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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE
Uncorrected Non -corrigé

CR 99/20 (translation) CR 99/20 (traduction)
Tuesday 11 May 1999 at 11.55 a.m. Mardi 11 mai 1999 à 11 h 55

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Veuillez vous asseoir. La Cour se réunit maintenant pour
entendre les conclusions des Pays-Bas dans l'affaire relative à laicéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c.

Pays-Bas) et j'ai le plaisir de donner la parole à M. Lammers, agent des Pays-Bas.

M. LAMMERS :

I. Introduction

1. Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour internationale de Justice.

Je m'appelle Johan Lammers et je suis conseiller juridique par intérim auprès du ministère des affaires
étrangères des Pays-Bas et chef du département du droit international dans ce ministère. J'agirai en qualité
d'agent pour les Pays-Bas dans la présente instance introduite par la requête déposée au Greffe le 29 avril de
l'année courant par la République fédérale de Yougoslavie contre le Royaume des Pays-Bas pour «violation de
l'obligation de ne pas recourir à l'emploi de la force».

Mon coagent est M. Herman von Hebel, conseil juridique au département du droit international du ministère
des affaires étrangères.

2. Je voudrais tout d'abord adresser l'expression de tout mon respect à ce très auguste organe juridique
international, l'organe judiciaire principal de l'Organisation des Nations Unies. C'est vraiment pour moi un
grand honneur de prendre la parole devant la Cour.

3. Je sais que les présentes audiences publiques sont tenues aux fins d'entendre les observations des Parties sur
la demande en indication de mesures conservatoires présentée par la République fédérale de Yougoslavie,
conformément à l'article 41 du Statut et à l'article 73 du Règlement de la Cour.

Dans la phase actuelle de la procédure, les Pays-Bas souhaitent tout d'abord consacrer toute leur attention aux
aspects juridiques et aux incidences de cette requête. Cela implique qu'ils se réservent expressément le droit de
soulever, à tout moment approprié dans l'avenir et en tant que de besoin, toute objection nouvelle ou
additionnelle concernant la compétence de la Cour ou la recevabilité de la requête déposée par la République

fédérale de Yougoslavie dans la présente espèce, ou toute autre objection sur laquelle il devrait être statué avant
toute suite de la procédure sur le fond. Les Pays-Bas se réservent également le droit de déposer, en tant que de
besoin, toute demande reconventionnelle et de présenter tous faits et arguments juridiques nouveaux ou
additionnels qu'ils estimeraient nécessaires lors de toute prochaine phase de la procédure.

4. Eu égard au fait que les Pays-Bas n'ont disposé que d'un peu plus d'une semaine pour se préparer aux
audiences sur la demande en indication de mesures conservatoires présentée dans cette affaire, je sollicite
l'indulgence de la Cour pour toutes les imperfections ou lacunes que pourrait comporter mon argumentation.

5. Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, les Pays-Bas voudraient tout d'abord
faire un certain nombre d'observations concernant la compétence de la Cour dans la présente espèce. Ils
traiteront ensuite du pouvoir discrétionnaire qu'a la Cour d'indiquer ou non les mesures conservatoires
demandées. Enfin, ils formuleront une conclusion et résumeront succinctement leur argumentation concernant
la demande en indication de mesures conservatoires présentée par la République fédérale de Yougoslavie.

II. Compétence

6. Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, en ce qui concerne la compétence, je
voudrais dire ce qui suit : les Pays-Bas ont cru comprendre que la République fédérale de Yougoslavie fondaitla compétence de la Cour en la présente espèce sur :

a) sa déclaration du 25 avril 1999 par laquelle elle reconnaît, conformément aux dispositions du

paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour, comme obligatoire de plein droit et sans
convention spéciale, à l'égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, la juridiction de la
Cour (ci-après dénommée la «déclaration de 1999 de la République fédérale de Yougoslavie»); et

b) l'article IX de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du
9 décembre 1948 (ci-après dénommée la «convention de 1948 sur le génocide»).

7. Les Pays-Bas font valoir que la Cour n'a pas compétence, même prima facie , pour examiner l'instance

introduite contre eux par la République fédérale de Yougoslavie (y compris la demande en indication de
mesures conservatoires pour violation de l'obligation de ne pas recourir à l'emploi de la force) sur la base de la
déclaration de 1999 de la République fédérale de Yougoslavie pour les raisons suivantes.

