Pièce additionnelle du Chili

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162-20190916-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
17119
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
DIFFÉREND CONCERNANT LE STATUT ET L’UTILISATION DES EAUX DU SILALA
(CHILI c. BOLIVIE)
PIÈCE ADDITIONNELLE DE LA RÉPUBLIQUE DU CHILI
VOLUME I
16 septembre 2019
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
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LISTE DES FIGURES ............................................................................................................................ iii
LISTE DES TABLEAUX ........................................................................................................................ iii
CHAPITRE 1. INTRODUCTION ............................................................................................................. 1
A. Origines et état actuel du différend porté devant la Cour ........................................................ 1
1. Le différend se trouve fortement circonscrit dans le contre-mémoire de la Bolivie ........... 2
2. La position de la Bolivie est encore plus affaiblie dans la duplique ................................... 3
B. Structure de la pièce additionnelle ........................................................................................... 6
CHAPITRE 2. LA PRÉTENTION DE LA BOLIVIE À DES DROITS SOUVERAINS SUR
L’ÉCOULEMENT «ARTIFICIELLEMENT AMÉLIORÉ» DU SILALA N’A AUCUN FONDEMENT EN
DROIT INTERNATIONAL ................................................................................................................. 8
A. La thèse actuelle de la Bolivie, selon laquelle la souveraineté sur les ouvrages
hydrauliques situés sur son territoire crée des droits souverains sur le prétendu
écoulement «artificiellement amélioré» du Silala, est infondée .............................................. 8
1. La souveraineté territoriale n’implique pas la propriété sur une ressource naturelle
partagée ............................................................................................................................... 8
2. Les précédents cités par la Bolivie dans ce contexte soit n’ont pas de rapport avec
la présente affaire, soit n’étayent pas la thèse bolivienne ................................................. 11
3. La prétention de la Bolivie à des droits souverains sur l’écoulement
«artificiellement amélioré» du Silala va à l’encontre des principes consacrés dans
la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à
des fins autres que la navigation ....................................................................................... 13
4. Le droit de démanteler les chenaux n’exempte pas la Bolivie de l’obligation que lui
fait le droit international coutumier de ne pas causer de dommages importants .............. 15
B. La Bolivie continue d’ignorer des faits historiques essentiels, en particulier le fait
qu’elle a elle-même autorisé la construction des chenaux sur son territoire .......................... 20
1. La Bolivie avance à tort que les chenaux de 1928 existaient déjà à l’époque de la
concession chilienne de 1906 ........................................................................................... 20
2. La Bolivie ne peut créer d’obligations pour le Chili, comme l’obligation de
négocier la «fourniture» d’un prétendu «écoulement artificiel» et la redevance
afférente, par ses propres actions ou omissions à l’égard des chenaux situés sur son
territoire ............................................................................................................................ 21
3. Tout dommage causé aux zones humides en territoire bolivien est imputable à la
Bolivie, et non au Chili ..................................................................................................... 22
- ii -
C. Conclusion : la prétention de la Bolivie à des droits souverains sur l’écoulement
«artificiellement amélioré» du Silala est indéfendable en droit international et ses
deuxième et troisième demandes reconventionnelles doivent être rejetées ........................... 24
CHAPITRE 3. UNE NOUVELLE ANALYSE DE LA MODÉLISATION EN CHAMP PROCHE DU DHI
INFIRME DE NOUVEAU LA THÈSE DE LA BOLIVIE QUANT À UNE PRÉTENDUE INCIDENCE DE
LA CHENALISATION ..................................................................................................................... 25
A. La réponse du DHI aux critiques fondamentales des experts du Chili s’agissant du
modèle en champ proche est insuffisante ou erronée ............................................................. 25
1. Le DHI admet que les résultats de la modélisation pour les trois scénarios (de
référence, sans canal et sans perturbations) sont très probablement influencés par
les conditions aux limites du champ proche ..................................................................... 25
2. Le DHI n’a aucune raison valable de qualifier l’analyse des experts du Chili
d’«extrêmement simpliste» ............................................................................................... 28
B. Les données de modélisation du DHI transmises le 7 février 2019 révèlent d’autres
lacunes dans le modèle en champ proche qui privent les résultats de la modélisation de
toute fiabilité .......................................................................................................................... 31
1. Le DHI utilise différents modèles pour, d’une part, le scénario de référence, et,
d’autre part, les scénarios «sans canal» et «sans perturbations», ce qui ne permet
pas de comparer directement les résultats obtenus ........................................................... 31
2. Les conditions de modélisation, notamment la topographie de surface et l’apport,
sont différentes dans chaque scénario, ce qui invalide toute comparaison des
résultats de modélisation ................................................................................................... 31
3. Le recours de la Bolivie aux estimations de l’écoulement établies en 1922 pour
confirmer les résultats de la modélisation du DHI n’est pas crédible ............................... 33
C. Conclusion : la modélisation en champ proche du DHI est à ce point viciée que ses
résultats sont dépourvus de sens et devraient être écartés par la Cour ................................... 34
CONCLUSIONS .................................................................................................................................. 36
RAPPORT D’EXPERTS. H. S. WHEATER ET D. W. PEACH, INCIDENCES DE LA CHENALISATION
DU SILALA EN BOLIVIE SUR L’HYDROLOGIE DE SON BASSIN HYDROGRAPHIQUE – UNE
ANALYSE ACTUALISÉE ................................................................................................................ 37
LISTE DES ANNEXES ......................................................................................................................... 96
CERTIFICATION ................................................................................................................................. 97
- iii -
LISTE DES FIGURES
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Figure 1. Cotes d’altitude utilisées dans les quatre modèles boliviens, comparées en deux
points (sections transversales) sur la largeur du chenal principal près de la frontière
internationale (source : Muñoz et al., 2019, p. 30, figure 4-3. PAC, vol. 2, annexe XV) ..... 32
LISTE DES TABLEAUX
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Tableau 1. Analyse de sensibilité du DHI, p. 32, tableau 7-2, DB, vol. 5, p. 80. ....................... 27
CHAPITRE 1
INTRODUCTION
1.1. La présente pièce additionnelle est soumise dans les délais fixés dans l’ordonnance du
18 juin 2019, par laquelle la Cour a prescrit la présentation d’une pièce additionnelle par la
République du Chili, limitée aux demandes reconventionnelles de la défenderesse.
A. Origines et état actuel du différend porté devant la Cour
1.2. Le différend qui oppose le Chili et la Bolivie au sujet du statut et de l’utilisation des eaux
du Silala remonte à 1999, lorsque la Bolivie a pour la première fois nié le caractère international du
Silala1. Avant cela et pendant près d’un siècle, la Bolivie comme le Chili ont toujours reconnu que
le Silala était un cours d’eau international2.
1.3. Le revirement de la Bolivie en 1999 n’était pas motivé par l’émergence d’une quelconque
nouvelle preuve scientifique. Depuis lors, entre 2000 et 2009, le Chili s’est efforcé de faire participer
la Bolivie à des études techniques conjointes sur le Silala, en espérant raisonnablement qu’elle
accepterait ainsi le fait juridique évident, et déjà établi, que le Silala est un cours d’eau international3.
Ces tentatives ont en définitive été vaines, la Bolivie continuant de revendiquer la propriété exclusive
des eaux du Silala et un prétendu droit à être indemnisée pour l’utilisation qui en est faite depuis un
siècle par le Chili (ce qu’elle appelle la «dette historique»)4.
1.4. En mars 2016, par la voix du président Evo Morales, la Bolivie a accusé le Chili de «voler»
les eaux du Silala et déclaré qu’elle allait saisir la Cour. Le ministre bolivien des affaires étrangères
a par la suite annoncé que la préparation de cette saisine prendrait au moins deux ans5. Dans ces
conditions, le Chili a décidé de saisir lui-même la Cour en juin 2016, afin que soit établie aussi
rapidement que possible la sécurité juridique en ce qui concerne la nature et l’utilisation du Silala.
1.5. Ce n’est qu’après que le Chili eut introduit la présente instance que la Bolivie a pour la
première fois décidé d’entreprendre des études scientifiques sur le Silala, qu’elle a confiées au Danish
Hydraulic Institute (DHI, institut danois d’hydraulique), son expert aux fins de l’espèce6. Cela ne fait
que confirmer que le revirement de la Bolivie en 1999 n’avait aucun fondement scientifique et était
motivé par des considérations politiques.
1 Mémoire du Chili (ci-après «MC»), par. 3.8. Voir note No GMI-656/99 en date du 3 septembre 1999 adressée au
consulat général du Chili par le ministère des affaires étrangères et des cultes de la République de Bolivie. MC, vol. 2,
annexe 27.
2 Pour une analyse complète du comportement des Parties s’agissant de la reconnaissance du caractère international
du Silala, voir MC, par. 4.11-4.66.
3 MC, par. 3.16-3.25.
4 Ibid., par. 3.24-3.25.
5 Ibid., par. 1.8.
6 Contre-mémoire de la Bolivie (ci-après «CMB»), par. 13.
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1. Le différend se trouve fortement circonscrit dans le contre-mémoire de la Bolivie
1.6. Par sa teneur, le contre-mémoire en date du 3 septembre 2018 a fortement circonscrit le
différend, puisque la Bolivie y reconnaît le caractère international du Silala et le fait que les deux
Etats ont des droits et des obligations au regard du droit international coutumier s’agissant de
l’utilisation équitable et raisonnable de ses eaux, de l’obligation de ne pas causer de dommages
importants et d’autres obligations de nature procédurale prévues par le droit international coutumier
relatif aux cours d’eau internationaux7.
1.7. Toutefois, dans le contre-mémoire, la Bolivie énonce une nouvelle revendication, à savoir
qu’elle détiendrait des droits souverains sur une part des eaux du Silala qu’elle qualifie
d’«écoulement artificiel»8. Cette nouvelle prétention, absolument indéfendable, est présentée comme
un moyen de défense contre la thèse principale du Chili, et vise à soustraire une partie des eaux du
Silala au régime juridique international9. Elle constitue également la demande reconventionnelle b)
de la Bolivie et sous-tend la demande reconventionnelle c), par laquelle la Bolivie réclame que toute
fourniture, par elle-même au Chili, d’eaux s’écoulant — selon elle — «artificiellement» soit soumise
à la conclusion d’un accord entre les deux Etats10. La demande reconventionnelle a), par laquelle la
Bolivie revendique la souveraineté sur les chenaux et systèmes de drainage artificiels situés sur son
territoire11, n’est en revanche pas contestée par le Chili et la Cour n’a donc pas compétence à son
égard en l’absence de différend.
1.8. D’après la Bolivie, l’«écoulement artificiel» du Silala est «généré» par les chenaux
construits par l’homme sur son territoire et, de ce fait, il n’est pas soumis aux principes du droit
international coutumier12. La part des «eaux s’écoulant artificiellement» sur laquelle la Bolivie
revendique des droits souverains représenterait 30 à 40 % de l’écoulement de surface qui franchit la
frontière internationale avec le Chili, d’après l’estimation figurant dans le rapport des experts du DHI
mandatés par la Bolivie, qui est joint au contre-mémoire13. Le Chili fait observer que cette estimation
a été réduite à 11 à 33 % dans l’analyse de sensibilité jointe à la duplique de la Bolivie datée du
15 mai 201914.
1.9. L’important ici est que la distinction que fait la Bolivie entre les écoulements «naturels»
et «artificiels» n’a aucun fondement en droit international ou sur le plan scientifique et, qui plus est,
va à l’encontre de la nécessité croissante d’utiliser de manière optimale les ressources en eau douce15.
Comme le Chili l’a expliqué dans sa réplique du 15 février 2019 portant sur les demandes
reconventionnelles, tout écoulement naturel accru — l’écoulement prétendument «artificiel» —
7 CMB, par. 16 et 18.
8 Ibid., par. 120.
9 Ibid.
10 Ibid., par. 181 b) (ci-après aussi la «deuxième demande reconventionnelle») et c) (ci-après aussi la «troisième
demande reconventionnelle»).
11 Ibid., par. 181 a) (ci-après aussi la «première demande reconventionnelle»).
12 Ibid., par. 120.
13 Ibid., par. 13.
14 DHI, Actualisation des scénarios de la modélisation mathématique hydrologique des eaux des sources Silala par
une analyse de sensibilité des limites du modèle, avril 2019 (ci-après l’«analyse de sensibilité du DHI»). Duplique de la
Bolivie (ci-après «DB»), vol. 5, annexe 25.
15 Réplique du Chili (ci-après «RC»), chapitre 2, en particulier la section A intitulée «Les principes reflétés dans la
convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation s’appliquent
aux cours d’eau internationaux et à l’intégralité de leurs eaux».
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résultant d’ouvrages réalisés en territoire bolivien est uniquement attribuable aux actes de la Bolivie
et ne saurait produire des obligations juridiques pour le Chili16. La Bolivie ne peut se prévaloir de sa
propre conduite pour créer de nouvelles catégories de droits souverains sur une portion d’une
ressource hydrique partagée qui est régie par le principe de l’utilisation équitable et raisonnable et
l’obligation de ne pas causer de dommages importants. Le Chili a ainsi expliqué, dans sa réplique,
que l’absence de fondement juridique des prétentions de la Bolivie à la souveraineté sur un
écoulement «artificiel» était décisif en l’espèce et suffisait pour rejeter les deuxième et troisième
demandes reconventionnelles de la défenderesse sans qu’il soit nécessaire d’examiner les preuves
scientifiques17.
1.10. En outre, le Chili a démontré que la configuration de la modélisation du DHI présentait
d’importantes lacunes qui ont conduit à exagérer — par un facteur de 20 environ — l’impact des
chenaux sur l’écoulement de surface transfrontière18. Le Chili a également expliqué comment une
réduction de l’écoulement de surface transfrontière due aux chenaux construits en Bolivie (à supposer
qu’elle se produise) serait inévitablement compensée par une hausse de l’écoulement souterrain
transfrontière, hormis pour la perte par évapotranspiration, estimée à 2 % au maximum comme en
conviennent les experts des deux Parties19.
1.11. Si le Chili souscrit aux faits et aux rapports d’expert présentés par la Bolivie à l’appui de
ses demandes reconventionnelles b) et c), cela ne signifie pas pour autant qu’il soit «nécessaire de se
pencher davantage sur les faits» ou que ces derniers soient «décisifs en l’espèce», comme la Bolivie
l’affirme maintenant20. Il n’en est rien, car ce qui est décisif, c’est de savoir si le droit international
reconnaît l’existence de l’«écoulement artificiel» présumé. Le Chili a démontré que tel n’était pas le
cas.
1.12. Le Chili a néanmoins présenté de nouveaux rapports d’expert et demandé à connaître les
données utilisées dans ceux qu’a soumis la Bolivie, car il prend au sérieux l’obligation qui lui
incombe, en tant que Partie à l’affaire, d’exposer clairement les éléments de faits, dans l’intérêt de la
Cour et en vue de toute future discussion avec la Bolivie concernant les ressources en eau partagées.
2. La position de la Bolivie est encore plus affaiblie dans la duplique
1.13. Dans sa duplique sur les demandes reconventionnelles, datée du 15 mai 2019, la Bolivie
continue d’affirmer que le droit international coutumier relatif à l’utilisation des cours d’eau
transfrontières s’applique «uniquement au débit et au volume de l’eau du Silala qui s’écoule
naturellement à travers [s]a frontière» avec le Chili21. Toutefois, elle ne fait plus référence aux
décisions judiciaires et à la pratique des Etats citées dans le contre-mémoire, dont la pertinence a été
irréfutablement contestée par le Chili dans sa réplique, et elle ne tente pas non plus de répondre aux
arguments énoncés dans la réplique.
16 RC, par. 2.69-2.71.
17 Ibid., par. 1.17 et 3.1.
18 Ibid., par. 3.34.
19 Ibid., par. 3.9 et 3.47. Voir DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du
Silala, 2018 (ci-après «rapport du DHI (2018)»). CMB, vol. 2, annexe 17, p. 267.
20 DB, par. 7. Voir aussi DB, p. 1, intertitre 1.A, qui mentionne à tort un «changement de position» de la part du
Chili sur ce point.
21 Ibid., par. 70.
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1.14. En revanche, la Bolivie soutient à présent qu’étant souveraine sur les chenaux situés sur
son territoire, elle l’est également sur l’«écoulement artificiel» qui serait généré par ladite
infrastructure22. Ce raisonnement est illogique car le régime juridique des cours d’eau transfrontières
ne suit pas la doctrine de la souveraineté territoriale invoquée par la Bolivie. En outre, les quelques
décisions judiciaires — principalement nationales — citées par la Bolivie dans ce contexte soit n’ont
pas de rapport avec le droit des cours d’eau transfrontières, soit n’étayent pas la thèse bolivienne23.
1.15. Pour justifier sa prétention à des droits souverains sur le prétendu «écoulement artificiel»
généré par les chenaux construits sur son territoire, la Bolivie cherche aussi à tirer argument des
avantages qu’apporteraient lesdits chenaux au Chili24. Cependant, elle semble oublier que ces
avantages supposés, s’ils existent, n’ont pas été recherchés ni demandés par le Chili. Ils résultent
uniquement de ce que la Bolivie a autorisé la construction des chenaux en 1928 (selon les modalités
de la concession qu’elle a accordée en 1908 à une entreprise privée britannique), et de ce qu’elle a
décidé ensuite de ne pas les démanteler après avoir unilatéralement résilié la concession en 199725.
C’est là une autre raison pour laquelle sa position ne tient pas en droit international coutumier. Il
s’ensuit que la Bolivie n’a aucun argument valable et que les demandes reconventionnelles b) et c)
doivent être rejetées.
1.16. Bien que la Bolivie maintienne ses demandes reconventionnelles b) et c)26, elle laisse
entendre que celles-ci deviendront sans objet une fois qu’elle aura démantelé les chenaux situés sur
son territoire, comme il est proposé dans la demande reconventionnelle a)27. Elle semble penser en
outre qu’il sera alors inutile pour la Cour de se prononcer sur les demandes principales du Chili
concernant la nature et l’utilisation des eaux du Silala28. Il n’en est rien.
1.17. Le démantèlement des chenaux, accompagné ou non d’une restauration des zones
humides, sur le territoire de la Bolivie est fonction des actions (ou omissions passées) de cette
dernière. Pareilles actions (ou omissions) ne sauraient priver d’objet le désaccord de principe qui
oppose les Parties sur la qualification juridique de l’ensemble des eaux du Silala. En effet, le Chili
n’importunerait pas la Cour avec le présent différend maintenant que la Bolivie a admis que le
système du Silala est un cours d’eau international, si la défenderesse n’insistait pas sur l’existence
juridique d’un prétendu «écoulement artificiel» et ne revendiquait pas des droits souverains exclusifs
sur ledit écoulement, en contradiction avec les principes établis du droit international coutumier
applicables aux cours d’eau internationaux.
1.18. La Bolivie déclare également qu’elle est en droit de démanteler les ouvrages situés sur
son territoire «selon ses propres intérêts et en conformité avec les normes du droit international
coutumier régissant les cours d’eau transfrontières»29. Cela est exact et le Chili convient que la
Bolivie a le droit de décider si elle veut entretenir les chenaux et de quelle manière, pour autant
qu’elle respecte ses obligations en droit international, à savoir : i) notifier au Chili toutes mesures
22 DB, p. 38, intertitre 4.B.1.
23 Ibid., par. 72-77. Les sources citées sont abordées à la section 2.A de la pièce additionnelle du Chili (ci-après
«PAC»).
24 Ibid., par. 70 et 81-85.
25 Arrêté no 71/97 de la préfecture du département de Potosí (Bolivie), 14 mai 1997. MC, vol. 3, annexe 46.
26 DB, p. 56 (conclusions).
27 Ibid., par. 100.
28 Ibid., par. 103.
29 Ibid., par. 84.
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projetées et le consulter à ce sujet et ii) ne pas causer de dommages importants au Chili en tant qu’Etat
riverain d’aval.
1.19. La Bolivie semble être principalement préoccupée, s’agissant de sa demande
reconventionnelle a), par le fait que, si le Chili affirme par principe qu’il «est en droit d’utiliser
comme il le fait actuellement les eaux du Silala»30, cela implique que ses propres droits «de
démanteler l’infrastructure artificielle pourraient être restreints si les mesures prises à cette fin
avaient pour conséquence de réduire le régime d’écoulement actuel au point que le Chili ne pourrait
plus utiliser les eaux comme il le fait actuellement»31. La Bolivie se méprend sur la position du Chili :
celui-ci dit seulement que les eaux du Silala qu’il utilise actuellement, ainsi que les utilisations
elles-mêmes, sont conformes au droit international, c’est-à-dire qu’elles satisfont au critère de
l’utilisation équitable et raisonnable vis-à-vis de la Bolivie. De fait, la Bolivie n’a pas dit le
contraire32.
1.20. Par conséquent, une réduction (si tant est qu’elle se produit) de l’écoulement de surface
transfrontière résultant du démantèlement des chenaux en Bolivie n’emporterait pas violation du
droit international coutumier sauf si les obligations que la Bolivie a acceptées étaient mises en cause
d’une manière ou d’une autre33. De même, la contamination non anthropique des eaux du Silala par
des larves d’insectes se reproduisant dans les zones humides ne serait pas non plus considérée comme
une violation des principes susmentionnés34.
1.21. Le Chili considère que la souveraineté de la Bolivie sur les chenaux situés sur son
territoire n’est pas contestée et qu’il n’y a aucun différend en lien avec la demande
reconventionnelle a). C’est pourquoi il a prié la Cour de se déclarer incompétente à l’égard de cette
demande35. A titre subsidiaire, le Chili prie la Cour de dire que la demande reconventionnelle a) est
30 DB, par. 33, citant MC, conclusion c).
31 Ibid., par. 34.
32 Voir ibid., par. 23, où la Bolivie reconnaît que les eaux ont été utilisées par le Chili jusqu’à présent et qu’ellemême
a le droit de les utiliser «pour autant qu’elle le fasse conformément au principe de l’utilisation équitable et
raisonnable».
33 Ibid., par. 20, où la Bolivie, citant RC, par. 1.3, dit que ces obligations supposent notamment «d’utiliser le Silala
de manière équitable et raisonnable, de prévenir les dommages importants, de coopérer, de notifier en temps utile les
mesures projetées susceptibles d’avoir un effet préjudiciable important, d’échanger des informations et données et, s’il y a
lieu, de conduire des évaluations de l’impact sur l’environnement».
34 Voir ibid., par. 43, où la Bolivie s’inquiète des conséquences sanitaires que pourrait avoir le démantèlement des
chenaux.
35 En réponse à la Bolivie qui affirme que la demande reconventionnelle a) n’est pas sans objet car une décision de
la Cour «doit pouvoir affecter les droits ou obligations juridiques existants des parties, dissipant ainsi toute incertitude dans
leurs relations juridiques» (DB, p. 20, note de bas de page 65, citant Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 33-34), le Chili soutient qu’il n’y a pas d’incertitude juridique dès
lors que les deux Etats conviennent que la Bolivie détient la souveraineté sur son territoire et que ses actes à l’égard des
chenaux qui s’y trouvent sont soumis aux principes applicables du droit international coutumier.
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sans objet, ou rejetée pour autre motif, étant donné que la Bolivie ne saurait demander à la Cour de
prononcer un truisme, à savoir que la Bolivie détient la souveraineté sur son propre territoire36.
1.22. Pour ce qui est de l’incidence réelle des chenaux situés en Bolivie sur l’écoulement de
surface transfrontière, les lacunes dans la configuration du modèle du DHI ont été de nouveau
confirmées et plusieurs autres problèmes importants ont été repérés grâce à l’analyse, par les experts
du Chili, des données de modélisation, reçues tardivement le 7 février 201937, et des données
supplémentaires de modélisation ayant servi à l’analyse de sensibilité du DHI, demandées par le
Chili le 27 mai 2019 et transmises par la Bolivie le 17 juin 201938. Parmi les conclusions les plus
pertinentes, les experts du Chili confirment que différentes topographies ont été utilisées pour les
divers scénarios, avec dans certains cas des écarts allant jusqu’à 7 m de différence : «Cela représente
une différence de niveau de sol colossale, équivalant à une structure de la hauteur d’un immeuble à
deux étages sur toute la largeur de la vallée fluviale et s’étendant au moins sur 200 m le long de la
rivière.»39 C’est nettement plus que les variations dans la profondeur des chenaux et dans la
croissance de la tourbe, dont les scénarios modélisés étaient censés évaluer les effets40. De l’avis
éclairé des experts du Chili, l’exercice de modélisation du DHI en perd toute fiabilité et devient
trompeur. De fait, les experts du Chili sont stupéfaits des erreurs élémentaires commises par le DHI41.
B. Structure de la pièce additionnelle
1.23. La présente pièce additionnelle est structurée comme suit : au chapitre 2 est examinée,
et réfutée, la thèse de la Bolivie selon laquelle sa souveraineté sur les chenaux artificiels lui confère
la souveraineté sur l’«écoulement artificiel» qui serait généré par ces chenaux ; au chapitre 3, le Chili
traite des lacunes fondamentales observées dans la configuration du modèle du DHI, en intégrant
cette fois dans son analyse les données de modélisation transmises par la Bolivie le 7 février 2019
ainsi que les informations supplémentaires sur l’analyse de sensibilité qu’elle a communiquées sous
l’annexe 25 de sa duplique. Ces informations supplémentaires confirment la conclusion préalable du
Chili, à savoir que le pourcentage du prétendu écoulement «artificiellement amélioré» — pour autant
36 En réponse à la Bolivie qui affirme qu’une affaire n’est pas sans objet lorsque les concessions faites par une
partie ne permettent pas de régler le différend dans son intégralité (DB, p. 20, note de bas de page 65, renvoyant à l’Affaire
du thon à nageoire bleue entre l’Australie et le Japon et entre la Nouvelle-Zélande et le Japon, sentence sur la compétence
et la recevabilité, décision du 4 août 2000, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XXIII, p. 38,
par. 46), le Chili maintient que, dans le cas présent, les positions des deux Parties à l’égard de la première demande
reconventionnelle de la Bolivie sont telles qu’elles permettent de régler le différend (si tant est qu’il y en ait eu un) dans
son intégralité : le Chili convient que la Bolivie détient la souveraineté sur les chenaux situés sur son territoire et la Bolivie
reconnaît qu’elle doit respecter le droit international coutumier régissant les cours d’eau transfrontières si elle devait
démanteler ces chenaux (voir DB, par. 35 et 84).
37 Les données de modélisation du DHI ont été demandées par le Chili une première fois par lettre en date du
5 novembre 2018 (RC, vol. 2, annexe 99.1), puis de nouveau par lettres datées du 30 novembre 2018 (RC, vol. 2,
annexe 99.3) et du 21 décembre 2018 (RC, vol. 2, annexe 99.5). Elles ont finalement été transmises par la Bolivie par lettre
en date du 7 février 2019. RC, vol. 2, annexe 99.7. C’était trop tard pour que les experts du Chili en tiennent compte dans
la réplique et le Chili s’est réservé le droit d’y faire référence à un stade ultérieur, voir RC, par. 3.4.
38 Note from the Agent of the Republic of Chile to the Agent of the Plurinational State of Bolivia of 27 May 2019.
PAC, vol. 2, annexe 100.1. Note from the Agent of the Plurinational State of Bolivia to the Agent of the Republic of Chile
of 17 June 2019. PAC, vol. 2, annexe 100.2.
39 Muñoz et al., Assessment of the Silala River Basin Hydrological Models Developed by DHI, 2019 (ci-après
«Muñoz et al. (2019)»), p. 33. PAC, vol. 2, annexe XV.
40 H. S. Wheater et D. W. Peach, Incidences de la chenalisation du Silala en Bolivie sur l’hydrologie de son bassin
hydrographique – Une analyse actualisée, août 2019 (ci-après «Wheater et Peach (2019b)»), p. 8 et 63. PAC, vol. 1, rapport
d’experts.
41 Wheater et Peach (2019b), p. 40.
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que cet écoulement existe — est largement surévalué et résulte d’un modèle hydrologique
fondamentalement vicié.
1.24. Cette pièce additionnelle est étayée par un rapport d’expert établi par
MM. Howard Wheater et Denis Peach, lequel s’appuie lui-même sur deux études du système
hydrographique du Silala jointes en annexe.
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CHAPITRE 2
LA PRÉTENTION DE LA BOLIVIE À DES DROITS SOUVERAINS SUR L’ÉCOULEMENT
«ARTIFICIELLEMENT AMÉLIORÉ» DU SILALA N’A AUCUN FONDEMENT
EN DROIT INTERNATIONAL
2.1. Dans sa réplique, le Chili a consacré un chapitre aux «prétentions de la Bolivie s’agissant
de l’écoulement «artificiellement amélioré» du Silala [qui] ne trouvent aucun appui dans le droit
international et ne tiennent pas compte des faits historiques essentiels»42. Dans sa duplique, la Bolivie
ne réfute ni même ne conteste les arguments avancés par le Chili. Néanmoins, elle continue de
s’accrocher à la distinction qu’elle a inventée entre écoulements «naturels» et «artificiels».
Manifestement, la Bolivie agit ainsi car elle veut s’en tenir à sa thèse d’une souveraineté qui lui
reviendrait, au sens de propriété, sur ce qu’elle appelle l’écoulement «artificiellement amélioré» du
Silala, généré par l’infrastructure installée par l’Antofagasta (Chili) and Bolivia Railway Company
(FCAB), une compagnie britannique, à la fin des années 1920, en vertu d’une autorisation
qu’elle-même a délivrée43.
2.2. Dans la section 2.A ci-après, le Chili répond au sujet de cette thèse indéfendable, selon
laquelle la souveraineté sur les chenaux situés en territoire bolivien conférerait à la Bolivie la
souveraineté sur les eaux supposément générées par ces chenaux, en examinant la jurisprudence sur
laquelle s’appuie la défenderesse. Dans la section 2.B, il rappellera les faits historiques essentiels liés
à la construction des chenaux, que la Bolivie a choisi d’ignorer jusqu’ici, et montrera qu’il n’est pas
plausible que la Bolivie, par ses seuls actes unilatéraux, ait créé des droits juridiquement opposables
au Chili.
A. La thèse actuelle de la Bolivie, selon laquelle la souveraineté sur les ouvrages hydrauliques
situés sur son territoire crée des droits souverains sur le prétendu écoulement
«artificiellement amélioré» du Silala, est infondée
2.3. Avant d’examiner si les prétentions de la Bolivie sont fondées en droit, il convient de
souligner que l’«amélioration» artificielle (si elle existe) de l’écoulement de surface du Silala
résulterait, non pas d’un apport en eau acheminé par la Bolivie (ou qui que ce soit d’autre) de
l’extérieur du bassin versant naturel du Silala (l’eau dite «valorisée»), mais d’une légère
augmentation de l’eau souterraine qui se joint à l’eau de surface dans le lit de la rivière. Comme le
Chili l’a déjà montré44, et comme les experts du DHI mandatés par la Bolivie en conviennent45, les
eaux souterraines s’écouleraient de toute façon dans l’aquifère jusqu’au Chili. Partant,
l’«amélioration» est fictive : l’écoulement de surface est peut-être légèrement accru, mais le volume
total d’eau qui atteint le Chili reste en définitive sensiblement le même.
1. La souveraineté territoriale n’implique pas la propriété sur une ressource naturelle
partagée
2.4. Dans sa duplique, la Bolivie persiste à prétendre qu’étant «souveraine à l’égard de
l’infrastructure artificielle se trouvant sur son territoire, [elle] l’est également sur l’écoulement
42 RC, chap. 2, par. 2.1-2.78.
43 Pour l’histoire des chenaux de 1928, voir MC, par. 4.61, et RC, par. 2.61-2.64. Pour l’autorisation donnée par la
Bolivie pour la construction des chenaux, voir RC, par. 2.69-2.71, ainsi que la section 2.B ci-après.
44 H. S. Wheater et D. W. Peach, Incidences de la chenalisation du Silala en Bolivie sur l’hydrologie de son bassin
hydrographique, January 2019 (ci-après «Wheater et Peach (2019a)»). RC, vol. 1, p. 57-58.
45 Rapport du DHI (2018). CMB, vol. 5, p. 84 : «les gradients hydrauliques des eaux souterraines et les propriétés
hydrogéologiques traduisent clairement la présence d’un écoulement souterrain qui circule de la Bolivie au Chili».
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artificiel généré par ladite infrastructure»46. Nul besoin de réfléchir longtemps pour voir que cela ne
saurait être le cas47.
2.5. Aucune partie de l’eau contenue dans le système hydrographique du Silala n’a été
acheminée par la Bolivie à partir de sources extérieures. Toute l’eau est générée naturellement dans
les bassins versants, souterrain et topographique, du Silala. Le fait que l’eau s’écoule à travers
l’infrastructure située en Bolivie, et installée avec l’autorisation de cette dernière, ne change rien au
fait qu’il s’agit de l’eau du Silala. Elle n’a rien d’«artificiel».
2.6. Comme le reconnaît la Bolivie, le Chili a depuis le début accepté qu’elle détenait la
propriété de l’infrastructure située sur son territoire48, suivant le principe fondamental de la
souveraineté territoriale. L’infrastructure est fixe et fait partie du territoire de la Bolivie. Certains
systèmes juridiques nationaux la qualifieraient d’«installation fixe» ou d’ensemble d’installations
fixes — à l’instar d’immeubles qui font partie d’un terrain et sont transmis à l’acheteur à la vente de
celui-ci49. Tout comme pour l’infrastructure de la Bolivie, on ne saurait dire qu’ils sont partagés avec
un voisin.
