Mémoire déposé par le Nicaragua

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155-20141003-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
13843
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À DES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE DROITS SOUVERAINS
ET D’ESPACES MARITIMES DANS LAMER DES CARAÏBES
(NICARAGUA C. COLOMBIE)
MÉMOIRE DÉPOSÉ PAR LE NICARAGUA
3 octobre 2014
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES ACRONYMES ........................................................................................................... iii
LISTE DES FIGURES ................................................................................................................... iv
CHAPITRE I : INTRODUCTION ................................................................................................. 1
A. Historique de la procédure ....................................................................................................... 1
B. Portée du différend ................................................................................................................... 1
1. L’arrêt du 19 novembre 2012 ............................................................................................. 1
2. La violation, par la Colombie, des droits du Nicaragua et son manquement
aux obligations internationales lui incombant .................................................................... 3
3. La réponse pacifique du Nicaragua .................................................................................... 5
C. Compétence.............................................................................................................................. 6
1. Le pacte de Bogotá ............................................................................................................. 6
2. Le pouvoir inhérent de la Cour à l’égard des différends découlant
d’un défaut d’exécution de ses arrêts .................................................................................. 9
3. La tâche de la Cour ........................................................................................................... 12
D. Présentation générale du mémoire ......................................................................................... 13
CHAPITRE II : LES FAITS.......................................................................................................... 14
A. Les déclarations du président et de la ministre des affaires étrangères de la Colombie ........ 14
B. Le décret présidentiel 1946 .................................................................................................... 17
C. Les violations par la Colombie de la juridiction et des droits souverains du Nicaragua ....... 23
D. La retenue dont fait preuve le Nicaragua ............................................................................... 36
CHAPITRE III : LES MANQUEMENTS DE LA COLOMBIE À SON OBLIGATION
DE NE PAS VIOLER LES DROITS SOUVERAINS ET
LA JURIDICTION DU NICARAGUA .............................................................................. 39
A. Dans son arrêt du 19 novembre 2012, la Cour a fixé une frontière maritime définitive
entre les Parties dans la limite des 200 milles marins et défini les espaces maritimes
sur lesquels chacune d’elles peut exercer des droits souverains ........................................... 39
B. Les obligations de la Colombie au titre du Statut de la Cour internationale de Justice
et de la Charte des Nations Unies .......................................................................................... 40
1. Les sources des obligations............................................................................................... 40
2. Les violations commises ................................................................................................... 41
i) Les décrets 1946 et 1119 ............................................................................................ 42
- ii -
C. Les obligations de la Colombie découlant du droit international de la mer .......................... 46
D. Les manquements de la Colombie à son obligation de s’abstenir de recourir à la
menace ou à l’emploi de la force ........................................................................................... 47
CHAPITRE IV: REMÈDES ......................................................................................................... 53
A. Cessation des faits internationalement illicites de la Colombie qui présentent un
caractère continu .................................................................................................................... 56
B. La Colombie doit rétablir le statu quo ante ........................................................................... 64
C. La Colombie a l’obligation d’indemniser le Nicaragua pour les dommages
susceptibles d’évaluation financière qu’elle lui a causés ....................................................... 67
D. Le Nicaragua est en droit d’obtenir des garanties appropriées de non-répétition des
faits internationalement illicites commis par la Colombie .................................................... 70
CONCLUSIONS ............................................................................................................................ 72
ATTESTATION ............................................................................................................................. 73
LISTE DES ANNEXES.................................................................................................................. 74
- iii -
LISTE DES ACRONYMES
ARC (acronyme espagnol) Armada de la Républica de Colombia
(forces navales colombiennes)
BL Bâtiment logistique
CNUDM Convention des Nations Unies sur le droit de la mer
DiMAR (acronyme espagnol) Direction générale des affaires maritimes et portuaires
FM (acronyme espagnol) Frégate lance-missile
GC Garde-côte
MN Mémoire du Nicaragua
PO (acronyme espagnol) Patrouilleur
PZE Patrouilleur dans la zone économique exclusive
- iv -
LISTE DES FIGURES
Figure 2.1. : La «zone contiguë unique» de la Colombie conformément au décret 1946
Figure 2.2. : La zone contiguë unique de la Colombie empiète sur les droits souverains
et la juridiction du Nicaragua
Figure 2.3 : Localisation des incidents signalés dans la zone de Luna Verde
Figure 2.4 : Localisation des incidents signalés dans la zone de Luna Verde Agrandissement
Figure 2.5 : Position de la zone de Luna Verde par rapport à la frontière maritime
définie par la Cour
Figure 2.6 : Frégate ARC Antioquia (FM-53
Figure 2.7 : Frégate ARC Almirante Padilla (FM-51)
Figure 2.8 : Independiente (FM-54)
Figure 2.9 : ARC 20 de Julio (PZE-46)
Figure 2.10 : ARC San Andrés (PO-25)
___________
CHAPITRE I
INTRODUCTION
A. HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE
1.1. Le 26 novembre 2013, la République du Nicaragua a déposé une requête introductive
d’instance contre la République de Colombie, lui faisant grief d’avoir violé les droits souverains et
la juridiction sur les eaux et les fonds marins que, dans son arrêt du 19 novembre 2012, la Cour lui
a reconnus à l’unanimité.
1.2. Dans sa requête, le Nicaragua prie la Cour de dire et juger que la Colombie :
 «manque à l’obligation qui lui incombe en vertu du paragraphe 4 de l’article 2 de
la Charte des Nations Unies et du droit international coutumier de s’abstenir de
recourir à la menace ou à l’emploi de la force ;
 manque à l’obligation qui lui incombe de ne pas violer les espaces maritimes du
Nicaragua tels que délimités au paragraphe 251 de l’arrêt rendu par la Cour le
19 novembre 2012, ainsi que les droits souverains et la juridiction du Nicaragua
sur lesdits espaces ;
 manque à l’obligation qui lui incombe de ne pas violer les droits du Nicaragua en
vertu du droit international coutumier tel que reflété dans les parties V et VI de la
CNUDM ;
 est en conséquence tenue de se conformer à l’arrêt du 19 novembre 2012,
d’effacer les conséquences juridiques et matérielles de ses faits internationalement
illicites, et de réparer intégralement le préjudice causé par lesdits faits»1.
1.3. Par ordonnance du 3 février 2014, la Cour a fixé au 3 octobre 2014 la date d’expiration
du délai pour le dépôt du mémoire.
B. PORTÉE DU DIFFÉREND
1. L’arrêt du 19 novembre 2012
1.4. L’arrêt du 19 novembre 2012 a été rendu au terme d’une procédure qui aura duré plus de
dix ans. La décision unanime de la Cour est figurée sur le croquis no 11 joint à l’arrêt, qui
représente le tracé de la frontière maritime en-deçà de 200 milles marins de la côte
nicaraguayenne :
1 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Colombie), requête, p. 25.
1
2
- 2 -
Légende :
En haut, à droite :
Joint regime area = Zone de régime commun
Outline of a bank = Contour d’un banc
Approximate eastern limit of the relevant area = Limite orientale approximative de la zone pertinente
Maritime boundary established by the Court = Frontière maritime établie par la Cour
Judgment of the ICJ dated 8 October 2007 = Arrêt de la CIJ du 8 octobre 2007
Bilateral treaty of 1993 = Traité bilatéral de 1993
Bilateral treaty of 1976 = Traité bilatéral de 1976
Bilateral treaty of 1977 (not in force) = Traité bilatéral de 1977 (non entré en vigueur)
Bilateral treaty of 1980 = Traité bilatéral de 1980
En bas, à droite :
Sketch-map no 11 : Course of the maritime boundary = Croquis no 11 : Tracé de la frontière maritime
1.5. Ayant ainsi fixé la frontière maritime entre le Nicaragua et la Colombie, la Cour a par
ailleurs reconnu à cette dernière «la souveraineté sur les îles faisant partie des formations
suivantes : Alburquerque, Bajo Nuevo, cayes de l’Est-Sud-Est, Quitasueño, Roncador, Serrana et
Serranilla»2. Le Nicaragua a pleinement respecté toutes les dispositions de l’arrêt.
2 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 624, par. 251 1).
3
- 3 -
2. La violation, par la Colombie, des droits du Nicaragua et son manquement
aux obligations internationales lui incombant
1.6. Le jour même du prononcé de l’arrêt, le président colombien Juan Manuel Santos,
i) s’est félicité de la décision de la Cour concernant la souveraineté sur les formations maritimes,
qu’il a qualifiée de «définiti[ve] et sans appel»3 mais, dans ce même discours, ii) a rejeté le reste de
l’arrêt (c’est-à-dire la délimitation de la frontière maritime), affirmant qu’il était entaché
«d’omissions, d’erreurs, d’exagérations et d’incohérences que [la Colombie] ne pouv[ait]
accepter»4. Telle est également la position adoptée par les plus hautes autorités du Gouvernement
colombien ; en particulier, la ministre des affaires étrangères a taxé la Cour d’«ennemie»5 de la
Colombie, exprimant son incrédulité quant au fait que «ces juges [aient pu être élus] pour rendre un
arrêt aussi important»6.
1.7. A ce déchaînement d’hostilité a succédé la dénonciation du pacte de Bogotá. Mais la
Colombie7 ne devait pas s’arrêter là. Par décret du 9 septembre 2013 portant création d’une «zone
contiguë unique», elle s’est attribué de vastes portions de l’espace maritime reconnu par la Cour
comme appartenant au Nicaragua. La figure ci-dessous permet de prendre la mesure de la
violation, par la Colombie, des droits souverains du Nicaragua sur les espaces maritimes qui lui ont
été adjugés par l’arrêt de la Cour dans la mer des Caraïbes : la «zone contiguë unique» proclamée
par la Colombie a été ajoutée ci-dessous en vert et en mauve sur le croquis no 11 joint à l’arrêt
de 2012 pour représenter le tracé de la frontière maritime établi par la Cour :
3 Allocution du président Juan Manuel Santos concernant l’arrêt de la Cour internationale de Justice,
19 novembre 2012 (MN, annexe 1) (http ://wsp.presidencia.gov.colPrensa/2012/NoviembrelPaginas/20121119 02.aspx).
4 Ibid.
5 «La ministre des affaires étrangères de la Colombie qualifie d’ennemie la Cour de La Haye»,
El Nuevo Herald, 28 novembre 2012 (MN, annexe 30) (http ://www.elnuevoherald.com/20 1211112711353049/cancillercolombiana-
califica.html). («El enemigo es la Corte que no falló en derecho, ese fallo está lleno de exabruptos, uno lo
lee y no puede creer que los países que lo conforman hayan elegido esos jueces para un fallo tan importante.»)
6 Ibid.
7 Voir, ci-dessous, la section sur la compétence.
4
- 4 -
Légende :
En haut, à gauche :
Court’s Map No. 11 overprinted with Colombia’s «Contiguous Zone» and 24M limit measured from
baselines = Croquis no 11 établi par la Cour auquel ont été superposées la «zone contiguë» et la limite des
24 milles marins mesurée à partir des lignes de base proclamées par la Colombie.
En haut, à droite :
Joint regime area = zone de régime commun
Outline of a bank = Contour d’un banc
Approximate eastern limit of the relevant area = Limite orientale approximative de la zone pertinente
Maritime boundary established by the Court = Frontière maritime établie par la Cour
Judgment of the ICJ dated 8 October 2007 = Arrêt de la CIJ du 8 octobre 2007
Bilateral treaty of 1993 = Traité bilatéral de 1993
Bilateral treaty of 1976 = Traité bilatéral de 1976
Bilateral treaty of 1977 (not in force) = Traité bilatéral de 1977 (non entré en vigueur)
Bilateral treaty of 1980 = Traité bilatéral de 1980
Au centre :
Colombia’s contiguous integral zone = zone contiguë unique de la Colombie
En bas, à droite :
Sketch-map no 11 : Course of the maritime boundary = Croquis no 11 : Tracé de la frontière maritime
- 5 -
1.8. Dès la promulgation du décret portant création de la «zone contiguë unique» de la
Colombie, le président Santos a déclaré que l’arrêt de la Cour «n’[était] pas applicable»8, avant
d’ordonner aux forces navales colombiennes (Armada de la República de Colombia) de défendre
«par le glaive»9 les eaux que, au mépris des droits souverains et de la juridiction que la Cour a
reconnus au Nicaragua dans son arrêt, et des obligations internationales qui lui incombent, la
Colombie continue de considérer comme siennes.
1.9. Depuis lors, les forces navales colombiennes ont exécuté les ordres du président Santos,
procédant à d’importants déploiements dans les eaux adjugées au Nicaragua et entravant de
manière systématique les droits et la juridiction qui lui ont été reconnus à leur égard. Plus
précisément, elles se sont régulièrement livrées à des manoeuvres de harcèlement et d’intimidation
contre des bateaux de pêche détenteurs de permis délivrés par le Nicaragua, les ont refoulés de
l’autre côté du 82e méridien, que la Colombie considère toujours comme sa frontière de facto avec
le Nicaragua, et ont empêché la marine nicaraguayenne de s’acquitter de ses fonctions de maintien
de l’ordre à l’est de celui-ci. Outre qu’ils sont constitutifs de violations répétées des droits
souverains et de la juridiction du Nicaragua, ces actes ont eu pour ce dernier de graves
conséquences économiques, l’empêchant de tirer pleinement parti des ressources que renferme son
espace maritime, tandis que la Colombie continuait de délivrer des permis de pêche à ses
ressortissants et d’exploiter ces mêmes ressources10. A ce jour, la Colombie continue d’affirmer
que la frontière définie par la Cour ne pourra lui devenir opposable que lorsqu’un traité aura été
conclu avec le Nicaragua et approuvé conformément à la législation colombienne11.
3. La réponse pacifique du Nicaragua
1.10. Depuis le prononcé de l’arrêt du 19 novembre 2012, le président du Nicaragua,
Daniel Ortega, a publiquement et à plusieurs reprises manifesté sa volonté de coopérer avec le
président Santos afin de parvenir à un règlement amiable qui soit respectueux de l’arrêt de la Cour,
et de s’entendre sur un mécanisme de coopération qui tienne compte de ses dispositions. Comme il
l’a expliqué, si, en droit, l’arrêt du 19 novembre 2012 produit ses effet et lie les Parties
indépendamment de tout traité de limites, le Nicaragua est néanmoins disposé à céder à l’insistance
de la Colombie et à conclure avec celle-ci un traité de cette nature sous réserve qu’elle reconnaisse
et respecte les droits et la juridiction qui, en vertu de l’arrêt, sont ceux du Nicaragua.
8 Déclaration du président Juan Manuel Santos concernant la stratégie globale de la Colombie face à l’arrêt de la
Cour internationale de Justice, 9 septembre 2013 (MN, annexe 4) (http ://wsp.presidencia.gov.co/Prensa/
2013/Septiembre/Paginas/20130909_04-Palabras-Santos-Colombia-presenta-su-Estrategia-Integral-frente-al-fallo-de-La-
Haya.aspx).
9 «Le président Santos ordonne de défendre par le glaive s’il le faut le plateau continental», El Espectador,
19 septembre 2013 (MN, annexe 41) (http ://www.elespectador.com/noticias/politica/santos-ordena-defender-plataforma
-continental-capa-y-es-articulo-447445).
10 De manière générale, voir le chapitre II au sujet des faits ; pour une liste détaillée des incidents, voir les
annexes 23 et 24.
11 Présidence de la République de Colombie, communiqué de presse, «Les limites entre la Colombie et le
Nicaragua continuent d’être celles qui ont été établies dans le traité Esguerra-Barcenas, a affirmé le président
colombien», 2 mai 2014 (MN, annexe 7) (http ://wsp.presidencia.gov.co/Prensa/2014/Mayo/Paginas/20140502_04-
Los-limites-Colombia-Nicaragua-continuan-siendo-establecidos-tratadoEsguerra%E2%80%93Barcenas.aspx). Voir
également les récentes déclarations publiques en date du 24 septembre 2014, faites quelques jours seulement avant le
dépôt du présent mémoire, dans lesquelles l’amiral Luis Hernán Espejo, commandant des forces navales de l’archipel de
San Andrés et Providencia, a déclaré que «les pêcheurs n’[avaient] à demander de permission qu’à la République de
Colombie (pour pratiquer leur activité à l’est du 82e [méridien]). C’est la raison pour laquelle l’armée reste présente dans
le secteur, pour veiller à ce qu’ils puissent pêcher librement» («Los pescadores no tienen que pedir permiso a nadie
diferente de la República de Colombia (para trabajar al este del paralelo 82) y para eso está la Armada ahí
permanentemente para garantizarles que puedan hacer su pesca con total libertad»). «Colombia garantiza actividad de
pescadores en aguas disputadas con Nicaragua», El Espectador, 24 septembre 2014 (http ://www.elespectador.com/
noticias/actualidad/colombia-garantiza-actividad-de-pescadores-aguas-disput-articulo-518557).
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1.11. Dans cette optique, les forces navales nicaraguayennes ont fait preuve de modération
face au déploiement de forces navales et aux violations des droits souverains et de la juridiction du
Nicaragua auxquels s’est livrée la Colombie dans les eaux de celui-ci. Plus précisément, le
Nicaragua s’est abstenu de riposter lorsque la Colombie a recouru à la menace ou à l’emploi de la
force à l’encontre des bateaux de ses pêcheurs, forces navales ou gardes-côtes, et a choisi d’éviter
la confrontation plutôt que de faire usage du droit qui est le sien de défendre son territoire.
Néanmoins, le déploiement continu des forces navales colombiennes visant à l’empêcher d’exercer
sa juridiction dans ses eaux représente une menace grave et persistante pour la paix et la sécurité
internationales, en même temps qu’un manquement au droit international.
C. COMPÉTENCE
1. Le pacte de Bogotá
1.12. La compétence de la Cour en l’espèce est fondée sur l’article XXXI du traité américain
de règlement pacifique (le pacte de Bogotá) du 30 avril 1948, qui se lit comme suit :
«Conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour
internationale de Justice, les Hautes Parties Contractantes en ce qui concerne tout
autre Etat américain déclarent reconnaître comme obligatoire de plein droit, et sans
convention spéciale tant que le présent Traité restera en vigueur, la juridiction de la
Cour sur tous les différends d’ordre juridique surgissant entre elles et ayant pour
objet :
a) l’interprétation d’un traité ;
b) toute question de droit international ;
c) l’existence de tout fait qui, s’il était établi, constituerait la violation d’un
engagement international ;
d) la nature ou l’étendue de la réparation qui découle de la rupture d’un engagement
international.»
1.13. Le Nicaragua et la Colombie ont signé le pacte de Bogotá le 30 avril 1948. Le
Nicaragua l’a ratifié le 21 juin 1950 et a déposé son instrument de ratification le 26 juillet de la
même année, sans l’assortir d’une réserve qui pourrait s’appliquer en l’espèce. Quant à la
Colombie, elle l’a ratifié le 14 octobre 1968 et a déposé son instrument de ratification le
6 novembre de la même année, sans formuler la moindre réserve.
1.14. En vertu de l’article XXXI du pacte, les déclarations par lesquelles les Parties avaient
l’une comme l’autre, et dans les mêmes termes, reconnu «en ce qui concerne tout autre Etat
américain … comme obligatoire de plein droit, et sans convention spéciale tant que le … traité
restera[it] en vigueur, la juridiction de la Cour» continuaient de produire leurs effets le
26 novembre 2013, date à laquelle le Nicaragua a déposé sa requête. La compétence de la Cour
était donc établie à cette date.
1.15. La dénonciation du pacte de Bogotá par la Colombie, qui a pris effet le
27 novembre 2013 (soit le lendemain du dépôt de la requête), n’a aucune incidence sur la
compétence de la Cour.
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1.16. Aux termes de l’article XXXI du pacte, la déclaration faite par la Colombie
conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour devait continuer de produire ses
effets «tant que le présent traité [c’est-à-dire le pacte proprement dit] rest[erait] en vigueur». Or,
l’article LVI du pacte stipule ceci : «La durée du présent Traité sera indéfinie, mais il pourra être
dénoncé moyennant un préavis d’un an ; passé ce délai il cessera de produire ses effets par rapport
à la partie qui l’a dénoncé, et demeurera en vigueur en ce qui concerne les autres signataires».
Ainsi, en vertu de l’article LVI, le pacte devait rester «en vigueur» en ce qui concerne la Colombie,
une fois son avis de dénonciation transmis, pendant encore un an. La Colombie ayant transmis cet
avis le 27 novembre 2012, le pacte, d’après les termes exprès de l’article LVI, est demeuré en
vigueur, à son égard, jusqu’au 27 novembre 2013. Et puisque, en vertu de l’article XXXI, la
déclaration de la Colombie devait continuer de produire ses effets «tant que le … traité rest[erait]
en vigueur», elle les a nécessairement produits de manière constante jusqu’au 27 novembre 2013.
Dès lors, entre le 27 novembre 2012 et le 27 novembre 2013, rien n’empêchait le Nicaragua de
déposer une requête devant la Cour, et de lui conférer ainsi compétence pour en connaître.
1.17. D’après certaines déclarations publiques, il semble que la Colombie soit arrivée à la
conclusion inverse, sur la base d’une lecture de la dernière phrase de l’article LVI qui en force le
sens. Or, pour des raisons évidentes, cette clause, qui prévoit que «[l]a dénonciation n’aura aucun
effet sur les procédures en cours entamées avant la transmission de l’avis», ne peut remettre en
question la compétence de la Cour telle qu’elle découle de l’article XXXI.
1.18. En premier lieu, rien dans la clause susmentionnée ne vient annuler les effets que la
déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour faite par la Colombie dans le cadre
de l’article XXXI a continué de produire «tant que le … Traité [est] rest[é] en vigueur». Rien non
plus ne vient y faire échec à la prévision, au premier alinéa de l’article LVI (qui précède la phrase
sur laquelle la Colombie semble s’appuyer), selon laquelle le traité ne «cessera de produire ses
effets par rapport à la partie qui l’a dénoncé» (ici, la Colombie) qu’un an après transmission de
l’avis de dénonciation (et donc, en l’espèce, qu’à partir du 27 novembre 2013). Ainsi, rien dans
l’unique phrase que renferme le second alinéa de l’article LVI ne permet de contester que la
déclaration faite par la Colombie dans le cadre de l’article XXXI était en vigueur au
26 novembre 2013, lorsque le Nicaragua a déposé sa requête. Interpréter autrement cette
disposition, comme semble le faire la Colombie, serait non seulement contraire à la logique et au
sens évident du texte, mais encore en contradiction directe avec les autres dispositions du traité
citées plus haut, à savoir l’article XXXI et le premier alinéa de l’article LVI ; une telle lecture serait
dès lors incompatible avec les règles d’interprétation des traités énoncées aux articles 31 et 33 de la
convention de Vienne sur le droit des traités.
1.19. En deuxième lieu, la dernière phrase de l’article LVI ne saurait s’appliquer aux
déclarations faites dans le cadre de l’article XXXI, qui ne constituent pas des «procédures en
cours», mais des engagements contraignants pris par les parties, se suffisant à eux-mêmes et
devenus des obligations internationales à part entière dès la ratification et l’entrée en vigueur du
traité. Il s’agissait d’actes achevés, et leurs conséquences juridiques ont pris effet dès ce
moment-là. Ces actes n’étant nullement «en cours», ils ne sauraient constituer des «procédures en
cours» au sens du second alinéa.
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1.20. En troisième lieu, la phrase en question ne dit rien des «procédures en cours» entamées
après la transmission de l’avis de dénonciation. Elle ne définit pas non plus ce concept de
«procédure en cours». Elle se borne à indiquer que certaines procédures, à savoir celles entamées
avant la transmission de l’avis, ne seront pas affectées. L’interprétation a contrario que semble en
faire la Colombie ne tient pas au regard du libellé exprès de l’article XXXI et du premier alinéa de
l’article LVI, qui garantissent le maintien en vigueur de la déclaration de la Colombie pendant les
douze mois qui suivent l’avis de dénonciation.
1.21. En quatrième lieu, ainsi que la Cour l’a dit clairement depuis, au moins, son arrêt sur
les exceptions préliminaires soulevées par le Guatemala dans l’affaire Nottebohm, il y a plus de
60 ans, lorsqu’une requête est présentée alors qu’une déclaration faite conformément au
paragraphe 2 de l’article 36, et toujours en vigueur, est sur le point d’expirer, l’expiration de cette
déclaration, lorsqu’elle intervient, est sans effet sur la compétence de la Cour12. Dès lors qu’elle a
été valablement saisie, la Cour demeure compétente après l’expiration, l’extinction ou le retrait de
la déclaration fondant sa compétence.
1.22. Et il en est ainsi à plus forte raison dès lors que la déclaration en cause est une
déclaration faite dans le cadre de l’article XXXI du pacte de Bogotá et non une déclaration faite en
vertu de la clause facultative prévue au paragraphe 2 de l’article 36, comme l’a bien montré, dans
l’article «The Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice» qu’il a consacré à la
juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice, le juge Jiménez de Aréchega, qui en
avait été le président :
«6. Malgré ces analogies entre l’article XXXI du pacte de Bogotá et les
paragraphes 2 et 3 de l’article 36 du Statut, l’Annuaire de la Cour ne fait pas
apparaître l’article XXXI dans la liste des déclarations d’acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour. En revanche, le pacte de Bogotá y est répertorié parmi les
«autres instruments régissant la compétence de la Cour». Cette classification est juste,
puisque l’article XXXI du pacte de Bogotá, en dépit de sa formulation, relève en
réalité du paragraphe 1 de l’article 36 du Statut, qui vise les traités et conventions en
vigueur, et non des paragraphes 2, 3 ou 4 de ce même article.
7. Car l’article XXXI a pour effet juridique, en ce qui concerne les Etats
américains parties au pacte, de «contractualiser» c’est-à-dire de transformer en une
relation conventionnelle  les liens plus lâches découlant des déclarations unilatérales
faites en vertu du paragraphe 2 de l’article 36. Cette relation conventionnelle acquiert
de la sorte, entre ces Etats, la force contraignante et la stabilité qui caractérisent les
liens conventionnels, mais non le régime de la clause facultative. Les Etats
latino-américains qui ont adhéré au pacte de Bogotá ont ainsi accepté dans leurs
rapports mutuels, et compte tenu de leur très grande proximité historique et culturelle,
la juridiction obligatoire de la Cour à des conditions bien plus contraignantes que
celles propres au système de déclarations faites conformément au paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut. A preuve ces deux caractéristiques essentielles du régime de la
clause facultative : la possibilité de se retirer et celle de formuler de nouvelles
réserves.
12 Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 111.
10
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8. Tout Etat ayant fait une déclaration unilatérale en vertu du paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut sans limite de durée peut la retirer dans un délai raisonnable
après en avoir signifié l’intention, et formuler de nouvelles réserves en toute
discrétion. La relation découlant de l’article XXXI est, d’un point de vue juridique,
très différente du régime général de la clause facultative. Ainsi, s’agissant du retrait,
le pacte de Bogotá, une fois accepté par un Etat américain, reste en vigueur pour une
durée indéfinie et ne peut être dénoncé que moyennant un préavis d’un an, période
tout au long de laquelle il continue de produire ses effets (article LVI du pacte de
Bogotá). La possibilité de retirer son acceptation de la juridiction obligatoire dès que
se profile la menace d’une requête a de la sorte été nettement limitée.»13 (Les
italiques sont de nous.)
1.23. Et de fait, la Cour elle-même a reconnu que l’acceptation, par un Etat, de sa juridiction
obligatoire en vertu de l’article XXXI du pacte de Bogotá «demeur[ait] valide ratione temporis tant
que cet instrument rest[ait] lui-même en vigueur entre ces Etats»14. Comme il a été démontré
ci-dessus, en vertu du premier alinéa de l’article LVI, le pacte est demeuré en vigueur entre le
Nicaragua et la Colombie jusqu’au 27 novembre 2013. L’acceptation, par la Colombie, de la
juridiction obligatoire de la Cour était par conséquent valide ratione temporis le
26 novembre 2013, lorsque la requête a été déposée. La compétence de la Cour en l’espèce ne fait
donc aucun doute.
2. Le pouvoir inhérent de la Cour à l’égard des différends découlant
d’un défaut d’exécution de ses arrêts
1.24. Au vu des circonstances singulières propres à la présente affaire, la Cour peut exercer
sa compétence à un autre titre  tenant à son pouvoir inhérent , qui vient s’ajouter à celui que
constitue l’article XXXI du pacte de Bogotá15.
1.25. Ainsi qu’elle l’a rappelé en différentes occasions, la Cour possède en effet «un pouvoir
inhérent»16, qui «découle de [son] existence même [en tant qu’]organe judiciaire établi par le
consentement des Etats, et lui est conféré afin que sa fonction judiciaire fondamentale puisse être
sauvegardée»17.
1.26. La Cour peut ainsi se prononcer en cas de non-respect d’un arrêt rendu par elle, et
l’absence de toute mention de ce pouvoir dans le Règlement comme dans le Statut n’y change
évidemment rien : par définition, ce «pouvoir inhérent» n’a pas à être énoncé, puisqu’il tient à la
nature même de la Cour en tant qu’organe juridictionnel et se déduit implicitement des textes qui
régissent sa compétence.
