Mémoire de l'Ouganda sur la question des réparations

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116-20160928-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
14374
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE DES ACTIVITÉS ARMÉES SUR LE TERRITOIRE DU CONGO
(RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO C. OUGANDA)
MÉMOIRE DE L’OUGANDA QUESTION DES RÉPARATIONS
VOLUME I
28 septembre 2016
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
CHAPITRE 1. INTRODUCTION .............................................................................................................. 1
I. Plan du mémoire .................................................................................................................... 2
II. Historique des négociations ................................................................................................... 3
CHAPITRE 2. LES RÈGLES PERTINENTES DE DROIT INTERNATIONAL EN MATIÈRE DE RÉPARATION ................................................................................................................................ 12
I. La fonction et la portée de l’obligation de réparation intégrale........................................... 12
II. L’obligation de donner satisfaction pour le préjudice causé par un fait illicite ................... 13
III. L’obligation d’indemniser le dommage causé par un fait internationalement illicite ......... 16
A. L’indemnisation est limitée au dommage causé par des faits illicites précis ................ 17
B. L’indemnisation ne couvre que le dommage susceptible d’évaluation financière dans la mesure où celui-ci est établi ............................................................................... 20
C. L’indemnisation doit être proportionnée ........................................................................ 22
D. L’indemnisation ne doit pas avoir un caractère punitif .................................................. 23
E. L’indemnisation ne doit pas excéder la capacité de paiement de l’Etat responsable ...... 24
F. L’indemnisation ne couvre pas les dommages que l’Etat lésé aurait pu éviter ............... 26
G. L’indemnisation exclut les dommages auxquels l’Etat lésé a lui-même contribué ........ 27
CHAPITRE 3. LA RÉPARATION SOLLICITÉE PAR L’OUGANDA AU TITRE DE SES DEMANDES RECONVENTIONNELLES ............................................................................................................... 29
I. Les conclusions de la Cour relatives aux faits illicites de la RDC ...................................... 29
II. Les pertes, dommages ou préjudices causés à des diplomates et autres ressortissants ougandais par les faits illicites de la RDC ........................................................................... 31
III. Les pertes, dommages ou préjudices causés aux locaux diplomatiques ougandais par les faits illicites de la RDC .................................................................................................. 32
IV. La perte des biens saisis de manière illicite dans les locaux diplomatiques de l’Ouganda ............................................................................................................................ 35
CONCLUSIONS .................................................................................................................................. 37
CHAPITRE 1 INTRODUCTION
1.1. Par ordonnance du 1er juillet 2015 faisant suite à une demande de la République démocratique du Congo (la «RDC»), la Cour a repris la procédure en la présente affaire sur la question des réparations, et a fixé au 6 janvier 2016 la date d’expiration du délai pour le dépôt simultané, par la RDC et par la République de l’Ouganda, d’un mémoire sur les réparations que chacune des Parties estime lui être dues par l’autre.
1.2. A la demande de la RDC, la date initialement fixée a été reportée, d’abord au 28 avril 2016 (par ordonnance du 10 décembre 2015), puis au 28 septembre 2016 (par ordonnance du 11 avril 2016). Conformément à cette dernière ordonnance, l’Ouganda soumet respectueusement le présent mémoire portant sur la nature et le montant des réparations qui lui sont dues par la RDC.
1.3. La Cour se souviendra que la RDC avait introduit la présente instance par requête déposée au Greffe le 23 juin 1999, formulant contre l’Ouganda un certain nombre de griefs découlant de la présence et des activités présumées de celui-ci sur le territoire congolais.
1.4. Dans son contre-mémoire en date du 21 avril 2001, l’Ouganda avait répondu à ces allégations de fond, et présenté des demandes reconventionnelles portant notamment sur des mauvais traitements infligés par la RDC à des diplomates et autres ressortissants ougandais, et sur le manquement par la RDC aux obligations internationales qui lui incombaient à l’égard de la mission diplomatique ougandaise à Kinshasa.
1.5. A l’issue de la procédure écrite, la Cour a, du 11 au 29 avril 2005, tenu des audiences consacrées à l’examen des demandes de la RDC et des demandes reconventionnelles de l’Ouganda. Dans l’arrêt au fond qu’elle a ensuite rendu, le 19 décembre 2005 (l’«arrêt de 2005»), elle a estimé que les deux Parties étaient tenues, l’une envers l’autre, de réparer le préjudice causé par leurs faits internationalement illicites.
1.6. La Cour a conclu, en particulier,
a) que l’Ouganda avait l’obligation, envers la RDC, de réparer le préjudice causé par la violation d’un certain nombre d’obligations lui incombant au titre du droit international1 ; et
b) que la RDC avait l’obligation, envers l’Ouganda, de réparer le préjudice causé par
1) le comportement de ses forces armées, qui avaient attaqué l’ambassade de l’Ouganda à Kinshasa et infligé des mauvais traitements à des diplomates et à d’autres personnes dans les locaux de l’ambassade à Kinshasa, ainsi qu’à des diplomates ougandais à l’aéroport international de Ndjili, et par
2) le fait de n’avoir pas assuré à l’ambassade et aux diplomates ougandais une protection efficace, ni empêché la saisie d’archives et de biens ougandais dans les locaux de l’ambassade de l’Ouganda2.
1 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005 (ci-après «Activités armées (2005)»), par. 345, points 1) à 5).
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1.7. Dans l’arrêt de 2005, la Cour a pris acte de ce que la RDC avait exprimé son «intention de chercher d’abord à régler la question de la réparation au moyen de négociations directes avec l’Ouganda»3, et invité en conséquence «les Parties [à] rechercher de bonne foi une solution concertée fondée sur les conclusions du présent arrêt»4. Elle a précisé que, «au cas où les Parties ne pourraient se mettre d’accord à ce sujet, la question de la réparation due [par l’une à l’autre] sera[it] réglée par [elle-même]», réservant à cet effet la suite de la procédure5.
1.8. Conformément aux instructions de la Cour, l’Ouganda a, pendant plusieurs années, tenté de bonne foi de parvenir avec la RDC à une solution concertée, fondée sur l’arrêt de 2005 et sur les règles de droit international applicables en matière de réparation.
1.9. L’Ouganda est déterminé à négocier avec franchise et souhaite favoriser la paix, la stabilité et les relations amicales avec le peuple frère de la RDC. Bien que, regrettablement, les Parties ne soient pas, à ce jour, parvenues à un accord, il estime, ainsi qu’il l’expose aux paragraphes 1.48 à 1.51 ci-après, que la voie des négociations pour régler la question de la réparation n’a pas été épuisée.
1.10. S’il ne met aucunement en doute la bonne foi de la RDC, l’Ouganda estime cependant, sur le principe, que la position adoptée par cette dernière tout au long des négociations était dénuée de fondement en droit s’agissant des questions de réparation au niveau international. Concrètement, le montant spécifique réclamé par la RDC — plus de 23,5 milliards de dollars des Etats-Unis — était, selon l’Ouganda, injustifié et nettement disproportionné.
I. PLAN DU MÉMOIRE
1.11. Le mémoire de l’Ouganda est composé de deux volumes : le volume I contient le texte du mémoire proprement dit, et le volume II, d’autres documents présentés à l’appui des thèses qui y sont exposées.
1.12. Le corps du mémoire est divisé en trois chapitres, suivis des conclusions de l’Ouganda. Le chapitre 1 est une introduction qui présente le plan du mémoire, puis décrit les démarches entreprises par les Parties pour régler la question des réparations par la négociation.
1.13. Le chapitre 2 expose les règles de droit international qui régissent la réparation des préjudices causés par des faits illicites. Ces règles s’appliquent de manière égale aux demandes reconventionnelles de l’Ouganda et aux demandes de la RDC.
1.14. Le chapitre 3 présente en détail les demandes reconventionnelles de l’Ouganda. Pour les raisons qui y sont exposées, l’Ouganda estime que la satisfaction constitue une réparation appropriée s’agissant : a) des mauvais traitements infligés aux diplomates et autres ressortissants ougandais dans les locaux de la mission diplomatique ougandaise à Kinshasa ainsi qu’aux diplomates ougandais à l’aéroport international de Ndjili ; b) des dommages causés à l’ancienne
2 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005 (ci-après «Activités armées (2005)»), par. 345, points 12) et 13).
3 Ibid., par. 261.
4 Ibid.
5 Ibid., par. 345, points 6) et 14).
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résidence officielle de l’ambassadeur de l’Ouganda en RDC ; et c) de la saisie de l’ensemble des biens mobiliers situés dans les locaux de la mission diplomatique ougandaise. Par ailleurs, au vu des éléments de preuve versés au dossier, l’Ouganda estime qu’une indemnisation de 987 797,73 dollars des Etats-Unis constitue une réparation appropriée, du point de vue de la forme et du montant, pour les dommages causés à l’ancien bâtiment de sa chancellerie à Kinshasa.
1.15. L’Ouganda clôt le présent mémoire en présentant ses conclusions sur ses demandes reconventionnelles.
II. HISTORIQUE DES NÉGOCIATIONS
1.16. Il n’est ni nécessaire ni pertinent, pour la présente procédure, de retracer l’historique complet des négociations entre l’Ouganda et la RDC. L’Ouganda se contentera donc d’en rappeler, à l’intention de la Cour, les étapes les plus marquantes.
1.17. Le 8 septembre 2007, les Parties ont conclu l’accord de Ngurdoto/Tanzanie portant sur la coopération bilatérale entre la République démocratique du Congo et la République de l’Ouganda (ci-après l’«accord de Ngurdoto»), dans lequel elles affirmaient leur «détermin[ation] à promouvoir la coopération sociale, culturelle, économique et politique, en vue de consolider la paix et la sécurité» ainsi que la prospérité dans la région.
1.18. Dans ce cadre, les Parties sont convenues à l’article 8 de l’accord de Ngurdoto «de former un comité ad hoc» chargé d’étudier l’arrêt de 2005 et de recommander à la grande commission mixte «les modalités pratiques de son exécution»6 s’agissant de la question de la réparation.
(Créée en 1986, la grande commission mixte est demeurée inactive durant les dix ans qui ont précédé la signature de l’accord de Ngurdoto7.)
1.19. Après la conclusion de cet accord, l’Ouganda a nommé sans tarder les représentants appelés à siéger en son nom au comité ad hoc, et en a dûment informé la RDC en s’enquérant de l’état de la procédure de son côté. Il n’a pas reçu de réponse.
1.20. Par la suite, le 25 mai 2010, les Parties ont tenu une réunion au niveau ministériel à Kampala (Ouganda), au cours de laquelle elles ont officiellement constitué le comité ad hoc conjoint, composé de sept membres pour chacune, conformément aux dispositions de l’accord de Ngurdoto8. Le procès-verbal approuvé de cette réunion dit notamment ce qui suit :
a) «[l]’équipe conjointe adoptera un plan de travail et des règles de procédure et elle fixera les délais d’achèvement des travaux» ; et
6 Accord de Ngurdoto/Tanzanie portant sur la coopération bilatérale entre la République démocratique du Congo et la République de l’Ouganda (8 septembre 2007) (ci-après «accord de Ngurdoto»), art. 8 (annexe 1).
7 Ibid., art. 6.
8 Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, procès-verbal approuvé de la réunion ministérielle tenue entre la République de l’Ouganda et la République démocratique du Congo le 25 mai 2010, p. 1 (annexe 6). [Traduction du Greffe].
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b) «[c]onformément à l’article 8 [de l’accord de Ngurdoto], le comité ad hoc fera rapport à la commission mixte permanente (grande commission mixte), notamment sur les modalités d’exécution du plan de travail»9.
1.21. Lors de cette réunion, la RDC a communiqué pour la première fois à l’Ouganda une évaluation des dommages qu’elle prétend avoir subis en raison des faits internationalement illicites commis par celui-ci dix ans plus tôt10.
1.22. L’Ouganda estime que cette évaluation, du fait qu’elle a été soumise dans le cadre non pas de la procédure judiciaire mais d’une tentative de règlement du différend pendant entre les Parties par la voie des négociations, est confidentielle (à l’instar de la réponse qu’il y a donnée, examinée ci-après). Il juge donc inopportun de la joindre au présent mémoire ou d’en examiner les détails d’une quelconque autre manière. Il se bornera à indiquer qu’il ressort d’autres documents à caractère non confidentiel en rapport avec les négociations que le montant de l’indemnité demandée par la RDC (qui ne l’a jamais revu à la baisse) s’élevait à plus de 23,5 milliards de dollars des Etats-Unis11.
1.23. L’Ouganda a répondu au sujet de l’évaluation des dommages de la RDC et présenté en détail sa propre demande de réparation lors d’une réunion ministérielle tenue les 13 et 14 septembre 2012 à Johannesburg (Afrique du Sud)12. Il proposait alors que la RDC lui verse une indemnité de nature pécuniaire de 3,7 millions de dollars des Etats-Unis au titre de ses demandes reconventionnelles13.
1.24. A l’ouverture de ladite réunion, «M. Sam K. Kutesa, ministre ougandais des affaires étrangères, a remercié la délégation congolaise d’avoir accepté la date proposée par l’Ouganda aux fins de la réunion du comité ad hoc conjoint»14 et
«pris note de l’évolution favorable des relations bilatérales entre l’Ouganda et la RDC. Il a en outre réitéré l’engagement pris par le Gouvernement ougandais de resserrer les liens entre les deux pays et de régler promptement et équitablement la question pendante entre eux, en application de l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice.»15
9 Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, procès-verbal approuvé de la réunion ministérielle tenue entre la République de l’Ouganda et la République démocratique du Congo le 25 mai 2010, p. 1 (annexe 6). [Traduction du Greffe].
10 Ibid.
11 Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, rapport conjoint de la réunion des experts de la République démocratique du Congo et de la République de l’Ouganda en rapport avec l’exécution de l’arrêt de la CIJ du 19 décembre 2005 (13-17 mars 2015), p. 12 (annexe 10).
12 Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, procès-verbal de la réunion ministérielle entre la République de l’Ouganda et la République démocratique du Congo (13-14 septembre 2012), p. 1 (annexe 7). [Traduction du Greffe].
13 Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, rapport conjoint de la réunion des experts de la République démocratique du Congo et de la République de l’Ouganda en rapport avec l’exécution de l’arrêt de la CIJ du 19 décembre 2005 (13-17 mars 2015), p. 7 (annexe 10).
14 Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, procès-verbal de la réunion ministérielle entre la République de l’Ouganda et la République démocratique du Congo (13-14 septembre 2012), p. 2 (annexe 7). [Traduction du Greffe].
15 Ibid.
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1.25. Pour sa part, «Mme Wivine Mumba Matipa, ministre de la justice et des droits humains de la RDC, a exprimé la gratitude de son gouvernement pour le rôle positif joué par l’Ouganda dans la stabilisation de la région des Grands Lacs»16. A cet égard, l’Ouganda fait observer qu’il s’est toujours efforcé d’être un élément moteur du rétablissement de la paix et de la sécurité dans l’est de la RDC. A la demande des autorités congolaises, il a ainsi contribué à arbitrer le différend entre le Gouvernement congolais et le groupe rebelle M23 en 2012-201317, ouvrant la voie aux accords de Nairobi du 12 décembre 2013 qui ont mis fin au dernier grand conflit militaire en RDC.