2.7. Cependant, il ne s’ensuit pas qu’un cours d’eau international qui traverse l’infrastructure,
construite avec l’autorisation de la Bolivie et sur laquelle cette dernière est souveraine, partage le
caractère souverain de ladite infrastructure. La souveraineté sur les ouvrages hydrauliques n’est pas
«transmise» de quelque manière aux eaux que ceux-ci charrient. Cette nouvelle théorie n’est pas
reconnue en droit international et, de surcroît, elle constituerait une proposition dangereuse et
préjudiciable, étant donné que la quasi-totalité des grands cours d’eau internationaux dans le monde
ont subi une forme d’intervention anthropique50. Plus généralement, comme le Chili l’a démontré51,
un Etat ne peut, par définition, avoir une souveraineté exclusive sur ce qu’il partage avec un autre
Etat52. En l’occurrence, ce sont les eaux du système hydrographique du Silala qui sont partagées. Ces
eaux comprennent celles qui traversent le système de chenaux construits par la FCAB à la fin des
années 1920. La Bolivie n’en acquiert pas pour autant à leur égard la souveraineté qu’elle aurait sur
ce qui lui appartient.
46 DB, p. 38, 4.B.1.
47 Le Chili traite cet argument de la Bolivie dans la réplique. RC, par. 2.26-2.39.
48 DB, par. 71.
49 Voir, par exemple, Michael Allan Wolf, 8 Powell on Real Property section 57.04 (Matthew Bender, 17 vols.,
updated quarterly; ISBN: 9780820515502).
50 Les exemples ne manquent pas, dans toutes les régions du monde : il existe ainsi des barrages et d’autres ouvrages
sur le Nil bleu (Afrique), le Colorado (Amérique du Nord), le Paraná (Amérique du Sud), le Mékong (Asie), le Rhin (Europe
occidentale) et le Danube (Europe orientale).
51 RC, par. 2.26-2.39.
52 La doctrine a parfois parlé du concept de «souveraineté territoriale limitée» pour décrire les droits d’un Etat sur
des ressources en eau douce partagées. Voir, par exemple, F. J. Berber, Rivers in International Law, p. 25 et suiv., Stevens
& Sons, London (1959) ; L. Caflisch, Règles générales du droit des cours d’eau internationaux, Académie de droit
international de La Haye, Recueil des cours (1989-VII), vol. 219, p. 55 et suiv. (1992) ; et J. Lipper, Equitable Utilization,
in A. Garretson, R. Hayton & C. Olmstead, eds., The Law of International Drainage Basins, p. 23 et suiv., Oceana, Dobbs
Ferry, N.Y. (1967). La souveraineté d’un Etat sur son territoire est dite «limitée» par l’obligation de ne pas utiliser ce
territoire d’une manière qui soit préjudiciable à d’autres Etats. Ce principe a été reconnu dans l’arbitrage relatif à la fonderie
de Trail (Trail Smelter case (United States, Canada), 16 avril 1938 et 11 mars 1941, Nations Unies, RSA, 1941, vol. III,
p. 1965, cité par le tribunal dans l’arbitrage relatif à Indus Waters Kishenganga Arbitration (Pakistan v. India), Cour
permanente d’arbitrage, sentence partielle, 18 février 2013, par. 449.
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2.8. Comme le Chili l’a fait observer dans la réplique53, l’affaire relative à l’Oder54 donne de
précieuses indications concernant la validité des demandes revendiquant la souveraineté exclusive
sur les eaux d’un cours d’eau international qui, à un moment donné, se situent intégralement sur le
territoire d’un Etat. Il convient de rappeler que, dans cette affaire, malgré la souveraineté territoriale
de la Pologne sur des portions du cours d’eau international en cause, la Cour permanente a conclu
que l’utilisation de ce dernier n’était pas régie par la règle de la souveraineté territoriale mais par le
principe d’une «communauté d’intérêts des Etats riverains»55. La Cour permanente a expliqué ce qui
suit : «[c]ette communauté d’intérêts … devient la base d’une communauté de droit, dont les traits
essentiels sont la parfaite égalité de tous les Etats riverains dans l’usage de tout le parcours du fleuve
et l’exclusion de tout privilège d’un riverain quelconque par rapport aux autres»56. L’affaire relative
à l’Oder portait certes sur la navigation, mais la Cour de céans a appliqué ce même principe de la
communauté d’intérêt aux utilisations des cours d’eau à des fins autres que la navigation dans
l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros57.
2.9. La «parfaite égalité» des Etats riverains dans la communauté d’intérêt signifie que chaque
Etat jouit d’une égalité de droit vis-à-vis des autres dans l’utilisation du cours d’eau partagé. Ce
principe est au coeur des dispositions de la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours
d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, adoptée par l’Organisation des Nations Unies
en 1997 (ci-après la «convention»)58, en particulier la règle qui veut que l’attribution des droit des
Etats riverains à l’utilisation d’un cours d’eau international soit subordonnée à une utilisation
équitable et raisonnable et à l’obligation de ne pas causer de dommages importants.
2.10. Le principe de l’utilisation équitable et raisonnable exige que tous les facteurs pertinents
soient pris en considération, notamment les facteurs géographiques et hydrologiques liés à la
souveraineté territoriale des Etats riverains sur les portions du cours d’eau situées sur leur territoire.
L’article 6 de la convention dresse une liste non exhaustive des facteurs pertinents, et dispose
qu’aucun facteur ne prime les autres.
2.11. L’égalité de droit et le principe associé de l’utilisation équitable et raisonnable
empêchent donc la Bolivie de revendiquer la souveraineté territoriale sur les eaux du Silala, que
celles-ci aient été ou non «améliorées» par l’infrastructure. Tout comme la Pologne ne pouvait tirer
davantage de droits sur les affluents de l’Oder du fait que ceux-ci avaient leur origine sur son
53 RC, par. 2.3
54 Affaire relative à la Juridiction territoriale de la Commission internationale de l’Oder (Allemagne, Danemark,
France, Grande-Bretagne, Suède, Tchécoslovaquie/Pologne), 1929, C.P.J.I. série A no 23 (10 septembre), p. 5-46.
55 Ibid., p. 27.
56 Ibid.
57 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 56, par. 85. La Cour a dit ce
qui suit :
«Le développement moderne du droit international a renforcé ce principe également pour les
utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, comme en témoigne
l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies, le 21 mai 1997, de la convention sur le droit relatif
aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation».
Voir aussi Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires,
ordonnance du 13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006, p. 122, par. 39, et p. 130, par. 64, et Apurement des comptes entre le
Royaume des Pays-Bas et la République française en application du protocole du 25 septembre 1991 additionnel à la
convention relative à la protection du Rhin contre la pollution par les chlorures du 3 décembre 1976 Pays-Bas/France),
Cour permanente d’arbitrage, sentence arbitrale du 12 mai 2014, par. 97.
58 Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation,
signée à New York le 21 mai 1997, doc. A/RES/51/229 (1997). MC, vol. 2, annexe 5.
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territoire et y coulaient sur une grande distance, la Bolivie n’a pas de «privilège» sur les eaux du
Silala du fait que celles-ci naissent sur son territoire et y coulent sur une distance relativement courte.
2.12. Le fait que l’écoulement «artificiellement amélioré» du Silala, pour reprendre les termes
employés par la Bolivie, se compose des eaux du Silala, et non d’eaux qui seraient importées d’une
quelconque manière, conjugué aux règles de droit régissant les cours d’eau internationaux telles que
confirmées par la Cour, empêche nécessairement la Bolivie d’affirmer sa souveraineté, au sens d’un
droit de contrôle exclusif, sur une quelconque portion des eaux du Silala.
2. Les précédents cités par la Bolivie dans ce contexte soit n’ont pas de rapport avec la présente
affaire, soit n’étayent pas la thèse bolivienne
2.13. Dans sa duplique, la Bolivie tente de renforcer ses arguments en faveur de la souveraineté
qu’elle revendique sur ce qu’elle appelle l’écoulement de surface «artificiellement amélioré» du
Silala en citant diverses décisions de justice. A l’instar de ceux qu’elle a cités dans son
contre-mémoire, ces précédents ne lui sont d’aucune aide car soit ils n’ont pas de rapport avec la
présente affaire, soit ils n’étayent pas sa thèse.
2.14. Pour tenter de convaincre la Cour qu’un Etat riverain peut prétendre à la propriété des
eaux «artificiellement améliorées» d’un cours d’eau international, la Bolivie s’appuie sur deux
décisions de juridictions de l’Etat de Californie (Etats-Unis d’Amérique), l’une rendue par une cour
d’appel en 201259 et l’autre par la Cour suprême en 190860.
2.15. La première affaire concernait des eaux pluviales conservées dans un réservoir. La cour
d’appel a qualifié cette eau stockée d’eau «récupérée», ce qui, selon la législation californienne,
s’entend de «l’eau qui échappe aux pertes, comme celle des crues hivernales qui sont endiguées et
conservées dans un réservoir»61. Conformément à cette législation, l’eau récupérée appartient à la
partie qui l’a créée. La présente instance ne porte pas sur des eaux pluviales ou toute autre forme
d’eau échappant aux pertes grâce à leur conservation dans un réservoir. Elle ne concerne pas de
l’«eau récupérée» au sens où l’entendent la législation et les juridictions californiennes. Par
conséquent, cette affaire ne présente aucun intérêt en l’espèce et n’est d’aucune aide à la Bolivie.
2.16. La seconde affaire concernait également de l’eau «récupérée» ou «préservée». La Cour
suprême de Californie a rappelé le principe selon lequel, dans la législation californienne, un usager
en aval, tant qu’il reçoit le volume d’eau auquel il a droit, ne peut se plaindre de ce qu’un usager en
amont a augmenté son propre volume en récupérant l’eau ou en la valorisant62. Cette affaire n’est
également d’aucune aide à la Bolivie. Une fois encore, il n’est pas question dans la présente instance
d’eau «récupérée» ou «valorisée».
2.17. Le problème le plus fondamental de ces décisions judiciaires nationales sur lesquelles
s’appuie la Bolivie est que le droit international ne reconnaît pas les concepts d’eau «récupérée» ou
«valorisée». Il s’agit d’expressions du droit interne qui non seulement décrivent la manière dont l’eau
est recueillie par une partie, mais s’accompagnent aussi de règles de droit sur l’allocation des droits
59 City of Santa Maria et al. v. Adam et al., cour d’appel, sixième district, Californie, 211 Cal. App. 4th 266,
149 Cal. Rptr. 3d 491 (2012).
60 Pomona etc. Co. v. San Antonio etc. Co., Cour suprême de Californie, 152 Cal. 618 (1908).
61 DB, par. 74.
62 Ibid., par. 75.
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d’usage de l’eau et la conciliation d’utilisations concurrentes entre les usagers. Ces règles de droit
interne ne suivent pas nécessairement le principe de l’utilisation équitable et raisonnable applicable
aux Etats riverains en droit international. Partant, le principe établi dans l’affaire jugée en Californie
en 1908, à savoir qu’une partie en aval ne peut se plaindre tant qu’elle reçoit le volume prédéterminé
auquel elle a droit, est sans rapport avec les droits dont jouissent les co-riverains d’un cours d’eau
international en vertu du droit international coutumier.
2.18. Des décisions nationales rendues dans des affaires portant sur des situations factuelles
similaires peuvent éclairer les implications que peuvent avoir des revendications visant, comme
celles que formule la Bolivie maintenant, à soustraire à un régime juridique établi une partie de
l’écoulement d’une rivière. Sur ce point, un précédent de droit interne plus pertinent, en sus de celui
qui est examiné dans la réplique du Chili63, est l’affaire Southeastern Colorado Water Conservancy
District v. Shelton Farms, Inc., jugée en 1974 par la Cour suprême du Colorado (Etats-Unis
d’Amérique) en formation plénière64. Dans cette instance, le propriétaire d’un terrain situé en amont,
M. Shelton, avait arraché des phréatophytes (des plantes puisant de l’eau) poussant le long de la
rivière et ainsi rempli une zone marécageuse. Il affirmait «avoir sauvé près de 442 acres-pieds
[545 198 mètres cube] d’eau par an, qui étaient précédemment consommés par les phréatophytes ou
perdus par évaporation, et donc non disponibles pour une utilisation profitable [et demandait] à ce
que l’eau ainsi récupérée vienne augmenter ses droits d’usage de l’eau»65.
2.19. La Cour suprême du Colorado a refusé d’accorder à M. Shelton un quelconque droit sur
cette eau, expliquant que, «dans cette situation, une initiative personnelle non contrôlée consistant à
se servir d’une source en eau précédemment inexploitée aboutirait à un terrain dénudé», étant donné
qu’un tel droit pourrait inciter à arracher les arbres et les autres plantes poussant sur les berges66.
Pareille initiative personnelle pourrait également consister à installer des chenaux ou des canaux
revêtus afin d’améliorer les approvisionnements en eau existants. A l’instar du retrait des
phréatophytes, cela pourrait, selon les termes de la cour, «créer une superclasse de droits d’usage de
l’eau n’ayant encore jamais existé»67.
2.20. La Bolivie renvoie aussi à la directive-cadre de l’Union européenne pour la gestion de
l’eau, adoptée en 200068. Le Chili ne comprend pas bien en quoi cet instrument peut aider la Bolivie
ou la Cour. La défenderesse cite les définitions de deux termes («masse d’eau artificielle» et «masse
d’eau fortement modifiée»), dont aucun ne semble s’appliquer au Silala : ce dernier n’est pas une
«masse d’eau de surface créée par l’activité humaine» et donc pas non plus une «masse d’eau
artificielle» ; il n’est pas davantage «une masse d’eau de surface qui, par suite d’altérations physiques
dues à l’activité humaine, est fondamentalement modifiée quant à son caractère», et donc pas non
plus une «masse d’eau fortement modifiée». Quand bien même le Silala entrerait dans l’une de ces
63 Il s’agit de l’affaire R.J.A., Inc. v. The Water Users Association of District No. 6 et al., Cour suprême du Colorado,
10 septembre 1984, 690 P.2d 823 (1984), examinée dans RC, par. 2.8-2.9. Comme l’a expliqué le Chili, l’affaire portait
sur des faits semblables à ceux de l’espèce.
64 Southeastern Colorado Water Conservancy District v. Shelton Farms, Inc., 187 Colo. 181, 529 P.2d 1321 (1975).
Cette affaire est citée à la note de bas de page 34 de RC, p. 8.
65 Ibid., p. 184.
66 Ibid., p. 191. La Cour suprême du Colorado a déclaré de façon mémorable que, si Shelton obtenait gain de cause,
«l’utilisation d’une scie électrique ou d’un bulldozer créerait un meilleur droit d’usage de l’eau que la première
chenalisation». Ibid., p. 191. (La «première chenalisation» renvoie à la doctrine de l’appropriation préalable appliquée au
Colorado, selon laquelle «le premier dans le temps est le premier en droit».)
67 Ibid., p. 190. La Cour suprême du Colorado a relevé la difficulté technique de déterminer le volume d’eau
récupérée, ou préservée, grâce aux interventions des usagers en amont. Cette question se poserait aussi dans la présente
affaire si la Bolivie laissait en place l’infrastructure installée par la FCAB.
68 DB, par. 76.
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définitions, la directive-cadre de l’Union européenne, si elle s’appliquait, quod non, ne contient
aucune règle qui pourrait fournir des orientations en l’espèce. Si l’importance de cet instrument
régional dans le domaine de la gestion de l’eau ne fait aucun doute, la directive-cadre de l’Union
européenne n’est cependant pas pertinente pour la présente affaire.
3. La prétention de la Bolivie à des droits souverains sur l’écoulement «artificiellement
amélioré» du Silala va à l’encontre des principes consacrés dans la convention sur le droit
relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation
2.21. Il est considéré que la convention reflète en grande partie les règles du droit international
coutumier, et la Bolivie a accepté dans ses écritures le caractère coutumier des obligations
fondamentales énoncées dans cet instrument69. La plus importante de ces obligations est celle de
l’utilisation équitable et raisonnable, énoncée à l’article 5. La Cour en a confirmé le caractère
fondamental, quatre mois après la conclusion de la convention, dans l’arrêt qu’elle a rendu en
l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros70, dans lequel elle a fait mention du «droit
fondamental [d’un Etat] à une part équitable et raisonnable des ressources d’un cours d’eau
international»71. Dans cette affaire, la Cour a également dit que la convention reflétait le
développement moderne du droit international qui a renforcé le principe de la communauté d’intérêts
pour les utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation72.
2.22. La revendication d’une souveraineté sur des ressources en eau douce partagées, comme
le Silala, au sens de droits de propriété, est contraire aux principes consacrés dans la convention et,
de fait, à tout ce que cet instrument — et, partant, les règles correspondantes du droit international
coutumier — entend protéger. Il est impossible de concilier le concept d’une communauté d’intérêts
avec des revendications de souveraineté exclusive sur ce qui fonde l’existence même de cette
communauté.
2.23. La seule occurrence d’un terme associé à la souveraineté dans la convention se trouve à
l’article 8, relatif à l’obligation générale de coopérer, qui dispose ce qui suit en son paragraphe
premier : «Les Etats du cours d’eau coopèrent sur la base de l’égalité souveraine, de l’intégrité
territoriale, de l’avantage mutuel et de la bonne foi en vue de parvenir à l’utilisation optimale et à la
protection adéquate du cours d’eau international.»73 Aussi l’égalité «souveraine» est-elle une base
de coopération, et non une base permettant à un Etat de faire comme bon lui semble.
2.24. L’écoulement «artificiellement amélioré» à l’égard duquel la Bolivie se prétend
souveraine n’est que l’eau du Silala. Celle-ci forme le système hydrographique du Silala et en fait
partie. Elle n’a pas été acheminée par la Bolivie de l’extérieur du bassin et elle ne comprend même
pas l’eau récupérée des précipitations, comme c’était le cas dans les affaires de droit interne citées
par la Bolivie. C’est l’eau du Silala, même si elle traverse l’infrastructure qui, selon la Bolivie,
maximise l’écoulement de surface. En tant que telle, elle est régie par les règles du droit international
coutumier reflétées dans la convention.
69 On peut l’inférer des références répétées de la Bolivie à la convention et aux travaux préparatoires, dès le contremémoire.
Voir CMB, chapitre 3, p. 57 et suiv.
70 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 7.
71 Ibid., p. 54, par. 78.
72 Ibid., p. 56, par. 85.
73 Convention, art. 8 1). MC, vol. 2, annexe 5.
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21
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2.25. Dans la duplique, la Bolivie s’étonne que le Chili invoque l’article 25 de la convention,
intitulé «Régulation»74. Le Chili a expliqué dans sa réplique que la régulation des cours d’eau au sens
de l’article 2575 était une pratique très courante, et que de nombreuses formes de régulation pouvaient
avoir pour effet d’optimiser les écoulements de surface — à l’aide de chenaux revêtus ou de chenaux
de rectification, par le renforcement des berges ou au moyen de tout autre ouvrage de ce type. Or,
jamais de tels ouvrages n’ont donné lieu, pour autant que le Chili le sache, à des revendications de
souveraineté sur les écoulements ainsi optimisés.
2.26. Selon la Bolivie, le Chili «ne cherche pas à expliquer en quoi [l’article 25] s’appliquerait
à des Etats qui ne sont pas parties à [la] convention»76. Outre qu’il est admis que les dispositions
pertinentes de la convention consacrent les règles fondamentales du droit international régissant
l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, ce que la Bolivie a
reconnu dans ses écritures77, l’objectif du Chili par cette référence n’était pas tant de rappeler que
l’article 25 reflète une règle de droit que de signaler une pratique générale et systématique consistant
à installer sur les cours d’eau internationaux des infrastructures qui peuvent avoir pour effet d’en
augmenter le débit.
2.27. La Bolivie maintient ensuite que l’article 25 «n’a jamais concerné l’augmentation en
volume du débit d’un cours d’eau au moyen d’ouvrages artificiels, mais seulement son augmentation
en efficacité et en qualité»78. Or, la définition du terme «régulation» donnée dans la convention peut
largement inclure l’augmentation du débit au moyen d’ouvrages artificiels. Le paragraphe 3 de
l’article 25 dispose que le terme «régulation» s’entend en effet de «l’utilisation d’ouvrages
hydrauliques ou de toute autre mesure employée de façon continue pour modifier, faire varier ou
contrôler d’une autre manière le débit des eaux d’un cours d’eau international». Augmenter le débit
peut assurément être une manière de le faire varier.
2.28. De fait, il ressort clairement des travaux préparatoires de la convention que la
Commission du droit international (CDI), lorsqu’elle a rédigé l’article 25, a notamment tenu compte
des neuf articles sur la régulation du débit des cours d’eau internationaux adoptés par l’Association
de droit international (ADI) en 198079. Selon ces articles, le terme «régulation» s’entend des
«mesures de caractère continu visant à contrôler, à modérer, à accroître ou à modifier de toute autre
manière le débit des eaux d’un cours d’eau international, à quelques fins que ce soit» (les italiques
74 DB, par. 72. Le Chili renvoie à l’article 25 de la convention dans RC, par. 2.7.
75 Selon l’article 25, le terme «régulation» s’entend de «l’utilisation d’ouvrages hydrauliques ou de toute autre
mesure employée de façon continue pour modifier, faire varier ou contrôler d’une autre manière le débit des eaux d’un
cours d’eau international». Convention, art. 25, par. 3. MC, vol. 2, annexe 5.
76 DB, par. 72.
77 Voir CMB, par. 133, où la Bolivie reconnaît qu’elle est liée par les dispositions de la convention qui reflètent le
droit international coutumier.
78 DB, par. 72.
79 Les articles de l’ADI sont mentionnés dans le commentaire de la CDI sur la convention, Annuaire de la
Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 134, note de bas de page 393. Il y est renvoyé au
cinquième rapport du rapporteur spécial, dans lequel les articles de l’ADI sont repris dans leur intégralité.
Stephen C. McCaffrey, Fifth Report on the Law of the Non-Navigational Uses of International Watercourses, 1989
Yearbook of International Law, vol. II, première partie, p. 137 (ci-après «cinquième rapport»). Il ressort clairement des
travaux préparatoires de la convention que la CDI a été guidée par les travaux de l’ADI, en particulier les règles d’Helsinki
sur l’utilisation des eaux des fleuves internationaux, ILA, Report of the Fifty-Second Conference, Helsinki, 1966, p. 484,
ILA, London, 1966.
22
- 15 -
sont de nous)80. Rien dans le commentaire de l’article 25 n’indique que la CDI ait été en désaccord
avec cette définition.
2.29. Ainsi, rien ne prouve donc que la CDI ou la conférence diplomatique qui a négocié la
convention sur la base des articles de cette dernière81 entendaient a) exclure du concept de
«régulation» les débits accrus résultant d’ouvrages régulateurs ou b) accepter que l’Etat sur le
territoire duquel se trouvent des ouvrages régulateurs détienne la souveraineté sur tout débit accru.
Cela confirme que l’augmentation de débit n’est pas exclue des prévisions de l’article 25 de la
convention.
2.30. En outre, l’argument de la Bolivie, à savoir que l’article 25 viserait «seulement
[l’]augmentation en efficacité et en qualité» du volume d’un cours d’eau au moyen d’ouvrages
artificiels, et non son «augmentation en volume … au moyen d’ouvrages artificiels»82, s’effondre de
lui-même puisqu’une meilleure efficacité aura généralement pour effet d’accroître le volume.
2.31. L’efficacité comme élément d’une utilisation équitable est déjà envisagée à l’article 6 de
la convention, qui dispose, en son alinéa f), que «[l]a conservation … et l’économie dans l’utilisation
des ressources en eau du cours d’eau» sont des facteurs pertinents d’une telle utilisation. Cela est
particulièrement justifié dans le cas de milieux arides, comme celui du Silala, qui est situé dans l’une
des régions les plus sèches de la planète. Une utilisation plus efficace permet aux riverains d’avoir
plus d’eau. Mais, contrairement à ce qu’affirme la Bolivie, un Etat qui met en oeuvre des méthodes
d’utilisation de l’eau plus efficaces n’acquiert pas de ce fait la propriété de l’excédent d’eau ainsi
généré.
2.32. En conséquence de ces règles du droit international, la Bolivie est tenue d’utiliser les
eaux du Silala de façon équitable et raisonnable. L’utilisation équitable et raisonnable ne saurait être
déterminée de manière unilatérale ou abstraite. Elle doit impliquer la prise en considération de tous
les facteurs pertinents par les Etats intéressés83, en vue d’aboutir à une solution juste, équilibrée et
raisonnable.
4. Le droit de démanteler les chenaux n’exempte pas la Bolivie de l’obligation que lui fait le
droit international coutumier de ne pas causer de dommages importants
2.33. Dans une section quelque peu décousue de la duplique, intitulée «Le droit de la Bolivie
de démanteler l’infrastructure artificielle et les considérations liées aux dommages importants»84, la
Bolivie s’engage à effectuer tous les travaux qu’elle pourrait entreprendre pour préserver les zones
humides sur son territoire, notamment le retrait éventuel des chenaux revêtus de pierre installés dans
les années 1920, dans le respect de ses obligations au regard du droit international : «[s]i elle voulait
démanteler l’infrastructure artificielle installée sur son territoire et rendre le Silala à son état naturel,
c’est-à-dire pré-artificiel, la Bolivie le ferait dans le respect de ses droits et obligations en droit
80 Cinquième rapport, p. 125.
81 A l’issue de ses travaux, la conférence a adopté des «déclarations d’accord», notamment celle qui suit : «Pendant
toute la durée de l’élaboration du projet de Convention, il a été fait mention des commentaires relatifs aux projets d’articles
que la Commission du droit international a formulés pour préciser le contenu des articles.» Doc. A/51/869, 11 avril 1997.
82 DB, par. 72.
83 Convention, art. 6. MC, vol. 2, annexe 5.
84 DB, p. 16, intertitre 3.B.2.
23
24
- 16 -
international et d’une manière qui ne causerait aucun dommage transfrontière important à
l’environnement»85.
2.34. Toutefois, après avoir reconnu son obligation de ne pas causer de dommages
transfrontières importants et s’être engagée à la respecter, la Bolivie précise que «c’est l’application
de cette [obligation] aux conditions particulières du Silala qui doit être clarifiée»86. Elle ajoute que
«[l]’obligation de ne pas causer de dommage important doit être définie dans le respect de la
proportionnalité, en étant mise en balance avec les droits de l’Etat qui agit de suivre son propre intérêt
et ses priorités, telles que le développement ou la protection et la restauration de l’environnement»87.
2.35. Ce que la Bolivie entend par là n’est pas très clair. Elle semble dire que l’obligation de
ne pas causer de dommages transfrontières importants doit être appréciée au regard des «droits de
l’Etat qui agit de suivre son propre intérêt et ses priorités, telles que le développement ou la protection
et la restauration de l’environnement»88. Prise littéralement, pareille interprétation pourrait faire
échec à l’obligation elle-même de «ne pas causer de dommages», puisqu’elle permettrait à un Etat
de s’acquitter de cette obligation uniquement dans la mesure où ses intérêts et ses priorités n’en
commandent pas autrement. Cela revient une fois encore, pour la Bolivie, à s’abriter derrière la
souveraineté et, de fait, à affirmer son droit souverain de faire avant tout ce qu’elle estime être dans
son intérêt, nonobstant les règles du droit international qui en disposent autrement.
2.36. La Bolivie cherche à étayer l’interprétation qu’elle fait de l’obligation de ne pas causer
de dommages en s’appuyant d’abord sur la sentence arbitrale rendue au sujet du barrage du
Kishenganga, puis sur l’arrêt de la Cour en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le
fleuve Uruguay.
2.37. Le Chili relève tout d’abord que ces affaires concernaient des traités et leur interprétation,
à savoir le traité sur les eaux de l’Indus de 196089 et le statut du fleuve Uruguay de 197590. Ces deux
traités prévoyaient la création de commissions conjointes représentant les Etats concernés et sont
connus pour être bien rédigés ainsi que, en particulier pour le traité sur les eaux de l’Indus, très
détaillés. Il convient donc de faire preuve de prudence en tirant des enseignements généraux de ces
affaires.
2.38. S’agissant de l’arbitrage du Kishenganga, la Bolivie s’y réfère pour essayer d’étayer son
propos sur la nécessité de mettre en balance l’obligation de ne pas causer de dommages et les intérêts
et priorités de l’Etat qui agit, dans le domaine du développement en particulier91. Selon elle, le
tribunal arbitral, dans l’affaire du Kishenganga, «a déclaré que «[l’]obligation d’éviter les effets
négatifs sur l’utilisation des eaux du Kishenganga/Neelum que [faisait] le Pakistan à des fins
agricoles et hydroélectriques ne [pouvait] toutefois pas priver l’Inde de son droit d’exploiter la
85 DB, par. 35.
86 Ibid.
87 Ibid., par. 36.
88 Ibid.
89 Traité de 1960 sur les eaux de l’Indus. Signé à Karachi, le 19 septembre 1960, entré en vigueur le 1er avril 1960,
Nations Unies, Recueil des traités, vol. 419, No. 6032, p. 125.
90 Statut du fleuve Uruguay, 26 février 1975, entré en vigueur le 18 septembre 1976, Nations Unies, Recueil des
traités, vol. 1295, No. 1-21425, p. 348.
91 DB, par. 36.
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- 17 -
[centrale hydroélectrique Kishenganga]»»92. Il est intéressant de noter que ce passage se trouve dans
une section de la sentence arbitrale consacrée à la préservation des écoulements en aval93.
2.39. Malheureusement, la Bolivie n’explique nullement en quoi le passage cité étaye sa thèse.
L’obligation et le droit qui y sont mentionnés ne procèdent pas du droit international coutumier mais
du traité sur les eaux de l’Indus, et plus précisément de l’alinéa iii) du paragraphe 15 de l’annexe D.
Pour reprendre les termes du tribunal arbitral, cette disposition «donne à l’Inde le droit de construire
et d’exploiter des ouvrages hydroélectriques impliquant des transferts entre affluents, mais l’oblige
à exploiter ces ouvrages de telle sorte qu’il ne soit pas porté atteinte aux utilisations que le Pakistan
a faites «jusqu’alors» à des fins agricoles ou pour la production d’énergie hydroélectrique»94. L’Inde
se trouve en amont du Kishenganga et le Pakistan, en aval. Ainsi, à supposer que cette sentence
arbitrale soit applicable au cas d’espèce, le passage cité servirait la cause du Chili, puisque celui-ci
serait dans la position du Pakistan alors que la Bolivie serait dans celle de l’Inde.
2.40. La Bolivie s’appuie ensuite sur l’affaire relative à des Usines de pâte à papier et invoque
l’article 27 du statut du fleuve Uruguay, le traité en cause dans cette instance95. Malheureusement,
elle semble avoir mal lu ledit article, puisqu’elle affirme que :
«l’article 27 … autorise les Etats parties à utiliser les eaux du fleuve à l’intérieur de leur
juridiction aux fins permises sans qu’ils aient l’obligation de se conformer à certaines
exigences procédurales imposées dans des dispositions antérieures du statut, même
«lorsque cette utilisation est suffisamment importante pour affecter le régime du fleuve
ou la qualité de ses eaux»»96.
2.41. L’article 27 dit en réalité ce qui suit :
«Le droit de chaque Partie d’utiliser les eaux du fleuve, à l’intérieur de sa
juridiction, à des fins ménagères, sanitaires, industrielles et agricoles, s’exerce sans
préjudice de l’application de la procédure prévue aux articles 7 à 12 lorsque cette
utilisation est suffisamment importante pour affecter le régime du fleuve ou la qualité
de ses eaux.»97
2.42. Par conséquent, contrairement à ce que la Bolivie laisse entendre, l’article 27 préserve
la procédure de notification à la commission établie par le traité. Il n’autorise pas les parties à utiliser
les eaux du fleuve Uruguay à l’intérieur de leur juridiction sans se conformer à la procédure de
notification.
2.43. En fait, c’est même le contraire, d’après la Cour :
«Quant à l’article 27, la Cour considère que son libellé reflète non seulement la
nécessité de concilier les intérêts variés des Etats riverains dans un contexte
92 DB, par. 36.
93 Indus Waters Kishenganga Arbitration (Pakistan v. India), Cour permanente d’arbitrage, sentence partielle,
18 février 2013, p. 168.
94 Ibid.
95 DB, par. 37.
96 Ibid.
97 Statut du fleuve Uruguay, article 27, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1295, No. 1-21425, p. 351.
27
- 18 -
transfrontière et, en particulier, dans l’utilisation d’une ressource naturelle partagée,
mais aussi celle de trouver un équilibre entre l’utilisation et la protection des eaux du
fleuve qui soit conforme à l’objectif de développement durable.»98
2.44. En outre, malgré la nature conventionnelle du droit d’usage dans cette affaire, la Cour a
explicité l’effet que produisait son interprétation de l’article 27, dans la phrase suivant celle citée par
la Bolivie : «La Cour tient à ajouter que l’utilisation en question ne pourrait être jugée équitable et
raisonnable s’il n’était pas tenu compte des intérêts de l’autre Etat riverain à l’égard de la ressource
partagée et de la protection environnementale de cette dernière.»99
2.45. L’on peut supposer que cela exclut la «mise en balance» que la Bolivie semble avoir à
l’esprit, qui signifierait que «les droits de l’Etat … de suivre son propre intérêt et ses priorités, telles
que le développement», puissent l’emporter sur son obligation de ne pas causer de dommages100.