13 E. Jiménez de Aréchaga, «The Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice under the Pact of
Bogotá and the Optional Clause», International Law at a time of perplexity : Essays in honour of Shabtai Rosenne,
Martinus Nijhoff, 1989, p. 356-357.
14 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 84, par. 34.
15 Voir Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B no 77, p. 76.
16 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 259-260, par. 23 ; Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 463, par. 23.
17 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 259-260, par. 22-23 ; Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 463, par. 23. Voir également : Cameroun septentrional
(Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, opinion individuelle de
sir Gerald Fitzmaurice, p. 103.
12
13
- 10 -
1.27. Dans une opinion fort convaincante jointe à l’arrêt rendu par la Cour européenne des
droits de l’homme (CEDH) en l’affaire Fabris c. France, le juge Pinto de Albuquerque, se fondant
sur la jurisprudence désormais abondante de cette cour18, écrivait :
«[I]l est évident que [le] caractère juridictionnel de la [CEDH] serait gravement
menacé si [celle-ci] ne réagissait pas aux atteintes portées à ses arrêts et, pire, si le
dernier mot quant à l’exécution de ses arrêts dépendait de facto de la volonté des
premiers destinataires des arrêts eux-mêmes, à savoir les gouvernements.»19
Telle qu’appliquée aux juridictions internationales, ajoutait-il fort à propos, la théorie des pouvoirs
implicites «exige que les tribunaux internationaux et autres organes chargés de régler des
différends soient implicitement investis du pouvoir de surveiller l’exécution de leurs jugements
lorsque cela s’impose pour l’accomplissement de leurs fonctions20»21. Quant à la Cour
interaméricaine des droits de l’homme, elle est elle aussi compétente pour connaître de toute
question concernant l’exécution de ses arrêts22.
1.28. Hormis lorsqu’il y a demande en interprétation ou en revision, ou lorsque l’arrêt de la
Cour prévoit expressément une phase ultérieure de la procédure ce qui n’est pas le cas ici ,
une autre situation peut se présenter, dans laquelle le fondement de l’arrêt de la Cour, et donc sa
validité même et l’obligation de l’exécuter, se trouve remis en cause.
1.29. Au cas d’espèce, la situation juridique est, à cet égard, à rapprocher de celle qui s’est
présentée dans les affaires des Essais nucléaires. Dans son arrêt de 1974, la Cour a jugé que, au vu
des assurances fournies par la France, le différend avait disparu23, soulignant ensuite que, «[d]ès
lors qu’[elle] a[vait] constaté qu’un Etat a[vait] pris un engagement quant à son comportement
18 Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (n°2), CEDH, grande chambre, requête n° 32772/02, arrêt
du 30 juin 2009, par. 64-68 ; Wasserman c. Russie (n°2), CEDH, requête no 21071/05, arrêt du 10 avril 2008, par. 37 ;
Ivantoc, Popa et autres c. Moldavie et Russie, CEDH, requête no 23687/05, arrêt du 15 novembre 2011, par. 86 et 95-96.
Voir également Emre c. Suisse (no 2), CEDH, requête no 5056/10, arrêt du 11 octobre 2011, par. 43 et 68-77. Le cas de la
CEDH a d’ailleurs ceci de particulier que la convention européenne des droits de l’homme  qui se distingue en ceci du
Statut de la Cour  prévoit, en son article 46, un mécanisme de suivi de l’exécution des arrêts rendus par elle ; rien de tel
n’existe pour les décisions de la Cour, si l’on fait abstraction du très hypothétique recours au paragraphe 2 de l’article 94
de la Charte des Nations Unies.
19 Fabris c. France, CEDH, grande chambre, requête no 16574/08, arrêt du 7 février 2013, opinion concordante
du juge Pinto de Albuquerque, p. 31.
20 Note de bas de page no 14 figurant dans le texte original :
«Pour la formulation de cette doctrine consolidée, voir Réparation des dommages subis au service
des Nations Unies, avis consultatif, Recueil CIJ 1949, p. 180, et, concernant en particulier les pouvoirs
implicites d’une juridiction internationale, voir Usine de Chorzów (Allemagne c. Pologne), 1927, CPJI,
série A, no 9 (26 juillet), p. 21-22, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, Recueil CIJ 1986, p. 142, et LaGrand (Allemagne
c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, Recueil CIJ 2001, p. 485, ainsi que CIDH, Baena-Ricardo et autres
c. Panama, arrêt sur la compétence, 28 novembre 2003, série C, no 104, par. 72, 114 et 132.»
21 Opinion citée à la note no 19 ci-dessus, p. 32.
22 Baena-Ricardo et autres v. Panama, CIDH, arrêt du 28 novembre 2003, compétence, par. 90, et, dans la même
affaire, ordonnance du 5 février 2013 sur la surveillance de l’exécution de l’arrêt, considérant no 1. Voir également,
notamment : García Asto et Ramírez Rojas v. Peru, CIDH, ordonnance du 26 novembre 2013 sur la surveillance de
l’exécution de l’arrêt, considérant no 1 ; Castañeda Gutman v. Mexico, CIDH, ordonnance du 28 août 2013, surveillance
de l’exécution de l’arrêt, considérant no 1 ; ou Yatama v. Nicaragua, CIDH, ordonnance du 22 août 2013, surveillance de
l’exécution de l’arrêt, considérant no 1. Dans toutes ces décisions, la Cour interaméricaine a rappelé que «l’un des
attributs inhérents à [s]a fonction juridictionnelle … consist[ait] à surveiller l’exécution de ses décisions».
23 Voir Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 476, par. 58.
14
- 11 -
futur, il n’entr[ait] pas dans sa fonction d’envisager que cet Etat ne le respect[ât] pas»24.
Lorsqu’elle a rendu son arrêt de novembre 2012, la Cour a, comme elle le fait a priori dans
n’importe quelle affaire, évidemment considéré qu’elle ««ne p[ouvait] ni [ne] d[devait] envisager
l’éventualité que l’arrêt resterait inexécuté» (Usine de Chorzow, C.P.J.I. série A no 17, p. 63), [l]es
deux Parties s[’étant] engagées à respecter les décisions de la Cour conformément à l’article 94 de
la Charte…»25. Notons que, dans cet extrait de son arrêt de 1984 en l’affaire
Nicaragua c. Etats-Unis, la Cour assimile l’obligation d’exécuter ses arrêts à un engagement pris
par l’Etat concerné quant à son comportement futur, puisqu’elle ajoute dans la suite même de la
phrase la citation tirée de l’arrêt rendu en l’affaire des Essais nucléaires, reproduite ci-dessus26.
1.30. C’est donc en partant du principe que la France respecterait les engagements qu’elle
avait pris, tant envers la Cour elle-même qu’envers les demandeurs, que la Cour a précisé, dans les
affaires des Essais nucléaires, que,
«si le fondement du présent arrêt était remis en cause, le requérant pourrait demander
un examen de la situation conformément aux dispositions du Statut ; [et que] la
dénonciation par la France, dans une lettre du 2 janvier 1974, de l’Acte général pour le
règlement pacifique des différends internationaux, qui [était] invoqué comme l’un des
fondements de la compétence de la Cour en l’espèce, ne saurait en soi faire obstacle à
la présentation d’une telle demande»27.
C’est sur cette base que la Cour a rejeté la «Demande d’examen de la situation» présentée par la
Nouvelle-Zélande, ayant considéré, dans l’affaire en question, que
«le fondement de l’arrêt rendu le 20 décembre 1974 en l’affaire des Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France) n’a[vait] pas été remis en cause ; [que] la «Demande
d’examen de la situation» présentée par la Nouvelle-Zélande le 21 août 1995
n’entr[ait] dès lors pas dans les prévisions du paragraphe 63 dudit arrêt ; et [qu’]elle
d[evait] par suite être écartée»28.
En l’affaire du Différend territorial et maritime, c’est de même en partant du principe que la
Colombie s’y conformerait que la Cour a rendu son arrêt de novembre 2012.
1.31. Il est vrai que, dans cette affaire, la Cour n’a pas expressément envisagé dans son arrêt
la possibilité d’un «examen de la situation». Toutefois, la question n’est pas de savoir si la Cour
s’est, en l’espèce, formellement «réservé» cette possibilité comme elle l’avait fait au paragraphe 63
de l’arrêt rendu en l’affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), mais plutôt de
déterminer les facteurs qui l’avaient alors incitée à envisager cette éventualité, et de chercher à voir
s’ils sont également présents dans l’affaire qui nous occupe aujourd’hui. De fait, dans les affaires
des Essais nucléaires, la possibilité d’examiner la situation n’a pas été créée par le paragraphe 63
de l’arrêt de 1974 : dans ce passage, la Cour se réfère implicitement à un principe général qui
consiste à présumer qu’un engagement pris devant elle par une partie sera respecté. Soulignons
24 Voir Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 477, par. 63.
25 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 437-438, par. 101. Voir également : Vapeur Wimbledon, arrêts,
1923, CPJI, série A, no 1, p. 32 ; ou Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du
Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt,
C.I.J. Recueil 1985, p. 229, par. 67.
26 Au présent paragraphe. 1.29.
27 Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 476, par. 63.
28 Demande d’examen de la situation au titre du paragraphe 63 de l’arrêt rendu par la Cour le
20 décembre 1974 dans l’affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), ordonnance du 22 septembre 1995,
C.I.J. Recueil 1995, p. 306, par. 65.
15
16
- 12 -
que ce principe vaut que l’engagement ainsi pris l’ait été sous forme d’assurances données par une
partie ou par la simple reconnaissance de la force obligatoire des décisions de la Cour à l’égard des
parties énoncée à l’article 59 du Statut29. Par ailleurs, si, dans son ordonnance de 1995, la Cour a
estimé que la demande de la Nouvelle-Zélande n’entrait pas dans les prévisions du paragraphe 63,
il est évident que, dans la présente affaire, en revanche, le comportement de la Colombie remet en
cause le fondement de l’arrêt de novembre 2012. La Cour peut donc se prévaloir du pouvoir
inhérent l’autorisant à se pencher sur la situation qui en découle.
1.32. Par conséquent, si, quod non, la Cour devait estimer qu’elle n’est pas compétente en
vertu du pacte de Bogotá au motif que la Colombie a dénoncé celui-ci, elle ne serait pas pour autant
empêchée d’exercer sa compétence à l’égard des demandes présentées dans la requête. Que les
choses soient claires : le Nicaragua ne sollicite pas une interprétation de l’arrêt de novembre 2012
au titre de l’article 60, mais prie la Cour d’exercer le pouvoir qui est le sien d’examiner une
situation qui a été créée par le comportement de la Colombie et remet en cause le fondement même
de cet arrêt. Ce pouvoir inhérent est avancé comme base de compétence à titre subsidiaire en la
présente affaire.
3. La tâche de la Cour
1.33. Afin de dissiper tout doute, le Nicaragua entend préciser en quoi le différend soumis à
la Cour ne consiste pas : il ne consiste pas en une demande en interprétation de l’arrêt de
novembre 2012 puisqu’il ne concerne pas une «divergence d’opinions ou de vues entre les parties
quant au sens et à la portée d’un arrêt rendu par la Cour»30. Par conséquent, contrairement à la
procédure d’interprétation prévue à l’article 60 du Statut, le rôle de la Cour en la présente affaire
n’est pas d’«éclaircir le sens et la portée de ce qui a été décidé dans l’arrêt qu’il lui [serait]
demandé d’interpréter»31, mais de trancher des questions juridiques nouvelles et de se livrer à une
appréciation de «faits autres que ceux qu’elle a examinés dans l’arrêt [du 19 novembre 2012], et, en
conséquence, tous faits postérieurs à cet arrêt», soit précisément ce qu’elle s’abstient de faire «dans
ses interprétations»32.
1.34. Le Nicaragua ne demande pas non plus à la Cour de réaffirmer ce qu’elle a déjà décidé
dans son arrêt : c’est là chose jugée, et l’article 59 du Statut impose à la Colombie l’obligation
inconditionnelle de s’y soumettre immédiatement et sans aucune réserve. Du reste, le Nicaragua
n’aurait aucun intérêt à obtenir de la Cour une simple répétition de ce qu’elle a déjà énoncé en des
termes on ne peut plus clairs.
29 Dans les exceptions préliminaires qu’elle a soulevées en l’affaire relative à la Question de la délimitation du
plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne
(Nicaragua c. Colombie), la Colombie rappelle à juste titre que «[l]es conséquences en termes positifs [du principe de la
force de chose jugée] résid[ent] … dans la nature définitive et contraignante de la décision au fond» (p. 108, par. 5.35).
30 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), arrêt du 11 novembre 2013, par. 33 (citant Demande en
interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande)
(Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 542,
par. 22).
31 Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du droit d’asile (Colombie/Pérou),
arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 402. Voir également Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du
Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), arrêt du 11 novembre 2013, par. 66.
32 Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt no 11, 1927, p. 21. Voir également Demande en
interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande)
(Cambodge c. Thaïlande), arrêt du 11 novembre 2013, par. 75.
17
- 13 -
1.35. Le présent différend intervient en aval, puisqu’il trouve son origine dans des faits de la
Colombie postérieurs au prononcé de l’arrêt : la Colombie a d’abord rejeté ce dernier en le
qualifiant d’«inapplicable», puis a formulé de nouvelles revendications sur des eaux adjugées par la
Cour au Nicaragua, exercé ce qu’elle prétend être ses droits souverains et sa juridiction sur ces
eaux et déployé des manoeuvres pour empêcher le Nicaragua d’exercer les droits souverains et la
juridiction qui sont les siens à l’intérieur de ses frontières maritimes telles qu’établies par la Cour.
Il ne s’agit pas d’une nouvelle affaire de délimitation, puisque la Cour a fixé de manière définitive
la frontière maritime entre les Parties, sauf en ce qui concerne le plateau continental au-delà de
200 milles marins des côtes continentales du Nicaragua, point qui fait l’objet d’une autre instance
introduite par celui-ci. Il est donc inutile de réaffirmer le tracé de cette frontière. Dans la présente
procédure, le Nicaragua entend voir la responsabilité internationale de la Colombie engagée au titre
de la violation de ses obligations d’exécuter l’arrêt de novembre 2012 et de respecter les droits qui
y sont reconnus.
D. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DU MÉMOIRE
1.36. Le présent mémoire est constitué d’un seul volume, qui se compose de quatre
chapitres, suivis des conclusions formelles du Nicaragua et des annexes. Après l’introduction
(chapitre I), le chapitre II expose les faits pertinents, à savoir les déclarations par lesquelles la
Colombie a rejeté et qualifié d’inapplicable l’arrêt de novembre 2012, les prétentions nouvelles
qu’elle a fait valoir sur des eaux dont la Cour a jugé qu’elles appartiennent au Nicaragua, le
déploiement de ses forces navales avec l’instruction de défendre  au besoin par la force  ses
nouvelles revendications, l’exercice des droits de souveraineté et de la juridiction qu’elle prétend
posséder dans les eaux du Nicaragua, et les manoeuvres par lesquelles elle a fait obstacle à la
navigation de bateaux de pêche détenteurs de permis nicaraguayens et de navires de la marine et de
la garde côtière du Nicaragua qu’elle a, respectivement, empêchés de pêcher et d’exercer leur
juridiction dans ces eaux.
1.37. Le chapitre III, qui traite des conséquences juridiques des actes de la Colombie, peut se
diviser en deux parties. La section A expose les sources formelles de la force obligatoire de l’arrêt
rendu par la Cour le 19 novembre 2012 et en décrit les effets juridiques. Les sections B, C et D,
quant à elles, présentent les grandes catégories d’obligations juridiques auxquelles est tenue la
Colombie en application de cet arrêt, et reviennent sur les actes, décrits au chapitre II, auxquels
celle-ci s’est livrée en violation de ces obligations.
1.38. Le chapitre IV expose les réparations sollicitées par le Nicaragua au titre de la
violation, par la Colombie, des droits que lui reconnaît le droit international. Viennent ensuite les
conclusions formelles du Nicaragua et, en annexes, les différents éléments de preuve produits par
celui-ci.
18
19
- 14 -
CHAPITRE II
LES FAITS
2.1. Le présent chapitre expose les faits s’agissant des violations des droits souverains et de
la juridiction dont le Nicaragua jouit sur les eaux, les fonds marins et le sous-sol que la Cour lui a
adjugés dans son arrêt du 19 novembre 2012. Il se divise en quatre sections. La section A traite de
déclarations dans lesquelles le président et la ministre des affaires étrangères colombiens ont rejeté
comme «inapplicable» l’arrêt de novembre 2012 et revendiqué pour la Colombie des droits dans
des zones maritimes dont la Cour a jugé à l’unanimité qu’elles appartenaient au Nicaragua. La
section B est consacrée à la promulgation du décret 1946, par lequel le président de la Colombie a
créé une «zone contiguë unique» empiétant sur des espaces maritimes dont la Cour a reconnu
l’appartenance au Nicaragua. La section C se rapporte aux déclarations faites par la marine
colombienne ainsi qu’aux actes que les forces navales ont commis, prétendument pour protéger les
«droits» de la Colombie dans cette «zone», en violation des droits souverains et de la juridiction du
Nicaragua. Enfin, la section D décrit la retenue dont le Nicaragua a fait preuve, évitant toute
confrontation avec les forces navales colombiennes, alors même que, en toute illicéité, la Colombie
foulait aux pieds des droits et une juridiction que la justice lui a pourtant reconnus.
A. LES DÉCLARATIONS DU PRÉSIDENT ET DE LA MINISTRE
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE LA COLOMBIE
2.2. Le 19 novembre 2012, la Cour a rendu son arrêt en l’affaire du Différend territorial et
maritime (Nicaragua c. Colombie). La décision d’accorder à la Colombie la souveraineté sur les
formations insulaires en litige (à savoir Alburquerque, Bajo Nuevo, les cayes de l’Est-Sud-Est,
Quitasueño, Roncador, Serrana et Serranilla) a été prise à l’unanimité, y compris par les
juges ad hoc des deux Etats33, tout comme celle concernant le tracé de la frontière maritime en deçà
de 200 milles marins des lignes de base du Nicaragua34. Bien que la côte colombienne prise en
considération ait été moins longue que celle du Nicaragua, selon un rapport de plus de 8 à 1 en
défaveur de la Colombie, celle-ci s’est généreusement vu attribuer 25 % de la zone maritime
pertinente, soit bien davantage que ce qu’une délimitation fondée sur le principe de la
proportionnalité lui aurait permis d’obtenir35.
2.3. Le président colombien, Juan Manuel Santos, a réagi à l’arrêt le jour même de son
prononcé. Si, d’un côté, il s’est félicité de ce que la Cour ait accordé à la Colombie la souveraineté
sur les îles en litige —dans le cadre de ce qu’il a qualifié d’«arrêt définitif et sans appel sur cette
question»36—, il a, de l’autre, dénoncé et rejeté en des termes véhéments la frontière maritime
qu’elle avait tracée entre le Nicaragua et la Colombie, déclarant notamment que la Cour avait
commis «de graves erreurs»37 :
«Inexplicablement — après avoir reconnu la souveraineté de la Colombie sur
l’ensemble de l’archipel et conclu que celui-ci générait en tant que tel des droits à un
33 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, point 1) du dispositif.
34 Ibid., points 4) et 5) du dispositif.
35 Ibid., par. 153, 243.
36 Allocution du président Juan Manuel Santos concernant l’arrêt de la Cour internationale de Justice,
19 novembre 2012 (annexe 1) (http://wsp.presidencia.gov.colPrensa/2012/NoviembrelPaginas/20121119 02.aspx)
(«Hoy esta Corte rechazó las pretensiones de soberanía de Nicaragua sobre nuestro archipiélago. Es un fallo definitivo
e inapelable en esta tema.»).
37 Ibid.
21
22
- 15 -
plateau continental et à une zone économique exclusive —, la Cour a ajusté la ligne de
délimitation, séparant ainsi les cayes de Serrana, Serranilla, Quitasueño et Bajo Nuevo
du reste de l’archipel.
Cette décision va à l’encontre de ce que la Cour elle-même a reconnu, et n’est
pas compatible avec la définition géographique d’un archipel.
Ce sont là autant d’omissions, d’erreurs, d’exagérations et d’incohérences que
nous ne pouvons accepter.»38
2.4. Et d’affirmer en conséquence : «[L]a Colombie, représentée par son chef d’Etat, rejette
catégoriquement cet aspect de l’arrêt rendu aujourd’hui par la Cour.»39
2.5. Mme María Ángela Holguín, ministre colombienne des affaires étrangères, est allée plus
loin en déclarant : «La Cour est notre ennemie. La décision qu’elle a rendue ne repose pas sur le
droit. Cet arrêt est émaillé de lacunes et, lorsqu’on le lit, on ne peut pas croire que les Etats parties
au Statut de la Cour aient pu élire ces juges pour rendre un arrêt aussi important.»40 Après avoir
fait cette déclaration, Mme Holguín a adressé au secrétaire général de l’Organisation des
Etats américains une lettre dénonçant le pacte de Bogotá, dont le passage pertinent est reproduit
ci-après :
«En application de l’article LVI du traité américain de règlement pacifique, j’ai
l’honneur d’informer le secrétariat général de l’Organisation des Etats américains
(anciennement l’Union panaméricaine), à la tête duquel se trouve Votre Excellence,
que la République de Colombie dénonce, à compter de ce jour, le traité américain de
règlement pacifique signé le 30 avril 1948, et ratifié par elle le 6 novembre 1968.»41
2.6. Le lendemain, le président Santos a indiqué que la Colombie avait choisi de dénoncer le
pacte en réponse à la décision prise par la Cour au sujet de la délimitation :
38 Allocution du président Juan Manuel Santos concernant l’arrêt de la Cour internationale de Justice,
19 novembre 2012 (annexe 1) (http://wsp.presidencia.gov.colPrensa/2012/NoviembrelPaginas/20121119 02.aspx)
(«Hoy esta Corte rechazó las pretensiones de soberanía de Nicaragua sobre nuestro archipiélago. Es un fallo definitivo
e inapelable en esta tema.»). Voir également, «ICJ ruling on San Andres a «serious judgment error»: Santos»
[«M. Santos qualifie de «grave erreur de jugement» la décision rendue par la CIJ au sujet de San Andrés»], Colombia
Reports, 20 novembre 2012 (annexe 25) (http://colombiareports.co/icj-ruling-on-san-andres-a-serious-judgement-…)
; «International Court Gives Nicaragua More Waters, Outlying Keys to Colombia» [«La Cour internationale
attribue davantage d’espaces maritimes au Nicaragua et les cayes les plus éloignées, à la Colombie»], Dialogo,
21 novembre 2012 (annexe 26) (http://dialogoamericas.com/en GB/articles/rmisa/features/regional
news/2012/11I21/feature-ex-3687), «Caribbean Crisis: Can Nicaragua Navigate Waters It Won from Colombia?» [«Crise
des Caraïbes : le Nicaragua peut-il naviguer dans les eaux qu’il a obtenues au détriment de la Colombie ?»], Time World,
28 novembre 2012 (annexe 28) (http://world.time.com/2012/11/28/caribbean-crisis-can-nicaragua-navigat…-
from-colombia/) ou «Colombia pulls out of International Court over Nicaragua» [«La Colombie cesse de
reconnaître la compétence de la Cour internationale à cause du Nicaragua»], BBC United Kingdom, 28 novembre 2012
(annexe 29) (http://www.bbc.co.uk/news/world-latin-america-20533659).
39 Ibid., (les italiques sont de nous). («Colombia — representada por su Jefe de Estado — rechaza enfáticamente
ese aspecto del fallo que la Corte ha proferido en el día de hoy»).
40 «La ministre des affaires étrangères de la Colombie qualifie d’ennemie la Cour de La Haye», El Nuevo Herald,
28 novembre 2012 (annexe 30) (http://www.elnuevoherald.com/20 1211112711353049/canciller-colombianacalifica.
html). («El enemigo es la Corte que no falló en derecho, ese fallo está lleno de exabruptos, uno lo lee y no puede
creer que los países que lo conforman hayan elegido esos jueces para un fallo tan importante.»)
41 Lettre en date du 27 novembre 2012 adressée au secrétaire général de l’Organisation des Etats américains par la
Colombie (GACIJ no 79357) (annexe 19).
23
- 16 -
«J’ai décidé que les intérêts supérieurs de la nation exigeaient que les limites
territoriales et maritimes soient établies par voie de traité, comme il est de tradition en
droit colombien, et non par des arrêts de la Cour internationale de Justice.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
C’est la raison pour laquelle la Colombie a dénoncé, hier, le pacte de Bogotá.
Le secrétaire général de l’Organisation des Etats américains en a été dûment informé.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Jamais, au grand jamais, ne se reproduira ce qui nous est arrivé avec l’arrêt du
19 novembre de la Cour internationale de Justice.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
J’ai pris cette décision en m’appuyant sur un principe fondamental : les
frontières entre les Etats doivent être fixées par les Etats eux-mêmes. Les frontières
terrestres et maritimes ne doivent pas être laissées à l’appréciation d’un tribunal, mais
doivent être arrêtées d’un commun accord par les Etats, par voie de traité.»42
2.7. C’est avec une vive appréhension que le Nicaragua a accueilli cette nouvelle. Son
président, M. Daniel Ortega Saavedra, y a réagi en invitant le président Santos à engager un
dialogue constructif sur l’exécution de l’arrêt du 19 novembre. Au cours de la rencontre qui s’en
est suivie, le 1er décembre 2012, à Mexico, le président Ortega a exposé la position du Nicaragua,
soulignant que, s’il était essentiel que les deux Etats respectent l’arrêt de la Cour, les modalités de
sa mise en oeuvre pouvaient encore se discuter ; quoiqu’il en fût, la question devait être réglée de
manière pacifique et sans confrontation43. Le président Santos, cependant, a maintenu que la
Colombie ne reconnaîtrait pas l’arrêt tant que «les droits des Colombiens, qui [avaient] été bafoués,
n’aur[aient] pas été rétablis et leur respect, garanti»44.
2.8. Au cours des deux années qui ont suivi, la Colombie a maintes fois réaffirmé son rejet
de l’arrêt et exprimé sa détermination à s’appuyer sur ses forces navales pour exercer les droits et la
juridiction qu’elle prétend détenir sur les zones maritimes allouées au Nicaragua45. Ainsi,
en septembre 2013, le président Santos a ordonné au commandant en chef des forces armées de
42 «Déclaration du président Juan Manuel Santos concernant la dénonciation du pacte de Bogotá»,
28 novembre 2012 (annexe 2) (http://wsp.presidencia.gov.co/Prensa/2012/Noviembre/Paginas/20121128_04…).
43 «MM. Santos et Ortega se rencontreront samedi à Mexico», La Republica, 29 novembre 2012 (annexe 31)
(http://www.larepublica.co/economia/santos-y-ortega-se-reunir%C3%A1n-est…%
C3%A9xico_26792).
44 «Le Gouvernement colombien n’exécutera pas l’arrêt de la CIJ avant que les droits des Colombiens n’aient été
rétablis», El Salvador Noticias.net, 3 décembre 2012 (annexe 32) (http://www.elsalvadornoticias.net/2012/12/03/
gobierno-decolombia-no-aplicara-fallo-cij-mientras-no-se-restablezcan-derechos-de-colombianos/).
45 M. Angelino Garzón, vice-président de la Colombie, a également soutenu que «l’arrêt rendu par la Cour de La
Haye [était] inapplicable dans [son] pays. Il ne peut s’appliquer ni maintenant, ni dans cinq ou dix ans». «World Court
ruling on maritime borders unenforceable in Colombia: Vice President» [«Le vice-président affirme que la décision de la
Cour internationale sur les frontières maritimes est inapplicable en Colombie»], Colombia Reports, 23 août 2013
(annexe 38) (http://colombiareports.co/hague-judgment-unenforceable-colombia-vice-pr…).
24
25
- 17 -
«défendre «par le glaive s’il le fa[llait]» le plateau continental appartenant à la Colombie dans la
mer des Caraïbes»46.
2.9. Le vice-amiral Hernando Wills, commandant en chef des forces navales colombiennes, a
réagi en affirmant que ses forces «se conformeraient aux ordres donnés par le chef de l’Etat en vue
de faire respecter la souveraineté de la Colombie sur toute la partie de la mer des Caraïbes qui lui
appart[enait]»47. Et d’ajouter que «l’arrêt rendu par la Cour était inapplicable» et que les frégates
colombiennes opérant dans toute la région à l’est du 82e méridien l’aideraient à accomplir son
«devoir», à savoir «défendre l’ensemble de l’espace maritime colombien»48.
2.10. Le gouverneur de San Andrés, Mme Aury Guerrero Bowie, a quant à elle soutenu que
«les espaces maritimes caraïbes dans lesquels la Cour a[vait] conféré au Nicaragua des droits
économiques [avaient] toujours appartenu à la Colombie»49, déclarant à l’intention du
président Santos : «L’ensemble du territoire, 82e méridien compris, est à la Colombie, et nous
comptons sur vous pour le défendre.»50
B. LE DÉCRET PRÉSIDENTIEL 1946
2.11. Le 9 septembre 2013, le président Santos a promulgué le décret 1946. La Colombie
inscrivait ainsi dans son droit national son rejet de l’arrêt de novembre 2012, puisqu’elle prétendait
établir par ce biais ses droits et sa juridiction sur des secteurs de la mer des Caraïbes dont la Cour
avait incontestablement reconnu l’appartenance au Nicaragua. Ce décret créait plus précisément
une «zone contiguë unique» censée relier les «zones [maritimes] contiguës» de toutes les îles,
cayes et autres formations maritimes de la Colombie dans la région51.
