sur Leuce» 118. Il

explique que des conditions hostiles «ont toujours em pêché les gens de s’installer sur cette île

solitaire». Pour résumer, je cite la versi on française d’une annexe du contre-mémoire «aucun

homme n’habitoit Leuce ... les anciens auteurs nous di sent que l’île d’Achille étoit déserte et sans

119
habitants» . En fait, selon la même source «l’île de Leuce n’étoit qu’un lieu qui réunissoit les

âmes ou les esprits des héros décédés 120».

23. Aucune source ne mentionne de population sur l’île des Serpents au Moyen Age. Il en

va de même des sources du XIXème siècle. C’est ainsi qu’un voyageur anglais écrivit en 1810 : «Il

n’y a là aucune habitation humaine.» 121

60 24. Ce ne fut qu’après la construction du phare que quelques personnes y furent affectées, et

encore, par roulement, pour des courtes périodes. Mais ces quelques personnes ne formaient pas

une population. Deux éditions d’instructions na utiques russes et soviétiques, publiées en1903

et 1931 respectivement, jointes aux annexes 12 et 13 du contre-mémoire de l’Ukraine, contiennent

les mêmes termes: «Outre les gardiens de phare civils et la garde composée de quatre

122
gardes-frontière roumains, personne n’habite sur l’île.» Deux éditions du The Black Sea Pilot,

publiées par l’amirauté britannique en 1920 et 1930, le confirment 123, tout comme l’édition de 1933

de la Grande encyclopédie soviétique : «exception faite des gardiens du phare et des fonctionnaires

124
roumains chargés du contrôle des frontières il n’y a[vait] aucune population» .

25. Madame le président, Messieurs de la Cour, l’île des Serpents n’a jamais été peuplée, et

c’est toujours le cas aujourd’hui. L’île est inhabitée, elle accueille unique ment des fonctionnaires

118Ibid. Voir aussi MR, p. 163-164, par. 10.53.

119CMU, annexe 49. Voir aussi RR, p. 175-176, par. 5.146.
120
H. Koehler «Mémoire sur les îles et la course consacrées à Achille dans le Pont-Euxin» in Mémoires de
l’Académie Impériale des Sciences de St. Petersburg, tome X, p. 571. Ce volume a été déposé au Greffe par l’Ukraine.
121
CMU, annexe 50. Voir aussi RR, p. 153, par. 5.68 et p. 176, par. 5.147.
122CMU, annexe 12 et 13. Voir aussi RR, p. 153, par. 5.69 et p. 175, par. 5.145.

123MR, annexe 59. Voir aussi MR, annexe 60.

124Ibid., annexe 41. - 57 -

(gardes-frontière et gardiens de phares) et des scientifiques qui y sont affectés à tour de rôle pour

des courtes durées en raison de son environnement inhospitalier 125.

26. Madame le président, il est futile de prétendre que quelques gardes-frontière et

scientifiques séjournant sur l’île des Serpents et en mission officielle ou pour des contrats de courte

durée constituent une population. Prenons la remise ostentatoire de pièces d’identité par le

président ukrainien pendant sa visite sur l’île des Serpents en novembre 2007. L’article de presse

en question est reproduit sous l’onglet VI-12 du dossier de plaidoiries. Il y est écrit ce qui suit :

«Le président a officiellement renforcé le droit de l’Ukraine sur l’île des

Serpents…il a remis des pièces d’identité à un groupe de six gardes-frontières.
Analysant ce moment, un représentant de l’administration présidentielle a déclaré ce
qui suit: «à première vue, cette cérémonie est ordinaire, mais en réalité, elle est très

importante pour notre pays. Le fait que nous ayons commencé à délivrer des pièces
d’identité aux habitants de l’île confirme son statut, ce qui est un autre argument à
invoquer dans le cadre des négociations avec la Roumanie aux fins de la délimitation
126
de son plateau continental.»

o
[Projection n 6: photo montrant la remise d’une carte d’identité à un garde-frontière pendant la
visite du président ukrainien sur l’île des Serpents (6 novembre 2007), disponible sur le site internet
61 du président de l’Ukraine : http ://www.preside nt.gov.ua/gallery/892.html#11592 (onglet V1-13 du

dossier de plaidoiries).]

Madame le président, Messieurs de la Cour , vous pouvez voir de vos propres yeux cette

«population» sur cette image, qui apparaît à l’éc ran et dans le dossier des plaidoiries sous

l’ongletV1-13, et qui a été téléchargée de la page internet du président ukrainien. Six

gardes-frontières ne font pas une population.