1.26. Lors de cette même réunion, en septembre 2012, Mme Matipa a aussi «affirmé la volonté de son gouvernement de régler le différend opposant les deux pays, afin de répondre aux aspirations légitimes de leur peuple et de se consacrer davantage aux questions intéressant les deux pays, à savoir le développement socio-économique, la paix et la stabilité dans la région»18.
1.27. En ce qui concerne le fond de la demande de la RDC, que celle-ci a formulée dans son évaluation des dommages de 2010, le procès-verbal fait état de ce qui suit :
«1. Dans sa réponse à la demande d’indemnisation de la RDC, l’Ouganda a souligné que celle-ci était excessive et démesurée, et qu’elle n’était pas conforme aux critères établis par la Cour internationale de Justice.
2. L’Ouganda a donc demandé à la RDC de reconsidérer sa demande et de présenter un montant plus réaliste, prenant en compte les critères fixés par la Cour internationale de Justice aux fins de déterminer le montant des réparations.»19
1.28. Quant à la demande d’indemnisation de l’Ouganda, la RDC
«l’a jugée exagérée, disproportionnée et infondée eu égard aux éléments de preuve pertinents et crédibles qui avaient été fournis. En échange, [elle] a proposé de verser
16 Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, procès-verbal de la réunion ministérielle entre la République de l’Ouganda et la République démocratique du Congo (13-14 septembre 2012), p. 2 (annexe 7). [Traduction du Greffe].
17 Voir «M. Ban Ki-moon salue la signature de déclarations entre la RDC et le M23», Centre d’actualités de l’ONU (13 décembre 2013), p. 1 (le communiqué de presse indique que «[d]es pourparlers entre le M23, groupe principalement composé de mutinés qui ont quitté l’armée nationale de la RDC en avril de l’année dernière, et le gouvernement ont eu lieu à Kampala (Ouganda) sous les auspices du président de la conférence internationale sur la région des Grands Lacs, du président ougandais Yoweri Museveni, du médiateur, ainsi que du ministre ougandais de la défense et facilitateur, M. Crispus Kiyonga» (annexe 18) ; «Huitième réunion plénière entre le gouvernement de la RDC et le M23», Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (11 janvier 2013) («Depuis le retour des délégations à Kampala, le facilitateur les a toutes deux consultées, afin de convenir de la voie à suivre. En conséquence de quoi les réunions plénières ont repris. Le facilitateur a également consulté des hauts responsables des Nations Unies et des Etats-Unis, afin de s’assurer que les sanctions récemment imposées au M23 n’entraînent pas de conséquences négatives pour le dialogue. Il pense actuellement que ces sanctions n’affectent pas le dialogue. Le dialogue est facilité par S. E. Dr. Crispus Kiyonga, ministre de la défense de la République de l’Ouganda. La délégation du gouvernement de la RDC est dirigée par S. E. M. Raymond Tshibanda, ministre des affaires étrangères, coopération internationale et francophonie de la RDC. La délégation du M23 est dirigée par M. François Rucogoza, Secrétaire Exécutif du M23») (annexe 33).
18 Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, procès-verbal de la réunion ministérielle entre la République de l’Ouganda et la République démocratique du Congo (13-14 septembre 2012), p. 2 (annexe 7). [Traduction du Greffe].
19 Ibid.
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un montant de 10 000 dollars des Etats-Unis sur la base du rapport établi par les deux Parties lors de l’inspection des locaux en 2002.»20
1.29. A l’issue de la réunion, les deux délégations sont convenues de «se concerter pour présenter les éléments de preuve à l’appui des montants figurant dans leurs demandes respectives et sur lesquels elles seront parvenues à un accord, aux fins d’un règlement négocié du différend»21.
1.30. Du 10 au 14 décembre 2012, les représentants des deux Etats se sont à nouveau réunis à Kinshasa pour procéder à l’échange des éléments de preuve à l’appui de leurs demandes respectives. D’après le procès-verbal, le vice-ministre des affaires étrangères de la RDC a ouvert la première séance de travail en «insist[ant] sur les relations excellentes de fraternité et d’amitié qui existent non seulement entre les deux peuples ougandais et congolais mais aussi entre les deux chefs d’Etat, Leurs Excellences les présidents Yoweri K. Museweni et Joseph Kabila Kabange»22.
1.31. A cette occasion, les Parties ont échangé des documents portant sur leurs demandes respectives, mais, compte tenu du volume de ces informations, elles sont convenues d’en débattre au cours d’une réunion ultérieure23.
1.32. Les deux Parties ont tenu une nouvelle réunion ministérielle à Johannesburg du 24 au 27 novembre 2014. L’Ouganda y a exposé en détail ce qu’il considérait comme des failles dans les éléments que lui avait transmis la RDC et, par la voix de son Attorney General de l’époque, M. Peter Nyombi, il a procédé à un examen des preuves de la RDC au regard des règles applicables de droit international. Plutôt que d’entreprendre ici un résumé fastidieux de cet exposé, l’Ouganda invite la Cour, si elle le souhaite, à le consulter sous l’annexe 5 du présent mémoire24.
1.33. En tout état de cause, l’Attorney General, M. Nyombi, a conclu ainsi son intervention :
«L’examen que je viens d’effectuer des éléments de preuve fournis par la RDC à l’appui de sa demande ne devrait pas clore la question, mais au contraire faciliter le processus d’arbitrage et de négociation en vue de parvenir à une solution amiable définitive dans un esprit de coopération et de fraternité, comme le prévoit le cadre de coopération bilatérale qui nous a été confié par les deux présidents et qui trouve son expression dans l’accord de Ngurdoto.»25
1.34. Les Parties étant dans l’incapacité de concilier leurs positions lors de cette réunion, les ministres ont «décidé que les deux positions [seraient] harmonisées dès que possible. Dès lors, les
20 Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, procès-verbal de la réunion ministérielle entre la République de l’Ouganda et la République démocratique du Congo (13-14 septembre 2012), p. 2 (annexe 7). [Traduction du Greffe].
21 Ibid.
22 Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, procès-verbal de la troisième réunion d’experts ougandais et congolais relative à l’exécution de l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice le 19 décembre 2005 (14 décembre 2012), p. 2 (annexe 8). [Traduction du Greffe.]
23 Ibid.
24 Gouvernement de l’Ouganda, réponse de l’Ouganda sur l’évaluation des éléments de preuve produits par la République démocratique du Congo à l’appui de sa demande de réparation présentée suite à l’arrêt rendu en 2005 par la Cour internationale de Justice (24-29 novembre 2014) (annexe 5). [Traduction du Greffe.]
25 Ibid., p. 24.
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deux Parties [s]ont convenu[es] de se réunir à nouveau avant mi-février 2015 en Afrique du Sud pour conclure les négociations.»26
1.35. La réunion prévue a été reportée de quelques semaines de sorte qu’elle précède immédiatement une réunion ministérielle et a ainsi eu lieu du 13 au 17 mars 2015. La RDC a maintenu sa position initiale, demandant une indemnité de plus de 23,5 milliards de dollars des Etats-Unis27.
1.36. Ainsi qu’il y était invité par la RDC, l’Ouganda a présenté ses observations sur les aspects méthodologiques et juridiques de la demande de réparation congolaise. Il a, plus précisément,
a) rappelé que, «[d]’après l’arrêt de la CIJ de décembre 2005, la charge de la preuve incomb[ait] à la RDC pour démontrer le préjudice exact qu’elle a[vait] subi [du fait des] actions spécifiques… dont il [était] responsable en vertu du droit international»28, indiquant que, selon lui, il n’avait pas été satisfait à cette obligation à hauteur du montant réclamé.
b) L’Ouganda a souligné que,
«[l]e processus de collecte des données de la RDC n’a[vait] pas obéi aux standards internationalement acceptables en la matière, lesquels incluent la collecte des éléments de preuve élémentaires, la vérification, l’analyse et l’évaluation. La RDC s’est fiée aux chiffres proposés par les victimes sans vérification, analyse ou évaluation aucunes.»29
c) Il a ensuite relevé que la RDC ne proposait
«[a]ucune preuve spécifique, … pour appuyer les revendications dans [l’]une quelconque» des «trois larges catégories : dommages macroéconomiques ; dommages matériels et non pécuniaires subis par la RDC ; et dommages non pécuniaires subis par des personnes physiques/morales»30.
d) Il a exposé que «[c]ertaines des réclamations de la RDC outrepass[aient] le champ d’application de l’arrêt de la CIJ en termes des facteurs temporels, substantiels et spatiaux»31.
e) Il a fait valoir que certaines pertes ne pouvaient donner lieu à indemnisation de sa part car elles n’étaient pas établies (notamment les préjudices subis par les soldats blessés et les dommages causés à l’environnement) ou n’ouvraient pas droit à indemnisation en droit international
26 Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, communiqué final de la deuxième réunion ministérielle du comité ad hoc de la République de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo sur l’exécution de l’arrêt de la CIJ (2005) (24-27 novembre 2014), p. 4 (annexe 9).
27 Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, rapport conjoint de la réunion des experts de la République démocratique du Congo et de la République de l’Ouganda en rapport avec l’exécution de l’arrêt de la CIJ du 19 décembre 2005 (13-17 mars 2015), p. 12 (annexe 10).
28 Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, rapport conjoint de la réunion des experts de la République démocratique du Congo et de la République de l’Ouganda en rapport avec l’exécution de l’arrêt de la CIJ du 19 décembre 2005 (13-17 mars 2015), p. 6 (annexe 10).
29 Ibid., p. 5.
30 Ibid., p. 6.
31 Ibid., p. 5.
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(notamment les dommages macroéconomiques, la rupture de l’ordre civil et le chaos économique, et les pertes de trésorerie)32.
1.37. Néanmoins, pour prouver sa bonne foi et parvenir à un accord amiable, l’Ouganda a proposé de verser à la RDC une indemnité de 25 500 000 dollars des Etats-Unis, calculée selon des critères qu’il estime dûment fondés sur les règles applicables du droit international33.
1.38. La RDC n’a apporté aucune réponse concrète à ces observations de fond, se contentant d’affirmer que l’approche «technique» de l’Ouganda avait «conduit à une trop grande sous-estimation des différents préjudices causés à la population congolaise suite aux activités armées exercées sur le territoire de la RDC», qui étaient ainsi évalués à moins de «1 % du montant réclamé»34.
1.39. Ne parvenant pas à se mettre d’accord, les experts ont alors décidé de soumettre la question à l’examen d’une réunion ministérielle, qui s’est tenue du 17 au 19 mars 2015.
1.40. Le communiqué conjoint publié à l’issue de cette réunion ministérielle indique que l’Ouganda a, à cette occasion, souligné «la nécessité pour les parties de s’accorder sur des critères à utiliser comme base de calcul pour la compensation à payer à la RDC», et proposé que les deux Etats procèdent conjointement à «la vérification … et à l’analyse … des 7 400 pièces à conviction produites par la [RDC] conformément aux critères à accepter de commun accord»35.
1.41. S’agissant des critères d’évaluation, l’Ouganda a fait à la réunion les propositions suivantes :
«1. Nous proposons de fonder les critères d’évaluation sur l’arrêt de la Cour internationale de Justice du 19 décembre 2005 et, partant, d’exclure les demandes qui ne relèvent pas dudit arrêt, concernant notamment :
a) les viols ;
b) les faits survenus hors de la période allant du 8 août 1998 au 2 juin 2003 ;
c) les zones dans lesquelles la Cour a établi que l’Ouganda n’était pas présent, à savoir Zongo, Bomanga et Bongadanga.
2. Conformément aux principes du droit international, nous proposons d’exclure les demandes relatives aux aspects suivants : dommages macroéconomiques, soldats blessés, pertes de trésorerie, troubles à l’ordre public et chaos économique, désorganisation du système de santé et du système éducatif, retards dans la mise en
32 Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, rapport conjoint de la réunion des experts de la République démocratique du Congo et de la République de l’Ouganda en rapport avec l’exécution de l’arrêt de la CIJ du 19 décembre 2005 (13-17 mars 2015), p. 12-13 (annexe 10).
33 Ibid., p. 12.
34 Ibid., p. 8.
35 Gouvernement de l’Ouganda et Gouvernement de la RDC, communiqué conjoint de la quatrième réunion des ministres de la République démocratique du Congo et de la République de l’Ouganda sur l’exécution de l’arrêt de la Cour internationale de Justice du 19 décembre 2005, tenue du 17 au 19 mars 2015, p. 2 (annexe 11).
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oeuvre des plans de développement économique et social et autres dommages de guerre.
3. Nous proposons de parvenir à un montant d’indemnisation acceptable aux deux Parties pour les faits ayant causé directement ou indirectement la mort en nous fondant sur des précédents judiciaires et autres sources faisant autorité.
4. Pour ce qui est des préjudices corporels, le montant dû devra tenir compte de l’importance du préjudice et du handicap.
5. Pour ce qui est des pertes de biens et des demandes s’y rapportant, nous proposons que, sous réserve de la production des justificatifs requis, l’évaluation soit fondée sur des considérations équitables et sur la juste valeur marchande du bien à l’époque de sa destruction.
6. Pour ce qui est des pertes commerciales et du manque à gagner, nous proposons que les demandes relevant de cette catégorie soient fondées sur les bénéfices futurs non engrangés de l’activité concernée, sur l’actif de l’entreprise, sur les prévisions de bénéfices et sur les grands principes comptables.
7. Pour ce qui est du pillage et de l’exploitation des ressources naturelles, nous proposons de fonder l’évaluation sur les informations soumises par la RDC au Conseil de sécurité des Nations Unies et sur les rapports émanant d’agences des Nations Unies et d’autres organisations humanitaires.
8. Les violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises dans la province de l’Ituri par la puissance occupante relèvent également du préjudice moral : nous proposons un versement à titre gracieux d’un montant à convenir entre les deux Parties.
9. Une vérification et une analyse conjointes des 7400 documents soumis par la RDC devront être effectuées afin de séparer les demandes crédibles des demandes irréalistes et exagérées.
Nous sommes convaincus que, si les deux Parties parviennent à s’entendre sur les critères spécifiques à appliquer aux fins de calculer le montant de l’indemnité due à la RDC, elles seront en mesure de résoudre la question à l’amiable.»36
1.42. Le communiqué conjoint indique par ailleurs que l’Ouganda, «dans un esprit de fraternité et de bon voisinage», sous réserve de tous droits, a proposé de «renoncer … à sa réclamation … en rapport avec les dommages causés à l’immeuble de son ambassade à Kinshasa»37, et de revoir à la hausse sa proposition initiale de réparation, en la portant à 37 millions de dollars des Etats-Unis38.
1.43. En réponse, la RDC a
36 Gouvernement de l’Ouganda et Gouvernement de la RDC, communiqué conjoint de la quatrième réunion des ministres de la République démocratique du Congo et de la République de l’Ouganda sur l’exécution de l’arrêt de la Cour internationale de Justice du 19 décembre 2005, tenue du 17 au 19 mars 2015, p. 4 (annexe 11). [Traduction du Greffe].