2.12. La zone contiguë unique est décrite comme suit à l’article 5 du décret 1946 :
«Zone contiguë des territoires insulaires dans la partie occidentale
de la mer des Caraïbes
1. Sans préjudice des dispositions énoncées au paragraphe 2 du présent article,
la zone contiguë des territoires insulaires de la Colombie dans la partie occidentale de
la mer des Caraïbes s’étend sur une distance de 24 milles marins mesurés à partir des
lignes de base mentionnées à l’article 3 du présent décret.
2. Les zones contiguës adjacentes à la mer territoriale des îles constituant les
territoires insulaires de la Colombie dans la partie occidentale de la mer des Caraïbes,
hormis celles des îles de Serranilla et de Bajo Nuevo, forment en se rejoignant une
seule zone contiguë, continue et ininterrompue pour l’ensemble du département de
46 «Le président Santos ordonne de défendre par le glaive s’il le faut le plateau continental», El Espectador,
19 septembre 2013 (annexe 41) (http://www.elespectador.com/noticias/politica/santos-ordena-defender-pl…-
capa-y-es-articulo-447445»).
47 Ibid.
48 Ibid.
49 Ibid.
50 Ibid.
51 Décret présidentiel 1946 du 9 septembre 2013 (annexe 9) (http://wsp.presidencia.gov.co/Normativa/
Decretos/2013/Documents/SEPTIEMBRE/09/DECRETO%201946%20DEL%2009%20DE%20SEPTIEMBRE%20DE%20
2013.pdf).
26
- 18 -
l’archipel de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, sur laquelle les autorités
nationales compétentes exerceront les pouvoirs qui leur sont reconnus par le droit
international et les lois colombiennes visées au paragraphe 3 du présent article.
Afin d’assurer la bonne administration et la gestion ordonnée de l’ensemble de
l’archipel de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, de ses îles, cayes et autres
formations, ainsi que de ses espaces maritimes et ressources, et d’éviter de créer des
formes ou contours irréguliers difficiles à respecter dans la pratique, les lignes
correspondant aux limites extérieures des zones contiguës seront reliées par des lignes
géodésiques. De la même manière, celles-ci seront reliées à la zone contiguë de l’île
de Serranilla à l’aide de lignes géodésiques qui suivront le parallèle situé par
14° 59' 08" de latitude nord jusqu’au méridien situé par 79° 56' 00" de longitude ouest,
avant de se diriger vers le nord, formant ainsi la zone contiguë unique du département
de l’archipel de San Andrés, Providencia et Santa Catalina.
3. L’Etat colombien exercera sur la zone contiguë unique telle que définie au
paragraphe ci-dessus son autorité souveraine et les compétences d’exécution et de
répression nécessaires pour :
a) Assurer la lutte et la prévention en matière d’infractions aux lois ou règlements
relatifs à la sécurité de l’Etat, notamment à la piraterie, au trafic de drogue et aux
comportements portant atteinte à la sécurité en mer et aux intérêts maritimes
nationaux, ainsi qu’à tous les actes contraires aux lois ou règlements douaniers,
fiscaux, sanitaires ou d’immigration commis dans les territoires insulaires de la
Colombie ou dans leur mer territoriale. De la même manière, les infractions aux
lois ou règlements relatifs à la protection de l’environnement, au patrimoine
culturel et à l’exercice des droits de pêche historiques de l’Etat colombien feront
l’objet de mesures de lutte et de prévention.
b) Réprimer les infractions aux lois ou règlements relatifs aux questions visées à
l’alinéa a) et commises dans les territoires insulaires de la Colombie ou dans leur
mer territoriale.»
2.13. S’adressant au peuple colombien le jour de la promulgation du décret 1946, le
président Santos s’est servi de la carte suivante pour représenter la zone contiguë unique qui venait
d’être créée52 :
52 Carte présentée par le président Juan Manuel Santos, 9 septembre 2013 (annexe 10)
(http://www.cancilleria.gov.co/newsroom/audio/audio-alocucion-del-presid…-
colombia).
27
- 19 -
Figure 2.1. : La «zone contiguë unique» de la Colombie
conformément au décret 1946
Légende :
Zone contiguë unique
Mer des Caraïbes colombienne
2.14. Ainsi qu’il sera précisé au chapitre III, ni la taille de la zone contiguë unique (laquelle,
en de nombreux endroits, s’étend à bien plus de 24 milles marins des lignes de base de la
Colombie) ni la nature des droits et de la juridiction que la Colombie y revendique ne sont
conformes à la définition que le droit international donne de la zone contiguë53. Plus choquant
encore, des espaces maritimes dont la Cour a reconnu, dans son arrêt de novembre 2012, qu’ils
appartenaient au Nicaragua y apparaissent clairement comme colombiens. Comme le montre la
figure ci-dessous, sur laquelle la zone contiguë unique de la Colombie est superposée au
croquis no 11 joint à l’arrêt, ladite zone, en débordant au nord, à l’ouest et au sud, la frontière
maritime déterminée par la Cour empiète de manière patente sur les droits souverains et la
juridiction du Nicaragua.
53 Voir ci-dessous chap. III.
28
29
- 20 -
Figure 2.2. : La zone contiguë unique de la Colombie empiète
sur les droits souverains et la juridiction du Nicaragua
Légende :
En haut, à gauche :
Court’s Map No.11 overprinted with Colombia’s «Contiguous Zone» and 24M limit measured from
baselines = Croquis no 11 établi par la Cour auquel ont été superposées la «zone contiguë» et la limite des
24 milles marins mesurée à partir des lignes de base proclamées par la Colombie.
En haut, à droite :
Joint regime area = Zone de régime commun
Outline of a bank = Contour d’un banc
Approximate eastern limit of the relevant area = Limite orientale approximative de la zone pertinente
Maritime boundary established by the Court = Frontière maritime établie par la Cour
Judgment of the ICJ dated 8 October 2007 = Arrêt de la CIJ du 8 octobre 2007
Bilateral treaty of 1993 = Traité bilatéral de 1993
Bilateral treaty of 1976 = Traité bilatéral de 1976
Bilateral treaty of 1977 (not in force) = Traité bilatéral de 1977 (non entré en vigueur)
Bilateral treaty of 1980 = Traité bilatéral de 1980
En bas, à droite :
Sketch-map No.11 : Course of the maritime boundary = Croquis no 11 : Tracé de la frontière maritime
- 21 -
2.15. Lorsqu’il a annoncé la promulgation du décret 1946 et la création de la zone contiguë
unique, le président Santos a déclaré que la Colombie exercerait «un plein contrôle et une pleine
juridiction» sur tous les espaces maritimes censés constituer cette zone, et précisé qu’elle
«exercer[ait] sur la zone contiguë unique [sa] juridiction et [son] contrôle dans tous les domaines
liés à la sécurité et à la lutte contre la criminalité, ainsi que dans d’autres domaines, tels que la
fiscalité, les douanes, l’environnement, l’immigration et la santé».54
2.16. Le président Santos a indiqué que la création de la zone contiguë unique ne constituait
que l’un des aspects d’une stratégie qui en comptait quatre, stratégie dont le but est d’empêcher le
Nicaragua d’exercer des droits et une juridiction que la justice lui a pourtant reconnus55, les
trois autres consistant à : 1) déclarer l’arrêt de la Cour de 2012 inapplicable en l’absence d’un
traité ; 2) protéger la réserve de biosphère marine Seaflower, désormais située en partie dans les
eaux du Nicaragua ; et 3) mettre un frein aux prétendues «ambitions expansionnistes» du Nicaragua
en proclamant l’unité des plateaux continentaux de la Colombie s’étendant a) au sud-est de
San Andrés et Providencia et b) au nord-ouest du continent colombien.56
2.17. Dans le cadre de la même allocution, le président Santos a réaffirmé que la Colombie
n’accepterait pas l’arrêt rendu par la Cour en novembre 2012, qualifiant de «claire et ferme» une
position qu’il exposait en ces termes :
«[L]’arrêt de la Cour internationale de Justice n’est pas applicable, et ne le sera
pas, tant qu’un traité protégeant les droits des Colombiens n’aura pas été conclu et
adopté conformément aux prescriptions de notre Constitution.
Et je le redis : sans traité, l’arrêt de la Cour internationale de Justice N’EST
PAS APPLICABLE.»57
2.18. Le 13 septembre 2013, le président Santos a saisi la Cour constitutionnelle
colombienne d’un recours en inconstitutionnalité à propos de la loi no 37 de 1961 portant
approbation du pacte de Bogotá58, en vigueur depuis cinquante-deux ans. Il demandait plus
précisément que soient déclarés inconstitutionnels et par conséquent inapplicables les
articles XXXI et L du pacte (reconnaissant comme obligatoire ipso facto la juridiction de la Cour
internationale de Justice et imposant l’exécution de ses décisions), au motif qu’ils permettaient de
modifier les frontières en passant outre aux procédures prévues à cet effet par la Constitution, à
savoir la conclusion d’un traité international approuvé par le Congrès, suivie de l’examen par la
Cour constitutionnelle du texte et de la loi en portant approbation et, enfin, de sa ratification
définitive par le président de la République.59 Le président Santos priait la Cour constitutionnelle
de dire et de juger ceci :
54 Déclaration du président Juan Manuel Santos concernant la stratégie globale de la Colombie face à l’arrêt de la
Cour internationale de Justice, 9 septembre 2013 (annexe 4) (http://wsp.presidencia.gov.co/Prensa/2013/Septiembre/
Paginas/20130909_04-Palabras-Santos-Colombia-presenta-su-Estrategia-Integral-frente-al-fallo-de-La-Haya.aspx).
55 Ibid.
56 Ibid.
57 Ibid. (les majuscules sont dans l’original).
58 Demande visant les articles XXXI et L du pacte de Bogotá introduite par le président
Juan Manuel Santos devant la Cour constitutionnelle, D-9907, 12 septembre 2013 (annexe 15).
59 Ibid.
30
31
- 22 -
«Les frontières de la Colombie avec d’autres Etats ne peuvent être modifiées
par un arrêt de la Cour internationale de Justice, laquelle ne représente pas le peuple
colombien, n’est pas l’expression du droit de celui-ci à disposer de lui-même non plus
que l’un des mécanismes énoncés à l’article 101 [de la Constitution colombienne]
pour fixer ou modifier les frontières de la Colombie.»60
2.19. La Cour constitutionnelle a rendu sa décision le 2 mai 201461. Il va certes de soi que la
décision d’une juridiction interne, fût-elle la plus haute instance judiciaire de l’Etat, ne saurait
décharger celui-ci des obligations juridiques internationales qu’il tire d’un traité ou du droit
international coutumier, y compris celle de se conformer aux arrêts de la Cour internationale de
Justice qui lui incombe au titre du paragraphe 1 de l’article 94 de la Charte des Nations Unies.
L’on relèvera néanmoins que la Cour constitutionnelle colombienne a refusé de déclarer le pacte de
Bogotá inconstitutionnel ou inapplicable et d’employer ce dernier qualificatif à propos de l’arrêt de
novembre 2012. Au contraire, elle a jugé que, au regard du droit international, les décisions de la
Cour internationale de Justice s’imposaient à la Colombie et devaient être respectées62, et c’est dans
cette optique qu’elle a ensuite déclaré que, au regard du droit colombien, «lorsque les décisions
rendues par la Cour internationale de Justice [avaient] trait à des différends frontaliers, elles
d[evaient] être incorporées dans le droit interne au moyen d’un traité dûment approuvé et ratifié
conformément à l’article 101 de la Constitution politique.»63 Reste que, quelles que soient les
exigences que lui impose à cet égard son droit interne, elles n’ont bien évidemment aucune
incidence sur l’obligation internationale qui incombe à la Colombie d’exécuter sans délai l’arrêt de
la Cour.
2.20. Sans le moindre égard pour cette obligation, le président Santos a continué d’affirmer
que «l’arrêt de la Cour de La Haye ne p[ouvait] être appliqué qu’après la conclusion d’un nouveau
traité» et que
«tant qu’un nouveau traité n’[aurait] pas été signé, les limites entre la Colombie et le
Nicaragua demeure[raient] celles qui [avaient] été établies dans le traité
d’Esguerra-Barcenas [de 1928  limites qui, selon la Colombie, suivaient le
82e méridien], autrement dit, celles qui existaient avant que la Cour internationale de
Justice ne rende son arrêt»64.
2.21. Le 17 juin 2014, peu après sa réélection, le président Santos a répété cette position dans
les termes suivants : «L’arrêt de La Haye est inapplicable. Les frontières ne peuvent être modifiées
que par voie de traité, c’est ce que dit notre Constitution, et nous devons donc attendre qu’un tel
60 Demande visant les articles XXXI et L du pacte de Bogotá introduite par le président
Juan Manuel Santos devant la Cour constitutionnelle, D-9907, 12 septembre 2013 (annexe 15).
61 République de Colombie, Cour constitutionnelle, Affaire D-9852 AC-arrêt C-269/14, 2 mai 2014,
(MN, annexe 16).
62 Ibid., par. 8.2.
63 Ibid., par. 8.3.
64 Présidence de la République de Colombie, communiqué de presse, «Les limites entre la Colombie et le
Nicaragua continuent d’être celles qui ont été établies dans le traité d’Esguerra-Barcenas, a affirmé
le président colombien», 2 mai 2014 (annexe 7) ; (http://wsp.presidencia.gov.co/Prensa/2014/Mayo/Paginas/
20140502_04-Los-limites-Colombia-Nicaragua-continuan-siendo-establecidos-tratado-Esguerra%E2%80%93Barcenas
.aspx), 2 mai 2014.
32
33
- 23 -
traité ait été conclu pour pouvoir les modifier.»65 Cette position, la Colombie l’a toujours
maintenue et continuait de la maintenir à l’heure du dépôt du présent mémoire, son droit interne
 en l’occurrence, le fait que sa Constitution lui interdit de modifier ses frontières autrement que
par voie de traité  l’emportant selon elle sur l’obligation qui lui incombe en droit international de
se conformer aux arrêts de la Cour internationale de Justice.
C. LES VIOLATIONS PAR LA COLOMBIE DE LA JURIDICTION ET
DES DROITS SOUVERAINS DU NICARAGUA
2.22. Résolue à faire valoir les droits qu’elle prétend détenir sur des eaux dont la Cour a
expressément jugé qu’elles appartenaient au Nicaragua, la Colombie a maintes fois porté atteinte
aux droits et à la juridiction que celui-ci y possède. Comme il apparaîtra ci-dessous, l’Etat
colombien a ainsi ordonné de manière répétée à ses frégates et aéronefs militaires d’entraver
l’exercice légitime, par la marine nicaraguayenne, de sa mission de maintien de l’ordre dans les
eaux situées à l’est du 82eméridien dont la Cour a jugé qu’elles relevaient de la zone
économique exclusive du Nicaragua , délivré des permis de pêche et des autorisations d’effectuer
des recherches marines66 à des Colombiens ou des ressortissants d’Etats tiers pratiquant là leur
activité, et empêché, par des manoeuvres de harcèlement et d’intimidation, les navires de pêche
titulaires de permis délivrés par le Nicaragua d’opérer dans des eaux qui relèvent pourtant de la
juridiction exclusive du Nicaragua, privant celui-ci de son droit d’avoir la pleine jouissance de
zones riches en poissons.
2.23. La marine nicaraguayenne a rapporté ces incidents dans une lettre adressée au
ministère des affaires étrangères67, comportant, dans chaque cas, une carte et un compte rendu
détaillés. Les cartes ont été établies au moment des faits, et incluses dans les journaux des forces
armées nicaraguayennes. La carte composite de la figure 2.3 ci-dessous, qui permet de localiser
l’ensemble des incidents décrits dans le présent chapitre, révèle que, dans leur majorité, les faits se
sont produits dans la très poissonneuse zone de Luna Verde. La figure 2.4 présente un
agrandissement de cette zone68, et la figure 2.5, sa position par rapport à la frontière maritime
définie par la Cour.
65 «Santos garantit la continuité de sa politique étrangère à l’égard de l’Amérique latine», America Económica,
17 juin 2014 (annexe 48) (http://www.americaeconomia.com/politica-sociedad/politica/santos-garant…
-en-su-politica-exterior-con-latinoamerica?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+
america-economia+(Am%C3%A9rica+Econom%C3%ADa).
66 Note diplomatique du 13 septembre 2014 adressée à l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique par le ministère
des affaires étrangères du Nicaragua (annexe 17).
67 Annexe 23-A.
68 Pour la liste des coordonnées des points représentés sur la carte, voir annexe 24.
34
- 24 -
Figure 2.3 : Localisation des incidents signalés dans la zone de Luna Verde
Légende :
Nicaraguan positions = Positions nicaraguayennes
Colombian positions = Positions colombiennes
2012 Judgment of the Court = Arrêt de 2012 de la Cour
Colombia’s «Integral Contiguous Zone» = «Zone contiguë unique» de la Colombie
35
- 25 -
Figure 2.4 : Localisation des incidents signalés dans la
zone de Luna Verde Agrandissement
Légende :
Nicaraguan positions = Positions nicaraguayennes
Colombian positions = Positions colombiennes
Numbers refer to Annex 1, Table 1 = Les chiffres renvoient au tableau 1 de l’annexe 1
WGS 84 Mercator (14°) = Système WGS 84 Mercator (14o)
36
- 26 -
Figure 2.5 : Position de la zone de Luna Verde par rapport à
la frontière maritime définie par la Cour
Légende :
2012 Judgment of the Court = Arrêt de 2012 de la Cour
2.24. Comme il sera montré ci-dessous, il s’est produit un nombre préoccupant d’incidents à
l’occasion desquels les forces navales colombiennes ont menacé de recourir à la force, violant de
manière patente l’obligation incombant à la Colombie non seulement d’exécuter l’arrêt de la Cour,
mais également de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force en vertu,
notamment, du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, de l’article 19 de la
charte de l’OEA et de l’article I du pacte de Bogotá, ainsi que du droit international général.
2.25. Avant même la promulgation du décret 1946, le 18 août 2013,
Mme Aury Guerrero Bowie, gouverneur de San Andrés, et le contre-amiral
Luis Hernán Espejo Segura, chef du commandement spécial de San Andrés, ont conduit une
opération militaire de surveillance dans la mer des Caraïbes, en survolant la zone située par
14° 05' 12" de latitude nord et 81° 56' 50" de longitude ouest à bord d’un appareil de l’armée
37
38
- 27 -
colombienne69. S’adressant à la presse, Mme Guerrero Bowie et le contre-amiral Segura ont
expliqué qu’il fallait voir en cette opération un «exercice de souveraineté» de la Colombie sur ses
zones maritimes70.
2.26. Au cours du même mois, Mme Guerrero Bowie a reconnu que les forces navales
colombiennes patrouillaient activement dans une zone qui s’étendait, vers l’ouest, jusqu’au
82eméridien, aux fins  affirmait-elle  de faire appliquer les droits souverains et la juridiction
de la Colombie. Elle a informé les médias que douze frégates avaient été dépêchées, soulignant
que la Colombie était le seul Etat à déployer des navires de combat dans cette zone71.
2.27. Le 18 septembre 2013, soit un mois plus tard, et neuf jours seulement après la
promulgation du décret 1946, l’armée colombienne s’est livrée à un nouvel «exercice de
souveraineté» au large des côtes de l’île de San Andrés. En présence de représentants de
l’état-major, du directeur de la police et du ministre de la justice, le président Santos a répété ce
qu’il avait déjà déclaré : «La Colombie considère que l’arrêt de La Haye est inapplicable. Et nous
n’allons pas l’appliquer, comme nous l’avons dit à l’époque et comme je le redis aujourd’hui,
jusqu’à ce que nous ayons un nouveau traité.»72 Lors de cette opération, son parcours l’ayant
menée, vers l’ouest, jusqu’au 82e méridien, la patrouille a largement empiété sur des eaux dont
l’arrêt de la Cour a reconnu l’appartenance au Nicaragua.
2.28. Afin d’asseoir ses revendications de «souveraineté», la Colombie s’est livrée à un
harcèlement continu vis-à-vis de pêcheurs nicaraguayens dans les eaux du Nicaragua, et en
particulier dans la zone riche en poissons dite Luna Verde, située à l’intersection entre le
82e méridien et le 15e parallèle (telle qu’elle apparaît sur la figure 2.5) — zone dont la Cour a jugé
qu’elle relevait du Nicaragua —, donnant l’ordre à ses frégates d’en chasser les bateaux de pêche
nicaraguayens, et à ses forces aériennes de se livrer contre leurs occupants à des manoeuvres
d’intimidation. Ainsi, le 19 octobre 2013, deux Bronco OV-10 de la flotte aérienne colombienne
ont survolé à plusieurs reprises à une altitude particulièrement basse le Camerón, bateau de pêche
battant pavillon nicaraguayen, ainsi que le Capitana, bateau hondurien titulaire d’un permis de
pêche nicaraguayen, alors qu’ils se trouvaient dans la zone située par 14° 36' 00" de latitude nord et
81° 50' 00" de longitude ouest73.
2.29. Le 7 novembre 2013, alors qu’il opérait à quelque 58 milles au nord-est des cayes des
Miskitos, par 14° 50' 00" de latitude nord et 81° 53' 00" de longitude ouest, le navire de pêche
69 «Le gouverneur prend part à une patrouille autour du 82e méridien», 20 août 2013 (annexe 37)
(http://www.rcnradio.com/noticias/gobernadora-participo-en-patrullaje-en…) ; «Avec la
patrouille aérienne de la marine colombienne, le gouverneur de San Andrés fait acte de souveraineté autour du
82e méridien», Zonacero.info, 19 août 2013 (annexe 36) (http://zonacero.info/index.php/zona-caribe/40345-con-avionespatrulleros-
de-la-armada-gobernadora-de-san-andres-hizo-acto-de-soberania-en-meridiano-82) ; document vidéo établi
par les services de la marine colombienne, «Armada Nacional patrulla sobre el meridiano 82», accessible à l’adresse
https://www.youtube.com/watch?v=-LE8UQ1wd2I.
70 Ibid.
71 Ibid.
72 «Déclaration du président Juan Manuel Santos lors des manifestations de souveraineté en mer des Caraïbes»,
18 septembre 2013 (annexe 5) (http://wsp.presidencia.gov.co/Prensa/2013/Septiembre/Paginas/20130918_0…-
Presidente-Juan-Manuel-Santos-durante-ejercicio-soberania-que-cumplio-en-el-Mar-Caribe.aspx).
73 Lettre du 26 août 2014 adressée au ministère des affaires étrangères par la marine nicaraguayenne rendant
compte d’incidents avec les forces navales colombiennes dans la zone économique exclusive du Nicaragua, p. 1
(annexe 23-A) ; lettre du 6 janvier 2014 adressée au directeur exécutif de l’institut de pêche nicaraguayen par le président
de la chambre de la pêche du Nicaragua (annexe 20).
39
- 28 -
nicaraguayen Lady Dee II a été approché par l’ARC Antioquia (FM-53), frégate colombienne, qui
lui a signifié qu’il se trouvait dans les eaux de la Colombie74.
Figure 2.6 : Frégate ARC Antioquia (FM-53)75
2.30 Dix jours plus tard, une autre frégate colombienne, l’ARC Almirante Padilla (FM-51)
enjoignait au langoustier nicaraguayen Miss Sofia, qui se trouvait au nord-est de Quitasueño, par
14° 50' 00" de latitude nord et 81° 45' 00" de longitude ouest, de se retirer, prétextant, là encore,
qu’il se trouvait dans les eaux colombiennes. Le langoustier refusant d’obtempérer,
l’Amirante Padilla a envoyé une vedette pour le déloger76.
Figure 2.7 : Frégate ARC Almirante Padilla (FM-51)
2.31. Quelques heures plus tard, le garde-côte nicaraguayen Río Escondido (CG-205)
établissait la communication avec l’Almirante Padilla pour l’informer que, d’après l’arrêt de 2012,
il se trouvait dans les eaux nicaraguayennes ; l’Almirante Padilla a néanmoins refusé d’abandonner
sa position77, au motif que le Gouvernement colombien ne reconnaissait pas l’arrêt de la Cour.
Río Escondido (GC 205) Almirante Padilla (FM-51)
74 Lettre du 26 août 2014 adressée au ministère des affaires étrangères par la marine nicaraguayenne rendant
compte d’incidents avec les forces navales colombiennes dans la zone économique exclusive du Nicaragua, p. 1
(annexe 23-A).
75 L’annexe 50 du présent mémoire fournit des données détaillées quant à la capacité des bâtiments de la marine
colombienne déployés dans les eaux nicaraguayennes.
76 Ibid., supra, annexe 23-A, p. 2.
77 Ibid.
40
41
- 29 -
2.32. Le 27 janvier 2014, une frégate colombienne, l’ARC Independiente (FM-54), affirmait
au langoustier nicaraguayen Caribbean Star, alors qu’il se trouvait par 14° 47' 00" de latitude nord
et 81° 52' 00" de longitude ouest, qu’il pêchait en toute illicéité dans les eaux colombiennes,
précisant que le Gouvernement colombien ne reconnaissait pas l’arrêt rendu par la Cour
internationale de Justice, et que les bâtiments de la marine colombienne continueraient donc
d’exercer leur juridiction et leur contrôle dans ces eaux78.
Figure 2.8 : Independiente (FM-54)
2.33. Quelques jours plus tard, la même frégate enjoignait au Snyder, bateau de pêche
nicaraguayen, qui se trouvait alors à 57 milles des cayes des Miskitos, par 14° 30' 00" de
latitude nord et 81° 50' 00" de longitude ouest, de se retirer de ce qu’elle appelait les
«eaux colombiennes»79.
2.34. Un bâtiment de la marine nicaraguayenne, le Tayacán (BL-405), l’ayant contacté pour
l’informer qu’il naviguait dans des eaux relevant de la juridiction du Nicaragua,
l’ARC Independiente, comme l’Almirante Padilla avant lui, a réaffirmé que la Colombie ne
reconnaissait pas l’arrêt de 2012. Devant l’attitude hostile de l’Independiente, le Tayacán s’est
retiré afin d’éviter l’affrontement80.
78 Lettre en date du 1er juillet 2014 adressée au directeur exécutif de l’institut de pêche nicaraguayen par la
chambre de la pêche du Nicaragua (annexe 21) ; lettre en date du 26 août 2014 adressée au ministère des affaires
étrangères par la marine nicaraguayenne rendant compte d’incidents avec les forces navales colombiennes dans la zone
économique exclusive du Nicaragua, p. 3 (annexe 23-A). Le même jour, l’Independiente s’en est pris à l’Al John, autre
langoustier titulaire d’un permis nicaraguayen, qui pêchait par 14°44' 00" de latitude nord et 81°47' 00" de
longitude ouest. Lettre en date du 26 août 2014 adressée au ministère des affaires étrangères par la marine
nicaraguayenne rendant compte d’incidents avec les forces navales colombiennes dans la zone économique exclusive du
Nicaragua, p. 3 (annexe 23-A). Quelques jours plus tard, le 1er février 2014, cette même frégate colombienne, croisant
alors par 14°44' 00" de latitude nord et 81°39' 00" de longitude ouest, a informé le Maddox, navire de pêche hondurien
titulaire d’un permis nicaraguayen, qu’il se livrait à des activités de pêche illicites dans les eaux colombiennes, précisant
que l’arrêt de la Cour internationale de Justice avait été déclaré inapplicable par le Gouvernement colombien. Lettre en
date du 26 août 2014 adressée au ministère des affaires étrangères par la marine nicaraguayenne rendant compte
d’incidents avec les forces navales colombiennes dans la zone économique exclusive du Nicaragua, p. 4 (annexe 23-A).
79 Ibid., annexe 23-A, p. 3.
80 Ibid.
42
- 30 -
Bâtiment militaire (logistique)
Tayacán (BL-405) ARC Independiente (FM-54)
2.35. Le 5 février 2014, soit seulement quelques jours plus tard, le Tayacán rapportait qu’une
autre frégate colombienne, l’ARC 20 de Julio (PZE-46), lui avait intimé, ainsi qu’à douze bateaux
de pêche nicaraguayens qui opéraient dans la zone située par 14° 44' 01" de latitude nord et
81° 39' 08" de longitude ouest, de se retirer de la zone contiguë et de la mer territoriale de la
Colombie81.
Bâtiment militaire (logistique)
Tayacán (BL-405) ARC 20 de Julio (PZE-46)
Figure 2.9 : ARC 20 de Julio (PZE-46)
81 Lettre en date du 26 août 2014 adressée au ministère des affaires étrangères par la marine nicaraguayenne
rendant compte d’incidents avec les forces navales colombiennes dans la zone économique exclusive du Nicaragua, p. 4
(annexe 23-A). Quelques heures plus tard, cette même frégate colombienne a intercepté le bateau de pêche nicaraguayen
Nica Fish, alors qu’il se trouvait par 14° 44' 00" de latitude nord et 81° 39' 00" de longitude ouest, en le pressant de se
retirer des «eaux colombiennes». Ibid. Lettre en date du 1er juillet 2014 adressée au directeur exécutif de l’institut de
pêche nicaraguayen par le président de la chambre de la pêche du Nicaragua (annexe 21).