27. Dans sa duplique, l’Ukraine persiste à dire que l’île se prête à l’habitation humaine mais

127
ne présente guère de nouveaux arguments ou de nouveaux éléments de preuve . A l’inverse, elle

128
continue à faire grand cas de l’importance historique de l’île des Serpents, eu égard à sa

notoriété et à sa pertinence stratégique.

125RR, annexes11, 12, 13, 14 et15. Voir aussi, RR, p.154 , par.573 et p.177, par.5.151. Voir aussi l’article
intitulé «The Regional Council established the limits of the settlement of Serpents’Island», the Ukrainien press Agency
Reporter, 6juin2008. http:www.repor ter.com.ua./cgi-bin/view_material.pl?mt_id=33071; dossier de plaidoiries,

onglet V1-11.
126Article intitulé «VictorYushenko takes care of ha nding passports», publié par SergeiSidorenko dans le
journal Kommersant n o197, 7 novembre 2007. http://www.kommersant.ua/doc.html?DocID=822876&IssueId=41431 ;

dossier de plaidoiries, onglet VI-12.
127CMU, p. 116, par. 6.69.

128Voir CMU, par. 7.50-7.71, et quelques 23 annexes ; RU, par. 4.41, 6.68, 6.71. - 58 -

28. De l’avis de l’Ukraine, cette notoriété historique prouve l’importance de l’île et par

conséquent, son droit à un plateau continental et à une zone économique exclusive. Mais

l’importance historique n’est d’aucune utilité pour dé montrer la capacité de se prêter à l’habitation

humaine ou à une vie économique. En fait, toutes les sources historiques, de l’antiquité à nos jours,

soulignent l’absence d’une telle capacité. La notoriété de l’île des Serpents pendant l’antiquité était

uniquement liée à son importance religieuse due au culte posthume d’Achille et nous devons ce

renseignement aux mêmes auteurs qui ont révélé que cette île était déserte et inhabitée. Madame le

président, je pense que c’est une démarche hard ie que de développer un argument relatif à la

viabilité sur la base d’une notoriété due au culte d’un héros mort !

29. L’importance militaire stratégique de l’île des Serpents, qui explique son histoire

géopolitique de ces deux dernies siècles, y compri s le fait qu’elle a été enlevée à la Roumanie

en1948 n’est pas non plus pertinente, et ne saura it prouver sa capacité de se prêter à l’habitation

humaine ou à une vie économique, ces deux questions n’étant pas liées. Les occupations

temporaires de l’île par des soldats de divers pays pendant des guerres ou pendant la période

129
soviétique , dictées par des considérations purement militaires s’appliquant à ces moments de

l’histoire, étaient entièrement soutenues par des moyens externes.

30. A l’appui de l’argument selon lequel l’île des Serpents était habitée dans le passé,

l’Ukraine ne cite qu’un document dans sa dupliq ue, à savoir, un texte de1885 concernant une

inscription relative à l’île des Serpents, sur laquelle on pouvait lire ce qui suit :

«Elle n’est plus aujourd’hui habitée, dit-on, que par quelques pêcheurs; mais,
comme tant d’autres localités, jadis peuplées d’Hellènes, elle avait sans doute gardé,

62 durant le premier siècle de notre ère, une popula130n assez nombreuse, et elle
continuait de jouir d’une certaine prospérité.»

La citation choisie par l’Ukraine est tirée d’un texte analysant une ancienne inscription que l’auteur

décrit comme «très mutilée». En effet, comme le relève l’auteur du commentaire, cette inscription

ne vient pas de l’île des Serpents. Le commentaire en lui-même n’est pas une étude sur l’histoire

ou l’archéologie de l’île des Serpents et l’auteur , EmileEgger, n’était pas un historien mais un

129
DU, p. 118. par. 6.71 3), 4), 6), 7).
130
DU, p. 118, par. 6.71 1). - 59 -

131
philologue: il était professeur de littérature grecque à la faculté des lettres à Paris . L’auteur

émet simplement une supposition personnelle selon laquelle l’île des Serpents était peuplée au

premier siècle avant Jésus-Christ, par analogie, «mais comme tant d’autres localités, jadis peuplées

d’Hellènes, elle avait sans doute gardé…». 132 Cette supposition n’est pas tirée du texte de

l’inscription et n’est pas étayée par des faits hist oriques: il n’y avait pas de peuplement sur l’île

dans l’antiquité, elle n’a jamais été habitée par les Grecs ou par qui que ce soit d’autre. Tous les

auteurs de l’antiquité donnent la même information: l’île des Serpents était «sine habitatores»,

pour citer Ammianus Marcellinus.