8. Il est clair que la République fédérale de Yougoslavie qui est l'un des Etats successeurs de l'ancienne
République fédérative socialiste de Yougoslavie (ci-après dénommée la «RFSY»), Membre originaire de
l'Organisation des Nations Unies, n'est pas, pour sa part, membre de l'ONU à l'heure actuelle. On peut se référer
à cet égard à la résolution 47/1 de l'Assemblée générale du 22 septembre 1992 (document A/RES/47/1 de

l'ONU), dans laquelle l'Assemblée générale, ayant reçu la recommandation du Conseil de sécurité en date du
19 septembre 1992 selon laquelle «la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait
présenter une demande d'admission à l'Organisation des Nations Unies et ne participera pas aux travaux de
l'Assemblée générale» considère que la République fédérative de Yougoslavie «ne peut pas assumer
automatiquement la qualité de membre de l'Organisation des Nations Unies» et décide par conséquent «que la
République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une demande d'admission à
l'Organisation et qu'elle ne participera pas aux travaux de l'Assemblée générale».

9. Dans la résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité du 19 septembre susmentionnée, il est aussi dit

clairement que «la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne peut pas assurer
automatiquement la continuité de la qualité de membre de l'ancienne République fédérative socialiste de
Yougoslavie aux Nations Unies».

10. Etant donné qu'aucune nouvelle demande d'admission à l'Organisation des Nations Unies n'a été présentée
par la République fédérale de Yougoslavie, les Pays-Bas considèrent que la République fédérale de
Yougoslavie n'est pas actuellement membre de l'ONU et n'est pas partie à la Charte des Nations Unies. En
conséquence, la République fédérale de Yougoslavie ne peut être considérée comme étant ipso facto partie au
Statut de la Cour internationale de Justice en vertu des dispositions du paragraphe 1 de l'article 93 de la Charte

des Nations Unies.

11. Les Pays-Bas font valoir que la mention de la «Yougoslavie (Membre originaire)» dans la liste des Etats
Membres de l'Organisation des Nations Unies admis à ester devant la Cour en vertu des dispositions du
paragraphe 1 de l'article 35 du Statut de la Cour et du paragraphe 1 de l'article 93 de la Charte des
Nations Unies désigne l'ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie et non pas l'un de ses Etats
successeurs, la République fédérale de Yougoslavie ( Annuaire de la C.I.J. 1996-1997 , p. 68-72).

12. Les Pays-Bas font valoir en outre que la République fédérale de Yougoslavie n'est pas devenue partie au
Statut de la Cour de quelque autre manière, en particulier sur la base d'une résolution adoptée par l'Assemblée
générale sur recommandation du Conseil de sécurité, comme envisagé au paragraphe 2 de l'article 93 de la
Charte des Nations Unies. En tout état de cause, la République fédérale de Yougoslavie n'est pas mentionnée
comme étant partie au Statut de la Cour sur cette base dans l' Annuaire de la C.I.J. 1996-1997 (p. 72-74).

13. Les Pays-Bas savent bien qu'un Etat qui n'est pas partie au Statut de la Cour internationale de Justice,
comme c'est le cas de la République fédérale de Yougoslavie, peut, selon certaines conditions qu'énonce la
résolution 9 du Conseil de sécurité du 15 octobre 1946, adoptée par le Conseil de sécurité en vertu du pouvoir

qui lui est conféré par le paragraphe 2 de l'article 35 du Statut de la Cour, accepter la juridiction de la Cour
(Annuaire de la C.I.J. 1996-1997 , p. 74-75).

14. Les Pa ys-Bas font valoir que la déclaration de 1999, par laquelle la République fédérale de Yougoslavieaccepte la juridiction de la Cour, fait simplement référence aux dispositions du paragraphe 2 de l'article 36 du
Statut de la Cour, comme si la République fédérale de Yougoslavie était partie au Statut, mais ne se réfère
aucunement à la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité comme lui ouvrant le droit d'accepter la juridiction

de la Cour; la République fédérale de Yougoslavie ne fournit aucun élément prouvant qu'elle a satisfait aux
conditions de cette acceptation telles qu'énoncées dans ladite résolution du Conseil de sécurité, à savoir
notamment qu'elle accepte la juridiction de la Cour «conformément à la Charte des Nations Unies et aux
conditions du Statut et du Règlement de la Cour» et qu'elle «s'engage à exécuter de bonne foi la ou les
sentences de la Cour et à accepter toutes les obligations mises à la charge d'un Membre des Nations Unies par
l'article 94 de la Charte».

