Duplique du Kenya

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161-20181218-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15790
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À LA DÉLIMITATION MARITIME DANS L’OCÉAN INDIEN
(SOMALIE c. KENYA)
DUPLIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DU KENYA
VOLUME I
18 décembre 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
INTRODUCTION ................................................................................................................................... 1
A. Questions en litige entre les Parties ......................................................................................... 1
B. Structure de la duplique ........................................................................................................... 3
CHAPITRE I. L’ACQUIESCEMENT DE LA SOMALIE À CE QUE LE PARALLÈLE CONSTITUE
LA FRONTIÈRE MARITIME ENTRE LES DEUX ETATS ....................................................................... 4
A. La Somalie ne conteste pas les faits décisifs qui établissent son acquiescement ..................... 4
B. Le droit international applicable à l’acquiescement............................................................... 11
1. L’acquiescement en tant que consentement tacite à la délimitation d’une
frontière maritime ............................................................................................................. 11
2. Les conditions de l’acquiescement sont réunies sur le plan factuel .................................. 15
a) La date critique ........................................................................................................... 16
b) La Somalie avait l’obligation de réagir pour ne pas être considérée comme
ayant acquiescé ........................................................................................................... 17
C. Le mémorandum d’accord de 2009 et les négociations de 2014 ........................................... 25
1. Le mémorandum d’accord de 2009 .................................................................................. 25
a) Le libellé du mémorandum d’accord de 2009 ............................................................ 25
b) Les notes verbales de 2007 et 2008 qui confirment le parallèle ................................. 26
c) Il n’existait aucun «différend» portant sur la frontière maritime avant 2014 ............. 28
2. Les négociations de 2014 cadraient avec l’acquiescement préexistant de la Somalie ...... 28
D. Les autres éléments du comportement des Parties cadrent avec l’acquiescement de la
Somalie .................................................................................................................................. 30
1. La recherche scientifique dans le domaine de la pêche et de la vie marine ...................... 31
2. La pratique en matière de concessions pétrolières ............................................................ 33
3. Patrouilles navales ............................................................................................................ 34
4. Absence de pertinence des cartes produites par la Somalie .............................................. 35
5. La «ligne droite» dont il est fait mention dans la loi somalienne de 1988 sur le droit
de la mer en ce qui concerne la frontière de la mer territoriale avec le Kenya n’est
pas une «ligne médiane» ................................................................................................... 41
E. Conclusion ............................................................................................................................. 41
CHAPITRE II. DÉLIMITATION ÉQUITABLE PAR LA FRONTIÈRE MARITIME SUIVANT LE
PARALLÈLE .................................................................................................................................. 43
A. La méthode en trois étapes n’est pas obligatoire ................................................................... 43
B. Les raisons pour lesquelles le parallèle permet d’aboutir à une solution équitable ............... 47
1. Le «droit applicable» en 1979 (date de la proclamation présidentielle kényane) ............. 48
2. Le contexte régional : la frontière maritime entre le Kenya et la Tanzanie a été
établie au niveau du parallèle ............................................................................................ 50
a) Adoption du parallèle comme solution équitable ....................................................... 50
- ii -
b) L’effet d’amputation ................................................................................................... 52
c) Résumé ....................................................................................................................... 55
3. Le contexte régional plus large : autres délimitations maritimes utilisant un
parallèle ............................................................................................................................. 55
4. La pratique des Parties jusqu’à ce jour, qui indique ce que celles-ci considèrent être
une délimitation équitable de la frontière maritime .......................................................... 57
C. Le parallèle aboutit à une solution équitable même en appliquant le critère de
proportionnalité de la Somalie ............................................................................................... 60
1. La zone maritime pertinente ............................................................................................. 61
2. Le critère de proportionnalité préconisé par la Somalie ................................................... 66
a) Délimitation de la ZEE et du plateau continental en deçà de 200 milles marins ........ 66
b) Délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins ............................. 70
D. Conclusion ............................................................................................................................. 73
CHAPITRE III. RÉFUTATION DES ALLÉGATIONS RELATIVES À L’EXERCICE D’ACTIVITÉS
ILLICITES DANS LA ZONE LITIGIEUSE .......................................................................................... 75
A. Les faits exacts concernant la «zone litigieuse» et les activités du Kenya ............................ 75
B. Le critère juridique devant être appliqué pour apprécier la licéité des activités menées
dans la «zone litigieuse» ........................................................................................................ 78
C. La demande d’indemnisation de la Somalie .......................................................................... 80
CONCLUSIONS .................................................................................................................................. 82
INTRODUCTION
1. Par ordonnance datée du 2 février 2018, la Cour a fixé au 18 décembre 2018 la date
d’expiration du délai pour le dépôt d’une duplique par la République du Kenya. La présente
duplique est soumise conformément à cette ordonnance.
2. Ainsi que le prévoit le paragraphe 3 de l’article 49 du Règlement de la Cour, le Kenya
s’est attaché, dans la présente duplique, à faire ressortir les points qui divisent encore les Parties.
Dans sa réplique, datée du 18 juin 2018, la Somalie ne conteste pas les faits essentiels qui sont
exposés dans le contre-mémoire du Kenya, à savoir : 1) que celui-ci a, en 1979 (et de nouveau en
2005), officiellement proclamé que sa frontière maritime avec la Somalie dans la mer territoriale et
la zone économique exclusive (ZEE) suivait le parallèle, conformément au principe de délimitation
équitable ; 2) qu’il a prolongé cette ligne jusqu’aux limites extérieures du plateau continental en
2009 ; et 3) que, bien qu’elle en ait été formellement informée par le Kenya, notamment par
l’entremise du Secrétaire général des Nations Unies, la Somalie n’a, pendant quelque trente années,
ni protesté ni revendiqué une autre frontière maritime fondée sur le principe de l’équidistance. La
principale question qui divise les Parties est de savoir si, au regard du droit international, la
Somalie devait réagir à la revendication du Kenya pour ne pas être considérée comme y ayant
acquiescé. Selon le défendeur, elle était tenue de réagir si elle était opposée à cette revendication,
son silence prolongé valant donc consentement à la délimitation maritime fondée sur le parallèle.
3. Le Kenya maintient donc intégralement sa position, telle qu’elle est exposée dans son
contre-mémoire ; aucun des arguments avancés par la Somalie dans sa réplique ne l’a conduit à la
revoir de quelque façon que ce soit.
4. Dans cette introduction sont exposés les principaux arguments avancés par le Kenya au
sujet des questions en litige, puis la structure de la présente duplique.
A. QUESTIONS EN LITIGE ENTRE LES PARTIES
5. La présente instance a trait à un différend portant sur la délimitation d’une «frontière
maritime unique séparant la Somalie et le Kenya dans l’océan Indien et délimitant la mer
territoriale, la zone économique exclusive … et le plateau continental, y compris la partie de
celui-ci qui s’étend au-delà de la limite des 200 milles marins»1. La Somalie affirme qu’il n’existe
aucun accord entre les Parties et, plus particulièrement, que, bien qu’elle n’ait pas protesté contre la
revendication du Kenya entre 1979 et 2014, elle n’a pas consenti à ce que le parallèle constitue la
frontière. Elle soutient que la méthode de l’équidistance est la méthode applicable pour la
délimitation de la frontière maritime, et qu’il n’existe aucune circonstance spéciale nécessitant
d’ajuster la ligne ainsi obtenue. Le Kenya, pour sa part, fait valoir que, depuis 1979 au moins et
jusqu’en 2014, la Somalie a acquiescé à l’existence d’une frontière maritime le long du parallèle, et
que les Parties, au vu du contexte géographique et de la pratique régionale, ont estimé qu’il
s’agissait là d’une délimitation équitable.
6. Le Kenya souscrit pour l’essentiel aux «trois principaux points du litige entre les Parties»
tels que définis par la Somalie dans sa réplique2 ; ils seront traités tour à tour ci-après.
1 Requête introductive d’instance (28 août 2014), par. 2.
2 Réplique de la Somalie (ci-après «RéS»), par. 1.9.
3
4
- 2 -
«Premièrement : la question de savoir s’il est légalement possible d’établir une
frontière maritime par un simple acquiescement, et si la Somalie a en réalité acquiescé
à la revendication unilatérale du Kenya concernant une frontière parallèle.»
7. La principale objection de la Somalie est que «les frontières maritimes ne peuvent pas être
établies par un acte unilatéral»3. Or, le Kenya ne prétend pas que la frontière maritime entre les
deux Etats a été établie simplement par ses actes unilatéraux ; son argumentation repose sur
l’acquiescement, conformément à la jurisprudence de la Cour selon laquelle un silence, alors que
les circonstances appelaient une réaction, emporte consentement tacite. A cet égard, il se fonde sur
la longue période au cours de laquelle la Somalie n’a pas protesté contre la frontière maritime qu’il
revendique, et ce, en dépit de notifications formelles réitérées, notamment par l’entremise du
Secrétaire général des Nations Unies4. En annexe 65 du contre-mémoire du Kenya figure une lettre
datée du 8 novembre 2017 du Bureau des affaires juridiques de l’ONU confirmant que, en dépit
desdites notifications et de la publication des proclamations relatives à la ZEE de 1979 et 2005
(notamment en 1979, 1986, 2001 et 2006), il n’y a eu aucune réaction de la part de la Somalie.
8. S’agissant de l’absence de protestation, les déclarations de la Somalie sont confuses et
contradictoires. Celle-ci affirme qu’elle n’était pas, au regard du droit international, tenue de
protester, tout en reconnaissant qu’il existe une obligation de réagir pour que ne soit pas présumé
l’acquiescement5. Elle affirme également, d’un côté, qu’elle a protesté contre la revendication du
Kenya avant 2014 et, de l’autre, qu’elle n’était pas en mesure de le faire en raison de la guerre
civile qui a débuté en 1991 (soit plus de dix ans après la Proclamation de 1979)6. Malgré
l’organisation d’un second tour de procédure écrite, la Somalie n’est pas parvenue à faire apparaître
la moindre protestation de sa part contre la frontière maritime revendiquée par le Kenya antérieure
à 2014, soit peu avant l’introduction de la présente instance devant la Cour.
9. Au vu de ces éléments, la Somalie doit être considérée comme ayant acquiescé à la
frontière maritime du Kenya le long du parallèle.
«Deuxièmement : la question de savoir s’il existe une quelconque raison de
s’écarter de la méthode standard de délimitation en trois temps pour déterminer la
frontière maritime entre les Parties et, en supposant que la réponse soit non, quelle est
la solution équitable que cela entraîne.»
10. Le Kenya rejette les postulats qui sous-tendent la présentation, par la Somalie, du
deuxième point en litige. La méthode de délimitation en trois étapes n’est pas «standard» au sens
où elle constituerait le point de départ obligatoire de toute délimitation, et la question n’est pas de
savoir s’il existe «une quelconque raison de s’[en] écarter». La question est plutôt de savoir quelle
est la méthode appropriée, sur la base des faits particuliers de l’espèce, pour parvenir à une solution
équitable. A cet égard, le Kenya soutient que, à la lumière du droit applicable, de la pratique et du
contexte géographique régionaux, du comportement des Parties, ainsi que de l’application à la zone
maritime en cause du critère de proportionnalité préconisé par la Somalie elle-même, la méthode
appropriée pour parvenir à une solution équitable sur la base des faits de l’espèce consiste à
recourir au parallèle.
3 RéS, par. 1.11, 2.4, 2.7-2.8.
4 Contre-mémoire du Kenya (ci-après «CMK»), par. 7, 15, 22 et 273.
5 RéS, par. 2.12.
6 RéS, par. 2.89 cf. 2.107-2.113.
5
- 3 -
«Troisièmement : la question de savoir si le Kenya a violé les droits souverains
et la juridiction de la Somalie en se livrant à des activités sismiques et de forage dans
la zone en litige.»
11. En ce qui concerne le troisième point de désaccord, le Kenya affirme qu’il n’y avait pas
de «zone litigieuse» jusqu’en 2014, lorsque la Somalie a, pour la première fois, protesté contre le
parallèle et revendiqué une autre ligne, à savoir une ligne d’équidistance. Le demandeur n’est pas
parvenu à prouver que l’une quelconque des activités de forage autorisées par le Kenya avait été
menée dans la zone litigieuse après 2014, ne tient pas compte du fait qu’il est licite de se livrer à
titre transitoire à certaines activités telles que des études sismiques dans pareilles zones, et oublie
qu’il a lui-même rejeté les propositions du Kenya tendant à convenir d’arrangements provisoires de
caractère pratique, conformément au paragraphe 3 de l’article 74 et au paragraphe 3 de l’article 83
de la CNUDM.
B. STRUCTURE DE LA DUPLIQUE
12. La présente duplique comprend un volume 1 comptant trois chapitres et un volume
d’annexes.
13. Le chapitre I porte sur l’acquiescement de la Somalie au parallèle en tant que frontière
maritime. Il montre que le demandeur ne conteste pas les faits décisifs qui établissent
l’acquiescement ; que, contrairement à ce qu’il affirme, il était tenu de protester contre les
notifications et revendications formelles réitérées du Kenya ; et que l’application du droit
international relatif à l’acquiescement aboutit immanquablement à la conclusion selon laquelle la
Somalie a consenti, pendant une période prolongée, à l’existence d’une frontière maritime suivant
le parallèle.
14. Dans le chapitre II, le Kenya établira que, indépendamment du caractère déterminant de
l’acquiescement de la Somalie, la méthode en trois étapes n’est pas obligatoire pour parvenir à une
solution équitable. Au vu du droit applicable en 1979, de la pratique et du contexte géographique
régionaux, du comportement des Parties, ainsi que de la répartition équitable des espaces maritimes
qui en résulte, c’est le parallèle qui permet d’aboutir à pareille solution en la présente espèce. Tout
en continuant de soutenir que la méthode en trois étapes n’est pas applicable à la délimitation à
l’examen, le Kenya expliquera pourquoi, même à l’aune du critère de proportionnalité préconisé
par la Somalie, la délimitation qu’il préconise permet de parvenir à un résultat équitable.
15. Dans le chapitre III, le Kenya réfutera l’affirmation de la Somalie selon laquelle il aurait
commis des actes illicites dans la «zone litigieuse». Il y est montré que, contrairement aux
allégations de la Somalie, il n’existait pas de zone litigieuse avant 2014 ; que, en tout état de cause,
la Somalie a recours à un critère erroné du point de vue juridique ; et que toutes les activités du
Kenya sont antérieures à l’apparition de la zone litigieuse ou ont été menées à titre transitoire.
16. La présente duplique s’achève par l’exposé des conclusions du Kenya.
6
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CHAPITRE I
L’ACQUIESCEMENT DE LA SOMALIE À CE QUE LE PARALLÈLE CONSTITUE
LA FRONTIÈRE MARITIME ENTRE LES DEUX ETATS
17. Dans son contre-mémoire, le Kenya a démontré que, entre 1979 et 2014, il avait
proclamé une frontière maritime longeant le parallèle, à laquelle la Somalie avait acquiescé, et que,
en conséquence, le consentement prolongé des Parties à cette délimitation maritime était
contraignant au regard du droit international7. Comme cela sera établi dans le présent chapitre, la
réplique du demandeur confirme pour l’essentiel l’argumentation du défendeur en ce qui concerne
l’acquiescement.
18. Premièrement, la Somalie ne conteste pas les éléments factuels qui sont au coeur de
l’argumentation du Kenya, à savoir que celui-ci a proclamé sa frontière maritime dans la mer
territoriale et la ZEE en 1979 et en 2005, puis jusqu’à la limite extérieure du plateau continental en
2009, et qu’il l’a chaque fois notifiée officiellement par l’entremise du Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies, le demandeur n’ayant pas émis de protestation formelle ou de
revendication concurrente avant 2014 (voir la section A ci-après). Deuxièmement, la Somalie
s’accorde largement avec le Kenya sur le droit international applicable à l’acquiescement, à savoir
que, lorsqu’une réponse s’impose, le silence doit être interprété comme un consentement. Son
principal argument est que les frontières maritimes ne peuvent être établies par un acte unilatéral, et
qu’elle n’était pas tenue de protester contre les notifications répétées et constantes, par le
défendeur, de sa revendication en la matière. Comme le Kenya le démontrera, aucune de ces deux
assertions n’est correcte (voir la section B ci-après).
19. Une autre affirmation dépourvue de fondement de la Somalie est celle selon laquelle le
mémorandum d’accord conclu le 7 avril 2009 (ci-après le «mémorandum d’accord») (relatif à la
«non-objection» à l’égard des communications à la Commission des limites du plateau continental
(ci-après la «Commission des limites») concernant la fixation de la limite extérieure du plateau
continental) ou les négociations tenues entre les Parties en 2014 (au cours desquelles le demandeur
a, pour la première fois, revendiqué une frontière maritime fondée sur l’équidistance) seraient en
quelque sorte incompatibles avec son acquiescement antérieur, à partir de 1979 (voir la section C
ci-après). En outre, la Somalie n’a pas réfuté l’argument du Kenya selon lequel, entre 1979 et 2014,
les autres éléments du comportement des Parties — notamment leur pratique en matière de
pêcheries, de recherche scientifique marine, de concessions pétrolières et de patrouilles navales —
étaient compatibles avec une frontière maritime longeant le parallèle (voir la section D ci-après).
A. LA SOMALIE NE CONTESTE PAS LES FAITS DÉCISIFS QUI ÉTABLISSENT
SON ACQUIESCEMENT
20. Dans ses écritures, la Somalie a allégué que, en 2014, elle «s’[étai]t vue contrainte
d’engager cette procédure après que le Kenya [eut] unilatéralement revendiqué une frontière
maritime s’étendant plein est dans l’océan Indien le long d’un parallèle»8, et qu’il s’agissait là
d’une «revendication nouvelle»9. En réalité, le défendeur a démontré dans son contre-mémoire que
le demandeur avait été officiellement avisé de sa revendication par l’entremise du Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies non pas en 2014 mais trente-cinq ans auparavant, et
7 Voir CMK, par. 2 et suiv.
8 Mémoire de la Somalie (ci-après «MS»), par. 1.6 (les italiques sont de nous).
9 Exposé écrit de la Somalie sur les exceptions préliminaires du Kenya, 5 février 2016, par. 1.26, ainsi que
par. 1.5.
7
8
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que, avant 2014, il n’avait jamais protesté contre les proclamations kényanes de 1979 et de 2005.
Comme l’a relevé le Bureau des affaires juridiques de l’Organisation dans une lettre en date du
8 novembre 2017 adressée au Kenya, la Somalie n’a fait aucune communication au sujet desdites
proclamations10. La position du défendeur n’a donc rien de «nouveau». La seule nouveauté, c’est la
volte-face opérée par le demandeur en 2014.
21. Les faits et points de droits essentiels ci-après, qui sont déterminants en l’espèce
concernant l’acquiescement de la Somalie, ne sont, de fait, pas contestés dans la réplique11.