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- 31 -
2.36. Le 12 mars 2014, la même frégate colombienne s’en prenait au bateau de pêche
nicaraguayen Al John, alors qu’il se trouvait dans une zone située par 14° 44' 00" de latitude nord
et 81° 50' 00" de longitude ouest, lui ordonnant de s’en retirer et envoyant une vedette le prendre en
chasse82. Le lendemain, elle donnait l’ordre à un autre bateau nicaraguayen, le Marco Polo, de se
retirer de la zone située par 14° 43' 00" de latitude nord et 81° 45' 00" de longitude ouest où il se
livrait à ses activités de pêche83.
2.37. De même, le 3 avril 2014, un patrouilleur de la marine colombienne, l’ARC San Andrés
(PO-25) ordonnait au langoustier nicaraguayen Mister Jim, qui pêchait par 14° 44' 00" de
latitude nord et 82° 00' 00" de longitude ouest, à 50 milles au nord-est des cayes des Miskitos, de
cesser ses activités et de quitter la zone84.
Figure 2.10 : ARC San Andrés (PO-25)
2.38. Plus récemment, le 20 juillet 2014, deux avions de l’armée de l’air colombienne ont
survolé à plusieurs reprises à basse altitude six bateaux nicaraguayens (le Miss Emilia,
le Pescasa 35, le Marco Polo, le Miss Isabella, le Lucky Five-Lucky Six et le Mister Kerry) qui
pêchaient dans la zone maritime nicaraguayenne de Luna Verde. Simultanément, une frégate
colombienne leur enjoignait par radio, sur un ton hostile, de se retirer de la zone, ce qu’ils ont fait85.
2.39. Non contents de chercher à exercer une compétence en matière de pêche que la
Colombie ne possède pas, les navires et les avions de l’armée colombienne ont activement entravé
les efforts déployés par le Nicaragua pour exercer la sienne. Ainsi, le 19 février 2013,
l’ARC Almirante Padilla (FM-51) a empêché un navire de la marine nicaraguayenne d’inspecter un
bateau de pêche colombien présent dans la zone de Luna Verde86. Le commandant colombien de
l’Almirante Padilla a invité le commandant du bateau nicaraguayen à s’abstenir de toute mesure à
82 Lettre en date du 26 août 2014 adressée au ministère des affaires étrangères par la marine nicaraguayenne
rendant compte d’incidents avec les forces navales colombiennes dans la zone économique exclusive du Nicaragua, p. 6
(annexe 23-A). Lettre en date du 1er juillet 2014 adressée au directeur exécutif de l’institut de pêche nicaraguayen par le
président de la chambre de la pêche du Nicaragua (annexe 21).
83 Ibid.
84 Ibid.
85 Lettre en date du 24 juillet 2014 adressée au directeur exécutif de l’institut de pêche nicaraguayen par le
président de la chambre de la pêche du Nicaragua (annexe 22). Le Miss Emilia se situait par 14° 23' 00" de latitude nord
et 81° 53' 00" de longitude ouest, le Pescasa 35 par 14° 25' 00" de latitude nord et 81° 53' 00" de longitude ouest, le
Marco Polo par 14° 23' 00" de latitude nord et 81° 59' 00" de longitude ouest, le Miss Isabella par 14° 23' 00" de
latitude nord et 81° 58' 00" de longitude ouest, le Lucky Five-Lucky Six par 14° 20' 00" de latitude nord et 81° 58' 00" de
longitude ouest et le Mister Kerry par 14° 25' 00" de latitude nord et 81° 58' 00" de longitude ouest. Ibid.
86 «La Colombie évite un accrochage avec l’armée nicaraguayenne à la frontière», Caracol, 19 février 2013
(annexe 34) (http://www.caracol.com.co/noticias/actualidad/colombia-evito-roce-limit…
20130219/nota/1845121.aspx).
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45
- 32 -
l’encontre de bateaux de pêche colombiens, lui lançant la mise en garde suivante : «Capitaine,
remplissez votre mission, qui consiste à protéger les pêcheurs nicaraguayens … mais ne prenez
aucun risque, ne vous exposez pas, ne vous rendez pas responsable d’un incident.»87
2.40. De même, le 13 octobre 2013, une frégate colombienne, l’ARC 20 de Julio (PZE-46),
avertissait le garde-côte nicaraguayen Río Escondido, qui se trouvait alors par 14° 50' 00" de
latitude nord et 81° 42' 00" de longitude ouest, qu’il naviguait dans les eaux colombiennes88.
Río Escondido (GC 205) ARC 20 de Julio (PZE-46)
2.41. Le 8 mai 2014, le 20 de Julio (PZE-46) a de nouveau tenté d’empêcher un navire
garde-côte nicaraguayen de remplir sa mission en interceptant le Río Grande Matagalpa (GC-201)
alors qu’il patrouillait à 56 milles marins au nord-est des cayes de Miskitos par 14° 38' 00" de
latitude nord et 81° 48' 00" de longitude ouest. Après avoir établi la communication avec le
commandant du navire nicaraguayen, le commandant de la frégate colombienne a lancé :
«[S]i vous n’obtempérez pas, vous devrez en assumer les conséquences. Je
vous recommande de changer immédiatement de cap et de vous éloigner de notre
unité. Je vous rappelle que nous sommes une unité garde-côte de la marine de la
République de Colombie, chargée de protéger les droits de pêche traditionnels de
l’Etat colombien, d’assurer la sécurité de tous les bateaux dans cette zone et de mener
à bien des opérations contre la criminalité transnationale. Cette communication est
enregistrée à des fins juridiques  en ce moment, votre bâtiment est situé à
deux milles marins du mien…»89
Río Grande Matagalpa (GC-201) ARC 20 de Julio (PZE-46)
87 «La Colombie évite un accrochage avec l’armée nicaraguayenne à la frontière», Caracol, 19 février 2013
(annexe 34) (http://www.caracol.com.co/noticias/actualidad/colombia-evito-roce-limit…
20130219/nota/1845121.aspx).
88 Lettre en date du 26 août 2014 adressée au ministère des affaires étrangères par la marine nicaraguayenne
rendant compte d’incidents avec les forces navales colombiennes dans la zone économique exclusive du Nicaragua, p. 1
(annexe 23-A).
89 Transcription d’un enregistrement audio en date du 8 mai 2014 (annexe 23-B).
46
- 33 -
2.42. Le commandant du navire nicaraguayen a répondu que, en patrouillant, en luttant
contre le trafic de drogue et en assurant la sécurité des bateaux de pêche, il exerçait dans ces eaux
la souveraineté qui avait été reconnue au Nicaragua par l’arrêt de la Cour internationale de Justice.
En réaction, son homologue colombien lui a enjoint à plusieurs reprises de changer immédiatement
de cap, l’avertissant qu’un refus d’obtempérer serait considéré comme un acte hostile contre lequel
il lui faudrait se défendre. Après avoir répété qu’il se trouvait dans les eaux reconnues au
Nicaragua par l’arrêt de la Cour internationale de Justice, le commandant du navire nicaraguayen a
décidé de se retirer afin d’éviter l’escalade90.
2.43. Le 2 janvier 2014, une autre frégate colombienne, l’ARC Independiente (FM-54),
interceptait un navire garde-côte nicaraguayen, le Tayacán (BL-405) , qui croisait par 14° 50' 00"
de latitude nord et 81° 40' 00" de longitude ouest. Le commandant colombien a déclaré que le
bâtiment nicaraguayen naviguait dans les eaux colombiennes, et que les navires de la marine
colombienne continueraient d’exercer la souveraineté sur ces eaux puisque l’Etat colombien avait
établi que l’arrêt de la Cour internationale de Justice n’était pas applicable. Le commandant
nicaraguayen a répondu que le Nicaragua reconnaissait pour sa part l’arrêt de la Cour et que les
navires se trouvaient dans les eaux nicaraguayennes. Le commandant colombien a persisté à
affirmer que le garde-côte nicaraguayen se trouvait dans la «zone contiguë unique» de la Colombie
et exigé qu’il rebrousse chemin91.
2.44. La Colombie a également utilisé des aéronefs pour harceler des navires garde-côtes
nicaraguayens et les empêcher de remplir leur mission. Le 19 octobre 2013, par exemple,
deux OV-10 Bronco de l’armée de l’air colombienne ont survolé le Río Escondido à très basse
altitude pas moins de six fois en dix minutes alors qu’il patrouillait dans une zone située par
14° 36' 00" de latitude nord et 81° 50' 00" de longitude ouest92.
Río Escondido (GC-205) Bronco (OV-10)
2.45. De même, le 29 octobre 2013, un avion de l’armée de l’air colombienne a survolé en
les rasant, à une altitude de tout juste 200 pieds, le Río Grande Matagalpa et le Río Escondido,
alors qu’ils patrouillaient respectivement par 14° 36' 00" de latitude nord et 81° 55' 00" de
90 Transcription d’un enregistrement audio en date du 8 mai 2014 (annexe 23-B), p. 6. Le 3 mars 2014, une autre
frégate colombienne, l’Almirante Padilla (ARC-51), a été aperçue patrouillant dans les eaux nicaraguayennes par le Río
Grande de Matagalpa (GC-201), navire garde-côte nicaraguayen, par 14° 47' 00" de latitude nord et 82° 42' 00" de
longitude ouest. Le commandant du navire nicaraguayen a informé l’Almirante Padilla qu’il se trouvait dans les eaux
nicaraguayennes. Le commandant colombien a répondu qu’il se trouvait dans les eaux de San Andrés et Providencia.
Ibid., p. 5.
91 Ibid., p. 6 ; voir transcription d’un enregistrement audio de la marine nicaraguayenne en date du 2 janvier 2014
(annexe 23-B).
92 Ibid., p. 1 ; lettre en date du 6 janvier 2014 adressée au directeur exécutif de l’institut de pêche nicaraguayen
par le président de la chambre de la pêche du Nicaragua (annexe 20).
47
48
- 34 -
longitude ouest et par 14° 37' 00" de latitude nord et par 81° 58' 00" de longitude ouest93.
Le lendemain, un hélicoptère de l’armée de l’air colombienne passait plusieurs fois au-dessus du
Río Grande Matagalpa, qui était demeuré dans la zone, à une altitude de 200 pieds94. Et le
surlendemain, un troisième hélicoptère militaire colombien survolait une fois de plus le Río Grande
Matagalpa95.
2.46. Ce même garde-côte nicaraguayen a encore fait l’objet d’autres survols à basse altitude
le 19 novembre (alors qu’il se trouvait au point de coordonnées 14° 35' 00" de latitude nord et
81° 55' 00" de longitude ouest), les 21 et 24 novembre (par 15° 00' 00" de latitude nord et
81° 44' 00" de longitude ouest)96, le 25 novembre (par 14° 50' 00" de latitude nord et 81° 37' 00" de
longitude ouest)97 et, plusieurs mois plus tard, le 9 mars 2014, lorsqu’un patrouilleur bimoteur
colombien est passé au-dessus de lui à plusieurs reprises, non loin du point de coordonnées
14° 39' 00" de latitude nord et 81° 46' 00" de longitude ouest98.
2.47. La Colombie a également «autorisé» des bateaux privés, pilotés par ses ressortissants
ou ceux d’Etats tiers, à naviguer dans les eaux nicaraguayennes. Ainsi, le 7 janvier 2014, le
commandant du garde-côte nicaraguayen General José Dolores Estrada (GC-401) a rapporté avoir
détecté un navire océanographique des Etats-Unis, le Pathfinder, à 60 milles marins au nord-est des
cayes de Miskitos, par 14° 42' 00" de latitude nord et 81° 39' 00" de longitude ouest. Il a établi la
communication afin de s’enquérir des motifs de sa présence et de déterminer s’il était autorisé à
naviguer dans la zone économique exclusive du Nicaragua. Le navire des Etats-Unis a répondu
qu’il effectuait une mission d’inspection militaire de routine dans les eaux internationales. Lorsque
le commandant nicaraguayen l’a informé qu’il se trouvait dans les eaux nicaraguayennes et à
l’intérieur de la zone économique exclusive du Nicaragua, une frégate colombienne a intercepté la
communication et déclaré que le Gouvernement colombien avait autorisé le Pathfinder à mener des
recherches dans la zone économique exclusive de la Colombie, puis exigé de son homologue
nicaraguayen qu’il s’abstienne d’entraver les activités de ce navire dans les eaux colombiennes99.
2.48. Environ deux semaines et demie après cet incident, le 25 janvier 2014, le commandant
d’un autre navire de la marine nicaraguayenne, le Tayacán, a rapporté avoir repéré le Pathfinder au
nord-est des cayes de Miskitos par 14° 51' 00" de latitude nord et 81° 46' 00" de longitude ouest.
Lorsque le Tayacán l’a informé qu’il menait des recherches dans les eaux nicaraguayennes, le
93 Transcription d’un enregistrement audio en date du 8 mai 2014 (annexe 23-B), p. 1.
94 Lettre en date du 26 août 2014 adressée au ministère des affaires étrangères par la marine nicaraguayenne
rendant compte d’incidents avec les forces navales colombiennes dans la zone économique exclusive du Nicaragua, p. 1
(annexe 23-A).
95 Ibid.
96 Ibid., p. 2.
97 Ibid.
98 Ibid., p. 5. Dans le courant de la même journée, ce même avion colombien a également survolé en le rasant le
navire de la marine nicaraguayenne Tayacán, qui se trouvait par 14° 53' 00" de latitude nord et 81° 40' 04" de longitude
ouest. Ibid. Le mois suivant, le 15 avril 2014, un bimoteur colombien a survolé un navire garde-côte nicaraguayen, le
General José Santos Zelaya (CG-403), à une altitude de 300 pieds alors que le navire se trouvait à 60 milles marins au
nord-est des cayes de Miskitos, par 14° 41' 00" de latitude nord et 81° 46' 00" de longitude ouest. Ibid., p. 6.
99 Lettre en date du 26 août 2014 adressée au ministère des affaires étrangères par les forces navales
nicaraguayennes rendant compte d’incidents avec la marine colombienne dans la zone économique exclusive du
Nicaragua, p. 2 (annexe 23-A).
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50
- 35 -
navire des Etats-Unis a répondu qu’il agissait en vertu d’une autorisation que lui avait délivrée le
Gouvernement colombien et a poursuivi sa route en direction de l’île de San Andrés100.
2.49. Plusieurs semaines plus tard, le 20 février 2014, le Tayacán, qui patrouillait dans la
zone située à 65 milles marins au nord-est des cayes de Miskitos par 14° 50' 00" de latitude nord et
81° 50' 00" de longitude ouest, a rapporté avoir de nouveau aperçu le Pathfinder. A 1,8 mille
marin de là se trouvait l’ARC Almirante Padilla (FM-51)101. Le navire de l’armée nicaraguayenne
a indiqué avoir vu cette frégate colombienne escorter le navire des Etats-Unis dans cette même
zone pendant trois jours102.
2.50. Le 13 février 2014, alors qu’il patrouillait par 14° 48' 00" de latitude nord et
81° 36' 00" de longitude ouest, le Tayacán (de la marine nicaraguayenne) a constaté que
l’Almirante Padilla (de la marine colombienne) croisait à proximité d’un bateau de pêche battant
pavillon hondurien, le Blu Sky, et a pu voir des membres de son équipage s’approcher puis monter
à bord de ce dernier103. Le jour suivant, le navire nicaraguayen, qui se trouvait à proximité du point
de coordonnées 14° 56' 00" de latitude nord et 81° 35' 00" de longitude ouest, est entré en
communication avec le Blu Sky. Son capitaine l’ayant informé qu’il avait reçu de la Colombie
l’autorisation de pêcher, le commandant nicaraguayen lui a répondu que le Blu Sky pêchait dans les
eaux nicaraguayennes104.
2.51. Cette prétendue autorisation accordée par la Colombie au Blu Sky pour pêcher dans les
eaux nicaraguayennes n’est pas un incident isolé. Les exemples abondent. Ainsi, le
22 octobre 2013, le gouverneur de San Andrés autorisait un bateau hondurien, le Captain KD, à
utiliser le permis de pêche industrielle et commerciale qui avait été accordé à
M. Armando Basmagui Perez en septembre 2012, qui habilitait la flotte relevant de M. Perez à
pêcher au niveau de «[t]ous les bancs (Roncador, Serrana et Quitasueño, Serranilla) et des
hauts-fonds (Alicia et Nuevo), ainsi que dans la zone appelée La Esquina ou Luna Verde».
Luna Verde105, située à l’intersection entre le 82e méridien et le 15e parallèle, relève clairement de
la juridiction du Nicaragua en vertu de l’arrêt rendu par la Cour en 2012106.
2.52. Le 25 juin 2014, l’autorité maritime nationale colombienne, la direction générale des
affaires maritimes et portuaires (ou DIMAR), émettait une résolution par laquelle elle renouvelait
les permis autorisant plusieurs bateaux de pêche colombiens, honduriens et autres à exercer leurs
activités dans les eaux nicaraguayennes107. La résolution exonérait également leurs propriétaires de
certaines redevances et leur accordait d’autres privilèges afin d’atténuer les «effets
100 Lettre en date du 26 août 2014 adressée au ministère des affaires étrangères par les forces navales
nicaraguayennes rendant compte d’incidents avec la marine colombienne dans la zone économique exclusive du
Nicaragua, p. 3 (annexe 23-A).
101 Ibid., p. 5.
102 Ibid.
103 Ibid.
104 Ibid.
105 Voir figure 2.5 ci-dessus.
106 Bureau du gouverneur, département de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, résolution no 005081,
22 octobre 2013 (annexe 11).
107 DIMAR, résolution no 0305 de 2014, 25 juin 2014 (annexe 14). Voir également Bureau du contrôleur général
du département de l’archipel de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, rapport de 2013 sur l’état des ressources
naturelles et l’environnement, p. 40-41 (identifiant les bateaux de pêche titulaires de permis de pêche colombiens qui ont
opéré dans les eaux nicaraguayennes en 2013) (annexe 12).
51
- 36 -
socio-économiques négatifs» de l’arrêt rendu par la Cour en 2012108. De fait, ces exonérations et
privilèges constituent pour ces bateaux une incitation à pêcher dans les eaux nicaraguayennes.
D. LA RETENUE DONT FAIT PREUVE LE NICARAGUA
2.53. Face au refus de la Colombie de respecter l’arrêt de novembre 2012 et aux
provocations auxquelles cette dernière s’est livrée dans les eaux nicaraguayennes, le Nicaragua a
toujours réagi avec patience et modération. Dans une optique de coopération, le président
Daniel Ortega a cherché à se rapprocher du président Santos pour parvenir à une solution amiable
respectueuse de l’arrêt rendu par la Cour, auquel la Colombie venait tout juste d’opposer une fin de
non-recevoir.
2.54. En novembre 2012, peu après que le président Santos eut déclaré l’arrêt inapplicable, le
président Ortega a fait savoir que le Nicaragua était disposé à permettre aux pêcheurs autochtones
raizals (afro-colombiens) originaires des îles désormais reconnues comme colombiennes de pêcher
dans les eaux qui lui avaient été attribuées. Il répondait ainsi à l’une des principales inquiétudes
exprimées par son homologue colombien quant aux effets de l’arrêt de la Cour, et le faisait en ces
termes :
«Nous devons commencer à coordonner ce type d’actions, par l’entremise du
ministère des affaires étrangères et des autorités compétentes en matière de pêche,
avec les nations soeurs qui se livrent à des activités halieutiques dans le secteur, et
s’étaient à l’époque adressées aux autorités colombiennes pour obtenir des permis de
pêche. Que devons-nous dire à ces nations soeurs, notamment au peuple colombien et
à nos frères raizals [afro-colombiens] de San Andrés ? Que le Nicaragua les autorisera
à pêcher dans ce secteur…
Comme je le disais, une bonne partie des peuples autochtones qui vivent dans
l’archipel de San Andrés sont originaires de la côte caraïbe du Nicaragua ; nous avons
noué un lien indéfectible et, indépendamment des problèmes que nous avons pu
rencontrer avec la République soeur de Colombie, … le dialogue ne s’est jamais
interrompu !...
Nous leur disons donc que, soucieux de préserver les droits des peuples
autochtones, nous respectons pleinement leur droit de pêcher et de naviguer dans les
eaux sur lesquelles ils naviguent depuis toujours, et dont ils tirent leur subsistance.»109
2.55. Comme il l’a rapporté dans un discours adressé à la nation le 22 février 2013, le
président Ortega a rencontré le président Santos à deux reprises, peu après le prononcé de l’arrêt de
la Cour. Lors de ces rencontres, il a proposé que les deux Etats prennent conjointement des
mesures en vue de mettre en oeuvre cet arrêt, et s’entendent sur un mécanisme de coopération qui
tienne compte de ses dispositions110. Il proposait notamment l’établissement d’une commission qui
108 MN, annexe 14.
109 Message adressé par le président Daniel au peuple nicaraguayen, El 19 Digital, 26 novembre 2012, annexe 27
(http://www.el19digital.com/articulos/ver/titulo:7369-mensaje-del-presid…).
110 «Le Nicaragua demande à Bogotá de constituer des commissions chargées de l’application de l’arrêt de
La Haye», La Opinión, 22 février 2013 (annexe 35) (http://laopinion.com.co/demo//index.php?option=com_
content&task=view&id=414468&Itemid=29).
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53
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veillerait à ce que les pêcheurs de San Andrés, Providencia et Santa Catalina («los pueblos
raizales») puissent continuer de pêcher dans des eaux reconnues comme nicaraguayennes111.
2.56. Parallèlement, le président Ortega a ordonné à la marine nicaraguayenne de ne pas
arraisonner de pêcheurs colombiens au cours de cette période de transition112.
2.57. Le président Ortega a également tenu compte de la préoccupation exprimée par son
homologue colombien au sujet de la préservation de la réserve de biosphère marine Seaflower,
située dans un secteur qui, depuis l’arrêt de 2012, se trouve à cheval entre les deux Etats.
Le 5 décembre 2012, il a assuré que le Nicaragua protégerait les eaux qui constituaient la
réserve Seaflower d’origine, désormais situées dans sa zone économique exclusive, comme il le
ferait de toute zone désormais reconnue comme faisant partie de ses possessions maritimes113.
2.58. Enfin, le président Santos s’entêtant à affirmer que la nouvelle frontière maritime ne
pouvait être établie sans un traité, le président Ortega a proposé d’en conclure un. Il l’a fait
officiellement pour la première fois le 10 septembre 2013 : alors que, la veille, M. Santos avait
présenté le décret 1946 établissant la «zone contiguë unique» colombienne114, le président Ortega a
affirmé que, bien qu’en désaccord avec la position de son homologue colombien, il était disposé à
conclure un traité afin d’assurer l’exécution de l’arrêt :
«Nous comprenons la position du président Santos, mais nous ne pouvons dire
que nous l’approuvons. … Nous convenons néanmoins que le dialogue est nécessaire
et qu’il faut rechercher un genre d’accord ou de traité qu’importe le nom qu’on lui
donneraafin d’assurer la mise en oeuvre harmonieuse de l’arrêt de la Cour
internationale de Justice, en dignes peuples frères que nous sommes… »115
2.59. Comme l’a expliqué le président Ortega, bien qu’il n’existe, en droit, aucune obligation
de conclure un traité pour donner à l’arrêt de novembre 2012 un caractère exécutoire ou
contraignant vis-à-vis des Parties, le Nicaragua est disposé à accéder à la demande instante de la
Colombie et à conclure le traité de limites que celle-ci juge indispensable, à condition qu’y soient
reconnus et respectés les droits et la juridiction que la Cour, dans son arrêt, a adjugés au Nicaragua.
Le lendemain du jour où le président Ortega a formulé ces propos, l’assemblée nationale
nicaraguayenne a publié une déclaration soutenant son initiative116, qui était ainsi rédigée :
«L’assemblée nationale déclare approuver pleinement la position du Gouvernement du Nicaragua
qui permettra une solution pacifique, via la conclusion d’un traité donnant effet à l’arrêt de la CIJ».
111 «Le Nicaragua demande à Bogotá de constituer des commissions chargées de l’application de l’arrêt de
La Haye», La Opinión, 22 février 2013 (annexe 35) (http://laopinion.com.co/demo//index.php?option=com_
content&task=view&id=414468&Itemid=29).
112 «Nicaragua : pas de concessions pétrolières dans la réserve Seaflower», Nicaragua Dispatch,
6 décembre 2012 (annexe 33) (http://nicaraguadispatch.com/2012/12/nicaragua-no-oil-concessions-in-se…).
113 Ibid.
114 «Daniel : 40 ans après le martyre d’Allende, la paix doit prévaloir», El 19 Digital, 11 septembre 2013
(annexe 39) (http://www.el19digital.com/articulos/ver/titulo:13038-daniel-a-40-anos-…-
la-paz).
115 Ibid.
116 «L’Assemblée nicaraguayenne favorable au dialogue avec la Colombie», El Universal, 12 septembre 2013
(annexe 40) (http://www.eluniversal.com.co/colombia/asamblea-de-nicaragua-respalda-d…).
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2.60. Le 9 mai 2014, le président Ortega a de nouveau invité la Colombie à conclure un traité
à cet effet : «Nous proposons au Gouvernement colombien, au président Juan Manuel Santos,
d’oeuvrer à la mise en place d’une commission nicaraguayo-colombienne chargée d’établir un traité
qui nous permettra d’observer et de mettre en oeuvre, dans les faits, les dispositions de l’arrêt de la
CIJ.»117
2.61. A la date de dépôt du présent mémoire, la Colombie n’avait répondu à aucune de ces
propositions.
2.62. En dépit du comportement de la Colombie, le Nicaragua s’est toujours efforcé d’éviter
l’animosité et de favoriser le maintien de relations harmonieuses entre les deux Etats, ainsi que de
s’abstenir de toute démagogie contre la Colombie, prenant soin de présenter la conduite de celle-ci
sous le jour le plus favorable qui soit. Ses déclarations publiques montrent que le Nicaragua oeuvre
en faveur de ce règlement pacifique et amiable qu’il appelle de ses voeux, sur la base d’une
acceptation mutuelle et de l’exécution de l’arrêt de la Cour.
2.63. Cependant, à ce jour118, la retenue dont a fait preuve le Nicaragua n’a pas davantage
que ses déclarations et gestes conciliants incité la Colombie à accepter ou observer les termes de
l’arrêt de la Cour, non plus qu’à respecter les droits et la juridiction du Nicaragua qui en découlent.
Le chapitre suivant traitera des conséquences juridiques de ses actes.
117 «Le Nicaragua propose à la Colombie de collaborer en vue de la mise en oeuvre de l’arrêt de La Haye», AFP,
9 mai 2014 (annexe 46) (http://www.noticiasrcn.com/internacional-america/nicaragua-propone-coor…).
118 Voir la note diplomatique en date du 13 septembre 2014 adressée au ministère des affaires étrangères de la
Colombie par le ministère des affaires étrangères du Nicaragua (annexe 18). Voir aussi de récentes déclarations
publiques, datant du 24 septembre 2014, soit quelques jours seulement avant la finalisation du présent mémoire, émanant
du commandant des forces navales de l’archipel de San Andrés et Providencia, l’amiral Luis Hernán Espejo : «Les
pêcheurs n’ont à demander la permission à nul autre que la République de Colombie (pour se livrer à leurs activités à
l’est du 82e [méridien]) ; c’est la raison pour laquelle nos forces navales se trouvent en permanence dans ce secteur, pour
veiller à ce qu’ils puissent y pêcher librement» («Los pescadores no tienen que pedir permiso a nadie diferente de la
República de Colombia (para trabajar al este del paralelo 82) y para eso está la Armada ahí permanentemente para
garantizarles que puedan hacer su pesca con total libertad») «Colombia garantiza actividad de pescadores en aguas
disputadas con Nicaragua», El Espectador, 24 septembre 2014, (http://www.elespectador.com/noticias/actualidad/
colombia-garantiza-actividad-de-pescadores-aguas-disput-articulo-518557).
55
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CHAPITRE III
LESMANQUEMENTS DE LA COLOMBIE À SON OBLIGATION DE NE PAS VIOLER
LES DROITS SOUVERAINS ET LA JURIDICTION DU NICARAGUA
3.1. Le Nicaragua expliquera ici à quels titres les faits décrits au chapitre précédent
constituent des manquements de la Colombie à ses obligations juridiques. Le présent chapitre se
compose de quatre sections. La section A est consacrée aux sources formelles du caractère
contraignant de l’arrêt rendu par la Cour le 19 novembre 2012 et à ses effets juridiques. Dans les
sections B, C et D le Nicaragua présente les trois grandes catégories d’obligations juridiques
s’imposant à la Colombie en vertu de cet arrêt et spécifie quels actes, décrits au chapitre II,
emportent violation de ces obligations. Ces trois catégories comprennent :
i) les obligations qui s’imposent à la Colombie du fait du prononcé de l’arrêt au titre du
Statut de la Cour internationale de Justice et de la Charte des Nations Unies (section B),
ii) les obligations que la Colombie tient du droit international de la mer, au regard duquel la
Cour a, dans son arrêt, défini la portée géographique des droits du Nicaragua (section C) ;
et
iii) l’obligation que la Colombie tient de la Charte des Nations Unies et du droit international
coutumier de ne pas menacer de recourir à la force (section D).