2.46. La Cour a ensuite conclu comme suit au sujet de l’article 27 : «Aussi la Cour est-elle
d’avis que l’article 27 traduit ce lien étroit entre l’utilisation équitable et raisonnable d’une ressource
partagée et la nécessité de concilier le développement économique et la protection de
l’environnement qui est au coeur du développement durable.»101
2.47. Certes, la Bolivie cite la majeure partie de ce même passage102, mais, lu dans sa totalité,
celui-ci confirme en fait que l’article 27 est tout sauf la «carte blanche» que la Bolivie voudrait y
voir. Ainsi, si l’article 27 du statut du fleuve Uruguay étayait une thèse, ce serait en réalité celle du
Chili, puisqu’il exige que soient suivies les procédures habituelles de notification et de consultation
préalables lorsqu’une partie, en l’espèce la Bolivie, utilise les eaux d’une rivière, «à l’intérieur de sa
juridiction, à des fins ménagères, sanitaires, industrielles et agricoles»103.
2.48. Selon une interprétation plus indulgente de la «mise en balance» proposée par la Bolivie,
l’obligation de ne pas causer de dommages transfrontières pourrait s’appliquer non pas de manière
absolue, mais de telle sorte que l’«Etat qui agit» puisse suivre de façon raisonnable ses intérêts
légitimes. Si c’est là une autre manière de dire que l’obligation de ne pas causer de dommages relève
de la diligence requise, ce que la Cour a maintes fois rappelé104, le Chili est tout à fait d’accord.
2.49. Pourtant, la façon dont la Cour formule l’obligation semble beaucoup plus stricte que le
voudrait la Bolivie. Citant son arrêt relatif aux Usines de pâtes à papier, la Cour a déclaré, dans les
affaires jointes relatives à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière
98 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 74,
par. 177.
99 Ibid., par. 177.
100 DB, par. 36.
101 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 75,
par. 177.
102 DB, par. 37.
103 Statut du fleuve Uruguay, article 27, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1295, No. 1-21425, p. 351.
104 Voir, par exemple, Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt,
C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 55-56, par. 101, et p. 79, par. 197.
28
29
- 19 -
(Costa Rica c. Nicaragua) et à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan,
ce qui suit :
««[L]e principe de prévention, en tant que règle coutumière, trouve son origine
dans la diligence requise («due diligence») de l’Etat sur son territoire. Il s’agit de
«l’obligation, pour tout Etat, de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins d’actes
contraires aux droits d’autres Etats» (Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 22). En effet, l’Etat est tenu de mettre en oeuvre tous
les moyens à sa disposition pour éviter que les activités qui se déroulent sur son
territoire, ou sur tout espace relevant de sa juridiction, ne causent un préjudice sensible
à l’environnement d’un autre Etat.» (Arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 55-56,
par. 101.)»105
2.50. La Bolivie est donc tenue au regard du droit international coutumier «de mettre en oeuvre
tous les moyens à sa disposition» pour éviter que des activités en lien avec le Silala ne causent de
dommages importants au Chili. Il ne s’agit pas d’une obligation absolue de résultat, mais de diligence
requise. Toutefois, il est évident qu’un Etat ne saurait se soustraire à cette obligation en invoquant
«son propre intérêt et ses priorités, telles que le développement ou la protection et la restauration de
l’environnement»106, pour justifier qu’il cause des dommages importants.
2.51. La Bolivie conclut cette partie de sa duplique en déclarant que sa «décision … de retirer
les chenaux et systèmes de drainage artificiels, d’utiliser les eaux du Silala à des fins domestiques ou
économiques ou de prendre d’autres mesures touchant le Silala dans les limites de ses frontières
relève de ses droits souverains»107.
2.52. La décision d’agir de la sorte relève indéniablement des droits souverains de la Bolivie.
Cependant, comme nous l’avons vu, le pouvoir souverain de décision qui lui appartient à l’égard des
questions à l’intérieur de ses frontières ne dégage pas la Bolivie de sa responsabilité en cas de
manquement à l’obligation de ne pas causer de dommages transfrontières importants. En outre, ce
pouvoir souverain de décision ne soustrait pas la Bolivie à l’obligation qui ressort du constat fait par
la Cour, à savoir que l’utilisation que fait un Etat d’eaux partagées à l’intérieur de sa juridiction «ne
pourrait être jugée équitable et raisonnable s’il n’était pas tenu compte des intérêts de l’autre Etat
riverain à l’égard de la ressource partagée et de la protection environnementale de cette dernière»108.
Par conséquent, lorsque la Bolivie, si elle en décide ainsi, démantèlera l’infrastructure située sur son
territoire, elle devra le faire dans le respect des obligations qui lui incombent au regard du droit
international coutumier, notamment l’obligation de ne pas causer de dommages importants au Chili.
105 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 706, par. 104.
106 DB, par. 36.
107 Ibid., par. 38.
108 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 75,
par. 177.
30
- 20 -
B. La Bolivie continue d’ignorer des faits historiques essentiels, en particulier le fait
qu’elle a elle-même autorisé la construction des chenaux sur son territoire
2.53. Dans sa réplique, le Chili a signalé quatre faits essentiels qui affaiblissent encore
davantage les demandes reconventionnelles de la Bolivie, et que cette dernière a jusqu’à présent
ignorés :
a) le fait qu’elle ait eu pour pratique, pendant un siècle, de reconnaître le Silala comme un cours
d’eau transfrontière sans faire de distinction entre ses écoulements «naturel» et «artificiel» ;
b) le fait que les eaux du Silala ont fait l’objet d’une autorisation accordée par le Chili à la compagnie
britannique FCAB en 1906, avant la concession bolivienne de 1908 et l’excavation des chenaux
de la FCAB en 1928, ce qui montre que les eaux du Silala s’écoulant jusqu’au Chili pouvaient
être exploitées en territoire chilien sans les chenaux construits en Bolivie ;
c) le fait que les chenaux de 1928 ont été construits par la FCAB en territoire bolivien avec
l’autorisation de la Bolivie, et sont donc une conséquence des propres actes souverains de cette
dernière ;
d) la décision de la Bolivie de ne pas retirer les chenaux et restaurer les zones humides sur son
territoire, alors qu’elle aurait pu le faire après que la concession bolivienne de 1908 a pris fin en
1997109.
2.54. Dans la duplique, la Bolivie n’explique nullement pourquoi, pendant un siècle, elle a
passé sous silence la prétendue existence d’eaux «artificiel[le]s». Pour ce qui est des trois autres faits,
la Bolivie soit en déforme la vérité historique, soit continue d’en ignorer la pertinence juridique.
1. La Bolivie avance à tort que les chenaux de 1928 existaient déjà à l’époque de la concession
chilienne de 1906
2.55. A propos des chenaux de 1928, la Bolivie semble dire que ceux-ci existaient déjà à
l’époque où la concession chilienne a été accordée en 1906, et qu’il y avait aussi deux prises d’eau
(barrages), une en Bolivie et une au Chili, information qu’elle tire vraisemblablement de la
concession de 1906 telle qu’elle figure sur le registre accessible en ligne sur le site Internet de la
direction générale des eaux (DGA)110.
2.56. La Bolivie se trompe et son renvoi à l’information trouvée sur le site Internet de la DGA
induit en erreur. Le site Internet de la DGA ne décrit pas l’infrastructure telle qu’elle existait à
l’époque de la concession chilienne de 1906, mais telle qu’elle existait en 1990, lorsque les droits
d’usage de l’eau de la FCAB au titre de la concession chilienne de 1906 (qui ne prévoyait pas de
restriction de volume) ont été réajustés conformément au nouveau code sur l’eau et fixés à 237 l/s111.
En outre, le Chili a démontré que les premières prise d’eau et canalisation avaient été construites en
1910 et que les chenaux en terre avaient été creusés après cette date, en 1928, pour des raisons
sanitaires112. La Bolivie n’a pas apporté de preuves contraires et l’information figurant sur le site
Internet de la DGA n’étaye pas sa thèse.
109 RC, par. 2.52.
110 DB, par. 48, faisant référence au site Internet de la DGA, 2019. DB, vol. 5, annexe 28.
111 Voir informations sur le site Internet de la DGA, DB, vol. 5, p. 162.
112 MC, par. 2.22 et 2.25 ; voir aussi RC, par. 2.61-2.64. L’affirmation de la Bolivie selon laquelle l’objectif
sanitaire des chenaux n’était qu’un simple prétexte (DB, par. 43) est gratuite et n’est fondée sur aucun document historique.
31
32
- 21 -
2. La Bolivie ne peut créer d’obligations pour le Chili, comme l’obligation de négocier la
«fourniture» d’un prétendu «écoulement artificiel» et la redevance afférente, par ses
propres actions ou omissions à l’égard des chenaux situés sur son territoire
2.57. La Bolivie reste silencieuse sur le fait qu’elle a autorisé la construction des chenaux sur
son territoire en vertu de la concession qu’elle a accordée en 1908 à la compagnie britannique
FCAB113. Cela est surprenant, étant donné qu’elle prête d’importantes conséquences juridiques à
l’existence des chenaux sur son territoire, revendiquant des droits souverains sur l’«écoulement
artificiel» prétendument «aménagé» ou «créé» par lesdits chenaux (deuxième demande
reconventionnelle), et cherchant à imposer des obligations juridiques correspondantes au Chili en ce
qui concerne la fourniture (quoique seulement future)114 de ce prétendu «écoulement artificiel»
(troisième demande reconventionnelle).
2.58. La Bolivie n’explique jamais de manière convaincante en quoi l’installation, par elle
seule, de l’infrastructure qui régule le Silala sur son territoire lui donnerait des droits opposables au
Chili sur l’écoulement optimisé du cours d’eau, alors que le Chili n’a nullement pris part à la décision
d’installer l’infrastructure ni à l’exécution de cette décision. Suivant les principes généraux reconnus
du res inter alios acta et du pacta tertiis nec nocent nec prosunt, la doctrine juridique est unanime
sur le fait qu’un «Etat peut agir unilatéralement dans l’exercice de ses droits souverains, mais
seulement pour réaffirmer ses droits et non pour en acquérir de nouveaux en imposant des obligations
à un tiers sans le consentement de ce dernier»115.
2.59. La Bolivie semble considérer par défaut qu’elle a droit à une part des avantages que le
Chili, selon elle, retire des chenaux situés sur son sol. En particulier, elle affirme que le Chili profite
d’une eau de surface supplémentaire qui autrement lui parviendrait sous forme d’eau souterraine et
dont l’exploitation aurait été plus onéreuse116. Le Chili fait observer que de nombreuses sources sur
son territoire contribuent à l’écoulement de surface tout au long du Silala et qu’une partie des «eaux
souterraines supplémentaires» peut émerger naturellement. En outre, même si le Chili tirait un
avantage des chenaux (ses experts ne confirment pas que ceux-ci favorisent une augmentation
importante de l’écoulement de surface), il s’agit toujours d’une situation de facto qui découle des
actions unilatérales de la Bolivie. Cette situation ne saurait fonder l’existence de droits et
d’obligations entre la Bolivie et le Chili à l’égard des eaux du Silala, autres que les droits et
obligations découlant du droit international coutumier relatif aux cours d’eau internationaux.
2.60. Dans ce contexte, la Bolivie affirme aussi qu’elle n’est nullement tenue d’entretenir
l’infrastructure se trouvant sur son territoire, en l’absence d’un accord entre elle et le Chili sur les
avantages associés à cette infrastructure117. Le Chili a confirmé dans sa réplique qu’il ne contestait
pas la déclaration (assez évidente) de la Bolivie selon laquelle un Etat n’est pas en droit de demander
à un autre Etat d’installer ou d’entretenir des infrastructures à son profit, mais rappelle que cet
113 La Bolivie ne renvoie pas non plus à la note n° GMI-656/99 en date du 3 septembre 1999 adressée au consulat
général du Chili par le ministère des affaires étrangères et des cultes de la République de Bolivie, dans laquelle il est dit
que la concession a été accordée en 1908 non pas à l’Etat chilien mais à une compagnie privée (FCAB) et que l’ensemble
des mesures prises par cette dernière l’avaient été dans un cadre privé, compte dûment tenu de la juridiction bolivienne.
Pour l’analyse de ce point par le Chili, voir RC, par. 2.70. La note a été soumise par le Chili : MC, vol. 2, annexe 27.
114 Voir DB, par. 100 : «Contrairement à ce qu’affirme le Chili, la demande reconventionnelle c) porte sur la
conclusion d’un accord entre les Parties concernant les conditions et modalités de la fourniture future, par la Bolivie au
Chili, des eaux du Silala qui s’écoulent artificiellement.»
115 Troisième rapport sur les actes unilatéraux, M. Victor Rodríguez Cedeño, rapporteur spécial, doc. A/CN.4/505,
17 février 2000, par. 54.
116 DB, par. 83.
117 Ibid., par. 84.
33
34
- 22 -
argument n’est pas pertinent puisqu’il n’a jamais demandé à la Bolivie d’installer les chenaux118. La
question de savoir si le Chili tire ou non effectivement un avantage des chenaux est d’ailleurs tout
autant dénuée de pertinence. Un tel avantage ne saurait faire naître une obligation pour le Chili de
convenir de «formules … dans l’intérêt de tous», comme la Bolivie semble le suggérer119.
3. Tout dommage causé aux zones humides en territoire bolivien est imputable à la Bolivie, et
non au Chili
2.61. La Bolivie consacre une longue section de sa duplique (par. 48-56) à décrire l’ampleur
et les caractéristiques du réseau de chenaux situé sur son territoire, dans l’objectif déclaré d’illustrer
l’incidence que les ouvrages hydrauliques, ne serait-ce que par leur étendue, ont dû avoir sur
l’écoulement naturel du Silala120.
2.62. Pour prouver ses vues, la Bolivie joint à sa duplique deux études d’évaluation de l’impact
sur l’environnement sur le site du Silala, menées par l’organisation non gouvernementale bolivienne
FUNDECO121. D’après FUNDECO, la superficie actuelle des zones humides s’élève à
0,76 hectare122, soit une estimation de l’ordre de celle donnée dans le rapport de la mission
consultative Ramsar (0,6 hectare), précédemment présenté par la Bolivie123. Le Chili fait observer
que le DHI souscrit à sa propre position, à savoir que l’estimation basse de la mission Ramsar
(0,6 hectare) n’est pas crédible et «que les zones examinées dans le rapport ne reflètent pas
l’intégralité de la zone humide»124.
2.63. L’absence de référence sur la situation écologique naturelle des zones humides, avant
l’excavation des chenaux en 1928, est une lacune méthodologique commune aux rapports de
FUNDECO et Ramsar. Cette limitation a été reconnue dans l’étude Castel, que la Bolivie a fait
réaliser (mais n’a pas présentée), qui s’est abstenue d’estimer la superficie de la zone humide avant
la chenalisation, faute de preuve125. Le Chili fait remarquer que l’étude Castel n’étaye pas la thèse de
la Bolivie quant à une dégradation progressive126.
118 RC, par. 2.49.
119 DB, par. 85.
120 Ibid., par. 47.
121 FUNDECO, Evaluation de l’impact sur l’environnement dans la région du Silala, mai 2018 (ci-après
l’«évaluation d’impact FUNDECO»). DB, vol. 3, annexe 23.3. FUNDECO, Study of Evaluation of Environmental Impacts
in the Silala, Palynology, 2018 (ci-après «l’évaluation palynologique FUNDECO»). DB, vol. 3, annexe 23.4.
122 Evaluation d’impact FUNDECO. DB, vol. 3, p. 13 et 61.
123 Ramsar Convention Secretariat, Report Ramsar Advisory: Mission No 84, Ramsar Site Los Lípez, Bolivia,
2018. CMB, vol. 5, annexe 18.
124 DHI, Analyse et évaluation de l’argumentation opposée par le Chili aux demandes reconventionnelles de la
Bolivie dans l’affaire relative au Silala, mars 2019 (ci-après l’«analyse de la réplique du Chili par le DHI»), DB, vol. 5,
annexe 24, p. 41.
125 Ana Paola Castel, Analyse multi-temporelle à partir d’images satellite des bofedales (zones humides des hauts
plateaux andins) des sources du Silala, Potosí  Bolivie, septembre 2017 (ci-après l’«étude Castel»). RC, vol. 2, p. 45. Le
rapport du DHI (2018) cite l’étude Castel. Le Chili, par lettre en date du 5 novembre 2018, a demandé à l’agent de la
Bolivie de lui fournir ce document, ainsi que tous les autres qui sont cités dans les annexes 17 et 18 du contre-mémoire ou
qui ont servi à préparer ces annexes et qui ne sont pas publiquement disponibles. Un premier jeu de documents a été
transmis par la Bolivie le 22 novembre 2018, dont l’étude Castel. Le Chili a soumis une traduction intégrale de l’étude
Castel : RC, vol. 2, annexe 98.
126 RC, par. 3.42.
35
- 23 -
2.64. L’étude Castel relève qu’il y a d’importantes fluctuations saisonnières et interannuelles
dans la superficie des zones humides127. Ce facteur n’est pas pris en considération dans les études de
FUNDECO. D’après les experts du DHI mandatés par la Bolivie, le fait que FUNDECO n’ait pas
tenu compte de la différence de végétation entre la saison sèche et la saison humide «pourrait
expliquer la mauvaise interprétation des données»128. Le DHI remet aussi en question la
méthodologie utilisée par FUNDECO pour estimer l’étendue du couvert végétal des zones
humides129.
2.65. FUNDECO attribue la dégradation des zones humides directement à la chenalisation
située en Bolivie : «Cette phase de dessiccation a commencé vers 1908, témoignant clairement des
effets que la chenalisation a eus sur les sources de Silala.»130 Le Chili note que FUNDECO ne semble
pas savoir que les chenaux de la FCAB ont été creusés en 1928, vingt ans après l’octroi de la
concession bolivienne en 1908, et que leur présence ne saurait donc expliquer une prétendue «phase
de dessiccation [ayant] commencé vers 1908»131.
2.66. La thèse de cause unique avancée par FUNDECO pour expliquer la dégradation des
zones humides n’est pas partagée par les experts du DHI. En effet, ces derniers font observer que
FUNDECO ne tient pas compte d’autres facteurs possibles, tels que les changements climatiques qui
ont pu se produire durant les dernières 100 à 120 années, lesquels, selon eux, ont pu contribuer aux
modifications observées dans les zones humides132. Le DHI relève également que le processus de
dessiccation plus avancé des années 1950 et 1960 qu’a signalé FUNDECO «peut être considéré
comme une indication que les variations naturelles peuvent aussi expliquer en grande partie les
modifications observées»133. Les experts du Chili ajoutent que le pacage peut également être un
facteur pertinent, d’après ce qui ressort des entretiens avec la communauté locale retranscrits par
FUNDECO134. Ils concluent qu’«aucun lien de causalité avec la chenalisation des zones humides n’a
été démontré et que les affirmations faites en ce sens par la Bolivie et ses experts sont tout simplement
fausses»135.
2.67. En tout état de cause, il relève du pouvoir souverain de la Bolivie de prendre sur son
territoire les mesures de restauration qu’elle juge nécessaires pour garantir la biodiversité et la bonne
santé des zones humides Orientales et Cajones. Pour des raisons qu’elle n’a jamais expliquées, la
127 Etude Castel. RC, vol. 2, p. 45.
128 DHI, Analyse technique et validation indépendante de plusieurs études techniques supplémentaires des sources
Silala, décembre 2018 (ci-après l’«analyse technique du DHI»), DB, vol. 2, annexe 23, p. 96.
129 Analyse technique du DHI : «Toutes les carottes analysées proviennent de la partie centrale de la vallée et ne
peuvent pas servir à estimer l’étendue du couvert végétal des bofedales.» DB, vol. 2, p. 108.
130 Evaluation palynologique FUNDECO. DB, vol. 3, p. 142.
131 Ibid.
132 Analyse technique du DHI, DB, vol. 2, p. 99.
133 Ibid., p. 103.
134 Wheater et Peach (2019b), p. 62.
135 Ibid.
36
37
- 24 -
Bolivie n’a pas pris de telles mesures à ce jour, bien qu’elle eût pu le faire après que la concession
bolivienne de 1908 eut pris fin en 1997136.
2.68. Le Chili ne saurait évidemment pas être tenu pour responsable de l’inaction de la Bolivie
sur son propre territoire. Il encourage cette dernière à prendre les mesures qu’elle juge nécessaires et
appropriées au sujet des zones humides, tout en respectant les obligations qu’elle a envers lui au
regard du droit international coutumier, notamment l’obligation de notification et de consultation.
Dans ce contexte, le Chili est bien entendu prêt à collaborer avec la Bolivie et à soutenir ses politiques
et réglementations en faveur de la conservation des zones humides boliviennes, ainsi qu’il est prévu
à l’article 5 de la convention de Ramsar137.
C. Conclusion : la prétention de la Bolivie à des droits souverains sur l’écoulement
«artificiellement amélioré» du Silala est indéfendable en droit international et
ses deuxième et troisième demandes reconventionnelles doivent être rejetées
2.69. Dans sa duplique, la Bolivie insiste sur l’existence d’un écoulement «artificiellement
amélioré» du Silala sur lequel elle revendique des droits souverains. C’est le postulat qui sous-tend
les demandes reconventionnelles b) et c).
2.70. Laissant de côté une grande partie de la jurisprudence et de la doctrine qu’elle invoquait
dans son contre-mémoire, la Bolivie soutient maintenant qu’étant souveraine à l’égard de
l’infrastructure se trouvant sur son territoire, elle l’est également à l’égard des eaux prétendument
«créées» par celle-ci. Ce n’est pas là une théorie reconnue par le droit international coutumier, qui
établit le principe de l’utilisation équitable et raisonnable de toutes les eaux transfrontières et
l’obligation de ne pas causer de dommages importants. La Bolivie revendique également une part
des avantages que le Chili retire, selon elle, de l’écoulement «artificiellement amélioré», même si les
chenaux situés sur son territoire ont été construits avec son autorisation et sans la participation du
Chili. Cette revendication va là encore à l’encontre du principe fondamental de droit international
qui veut que les Etats ne peuvent créer des droits pour eux-mêmes en imposant unilatéralement des
obligations à d’autres Etats. Les demandes reconventionnelles b) et c) de la Bolivie doivent être
rejetées.
136 Comme le Chili l’a fait remarquer dans sa réplique, en 2000, la Bolivie a préféré accorder une concession des
eaux à l’entreprise bolivienne DUCTEC S.R.L., à des fins d’exploitation commerciale pour les usagers chiliens. Après
l’échec de cette initiative, la Bolivie a envisagé plusieurs autres projets, dont certains ont été partiellement mis en oeuvre,
notamment une ferme piscicole, un petit barrage et une usine d’embouteillage d’eau minérale, mais aucun n’a abouti. Pour
de plus amples détails, voir RC, par. 2.75.
137 Comme la Bolivie l’a demandé, voir DB, par. 95-96.
38
- 25 -
CHAPITRE 3
UNE NOUVELLE ANALYSE DE LA MODÉLISATION EN CHAMP PROCHE DU DHI INFIRME
DE NOUVEAU LA THÈSE DE LA BOLIVIE QUANT À UNE PRÉTENDUE
INCIDENCE DE LA CHENALISATION
3.1. Dans leur rapport joint à la réplique, les experts du Chili, MM. Wheater et Peach, avaient
démontré que les résultats de la modélisation du DHI — selon lesquels l’incidence de la chenalisation
sur les écoulements de surface était de 30 à 40 % — étaient largement exagérés et s’appuyaient sur
un modèle numérique fondamentalement vicié138. A cette époque, le Chili n’avait pas encore obtenu
les données de modélisation du DHI qu’il avait demandées.
3.2. Les données de modélisation du DHI transmises en février 2019 confirment les
conclusions des experts du Chili. En outre, l’analyse approfondie que ces derniers ont menée a révélé
de nombreuses différences, qui n’ont pas été signalées, entre les modèles utilisés pour les trois
scénarios, ce qui empêche toute comparaison entre les résultats. Compte tenu de ces nouvelles
informations, les experts du Chili ont procédé à leur propre évaluation de la modélisation du DHI.
Ils confirment à présent que les résultats du DHI «ne sont nullement fiables et la Cour ne devrait
donc pas en tenir compte»139.
3.3. Dans la section 3.A ci-après, le Chili démontre que la réponse donnée par la Bolivie dans
la duplique aux critiques qu’il avait formulées au sujet du modèle en champ proche du DHI est
insuffisante ou erronée. Dans la section 3.B, il présentera les principales informations qui viennent
éclairer sous un jour nouveau l’exercice de modélisation du DHI, issues de l’analyse qu’ont faite les
experts du Chili des données utilisées dans ce cadre. Tout en rappelant que les demandes
reconventionnelles b) et c) de la Bolivie peuvent et devraient être rejetées pour les seuls motifs
juridiques exposés au chapitre 2, le Chili fait observer que la crédibilité de ces demandes
reconventionnelles est encore davantage affaiblie par les erreurs élémentaires des experts du DHI
mandatés par la Bolivie.
A. La réponse du DHI aux critiques fondamentales des experts du Chili
s’agissant du modèle en champ proche est insuffisante ou erronée
1. Le DHI admet que les résultats de la modélisation pour les trois scénarios (de référence,
sans canal et sans perturbations) sont très probablement influencés par les conditions aux
limites du champ proche
3.4. Dans leur rapport joint à la réplique, les experts du Chili, MM. Wheater et Peach, ont
critiqué certaines hypothèses de base utilisées par le DHI dans la modélisation en champ proche afin
d’évaluer l’incidence de la chenalisation effectuée en Bolivie sur les écoulements transfrontières, à
partir de trois scénarios différents : le scénario «de référence», le scénario «sans canal» et le scénario
«sans perturbations» (ou avec zones humides restaurées).
3.5. MM. Wheater et Peach ont montré que la décision du DHI de modéliser une petite zone
(environ 1 % de l’intégralité du bassin hydrologique du Silala), délimitée au plus près autour des
chenaux construits par l’homme en Bolivie (le champ proche) avec des conditions aux limites à
«charge imposée», conduit à amplifier largement les différences modélisées entre les scénarios. En
particulier, et étonnamment, il en résulte des apports très différents dans les trois scénarios, quand
138 Wheater et Peach (2019a). RC, vol. 1.
139 Ibid., p. 9 et 64.
39
40
- 26 -
bien même la zone de recharge et les précipitations restent identiques140. Les différences d’apport
entre les trois scénarios sont le principal facteur qui explique les débits différents. Ainsi, l’écoulement
prétendument «amélioré» de 30 à 40 % est le résultat de l’exercice de modélisation, et non de la
chenalisation141.
3.6. Le DHI reconnaît à présent que sa configuration de la modélisation a eu une incidence sur
les résultats obtenus. Il admet que,
«dans le modèle en champ proche, les écoulements souterrains sont étroitement liés aux
conditions aux limites des eaux souterraines [et que] les résultats de la modélisation, y
compris les effets du réseau de drainage, sont très probablement sensibles aux
conditions aux limites»142.
Le DHI conclut que ses précédents résultats correspondent à une estimation haute de ce que
pourraient être les effets possibles143, ce qui indique que — même pour lui — lesdits résultats ne
reflètent pas une évaluation réaliste144.
3.7. Le DHI admet également que la réduction de l’écoulement de surface sera compensée par
une augmentation de l’écoulement souterrain145 (hormis pour l’évapotranspiration accrue). Ainsi, il
ne conteste pas que l’incidence globale des chenaux construits en Bolivie sur l’ensemble de
l’écoulement transfrontière (eaux de surface et eaux souterraines) est pratiquement nulle146. Pour
autant que les faits scientifiques et techniques soient pertinents, c’est ce constat essentiel que la Cour
doit retenir. Les eaux du Silala s’écoulent sous forme d’eaux de surface ou d’eaux souterraines,
suivant le gradient hydraulique, jusqu’au Chili, indépendamment de la chenalisation.
3.8. Pour revenir à la question du volume des écoulements de surface en particulier, le DHI,
pour répondre aux critiques du Chili, a effectué une analyse de sensibilité du modèle en champ
proche, qui l’a amené à revoir considérablement à la baisse sa précédente estimation de l’incidence
des chenaux sur l’écoulement de surface, celle-ci passant de 30 à 40 % à 11 à 33 %147. Comme il a
été dit plus haut, dans ces nouvelles simulations, l’hypothèse de la limite à «charge imposée» produit
140 Une condition limite à «charge imposée» permet au modèle de s’appuyer sur une quantité d’eau infinie, ce qui
signifie que lorsque le gradient hydraulique dans la zone modélisée change l’eau s’écoulera dans le modèle en réponse au
gradient hydraulique modifié, qu’il y ait ou non de l’eau dans le système naturel. Voir Wheater et Peach (2019a). RC,
vol. 1, p. 66. Il va sans dire que la quantité d’eau disponible dans le désert d’Atacama n’est pas infinie.
141 Wheater et Peach (2019a), RC, vol. 1, p. 56-57 et 84.
142 Analyse de la réplique du Chili par le DHI, DB, vol. 5, p. 29. Le DHI reconnaît aussi qu’«avec des charges
souterraines plus élevées à l’intérieur du modèle en champ proche, il y a moins d’eau qui pénètre dans le domaine modélisé
à travers les limites à charge imposée à mesure que le gradient change». Analyse de la réplique du Chili par le DHI, DB,
vol. 5, p. 30.
143 Analyse de sensibilité du DHI, DB, vol. 5, p. 55.
144 Wheater et Peach (2019b), p. 20.
145 Analyse de la réplique du Chili par le DHI : «sans canal, il y a moins d’eau qui pénètre dans le système hydrique
de surface et plus dans le système souterrain à l’intérieur ou à l’extérieur du modèle en champ proche... Les eaux
souterraines pénétrant ou traversant le champ proche arriveront probablement au Chili.» DB, vol. 5, p. 30.
146 DB, par. 68, où la Bolivie mentionne une différence entre les vitesses d’écoulement de l’eau de surface et de
l’eau souterraine, en laissant entendre que cette différence aurait une incidence sur la disponibilité de l’eau au Chili. Les
propres experts de la Bolivie ne sont pas d’accord : «Des différences entre les vitesses d’écoulement dans un milieu poreux
et dans un canal ne constituent pas une mesure appropriée pour évaluer un changement ou une modification.» Analyse
technique du DHI, DB, vol. 2, p. 87. Les experts du Chili expliquent que la vitesse d’écoulement n’a pas d’incidence sur
le débit transfrontière. Wheater et Peach (2019b), note de bas de page 1.
147 Analyse de sensibilité du DHI, DB, vol. 5, p. 56.
41
42
- 27 -
des estimations hautes148. Les estimations basses sont obtenues en partant de l’hypothèse que l’apport
souterrain dans la zone du modèle en champ proche ne change pas dans les trois scénarios,
c’est-à-dire en remplaçant la condition limite à «charge imposée» par une condition «à flux
imposé»149. Les experts du Chili conviennent que cette hypothèse est appropriée150. Les estimations
basses sont reproduites dans le tableau 1 ci-dessous :
Tableau 1
Analyse de sensibilité du DHI, p. 32, tableau 7-2, DB, vol. 5, p. 80.
Légende :
Inflow to model = Apport au modèle
Surface outflow = Ecoulement de surface
Groundwater outflow = Ecoulement souterrain
Evapotranspiration = Evapotranspiration
Storage and num. inacuracy = Imprécision de stockage et num.
Canalised situation (l/s) = Situation avec canaux (l/s)
Changes from canalised conditions (l/s) = Modifications par rapport aux conditions avec canaux
(l/s)
Baseline = Référence
Lower Bound = Valeur basse
Upper Bound = Valeur haute
3.9. Indépendamment de l’ajustement de la condition limite à «charge imposée», les
estimations basses du DHI soulèvent d’autres difficultés.
3.10. Le principe de conservation de la masse exige, pour une simulation en régime permanent,
comme le DHI l’a précisé151, que l’apport soit égal au débit. Toutefois, la simulation basse, par le
DHI, de l’incidence de la chenalisation montre une diminution de l’écoulement de surface de 16 l/s,
une augmentation de l’écoulement souterrain de 4 l/s et une augmentation de l’évapotranspiration de
3 l/s dans le scénario «sans canal», comparé au scénario de référence, laissant 9 l/s non comptabilisés
dans le scénario «sans canal». Cela n’a aucun sens. En fait, c’est dû au changement dans
l’imprécision de stockage et numérique des estimations basses, fixée à 8,4 l/s par le DHI, ce qui
constitue plus de la moitié de l’incidence supposée des chenaux que le modèle tente d’estimer. De
plus, l’erreur déclarée par le DHI dans la simulation de référence est de 11,7 l/s. Les erreurs
148 Analyse de sensibilité du DHI, DB, vol. 5, p. 55.
149 Ibid., p. 79.
150 Wheater et Peach (2019b), p. 9.
151 Rapport du DHI (2018). CMB, vol. 5, p. 67.
43
- 28 -
conjuguées du modèle dépassent donc l’effet estimé des chenaux, ce qui discrédite les résultats de la
modélisation152.
3.11. L’eau manquante et la grande marge d’erreur dans l’analyse de sensibilité du DHI
témoignent des problèmes majeurs qui se posent dans la configuration du modèle du DHI, au-delà
de la question de la limite à «charge imposée» signalée par les experts du Chili dans leurs rapports
joints à la réplique153. Ces problèmes supplémentaires, repérés grâce aux données de modélisation
fournies par la Bolivie en février 2019, seront examinés à la section 3.B ci-après.