22. Premièrement, le demandeur ne nie pas que, au regard du droit international, une simple
connaissance présumée est suffisante pour qu’il y ait acquiescement12, et qu’il en va a fortiori ainsi
lorsqu’une revendication est exprimée publiquement13. Il ne nie pas non plus que le défendeur a
exprimé sa position à maintes reprises, sous les formes et dans les enceintes appropriées à la
communication de pareilles revendications entre Etats, notamment dans les circonstances
suivantes :
a) dès 1974, le Kenya a déclaré lors de la troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la
mer (ci-après «la troisième conférence sur le droit de la mer» ou la «troisième conférence») que
l’«application de la règle de l’équidistance aux fins de délimiter la zone économique tant avec
la Tanzanie qu’avec la Somalie entraînerait une grave distorsion»14. La figure KR1-1 ci-après
montre que la conclusion à laquelle il est parvenu en 1974 était manifestement raisonnable ;
b) en 1976, comme suite à la décision prise par le groupe chargé du droit de la mer, à la réunion
consultative interministérielle kényane de 1975, en ce qui concerne la délimitation équitable de
la ZEE, la direction de la topographie du Kenya a diffusé une carte sur laquelle le parallèle était
indiqué comme étant la frontière maritime dans cette zone jusqu’à 200 milles marins15 ;
c) le 28 février 1979, le Kenya a émis une proclamation présidentielle établissant au parallèle la
frontière maritime de la ZEE jusqu’à 200 milles marins16 ;
10 CMK, par. 92-94.
11 Dans son contre-mémoire, le Kenya a déjà relevé que les faits qui sont au coeur de la présente affaire n’étaient
pas contestés (voir CMK, par. 200).
12 Voir en particulier J. Barale, «L’acquiescement dans la jurisprudence internationale», Annuaire français de
droit international, 1965, p. 401–402. Voir également la jurisprudence citée dans CMK, par. 216.
13 CMK, par. 216–217.
14 Rapport de la mission permanente du Kenya auprès de l’Organisation des Nations Unies concernant les travaux
de la deuxième session de la troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, tenue à Caracas (Venezuela)
du 20 juin au 29 août 1974 (273/430/001A/15), parvenu au ministère kényan des affaires étrangères le 28 octobre 1974,
CMK, annexe 11, par. 79 :
«Une application automatique du principe d’équidistance peut donner lieu à nombre d’injustices,
qui seraient aggravées par la présence d’îles à proximité de la zone frontalière. Dans le cas précis du
Kenya, l’application de la règle de l’équidistance aux fins de délimiter la zone économique tant avec la
Tanzanie qu’avec la Somalie entraînerait une grave distorsion du fait de la présence de Pemba et de
certaines îles somaliennes, qui provoqueraient un net infléchissement des frontières maritimes, lesquelles
se rejoindraient presque au point des 200 milles marins. Cela ne devrait jamais être autorisé, et c’est
pourquoi, dès le 30 juillet 1974, nous nous sommes joints à la Tunisie pour proposer la ... formule de
délimitation qui figure dans le document A/CONF.62/C.2/L.28.»
15 CMK, par. 52, 57, et CMK, annexe 12. Le contexte dans lequel a été établie cette carte est traité dans CMK,
par. 51–57.
16 Ibid., par. 58–59.
9
- 6 -
d) en 1983, la direction de la topographie du Kenya a publié une carte correspondant à la
proclamation de 1979 et établissant au parallèle la frontière maritime de la ZEE jusqu’à
200 milles marins17. Par souci de commodité, cette carte est reproduite ci-après en tant que
figure KR1-2 ;
e) en 1986, la proclamation de 1979 est parue dans une publication de l’Organisation des
Nations Unies intitulée National Legislation on the EEZ18 ;
f) la proclamation de 1979 a été publiée sur le site Internet de la Division des affaires maritimes et
du droit de la mer de l’Organisation des Nations Unies (ci-après «la DOALOS») dès son
lancement19, en 2001 ;
g) le 9 juin 2005, une proclamation présidentielle a été émise et publiée au journal officiel du
Kenya, confirmant que le parallèle délimitait la frontière maritime de la ZEE jusqu’à 200 milles
marins20 ;
h) en 2006, la proclamation de 2005 a été publiée sur le site Internet de la DOALOS ;
i) en 2006, la proclamation de 2005 a également été publiée dans le Bulletin du droit de la mer21 ;
j) dans le dossier qu’il a soumis en 2009 à la Commission des limites, le Kenya a confirmé sa
frontière maritime longeant le parallèle jusqu’à 200 milles marins, et l’a étendue au-delà de
cette distance jusqu’à la limite extérieure du plateau continental22.
17 CMK, par. 62. Au paragraphe 116 de cette pièce, il est précisé que, à la suite d’une contribution technique du
Canada, la carte de 1976 a été réimprimée en 1983, cette nouvelle version représentant plus précisément la limite
extérieure de la ZEE.
18 CMK, par. 66.
19 Ibid., par. 65–66.
20 Ibid., par. 87–92.
21 Voir CMK, annexe 92. Voir également CMK, par. 93 et 242.
22 CMK, par. 98–99.
10
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Figure KR1-1 : Délimitation de la ZEE comparant le recours à l’équidistance et
le recours à des parallèles
Figure KR1-2 : Mer territoriale et zone économique du Kenya, direction
de la topographie du Kenya, SK-90 Edition 2, 1983
11
- 8 -
23. Deuxièmement, la Somalie ne nie pas que le Kenya a non seulement exprimé
publiquement sa position, mais qu’il l’a aussi diffusée officiellement et la lui a notifiée directement,
ainsi qu’à d’autres Etats, par l’entremise du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies,
en quatre occasions au moins sur une période de trente-cinq ans23. Dans la semaine ayant suivi la
proclamation de 1979, le Kenya a ainsi demandé que cette dernière soit distribuée à tous les
Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies, ce qui a dûment été fait par le Secrétaire
général de l’Organisation24. En 2006, celui-ci a, de la même manière, communiqué la proclamation
de 2005 à l’ensemble des Etats Membres de l’ONU et des Etats Parties à la CNUDM25. Le résumé
soumis à la Commission des limites en 2009 a, lui aussi, été distribué par le Secrétaire général à
tous les Etats Parties à la CNUDM26. Enfin, en janvier 2014, le Kenya a adressé une note verbale
concernant ses «frontières terrestres et maritimes» au Secrétaire général que celui-ci a fait suivre à
l’ensemble des Etats Membres de l’ONU27.
24. Il ne s’agissait pas là de simples publications de routine de déclarations officielles. La
Somalie ne nie pas que ces communications constituaient des notifications spécifiques et formelles
effectuées dans un but bien précis et dans le cadre des enceintes de l’ONU, y compris celles
consacrées au droit de la mer. Les notifications jouent un rôle primordial dans ce domaine ; «[l]a
mer étant un espace de liaison, de communication, les tiers concernés par les actes ou les faits dont
elle est l’objet sont particulièrement nombreux, d’où l’importance de la notification ou, plus
généralement, de la publicité donnée à ces actes ou à ces faits»28. En particulier, une proclamation
revêt un caractère constitutif en ce qu’elle transforme la haute mer en une ZEE29. Les autres
Etats — et, a fortiori, la Somalie — ne pouvaient faire abstraction des proclamations de 1979 et de
2005 puisque celles-ci limitaient le régime applicable à la haute mer en plaçant les zones maritimes
concernées sous la juridiction du Kenya. Ces proclamations ne constituaient dès lors pas de simples
revendications mais des actes accomplis par celui-ci à titre de souverain30.
25. L’importance de ces proclamations, et le fait que les autres Etats ne sauraient purement et
simplement ignorer pareilles déclarations unilatérales, se reflète dans le septième rapport sur les
actes unilatéraux des Etats du Rapporteur spécial de la Commission du droit international (ci-après
«la CDI»). Dans son examen des «protestation[s] visant à empêcher la consolidation d’une
situation juridique concernant un territoire donné» dans le contexte de revendications maritimes, le
Rapporteur spécial précise en effet ce qui suit :
23 CMK, par. 225. Il convient de rappeler que la notification garantit la notoriété des faits dans les relations
internationales, en particulier en droit de la mer, en ce qu’elle constitue «l’acte par lequel est porté officiellement à la
connaissance des tiers un fait, une situation ou un acte juridique» : voir L. Lucchini et M. Voeckel, Droit de la mer.
Tome I, Pedone, 1990, p. 53 ; Lauterpacht a défini la notification comme «le terme technique désignant la communication
à d’autres Etats de certains faits et événements ayant une importance juridique» : H. Lauterpacht (sous la dir. de),
Oppenheim’s International Law, 8e éd., Longman’s, 1955, p. 874.
24 Ibid., par. 64–65.
25 Ibid., par. 92.
26 Ibid., par. 105.
27 Ibid., par. 167.
28 L. Lucchini et M. Voeckel, Droit de la mer. Tome I, Pedone, 1990, p. 53–54 (les italiques sont de nous). La
DOALOS tient un registre des notifications dans le domaine de la délimitation maritime : voir
http://www.un.org/Depts/los/LEGISLATIONANDTREATIES/depositpublicity.htm (uniquement en anglais).
29 Voir, par exemple, Arbitrage territorial et maritime entre la Croatie et la Slovénie, CPA n° 2012-4, sentence
finale, 29 juin 2017, par. 1065, où il est souligné que, la Croatie n’ayant pas encore établi de ZEE, «il existe actuellement
une zone située au-delà de [s]a mer territoriale … et adjacente à celle-ci qui a le statut de haute mer». Voir également
Navire «Norstar» (Panama c. Italie), exceptions préliminaires, arrêt, TIDM Recueil 2016, par. 116.
30 Voir, par exemple, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012,
p. 655, par. 80, et p. 675, par. 84.
12
- 9 -
«S’il est un domaine dans lequel on rencontre un nombre important de
protestations, c’est bien celui de la proclamation unilatérale par les Etats de diverses
normes internes (lois, décrets, proclamations, etc.) par lesquelles ils tentent d’étendre,
unilatéralement, la zone maritime sur laquelle s’exercent des droits souverains ou se
réalise la capacité d’effectuer certains contrôles (à des fins de conservation du milieu
marin, de surveillance douanière et de conservation des ressources de la plate-forme
continentale et de son sous-sol).»31
26. En outre, les notifications par l’entremise du Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies revêtent, dans la pratique, un caractère particulier. Elles constituent le niveau de
publicité le plus élevé dans l’expression de la position officielle des Etats32. Qui plus est, si la
proclamation de 1979 a été émise avant l’adoption de la CNUDM en 1982, le Kenya, comme suite
à la proclamation de 2005, a déposé en 2006 des listes de coordonnées géographiques au titre du
paragraphe 2 de l’article 16 et du paragraphe 2 de l’article 75 de la CNUDM33, c’est-à-dire des
dispositions conventionnelles qui régissent expressément la «publicité voulue» en ce qui concerne
les «lignes de délimitation tracées conformément aux articles 12, 15 et 74»34. Les notifications qu’il
a adressées à la Somalie étaient donc officielles et directes.
27. Troisièmement, la Somalie ne conteste pas que, depuis 1976, le Kenya a exprimé
précisément et sans équivoque sa revendication de frontière maritime35. En particulier, les
proclamations kényanes de 1979 et 2005 portaient expressément sur la délimitation maritime et
contenaient des coordonnées spécifiques et une carte officielle36. Comme le demandeur l’a relevé
dans son exposé écrit sur les exceptions préliminaires, lesdites proclamations, ainsi que le résumé
que le défendeur a soumis en 2009 à la Commission des limites, indiquaient que ce dernier estimait
que «la ligne qu’il revendiqu[ait] a[vait] été adoptée comme frontière»37.
28. Quatrièmement, la Somalie ne nie pas que la proclamation de 1979 était conforme à la
position qu’elle défendait alors, selon laquelle la délimitation maritime de la ZEE devrait être
fondée sur des principes d’équité plutôt que sur l’équidistance38. De fait, en 1980, immédiatement
après qu’elle se fut expressément opposée, à la neuvième session de la troisième conférence sur le
droit de la mer, à ce qu’il soit fait quelque référence que ce soit à l’équidistance dans les
dispositions relatives à la délimitation de la ZEE ou du plateau continental, le représentant du
défendeur a déclaré devant l’Assemblée nationale kényane que, s’agissant de la Somalie, la
délimitation le long du parallèle ne soulevait «aucun doute»39.
31 CDI, Septième rapport sur les actes unilatéraux des Etats, présenté par M. Víctor Rodríguez Cedeño, rapporteur
spécial, Annuaire de la Commission du droit international 2004, vol. II (première partie), par. 148.
32 L’importance particulière que revêtent les notifications et publications de l’Organisation des Nations Unies
ressort clairement (mutatis mutandis) de l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 410–413.
33 Voir CMK, par. 92.
34 CMK, par. 243.
35 CMK, par. 116, 221–223. Voir par. 22 b) ci-dessus, où il est fait référence au levé de 1976 reproduit dans
CMK, fig. 1-7.
36 Ibid.
37 Exposé écrit de la Somalie sur les exceptions préliminaires, par. 2.85 in fine.
38 Voir CMK, par. 24, ainsi que par. 23, par. 41, par. 69 et suiv., en particulier par. 74 ; par. 227 ; par. 248 et suiv.
39 Ibid., par. 72.
13
14
- 10 -
29. Cinquièmement, la Somalie ne conteste pas l’affirmation du Kenya selon laquelle, entre
1979 et 2014, elle n’a jamais émis de protestation ni de revendication contraire à la frontière
maritime établie par lui au niveau du parallèle40.
30. L’assertion formulée dans la réplique selon laquelle le demandeur aurait «protesté à
plusieurs reprises et sans équivoque concernant l’affirmation du [défendeur] en faveur d’une
frontière maritime parallèle»41 et «toujours affirmé avec insistance que la frontière maritime
d[eva]it suivre une ligne d’équidistance»42 est dépourvue de tout fondement factuel. Premièrement,
la Somalie invoque une déclaration de 1974 dans laquelle le Kenya a simplement indiqué qu’il
semblait qu’elle pourrait avoir revendiqué une ligne médiane pour la mer territoriale43 ; cette
observation a été formulée cinq ans avant la proclamation de 1979 et ne constitue manifestement
pas une protestation émise par le demandeur contre la ligne longeant le parallèle. Deuxièmement,
comme cela a été exposé dans le contre-mémoire, la Somalie faisait simplement observer, dans la
lettre répudiant le mémorandum d’accord qu’elle a adressée en août 2009 au Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies, que la ligne d’équidistance «constitu[ait] normalement le point
de départ de la délimitation du plateau continental entre deux Etats dont les côtes [étaient]
adjacentes», relevant qu’elle «se fond[ait] sur ce dernier point de vue» (c’est-à-dire la ligne
d’équidistance), en dépit du fait qu’elle avait alors consenti depuis trente ans à la frontière maritime
revendiquée par le Kenya44.
31. A cet égard, le contraste entre les dossiers soumis en 2009 à la Commission des limites
par le Kenya et la Somalie est éloquent. Dans sa communication d’avril 2009, ce dernier a ainsi
déclaré que «l’espace maritime sur lequel [il] exer[çait] sa souveraineté, ses droits souverains et sa
juridiction» était celui qui avait été délimité le long du parallèle par la proclamation de 2005,
«déterminé sur la base des dispositions de la convention», déposé auprès de l’Organisation des
Nations Unies et publié par celle-ci, carte illustrative à l’appui45. A l’inverse, la Somalie n’a pas
indiqué, dans son dossier d’informations préliminaires d’avril 2009, qu’elle aurait déjà revendiqué
une autre frontière maritime, se contentant de déclarer que «[t]ous les renseignements et cartes
figurant dans le présent dossier [étaient] sans préjudice des questions de délimitation maritime» et
qu’il subsistait des «questions non résolues ... en ce qui concerne la délimitation bilatérale du
plateau continental avec les Etat voisins». Ce dossier ne contenait ni carte, ni coordonnées
géographiques, ni revendication, pas plus qu’il ne faisait mention d’une quelconque protestation
émise contre l’une ou l’autre des proclamations du Kenya (de 1979 ou de 2005)46.
32. Les prétendues «protestations officielles [émises par le] Gouvernement somalien» en
2012 (c’est-à-dire trente-trois ans après la proclamation de 1979) auxquelles le demandeur se réfère
dans sa réplique ne sont que de simples articles de presse nullement étayés47. Quant aux deux autres
documents cités (datés de 2012 et 2013, respectivement), ce sont des rapports émanant de tiers, et
40 CMK, par. 242–247 et par. 108.
41 RéS, par. 2.87. Voir également par. 1.12 c), par. 2.2, par. 2.100 et par. 2.106.
42 Ibid., par. 2.2. Voir également par. 2.87 : «[L]a Somalie a toujours eu une revendication différente fondée sur
l’équidistance. [Elle] a toujours mis en avant cette revendication et a toujours agi conformément à celle-ci.»
43 RéS, par. 2.30.
44 CMK par. 246, au sujet de MS, vol. III, annexe 37.
45 MS, annexe 59, par. 1.3.
46 Ibid., annexe 66, section 6. Voir également CMK, par. 106.
47 RéS, par. 2.80, citant MS, par. 8.27, où est cité Kelly Gilblom, «Kenya, Somalia border row threatens oil
exploration», Reuters (20 avril 2012). MS, vol. IV, annexe 104 ; et Kelly Gilblom, «Somalia challenges Kenya over oil
blocks», Reuters (6 juillet 2012). MS, vol. IV, annexe 107.
15
- 11 -
non des protestations de la Somalie48. En réalité, les seuls documents annexés au mémoire de
celle-ci qui établissent l’existence d’une protestation postérieure à la proclamation de 1979 datent
de 201449. Il n’est pas contesté que c’est le 30 juin 2014 que le demandeur a déposé pour la
première fois auprès de l’ONU les éléments détaillés de ce qu’il revendique aujourd’hui en tant que
frontière maritime de sa mer territoriale et de sa ZEE en vertu du paragraphe 2 de l’article 16 et du
paragraphe 2 de l’article 75 de la CNUDM ; il l’a donc fait 1) trente-cinq ans après la proclamation
du Kenya de 1979 ; 2) après — et non avant — la première série de discussions concernant la
délimitation maritime, tenues en mars 2014 ; et 3) immédiatement avant de déposer sa requête à la
Cour internationale, en août 201450.
33. En résumé, il n’est pas contesté que, depuis 1979 au moins, 1) le Kenya a revendiqué
publiquement et expressément une frontière maritime longeant le parallèle en tant que délimitation
équitable ; 2) le Kenya a officiellement et directement avisé la Somalie de cette revendication en de
multiples occasions, y compris par l’intermédiaire du Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies, des procédures prévues par la CNUDM, de la DOALOS et des publications
officielles de l’ONU ; 3) la revendication du Kenya était précise et sans équivoque, et accompagnée
de coordonnées et de cartes spécifiques ; 4) la revendication que le Kenya a formulée en 1979 était
conforme à la position adoptée par la Somalie lors de la troisième conférence sur le droit de la mer
en 1980, à savoir que le principe applicable était une délimitation équitable plutôt que
l’équidistance, ce qui a porté le défendeur à conclure qu’il n’existait «aucun problème» avec le
demandeur à cet égard ; et 5) entre 1979 et 201451, la Somalie n’a jamais protesté ni revendiqué
une frontière maritime contraire à la prétention du Kenya. Comme cela sera exposé ci-après, sur la
base de ces faits incontestés, la conséquence juridique de l’acquiescement prolongé du demandeur
est claire : ce dernier doit être réputé avoir consenti à ce que la frontière maritime suive le parallèle.