37 Ibid., p. 2-3.
38 Ibid., p. 3.
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«a) fait objection à l’utilisation d’autres critères pour évaluer sa demande de réparation ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
c) pris acte de la renonciation par la partie ougandaise de sa réclamation du montant de 3 760 000 dollars des Etats-Unis [que la RDC avait admise comme étant effectivement due] ; néanmoins, elle a fermement rejeté l’offre de l’Ouganda de 37 028 368 dollars des Etats-Unis comme étant toujours insignifiante … ;
d) enfin, force a été pour elle de constater que le désaccord persiste entre les deux parties, ce qui l’amène à envisager de retourner devant la Cour internationale de Justice pour la suite de la procédure»39.
1.44. Etant donné les divergences de vues entre les deux Etats, le communiqué concluait ainsi :
«Vu le désaccord persistant entre les Parties, celles-ci ont résolu de clôturer les négociations à leur niveau, conformément à la résolution susmentionnée de la troisième réunion ministérielle, et de s’en remettre à la disposition des Chefs d’Etat, dans l’esprit de l’Accord de Ngourdoto de 2007 sur la coopération bilatérale entre l’Ouganda et la République démocratique du Congo, pour une orientation.»40
1.45. Moins de deux mois plus tard, le 13 mai 2015, la RDC a déposé une «requête en saisine à nouveau de la Cour internationale de Justice», priant la Cour de «relance[r] la procédure par elle suspendue dans cette cause, aux fins de fixer le montant de l’indemnité due par l’Ouganda à la République démocratique du Congo sur la base du dossier des pièces à conviction déjà communiquées à la Partie ougandaise et à mettre à la disposition de la Cour»41.
1.46. La Cour a par la suite rendu les ordonnances de procédure mentionnées aux paragraphes 1.1 et 1.2 ci-dessus.
1.47. L’Ouganda estime que les négociations sur la réparation n’ont pas été épuisées, ainsi que l’a d’ailleurs récemment reconnu la RDC de façon explicite.
1.48. De fait, au terme de la visite officielle en Ouganda de M. Joseph Kabila Kabange, président de la RDC, le 4 août 2016, M. Sam Kutesa, ministre des affaires étrangères de l’Ouganda, et M. Salomon Banamuhere, ministre d’Etat et ministre en charge de la décentralisation et des
39 Gouvernement de l’Ouganda et Gouvernement de la RDC, communiqué conjoint de la quatrième réunion des ministres de la République démocratique du Congo et de la République de l’Ouganda sur l’exécution de l’arrêt de la Cour internationale de Justice du 19 décembre 2005, tenue du 17 au 19 mars 2015, p. 1-2 (les italiques sont de nous) (annexe 11).
40 Ibid., p. 3.
41 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), ordonnance du 1er juillet 2015, par. [2].
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affaires coutumières de la RDC, réunis à Mweya Safari Lodge (district de Kasese, Ouganda), ont publié conjointement un communiqué au nom de leurs deux pays (le «communiqué conjoint»)42.
1.49. Le paragraphe 4 de ce communiqué conjoint se lit comme suit :
«Les deux chefs d’Etat ont eu des discussions fructueuses sur de nombreux sujets d’intérêt commun sur le plan bilatéral, régional et international. Ils se sont réjouis de l’état des relations bilatérales cordiales existant entre les deux pays et ont réaffirmé leur engagement à consolider davantage ces relations.»
1.50. Dans ce contexte, le paragraphe 6 v) indique que :
«Concernant l’arrêt de la Cour internationale de Justice (CIJ) du 19/12/2009 sur les activités militaires de l’Ouganda en RDC, il a été convenu que le président Joseph Kabila transmette une nouvelle proposition sur l’indemnisation relativement à la mise en oeuvre de cet arrêt. Les deux chefs d’Etat sont convenus que, dans l’entretemps, le dépôt des mémoires par la RDC prévu le 28 septembre 2016 devrait être reporté en attendant l’examen des propositions pour la résolution directe de la question des réparations.»
1.51. Ainsi qu’il l’a indiqué à la Cour dans sa lettre du 22 septembre 2016, l’Ouganda considère que le communiqué conjoint constitue un accord international par lequel les deux Parties se sont engagées à reprendre les négociations et à ne pas déposer leurs mémoires respectifs compte tenu des propositions devant être faites par la RDC en vue d’une résolution directe de la question des réparations43.
1.52. Toutefois, au vu de la situation d’incertitude qui prévaut et du fait que la Cour n’a pas modifié son ordonnance du 11 avril 2016 portant fixation des délais, l’Ouganda s’estime contraint, en dépit des dispositions univoques du communiqué conjoint, de soumettre le présent mémoire afin de protéger ses droits et intérêts. Il réserve l’ensemble des droits qui lui sont conférés en vertu du communiqué conjoint ou à tout autre titre.
42 «Communiqué conjoint émis par la République démocratique du Congo et la République de l’Ouganda à Mweya Safari Lodge, district de Kasese-Ouganda, ce 4 août 2016» (annexe 2).
43 Le communiqué conjoint a été enregistré auprès de l’Organisation des Nations Unies le 26 septembre 2016.
CHAPITRE 2 LES RÈGLES PERTINENTES DE DROIT INTERNATIONAL EN MATIÈRE DE RÉPARATION
2.1. Le présent chapitre porte sur les règles de droit international régissant les demandes en réparation, règles qui s’appliquent de manière égale aux demandes reconventionnelles de l’Ouganda et aux prétentions de la RDC. Il se divise en trois parties : la section I concerne l’objet et la portée de l’obligation de réparation intégrale en droit international, la section II aborde les principes juridiques généraux relatifs à la forme de réparation que constitue la satisfaction, et la section III, ceux qui régissent l’autre forme de réparation qu’est l’indemnisation.
I. LA FONCTION ET LA PORTÉE DE L’OBLIGATION DE RÉPARATION INTÉGRALE
2.2. Il est «bien établi en droit international général que l’Etat responsable d’un fait internationalement illicite a l’obligation de réparer en totalité le préjudice causé par ce fait»44. Le «préjudice» comprend «tout dommage, tant matériel que moral»45.
2.3. La réparation a pour fonction de rétablir, dans la mesure du possible, la situation qui aurait existé sans le fait internationalement illicite. Ainsi que l’a expliqué la devancière de la Cour, la Cour permanente de Justice internationale, en l’affaire de l’Usine de Chorzów, «la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis»46. La réparation n’est toutefois due qu’à l’égard du préjudice effectivement causé par un fait illicite, ce qui signifie que «l’objet de la réparation est, globalement, le préjudice résultant du fait internationalement illicite et imputable à celui-ci, et non toutes les conséquences de ce fait»47.
2.4. La réparation peut «prend[re] la forme de restitution, d’indemnisation et de satisfaction, séparément ou conjointement»48. La Cour a souligné que sa forme et sa portée «dépend[ent], manifestement, des circonstances concrètes de chaque affaire ainsi que de la nature exacte et de l’importance du préjudice»49. Compte tenu de la nature des demandes reconventionnelles de l’Ouganda (et des prétentions de la RDC), et du fait qu’elles ne demandent ni l’une ni l’autre la restitution proprement dite, les Parties peuvent s’acquitter de leur obligation de réparation en l’espèce par la satisfaction ou par l’indemnisation, ou par ces deux formes combinées.
44 Activités armées (2005), par. 259 (citant Usine de Chorzów (demande en indemnité), compétence, 1927, C.P.J.I. série A no°9, p. 21 ; Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997 (ci-après «Projet Gabčíkovo-Nagymaros»), p. 81, par. 152 ; Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I) (ci-après «Avena»), p. 59, par. 119.
45 Commission du droit international (CDI), Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 31, par. 2.
46 Usine de Chorzów (demande en indemnité), fond, 1928, C.P.J.I, série A no 17 (ci-après «Usine de Chorzów, fond»), p. 47.
47 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 31, commentaire, par. 9.
48 Ibid., art. 34.
49 Avena, par. 119 ; Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I) (ci-après «Usines de pâte à papier»), p. 14, par. 274.
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2.5. L’Ouganda fait observer en outre que, les Parties ne l’ayant pas priée de trancher leurs demandes en réparation ex aequo et bono, la Cour doit statuer «conformément au droit international», en application du paragraphe 1 de l’article 38 de son Statut50.
2.6. Il n’existe entre les Parties aucun traité qui régisse la réparation. La Cour doit donc se fonder sur les règles coutumières du droit international et les principes généraux de droit, tels qu’ils sont énoncés dans sa jurisprudence et celle d’autres juridictions internationales, ainsi que sur la doctrine des publicistes les plus qualifiés. Ces règles et principes généraux, qui s’appliquent de manière égale aux demandes des deux Parties, sont examinés dans les sections suivantes.
II. L’OBLIGATION DE DONNER SATISFACTION POUR LE PRÉJUDICE CAUSÉ PAR UN FAIT ILLICITE
2.7. La satisfaction est l’une des formes de réparation qu’un Etat peut être appelé à fournir pour s’acquitter de son obligation de réparer le préjudice causé par un fait internationalement illicite51 qui lui est imputé. C’est d’ailleurs la forme de réparation la plus courante dans la pratique internationale, notamment dans les affaires portées devant la Cour. En effet, sur les 14 arrêts relatifs à la responsabilité qu’elle a rendus à ce jour, celle-ci n’a accordé une indemnisation qu’à deux reprises, dans l’affaire Diallo52 et dans celle du Détroit de Corfou ; dans sept autres, elle a considéré la satisfaction comme une réparation adéquate53.
2.8. Il ressort de la pratique de la Cour et d’autres juridictions internationales que la satisfaction constitue la forme de réparation la plus appropriée dans trois circonstances au moins.
2.9. Premièrement, tel est le cas lorsque la restitution n’est pas possible et que le quantum de l’indemnité ne peut être évalué avec précision, faute d’éléments de preuve suffisants. La Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie (la «Commission des réclamations»), qui a arbitré les réclamations entre ces deux pays à raison des pertes résultant des violations du droit international commises pendant le conflit qui les a opposés entre 1998 et 2000, illustre bien cette pratique. Elle a établi que l’Ethiopie avait violé le droit international, entre autres en privant de la nationalité éthiopienne certains binationaux éthiopiens et érythréens. Cependant, bien qu’un préjudice matériel eût découlé de ce fait illicite, elle a conclu que l’Erythrée n’avait pas présenté des éléments suffisants pour en prouver l’ampleur et a donc estimé qu’une réparation sous la forme d’une simple satisfaction était légitime.
50 Statut de la Cour, art. 38 2) («La présente disposition ne porte pas atteinte à la faculté pour la Cour, si les Parties sont d’accord, de statuer ex aequo et bono.»).
51 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 37, par. 1 («L’Etat responsable d’un fait internationalement illicite est tenu de donner satisfaction pour le préjudice causé par ce fait dans la mesure où il ne peut pas être réparé par la restitution ou l’indemnisation.»).
52 La Cour permanente de Justice internationale n’a accordé qu’une fois des indemnités, en l’affaire du Vapeur Wimbledon, arrêt, 1923, C.P.J.I., série A, no 1 (ci-après «Vapeur Wimbledon»).
53 Affaire du Détroit de Corfou (Royaume–Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949 (ci-après «Détroit de Corfou»), p. 36 ; affaire du Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, par. 75 ; affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (ci-après «Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007)»), par. 463-464 ; affaire relative à Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 2008 (ci-après «Djibouti c. France (2008)»), par. 2) a) du dispositif ; Usines de pâte à papier, par. 282 ; affaire relative à l’Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (ci-après «Ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce»), par. 169 ; affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (ci-après «Nicaragua c. Costa Rica (2015)»), par. 139 et 224.
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2.10. La commission a plus particulièrement déclaré ce qui suit :
«Au vu des limites du dossier, notamment de la rareté des éléments de preuve sur les conséquences pratiques liées à la perte de la nationalité éthiopienne, la Commission décide que la satisfaction obtenue sous la forme de ses précédentes conclusions en responsabilité constitue une réparation suffisante aux demandes d’indemnisation de l’Erythrée au titre de la privation illicite de la nationalité éthiopienne de certains de ses binationaux.»54
2.11. De même, bien qu’elle eût considéré comme un préjudice matériel ouvrant droit à indemnisation la saisie illicite, par l’Ethiopie, des documents d’identité, des biens personnels et des bagages à main de l’ambassadeur érythréen, la Commission a jugé qu’en l’absence d’éléments de preuve permettant d’évaluer les biens la satisfaction sous forme d’une décision concluant à la responsabilité constituait une réparation appropriée55.
2.12. Deuxièmement, la satisfaction est le remède approprié lorsqu’un Etat qui n’a pas exercé la diligence voulue pour empêcher d’autres acteurs de causer un préjudice est réputé n’avoir pas directement causé ledit préjudice. Cette règle est liée à la nécessité de montrer un lien de causalité direct et certain entre le fait illicite et le préjudice. Lorsqu’elle ne peut établir avec certitude que le préjudice aurait été évité avec la diligence requise, la Cour accorde la satisfaction au lieu d’une indemnisation.
2.13. En l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, la Cour a expliqué ce qui suit :
«[L]a question … de savoir si le génocide de Srebrenica aurait eu lieu dans l’hypothèse où le défendeur aurait employé, pour essayer de l’empêcher, tous les moyens dont il disposait, devient directement pertinente quand il s’agit de délimiter l’étendue de l’obligation de réparation incombant au défendeur en conséquence de l’illicéité de son comportement. Il s’agit en effet de rechercher s’il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le fait illicite, à savoir la violation par le défendeur de l’obligation de prévenir le génocide, et le préjudice subi par le demandeur, consistant en dommages de tous ordres, matériels et moraux, provoqués par les actes de génocide. Un tel lien de causalité ne pourrait être regardé comme établi que si la Cour était en mesure de déduire de l’ensemble de l’affaire, avec un degré suffisant de certitude, que le génocide de Srebrenica aurait été effectivement empêché si le défendeur avait adopté un comportement conforme à ses obligations juridiques. Force est toutefois de constater que tel n’est pas le cas. Ainsi qu’il a été relevé plus haut, le défendeur disposait indubitablement de moyens d’influence non négligeables à l’égard des autorités politiques et militaires des Serbes de Bosnie, qu’il aurait pu, et par conséquent dû, mettre en oeuvre en vue d’essayer d’empêcher les atrocités ; il n’a cependant pas été démontré que, dans le contexte particulier de ces événements, ces moyens eussent été suffisants pour atteindre le résultat que le défendeur aurait dû rechercher. La Cour ne pouvant donc regarder comme établie l’existence d’un lien de causalité entre la violation par le défendeur de son obligation de prévention et les dommages entraînés par le génocide de Srebrenica,
54 Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, Eritrea’s Damages Claims (Réclamations de dommages de l’Erythrée), sentence finale, décision du 17 août 2009, reproduite dans Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XXVI (2009) (ci-après «Eritrea’s Damages Claims»), p. 595, par. 288.