133
31. Dans sa duplique, l’Ukraine renvoie à une «nécropole» exhumée sur l’île des Serpents,

qui atteste, selon elle, que des «communautés y vivaient dans l’antiquité». L’Ukraine se fonde à ce

sujet sur une étude russe de2002, sans toutefois indiquer que celle-ci renvoie aussi aux

«témoignages d’auteurs de l’Antiquité qui ont men tionné le caractère inhospitalier de Leuce». De

Quel type de nécropole s’agit-il ? De quelle période date-t- elle ? Quels restes ont été découverts ?

L’étude de 2002 ne contient aucune donnée scientifique et en fait, elle ne révèle rien. Elle indique

uniquement que cette «découverte» a été faite en 1842 par un commissaire chargé des mesures de

quarantaine, qui n’était pas un archéologue, et qui n’avait pas «achevé son examen». Selon cette

étude, une seule urne fut découverte, ainsi que, à divers endroits, une voûte avec un squelette

humain, et «8sépultures». Les scientifiques r oumains qui ont mené des études approfondies sur

l’île des Serpents pendant les 70années de souveraineté roumaine n’ont trouvé aucune trace de

«nécropole» ou d’habitation. Mais le fait ⎯ si c’est un fait ⎯ que quelques restes humains aient

été trouvés à un endroit donné, en l’absence de toute trace de peuplement, ne prouve pas que cet

endroit ait été habité. Une urne n’équivaut pas à une «nécropole» et ne prouve certainement pas la

63 capacité de l’île à se prêter à l’habitation humaine. Un endroit où des gens meurent, mais ne sont

jamais nés, voilà ce qu’est l’île des Serpents.

131Encyclopedia Britannica, 11 édition, vol. V09, 1911, p. 17.
http.//encyclopedia.jrank.org/ECG_EMS/EGGER.html.
132
Les italiques sont de nous.
133
DU, par. 6.71 2), qui fait référence à une étude russe insérée dans l’annexe 57 du contre-mémoire. - 60 -

134
32. Toujours dans sa duplique , l’Ukraine affirme à nouveau, comme elle l’avait déjà

avancé dans son contre-mémoire 13, que «selon les sources roumaines huitpersonnes y résidaient

en permanence» entre les deux guerres mondiales et que «la Roumanie projetait de construire un

complexe sur l’île, y compris un hôpital, une chapelle, un petit monastère et une station de

sauvetage». Je me permets de renvoyer la Cour à ce que nous a vons dit à ce sujet dans notre

Réplique 136. Pour ce qui est du premier point, pendant la période roumaine, les personnes se

trouvant sur l’île des Serpents y furent affectées de la même manière que l’Ukraine y envoie ses

fonctionnaires aujourd’hui: pour entretenir le pha re et surveiller la frontière. Il y avait des

rotations fréquentes, comme aujourd’hui en raison du cadre inhospitalier de l’île. Ils n’étaient pas

des «résidents permanents» et ne constituaient certainement pas une population. Pour ce qui est du

deuxième point, il convient de noter que le dénommé «projet» n’a jamais été réalisé. Il a échoué

⎯ au début des années 1930 et non à cause de la guerre ⎯ et je cite l’auteur invoqué par l’Ukraine

⎯«[en raison] [d]es vents féroces et irréguliers qui soufflent terriblement de l’automne au

137
printemps, [d]es difficultés de l’approvisionnement et surtout [du] coût de la construction» .

3. L’île des Serpents ne se prête pas à l’habitation humaine

33. Madame le président, Messieurs de la C our, la raison pour laquelle ces plans ont échoué

est que, sans un approvisionnement extérieur total, l’ île des Serpents est inhabitable. Voilà qui

m’amène à mon troisième point : l’île est dépourvue d’ eau, de terre, de végétation et de faune. Au

lieu de cela, la nature l’a «dotée» d’un climat rigoureux et insupportable.

34. L’absence de sources d’eau naturelles su r l’île des Serpents est solidement documentée

dans les pièces de procédure écrite 138. Tous ces documents, qu’ils soient anciens ou plus récents,

montrent que l’eau provient de rares précipitations ou doit être apportée du continent, sachant

qu’elle reste malgré tout insuffisante. Selon une annexe du contre-mémoire de l’Ukraine, des

64 scientifiques russes se sont, en juin 1841, rendus su r l’île des Serpents pendant quelques jours pour

134DU, par. 6.71 5).
135
CMU, par. 7.64.
136
RR, p. 154-155, par. 5.74-5.76.
137RR, p. 175, par. 5.144.

138MR, p.159-161, par. 10.39-10.46 et MR, annexes 6, 40, 45, 50, 51; RR, p.143-150, par.5.44-5.58 et
p. 171-174, par. 5.129-5.138. Voir également CMU, annexes 9, 57, 62, 63, 68, 73, 84, 91. - 61 -

y effectuer des recherches archéologiques, et je cite cette annexe ukraini enne : «Le manque d’eau

139
douce et la chaleur difficilement supportable ont forcé les voyageurs à précipiter leur départ.»