B. LE DROIT INTERNATIONAL APPLICABLE À L’ACQUIESCEMENT
1. L’acquiescement en tant que consentement tacite à la délimitation
d’une frontière maritime
34. Dans sa réplique, la Somalie soutient principalement qu’«une frontière maritime ne peut
être établie par un acte unilatéral»52. Or, à l’évidence, l’argument du Kenya ne consiste pas à dire
que la frontière maritime entre les deux Etats a été établie par ses propres actes unilatéraux ; il
48 RéS, par. 2.93 et 2.94, où il est fait référence à un rapport de 2012 publié par un centre de recherche américain
et à un rapport de 2013 de l’Organisation des Nations Unies.
49 Voir MS, annexe 48 ; MS, annexe 31, p. 5 ; CMK, par. 177-178.
50 Voir MS, annexe 68, et CMK, par. 192–196. Le compte rendu de la présentation faite par le défendeur lors de
la première série de discussions que les Parties ont menées en mars 2014 au sujet du différend maritime fait apparaître
que le Kenya n’avait obtenu aucun élément plus concret que des «indices» donnant à penser que la Somalie «préférait les
lignes médianes» (voir MS, vol. III, annexe 31, présentation PowerPoint, p. 2, diapositive 10).
51 Pour les raisons exposées plus haut, le Kenya estime que les seuls documents annexés au mémoire de la
Somalie qui établissent l’existence d’une protestation datent de 2014.
52 RéS, par. 1.11. Voir également par. 2.4 : «Le Kenya … invente une démarche totalement nouvelle : la
délimitation par acquiescement à une revendication unilatérale» ; par. 2.7 : «il ne peut y avoir de présomption qu’un acte
unilatéral d’un Etat puisse, dans quelques circonstances que ce soit, créer une frontière en droit international» ; par. 2.8 :
«Cependant, le Kenya considère que sa frontière maritime avec la Somalie a été établie simplement en vertu d’un acte
unilatéral».
16
- 12 -
repose sur le consentement de la Somalie qui n’a, pendant une période prolongée, formulé aucune
protestation à l’égard de sa revendication53.
35. Il est clairement établi en droit international que l’acquiescement est une forme de
consentement. Ainsi que l’a fait observer un commentateur,
«[e]n droit international, le terme «acquiescement» … signifie consentement. Il s’agit
d’un consentement tacite qu’un Etat donne unilatéralement par son silence ou son
inaction à l’égard du comportement d’un autre Etat, dans des circonstances qui
appelleraient une réponse exprimant un désaccord ou une objection. L’acquiescement
est donc un consentement qui se déduit d’un silence ou d’une inaction juridiquement
pertinents.»54
36. Un autre auteur conclut ainsi son analyse approfondie de la question :
«Il est certain que l’acquiescement est trop étroitement lié, quant à sa formation,
aux actes ou aux prétentions de l’autre partie, que la situation juridique née de
l’acquiescement est trop directement créée par la partie adverse pour que
l’acquiescement puisse être dans la majorité des cas regardé comme un simple acte
unilatéral. D’ailleurs dans la jurisprudence qui fait application de l’acquiescement, on
trouve parfois une référence à l’accord des parties … D’une manière générale, la Cour
parle de consentement ou d’acceptation, ce qui implique un accord de volontés.»55
37. L’acquiescement constitue donc un «acte juridique conventionnel»56, c’est-à-dire une
forme d’accord, et non un acte unilatéral, comme le soutient la Somalie.
38. La définition de l’acquiescement en tant que forme de consentement tacite a été
systématiquement confirmée par la jurisprudence de la Cour57. Celle-ci a ainsi affirmé en des
53 Voir CMK, par. 7, 15, 22, 219 et 273. Voir CDI, cinquante-sixième session, septième rapport sur les actes
unilatéraux de l’Etat, Victor Rodríguez Cedeño, rapporteur spécial, Nations Unies, doc. A/CN.4/542, par. 188-189 :
«En réalité, le silence, strictement conçu et défini avec précision, ne saurait être considéré comme
un acte unilatéral … D’une certaine manière, ce silence, associé à d’autres circonstances qui permettent
de déterminer avec un certain degré d’exactitude la volonté de l’Etat dont il s’agit, fait qu’une rétractation
n’est plus de mise une fois qu’une certaine consolidation de l’état de choses en question s’est
produite … Le silence en tant que tel emporte habituellement des conséquences juridiques quand on peut
le mettre en relation avec un acte antérieur d’un autre sujet… c’est pourquoi nous penchons ici pour la
position … [selon laquelle] le silence, puisqu’il ne peut produire d’effets juridiques de manière autonome
et qu’il a besoin pour ce faire d’un autre acte, n’entre pas dans la définition de l’engagement unilatéral…»
54 Nuno Sergio Marques Antunes, «Acquiescence» in Max Planck Encyclopedia of Public International Law,
Oxford University Press, 2012, vol. I, p. 53.
55 J. Barale, «L’acquiescement dans la jurisprudence internationale», Annuaire français de droit international,
1965, p. 418.
56 Ibid., p. 418.
57 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 305, par. 130, où la Cour a conclu que «l’acquiescement équiva[lait] à une reconnaissance
tacite manifestée par un comportement unilatéral que l’autre partie p[ouvait] interpréter comme un consentement» ;
Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2018, par. 152 ; Différend
frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992,
p. 577, par. 364, où la Cour a, de la même manière, estimé que l’acquiescement constituait une «forme de consentement
tacite». Dans l’exposé de l’opinion individuelle qu’il a joint à l’arrêt rendu en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), le juge Ago a décrit l’acquiescement comme «un consentement manifesté par
l’inaction» (C.I.J. Recueil 1982, p. 97, par. 4).
17
- 13 -
termes très clairs, dans l’arrêt qu’elle a rendu en 2008 en l’affaire relative à la Souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, que, s’agissant des manifestations de la souveraineté, l’absence
de réaction pouvait s’interpréter comme un consentement :
«Un changement du titulaire de la souveraineté pourrait avoir résulté d’un
accord entre les deux Etats en question, accord qui pourrait avoir pris la forme d’un
traité … ou avoir été tacite et découler du comportement des Parties. Le droit
international n’impose à cet égard aucune forme particulière. Il met en revanche
l’accent sur les intentions des parties … Dans certaines circonstances, la souveraineté
sur un territoire peut passer à un autre Etat en l’absence de réaction de celui qui la
détenait face au comportement de cet autre Etat agissant à titre de souverain … De
telles manifestations [de l’exercice de la souveraineté] peuvent appeler une réponse,
en l’absence de laquelle elles deviennent opposables à l’Etat en question. L’absence
de réaction peut tout à fait valoir acquiescement. La notion d’acquiescement
«équiv[aut] à une reconnaissance tacite manifestée par un comportement unilatéral
que l’autre partie peut interpréter comme un consentement…»…»58
39. La Cour a par ailleurs clairement énoncé que, en droit international, «la forme
n’est … pas décisive»59. La catégorie juridique précise par laquelle le consentement, c’est-à-dire
l’accord, se manifeste, est donc sans importance. Dans l’exposé de leur opinion dissidente
commune qu’ils ont joint à l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire relative à la Souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, les juges Simma et Abraham ont ainsi indiqué ce qui suit :
«A vrai dire, il n’est pas de première importance que la Cour ait recours, pour
fonder la solution qu’elle adopte, à telle ou telle catégorie ou qualification juridique,
lesdites catégories n’étant souvent pas, il faut le reconnaître, séparées les unes des
autres de façon étanche. Ainsi, que l’on dise qu’un Etat peut acquérir la souveraineté
sur un territoire par voie d’accord tacite avec le souverain antérieur ou en vertu d’un
acquiescement supposé, ou encore que cette acquisition soit considérée comme
réalisée par voie de prescription, la question essentielle est de savoir à quelles
conditions un accord tacite ayant un tel effet peut être regardé comme constitué…»60
40. Dans l’Affaire concernant l’accord relatif aux services aériens, le tribunal arbitral a
souligné ceci :
«Cette identité des effets élimine les conséquences que pourrait avoir dans la
pratique la division de la doctrine entre, d’une part, les partisans de la théorie selon
laquelle l’acquiescement vaut consentement tacite (notamment, Gerald Fitzmaurice,
«The Law and Procedure of the International Court of Justice, 1951-4: General
Principles and Sources of Law», British Yearbook of International Law, vol. XXX,
1953, p. 27 et seq. ; et de manière encore plus évidente, Ian Callum McGibbon, «The
Scope of Acquiescence in International Law», ibid., vol. XXXI, 1954, p. 143 et seq.,
et «Customary International Law and Acquiescence», ibid., vol. XXXIII, 1957, p. 144
et seq.) et, d’autre part, ceux pour qui, si l’acquiescement équivaut, dans ses effets, au
consentement tacite, il convient, en théorie, de distinguer les deux notions
58 Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 50-51, par. 120-121.
59 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 267-268, par. 45 : «Pour ce qui est de la
forme, il convient de noter que ce n’est pas là un domaine dans lequel le droit international impose des règles strictes ou
spéciales… La forme n’est donc pas décisive.»
60 Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, opinion dissidente commune de MM. les juges Simma et Abraham, p. 121, par. 16.
18
- 14 -
(notamment, G. Sperduti, «Prescrizione, consuetudine et acquiescenza», Rivista di
diritto internazionale, 1961, p. 7 et seq.).»61
41. Contrairement aux affirmations de la Somalie, la formation du consentement par absence
de protestation et acquiescement est un principe bien établi en matière de délimitation maritime. De
fait, «[l]es problèmes de souveraineté territoriale constituent l’essentiel du champ d’application de
l’acquiescement», dont le «domaine … s’entend au sens large puisque les décisions intervenues en
la matière intéressent la souveraineté de l’Etat sur terre mais aussi sur les étendues maritimes et
même sur l’espace aérien»62. Ainsi que l’a relevé la CDI dans son rapport précité sur les actes
unilatéraux des Etats, il existe de très nombreux exemples de protestations soulevées à la suite de
revendications maritimes unilatérales afin d’«empêcher la consolidation d’une situation juridique»
dans une zone donnée63.
42. Ainsi, la position que le demandeur avance, au paragraphe 2.1 de sa réplique, concernant
«le principal argument du Kenya … [selon lequel] sa frontière maritime a été … décidée par un
acte unilatéral du Kenya … et [selon lequel] la prétendue absence de protestation de la part de la
Somalie vis-à-vis de cet acte constituait un acquiescement» procède d’un raisonnement
fondamentalement vicié, puisqu’il repose sur l’hypothèse erronée selon laquelle le consentement à
l’acte unilatéral du Kenya (c’est-à-dire à la proclamation de 1979) ne peut être exprimé par le
silence ou l’inaction. De fait, la réplique contredit la position qui était celle de la Somalie au
moment de l’introduction de l’instance en 2014. Dans une lettre en date du 7 juillet 2015 adressée
au Secrétaire général de l’ONU, le ministre somalien des affaires étrangères affirmait en effet que
«la déclaration unilatérale du Kenya relative à cette frontière maritime avec la Somalie, que la
Somalie n’a[vait] ni acceptée ni reconnue, [était] dépourvue de validité en droit international»64. Il
ressort clairement de la précision ainsi apportée — «ni acceptée ni reconnue» — que la Somalie
admet elle-même que, en droit international, une frontière maritime peut être établie par voie de
consentement exprès ou tacite65.
61 Affaire concernant l’accord relatif aux services aériens du 27 mars 1946 entre les Etats-Unis d’Amérique et la
France, sentence rendue par le tribunal arbitral établi conformément au compromis signé le 22 janvier 1963 entre les
Etats-Unis d’Amérique et la France, 22 décembre 1963, Genève, Recueil des sentences arbitrales, vol. XVI, p. 63,
note de bas de page no 2.
62 J. Barale, «L’acquiescement dans la jurisprudence internationale», Annuaire français de droit international,
1965, p. 409-410. Voir également, dans le même sens, Nuno Sergio Marques Antunes, «Acquiescence» dans Max Planck
Encyclopedia of Public International Law, Oxford University Press, 2012, vol. I, p. 54, par. 11 et p. 55, par. 13. Toujours
dans le même sens, mais dans un autre contexte que celui de la délimitation :
«Sans doute le Nicaragua n’a-t-il à aucun moment, d’après les informations soumises à la Cour,
reconnu lui-même expressément qu’il était lié par son acceptation de la compétence obligatoire de la
Cour, mais il n’a pas nié non plus l’existence de cet engagement. La Cour constate que le Nicaragua,
même si sa conduite dans l’affaire de la Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le 23 décembre
1906 n’a pas été exempte d’ambiguïté, n’a jamais déclaré qu’il n’était pas lié par sa déclaration de 1929.
Or, compte tenu de la nature publique et constante des affirmations officielles portant sur l’engagement
du Nicaragua selon le système de la clause facultative, le silence du gouvernement de cet Etat ne peut
s’interpréter que comme une acceptation du classement qui lui était ainsi attribué. Il ne peut être supposé
que ce gouvernement ait pu croire que son silence aurait une valeur autre que celle d’un acquiescement.»
(Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 410, par. 39).
63 CDI, cinquante-sixième session, septième rapport sur les actes unilatéraux de l’Etat, Victor Rodríguez Cedeño,
rapporteur spécial, Nations Unies, doc. A/CN.4/542, par. 148-167, partie intitulée «Protestation visant à empêcher la
consolidation d’une situation juridique concernant un territoire donné».
64 MS, annexe 52, p. 1 (les italiques sont de nous).
65 Voir en particulier CMK, par. 211, citant Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 23.
19
- 15 -
2. Les conditions de l’acquiescement sont réunies
sur le plan factuel
43. Malgré l’importance injustifiée qui y est accordée aux «actes unilatéraux», la réplique de
la Somalie montre que les Parties s’entendent, pour l’essentiel, sur la question du droit applicable à
l’acquiescement. Au paragraphe 2.6, le demandeur invoque «trois conditions, communes à tout
accord tacite : la forclusion, l’estoppel et l’acquiescement», en se référant à la commission
frontalière Erythrée/Ethiopie. Ainsi que cela sera exposé ci-après, il a été clairement satisfait à
chacune de ces trois conditions en la présente espèce. Selon sa propre interprétation du critère
applicable en la matière, la Somalie doit donc être considérée comme ayant acquiescé à
l’établissement de la frontière maritime le long du parallèle. Toute autre conclusion fragiliserait
grandement l’exigence de prévisibilité et de sécurité juridique que le Kenya66 et la Somalie jugent
tous deux essentielle dans le domaine de la délimitation maritime67.
«1. L’existence d’un acte, d’un comportement ou d’une omission de la part
d’une partie ou relevant de son autorité, qui indique la position
de celle-ci quant à la règle juridique applicable»68
44. Le Kenya a démontré dans son contre-mémoire  et la Somalie ne l’a pas contesté dans
sa réplique  qu’il a, depuis 1979 au moins, conformément aux règles pertinentes du droit
international, formellement proclamé et établi sa frontière maritime le long du parallèle, en tant que
ligne de délimitation équitable. Ainsi, au-delà de la position qui était celle des deux Etats au cours
de la troisième conférence sur le droit de la mer — position selon laquelle la méthode à appliquer
pour délimiter la ZEE est celle des principes équitables (et non de l’équidistance) —, le Kenya a, à
partir de 1979 au moins, mis en pratique cette règle juridique générale en établissant sa frontière
maritime le long du parallèle.
«2. Le fait que l’autre partie a effectivement ou devrait raisonnablement avoir
connaissance de ce comportement ou de cette omission…»69
45. Le Kenya a démontré dans son contre-mémoire  et la Somalie ne l’a pas contesté dans
sa réplique  qu’il avait, depuis 1979 au moins, publiquement et expressément formulé sa
revendication concernant la frontière maritime, et que la Somalie en avait été directement informée
par de nombreuses communications officielles. Il ne saurait y avoir de doute quant à la
connaissance que la Somalie avait effectivement ou aurait dû avoir de cette revendication.
66 Voir CMK, par. 311-312, et plus loin, par. 158-161.
67 La Somalie avance ce qui suit (RéS, par. 3.18) : «La jurisprudence de la Cour, et celle d’autres juridictions
internationales, ont permis de structurer et de rendre prévisible le processus de délimitation au cours des 36 années
écoulés depuis la signature de la [CNUDM].» Pendant cette même période de plus de trois décennies (alors que se
formait la jurisprudence de la Cour), la position du Kenya en matière de délimitation maritime, qui était conforme à celle
que lui-même et la Somalie avaient défendue lors des négociations de la CNUDM, a été maintes fois réaffirmée, rendue
publique et notifiée, sans que cela ne donne lieu à la moindre protestation de la part de la Somalie. La Cour se doit donc,
pour préserver la prévisibilité, de dire et juger que la frontière maritime est établie le long du parallèle. En l’Affaire des
Grisbadarna, le tribunal arbitral, se fondant sur trente années d’acquiescement, a souligné de la même manière que,
«dans le droit des gens, c’[était] un principe bien établi qu’il fa[llait] s’abstenir autant que possible de modifier l’état des
choses existant de fait depuis longtemps» (Affaire des Grisbadarna (Norvège, Suède), 1909, Recueil des sentences
arbitrales, vol. XI, p. 161).
68 RéS, par. 2.6.
69 Ibid.
20
- 16 -
«3. Le fait que l’autre partie n’a pas, dans un délai raisonnable, manifesté son
opposition ou son désaccord à l’égard de la revendication exprimée»70
46. Le Kenya a démontré que, entre 1979 et 2014, la Somalie n’avait jamais protesté contre
la frontière maritime qu’il revendiquait, ni formulé de revendication concurrente71.
47. De fait, l’argumentation de la Somalie sur ce point est confuse et contradictoire. Si elle
soutient qu’il n’existe, en droit international, aucune obligation de protester, elle se réfère
néanmoins à la troisième condition citée ci-dessus et admet que, pour pouvoir exclure
l’acquiescement d’une partie, celle-ci doit avoir réagi72. En outre, tout en prétendant qu’elle a
protesté contre la position du Kenya73, la Somalie affirme qu’elle n’a pas été en mesure de le faire
en raison du déclenchement de la guerre civile en 1991 (c’est-à-dire après douze années
d’acquiescement à la proclamation de 1979)74.
48. A cet égard, les protestations exprimées par la Somalie en 2014, qui ont cristallisé le
différend après trente-cinq années d’acquiescement (voir paragraphe a) ci-après), sont dépourvues
de pertinence et étayent, de fait, l’argumentation du Kenya. Ce qui importe, c’est que, jusqu’à la
date critique, c’est-à-dire la date à laquelle elle a revendiqué pour la première fois une frontière
maritime fondée sur l’équidistance, la Somalie n’a, entre 1979 et 2014, jamais réagi à la prétention
du Kenya. La revendication de souveraineté et de droits souverains sur des espaces maritimes
formulée par celui-ci appelait une réaction ; le fait que la Somalie n’ait pas réagi constitue un
acquiescement (voir b) ci-après).
a) La date critique
49. Le fait que la Somalie ait protesté après au moins trente années de silence n’a, au regard
du droit international, aucune incidence sur la question de savoir si elle avait déjà acquiescé à la
position du Kenya. De toute évidence, une protestation donnant naissance à un différend ne saurait
faire disparaître un acquiescement antérieur car, si tel était le cas, la notion juridique
d’acquiescement serait vidée de sa substance. Un Etat ne saurait annuler l’effet juridique d’un
consentement prolongé en protestant contre ce à quoi il a déjà consenti. Ce qui importe, c’est de
savoir si l’acquiescement existait à la date critique, c’est-à-dire à la date à laquelle le différend
s’est fait jour.