55 Ibid., par. 387-388.
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l’indemnisation n’apparaît pas comme la forme appropriée de réparation qu’appelle la violation de l’obligation de prévenir le génocide.»56
2.14. Au lieu d’accorder une indemnisation, la Cour a considéré que «[d]e même que dans l’affaire du Détroit de Corfou …, une déclaration [sur le fait illicite] «constitu[ait] en elle-même une satisfaction appropriée» …, et [que], comme dans cette affaire, elle fera[it] figurer cette déclaration dans le dispositif de son arrêt»57.
2.15. Troisièmement, enfin, la satisfaction est accordée en cas de dommage immatériel. Il s’agit du remède approprié aux «dommages qui, n’étant pas susceptibles d’évaluation financière, constituent un affront pour l’Etat»58. En l’affaire du Rainbow Warrior, le tribunal arbitral a expliqué ce qui suit :
«Il y a une habitude de longue date des Etats et des cours et tribunaux internationaux d’utiliser la satisfaction en tant que remède ou forme de réparation (au sens large du terme) pour les violations d’une obligation internationale. Cette habitude s’applique particulièrement aux cas de dommages moraux ou légaux du fait direct d’un Etat, à l’inverse des cas de dommages aux personnes...»59
2.16. La satisfaction est considérée comme une réparation adéquate notamment dans les circonstances suivantes : les mauvais traitements à l’encontre de représentants diplomatiques ou consulaires et la violation de locaux d’ambassades ou de consulats ainsi que du domicile de membres de missions diplomatiques étrangères60.
2.17. A titre d’exemple, la Commission des réclamations a estimé que les fouilles imposées de manière illicite par l’Ethiopie au personnel diplomatique érythréen qui quittait son territoire et celles infligées par l’Erythrée au personnel diplomatique éthiopien dans les mêmes circonstances, ainsi que l’arrestation arbitraire et la détention temporaire du chargé d’affaires éthiopien constituaient un préjudice immatériel pour lequel la satisfaction était appropriée, sous la forme d’une déclaration d’illicéité61.
56 Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. 462 (les italiques sont de nous).
57 Ibid., par. 463.
58 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 37, commentaire, par. 3.
59 Affaire concernant les problèmes nés entre la Nouvelle-Zélande et la France relatifs à l’interprétation ou à l’application de deux accords conclus le 9 juillet 1986, lesquels concernaient les problèmes découlant de l’affaire du Rainbow Warrior, sentence du 30 avril 1990, reproduite dans Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XX (2006), p. 272-273, par. 122. Dans cette affaire, qui portait sur des violations de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, le Tribunal a déclaré que «la condamnation de la République française à raison des violations de ses obligations envers la Nouvelle-Zélande, rendue publique par la décision du Tribunal, constitu[ait] … une satisfaction appropriée pour les dommages légaux et moraux causés à la Nouvelle-Zélande», ibid., p. 273, par. 123.
60 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 37, commentaire, par. 4.
61 Eritrea’s Damages Claims, p. 619-620, par. 386, et p. 630, IX. 18 ; Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, Ethiopia’s Damage Claims (Réclamations de dommages de l’Ethiopie), sentence finale, décision du 17 août 2009, reproduite dans Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XXVI (2009) (ci-après «Ethiopia’s Damage Claims»), p. 745-746, par. 387-388, et p. 770, XII. C.
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2.18. Les formes que la satisfaction peut revêtir sont nombreuses62 : «[l]’une des plus fréquentes … est la déclaration d’illicéité faite par une cour ou un tribunal compétent»63.
2.19. L’importance et l’utilité de la déclaration réparatoire dans de telles circonstances ont été soulignées en l’affaire du Détroit de Corfou. Après avoir conclu à l’illicéité de l’opération de déminage menée par la marine britannique, la Cour a ainsi jugé qu’
«[e]lle devait … pour assurer l’intégrité du droit international dont elle est l’organe, constater la violation par l’action de la marine de guerre britannique de la souveraineté de l’Albanie. Cette constatation correspond à la demande faite au nom de l’Albanie par son conseil et constitue en elle-même une satisfaction appropriée.»64
2.20. La Cour a suivi cette même approche dans de nombreuses affaires par la suite65.
2.21. La RDC elle-même a reconnu l’importance de la satisfaction comme forme de réparation. Dans les conclusions qu’elle avait présentées à la Cour lors de la phase de fixation de l’indemnité en l’affaire Diallo, elle avait déclaré qu’«[o]n ne saurait perdre de vue que la Guinée a déjà obtenu satisfaction par la seule constatation judiciaire faite par la Cour de la violation du droit international attribuée à la RDC. La Guinée aura donc reçu une double satisfaction dans cette affaire» du fait qu’elle demande d’autres réparations66.
2.22. Il en va de même en la présente instance. Avec les déclarations judiciaires qui leur ont donné raison sur plusieurs aspects de leurs demandes, les deux Parties ont obtenu une satisfaction claire et significative devant l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies.
III. L’OBLIGATION D’INDEMNISER LE DOMMAGE CAUSÉ PAR UN FAIT INTERNATIONALEMENT ILLICITE
2.23. Dans d’autres circonstances, «[i]l est une règle bien établie du droit international qu’un Etat lésé est en droit d’être indemnisé, par l’Etat auteur d’un fait internationalement illicite, des dommages résultant de celui-ci»67. Le montant de l’indemnité qu’un Etat lésé peut obtenir dépend toutefois de la mesure dans laquelle sa demande d’indemnisation satisfait aux règles et principes de droit international régissant ces questions.
62 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 37, commentaire, par. 5.
63 Ibid., par. 6.
64 Détroit de Corfou, p. 35 et dispositif, p. 36.
65 Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. 463-464 ; Djibouti c. France (2008), par. 2) a) du dispositif ; Usines de pâte à papier, par. 282 ; Ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce, par. 169 ; Nicaragua c. Costa Rica (2015), par. 139 et 224. Voir également l’affaire du Rainbow Warrior, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XX (1990), p. 273, par. 123.
66 Affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), Indemnisation due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée, C.I.J. Recueil 2012 (ci-après «Diallo (2012)»), contre-mémoire de la République démocratique du Congo (21 février 2012) (ci-après «contre-mémoire de la RDC dans Diallo (2012)»), par. 1.48.
67 Projet Gabčíkovo-Nagymaros, par. 152. Voir également le Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite de la CDI, art. 36, par. 1 («L’Etat responsable du fait internationalement illicite est tenu d’indemniser le dommage causé par ce fait…»).
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2.24. Ces règles et principes sont notamment les suivants :
a) l’indemnisation est limitée au dommage effectivement causé par un fait internationalement illicite précis et exclut tout dommage indirect, éloigné ou relevant du domaine de la spéculation ;
b) l’indemnisation ne peut couvrir que les dommages susceptibles d’évaluation financière, et pour autant qu’ils soient étayés par des éléments de preuve clairs, crédibles et convaincants ;
c) l’indemnisation doit être proportionnée au préjudice effectivement subi ;
d) l’indemnisation ne saurait être punitive ;
e) l’indemnisation ne doit pas excéder les capacités de paiement de l’Etat responsable ou compromettre sa capacité à satisfaire les besoins fondamentaux de son peuple ;
f) l’indemnisation ne couvre pas les dommages que l’Etat lésé n’a pas cherché à atténuer ; et
g) l’indemnisation exclut les dommages auxquels l’Etat lésé a contribué.
2.25. Ces règles et principes sont examinés dans les sous-sections qui suivent.
A. L’indemnisation est limitée au dommage causé par des faits illicites précis
2.26. En droit international, l’indemnisation ne peut être versée que pour un préjudice spécifique causé par le fait internationalement illicite d’un Etat68. Le lien de causalité requis doit en outre être «direct et certain». La Cour elle-même a systématiquement rappelé cette exigence. En l’affaire Diallo, par exemple, elle a déclaré :
«Pour chacun de ces chefs, la Cour examinera si l’existence du préjudice est établie. Ensuite, elle «rechercher[a] si et dans quelle mesure le dommage invoqué par le demandeur est la conséquence du comportement illicite du défendeur», en examinant «s’il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le fait illicite … et le préjudice subi par le demandeur»… Une fois que l’existence du préjudice et le lien de causalité avec les faits illicites auront été établis, la Cour procédera à l’évaluation de ce préjudice.»69
2.27. L’existence requise d’un «lien de causalité direct et certain» est centrale pour déterminer le montant de l’indemnisation, car «l’objet de la réparation est, globalement, le préjudice résultant du fait internationalement illicite et imputable à celui-ci»70. Cet objet ne s’étend
68 Projet Gabčíkovo-Nagymaros, par. 152 ; Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. 462 ; Diallo (2012), par. 14. Voir également le Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite de la CDI, art. 36, par. 1 («L’Etat responsable du fait internationalement illicite est tenu d’indemniser le dommage causé par ce fait…»), et art. 31, par. 1 («L’Etat responsable est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite.»).
69 Diallo (2012), par. 14 ; Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (2007), par. 462 (les italiques sont de nous).
70 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 31, commentaire, par. [9].
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pas à «toutes les conséquences de ce fait»71. Sont donc exclus les pertes, dommages ou préjudices qui sont «trop indirect[s], trop éloigné[s] et trop incertain[s]»72.
2.28. Pour ces raisons, les tribunaux internationaux ont invariablement rejeté les réclamations liées aux dommages consécutifs au déclenchement d’une guerre73. A titre d’exemple, la Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie a admis qu’«un large éventail de dommages pouvant être liés à un conflit armé échapp[ait] à la responsabilité de l’Etat»74. En voici une liste non exhaustive : conséquences économiques et sociales généralisées de la guerre75 ; pertes industrielles et commerciales d’un Etat ou d’entités privées qui résultent d’un contexte général de perturbation de l’économie en temps de guerre76 ; baisse de l’aide internationale au développement77 ; et perte d’investissements étrangers et nationaux78.
71 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 31, commentaire, par. 9.
72 Trail Smelter Case (United States, Canada) (arbitrage concernant la Fonderie de Trail (Etats-Unis d’Amérique/Canada)), sentence du 16 avril 1938 et du 11 mars 1941, reproduite dans Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. III (2006), p. 1931. Voir également l’arbitrage de l’Alabama, dans lequel les dommages «indirects» ont tous été exclus, Alabama Claims, Protocol V, Record of the proceedings of the Tribunal of Arbitration at the fifth conference held at Geneva, in Switzerland, on the 19th of June, 1872, reproduit dans J. C. Bancroft Davis, Report of the Agent of the United States Before the Tribunal of Arbitrations at Geneva (1873), p. 21-22.
73 Commission mixte de réclamations germano-américaine, Administrative Decision No. II, 1er novembre 1923, reproduite dans Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. VII (2006), p. 23 et 28 ; Alabama Claims, op. cit, p. 21-22 ; Ethiopia’s Damage Claims, par. 289.
74 Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, Decision No. 7 : Guidance Regarding Jus ad Bellum Liability) (27 juillet 2007) (ci-après «Decision No. 7»), par. 13.
75 La Commission a fait observer ce qui suit :
«Depuis l’arbitrage de l’Alabama au moins, les jurys rejettent les demandes de réparation au titre des dommages infligés aux intérêts économiques généraux de l’Etat vainqueur ou de ses ressortissants ou au titre de ses dépenses de guerre. La Commission mixte de réclamations germano-américaine … a souligné la nécessité d’un lien de causalité direct entre une perte et les actions de l’Etat défendeur et rejeté les demandes présentées au titre de «tous les dommages ou pertes dus à la guerre».»
Elle a également estimé que «le droit international n’impos[ait] pas de responsabilité à l’égard des conséquences économiques et sociales généralisées de la guerre», Ethiopia’s Damage Claims, par. 286 et 395.
76 La Commission a jugé que les «pertes industrielles et commerciales résultant d’un contexte général de perturbation de l’économie en temps de guerre [étaient] trop éloignées de la violation du jus ad bellum commise par l’Erythrée, et n’ouvr[aient] pas droit à indemnisation», ibid., par. 402.
77 Selon les conclusions de la Commission,
«[l]e dossier n’était pas suffisant pour établir le montant des pertes alléguées, ou l’existence d’un lien de causalité suffisant entre ces pertes et la violation du jus ad bellum commise par l’Erythrée. A cet égard, la réduction de l’aide au développement apportée à l’Ethiopie a résulté de décisions prises par des institutions financières internationales et des gouvernements étrangers pour des raisons qui leur sont propres. Précisément lorsque le préjudice allégué est directement dû à des décisions prises par des tierces parties, des éléments de preuve bien plus convaincants seraient requis pour montrer que les pertes sont imputables à la violation du jus ad bellum commise par l’Erythrée. La demande est rejetée.» Ibid., par. 465.
78 L’Ethiopie a demandé plus de deux milliards de dollars des Etats-Unis en compensation des investissements étrangers et nationaux qui n’auraient pas été réalisés dans son économie pendant les années de guerre. La Commission a considéré que,
«compte tenu du montant demandé, … il n’exist[ait] pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir le montant d’un préjudice indemnisable subi par l’Etat éthiopien. Bien plus important encore, les éléments de preuve n’ont pas établi un lien de causalité suffisant entre le délit de jus ad bellum commis par l’Erythrée et le préjudice qu’aurait subi l’Ethiopie à la suite de la baisse des investissements étrangers et nationaux pendant les années de guerre.» Ibid., par. 466 et 469.
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2.29. La Cour elle-même a souligné l’importance du «lien de causalité direct et certain» dans l’arrêt au fond qu’elle a rendu en 2005 en la présente instance. Après avoir identifié les faits internationalement illicites imputables à l’Ouganda et déclaré que celui-ci était tenu de les réparer, elle a jugé qu’il incombait à la RDC «de démontrer, en en apportant la preuve, le préjudice exact qu’elle a[vait] subi du fait des actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites dont il est responsable»79. Bien entendu, cela s’applique aussi, mutatis mutandis, aux demandes reconventionnelles de l’Ouganda.
2.30. L’obligation d’indemnisation faite aux deux Parties est donc subordonnée à la justification spécifique des préjudices spécifiques causés par les faits spécifiques dont l’une et l’autre sont responsables. Il incombe à l’Ouganda et à la RDC de prouver : 1) «le préjudice exact» subi en conséquence des 2) «actions spécifiques» 3) «dont [ils ont été déclarés] responsable[s]» en vertu du droit international.
2.31. De plus, ces éléments de preuve doivent être produits dans le cadre ratione materiae, ratione loci et ratione temporis des conclusions de la Cour sur la responsabilité des Parties, qui ont force de chose jugée. Durant la phase au fond, la Cour a rejeté de nombreux aspects des demandes dont elle était saisie, et seuls certains d’entre eux, limités à des considérations de matière, de lieu et de temps, l’ont conduite à conclure à la responsabilité des deux Parties.