2. Le DHI n’a aucune raison valable de qualifier l’analyse des experts du Chili
d’«extrêmement simpliste»
3.12. Le DHI estime que les critiques émises par le Chili au sujet de sa modélisation sont
«extrêmement simplistes et reviennent à méconnaître les particularités de l’écoulement des eaux du
Silala»154. En particulier, il remet en question le «calcul simplifié de l’incidence» fait par le Chili,
dont le résultat, selon lui, «ne vient pas démontrer que l’incidence calculée par le DHI soit exagérée.
L’analyse repose sur l’équation de Darcy unidimensionnelle, qui n’est valide que dans des conditions
idéales, auxquelles ne satisfait pas le Silala»155.
3.13. Le DHI se réfère aux calculs simplifiés du Chili concernant les écoulements souterrains
sur un versant (appendice 1 du rapport Wheater et Peach (2019a)), mais interprète mal l’objectif de
ces calculs. Ceux-ci ont été utilisés par les experts du Chili pour démontrer l’effet qu’a une condition
limite à «charge imposée» près des chenaux modélisés sur les résultats de la modélisation en champ
proche. L’objectif du Chili n’a jamais été de produire sa propre estimation des effets attendus de la
chenalisation et ces calculs n’ont pas été utilisés en ce sens156. Les experts du Chili sont les mieux
placés pour savoir que les calculs sont simplifiés ; il reste que ces calculs permettent de «démontrer
de manière convaincante que le choix inapproprié d’un niveau de nappe imposé à la limite du champ
proche amplifie par un facteur de 20 les effets d’une montée de nappe et d’une augmentation de la
résistance hydraulique»157. Les experts du Chili maintiennent cette conclusion, qui est d’ailleurs
confirmée par les données de modélisation, ainsi qu’il sera exposé à la section 3.B.
3.14. La Bolivie et ses experts remettent également en cause l’«analyse simplifiée» que fait le
Chili de la géologie complexe de la région du Silala et signalent que c’est là «un manque de cohérence
évident, qui remet en question la validité de son évaluation de l’incidence de la chenalisation»158.
3.15. En ce qu’il vise les calculs simplifiés utilisés par les experts du Chili pour déterminer le
facteur d’amplification des résultats de la modélisation du DHI, le commentaire est hors de propos.
Comme il a été dit plus haut, ces calculs ne visent pas à évaluer l’incidence de la chenalisation et ils
152 Wheater et Peach (2019b), p. 21-22.
153 Ibid., p. 22.
154 DB, par. 60.
155 Analyse de la réplique du Chili par le DHI, DB, vol. 5, p. 13.
156 Wheater et Peach (2019b), p. 4.
157 Wheater et Peach (2019a), appendix 1, RC, vol. 1, p. 94.
158 DB, par. 61.
44
- 29 -
ne tiennent pas compte de la géologie ou géographie réelle de la région du Silala et ne cherchent pas
à le faire.
3.16. En ce qu’il vise la critique de fond formulée par le Chili au sujet de la géologie et de
l’hydrogéologie du bassin hydrographique du Silala qui ont servi de référence pour l’élaboration du
modèle du DHI, ce commentaire est dénué de fondement. Loin d’avoir fait une «analyse simplifiée»,
les experts du Chili ont attentivement examiné les données fournies par leurs homologues de la
Bolivie et les ont jugées largement insuffisantes.
3.17. Par exemple, la Bolivie a insisté sur l’existence d’un prétendu système de failles à forte
conductivité hydraulique, qui s’étendrait de la zone humide Orientales à la zone humide Cajones, en
formant un coude le long du cours du Silala de la Bolivie jusqu’au Chili159. La Bolivie avance que
ce qu’elle appelle la «faille Silala» pourrait expliquer autrement l’origine, l’emplacement et
l’alignement de la gorge du Silala, laquelle aurait ensuite subi une érosion glaciaire et fluvioglaciaire,
plutôt que d’être d’origine purement fluviale comme l’a démontré le Chili160. Les experts du Chili
relèvent qu’aucune preuve n’a été fournie dans le contre-mémoire de la Bolivie au soutien de
l’existence de cette importante faille161. Pour reprendre leurs propres termes, l’existence de cette
faille est «tellement improbable qu[’elle] est selon nous impossible»162.
3.18. A sa duplique la Bolivie joint d’autres études menées par l’expert F. Urquidi163, par le
service bolivien de géologie SERGEOMIN164 et par l’Université autonome Tomás Frías de Potosí
(UATF)165, pour étayer l’existence de la «faille Silala» et de fractures connexes166. Les experts du
Chili n’ont trouvé aucune preuve de l’existence d’une faille Silala dans ces études. Le DHI se fonde
sur la cartographie géologique établie par le SERGEOMIN (2017), qui «signale un très faible
déplacement de 5 m à la frontière», pour attester la présence de la faille167. Or, les experts du Chili
confirment que s’il existait un quelconque déplacement dû à la prétendue faille, comme le voudrait
la Bolivie, celui-ci se ferait dans la direction opposée à celle qu’indiquent les géologues boliviens ;
159 D. W. Peach et H. S. Wheater, La géologie, l’hydrogéologie et l’hydrochimie du bassin hydrographique du
Silala (2019) (ci-après «Peach et Wheater (2019)»), RC, vol. 1, p. 121.
160 Wheater et Peach (2019b), p. 50.
161 Peach and Wheater (2019), RC, vol. 1, p. 123.
162 Ibid., p. 117.
163 DB, vol. 3, annexe 23.5 (ci-après le «rapport Urquidi»). Le Chili note que ce rapport Urquidi a été
particulièrement critiqué par les propres experts de la Bolivie, dans le document intitulé «DHI, Analyse technique et
validation indépendante de plusieurs études techniques supplémentaires des sources Silala », décembre 2018. DB, vol. 2,
annexe 23. Le DHI y relève des incohérences dans les données utilisées et les conclusions, qui contredisent ses propres
conclusions (p. 79). Il confirme que certaines des données utilisées semblent de qualité douteuse, et que plusieurs constats
ne semblent pas étayés et ne peuvent donc pas être raisonnablement évalués (p. 115). Il remet même en question
l’objectivité de l’auteur, suggérant que celui-ci aurait dû s’en tenir à des conclusions d’ordre technique, plutôt que de tirer
des conclusions non techniques, par exemple au sujet du caractère de cours d’eau international du Silala. Il note que «les
observations formulées ne semblent pas être strictement le fruit d’une interprétation objective technique des données et
analyses présentées. En effet, de nombreuses affirmations ne sont pas étayées et certains documents d’où l’auteur tire ses
conclusions ne sont pas présentés ou mentionnés.» (p. 115-116).
164 DB, vol. 3, annexe 23.5, appendix A (SERGEOMIN 2003) ; DB, vol. 4, annexe 23.5, appendix B
(SERGEOMIN 2017).
165 DB, vol. 3, annexe 23.5, appendix C (AUTF 2018).
166 DB, par. 62.
167 Analyse de la réplique du Chili par le DHI. DB, vol. 5, p. 24.
45
46
- 30 -
selon eux, le déplacement de 5 m s’explique plus certainement par le fait que l’ignimbrite Silala en
Bolivie est incliné vers l’ouest168.
3.19. Plus généralement, les experts du Chili estiment que les nouveaux rapports présentés par
la Bolivie
«contiennent d’importantes erreurs et incohérences qui touchent à la compréhension et
à l’interprétation de la stratigraphie, de la géologie structurale et de la pétrographie. Ces
erreurs et incohérences ont à leur tour occasionné des erreurs dans la mise au point du
modèle conceptuel hydrogéologique sur lequel le DHI s’est appuyé pour concevoir ses
modèles numériques, en particulier le modèle en champ proche.»169
3.20. En particulier, les experts du Chili constatent une grande confusion dans les rapports de
la Bolivie concernant l’âge des diverses unités géologiques170. Ses géologues inversent également la
séquence des couches rocheuses (ou stratigraphie), cartographiant des unités géologiques anciennes
sur des unités géologiques plus jeunes, ce qui est manifestement impossible171. Par conséquent, le
modèle en champ proche est basé sur une compréhension erronée de la géométrie et de l’étendue de
l’aquifère profond dans les dépôts ignimbritiques perméables, et exclut notamment un aquifère
superficiel situé au Chili172. Cela a des conséquences considérables pour le régime d’écoulement
souterrain que les modèles du DHI sont censés représenter173. S’y ajoutent en outre des incohérences
et des erreurs dans le nom des types de roches, ce qui décrédibilise les interprétations géologiques
des experts boliviens174.
3.21. Les experts du Chili relèvent que le DHI admet l’existence de deux ensembles de sources
distinctes d’eaux souterraines alimentant les sources du Silala, mais qu’il a décidé de ne pas inclure
cette information dans le modèle, car «elle est sans rapport avec la distinction entre le débit de surface
et le débit souterrain des zones humides qui est due à la chenalisation»175. Les experts du Chili ne
sont pas d’accord. Des écoulements souterrains de divers aquifères présentant des charges
piézométriques différentes interagiront différemment avec les eaux de surface. Le fait de ne pas tenir
compte de cette information aboutit à une compréhension erronée du régime d’écoulement
souterrain, et très probablement à des résultats de modélisation incorrects176.
3.22. Les experts du Chili concluent que les nouvelles preuves présentées par la Bolivie, en
réponse aux critiques du Chili concernant la modélisation du DHI, confirment leurs vues selon
lesquelles la géologie et l’hydrogéologie qui sous-tendent la modélisation du DHI sont erronées et
168 Wheater et Peach (2019b), p. 50.
169 Ibid., p. 43.
170 Ibid., p. 44-45.
171 Ibid., p. 46-49.
172 Ibid., p. 56.
173 Ibid., p. 56.
174 Ibid., p. 53-54.
175 Analyse de la réplique du Chili par le DHI, DB, vol. 5, p. 27.
176 Wheater et Peach (2019b), p. 54-55.
47
- 31 -
ne reflètent pas la réalité. Ne serait-ce que pour cette raison (parmi bien d’autres), les modèles
risquent de produire des résultats fortement erronés177.
B. Les données de modélisation du DHI transmises le 7 février 2019 révèlent d’autres lacunes
dans le modèle en champ proche qui privent les résultats de la modélisation de toute fiabilité
1. Le DHI utilise différents modèles pour, d’une part, le scénario de référence, et, d’autre part,
les scénarios «sans canal» et «sans perturbations», ce qui ne permet pas de comparer
directement les résultats obtenus
3.23. Les données de modélisation reçues en février 2019 montrent que le DHI a utilisé une
configuration différente de modèles pour, d’une part, le scénario de référence, et, d’autre part, les
scénarios «sans canal» et «sans perturbations» (ou avec zones humides restaurées), tous à l’intérieur
de la zone du modèle en champ proche.
3.24. Dans les trois scénarios, le DHI utilise le modèle MIKE SHE pour représenter
l’hydrologie du bassin hydrographique du Silala, y compris les écoulements combinés d’eaux de
surface et d’eaux souterraines, l’évapotranspiration, la zone non saturée et le ruissellement de
surface178. Il utilise aussi le modèle MIKE 11 pour représenter l’écoulement du chenal, mais
uniquement dans le scénario de référence. MIKE SHE et MIKE 11 sont associés dans le scénario de
référence, ce qui permet des échanges d’eau entre les chenaux et le système souterrain179. Dans les
scénarios «sans canal» et «sans perturbations», les chenaux ne sont pas explicitement modélisés et
le modèle MIKE 11 n’est donc pas inclus. Cela a pour effet de diriger l’intégralité de l’écoulement
de surface, dans ces deux scénarios, en ruissellement de surface, comme si une rivière ne s’écoulait
pas à travers ses propres chenaux naturels180. C’est évidemment faux. Le fait qu’un cadre de
modélisation différent ait été utilisé pour le scénario de référence est une des raisons pour lesquelles
les trois scénarios ne sont pas directement comparables181. D’autres raisons importantes sont
exposées ci-après.
2. Les conditions de modélisation, notamment la topographie de surface et l’apport, sont
différentes dans chaque scénario, ce qui invalide toute comparaison des résultats de
modélisation
3.25. Outre l’utilisation de différentes configurations du modèle dans les trois scénarios, il est
encore plus surprenant de constater qu’il existe entre ces derniers des différences élémentaires qui
n’ont pas été signalées et que les experts du Chili n’ont repérées qu’après une analyse approfondie
des données de modélisation.
3.26. Il est clair que, pour être comparables, les trois scénarios devraient avoir une topographie
identique, excepté pour ce qui est des différences dues au retrait des chenaux dans le scénario «sans
canal» et celui «sans perturbations», et celles dues à la croissance éventuelle de la tourbe dans le
scénario «sans perturbations»182. Les experts du Chili ont donc été fort surpris de constater que des
topographies différentes avaient été utilisées dans le modèle MIKE SHE entre le scénario de
177 Wheater et Peach (2019b), p. 11.
178 Ibid., p. 17.
179 Ibid., p. 17 et 23.
180 Ibid., p. 23.
181 Ibid.
182 Ibid.
48
49
- 32 -
référence et les deux autres, et que des topographies différentes avaient également été utilisées pour
le scénario de référence dans les modèles MIKE SHE et MIKE 11183. Comme on peut le voir sur la
figure 1, la topographie des scénarios «sans canal» et «sans perturbations» présente des différences
de près de 7 m par rapport au scénario de référence modélisé avec MIKE 11 et de près de 3 m par
rapport au scénario de référence modélisé avec MIKE SHE. C’est bien plus que les 0,5 à 1 m de
profondeur des chenaux, ou les 60 cm de tourbe susceptible de se développer dans le scénario «sans
perturbations», dont les scénarios modélisés sont censés simuler les effets184.
Figure 1
Cotes d’altitude utilisées dans les quatre modèles boliviens, comparées en deux points
(sections transversales) sur la largeur du chenal principal près de la frontière internationale
(source : Muñoz et al., 2019, p. 30, figure 4-3. PAC, vol. 2, annexe XV)
Légende :
Baseline (MIKE 11) = Référence (MIKE 11)
Undisturbed (MIKE SHE) = Sans perturbations (MIKE SHE)
No Canal (MIKE SHE) = Sans canal (MIKE SHE)
Baseline (MIKE SHE) = Référence (MIKE SHE)
3.27. Une surface du sol plus élevée dans les scénarios «sans canal» et «sans perturbations» a
pour effet de réduire les apports souterrains dans le modèle et d’augmenter le débit souterrain, ce qui
183 Wheater et Peach (2019b), p. 23-24.
184 Ibid., p. 24.
50
- 33 -
signifie qu’une quantité d’eau moindre sera disponible pour émerger en écoulement de surface, en
comparaison du scénario de référence. C’est exactement là l’effet qui, selon la Bolivie, se produirait
en l’absence de chenaux. L’intégralité de l’exercice de modélisation perd donc tout son sens185.
3.28. Une autre différence non signalée et préoccupante, entre les trois scénarios modélisés,
concerne les apports dans chacun d’eux. Les experts du Chili avaient relevé des différences
inexpliquées dans le volume d’eau entrant des trois scénarios, dans le rapport du DHI joint au
contre-mémoire de la Bolivie186. Toutefois, ils pensaient que l’apport dans les trois scénarios
correspondait aux entrées souterraines à travers les limites du modèle en champ proche187.
3.29. Il est désormais évident, au vu des fichiers de modélisation, que, outre l’apport
souterrain, des volumes distincts d’eau supplémentaire ont été introduits dans le modèle en champ
proche, à l’emplacement des sources : 42 l/s dans le scénario de référence et 31 l/s dans les scénarios
«sans canal» et «sans perturbations». Dans le scénario de référence, cette eau est ajoutée directement
à l’écoulement de surface, alors que dans les deux autres («sans canal» et «sans perturbations»), elle
est répartie entre écoulement de surface et écoulement souterrain188. La différence de 11 l/s et le
traitement distinct en tant qu’écoulement de surface et écoulement souterrain sont arbitraires et n’ont
été ni signalés ni expliqués par le DHI dans ses rapports189. Cette différence de 11 l/s est du même
ordre de grandeur que les effets présumés des chenaux que les modèles sont censés simuler.
3.30. D’autres anomalies dans la modélisation sont expliquées plus en détail dans le rapport
des experts Wheater et Peach (Wheater et Peach 2019b)) joint à la présente pièce additionnelle, établi
à partir de l’analyse détaillée des données de modélisation entreprise dans le rapport Muñoz et al.
(2019), également joint à la présente190. Toutefois, les différences de topographie dans les trois
scénarios, plus les 11 l/s supplémentaires ajoutés sans raison au scénario de référence, sont des
erreurs inexplicables du DHI qui privent les résultats de modélisation de toute fiabilité. La Cour ne
devrait donc pas tenir compte des résultats de modélisation du DHI.
3. Le recours de la Bolivie aux estimations de l’écoulement établies en 1922 pour confirmer les
résultats de la modélisation du DHI n’est pas crédible
3.31. La Bolivie cherche à étayer les résultats de la modélisation du DHI par des observations
sur le terrain réalisées en 1922 par un ingénieur de la FCAB, Robert H. Fox, qui documenteraient un
écoulement transfrontière de 131 l/s191. Selon la Bolivie, ce débit est de 18 à 38 % inférieur à celui
observé à l’heure actuelle (de 160 à 210 l/s), et correspond donc aux résultats (de 11 à 33 %) obtenus
par le DHI dans son analyse de sensibilité192.
185 Wheater et Peach (2019b), p. 27.
186 Ibid., p. 49.
187 Ibid., p. 32.
188 Ibid., p. 33, note de bas de page 6.
189 Ibid., p. 33.
190 Muñoz et al. (2019). PAC, vol. 2, annexe XV.
191 DB, par. 65, faisant référence à R. H. Fox, “The Waterworks Department of the Antofagasta (Chili) & Bolivia
Railway Company”, South African Journal of Science, 1922, p. 123. MC, vol. 3, annexe 75.
192 DB, par. 65.
51
52
- 34 -
3.32. Le recours de la Bolivie aux estimations de l’écoulement établies par Fox n’est pas
crédible et est même trompeur.
3.33. Premièrement, rien dans l’article de M. Fox ne permet de confirmer que l’écoulement
journalier alors mesuré de 11 300 m3 (ou 131 l/s) correspond, comme le prétend la Bolivie, à
l’écoulement transfrontière. M. Fox ne mentionne pas l’endroit précis où a été effectuée la mesure.
Il est toutefois possible de déduire de l’article que l’écoulement a été mesuré au «petit barrage» (ou
prise d’eau no 1), construit en 1909 et qui fonctionne depuis 1910, situé en territoire bolivien juste en
aval de la confluence des gorges Cajones et Orientales, à 600 m environ en amont de la frontière
internationale193. Les experts de la Bolivie comme ceux du Chili signalent d’importants changements
dans le débit à différents endroits le long de la rivière, dus à l’interaction continue entre écoulement
de surface et écoulement souterrain194. Il n’est donc pas possible de tirer des conclusions au sujet de
l’écoulement transfrontière à partir d’une seule mesure prise à un endroit incertain195.
3.34. Deuxièmement, la méthodologie utilisée pour parvenir à cette mesure n’est pas connue,
pas plus que son exactitude et sa fiabilité196. Les experts du Chili et de la Bolivie s’accordent à dire
que, même au XXIe siècle, l’écoulement du Silala est hélas très difficile à mesurer de manière précise,
en raison des conditions extrêmes de l’altiplano197. Le DHI signale que la comparaison des
chroniques de débit à long terme provenant des stations de mesure permanentes en Bolivie et au Chili
«montre des différences importantes à la fois dans les moyennes des taux d’écoulement et dans les
variations temporelles»198. Il note également qu’aucune des chroniques issues de ces deux sites ne
semble exempte d’incohérences dans les mesures, «ce qui s’explique probablement par l’isolement
des sites et la rudesse des conditions climatiques qui y règnent»199. En outre, les mesures à court
terme effectuées par la Bolivie en 2017 révèlent «des incohérences à la fois à chacun des deux points
de mesure et entre les données comparées de ceux-ci»200. L’estimation unique de M. Fox est sujette
aux mêmes limitations, voire davantage, et ne peut être prise pour argent comptant.
3.35. En résumé, une estimation unique établie il y a un siècle, à un endroit incertain, mais
probablement à 600 m de la frontière internationale, au moyen d’une méthodologie inconnue, ne
saurait en toute vraisemblance servir à valider les résultats de la modélisation du DHI, lesquels n’ont,
pour les nombreuses raisons exposées plus haut, aucune valeur scientifique et ne devraient donc pas
être pris en considération par la Cour.
C. Conclusion : la modélisation en champ proche du DHI est à ce point viciée que
ses résultats sont dépourvus de sens et devraient être écartés par la Cour
3.36. Le différend porté devant la Cour peut et devrait être tranché sur la seule base de motifs
juridiques, et les demandes reconventionnelles b) et c) de la Bolivie devraient être rejetées car elles
ne trouvent aucun fondement en droit international.
193 Pour l’emplacement de la prise d’eau no 1, voir MC, par. 2.22.
194 Wheater et Peach (2019b), p. 38.
195 Ibid., p. 39.
196 Ibid.
197 Ibid.
198 Rapport du DHI (2018). CMB, vol. 2, p. 395.
199 Ibid.
200 Ibid.
53
54
- 35 -
3.37. Cela étant, le Chili a souhaité faire usage de son droit de réponse face aux allégations
factuelles de la Bolivie, en particulier sa thèse selon laquelle la chenalisation du Silala en territoire
bolivien aurait entraîné une augmentation de 11 à 33 % (préalablement estimée de 30 à 40 %) de
l’écoulement de surface transfrontière. La Bolivie s’appuie entièrement sur les experts du DHI et les
résultats obtenus par leur modélisation en champ proche pour avancer cette estimation. Une
évaluation de la qualité de l’exercice de modélisation du DHI présente donc un intérêt certain pour
le Chili et la Cour.
3.38. Les experts du Chili ont démontré que la modélisation en champ proche du DHI n’était
pas scientifiquement fiable, pour les raisons suivantes :
a) des topographies radicalement distinctes ont été utilisées pour les divers scénarios, les différences
topographiques étant très nettement supérieures aux différences relativement faibles associées à
la chenalisation et à la croissance présumée de la tourbe ;
b) des erreurs élémentaires dans la géologie et l’hydrogéologie ont conduit à utiliser une géométrie
et des propriétés d’aquifère erronées ;
c) des quantités d’eau arbitraires ont été ajoutées aux sources des zones humides, d’un volume
différent selon les scénarios (et une répartition également différente entre eaux de surface et eaux
souterraines), ce qui amplifie les effets simulés de la chenalisation ; et
d) des erreurs et des inexactitudes, notamment des changements dans le stockage, donnent des débits
similaires à ceux résultant des effets attribués à la chenalisation et à la croissance de la tourbe201.
3.39. Les experts du Chili ont clairement dit être stupéfaits par les erreurs élémentaires
commises par le DHI202. Les résultats de la modélisation en champ proche du DHI ne sont pas fiables,
et même dépourvus de sens, et la Cour ne devrait pas en tenir compte.
201 Wheater et Peach (2019b), p. 40.
202 Ibid.
55
56
- 36 -
CONCLUSIONS
S’agissant des demandes reconventionnelles présentées par l’Etat plurinational de Bolivie, le
Chili prie la Cour de dire et juger que :
a) la Cour n’est pas compétente pour connaître de la demande reconventionnelle a) de la Bolivie,
ou, à titre subsidiaire, la demande reconventionnelle a) de la Bolivie est sans objet, ou rejetée
pour autre motif ;
b) les demandes reconventionnelles b) et c) de la Bolivie sont rejetées.
Le 16 septembre 2019.
L’agente de la République du Chili,
(Signé) Ximena FUENTES T.
___________
57
RAPPORT D’EXPERTS
H. S. WHEATER ET D. W. PEACH, INCIDENCES DE LA CHENALISATION DU SILALA EN BOLIVIE
SUR L’HYDROLOGIE DE SON BASSIN HYDROGRAPHIQUE – UNE ANALYSE ACTUALISÉE
AOÛT 2019
- 37 -
A PROPOS DES AUTEURS
Howard Wheater
Howard Wheater est titulaire d’une chaire d’excellence en recherche du Canada sur la sécurité
de l’eau à l’Université de la Saskatchewan, où il a fondé et dirigé le Global Institute for Water
Security, et il est chargé de recherche de classe exceptionnelle et professeur émérite d’hydrologie à
l’Imperial College London. Eminent spécialiste des sciences et de la modélisation hydrologiques, il
a publié plus de 200 articles revus par un comité de lecture et 6 livres. Il est membre de la Royal
Society of Canada, de la Royal Academy of Engineering du Royaume-Uni et de l’American
Geophysical Union. Il a reçu la médaille Dooge du prix international d’hydrologie 2018 décerné par
l’Organisation des Nations pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’Organisation
météorologique mondiale et l’Association internationale des sciences hydrologiques, et il a remporté
en 2006 le prix international du prince Sultan bin Abdulaziz pour l’eau. Il a lancé et dirigé des
programmes de recherche nationaux et internationaux au Royaume-Uni et au Canada, et a conseillé
des Etats, provinces et gouvernements nationaux sur des questions liées aux crues, aux ressources
hydriques et à la qualité de l’eau. Il a représenté la Hongrie et l’Argentine devant la Cour
internationale de Justice et a récemment siégé au tribunal international d’arbitrage établi
conformément au traité sur les eaux de l’Indus. Il était jusqu’en 2014 vice-président du projet
Expérience mondiale sur les cycles de l’énergie et de l’eau (GEWEX) du Programme mondial de
recherche sur le climat et dirige le programme d’information sur l’eau et le développement dans les
zones arides (GWADI) de l’UNESCO. Au Canada, il a été à la tête du réseau Changing Cold Regions
Network, axé sur l’analyse et la prédiction des changements hydrologiques dans l’ouest du Canada,
et du Global Water Futures Program, consacré à la gestion de l’avenir de l’eau au Canada et dans
d’autres régions froides, où le réchauffement planétaire modifie les paysages, les écosystèmes et le
milieu aquatique. En sa qualité de président du groupe d’experts sur la gestion durable de l’eau dans
les paysages agricoles du Canada, rattaché au conseil des académies canadiennes, il a supervisé la
publication d’un rapport, paru en février 2013, intitulé Water and Agriculture in Canada: Towards
Sustainable Management of Water Resources. En 2018, il était le seul membre non américain du
groupe d’experts des académies nationales des Etats-Unis chargé d’établir un rapport sur l’avenir de
l’eau et ses priorités dans le pays.
Denis Peach
Denis Peach a dirigé pendant neuf ans le programme du British Geological Survey (institut
britannique d’études géologiques (BGS)) portant sur les eaux souterraines puis a travaillé six ans
comme scientifique en chef pour cet institut. Cet hydrogéologue aux nombreux centres d’intérêt
scientifiques est fort de 46 années d’expérience professionnelle qu’il a notamment consacrées à
travailler pour une administration des eaux au Royaume-Uni, à effectuer des missions à l’étranger
pour étudier les milieux hydrogéologiques tropicaux et l’hydrogéologie des petites îles et à collaborer
avec des consultants internationaux dans le domaine de l’hydrogéologie des zones arides. Il
s’intéresse particulièrement à la modélisation des eaux souterraines, sur laquelle il travaillé au sein
du BGS, ainsi qu’à l’hydrogéologie des zones arides et à l’hydrogéologie karstique. Il a été
vice-président de la société géologique de Londres (GSL) et professeur invité à l’Imperial College
London et à l’Université de Birmingham ; il a également eu l’honneur de présenter la conférence
Ineson à la GSL. Il a dirigé de nombreux programmes nationaux de recherche géologique et
hydrogéologique au Royaume-Uni et a siégé au sein de nombre de comités de programmes de
recherche nationaux et de comités stratégiques nationaux sur les ressources en eau. Il mène
actuellement des travaux de recherche avec le BGS et l’Imperial College London et a récemment
conseillé l’Université de la Saskatchewan ainsi que des consultants en ingénierie britanniques.
- 38 -
- ii -
TABLE DES MATIÈRES
Page
LISTE DES FIGURES ............................................................................................................................ iv
LISTE DES TABLEAUX ........................................................................................................................ vi
LISTE DES ACRONYMES ET ABRÉVIATIONS ...................................................................................... vii
1. INTRODUCTION .............................................................................................................................. 1
1.1. Cahier des charges de l’expertise ........................................................................................... 1
1.2. Contexte et structure du rapport ............................................................................................. 2
2. RÉSUMÉ ......................................................................................................................................... 5
3. MODÉLISATION DES EFFETS DE LA CHENALISATION SUR L’HYDROLOGIE DU SYSTÈME
HYDROGRAPHIQUE DU SILALA ...................................................................................................... 9
3.1. Introduction ............................................................................................................................ 9
3.2. Modélisation du bilan hydrique ........................................................................................... 11
3.3. Modélisation en champ proche ............................................................................................ 13
3.3.1. Pièces de procédure soumises à ce jour ....................................................................... 13
3.3.2. Informations tirées des fichiers des modèles du DHI .................................................. 16
3.3.3. Topographie des scénarios modélisés .......................................................................... 16
3.3.4. Hydrogéologie et conditions aux limites ..................................................................... 19
3.3.5. Performance de calcul et autres problèmes de modélisation ....................................... 22
3.3.6. Estimation de l’écoulement tirée des travaux de R. H. Fox (1922) ............................. 28
3.4. Conclusions .......................................................................................................................... 28
4. QUESTIONS RELATIVES À LA GÉOLOGIE ET À L’HYDROGÉOLOGIE DU BASSIN
HYDROGRAPHIQUE DU SILALA .................................................................................................... 30
4.1. Introduction .......................................................................................................................... 30
4.2. Géologie et hydrogéologie des sources des zones humides du Silala et de la zone
environnante ........................................................................................................................... 31
4.2.1. Stratigraphie ................................................................................................................. 31
4.2.2. Géologie structurale ..................................................................................................... 37
4.2.3. Pétrographie ................................................................................................................. 39
4.2.4. Hydrogéologie ............................................................................................................. 40
- 39 -
- iii -
4.3. Conclusions .......................................................................................................................... 41
5. CONTRE-VÉRITÉS ET ATTRIBUTION CAUSALE BIAISÉE CONCERNANT LA DÉGRADATION
DES ZONES HUMIDES ................................................................................................................... 43
6. CONCLUSIONS ............................................................................................................................. 45
7. RÉFÉRENCES ................................................................................................................................ 48
- 40 -
- iv -
LISTE DES FIGURES
Page
Figure 1. Bassin versant hydrologique et zone du champ proche du Silala défini par le
DHI (CMB, vol. 2, p. 125) ....................................................................................................... 9
Figure 2. Domaines couverts par les trois modèles distincts du DHI (Muñoz et al., 2019) ....... 10
Figure 3. Conditions aux limites du modèle de bilan hydrique (Muñoz et al., 2019) ................. 12
Figure 4. Zone du modèle en champ proche de la Bolivie. Les parties en vert représentent
les conditions limites à charge imposée, celles en noir représentent la condition limite
à flux nul et celles en gris représentent la condition limite à gradient imposé (Muñoz et
al., 2019) ................................................................................................................................ 14
Figure 5. Cotes d’altitude utilisées dans les quatre modèles boliviens, comparées en deux
points (sections transversales) sur la largeur du chenal principal près de la frontière
internationale (Muñoz et al., 2019) ........................................................................................ 17
Figure 6. Cotes d’altitude utilisées dans les quatre modèles boliviens, comparées en deux
points (sections transversales) sur la largeur du chenal principal dans la zone humide
Orientales. Plus particulièrement, en ces deux points, la topographie de référence
coïncide avec la topographie du scénario «sans canal» dans le modèle MIKE SHE et la
ligne noire pointillée se superpose à la ligne jaune (Muñoz et al., 2019) .............................. 18
Figure 7. Cartes piézométriques utilisées pour définir les conditions limites correspondant
aux eaux souterraines (CMB, vol. 5, p. 19 de la version anglaise). On aperçoit en noir
les courbes isopièzes, tandis que les polygones hachurés représentent l’unité HGU4.