50. La jurisprudence de la Cour est claire sur ce point. Dans l’Affaire des pêcheries, celle-ci
a estimé que, bien qu’il eût contesté la validité de la prétention de la Norvège conformément à sa
législation  ce qui avait créé le différend , le Royaume-Uni avait déjà acquiescé à cette
prétention. Ainsi que la Cour l’a souligné, ce qui importait, c’était l’absence de protestation
«jusqu’à la naissance du différend»75. De même, en l’affaire Pedra Branca, le fait qu’un différend
70 RéS, par. 2.6.
71 Voir plus haut, sect. A.
72 Voir plus loin, par. b).
73 Voir plus haut, par. b).
74 Voir plus loin, par. 61.
75 Affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 138. Dans l’affaire des
Grisbadarna (Norvège, Suède), le tribunal a relevé, de la même manière, que la Suède avait agi «la première et une
trentaine d’années avant le commencement de toute contestation» (1909, RSA, vol. XI, p. 162).
21
22
- 17 -
se fût cristallisé en 1979-198076 n’a pas empêché la Cour d’estimer en 2008 (soit près de trente ans
plus tard) que le silence et l’inaction antérieurs à 1979-1980 valaient acquiescement77. La Cour a
ainsi rappelé sa jurisprudence bien établie selon laquelle les actes qui se sont «produits après la date
à laquelle le différend entre les Parties s’est cristallisé» ne sont pas pertinents et ne doivent pas être
pris en considération, à moins qu’ils ne confirment une situation préexistante78.
51. Ce qui compte, en la présente espèce, c’est que, avant la cristallisation du différend en
2014, la Somalie aurait dû, si elle la contestait, réagir à la revendication formulée par le Kenya
quant à sa frontière maritime, et qu’elle n’a pas protesté pendant une période prolongée.
b) La Somalie avait l’obligation de réagir pour ne pas être considérée comme ayant acquiescé
Les circonstances appelaient une réaction de la Somalie pour faire obstacle à l’acquiescement
52. Dans son contre-mémoire, le Kenya invoque un certain nombre d’éléments — des
exemples illustrant la pratique des Etats, ainsi que des décisions judiciaires et arbitrales — à l’appui
de la règle bien établie selon laquelle, lorsque les circonstances appellent une réaction, un silence
vaut acceptation79. En particulier, il ne fait aucun doute qu’un Etat opposé aux revendications d’un
autre, surtout lorsque celles-ci ont une incidence sur sa souveraineté et ses droits souverains, doit
protester s’il ne veut pas être considéré comme ayant acquiescé80. Le Kenya a également établi que,
en la présente espèce, les circonstances appelaient clairement une prompte réaction, surtout après
ses notifications formelles des proclamations de 1979 et 2005, et la demande soumise à la
Commission des limites en 200981.
53. Le Kenya relève que, dans l’arrêt qu’elle a rendu sur les exceptions préliminaires, la
Cour a conclu que la Somalie avait acquiescé à la validité du mémorandum d’accord, parce qu’elle
«n’a[vait] commencé à émettre des doutes à cet égard que quelque temps plus tard, en mars
2010 … [et] qu[’elle] n’a[vait] jamais informé directement le Kenya qu’il existait, à son sens, un
quelconque vice de son consentement à être liée par le mémorandum»82. En ce qui concerne la
frontière maritime que revendique le défendeur, rien n’indique que la Somalie ait exprimé le
moindre «doute» à l’égard des proclamations de 1979 et 2005 avant sa lettre d’août 2009 reniant le
mémorandum d’accord83 ; et elle n’a protesté directement auprès du Kenya qu’en 2014.
54. Dans sa réplique, la Somalie a d’ailleurs reconnu qu’«une protestation pourrait être
nécessaire lorsque l’un des deux Etats a depuis longtemps le même comportement concernant la
façon dont il exprime son point de vue sur l’emplacement d’une frontière maritime»84 et que, par
76 Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 27, par. 30 et 33-34.
77 Ibid., p. 50-96, par. 118-277.
78 Ibid., p. 27-28, par. 32.
79 Voir CMK, par. 210-219.
80 CMK, par. 210-219 et par. 232-237.
81 CMK, par. 238-241.
82 Exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2017, par. 49-50.
83 MS, vol. III, annexe 37.
84 RéS, par. 2.12.
23
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l’entremise des proclamations de 1979 et 2005, le Kenya «a prétendu» établir une frontière
maritime85.
55. Plus précisément, au vu des éléments factuels de la présente espèce, la Somalie fait, dans
sa réplique, un aveu décisif, à savoir qu’elle était tenue de protester contre les proclamations du
Kenya de 1979 et 2005. En particulier, elle souligne que le prétendu prolongement, par le Kenya,
des concessions pétrolières jusqu’au parallèle «a suscité de vives protestations officielles de la part
du gouvernement somalien»86 (bien qu’elle n’ait pas fourni d’éléments de preuve crédibles à
l’appui de cette affirmation) et qu’elle s’est très récemment formalisée de ce que les activités
menées par le Kenya en 2014 dans la ZEE revendiquée par elle constituaient «des violations
flagrantes de sa souveraineté et de son intégrité territoriale ainsi que du droit somalien applicable,
notamment la loi maritime somalienne de 1988»87. Ces assertions confirment a contrario que la
revendication formulée par le Kenya depuis 1979 en ce qui concerne la frontière maritime entre les
deux Etats appelait une réaction si la Somalie s’opposait à ce que la délimitation suive le parallèle.
Celle-ci ne fournit aucune explication plausible quant au contraste entre ses vives protestations
(prétendument après 2009 mais, si l’on se fie aux éléments de preuve, seulement en 2014) et son
silence manifeste face aux notifications formelles que lui a adressées le Kenya depuis 197988.
La pratique des Etats confirme qu’une réaction est requise pour faire obstacle à l’acquiescement
56. Dans sa réplique, la Somalie s’excuse de son silence prolongé en affirmant qu’«il
n’existe pas de pratiques courantes en matière de protestations», ce qui signifierait qu’«on ne peut
rien déduire de l’absence de protestation officielle suite à des revendications et des proclamations,
et on ne doit rien déduire d’une telle absence»89. C’est tout à fait faux. Dans son contre-mémoire, le
Kenya a fourni nombre d’exemples tirés de la pratique des Etats dans lesquels ceux-ci s’étaient
sentis obligés de protester pour faire obstacle à l’acquiescement90. Dans le droit fil de cette
pratique, la CDI a fait observer que
«[l]e nombre considérable de protestations que l’on rencontre dans la pratique
internationale est, pensons-nous, un indice majeur du fait que le silence peut avoir des
effets importants : c’est pourquoi, chaque fois qu’un état de choses déterminé sur
lequel un Etat ou des Etats ne sont pas d’accord pourrait se consolider, ceux-ci
protestent avec force»91.
Cela vaut tout particulièrement pour les revendications de frontière maritime — ainsi que pour les
affirmations de souveraineté et de droits souverains correspondantes — officiellement proclamées
et formellement notifiées, comme en l’espèce.
57. Dans sa réplique, la Somalie ne fait aucun cas des nombreux exemples fournis par le
Kenya dans son contre-mémoire. De la même manière, elle n’a pas mis en doute le fait que les
cours et tribunaux internationaux ont toujours conclu que l’absence de protestation, alors que les
85 Exposé écrit de la Somalie contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires du
Kenya, 5 février 2016, par. 2.47.
86 RéS, par. 2.80.
87 MS, annexe 77. Voir aussi MS, annexes 74 et 78.
88 Voir aussi CMK, par. 238-239.
89 RéS, par. 2.11.
90 CMK, p. 102-105, par. 237.
91 CDI, Septième rapport sur les actes unilatéraux de l’Etat, par M. Víctor Rodríguez Cedeño, rapporteur spécial,
Annuaire de la Commission du droit international 2004, vol. II (deuxième partie), p. 248, note de bas de page 329.
24
- 19 -
circonstances appelaient une réaction, emportait acquiescement, ni que cela s’applique
particulièrement aux revendications frontalières ainsi qu’aux affirmations de souveraineté et de
droits souverains qui les accompagnent92. Ainsi que l’a par exemple conclu le tribunal arbitral dans
l’affaire de la frontière hondurienne :
«Si aucun Etat ne peut acquérir la juridiction sur un territoire situé dans un autre
Etat par de simples déclarations faites en son nom propre, il est également vrai que ces
manifestations d’autorité, par le Guatemala (et autres actes de sa part dont attestent les
éléments de preuve), peu après l’indépendance, s’agissant du territoire situé au nord et
à l’ouest du fleuve Motagua, englobant la région littorale Amatique, constituaient des
actes officiels et publics et montraient clairement que le Guatemala considérait qu’il
s’agissait de son territoire. Ces manifestations d’autorité appelaient une contestation
de la part du Honduras si celui-ci estimait qu’elles étaient injustifiées.»93
58. A cet égard, le seul moyen de défense avancé par la Somalie est sa théorie de l’exception
africaine. Le demandeur affirme que, «sur le continent africain, … les protestations contre des
revendications, loin d’être systématiques, sont plutôt sporadiques»94. Il est totalement faux de
laisser entendre que le continent africain serait d’une certaine façon exempté du droit international
applicable à l’acquiescement (droit qui relève en outre clairement du bon sens et reflète la pratique
diplomatique habituelle). De surcroît, comme l’illustre la pléthore d’exemples cités ci-après, il
ressort de la pratique des Etats africains qu’il existe de nombreux cas de protestations émises par tel
ou tel Etat contre des revendications unilatérales formulées par d’autres Etats. De fait, comme pour
les protestations diplomatiques de manière plus générale95, il est d’usage de formuler des
protestations réitérées afin de ne pas être considéré comme ayant acquiescé. La pratique de la
Somalie elle-même montre d’ailleurs que celle-ci jugeait nécessaire de formuler des protestations
formelles répétées lorsqu’elle estimait qu’il était porté atteinte à sa souveraineté territoriale96.
59. Les exemples ci-après ne laissent aucun doute quant au fait que la théorie de l’exception
africaine de la Somalie ne correspond pas à la pratique des Etats africains :
a) «En 1977 et 1978, puis chaque année de 1982 à 1987, le Tchad a protesté à l’Assemblée
générale contre ce qu’il alléguait être un empiétement de la Libye sur son territoire.»97
b) Le 8 novembre 1984, l’Ethiopie a protesté contre «les revendications de souveraineté [du
Yémen] sur des îles indéterminées en mer Rouge et dans l’océan Indien», faisant observer que
la déclaration faite par le Yémen, lorsqu’il a signé la CNUDM, «ne saurait en aucune manière
porter préjudice à la souveraineté de l’Ethiopie sur toutes les îles de la mer Rouge qui font
partie de son territoire national»98.
92 Voir CMK, par. 210 et suiv.
93 Honduras Borders (Guatemala, Honduras), sentence du 23 janvier 1933, RSA, vol. II, p. 1327.
94 RéS, par. 2.11.
95 «Il ne faut d’ailleurs pas croire qu’une protestation, si claire et prompte soit-elle, suffise toujours à elle
seule à sauvegarder les droits d’un Etat. Il devra souvent renouveler sa protestation de temps en temps, ou
l’opposer chaque fois aux actes de l’autre Etat qui méconnaissent son droit, pour empêcher que son
silence après la première protestation soit interprété comme un abandon de sa volonté de protester,
comme l’acceptation du fait contesté d’abord» : A. Cavaglieri, «Règles générales du droit de la paix»
(1929), Collected Courses, vol. 26, p. 517.
96 Voir plus loin, par. 65.
97 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 36, par. 70.
98 Voir https://www.un.org/depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinp…, p. 22.
25
- 20 -
c) En l’affaire Guinée-Bissau c. Sénégal, la Guinée-Bissau a émis des protestations contre
l’autorisation donnée par le Sénégal à la construction de certaines plates-formes pétrolières dans
la zone maritime en litige entre les Parties, et le Sénégal a protesté auprès du Secrétaire général
de l’Organisation des Nations Unies au sujet de l’adoption, par la Guinée-Bissau, d’une loi
concernant son système de lignes de base99.
d) En l’affaire Erythrée/Yémen100,
«[d]ans une lettre datée du 4 janvier 1996, le Yémen a officiellement protesté contre
l’octroi par l’Erythrée d’une concession pétrolière à la compagnie Andarko, laquelle,
d’après le Yémen, constituait
«une violation flagrante de la souveraineté yéménite sur ses eaux
territoriales dans la mesure où la concession s’étend aux eaux territoriales
exclusives des îles yéménites Jabal al-Tayr et al-Zubayr en sus d’être une
violation des droits de la République du Yémen dans sa zone économique
exclusive»».
e) Le 23 juillet 1996, le Yémen a protesté contre la publication, par l’Erythrée, d’une carte
représentant les zones d’exploitation pétrolière en mer Rouge, qui incluaient des espaces sur
lesquels il considérait avoir souveraineté101.
f) Le 17 mai 2001, Maurice a protesté contre une déclaration de la France concernant le dépôt
qu’elle avait fait auprès du Secrétaire général, le 20 juin 2008, d’un tableau intitulé «Tromelin :
Points de base», estimant que cette déclaration était «juridiquement dénuée de fondement dans
la mesure où l’île Tromelin fait partie intégrante du territoire de la République de Maurice,
aucun autre Etat ne pouvant revendiquer les zones maritimes relevant de l’île Tromelin»102.
g) En l’affaire de l’Aire marine protégée des Chagos, Maurice avait fait connaître au Secrétaire
général, le 14 avril 2004, sa volonté de «protester vivement» contre le dépôt, par le
Royaume-Uni, d’une liste de coordonnées géographiques, conformément au paragraphe 2 de
l’article 75 de la CNUDM, «dans la mesure où elle consid[érait] que, en déposant la liste des
coordonnées géographiques des points définissant les limites extérieures de la «zone de
protection et de préservation de l’environnement» auprès du Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies conformément au paragraphe 2 de l’article 75 de la
convention, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord prétend[ait] exercer sur
99 Affaire de la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée-Bissau et le Sénégal, 31 juillet 1989, RSA,
vol. XX, par. 25. La protestation émise par le Sénégal auprès du Secrétaire général était ainsi libellée :
«Le Gouvernement de la République du Sénégal élève une protestation formelle contre la loi n° 2
du 17 mai 1985 de la République de Guinée-Bissau dont notamment, les articles 1 et 2 sont
manifestement contraires au droit international. La mission permanente de la République du Sénégal prie
le Secrétaire général d’assurer la diffusion de cette protestation auprès de tous les Etats Membres et saisit
cette occasion pour lui renouveler les assurances de sa haute considération.»
(https://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinf…, p. 24.)
100 Erythrée/Yémen, 9 octobre 1998, RSA, vol. XXII, par. 85, note de bas de page 4.
101 https://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinf…, p. 106.
102 https://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinf…, p. 37.
26
27
- 21 -
cette zone des droits que seul un Etat côtier p[ouvait] détenir sur sa zone économique
exclusive»103.
h) Le 31 juillet 2009, l’Angola a pris note de l’intention de la République démocratique du Congo
d’établir les limites extérieures de son plateau continental au-delà de 200 milles marins,
lesquelles ont été soumises à la Commission des limites le 11 mai 2009, et rejetées par
l’Angola104.
i) Le 14 juin 2010, la République démocratique du Congo a «constat[é] avec regret que le projet
de la République d’Angola, datant du 4 mai 2009, qui a[vait] été introduit auprès de la
Commission des limites du plateau continental tra[çât] les limites de son plateau continental en
ignorant les droits de la [RDC] en tant qu’Etat côtier», estimant que cela était contraire au droit
international105.
j) Le 7 juin 2012, l’Angola a protesté contre certains aspects de la demande présentée par le
Gabon à la Commission des limites le 10 avril 2012106.
k) Le 25 juillet 2014, le Yémen a écrit à la division des affaires maritimes et du droit de la mer de
l’ONU pour «él[ever] une objection à la liste de coordonnées géographiques des points qui,
entre autres, définiss[ai]ent les limites de la zone économique exclusive déposée par la
République fédérale de Somalie, car elle viol[ait] [s]a mer territoriale et [s]a zone économique
exclusive»107. Le 10 décembre 2014, il a écrit une nouvelle fois pour «maint[enir] son objection
à la liste de coordonnées géographiques des points qui, entre autres, définiss[ai]ent les limites
de la zone économique exclusive déposée par la République fédérale de Somalie»108.
l) Le 31 janvier 2017, Djibouti a adressé au Secrétariat des Nations Unies une note verbale
affirmant qu’il
«ne reconna[issait] pas les coordonnées géographiques servant à identifier les lignes
de base à partir desquelles est mesurée la zone économique exclusive de la République
fédérale de Somalie. La zone économique exclusive définie dans la liste des
coordonnées géographiques s’étend sur les eaux sous la souveraineté et la juridiction
de la République de Djibouti.»109
m) Le 3 mars 2017, le Soudan a indiqué qu’il rejetait et ne reconnaissait pas le décret du président
de la République arabe d’Egypte no 27 en date du 9 janvier 1990 concernant la frontière
maritime, relevant que,
«[c]omme il le fait chaque année depuis 1958, [il] s’[était] adressé le 5 janvier 2017 au
Conseil de sécurité pour redire son opposition à l’occupation militaire égyptienne du
triangle de Halayeb soudanais et de sa mer territoriale et rappeler que, compte tenu de
103 Différend entre Maurice et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord concernant l’aire
marine protégée des Chagos, arbitrage du 18 mars 2015, RSA, vol. XXXI, par. 124. Voir aussi https://www.un.org
/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinfr/bull54fr.pdf, p. 131. Voir aussi la protestation élevée par Maurice
dans la note verbale du 9 juin 2009 : https://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinf…
bull70fr.pdf, p. 60.
104 https://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinf…, p. 46.
105 https://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinf…, p. 51.
106 https://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinf…, p. 63.
107 https://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinf…, p. 39.
108 https://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinf…, p. 44.
109 https://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinf…,
p. 24.
28
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la situation actuelle, il ne reconna[issait] pas les manoeuvres par lesquelles le
Gouvernement égyptien impos[ait] sa souveraineté dans ce territoire et sa mer
territoriale.»110
n) Le 5 décembre 2017, le Soudan a déclaré
«qu’il contest[ait] et rejet[ait] le texte dit Accord sur la démarcation des frontières
maritimes signé entre le Royaume d’Arabie saoudite et la République arabe d’Egypte
le 8 avril 2016, qui a[vait] été déposé auprès de l’Organisation des Nations Unies
(Section des traités, volume 5477)»111.
60. Ces exemples confirment — comme l’indiquait le Kenya dans son contre-mémoire —
que, lorsque les Etats africains s’opposent à des revendications ou des actes d’un autre Etat, leur
pratique (comme celle de tous les Etats du monde) consiste à protester, en particulier lorsqu’il
s’agit de leurs frontières territoriales ou maritimes.
La Somalie était en mesure de protester
61. La Somalie soutient dans sa réplique qu’il était «irréaliste» de s’attendre à ce qu’elle
proteste puisque, en 1991, elle était «ravagé[e] par une guerre civile, et dépourvu[e] de
gouvernement central fonctionnel [susceptible de] proteste[r] officiellement par les voies
diplomatiques…»112
62. Le Kenya souhaite formuler trois observations à cet égard.
63. Premièrement, en invoquant la «guerre civile» qui a débuté en 1991, la Somalie reconnaît
qu’elle était en mesure de protester au moins jusqu’à cette année-là. En particulier, elle aurait pu
protester, si ce n’est contre la publication de la carte du Kenya de 1976, du moins contre la
notification formelle de la proclamation de 1979, par le Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies, ou contre la publication de la carte de 1983, ou encore contre la publication par
l’ONU, en 1986, de la proclamation de 1979 dans National Legislation on the EEZ113.