2.32. A titre d’exemple, en ce qui concerne la responsabilité ratione materiae, étant donné que la Cour n’a pas déclaré la RDC responsable d’actes d’agression contre l’Ouganda, celui-ci est maintenant empêché de demander réparation pour les pertes, dommages ou préjudices liés à cette partie de sa demande reconventionnelle. De même, la Cour n’ayant pas conclu à la responsabilité internationale de l’Ouganda pour les actes de pillage et d’exploitation des ressources naturelles de la RDC commis par des groupes rebelles (en dehors de l’Ituri)80, la RDC est maintenant empêchée de demander réparation pour un tel comportement.
2.33. S’agissant de la responsabilité ratione loci, la Cour n’a pas jugé la RDC responsable des mauvais traitements qui auraient été infligés à des ressortissants ougandais (autres que le personnel diplomatique) à l’aéroport international de Ndjili alors qu’ils tentaient de quitter le pays. Dès lors, l’Ouganda est maintenant empêché de demander réparation au titre des mauvais traitements dont auraient été victimes ces ressortissants à l’aéroport81. De même, la Cour n’ayant pas déclaré l’Ouganda responsable des actions menées dans certains endroits de la RDC82, celle-ci est empêchée de demander réparation pour les pertes, dommages et préjudices résultant des attaques en question.
2.34. Quant aux limites ratione temporis, la Cour a jugé la RDC responsable de trois attaques distinctes contre les locaux diplomatiques de l’Ouganda à Kinshasa, en août, en septembre et en novembre 199883. Par conséquent, la demande de réparation de l’Ouganda est limitée aux
79 Activités armées (2005), par. 260 (les italiques sont de nous).
80 Ibid., par. 247.
81 Ibid., par. 332-333.
82 Ibid., par. 71 (concluant que, «sur la base des éléments de preuve qui lui ont été soumis, elle ne peut tenir pour établi à suffisance que l’Ouganda a participé à l’attaque contre Kitona») ; ibid., p. 209, par. 91 (concluant que «les éléments de preuve produits ne l’ont pas convaincue de la présence des forces ougandaises à Mobenzene, Bururu, Bomongo et Moboza»).
83 Ibid., par. 306, 334-337.
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pertes, dommages ou préjudices résultant de ces attaques et de l’occupation durable de ces locaux, et ne peut porter sur les incidents survenus après que l’Ouganda eut recouvré l’accès à ses locaux diplomatiques. De même, la RDC ne peut demander réparation que pour les pertes, dommages ou préjudices subis pendant la période indiquée dans l’arrêt de 2005. Ainsi, s’agissant des faits illicites dont elle a conclu qu’ils s’étaient produits durant l’occupation par l’Ouganda du district de l’Ituri en RDC, la Cour semble avoir considéré que l’occupation avait commencé en juin 199984 et pris fin en juin 200385 avec le retrait des forces ougandaises.
2.35. Il s’ensuit que, pour permettre à la Cour de déterminer la portée de leur obligation d’indemnisation, l’Ouganda et la RDC doivent tous deux démontrer un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le préjudice exact qu’ils ont subi et les faits internationalement illicites spécifiques, tels que circonscrits dans le cadre materiae, loci, et temporis, dont ils ont été déclarés responsables dans l’arrêt de 2005.
B. L’indemnisation ne couvre que le dommage susceptible d’évaluation financière dans la mesure où celui-ci est établi
2.36. L’indemnité a pour fonction de compenser les pertes réelles résultant de la commission d’un fait internationalement illicite. Elle ne couvre que le «dommage susceptible d’évaluation financière, y compris le manque à gagner dans la mesure où celui-ci est établi»86. Même s’il est démontré qu’il y a eu violation du droit international, l’étendue des dommages résultant de cette violation constitue une question distincte. Et si cette étendue n’est pas établie, la réparation ne peut aller au-delà du simple constat de la commission d’un fait illicite.
2.37. La détermination des dommages pouvant donner lieu à indemnisation fait intervenir deux éléments connexes : la charge de la preuve et le critère de la preuve.
2.38. S’agissant de la charge de la preuve, la Cour a fait observer à plusieurs reprises que, «[e]n règle générale», «il appart[enait] à la partie qui all[éguait] un fait au soutien de ses prétentions de faire la preuve de l’existence de ce fait»87. Cette condition est rappelée dans l’arrêt de 2005. De fait, anticipant la possibilité que la RDC revienne devant elle pour demander réparation dans une phase distincte de la procédure, la Cour a affirmé ce qui suit : «La RDC aurait ainsi l’occasion de démontrer, en en apportant la preuve, le préjudice exact qu’elle a subi du fait des actions spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites dont il est responsable.»88 Il en va évidemment de même pour les dommages précis dont l’Ouganda fait état dans ses demandes reconventionnelles. Il appartient à l’Ouganda de démontrer l’étendue de ces dommages pendant la phase actuelle89.
84 Activités armées (2005), par. 175.
85 Ibid., par. 167.
86 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 36, par. 2 (les italiques sont de nous).
87 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 660, par. 54 ; Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 668, par. 72 ; Usines de pâte à papier, p. 71, par. 162.
88 Activités armées (2005), p. 257, par. 260.
89 Ibid., par. 344.
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2.39. S’agissant du critère de la preuve, la condition imposant que des dommages soient établis pour donner lieu à indemnisation signifie qu’aucune «réparation ne peut être accordée au titre de dommages incertains et relevant du domaine de la spéculation»90.. Les cours et tribunaux internationaux, parmi lesquels la Cour internationale de Justice, exigent des éléments de preuve clairs, crédibles et convaincants à l’appui d’une demande de réparation91.
2.40. La pratique pertinente à cet égard est illustrée par l’arrêt Diallo, dans lequel la RDC elle-même a fait valoir que des éléments de preuve «crédible[s] et convaincant[s]» étaient requis dans le cadre de demandes de réparation. La RDC a rappelé par exemple qu’il appartenait au demandeur en l’affaire, la Guinée, d’«administrer devant la Cour … la preuve crédible et convaincante de l’existence réelle et non imaginaire des [biens] de M. Diallo», «la preuve de la perte effective et non hypothétique desdits [biens]» et «la preuve crédible et irréfutable de leur valeur financière.»92
2.41. La RDC a en outre contesté les prétentions de la Guinée en affirmant, d’une part, «que [cette dernière] n’a[vait] pas démontré de manière suffisante et convaincante, au-delà de tout doute raisonnable», que M. Diallo avait perdu des biens93, et, d’autre part, que sa demande concernant la perte de gains potentiels «n’[était] ni crédible ni fondée»94.
2.42. L’exigence de fournir des éléments de preuve objectifs est particulièrement impérative s’agissant des manques à gagner allégués, pour lesquels les tribunaux sont généralement réticents à accorder réparation en raison de leur nature spéculative95. Par définition, le calcul des manques à gagner peut dépendre de risques commerciaux et politiques non quantifiables, qui ne font qu’augmenter au fur et à mesure de l’éloignement des projections dans l’avenir. Pour donner lieu à indemnisation, les manques à gagner doivent donc avoir «des caractéristiques telles qu’il[s]
90 Amco Asia Corporation and others v. Republic of Indonesia, affaire CIRDI n° ARB/81/1, sentence (20 novembre 1984), réimprimé dans ICSID Reports, vol. 1, p. 413 (1993) (ci-après «Amco v. Indonesia»), par. 238 ; Usine de Chorzów, fond, p. 56.
91 Pour une analyse générale de la pratique de la Cour en matière de preuve, voir Jean-Flavien Lalive, «Quelques remarques sur la preuve devant la Cour permanente et la Cour internationale de Justice», Annuaire suisse de droit international, vol. 7, 1950, p. 77 (annexe 21) ; Keith Highet, «Evidence, the Court, and the Nicaragua Case» [«La preuve, la Cour et l’affaire Nicaragua»], American Journal of International Law, vol. 81, 1987, p. 1, (annexe 24) ; Eduardo Valencia-Ospina, «Evidence before the International Court of Justice» [«La preuve devant la Cour internationale de Justice»], International Law FORUM du droit international, vol. 1, 1999, p. 202, (annexe 25) ; Maurice Kamto, «Les moyens de preuve devant la Cour internationale de Justice à la lumière de quelques affaires récentes portées devant elle», German Yearbook of International Law, vol. 49, 2006, p. 259, (annexe 27) ; Ruth Teitelbaum, «Recent Fact-finding Developments at the International Court of Justice» [«L’évolution récente en matière d’établissement des faits devant la Cour internationale de Justice»], Law and Practice of International Courts and Tribunals, vol. 6, 2007, p. 119, vol. II, annexe 29 ; P. Tomka & V.-J. Proulx, «The Evidentiary Practice of the World Court» [«La pratique de la Cour mondiale en matière de preuve»] in LIBER AMICORUM GUDMUNDUR EIRIKSSON (J. C. Sainz-Borgo eds., publication à venir en 2016), (annexe 32). Au sujet de la pratique d’autres cours et tribunaux en matière de preuve, voir, en général, J.C. Witenberg, «La théorie des preuves devant les juridictions internationales», Recueil des Cours, tome 56 (1936-II), p. 1, (annexe 19) ; Durward Sandifer, Evidence Before International Tribunals [«La preuve devant les cours et tribunaux internationaux»] (1975), (annexe 23) ; Chittharanjan Amerasinghe, Evidence in International Litigation [«La preuve dans les différends internationaux»] (2005), (annexe 26).
92 Contre-mémoire de la RDC dans Diallo (2012), par. 2.42 (les italiques sont de nous).
93 Ibid., par. 2.50 (les italiques sont de nous).
94 Ibid., par. 2.55 (les italiques sont de nous).
95 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 36, commentaire, par. 27.
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p[euvent] être considéré[s] comme constituant un intérêt juridiquement protégé suffisamment sûr»96. Ils ne doivent pas seulement être possibles mais directs et prévisibles97.
2.43. A cet égard, l’Ouganda fait observer que la Cour fonde en général l’octroi d’une indemnisation sur la preuve des pertes, dommages ou préjudices réels, sans suivre les techniques et les critères utilisés pour l’administration de la preuve par les commissions de réclamations appelées à traiter des demandes en grand nombre.
2.44. Il s’ensuit que la portée du devoir de réparation des Parties dépendra de la mesure dans laquelle celles-ci parviendront à établir les dommages subis, conformément aux règles régissant la charge et le critère de la preuve.
C. L’indemnisation doit être proportionnée
2.45. L’indemnisation de nature pécuniaire vise à compenser, autant que possible, les dommages subis par l’Etat lésé par suite d’un manquement à une obligation juridique internationale98. Elle doit être proportionnée au préjudice réel99. Pour satisfaire à cette condition, il convient de tenir compte de la nature du fait illicite, des circonstances concrètes de chaque affaire, ainsi que de la nature exacte et de l’importance du préjudice100. Deux décisions de la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie sont particulièrement instructives à cet égard.
2.46. Premièrement, la commission a estimé que l’indemnisation devait être en rapport avec la nature du fait illicite101. Elle a ainsi jugé que, même si «la violation, par l’Erythrée, du jus ad bellum … était grave et lourde de conséquences», elle «se distinguait néanmoins, par son ampleur et par sa nature, du recours agressif à la force caractéristique du début de la seconde guerre mondiale, de l’invasion de la Corée du Sud en 1950 ou encore de l’invasion et l’occupation du Koweït par l’Iraq en 1990»102, et que, «aux fins de déterminer le montant de l’indemnisation due,
96 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 36, commentaire, par. 27.
97 Dans l’affaire Percy Shufeldt, l’arbitre a considéré que
«[l]e lucrum cessans d[evait] découler directement du contrat et ne d[evait] ni être trop éloigné, ni trop relever du domaine de la spéculation… A la date de son annulation ou de sa révocation, le contrat était en vigueur depuis six ans et l’extraction et l’exportation de chiclé constituaient une activité dont la continuité était assurée et qui générait des profits substantiels, et rien n’indique que ceux-ci n’auraient pas perduré jusqu’à l’expiration du contrat.» Percy Shufeldt Claim (USA/Guatemala), sentence du 24 juillet 1930, reproduite dans Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. II (2006), p. 1099. Voir également Marjorie Whiteman, Damages in International Law (1943), p. 1836-1837 (annexe 20).
98 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 36, commentaire, par. 4.
99 Comme l’a conclu la commission mixte de réclamations germano-américaine dans les affaires du Lusitania : «La conception fondamentale des dommages-intérêts est … la réparation d’une perte subie, une compensation octroyée par voie judiciaire pour un préjudice. La réparation doit être proportionnelle au préjudice», décision du 1er novembre 1923, reproduite dans Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. 7 (2006) (ci-après «Opinion in the Lusitania Cases»), p. 39 (les italiques sont de nous)). Voir également Avena, p. 59, par. 119 (dans laquelle la Cour a également affirmé que la réparation devait correspondre au préjudice).
100 Usines de pâte à papier, p. 104, par. 274 ; Avena, p. 59, par. 119.
101 Ethiopia’s Damage Claims, par. 311-312.
102 Ibid., par. 312.
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ces facteurs d[evaient] être pris en compte»103. Il conviendrait, en l’espèce, d’appliquer des facteurs analogues.
2.47. Deuxièmement, la commission a considéré que, pour éviter toute disproportion, le préjudice devait être apprécié eu égard aux conditions socioéconomiques prévalant à l’endroit de sa survenance et s’en est ainsi expliquée :
«Le montant de l’indemnisation doit être apprécié à l’aune de la situation économique et sociale concrète des personnes lésées au nom desquelles l’Etat présente sa réclamation. Les difficultés économiques propres aux régions affectées de l’Erythrée et de l’Ethiopie doivent [donc] être prises en compte aux fins d’évaluer le montant de l’indemnité correspondante. L’octroi d’une indemnisation en vertu du droit international ne peut permettre de remédier aux disparités économiques dans le monde.»104
2.48. Il s’ensuit que l’indemnisation que pourraient obtenir l’Ouganda et la RDC doit être proportionnée à la nature du fait illicite et aux conditions socioéconomiques réelles des Parties.
D. L’indemnisation ne doit pas avoir un caractère punitif
2.49. L’indemnisation n’a pas pour objet de punir l’Etat responsable, et n’a pas non plus un caractère exemplaire. Sa fonction est purement compensatoire105. L’on ne trouve «aucun exemple, dans la pratique internationale contemporaine, de décision ayant accordé des «dommages-intérêts punitifs»»106. Même dans les affaires portant sur des «manquements graves à des obligations internationales, que ce soit en raison de l’importance de la norme inobservée ou en raison de circonstances aggravantes  ou des deux , il n’a jamais été question de réparations de cette sorte»107.