Le rapport du ministère roumain de l’intérieu r de1938 précise que «[l]’absence d’eau douce sur

l’île est difficile à supporter…l’eau de plui e, recueillie dans de grands réservoirs en

ciment … peut affecter, de manière négative, le ca nal alimentaire, en raison de son goût étrange et

de sa composition chimique particulière» 140.

35. Dans son contre-mémoire, l’Ukraine affirme qu’il existait autrefois de l’eau douce sur

141
l’île des Serpents et qu’un programme de forage entrepris en2003 a permis de découvrir de

nouvelles réserves 142. La première affirmation est vici ée par des traductions manifestement

143
inexactes des deux auteurs roumains de l’entre-deux-guerres cités par l’Ukraine . La seconde

l’est par l’interprétation erronée que l’Ukraine fait des informations qu’elle fournit elle-même 144.

Comme il est indiqué dans la réplique, une comp araison entre la composition chimique du liquide

extrait et «traité» par l’Ukraine et celle de l’eau de la mer Noire démontre que ce que l’Ukraine a

extrait n’est rien d’autre que de l’eau de mer c ontenant en plus certaines substances nocives. Le

liquide extrait est loin de satisfaire aux normes sanitaires généralement acceptées en matière d’eau

potable. Plutôt que d’essayer d’extraire ce liquide «boueux» ⎯pour reprendre le terme employé

par l’Ukraine dans l’annexe 9 de son contre-mémoire ⎯, il lui serait plus facile d’épurer l’eau de

145
mer qui, bien entendu, abonde en mer Noire .

36. Dans sa duplique, l’Ukraine n’a contesté au cune de ces conclusions, lesquelles sont, de

surcroît, largement confirmées par la presse ukrai nienne. Dans un article de2005, il est ainsi

indiqué que

«[l]’eau manque. De l’eau, de l’eau, il y a de l’eau tout autour… Mais c’est de l’eau
de mer, de l’eau salée, impropre à la cons ommation. Pendant longtemps, l’eau a été

139CMU, annexe 57.
140
MR, annexe 40.
141
CMU, p. 23, par. 3.40-3.41.
142CMU, p. 23, par. 3.42.

143RR, p. 143-145, par. 5.45-5.48.

144Voir CMU, annexe 9, par opposition au par. 3.42 du CMU, p. 23. Voir aussi RR, par. 5.50-5.56.
145
Voir RR, p. 147-149, par. 5.53-5.54. - 62 -

acheminée depuis le continent, et les réserv es étaient conservées dans des réservoirs.
A l’évidence, il s’agissait d’une denrée aussi précieuse que l’or.» 146

147
Selon un article de 2006 , le chef du département de l’environnement et des ressources naturelles

65
de la région d’Odessa a déclaré que «l’île continu[ait] de souffrir du manque d’eau potable», qui est

apportée du continent. Dans un communiqué de presse de juin 2007, c’est-à-dire l’année dernière

⎯ce document figure dans votre dossier, sous l’ongletVI-14 ⎯, le bureau des études ukrainien

relève également qu’«[i]l n’y a t oujours ni approvisionnement en eau ni épuration de l’eau…sur

l’île»148.

37. Madame le président, Messieurs de la Cour, l’île des Serpents est pratiquement

dépourvue de terre et a une végétation très pauvre, qui s’étiole et brûle pendant l’été. Ce point est

confirmé par de nombreuses sources, y compri s ukrainiennes, datant de toutes les époques 149.

Ainsi, deux articles ukrainiens de2007 ⎯ils figurent dans le dossier de plaidoiries, sous les

150
onglets VI-15 et VI-3 ⎯ indiquent que «l’île est dépourvue de toute végétation» et que les seules

fleurs présentes sont celles qui ont été peintes par un enseigne de vaisseau stationné sur l’île 151.

38. Malgré les efforts de l’Ukraine pour apporte r de la terre et planter des arbres, toutes ces

tentatives visant à «améliorer» les conditions hostile s sur ce morceau de terr itoire rocheux qu’est

l’île des Serpents ont échoué en raison du climat rigoureux et inhospitalier qui y règne 152.