15. Les Pays-Bas font valoir en conséquence qu'étant donné que la déclaration de 1999 de la République
fédérale de Yougoslavie ne se fonde pas sur la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité et ne satisfait donc

pas aux conditions essentielles mentionnées dans cette résolution, la déclaration de 1999 de la République
fédérale de Yougoslavie, par laquelle celle-ci accepte la juridiction de la Cour, doit être considérée comme
nulle et non avenue.

16. Les Pays-Bas font valoir par ailleurs que même si la déclaration de 1999 de la République fédérale de
Yougoslavie devait être considérée comme valable, l'acceptation de la juridiction obligatoire de plein droit et
sans convention spéciale de la Cour, aux termes du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut, ne saurait être
opposée aux Pays-Bas qui sont partie au Statut et ont souscrit la déclaration prévue au paragraphe 2 de
l'article 36 de celui-ci, étant donné que les Pays-Bas n'ont pas expressément consenti à ce que l'acceptation de la

juridiction de la Cour par la République fédérale de Yougoslavie sur cette base produise des effets à leur égard ,
comme le requiert clairement la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité pour qu'existe une compétence
ratione personae de la Cour sur cette base.

17. Les Pays-Bas demandent en conséquence à la Cour d'appliquer le paragraphe 5 de l'article 38 de son
Règlement et de s'abstenir de tout acte de procédure, tant que les Pays-Bas n'auront pas accepté la compétence
de la Cour aux fins de la présente espèce.

18. De plus, à supposer que la déclaration de 1999 de la République fédérale de Yougoslavie soit considérée
comme valable, les Pays-Bas souhaitent appeler l'attention de la Cour sur le fait que l'acceptation de la
juridiction obligatoire de la Cour concerne uniquement les différends survenant ou pouvant survenir après la
signature de ladite déclaration, et qui ont trait à des situations ou à des faitsostérieurs à cette signature (les
italiques sont de moi).

19. Les Pays-Bas font valoir que le différend qui existe entre la République fédérale de Yougoslavie et les
Pays-Bas a clairement surgi avant la date de la signature de la déclaration de 1999 de la République fédérale de
Yougoslavie (c'est-à-dire le 25 avril 1999), de sorte que la déclaration de la République fédérale de

Yougoslavie reconnaissant comme obligatoire la juridiction de la Cour ne lui est pas applicable. La requête de
la République fédérale de Yougoslavie et sa demande en indication de mesures conservatoires doivent donc être
considérés comme irrecevables.

20. En ce qui concerne la compétence de la Cour fondée sur l'article IX de la convention de 1948 sur le
génocide que la République fédérale de Yougoslavie a invoquée dans sa requête, les Pays-Bas voudraient faire
les observations suivantes.

21. Les Pays-Bas, bien qu'ils ne soient pas partie à la convention de Vienne de 1978 sur la succession d'Etats en
matière de traités (ci-après dénommée «la convention de Vienne de 1978»), reconnaissent qu'eu égard au
caractère multilatéral et fondamentalement humanitaire de la convention de 1948 sur le génocide, cette
convention est restée en vigueur à l'égard de la République fédérale de Yougoslavie en tant qu'Etat successeur
de la République fédérative socialiste de Yougoslavie.

22. Les Pays-Bas ont aussi pris note de la déclaration officielle adoptée au nom de la République fédérale de
Yougoslavie lors de la proclamation de la République fédérale de Yougoslavie le 27 avril 1992, aux termes de

laquelle «la République fédérale de Yougoslavie ... respectera strictement tous les engagements que la
République fédérative socialiste de Yougoslavie a pris à l'échelon international», déclaration qui a été
confirmée dans une note officielle de la mission permanente de Yougoslavie auprès de l'Organisation des
Nations Unies adressée au Secrétaire général de l'ONU le 27 avril 1992.23. Les Pays-Bas reconnaissent donc que la Cour peut, en principe, avoir compétence ratione personae dans la
présente espèce sur la base de l'article IX de la convention de 1948, mais uniquement en ce qui concerne les
différends relatifs à l'interprétation, l'application ou l'exécution de cette convention.