2.50. En 1923 déjà, la commission mixte de réclamations germano-américaine, appelée à apprécier, dans les affaires du Lusitania, les dommages causés à des ressortissants américains à l’occasion du torpillage, par un sous-marin allemand, du paquebot britannique Lusitania avant l’entrée des Etats-Unis dans la première guerre mondiale, a catégoriquement refusé d’accorder des réparations de nature punitive. Estimant que «[l]a réparation d[evait] être proportionnelle au
103 Ethiopia’s Damage Claims, par. 312.
104 Eritrea’s Damages Claims, p. 508, par. 26 ; Ethiopia’s Damage Claims, par. 26 (les italiques sont de nous).
105 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 36, commentaire, par. 4. En l’affaire Velásquez Rodríguez, qui concernait une demande de réparation pour une disparition, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a estimé que le droit international ne reconnaissait pas la notion de dommages-intérêts punitifs (Velásquez Rodríguez v. Honduras, arrêt du 21 juillet 1989 (réparation et frais), CIADH, série C, no 7, par. 38). Dans l’affaire Re Letelier and Moffitt, portant sur l’assassinat à Washington d’un ancien ministre chilien par des agents chiliens, le compromis ne prévoyait pas de dommages-intérêts punitifs bien que ceux-ci puissent être octroyés en vertu du droit américain (Différend concernant la responsabilité des décès de Letelier et de Moffitt (Etats-Unis d’Amérique/Chili), décision du 11 janvier 1992, reproduite dans Recueil des sentences arbitrales, vol. XXV, p. 1 (2006)).
106 Stephan Wittich, «Punitive Damages», dans The law of International Responsibility, J. Crawford et al. (dir. publ.), 2010, p. 669-671 (annexe 31).
107 Ibid., p. 671.
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préjudice»108, elle a décidé qu’«il ne sera[it] pas accordé de dommages et intérêts à titre d’exemple ou de punition»109 .
2.51. De même, dans l’affaire du Détroit de Corfou, tout en soulignant les «graves omissions» commises par l’Albanie, la présente Cour a choisi de considérer le manquement comme n’importe quel autre fait illicite et d’allouer des dommages-intérêts de nature purement compensatoire110.
2.52. Plus récemment, la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie a suivi le même raisonnement, relevant que «l’indemnisation se limit[ait] à un rôle correctif, et non punitif»111. Elle a souligné que les dommages-intérêts accordés dans une procédure entre Etats visaient à «assurer une indemnisation appropriée dans le cadre du droit de la responsabilité des Etats»112, et a rappelé à cet égard que, «dans les situations où l’emploi illicite de la force était en cause, les Etats et l’Organisation des Nations Unies [avaient] créé des régimes ou retenu des solutions prévoyant une indemnisation inférieure au préjudice causé par le fait illicite»113. Suivant cet exemple, la commission a écarté un certain nombre de réclamations disproportionnées présentées par les parties à des fins manifestement punitives, et non correctives.
2.53. La RDC elle-même a admis que l’indemnisation vise non pas à sanctionner mais à offrir une réparation raisonnable et proportionnée au préjudice causé. En l’affaire Diallo, elle avait fait valoir qu’elle «contest[ait] et rejet[ait] [l]e montant [réclamé par la République de Guinée] … manifestement excessif et disproportionné au regard du préjudice réellement subi»114. Elle avait aussi rappelé, à propos du préjudice moral, que «le but de l’indemnité pour réparer le dommage immatériel subi par M. Diallo n’[était] pas d’enrichir ni l’intéressé pour l’aider à investir dans des activités commerciales en Guinée ni la Guinée elle-même, mais d’octroyer une sorte de consolation pécuniaire pour compenser ledit préjudice»115.
2.54. Il s’ensuit que ni l’Ouganda ni la RDC ne sauraient chercher à tirer une sanction de la réparation. Les Parties ne peuvent faire porter leur demande que sur les dommages effectivement causés par les faits internationalement illicites.
E. L’indemnisation ne doit pas excéder la capacité de paiement de l’Etat responsable
2.55. L’indemnisation est soumise à une autre limite importante en droit international : elle ne doit pas dépasser la capacité de paiement de l’Etat responsable, ni causer de préjudice grave à sa
108 Opinion in the Lusitania Cases, p. 39.
109 Ibid., p. 36.
110 Détroit de Corfou, par. 23 ; voir également Stephan Wittich, «Punitive Damages», p. 671 (annexe 31).
111 Eritrea’s Damages Claims, par. 26.
112 Ethiopia’s Damages Claims, par. 308.
113 Ibid., par. 31[4] (les italiques sont de nous).
114 Contre-mémoire de la RDC dans Diallo (2012), par. 1.7.
115 Ibid., par. 1.48.
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population116 ; elle doit être au contraire proportionnée au regard de sa situation économique. L’indemnisation ne peut en aucun cas avoir pour conséquence de priver le peuple de l’Etat responsable de ses moyens de subsistance117.
2.56. Ces principes ont été réaffirmés par la commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie. L’Ethiopie demandait à l’Erythrée près de 14,3 milliards de dollars des Etats-Unis pour les dommages causés par des violations du jus ad bellum et du jus in bello, l’Erythrée réclamant pour sa part à l’Ethiopie quelque 6 milliards de dollars des Etats-Unis pour des violations du jus in bello118.
2.57. La commission s’est dite préoccupée par l’ampleur de ces réclamations, «considérables tant dans l’absolu qu’au regard de la capacité économique du pays contre lequel elles [étaient] présentées»119. Elle a également relevé que les demandes de cet ordre soulevaient «des questions importantes quant au chevauchement entre le droit de la responsabilité des Etats et les normes fondamentales relatives aux droits de l’homme»120, lesquelles exigent de limiter l’indemnisation pour ne pas imposer de charges accablantes à l’Etat payeur.
2.58. La commission a ainsi exposé :
«L’Ethiopie et l’Erythrée sont l’une et l’autre parties au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le paragraphe 2 de l’article premier commun aux deux instruments énonce qu’«[e]n aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance». Il a été relevé, à l’audience, que cette réserve figurait dans les premières versions du projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat élaboré par la Commission du droit international, mais n’a pas été retenue dans le texte final adopté. Cela est sans incidence sur la règle fondamentale du droit des droits de l’homme énoncée au paragraphe 2 de l’article premier desdits pactes, qui s’applique incontestablement aux Parties.
De même, le paragraphe 1 de l’article 2 du PIDESC oblige les deux Parties à prendre des mesures pour assurer le «plein exercice» des droits reconnus par cet instrument. La Commission garde à l’esprit que, dans ses observations générales, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a déterminé un ensemble de mesures à prendre, si nécessaire, par les Etats, en vue, notamment, d’améliorer l’accès aux soins médicaux [et à] l’éducation … et aux ressources permettant d’assurer de meilleures conditions de subsistance. Un certain nombre d’observateurs concernés par la question, ainsi que les organismes des Nations Unies compétents en matière de
116 Ethiopia’s Damages Claims, par. 22 ; Eritrea’s Damages Claims, par. 22. Voir également William Bishop, «State Responsibility», Recueil des cours, vol. II (1965), p. 403 (annexe 22) ; Richard Falk, «Reparations, International Law, and Global Justice», dans The Handbook of Reparations (éd. P. de Greiff, 2006), p. 492 (annexe 28) ; Christian Tomuschat, «Reparations in Favour of Individual Victims of Gross Violations of Human Rights and International Humanitarian Law», dans Promoting Justice, Human Rights and Conflict Resolution Through International Law, Liber Amicorum Lucius Caflisch (éd. M. Kohen, 2007), p. 581 et suiv. (annexe 30).
117 Ethiopia’s Damages Claims, par. 19 ; Eritrea’s Damages Claims, par. 19.
118 Ethiopia’s Damages Claims, par. 18-19 ; Eritrea’s Damages Claims, par. 18.
119 Ethiopia’s Damages Claims, par. 18 ; Eritrea’s Damages Claims, par. 18.
120 Ethiopia’s Damages Claims, par. 19 ; Eritrea’s Damages Claims, par.19.
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développement, ont approuvé ces observations générales et s’en inspirent dans leur travail121.
Nonobstant les obligations contractées de part et d’autre au titre des pactes, les montants réclamés par chacune des parties représenteraient pour l’économie et la population de l’autre une charge par trop écrasante.»122
2.59. L’Ethiopie a soutenu que, l’obligation d’indemnisation incombant non pas au peuple de l’Erythrée, mais à son gouvernement, la commission n’avait pas à se préoccuper de pareilles conséquences. La commission a rejeté cet argument en relevant que «[d]es demandes d’indemnisation de très grande ampleur exigeraient, de par leur nature, de détourner une part importante des ressources nationales du pays payeur  et de ses citoyens, qui ont besoin de soins de santé, d’éducation et d’autres services publics  au profit du pays bénéficiaire»123.
2.60. Bien qu’elle eût déclaré l’Erythrée responsable de violations du jus ad bellum et du jus in bello, la commission a estimé nécessaire de «limiter le montant des indemnités accordées» pour ne pas imposer à cet Etat un fardeau financier «tel, eu égard à sa situation économique et à son niveau de solvabilité, qu’il compromettrait sa capacité de répondre aux besoins élémentaires de sa population»124. Cette conclusion témoigne de l’importance particulière accordée par la commission au rang de l’Erythrée dans le classement du Rapport mondial sur le développement humain125.
2.61. La commission a fait observer que sa décision à cet égard était fondée sur la «pratique des Etats ayant prévalu dans les années qui [avaient] suivi le traité de Versailles, [laquelle] consistait à attacher une importance décisive aux besoins de la population touchée pour déterminer le montant des réparations de guerre demandées»126.
2.62. Ainsi, il est impératif d’éviter que l’indemnité accordée, le cas échéant, à l’Ouganda ou à la RDC dépasse la capacité de paiement de l’Etat responsable et cause un préjudice grave à sa population.
F. L’indemnisation ne couvre pas les dommages que l’Etat lésé aurait pu éviter
2.63. L’étendue de la réparation dépend également d’un autre élément, l’obligation d’atténuer le dommage127. Même la victime totalement innocente d’un comportement illicite est
121 Rapport sur la cinquième session (26 novembre  14 décembre 1990), annexe III, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale no 3 : la nature des obligations des Etats parties (art. 2, par. 1, du Pacte) (1990), Nations Unies, E/1991/23 (1991), p. 86 (annexe 17).
122 Ethiopia’s Damages Claims, par. 19-21 ; Eritrea’s Damages Claims, par. 19-21 (les italiques sont de nous).
123 Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, Decision No. 7, p. 6-7.
124 Ethiopia’s Damages Claims, par. 22, 313.
125 Ibid., par. 18.
126 Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, Decision No. 7, p. 6-7.
127 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 31, commentaire, par. 11.
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censée agir raisonnablement face au préjudice128. La partie lésée peut perdre son droit à indemnisation dans la mesure où elle n’a pas atténué le dommage129.
2.64. La Cour l’a clairement énoncé en l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros :
«C’est un principe de droit international qu’une partie lésée du fait de la non-exécution d’un engagement pris par une autre partie doit s’employer à atténuer les dommages qu’elle a subis. Il découlerait d’un tel principe qu’un Etat lésé qui n’a pas pris les mesures nécessaires à l’effet de limiter les dommages subis ne serait pas en droit de réclamer l’indemnisation de ceux qui auraient pu être évités.»130
2.65. Ni l’Ouganda ni la RDC ne peuvent donc réclamer l’indemnisation intégrale des dommages qui auraient pu être évités s’ils s’étaient acquittés de l’obligation d’atténuation qui leur incombait.
G. L’indemnisation exclut les dommages auxquels l’Etat lésé a lui-même contribué
2.66. Le droit international exige, pour déterminer l’étendue de l’indemnisation, de tenir compte de «la contribution au préjudice due à l’action ou à l’omission, intentionnelle ou par négligence, de l’Etat lésé ou de toute personne ou entité» au titre de laquelle réparation est demandée131. Cette exigence est conforme à l’idée que seul le préjudice découlant d’un fait internationalement illicite ouvre droit à réparation. Elle va également «dans le sens du principe de l’égalité entre l’Etat responsable et la victime de la violation»132.
2.67. L’importance de la contribution de l’Etat lésé au préjudice pour déterminer l’étendue de la réparation est largement reconnue133. Dans l’affaire du Vapeur Wimbledon, la question s’était posée de savoir si pareille contribution découlait du fait que, après s’être vu refuser le passage par le canal de Kiel, le navire était resté stationné quelque temps dans le port du même nom avant de prendre une autre route. La Cour permanente de Justice internationale a implicitement reconnu que le capitaine avait eu un comportement susceptible d’influer sur le montant de l’indemnité même si elle a conclu qu’il avait, en l’espèce, agi raisonnablement134.
2.68. Dans l’affaire LaGrand, l’Allemagne avait tardé à dénoncer la violation et à entamer une procédure. La Cour a relevé que «[cet Etat] p[ouvait] être critiqu[é] pour la manière dont l’instance a[vait] été introduite et pour le moment choisi pour l’introduire», en précisant qu’elle
128 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 31, commentaire, par. 11.
129 Ibid.
130 Projet Gabčíkovo-Nagymaros, par. 80.
131 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 39.
132 Ibid., art. 39, commentaire, par. 2.
133 Dans l’affaire du Chemin de fer de la baie de Delagoa, les arbitres ont conclu que «toutes ces circonstances qui p[ouvaient] être alléguées à la charge de la compagnie concessionnaire et à la décharge du Gouvernement portugais atténu[aient] la responsabilité de ce dernier, et justifi[aient] … une réduction de la réparation à allouer». Chemin de fer de la baie de Delagoa (Grande-Bretagne, Etats-Unis/Portugal), sentence du 13 juin 1891, citée dans le Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite de la CDI, art. 39, commentaire, par. 4.
134 Vapeur Wimbledon, p. 31.
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aurait pris en considération cet élément, parmi d’autres, «si la conclusion de l’Allemagne avait comporté une demande à fin d’indemnité»135.
2.69. Ainsi, le montant de l’indemnité que peuvent réclamer l’une et l’autre des Parties doit tenir compte de la contribution au préjudice de l’Etat lésé ou de toute personne ou entité au nom de laquelle réparation est demandée.
135 LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, par. 57, 116.
CHAPITRE 3 LA RÉPARATION SOLLICITÉE PAR L’OUGANDA AU TITRE DE SES DEMANDES RECONVENTIONNELLES
3.1. Dans le présent chapitre, l’Ouganda exposera la réparation qu’il sollicite au titre de ses demandes reconventionnelles, à la lumière des règles applicables du droit international passées en revue au chapitre précédent. Le chapitre 3 se compose de quatre sections. La première est consacrée aux conclusions de la Cour sur ces demandes reconventionnelles. La deuxième contient la demande de réparation de l’Ouganda au titre des mauvais traitements infligés à des diplomates et autres ressortissants ougandais. La troisième porte sur la réparation sollicitée à raison des déprédations causées aux locaux diplomatiques ougandais. Enfin, la quatrième traite de la réparation due pour les biens saisis dans les locaux en question.