64. Il convient à cet égard de souligner que, dans sa réplique, la Somalie a passé sous silence
le fait qu’elle s’était expressément opposée, au cours de la troisième conférence sur le droit de la
mer, à des propositions fondées sur la méthode de l’équidistance, tout en omettant de protester
d’une quelconque manière contre la frontière maritime suivant le parallèle revendiquée à cette
époque par le Kenya en tant que délimitation équitable114. Elle n’a pas non plus protesté en 1989
 dix ans après la proclamation de 1979 , lorsqu’elle a ratifié la CNUDM115.
110 https://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinf…,
p. 23.
111 https://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinf…,
p. 31.
112 RéS, par. 2.113. voir aussi par. 2.107-2.112.
113 Voir CMK, par. 231.
114 Ibid., par. 257.
115 Ibid., par. 259.
29
- 23 -
65. A la même époque, la Somalie a protesté contre la violation de ses droits souverains par
les autres Etats voisins. Ainsi, le 8 octobre 1982, elle a protesté contre ce qu’elle a décrit comme
une «violation [par l’Ethiopie] … de [s]a souveraineté et de [son] intégrité territoriale»116, et, le
28 septembre 1984, contre le fait que «les forces éthiopiennes occup[ai]ent encore deux régions du
territoire somali…»117. En revanche, la Somalie n’a nullement protesté contre la proclamation de
1979 du Kenya.
66. Deuxièmement, et en tout état de cause, la Somalie ne conteste pas les nombreuses
décisions judiciaires et arbitrales invoquées par le Kenya dans son contre-mémoire, qui montrent
que l’absence de protestation emporte acquiescement, même en cas de guerre civile118. Elle cite
certains passages de la sentence arbitrale rendue en l’affaire Erythrée/Yémen119, mais passe sous
silence le fait que, dans cette affaire, le tribunal a conclu que l’Ethiopie avait «omis de protester» et
que, s’«il ne faut pas oublier que l’accord conclu avec la société Hunt l’a été à un moment où la
guerre civile faisait encore rage en Ethiopie», à la lumière de «toutes les considérations pertinentes
d’ordre historique, factuel et juridique», notamment de l’absence de protestation de la part de
l’Ethiopie, les îles en litige concernées étaient considérées comme «rel[evant] de la souveraineté
territoriale du Yémen»120. C’est la raison pour laquelle l’affaire Erythrée/Yémen est considérée
comme confirmant la règle selon laquelle une absence de protestation, alors que les circonstances
appelaient une réaction, équivaut à un acquiescement, même lorsque l’Etat concerné est en proie à
une guerre civile ou est sous-développé121. La pratique des Etats confirme elle aussi que ceux-ci
protestent pour préserver leurs droits, et ce, même en cas de guerre civile122.
67. Troisièmement, l’allégation de la Somalie selon laquelle elle n’était pas en mesure de
protester pendant la guerre civile n’est, en tout état de cause, pas établie du point de vue des faits.
Le demandeur prétend que, au cours de la procédure orale relative aux exceptions préliminaires, le
Kenya a «reconnu l’incapacité pratique de la Somalie à accepter toute frontière maritime pendant la
116 Assemblée générale des Nations Unies, trente-septième session, procès-verbal de la 24e séance,
doc. A/37/PV.24, par. 167.
117 Assemblée générale des Nations Unies, trente-neuvième session, procès-verbal de la 13e séance,
doc. A/39/PV.13, par. 310.
118 CMK, par. 229-230. Voir RéS, par. 2.108.
119 Ibid.
120 Erythrée/Yémen, 9 octobre 1998, RSA, vol. XXII, par. 520-524.
121 Voir R. Kolb, Good Faith in International Law (Oxford 2017), p. 95 :
«Ce précédent [Erythrée/Yémen] tend à démontrer que les tribunaux auront besoin de temps pour
assouplir le critère applicable, dans la mesure où une certaine stabilité internationale est nécessaire. … En
définitive, le tribunal arbitral saisi de l’affaire du Différend territorial a accepté la connaissance présumée
concernant un accord pétrolier publié entre le Yémen et Shell, puisque «la diligence voulue aurait permis
que l’Ethiopie en soit informée», celle-ci n’ayant toutefois pas émis de protestation. L’argument selon
lequel l’Ethiopie était un pays pauvre en proie à une guerre civile n’a pas modifié cette constatation. Ce
précédent est donc parfaitement conforme à la jurisprudence des Pêcheries norvégiennes.»
Cette conclusion vaut a fortiori lorsque la revendication initiale a été dûment notifiée, comme c’est le cas en la
présente instance. En pareil cas, l’on ne saurait plaider l’ignorance.
122 Par exemple, pendant la période comprise entre 1983 et 2005, pendant la seconde guerre civile soudanaise, le
Soudan s’est adressé au Conseil de sécurité au sujet du triangle de Halayeb tous les ans entre 1995 (l’année où a débuté
l’occupation militaire de l’Egypte) et 2005 (quand s’est achevé le conflit), en dépit de la guerre civile qui faisait rage
(voir https://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinf…, p. 25).
De la même manière, pendant la guerre civile éthiopienne, de 1974 à 1991, le Gouvernement militaire provisoire de
l’Ethiopie socialiste a, le 8 novembre 1984, protesté contre «les revendications de souveraineté [du Yémen] sur des îles
indéterminées en mer Rouge et dans l’océan Indien», relevant que le paragraphe 3 de la déclaration de la République
arabe du Yémen à la signature de la CNUDM «ne saurait en aucune manière porter préjudice à la souveraineté de
l’Ethiopie sur toutes les îles de la mer Rouge qui font partie de son territoire national»
(https://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinp…, p. 22).
30
- 24 -
guerre civile qui a dévasté ce pays»123. C’est tout à fait faux. Le défendeur s’est contenté de noter,
concernant l’exigence de négociation, que la Somalie «commen[çait] à … sortir d’une longue
période d’instabilité causée par la guerre civile, une catastrophe humanitaire et un terrorisme
généralisé», et qu’elle «n’a[vait] aucun[e] capacit[é] de contrôle maritime»124, représentant donc
«une menace existentielle pour le Kenya»125. Ces déclarations ne disent rien de la capacité de la
Somalie à simplement réagir si elle était en désaccord avec la revendication du Kenya126. De fait, le
défendeur a établi dans son contre-mémoire que, même pendant la guerre civile dans les années
1990 et jusqu’à l’établissement du Gouvernement national de transition en 2000127, la Somalie était
à même de jouer un rôle actif dans les relations diplomatiques, ce qu’elle a d’ailleurs fait, par
exemple en parrainant de nombreuses résolutions de l’ONU ou en les rédigeant, ainsi qu’en
négociant et concluant des accords internationaux, notamment avec le Kenya128. En conséquence,
rien n’empêchait la Somalie de protester contre la frontière maritime revendiquée par le Kenya si
elle s’y opposait.
Affaires du Plateau continental de la mer du Nord
68. S’efforçant de réfuter la thèse du Kenya, la Somalie invoque également les
paragraphes 28 et 30 de l’arrêt rendu dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord
pour soutenir que l’acquiescement requiert «un comportement absolument net et constant» de sa
part, c’est-à-dire une véritable «intention de manifester qu’elle acceptait la revendication du Kenya
ou en reconnaissait l’applicabilité»129, ou «une acceptation claire et systématique»130. Ces décisions
ne sont toutefois d’aucune aide à la Somalie.
69. Premièrement, il est aisé de distinguer les faits de la présente espèce de ceux des affaires
précitées. Dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, la question était de savoir si,
ayant signé mais pas ratifié la convention sur le plateau continental de 1958, l’Allemagne avait
consenti, en matière de délimitation maritime, à être liée par la règle de l’équidistance par défaut,
énoncée à l’article 6 de cet instrument. La Cour a souligné, au paragraphe 28 de son arrêt, que,
«si elle avait eu vraiment l’intention de manifester qu’elle acceptait le régime
conventionnel ou en reconnaissait l’applicabilité, on devrait se demander pourquoi la
République fédérale [d’Allemagne] n’a pas pris la mesure qui s’imposait, à savoir
exprimer sa volonté en ratifiant purement et simplement la Convention»131.
C’est donc dans le cadre précis de la ratification d’un traité que la Cour a appliqué un critère strict
pour déterminer s’il y avait eu consentement tacite. Deuxièmement, le paragraphe 30 de l’arrêt est
dépourvu de pertinence car il concerne «les conditions permettant d’invoquer la doctrine de
l’estoppel», et non l’acquiescement132. Troisièmement, et c’est le plus important, les affaires du
123 RéS, par. 2.109.
124 Ibid.
125 CR 2016/10, p. 25-26, par. 25 (Akhavan).
126 RéS, par. 2.110-2.112.
127 CMK, par. 95.
128 CMK, par. 95-96.
129 RéS, par. 2.9.
130 RéS, par. 2.12.
131 Plateau continental de la mer du Nord, arrêt, C.I.J. Recueil 1969, par. 28.
132 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 1984, par. 145 (citant Plateau continental de la mer du Nord, par. 30).
31
- 25 -
Plateau continental de la mer du Nord avaient trait au consentement présumé à une méthode
générale de délimitation maritime (c’est-à-dire celle de l’équidistance), et non à l’acquiescement
prolongé à une frontière maritime particulière. Le silence ou l’absence de réaction sont
naturellement bien plus éloquents lorsqu’il est question d’une frontière précise plutôt que d’une
méthode générale. Quatrièmement, même si le critère du consentement tacite défini dans les
affaires du Plateau continental de la mer du Nord s’appliquait, les faits de la présente espèce y
satisferaient : l’absence de protestation de la part de la Somalie entre 1979 et 2014 constitue une
«acceptation claire et constante» de la frontière maritime revendiquée par le Kenya.
C. LE MÉMORANDUM D’ACCORD DE 2009
ET LES NÉGOCIATIONS DE 2014
70. La Somalie soutient que 1) la référence à un «différend» contenue dans le mémorandum
d’accord de 2009 et 2) les négociations sur la délimitation maritime qui se sont tenues par la suite
entre les Parties, en 2014, contredisent le fait qu’elle aurait acquiescé à la revendication, par le
Kenya, d’une frontière maritime suivant le parallèle, telle que celui-ci l’a formulée pour la première
fois en 1979. Or, pour les raisons exposées ci-après, cela est inexact.
1. Le mémorandum d’accord de 2009
a) Le libellé du mémorandum d’accord de 2009
71. La Somalie soutient que le libellé du mémorandum d’accord de 2009 «contredi[t] ce
qu’affirme le Kenya, à savoir que les Parties ont délimité leur frontière maritime, sur la base de
l’«acquiescement» de la Somalie, selon un parallèle de latitude»133. La Somalie se réfère plus
précisément au deuxième paragraphe du mémorandum d’accord qui indique que la délimitation du
plateau continental entre elle et le Kenya «n’a pas encore été fixée» et que cette «question
non … résolue … doit être considérée comme un différend maritime». Cette assertion est
manifestement contraire aux écritures qu’elle a présentées elle-même lors de la phase consacrée
aux exceptions préliminaires, selon lesquelles «les seuls objet et but» du mémorandum de 2009
étaient de tracer la limite extérieure du plateau continental134. Comme la Cour l’a noté dans son
arrêt du 2 février 2017,
«la Somalie soutient que le mémorandum, «dans la définition qu’il donne de la zone
maritime en litige, … ne fait mention que du plateau continental» et ne contient
aucune référence à la mer territoriale ou à la zone économique exclusive. Elle
considère qu’il concerne uniquement le plateau continental au-delà de 200 milles
marins et observe qu’il ne mentionne aucunement la frontière maritime en deçà de
200 milles marins.»135
72. Il n’est pas contesté que, indépendamment de l’acquiescement, la frontière maritime
entre le Kenya et la Somalie n’avait «pas encore été fixée» dans un accord écrit formel lorsque le
mémorandum a été conclu en 2009. Il n’est pas contesté non plus que, pendant les trente années qui
se sont écoulées entre 1979 et 2009, la Somalie n’a pas protesté contre la frontière maritime du
Kenya suivant le parallèle jusqu’à la limite de 200 milles marins de la ZEE. Enfin, il n’est pas
133 RéS, par. 2.22-2.25 et 4.12.
134 Voir l’exposé écrit de la Somalie contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires du
Kenya, 5 février 2016, notamment par. 1.11, 1.16, 1.18, 1.20, 1.21, 2.5 et 2.22.
135 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2017, par. 62.
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33
- 26 -
contesté que celui-ci a, pour la première fois, prolongé cette ligne au-delà de 200 milles marins
jusqu’à la limite extérieure du plateau continental dans la demande qu’il a présentée à la
Commission des limites en 2009 (sous réserve du tracé des limites du plateau continental établi par
celle-ci), immédiatement après la conclusion du mémorandum d’accord. A ce moment-là, la
Somalie avait donc acquiescé à la ligne suivant le parallèle au moins jusqu’à la limite des
200 milles marins de la ZEE, indépendamment de la limite extérieure du plateau continental.
73. Le fait que, en 2009, seule la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles
marins était en cause est confirmé par la demande présentée par le Kenya à la Commission, dans
laquelle celui-ci a fait référence au «chevauchement des revendications maritimes avec les Etats
côtiers adjacents de la Somalie, au nord, et de la République-Unie de Tanzanie, au sud»136. La
référence à ces deux Etats en des termes identiques indique que le Kenya considérait que les deux
frontières maritimes avaient été fixées le long d’un parallèle, jusqu’à la limite des 200 milles
marins de la ZEE. Plus précisément, le Kenya avait conclu un accord formel avec la Tanzanie en
1975-1976137, mais se référait toujours à une zone de «chevauchement» maritime. Peu après qu’il
eut présenté sa demande à la Commission des limites, la conclusion, le 23 juin 2009, d’un accord
sur la délimitation du plateau continental au-delà de la limite des 200 milles marins mettait fin à
son différend pendant avec la Tanzanie.
74. Dans l’arrêt qu’elle a rendu sur les exceptions préliminaires en la présente instance, la
Cour a clairement précisé que les références à la délimitation maritime contenues dans le
mémorandum d’accord de 2009 «n’[avaient] d’autre effet que de favoriser la réalisation de
l’objectif du mémorandum d’accord consistant à faire en sorte qu’une Partie ne s’opposera pas à
l’examen par la Commission de la demande de l’autre» et confirmaient que la question de la
délimitation devait «demeurer dissociée du processus conduisant à la fixation de la limite
extérieure du plateau continental»138.
b) Les notes verbales de 2007 et 2008 qui confirment le parallèle
75. Le fait que le Kenya considérait sa frontière maritime avec la Somalie comme ayant été
fixée jusqu’à la limite des 200 milles marins de la ZEE est confirmé par deux notes verbales que
celui-ci a transmises au demandeur en 2007 et 2008, respectivement. Il est rappelé que la période
2007-2008 suit immédiatement la proclamation de 2005 et sa diffusion par le Secrétaire général de
l’ONU en 2006, et précède directement la conclusion du mémorandum d’accord le 7 avril 2009,
compte tenu de la date butoir fixée au 13 mai 2009 pour la présentation des demandes à la
Commission des limites.
76. Dans ce contexte spécifique, le 26 septembre 2007, le Kenya a écrit à la Somalie pour
l’informer qu’il «a[vait] entrepris la délinéation de la limite extérieure de son plateau continental en
appliquant les dispositions de l’article 76» de la CNUDM139. Il observait en outre que la
Commission des limites exigeait des Etats adjacents qu’ils s’entendent sur les frontières maritimes,
énonçant ensuite sa position sans équivoque selon laquelle «[l]es frontières entre [les] deux Etats
[avaient] été tracées à l’aide d’un parallèle, conformément aux articles 74 et 83 de la CNUDM, la
Commission des limites ayant adopté ce parallèle tel que proclamé par le Gouvernement de la
136 MS, vol. III, annexe 59, par. 7.1-7.3.
137 Voir CMK, par. 42-47. L’accord se trouve à l’annexe 5 (vol. III) du mémoire de la Somalie.
138 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2017, par. 77.
139 Note verbale no MFA.273/430/001 en date du 26 septembre 2007 adressée au ministère des affaires étrangères
du Gouvernement fédéral de transition de la Somalie par le ministère des affaires étrangères du Kenya, annexe 9.
34
- 27 -
République du Kenya en 2005»140. Puis, le Kenya demandait à la Somalie de «confirmer» qu’elle
«souscri[vait] à la manière dont les frontières maritimes entre les deux Etats, telles qu’elles avaient
été déposées auprès de l’Organisation des Nations Unies par le Gouvernement de la République du
Kenya, [étaient] tracées»141. Etaient jointes à la note verbale la carte des frontières maritimes du
Kenya assortie de leurs coordonnées qui figurait dans la proclamation de 2005 déjà transmise à la
Somalie en 2006 par le Secrétaire général de l’ONU. Il est rappelé que la proclamation de 2005 ne
faisait qu’ajuster, pour plus de précision, les coordonnées géographiques du parallèle contenues
dans la proclamation de 1979142.
77. Le 30 octobre 2007, l’ambassade de Somalie au Kenya accusait réception de la note
verbale du 26 septembre 2007 et confirmait l’avoir transmise au ministère somalien des affaires
étrangères143. Le Kenya n’a aucune trace de quelque réaction ou protestation de la part de la
Somalie, ce qui cadre avec le silence observé par celle-ci depuis 1979.
78. Le 4 juillet 2008, le Kenya adressait à la Somalie une deuxième note verbale se référant à
celle du 26 septembre 2007, dans laquelle il lui demandait de confirmer qu’elle était d’accord avec
les frontières maritimes entre les deux Etats «telles que tracées et déposées auprès de
l’Organisation des Nations Unies»144. Là encore, le Kenya n’a aucune trace de quelque réaction ou
protestation de la part de la Somalie à cette deuxième note verbale. Aussi, comme en 2008, il a
directement avisé la Somalie qu’il considérait la frontière maritime comme ayant été fixée jusqu’à
la limite des 200 milles marins de la ZEE, cette notification étant restée lettre morte.
79. Le Kenya a adressé à la Tanzanie une note verbale analogue exposant sa position selon
laquelle la frontière maritime entre les deux Etats avait été fixée le long d’un parallèle jusqu’à la
limite des 200 milles marins de la ZEE, et ce, indépendamment du fait qu’il avait conclu un traité
de délimitation maritime avec cet Etat en 1975-1976, ce qui n’était pas le cas en ce qui concerne la
Somalie. Plus précisément, dans sa note verbale du 26 septembre 2007 adressée à la Tanzanie, le
Kenya employait les mêmes termes que dans celle, datée du même jour, qu’il adressait à la
Somalie, demandant notamment à la première de «confirmer» qu’elle «souscri[vait] à la manière
dont les frontières maritimes entre les deux Etats étaient tracées»145. En 2008, la commission
technique mixte relative à la frontière maritime entre la Tanzanie et le Kenya a (dans le cadre de
son examen de ce qui allait devenir l’accord de délimitation de 2009146) consigné au procès-verbal
que la séance était «guidée par la pratique étatique commune consistant à adopter le parallèle pour
établir des cartes»147.