La flèche rouge superposée à l’image indique l’écoulement souterrain implicite à
travers l’unité HGU4 (Muñoz et al., 2019) ............................................................................ 19
Figure 8. A) Courbes isopièzes figurant dans le modèle en champ proche du Silala,
obtenues par interpolation des relevés de puits piézométriques, de l’altitude des
sources et des excavations des zones humides réalisées aux fins de l’échantillonnage
des sols (adapté de CMB, vol. 4, p. 97 de la version anglaise). Le domaine du modèle
en champ proche est délimité par le polygone à bordure blanche et noire, lequel
illustre, en noir, les limites à flux nul du DHI et, en blanc, les limites au travers
desquelles l’eau peut circuler. Les flèches bleues représentent la direction de
l’écoulement souterrain, interprétée à partir des courbes de niveau. B) Direction
globale de l’écoulement dans la zone humide nord et C) direction globale de
l’écoulement dans la zone humide sud (adapté de CMB, vol. 2, p. 371 de la version
anglaise). N.B. Le texte qui figure dans l’encadré inférieur de la vignette C se lit
comme suit : «Surface drainée de la zone humide où la végétation présente des signes
de changement» (Muñoz et al., 2019).................................................................................... 21
Figure 9. Différence entre les charges initiales des eaux souterraines dans les scénarios de
référence et «sans canal» et dans le scénario «sans perturbations». Les valeurs
positives correspondent aux zones où la charge initiale des eaux souterraines est
supérieure dans le scénario «sans perturbations» (Muñoz et al., 2019) ................................ 23
Figure 10. Sections où l’eau ne s’écoule pas à travers le chenal principal (Muñoz et al.,
2019) ...................................................................................................................................... 25
Figure 11. Sections où le chenal est inondé (Muñoz et al., 2019) .............................................. 26
- 41 -
- v -
Figure 12. Variations de l’écoulement sur la largeur du chenal en deux points (sections
transversales) du tronçon allant de la confluence des gorges Cajones et Orientales à la
frontière internationale. A) Vue en plan du domaine du modèle en champ proche, qui
représente l’emplacement des sections analysées. B) Chroniques de débit
correspondant aux sections 3550 et 3160. C) Gros plan sur les deux derniers jours des
chroniques de débit aux sections 3550 et 3160 (Muñoz et al., 2019) .................................... 27
Figure 13. L’ignimbrite Silala (Chi) repose manifestement sur la sous-unité Nis-3 de
l’ignimbrite Silala (Bol), située à l’est du bofedal sud (Orientales). Les laves
Inacaliri 2, plus jeunes, reposent sur l’ignimbrite Silala (Chi) (SERNAGEOMIN,
2019b) .................................................................................................................................... 33
Figure 14. Carte géologique de la zone du Silala étudiée (DB, exemplaires complets de
certaines annexes, vol. 2, annexe 23.5, appendice A, p. 69 de la version anglaise) ............. 35
Figure 15. La coupe géologique générale des sources de Silala (DB, vol. 4, p. 125 de la
version anglaise) montre que les âges cités par la Bolivie (ajoutés à la figure pour plus
de clarté) ne corroborent pas la relation stratigraphique établie par les géologues
boliviens (DB, vol. 4, p. 115 de la version anglaise). Dans la coupe transversale, on
aperçoit que les roches plus anciennes (volcanites du Miocène) reposent sur les laves
plus jeunes. C’est manifestement incorrect. La coupe montre également que les
ignimbrites reposent sous les laves du dôme formé par le Silala Chico (Cerrito de
Silala), ce qui est tout aussi incorrect, puisque les ignimbrites sont plus jeunes que les
laves du dôme. Le Chili a établi l’âge de l’ignimbrite Silala (Chi) à 1,61 Ma et celui de
l’ignimbrite Cabana (Chi) à 4,12 Ma (SERNAGEOMIN (Chili), 2019b) ............................. 36
Figure 16. Carte du DHI modifiée, 2018 (CMB, vol. 4, p. 76 de la version anglaise, figure
29) où apparaît en rouge le supposé système de failles de Silala (RC, vol. 3, p. 211 de
la version anglaise) ................................................................................................................ 37
Figure 17. SFUK, situé à 31 km à l’est-nord-est du bassin versant souterrain du bassin
hydrographique du Silala. L’abréviation KUFZ qui apparaît dans la figure désigne le
SFUK, abréviation utilisée dans le présent rapport (SERNAGEOMIN (Chili), 2019b) ...... 39
- 42 -
- vi -
LISTE DES TABLEAUX
Page
Tableau 1. Bilan hydrique du «modèle de bilan hydrique» – version
Silala_model_gw_200m_v12_final.she (Muñoz et al., 2019) ............................................... 11
Tableau 2. Les différents termes du bilan hydrique modélisé (DB, vol. 5, p. 80 de la
version anglaise) .................................................................................................................... 15
- 43 -
- vii -
LISTE DES ACRONYMES ET ABRÉVIATIONS
CMB Contre-mémoire de l’Etat plurinational de Bolivie
DB Duplique de l’Etat plurinational de Bolivie
DHI Danish Hydraulic Institute (institut danois d’hydraulique)
ha Hectare
km2 Kilomètre carré
l/s Litre par seconde
m Mètre
MBH Modèle de bilan hydrique
MC Mémoire de la République du Chili
mm/an Millimètre par an
NDVI Indice de végétation normalisé (Normalized Difference Vegetation Index)
RC Réplique de la République du Chili
SFUK Système de failles d’Uyuni-Khenayani
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1. INTRODUCTION
1.1. Cahier des charges de l’expertise
Dans le différend concernant le statut et l’utilisation des eaux du Silala qui oppose la
République du Chili à l’Etat plurinational de Bolivie et qui a été porté devant la Cour internationale
de Justice, l’échange des pièces de procédure écrite entre les Parties a montré que celles-ci et leurs
experts techniques étaient d’accord sur de nombreux points. Il est ainsi admis par l’une et l’autre
(RC, vol. 1, p. 99-101 ; CMB, vol. 2, p. 75) que le Silala est un cours d’eau international et que tant
les eaux de surface que les eaux souterraines circulant dans son bassin versant topographique et le
bassin versant souterrain plus vaste s’écoulent naturellement de la Bolivie jusqu’au Chili. Il est aussi
admis que la chenalisation des zones humides et du lit naturel du Silala en Bolivie a probablement
engendré une augmentation de l’écoulement de surface et une diminution de l’écoulement souterrain
circulant de la Bolivie au Chili1. En outre, les deux Parties s’accordent sur le fait que, si les chenaux
étaient supprimés et que les zones humides étaient restaurées de manière à les rendre à leur état
antérieur aux aménagements, on observerait une réduction de l’écoulement de surface, une légère
augmentation de l’évaporation des zones humides et un accroissement de l’écoulement souterrain
transfrontière.
Sur le plan scientifique, les deux Parties restent en désaccord sur un point important, à savoir
l’ampleur des effets de la chenalisation sur les écoulements de surface et souterrains qui traversent
la frontière. La Bolivie a principalement fondé ses estimations sur les travaux de modélisation en
champ proche du Danish Hydraulic Institute (DHI, institut danois d’hydraulique), le champ proche
représentant une petite zone qui renferme les sources d’amont et les zones humides situées en
territoire bolivien, ainsi que le couloir fluvial à la frontière internationale. Cette modélisation donne
des estimations hautes des effets, alors que ceux-ci, selon les experts mandatés par le Chili, sont
faibles.
C’est dans ce contexte que la République du Chili a sollicité notre avis d’experts indépendants
sur les questions suivantes :
«Questions posées à M. Howard Wheater, ingénieur hydrologue :
i) Les données numériques sur lesquelles s’appuie le contre-mémoire, et que la
Bolivie a communiquées après que le Chili eut achevé sa réplique,
modifient-elles sensiblement votre appréciation de la modélisation réalisée par
les experts de la Bolivie pour déterminer les effets de la chenalisation et de la
croissance éventuelle de la couche de tourbe à long terme ?
1 Nous constatons que la compréhension qu’a la Bolivie de ces changements est quelque peu confuse. Au
paragraphe 68 de sa duplique, elle affirme à raison que les eaux de surface s’écoulent nettement plus vite que les eaux
souterraines, mais semble penser, à tort, que ce facteur est pertinent au regard des points de désaccord juridiques ou
scientifiques entre les Parties (DB, vol. 1, p. 37). Ce qui importe dans le différend qui nous occupe, c’est bien la répartition
de la ressource hydrique entre sa composante superficielle et sa composante souterraine, laquelle est fonction de
l’écoulement de l’eau exprimé sous forme de débit volumique (l/s), et non de la vitesse d’écoulement (m/s). La Bolivie fait
observer dans le même passage que «[l]’écoulement des eaux de surface du Silala de la Bolivie au Chili a été amélioré, en
volume comme en débit» (DB, vol. 1, par. 68). L’emploi des termes «volume» et «écoulement» dénote une certaine
confusion conceptuelle. C’est bien le débit d’écoulement volumique, et non la vitesse d’écoulement, qui importe. Le fait
que les eaux de surface s’écoulent plus rapidement que les eaux souterraines ne modifie pas le débit de l’écoulement (débit
volumique) qui traverse la frontière. La vitesse élevée de l’écoulement dans le lit de la rivière vaut pour l’eau qui passe par
une petite largeur du cours d’eau, tandis que la vitesse d’écoulement des eaux souterraines, inférieure de plusieurs ordres
de grandeur, s’applique à l’eau qui traverse l’aquifère sur une grande largeur.
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ii) Les travaux de modélisation complémentaires et autres études effectués par les
experts de la Bolivie, tels que présentés dans la duplique de cette dernière,
offrent-ils une évaluation correcte de l’ampleur de ces effets ?
Questions posées à M. Denis Peach, hydrogéologue :
i) Les informations fournies par les experts de la Bolivie, telles que présentées
dans la duplique, modifient-elles sensiblement votre évaluation de la
représentation géologique et hydrogéologique qui sous-tend la modélisation
par la Bolivie des effets de la chenalisation et de la croissance éventuelle de la
couche de tourbe à long terme ?
ii) En quoi ces nouvelles informations influent-elles, le cas échéant, sur la validité
de la modélisation que propose la Bolivie des effets de la chenalisation et de la
croissance éventuelle de la couche de tourbe à long terme ?»
Le présent rapport est limité à ces questions. A ce stade de la procédure, nous estimons que ce
serait faire perdre du temps à la Cour que de réfuter toutes les interprétations erronées que fait la
Bolivie de nos précédents rapports ou d’examiner les autres erreurs qui figurent dans les rapports
scientifiques présentés par la Bolivie dans sa duplique. Toutefois, nous renvoyons la Cour à l’avis
qu’ont émis au sujet de plusieurs de ces travaux les experts internationaux de la Bolivie (DB, vol. 2,
annexe 23) : le DHI a en effet signalé la qualité très variable des éléments scientifiques présentés.
1.2. Contexte et structure du rapport
L’échange des pièces de procédure écrite du Chili (mémoire et réplique) et de la Bolivie
(contre-mémoire et duplique) a fait apparaître d’importants points d’accord entre les Parties et leurs
experts techniques concernant l’hydrologie du système hydrographique du Silala. Nous en avons
résumé les principaux comme suit dans notre rapport joint à la réplique du Chili (RC, vol. 1, p. 101).
«Les experts de la Bolivie et nous-mêmes émettons des avis convergents sur les
points suivants :
1. Le Silala s’écoule naturellement de la Bolivie au Chili. Il émerge de deux ensembles
de sources en Bolivie, qui alimentent les zones humides Cajones et Orientales.
2. La rivière est essentiellement alimentée par des apports souterrains et elle interagit
avec les eaux souterraines présentes le long de son parcours jusqu’à la frontière et
au-delà.
3. En outre, d’importants écoulements souterrains, dont l’ampleur est probablement
équivalente à celle des écoulements de surface, transitent de la Bolivie au Chili.
4. La construction des canaux de drainage et la chenalisation de la rivière dans les
années 1920 ont sans doute eu un effet léger sur l’écoulement. On peut s’attendre à
ce qu’elles en aient augmenté le débit.
5. L’incidence du drainage sur l’évaporation des zones humides est faible.»
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En outre, les deux Parties s’accordent sur le fait que, si les chenaux étaient supprimés, on
observerait une réduction de l’écoulement de surface, une légère augmentation de l’évaporation des
zones humides2 et un accroissement de l’écoulement souterrain transfrontière.
Sur le plan scientifique, les deux Parties et leurs experts internationaux restent en désaccord
sur un point important, à savoir l’ampleur des effets de la chenalisation sur les écoulements de surface
et souterrains qui traversent la frontière. La Bolivie a principalement fondé ses estimations sur les
travaux de modélisation en champ proche du DHI, le champ proche représentant une petite zone de
2,56 kilomètres carrés (km²) qui renferme les sources et les zones humides boliviennes, ainsi que le
couloir fluvial à la frontière internationale. Trois scénarios ont été modélisés, représentant
respectivement le statu quo, la suppression des chenaux, et la suppression des chenaux couplée à la
croissance éventuelle à long terme de sols tourbeux dans les zones humides. Cette modélisation
donne des estimations hautes des effets, alors que ceux-ci, selon les experts mandatés par le Chili,
sont faibles (RC, vol. 1, p. 141).
Dans le contre-mémoire de la Bolivie (CMB, vol. 1, p. 52-53), il est indiqué qu’en l’absence
de chenaux et d’ouvrages de drainage, les écoulements de surface du Silala enregistreraient une
diminution de l’ordre de 30 à 40 %, l’évapotranspiration des zones humides restaurées augmenterait
dans une fourchette de 20 à 30 %, et l’écoulement souterrain transfrontière connaîtrait une
augmentation de l’ordre de 7 à 11 %. Le Chili a fait observer que les conditions limites postulées
pour les modèles induisaient une amplification des effets et, pour illustrer cette erreur, il a pris pour
exemple un calcul standard simplifié. Le DHI et la Bolivie ont mal interprété cet exemple de calcul
(DB, vol. 1, p. 33), qui était uniquement destiné à démontrer le problème que pose le recours
inapproprié aux conditions limites posées, et non à fournir une estimation de l’effet probable de la
chenalisation ; le DHI a cependant admis que notre analyse critique des conditions limites était
fondée et que ses calculs avaient conduit à une surestimation de l’effet produit (DB, vol. 5, p. 148).
Par conséquent, le DHI a révisé les résultats de sa modélisation et les a présentés dans la duplique de
la Bolivie, où il considère que ses résultats antérieurs constituent une limite haute : «si les chenaux
et les systèmes de drainage étaient retirés, l’écoulement des eaux de surface du Silala qui franchit la
frontière diminuerait de 11 à 33 % par rapport aux conditions actuelles … l’évapotranspiration dans
les zones humides sans les canaux augmenterait de 28 à 34 % par rapport aux valeurs de référence,
soit entre 2,8 et 3,4 l/s, alors que l’écoulement souterrain du Silala qui traverse la
frontière … augmenterait de 4 à 10 % par rapport aux conditions actuelles» (DB, vol. 1, par. 64).
Le présent rapport fait état des graves inquiétudes qui subsistent quant à la validité de la
modélisation du DHI : elles sont résumées à la section 2. Les fichiers de données qui ont été utilisés
pour modéliser les effets de la chenalisation présentés dans le contre-mémoire de la Bolivie ont été
fournis par le DHI après l’élaboration de la réplique du Chili ; à la section 3 du présent rapport, nous
analysons ces données pour démontrer que les résultats tirés de la modélisation des différents
scénarios ne sont pas comparables et que ceux qui ont été présentés induisent gravement la Cour en
erreur. Les inquiétudes sont nombreuses, mais un facteur particulièrement important est l’utilisation
de différentes topographies pour modéliser les différents scénarios. Les résultats de la simulation de
ces différents scénarios ne sont pas comparables, et les différences topographiques entre les scénarios
sont nettement supérieures aux dimensions des chenaux et à la croissance hypothétique de la couche
de tourbe, dont la modélisation est censée quantifier les effets. Ces problèmes se posent à nouveau
dans les résultats révisés de la modélisation qui sont présentés dans la duplique de la Bolivie.
En outre, tous les travaux de modélisation du DHI se fondent sur l’interprétation que fait la
Bolivie de la géologie du bassin hydrographique du Silala ; à la section 4 du présent rapport, nous
montrons que sa compréhension de la géologie du bassin versant du Silala est incorrecte, ce qui
invalide les modèles conceptuels hydrogéologiques qui sous-tendent l’intégralité de la modélisation
du DHI.
2 Les deux Parties conviennent que l’évaporation des zones humides est un terme mineur du bilan hydrique.
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A la section 5, nous examinons les éléments récents produits par la Bolivie pour démontrer les
effets qu’aurait eus la chenalisation historique sur les zones humides en Bolivie. Si cette
chenalisation, entreprise avec le consentement de la Bolivie, relèvent de la responsabilité de cette
dernière, il est utile, pour la gestion future du Silala, la restauration des zones humides et les
écoulements futurs en aval, que les raisons des changements historiques soient clairement comprises.
Certes, il est probable que la chenalisation ait eu des effets sur la santé des écosystèmes des zones
humides, ce que nous ne remettons pas en cause, mais nous partageons l’avis du DHI, qui a procédé
à un examen indépendant de certains des documents soumis, quant au fait que les zones humides ont
évolué dans le temps pour plusieurs raisons, dont, en particulier, les changements climatiques. Nous
en concluons que les documents produits par la Bolivie renferment des exagérations et des
affirmations totalement dénuées de fondement quant à l’ampleur des changements intervenus dans
les zones humides et au rôle de la chenalisation. A la section 6, nous présentons nos conclusions ainsi
que nos réponses aux questions qui nous ont été posées par le Chili.
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2. RÉSUMÉ
Si les Parties s’accordent généralement sur l’hydrologie du bassin hydrographique du Silala et
la nature des changements susceptibles de découler de la chenalisation historique en Bolivie, leurs
avis divergent fortement au sujet de l’ampleur probable de ces effets. La Bolivie affirme que la
chenalisation a eu des effets importants sur l’écoulement réel, tout en admettant que toute
modification de l’écoulement de surface transfrontière s’accompagnera d’une modification connexe
des écoulements souterrains qui traversent également la frontière. Le Chili considère que les
estimations boliviennes n’étaient pas réalistes. Vu que le drainage des zones humides et la
chenalisation du cours principal entraînent une réduction relativement faible des niveaux des nappes
libres, les effets susceptibles d’en découler seront probablement faibles.
Pour estimer l’ampleur des variations, la Bolivie se fonde sur les simulations réalisées par les
experts du DHI et présentées dans le contre-mémoire. Sur la base des informations limitées qu’elle
avait fournies à ce stade, le Chili a relevé deux points inquiétants qui mettaient en doute la crédibilité
de la modélisation. Le premier point est la spécification erronée des conditions limites posées pour
le modèle en champ proche du DHI, sur lequel reposent les estimations des effets. Le second point
est l’interprétation incorrecte que fait la Bolivie de la géologie, qui constitue le point de départ de
tous les travaux de modélisation du DHI. Dans la duplique de la Bolivie, le DHI a accepté les critiques
formulées au sujet des conditions limites et a requalifié ses résultats antérieurs, indiquant qu’il
s’agissait d’une estimation haute des effets. En parallèle, le Chili a demandé des informations
complémentaires sur les fondements de la modélisation, lesquelles lui ont finalement été données en
février 2019.
Dans le présent rapport, nous évaluons ces données supplémentaires et examinons les résultats
révisés qui sont présentés dans la duplique. En bref, outre les inquiétudes soulevées par le Chili dans
sa réplique, l’analyse des données numériques du DHI a mis au jour un nombre important de sujets
de préoccupation, ainsi qu’une multitude de différences non signalées entre les scénarios modélisés,
ce qui nous amène à conclure que les résultats ne sont nullement fiables, comme il sera expliqué plus
loin.
Nous avons également examiné les nouvelles pièces documentaires, soumises dans la
duplique, qui expliquent le fondement des interprétations géologiques de la Bolivie et de sa
représentation géologique du bassin hydrographique du Silala. Il est apparu, à l’examen détaillé de
ces éléments, que ceux-ci renfermaient des erreurs considérables et des interprétations erronées,
prêtaient souvent à confusion et présentaient de nombreuses incohérences internes, ce qui nous
amène à conclure que la modélisation du DHI repose sur une conception erronée de la géologie et de
l’hydrogéologie.
De plus, puisque, pour la restauration des zones humides et la prédiction des effets sur les
écoulements en aval, il est important de comprendre correctement les effets de la chenalisation sur
les zones humides, nous émettons des observations sur les rapports établis par d’autres experts
désignés par la Bolivie, lesquels contiennent des données utiles sur les changements historiques, mais
aussi des affirmations infondées sur les liens de causalité dans les zones humides.
Nous répondons ci-après aux questions du Chili. Chacun répondant aux questions qui lui ont
été posées, les réponses i) et ii) sont de M. Wheater, et les réponses iii) et iv) sont de M. Peach.
Toutes reflètent cependant notre opinion conjointe.
i) Les données numériques sur lesquelles s’appuie le contre-mémoire, et que la
Bolivie a communiquées après que le Chili eut achevé sa réplique,
modifient-elles sensiblement votre appréciation de la modélisation réalisée par
les experts de la Bolivie pour déterminer les effets de la chenalisation et de la
croissance éventuelle de la couche de tourbe à long terme ?
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Les données numériques fournies par la Bolivie en février 2019 ont permis de procéder à une
analyse détaillée des travaux de modélisation du DHI qui servent à étayer la thèse de la Bolivie quant
aux effets de la chenalisation historique du Silala sur son territoire, tels que présentés dans le
contre-mémoire. L’analyse des configurations, des paramètres, des données d’entrée et des résultats
de simulation des modèles a révélé que de nombreux aspects de la modélisation laissaient planer de
sérieux doutes sur la fiabilité des résultats, en particulier pour ce qui concerne la modélisation de la
zone de 2,56 km² baptisée champ proche par le DHI, cette zone englobant les sources d’alimentation
du Silala et les zones humides en Bolivie, ainsi que le lit de la rivière à la frontière internationale.
Le modèle en champ proche a été utilisé par le DHI dans la simulation de trois scénarios — le
scénario «de référence» (état actuel), un scénario «sans canal» (où les chenaux actuels sont
supprimés) et un scénario «sans perturbations» (où les chenaux actuels sont supprimés et où l’on
inclut la possibilité que les sols tourbeux des zones humides se développent à long terme) — pour
évaluer les effets de la chenalisation historique du Silala et de ses zones humides en Bolivie et de la
croissance éventuelle future des sols tourbeux dans les zones humides. S’appuyant sur ces résultats,
la Bolivie prétend que la chenalisation historique a eu des effets considérables sur les écoulements
transfrontières du Silala.
Nous avions fait observer précédemment, dans la réplique du Chili, qu’il y avait des erreurs
dans l’interprétation géologique sur laquelle est basée la modélisation (et donc dans la configuration
et la paramétrisation du modèle) et qu’un problème majeur se posait quant au choix des conditions
limites du modèle en champ proche, ce qui causait une surestimation des effets indiqués. Toutefois,
l’examen des données numériques par des hydrologues chiliens (Muñoz et al., 2019) a permis de
mettre au jour de nombreuses différences non signalées entre les modèles utilisés pour comparer les
scénarios et entre les conditions limites des modèles et les conditions initiales. Outre que ces
différences n’ont pas été signalées, la méthodologie utilisée n’a pas été expliquée et des hypothèses
incorrectes ont été émises. Plus important encore est sans doute le fait que, comme nous l’avons
découvert, des topographies distinctes avaient été utilisées dans les différents scénarios, y compris
pour un même scénario — celui de référence — employé pour modéliser les processus liés au bassin
versant (le modèle MIKE SHE) et l’écoulement en chenal (le modèle MIKE 11). Ces différences
topographiques, qui vont jusqu’à 7 m, sont nettement supérieures aux légères variations dans la
profondeur des chenaux et dans la croissance de la tourbe que les modèles étaient censés évaluer, et
sont, en soi, de nature à générer de considérables écarts entre les scénarios. Alors que les erreurs et
inexactitudes signalées pour la modélisation du champ proche étaient peu ou prou de même ampleur
que les effets simulés, ce qui, en soi, fait déjà planer le doute sur la validité des conclusions tirées de
la modélisation, nous concluons que les effets importants qu’invoque la Bolivie correspondent, pour
l’essentiel, aux biais causés par les différences non signalées que l’on observe entre les scénarios
modélisés.
En bref, nous modifions sensiblement notre appréciation de la fiabilité des travaux de
modélisation effectués par les experts de la Bolivie. Selon notre opinion professionnelle, les résultats
publiés sur les effets de la chenalisation et d’une possible croissance à long terme de la tourbe ne
sont nullement fiables et la Cour ne devrait donc pas en tenir compte.
ii) Les travaux de modélisation complémentaires et autres études effectués par les
experts de la Bolivie, tels que présentés dans la duplique de cette dernière,
offrent-ils une évaluation correcte de l’ampleur de ces effets ?
Nous notons avec satisfaction que, comme il ressort de la duplique de la Bolivie, le DHI a
accepté nos critiques au sujet du choix des conditions limites du modèle en champ proche, et
considère à présent que ces résultats forment la limite haute des effets de la chenalisation et de
l’éventuelle croissance de la tourbe à long terme. Le DHI propose également une estimation basse
des effets simulés, calculée à flux constant à la limite. Nous convenons qu’il s’agit là d’une condition
appropriée pour établir une estimation basse. Toutefois, les résultats de la simulation présentés dans
ce cadre n’en pèchent pas moins par toutes les erreurs et incohérences mentionnées plus haut et
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comportent des erreurs de même ampleur que les effets simulés. En outre, ils diffèrent des résultats
qui ont été présentés dans le contre-mémoire de la Bolivie pour la même simulation, ce qui témoigne
une fois de plus du manque de fiabilité du processus de modélisation. Là encore, selon notre opinion
professionnelle, ces nouveaux résultats de modélisation sont trompeurs et ne devraient pas être pris
en considération.
Nous notons que le DHI fait référence à une estimation historique de l’écoulement, effectuée
en 1922 avant la chenalisation, pour étayer ses simulations et conclusions. Or, selon nous, on ne
saurait porter crédit à une estimation unique, réalisée en un lieu incertain et dans un environnement
difficile où les mesures contemporaines se sont révélées largement erronées.
D’autres experts désignés par la Bolivie se sont penchés sur la relation entre la chenalisation
historique et les changements observés dans les zones humides. Il est important de comprendre les
causes de l’évolution des zones humides, étant donné que les deux Parties souhaitent que celles-ci
soient restaurées, et d’en appréhender les effets sur les débits en aval. Bien que ces autres études
apportent d’importants éclairages sur certains des changements qui se sont produits dans les zones
humides, elles désignent, à tort, la chenalisation comme seule responsable des changements observés.
Etant donné que les dates des changements signalés sont sans rapport aucun avec les dates des travaux
de chenalisation, il faut en conclure que d’autres facteurs jouent ici un rôle considérable. Nous
souscrivons à l’avis des experts du DHI, à savoir que les changements climatiques sont probablement
l’un des plus importants facteurs de contrôle.
iii) Les informations fournies par les experts de la Bolivie, telles que présentées
dans la duplique, modifient-elles sensiblement votre évaluation de la
représentation géologique et hydrogéologique qui sous-tend la modélisation
par la Bolivie des effets de la chenalisation et de la croissance éventuelle de la
couche de tourbe à long terme ?
Ayant analysé l’interprétation bolivienne de la géologie et de l’hydrogéologie du bassin
hydrographique du Silala, il nous semble évident que cette interprétation géologique qui sous-tend
la modélisation de la Bolivie présente de sérieux défauts. Dans sa duplique, la Bolivie a soumis de
nouveaux éléments géologiques qui sont souvent confus et incohérents. En outre, elle a fait fi des
éléments de preuve fournis par le Chili, se contentant d’affirmer que ses propres interprétations sont
correctes.
iv) En quoi ces nouvelles informations influent-elles, le cas échéant, sur la validité
de la modélisation que propose la Bolivie des effets de la chenalisation et de la
croissance éventuelle de la couche de tourbe à long terme ?
La géologie et l’hydrogéologie de la zone autour des sources des zones humides boliviennes
et en aval du Silala, que le DHI appelle le «champ proche du Silala», sont complexes et, faute de
données suffisantes, prêtent souvent à des interprétations divergentes. Il reste que, en ce qui concerne
la géologie et l’hydrogéologie, le DHI a adopté un ensemble de modèles qui ne reflètent pas le
meilleur état des connaissances sur la situation réelle et qui se fondent sur de nombreuses conclusions
et hypothèses erronées ainsi que sur des interprétations intrinsèquement incohérentes, sans compter
les problèmes mentionnés précédemment dans la réponse à la question i). Les modèles sont donc
susceptibles de générer des résultats totalement erronés. Selon nous, il ne fait aucun doute que les
effets de la chenalisation tels qu’estimés par la Bolivie sont fortement surestimés. Cette conclusion
s’explique en partie par le fait que les conditions limites adoptées pour le modèle en champ proche
sont incorrectes, dans leur définition comme dans leur emplacement, ainsi que par le recours à une
représentation topographique incohérente et très variable. Mais d’autres facteurs faussent également
les résultats : une interprétation erronée de la géométrie de l’aquifère, l’application de répartitions
des propriétés de l’aquifère qui méconnaissent la géométrie et la stratigraphie réelles, et le fait d’avoir
ignoré l’existence d’un vaste aquifère peu profond.
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Non seulement le modèle en champ proche ne reflète pas la réalité, mais il est en outre
incompatible avec la représentation conceptuelle du régime d’écoulement des eaux souterraines
présentée par la Bolivie elle-même.
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3. MODÉLISATION DES EFFETS DE LA CHENALISATION SUR L’HYDROLOGIE
DU SYSTÈME HYDROGRAPHIQUE DU SILALA
3.1. Introduction
Dans le contre-mémoire de la Bolivie, le DHI a recours à une série de modèles pour représenter
l’hydrologie du Silala et son bassin versant souterrain, dont il estime la surface à 234,2 km² (figure 1).
Sur la plateforme de modélisation MIKE SHE du DHI, trois modèles ont été mis au point. Un modèle
en champ lointain, baptisé modèle de bilan hydrique (ci-après le «MBH»), a servi à simuler le bilan
hydrique du bassin versant topographique ainsi que les écoulements souterrains et les temps de
résidence des eaux dans le bassin versant souterrain plus vaste. Un modèle en champ proche a été
élaboré pour représenter la vallée du Silala, de la frontière internationale aux sources d’eaux
souterraines dont émanent les écoulements de surface du Silala, ainsi que les zones humides Cajones
et Orientales associées, dont la surface est établie tantôt à 2,7 km² (CMB, vol. 2, p. 106), tantôt à
2,56 km² (CMB, vol. 5, p. 13 de la version anglaise). Un troisième modèle correspondant à la zone
frontalière a été établi pour représenter plus en détail les interactions entre les eaux de surface et les
eaux souterraines qui se produisent dans une zone du modèle en champ proche située entre la
confluence des affluents Orientales et Cajones et la frontière internationale (CMB, vol. 5, p. 72-76
de la version anglaise). Les trois zones retenues dans les modèles sont illustrées à la figure 2. Compte
tenu de leur pertinence au regard des questions sur lesquelles les Parties restent en désaccord, nous
nous concentrerons dans le présent rapport sur les modèles en champ lointain et en champ proche.
Les résultats de ces modèles sont résumés dans le volume 2 du contre-mémoire de la Bolivie (CMB,
vol. 2, annexe 17), et les modèles sont présentés plus en détail dans les volumes 3 et 5 (CMB, vol. 3,
annexe 17, annexe E ; CMB, vol. 5, annexe 17, annexes G et H).
Figure 1
Bassin versant hydrologique et zone du champ proche du Silala défini
par le DHI (CMB, vol. 2, p. 125)
Légende :
Geological faults = Failles géologiques
Road = Route
International border = Frontière internationale
Silala canal = Canal du Silala
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Sub catchments = Sous-bassins versants
Hydrological catchment = Bassin versant hydrologique
Road catchment = Bassin versant routier
Topographical catchment = Bassin versant topographique
Near field = Champ proche
Figure 2
Domaines couverts par les trois modèles distincts du DHI (Muñoz et al., 2019)
Légende :
Water Balance Model (WBM) = Modèle de bilan hydrique (MBH)
Near Border Model = Modèle de la zone frontalière
Near Field Model = Modèle en champ proche
Inacaliri Police Station = Poste de police d’Inacaliri
CODELCO Intake = Prise d’eau de la CODELCO
Area enlarged = Emplacement de la zone agrandie
Sur la base des informations limitées qui sont contenues dans le contre-mémoire de la Bolivie,
nous avons établi un rapport sur les travaux de modélisation du DHI (Wheater et Peach, 2019), dans
lequel nous exposions brièvement les points d’inquiétude majeurs mettant en cause la validité de la
modélisation en champ proche. S’agissant des valeurs estimées par le DHI, à savoir que les
écoulements de surface naturels en l’absence d’ouvrages de drainage et de chenalisation seraient de
30 à 40 % inférieurs à ce qui est observé aujourd’hui, comme indiqué dans le contre-mémoire de la
Bolivie (CMB, vol. 2, p. 75), nous avions fait observer que «[s]elon nous, les estimations très larges
réalisées par le DHI sont invraisemblables, car elles sont formulées en dépit du bon sens» (RC, vol. 1,
p. 55).
Comme nous nous étions inquiétés du caractère limité des informations données dans le
contre-mémoire pour définir les modèles et les résultats du DHI, le Chili a demandé, par lettre en
date du 5 novembre 2018 adressée à l’agent de la Bolivie, à avoir accès aux fichiers numériques de
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la configuration, de la paramétrisation et des données d’entrée et de sortie des modèles. Par lettre
datée du 3 décembre, M. Jensen, du DHI, a fait savoir qu’il refusait de fournir ces données.
M. Wheater a écrit à l’agent du Chili le 19 décembre 2018, indiquant que les informations fournies
dans le contre-mémoire de la Bolivie étaient insuffisantes pour définir les modèles utilisés ou le
processus de modélisation qui avait été suivi, et qu’en outre, les résultats détaillés n’avaient pas été
communiqués.
Une nouvelle demande a été adressée à l’agent de la Bolivie le 21 décembre 2018, et les
données numériques ont finalement été reçues le 7 février 2019, alors qu’était déjà finalisée la
réplique du Chili, présentée à la Cour le 15 février 2019. Les données remises contiennent des
informations essentielles à l’étude de la configuration, de la paramétrisation et de la performance des
modèles du DHI, et une analyse détaillée a été menée par des hydrologues chiliens (Muñoz et al.,
2019), sous notre supervision. Les données numériques ont apporté un éclairage essentiel et montrent
de façon probante que les résultats du DHI ne sont pas valides et ne devraient pas être pris en
considération par la Cour. Le rapport intégral de Muñoz et al. (2019) est joint en annexe à la pièce
additionnelle du Chili. Nous en exposons ci-après les principales constatations et conclusions.