A. DANS SON ARRÊT DU 19 NOVEMBRE 2012, LA COUR A FIXÉ UNE FRONTIÈRE MARITIME
DÉFINITIVE ENTRE LES PARTIES DANS LA LIMITE DES 200 MILLES MARINS
ET DÉFINI LES ESPACES MARITIMES SUR LESQUELS CHACUNE D’ELLES
PEUT EXERCER DES DROITS SOUVERAINS
3.2. Le dispositif (par. 251) de l’arrêt rendu en l’affaire du Différend territorial et maritime
(Nicaragua c. Colombie) consigne la décision unanime de la Cour quant au tracé que doit suivre la
frontière maritime unique délimitant le plateau continental et les zones économiques exclusives de
la République du Nicaragua et de la République de Colombie dans la limite de 200 milles marins
des lignes de base du Nicaragua119.
3.3. Le Nicaragua a, concrètement, le droit de considérer comme relevant de son plateau
continental et de sa zone économique exclusive les espaces situés de son côté de la frontière
maritime, et la Colombie, l’obligation corrélative de respecter ses droits en ce qui concerne cette
frontière. Or la Colombie a violé de manière flagrante cette obligation, en particulier en
proclamant sa «zone contiguë unique»120.
3.4. Les droits de l’Etat côtier relativement au plateau continental et à la zone économique
exclusive sont énoncés dans les parties V et VI de la convention des Nations Unies sur le droit de
la mer de 1982 (ci-après la «CNUDM»), qui sont l’expression du droit international coutumier à cet
égard. L’article le plus important aux fins qui nous occupent ici est l’article 56, qui est libellé
comme suit :
119 Voir croquis no 11, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II),
p.714.
120 Voir ci-dessous, par. 3.18-3.21.
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«Article 56
Droits, juridiction et obligations de l’Etat côtier dans la zone économique
exclusive
1. Dans la zone économique exclusive, l’Etat côtier a :
a) des droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation
et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des
eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi
qu’en ce qui concerne d’autres activités tendant à l’exploration et à
l'exploitation de la zone à des fins économiques, telles que la production
d’énergie à partir de l'eau, des courants et des vents ;
b) juridiction, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, en
ce qui concerne :
i) la mise en place et l’utilisation d'îles artificielles, d'installations et
d’ouvrages ;
ii) la recherche scientifique marine ;
iii) la protection et la préservation du milieu marin ;
c) les autres droits et obligations prévus par la Convention.
2. Lorsque, dans la zone économique exclusive, il exerce ses droits et s'acquitte de
ses obligations en vertu de la Convention, l’Etat côtier tient dûment compte des
droits et des obligations des autres Etats et agit d'une manière compatible avec la
Convention.
3. Les droits relatifs aux fonds marins et à leur sous-sol énoncés dans le présent
article s’exercent conformément à la partie VI.»
3.5. Parmi les droits énoncés à l’article 56, les plus importants en l’espèce sont les droits
souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources
naturelles, biologiques ou non biologiques, des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds
marins et de leur sous-sol reconnus à l’intérieur de la zone économique exclusive, et le droit
d’autoriser la recherche scientifique marine. Tels sont les droits du Nicaragua que les actes illicites
de la Colombie remettent principalement en cause.
B. LES OBLIGATIONS DE LA COLOMBIE AU TITRE DU STATUT DE LA COUR INTERNATIONALE
DE JUSTICE ET DE LA CHARTE DES NATIONS UNIES
1. Les sources des obligations
3.6. Par son arrêt du 19 novembre 2012, la Cour a fixé la limite entre le plateau continental et
la zone économique exclusive revenant respectivement à la République du Nicaragua et à la
République de Colombie dans la zone objet de la présente instance, et cet arrêt est revêtu de
l’autorité de la chose jugée121. Aucune autre mesure ne s’imposait pour qu’il puisse produire ses
effets en droit international. Le Nicaragua et la Colombie avaient et ont le droit et le devoir d’agir
121 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 43, par. 114-116.
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60
- 41 -
conformément au droit international, sur la base de la frontière maritime fixée par la Cour, depuis
le 19 novembre 2012122.
3.7. Le paragraphe 2 de l’article 94 du Règlement définit le moment où prennent effet l’arrêt
et les obligations qui en découlent : «L’arrêt est lu en audience publique de la Cour ; il est
considéré comme ayant force obligatoire pour les parties du jour de son prononcé.» (Les italiques
sont de nous.) En l’espèce, la Cour a donné lecture de son arrêt à l’audience publique qui s’est
tenue le 19 novembre 2012.
3.8. L’article 60 du Statut de la Cour dispose quant à lui que «[l]’arrêt est définitif et sans
recours» et le paragraphe 1 de l’article 94 de la Charte des Nations Unies, que «[c]haque Membre
des Nations Unies s’engage à se conformer à la décision de la Cour internationale de Justice dans
tout litige auquel il est partie».
3.9. Il en découle que du jour où l’arrêt a été prononcé, la Colombie était tenue de s’y
conformer, et donc, en l’occurrence, de traiter comme nicaraguayennes les eaux (mer territoriale,
ou zone économique exclusive et plateau continental selon les cas) que la Cour a reconnues au
Nicaragua, au lieu de partir du principe qu’elles relèvent de sa juridiction.
2. Les violations commises
3.10. La Colombie a manqué à cette obligation. Comme il apparaît au chapitre II, le jour du
prononcé de l’arrêt, le président Santos a déclaré que «la Colombie … rejet[ait] catégoriquement»
la délimitation fixée par la Cour123, une position réaffirmée en plusieurs occasions par des
représentants de son gouvernement124.
3.11. Le Gouvernement colombien a soutenu que l’arrêt de la Cour internationale de Justice
était «inapplicable» s’il ne lui était pas donné effet dans l’ordre juridique interne en vertu d’un
traité conclu entre la Colombie et le Nicaragua125.
3.12. La Colombie ne saurait toutefois se soustraire aux effets que l’arrêt de la Cour
internationale de Justice produit en droit international. La transposition de cet arrêt dans son ordre
juridique interne relève certes de son droit national, et il lui appartient d’en déterminer les
modalités ; mais le Nicaragua n’est pas concerné par les prescriptions du droit colombien, qui ne
sauraient justifier le manquement de la Colombie à s’acquitter des obligations lui incombant au
regard du droit international126. L’arrêt de la Cour internationale de Justice est d’application
immédiate, et quelles que soient les mesures que la Colombie pourrait juger nécessaires pour lui
donner effet dans son ordre juridique interne, le droit international lui impose désormais de se
conformer à cet arrêt, et ce, depuis le jour de son prononcé.
122 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 192,
par. 46-49. Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 3.
123 Voir ci-dessus par. 2.4.
124 Voir ci-dessus par. 2.5-2.10, 2.15-2.17.
125 Voir ci-dessus par. 2.17-2.21.
126 Voir les articles 3 et 12 des articles sur la responsabilité de l’Etat de la Commission du droit
international, 2001 (http://legal.un.org/ilc/texts/instruments/francais/commentaires/9_6_200…).
61
- 42 -
3.13. Il est bien établi que les obligations qui découlent du droit international ne sont ni ne
sauraient être subordonnées à l’adoption par l’Etat intéressé des mesures nécessaires aux fins de
leur donner effet127. Sans préjudice de ce point, le Nicaragua rappelle qu’il s’est montré tout à fait
disposé à négocier un traité128 avec la Colombie afin d’assurer l’exécution de l’arrêt de la Cour,
comme il ressort de la résolution adoptée à cet égard par son Assemblée nationale129, mais que la
Colombie n’a pas donné suite.
3.14. Que la Colombie ait répudié les obligations qu’elle tient de l’arrêt de la Cour est
confirmé par les mesures qu’elle a adoptées et dans lesquelles elle affirme sur les eaux que la Cour
a adjugées au Nicaragua des droits incompatibles avec ceux qui reviennent en droit international à
ce dernier. Au nombre de ces mesures figuraient l’attribution de prétendus permis de pêche dans
les eaux nicaraguayennes130 et, surtout, la promulgation des décrets 1946131 et 1119132.
i) Les décrets 1946 et 1119
3.15. Le décret 1946 a été adopté le 9 septembre 2013 et modifié par le décret 1119 du
17 juin 2014. Le paragraphe 3 de l’article 1 de ce premier texte prévoyait l’exercice, par la
Colombie, de «sa juridiction et [de] ses droits souverains sur les espaces maritimes» générés par ses
territoires insulaires  lesquels étaient ensuite énumérés , et son article 4 établissait une mer
territoriale de 12 milles marins autour de chacun de ces territoires. Or, la Cour a jugé que ceux-ci
appartenaient dans leur totalité à la Colombie133. Le Nicaragua n’a donc aucun grief en ce qui
concerne l’affirmation de souveraineté sur les îles et leurs mers territoriales adjacentes dès lors que
les lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de ces mers sont tracées conformément
au droit international.
3.16. Il en va toutefois autrement s’agissant de l’article 5 du décret 1946. Si celui-ci est
censé, comme il sera expliqué ci-après, porter création d’une zone contiguë dite «unique», il ne
s’agit pas d’une zone contiguë au sens où s’entend normalement ce terme en droit de la mer,
notamment à l’article 33 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (ci-après
la «CNUDM»).
3.17. Le texte de l’article 5 du décret 1946 a été reproduit plus haut134 et il figure également à
l’annexe 9, tandis que l’article 33 de la CNUDM est libellé comme suit :
127 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 192,
par. 46-49. Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 3.
128 Voir ci-dessus par. 2.59.
129 Voir l’Assemblée du Nicaragua favorable à un dialogue avec la Colombie, 12 septembre 2013 (MN,
annexe 40).
130 Voir ci-dessus, par. 2.50-2.52.
131 Décret présidentiel 1946 du 9 septembre 2013 (MN, annexe 9). Voir ci-dessus par. 2.11-2.13.
132 Décret présidentiel 1119 du 17 juin 2014 (MN, annexe 13).
133 Voir Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 662, par. 103.
134 Voir plus haut, par. 2.12.
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«Article 33
Zone contiguë
1. Dans une zone contiguë à sa mer territoriale, désignée sous le nom de zone
contiguë, l’Etat côtier peut exercer le contrôle nécessaire en vue de :
a) prévenir les infractions à ses lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires
ou d’immigration sur son territoire ou dans sa mer territoriale ;
b) réprimer les infractions à ces mêmes lois et règlements commises sur son
territoire ou dans sa mer territoriale.
2. La zone contiguë ne peut s’étendre au-delà de 24 milles marins des lignes de base
à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale.»
3.18. La zone contiguë unique proclamée par la Colombie présente deux grandes différences
par rapport à une zone contiguë au sens admis du terme. Premièrement, en ne se confinant pas aux
limites dans lesquelles elle est habilitée à créer une telle zone, la Colombie a méconnu
i) l’obligation de ne pas établir de zone contiguë s’étendant au-delà de 24 milles marins des lignes
de base de la mer territoriale, et ii) la délimitation des zones maritimes revenant respectivement au
Nicaragua et à la Colombie effectuée par la Cour.
3.19. La zone contiguë unique proclamée est censée être «continue et ininterrompue»135 et
entourer l’ensemble des territoires insulaires, hormis Bajo Nuevo, qui possède sa propre zone
contiguë unique (séparée). Les zones contiguës des îles forment toutes  à l’exception de celles
de Serranilla et de Bajo Nuevo  un ensemble d’un seul tenant et sont rattachées à la partie de
zone contiguë unique entourant Serranilla par un couloir défini selon des lignes géodésiques. La
zone contiguë unique est représentée sur la figure 2.1, qui montre qu’elle s’étend sans conteste
au-delà de la limite des 24 milles marins.
3.20. Par ailleurs, la Cour a fixé l’emplacement de la frontière maritime entre la Colombie et
le Nicaragua136, et, comme le montre cette fois la figure 2.2, la zone contiguë unique déborde
largement cette frontière, empiétant ainsi sur des eaux qui relèvent de la juridiction maritime du
Nicaragua et sur lesquelles la Colombie ne saurait revendiquer de droits en tant qu’Etat côtier.
3.21. Deuxièmement, quand bien même la Colombie serait en droit d’établir une zone
contiguë s’étendant au-delà de sa frontière maritime avec le Nicaragua — quod non —, les
revendications qu’elle formule quant à l’exercice de sa juridiction à l’égard de sa «zone contiguë
unique» débordent ratione materiae le cadre autorisé dans le cas d’une zone contiguë créée
conformément au droit international coutumier. Ce dernier, qui trouve son expression dans les
dispositions du paragraphe 1 de l’article 24 de la convention de 1958 sur la mer territoriale et la
zone contiguë137 et du paragraphe 1 de l’article 33 de la CNUDM — dont la teneur est
identique , limite la juridiction de l’Etat côtier dans la zone contiguë à la mesure nécessaire pour
135 Voir plus haut, par. 2.12.
136 Voir Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 718, par. 251.
137 RTNU, vol. 516, p. 205. L’article 24 se lit comme suit : «1. Sur une zone de la haute mer contiguë à sa mer
territoriale, l’Etat riverain peut exercer le contrôle nécessaire en vue : a) [d]e prévenir les contraventions à ses lois de
police douanière, fiscale, sanitaire ou d’immigration sur son territoire ou dans sa mer territoriale ; b) [d]e réprimer les
contraventions à ces mêmes lois, commises sur son territoire ou dans sa mer territoriale».
64
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prévenir ou réprimer les infractions à ses lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires ou
d’immigration sur son territoire ou dans sa mer territoriale.
3.22. Il est rappelé138 que le paragraphe 3 de l’article 5 du décret 1946, tel qu’initialement
promulgué, disposait ce qui suit :
«L’Etat colombien exercera sur la zone contiguë unique telle que définie son
autorité souveraine et les compétences d’exécution et de répression nécessaires pour :
a) Assurer la lutte et la prévention en matière d’infractions aux lois ou règlements
relatifs à la sécurité de l’Etat, notamment à la piraterie, au trafic de drogue et aux
comportements portant atteinte à la sécurité en mer et aux intérêts maritimes
nationaux, ainsi qu’à tous les actes contraires aux lois ou règlements douaniers,
fiscaux, sanitaires ou d’immigration commis dans les territoires insulaires de la
Colombie ou dans leur mer territoriale. De la même manière, les infractions aux
lois ou règlements relatifs à la protection de l’environnement, au patrimoine
culturel et à l’exercice des droits de pêche historiques de l’Etat colombien feront
l’objet de mesures de lutte et de prévention.
b) Réprimer les infractions aux lois ou règlements relatifs aux questions visées à
l’alinéa a) et commises dans les territoires insulaires de la Colombie ou dans leur
mer territoriale.»
3.23. Le décret 1119 du 17 juin 2013 a modifié le décret 1946, dont l’article 1 se lit
désormais comme suit :
«La République de Colombie exerce pleine souveraineté sur ses territoires
insulaires et sa mer territoriale, ainsi que sa juridiction et des droits souverains sur les
autres espaces maritimes générés par ses territoires insulaires conformément aux
dispositions applicables du droit international, de la Constitution, de la loi no 10 de
1978, du décret 1946 de 2013 et du présent décret. Dans ces espaces, la Colombie
exerce des droits de pêche historiques, conformément au droit international.»
3.24. Ce même décret 1119 a également modifié de la manière suivante le paragraphe 3 de
l’article 5 du décret 1946 :
«3. Aux fins de protéger la souveraineté de son territoire et de sa mer
territoriale, l’Etat colombien exercera sur la zone contiguë unique telle que définie
dans le présent article les compétences d’exécution et de répression nécessaires pour :
a) Assurer la lutte et la prévention en matière d’infractions aux lois ou règlements
relatifs à la sécurité de l’Etat, notamment à la piraterie, au trafic de drogue et aux
comportements portant atteinte à la sécurité en mer et aux intérêts maritimes
nationaux, ainsi qu’à tous les actes contraires aux lois ou règlements douaniers,
fiscaux, sanitaires ou d’immigration commis dans ses territoires insulaires ou dans
leur mer territoriale. De la même manière, les infractions aux lois ou règlements
relatifs à la protection de l’environnement et au patrimoine culturel de la Colombie
feront l’objet de mesures de lutte et de prévention.»
138 Voir plus haut, par. 2.12.
65
66
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3.25. La Colombie affirme donc, dans les eaux dont la Cour a reconnu l’appartenance au
Nicaragua, sa juridiction à l’égard de questions telles que la pêche et la protection de
l’environnement. Or, ces activités relèvent toutes deux des droits souverains et de la juridiction du
Nicaragua dans sa zone économique exclusive et sur son plateau continental, conformément aux
principes admis du droit de la mer, et font partie des droits reconnus à l’Etat côtier par les
articles 56 et 77 de la CNUDM. A l’inverse, les droits invoqués par la Colombie ne figurent pas
parmi les droits octroyés aux autres Etats dans la zone économique exclusive ou sur le plateau
continental, visés, respectivement, aux articles 58 et 78 de la CNUDM, ni même parmi ceux que
l’article 33 de cet instrument prévoit dans le cas de la zone contiguë.
3.26. En outre, pareille zone ayant pour objet de permettre à un Etat de prévenir et de
réprimer les infractions à certaines lois commises dans son territoire ou sa mer territoriale, on ne
voit pas, de prime abord, quel intérêt légitime elle pourrait permettre de protéger sur les rochers et
les îles en question, quand bien même elle serait établie dans la zone économique exclusive de la
Colombie. Sa création aux emplacement indiqués, et dans la ZEE du Nicaragua, traduit la volonté
d’exercer un droit dans le dessein non de protéger de quelconques droits ou intérêts de la
Colombie, mais uniquement ou principalement de porter préjudice au Nicaragua. Il s’agit là d’un
cas patent d’abus de droit139.
3.27. Les décrets 1946 et 1119 ont été adoptés au mépris de l’arrêt rendu par la Cour. Ils
impliquent des usurpations manifestes de droits qui, du point de vue du droit international,
appartiennent au Nicaragua et à lui seul. Ces décrets viennent acter le rejet constant, par la
Colombie, de l’arrêt de la Cour, et ce, indépendamment de toute mesure prise aux fins de leur mise
en oeuvre. La simple proclamation d’une mesure contrevenant à l’arrêt est incompatible avec les
obligations qui incombent à la Colombie en vertu du Statut de la Cour et de la Charte des
Nations Unies.
3.28. Ce dernier point ressort très clairement de l’avis que la Cour a rendu en l’affaire de
l’Accord de siège, dans laquelle elle était amenée à se prononcer sur la prétention selon laquelle
l’adoption, par les Etats-Unis d’Amérique, de mesures prévoyant la fermeture d’une mission de
l’OLP auprès des Nations Unies à New York ne donnait pas naissance à un différend entre les
Etats-Unis et l’ONU en vertu de l’accord de siège conclu entre eux, parce que les mesures
américaines n’avaient pas encore été mises en oeuvre. La Cour a dit ceci :
«si l’existence d’un différend suppose une réclamation trouvant son origine dans un
comportement ou une décision de l’une des parties, elle n’implique nullement que
toute décision contestée ait été matériellement exécutée. Bien plus, un différend peut
naître même si la partie en cause donne l’assurance qu’aucune mesure d’exécution ne
sera prise tant qu’elle n’aura pas été ordonnée par une décision des tribunaux
nationaux»140.
3.29. Ainsi qu’il ressort clairement de ce précédent, le fait d’affirmer avoir le droit d’agir
d’une manière incompatible avec les obligations découlant d’un traité équivaut à répudier celui-ci
et donne par là même lieu à un différend en vertu du traité en question. Que le droit allégué n’ait
139 Voir A. Kiss, «Abuse of Rights», in Max Planck Encyclopedia of International Law. Voir également le
compte rendu de l’audience publique tenue le 15 septembre 2011, à 10 heures, en l’affaire relative aux Immunités
juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), par. 31-35 (Gattini) ; A. Watts et R. Jennings,
Oppenheim’s International Law, (9e éd., 1992), p. 407-409 ; J. Crawford (sous la dir. de), Brownlie’s Principles of
International Law (8e éd., 2012), p. 562-563.
140 Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’accord du 26 juin 1947 relatif au siège
de l’Organisation des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1988, p. 12, par. 42.
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pas encore été exercé ne fait pas du litige en question un différend purement théorique ou
hypothétique, dont le droit international ne se souciera pas ; la répudiation de l’obligation
conventionnelle crée au contraire un différend bien réel au regard du traité. De même, l’invocation
d’un droit d’agir à l’encontre d’un arrêt de la Cour internationale de Justice revient concrètement à
refuser d’admettre l’obligation juridique découlant de la décision de la Cour et de s’y conformer,
refus qui emporte violation de l’article 94 de la Charte des Nations Unies. Là encore, la
répudiation d’obligations est constitutive d’un manquement non pas simplement théorique ou
potentiel, mais bien réel.
3.30. Cela dit, nombreux sont les éléments de preuve attestant que la Colombie ne s’est pas
contentée de revendiquer en toute illicéité sa juridiction sur les eaux que la Cour a allouées au
Nicaragua, mais est passée à l’acte. Ainsi, le chapitre II rapporte nombre de cas de harcèlement,
par des navires141 et aéronefs142 colombiens, de bateaux détenteurs de permis nicaraguayens qui se
livraient à des activités licites, par exemple de pêche ou de surveillance, dans les eaux du
Nicaragua. A l’occasion de plusieurs de ces incidents143, la Colombie, par ses déclarations ou par
ses actes, a explicitement fait valoir des droits sur les eaux adjugées par la Cour au Nicaragua. Ces
incidents constituent, eux aussi, des manquements à l’obligation incombant à la Colombie de se
conformer à l’arrêt de la Cour.
3.31. Pour ces motifs, il est évident que la Colombie contrevient délibérément à l’obligation
qui lui est faite de se conformer à l’arrêt rendu par la Cour le 19 novembre 2012.
C. LES OBLIGATIONS DE LA COLOMBIE DÉCOULANT DU
DROIT INTERNATIONAL DE LA MER
3.32. En considérant ainsi comme siennes les eaux nicaraguayennes, la Colombie ne manque
pas seulement aux obligations qui lui incombent en vertu du Statut de la Cour et de la Charte des
Nations Unies, mais viole aussi, et à raison des mêmes agissements, les droits que le Nicaragua
tient du droit international en ce qui concerne ces zones maritimes et les obligations qu’elle tire
elle-même du droit de la mer.
3.33. Ces violations sont de deux ordres. La première catégorie recouvre des actes qui
équivalent incontestablement à un déni complet des droits nicaraguayens dans les eaux en cause,
tels que la revendication de la juridiction sur les eaux nicaraguayennes formulée dans les
décrets 1946 et 1119 ou les incidents au cours desquels des navires que le Nicaragua avait autorisés
à pêcher se sont vus sommés de cesser leur activité, exemples qui ont été décrits dans la section
précédente de ce chapitre. Ces actes impliquent obligatoirement que les eaux en question ne font
pas partie de la zone économique exclusive du Nicaragua, ce qui est manifestement contraire à la
décision de la Cour.
3.34. Une seconde catégorie recouvre des actes qui ne supposent pas nécessairement un déni
complet des droits du Nicaragua dans les eaux en question, mais n’en n’emportent pas moins
violation de ces droits. Ainsi, il est vrai que, en règle générale, les aéronefs colombiens sont
autorisés à survoler la zone économique exclusive du Nicaragua, pour autant qu’ils respectent
pleinement les droits de l’Etat côtier (y compris le droit souverain de délivrer des permis de pêche
141 Voir plus haut, par. 2.24-2.50.
142 Voir par. 2.25, 2.28, 2.38-2.39, 2.44-2.46.
143 Voir par. 2.25-2.26, 2.30, 2.32, 2.35, 2.40, 2.43, 2.47.
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et de gérer cette activité dans la zone économique exclusive144) lorsqu’ils font usage de cette
faculté145, et que, en conséquence, le survol, par des aéronefs colombiens, de navires de pêche dans
des eaux relevant de la zone économique exclusive du Nicaragua n’implique pas en soi un déni des
droits que celui-ci possède dans ces eaux ; en revanche, dès lors qu’elle exercerait ce droit de
survol à des fins de harcèlement, dans le but manifeste d’amener les navires que le Nicaragua a
autorisés à pêcher dans ces eaux à rebrousser chemin ou de les «dissuader» de s’y hasarder, la
Colombie manquerait à son obligation de tenir dûment compte des droits revenant à celui-ci en sa
qualité d’Etat côtier. Quand bien même le survol lui-même serait licite, les actes de harcèlement
violeraient ainsi les droits du Nicaragua. Or, des exemples de tels agissements sont rapportés au
chapitre II146.
3.35. Il convient également de ne pas négliger l’effet in terrorem que la position de la
Colombie produira sur des personnes fondées à mener des activités dans les eaux du Nicaragua,
mais qui redouteront, ce faisant, d’être arraisonnées par des navires ou des aéronefs colombiens
tant que la Colombie continuera de revendiquer publiquement le droit de traiter comme siennes les
eaux nicaraguayennes. Il s’agit là d’une autre forme d’ingérence illicite dans les droits du
Nicaragua sur ses zones maritimes, aux conséquences économiques préjudiciables.
3.36. Pour ces motifs, les actes de la Colombie violent les droits souverains et la juridiction
du Nicaragua dans les zones maritimes qui lui reviennent, telles que délimitées au paragraphe 251
de l’arrêt du 19 novembre 2012.
D. LES MANQUEMENTS DE LA COLOMBIE À SON OBLIGATION DE S’ABSTENIR
DE RECOURIR À LA MENACE OU À L’EMPLOI DE LA FORCE
3.37. Comme il été montré plus haut, après le prononcé de l’arrêt du 19 novembre 2012 et en
dépit de celui-ci, la Colombie a continué de déployer ses forces navales dans des secteurs qui
pourtant, d’après la Cour, relevaient de la zone économique exclusive et du plateau continental du
Nicaragua, et les a utilisées pour empêcher ce dernier d’y exercer sa juridiction et ses droits
souverains. Le comportement de la Colombie dans la zone économique exclusive du Nicaragua est
décrit en détail au chapitre II.
3.38. Cette description permet de dresser plusieurs constats :
i) La République de Colombie maintient en permanence des unités navales dans des secteurs
relevant de la souveraineté et de la juridiction du Nicaragua, au mépris des droits de ce
dernier, tels que reconnus par l’arrêt de la Cour du 19 novembre 2012.
ii) Les forces navales colombiennes ont la prétention d’exercer des attributions
juridictionnelles à l’égard d’activités menées dans des espaces relevant de la zone
économique exclusive et du plateau continental du Nicaragua : elles protègent les
détenteurs de permis de pêche et d’autorisations de recherche marine délivrés par la
Colombie dans des secteurs qui n’appartiennent pas à cette dernière ; elles empêchent ou
entravent l’exercice légitime, par les forces navales nicaraguayennes, de leurs activités de
maintien de l’ordre ; elles font obstacle aux activités des bateaux de pêche battant pavillon
nicaraguayen ou détenteurs d’un permis délivré par le Nicaragua, multiplient à leur égard
144 Articles 56 et 62 de la CNUDM.
145 Voir les paragraphes 1 et 3 de l’article 58 de la CNUDM.
146 Voir plus haut, par. 2.24-2.50.
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arraisonnements et survols comme autant de manoeuvres de harcèlement, et les somment
de faire demi-tour, sous peine d’en subir les conséquences.
iii) Les frégates, avions de combat et hélicoptères colombiens se livrent, à l’encontre de
navires de la marine ou de particuliers nicaraguayens, à un harcèlement prenant la forme
de mises en demeure, accostages ou survols. En raison de la supériorité navale et aérienne
de la Colombie et de la retenue dont fait preuve le Nicaragua, les navires nicaraguayens
ont été contraints de limiter leurs activités, voire d’y renoncer, pour éviter tout
affrontement.
3.39. Ce comportement de la Colombie viole de façon flagrante les droits souverains du
Nicaragua et la juridiction que la Cour a reconnue à celui-ci dans son arrêt de novembre 2012. Par
ailleurs, en ordonnant aux navires nicaraguayens de quitter le secteur, sous peine d’en subir les
conséquences, et en envoyant ses propres bateaux prendre en chasse ceux du Nicaragua, la
Colombie a manqué à l’obligation fondamentale qui lui incombe en vertu du droit international de
s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou
l’indépendance politique d’un autre Etat et, partant, a violé le paragraphe 4 de l’article 2 de la
Charte des Nations Unies147. Au niveau régional, ce principe est consacré dans la charte de
l’Organisation des Etats américains148, le pacte de Bogotá149 et le traité interaméricain d’assistance
mutuelle (traité de Rio)150.