140 Ibid. (les italiques sont de nous).
141 Ibid. (les italiques sont de nous).
142 CMK, par. 91.
143 Note verbale no ESR/4287/V/07 en date du 30 octobre 2007 adressée à l’ambassade du Kenya en Somalie par
l’ambassade de la République de Somalie au Kenya, annexe 11.
144 Note verbale no MFA.273/430/001A en date du 4 juillet 2008 adressée par le ministère des affaires étrangères
du Kenya au ministère des affaires étrangères du Gouvernement fédéral de transition de la Somalie, annexe 12. Les
annexes de cette note verbale qui avaient été omises par inadvertance ont été communiquées au moyen de la note verbale
no MFA.273/430/001A en date du 16 juillet 2008 adressée au ministère des affaires étrangères du Gouvernement fédéral
de transition de la Somalie par le ministère des affaires étrangères du Kenya, annexe 13.
145 Note verbale no MFA.273/430/001 en date du 26 septembre 2007 adressée au ministère des affaires étrangères
de la République-Unie de Tanzanie par le ministère des affaires étrangères du Kenya, annexe 10.
146 MS, vol. III, annexe 7.
147 Procès-verbaux de la séance de la commission technique mixte relative à la frontière maritime entre la
Tanzanie et le Kenya tenue à Dar es Salaam, en Tanzanie, les 30 et 31 octobre 2008, p. 5, annexe 2.
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80. Le libellé du mémorandum d’accord de 2009 et le contexte dans lequel celui-ci a été
conclu, ainsi que les demandes que les Parties ont chacune présentées à la Commission des limites
en 2009 et les notes verbales du Kenya de 2007 et 2008, cadrent parfaitement avec le fait que le
Kenya considérait que la Somalie avait acquiescé à ce que la frontière maritime suive le parallèle
jusqu’à la limite des 200 milles marins de la ZEE. Le seul «différend» susceptible d’avoir été
évoqué dans le mémorandum d’accord ne pouvait donc que concerner la délimitation du plateau
continental au-delà de 200 milles marins, comme la Somalie l’a d’ailleurs soutenu devant la Cour
lors de la procédure relative aux exceptions préliminaires.
c) Il n’existait aucun «différend» portant sur la frontière maritime avant 2014
81. Le Kenya note que, même en ce qui concerne la limite extérieure du plateau continental
au-delà de 200 milles marins, il n’existait pas de différend précis avec la Somalie avant 2014. Dans
le prolongement de l’examen de la «date critique» effectué ci-dessus148, la jurisprudence de la Cour
à cet égard est claire : l’existence d’un «différend» exige que la revendication d’une partie se heurte
à «l’opposition manifeste» de l’autre149. Or, il ressort tout aussi clairement des faits de la présente
espèce que la revendication du Kenya concernant la frontière maritime ne s’est pas heurtée à
«l’opposition manifeste» de la Somalie  que ce soit pour la mer territoriale, la ZEE ou la limite
extérieure du plateau continental  avant 2014. Faute de revendication concurrente de la Somalie
portant sur une ligne d’équidistance, le Kenya ne pouvait, en 2009, imaginer qu’un différend se
ferait jour à l’avenir entre les deux Etats. En conséquence, il est raisonnable de conclure que la
référence contenue dans le mémorandum d’accord à un différend concernant une frontière maritime
n’ayant «pas encore été fixée» n’est qu’une reconnaissance de ce que le Kenya et la Somalie
n’avaient pas encore négocié d’accord formel de délimitation maritime.
2. Les négociations de 2014 cadraient avec l’acquiescement
préexistant de la Somalie
82. Un autre argument de la Somalie est que le consentement du Kenya à négocier la
conclusion d’un accord de délimitation maritime en 2014 ne cadre pas avec son affirmation «selon
laquelle les Parties ont déjà délimité leur frontière maritime le long d’un parallèle»150. En réalité, le
demandeur prie la Cour de pénaliser le Kenya pour avoir accepté de négocier de bonne foi en 2014,
alors que ces négociations avaient été provoquées par le rejet du mémorandum d’accord de 2009
par la Somalie elle-même. Le raisonnement de celle-ci est erroné pour les raisons suivantes.
83. Premièrement, conformément à ses notes verbales de 2007 et 2008 qui confirmaient la
ligne frontière suivant le parallèle, la position du Kenya à l’égard des faits était claire en 2014151.
On rappellera que, en janvier 2014, celui-ci avait notifié à la Somalie, par l’intermédiaire du
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, que, s’agissant de la frontière maritime
suivant le parallèle, il «exer[çait] et continuera[it] d’exercer la souveraineté et la juridiction sur
ladite zone»152. Le mois suivant, en février 2014, la Somalie a refusé de respecter le mémorandum
d’accord de 2009, soutenant pour la première fois qu’elle avait «expressément rejeté la
revendication du Kenya», mais sans invoquer de frontière maritime fondée sur l’équidistance. Ce
n’est qu’au cours des négociations de mars 2014 qu’elle a revendiqué pour la première fois une
148 Voir ci-dessus par. 49-57.
149 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 32-33, par. 73.
150 RéS, par. 2.13-2.33 et par. 2.39-2.44.
151 CMK, par. 174-180.
152 MS, annexe 40, qui contient également une carte.
36
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telle frontière. La délégation kényane a répondu que c’était «l’application du principe d’équité et de
justice» qui avait abouti au parallèle qu’il avait «adopté … pour déterminer sa frontière maritime
avec la Somalie»153 et que, plus particulièrement, s’il était «parvenu à une frontière suivant le
parallèle» dans sa proclamation de 1979, c’était conformément à «l’esprit des discussions et des
négociations en cours à la troisième conférence sur le droit de la mer et à la pratique étatique»
relative à la ZEE154. Telle est exactement la position du Kenya en la présente instance s’agissant de
sa décision d’adopter le parallèle entre 1974 et 1979 au cours de la troisième conférence.
84. Deuxièmement, comme le Kenya l’a précisé dans son contre-mémoire, sa loi de 1989 sur
les espaces maritimes exige qu’un accord de délimitation maritime formel soit conclu155. Dans sa
réplique, la Somalie déclare qu’il est «difficile de comprendre comment un accord informel
pourrait être publié dans la Gazette»156, le Journal Officiel de la législation kényane. Il est évident
que les accords formels sont préférables du point de vue de la prévisibilité et de la stabilité,
notamment dans le cas où un Etat voisin revient soudainement sur son consentement prolongé à
une frontière maritime, comme la Somalie l’a fait en 2014. Qu’il s’agisse d’une situation d’accord
tacite, d’acquiescement ou d’estoppel, la certitude quant à l’emplacement exact de la frontière
maritime est essentielle, en particulier pour l’exploitation des ressources pétrolières offshore. Il est
cependant clair que, bien que la conclusion d’un traité de délimitation maritime soit souhaitable,
cela n’a aucune incidence sur l’effet contraignant de l’acquiescement, qui est applicable
précisément lorsqu’aucun accord de ce type n’a été conclu. Autrement dit, bien qu’il soit
évidemment préférable qu’un consentement exprès ait été formulé dans un accord formel,
l’acquiescement ou le consentement tacite peuvent de la même façon donner naissance à des
obligations au regard du droit international. La position de la Somalie revient à affirmer que
l’acquiescement est incompatible avec la négociation d’un accord formel reconnaissant
officiellement une frontière maritime, ce qui est inexact.
85. Troisièmement, il est clair que la disposition d’un Etat à négocier ne signifie pas que
celui-ci renonce à des droits ou à un accord préexistants ayant trait à la question en cause. Ainsi,
dans l’affaire Pérou c. Chili, le fait que le Pérou ait tenté, après la conclusion de la CNUDM en
1982, de parvenir à une solution négociée au différend l’opposant au Chili sur la délimitation
maritime157 n’a pas conduit la Cour à conclure qu’il n’existait pas d’accord tacite antérieur liant
toujours les parties158. La Cour a également reconnu à plusieurs reprises que les Etats avaient
«l’obligation de se comporter de telle manière que la négociation ait un sens, ce qui n’est pas le cas
153 Voir MS, annexe 24, p. 2.
154 Voir MS, annexe 31, p. 2-3.
«La révision de la convention sur la mer territoriale de 1958 et l’adoption de la CNUDM en 1982
ont étendu les zones maritimes dont les Etats côtiers peuvent disposer en élargissant la mer territoriale,
qui est passée de trois à 12 milles marins, et en créant notamment les zones économiques exclusives. La
proclamation de 1979 correspondait donc à l’esprit des discussions et négociations concernant la
CNUDM alors en cours et à la pratique des Etats consistant à proclamer leurs ZEE. Dans sa proclamation
de 1979, le Kenya a adopté comme frontière le parallèle et, à aucun moment, que ce soit en 1979 ou en
2005, il n’a choisi la méthode de l’équidistance pour déterminer sa frontière maritime» ;
sa présentation PowerPoint (soumise à l’annexe 31 du mémoire de la Somalie) indique également «comment et
pourquoi le Kenya est parvenu à une frontière suivant le parallèle» en précisant que, «pour établir ses frontières
maritimes, [il] était guidé par l’équité et par les obligations juridiques internationales».
155 Voir CMK, par. 79 et 101, où il est relevé que le paragraphe 4 de l’article 4 de la loi de 1989 sur les espaces
maritimes prévoit que, conformément à un accord conclu entre le Kenya et la Somalie sur la base du droit international, la
limite de la ZEE entre les deux Etats doit faire l’objet d’une notification du ministre publiée au Journal officiel.
156 RéS, par. 2.38.
157 Voir le mémoire du Pérou daté du 20 mars 2009, par. 20-25.
158 Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 38-39, par. 91.
38
- 30 -
lorsque l’un[] d’e[ux] insiste sur sa propre position sans envisager aucune modification»159, chacun
devant «t[enir] raisonnablement compte de l’intérêt de l’autre»160. En outre, comme la Somalie l’a
souligné dans sa réplique : «[l]es accords de délimitation maritime sont souvent influencés par des
considérations extrajuridiques  notamment politiques, historiques et économiques»161. Autrement
dit, il y a lieu de faire une distinction entre négociations et procédures judiciaires, en particulier
lorsque deux Etats voisins ont un large éventail de questions bilatérales complexes à régler.
86. Enfin, quatrièmement, il est rappelé que, lors de la phase consacrée aux exceptions
préliminaires, le Kenya a précisé que, compte tenu de la nature des relations bilatérales entre les
deux Etats, la négociation était et demeurait le moyen approprié pour régler ce différend162. Dans
son contre-mémoire, il a fait mention de ses graves préoccupations concernant la sécurité de ses
frontières aussi bien terrestre que maritime avec la Somalie dues aux nombreuses attaques
terroristes meurtrières perpétrées par les Chabab contre des civils kenyans163.
87. C’est la Somalie qui, après trente-cinq ans d’acquiescement, a soudainement revendiqué
une frontière maritime équidistante lors de la première réunion bilatérale en mars 2014, et c’est
encore la Somalie qui, quelques mois plus tard, a choisi d’abandonner ces négociations pour
engager une procédure judiciaire164. Le demandeur doit par conséquent accepter les conséquences
de ce choix, à savoir l’application intégrale du droit international relatif à l’acquiescement.
D. LES AUTRES ÉLÉMENTS DU COMPORTEMENT DES PARTIES
CADRENT AVEC L’ACQUIESCEMENT DE LA SOMALIE
88. Ainsi que le Kenya l’a démontré dans son contre-mémoire, les revendications officielles
et le comportement des Parties  c’est-à-dire les notifications répétées du Kenya et le silence
prolongé de la Somalie  suffisent à établir l’acquiescement de cette dernière. Le Kenya a
toutefois choisi de présenter des éléments supplémentaires démontrant que le comportement des
Parties dans d’autres domaines confirme également que la Somalie avait acquiescé à une frontière
maritime suivant le parallèle165. Parmi ces éléments figurent des cartes officielles établies par la
direction de la topographie du Kenya, des études scientifiques concernant la pêche et la vie marine,
des éléments issus de la pratique en matière de concessions pétrolières ainsi que des documents
relatifs aux patrouilles maritimes et aux activités de police de la marine kényane. La Somalie a
tenté, dans sa réplique, de réfuter ces éléments en faisant, dans une large mesure, abstraction du fait
qu’elle a elle-même adopté le parallèle à partir des années 1980 et jusqu’en 2014, et en proposant
en tant qu’éléments de preuve un certain nombre de cartes qui n’ont aucune valeur probante pour
indiquer les positions officielles respectives des Parties166.
159 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale
d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 47, par. 85.
160 Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine
c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 685, par. 132.
161 RéS, par. 3.24.
162 Voir les exceptions préliminaires du Kenya, par. 21 et 46.
163 CMK, par. 181-185.
164 CMK, par. 196-197.
165 CMK, chap. II, p. 47-79, par. 119-164.
166 RéS, par. 2.98-2.105.
39
- 31 -
1. La recherche scientifique dans le domaine de la pêche
et de la vie marine
89. Reconnaissant que la figure 1-14 du contre-mémoire du Kenya est une carte officielle
établie par le ministère somalien de la pêche et des ressources marines avant 1987167, la Somalie se
contente d’avancer, en guise de réponse, que celle-ci «n’indique aucune frontière avec le Kenya (ni
ne prétend l’indiquer), et ne constitue pas une preuve de quelconques activités de la part du
Kenya». Elle n’apporte pas davantage la preuve d’activités entreprises par le Kenya»168.
Premièrement, le Kenya a produit cette carte pour démontrer que la Somalie s’était fondée sur le
parallèle, et non pour établir l’existence d’activités auxquelles lui-même se serait livré.
Deuxièmement, les cartes établies par le ministère somalien de la pêche revêtent une grande
importance en ce qu’elles indiquent la position officielle de la Somalie dans les années 1980. Aux
termes du paragraphe 7 de l’article 7 de la loi maritime somalienne de 1988, c’est à ce ministère
qu’incombe la responsabilité d’«établi[r] des cartes et des listes de coordonnées géographiques
détaillées» relatives à la ZEE, «cartes et listes … [qui] [devaient] être rendues publiques et [dont]
un exemplaire [devait] être envoyé au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies»169.
Cette carte a, de fait, été reproduite dans un rapport du Programme des Nations Unies pour
l’environnement (PNUE)170. Troisièmement, il importe de relever que l’entreprise Somali Marine
Products, détenue par l’Etat somalien, disposait d’entrepôts réfrigérés à Kismaayo, à proximité
immédiate de la frontière kényane171. Il semble donc fort peu probable que la limite méridionale de
cette zone de pêche ait pu être coupée par erreur par le parallèle. Quatrièmement, la Somalie fait
abstraction d’une autre carte, similaire à celle reproduite à la figure 1-14 mais plus récente
(figure 1-15), (elle aussi publiée par le ministère somalien de la pêche et des ressources marines,
dans le cadre des documents relatifs au plan d’action stratégique pour la biodiversité de la Somalie
(ci-après, le «plan d’action») pour 2015172 (soit après l’introduction de la présente instance devant
la Cour). Sur cette seconde carte, à la différence de la première, la zone no 1 de développement de
la pêche se prolonge au sud du parallèle, en suivant une ligne d’équidistance, ce qui indique un
changement par rapport à la position adoptée auparavant. La Somalie passe cette figure 1-15 sous
silence.
90. La Somalie tente en outre de minimiser la valeur probante des permis de pêche délivrés
par le Kenya dans les eaux s’étendant jusqu’au parallèle, en formulant l’allégation générale selon
laquelle «les navires de nombreux Etats pêchent illégalement dans les eaux territoriales de la
Somalie et dans sa zone économique exclusive»173. Le passage cité du rapport établi en 2015 par le
groupe de contrôle pour la Somalie et l’Erythrée ne mentionne pas l’existence d’une pêche illicite
de la part de navires battant pavillon kényan174. En tout état de cause, l’affirmation de la Somalie
est sans rapport avec la pratique du Kenya et l’exercice par celui-ci de sa juridiction dans la ZEE
conformément aux proclamations de 1979 et 2005.
167 RéS, par. 2.69.
168 Ibid., par. 2.69.
169 CMK, par. 193.
170 Ibid., par. 129.
171 Ibid., par. 129.
172 Plan d’action stratégique pour la biodiversité, République fédérale de Somalie, Organisation des
Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, convention sur la diversité biologique, Fond pour l’environnement
mondial, décembre 2015 (fig. 8, p. 43).
173 RéS, par. 2.71.
174 RéS, vol II, annexe 23.
40
- 32 -
91. S’agissant des éléments présentés par le Kenya concernant la recherche scientifique
marine menée dans le cadre du programme Fridtjof Nansen entre 1975 et 1984 et des expéditions
effectuées en 1987 par le Georgy Ushakov, qui confirment le tracé de la frontière maritime le long
du parallèle, la seule réponse de la Somalie consiste à affirmer  en contradiction avec les faits 
que les études n’ont pas été «autorisées» par les Etats côtiers, condition préalable pour qu’elles
puissent être retenues comme élément de preuve de l’exercice de la juridiction dans les eaux
s’étendant jusqu’au parallèle175. Ainsi que le Kenya l’a exposé dans son contre-mémoire176, le
ministère somalien de la pêche a spécifiquement autorisé une étude sur les pêcheries situées dans la
ZEE de la Somalie et y a participé, point sur lequel la Somalie demeure totalement silencieuse dans
sa réplique.
92. Pour ce qui est de l’expédition du Georgy Ushakov, le ministère somalien de la pêche et
du transport maritime a indiqué, dans son rapport annuel pour 1987/1988, que
«[d]eux scientifiques du ministère [avaient] été dépêchés pour participer à la mission
scientifique, qui a[vait] été conduite dans le cadre du programme de coopération
scientifique et technologique internationale des pays en développement d’Afrique de
l’est, sous les auspices de la Commission océanographique intergouvernementale de
l’UNESCO»177.
93. De même, l’étude Nansen menée de 1975 à 1984 pour explorer les ressources
halieutiques potentielles des ZEE des Etats africains dans l’océan Indien, a été conduite avec
l’accord et la participation des pays concernés178. Dans la «liste des représentants des pays
participants» figurant à l’appendice III du rapport pour 1984, les noms «Abdi Ismail Abdi» et
«Omar Haji Ahmed Dubad» sont mentionnés pour la Somalie179. Une lettre en date du
14 septembre 1982 adressée au «directeur adjoint de la pêche» par D. Opere Jr., représentant
kényan chargé de la pêche (International Development Association) montre, de la même manière,
que le Kenya avait lui aussi autorisé la mission de recherche180. La figure 1-17 du contre-mémoire
et les documents correspondants ne laissent place à aucun doute quant à l’emplacement de la
frontière maritime dans la ZEE, qui a été accepté et reconnu par les représentants (tant kényans que
somaliens) participant à l’étude.
94. Il est vrai que, aux termes de l’article 241 de la CNUDM, «[l]a recherche scientifique
marine ne constitue le fondement juridique d’aucune revendication sur une partie quelconque du
milieu marin ou de ses ressources»181. Or, loin d’invoquer ces études comme fondement juridique
de sa demande, le Kenya s’y réfère pour démontrer que le comportement des deux Parties
confirmait et démontrait leur consentement au tracé de la frontière le long du parallèle.
L’article 241 ne trouve à l’évidence pas à s’appliquer lorsque la pratique d’un Etat reflète sa
position quant à l’étendue de sa ZEE.