3.2. Modélisation du bilan hydrique
Le MBH (CMB, vol. 3, annexe 17, annexe E) a été exécuté pour apporter des précisions sur la
possible aire d’alimentation souterraine, la recharge, qui détermine l’ampleur des écoulements de
surface et souterrains traversant la frontière, et les temps de parcours des eaux souterraines. Des
estimations du bilan hydrique ont été réalisées pour les bassins versants topographique et souterrain
(à l’exclusion de la zone en champ proche). La recharge a ainsi été estimée à 24 mm/an, ce chiffre
se situant toutefois dans une fourchette de 19 à 49 mm/an d’après l’analyse de sensibilité réalisée3.
Le temps moyen de parcours des eaux souterraines a été estimé à 1500 ans, dans une fourchette de
50 à 6000 ans.
Le bilan hydrique tiré du MBH a été estimé sur la base d’une période de simulation de
17 500 jours, soit un peu moins de 48 ans. Les résultats tirés de l’un des fichiers remis en février 2019
(version Silala_model_gw_200m_v12_final.she) sont présentés dans le tableau 1. Les écoulements,
exprimés en mm/an et en l/s, ont été calculés en prenant pour référence la période de simulation et la
zone correspondant aux cellules actives du modèle. Le tableau montre que 198 l/s d’eaux souterraines
sortent du modèle à la limite du modèle en champ proche.
Lame d’eau
cumulée (mm)
Taux moyen
d’accumulation
(mm/an)
Débit
d’écoulement
moyen (l/s)
Précipitations - 6023 - 126 - 911
Evapotranspiration 4854 101 734
Recharge (préc. -évap.) - 1170 - 24 - 177
Variation de la réserve totale - 170 - 4 - 26
Sortie nette d’eaux souterraines à
la limite 1309 27 198
Erreur - 30 - 1 - 5
Tableau 1
Bilan hydrique du «modèle de bilan hydrique» – version Silala_model_gw_200m_v12_final.she
(Muñoz et al., 2019)
3 Nous constatons que dans le rapport provisoire no 3 du DHI (Muñoz et al., 2019, appendice D, p. 11) consacré au
bilan hydrique du bassin hydrographique et de l’aquifère, une mesure actualisée de la recharge est effectuée à l’aide du
même modèle, donnant une estimation de 56 mm/an. Aucune explication n’est fournie par le DHI quant aux raisons qui
l’ont poussé à revoir son estimation à la baisse dans son rapport final.
14
15
- 55 -
- 12 -
On peut noter que même après 48 ans, le modèle SHE ne s’est pas vraiment stabilisé en régime
permanent (la variation nette de la réserve s’élève à 170 mm (4 mm/an) au cours de la période de
simulation), un point sur lequel nous reviendrons plus tard.
Le DHI fait observer qu’une simulation à long terme est nécessaire pour estimer le bilan
hydrique (CMB, vol. 3, p. 471). Toutefois, il est utile de souligner que, bien qu’une période de 48 ans
permette de lisser la variabilité journalière et interannuelle à court terme, elle ne reflète pas la
variabilité climatique enregistrée sur une période de 6000 ans, à savoir le temps de parcours
maximum des eaux souterraines estimé par le DHI.
Muñoz et al. (2019) relèvent aussi une incohérence entre le modèle conceptuel
hydrogéologique du DHI et les conditions limites du MBH numérique (figure 3). Une condition à
flux nul est postulée à la limite sud-ouest du modèle, où se trouve notamment une section qui longe
la frontière chilo-bolivienne. Cela influe sur les flux souterrains modélisés qui pénètrent dans le
champ proche et sur la répartition de la recharge entre les eaux de surface et les eaux souterraines.
Figure 3
Conditions aux limites du modèle de bilan hydrique (Muñoz et al., 2019)
Légende :
Area enlarged = Emplacement de la zone agrandie
No flow = Flux nul
Water Balance Model (WBM) = Modèle de bilan hydrique (MBH)
Fixed Head (Initial potential head) = Charge imposée (potentiel initial des eaux
souterraines)
Inacaliri Police Station = Poste de police d’Inacaliri
CODELCO Intake = Bassin versant hydrologique
L’incapacité du modèle à atteindre un régime permanent et l’incompatibilité des conditions
aux limites ne revêtent guère d’importance pour l’estimation du bilan hydrique, mais ces deux points
16
- 56 -
- 13 -
se retrouvent de manière récurrente dans les travaux de modélisation du DHI et sont nettement plus
importants pour la modélisation en champ proche, comme nous le verrons ci-dessous.
3.3. Modélisation en champ proche
3.3.1. Pièces de procédure soumises à ce jour
La modélisation en champ proche du DHI est au coeur du désaccord qui oppose les Parties. Le
modèle en champ proche a été exécuté pour trois scénarios (CMB, vol. 5, p. 66-72 de la version
anglaise).
i) scénario «de référence» : situation actuelle avec chenalisation.
ii) scénario «sans canal» : situation sans chenaux.
iii) scénario «sans perturbations» : situation «restaurée» sans chenaux, où il est postulé que les
sols tourbeux des zones humides se développeront à long terme, pouvant atteindre jusqu’à
60 cm de profondeur4.
Nous notons que pour simuler le scénario de référence, le modèle MIKE SHE du DHI est
utilisé comme modèle de base pour représenter la réponse du bassin versant, notamment la zone non
saturée, les eaux souterraines, le ruissellement et l’évapotranspiration. Pour représenter l’écoulement
dans les chenaux, le modèle d’écoulement de surface MIKE 11 est appliqué. MIKE 11 est couplé au
modèle MIKE SHE et autorise les échanges d’eau entre les chenaux et le système hydrogéologique
sous-jacent. Les scénarios «sans canal» et «sans perturbations» reposent aussi sur le modèle
MIKE SHE, mais, dans ces cas, on ne trouve aucune représentation explicite des chenaux empruntés
par la rivière ; le modèle MIKE 11 n’est pas inclus.
Dans le contre-mémoire de la Bolivie, le DHI, se fondant sur la modélisation en champ proche,
affirme qu’«[e]n l’absence de canaux ... [l]a réduction de l’écoulement de surface par rapport aux
conditions actuelles serait de 30 à 40 %», «[l]’écoulement souterrain … à la frontière connaît[rait]
une augmentation de l’ordre de 7 à 11 %» et que «[l]’évapotranspiration est 20 à 30 % plus élevée
lorsque l’on supprime les canaux et que l’on restaure les zones humides [ce qui] correspond toutefois
à une réduction de seulement 2 à 3 l/s du débit combiné des écoulements souterrains et de surface à
la frontière»5 (CMB, vol. 2, p. 75).
L’un des aspects clés du modèle en champ proche réside dans le fait qu’il représente une petite
zone (2,56 km²), située dans la partie basse des bassins versants souterrain et topographique
(figure 4). Au vu des fortes incertitudes qui entourent la recharge et les propriétés du bassin versant
souterrain, le DHI a choisi de ne pas exécuter de modèle pleinement intégré pour le champ proche et
le champ lointain (DB, vol. 5, p. 67 de la version anglaise). L’apport entrant d’eaux souterraines dans
le modèle en champ proche a donc été déterminé par le choix des conditions aux limites du modèle.
Comme illustré à la figure 4, une «charge» imposée, à savoir une altitude imposée pour le niveau de
la nappe libre, a été spécifiée aux limites où les eaux souterraines sont autorisées à entrer dans le
champ proche. Nombre des limites latérales du modèle ont été définies comme étant des limites à
flux nul, tandis qu’un gradient de charge est spécifié à la limite sud-ouest inférieure. Les valeurs des
charges et gradients de charge spécifiées sont fondées sur des observations récentes.
4 Notons que la Bolivie fait référence à un «scénario avec zones humides restaurées» dans son contre-mémoire (par
exemple, CMB, annexe 17) puis, dans sa duplique, à un scénario «avec zones humides restaurées (sans perturbations)»
(DB, vol. 5, p. 73 de la version anglaise) et plus simplement à un scénario «sans perturbations» (DB, vol. 5, p. 79 de la
version anglaise) pour désigner le même scénario.
5 Les italiques figurent dans le rapport original du DHI.
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- 57 -
- 14 -
Figure 4
Zone du modèle en champ proche de la Bolivie. Les parties en vert représentent les conditions limites
à charge imposée, celles en noir représentent la condition limite à flux nul et celles en gris
représentent la condition limite à gradient imposé (Muñoz et al., 2019)
Légende :
Area enlarged = Emplacement de la zone agrandie
Water Balance Model (WBM) = Modèle de bilan hydrique (MBH)
Fixed Head (Initial potential head) = Charge imposée (potentiel initial des eaux
souterraines)
No flow = Flux nul
Near Field Model (NFM) = Modèle en champ proche
Fixed Gradient (-0.05) = Gradient imposé (- 0,05)
Dans la réplique du Chili (Wheater et Peach, 2019), nous avons fait observer que la condition
limite à charge imposée était inappropriée, car les conditions des nappes libres à la limite amont du
modèle sont maintenues constantes, alors que l’on fait varier l’intérieur du modèle pour représenter
les modifications de la chenalisation et de la croissance de la tourbe. En réalité, si près du chenal, la
nappe libre variera en réponse à ces modifications. La condition limite à nappe libre constante impose
des variations irréalistes du flux entrant dans le modèle, ce qui se traduit par des variations irréalistes
du flux sortant. Nous avons appliqué des calculs simples sur la largeur d’un segment de versant en
deux dimensions idéalisé pour montrer que cette condition limite amplifie grossièrement l’effet
simulé de la chenalisation et de l’éventuelle croissance de la tourbe, peut-être par un facteur de 20.
Nous avons également relevé d’importantes erreurs dans la représentation géologique sur laquelle se
fonde la modélisation. En ce qui concerne les changements proposés par le DHI, nous avons conclu
ce qui suit : «Nous convenons que ces effets peuvent se produire, mais force est de constater que les
larges estimations du DHI ne sont pas plausibles. Elles reposent intégralement sur la modélisation
hydrologique … une approche que nous jugeons fondamentalement biaisée.» (RC, vol. 1, p. 100).
Dans la duplique de la Bolivie (DB, vol. 5, p. 148), le DHI a jugé fondée notre critique des
conditions limites : «Il s’est toutefois avéré que les limites retenues étaient influencées par les
changements produits par la suppression des canaux et qu’elles auraient donc une incidence sur les
19
20
- 58 -
- 15 -
résultats correspondant à une situation où les canaux ont été supprimés.» La position que soutient
aujourd’hui le DHI est qu’il convient d’étudier la sensibilité aux conditions limites : «Il convient
donc de tenir compte des facteurs de sensibilité et d’incertitude dans l’examen des résultats du
scénario de référence et du scénario «sans canal» ou «sans perturbations».» (DB, vol. 5, p. 148).
Ainsi, le DHI s’intéresse dans son rapport (DB, vol. 5, annexe 25) à la sensibilité du modèle en champ
proche aux conditions limites postulées en amont et en aval. Il est à présent considéré que les
conditions limites à charge imposée en amont du modèle, précédemment adoptées, constituent une
limite haute : «En postulant qu’aucun changement ne se produise à la limite, les effets sur les
écoulements de surface seraient maximums, si bien que cette analyse représente l’estimation haute.»
(DB, vol. 5, p. 148). On peut interpréter qu’il est en cela admis que les résultats correspondant à la
limite haute sont irréalistes et que les effets seront inférieurs à ces valeurs. L’hypothèse basse posée
pour la condition limite en amont est qu’il n’y aura aucune variation du flux souterrain entrant dans
le modèle en champ proche, ce qui, nous en convenons, est une hypothèse prudente. En outre, il est
admis que la condition limite basse à gradient imposé qui est postulée influera elle aussi sur les
résultats.
Du fait de l’analyse de sensibilité, les estimations par la Bolivie de l’incidence de la
suppression des chenaux et de la croissance éventuelle de la tourbe à long terme ont été revues à la
baisse, mais elles restent élevées. La fourchette de résultats obtenue pour les scénarios sans canaux,
partant des hypothèses haute et basse qui ont été émises pour la condition limite en amont, est la
suivante (DB, vol. 5, p. 148-149) :
 «la simulation a abouti à une réduction de 11 à 33 % du débit des eaux de surface transfrontière
en cas de suppression des canaux.
 Le débit des eaux souterraines augmenterait de 4 à 10 % …
 L’évapotranspiration des zones humides … augmenterait de 28 à 34 % par rapport aux valeurs
de référence, soit entre 3 et 3,4 l/s.»
Les différents termes du bilan hydrique du modèle sont spécifiés dans le tableau 2 ci-dessous.
Tableau 7-2. Limites extérieures des analyses de sensibilité réalisées pour les conditions limites
supérieures à charge imposée ; les résultats sont exprimés sous forme de variations en l/s par
rapport aux flux de la simulation du scénario de référence avec canaux.
Situation avec
canaux (l/s)
Variations par rapport à la situation avec
canaux (l/s)
Etat de référence Limite inférieure Limite supérieure
Apport entrant dans le modèle 253,6 - 1 - 27,9
Flux superficiel sortant 149,0 - 16 - 48,6
Flux souterrain sortant 106,3 4 10,8
Evapotranspiration 10,0 3 3,4
Réserve et erreurs de calcul - 11,7 8,4 6,6
Tableau 2
Les différents termes du bilan hydrique modélisé (DB, vol. 5, p. 80 de la version anglaise)
On se rappellera que la limite basse de la fourchette estimative calculée par le DHI pour
quantifier les effets reposait sur l’hypothèse d’une variation nulle de l’apport entrant du modèle en
champ proche et sur la loi de conservation de la masse ; dans une simulation en régime permanent,
cela signifie qu’il n’y aura aucune variation du total des flux sortants. Or, les résultats présentés par
le DHI pour la simulation de la limite inférieure révèlent une diminution de 16 l/s du flux superficiel
sortant, une augmentation de 4 l/s du flux souterrain sortant et une augmentation de 3 l/s de
l’évapotranspiration. En d’autres termes, il manque 9 l/s. Cet écart est expliqué par la variation de la
21
- 59 -
- 16 -
réserve et les erreurs de calcul à la limite inférieure, dont l’impact est chiffré à 8,4 l/s par le DHI
(voir le tableau 2), et est supérieur à la moitié de l’effet supposé des chenaux, que le modèle est censé
estimer. En outre, l’erreur dont fait état le DHI pour la simulation du scénario de référence équivaut
à 11,7 l/s. Cela signifie que les erreurs de modélisation conjuguées des scénarios comparés dépassent
les effets estimés de la chenalisation, ce qui décrédibilise les résultats de la modélisation. Il y a, à
l’évidence, de sérieux problèmes dans la modélisation, en plus de ceux découlant de l’utilisation de
conditions limites à charge imposée en amont, que nous avons déjà mentionnés dans la réplique du
Chili. Intéressons-nous à présent aux fichiers fournis par le DHI en février 2019 et à l’analyse réalisée
par Muñoz et al. (2019) pour apporter des éclairages complémentaires.
3.3.2. Informations tirées des fichiers des modèles du DHI
Les résultats d’un modèle hydrologique, quel qu’il soit, sont fonction des hypothèses émises
par les modélisateurs. Cela vaut pour les hypothèses relatives à la géométrie détaillée du système
(ici, elle englobe non seulement la topographie, mais aussi la représentation des chenaux et des
drains, ainsi que leurs interactions avec les écoulements de surface et hypodermiques), aux propriétés
matérielles utilisées pour représenter les sols et les aquifères de même que leur répartition dans
l’espace, et aux conditions limites postulées pour le modèle, qui, comme indiqué à la section 3.3.1,
déterminent les apports entrants et les débits sortants du modèle. En outre, dans le cas de modèles
non linéaires complexes, tels que ceux utilisés par le DHI, il faut prêter attention à plusieurs questions
en lien avec la performance de calcul. Par exemple, il faut se demander s’il existe des instabilités
dans le modèle ou d’autres erreurs de calcul qui pourraient influer sur les résultats et si la simulation
converge vers un état permanent, en cas de simulation en régime permanent. Comme il a été indiqué
plus haut, les informations fournies par le DHI dans le contre-mémoire de la Bolivie étaient
insuffisantes, ce qui nous a empêchés d’examiner ces aspects avec le niveau de détail nécessaire.
Toutefois, l’accès aux fichiers de données numériques associés, transmis en février 2019 par la
Bolivie, et l’achat subséquent par le Chili des licences requises pour exécuter les modèles ont permis
à Muñoz et al. de procéder à une analyse exhaustive (Muñoz et al., 2019).
3.3.3. Topographie des scénarios modélisés
Rappelons, comme nous l’avons indiqué à la section 3.3.1 ci-dessus, que le DHI a modélisé le
champ proche à l’aide de trois scénarios.
Le scénario de référence représente la configuration actuelle du système hydrographique, ce
qui inclut les chenaux de drainage historiques des zones humides et la chenalisation du tracé principal
de la rivière. Le modèle MIKE SHE du DHI est utilisé pour représenter la réponse du bassin versant,
tandis que MIKE 11 représente l’écoulement en chenal. MIKE 11 est couplé au modèle MIKE SHE
et autorise les échanges d’eau entre les chenaux et le système hydrogéologique sous-jacent.
Le scénario «sans canal», mis au point pour représenter la situation où les chenaux sont
supprimés, et le scénario «sans perturbations» ou «avec zones humides restaurées», élaboré pour
représenter la croissance possible à long terme des sols tourbeux (jusqu’à 60 cm de profondeur), sont
basés uniquement sur le modèle MIKE SHE, excluant le modèle MIKE 11.
Comme la composante MIKE 11 n’est pas appliquée dans les scénarios sans canaux et sans
perturbations, la totalité de l’écoulement de surface est acheminée sous forme de ruissellement dans
le modèle MIKE SHE, la discrétisation spatiale de ce dernier étant relativement plus grossière que
celle utilisée pour acheminer les écoulements dans MIKE 11. Dans la situation qui en résulte, il
n’existerait aucun lit d’écoulement des eaux de surface en cas de suppression des canaux, ce qui est
bien entendu incorrect.
22
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- 60 -
- 17 -
A l’évidence, pour que les scénarios modélisés puissent être comparés, les modèles doivent
être comparables. Nous faisons observer, à partir des descriptions des scénarios ci-dessus, qu’il existe
des différences dans la configuration des modèles (MIKE SHE couplé à MIKE 11 pour le scénario
de référence, alors que MIKE SHE est utilisé seul pour les scénarios «sans canal» et «sans
perturbations»). Or, parmi les exigences les plus élémentaires à respecter, il convient de choisir une
représentation comparable de la topographie du champ proche, tout en autorisant bien entendu le
modèle à supprimer les chenaux et à augmenter la couche de tourbe. Nous avons découvert avec
stupéfaction que les topographies qui avaient été utilisées pour les différents scénarios étaient
sensiblement différentes et que, pour le scénario de référence, la topographie appliquée au modèle
MIKE 11 était même différente de celle utilisée pour le modèle sous-jacent MIKE SHE, auquel il est
couplé. Ces différences sont illustrées aux figures 5 et 6 pour deux sections transversales. Rappelons
que le but de la modélisation est, premièrement, de simuler les effets des chenaux, qui mesurent
généralement moins de 0,5 m de profondeur dans les zones humides et font tous moins de 1 m de
profondeur dans les chenaux principaux (CMB, vol. 5, p. 31-39 de la version anglaise), et,
deuxièmement, de simuler l’effet d’une éventuelle croissance de la couche de tourbe, jusqu’à 60 cm
de hauteur. On peut voir à la figure 5 que la topographie du scénario «sans perturbations»
(MIKE SHE) présente une différence de près de 7 m, mesurée à partir du lit du chenal du scénario
de référence (MIKE 11) section 3560, et une différence de près de 3 m, mesurée à partir de la
topographie du scénario de référence (MIKE SHE) à la section 3370.
Figure 5
Cotes d’altitude utilisées dans les quatre modèles boliviens, comparées en deux points (sections
transversales) sur la largeur du chenal principal près de la frontière
internationale (Muñoz et al., 2019)
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Légende :
Area enlarged = Emplacement de la zone agrandie
Cross-section = Section transversale
Near Field Model = Modèle en champ proche
Elevation = Altitude
Baseline (MIKE 11) = Scénario de référence (MIKE 11)
Undisturbed (MIKE SHE) = Scénario sans perturbations (MIKE SHE)
No Canal (MIKE SHE) = Scénario sans canal (MIKE SHE)
Baseline (MIKE SHE) = Scénario de référence (MIKE SHE)
Figure 6
Cotes d’altitude utilisées dans les quatre modèles boliviens, comparées en deux points (sections
transversales) sur la largeur du chenal principal dans la zone humide Orientales. Plus
particulièrement, en ces deux points, la topographie de référence coïncide avec
la topographie du scénario «sans canal» dans le modèle MIKE SHE et la ligne
noire pointillée se superpose à la ligne jaune (Muñoz et al., 2019)
Légende :
Area enlarged = Emplacement de la zone agrandie
Cross-section = Section transversale
Elevation = Altitude
Baseline (MIKE 11) = Scénario de référence (MIKE 11)
Undisturbed (MIKE SHE) = Scénario sans perturbations (MIKE SHE)
No Canal (MIKE SHE) = Scénario sans canal (MIKE SHE)
Baseline (MIKE SHE) = Scénario de référence (MIKE SHE)
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- 19 -
A l’évidence, les trois scénarios ne sont pas comparables et les larges différences
topographiques imposées sont nettement supérieures aux effets que les modèles sont censés
déterminer. Les scénarios «sans canal» et «sans perturbations» ne représentent pas simplement la
suppression des chenaux ; ils traduisent aussi une forte augmentation du niveau de la surface du sol
du côté bolivien de la frontière. Cette élévation spectaculaire de la surface du sol a pour effet
d’accroître les charges des eaux souterraines aux limites de flux entrant et de flux sortant, ce qui
réduit par conséquent les apports d’eaux souterraines qui entrent dans le modèle et augmente les
sorties d’eaux souterraines, si bien que la quantité d’eau pouvant apparaître comme écoulement de
surface est moins importante dans ces scénarios. En d’autres termes, les variations imposées à la
topographie généreront la plupart, voire la totalité, des effets simulés qui sont censés résulter de la
chenalisation. Les résultats issus des comparaisons entre scénarios sont clairement dénués de sens et,
selon nous, la Cour ne devrait leur accorder aucun crédit.
3.3.4. Hydrogéologie et conditions aux limites
Les modèles du DHI dépendent de sa propre conceptualisation de l’hydrogéologie du bassin
hydrographique du Silala, qui, elle-même, est fonction de l’interprétation de la géologie. Dans la
section 4 ci-dessous, nous montrerons que l’interprétation géologique de la Bolivie est erronée à bien
des égards. Par exemple, les erreurs commises dans la datation des roches ont abouti à une
spécification incorrecte de la séquence verticale des roches. Selon les représentations de la Bolivie,
les dépôts ignimbritiques, qui constituent les principaux aquifères profonds du bassin
hydrographique, reposent sous les volcanites du Miocène, alors que, dans les faits, les roches du
Miocène sont plus âgées que les ignimbrites et ne peuvent donc [reposer sur ces dernières]
(section 4.2.1 ; Muñoz et al., 2019 ; SERNAGEOMIN, 2019b). L’une des conséquences directes qui
en découlent est que l’interprétation de la géométrie de l’aquifère que propose le DHI est incorrecte.
La figure 7 est une capture d’écran prise à partir de l’un des fichiers des modèles du DHI, dans
laquelle on aperçoit un écoulement souterrain simulé dans une partie du champ proche où, en réalité,
les dépôts à faible perméabilité du Miocène restreindront l’écoulement. Si ces erreurs commises dans
l’interprétation de la géologie ont pour effet direct de fausser la spécification de la géométrie du
système, il en résulte d’autres effets, tels que l’introduction d’erreurs correspondantes dans la
spécification des propriétés des aquifères. A l’évidence, quand les effets à simuler sont faibles et
assez subtils, la présence de telles erreurs fondamentales ôte toute fiabilité aux simulations.
Figure 7
Cartes piézométriques utilisées pour définir les conditions limites correspondant aux eaux souterraines
(CMB, vol. 5, p. 19 de la version anglaise). On aperçoit en noir les courbes isopièzes, tandis que les
polygones hachurés représentent l’unité HGU4. La flèche rouge superposée à l’image indique
l’écoulement souterrain implicite à travers l’unité HGU4 (Muñoz et al., 2019)
Intéressons-nous ensuite aux conditions aux limites des modèles. Ici, nous constatons des
divergences entre l’interprétation que le DHI fait des données hydrogéologiques de la Bolivie et les
27
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- 20 -
conditions limites qu’il a lui-même choisies pour le modèle en champ proche. Comme souligné à la
section 4 ci-dessous, les données boliviennes relatives aux eaux souterraines peuvent donner lieu à
différentes interprétations, qui sont elles-mêmes tributaires de l’interprétation de l’hydrogéologie.
Toutefois, on s’attendrait, au minimum, à ce qu’il y ait une certaine cohérence entre l’interprétation
que fait le DHI des données et les conditions limites qu’il pose pour les modèles. A la figure 8 A),
nous montrons les courbes des niveaux d’eaux souterraines tracées par le DHI à la figure 40 du
contre-mémoire de la Bolivie (CMB, vol. 4, p. 97 de la version anglaise). Notons que la direction de
l’écoulement souterrain est déterminée par le gradient des eaux souterraines et que celle-ci devrait
être perpendiculaire aux courbes isopièzes. Nous avons donc rajouté des flèches sur la figure du DHI
pour montrer les directions d’écoulement implicites. Aux figures 8 B) et 8 C), nous reproduisons les
figures 6 et 7 du DHI (CMB, vol. 2, p. 371 de la version anglaise), lesquelles offrent une
interprétation fort différente de l’écoulement des eaux souterraines jusqu’aux sources. Or, les
conditions limites utilisées dans le modèle contrastent avec ces deux interprétations, comme on peut
le voir à la figure 8 A) (Muñoz et al., 2019). Par exemple, une grande partie de la limite sud du
modèle consiste en une limite à flux nul, ce qui ne correspond à aucune des représentations découlant
de l’une ou l’autre des interprétations divergentes que fait le DHI des données. En outre, comme
indiqué plus haut, les conditions limites du modèle en champ proche sont aussi différentes de celles
appliquées par le DHI pour le modèle de bilan hydrique, lequel a servi à simuler les écoulements qui
circulent du bassin versant souterrain du champ lointain jusqu’au champ proche. Nous en concluons
que les conditions limites des modèles du DHI, qui, comme nous l’avons noté plus haut, sont
essentielles à la modélisation, ne sont tout bonnement pas compatibles avec les données
hydrogéologiques disponibles.
29
- 64 -
- 21 -
Figure 8
A) Courbes isopièzes figurant dans le modèle en champ proche du Silala, obtenues par interpolation des
relevés de puits piézométriques, de l’altitude des sources et des excavations des zones humides réalisées
aux fins de l’échantillonnage des sols (adapté de CMB, vol. 4, p. 97 de la version anglaise). Le domaine
du modèle en champ proche est délimité par le polygone à bordure blanche et noire, lequel illustre, en
noir, les limites à flux nul du DHI et, en blanc, les limites au travers desquelles l’eau peut circuler. Les
flèches bleues représentent la direction de l’écoulement souterrain, interprétée à partir des courbes de
niveau. B) Direction globale de l’écoulement dans la zone humide nord et C) direction globale de
l’écoulement dans la zone humide sud (adapté de CMB, vol. 2, p. 371 de la version anglaise). N.B. Le
texte qui figure dans l’encadré inférieur de la vignette C se lit comme suit : «Surface drainée de la zone
humide où la végétation présente des signes de changement» (Muñoz et al., 2019)
Légende :
Spring = Source
Piezometers (Groundwater Elevation, masl) = Piézomètres (altitude des eaux souterraines, en
mètres au-dessus du niveau de la mer)
December 2017 Water Levels = Niveaux des eaux souterraines en décembre 2017
International Border = Frontière internationale
Near Field Model = Modèle en champ proche
No Flow = Flux nul
«Northern Wetland» (Cajones) = «Zone humide nord» (Cajones)
Upstream Springs = Sources d’amont
30
- 65 -
- 22 -
Upwelling Springs = Sources jaillissantes
Northern Edge Springs = Sources de la bordure nord
Central Ridge Springs = Sources de l’arête médiane
«Southern Wetland» (Orientales) = «Zone humide sud» (Orientales)
3.3.5. Performance de calcul et autres problèmes de modélisation
A la section 3.3.2 ci-dessus, nous avons fait observer que l’utilisation de modèles complexes
à dimension fortement non linéaire soulevait un certain nombre d’interrogations relatives à la
performance de calcul. Rappelons (section 3.3.1) que le modèle MIKE SHE a été utilisé pour tous
les scénarios et que, pour le scénario de référence, le modèle MIKE 11 a été appliqué pour représenter
l’écoulement de surface chenalisé. Nous mettons ici en lumière quelques-unes des interrogations les
plus importantes. Une analyse plus complète est présentée dans Muñoz et al. (2019).
En ce qui concerne le modèle MIKE SHE, le DHI affirme que «[l]e modèle intégré d’eaux de
surface et d’eaux souterraines a été configuré et exécuté en tant que modèle en régime permanent»
(CMB, vol. 5, p. 67 de la version anglaise). En d’autres termes, on ne devrait observer aucune
variation des réserves internes dans le modèle, et les sorties du modèle devraient être égales à ses
entrées. Toutefois, tous les résultats présentés par le DHI (par exemple, CMB, vol. 5, p. 67 de la
version anglaise, tableau 1 ; DB, vol. 5, p. 80 de la version anglaise, tableaux 7-1 et 7-2) indiquent
une variation de la réserve. Cela signifie que les bilans hydriques simulés sont incorrects. A la
section 3.3.1, nous avons souligné que, comme le montrent les résultats de l’analyse de sensibilité
présentée dans la duplique de la Bolivie, la valeur combinée des variations de réserve et des erreurs
de calcul s’élève à 11,7 l/s dans le scénario de référence et à 8,4 l/s dans la limite inférieure de la
simulation sans canaux, alors que la simulation basse montre que la variation des écoulements de
surface liée à la chenalisation équivaut à 16 l/s. Par conséquent, les erreurs de modélisation sont de
même ampleur que les effets à modéliser. Manifestement, les résultats doivent être considérés comme
peu fiables.
L’incapacité des modèles à se stabiliser en régime permanent a une autre incidence, à savoir
que les conditions initiales, utilisées pour configurer les états initiaux et donc les valeurs de la réserve
dans les modèles, auront forcément une influence sur les résultats finaux. Muñoz et al. (2019) ont
découvert que le DHI avait utilisé différentes conditions initiales pour les différents scénarios. Dans
la mesure où ces scénarios représentent des configurations physiques distinctes, il serait raisonnable
que leurs conditions initiales soient elles aussi différentes, mais deux problèmes se posent.
Premièrement, les simulations du DHI présentent une incohérence méthodologique : les mêmes
conditions initiales sont utilisées pour le scénario de référence et celui «sans canal», mais ne sont pas
retenues pour le scénario «sans perturbations». Deuxièmement, les différences entre les pressions
initiales des eaux souterraines (représentées sous forme de hauteur d’eau équivalente et connues sous
le nom de charge hydraulique) relevées, d’une part, dans les scénarios de référence et «sans canal»
et, d’autre part, dans le scénario «sans perturbations», telles qu’illustrées à la figure 9, oscillent
entre - 18 m et + 16,5 m. Ces différences n’ont été mises au jour qu’à l’examen des fichiers
numériques du DHI, qui ne les a ni expliquées ni justifiées. Muñoz et al. (2019) concluent que les
très larges différences imposées dans les conditions initiales font que les simulations des trois
scénarios ne sont «ni équivalentes ni comparables».
31
32
- 66 -
- 23 -
Figure 9
Différence entre les charges initiales des eaux souterraines dans les scénarios de référence et «sans
canal» et dans le scénario «sans perturbations». Les valeurs positives correspondent aux zones
où la charge initiale des eaux souterraines est supérieure dans le scénario
«sans perturbations» (Muñoz et al., 2019)
Légende :
Initial potential head difference: Baseline and No canal
versus Undisturbed
= Différence entre les charges initiales des eaux
souterraines : scénarios de référence et «sans canal»
contre scénario «sans perturbations»
Fixed Head (initial potential head) = Charge imposée (potentiel initial des eaux souterraines)
No Flow = Flux nul
Fixed Gradient (-0.05) = Gradient imposé (- 0,05)
Near Field Model = Modèle en champ proche
L’examen des fichiers de données par Muñoz et al. (2019) a aussi révélé des anomalies
inexpliquées dans les diverses configurations des scénarios du modèle. Les deux Parties conviennent
que les sources en Bolivie sont alimentées par un écoulement souterrain, qui provient, pour une part,
du bassin versant topographique et, pour l’autre, d’un bassin versant souterrain plus vaste. Un modèle
physique du champ proche, qui correspond à la petite zone entourant les sources, devrait donc
représenter l’apport qui alimente les sources sous forme de flux entrant souterrain s’écoulant à travers
les limites du modèle en champ proche, et c’est d’ailleurs ce que nous avions compris des travaux de
modélisation du DHI, tels que présentés dans les rapports joints au contre-mémoire et à la duplique
de la Bolivie. Toutefois, à l’examen des fichiers des modèles, il apparaît qu’une quantité d’eau
additionnelle est introduite dans le champ proche là où émanent les apports des sources, un point qui
n’est ni expliqué ni justifié. Ainsi, 42 l/s sont introduits en tant que source extérieure d’«alimentation
des sources» dans le scénario de référence. En revanche, 31 l/s sont introduits comme flux entrant
dans les deux scénarios sans canaux. Ces chiffres paraissent arbitraires et ne sont mentionnés dans
aucun des rapports mis à notre disposition et sont encore moins expliqués ou justifiés. Pourtant, une
différence de 11 l/s a manifestement été introduite dans les comparaisons entre les scénarios, cette
valeur représentant plus de la moitié de la variation simulée des écoulements de surface en réponse
à la chenalisation, ce qui renforce davantage l’effet simulé6.