39. A l’occasion de sa visite sur l’île en novembre2007, le président ukrainien a planté un

pin et demandé aux gardes frontière et au département régional des forêts de planter d’autres arbres

sur l’île. La presse ukrainienne a jugé que ces initiatives étaient vaines. Un journal d’Odessa a

indiqué que «[l]e projet du président a[vait] pe u de chances d’aboutir. L’île des Serpents…est

exposée à tous les vents. Il n’y a jamais eu auc un arbre sur ce bout de territoire rocheux». A cet

146MR, annexe 71.
147
RR, annexe 7.
148
Communiqué de presse du bureau des études ukrainien en date du 26 juin 2007, «De si grands problèmes pour
une si petite île»; peut être consulté en anglais sur le site Internet officiel de cette institution à l’adresse suivante:
http://www.ac-rada.gov.ua/achamber/control/en/publish/article/main?art_….
149
MR, annexes 6, 40, 42, 43, 44, 46, 47, 48, 49. Voir également MR, p.154-159, par.10.29-10.38; RR,
p. 174-175, par. 5.142.
150
Article intitulé «L’Ukraine et la Roumanie bataillent sur le statut de l’île straté gique d’Achille», paru dans
l’hebdomadaire ukrainien de langue anglaise What’s On, n o 5, 16-27 février 2007, dossier de plaidoiries, onglet VI-15.
151 o
Article intitulé «L’île de tous les malheurs, Vladimir Katkevich, Zerkalo Nedeli, n 19 (648), 19-25 mai 2007,
http://www.zn.ua/1000/1550/59326/, dossier de plaidoiries, onglet VI-3.
152
MR, annexes 36, 52, 53. Voir également MR, p. 162, par. 10.47-10.49. - 63 -

égard, l’article évoquait le cas d’un «cerisier, planté quelques années auparava nt par une équipe de

scientifiques … qui s’est étiolé l’an dernier, malgré toute l’attention qui lui a été portée…» 153.

66 40. De même, l’île des Serpents n’abrite qu’une faune très limitée 154. La «Liste de la flore,

de la faune et des espèces de poissons des îles» annexée au contre-mémoire de l’Ukraine montre

qu’il n’y existe aucun mammifère, à l’exception de deux espèces de rats et de deux espèces de

155
chauves-souris . Madame le président, même les serpe nts qui ont donné leur nom à l’île sont

aujourd’hui disparus.

41. Non seulement l’île des Serpents est très petite, rocheuse, dépourvue d’eau, de terre, de

végétation et de faune, mais le climat qui y règne est épouvantable. Ce point est attesté par des

sources nombreuses et diverses remontant à des époques anciennes, et confirmé par les annexes du

contre-mémoire 156. Par rapport à cette litanie de plaintes qui dure depuis plusieurs siècles, le temps

à La Haye (sur lequel le juge Schwebel s’est prononcé dans son opinion individuelle en l’affaire de

la Délimitation maritime dans la région située en tre le Groenland et Jan Mayen (Danemark

c. Norvège), C.I.J. Recueil 1993, p. 120) est clément et constant.

42. L’île des Serpents «se trouve dans la zone la plus aride des steppes de l’Europe de l’est»,

«la quantité totale de précipitations [y est très faible et] distribuée inégalement au cours de l’année,

car il pleut surtout au printemps et à la fin de l’automne, de sorte que les étés sont extrêmement

secs et venteux», des tempêtes et de forts ouragans «souffla[n]t … jour et nuit, de façon continuelle

et irritante» 157. En 1931, l’auteur roumain que je viens de citer écrivait: «[i]l nous était presque

impossible de quitter l’habitation, lorsque nous n ous rendions sur le côté ouest, nous étions

confrontés à une terrible résistance presque inimag inable du violent ouragan». Ces «ouragans ne

sont pas rares sur l’île des Serpents, en partic ulier en hiver», «[l]e brouillard est un phénomène

158
fréquent en hiver et au printemps, synony me de grands dangers pour la navigation» et, «[l]ors

153
Article intitulé «En route pour Odessa, Yushchenko s’est contenté de visiter l’île des Serpents», Dmitri Orlov,
journal ukrainien d’Odessa Novii Region , 6 novembre 2007, http://www.nr2.ru/148600.html. Dossier de plaidoiries,
onglet VI-16.
154
MR, annexe 42, 44, 46. Voir aussi MR, p. 155-156, par. 10.32, 10.34, 10.36.
155
CMU, annexe 85. Voir aussi RR, p. 151, par. 5.63 et p. 175, par. 5.143.
156Voir CMU, annexes 9, 10, 63.

157MR, annexe 6. Voir également MR, p. 169, par. 10.68.

158Ibid. Voir également MR, annexe 54. - 64 -

d’hivers rigoureux, l’île des Serpents connaît des gelées terribles», de sorte que «la mer [est] gelée

sur plusieurs kilomètres autour de l’île, form ant un véritable banc de glace, que [l’on met]

beaucoup de temps à briser» 159.