175 RéS, par. 2.66.
176 CMK, par. 131.
177Ibid. ; CMK, annexe 50, p. 8.
178 CMK, par. 133.
179 CMK, annexe 82, p. 19 et 394.
180 CMK, annexe 28.
181 RéS, par. 2.67.
41
42
- 33 -
2. La pratique en matière de concessions pétrolières
95. Dans son contre-mémoire, le Kenya a produit de nombreux éléments démontrant que la
pratique des Parties dans le domaine des concessions pétrolières était conforme à l’existence d’une
frontière maritime suivant le parallèle. La Somalie a, dans sa réplique, passé sous silence
l’évolution de sa pratique en matière de concessions pétrolières, qui montre qu’elle a, à partir
de 1986, renoncé à utiliser la ligne d’équidistance de 1979 au profit du parallèle, ainsi que
l’attestent les figures 1-21 et 1-22182. Comme le démontrent en outre les figures 1-27 à 1-32, cette
pratique s’est poursuivie entre 2007 et 2013 au moins, jusqu’à l’extension, en mai 2014  soit peu
de temps avant l’introduction de la présente instance devant la Cour , de la zone d’évaluation
marine de la société Soma Oil dans le bloc «Jorre» au sud du parallèle. Il n’est donc pas contesté
que, en 1979, la Somalie a abandonné un bloc de concession qui suivait la ligne d’équidistance et
n’a délivré de nouveau permis d’exploration similaire que lorsque la concession octroyée à Soma
Oil a été étendue, en mai 2014183.
96. Pour ce qui concerne les essais sismiques réalisés par Soma Oil en 2014, qui ne
couvraient que la zone allant jusqu’au parallèle, conformément à la proclamation par le Kenya de
sa ZEE184, la Somalie soutient que les cartes
«reflètent simplement que, compte tenu du différend concernant la frontière maritime,
la Somalie s'est conformée aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 83,
paragraphe 3, de la Convention en s'abstenant de prendre, dans la zone en litige, toute
mesure susceptible de compromettre ou d'empêcher la conclusion d'un accord final sur
la frontière maritime entre les Parties»185.
Cette explication est surprenante, étant donné que, lorsque le Kenya l’a, en mai 2016, invitée à
conclure «des arrangements provisoires de caractère pratique», conformément au paragraphe 3 de
l’article 83 et au paragraphe 3 de l’article 74 de la CNUDM186, la Somalie a refusé au motif que le
différend était pendant devant la Cour187. Elle n’a mentionné aucune pratique antérieure qui aurait
été entreprise en application du paragraphe 3 de l’article 83.
97. La Somalie se réfère une fois encore à une carte de 2001 établie par la compagnie
pétrolière Total Final Elf, qui montrait le bloc de concession «Jorre» s’étendant jusqu’à la ligne
d’équidistance188. Cette carte n’était pas destinée à illustrer la position officielle de la Somalie et,
ainsi que le Kenya l’a exposé dans son contre-mémoire, elle diffère des autres cartes (tant
antérieures que postérieures à 2001), sur lesquelles ce même bloc de concession «Jorre» longe le
parallèle189. En outre, au regard de la loi somalienne sur le pétrole de 2008  que la Somalie passe
complètement sous silence dans sa réplique , la zone d’évaluation technique abandonnée est une
182 CMK, par. 140-142.
183 CMK, par. 266.
184 CMK, par. 160-162 et fig. 1-32.
185 RéS, par. 2.105.
186 Lettre en date du 18 mai 2016 adressée au ministère des affaires étrangères de la Somalie par le ministère des
affaires étrangères du Kenya, sous le couvert d’une note verbale (MFA.INT.8/15A) en date du 25 mai 2016 adressée à
l’ambassade de Somalie à Nairobi, CMK, annexe 61.
187 Lettre (MFA/SFR/OM2378/2016) en date du 18 juin 2016 adressée au ministère des affaires étrangères du
Kenya par le ministère des affaires étrangères de la Somalie, CMK, annexe 64.
188 RéS, par. 2.103 et fig. R2.10, et RéS, annexe 25 ; MS, note de bas de page 95.
189 CMK, par. 162 et note de bas de page 221.
43
- 34 -
«concession postérieure à 1990», devenue caduque et dépourvue d’effet juridique190. En effet,
l’article 48.4.1 de la loi sur le pétrole dispose que, «[à] compter de la date d’entrée en vigueur de la
présente loi, tout droit d’exécuter des opérations pétrolières en Somalie qui a été accordé après le
30 décembre 1990 s’éteint et n’est plus opposable à l’Etat».
98. Concernant la pratique du Kenya en matière de concessions pétrolières, celui-ci a
expliqué dans son contre-mémoire que, bien qu’ayant, dès 1984, établi des blocs d’exploration dont
les limites suivaient le parallèle (voir figure 1-23), la direction de la topographie a brièvement,
entre 1994 et 1996, octroyé des permis sur des blocs suivant une ligne médiane dans une partie de
la mer territoriale (mais jamais dans la ZEE)191. Le Kenya s’est également référé à une étude de la
même époque portant sur les ressources potentielles en hydrocarbures, réalisée en 1995 par la
National Oil Corporation of Kenya192, qui comprenait des cartes représentant le bloc L5 et la ZEE,
et une ligne en pointillés le long du parallèle marquant la frontière maritime. La Somalie prétend
que sa figure R2.5 démontre que la National Oil Corporation of Kenya a établi une carte
représentant une «frontière équidistante dans la mer territoriale». Cela est inexact. La ligne pleine
marquant la limite septentrionale du bloc L5 ne se poursuit que sur six milles marins, la Somalie
faisant abstraction du fait que, sur le tronçon de six à 12 milles marins de la mer territoriale, puis
dans la ZEE, la ligne en pointillés longe le parallèle.
99. En tout état de cause, peu de temps après, à compter de 2000, le bloc L5 a été étendu vers
l’est le long du parallèle sur toute la largeur de la mer territoriale et une partie de la ZEE, et plus
loin encore vers le large dans le cadre de nouveaux permis octroyés par la suite193 : en septembre
2008, le bloc L13194, et en 2012, le bloc L21, qui suivait cette même frontière maritime jusqu’à la
limite des 200 milles marins de la ZEE. Pendant cette période, la pratique du Kenya en matière de
concessions pétrolières a coïncidé avec la limite du bloc «Jorre» de la Somalie, qui suivait elle
aussi le parallèle.
3. Patrouilles navales
100. La Somalie affirme que la figure 1-13 du Kenya, qui représente les patrouilles navales
et interceptions de navires effectuées dans la mer territoriale entre 1990 et 2014, ne permet pas
d’étayer l’allégation selon laquelle la frontière maritime suit le parallèle au motif que 1) «la
présence transitoire de navires kényans dans l’espace maritime en litige ne peut … constituer une
preuve de quelconques effectivités», et que 2), selon la figure R2.2, «[s]eules quatre interceptions
auraient eu lieu dans la zone située entre la ligne d’équidistance et le parallèle au cours d’une
période de près d’un quart de siècle»195. Ces deux allégations procèdent d’une erreur
d’interprétation des éléments de preuve relatifs aux patrouilles navales. Premièrement, il n’est
nullement admis en droit international qu’une activité passagère ne puisse pas apporter la preuve
d’effectivités. Une distinction s’impose à cet égard entre le territoire et les zones maritimes. Pour
ce qui est des secondes, les manifestations de souveraineté ou de droits souverains sont à de très
rares exceptions près (activités de forage ou plates-formes pétrolières notamment) «transitoires»
par nature. C’est la raison pour laquelle le droit de la mer reconnaît l’importance des proclamations
190 Selon le libellé de la loi, accessible à l’adresse suivante : http://www.somalitalk.com/oil/Somalia_oil_Law.pdf.
191 CMK, par. 144.
192 Hydrocarbon Potential of the Coastal Onshore and Offshore Lamu Basin of South-East Kenya: Integrated
Report, National Oil Corporation of Kenya, 1995, CMK, annexe 38.
193 Voir RéS, par. 2.79, où il est soutenu qu’aucune date n’a été précisée (voir CMK, par. 147).
194 «Production Sharing Contract between the Government of the Republic of Kenya and Sohi-Gas Dodori
Ltd Relating to Block L13 (3 September 2008) (extract showing map)» (annexe 1).
195 RéS, par. 2.59.
44
- 35 -
et notifications en tant qu’actes accomplis par les Etats à titre de souverain196. Deuxièmement, si,
dans les zones maritimes, les interceptions sont à l’évidence bien moins fréquentes que les
patrouilles, il n’y a pas lieu, pour autant, de faire abstraction de ces dernières, qui sont admises,
dans la jurisprudence de la Cour, en tant qu’éléments de preuve d’activités souveraines197.
Troisièmement, la Somalie ne conteste pas que des interceptions de navires ont effectivement eu
lieu dans les eaux situées entre la ligne d’équidistance et le parallèle dans les années 1990, en 2008
et en 2011, soit dans tous les cas avant qu’elle n’ait officiellement revendiqué une frontière suivant
la ligne d’équidistance.
4. Absence de pertinence des cartes produites par la Somalie
101. La Somalie affirme que la position du Kenya est «contredite par le fait que, depuis
1979, [celui-ci] a publié diverses cartes indiquant sa frontière maritime avec [elle] le long d’une
ligne équidistante, plutôt que le long d’un parallèle de latitude»198. Après examen, il apparaît
toutefois qu’aucune de ces cartes n’est pertinente, ces dernières n’ayant pas vocation à montrer la
position officielle de l’une ou l’autre Partie ; certaines relèvent en outre simplement de la
spéculation ou proviennent d’une source inconnue. D’autres, telles que la carte des sols traitée ciaprès,
ne sont même pas censées représenter des zones maritimes. Les cartes du demandeur n’ont
dès lors aucune valeur probante et ne font que mettre en exergue son incapacité à trouver ne seraitce
qu’une seule carte officielle antérieure à 2014 qui fasse apparaître une frontière maritime fondée
sur l’équidistance.
102. S’agissant de la figure R2.1 (zones maritimes d’intervention de l’AMISOM, 2012), le
demandeur affirme que les opérations maritimes de la Mission de l’Union africaine en Somalie
(ci-après l’«AMISOM») «couvre[nt], dans [le] district méridional, une zone s’étendant quasiment
le long d’une ligne d’équidistance»199. Il soutient que,
«à partir de 2012, le Kenya a été autorisé à patrouiller l’espace maritime somalien
dans le cadre d’une mission multinationale de maintien de la paix approuvée par
l’ONU et fondée sur le plein respect de la souveraineté de la Somalie sur son espace
maritime»200.
En réalité, cette prétendue «carte de l’AMISOM» n’est toutefois nullement une carte officielle de
ladite mission et est incompatible avec la position officielle de celle-ci. A ce titre, elle ne saurait
constituer un élément établissant des frontières maritimes, et encore moins le «plein respect de la
souveraineté de la Somalie» en ce qui concerne une ligne d’équidistance :
a) il ne s’agit pas d’une carte officielle de l’Organisation des Nations Unies, mais d’une carte
illustrative figurant dans un rapport d’un comité des sanctions de l’ONU. Cette carte est
d’origine inconnue et n’a pas vocation à représenter des frontières maritimes ou à avoir un
caractère officiel. Contrairement aux cartes officielles de l’AMISOM, elle n’a pas été diffusée
196 Voir plus haut, par. 24.
197 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 655, par. 80.
198 RéS, par. 2.82.
199 Ibid., par. 2.49.
200 Ibid., par. 2.61.
45
- 36 -
par le Bureau d’appui de l’ONU pour la Mission de l’Union africaine en Somalie (ci-après
l’«UNSOA»)201 ;
b) aucune des deux cartes officielles de l’UNSOA reproduites ci-après (figures KR 1-3a et
KR 1-3b)202 ne représente une quelconque zone maritime ;
c) comme l’a expliqué le lieutenant-colonel Muhia des forces navales kényanes203, les cartes
officielles de l’AMISOM n’indiquent pas de zones maritimes parce que les opérations navales
entreprises par le Kenya avaient essentiellement trait à des activités menées à proximité du port
somalien de Kismaayo, loin de la frontière maritime :
«Deux navires de la marine kényane opèrent dans le port de Kismaayo pour
appuyer les opérations de l’AMISOM. Etant donné que c’est là que débarquent les
troupes de celle-ci, ils assurent la sécurité des navires pendant leur entrée au port et la
mise à quai. Kismaayo relevait dans un premier temps du secteur 2, tenu par les
Forces de défense du Kenya (voir la carte de janvier 2015 intitulée
«Secteur 2  centre-sud de la Somalie» et établie par le Bureau d’appui de l’ONU
pour l’AMISOM (UNSOA) (ce secteur a ensuite été étendu et rebaptisé secteur 6 sous
l’égide des Forces multinationales composées de troupes du Burundi, de l’Ethiopie, de
Djibouti et du Kenya. (Voir la carte «Somalie — secteur 2 de l’AMISOM» de
juin 2015 et le gros plan du secteur 6, tous deux établis par la section d’informations
géospatiales de l’UNSOA)» ;
d) le lieutenant-colonel Muhia précise également que les forces navales kényanes se fondent sur la
carte marine du Kenya de 1980 (diffusée peu après la proclamation de 1979) pour définir leur
zone de commandement septentrionale dans la ZEE de celui-ci. Cette carte figurait dans le
contre-mémoire en tant que figure 1-12 et représente la frontière au niveau du parallèle ;
e) en tout état de cause, la figure R2.1 de la Somalie étant datée de 2012, elle démontre tout au
plus la pertinence que pourrait avoir la revendication, par cet Etat, d’une ligne d’équidistance
plus de trente ans après la proclamation de 1979.
201 A la suite de l’adoption, le 9 novembre 2015, de la résolution 2245 du Conseil de sécurité, le Bureau d’appui
des Nations Unies en Somalie (BANUS) a remplacé le Bureau d’appui de l’ONU pour la Mission de l’Union africaine en
Somalie (UNSOA) créé en 2009 (voir https://unsoa.unmissions.org ; uniquement en anglais).
202 La figure KR 1-3b est une carte officielle établie par le programme d’action contre les mines en Somalie de
l’Organisation des Nations Unies (ci-après l’«UNSOMA»), qui représente les secteurs de l’AMISOM (2015).
203 «Letter from Lieutenant Colonel Muhia of the Kenyan Navy to Juster Nkoroi, Head of Kenya
International Boundaries Office (23 August 2018)» (annexe 7).
46
- 37 -
Figure KR 1-3a : Carte officielle de l’UNSOA AMISOM
sans indication de zones maritimes
Figure KR 1-3b : Carte officielle de l’UNSOMA (UNMAS) AMISOM
sans indication de zones maritimes
47
- 38 -
103. Les autres cartes produites par la Somalie sont moins convaincantes encore. Soit elles
ne représentent ni les frontières maritimes ni la position officielle des Parties, soit elles sont de
nature spéculative :
a) figure R2.3 (nombre et répartition des espèces de Porifera dans les ZEE africaines,
UNESCO-COI) : dans sa réplique, la Somalie présente cette carte comme ayant été publiée à
l’occasion d’un atelier sur les éponges tenu en Belgique en 2006204, mais
l’annexe correspondante fait apparaître que, en réalité, sa publication initiale a eu lieu en 1998.
Cette carte illustrative destinée à un atelier, qui n’offre qu’une grossière esquisse du continent
africain, n’est pas censée indiquer avec exactitude une quelconque frontière maritime. En outre,
elle est directement contredite par d’autres publications officielles de la COI/UNESCO de la
même époque qui montrent expressément la frontière maritime entre le Kenya et la Somalie. En
particulier, celui-ci a produit dans son contre-mémoire une carte (figure 1-18) qui a elle aussi
été publiée en 1998, dans le volume le concernant des Profils par pays dans le domaine des
sciences de la mer élaborés par la COI/UNESCO. Cette carte, intitulée «mer territoriale et zone
économique exclusive du Kenya», est un gros plan détaillé des frontières maritimes longeant les
parallèles qui séparent cet Etat de la Tanzanie et de la Somalie. En revanche, et comme on peut
le voir sur la figure KR1-4 ci-après, la figure R2.3 du demandeur est une carte générale donnant
une vue d’ensemble sommaire de la répartition des éponges sur l’intégralité du continent aux
fins d’un atelier205. Contrairement à la figure 1-18 du défendeur, elle ne contient pas de légende
indiquant la «limite de la mer territoriale» ou la «frontière de la zone économique du Kenya». Il
convient également de relever que, dix ans plus tôt, le levé Georgy Ushakov de 1987-88 (réalisé
sous les auspices de la COI/UNESCO et en collaboration avec la Somalie) avait également
suivi le parallèle s’agissant de la ZEE somalienne206. La carte destinée à l’atelier sur les éponges
est donc contredite par des sources faisant autorité et n’a, en tout état de cause, aucune valeur
probante en ce qui concerne la position du Kenya ou de la Somalie ;
204 RéS, par. 2.68 c), annexe 17.
205 Rapport de cours de formation no 89 : ODINAFRICA : atelier de mobilisation de données sur la biodiversité
marine concernant les éponges.
206 Voir par. 91-92 ci-dessus.
48
- 39 -
Figure KR1-4 : Comparaison entre la carte de répartition des espèces de Porifera de l’UNESCO-COI
et la carte du Profil de pays dans le domaine des sciences de la mer de l’UNESCO-COI
49
- 40 -
b) figure R2.4 (carte d’exploration des sols du Kenya, 1980) : cette carte agricole porte sur
différents types de sols terrestres ; elle n’a rien à voir avec des zones maritimes. Tout ce qu’elle
montre, c’est un court prolongement en mer de la frontière terrestre entre la Somalie et le
Kenya, qui ne vise qu’à délimiter visuellement la terre et la mer. Cette figure n’indique
manifestement pas de frontière maritime et est dépourvue de toute pertinence ;
c) figure R2.5 (nouveaux blocs d’exploration et emplacement des puits dans le bassin de Lamu,
1995) : cette carte, qui représente en réalité un parallèle à partir d’une distance de 6 milles
marins dans la mer territoriale et la ZEE, a déjà été traitée au paragraphe 98 ci-dessus ;
d) figure R2.6 (Atlas national, 2003) : cette carte n’est pas censée représenter des frontières
maritimes. Sa légende fait référence au profil sismique régional et à la coupe transversale
géologique. La ligne sur laquelle se fonde la Somalie est un court prolongement dans la mer
territoriale, et non une indication de la frontière maritime ;
e) figures R2.7 et R2.8 (cartes en ligne des récifs coralliens du Kenya et des sites de débarquement
du poisson, site Internet de l’Institut kényan de recherche marine et en matière de pêcheries
(ci-après le «KMFRI»), 2018) : comme le KMFRI l’a précisé dans sa lettre en date du 18 juillet
2018207, ces cartes n’ont pas été établies par ses soins et ne représentent pas la frontière
maritime du Kenya. Elles ont été associées à son site Internet par un système fondé sur des
technologies en source libre. Les utilisateurs du site peuvent choisir n’importe quelle carte
d’arrière-plan trouvée sur Internet pour visualiser des données sur les récifs coralliens, herbiers
marins, mangroves et pêcheries. La figure R2.7 reprend une carte d’arrière-plan tirée du site
www.openstreetmap.com, qui constitue «un fond de carte gratuit et modifiable du monde entier,
fruit du travail continu de bénévoles», et ne représente pas nécessairement les positions
officielles relatives aux frontières. Le KMFRI précise qu’il utilise les données et cartes sur son
site Internet «purement et exclusivement à des fins de recherche et d’illustration»208. Lorsqu’il
diffuse en revanche des cartes officielles, notamment dans les rapports techniques de campagne
à l’intention du Gouvernement kényan, il y fait apparaître la frontière maritime au niveau du
parallèle, conformément aux proclamations de 1979 et de 2005209 ;
f) figure R2.9 (juridictions maritimes dans le voisinage de la péninsule Arabique et de la Corne de
l’Afrique, 1992) : cette carte, publiée dans un ouvrage universitaire par un cartographe, relève
purement de la spéculation. Comme l’explique son auteur à l’annexe 32, elle ne représente
qu’un seul accord de délimitation maritime (Kenya-Tanzanie) et décrit les autres frontières
comme des «frontières potentielles devant être négociées dans la région»210. Elle n’a aucune
valeur probante.