24. Les Pays-Bas font toutefois valoir qu'une compétence fondée sur l'article IX de la convention de 1948 ne
peut être invoquée que par une partie à cette convention et ne peut être exercée par la Cour que s'il existe au
moins un commencement de preuve que la question qui se pose a trait à l'interprétation, l'application ou
l'exécution de la convention de 1948 sur le génocide.

25. Dans la présente espèce, la République fédérale de Yougoslavie indique simplement dans sa requête que le
différend porte sur «l'obligation de ne pas soumettre délibérément un groupe national à des conditions

d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle» et prie la Cour de dire et juger :

«qu'en prenant part aux activités énumérées ci-dessus et en particulier en causant des dommages
énormes à l'environnement et en utilisant de l'uranium appauvri, le Royaume des Pays-Bas a agi
contre la République fédérale de Yougoslavie, en violation de son obligation de ne pas soumettre
intentionnellement un groupe national à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction
physique totale ou partielle».

26. Les Pays-Bas font valoir que le grief exposé par la République fédérale de Yougoslavie n'équivaut pas,
même prima facie , au crime de génocide auquel la convention de 1948 sur le génocide s'applique.

27. En premier lieu, la requête ne mentionne que la «soumission intentionnelle d'un groupe national à des
conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle», soit un seul des cinq actes
énumérés dans la convention de 1948 sur le génocide qui, si certaines conditions sont réunies, peuvent
constituer le crime de génocide. La requête ne mentionne toutefois aucune de ces conditions, qui forment
l'ssence même du crime de génocide à savoir «l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux, comme tel » (les italiques sont de moi).

28. Comme la Cour l'a indiqué dans l'ordonnance qu'elle a rendue le 13 septembre 1993 en l'affaire relative à
l'pplication de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (demande en indication
de mesures conservatoires), d'après la définition du génocide donnée dans la convention sur le génocide «la
caractéristique essentielle du génocide est la destruction intentionnelle d'un groupe national, ethnique, racial ou
religieux» - je me réfère au paragraphe 42 de votre ordonnance.

29. Dans sa requête, la République fédérale de Yougoslavie ne prétend même pas que cette intention existe ni

n'affirme qu'en l'espèce, le groupe national a été attaqué «comme tel». Autrement dit, aussi bien l'intention que
le but discriminatoire font totalement défaut dans ses allégations.

30. Ensuite, ni la requête, ni la demande en indication de mesures conservatoires ne contiennent aucun fait ni
élément de preuve susceptibles de démontrer, ne serait-ce que prima facie , que certaines conditions d'existence
devant entraîner la destruction physique totale ou partielle d'un groupe national sont effectivement imposées à
ce groupe en tant que tel.

31. De plus, comme la requête omet de prétendre qu'il y a chez les Pays-Bas une intention précise et une
volonté de discrimination, elle ne présente pas, ne tente d'ailleurs même pas de présenter, le moindre fait ni
élément de preuve susceptible d'accréditer pareille intention ou volonté.

32. Les Pays-Bas considèrent donc que la Cour n'a aucune compétence ratione materiae aux termes de l'article
IX de la convention sur le génocide.

33. S'agissant enfin de cette convention sur le génocide, les Pays-Bas voudraient évoquer l'ordonnance rendue

le 8 avril 1993 dans l'affaire relative à'Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro) (demande en indication de
mesures conservatoires)), dans laquelle la Cour a dit qu'en ce qui concerne les mesures provisoires sollicitées,
elle devait «se borner à l'examen des droits prévus par la convention sur le génocide pouvant faire l'objet d'un
arrêt de la Cour rendu dans l'exercice de sa compétence aux termes de l'article IX de cette convention» ( C.I.J.
Recueil 1993 p, 21, par. 38).34. Si, en dépit des arguments que je viens de présenter, la Cour estimait être prima facie compétente, en vertu
de l'article IX de la convention de 1948 sur le génocide, pour ordonner des mesures conservatoires, ladite
convention ne peut, de l'avis des Pays-Bas, être invoquée comme fondement juridique de la mesure