I. LES CONCLUSIONS DE LA COUR RELATIVES AUX FAITS ILLICITES DE LA RDC
3.2. Dans son arrêt de 2005, la Cour a retenu la deuxième demande reconventionnelle de l’Ouganda ayant trait aux attaques et saisie dont l’ambassade ougandaise a fait l’objet à Kinshasa, ainsi qu’aux mauvais traitements infligés à des diplomates et autres ressortissants ougandais. Au point 12) du dispositif, elle a ainsi dit à l’unanimité que,
«par le comportement de ses forces armées, qui [avaient] attaqué l’ambassade de l’Ouganda à Kinshasa et soumis à de mauvais traitements des diplomates et d’autres personnes dans les locaux de l’ambassade, ainsi que des diplomates ougandais à l’aéroport international de Ndjili, et pour n’avoir pas assuré à l’ambassade et aux diplomates ougandais une protection efficace ni empêché la saisie d’archives et de biens ougandais dans les locaux de l’ambassade de l’Ouganda, la République démocratique du Congo a[vait] violé les obligations lui incombant, en vertu de la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques, envers la République de l’Ouganda».
3.3. Au point 13) du dispositif, la Cour a par conséquent jugé «que la République démocratique du Congo a[vait] l’obligation, envers la République de l’Ouganda, de réparer le préjudice causé»136.
3.4. Comme pour les prétentions de la RDC à l’endroit de l’Ouganda, il a été décidé que les Parties devraient tout d’abord s’efforcer de trouver un accord sur la réparation due à l’Ouganda, faute de quoi cette «question ... sera[it] réglée par la Cour»137. Ainsi qu’il a été exposé au chapitre 1, les Parties ne sont pas parvenues à s’entendre.
3.5. La nature et l’étendue de la réparation due à l’Ouganda par la RDC doivent bien évidemment être déterminées en fonction des constatations de fait et des conclusions de droit que la Cour a formulées dans son arrêt de 2005, à savoir :
136 Activités armées (2005), dispositif, point 13).
137 Ibid., dispositif, point 14).
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 «il y a suffisamment d’éléments de preuve attestant que des attaques ont eu lieu contre l’ambassade et que des mauvais traitements ont été infligés à des diplomates ougandais à l’aéroport international de Ndjili»138 ;
 l’ambassade de l’Ouganda a fait l’objet d’une «occupation durable ... par des soldats congolais»139 ;
 «[l]es mauvais traitements infligés par des soldats de la RDC à des personnes se trouvant dans les locaux de l’ambassade de l’Ouganda n’ont pu l’être qu’à la suite d’une atteinte à l’inviolabilité des locaux de l’ambassade, atteinte prohibée par l’article 22 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Il en est ainsi, indépendamment du fait que les intéressés aient ou non été des ressortissants ou des diplomates ougandais»140 ;
 «des éléments de preuve attestent que des diplomates ougandais ont été maltraités à l’aéroport international de Ndjili alors qu’ils quittaient le pays»141 ;
 «[e]n résumé, la Cour conclut que, du fait des attaques menées par des membres des forces armées congolaises contre les locaux de l’ambassade de l’Ouganda à Kinshasa et des mauvais traitements qu’ils ont infligés à des personnes qui se trouvaient à l’ambassade lors de ces attaques, la RDC a manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 22 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. La Cour conclut en outre qu’en raison des mauvais traitements infligés par des membres des forces armées congolaises à des diplomates ougandais dans les locaux de l’ambassade et à l’aéroport international de Ndjili, la RDC a également manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 29 de la convention de Vienne»142 ;
 «l’état des lieux de la résidence et de la chancellerie, dressé conjointement par la RDC et l’Ouganda en application de l’accord de Luanda, établit à suffisance, pour la Cour, que des biens appartenant à l’Ouganda ont été soustraits des locaux de la résidence officielle et de la chancellerie. Point n’est besoin pour elle de déterminer qui a pu faire disparaître les biens déclarés manquants. La convention de Vienne sur les relations diplomatiques non seulement prohibe toute atteinte à l’inviolabilité de la mission par l’Etat accréditaire lui-même, mais impose également à celui-ci d’empêcher toutes autres personnes — telles que les membres de milices armées — d’y porter atteinte»143 ;
 «[l]a Cour note que, à ce stade de la procédure, il lui suffit de déclarer que la responsabilité de la RDC est engagée à raison de l’atteinte à l’inviolabilité des locaux diplomatiques, des mauvais traitements infligés, à l’ambassade de l’Ouganda à Kinshasa, à des diplomates ougandais, des mauvais traitements infligés à des diplomates ougandais à l’aéroport international de Ndjili, ainsi que des attaques contre les locaux diplomatiques et de la saisie des biens et archives qui s’y trouvaient, en violation du droit international des relations diplomatiques»144.
138 Activités armées (2005), par. 334.
139 Ibid., par. 336.
140 Ibid., par. 338.
141 Ibid., par. 339.
142 Ibid., par. 340.
143 Ibid., par. 342.
144 Ibid., par. 344.
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3.6. Sur la base de ces constats, qui tous ont force de chose jugée pour les deux Parties, la RDC a une obligation de réparation au titre des chefs de préjudice suivants :
1. Pertes, dommages ou préjudices consécutifs aux mauvais traitements infligés à des personnes, et plus précisément :
i. aux diplomates et autres ressortissants ougandais maltraités par des soldats congolais dans les locaux diplomatiques de l’Ouganda ; et
ii. aux diplomates ougandais qui se trouvaient à l’aéroport de Ndjili.
2. Pertes, dommages ou préjudices relatifs aux bâtiments situés dans les locaux diplomatiques du fait de leur invasion, de leur prise et de leur occupation durable par des soldats congolais. Sont inclus dans cette catégorie les coûts de rénovation et de réparation.
3. Perte des biens publics et personnels saisis dans les locaux diplomatiques.
3.7. La réparation sollicitée par l’Ouganda à raison de ces différents chefs de préjudice est présentée dans les sections suivantes.
II. LES PERTES, DOMMAGES OU PRÉJUDICES CAUSÉS À DES DIPLOMATES ET AUTRES RESSORTISSANTS OUGANDAIS PAR LES FAITS ILLICITES DE LA RDC
3.8. L’Ouganda considère comme un seul et même volet les mauvais traitements infligés à ses diplomates et à d’autres personnes dans ses locaux diplomatiques à Kinshasa, d’une part, et à ses diplomates à l’aéroport de Ndjili, d’autre part, le principe de l’inviolabilité des locaux des missions diplomatiques et des personnes des agents diplomatiques revêtant un «caractère fondamental»145.
3.9. En l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, la Cour a tenu à souligner que «les obligations imposées aux Etats par [la convention de Vienne sur les relations diplomatiques] [étaient] d’une importance capitale pour le maintien de bonnes relations entre Etats dans le monde interdépendant d’aujourd’hui»146. Elle a précisé que,
«dans la conduite des relations entre Etats, il n’[était] pas d’exigence plus fondamentale que celle de l’inviolabilité des diplomates et des ambassades et [que] c’[était] ainsi que, au long de l’histoire, des nations de toutes croyances et toutes cultures [avaient] observé des obligations réciproques à cet effet»147.
3.10. La Cour a poursuivi en rappelant que
«[l]’institution de la diplomatie s’[était] avérée un instrument essentiel de coopération efficace dans la communauté internationale, qui permet[tait] aux Etats, nonobstant les différences de leurs systèmes constitutionnels et sociaux, de parvenir à la
145 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, par. 86.
146 Ibid., par. 91.
147 Ibid.
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compréhension mutuelle et de résoudre leurs divergences par des moyens pacifiques»148.
3.11. L’Ouganda considère que les préjudices causés aux individus victimes de mauvais traitements de la part de soldats congolais revêtent, au moins en partie, un caractère matériel et, partant, qu’ils sont susceptibles de donner lieu à une réparation de nature pécuniaire. Il reconnaît néanmoins qu’il est par nature difficile de produire des éléments de preuve — surtout contemporains des faits — qui soient suffisamment clairs et crédibles pour permettre de quantifier avec la certitude voulue l’étendue des dommages subis. Dans ces conditions, il estime que le constat de la responsabilité internationale de la RDC, énoncé par la Cour dans l’arrêt de 2005, constitue une forme de satisfaction appropriée, qui répare le préjudice subi.
3.12. Le préjudice subi par l’Etat ougandais du fait des mauvais traitements que la RDC a infligés à ses ressortissants dans ses locaux diplomatiques, et à ses diplomates à l’aéroport de Ndjili, doit, quant à lui, plutôt être considéré comme un préjudice immatériel. Il constitue un affront à la dignité de l’Ouganda et prive celui-ci des droits que lui confère la convention de Vienne sur les relations diplomatiques.
3.13. A cet égard, le préjudice est comparable à ceux causés par les fouilles illicites imposées respectivement par l’Ethiopie au personnel diplomatique érythréen qui quittait son territoire et par l’Erythrée au personnel diplomatique éthiopien qui quittait le sien, faits portés devant la Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie149. Celle-ci a jugé que la satisfaction, par la voie d’un jugement déclaratoire, constituait en l’espèce la forme de réparation adéquate, et l’Ouganda estime qu’il en va de même dans la présente affaire.
3.14. L’Ouganda ajoute que, s’il accepte la satisfaction comme forme de réparation appropriée et suffisante pour ces volets de sa demande reconventionnelle, c’est aussi pour promouvoir un climat permettant de renforcer davantage les relations bilatérales entre les Parties. Celles-ci ont en effet elles-mêmes souligné que c’était là un objectif important, à maintes reprises au cours de leurs négociations, et encore récemment dans le communiqué conjoint qu’elles ont signé le 4 août 2016 en Ouganda.
III. LES PERTES, DOMMAGES OU PRÉJUDICES CAUSÉS AUX LOCAUX DIPLOMATIQUES OUGANDAIS PAR LES FAITS ILLICITES DE LA RDC
3.15. Ce volet des demandes reconventionnelles de l’Ouganda recouvre les coûts des travaux de rénovation et de réparation engagés à cause de l’invasion et de l’occupation durable de ses locaux diplomatiques par la RDC.
3.16. A l’époque où les soldats congolais les ont envahis, saisis et occupés, les locaux diplomatiques de l’Ouganda étaient les suivants : 1) la résidence de l’ambassadeur (sise 12 avenue de l’Ouganda), constituée d’un bâtiment de deux étages ; et 2) la chancellerie (sise 17 Tombalbaye avenue de Travailure), constituée d’un bâtiment principal à trois étages et de deux bâtiments séparés à deux étages.
148 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, par. 91.
149 Eritrea’s Damages Claims, par. 386 et IX 18) ; Ethiopia’s Damages Claims, par. 387-388 et XII C).
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3.17. En avril 2005, date à laquelle l’Ouganda a pu en reprendre possession, les bâtiments de l’ambassade étaient fort délabrés. En réalité, tel était déjà le cas bien avant 2005. Lors des audiences sur le fond de l’affaire, la RDC n’a d’ailleurs pas contesté les dires de l’Ouganda, qui déclarait que son ambassade se trouvait «dans un état de total délabrement» dès septembre 2002150. Occupés par la RDC, ces bâtiments ont, au cours des trois années suivantes, subi d’autres dommages importants, notamment d’ordre structurel, comme en attestent les photographies de l’ancienne chancellerie jointes à l’annexe 4151.
1. Les frais de rénovation et de réparation supportés pour la réhabilitation de la résidence de l’ambassadeur
3.18. L’Ouganda a déboursé la somme totale de 93 585 dollars des Etats-Unis pour faire réparer les dommages causés à la résidence de son ambassadeur. Il n’est toutefois pas en mesure de produire à cet égard des éléments qui soient suffisamment clairs, crédibles et convaincants pour satisfaire aux critères pertinents en matière d’établissement de la preuve.
3.19. L’Ouganda a en sa possession deux devis quantitatifs — qu’il joint respectueusement au présent mémoire — établis par l’entreprise de construction GECODES, qui s’élèvent à 43 475152 et 28 325 dollars des Etats-Unis153, respectivement. A l’heure actuelle, il lui en manque deux autres, d’un montant total supplémentaire de 21 785 dollars.
3.20. L’Ouganda détient également une lettre en date du 29 juillet 2008 adressée à son ambassade, par laquelle l’entreprise GECODES lui demande de s’acquitter d’une somme de 93 585 dollars des Etats-Unis154. Bien qu’il ait effectivement versé ce montant, il n’est pas parvenu à trouver des récépissés de virement bancaire qui en apportent la preuve.
3.21. En l’absence des éléments de preuve requis pour établir comme il se doit le montant des travaux de rénovation et de réparation engagés et payés aux fins de la réhabilitation de l’ancienne résidence de son ambassadeur, l’Ouganda considère que le constat de la responsabilité internationale de la RDC, énoncé par la Cour dans l’arrêt de 2005, constitue une forme de satisfaction appropriée, qui répare le préjudice subi.
2. Les frais de rénovation et de réparation supportés pour la réhabilitation de la chancellerie
3.22. L’Ouganda a déboursé la somme totale de 1 198 532,94 dollars des Etats-Unis pour remettre en état les trois bâtiments endommagés de sa chancellerie. En attestent les factures détaillées que lui a envoyées l’entreprise de construction M/S SAFRICAS au titre des travaux de rénovation et de réparation y afférents, ainsi que les récépissés de virement bancaire confirmant que ces factures ont été acquittées. Ces différents documents sont joints à l’annexe 15.
150 Activités armées (2005), par. 312.
151 Photographies des déprédations causées à la chancellerie de l’Ouganda sise 17 Tombalbaye avenue de Travailure, Gombe, Kinshasa (annexe 4).
152 GECODES, travaux de réhabilitation de la résidence de l’ambassadeur de la République de l’Ouganda à Kinshasa (juillet 2007) (annexe 12).
153 GECODES, devis supplémentaire des travaux de la réhabilitation de la résidence de l’ambassadeur de l’Ouganda à Kinshasa (janvier 2008) (annexe 13).
154 Lettre en date du 29 juillet 2008 adressée à l’ambassadeur de l’Ouganda auprès de la République démocratique du Congo par l’entreprise GECODES (annexe 14).
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3.23. Pour la commodité de la Cour, l’ensemble des factures détaillées et des récépissés de virement bancaire sont récapitulés dans le tableau 1 ci-dessous.
Tableau 1 Récapitulatif des paiements effectués par l’ambassade de l’Ouganda au titre de la rénovation des bâtiments de sa chancellerie sis 17 Tombalbaye avenue de Travailure, Gombe, Kinshasa
Bénéficiaire
Date de la facture
Référence du paiement
Date du paiement
Description du paiement
Montant (dollars des Etats-Unis)
Montant total attesté
Safricas
Congo
S.A.R.L.
18/9/2013
PV-1503
26/9/2013
Attestation n° 1 (paiement anticipé)
107 988,00
247 988,00
Safricas
Congo
S.A.R.L.
PV-1504
27/9/2013
Attestation n° 2 (paiement anticipé)
140 000,00
Safricas
Congo
S.A.R.L.
24/1/2014
PV-1980
6/2/2014
Attestation n° 2 (travaux effectués)
80 809,98
80 809,98
Safricas
Congo
S.A.R.L.
15/8/2014
PV-2712
2/9/2014
Attestation n° 3 (travaux effectués)
100 000,00
196 291,70
Safricas
Congo
S.A.R.L.
PV-2771
30/9/2014
Attestation n° 3 (travaux effectués)
96 291,70
Safricas
Congo
S.A.R.L.