3.40. La déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations
amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies
(A/RES.2625 (XXV), 24 octobre 1970) confirme le principe énoncé au paragraphe 4 de l’article 2
de la Charte en soulignant «le devoir de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force
pour violer les frontières internationales existantes d’un autre Etat ou comme moyen de règlement
des différends internationaux, y compris les différends territoriaux et les questions relatives aux
frontières des Etats.»151
3.41. Les cas où la Colombie a menacé de recourir à l’emploi de la force à l’encontre de
navires de la marine ou de particuliers nicaraguayens, ou de bateaux détenteurs d’un permis délivré
par le Nicaragua et battant pavillon d’un Etat tiers sont, plus spécifiquement, décrits à la section C
du chapitre II.
3.42. Au regard du droit international général, un Etat ne peut, sans commettre une grave
violation de droits souverains, recourir à la menace ou à l’emploi de la force à des fins de maintien
de l’ordre dans des zones relevant de la souveraineté et de la juridiction d’un autre Etat152 en
l’absence de consentement de ce dernier. Or, le Nicaragua n’a jamais consenti à ce que la
Colombie exerce de quelconques pouvoirs de police ou autres dans sa zone économique exclusive.
147 Voir N. Schrijver, «Article 2, paragraphe 4», La Charte des Nations Unies (J.P. Cot, A. Pellet et M. Forteau,
sous la dir. de), 3e éd., Economica, Paris, 2005, p. 437-466 ; A. Randelzhofer et O. Dörr, «Article 2 (4)», The Charter of
the United Nations. A Commentary, (B. Simma et al., sous la dir. de), 3e éd., OUP, 2012, p. 200-234.
148 Art. 19-22.
149 Art. 1.
150 Ibid.
151 Nations Unies, doc. no A/8028 (1970), documents officiels de l’Assemblée générale, 25e session, suppl. no 28,
p. 132.
152 Il est constant, en droit, que la juridiction ne saurait être exercée sur le territoire d’un autre Etat sans le
consentement de celui-ci (Lotus (France c. Turquie), arrêt du 7 septembre 1927, C.P.J.I série A, no 10 (1927), p. 18).
72
- 49 -
3.43. Dès lors que, comme c’est le cas en l’espèce, les agents de l’Etat fondé à exercer sa
juridiction sont empêchés de s’acquitter de leurs fonctions, l’Etat offensé est autorisé à recourir à la
force dans la mesure nécessaire et raisonnable pour neutraliser et chasser les forces navales de
l’Etat offenseur qui refuseraient de quitter paisiblement les lieux, et l’emploi de la force est
également admis lorsque l’Etat offenseur entreprend de mettre en oeuvre ses propres mesures de
«maintien de l’ordre» ; toutefois, il va sans dire que pareille réaction à la tentative illicite de l’Etat
offenseur d’exercer sa «juridiction» dans les eaux de l’Etat offensé engendrerait une dynamique de
nature à compromettre la paix et la sécurité internationales. Pour éviter un tel scénario, le
Nicaragua a fait preuve de retenue. Mais il ne devrait pas pour autant être contraint de subir
indéfiniment les incessantes violations, par la Colombie, de sa juridiction et de ses droits
souverains.
3.44. En l’espèce, le Nicaragua ne fait pas grief à la Colombie d’une incursion ponctuelle,
mais du déploiement constant et non autorisé de ses forces militaires dans les eaux
nicaraguayennes, ainsi que de l’exercice continu, par ces forces, de la juridiction et des droits
souverains qui lui appartiennent à lui et à lui seul. Ces agissements, décidés au plus haut niveau de
l’appareil d’Etat colombien, ne résultent ni d’une erreur involontaire ni d’un sincère malentendu ;
ils témoignent de la volonté délibérée du Gouvernement colombien de maintenir unilatéralement,
par la contrainte, la situation de fait que les forces militaires colombiennes faisaient respecter avant
le prononcé de l’arrêt de la Cour, autrement dit de conserver le 82e méridien de longitude ouest
comme frontière maritime153. Le déploiement naval de la Colombie et les opérations que celle-ci
mène contre les bateaux nicaraguayens équivalent manifestement, dans les présentes circonstances,
à une menace de recourir à la force, ce qu’interdisent, entre autres, les règles générales du droit
international, la Charte des Nations Unies, la charte de l’OEA, le pacte de Bogotá et le traité de
Rio.
3.45. Selon le Oxford Dictionary of Law, une menace [threat] est «l’expression de l’intention
de nuire à un tiers pour le contraindre à faire quelque chose» [«the expression of an intention to
harm someone with the object of forcing them to do something»]154. Si l’on applique cette
définition aux relations interétatiques, l’on peut assimiler à une menace un procédé remplaçant (ou
précédant) l’emploi de la force par un Etat désireux d’en intimider et contraindre un autre à
agir  ou à s’abstenir d’agir d’une certaine façon.
3.46. La menace peut être explicite, se manifester dans les déclarations officielles ou propos
d’agents de l’Etat, ou s’inférer des circonstances factuelles propres à l’espèce. Elle n’a pas besoin
d’avoir été expressément formulée pour être bien réelle ; elle peut être induite d’un comportement
qu’un tiers percevrait comme menaçant, au sens où il aurait à subir les conséquences d’un choix
jugé mauvais. Dans un contexte extrêmement tendu, le sens naturel et ordinaire de tels termes ne
saurait être sous-estimé. La menace prohibée au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte requiert
l’existence d’une intention coercitive visant à obtenir d’un autre Etat un comportement précis. «La
menace de recourir à la force consiste, pour un gouvernement, à promettre explicitement ou
implicitement de recourir à la force en cas de refus de se plier à certaines de ses exigences. Si ce
recours est envisagé dans des circonstances qui ne le justifient pas, la menace elle-même est
illicite»155, écrivait Ian Brownlie il y a plus de cinquante ans  un avis que les rares auteurs à
153 Voir la réplique du Nicaragua dans l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie),
par. 34-43 ; voir aussi la duplique de la Colombie, par. 9.2.
154 A Dictionary of Law (E.A. Martin et J. Law, sous la dir.de), Oxford, OUP, 2006, p. 535.
155 I. Brownlie, International Law and the Use of Force by States, Oxford, Clarendon Press, 1963, p. 364.
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74
- 50 -
s’être penchés sur la question ont «reproduit … en lui reconnaissant valeur d’interprétation de la
Charte faisant autorité»156.
3.47. La Cour elle-même a épousé cette manière de voir. Dans son avis consultatif sur la
question de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, elle affirmait ainsi : «Si
l’emploi de la force envisagé est lui-même illicite, se déclarer prêt à y recourir constitue une
menace interdite en vertu de l’article 2, paragraphe 4. Ainsi serait-il illicite pour un Etat de
menacer un autre Etat de recourir à la force pour obtenir de lui un territoire ou pour l’obliger à
suivre ou à ne pas suivre certaines orientations politiques ou économiques. Les notions de
«menace» et d’«emploi» de la force au sens de l’article 2, paragraphe 4, de la Charte vont de pair,
en ce sens que si, dans un cas donné, l’emploi même de la force est illicite  pour quelque raison
que ce soit , la menace d’y recourir le sera également. En bref, un Etat ne peut, de manière licite,
se déclarer prêt à employer la force que si cet emploi est conforme aux dispositions de la
Charte.»157
3.48. En l’espèce, l’important déploiement de navires militaires colombiens lourdement
armés dans des secteurs relevant incontestablement de la juridiction nicaraguayenne, mais sur
lesquels la Colombie revendique une souveraineté, constitue en soi une menace de recourir à la
force contre le Nicaragua, menace que les déclarations du président Santos et du commandant en
chef des forces navales colombiennes sont venues amplifier et préciser, le premier en rapportant
par exemple que le haut commandement colombien avait reçu pour instruction de «défendre «par le
glaive s’il le fa[llait]» le plateau continental appartenant à la Colombie dans la mer des
Caraïbes»158, et le vice-amiral Hernando Wills en assurant que ses forces «se conformeraient aux
ordres donnés par le chef de l’Etat en vue de faire respecter la souveraineté de la Colombie sur
toute la partie de la mer des Caraïbes qui lui appartient», et qu’il honorerait son
«devoir[ :] défendre l’ensemble de l’espace maritime colombien»159. Dès lors, le déploiement de la
marine colombienne s’inscrit dans une logique d’intimidation : 1) en tant que moyen de dissuasion,
décourageant le Nicaragua d’exercer les droits qui sont les siens dans ces secteurs ; et 2) en tant que
moyen de coercition, la Colombie cherchant à faire accepter de force ses vues sur la juridiction et
les droits souverains et son appropriation d’espaces maritimes dont la Cour a décidé qu’ils
appartenaient au Nicaragua.
3.49. En tout état de cause, en l’espèce, le Nicaragua ne tire pas seulement grief du
déploiement naval proprement dit. Comme cela a été exposé au chapitre II, les navires militaires
colombiens présents dans les eaux du Nicaragua ont, à maintes reprises, envoyé des patrouilleurs
chasser les navires de la marine ou de particuliers nicaraguayens, ainsi que les bateaux détenteurs
d’un permis délivré par le Nicaragua, des secteurs que la Colombie persiste à s’attribuer, au mépris
de l’arrêt de novembre 2012160.
156 N. Stürchler, The Threat of Force in International Law, Cambridge Studies in International and Comparative
Law, Cambridge University Press, 2007, p. 39.
157 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 226, par. 47.
158 «Le président Santos ordonne de défendre par le glaive s’il le faut le plateau continental», El Espectador,
19 septembre 2013 (annexe 41) (http://www.elespectador.com/noticias/politica/santos-ordena-defender-pl…-
capa-y-es-articulo-447445).
159 Ibid.
160 Voir par. 2.20 ci-dessus.
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76
- 51 -
3.50. Dans la même optique, la Colombie a aussi spécifiquement envoyé des avions
militaires voler à basse altitude au-dessus de navires nicaraguayens, en guise de menace161. Les
commandants des navires colombiens ont ordonné à des garde-côtes nicaraguayens de quitter les
secteurs dans lesquels ils patrouillaient afin de ne pas «[s]’expos[er, ou se] rend[re] responsable
[d’]incident[s]»162. Le commandant d’une frégate colombienne a aussi mis en garde en ces
termes un navire garde-côte nicaraguayen : «Si vous n’obtempérez pas, vous devrez en assumer les
conséquences.»163
3.51. Il ne peut s’agir là que d’une menace de recours à la force. Cette dernière mise en
garde rappelle celle que le tribunal arbitral avait examinée dans l’affaire Guyana/Suriname164.
Deux navires militaires surinamais s’étaient approchés d’un navire de forage, le C.E. Thornton, qui
menait des activités d’exploration au large, sous licence guyanienne. Ils avaient braqué leurs
projecteurs sur cette plate-forme de forage mobile, établi le contact radio, informé l’équipage qu’il
se trouvait dans les eaux du Suriname et lui avaient ordonné de quitter la zone dans les
douze heures (délai par la suite prolongé de douze heures), sous peine d’«en subir les
conséquences». Craignant, à la suite de cet avertissement, qu’il soit fait usage de la force,
l’équipage n’avait eu d’autre choix que de cesser ses activités et de quitter le secteur.
3.52. Le Guyana avait plaidé que, en menaçant de recourir à la force armée contre son
intégrité territoriale, ses ressortissants ou agents, ainsi que d’autres personnes dont la présence dans
des espaces maritimes relevant de sa souveraineté et de sa juridiction était également en règle, le
Suriname avait violé les obligations que lui imposaient la CNUDM, la Charte des Nations Unies et
le droit international général. Le Suriname avait répliqué qu’il s’était borné à recourir à des
mesures de police raisonnables et proportionnées afin d’empêcher un forage non autorisé dans une
zone en litige du plateau continental, et avait cité ces propos du commandant militaire surinamais
qui se trouvait sur place :
«Même si le bateau de forage n’avait pas obtempéré et quitté nos eaux, je
n’aurais certainement pas eu recours à la force. Je n’avais reçu aucune instruction en
ce sens et, de toute façon, je ne disposais pas de l’armement nécessaire. Je n’ai jamais
reçu l’ordre de monter à bord, et n’y ai d’ailleurs même pas songé.» [Traduction du
Greffe.]
3.53. Cela étant, le tribunal arbitral a conclu que «l’ordre intimé à l’équipage de la
plate-forme par [le commandant surinamais] équivalait à une menace explicite de recours à la force
en cas de refus d’obtempérer», et que c’était bien ainsi que les destinataires l’avaient compris165.
Selon le tribunal, si,
«en droit international, il peut être fait usage de la force lors d’activités de maintien de
l’ordre dès lors que cet usage est inévitable, raisonnable et nécessaire[,] dans les
circonstances de la présente espèce …le comportement qu’a eu le Suriname le
3 juin 2000 s’apparente davantage à une menace d’intervention militaire qu’à une
161 Voir par. 2.25, 2.28, 2.38, 2.39, 2.44-2.46 ci-dessus.
162 «La Colombie évite un accrochage avec l’armée nicaraguayenne à la frontière», Caracol, 19 février 2013
(annexe 34) (http://www.caracol.com.co/noticias/actualidad/colombia-evito-roce-limit…
20130219/nota/1845121.aspx).
163 Lettre en date du 26 août 2014 adressée au ministère des affaires étrangères par la marine nicaraguayenne
rendant compte d’incidents avec les forces navales colombiennes dans la zone économique exclusive du Nicaragua, p. 6
(annexe 23-A) ; transcription des enregistrements audio de la marine nicaraguayenne du 8 mai 2014 (annexe 23-B).
164 International Legal Materials, 2008, 166, par. 137-156, 425-447 ; voir http://www.pca-cpa.org/.
165 Sentence arbitrale rendue en l’affaire Guyana/Suriname, par. 439 [traduction du Greffe].
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simple activité de maintien de l’ordre … Aussi équivaut-il à une menace d’emploi de
la force et, partant, à une violation de la [CNUDM], de la Charte des Nations Unies et
du droit international général.»166
3.54. En l’espèce, les faits reprochés à la Colombie, contrairement à ceux incriminés dans
l’affaire Guyana/Suriname, n’ont pas eu lieu dans des zones légitimement revendiquées par les
deux Parties167, mais dans les espaces relevant de la zone économique exclusive et du plateau
continental du Nicaragua, tels que délimités dans l’arrêt rendu par la Cour le 19 novembre 2012168.
Il ne saurait par conséquent s’agir de mesures de police licites. Bien au contraire, ces faits sont
prohibés par le droit international et équivalent à un recours illicite à la force, ou à une menace d’y
recourir, au sens de la déclaration relative aux principes (A/RES.2625 (XXV), du 24 octobre 1970),
du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, de la charte de l’OEA, du pacte de
Bogotá et du traité de Rio, entre autres169.
3.55. Ce n’est pas à titre subsidiaire par rapport à son allégation de manquement à d’autres
règles du droit international que le Nicaragua invoque la violation de l’interdiction de la menace de
recourir à la force. Celle-ci revêt au contraire une importance particulière qui va au-delà du
préjudice à lui causé. S’il apparaît qu’un Etat peut, en toute impunité, rejeter une décision de la
Cour en menaçant de recourir à la force, l’ordre juridique international et la crédibilité de la Cour
comme des procédures de règlement pacifique des différends en général risquent en effet de s’en
trouver gravement compromis.
166 Sentence arbitrale rendue en l’affaire Guyana/Suriname, par. 445 [traduction du Greffe].
167 En tout état de cause, il convient de souligner que la sentence accordait au Guyana une souveraineté
incontestée sur la zone où s’était produit l’incident (Sentence arbitrale rendue en l’affaire Guyana/Suriname, par. 451).
168 Dans la requête introductive d’instance qu’il a déposée contre la Colombie le 6 décembre 2001 en l’affaire du
Différend territorial et maritime, le Nicaragua a affirmé que, afin d’appuyer les revendications maritimes qu’elle faisait
alors valoir, celle-ci interceptait et capturait des bateaux de pêche nicaraguayens (ou des bateaux détenteurs d’un permis
délivré par le Nicaragua), que «les forces navales nicaraguayennes n[’étaient] pas de taille à … défendre contre la marine
colombienne, beaucoup plus puissante» (par. 5). Le Nicaragua avait alors évoqué le «recours à la force par la Colombie,
ou la menace d’y recourir». Cette qualification est plus pertinente à présent que les faits se produisent dans une zone qui
appartient incontestablement au Nicaragua.
169 Dès lors qu’un territoire en litige entre deux Etats est octroyé à l’un d’eux, l’autre est tenu d’en retirer dans les
plus brefs délais et sans condition ses forces et son administration. Voir Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002,
par. 312-315, où la Cour mentionne les précédents du Temple de Préah Vihéar et du Différend territorial (Jamahiriya
arabe libyenne/Tchad).
78
- 53 -
CHAPITRE IV
REMÈDES
4.1. Si la présente affaire soulève de très importantes questions de principe  comme celle
de l’autorité des arrêts de la Cour , le Nicaragua est conscient que ses conclusions ne doivent pas
déborder le cadre du différend bilatéral qu’il a soumis à la Cour. C’est donc bien dans ce cadre
qu’il demande réparation intégrale du préjudice causé par le comportement internationalement
illicite de la Colombie décrit dans les précédents chapitres de ce mémoire170.
4.2. Comme l’a dit la Cour permanente de Justice internationale, «[c]’est un principe de droit
international que la violation d’un engagement entraîne l’obligation de réparer dans une forme
adéquate»171, et celle-ci «dépend … des circonstances concrètes de chaque affaire ainsi que de la
nature exacte et de l’importance du préjudice»172.
4.3. Dans un célèbre dictum, la Cour permanente a jugé que
«[l]e principe essentiel, qui découle de la notion même d’acte illicite et qui semble se
dégager de la pratique internationale, notamment de la jurisprudence des tribunaux
arbitraux, est que la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les
conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si
ledit acte n’avait pas été commis»173.
4.4. Et de préciser :
«Restitution en nature, ou, si elle n’est pas possible, paiement d’une somme
correspondant à la valeur qu’aurait la restitution en nature ; allocation, s’il y a lieu, de
dommages-intérêts pour les pertes subies et qui ne seraient pas couvertes par la
restitution en nature ou le paiement qui en prend la place ; tels sont les principes
170 Voir Usine de Chorzów, compétence, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A no 17, p. 47. Voir, dans la
jurisprudence récente de la Cour : Projet Gabíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 80,
par. 149 ; Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002,
p. 31-32, par. 76 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis
consultatif du 9 juillet 2004, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 198, par. 152 ; Activités armées sur le territoire du Congo
(République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 257, par. 259 ; Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),
arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 232-233, par. 460 ; Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay
(Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 104, par. 274 ; Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée
c. République démocratique du Congo), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 691, par.161 ; et Immunités juridictionnelles de
l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 153, par. 137.
171 Voir Usine de Chorzów, compétence, arrêt no 8, 1927, C.P.J.I. série A no 9, p. 21 et Usine de Chorzów, fond,
arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A no 17, p. 29. Voir également, dans la jurisprudence très récente de la Cour
internationale de Justice, LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 485, par. 48 ;
Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 31-32,
par. 76 ; Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I),
p. 59, par. 119 ; et Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt,
C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 153, par. 136.
172 Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I),
p. 59, par. 119.
173 Voir Usine de Chorzów, fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A no 17, p. 47.
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80
- 54 -
desquels doit s’inspirer la détermination du montant de l’indemnité due à cause d’un
fait contraire au droit international.»174
4.5. Ces principes, que la Cour a confirmés et réaffirmés à de multiples reprises175, sont
consacrés en ces termes au paragraphe 1 de l’article 31 et à l’article 34 des Articles sur la
responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite adoptés par la Commission du droit
international (ci-après la «CDI») en 2001 :
«Article 31 : RÉPARATION
1. L’Etat responsable est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le fait
internationalement illicite.
2. Le préjudice comprend tout dommage, tant matériel que moral, résultant du fait
internationalement illicite de l’Etat.»
«Article 34 : Formes de la réparation
La réparation intégrale du préjudice causé par le fait internationalement illicite
prend la forme de restitution, d’indemnisation et de satisfaction, séparément ou
conjointement, conformément aux dispositions du présent chapitre.»
4.6. En l’espèce, le préjudice subi par le Nicaragua en conséquence des faits
internationalement illicites de la Colombie est d’ordre à la fois matériel et moral. Or, le préjudice
moral exige réparation autant que le préjudice matériel, même si cette réparation peut prendre une
forme différente.
4.7. Selon la définition que donne la CDI, «le «préjudice moral» causé à un Etat [est]
l’affront ou le préjudice causé par une violation de droits non accompagnée d’un dommage réel aux
biens ou aux personnes»176. Si le Nicaragua peut revendiquer une indemnisation au titre du
préjudice matériel subi — comme cela sera examiné plus en détail dans la section C ci-dessous ,
le fait est qu’il a également subi un très grave et substantiel préjudice de nature juridique et morale.
4.8. Il convient de noter que, dans l’affaire du Rainbow Warrior, les parties s’accordaient à
penser que
174 Voir Usine de Chorzów, fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A no 17, p. 47.
175 Voir, dans la jurisprudence récente de la Cour : Projet Gabíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt,
C.I.J. Recueil 1997, p. 80, par. 149 ; Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique),
arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 31-32, par. 76 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire
palestinien occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 198, par. 152 ; Activités armées sur le
territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 257, par. 259 ;
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 232-233, par. 460 ; Usines de pâte à papier sur le fleuve
Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 104, par. 274 ; Ahmadou Sadio Diallo (République de
Guinée c. République démocratique du Congo), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 691, par. 161 ; Immunités
juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 153, par. 137.
Voir également l’article 34 des articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, Annuaire de la
Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 101-102.
176 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 105, paragraphe 1 du commentaire
de l’article 36.
81
- 55 -
«[l]es actions illicites à l’encontre d’intérêts immatériels tels les actes qui affectent
l’honneur, la dignité ou le prestige d’un Etat donnent droit à l’Etat lésé à une
réparation adéquate même si ces actes n’ont donné lieu à aucune perte pécuniaire ou
matérielle pour l’Etat demandeur»177.
4.9. Le tribunal arbitral a jugé que la violation, par la France,
«du régime particulier, défini par le Secrétaire général pour concilier les vues
contradictoires des Parties, a[vait] suscité outrage et indignation publique en
Nouvelle-Zélande et donné lieu à un nouveau dommage immatériel … de nature
morale, politique et juridique lié à l’affront fait à la dignité et au prestige non
seulement de la Nouvelle-Zélande en soi mais aussi de ses plus hautes autorités
judiciaires et exécutives»178,
et conclu que la France s’était rendue coupable de plusieurs violations substantielles de ses
obligations envers la Nouvelle-Zélande179.. Or, même si le contexte est très différent, il ne fait
aucun doute que, en l’espèce, la Colombie a causé des préjudices de divers ordres au Nicaragua, et
que des réparations s’imposent, selon des modalités elles aussi diverses, conformément à la
pratique habituelle telle que codifiée dans les Articles de la CDI.
4.10. Indépendamment des différentes «formes de … réparation» énumérées à l’article 34
des Articles de la CDI180, rappelons que «la première condition à remplir pour éliminer les
conséquences du comportement illicite» est la cessation du ou des faits illicites181.
4.11. La Colombie s’est, par ses faits internationalement illicites, rendue responsable d’un
préjudice envers le Nicaragua qui appelle donc, en l’espèce :
 la cessation immédiate de ces faits ;
 le rétablissement de la situation qui existait avant que ces faits ne fussent commis (la
restitution) ;
 l’indemnisation du préjudice résultant de ces faits ; et
 des garanties de non-répétition.
4.12. En outre, comme l’a relevé la CDI, «[d]ans certains cas, la satisfaction peut constituer
une forme supplémentaire de réparation»182. En l’espèce, une partie substantielle du préjudice subi
par le Nicaragua est incontestablement d’ordre moral et peu susceptible d’évaluation financière, et,
dès lors, le principe prévu à l’article 37 des Articles de la CDI trouve à s’appliquer :
177 Rainbow Warrior (Nouvelle-Zélande/France), Recueil des sentences arbitrales, vol. XX, 1990, p. 869,
par. 109.
178 Ibid., par. 110.
179 Ibid., p. 876.
180 Voir ci-dessus par. 4.5.
181 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 94-95, paragraphe 4 du commentaire
de l’article 30.
182 Ibid., p. 94, paragraphe 2 du commentaire de l’article 34.
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83
- 56 -
«1. L’Etat responsable d’un fait internationalement illicite est tenu de donner satisfaction pour le
préjudice causé par ce fait dans la mesure où il ne peut être réparé par la restitution ou
l’indemnisation.»
4.13. Toutefois, le Nicaragua ne présentera pas de demande formelle en ce sens. De fait,
lorsque l’Etat responsable de préjudices d’ordre moral ou juridique n’exprime pas ses regrets ni ne
présente d’excuses de manière spontanée et que l’affaire est portée devant une cour ou un tribunal
international, la forme la plus courante de satisfaction consiste en une déclaration de la juridiction
saisie. Et, à ce sujet encore, l’on peut se reporter au commentaire de la CDI :
«Une des formes de satisfaction les plus fréquentes pour dommage moral ou
immatériel est la déclaration d’illicéité faite par une cour ou un tribunal compétent.
La Cour internationale a affirmé l’utilité de la déclaration réparatoire en tant que
forme de satisfaction pour préjudice immatériel dans le cadre de l’affaire du Détroit de
Corfou, où, après avoir conclu à l’illicéité de l’opération de déminage (l’opération
Retail) menée par la marine britannique après l’explosion, elle a ajouté qu’elle devait :
«Pour assurer l’intégrité du droit international dont elle est l’organe, constater la
violation par l’action de la marine de guerre britannique de la souveraineté de
l’Albanie. Cette constatation correspond à la demande faite au nom de l’Albanie par
son conseil et constitue en elle-même une satisfaction appropriée.»183
Cette position a été suivie dans de nombreuses affaires.184»185
En l’espèce, un arrêt de la Cour déclarant que le comportement de la Colombie équivaut à une
violation de la souveraineté du Nicaragua et engage la responsabilité de la Colombie constituera
une satisfaction appropriée pour le préjudice moral causé.
A. CESSATION DES FAITS INTERNATIONALEMENT ILLICITES DE LA COLOMBIE
QUI PRÉSENTENT UN CARACTÈRE CONTINU
4.14. En droit international, «l’Etat responsable d’un… fait [internationalement illicite] a
l’obligation d’y mettre fin si ce fait présente un caractère continu»186.
183 Note de bas de page 625 : «Affaire du Détroit de Corfou, fond, C.I.J. Recueil 1949, p. 35, repris dans le
dispositif, p. 36.
184 Note de bas de page 626 : «Par exemple, affaire du Rainbow Warrior, Nations Unies, Recueil des sentences
arbitrales, vol. XX (1990), p. 273, par. 123.» Voir également, entre autres, Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 147, par. 292 6) ;
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005,
p. 280, par. 345 1) ; Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants
mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 20,
par. 60 et p. 21, par. 61 3) ; Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt,
C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 106, par. 282 1) ou Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République
yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 693, par. 170 2).
185 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 114, paragraphe 6 du commentaire
de l’article 37.
84
- 57 -
4.15. Par ailleurs, comme le précise clairement l’article 29 des Articles de la CDI de 2001,
qui a trait au «[m]aintien du devoir d’exécuter l’obligation», les autres «conséquences juridiques
d’un fait internationalement illicite … n’affectent pas le maintien du devoir de l’Etat responsable
d’exécuter l’obligation violée». En effet,
«un nouvel ensemble de relations juridiques est établi entre l’Etat responsable et l’Etat
ou les Etats auxquels l’obligation internationale est due. Cela ne signifie pas que la
relation juridique préexistante établie par l’obligation primaire disparaît. Même si
l’Etat responsable respecte l’obligation … de mettre fin au comportement illicite et de
réparer intégralement le préjudice causé, il n’est pas dispensé de ce fait de son devoir
d’exécuter l’obligation qu’il a violée. Le maintien de l’obligation d’exécuter une
obligation internationale, nonobstant une violation de celle-ci, sous-tend la notion de
fait illicite continu (voir art. 14) et d’obligation de cessation (voir art. 30, al. a)).»187
4.16. En l’espèce, il appert que la Colombie non seulement n’a pas mis un terme à son fait
internationalement illicite, mais a fait ce choix malgré les invitations à discuter des modalités de
l’exécution de l’arrêt que lui a adressées le Nicaragua188. Elle a de surcroît exprimé publiquement
son refus. Ainsi, la Colombie demeure résolument décidée à ne pas exécuter l’arrêt rendu par la
Cour en 2012.
4.17. Dès le 19 novembre 2012, le président colombien indiquait que la Cour «a[vait] rejeté
les revendications de souveraineté du Nicaragua sur [l’]archipel [colombien] [et qu’i]l s’agi[ssait]
d’un arrêt définitif et sans appel»189.
4.18. Néanmoins, soulignant les «omissions, … erreurs, … exagérations et … incohérences»
qui entachaient selon lui l’arrêt, le président Santos affirmait : «Compte tenu de ce qui précède, la
Colombie, représentée par son chef d’Etat, rejette catégoriquement cet aspect de l’arrêt rendu
aujourd’hui par la Cour.»
186 Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, 3 février 2012, C.I.J.