conservatoire sollicitée par la République fédérale de Yougoslavie. La mesure demandée a trait à l'obligation de
ne pas recourir l'emploi de la force contre laRépublique fédérale de Yougoslavie , obligation qui,
manifestement, ne relève pas du champ d'application des droits découlant de la convention sur le génocide,
dans la mesure où elle vise à protéger non un Etat, mais un groupe national, ethnique, racial ou religieux,
comme tel, contre toute destruction intentionnelle.

III. Caractère discrétionnaire du pouvoir imparti à la Cour d'indiquer des mesures conservatoires 35. Au cas où
la Cour considérerait être compétente en l'espèce, à tout le moins pour ordonner les mesures conservatoires
demandées par la République fédérale de Yougoslavie, les Pays-Bas diront ceci.

36. Le pouvoir d'ordonner des mesures conservatoires, dont la Cour est investie en vertu de l'article 41 de son
Statut et des articles 73 et 75 de son Règlement est un pouvoir discrétionnaire, qu'elle exerce à la demande
d'une partie ou de sa propre initiative. En outre, lorsqu'il y a demande en indication de mesures conservatoires,
la Cour peut ordonner des mesures qui s'écartent en tout ou en partie de celles qui ont été sollicitées et qui
doivent être adoptées ou exécutées par la partie auteur de la demande.

37. A cet sujet, les Pays-Bas rappelleront pourquoi l'OTAN a engagé des opérations militaires, auxquelles ils
participent, en République fédérale de Yougoslavie, quels en sont les buts et pourquoi elles se poursuivent.

38. Les Pays-Bas rappelleront à la Cour que la République fédérale de Yougoslavie ne s'est pas conformée à
d'importantes résolutions du Conseil de sécurité, en particulier les résolutions 1160 (1998) du 31 mars 1998,
1199 (1998) du 23 septembre 1998 et 1203 (1998) du 24 octobre 1998. La République fédérale de Yougoslavie
n'a absolument pas tenu compte d'importantes demandes formulées ainsi par le Conseil de sécurité dans sa

résolution 1199, agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, telles que la cessation de
toutes les opérations des forces de sécurité de la République fédérale de Yougoslavie et de l'armée yougoslave
au Kosovo la population civile touchants, le retrait des unités de sécurité utilisées pour la répression des civils
et la facilitation du retour en toute sécurité des réfugiés et personnes déplacées dans leurs foyers.

39. L'usage excessif, sans aucune discrimination, de la force au Kosovo par les forces de police serbes et par
l'armée yougoslave a fait de nombreuses victimes civiles, a entraîné le déplacement de centaines de milliers de
personnes contraintes d'abandonner leur foyer et un afflux de réfugiés dans le nord de l'Albanie, dans l'ex-
République yougoslavie de Macédoine, en Bosnie-Herzégovine et dans d'autres pays européens, provoquant

une dégradation de la situation au Kosovo, que le Conseil de sécurité a considérée comme une menace
constante pour la paix et la sécurité dans la région.

40. L'OTAN a engagé ses opérations militaires en République fédérale de Yougoslavie une fois qu'ont échoué
toutes les tentatives de solution politique négociée à la crise du Kosovo, la seule initiative envisageable étant
dès lors une action militaire visant à mettre un terme à l'emploi excessif et disproportionné de la force au
Kosovo par l'armée yougoslave et les forces de police spéciales et à éviter une catastrophe humanitaire déjà
amorcée au Kosovo.

41. Nous savons que l'armée yougoslave et les forces de police spéciales ont non seulement poursuivi, mais
également considérablement intensifié les actions qu'elles mènent contre les civils kosovars en violation
flagrante du droit international, provoquant une énorme catastrophe humanitaire qui menace également de
déstabiliser toute la région. Des centaines de milliers d'innocents ont été impitoyablement chassés du Kosovo
par les autorités de la République fédérale de Yougoslavie.