43. A l’inverse, «[e]n été, l’île semble calcinée … [parce que l]e soleil de la steppe la brûle

67 très vite, aucun arbre ne l’ombrage». C’est pourqu oi, selon un autre auteur, «[l]’île est vide ou

presque vide…le sol inhospitalier, la roche brûlée par le soleil de la steppe [, elle est] rarement

humectée de pluie et parsemée çà et là d’une fine couche de terre rouge, toujours sèche». L’auteur

mentionne également «des vagues déchaînées qui déversent sur l’ île une pluie d’eau salée aussi

nuisible à la croissance des plantes que les rayons brûlants du soleil» 160.

44. La situation est la même aujourd’hui. Des articles parus dans la presse ukrainienne en

1995 et2003 font référence au «mauvais temps [l orsque] l’île est battue par des vents venant de

toutes parts … et des tempêtes» 161, à «de forts vents marins [qui] soufflent en permanence» et à des

162
températures au sol qui peuvent atteindre en été 50°-60°C : «[l]’été, le soleil est implacable et

l’hiver il y souffle un vent glacial…» 163. Autrement dit, il s’agit, selon un autre article de presse

ukrainien, de «conditions extrêmes» 164. Un article ukrainien de févr ier 2008 (qui figure dans votre

dossier sous l’onglet VI-17) relate les «aventures» d’un «habitant» temporaire de l’île, et le propos

est tout à fait sérieux: «pendant les tempêtes, al ler aux toilettes [sur l’île des Serpents] est

dangereux. «Récemment, me trouvant à côté de l’un e d’elles, le vent m’a presque poussé dans la

165
mer et je n’ai pu me sauver qu’en m’agrippant à la poignée de la porte».»

159
Ibid.
160
MR, annexe 43. Voir également MR, p. 159, par. 10.38.
161Ibid., annexe 56. Voir également MR, p. 170, par. 10.69.

162Ibid., annexe 56. Voir également MR, p. 170, par. 10.70.

163Ibid., annexe 57. Voir également MR, p. 170, par. 10.71.
164
Ibid., annexe 52.
165
Article intitulé «Des maisons et des saunas pour les habitants de l’île des Serpents», Alek sandr Sibirtzev,
journal ukrainien Segodnia, 25 février 2008, http://www.segodnya.ua/news/903291.html, dossier de plaidoiries,
onglet VI-17. - 65 -

4. L’île des Serpents est dépourvue de toute ressource et ne se prête pas à une vie
économique propre

45. Madame le président, Messieurs de la Cour, mon quatrième point est que l’île ne se prête

pas à une vie économique propre, et qu’elle n’en a d’ailleurs pas. En effet, elle ne se prête à

aucune activité économique, étant totalement dépourvue de ressources et impropre à toute

production.

46. Sa très petite taille, son sol rocheux et st érile, l’absence d’eau douce et son climat hostile

constituent un obstacle insurmontable à l’agricultu re, à quelque échelle que ce soit, ce qui rend la

survie humaine impossible sans un approvisionneme nt constant de l’extérieur. Dans ces

conditions, toute culture à des fins commerciales, en vue de créer un embryon de vie économique,

est inconcevable. Ainsi est-il indiqué dans une source datant de1940 que, en raison de

68 l’omniprésence de «rochers désertiques» et de l’ab sence de terre, «[l]’homme ne peut rien cultiver

sur cette terre ingrate» 166. Ainsi qu’il est indiqué dans l’annexe57 du contre-mémoire de

167
l’Ukraine, «l’île est impropre à l’agriculture» . Il n’y existe aucune autre ressource naturelle, ce

qui rend la vie économique impossible, et ce point est également reconnu par l’Ukraine : selon une

autre annexe du contre-mémoire, les rochers et pi erres arides de l’île, bien qu’«abondant[s]», sont

168
«absolument impropre[s]», même à des fins de construction .

47. Dès lors qu’aucune production n’est possibl e sur l’île des Serpents, l’approvisionnement

des quelques rares personnes tenues d’y demeurer afin d’entretenir le phare et de garder la frontière

se fait tout entier depuis le continent et ce, très difficilement. Cela est attesté par un nombre

considérable d’éléments, tant dans les écritures des deux Parties 169que dans les médias

170
ukrainiens . Ainsi, un document officiel russe datant de 1903 témoigne de la dépendance de l’île

des Serpents par rapport au continent: «les provi sions de[s gardiens du phare] sont apportées de

Sulina». Un document roumain de1938 indique que «l’approvisionnement est très difficile, le

171
transport étant fort malaisé, tout comme la pêche à proximité de l’île» . Il ressort d’un autre

166MR, annexe 46.