Nous examinons ensuite le modèle MIKE 11, utilisé dans le scénario de référence pour
représenter l’écoulement de surface dans les chenaux. La configuration et les résultats du modèle
6 Notons en outre que cette eau injectée est traitée différemment dans les différents scénarios. Comme expliqué
dans Muñoz et al. (2019), dans le scénario de référence, l’eau est ajoutée directement au ruissellement en surface. Dans les
autres scénarios, elle est ajoutée sous forme d’eau d’alimentation à une cellule du maillage du modèle MIKE SHE et est
ensuite divisée entre eau de ruissellement et écoulement hypodermique ; cette différence de traitement influence donc la
répartition de l’écoulement de surface et de l’écoulement souterrain.
33
- 67 -
- 24 -
soulèvent un grand nombre de questions et d’inquiétudes, qui sont décrites de manière exhaustive
dans Muñoz et al. (2019). Nous mentionnerons ici quelques-unes des questions les plus importantes.
Nous avons indiqué à la section 3.3.3 ci-dessus que, dans le scénario de référence, une
topographie différente avait été utilisée pour les modèles MIKE 11 et MIKE SHE. Des problèmes
topographiques supplémentaires ont été découverts dans le modèle MIKE 11 pour ce scénario. Il a
été observé que, dans certaines des sections transversales modélisées, l’eau ne s’écoulait pas dans le
chenal principal, comme on peut le voir à la figure 10. En outre, un paramètre clé des modèles
hydrauliques d’écoulement de surface est la rugosité effective du chenal, que l’on représente
communément par un paramètre appelé coefficient de Manning (n). Comme expliqué dans Muñoz
et al. (2019), le DHI a retenu pour ce paramètre des valeurs irréalistes, qui sont bien supérieures aux
valeurs faisables publiées dans la littérature pour les types de chenaux représentés ici. Cette
importante rugosité a une conséquence : les vitesses d’écoulement sont inférieures aux valeurs
attendues, ce qui augmente la profondeur des lames d’eau, et cet effet est exacerbé dans les secteurs
d’aval par le choix d’une condition limite inférieure inappropriée pour le modèle hydraulique (Muñoz
et al., 2019). C’est peut-être ce qui explique que, dans le modèle du DHI, le chenal est inondé par
endroits et l’eau s’écoule dans un lit d’inondation (figure 11). Il apparaît de façon manifeste que la
représentation de l’écoulement en chenal dans le modèle MIKE 11 ne reflète pas la réalité de
l’écoulement en chenal dans le système hydrographique du Silala, et cela influe sur la simulation des
interactions entre les eaux de surface et les eaux souterraines.
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Figure 10
Sections où l’eau ne s’écoule pas à travers le chenal principal (Muñoz et al., 2019)
Légende :
Main channel = Chenal principal
Water level = Niveau d’eau
Maximum water level = Niveau d’eau maximum
Minimum water level = Niveau d’eau minimum
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- 69 -
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Figure 11
Sections où le chenal est inondé (Muñoz et al., 2019)
Pour revenir à la question de la stabilité numérique, Muñoz et al. (2019) ont découvert que les
résultats de la simulation du modèle MIKE 11 faisaient apparaître des changements abrupts dans
l’écoulement de la rivière en divers endroits, ainsi que des variations de l’écoulement dans le lit de
la rivière qui ne se stabilisent jamais, comme illustré à la figure 12. Surtout, on relève des différences
inexpliquées entre les débits simulés par les modèles MIKE SHE et MIKE 11. Dans l’ensemble, pour
les conditions actuelles, on constate un écart positif inexpliqué de 7 l/s entre les écoulements de
MIKE 11 et ceux de MIKE SHE.
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- 27 -
Figure 12
Variations de l’écoulement sur la largeur du chenal en deux points (sections transversales) du tronçon
allant de la confluence des gorges Cajones et Orientales à la frontière internationale. A) Vue en plan
du domaine du modèle en champ proche, qui représente l’emplacement des sections analysées.
B) Chroniques de débit correspondant aux sections 3550 et 3160. C) Gros plan sur les deux
derniers jours des chroniques de débit aux sections 3550 et 3160 (Muñoz et al., 2019)
Relevons une dernière incohérence dans les calculs du DHI : dans le contre-mémoire de la
Bolivie, le DHI estime, pour le scénario «sans perturbations» (suppression des chenaux et croissance
de la couche de tourbe à long terme), que l’écoulement de la rivière est réduit de 40 % par rapport
aux conditions actuelles (CMB, vol. 2, p. 108). En revanche, dans la duplique de la Bolivie, alors
qu’il utilise les mêmes simulations pour représenter l’estimation haute des effets, le DHI fait état
d’une réduction de 33 % de l’écoulement de la rivière (DB, vol. 5, p. 148-149). Tandis qu’ils
tentaient de comprendre l’origine de cette contradiction manifeste, Muñoz et al. (2019) ont découvert
que l’écoulement de surface avait été majoré de 10 l/s dans les résultats correspondant au scénario
«sans perturbations» qui sont présentés dans la duplique de la Bolivie. Ce point n’a pas été expliqué,
mais il est inclus dans le tableau Excel intitulé «Water balance tables – Sensitivity Report.xls», que
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- 28 -
le DHI a fourni avec les fichiers qui sous-tendent la modélisation utilisée dans la duplique (Muñoz
et al., 2019, appendice C). Là encore, une modification inexpliquée et en apparence arbitraire a été
introduite dans le modèle pour en changer les résultats.
3.3.6. Estimation de l’écoulement tirée des travaux de R. H. Fox (1922)
Une mesure de débit du Silala a été présentée par Robert H. Fox, ingénieur expert en adduction
d’eau, dans un article publié en 1922. M. Fox faisait état d’un débit de 11 300 mètres cubes par jour,
soit environ 131 l/s. Ce chiffre est bien entendu inférieur aux écoulements actuels à la frontière, et le
DHI (DB, vol. 5, p. 80 de la version anglaise) affirme donc que cette mesure de débit corrobore son
argument selon lequel les écoulements auraient été inférieurs avant la chenalisation.
Il y a toutefois plusieurs facteurs à prendre en considération. Premièrement, l’endroit précis
où la mesure a été relevée est inconnu et, comme l’ont indiqué la Bolivie et le Chili, le débit connaît
d’importantes fluctuations le long du tracé de la rivière, car l’écoulement de surface est alimenté par
des sources à certains endroits et une partie de l’eau du chenal est perdue au profit des eaux
souterraines à d’autres. Le DHI déclare ce qui suit (DB, vol. 5, p. 80 de la version anglaise) : «M. Fox
a mesuré un débit de 131 l/s … en un point qui, d’après sa description, doit être assez proche de
l’actuel dessableur.» Toutefois, l’article de M. Fox ne contient aucune précision sur le lieu de mesure.
On peut en inférer que la mesure a été effectuée au niveau du «petit barrage» (ou prise d’eau no 1)
construit en 1909 et mis en service à partir de 1910, qui est situé en territoire bolivien juste en aval
de la confluence des gorges Cajones et Orientales, à environ 600 m en amont de la frontière
internationale. Cela ne permet pas de justifier l’affirmation de la Bolivie selon laquelle cet
écoulement représente l’écoulement transfrontière (DB, vol. 1, p. 35-36).
Deuxièmement, la méthode de mesure est inconnue, tout comme donc son exactitude et sa
fiabilité. Comme en témoigne l’expérience récente à la fois de la Bolivie et du Chili au XXIe siècle,
le Silala est un environnement très difficile qui se prête difficilement à une mesure précise des
écoulements. Le Chili a relevé que «la mesure du débit posait des difficultés en raison des conditions
extrêmes du Silala» (MC, vol. 5, p. 247 de la version anglaise) et, selon la Bolivie, la comparaison
de chroniques de débit à long terme des stations de mesure permanentes qui ont été mises en place
par le Chili et elle-même «montre des différences importantes à la fois dans les moyennes des taux
d’écoulement et dans les variations temporelles. Aucune des chroniques de débit des deux sites ne
semble toutefois exempte d’incohérences dans les mesures, ce qui s’explique probablement par
l’isolement des sites et les rudesse des conditions climatiques qui y règnent» (CMB, vol. 2, p. 395 de
la version anglaise). En outre, les mesures à court terme effectuées par la Bolivie en 2017 mettent en
évidence «des incohérences à la fois à chacun des deux points de mesure et entre les données
comparées de ceux-ci» (ibid.).
Il est manifeste que, même aujourd’hui, le Silala constitue un environnement où il est très
difficile de mesurer les écoulements et, étant donné que M. Fox n’a donné qu’une seule estimation,
réalisée en 1922, au moyen d’une méthode inconnue en un point incertain, on ne peut guère accorder
de crédibilité à la valeur qu’il renseigne.
3.4. Conclusions
L’analyse des fichiers numériques fournis par la Bolivie en février 2019 a permis de démontrer
amplement et de manière définitive que les travaux de modélisation du DHI, d’où sont tirées les
estimations des effets de la chenalisation historique sur lesquelles s’appuie la Bolivie, comportent
des lacunes irrémédiables. S’il existe un très grand nombre de points d’inquiétude, ce qui est sans
doute le plus frappant, c’est que : 1) des topographies radicalement distinctes ont été utilisées pour
les divers scénarios, les différences topographiques étant très nettement supérieures aux différences
relativement faibles associées à la chenalisation et à la croissance présumée de la tourbe, 2) des
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- 72 -
- 29 -
erreurs élémentaires dans la géologie et l’hydrogéologie ont conduit à utiliser une géométrie et des
propriétés d’aquifère erronées, 3) des quantités d’eau arbitraires ont été ajoutées aux sources des
zones humides, d’un volume différent selon les scénarios (et une répartition également différente
entre eaux de surface et eaux souterraines), ce qui amplifie les effets simulés de la chenalisation, et
4) des erreurs et des inexactitudes, notamment des changements dans le stockage, donnent des débits
similaires à ceux résultant des effets attribués à la chenalisation et à la croissance de la tourbe.
Depuis la publication de notre rapport sur les effets de la chenalisation, joint à la réplique du
Chili (Wheater et Peach, 2019), le DHI a fourni de nouveaux résultats qui sont présentés dans la
duplique de la Bolivie. Si nous nous félicitons de ce que le DHI ait accepté nos critiques sur ses
précédents travaux, joints au contre-mémoire de la Bolivie, et reconnu que les résultats étaient biaisés
par la condition limite qu’il avait choisie, les résultats révisés qu’il présente sur la base de son analyse
de sensibilité n’en sont pas moins influencés par toutes les erreurs mises en évidence plus haut. En
outre, on relève des divergences dans les résultats présentés pour la même simulation dans le
contre-mémoire et dans la duplique de la Bolivie, et il apparaît que des quantités inexpliquées d’eau
ont été ajoutées au modèle d’écoulement pour produire les écarts observés.
A vrai dire, nous étions stupéfaits de voir que le DHI avait commis des erreurs élémentaires et
n’avait pas fait état d’aspects cruciaux de la modélisation. Nous concluons que les résultats de la
modélisation du DHI doivent être considérés comme dénués de sens et, selon notre opinion
professionnelle, ils ne devraient pas être pris en considération par la Cour.
- 73 -
- 30 -
4. QUESTIONS RELATIVES À LA GÉOLOGIE ET À L’HYDROGÉOLOGIE
DU BASSIN HYDROGRAPHIQUE DU SILALA
4.1. Introduction
Les estimations que fait la Bolivie des effets de la chenalisation dans les zones humides situées
sur son territoire, connues sous le nom de «Cajones» et «Orientales» au Chili et de «Bofedales Norte»
et «Bofedales Sur» en Bolivie, et dans le site du Silala également situé sur son sol, sont fondées sur
les résultats obtenus par le DHI à partir de la modélisation des systèmes d’eaux de surface et d’eaux
souterraines du Silala, ce qui englobe son bassin versant souterrain plus vaste. Les modèles
numériques utilisés pour produire ces estimations ont été construits sur la base d’un modèle
conceptuel hydrologique et hydrogéologique (CMB, vol. 4, p. 62-102), qui s’appuie lui-même
fortement sur la compréhension bolivienne de la géologie de la zone.
Par essence, cette interprétation est, à bien des égards, incorrecte, ce qui signifie donc que le
modèle conceptuel d’écoulement souterrain et de surface du DHI est lui aussi incorrect. Par
corollaire, la construction des modèles numériques du DHI, qui se fonde sur cette représentation
conceptuelle, est également erronée. Il en résultera inévitablement des erreurs dans les estimations
des écoulements souterrains et de surface et, en particulier, dans les résultats du modèle en champ
proche, qui a été utilisé pour simuler divers scénarios avec et sans chenaux, ainsi que nous l’avons
expliqué à la section 3 ci-dessus.
Une étude détaillée des documents répertoriés ci-dessous, qui ont trait à la géologie du bassin
versant souterrain du Silala en Bolivie et qui ont été présentés à l’appui de la duplique, a été menée
par des géologues chiliens (SERNAGEOMIN, 2019b). Ce travail est inclus dans la pièce
additionnelle du Chili (voir l’annexe XVI du présent rapport).
1. Annexe 23.5 : F. Urquidi, Technical analysis of geological, hydrological, hydrogeological and
hydrochemical surveys completed for the Silala water system, juin 2018 (DB, vol. 3, p. 233-332
de la version anglaise).
2. Annexe 23.5, appendice A : SERGEOMIN (service national chilien de géologie et des mines),
Study of the Geology, Hydrology, Hydrogeology and Environment of the Area of the Silala
Springs, June 2000-2001, édition finale, 2003 (DB, vol. 3, p. 333-401 de la version anglaise).
3. Annexe 23.5, appendice B : SERGEOMIN, Structural Geological Mapping of the Area
Surrounding the Silala Springs, septembre 2017 (DB, vol. 4, p. 5-136 de la version anglaise).
4. Annexe 23.5, appendice C : Tomás Frías Autonomous University (TFAU), Hydrogeological
Characterization of the Silala Springs, 2018 (DB, vol. 4, p. 137-462 de la version anglaise).
5. Annexe 24 : DHI, Analyse et évaluation de l’argumentation opposée par le Chili aux demandes
reconventionnelles de la Bolivie dans l’affaire relative au Silala, mars 2019 (DB, vol. 5, p. 5-46).
Le rapport du SERNAGEOMIN (2019b) dresse la liste des nombreuses erreurs et incohérences
relevées dans les documents boliviens, lesquelles ont une incidence considérable sur la représentation
conceptuelle de l’hydrogéologie et ont faussé la construction du modèle en champ proche du DHI,
notamment la paramétrisation des aquifères ainsi que l’emplacement et les types de conditions
limites. Dans la présente section, nous mettons en lumière, à l’aide de quelques exemples, certaines
des erreurs et incohérences les plus importantes relevées, ainsi que leurs conséquences : elles ont
entraîné la construction d’une représentation gravement biaisée du régime d’écoulement souterrain
et donc l’obtention de résultats incorrects dans le cadre des travaux de modélisation, sur lesquels le
DHI se fonde pourtant pour estimer les effets de la chenalisation des zones humides boliviennes et
de leurs sources d’alimentation.
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- 31 -
Outre les erreurs d’interprétation géologique, la conceptualisation par le DHI de l’écoulement
souterrain a été comparée à la construction de son modèle par Muñoz et al. (2019), ainsi que nous le
détaillons à la section 3 du présent rapport. Il a également été noté que les conditions limites imposées
au modèle en champ proche étaient incompatibles avec la propre représentation conceptuelle du
régime d’écoulement des eaux souterraines proposée par le DHI. Cela ajoute une nouvelle source
d’erreurs au modèle, comme nous l’avons examiné à la section 3.
4.2. Géologie et hydrogéologie des sources des zones humides
du Silala et de la zone environnante
Dans la présente section, nous examinons les erreurs et les incohérences internes relevées dans
les documents de la Bolivie, ainsi que les méthodes employées pour mettre au point les
interprétations géologiques de cette dernière, élaborer le modèle conceptuel hydrogéologique et
intégrer cette représentation conceptuelle dans les modèles numériques créés par le DHI. La réflexion
est articulée de sorte à montrer les biais introduits dans ces modèles et leurs conséquences probables
sur la précision des estimations des effets de la chenalisation.
L’une des lois les plus fondamentales de la géologie est le «principe de superposition», selon
lequel, dans les séquences stratigraphiques non déformées, les strates les plus anciennes seront au
bas de la séquence. L’étude des séquences de strates rocheuses est appelée stratigraphie ; nous lui
consacrons la section 4.2.1. Un autre point important à prendre en compte réside dans la déformation
que les dépôts rocheux subissent à l’échelle des temps géologiques. Nous reviendrons sur ce point à
la section 4.2.2 portant sur la géologie structurale. La branche de la science qui a pour objet l’étude
de l’origine, de la structure et de la composition des roches est appelée pétrologie, tandis que les
descriptions détaillées des roches, de leur composition minérale et des relations texturales existant
au sein de la roche relèvent de la pétrographie. On note plusieurs incohérences et erreurs dans la
description et la désignation des dépôts rocheux, lesquelles ont contribué à brouiller la représentation
que les géologues boliviens se font de la géologie (SERNAGEOMIN, 2019b) et sont, pour certaines,
brièvement abordées à la section 4.2.3.
Les rapports boliviens cités plus haut contiennent d’importantes erreurs et incohérences qui
touchent à la compréhension et à l’interprétation de la stratigraphie, de la géologie structurale et de
la pétrographie. Ces erreurs et incohérences ont à leur tour occasionné des erreurs dans la mise au
point du modèle conceptuel hydrogéologique sur lequel le DHI s’est appuyé pour concevoir ses
modèles numériques, en particulier le modèle en champ proche. L’interprétation qu’offre le DHI de
l’hydrogéologie est examinée à la section 4.2.4 ci-dessous.
4.2.1. Stratigraphie
La représentation bolivienne de la stratigraphie du bassin hydrographique du Silala comporte
d’importantes failles, qui s’expliquent en partie par les erreurs commises dans l’attribution des dates
radiométriques à la séquence de dépôts ignimbritiques (la succession d’ignimbrites)
(SERNAGEOMIN, 2019b). Ces dépôts constituent le principal aquifère profond du bassin versant
souterrain du Silala et jouent donc un rôle fondamental dans la modélisation du système
hydrogéologique.
En Bolivie, la succession d’ignimbrites a été divisée en trois sous-unités géologiques (Nis-1,
Nis-2 et Nis-3, Nis-1 étant la sous-unité la plus basse de la séquence) composant une formation
unique, que la Bolivie appelle «ignimbrites Silala» (appellation bolivienne, ci-après notée «Bol»)
(DB, vol. 4, p. 43-51), alors qu’au Chili, seules deux unités ignimbritiques ont été observées. Elles
ont été mises en évidence dans des affleurements en surface et dans des carottes de forage
(SERNAGEOMIN, 2017 ; SERNAGEOMIN, 2019a ; Arcadis, 2017). Toutefois, il est admis par le
43
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- 75 -
- 32 -
Chili que, sous les zones humides boliviennes, il est possible qu’à plus grande profondeur, d’autres
unités ignimbritiques soient présentes, mais celles-ci n’ont pas été observées au Chili.
Les géologues boliviens estiment que la succession d’ignimbrites en Bolivie a entre 7,8 et
6,6 Ma (DB, vol. 3, p. 248 ; DB, vol. 4, p. 39, 43 et 46). Les géologues boliviens établissent l’âge
radiométrique de l’ignimbrite Silala (Bol) à 7,8 Ma. Cet âge a été attribué à un échantillon issu des
Bofedales Norte (Cajones), qui, aux dires de la Bolivie, provient d’un prélèvement effectué à 16,5 km
au sud-est (SERNAGEOMIN, 2019b ; Baker et Francis, 1978). Toutefois, si l’on se réfère à l’article
original publié par Baker et Frances en 1978, cet âge devrait être attribué aux laves andésitiques
situées à 8 km à l’est du Silala Grande (appellation bolivienne, Volcán Apagado au Chili). Par
extrapolation, cet âge a été appliqué à tort aux ignimbrites de la zone de Silala. Il ressort clairement
qu’une grande confusion règne ici et qu’une erreur majeure a été commise par les géologues
boliviens.
Au Chili, deux unités ignimbritiques ont été mises en évidence : l’ignimbrite Silala
(appellation chilienne, ci-après notée «Chi») et l’ignimbrite Cabana (appellation chilienne, ci-après
notée «Chi»), dont les âges sont établis à 1,61 Ma et 4,12 Ma respectivement (RC, vol. 3,
p. 202-203). Ces unités ont été observées dans une zone affleurante au Chili et une carotte de forage
au Chili, à courte distance de la frontière internationale. En outre, selon les observations, l’ignimbrite
Silala (Chi) traverse la frontière dans la zone affleurante et, comme le montre l’imagerie satellitaire,
elle se prolonge en territoire bolivien. On peut observer, sur les images satellite, qu’elle repose sous
des laves andésitiques du Pléistocène (1,48 Ma) (RC, vol. 3, p. 203) et s’est déposée en discordance
sur l’ignimbrite Silala Nis-3 (Bol) représentée à la figure 13, à savoir l’unité ignimbritique la plus
haute décrite par les géologues boliviens. Ceux-ci établissent l’âge de cette unité ignimbritique à
6,6 Ma (DB, vol. 4, p. 115). Manifestement, ce ne peut être l’ignimbrite la plus jeune, puisque
l’ignimbrite Silala (Chi) repose en discordance sur la sous-unité Nis-3 de l’ignimbrite Silala (Bol).
La présence au Chili de deux dépôts ignimbritiques distincts, dont l’un se prolonge en Bolivie dans
la zone des Bofedales Sur (Orientales), a été ignorée par la Bolivie. En outre, la sous-unité Nis-2 de
l’ignimbrite Silala (Bol), qui repose sous Nis-3, est décrite comme étant une ignimbrite dacitique à
clastes andésitiques (DB, vol. 4, p. 48 et 158). C’est un point important, car ces clastes «proviennent
du premier épisode volcanique d’Inacaliri» (DB, vol. 4, p. 158 de la version anglaise) et c’est ce qui
explique leur composition andésitique. Or, les laves volcaniques d’Inacaliri ont été datées à 5,84 Ma
(Almendras et al., 2002), ce qui signifie en clair que la sous-unité Nis-2 est forcément plus jeune que
les laves andésitiques d’Inacaliri (5,84 Ma) et que, par conséquent, la sous-unité Nis-3 de l’ignimbrite
Silala (Bol) doit être plus jeune encore, puisque ce dépôt repose sur la sous-unité Nis-2
(SERNAGEOMIN, 2019b).
45
- 76 -
- 33 -
Figure 13
L’ignimbrite Silala (Chi) repose manifestement sur la sous-unité Nis-3 de l’ignimbrite Silala (Bol),
située à l’est du bofedal sud (Orientales). Les laves Inacaliri 2, plus jeunes,
reposent sur l’ignimbrite Silala (Chi) (SERNAGEOMIN, 2019b)
Des volcanites du Miocène âgées de 6,04 Ma (DB, vol. 4, p. 115) ont été mises en évidence
par la Bolivie, affleurant dans le dôme volcanique formé par le Silala Chico (notation bolivienne,
Cerrito de Silala au Chili), mais apparaissant sous forme de roches intrusives dans la succession
ignimbritique (figure 14). Or, les volcanites ainsi datées sont plus âgées que l’ignimbrite Silala (Chi)
et l’ignimbrite Cabana (Chi), si bien que ces formations doivent à l’évidence reposer toutes deux sur
les volcanites du Miocène et ne peuvent être recoupées par ces dernières. De surcroît, dans la «coupe
géologique générale des sources de Silala» présentée par la Bolivie (DB, vol. 4, p. 125 de la version
anglaise) (voir la figure 15), on relève une autre erreur : l’unité correspondant au dôme du Silala
Chico (Cerrito de Silala), âgée de 6,04 ± 0,07 Ma, est représentée comme une unité sus-jacente
recouvrant les dépôts volcaniques du Silala Grande (Volcán Apagado), qui sont pourtant plus récents
(1,74 ± 0,02 Ma). C’est manifestement impossible. Voilà donc deux exemples d’erreurs
déconcertantes qui ont été commises par les géologues boliviens dans la cartographie géologique et
l’interprétation stratigraphique.
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- 34 -
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- 78 -
- 35 -
Figure 14
Carte géologique de la zone du Silala étudiée (DB, exemplaires complets de certaines annexes,
vol. 2, annexe 23.5, appendice A, p. 69 de la version anglaise)
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- 79 -
- 36 -
Figure 15
La coupe géologique générale des sources de Silala (DB, vol. 4, p. 125 de la version anglaise) montre que
les âges cités par la Bolivie (ajoutés à la figure pour plus de clarté) ne corroborent pas la relation
stratigraphique établie par les géologues boliviens (DB, vol. 4, p. 115 de la version anglaise). Dans la
coupe transversale, on aperçoit que les roches plus anciennes (volcanites du Miocène) reposent sur les
laves plus jeunes. C’est manifestement incorrect. La coupe montre également que les ignimbrites
reposent sous les laves du dôme formé par le Silala Chico (Cerrito de Silala), ce qui est tout aussi
incorrect, puisque les ignimbrites sont plus jeunes que les laves du dôme. Le Chili a établi l’âge de
l’ignimbrite Silala (Chi) à 1,61 Ma et celui de l’ignimbrite Cabana (Chi) à 4,12 Ma
(SERNAGEOMIN (Chili), 2019b)
En outre, les trois scénarios simulés par le DHI à l’aide du modèle en champ proche ont généré
des résultats qui font apparaître des flux entrants différents pour chaque scénario (CMB, vol. 5, p. 67
de la version anglaise, tableau 1).
1. Scénario de référence – 253 l/s
2. Scénario sans canal – 221 l/s
3. Scénario sans perturbations – 216 l/s
Dès lors que l’aire d’alimentation souterraine reste identique pour chaque scénario, si l’on fait
varier le flux entrant dans le modèle en champ proche comme il apparaît ci-dessus, l’écart mesuré
entre les entrées d’eau doit se perdre ailleurs. Il est fort peu probable que cette eau soit acheminée
jusqu’au Chili sous forme d’écoulement souterrain traversant les volcanites du Miocène et bien plus
probable qu’elle s’écoule en direction du Chili dans les ignimbrites Silala et Cabana (Chi), à travers
l’étroite région mentionnée ci-dessus.
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50
- 80 -
- 37 -
4.2.2. Géologie structurale
Le modèle conceptuel du DHI postule l’existence d’un système de failles, appelé faille de
Silala (CMB, vol. 4, p. 75-76 de la version anglaise) (voir la figure 16), qui est inclus dans le modèle
en champ proche sous la forme d’une région exiguë à forte conductivité hydraulique, laquelle offre
donc, dans le modèle, un important chemin d’écoulement aux eaux souterraines. Cette faille est
décrite comme une structure d’orientation NNE-SSO, qui épouse le tracé de la gorge du Silala et
traverse la frontière internationale pour pénétrer au Chili (DB, vol. 3, p. 254 et 283 de la version
anglaise). L’analyse des éléments présentés par la Bolivie pour prouver l’existence de cette faille a
été étudiée par le SERNAGEOMIN (2019b) et a été jugée insuffisante. La Bolivie prétend que cette
structure a contrôlé la mise en place et la morphologie de la gorge du Silala. Le DHI affirme que «la
cartographie géologique du SERGEOMIN (2017) traduit un déplacement relativement faible de 5 m
à la frontière» (DB, vol. 5, p. 24 de la version anglaise). Pourtant, une analyse structurale
(SERNAGEOMIN, 2019b) de cette faille postulée indique qu’en cas de déplacement, celui-ci se
produirait dans la direction opposée à celle indiquée par les géologues boliviens. La position
légèrement plus haute des couches ignimbritiques au sud-est peut être expliquée de manière plus
raisonnable par le fait que l’unité des ignimbrites Silala (Bol) est inclinée vers l’ouest, comme le
notent les géologues boliviens (DB, vol. 4, p. 149 de la version anglaise). Le Chili a précédemment
produit des éléments qui prouvent l’origine fluviatile de la gorge du Silala (Latorre et Frugone, 2017 ;
SERNAGEOMIN, 2017), mais la Bolivie ne semble pas démordre de sa position, selon laquelle ce
serait la faille de Silala, dont le Chili a démontré qu’elle n’existait pas, qui explique l’emplacement
et la direction de la gorge du Silala.
Figure 16
Carte du DHI modifiée, 2018 (CMB, vol. 4, p. 76 de la version anglaise, figure 29) où apparaît
en rouge le supposé système de failles de Silala (RC, vol. 3, p. 211 de la version anglaise)
51
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- 38 -
Les géologues boliviens indiquent que ce plan de faille, qui n’existe pas, coïncide avec l’actuel
tracé de la gorge du Silala et que les parois verticales et quasi verticales de la gorge constituent des
«témoins solides de la formation des gorges sous l’influence de l’activité tectonique et du
déplacement de glace de l’ère glaciaire et d’eaux fluvioglaciaires» (DB, vol. 3, p. 323 de la version
anglaise). Les récentes études des documents boliviens menées par le SERNAGEOMIN (2019b)
indiquent que même si le plan de faille existait, ce qui n’est pas le cas, l’angle formé par le plan, à
savoir 48 degrés, n’entraînerait pas la formation des parois quasi verticales de la gorge.
Une analyse complémentaire des données structurales boliviennes a révélé l’utilisation de
données inappropriées, telles que celles relatives aux diaclases de refroidissement, pour évaluer les
orientations des structures. Dans la mesure où ces éléments ne sont pas causés par une déformation
structurale (processus tectoniques), ils ne peuvent pas être utilisés pour évaluer le régime de
contraintes structurales. L’examen des principales relations de contraintes permet de conclure que
nombre des fractures observées résultent d’une compression, ce qui signifie que, selon toute
probabilité, les fractures ne pourraient pas conduire l’eau, puisqu’elles seraient fermées
(SERNAGEOMIN, 2019b).
En outre, les géologues boliviens affirment que les ignimbrites situées dans la zone des sources
de Silala en Bolivie ont subi l’influence de la «faille de Silala», qu’ils attribuent à un prolongement
du système de failles d’Uyuni-Khenayani (ci-après le «SFUK») en territoire bolivien (Sempere et
al., 1990 ; Martínez et al., 1994 ; Elger et al., 2005). Il s’agit d’un système de failles majeur mis en
évidence en Bolivie, qui a été actif jusqu’à 10 Ma. Non seulement le prolongement sud de ce système
de failles se situe à 31 km à l’est-nord-est du Silala, mais sa seule période d’activité remonte à une
période bien antérieure à la mise en place de l’un quelconque des dépôts ignimbritiques mis en
évidence à proximité des sources en zones humides du Silala, que ce soit en Bolivie ou au Chili, si
bien que cet épisode tectonique ne saurait être à l’origine de la formation de fractures ou de failles
ou encore de toute autre déformation de ces ignimbrites. On peut voir l’emplacement du SFUK à la
figure 17.
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- 82 -
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Figure 17
SFUK, situé à 31 km à l’est-nord-est du bassin versant souterrain du bassin hydrographique du Silala.
L’abréviation KUFZ qui apparaît dans la figure désigne le SFUK, abréviation utilisée
dans le présent rapport (SERNAGEOMIN (Chili), 2019b)
4.2.3. Pétrographie
De nombreuses incohérences et erreurs ont été relevées dans la description pétrographique des
différents types de roches mises en évidence dans le bassin hydrographique du Silala, en particulier
s’agissant de l’identification erronée des assemblages des constituants minéraux composant les trois
sous-unités ignimbritiques désignées par la Bolivie.
Par exemple, un échantillon de roche de l’ignimbrite Silala (Chi) prélevé dans la gorge du
Silala, à moins de 10 m de la frontière (échantillon numéro RSP-52t), correspond au même dépôt
que l’ignimbrite Silala Nis-1 (Bol). Cet échantillon prélevé au Chili, à la frontière, est composé
d’ignimbrite andésitique (SERNAGEOMIN, 2019b). Or, dans toutes les descriptions contenues dans
les documents boliviens, Nis-1 est présentée comme une ignimbrite dacitique. Prenons pour autre
exemple la comparaison des assemblages de minéraux décrits par le SERGEOMIN (Bolivie) (2017)
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54
- 83 -
- 40 -
et la TFAU (2018) au sujet de la pétrographie des sous-unités Nis-1, Nis-2 et Nis-3 de l’ignimbrite
Silala (Bol), lesquels se sont révélés différents (SERNAGEOMIN, 2019b).
Ces incohérences et erreurs créent un déficit de confiance très inquiétant quant aux
interprétations géologiques connexes proposées par les géologues boliviens.
4.2.4. Hydrogéologie
Les Parties s’accordent sur l’existence d’un aquifère profond sous le bassin versant souterrain
du Silala, bien que l’interprétation que donne chacune de la géométrie de l’aquifère soit nettement
différente. Au Chili, l’aquifère principal est constitué de l’ignimbrite Cabana (Chi), tandis que
l’ignimbrite Silala (Chi) plus jeune repose sur un dépôt d’écoulements de débris qui est lui aussi très
perméable (Wheater et Peach, 2017 ; Peach et Wheater, 2019 ; Arcadis, 2017 ; Muñoz et al., 2019).