5/3/2015
PV-3174
21/4/2015
Attestation n° 4 (travaux effectués)
130 000,00
291 740,28
Safricas
Congo
S.A.R.L.
PV-3184
27/4/2015
Attestation n° 4 (travaux effectués)
161 740,28
Safricas
Congo
S.A.R.L.
20/10/2015
PV-3492
30/10/2015
Attestation n° 5 (travaux effectués)
76 581,00
267 861,88
Safricas
Congo
S.A.R.L.
PV-3539
5/12/2015
Attestation n° 5 (travaux effectués)
95 000,00
Safricas
Congo
S.A.R.L.
PV-3722
9/3/2016
Attestation n° 5 (travaux effectués)
40 000,00
Safricas
Congo
S.A.R.L.
PV-3819
26/4/2016
Attestation n° 5 (travaux effectués)
56 280,88
Safricas
Congo
S.A.R.L.
15/6/2016
PV-3955
26/6/2016
Attestation n° 6 (travaux effectués)
101 253,07
113 841,98
Safricas
Congo
S.A.R.L.
PV-3956
30/6/2016
Attestation n° 6 (travaux effectués)
12 588,91
TOTAL
1 198 533,82
1 198 533,82
3.24. Les éléments de preuve apportés démontrent donc de manière claire et convaincante que l’Ouganda a supporté, pour la rénovation et la réparation de sa chancellerie, des frais dont le montant, à la date du dépôt du présent mémoire, s’élève à 1 198 532,94 dollars des Etats-Unis.
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3.25. Cela étant, dans le cadre de ces travaux de réparation, l’Ouganda a également fait accroître la surface utile des bâtiments d’origine de sa chancellerie, auxquels ont plus précisément été ajoutés des espaces totalisant 238 mètres carrés155, soit 18 % de la superficie totale actuelle des locaux. Etant donné que ces extensions n’avaient pas été rendues nécessaires par les faits illicites de la RDC, mais procédaient de la seule volonté de l’Ouganda, celui-ci estime qu’il ne serait pas approprié, d’un point de vue juridique, d’exiger une réparation à raison des coûts y afférents.
3.26. Déduction faite de cette part de 18 %, le montant total des frais effectivement engagés et payés par l’Ouganda pour la rénovation et la réparation des trois bâtiments de sa chancellerie, endommagés à la suite des faits illicites de la RDC, s’établit à 982 797,73 dollars des Etats-Unis.
*
3.27. Enfin, ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, la RDC a restitué la chancellerie et la résidence officielle de l’ambassadeur ougandais dans un état inutilisable156, de sorte que ces bâtiments étaient impropres à tout usage. Pendant leur réhabilitation, l’Ouganda a donc été contraint de louer d’autres locaux, tant pour accueillir la chancellerie que pour héberger l’ambassadeur et d’autres diplomates.
3.28. Pour les raisons exposées au chapitre II, l’Ouganda estime cependant qu’il n’existe pas de «lien de causalité suffisamment direct et certain», tel qu’exigé en droit international, entre les faits illicites de la RDC et les frais de location qu’il a supportés. «[L]’objet de la réparation [étant], globalement, le préjudice résultant du fait internationalement illicite et imputable à celui-ci»157, et non «toutes les conséquences de ce fait»158, l’Ouganda n’exige pas réparation au titre de ces dommages indirects.
IV. LA PERTE DES BIENS SAISIS DE MANIÈRE ILLICITE DANS LES LOCAUX DIPLOMATIQUES DE L’OUGANDA
3.29. Dans son arrêt de 2005, la Cour a jugé que «des biens appartenant à l’Ouganda [avaient] été soustraits des locaux de la résidence officielle et de la chancellerie» et que la responsabilité internationale de la RDC était engagée à raison de «la saisie des biens ... qui s[e] trouvaient» dans les locaux diplomatiques ougandais159. En conséquence, la RDC a l’obligation de réparer les pertes qu’elle a causées à l’Ouganda.
3.30. Ont été soustraits des locaux de la résidence officielle et de la chancellerie tant des biens appartenant à l’Etat que des biens personnels des diplomates ougandais qui résidaient dans les locaux diplomatiques. L’Ouganda en avait déjà dressé une liste exhaustive et détaillée, avec indication de la valeur de chaque bien, qui a été soumise à la Cour en tant qu’annexe 92 du contre-mémoire déposé en avril 2001. Par souci de commodité, il joint de nouveau cette liste à
155 Lettre en date du 26 septembre 2016 adressée au Solicitor General, ministère ougandais de la justice et des affaires constitutionnelles, par le ministère ougandais des affaires étrangères, concernant la superficie des bâtiments rénovés de l’Ouganda sis 17 avenue Tombalbaye (Gombe, Kinshasa) en République démocratique du Congo (annexe 5-A).
156 Voir ci-dessus, chap. 3, par. 3.17.
157 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, art. 31, commentaire, par. 1.
158 Ibid.
159 Activités armées (2005), par. 342, 344.
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l’annexe 3 du présent mémoire160. La valeur totale des biens s’élève à 1 085 660 dollars des Etats-Unis (les chiffres indiqués étant ceux valables en 1998).
3.31. L’Ouganda admet que cette liste ne suffit pas, à elle seule, à prouver la valeur des biens qui y sont énumérés161. Il lui faudrait pour ce faire produire des factures, reçus et documents d’assurance ou autres faisant apparaître cette information.
3.32. L’Ouganda n’est toutefois pas en mesure de produire de tels éléments de preuve, cette incapacité s’expliquant principalement par les circonstances dans lesquelles son personnel diplomatique a quitté Kinshasa en 1998 et par le fait que la RDC a retiré des documents «contenus dans [les] archives et ... dossiers» de ses locaux diplomatiques en «violation de l’article 24 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques»162.
3.33. En l’absence des éléments de preuve requis pour établir comme il se doit la valeur des biens saisis de manière illicite par la RDC dans ses locaux diplomatiques, l’Ouganda considère que le constat de la responsabilité internationale de la RDC, énoncé par la Cour dans l’arrêt de 2005, constitue une forme appropriée de satisfaction, qui répare le préjudice subi.
*
3.34. Pour les raisons qui précèdent, l’Ouganda fait respectueusement valoir que les éléments de preuve clairs, crédibles et convaincants qu’il a produits démontrent que la RDC a l’obligation de lui verser une réparation de nature pécuniaire d’un montant total de 982 797,73 dollars des Etats-Unis.
160 Biens du Gouvernement ougandais saisis à l’ambassade de l’Ouganda à Kinshasa (annexe 3).
161 Diallo (2012), par. 28, 32.
162 Activités armées (2005), par. 343.
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CONCLUSIONS
Sur la base des faits et du droit exposés dans le présent mémoire, l’Ouganda prie respectueusement la Cour de dire et juger que,
1) en ce qui concerne les pertes, dommages ou préjudices résultant a) des mauvais traitements infligés à certaines personnes par des soldats congolais dans les locaux diplomatiques de l’Ouganda ainsi qu’aux diplomates ougandais qui se trouvaient à l’aéroport de Ndjili ; b) de l’invasion, la prise et l’occupation durable de la résidence de l’ambassadeur de l’Ouganda à Kinshasa ; et c) de la saisie de biens publics et personnels dans les locaux diplomatiques de l’Ouganda à Kinshasa, le constat de la responsabilité internationale de la RDC, énoncé par la Cour dans l’arrêt de 2005, constitue une forme appropriée de satisfaction, qui répare le préjudice subi ;
2) en ce qui concerne les pertes, dommages ou préjudices résultant de l’invasion, la prise et l’occupation durable des bâtiments de la chancellerie de l’Ouganda à Kinshasa, la RDC a l’obligation de verser à la République de l’Ouganda une réparation de nature pécuniaire d’un montant total de 982 797,73 dollars des Etats-Unis d’Amérique.
Le 28 septembre 2016.
L’agent de la République de l’Ouganda,
Attorney General de la République de l’Ouganda,
(Signé) William BYARUHANGA, SC.
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CERTIFICATION
Je certifie que les annexes sont des copies conformes des documents originaux.
Le 28 septembre 2016.
L’agent de la République de l’Ouganda,
Attorney General de la République de l’Ouganda,
(Signé) William BYARUHANGA, SC.
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LISTE DES ANNEXES
VOLUME II
TRAITÉS ET ACCORDS
Annexe 1
Accord de Ngurdoto-Tanzanie portant sur la coopération bilatérale entre la République démocratique du Congo et la République de l’Ouganda (8 septembre 2007)
Annexe 2
Communiqué conjoint émis par la République démocratique du Congo et la République de l’Ouganda à Mweya Safari Lodge, district de Kasese-Ouganda, le 4 août 2016
DOCUMENTS DU GOUVERNEMENT OUGANDAIS
Annexe 3
Biens du Gouvernement ougandais saisis à l’ambassade de l’Ouganda à Kinshasa [annexe non traduite]
Annexe 4
Photographies des déprédations causées à la chancellerie de l’Ouganda sise 17 Tombalbaye avenue de Travailure, Gombe, Kinshasa
Annexe 5
Gouvernement de l’Ouganda, réponse de l’Ouganda sur l’évaluation des éléments de preuve produits par la République démocratique du Congo à l’appui de sa demande de réparation présentée suite à l’arrêt rendu en 2005 par la Cour internationale de Justice (24-29 novembre 2014)
Annexe 5-A
Lettre en date du 26 septembre 2016 adressée au Solicitor General, ministère ougandais de la justice et des affaires constitutionnelles, par le ministère ougandais des affaires étrangères, concernant la superficie des bâtiments rénovés de l’Ouganda sis 17 avenue Tombalbaye (Gombe, Kinshasa) en République démocratique du Congo
DOCUMENTS COMMUNS OUGANDA/RDC
Annexe 6
Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, procès-verbal approuvé de la réunion ministérielle tenue entre la République de l’Ouganda et la République démocratique du Congo le 25 mai 2010
Annexe 7
Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, procès-verbal de la réunion ministérielle entre la République de l’Ouganda et la République démocratique du Congo, les 13-14 septembre 2012 à Johannesburg (Afrique du Sud)
Annexe 8
Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, procès-verbal de la troisième réunion d’experts ougandais et congolais relative à l’exécution de l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice le 19 décembre 2005 (14 décembre 2012)
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Annexe 9
Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, communiqué final de la deuxième réunion ministérielle du comité ad hoc de la République de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo sur l’exécution de l’arrêt de la CIJ (2005) (24-27 novembre 2014)
Annexe 10
Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, rapport conjoint de la réunion des experts de la République démocratique du Congo et de la République de l’Ouganda en rapport avec l’exécution de l’arrêt de la CIJ du 19 décembre 2005 (13-17 mars 2015)
Annexe 11
Gouvernements de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo, communiqué conjoint de la quatrième réunion des ministres de la République démocratique du Congo et de la République de l’Ouganda sur l’exécution de l’arrêt de la CIJ du 19 décembre 2005 (17-19 mars 2015)
DOCUMENTS DE TIERS, DONT FACTURES ET RÉCÉPISSÉS DE VIREMENTS BANCAIRES
Annexe 12
GECODES, travaux de réhabilitation de la résidence de l’ambassadeur de la République de l’Ouganda à Kinshasa (juillet 2007)
Annexe 13
GECODES, devis supplémentaire des travaux de la réhabilitation de la résidence de l’ambassadeur de l’Ouganda à Kinshasa (janvier 2008)
Annexe 14
Lettre en date du 29 juillet 2008 adressée à l’ambassadeur de l’Ouganda auprès de la République démocratique du Congo par l’entreprise GECODES
Annexe 15
Factures établies par l’entreprise SAFRICAS et récépissés de virement bancaire de l’ambassade de l’Ouganda concernant les travaux de rénovation de la chancellerie de l’Ouganda sise 17 Tombalbaye avenue de Travailure, Gombe, Kinshasa (2013-2016)
Annexe 16
[Intentionnellement omise]
DOCUMENTS DES NATIONS UNIES
Annexe 17
Nations Unies, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Rapport sur la cinquième session (26 novembre-14 décembre 1990), annexe III, Observation générale no 3 (1990) : la nature des obligations des Etats parties (art. 2, par. 1, du Pacte), Nations Unies, doc. E/1991/23 (1991)
Annexe 18
«Ban Welcomes Signing of Declaration between DR Congo-M23» («M. Ban Ki-moon salue la signature de la déclaration entre la RDC et le M23»), Centre d’actualités de l’ONU (13 décembre 2013)
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ARTICLES ET AUTRES PUBLICATIONS DE DOCTRINE
Annexe 19
J.C. Witenberg, «La théorie des preuves devant les juridictions internationales», Recueil des Cours, tome 56 (1936-II)
Annexe 20
Marjorie Whiteman, Damages in International Law (1943) [Extrait]
Annexe 21
Jean-Flavien Lalive, «Quelques remarques sur la preuve devant la Cour permanente et la Cour internationale de Justice», Annuaire suisse de droit international, vol. 7, 1950
Annexe 22
William Bishop, «State Responsibility», Recueil des Cours, tome 115 (1965-II) [annexe non traduite]
Annexe 23
Durward Sandifer, Evidence before International Tribunals (1975) [annexe non traduite]
Annexe 24
Keith Highet, «Evidence, the Court, and the Nicaragua Case», American Journal of International Law, vol. 81, 1987 [annexe non traduite]
Annexe 25
Eduardo Valencia-Ospina, «Evidence before the International Court of Justice», International Law Forum du droit international (1999), vol. 1, p. 202 [annexe non traduite]
Annexe 26
Chittharanjan Amerasinghe, Evidence in International Litigation (2005) [annexe non traduite]
Annexe 27
Maurice Kamto, «Les moyens de preuve devant la Cour internationale de Justice à la lumière de quelques affaires récentes portées devant elle», German Yearbook of International Law (2006), vol. 49
Annexe 28
Richard Falk, «Reparations, International Law, and Global Justice», dans The Handbook of Reparations (éd. P. de Greiff, 2006) [annexe non traduite]
Annexe 29
Ruth Teitelbaum, «Recent Fact-finding Developments at the International Court of Justice», Law and Practice of International Courts and Tribunals (2007), vol. 6, p. 119 [annexe non traduite]
Annexe 30
Christian Tomuschat, «Reparations in Favour of Individual Victims of Gross Violations of Human Rights and International Humanitarian Law», dans La promotion de la justice, des droits de l’homme et du règlement des conflits par le droit international, Liber Amicorum Lucius Caflisch (éd. M. Kohen, 2007) [annexe non traduite]
Annexe 31
Stephan Wittich, «Punitive Damages», dans The Law of International Responsibility, J. Crawford et al. (dir. publ.), 2010
Annexe 32
P. Tomka & V.-J. Proulx, «The Evidentiary Practice of the World Court» dans Liber Amicorum Gudmundur Eiriksson (J. C. Sainz-Borgo eds.), publication à venir en 2016) [annexe non traduite]
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PRESSE
Annexe 33
«Huitième réunion plénière entre le Gouvernement de la RDC et le M23», Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (11 janvier 2013)
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Document file FR
Document Long Title

Mémoire de l'Ouganda sur la question des réparations

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