167CMU, annexe 63 ; RR, annexe 16. Voir également RR, p. 178, par. 5.153.
168
Ibid., annexe 57. Voir également RR, p. 184, par 5.176.
169
MR, annexes 40, 43, 45, 49, 62 ; CMU, annexes 5, 12, 66, 96.
170Voir MR, annexes 50, 51, 65 ; RR, annexe 15.

171MR, annexe 40. - 66 -

document roumain de1943 que l’île des Serpents «e st toujours aussi désert[e] qu’à l’époque des

voyages d’Hérodote… De temps à autre, une petite embarcation apporte les provisions nécessaires

au gardien du phare et aux agents affectés à son entretien.» 172

48. La situation est la même aujourd’hui. Il ressort d’un article ukrainien de2002 que les

rares transports effectués entre l’île et le con tinent le sont par hélicoptère, ce qui ne permet

173
d’emporter que «le strict minimum» . On peut lire dans un journal ukrainien de2003 que, «en

raison du mauvais temps et des orages, toutes les provisions, y compris l’eau potable, sont

apportées du continent pour plusieurs mois» 174. Un article publié en2006 dans le même journal

ukrainien indique que, «[l]e climat dict[ant] ses conditions [l]’on garde ici en permanence des
69
provisions pour trois ou quatre mois» 175. La même situation a été décrite en juin2008

⎯c’est-à-dire il y a seulement deux mois ⎯ par une agence de presse ukrainienne qui a indiqué

que (le document se trouve sous l’ongleV t I-11 du dossier de plaidoiries) «tout

l’approvisionnement nécessaire, y compris l’eau pot able, [était] effectué par hélicoptère et par

176
mer» .

49. A défaut d’approvisionnement extérieur, il ne serait pas possible de vivre sur l’île des

Serpents 177. Un voyageur français, dont les récits ont été publiés en1876, relate que, après

l’échouement de leur navire sur l’île des Serpents à la suite d’une terrible tempête, les survivants

d’un équipage turc «finirent par se manger entre eux» en raison de l’absence de denrées sur l’île, île

que l’auteur qualifie d’«endroit désolé». Sur l es vingt-cinqnaufragés, seuls quatre survécurent

178
grâce à «l’arrivée d’un navire [qui les] sauva … du désespoir et d’une mort certaine» .

50. En raison de son isolement, de la présence de dangereux rochers dans ses eaux

environnantes et de son climat rigoure ux, l’île des Serpents a toujours été ⎯ et est encore ⎯

172Ibid., annexe 43.
173
Ibid., annexe 65.
174
Ibid., annexe 51.
175RR, annexe 15 ; voir également RR, p. 183, par. 1.172.

176Article de presse intitulé «Le Conseil régional précise les limites du peuplement de l’île des Serpents», agence
de presse ukrainienne reporter , le 6juin2008, http://www.reporter.com. ua/cgi-bin/view_material.pl?mt_id=33071,
dossier de plaidoiries, onglet VI-11.

177Voir, par exemple, CMU, annexe 52. Voir également RR, p. 176, par. 5.149.

178MR, annexe 55. - 67 -

presque inaccessible 179 ou, ainsi qu’il est précisé dans un article ukrainien, un «lieu isolé et difficile

180
d’accès» et ce, tant par voie maritime qu’aérienne.

51. Ainsi, d’après un article ukrainien de 2002, «[e]n cas de tempête plus ou moins forte, les

navires ne peuvent pas rester près du rivage» 181. Il est précisé, dans un autre article de 2002, que

«l’île est … actuellement inaccessible depuis la mer. Les falaises à pic et les rochers immergés ne

permettent pas de maintenir des contacts réguliers avec le continent. Le principal moyen de

transport reste l’hélicoptère» 182, mais les vols sont rares 183et dangereux. On peut lire dans un autre

article de2004 que «l’accès à l’île est extrêmemen t difficile… La mise en place d’une liaison

184
régulière avec l’île des Serpents demeure à l’état de projet» , ce qui est confirmé par un autre

70 article de2007, lequel indique que «les moyens de transport pour accéder à l’île demeurent un

problème de la plus grande importance» 185.

52. En dépit des efforts de l’Ukraine pour c onstruire un poste d’amarrage, la sûreté de

186
l’accès reste insuffisante en raison des caractéristiques naturelles de l’île ; et la situation était

toujours la même en novembre 2007, lorsque le pr ésident ukrainien a demandé que la question du

«mouillage» soit résolue 187. D’après le site officiel du président ukrainien, ce dernier «estime qu’il

est important…de faire en sorte que ses résidents puissent se rendre régulièrement sur la partie

continentale du pays» 188. Je note que même les communiqués de presse officiels évitent

d’employer le mot «population», les personnes appelées «résidents» ⎯ quelques gardes-frontière,

179Ibid., annexes38, 39, 40, 43, 45, 46, 47; CMU, annexes12, 13, 14, 50. Voir également RR, p.176,
par. 5.148 ; RR, p. 181-182, par. 5.164-5.166.