42. A ce propos, les Pays-Bas rappelleront également la déclaration publiée le 12 avril 1999 à l'issue de la
réunion ministérielle extraordinaire du Conseil de l'Atlantique Nord au siège de l'OTAN à Bruxelles, affirmant

au paragraphe 12 que les responsables de la campagne systématique de violences et de destruction dirigée
contre des civils kosovars innocents et ayant pour but d'expulser par la force des centaines de milliers de
réfugiés devront être tenus responsables de leurs actes et que les accusés devront être traduits devant le Tribunal
pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye, conformément au droit international et auxrésolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies.

43. Pour les Pays-Bas, la politique extrémiste, criminelle et irresponsable, de la République fédérale de

Yougoslavie constitue une violation flagrante des droits universels de l'homme, a rendu indispensables les
opérations militaires de l'OTAN en République fédérale de Yougoslavie et justifie qu'elles soient poursuivies
tant que ces politiques sont pratiquées.

44. Nous constatons aujourd'hui que la Cour est saisie d'une demande en indication de mesures conservatoires
émanant d'un Etat qui, avec un très lourd passif, se présente devant la Cour, qu'il l'invite à ordonner des mesures
conservatoires à l'encontre de membres de la communauté internationale qui s'opposent à sa politique
criminelle au Kosovo et cherchent à protéger les droits de l'homme les plus élémentaires au bénéfice de la

population kosovare.

45. De telles mesures, si elles étaient mises en oeuvre, auraient un effet pervers, qui serait de permettre à la
République fédérale de Yougoslavie de poursuivre, voire de mener à bien sans entraves ses activités criminelles
au Kosovo, créant le fait accompli pour la population kosovare, situation que l'indication de mesures
conservatoires doit précisément empêcher.

46. Pour les Pays-Bas, eu égard au comportement criminel de la République fédérale de Yougoslavie au

Kosovo et aux objectifs légitimes des opérations militaires de l'OTAN, qui sont menées tant que faire se peut
dans le respect des règles et des principes applicables du droit des conflits armés et du droit international
humanitaire, la Cour doit rejeter la demande en indication de mesures conservatoires déposée par la République
fédérale de Yougoslavie.

47. Cependant, si et seulement si la Cour décidait malgré tout d'ordonner telle ou telle autre mesure
conservatoire en faveur de la République fédérale de Yougoslavie, les Pays-Bas recommandent
respectueusement à la Cour d'exercer les pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 75 de son Règlement et
d'examiner d'office s'il lui paraît opportun d'imposer des mesures conservatoires appropriées à la République

fédérale de Yougoslavie en vue de préserver les droits de la population kosovare.

IV. Synthèse de l'exposé et conclusions 48. Monsieur le président, Mme et MM. de la Cour, j'en arrive au terme
de mon exposé et je voudrais énoncer quelques conclusions et présenter une synthèse de notre position
concernant la demande en indication de mesures conservatoires émanant de la République fédérale de
Yougoslavie.

a) Les Pays-Bas considèrent que la République fédérale de Yougoslavie n'est pas un Etat Membre

des Nations Unies et n'est donc pas de plein droit partie au Statut de la Cour. Elle n'a pas non plus
acquis cette qualité d'une quelconque autre manière. En outre, son acceptation de la juridiction de
la Cour en vertu du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut n'est pas fondée sur la résolution 9 (1946)
du Conseil de sécurité des Nations Unies. Les Pays-Bas concluent dès lors que la déclaration de
1999, par laquelle la République fédérale de Yougoslavie accepte la juridiction de la Cour en se
fondant sur le paragraphe 2 de l'article 36 du Statut, n'est pas valable. Et même si la Yougoslavie
avait reconnu la juridiction de la Cour en se fondant sur la résolution 9 (1946) du Conseil de
sécurité, la Cour ne serait pas pour autant compétente à l'égard des Pays-Bas, dans la mesure où
ceux-ci n'ont pas donné leur consentement exprès, comme le requiert précisément la résolution 9
(1946) du Conseil de sécurité. Les Pays-Bas font donc respectueusement valoir que la Cour n'a pas

compétence sur la base du paragraphe 2 de l'article 36 de son Statut, même prima facie , pour
examiner la demande en indication de mesures conservatoires présentée par la République fédérale
de Yougoslavie.