Recueil 2012, p. 153, par. 137. Voir également Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader
(Belgique c. Sénégal), arrêt, 20 juillet 2012, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 461, par. 121 , Chasse à la baleine dans
l’Antarctique (Australie c. Japon ; Nouvelle-Zélande (intervenant)), arrêt, 31 mars 2014, C.I.J. Recueil 2014,
par. 245-246 ou CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires
y relatifs, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 94-96, commentaire relatif
à l’article 30.
187 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 93, paragraphe 2 du commentaire
relatif à l’article 29.
188 Voir : «Le Nicaragua invite Bogotá à constituer des commissions chargées de l’application de l’arrêt de
La Haye», La Opinión, 22 février 2013 (MN, annexe 35). (http://laopinion.com.co/demo/index.php?option=com_
content&task=view&id=414468&Itemid=29.) Voir également note de bas de page 116 supra.
189 «Allocution du président Juan Manuel Santos concernant l’arrêt de la Cour internationale de Justice»,
19 novembre 2012 (MN, annexe 1) (http://wsp.presidencia.gov.colPrensa/2012/NoviembrelPaginas/20121119_02…).
Voir également : «M. Santos qualifie de «grave erreur de jugement» la décision rendue par la CIJ au sujet de
San Andrés», Colombia Reports, 20 novembre 2012 (MN, annexe 25) (http://colombiareports.co/icj-ruling-on-sanandres-
a-serious-judgement-error-santos/) ; «La Cour internationale de Justice attribue davantage d’espaces maritimes au
Nicaragua et les cayes les plus éloignées, à la Colombie», Diálogo, 21 novembre 2012 (MN, annexe 26) (http://dialogoamericas.
com/en_GB/articles/rmisa/features/regional_news/2012/11/21/feature-ex-3687), ou «Crise des Caraïbes : le
Nicaragua peut-il naviguer dans les eaux qu’il a obtenues au détriment de la Colombie ?», Time World,
28 novembre 2012 (MN, annexe 28) (http://world.time.com/2012/11/28/caribbean-crisis-can-nicaragua-navigat…-
won-from-colombia/) ou «La Colombie cesse de reconnaître la compétence de la Cour internationale à cause du
Nicaragua», BBC Royaume-Uni, 28 novembre 2012 (MN, annexe 29) (http://www.bbc.com/news/world-latin-america-
20533659).
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- 58 -
4.19. Et de déclarer, le 28 novembre 2012 :
«J’ai décidé que les intérêts supérieurs de la nation exigeaient que les limites
territoriales et maritimes soient établies par voie de traité, comme il est de tradition en
droit colombien, et non par des arrêts de la Cour internationale de Justice.»190
4.20. En février 2013, le président Santos a très clairement fait savoir qu’il aurait recours à
des moyens militaires pour défendre les prétendus droits des pêcheurs de l’île de San Andrés et des
Raizals, autochtones, alors que le président Ortega avait proposé que les deux pays engagent des
pourparlers en vue d’établir les modalités de l’exécution de l’arrêt, tout en permettant aux Raizals
de continuer à pêcher dans les eaux adjugées au Nicaragua.191
4.21. De nouveau, le 9 septembre 2013, jour de la promulgation du décret présidentiel 1946
portant création d’une «zone contiguë unique», «continue et ininterrompue»192, qui empiète sur la
zone économique exclusive du Nicaragua telle que déterminée par la Cour dans son arrêt de 2012,
et dans laquelle la Colombie revendique le droit de lutter contre les infractions aux lois et de les
réprimer193, le président Santos a déclaré :
«[L]’arrêt de la Cour internationale de Justice n’est pas applicable, et ne le sera
pas, tant qu’un traité protégeant les droits des Colombiens n’aura pas été conclu et
adopté conformément aux prescriptions de notre Constitution.
Et je le redis : sans traité, l’arrêt de la Cour internationale de Justice N’EST
PAS APPLICABLE.»194
4.22. Le 18 septembre 2013, il le réaffirmait : «La Colombie considère que l’arrêt de
La Haye est inapplicable. Et nous n’allons pas l’appliquer, comme nous l’avons dit à l’époque et
comme je le redis aujourd’hui, jusqu’à ce que nous ayons un nouveau traité.»195
190 «Déclaration du président colombien Juan Manuel Santos concernant la dénonciation du pacte de Bogotá»,
Bogotá, 28 novembre 2012 (MN, annexe 2) (http://wsp.presidencia.gov.co/Prensa/2012/Noviembre/Paginas/20121128_
04.aspx).
191 Voir : «Le Nicaragua demande à Bogotá de constituer des commissions chargées de l’application de l’arrêt de
La Haye», La Opinión, 22 février 2013 (MN, annexe 35). (http://laopinion.com.co/demo/index.php?option=com_
content&task=view&id=414468&Itemid=29.)
192 Voir article 5 du décret présidentiel 1946.
193 Ibid.
194 «Déclaration du président Juan Manuel Santos concernant la stratégie globale de la Colombie face à l’arrêt
rendu par la Cour internationale de Justice», 9 septembre 2013 (MN, annexe 4) (http://wsp.presidencia.gov.co/Prensa/
2013/Septiembre/Paginas/20130909_04-Palabras-Santos-Colombia-presenta-su-Estrategia-Integral-frente-al-fallo-de-La-
Haya.aspx ou, pour consulter la vidéo, http://wsp.presidencia.gov.co/Videos/2013/Septiembre/Paginas/
Septiembre.aspx). Voir également «Déclaration du président Juan Manuel Santos lors de manifestations de souveraineté
en mer des Caraïbes», 18 septembre 2013 (MN, annexe 5) (http://wsp.presidencia.gov.co/Prensa/2013/
Septiembre/Paginas/20130918_09-Palabras-Presidente-Juan-Manuel-Santos-durante-ejercicio-soberania-que-cumplio-enel-
Mar-Caribe.aspx ou, pour consulter la vidéo, http://wsp.presidencia.gov.co/Videos/2013/Septiembre/
Paginas/Septiembre.aspx) ; ou «Il est difficile d’accepter l’arrêt de la Cour de La Haye, qui fait l’unanimité contre lui,
déclare Mme María Ángela Holguín, ministre des affaires étrangères de la Colombie», El Colombiano, 25 octobre 2013
(MN, annexe 6) (http://www.elcolombiano.com/BancoConocimiento/F/fallo_de_la_haya_es_dif…
el_pais_entero_esta_en_contra_holguin/fallo_de_la_haya_es_dificil_de_acatar_porque_el_pais_entero_esta_en_contra_
holguin.asp).
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4.23. Le 2 mai 2014, la Cour constitutionnelle colombienne a confirmé la position du
président Santos : elle reconnaissait certes que, «la Colombie ayant accepté la compétence de la
Cour internationale de Justice en vertu de l’article XXXI du pacte, elle ne saurait … passer outre
aux décisions rendues par cette instance», mais ajoutait cette réserve : «étant entendu que lorsque
[c]es décisions … ont trait à des différends frontaliers, elles doivent être incorporées dans le droit
interne au moyen d’un traité dûment approuvé et ratifié conformément aux dispositions de
l’article 101 de la Constitution politique»196, ce qui revenait à subordonner l’exécution de l’arrêt de
la Cour à des conditions totalement extrinsèques.
4.24. Le même jour, le président Santos a confirmé son refus d’exécuter l’arrêt de 2012 en
invoquant la décision de la Cour constitutionnelle colombienne :
«Cet après-midi, au terme d’un examen sérieux et rigoureux, la Cour
constitutionnelle a fait droit à la thèse que nous défendons depuis ce jour de
novembre 2012 où la Cour de La Haye a rendu son arrêt, et dont nous avons tiré toutes
les conséquences en septembre dernier, lorsque j’ai personnellement introduit une
demande visant le pacte de Bogotá.»197
«l’arrêt de la Cour de La Haye ne peut être appliqué qu’après la conclusion d’un
nouveau traité.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Par conséquent, pour notre pays, tant qu’un nouveau traité n’aura pas été signé,
les limites entre la Colombie et le Nicaragua demeureront celles qui ont été établies
dans le traité Esguerra-Barcenas, autrement dit, celles qui existaient avant que la Cour
internationale de Justice ne rende son arrêt.»198
4.25. Le 19 mai 2014, de nouveau,
«[l]e président Juan Manuel Santos a déclaré … que la Colombie ne pouvait exécuter
la décision rendue par la Cour internationale de Justice dans le différend qui l’opposait
195 Voir également, «Déclaration du président Juan Manuel Santos lors de manifestations de souveraineté en mer
des Caraïbes», 18 septembre 2013 (MN, annexe 5) (http://wsp.presidencia.gov.co/Prensa/2013/Septiembre/Paginas/
20130918_09-Palabras-Presidente-Juan-Manuel-Santos-durante-ejercicio-soberania-que-cumplio-en-el-Mar-Caribe.aspx
ou, pour consulter la vidéo, http://wsp.presidencia.gov.co/Videos/2013/Septiembre/Paginas/Septiembre…).
196 République de Colombie, Cour constitutionnelle, Affaire D-9852 AC  Arrêt C-269/14, 2 mai 2014, par. 8.3
(MN, annexe 16).
197 Présidence de la République de Colombie, communiqué de presse, «Les limites entre la Colombie et le
Nicaragua continuent d’être celles qui ont été établies dans le traité Esguerra-Barcenas, déclare le président de la
Colombie», 2 mai 2014 (MN, annexe 7) (http://wsp.presidencia.gov.co/Prensa/2014/Mayo/Paginas/20140502_04-Losl…-
Colombia-Nicaragua-continuan-siendo-establecidos-tratado-Esguerra%E2%80%93Barcenas.aspx.)
198 «Le Nicaragua craint de perdre son espace maritime», Taringa!, 3 mai 2014, (MN, annexe 49)
(http://www.taringa.net/posts/info/17784410/Nicaragua-teme-perder-el-mar…). Voir également «A défaut de nouveau
traité, les limites entre le Nicaragua et la Colombie demeureront les mêmes, déclare le président Santos», W. Radio,
2 mai 2014 (MN, annexe 43) (http://www.wradio.com.co/noticias/actualidad/sin-nuevo-tratado-limites-…-
siguen-siendo-los-mismos-santos/20140502/nota/2205996.aspx). Voir également «Nous devons chercher à
conclure des accords avec le Nicaragua afin d’exécuter la décision de la Cour sans enfreindre notre Constitution, déclare
l’ancien procureur général Carlos Arrieta», RCN Radio, 3 mai 2014 (MN, annexe 44) (http://www.rcnradio.com/
noticias/debemos-buscar-acuerdos-con-nicaragua-para-aplicar-el-fallo-sin-desconocer-la-constitucion#ixzz30lU7zhIs).
Voir également «Un nouveau traité de limites doit être conclu avec le Nicaragua», El Tiempo,
3 mai 2014 (MN, annexe 45) (http://www.prensaescrita.com/adiario.php?codigo=AME&pagina=http://www.e…
.com).
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89
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au Nicaragua au sujet de la délimitation maritime en mer des Caraïbes, car «[elle] ne
pou[vait] modifier [ses] frontières qu’en application de traités internationaux»».
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le président colombien a insisté sur le fait que «l’arrêt [était] inapplicable»,
affirmant : «Nous ne pouvons modifier les frontières de la Colombie qu’en application
d’un nouveau traité ; telle a été ma position depuis que cette décision a été rendue, et
je la maintiens». Le président Santos a souligné qu’il «ne [s]e laisserai[t] pas imposer
ce que, précisément, l’arrêt [de la CIJ] cherchait à imposer».»199
4.26. Dès le 17 juin 2014, peu après sa réélection, le président Santos «a annoncé qu’il
poursuivrait la même politique» :
«Interrogé sur sa position quant à l’application de l’arrêt rendu par la Cour
internationale de Justice de La Haye (CIJ) sur les limites entre la Colombie et le
Nicaragua dans la mer des Caraïbes, l’un des points les plus épineux de sa politique
étrangère, M. Santos a annoncé qu’il poursuivrait la même politique.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
«L’arrêt de La Haye est inapplicable. Les frontières ne peuvent être modifiées
que par voie de traité, c’est ce que dit notre Constitution, et nous devons donc attendre
qu’un tel traité ait été conclu pour pouvoir les modifier», a-t-il ajouté.»200
4.27. Ce même jour fut signé le décret 1119, portant modification du décret 1946 du
9 septembre 2013 et le complétant, et dans lequel il est stipulé «[q]ue la République de Colombie
exerce ses droits sur ses espaces maritimes conformément au droit international»  formule qui
peut prêter à sourire, sachant le peu de cas qu’à l’évidence, et ainsi que démontré au chapitre III
ci-dessus, la Colombie fait du droit international.
4.28. La Colombie a ainsi clairement fait savoir qu’elle ne reconnaîtrait pas les droits à
certains espaces maritimes qui sont ceux du Nicaragua à l’est du 82e méridien : elle soutient que ses
frontières maritimes doivent demeurer «inchangées» :
«[T]ant qu’un nouveau traité n’aura pas été signé, les limites entre la Colombie
et le Nicaragua demeureront celles qui ont été établies dans le traité
Esguerra-Barcenas, autrement dit, celles qui existaient avant que la Cour
internationale de Justice ne rende son arrêt.»201
199 «Le président Santos déclare que la décision de La Haye est inapplicable», El País, 19 mai 2014 (MN,
annexe 47) (http://www.elpais.com.co/elpais/colombia/noticias/santos-afirma-fallo-h…).
200 «Santos garantit la continuité de sa politique extérieure à l’égard de l’Amérique latine», America Economica,
17 juin 2014 (MN, annexe 48) (http://www.americaeconomia.com/politica-sociedad/politica/santos-garant…-
en-su-politica-exterior-con-latinoamerica?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=
Feed%3A+america-economia+(Am%C3%A9rica+Econom%C3%ADa)).
201 «A défaut de nouveau traité, les limites entre la Colombie et le Nicaragua demeureront les mêmes, déclare le
président Santos», W. Radio, 2 mai 2014 (MN, annexe 43) (http://www.wradio.com.co/noticias/actualidad/sin-nuevotratado-
limites-de-colombia-y-nicaragua-siguen-siendo-los-mismos-santos/20140502/nota/2205996.aspx).
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- 61 -
««L’ensemble du territoire, 82e méridien compris, est à la Colombie, et nous
comptons sur vous pour le défendre», a dit Mme Guerrero au chef de l’Etat.»202
4.29. De surcroît, comme cela a été précisé au chapitre II203, la Colombie a «autorisé» les
embarcations privées de ses ressortissants ou de ressortissants d’Etats tiers à naviguer dans la zone
économique exclusive du Nicaragua.
4.30. Le décret 1946 du 19 septembre 2013, dont l’adoption est à l’évidence un défi à
l’autorité de la Cour, est toujours en vigueur.
4.31. Comme l’a expliqué le président Santos au moment de sa promulgation :
«Dans le décret que nous avons pris aujourd’hui, nous réaffirmons également
que, sur le plan juridique, il ne fait aucun doute que le plateau continental de
San Andrés, qui s’étend sur 200 milles marins vers l’est, ne fait qu’un avec celui de la
côte caraïbe de la Colombie, qui s’étend sur au moins 200 milles marins en direction
du nord-ouest et de San Andrés. Nous possédons donc un seul et même plateau
continental de San Andrés jusqu’à Cartagena, sur lequel la Colombie a des droits
souverains qui lui sont reconnus par le droit international et qu’elle entend exercer.
Nous opposons un non catégorique aux ambitions expansionnistes du Nicaragua.»204
L’étendue des revendications colombiennes a été illustrée sur les figures 2.1 et 2.2 plus haut.
4.32. Ces revendications sont incompatibles avec l’arrêt de la Cour et empiètent sur les droits
souverains dont jouit le Nicaragua sur son plateau continental et sa zone économique exclusive, et
cette violation présente un caractère continu.
4.33. Il en va de même de la menace continûment brandie par la Colombie d’avoir recours à
la force pour maintenir une situation qui n’est pas conforme au droit. De nombreux exemples de
telles menaces illicites sont donnés au chapitre II205.
4.34. Et la Colombie a continué d’agiter cette menace pour empêcher le Nicaragua d’exercer
ses droits. Ainsi, le gouverneur de San Andrés a expliqué que «douze frégates [avaient été]
déployées dans la mer territoriale, formant une ligne droite le long du 82e méridien», afin d’exclure
les navires et plates-formes de l’«autre pays» (comprendre : le Nicaragua) de la zone située à
202 «Le président Santos ordonne de défendre par le glaive s’il le faut le plateau continental», El Espectador,
19 septembre 2013 (MN, annexe 41).
203 Voir par. 2.47-2.52.
204 «Déclaration du président Juan Manuel Santos concernant la stratégie globale de la Colombie face à l’arrêt de
la Cour internationale de Justice», 9 septembre 2013 (MN, annexe 4) (http://wsp.presidencia.gov.co/Prensa/2013/
Septiembre/Paginas/20130909_04-Palabras-Santos-Colombia-presenta-su-Estrategia-Integral-frente-al-fallo-de-LaHaya.
aspx ou, pour consulter la vidéo, http://wsp.presidencia.gov.co/Videos/2013/Septiembre/Paginas/Septiembre…).
205 Voir par. 2.24-2.50, ainsi que la liste complète des incidents (MN, annexe 23A-B) ; voir également MN,
annexe 24.
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l’est du 82e méridien206, sur laquelle la Cour a, dans son arrêt, reconnu au Nicaragua des droits
souverains207.
4.35. Quant au président Santos, il a déclaré :
«Que cela soit parfaitement clair : j’ai donné des instructions fermes et précises
à la marine ; les droits historiques de nos pêcheurs seront respectés, quoi qu’il arrive.
Aucun pêcheur n’a besoin de demander à qui que ce soit la permission de pêcher là où
il a toujours pêché…»208
4.36. Le président Santos a également «ordonné au commandant en chef des forces armées
de défendre «par le glaive s’il le fa[llait]» le plateau continental appartenant à la Colombie dans la
mer des Caraïbes»209.
4.37. Le vice-amiral Hernando Wills a réaffirmé que ses forces «se conformeraient aux
ordres donnés par le chef de l’Etat en vue de faire respecter la souveraineté de la Colombie sur
toute la partie de la mer des Caraïbes qui lui appartient».210
4.38. Le commandant en chef des forces navales colombiennes a indiqué que celles-ci étaient
«présentes dans l’archipel de manière permanente, [qu’elles] veillera[ient] au respect des droits des
pêcheurs qui ont toujours exercé leurs activités dans la région, et veilleraient aussi sur la réserve de
biosphère, et toutes les autres ressources des environs», que «[l]es navires de surface, l’aéronavale
et les garde-côtes ser[aient] présents dans la zone sans discontinuer, pour protéger la mer
territoriale et la population, et que ces forces «continuer[aient] d’assurer la sécurité nationale de
manière ferme mais raisonnable».»211
4.39. Il ressort très clairement de tout ce qui précède que le Nicaragua est victime de faits
illicites continus attribuables à la Colombie, c’est-à-dire de faits qui, d’après la définition qu’en
donne la CDI, ont «commencé mais n’[ont] pas été achevé[s] au moment considéré»212.
206 «Le gouverneur prend part à une patrouille autour du 82e méridien», RCN Radio, 20 août 2013 (MN,
annexe 37) (http://www.rcnradio.com/noticias/gobernadora-participo-en-patrullaje-en…
ixzz32wGEwvTd).
207 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, 19 novembre 2012, C.I.J., Recueil 2012,
p. 705, par. 219-220.
208 «Déclaration du président Juan Manuel Santos au sommet des gouverneurs tenu à San Andrés»,
18 février 2013 ; les italiques sont de nous (MN, annexe 3) (http://wsp.presidencia.gov.colPrensa/2013/FebrerolPaginas/
2013021809.aspx).
209 «Le président Santos ordonne de défendre par le glaive s’il le faut le plateau continental», El Espectador,
19 septembre 2013 (MN, annexe 41) (http://www.elespectador.com/noticias/politica/santos-ordena-defender-pl…-
capa-y-es-articulo-447445).
210 Ibid.
211 «Nous continuerons d’assurer la sécurité nationale de manière ferme mais raisonnable, déclare le commandant
Wills aux étudiants de l’école militaire», 21 mars 2014 (MN, annexe 42) (http://www.esdegue.mil.co/node/4083).
212 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 63, paragraphe 5 du commentaire
relatif à l’article 14.
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4.40. Il ne fait en effet aucun doute que les violations brièvement rappelées ici présentent
toutes un caractère continu :
 cela est vrai du refus continu, récemment réaffirmé par la Colombie, de se conformer sans
conditions à l’arrêt de 2012 ; ainsi que le relevait la CDI, «[l]a cessation s’applique… à tous
les faits illicites qui se prolongent dans le temps, «que le comportement de l’Etat auteur soit
une action ou une omission …puisqu’il peut y avoir cessation dans une abstention
d’agir…»213»214 ; c’est de ce cas de figure que relève le refus de la Colombie de se conformer à
l’arrêt de la Cour ;
 il en va de même du refus de la Colombie de reconnaître les droits maritimes du Nicaragua
dans les espaces relevant de sa zone économique exclusive et de son plateau continental ; parmi
les exemples de violations continues, la CDI mentionne le «maintien en vigueur de dispositions
législatives incompatibles avec les obligations conventionnelles de l’Etat qui les a
promulguées»215, mais l’on pourrait également citer le maintien en vigueur de dispositions
législatives incompatibles avec une règle coutumière ou une décision judiciaire ou arbitrale, ou
les permis octroyés de façon illicite  ce qui est précisément le cas avec l’adoption du
décret 1946 et le maintien en vigueur des lois no 10 de 1978 et no 47 de 1993 ; et
 la menace du recours à la force est un exemple de fait illicite continu par excellence216 ; mais le
constat formulé ci-dessus est aussi vrai parce que la notion de violation continue telle
qu’employée à l’article 30 des articles de la CDI «englobe également les situations dans
lesquelles un Etat a violé une obligation à plusieurs occasions, ce qui implique un risque de
répétition»217.
4.41. Sur ces trois fondements, le Nicaragua prie la Cour de déclarer que la Colombie doit
immédiatement mettre un terme à son comportement internationalement illicite et s’abstenir de tout
fait ou de toute menace de recours à la force allant à l’encontre des obligations que lui imposent les
règles coutumières du droit de la mer telles que réaffirmées par la Cour dans son arrêt.
4.42. En faisant droit à cette demande, la Cour se conformerait à sa jurisprudence récente.
Dans l’avis consultatif qu’elle a rendu 9 juillet 2004 en l’affaire des Conséquences juridiques de
l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, elle avait en effet dit ce qui suit :
«Israël est dans l’obligation de mettre un terme aux violations du droit
international dont il est l’auteur ; il est tenu de cesser immédiatement les travaux
d’édification du mur qu’il est en train de construire dans le territoire palestinien
occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, de démanteler
immédiatement l’ouvrage situé dans ce territoire et d’abroger immédiatement ou de
213 Note de bas de page 456 : «Rainbow Warrior, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XX
(1990), p. 270, par. 113.»
214 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 94, paragraphe 2 du commentaire
relatif à l’article 30.
215 Ibid., p. 63, paragraphe 3 du commentaire relatif à l’article 14.
216 Voir par exemple : ibid., p. 64-65, par. 13 et note de bas de page 265.
217 Ibid., p. 94, paragraphe 3 du commentaire relatif à l’article 30.
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95
- 64 -
priver immédiatement d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires qui s’y
rapportent.»218
4.43. De même, en l’espèce, la Colombie est tenue de mettre un terme aux violations
continues du droit international dont elle est l’auteur et le Nicaragua prie formellement la Cour de
statuer en ce sens.
B. LA COLOMBIE DOIT RÉTABLIR LE STATU QUO ANTE
4.44. «La question de la cessation est souvent étroitement liée à celle de la réparation et en
particulier de la restitution.»219 La jurisprudence précitée illustre la difficulté qu’il y a à bien
distinguer ces deux conséquences d’un fait internationalement illicite.
4.45. Comme l’a exposé la Commission du droit international, «[c]onformément à
l’article 34, la restitution est la première forme de réparation à laquelle peut prétendre un Etat lésé
par un fait internationalement illicite»220.
«Article 35
Restitution
L’Etat responsable du fait internationalement illicite a l’obligation de procéder à
la restitution consistant dans le rétablissement de la situation qui existait avant que le
fait illicite ne soit commis, dès lors et pour autant qu’une telle restitution :
a) N’est pas matériellement impossible ;
b) N’impose pas une charge hors de toute proportion avec l’avantage qui dériverait de
la restitution plutôt que de l’indemnisation.»
4.46. Dans la mesure où le préjudice subi par le Nicaragua est de nature morale ou juridique,
une restitutio in integrum peut difficilement être considérée comme permettant de le réparer
intégralement. Reste que, comme l’a indiqué la Commission,
«la restitution n’est pas impossible uniquement du fait de difficultés juridiques ou
pratiques, même si l’Etat responsable peut avoir à faire des efforts particuliers pour les
surmonter. Conformément à l’article 32, l’Etat responsable ne peut pas se prévaloir
des dispositions de son droit interne pour justifier un manquement à l’obligation de
réparation intégrale, et de simples obstacles d’ordre politique ou administratif ne
sauraient constituer une impossibilité de procéder à la restitution.»221
218 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, C.I.J. Recueil 2004,
avis consultatif, p. 201, par. 163, point 3) B) — les italiques sont de nous. Voir Chasse à la baleine dans l’Antarctique
(Australie c. Japon ; Nouvelle-Zélande (intervenant)), arrêt, 31 mars 2014, C.I.J., par. 245 (cité ci-dessous, par. 4.51) et
par. 247, point 7).
219 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 95, paragraphe 7 du commentaire de
l’article 30.
220 Ibid., p. 102-103, paragraphe 1 du commentaire de l’article 35.
221 Ibid., p. 104, paragraphe 8 du commentaire de l’article 35.
96
- 65 -
4.47. Cela signifie que, contrairement à ce qu’elle ne cesse de répéter222, la Colombie ne
peut, en l’espèce, s’abriter derrière son droit national pour se soustraire à sa responsabilité : «[a]u
regard du droit international et de la Cour qui en est l’organe, les lois nationales sont de simples
faits»223. Au contraire, il lui faut abroger celles de ses dispositions législatives ou règlementaires
qui vont à l’encontre de la décision de la Cour, et sa Constitution n’échappera pas à la règle224.
4.48. Du reste, les précédents ne manquent pas à cet égard. Dans l’affaire du Statut juridique
du Groënland oriental, la Cour permanente avait jugé que «la promulgation de
l’occupation … ainsi que toute mesure prise à cet égard par le Gouvernement norvégien
constitu[aient] une infraction à l’état juridique existant et, par conséquent, [étaient] illégales et non
valables»225.
4.49. Dans l’affaire des Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, la Cour
permanente avait dit que la France
«d[evait] reculer sa ligne de douanes conformément aux stipulations desdits traités et
actes [établissant le régime douanier et économique des zones franches de la
Haute-Savoie et du Pays de Gex], ce régime devant rester en vigueur tant qu’il
n’aura[it] pas été modifié par l’accord des Parties»226.
4.50. Dans l’affaire de la Société Radio-Orient, le tribunal arbitral avait, dans sa sentence du
2 avril 1940,
«2. [o]rdonn[é], à partir de 6 semaines après la date de la présente sentence, la
révocation de l’instruction par laquelle l’Administration des Télégraphes égyptienne
a[vait], le 16 avril 1935, interdit aux bureaux télégraphiques égyptiens d’accepter des
télégrammes à acheminer par les routes de la Société «Radio-Orient»»227.
4.51. Dans l’affaire de la Chasse à la baleine, la Cour internationale de Justice a quant à elle
constaté
«que JARPA II [le programme japonais de recherche déclaré illicite par la Cour]
[était] toujours en cours et que, dans ces circonstances, des mesures allant au-delà
222 Voir ci-dessus par. 2.19.
223 Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, fond, arrêt no 7, 1926, C.P.J.I. série A no 7, p. 19 ;
voir également Vapeur Wimbledon, arrêts, 1923, C.P.J.I. série A no 1, p. 29-30 ; «Communautés» gréco-bulgares, avis
consultatif, 1930, C.P.J.I. série B no 17, p. 32 ou Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de
l’accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l’Organisation des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1988,
p. 34-35.
224 Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d’origine ou de langue polonaise dans le territoire
de Dantzig, avis consultatif, 1932, C.P.J.I. série A/B no 44, p. 24. Voir également, Réclamations des Etats-Unis
d’Amérique contre la Grande-Bretagne relatives à l’Alabama, Sentence rendue le 14 septembre 1872 par le tribunal
d’arbitrage constitué en vertu de l’article I du Traité de Washington du 8 mai 1871, Recueil des sentences arbitrales,
vol. XXIX, p. 125.
225 Statut juridique du Groënland oriental, arrêt, 1933, C.P.J.I. série A/B no 53, p. 75.
226 Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, arrêt, 1932, C.P.J.I. série A/B no 46, p. 172.