L’ignimbrite Silala, souvent fortement soudée, forme en partie une couche encaissante ou
semi-perméable.
Des éléments ont été présentés précédemment (Peach et Wheater, 2019 ; Arcadis, 2017 ;
SERNAGEOMIN, 2019a ; Herrera et Aravena, 2017 ; Herrera et Aravena, 2019) pour corroborer
l’existence d’un système aquifère à nappe perchée moins profond en Bolivie et au Chili, qui a été
mis en évidence dans des dépôts alluviaux au Chili. Le DHI a reconnu qu’il s’agissait d’une
possibilité (DB, vol. 5, p. 27 de la version anglaise) et en a «clairement conclu que les eaux
souterraines émises dans les sources de Silala ont probablement deux origines primaires distinctes».
Toutefois, le DHI n’a pas intégré cette position dans son modèle en champ proche et affirme que
«l’intention n’était pas de représenter explicitement les différentes origines des eaux souterraines
dans le modèle, car cela n’aurait pas permis de refléter la répartition des eaux superficielles et des
eaux souterraines débitées par les zones humides de Silala» (DB, vol. 5, p. 27 de la version anglaise).
C’est une formulation trompeuse, car, en présence d’eaux souterraines provenant d’aquifères
distincts, l’écoulement serait contrôlé par différentes distributions des niveaux piézométriques. Etant
donné que les écoulements de surface sont déterminés par les échanges entre les eaux souterraines et
les eaux de surface, lesquels sont forcément dépendants de la charge, lesdits écoulements de surface
seraient bien susceptibles de «refléter la répartition des eaux superficielles et des eaux souterraines
débitées» (DB, vol. 5, p. 27 de la version anglaise). Le système composé de deux aquifères n’est
nullement pris en considération par le DHI dans son modèle conceptuel ni dans la construction de sa
carte piézométrique (CMB, vol. 2, p. 100). Cela faussera inévitablement la compréhension du régime
d’écoulement souterrain, ce qui entraînera ensuite une mauvaise paramétrisation des propriétés des
aquifères et la définition de conditions limites erronées.
En ce qui concerne le régime d’écoulement souterrain dans la zone du modèle en champ
proche, il apparaît, à l’examen de la représentation conceptuelle bolivienne des directions
d’écoulement des eaux souterraines (CMB, vol. 2, p. 371 de la version anglaise, figures 6 et 7), que
ces directions sont incompatibles avec celles interprétées sur la base de la carte potentiométrique du
DHI, comme nous l’avons montré à la section 3 ci-dessus. Elles sont également incompatibles avec
les types de conditions limites adoptées dans le modèle en champ proche ainsi qu’avec leur
emplacement, puisque les directions d’écoulement représentées (figure 8) traversent la limite sud du
modèle en champ proche, alors qu’il s’agit d’une limite à flux nul. Cela nous amène à conclure que
le modèle en champ proche ne traduit pas la représentation conceptuelle que le DHI se fait du régime
d’écoulement souterrain dans la région où émergent les sources des zones humides boliviennes. Si
le modèle conceptuel établi par le DHI pour représenter les directions d’écoulement des eaux
souterraines est incorrect, alors les estimations des effets de la chenalisation, qui ont été calculées à
l’aide de ce même modèle, sont probablement erronées (section 3 ; Muñoz et al., 2019).
L’examen des documents techniques joints à la duplique de la Bolivie a permis de mettre en
évidence des erreurs dans la cartographie géologique, l’interprétation de la séquence géologique des
dépôts, les différents contacts géologiques qu’ils entretiennent et leur caractérisation pétrographique.
55
56
- 84 -
- 41 -
Du fait de ces erreurs et incohérences, le modèle en champ proche se fonde dans une large mesure
sur des informations erronées pour ce qui concerne la géométrie de l’aquifère ignimbritique profond
et sa paramétrisation, avec notamment la non-inclusion d’un aquifère situé à moindre profondeur.
L’extension latérale des ignimbrites, en particulier l’ignimbrite Silala (Chi) et l’ignimbrite Cabana
(Chi), est limitée par des volcanites à faible perméabilité du Miocène dans la zone où elles sont
subaffleurantes, à savoir la région qui part de la confluence des gorges Bofedales Norte (Cajones) et
Bofedales Sur (Orientales) pour suivre la pente descendante en Bolivie puis au Chili, ce qui influence
la géométrie de l’aquifère et la paramétrisation du modèle en champ proche. Le SERNAGEOMIN
(2[0]19b) a montré que la faille de Silala n’existait pas ; ainsi, l’un des principaux postulats du
modèle conceptuel hydrogéologique du DHI et, par corollaire, son modèle en champ proche sont
fondés sur une interprétation erronée de la géologie et des propriétés des matériaux qui la composent.
En outre, non seulement la géologie décrite par la Bolivie et la conceptualisation du DHI sont
incorrectes, mais Muñoz et al. (2019) ont mis en évidence, en s’appuyant uniquement sur les
documents produits par la Bolivie, que le régime d’écoulement souterrain intégré au modèle en
champ proche était incompatible avec le modèle conceptuel hydrogéologique que le DHI lui-même
utilise.
En résumé, les deux Parties s’accordent pour dire qu’il existe un aquifère ignimbritique
profond, souvent très perméable, dans le bassin versant souterrain du Silala. Au Chili, cet aquifère
est semi-captif ou captif, comme l’attestent les observations piézométriques et les données de forage
(Arcadis, 2017). En revanche, on ne saurait admettre que la succession ignimbritique repose sous les
volcanites du Miocène, comme nous l’avons prouvé dans la discussion ci-dessus et démontré en
détail dans SERNAGEOMIN (2019b) ; ainsi, l’extension de l’aquifère ignimbritique est limitée, en
superficie, par les volcanites du Miocène, et la géométrie de l’aquifère est donc assez différente de
celle proposée par la Bolivie. On ne saurait admettre davantage que la prétendue faille de Silala existe
d’une quelconque manière, et celle-ci ne peut être invoquée pour affirmer qu’une étroite zone à forte
perméabilité épouse la gorge du Silala. Enfin, on ne saurait admettre que le système aquifère peu
profond puisse être ignoré dans la représentation conceptuelle de l’écoulement souterrain émergeant
dans les sources boliviennes.
4.3. Conclusions
Un grand nombre d’erreurs et d’incohérences ont été découvertes dans la cartographie
géologique et l’analyse structurale de la Bolivie. Par conséquent, l’interprétation que propose le DHI
de l’hydrogéologie et son application dans le modèle en champ proche comprennent elles aussi de
nombreuses erreurs, dont les plus importantes sont répertoriées ci-dessous.
1. L’attribution d’une date radiométrique erronée, utilisée pour déterminer la fourchette d’âges des
ignimbrites Silala (Bol), a donné lieu à une interprétation incorrecte de la stratigraphie, ce qui a
des incidences importantes sur la géométrie de l’aquifère et la distribution des valeurs de
perméabilité dans le modèle en champ proche, l’aquifère ignimbritique ayant une superficie bien
plus restreinte que celle proposée par la Bolivie.
2. La position stratigraphique des différents dépôts et leurs contacts géologiques n’ont pas été pris
en compte, ce qui fausse la construction de la géométrie de l’aquifère et la distribution de ses
propriétés.
3. La Bolivie a fait fi de l’existence de l’ignimbrite Silala (Chi) et de l’ignimbrite Cabana (Chi) dans
sa caractérisation de la stratigraphie ignimbritique. L’ignimbrite Silala (Chi) présente un fort
degré de soudage et affleure en discordance sur les ignimbrites bien plus âgées dans les Bofedales
Sur (Orientales). L’ignimbrite Cabana (Chi) est hautement perméable. Elles ont toutes deux une
extension latérale limitée et sont contraintes par deux collines composées de volcanites à faible
perméabilité du Miocène, ce qui restreint l’écoulement des eaux souterraines dans cette région.
57
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- 42 -
On se serait attendu à ce que cela influe sur la paramétrisation du modèle en champ proche et sur
la géométrie de l’aquifère intégrée à ce dernier.
4. La faille de Silala, présentée par le DHI comme offrant un chemin d’écoulement souterrain à forte
perméabilité, n’existe pas et n’a pu être corrélée aux épisodes tectoniques qui se sont produits des
millions d’années avant la mise en place des ignimbrites ou des volcanites du Miocène ; elle ne
peut donc être utilisée pour définir et circonscrire la zone à forte perméabilité qui s’étire à travers
les Bofedales Norte (Cajones), les Bofedales Sur (Orientales) et la gorge du Silala.
5. L’analyse structurale de la Bolivie est biaisée, ce qui donne lieu à des interprétations erronées de
la géologie structurale, ainsi que de la présence et de l’emplacement de fractures ouvertes
capables de conduire les eaux souterraines ; il est donc probable que les propriétés des aquifères
aient été attribuées de manière incorrecte dans la modélisation conceptuelle et numérique.
6. Il s’est avéré que les descriptions et appellations boliviennes des types de roches étaient confuses,
incohérentes et souvent erronées, ce qui nous amène à la conclusion que la cartographie
géologique en Bolivie est déficiente, si bien que la représentation conceptuelle de l’hydrogéologie
est sans doute elle aussi déficiente.
7. Le DHI a fait abstraction des éléments de preuve chiliens qui démontrent la présence d’un
système aquifère peu profond ainsi que de ses propres éléments traduisant les deux origines
distinctes des eaux souterraines qui émergent dans les sources des zones humides boliviennes, ce
qui donne lieu à une interprétation incorrecte de la distribution des niveaux d’eau souterraine
(potentiométrie).
8. Le modèle conceptuel bolivien et les courbes potentiométriques utilisées pour le modèle en
champ proche sont incompatibles entre eux et traduisent différentes interprétations du régime
d’écoulement des eaux souterraines.
9. Que l’on examine leur type ou leur emplacement, les conditions limites du modèle en champ
proche contredisent le modèle conceptuel hydrogéologique bolivien et les courbes
potentiométriques utilisées dans le modèle en champ proche ; le régime d’écoulement serait ainsi
différent de celui simulé dans le modèle en champ proche.
Tous les problèmes répertoriés ci-dessus influent sur la représentation des interactions entre
les eaux souterraines et les eaux de surface dans le modèle en champ proche, ce qui a une incidence
sur l’estimation des effets de la chenalisation sur les écoulements de surface et souterrains.
Cette liste est troublante et amène à conclure à l’inexactitude de la modélisation qui a été
utilisée pour étayer et justifier les estimations boliviennes des effets de la chenalisation sur les
écoulements de surface et souterrains qui émanent des zones humides boliviennes dans le cours
supérieur du Silala. Les modèles mis au point par le DHI, expert-conseil désigné par la Bolivie, se
fondent sur une compréhension incorrecte de la géologie et de l’hydrogéologie du bassin versant du
Silala en surface ainsi que de son bassin versant souterrain.
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5. CONTRE-VÉRITÉS ET ATTRIBUTION CAUSALE BIAISÉE CONCERNANT
LA DÉGRADATION DES ZONES HUMIDES
Le Chili admet que le drainage des zones humides en Bolivie peut avoir eu une incidence sur
leur superficie et sur la santé des écosystèmes associés (par exemple, RC, vol. 1, p. 128). Toutefois,
si les effets du drainage des zones humides en territoire bolivien, entrepris avec le consentement de
la Bolivie, relèvent de la responsabilité de cette dernière, il est utile, pour la gestion future du Silala,
la restauration des zones humides et les écoulements futurs en aval, que les changements historiques
soient bien compris. Ainsi, nous souhaitons attirer l’attention de la Cour sur le fait que la duplique
de la Bolivie surestime la dégradation historique de l’espace occupé par les zones humides et établit,
sans qu’aucune donnée scientifique ne vienne l’étayer, une relation de cause à effet entre l’évolution
de la superficie des zones humides et les effets de la chenalisation.
Considérons premièrement la superficie des zones humides. Dans sa duplique, la Bolivie
reprend les estimations de la superficie passée et présente des zones humides qu’elle avait présentées
dans son contre-mémoire (CMB, vol. 5, p. 163 de la version anglaise), lesquelles étaient fondées sur
le rapport Ramsar : «[a]vant la chenalisation, la région du Silala en Bolivie était couverte de zones
humides de haute altitude appelées bofedales, qui s’étendaient sur environ 141 200 m2 (ou 14,1 ha).
Aujourd’hui, la superficie de ces zones humides n’est plus que de 6000 m² (ou 0,6 ha)» (DB, vol. 1,
par. 41). Nous constatons que la Bolivie se fait une idée quelque peu confuse de la zone concernée
— la note 58 de la duplique qui sous-tend cette observation cite également le rapport de FUNDECO,
où il est indiqué que la zone concernée occupe une superficie de 11,48 ha (DB, vol. 3, annexe 23.3,
p. 55). Surtout, le chiffre de 0,6 ha, correspondant à l’estimation de la superficie actuelle des zones
humides, est manifestement erroné et contredit l’évaluation faite par les experts que la Bolivie a
elle-même désignés. La superficie active des zones humides subit une importante variabilité
saisonnière et interannuelle, comme l’ont clairement affirmé les experts de la Bolivie, Torrez Soria
et al. (CMB, vol. 3, p. 73 de la version anglaise) : «les bofedales ont un comportement saisonnier,
dont témoignent les changements remarquables qui interviennent selon la saison et les variations
annuelles». Ils citent l’étude Castel (2017), réalisée par un expert de la Bolivie, qui rend compte
d’une analyse de données Landsat recueillies entre 1975 et 2000. Il en ressort qu’il existe une forte
variabilité de la superficie active des zones humides, qui oscille entre 2 et 8 ha, affichant une légère
tendance à la hausse. L’analyse initiale du Chili (MC, vol. 4, p. 37 de la version anglaise), qui reposait
également sur des données Landsat, révélait de la même manière une forte variabilité saisonnière,
accompagnée d’une possible tendance à la hausse, bien que ses estimations de la superficie des zones
humides fussent quelque peu supérieures. Les données satellite à résolution plus fine (10 m),
présentées dans la réplique du Chili (RC, vol. 1, p. 127-139), ont permis d’effectuer une évaluation
plus précise de la superficie active des zones humides, mais sur une période limitée (juillet-novembre
2018). Cette évaluation a confirmé la forte variabilité saisonnière de l’activité de la végétation (à
savoir la propriété mesurée au moyen des données NDVI obtenues par imagerie satellitaire) et montré
que l’extension maximale de la surface hygrophile active des deux zones humides boliviennes
s’élevait à 9,9 ha, la superficie active la plus basse (3 ha) ayant été mesurée au début de la période
considérée. Nous réitérons également que ces données, présentées dans la réplique, montrent que la
végétation hygrophile active occupe actuellement la totalité des fonds de vallée.
Nous réaffirmons que la superficie actuelle des zones humides telle qu’elle est estimée de
manière répétée par la Bolivie (0,6 ha) n’est pas crédible et nous notons que le DHI en convient : «Il
semble que les zones décrites dans le rapport Ramsar ne reflètent pas la zone humide dans son
intégralité» (DB, vol. 5, p. 41 de la version anglaise). Par conséquent, force nous est de constater que
l’affirmation de la Bolivie (DB, vol. 1, par. 90) selon laquelle «la zone des bofedales a diminué
d’environ 94 %» est foncièrement inexacte s’agissant des zones considérées. Notons au passage que
la Bolivie (DB, vol. 1, par. 88) met en cause l’analyse chilienne des données à haute résolution, telle
que résumée dans la réplique du Chili (vol. 1, p. 136), indiquant qu’«[u]ne croissance de 2,86 ha à
7,50 ha sur une période de deux mois est une surestimation qui fait ressortir des calculs erronés que
la raison ne peut accepter». La Bolivie semble négliger les éléments de preuve présentés par ses
propres experts, Torrez Soria et al. (CMB, vol. 3, p. 73 de la version anglaise) et Castel (2017), et
60
- 87 -
- 44 -
confondre l’expansion et la contraction normales des zones de végétation hygrophile active qui se
produisent au fil des saisons avec la croissance de zones de végétation tout à fait nouvelles.
Deuxièmement, intéressons-nous à la question de la causalité et examinons l’affirmation (DB,
vol. 1, par. 94) selon laquelle «[l]es données scientifiques montrent que les ouvrages hydrauliques
ont causé la fragmentation des bofedales». Les études de FUNDECO, sur lesquelles repose cette
affirmation, sont elles-mêmes extrêmement confuses. L’un des faisceaux de preuves résumés par
FUNDECO (DB, vol. 3, p. 142 de la version anglaise) est tiré d’une étude géochimique qui aurait
mis en évidence un processus graduel de dessiccation : «Cette phase de dessiccation a commencé
vers 1908, témoignant clairement des effets que la chenalisation a eus sur les sources de Silala.» Or,
les ouvrages de drainage ont été installés dans les zones humides en 1928. Par conséquent, ces
changements ont débuté 20 ans avant la chenalisation. FUNDECO affirme de même, sur la base cette
fois d’une analyse des pollens, qu’: «[à] partir de 1908, un processus graduel de dessiccation s’est
produit, comme en témoigne l’évolution de la composition des palynomorphes» (DB, vol. 3, p. 142
de la version anglaise) ; là encore, on parle d’une modification antérieure à la construction des
ouvrages de drainage. Il est précisé que «ce processus de dessiccation a atteint son maximum vers
1950» (DB, vol. 3, p. 142 de la version anglaise), date qui, à notre connaissance, ne coïncide avec
aucune modification des chenaux et renvoie donc encore une fois à des causes de changement autres
que la chenalisation. Un autre faisceau de preuves est constitué à partir de l’analyse des profils
pédologiques (DB, vol. 3, p. 155 de la version anglaise) :
«La première altération de la couche de sol s’est produite à proximité du point
dont l’âge a été établi entre 680 et 862 ans, soit au cours d’une période antérieure au
processus de canalisation … Cet horizon s’est maintenu jusqu’au changement suivant,
qui a eu lieu entre 1960 et 1980 (figure 6). Cet intervalle de temps correspond à la
période critique marquée par un déficit d’eau, qui est intervenu environ 50 ans après
l’installation des ouvrages de canalisation, encore en service à l’heure actuelle.»
Ainsi, de multiples faisceaux de preuves montrent que des changements majeurs se sont
produits dans les zones humides à des moments qui n’ont aucun rapport avec les travaux de
chenalisation. Comme l’a souligné le DHI, dans son analyse de ce rapport et d’autres rapports
scientifiques boliviens (DB, vol. 2, p. 99 de la version anglaise), «l’étude ne s’intéresse pas de
manière approfondie aux autres aspects liés au climat, tels que les changements climatiques
susceptibles de s’être produits au cours des 100 à 120 dernières années, pour déterminer si ceux-ci
pourraient avoir causé certaines des modifications observées dans les bofedales».
Nous partageons l’avis du DHI (DB, vol. 2, annexe 23, p. 7-8), qui estime, au sujet des
modifications des chemins d’écoulement associées à la chenalisation des zones humides, que «[c]e
changement peut être l’une des principales causes des altérations observées dans les habitats qui ont
eu lieu au siècle dernier»7. Cependant, selon nous, et comme semble le penser également le DHI, les
changements climatiques sont probablement un facteur majeur, auquel il convient d’ajouter un autre
facteur peut-être pertinent également, à savoir l’impact des activités humaines (rapport de
FUNDECO, DB, vol. 3, p. 38 de la version anglaise ; d’après les entretiens conduits avec des
membres des communautés locales, les bofedales étaient utilisés pour faire paître le bétail). En tous
les cas, il apparaît manifestement qu’aucun lien de causalité avec la chenalisation des zones humides
n’a été démontré et que les affirmations faites en ce sens par la Bolivie et ses experts sont tout
simplement fausses.
7 Les italiques sont de nous.
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6. CONCLUSIONS
i) Les données numériques sur lesquelles s’appuie le contre-mémoire, et que la
Bolivie a communiquées après que le Chili eut achevé sa réplique,
modifient-elles sensiblement votre appréciation de la modélisation réalisée par
les experts de la Bolivie pour déterminer les effets de la chenalisation et de la
croissance éventuelle de la couche de tourbe à long terme ?
Les données numériques fournies par la Bolivie en février 2019 ont permis de procéder à une
analyse détaillée des travaux de modélisation du DHI qui servent à étayer la thèse de la Bolivie quant
aux effets de la chenalisation historique du Silala sur son territoire, tels que présentés dans le
contre-mémoire. L’analyse des configurations, des paramètres, des données d’entrée et des résultats
de simulation des modèles a révélé que de nombreux aspects de la modélisation laissaient planer de
sérieux doutes sur la fiabilité des résultats, en particulier pour ce qui concerne la modélisation de la
zone de 2,56 km² baptisée champ proche par le DHI, cette zone englobant les sources d’alimentation
du Silala et les zones humides en Bolivie, ainsi que le lit de la rivière à la frontière internationale.
Le modèle en champ proche a été utilisé par le DHI dans la simulation de trois scénarios — le
scénario «de référence» (état actuel), un scénario «sans canal» (où les chenaux actuels sont
supprimés) et un scénario «sans perturbations» (où les chenaux actuels sont supprimés et où l’on
inclut la possibilité que les sols tourbeux des zones humides se développent à long terme) — pour
évaluer les effets de la chenalisation historique du Silala et de ses zones humides en Bolivie et de la
croissance éventuelle future des sols tourbeux dans les zones humides. S’appuyant sur ces résultats,
la Bolivie prétend que la chenalisation historique a eu des effets considérables sur les écoulements
transfrontières du Silala.
Nous avions fait observer précédemment, dans la réplique du Chili, qu’il y avait des erreurs
dans l’interprétation géologique sur laquelle est basée la modélisation (et donc dans la configuration
et la paramétrisation du modèle) et qu’un problème majeur se posait quant au choix des conditions
limites du modèle en champ proche, ce qui causait une surestimation des effets indiqués. Toutefois,
l’examen des données numériques par des hydrologues chiliens (Muñoz et al., 2019) a permis de
mettre au jour de nombreuses différences non signalées entre les modèles utilisés pour comparer les
scénarios et entre les conditions limites des modèles et les conditions initiales. Outre que ces
différences n’ont pas été signalées, la méthodologie utilisée n’a pas été expliquée et des hypothèses
incorrectes ont été émises. Plus important encore est sans doute le fait que, comme nous l’avons
découvert, des topographies distinctes avaient été utilisées dans les différents scénarios, y compris
pour un même scénario — celui de référence — employé pour modéliser les processus liés au bassin
versant (le modèle MIKE SHE) et l’écoulement en chenal (le modèle MIKE 11). Ces différences
topographiques, qui vont jusqu’à 7 m, sont nettement supérieures aux légères variations dans la
profondeur des chenaux et dans la croissance de la tourbe que les modèles étaient censés évaluer, et
sont, en soi, de nature à générer de considérables écarts entre les scénarios. Alors que les erreurs et
inexactitudes signalées pour la modélisation du champ proche étaient peu ou prou de même ampleur
que les effets simulés, ce qui, en soi, fait déjà planer le doute sur la validité des conclusions tirées de
la modélisation, nous concluons que les effets importants qu’invoque la Bolivie correspondent, pour
l’essentiel, aux biais causés par les différences non signalées que l’on observe entre les scénarios
modélisés.
En bref, nous modifions sensiblement notre appréciation de la fiabilité des travaux de
modélisation effectués par les experts de la Bolivie. Selon notre opinion professionnelle, les résultats
publiés sur les effets de la chenalisation et d’une possible croissance à long terme de la tourbe ne
sont nullement fiables et la Cour ne devrait donc pas en tenir compte.
ii) Les travaux de modélisation complémentaires et autres études effectués par les
experts de la Bolivie, tels que présentés dans la duplique de cette dernière,
offrent-ils une évaluation correcte de l’ampleur de ces effets ?
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Nous notons avec satisfaction que, comme il ressort de la duplique de la Bolivie, le DHI a
accepté nos critiques au sujet du choix des conditions limites du modèle en champ proche, et
considère à présent que ces résultats forment la limite haute des effets de la chenalisation et de
l’éventuelle croissance de la tourbe à long terme. Le DHI propose également une estimation basse
des effets simulés, calculée à flux constant à la limite. Nous convenons qu’il s’agit là d’une condition
appropriée pour établir une estimation basse. Toutefois, les résultats de la simulation présentés dans
ce cadre n’en pèchent pas moins par toutes les erreurs et incohérences mentionnées plus haut et
comportent des erreurs de même ampleur que les effets simulés. En outre, ils diffèrent des résultats
qui ont été présentés dans le contre-mémoire de la Bolivie pour la même simulation, ce qui témoigne
une fois de plus du manque de fiabilité du processus de modélisation. Là encore, selon notre opinion
professionnelle, ces nouveaux résultats de modélisation sont trompeurs et ne devraient pas être pris
en considération.
Nous notons que le DHI fait référence à une estimation historique de l’écoulement, effectuée
en 1922 avant la chenalisation, pour étayer ses simulations et conclusions. Or, selon nous, on ne
saurait porter crédit à une estimation unique, réalisée en un lieu incertain et dans un environnement
difficile où les mesures contemporaines se sont révélées largement erronées.
D’autres experts désignés par la Bolivie se sont penchés sur la relation entre la chenalisation
historique et les changements observés dans les zones humides. Il est important de comprendre les
causes de l’évolution des zones humides, étant donné que les deux Parties souhaitent que celles-ci
soient restaurées, et d’en appréhender les effets sur les débits en aval. Bien que ces autres études
apportent d’importants éclairages sur certains des changements qui se sont produits dans les zones
humides, elles désignent, à tort, la chenalisation comme seule responsable des changements observés.
Etant donné que les dates des changements signalés sont sans rapport aucun avec les dates des travaux
de chenalisation, il faut en conclure que d’autres facteurs jouent ici un rôle considérable. Nous
souscrivons à l’avis des experts du DHI, à savoir que les changements climatiques sont probablement
l’un des plus importants facteurs de contrôle.
iii) Les informations fournies par les experts de la Bolivie, telles que présentées
dans la duplique, modifient-elles sensiblement votre évaluation de la
représentation géologique et hydrogéologique qui sous-tend la modélisation
par la Bolivie des effets de la chenalisation et de la croissance éventuelle de la
couche de tourbe à long terme ?
Ayant analysé l’interprétation bolivienne de la géologie et de l’hydrogéologie du bassin
hydrographique du Silala, il nous semble évident que cette interprétation géologique qui sous-tend
la modélisation de la Bolivie présente de sérieux défauts. Dans sa duplique, la Bolivie a soumis de
nouveaux éléments géologiques qui sont souvent confus et incohérents. En outre, elle a fait fi des
éléments de preuve fournis par le Chili, se contentant d’affirmer que ses propres interprétations sont
correctes.
iv) En quoi ces nouvelles informations influent-elles, le cas échéant, sur la validité
de la modélisation que propose la Bolivie des effets de la chenalisation et de la
croissance éventuelle de la couche de tourbe à long terme ?
La géologie et l’hydrogéologie de la zone autour des sources des zones humides boliviennes
et en aval du Silala, que le DHI appelle le «champ proche du Silala», sont complexes et, faute de
données suffisantes, prêtent souvent à des interprétations divergentes. Il reste que, en ce qui concerne
la géologie et l’hydrogéologie, le DHI a adopté un ensemble de modèles qui ne reflètent pas le
meilleur état des connaissances sur la situation réelle et qui se fondent sur de nombreuses conclusions
et hypothèses erronées ainsi que sur des interprétations intrinsèquement incohérentes, sans compter
les problèmes mentionnés précédemment dans la réponse à la question i). Les modèles sont donc
susceptibles de générer des résultats totalement erronés. Selon nous, il ne fait aucun doute que les
effets de la chenalisation tels qu’estimés par la Bolivie sont fortement surestimés. Cette conclusion
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s’explique en partie par le fait que les conditions limites adoptées pour le modèle en champ proche
sont incorrectes, dans leur définition comme dans leur emplacement, ainsi que par le recours à une
représentation topographique incohérente et très variable. Mais d’autres facteurs faussent également
les résultats : une interprétation erronée de la géométrie de l’aquifère, l’application de répartitions
des propriétés de l’aquifère qui méconnaissent la géométrie et la stratigraphie réelles, et le fait d’avoir
ignoré l’existence d’un vaste aquifère peu profond.
Non seulement le modèle en champ proche ne reflète pas la réalité, mais il est en outre
incompatible avec la représentation conceptuelle du régime d’écoulement des eaux souterraines
présentée par la Bolivie elle-même.
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7. RÉFÉRENCES
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l’hydrologie de son bassin hydrographique (RC, vol. 1).
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DÉCLARATION D’INDÉPENDANCE ET DE SINCÉRITÉ
1. Les opinions que j’ai formulées dans mon rapport sont l’expression de mon appréciation
professionnelle sincère et indépendante. Lorsque je me suis appuyé sur les études d’observation
et de surveillance réalisées sous ma supervision par les experts scientifiques chiliens ou sur des
données qui m’ont été communiquées par la République du Chili, j’en ai fait état dans mon
rapport.
2. J’ai conscience que le devoir dont je suis chargé m’incombe en premier lieu envers la Cour, tant
au stade de la rédaction du rapport d’experts qui accompagne la pièce additionnelle de la
République du Chili que dans le cadre d’une éventuelle déposition orale. Je me suis acquitté et
continuerai de m’acquitter de ce devoir.
3. J’ai fait de mon mieux, lorsque j’ai rédigé le présent rapport, pour répondre de manière précise
et complète aux questions posées par la République du Chili dans le cahier des charges reproduit
dans le rapport. Je considère que tous les sujets sur lesquels j’ai exprimé une opinion relèvent de
mon domaine d’expertise.
4. Pendant la rédaction du présent rapport, je n’ai eu connaissance d’aucun conflit d’intérêts, réel
ou potentiel, de nature à compromettre ma capacité à produire un avis expert indépendant.
5. Je confirme n’avoir conclu aucun accord aux termes duquel le montant ou le versement de mes
honoraires dépendrait d’une quelconque manière de l’issue de la présente procédure.
6. Lorsque j’ai mentionné des faits ne relevant pas de mon domaine de compétence, j’en ai indiqué
la source.
7. Je n’ai jamais repris à mon compte un élément m’ayant été suggéré par des tiers, y compris des
membres de l’équipe technique ou mes mandataires, sans m’être préalablement forgé une opinion
indépendante.
Le 3 septembre 2019.
(Signé) Howard WHEATER,
ingénieur hydrologue.
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DÉCLARATION D’INDÉPENDANCE ET DE SINCÉRITÉ
1. Les opinions que j’ai formulées dans mon rapport sont l’expression de mon appréciation
professionnelle sincère et indépendante. Lorsque je me suis appuyé sur les études d’observation
et de surveillance réalisées sous ma supervision par les experts scientifiques chiliens ou sur des
données qui m’ont été communiquées par la République du Chili, j’en ai fait état dans mon
rapport.
2. J’ai conscience que le devoir dont je suis chargé m’incombe en premier lieu envers la Cour, tant
au stade de la rédaction du rapport d’experts qui accompagne la pièce additionnelle de la
République du Chili que dans le cadre d’une éventuelle déposition orale. Je me suis acquitté et
continuerai de m’acquitter de ce devoir.
3. J’ai fait de mon mieux, lorsque j’ai rédigé le présent rapport, pour répondre de manière précise
et complète aux questions posées par la République du Chili dans le cahier des charges reproduit
dans le rapport. Je considère que tous les sujets sur lesquels j’ai exprimé une opinion relèvent de
mon domaine d’expertise.
4. Pendant la rédaction du présent rapport, je n’ai eu connaissance d’aucun conflit d’intérêts, réel
ou potentiel, de nature à compromettre ma capacité à produire un avis expert indépendant.
5. Je confirme n’avoir conclu aucun accord aux termes duquel le montant ou le versement de mes
honoraires dépendrait d’une quelconque manière de l’issue de la présente procédure.
6. Lorsque j’ai mentionné des faits ne relevant pas de mon domaine de compétence, j’en ai indiqué
la source.
7. Je n’ai jamais repris à mon compte un élément m’ayant été suggéré par des tiers, y compris des
membres de l’équipe technique ou mes mandataires, sans m’être préalablement forgé une opinion
indépendante.
Le 3 septembre 2019.
(Signé) Denis PEACH,
hydrogéologue.
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LISTE DES ANNEXES
Annexe
VOLUME II
Annexe à la pièce additionnelle
100 100.1. Note from the Agent of the Republic of Chile to the Agent of the Plurinational
State of Bolivia, 27 mai 2019 (Original in English)
100.2. Note from the Agent of the Plurinational State of Bolivia to the Agent of the
Republic of Chile, 17 juin 2019 (Original in English)
Annexes au rapport d’experts
XV Muñoz, J. F., Suárez, F., Sanzana, P. and Taylor, A., 2019. Assessment of the Silala
River Basin Hydrological Models Developed by DHI
XVI SERNAGEOMIN (National Geology and Mining Service), 2019. A Brief Review of the
Geology presented in Annexes of the Rejoinder of the Plurinational State of Bolivia
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CERTIFICATION
Je certifie par la présente que les annexes et les rapports joints sont des copies conformes des
documents auxquels il est fait référence.
Le 16 septembre 2019.
L’agente de la République du Chili,
(Signé) Ximena FUENTES T.
___________
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Document file FR
Document Long Title

Pièce additionnelle du Chili

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