b) Les Pays-Bas font valoir en outre que la déclaration de 1999 de la République fédérale de
Yougoslavie doit être considérée comme irrecevable ratione temporis , car elle ne reconnaît la
juridiction de la Cour sur la base du paragraphe 2 de l'article 36 de son Statut que «pour les
différends survenant ou pouvant survenir après la signature de la présente déclaration, qui ont trait

à des situations ou à des faitsostérieurs à la présente signature» (les italiques sont de moi), alors
que le différend entre la République fédérale de Yougoslavie et les Pays-Bas pour «violation de
l'obligation de ne pas recourir à l'emploi de la force» a clairement surgi avant la date de la signature
de la déclaration de 1999 de la République fédérale de Yougoslavie. c) Les Pays-bas font valoir que les griefs exposés par la République fédérale de Yougoslavie ne
constituent pas, même prima facie , un crime de génocide; aussi la demande en indication de
mesures conservatoires présentée par la République fédérale de Yougoslavie ne peut se fonder sur

l'article IX de la convention de 1948 sur le génocide et la Cour n'a pas non plus compétence ratione
materiae dans la présente affaire. En outre, même si la Cour décidait que la Cour a compétence
prima facie sur la base de l'article IX de la convention sur le génocide, toutes les mesures
conservatoires qui seraient indiquées par la Cour en faveur de la République fédérale de
Yougoslavie devraient nécessairement être limitées à la préservation des droits visés par la
convention de 1948 sur le génocide.

d) Les Pays-Bas font valoir en outre que le pouvoir discrétionnaire de la Cour d'indiquer des
mesures conservatoires ne devrait pas être exercé à l'effet d'accorder les mesures conservatoires

demandées par la République fédérale de Yougoslavie. La République fédérale de Yougoslavie se
présente devant la Cour avec des mains très sales. Elle a violé des résolutions importantes du
Conseil de sécurité, résolutions adoptées par le Conseil de sécurité de l'ONU au titre du
chapitre VII de la Charte des Nations Unies, et agi en violation flagrante des droits universels de la
personne humaine, entraînant la mort de nombreux civils, le déplacement de centaines de milliers
de personnes et un afflux continu de réfugiés dans les pays voisins, qui a non seulement causé une
catastrophe humanitaire massive au Kosovo, mais a aussi menacé de déstabiliser la région voisine.
L'octroi des mesures conservatoires demandées aurait simplement pour effet de permettre à la
République fédérale de Yougoslavie de poursuivre et même de mener à son terme sans aucun
obstacle son entreprise criminelle au Kosovo, ce qui créerait pour la population du Kosovo une

situation de fait accompl i, situation que l'indication de mesures conservatoires vise précisément à
éviter. Les Pays-Bas font donc valoir que la Cour devrait rejeter la demande en indication de
mesures conservatoires présentée par la République fédérale de Yougoslavie.

e) Toutefois, et je le répète une fois de plus, au cast uniquement dans le cas où la Cour déciderait
tout de même d'indiquer des mesures conservatoires sous une forme ou sous une autre en faveur de
la République fédérale de Yougoslavie, les Pays-Bas recommandent respectueusement à la Cour
d'examiner d'office l'opportunité d'imposer à la République fédérale de Yougoslavie des mesures

conservatoires appropriées visant à préserver les droits de la population du Kosovo.

49. Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, une demande en indication de
mesures conservatoires devrait servir à préserver les droits d'une partie en attendant que la procédure se
poursuive, le cas échéant, avec l'examen d'exceptions préliminaires et/ou sur le fond. Elle ne devrait pas être
utilisée, comme cela semble être le cas pour la demande en indication de mesures conservatoires présentée par
la République fédérale de Yougoslavie en l'espèce, comme un moyen d'obtenir unilatéralement et par
anticipation un jugement sur le fond, rendant toute autre procédure non pertinente d'un point de vue pratique,
stratégique ou même politique.

Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, je vous remercie de votre attention.

Le VICE-PRESIDENT faisant fonction de président : Je vous remercie, Monsieur Lammers. Cela conclut le
premier tour de parole des Pays-Bas en l'affaire relative à laLicéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c.

Pays-Bas).

L'audience est levée à 12 h 15.

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