227 Affaire de la Société Radio-Orient (États du Levant sous mandat français c. Égypte), sentence, 2 avril 1940,
Recueil des sentences arbitrales, vol. III, p. 1881. (“2nd Orders, from 6 weeks after the date of this Award, the
revocation of the instruction by which, on 16 April 1935, the Egyptian Telegraphs Administration prohibited the
Egyptian telegraph offices from accepting telegraphs to be forwarded through the routes of the "Radio Orient"
Company”).
97
- 66 -
d’un jugement déclaratoire s’impos[aient et qu’e]lle ordonnera[it] donc au Japon de
révoquer tout permis, autorisation ou licence déjà délivré pour mettre à mort, capturer
ou traiter des baleines dans le cadre de JARPA II, et de s’abstenir d’accorder tout
nouveau permis en vertu du paragraphe 1 de l’article VIII de la convention au titre de
ce programme.»228
4.52. Dans toutes ces affaires, l’Etat défendeur s’est vu ordonner d’abroger ses lois et
règlements. Et il convient de même, en l’espèce, d’ordonner à la Colombie d’abroger ses lois,
règlements et résolutions qui sont incompatibles avec l’arrêt de la Cour, y compris les dispositions
des lois no 10 de 1978 et no 47 de 1993 et des décrets 1946 et 1119229 qui s’appliquent à des espaces
maritimes reconnus comme relevant de la juridiction ou des droits souverains du Nicaragua.
4.53. L’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle de la Colombie le 2 mai 2014 ne saurait
permettre à cet Etat d’échapper aux conséquences des faits internationalement illicites dont il est
l’auteur. Il relève en effet de son droit interne230 et, partant, ne constitue qu’un «simple fait … [a]u
regard du droit international et de la Cour qui en est l’organe»231. Faire droit aux prétentions de la
Colombie reviendrait à admettre «qu’un jugement national p[uisse] infirmer indirectement un arrêt
rendu par une instance internationale, ce qui est impossible»232.
4.54. Et l’on remarquera que, si les diverses juridictions internationales se sont abstenues
d’invalider les décisions judiciaires nationales, elles n’ont, en revanche, pas hésité à ordonner aux
Etats intéressés de mettre eux-mêmes à néant ces décisions dès lors qu’elles les tenaient pour
constitutives de violations du droit international. Contentons-nous de quelques exemples.
4.55. Dans l’affaire Martini, le tribunal arbitral avait
«3) décid[é] qu’en raison de l’attitude ainsi prise par la Cour Fédérale et de Cassation
vis-à-vis de la Maison Martini & Cie dans ledit procès, le Gouvernement
vénézuélien [était] tenu de reconnaître, à titre de réparation, l’annulation des
obligations de paiement, imposées à la Maison Martini & Cie...»233
228 Voir Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon ; Nouvelle-Zélande (intervenant)), arrêt du
31 mars 2014, par. 244 et 247 7). Voir également Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire
palestinien occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 201, par. 163 3) B), cité ci-dessus au
paragraphe 4.42.
229 En ce qui concerne l’illicéité de ces règlements, voir ci-dessus, chap. III, section B.
230 La CDI écrivait à cet égard :
«En ce qui concerne la terminologie, … dans la version française, l’expression «droit interne» est
préférée à «législation interne» et à «loi interne» parce qu’elle couvre toutes les dispositions de l’ordre
juridique interne, que celles-ci soient écrites ou non écrites, ou qu’elles prennent la forme de règles
constitutionnelles ou législatives, de décrets ou de décisions judiciaires.» (Projet d’articles sur la
responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, Annuaire de la
Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 39, paragraphe 9 du commentaire de
l’article 3).
231 Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, fond, arrêt no 7, 1926, C.P.J.I. série A no 7, p. 19.
232 Usine de Chorzów, fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A no 17, p. 33.
233 Affaire Martini (Italie c. Venezuela), sentence, 3 Mai 1930, Recueil des sentences arbitrales, vol. II, p. 1002,
point 3 du dispositif ; (“3) Decides that due to the attitude thus taken by the Federal and Supreme Court and Supreme
vis-à-vis the Martini & Cie House in the said trial, the Venezuelan Government is required to recognize as compensation,
the cancellation of the payment obligations imposed on the Martini & Cie House.”)
98
99
- 67 -
4.56. Dans le même esprit, deux arrêts récents de la Cour internationale de Justice méritent
également d’être cités. Dans l’affaire du Mandat d’arrêt opposant la RDC et la Belgique, la Cour a
dit (dans le dispositif de son arrêt), «que [la] Belgique d[evait], par les moyens de son choix, mettre
à néant le mandat en question et en informer les autorités auprès desquelles ce mandat a[vait] été
diffusé»234.
4.57. De la même façon, dans l’arrêt qu’elle a rendu le 3 février 2012 en l’affaire relative aux
Immunités juridictionnelles de l’Etat (et, là aussi, dans le dispositif), la Cour a dit
«que la République italienne dev[ait], en promulguant une législation appropriée ou en
recourant à toute autre méthode de son choix, faire en sorte que les décisions de ses
tribunaux et celles d’autres autorités judiciaires qui contrev[enaient] à l’immunité
reconnue à la République fédérale d’Allemagne par le droit international soient
privées d’effet»235.
4.58. Mutatis mutandis, si la Colombie devait se prévaloir de la décision de sa Cour
constitutionnelle pour faire échec à l’application de l’arrêt de 2012, elle devrait se voir ordonner de
prendre toutes les mesures nécessaires pour obtenir l’annulation de cette décision ainsi que ses
dispositions de son droit interne, y compris les décrets 1946 et 1119.
C. LA COLOMBIE A L’OBLIGATION D’INDEMNISER LE NICARAGUA POUR LES DOMMAGES
SUSCEPTIBLES D’ÉVALUATION FINANCIÈRE QU’ELLE LUI A CAUSÉS
4.59. Il ressort clairement de l’article 34 des Articles de la CDI adoptés en 2001236 qu’
«il ne peut y avoir réparation intégrale, dans des cas particuliers, qu’en associant
différentes formes de réparation. Par exemple, le rétablissement de la situation qui
prévalait avant la violation peut ne pas suffire à constituer une réparation intégrale si
le fait illicite a causé un dommage matériel supplémentaire (par exemple, un préjudice
découlant de la perte d’usage du bien saisi de façon illicite). Pour «effacer» toutes les
conséquences du fait illicite, il peut donc être nécessaire de faire jouer toutes les
formes de réparation ou certaines d’entre elles, en fonction du type et de l’ampleur du
préjudice qui a été causé.»237
Tel est le cas en la présente affaire. Même lorsque le statu quo ante aura été rétabli  pour autant
qu’il puisse l’être , le Nicaragua et ses citoyens n’en auront pas moins subi des dommages
matériels et moraux qui ne seront pas réparés par des mesures destinées à recréer une situation
conforme à l’arrêt. La restitution devra donc être «complétée par une indemnisation afin d’assurer
l’intégralité de la réparation du dommage causé…»238 La forme de réparation qu’appelle le
préjudice moral et juridique causé au Nicaragua a par ailleurs déjà été examinée dans le présent
chapitre.
234 Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002,
p. 33, par. 78 3).
235 Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, 3 février 2012,
C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 155, par. 139 4).
236 Voir le texte dudit article reproduit au paragraphe 4.5 ci-dessus.
237 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 102, paragraphe 2 du commentaire
de l’article 34.
238 Ibid., p. 103, paragraphe 2 du commentaire de l’article 35.
100
- 68 -
4.60. S’agissant du préjudice matériel, l’article 36 des Articles de la CDI prévoit ce qui suit :
«1. L’Etat responsable du fait internationalement illicite est tenu d’indemniser le
dommage causé par ce fait dans la mesure où ce dommage n’est pas réparé par la
restitution.
2. L’indemnité couvre tout dommage susceptible d’évaluation financière, y compris
le manque à gagner dans la mesure où celui-ci est établi.»
4.61. En la présente affaire, une indemnisation est due au titre du manque à gagner qui
découle de la menace ou de l’emploi de la force auxquels la marine colombienne a recouru à
l’égard de bateaux de pêche nicaraguayens et de navires battant pavillon étranger détenteurs d’un
permis de pêche délivré par le Nicaragua, ainsi que de l’exploitation des eaux nicaraguayennes par
des bateaux de pêche opérant en vertu d’«autorisations» délivrées de manière illicite par la
Colombie.
4.62. Il s’agit là, sans aucun doute, de préjudices ouvrant droit à indemnisation, ainsi qu’il
ressort notamment de l’Affaire du navire «Saiga» dont a eu à connaître le Tribunal international du
droit de la mer (TIDM). Dans cette affaire, le Tribunal a ordonné, en faveur de
Saint-Vincent-et-les-Grenadines, le versement par la Guinée d’une indemnisation (avec intérêts),
au motif, notamment, que celle-ci avait procédé, de manière abusive, à l’arraisonnement du Saiga,
immatriculé à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, à son immobilisation et à la détention des membres
de son équipage239. De la même manière, dans l’arrêt qu’il a rendu le 14 avril 2014 en l’Affaire du
navire «Virginia G», le Tribunal s’est dit
«d’avis que, compte tenu de ses conclusions et conformément à sa jurisprudence
précitée, le Panama, en l[’]espèce, a[vait] droit à des réparations à raison du préjudice
qu’il a[vait] subi. Le Panama a[vait] également droit à des réparations pour les
dommages ou autres pertes subis par le «Virginia G», y compris toutes les personnes
et entités impliquées dans son activité ou ayant des intérêts liés à cette activité, du fait
de la confiscation du navire et de sa cargaison.»240
4.63. La Colombie est tenue d’indemniser le Nicaragua parce que les menaces et
revendications publiques formulées par ses plus hautes autorités civiles et ses forces navales ont
détourné et détournent encore l’investissement de la région. L’indemnisation est ainsi due au titre,
notamment, du manque à gagner résultant de l’emploi de la force et des menaces auxquels a
recouru la marine colombienne à l’égard des bateaux de pêche nicaraguayens ou de navires
étrangers titulaires de permis délivrés par le Nicaragua, dans le cadre des incidents déjà
mentionnés, encore que non exhaustivement. Ainsi qu’il ressort clairement du paragraphe 2 de
l’article 36 des Articles de la CDI241, il est admis que le manque à gagner ouvre droit à
indemnisation242 ; cela s’applique, en l’espèce, aux pertes réelles subies par les pêcheurs
nicaraguayens et les pêcheurs étrangers titulaires de permis délivrés par le Nicaragua du fait, non
239 TIDM, Affaire du navire «Saiga» (no 2) (Saint-Vincent-et-les-Grenadines c. Guinée), arrêt du 1er juillet 1999,
par. 183.
240 TIDM, Affaire du navire «Virginia G» (Panama/Guinée-Bissau), arrêt du 14 avril 2014, par. 434. Voir
également par. 452 (dispositif).
241 Voir par. 4.60 ci-dessus.
242 Voir notamment : Affaire des navires Cape Horn Pigeon, James Hamilton Lewis, C. H. White et Kate and
Anna, Recueil des sentences arbitrales, vol. IX, p. 65 ; ou Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de Chorzów),
arrêt no 11, 1927, C.P.J.I. série A no 17, p. 53.
101
102
- 69 -
seulement de la confiscation des prises, mais également de l’impossibilité pour eux d’atteindre les
lieux de pêche en raison des menaces colombiennes, auxquelles s’ajoute encore le manque à gagner
qui en a découlé pour l’Etat nicaraguayen. L’on se trouve ici dans un cas typique de
«demandes d’indemnisation pour manque à gagner du fait de la perte de la jouissance
temporaire de l’actif productif de revenus243. Dans ce cas, le titre de propriété n’est
pas en jeu et, par conséquent, la perte donnant lieu à indemnisation pendant la période
considérée correspond au revenu auquel le requérant avait droit en vertu d’une
possession non contestée.»244
4.64. Le Nicaragua demande par ailleurs que le montant de l’indemnisation soit établi lors
d’une phase distincte de la procédure, ainsi qu’il est d’usage dans les affaires et les situations de ce
type245.
4.65. L’indemnisation se distingue de la restitution, ainsi que de la satisfaction :
 «Même lorsque la restitution est possible, elle peut être insuffisante pour assurer la
réparation intégrale. L’indemnisation a pour rôle de combler les lacunes
éventuelles, de manière à assurer une réparation complète des préjudices
subis246.»247
 «Par comparaison avec la satisfaction, l’indemnisation a pour fonction de
remédier aux pertes effectives subies en conséquence du fait internationalement
illicite. Autrement dit, l’article 36 vise simplement l’indemnisation comme son
titre l’indique. L’indemnisation correspond au dommage susceptible d’évaluation
financière subi par l’Etat lésé ou ses ressortissants.»248
243 Note de bas de page no 571 du projet d’articles de la CDI :
«Nombre des affaires anciennes dans lesquelles une indemnité pour manque à gagner a été
accordée concernaient des navires arraisonnés et immobilisés. Dans l’affaire du Montijo, où un navire
américain avait été arraisonné au Panama, le surarbitre a octroyé une somme d’argent par journée
d’utilisation du navire perdue : Moore, International Adjudications, vol. V, New York, Oxford University
Press, 1933, p. 113.»
244 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 112, paragraphe 29 du commentaire
de l’article 36.
245 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt,
C.I.J. Recueil 1980, p. 44-45, point 6) du dispositif. Voir également Compétence en matière de pêcheries (République
fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 204-206, par. 76-77 ; Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986,
p. 142-143, par. 284 ; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 257, par. 260 ; Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique
du Congo), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 691-692, par. 164.
246 Note de bas de page no 913 : Usine de Chorzów, fond, arrêt no 11, 1927, p. 47 et 48».
247 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 109, paragraphe 3 du commentaire
de l’article 36.
248 Ibid., p. 99, paragraphe 4 du commentaire de l’article 36.
103
- 70 -
D. LE NICARAGUA EST EN DROIT D’OBTENIR DES GARANTIES APPROPRIÉES
DE NON-RÉPÉTITION DES FAITS INTERNATIONALEMENT
ILLICITES COMMIS PAR LA COLOMBIE
4.66. Outre que la Colombie doit mettre fin au fait internationalement illicite et s’acquitter
des obligations qu’elle n’a pas honorées, il apparaît clairement en l’espèce que les circonstances
exigent qu’elle «offr[e] des assurances et des garanties de non-répétition appropriées»249.
4.67. Dans son commentaire de l’article 30, la CDI a exposé ce qui suit :
«Un Etat peut chercher à obtenir des assurances ou garanties de non-répétition
par voie de satisfaction (par exemple abrogation d’une loi qui a permis à la violation
de se produire) et les deux formes de réparation se recouvrent donc dans la pratique.
Il vaut mieux toutefois considérer les assurances ou garanties de non-répétition
comme un aspect du maintien et du rétablissement de la relation juridique à laquelle la
violation a porté atteinte. Lorsqu’un Etat lésé cherche à obtenir des assurances et
garanties de non-répétition, c’est essentiellement pour renforcer une relation juridique
continue et l’accent est mis sur le respect futur d’une obligation et non pas sur sa
violation passée.»250
4.68. Le Nicaragua a bien conscience du «caractère plus ou moins exceptionnel de[s]
mesures»251 sollicitées, mais la présente affaire se prête manifestement à un traitement
exceptionnel. L’on est bien loin des circonstances de l’affaire Avena, où la Cour avait refusé
d’accorder les garanties de non-répétition sollicitées par le Mexique au motif que «les Etats-Unis
[avaient] mené une action intensive pour faire en sorte que» la violation dénoncée par le Mexique
ne se reproduise pas252, ou encore de l’affaire République démocratique du Congo c. Ouganda, où
la Cour avait noté que «les engagements pris par l’Ouganda en vertu de l’accord tripartite
satisf[aisaient] à la demande de la RDC tendant à obtenir des garanties et assurances de
non-répétition spécifiques»253.
4.69. Au contraire, en la présente instance, la Colombie a à plusieurs reprises exprimé la
ferme intention de persister dans son comportement illicite254, et ce, malgré la vive condamnation
de la communauté internationale.
4.70. Compte tenu de l’extrême gravité des violations qu’elle a commises et de sa
détermination si ouvertement exprimée à ne rien changer à son comportement, des garanties et
assurances expresses de non-répétition s’imposent.
249 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 94, art. 30.
250 Ibid., p. 96, paragraphe 11 du commentaire de l’article 30.
251 Ibid., paragraphe 13 du commentaire de l’article 30.
252 Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I),
p. 68-69, par. 149.
253 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 26, par. 257 ; voir également : LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 512-513, par. 123-124.
254 Voir par. 2.15-2.21 ci-dessus.
104
- 71 -
4.71. En l’affaire des Activités armées, la RDC avait demandé
«que l’Ouganda fasse «une déclaration solennelle selon laquelle il renon[çait] à
renouveler une politique attentatoire à la souveraineté de la République démocratique
du Congo et aux droits de sa population» ; [et] « … que des instructions spécifiques en
ce sens [fussent] données par les autorités ougandaises à leurs agents».»255
La Cour avait rejeté ces demandes, estimant qu’
«un Etat, en s’engageant par un accord international à respecter la souveraineté et
l’intégrité territoriale des autres Etats parties à celui-ci (obligation qui lui incombe
également au regard du droit international général), et en s’engageant à coopérer avec
eux afin de se conformer à une telle obligation, est clairement tenu, sur le plan
juridique, de ne plus commettre d’actes illicites. De l’avis de la Cour, les
engagements pris par l’Ouganda en vertu de l’accord tripartite satisfont à la demande
de la RDC tendant à obtenir des garanties et assurances de non-répétition spécifiques.
La Cour attend et exige des Parties qu’elles se conforment aux obligations qui leur
incombent en vertu de cet accord et du droit international général.»256
4.72. Toutefois, en la présente espèce, la situation est tout autre, et elle est même
diamétralement opposée : la Colombie a déclaré à plusieurs reprises que, tant qu’un nouveau traité
ne serait pas signé, elle ne se conformerait pas à l’arrêt de 2012, ce qui revient à remettre en
question la décision de la Cour257.
4.73. Ainsi que cela a été mentionné, il découle clairement de ce qui précède que, pour
autant que pareille démarche ait un sens, une demande tendant à obtenir des garanties de
non-répétition de faits internationalement illicites, s’impose dans les circonstances de la présente
affaire.
255 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 255, par. 255.
256 Ibid., p. 256, par. 257.
257 Voir par. 2.17 ci-dessus.
105
- 72 -
CONCLUSIONS
1. Pour les motifs exposés dans le présent mémoire, la République du Nicaragua prie la Cour
de dire et juger que, par son comportement, la République de Colombie :
a) a manqué à l’obligation lui incombant de ne pas violer les espaces maritimes du Nicaragua tels
que délimités au paragraphe 251 de l’arrêt rendu par la Cour le 19 novembre 2012, ainsi que les
droits souverains et la juridiction du Nicaragua sur lesdits espaces ;
b) a manqué à l’obligation lui incombant en vertu du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des
Nations Unies et du droit international coutumier de s’abstenir de recourir à la menace ou à
l’emploi de la force ;
c) se trouve, partant, tenue d’effacer les conséquences juridiques et matérielles de ses faits
internationalement illicites, et de réparer intégralement le préjudice causé par ces faits.
2. Le Nicaragua prie également la Cour de dire et juger que la Colombie doit :
a) cesser tous ses faits internationalement illicites de caractère continu portant atteinte ou
susceptibles de porter atteinte aux droits du Nicaragua ;
b) dans toute la mesure du possible, rétablir le statu quo ante, en
i) abrogeant les lois et règlements promulgués par elle qui sont incompatibles avec l’arrêt
rendu par la Cour le 19 novembre 2012, notamment les dispositions des décrets 1946 du
9 septembre 2013 et 1119 du 17 juin 2014 relatives aux zones maritimes qui ont été
reconnues comme relevant de la juridiction ou des droits souverains du Nicaragua ;
ii) révoquant les permis délivrés à des navires de pêche opérant dans les eaux
nicaraguayennes ; et
iii) faisant en sorte que ni la décision rendue le 2 mai 2014 par la Cour constitutionnelle de la
Colombie ni aucune autre décision rendue par une autorité nationale n’empêche
l’exécution de l’arrêt rendu par la Cour le 19 novembre 2012 ;
c) l’indemniser au titre de l’ensemble des dommages causés dans la mesure où ceux-ci ne sont pas
réparés par la restitution, y compris le manque à gagner résultant, d’une part, des pertes
d’investissements qu’ont entraînées les déclarations à caractère comminatoire faites par les plus
hautes autorités colombiennes et le recours, par les forces navales colombiennes, à la menace
ou à l’emploi de la force à l’encontre de navires de pêche nicaraguayens [ou de navires
explorant ou exploitant le sol et le sous-sol du plateau continental du Nicaragua] et de navires
de pêche d’Etats tiers détenteurs d’un permis délivré par le Nicaragua, et, d’autre part, de
l’exploitation des eaux nicaraguayennes par des navires de pêche agissant en vertu d’une
«autorisation» illicite de la Colombie, le montant de l’indemnité devant être déterminé lors
d’une phase ultérieure de la procédure ;
d) donner des garanties appropriées de non-répétition de ses faits internationalement illicites.
La Haye, le 3 octobre 2014.
L’agent de la République du Nicaragua,
(Signé) Carlos J. ARGÜELLO-GÓMEZ.
___________
107
108
- 73 -
ATTESTATION
J’ai l’honneur de certifier que le présent mémoire et les documents y annexés sont des copies
exactes et conformes des documents originaux et que leur traduction anglaise établie par la
République du Nicaragua est exacte.
La Haye, le 3 octobre 2014.
L’agent de la République du Nicaragua,
(Signé) Carlos J. ARGÜELLO-GÓMEZ.
___________
109
- 74 -
LISTE DES ANNEXES
TABLE DES MATIÈRES
Annexe Document Page
1 Allocution du président Juan Manuel Santos concernant l’arrêt de la
Cour internationale de Justice, 19 novembre 2012
78
2 Déclaration du président Juan Manuel Santos concernant la dénonciation du
pacte de Bogotá, 28 novembre 2012
79
3 Déclaration du président Juan Manuel Santos au sommet des gouverneurs
tenu à San Andrés, 18 février 2013
80
4 Déclaration du président Juan Manuel Santos concernant la stratégie
globale de la Colombie face à l’arrêt de la Cour internationale de Justice,
9 septembre 2013
81
5 Déclaration du président Juan Manuel Santos lors des manifestations de
souveraineté en mer des Caraïbes, 18 septembre 2013
86
6 «Il est difficile d’accepter l’arrêt de la Cour de La Haye, qui fait
l’unanimité contre lui, déclare Mme María Ángela Holguín, ministre des
affaires étrangères de la Colombie», El Colombiano, 25 octobre 2013
88
7 Présidence de la République de Colombie, communiqué de presse, «Les
limites entre la Colombie et le Nicaragua continuent d’être celles qui ont
été établies dans le traité Esguerra-Barcenas, déclare le président de la
Colombie», 2 mai 2014
89
8 Loi colombienne no 10 sur les espaces maritimes, 4 août 1978,
Diario Oficial no 34077 du 18 août 1978
90
9 Décret présidentiel 1946 du 9 septembre 2013 91
10 Carte présentée par le président Juan Manuel Santos, 9 septembre 2013 97
11 Bureau du gouverneur, département de San Andrés, Providencia et
Santa Catalina, résolution no 005081, 22 octobre 2013
98
12 Bureau du contrôleur général du département de l’archipel de San Andrés,
Providencia et Santa Catalina, Rapport de 2013 sur l’état des ressources
naturelles et de l’environnement
98
13 Décret présidentiel 1119 du 17 juin 2014 99
14 DIMAR, résolution no 0305 de 2014, 25 juin 2014 102
15 Demande visant les articles XXXI et L du pacte de Bogotá introduite par le
président Juan Manuel Santos devant la Cour constitutionnelle,
D-9907, 12 septembre 2013
103
- 75 -
Annexe Document Page
16 République de Colombie, Cour constitutionnelle, affaire
D-9852 AC  arrêt C-269/14, 2 mai 2014 (extraits)
119
17 Note diplomatique du 13 septembre 2014 adressée à l’ambassade des
Etats-Unis d’Amérique par le ministère des affaires étrangères du
Nicaragua
124
18 Note diplomatique en date du 13 septembre 2014 adressée au ministère des
affaires étrangères de la Colombie par le ministère des affaires étrangères
du Nicaragua
124
19 Lettre en date du 27 novembre 2012 adressée au secrétaire général de
l’Organisation des Etats américains par la Colombie (GACIJ no 79357)
125
20 Lettre du 6 janvier 2014 adressée au directeur exécutif de l’institut de pêche
nicaraguayen par le président de la chambre de la pêche du Nicaragua
126
21 Lettre en date du 1er juillet 2014 adressée au directeur exécutif de l’institut
de pêche nicaraguayen par le président de la chambre de la pêche du
Nicaragua
126
22 Lettre en date du 24 juillet 2014 adressée au directeur exécutif de l’institut
de pêche nicaraguayen par le président de la chambre de la pêche du
Nicaragua
126
23-A Lettre en date du 26 août 2014 adressée au ministère des affaires étrangères
par la marine nicaraguayenne rendant compte d’incidents avec les forces
navales colombiennes dans la zone économique exclusive du Nicaragua
127
23-B Transcription d’enregistrements audio 203
24 Localisation des incidents signalés dans la zone de Luna Verde 215
25 «M. Santos qualifie de «grave erreur de jugement» la décision rendue par la
CIJ au sujet de San Andrés», Colombia Reports, 20 novembre 2012
215
26 La Cour internationale attribue davantage d’espaces maritimes au
Nicaragua et les cayes les plus éloignées, à la Colombie», Dialogo,
21 novembre 2012
215
27 Message adressé par le président Daniel au peuple nicaraguayen,
El 19 Digital, 26 novembre 2012
216
28 «Crise des Caraïbes : le Nicaragua peut-il naviguer dans les eaux qu’il a
obtenues au détriment de la Colombie ?», Time World, 28 novembre 2012
219
29 «La Colombie cesse de reconnaître la compétence de la Cour internationale
à cause du Nicaragua», BBC United Kingdom, 28 novembre 2012
219
30 «La ministre des affaires étrangères de la Colombie qualifie d’ennemie la
Cour de La Haye», El Nuevo Herald, 28 novembre 2012
220
- 76 -
Annexe Document Page
31 «MM. Santos et Ortega se rencontreront samedi à Mexico», La República,
29 novembre 2012
221
32 «Le Gouvernement colombien n’exécutera pas l’arrêt de la CIJ avant que
les droits des Colombiens n’aient été rétablis», El Salvador Noticias.net,
3 décembre 2012
222
33 Nicaragua : pas de concessions pétrolières dans la réserve Seaflower»,
Nicaragua Dispatch, 6 décembre 2012
223
34 «La Colombie évite un accrochage avec l’armée nicaraguayenne à la
frontière», Caracol, 19 février 2013
224
35 «Le Nicaragua demande à Bogotá de constituer des commissions chargées
de l’application de l’arrêt de La Haye», La Opinión, 22 février 2013
225
36 Avec la patrouille aérienne de la marine colombienne, le gouverneur de
San Andrés fait acte de souveraineté autour du 82e méridien»,
Zonacero.info, 19 août 2013
225
37 «Le gouverneur prend part à une patrouille autour du 82e méridien»,
RCN Radio, 20 août 2013
225
38 Le vice-président affirme que la décision de la Cour internationale sur les
frontières maritimes est inapplicable en Colombie», Colombia Reports,
23 août 2013
225
39 «Daniel : 40 ans après le martyre d’Allende, la paix doit prévaloir»,
El 19 Digital,
11 septembre 2013
226
40 «L’assemblée nicaraguayenne favorable au dialogue avec la Colombie»,
El Universal, 12 septembre 2013
227
41 «Le président Santos ordonne de défendre par le glaive s’il le faut le
plateau continental», El Espectador, 19 septembre 2013
228
42 «Nous continuerons d’assurer la sécurité nationale de manière ferme mais
pondérée, déclare le commandant Wills aux étudiants de l’école militaire»,
21 mars 2014
229
43 A défaut de nouveau traité, les limites entre le Nicaragua et la Colombie
demeureront les mêmes, déclare le président Santos», W. Radio, 2 mai 2014
231
44 Nous devons chercher à conclure des accords avec le Nicaragua afin
d’exécuter la décision de la Cour sans enfreindre notre Constitution, déclare
l’ancien procureur général Carlos Arrieta», RCN Radio, 3 mai 2014
231
45 «Un nouveau traité de limites doit être conclu avec le Nicaragua»,
El Tiempo, 3 mai 2014
231
46 «Le Nicaragua propose à la Colombie de collaborer en vue de la mise en
oeuvre de l’arrêt de La Haye», AFP, 9 mai 2014
231
- 77 -
Annexe Document Page
47 «Le président Santos déclare que la décision de La Haye est inapplicable»,
El País, 19 mai 2014
232
48 «Santos garantit la continuité de sa politique extérieure à l’égard de
l’Amérique latine», America Economica, 17 juin 2014
233
49 «Le Nicaragua craint de perdre son espace maritime», Taringa!, 3 mai 2014 234
50 «Dispositif de sécurité mis en place à San Andrés par les forces navales et
aériennes colombiennes», Webinfomil.com, 23 novembre 2012
236

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Mémoire déposé par le Nicaragua

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