180MR, annexe 57.
181
Ibid., annexe 33.
182
Ibid., annexe 64.
183
Ibid., annexe 51.
184Ibid., annexe 66.

185Article de presse intitulé «Les habitants de l’île des Serpents n’ont pas la vie facile», agence de presse
ukrainienne Podrobnosti, le 30août2007, http://www.podrobnosti.ua/ podrobnosti/2007/08/30/452743.html, dossier de

plaidoiries, onglet VI-8.
186CMU, annexe 5. Voir également RR, p. 181, par. 5.163.

187Communiqué de presse «Le président souhaite développer l’île des Serpents» (original en anglais), site officiel
du président de l’Ukraine, le 6novembre2007, http:/www.pr esident.gov.ua/en/news/8061.html, dossier de plaidoiries,

onglet VI-18.
188Communiqué de presse «Le président se rend sur l’île des Serpents» (original en a nglais), site officiel du

président de l’Ukraine, le 6novembre2007, http:/www.pr esident.gov.ua/en/news/8057.html, dossier de plaidoiries,
onglet VI-19. - 68 -

gardiens de phare et scientifiques isolés dans ce lieu éloigné pour de courtes périodes ⎯ ne formant

pas une population.

53. Madame le président, Messieurs de la C our, il ne saurait y avoir de vie économique dans

un lieu qui ne se prête pas à l’habitation humaine ; en effet, l’économie est un phénomène social,

intrinsèquement lié à la vie humaine. Que l’île soit petite, éloignée et isolée, qu’il soit très difficile

d’y accéder ⎯ par voie maritime ou aérienne ⎯, que son climat soit aride et hostile, qu’elle ne se

prête à aucune production, qu’elle soit dénuée de toute ressource, que l’approvisionnement ⎯ y

compris les denrées alimentaires et l’eau ⎯ doive être assuré depuis le continent et ce, avec de

considérables difficultés, tout cela est solidement documenté 189. Ces faits ne sauraient être

modifiés par les récentes tentatives de l’Ukrain e visant à créer une autre «réalité», tout à fait

artificielle, ainsi que je le démontrerai dans mon exposé de demain. Ces caractéristiques naturelles

de l’île des Serpents suffisent à exclure, à prio ri, la possibilité qu’elle puisse se prêter à une vie

économique propre, même la plus élémentaire.

54. Confrontée à cet état de fait incontestable, l’Ukraine en est réduite à affirmer, sans

aucunement étayer ses propos, que «l’île des Serp ents se prête pleinement à une vie économique

190
71 propre» . Toutefois, dans sa duplique, pas un seul document ou élément de preuve n’étaye cette

affirmation. Dès lors, je ne vois tout simplement pas à quel argument je pourrais répondre.

Conclusions

55. Madame le président, Messieurs de la Cour, il ressort aussi clairement que faire se peut

des informations dont nous disposons, et bien évidemment, des très nombreux éléments de preuve

présentés, que l’île des Serpents ne se prête aucunement à l’habitation humaine ou à une vie

économique propre étant donné que :

⎯ Premièrement, il s’agit d’une très petite form ation rocheuse située dans la merNoire,

négligeable dans le contexte géographique de la zone ; elle n’est en outre pas intégrée à la côte

et est isolée, l’accès y étant très difficile ;

189
Voir, par exemple, MR, p.173-179, par.10.80- 10.100; RR, p.156-160, par.5.80-5.93 et p.181-187,
par. 5.162-5.184 ; CMU, annexes 5, 9, 12, 13, 14, 57, 67, 68, 74, 84, 87, 88, 95, 96.
190DU, p. 116, par. 6.69. - 69 -

⎯ Deuxièmement, elle n’a jamais abrité aucune population, et n’en abrite toujours pas, et ne se

prête aucunement à l’habitation ;

⎯ Troisièmement, elle est dépourvue de terre, de végétation, de faune, d’eau, et son climat est très

rude et insupportable ;

⎯ Quatrièmement, elle ne dispose d’aucune ressour ce et ne se prête à aucune production, quelle

qu’elle soit ; elle ne se prête donc à aucune activité économique.

56. Madame le président, ainsi s’achève mon expo sé, et si vous le permettez, les plaidoiries

de la Roumanie pour aujourd’hui. Je remercie la Cour pour son attention et sa patience. Merci.

Le PRESIDENT: Merci, MonsieurAurescu. L’audience est levée et la Cour se réunira de

nouveau demain matin à 10 heures.

L’audience est levée à 12 h 50.

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