104. Ces cartes n’étayent donc en rien l’argumentation de la Somalie. Au contraire, leur
absence de pertinence met en exergue le fait que celle-ci ne dispose d’aucun élément pour réfuter la
thèse du Kenya relative à l’acquiescement. Force est de constater que, s’il semble avoir effectué
des recherches approfondies pour tenter de découvrir quelque carte montrant une ligne
d’équidistance, le demandeur n’en a toutefois pas produit une seule publiée par lui (avant 2014) qui
représenterait une telle frontière maritime.
207 «Letter from the Kenyan Marine & Fisheries Research Institute to the Attorney-General (18 July 2018)»
(annexe 6).
208 Ibid., p. 2.
209 «Kenyan Marine & Fisheries Research Institute RV Mtafiti Report, Annex 1 (24 November-18 December
2016), pp. 4, 9 et 11», et «Kenyan Marine & Fisheries Research Institute RV Mtafiti Cruise Technical Report,
Annex 2 (6-21 February 2017)» (annexes 4 et 5).
210 RéS, annexe 32.
50
51
- 41 -
5. La «ligne droite» dont il est fait mention dans la loi somalienne de 1988 sur
le droit de la mer en ce qui concerne la frontière de la mer territoriale
avec le Kenya n’est pas une «ligne médiane»
105. La Somalie n’a pas produit la carte marine visée dans sa propre loi maritime de 1988 et
représentant sa frontière maritime (mais seulement pour ce qui est de la mer territoriale). Comme il
l’a exposé dans son contre-mémoire, le Kenya lui a demandé en deux occasions de lui en fournir
copie, mais en vain211. S’il a produit un exemplaire original de la loi de 1988212, le demandeur
affirme n’avoir pas été à même de trouver la carte marine jointe à laquelle il est fait référence au
paragraphe 6 de l’article 4213. Il persiste néanmoins à alléguer que cette disposition, qui décrit
comme une «ligne droite» la frontière de la mer territoriale avec le défendeur, «parle d’une ligne
d’équidistance»214. La Somalie n’a pas réagi à l’observation du Kenya selon laquelle, dans la
traduction qu’elle a elle-même fournie, l’emploi du terme «ligne droite» pour définir sa frontière
avec lui contraste avec le fait que sa frontière avec le Yémen est qualifiée de «ligne médiane»215.
Une «ligne droite» n’est pas la même chose qu’une «ligne médiane». La différence de sens entre
les deux termes utilisés dans la propre traduction du demandeur est confirmée par une traduction
indépendante du texte en question, sollicitée par le défendeur216. Comme cela est précisé dans le
rapport accompagnant cette traduction du paragraphe 6 de l’article 4, les mots somali traduits par
«ligne droite» sont «xariiq toosan» et diffèrent des mots somali traduits par «ligne médiane», à
savoir «xariiq dhexe oo u dhaxeysa ballar isku mid ah»217. Ce rapport confirme que «xariiq dhexe
oo u dhaxeysa ballar isku mid ah» peut être traduit par «ligne médiane», «ligne centrale les
séparant à une égale distance» ou «ligne d’équidistance». En conséquence, les termes exprès du
paragraphe 6 de l’article 4 de la loi somalienne de 1988 sur le droit de la mer indiquent
catégoriquement que ce que représente la carte manquante de la Somalie n’est pas une ligne
d’équidistance.
106. En réalité, comme cela a été démontré plus haut, les cartes de pêcheries, de levés de
recherche scientifique marine et de blocs d’exploration pétrolière au large dressées dans les
années 1980 (qui sont donc contemporaines de la loi maritime somalienne de 1988) sont toutes
compatibles avec une frontière maritime longeant le parallèle218. La conclusion la plus raisonnable
est donc que la «ligne droite» visée au paragraphe 6 de l’article 4 se rapporte au parallèle.
E. CONCLUSION
107. Les faits essentiels ne sont pas contestés. Entre 1979 et 2014, le Kenya a revendiqué
publiquement, expressément et précisément, et ce à maintes reprises, une délimitation équitable
sous la forme d’une frontière maritime longeant le parallèle et en a spécialement avisé la Somalie
par l’intermédiaire du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, des publications
officielles de l’ONU et par d’autres moyens, y compris ceux prévus par les dispositions pertinentes
de la CNUDM. Avant 2014, la Somalie n’avait jamais émis de protestation ni revendiqué de
frontière maritime concurrente fondée sur l’équidistance. Les autres éléments du comportement des
Parties lié à la police maritime, aux pêcheries, à la recherche scientifique marine et aux concessions
211 CMK, par. 85 et annexes 59 et 63.
212 MS, annexe 10.
213 CMK, annexe 60.
214 RéS, par. 2.99.
215 CMK, par. 40 et 81.
216 Traduction d’Absolute Translations (15 octobre 2018) (annexe 14).
217 Rapport d’Absolute Translations (26 octobre 2018) (annexe 15).
218 Voir section D, sous-sections 1-4, ci-dessus.
52
- 42 -
pétrolières étaient également compatibles avec une frontière maritime longeant le parallèle. Le
meilleur argument du demandeur est que (en dépit du fait que le différend sur la frontière maritime
ne se soit cristallisé qu’en 2014) les Parties ont reconnu dans le mémorandum d’accord de 2009
relatif aux communications soumises à la Commission des limites du plateau continental
l’existence d’un différend portant sur le plateau continental au-delà de 200 milles marins. A cette
date, la Somalie avait toutefois déjà acquiescé depuis trente ans à la frontière maritime revendiquée
par le Kenya en 1979.
108. La jurisprudence des juridictions internationales est claire : le fait de ne pas protester
lorsqu’une réaction s’impose vaut acquiescement, c’est-à-dire consentement tacite, et les
revendications de souveraineté et de droits souverains constituent par essence des situations
appelant une réaction si un Etat est opposé à l’une ou l’autre de ces revendications.
109. Si la Somalie avait été opposée à la revendication du Kenya, il lui aurait clairement
fallu réagir, et son silence prolongé pendant trente-cinq ans emporte consentement à la délimitation
maritime au niveau du parallèle.
53
- 43 -
CHAPITRE II
DÉLIMITATION ÉQUITABLE PAR LA FRONTIÈRE MARITIME
SUIVANT LE PARALLÈLE
110. Comme il est exposé au chapitre 1, l’acquiescement prolongé de la Somalie à la
frontière maritime revendiquée par le Kenya le long du parallèle signifie que cette délimitation a un
caractère juridiquement contraignant pour les Parties. Ainsi qu’il est expliqué dans le présent
chapitre, cette frontière maritime constitue en outre une délimitation équitable au regard des
dispositions pertinentes de la CNUDM.
111. Le Kenya et la Somalie conviennent que l’objectif de la délimitation d’une frontière
maritime prescrit par le droit international est de produire une solution équitable219. Comme cela a
été résumé par la Somalie immédiatement avant l’adoption de la CNUDM en 1982 :
«le but ou l’objectif de tout règlement en … matière [de délimitation] est de garantir
une solution équitable. Il s’ensuit que l’équité ne peut jamais être atteinte dans ce
domaine sans qu’il soit dûment tenu compte de toutes les circonstances
pertinentes.»220
112. La question qui divise les Parties est celle de savoir ce que parvenir à une solution
équitable signifie dans le contexte spécifique de la présente espèce. Dans sa réplique, la Somalie se
contente de répéter la position énoncée dans son mémoire selon laquelle «la méthode en trois temps
doit être appliquée, sauf si tracer une ligne d’équidistance provisoire n’est pas faisable»221. La
position du Kenya est, en revanche, la suivante :
a) La méthode en trois étapes ne constitue pas un point de départ obligatoire (voir la section A
ci-après).
b) En la présente affaire, le parallèle permet d’obtenir une solution équitable (voir la section B
ci-après).
c) La méthode en trois étapes ne trouve pas à s’appliquer en la présente espèce mais, en tout état
de cause, lorsque l’espace maritime pertinent est correctement identifié, la délimitation
revendiquée par le Kenya constitue un résultat équitable même en appliquant le critère de
proportionnalité préconisé par la Somalie (voir la section C ci-après).
A. LA MÉTHODE EN TROIS ÉTAPES N’EST PAS OBLIGATOIRE
113. Comme il est expliqué au chapitre III (section B) du contre-mémoire, aucune méthode
particulière n’est obligatoire pour parvenir à une solution équitable dans tous les cas. Dans sa
réplique, la Somalie dénature la position du Kenya lorsqu’elle affirme que, selon lui, la Cour a mal
219 RéS, par. 3.9 mentionnant le «résultat équitable requis par la convention». Voir également CMK,
par. 279-284, en particulier la note de bas de page 377 faisant observer que, dans son mémoire, la Somalie fonde ses
sconclusions sur le postulat selon lequel la délimitation de la frontière maritime unique vise à parvenir à une solution
équitable (voir MS, vol. I, par. 1.21 (mentionnant le «résultat équitable») et 6.3 (mentionnant «la solution équitable
requise par la loi»).
220 Nations Unies, Documents officiels de la troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer,
192e séance plénière, 9 décembre 1982, vol. XVII, onzième session résumée, dernière partie et conclusion de la onzième
session, doc. A/CONF.62/SR.192, par. 159, p. 127 ; CMK, annexe 73. Cité dans le contre-mémoire du Kenya, par. 280.
221 RéS, par. 1.14.
54
55
- 44 -
«interprété» le droit en appliquant «habituellement» la méthode en trois étapes222. Cela n’est pas
correct. Le Kenya ne nie pas que la méthode en trois étapes peut être adaptée pour parvenir à une
solution équitable dans certains cas ; le point essentiel est qu’elle n’est pas automatiquement
applicable dans tous les cas.
114. Deux cas de figure revêtent une pertinence particulière aux fins de la présente espèce.
115. En premier lieu, la Cour n’applique pas la méthode en trois étapes lorsqu’il existe une
frontière maritime convenue entre les parties. Ce raisonnement est conforme aux articles 15, 74
et 83 de la CNUDM, qui disposent que la délimitation doit d’abord être effectuée par voie
d’accord. L’article 15 énonce les règles régissant la délimitation de la mer territoriale «sauf
accord» ; les articles 74 et 83 prévoient ce qui suit en des termes identiques (les italiques sont de
nous) :
«La délimitation de la zone économique exclusive [ou du plateau continental]
entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face est effectuée par voie
d’accord conformément au droit international tel qu’il est visé à l’article 38 du Statut
de la Cour internationale de Justice, afin d’aboutir à une solution équitable.»
116. La primauté accordée à la délimitation par voie d’accord reflète le droit international
coutumier223. Ainsi, dans l’affaire Pérou c. Chili, la Cour a considéré que, «[a]fin de résoudre le
différend qui lui était soumis, [Elle] d[evait] tout d’abord rechercher si … il exist[ait] déjà une
frontière maritime convenue»224.
117. Pour les raisons exposées au chapitre 1, une telle frontière maritime convenue existe en
la présente espèce car la Somalie a consenti, par acquiescement, au parallèle revendiqué par le
Kenya.
118. En second lieu, même en l’absence de frontière maritime convenue, l’approche en trois
étapes n’est, dans certains cas, pas pertinente, comme en témoigne la pratique des Etats225.
119. La Somalie convient d’ailleurs que la méthode en trois étapes n’est pas obligatoire : elle
reconnaît que les méthodes non fondées sur l’équidistance sont admises par le droit international226,
et qu’il existe des cas dans lesquels la démarche en trois étapes n’est pas appropriée227.
222 RéS, par. 1.8 et 3.34.
223 Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, par. 179. Voir également Fietta et Cleverly, A
Practitioner’s Guide to Maritime Boundary Delimitation, p. 30.
224 Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, par. 24 (les italiques sont de nous).
225 Voir CMK, par. 302 à 306, où est examinée la pratique étatique abondante consistant à recourir à un éventail
de méthodes différentes pour parvenir à une solution équitable en matière de délimitation maritime, pratique qui montre
que, dans certaines circonstances, la ligne d’équidistance (y compris une ligne d’équidistance ajustée) est considérée
comme inappropriée même lorsqu’il existe des frontières convenues. Pour lever toute ambiguïté, le Kenya maintient sa
position selon laquelle cette pratique atteste qu’il n’y a aucune méthode obligatoire (cf. RéS, par. 3.22 à 3.26).
226 RéS, par. 3.10 : «bien que l’affirmation du Kenya selon laquelle «les méthodes non basées sur
l’équidistance … sont également admises par le droit international» soit en partie vraie, cela ne peut en soi être une raison
pour abandonner la méthode en trois temps».
227 RéS, par. 3.10.
56
- 45 -
120. A cet égard, la Somalie cite le paragraphe 195 de l’arrêt Nicaragua c. Colombie228, où
la Cour a recherché si l’établissement d’une ligne d’équidistance était «possible» dans le cas
d’espèce. Sur cette base, elle parvient à la conclusion catégorique — et incorrecte — que «les
seules circonstances dans lesquelles il ne serait pas approprié de commencer le processus de
délimitation avec une ligne d’équidistance seraient lorsque «l’établissement d’[une ligne
d’équidistance] n’est pas possible»»229. Ce que la Cour a en fait dit dans ce paragraphe est toutefois
incompatible avec l’assertion de la Somalie : «La question n’est donc pas de savoir si le tracé d’une
telle ligne est possible, mais s’il constitue un point de départ approprié pour la délimitation.»230
121. Telle est précisément la position du Kenya : dans certains cas, la ligne d’équidistance ne
constitue pas un point de départ approprié ; et la présente affaire en fait partie, pour les raisons
exposées plus en détail dans la section B ci-après231.
122. En effet, contrairement à l’argument de la Somalie, selon lequel «la Cour a précisé il y a
longtemps que, à de très rares exceptions près, [une ligne d’équidistance] doit constituer le point de
départ»232, le Kenya énumère au paragraphe 313 de son contre-mémoire de nombreux exemples
dans lesquels la Cour a considéré qu’une ligne d’équidistance ne constituait pas un point de départ
approprié.
123. La Somalie s’appuie sur le discours du juge Guillaume (cité par le Kenya dans son
contre-mémoire233), dans lequel celui-ci a déclaré que «la règle juridique [était] désormais
claire»234. Elle ne tient toutefois pas compte des éléments suivants de ce même discours :
228 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), cité dans RéS,
par. 3.10, note de bas de page 169.
229 RéS, par. 3.10 (les italiques sont de nous).
230 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), par. 195. Voir
également opinion individuelle de M. le juge Abraham (Nicaragua c. Colombie), par. 21, sur la question de la méthode
adaptée :
«En ce qui concerne la délimitation maritime, mon désaccord porte moins sur ce qu’a fait la Cour
 j’approuve d’ailleurs le résultat final de l’opération, et j’ai voté en faveur des points 4 et 5 du
dispositif  que sur la manière de le présenter, qui m’apparaît assez largement fallacieuse. En résumé,
mon opinion est que, si la Cour affirme qu’elle suit la méthode traditionnelle telle qu’elle a été exposée,
notamment, dans l’arrêt rendu en l’affaire Roumanie c. Ukraine (Délimitation maritime en mer Noire
(Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 61), elle s’en écarte en réalité très largement, et en
vérité elle ne peut pas faire autrement car il est manifeste que cette méthode est inadaptée à la présente
affaire.»
Voir aussi Nicaragua c. Honduras, sur la question de savoir si «des facteurs peuvent rendre son application
inappropriée» (arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 741, par. 272).
231 En fait, la Somalie se contredit sur la question pertinente, avançant différentes formulations. Ces différentes
formulations sont les suivantes : 1) la ligne d’équidistance est-elle «faisable» ? (RéS, par. 3.11) ; 2) existe-t-il un
«obstacle pratique ou juridique» ? (RéS, par. 3.13) ; 3) Y a-t-il une «raison valable» de renoncer à la méthode en trois
étapes ? (RéS, par. 3.15) ; et 4) est-il «raisonnable, nécessaire ou conforme au droit de rejeter l’application de cette
méthode ?» (RéS, par. 3.21). La question est : quelle est la méthode adaptée dans chaque cas particulier pour atteindre
l’objectif d’une solution équitable ?
232 RéS, par. 3.10.
233 CMK, par. 282.
234 Discours de S. Exc. M. le juge Gilbert Guillaume, président de la Cour internationale de Justice, prononcé
devant la Sixième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies (31 octobre 2001), p. 8. CMK, vol. III,
annexe 120 citée dans RéS, par. 3.35 (et aussi au par. 3.18).
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- 46 -
a) La reconnaissance, par le juge Guillaume, de ce que «chaque cas n’en demeure pas moins un
cas particulier dans lequel les diverses circonstances invoquées par les parties doivent être
pesées avec soin»235.
b) Le fait qu’il se soit référé à l’affaire Nicaragua c. Honduras, alors examinée par la Cour, en
soulignant que «[l]a communauté internationale p[ouvait] être assurée que [les affaires de ce
type] s[eraient] jugées dans le même esprit»236. Dans cette affaire, la Cour a bien évidemment
écarté la méthode en trois étapes en faveur d’une autre méthode, faisant observer que «la
méthode de l’équidistance n’a[vait] pas automatiquement la priorité sur les autres méthodes de
délimitation et [que], dans certaines circonstances, des facteurs p[ouvaient] rendre son
application inappropriée»237.
124. L’assertion répétée de la Somalie selon laquelle le Kenya a «à tort» assimilé la méthode
équidistance-circonstances pertinentes à la ligne d’équidistance238 ne tient pas non plus.
125. Premièrement, cette distinction conceptuelle (qui est, de fait, reconnue dans le
contre-mémoire239) n’est pas pertinente à l’égard du point de désaccord essentiel en l’espèce, à
savoir le point de départ approprié pour parvenir à une solution équitable. Selon la Somalie, c’est la
ligne d’équidistance240. Le Kenya n’est pas de cet avis241.
126. Deuxièmement, la Somalie fait elle-même valoir qu’il n’y a pas de distinction
fondamentale en l’espèce entre une ligne d’équidistance et la méthode équidistance-circonstances
pertinentes. Tout en insistant sur le fait que «l’emploi de la méthode en trois temps n’est pas la
235 P. 11.
236 P. 11, «Il nous reste à juger plusieurs affaires du même type soumises à notre appréciation, notamment par le
Cameroun et le Nigéria, ainsi que le Honduras et le Nicaragua. La communauté internationale peut être assurée que ce
sera dans le même esprit.»
237 Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. xx, par. 272. Voir également par. 283 à 298 (cf. délimitation des îles aux
paragraphes 299 à 305). Cette affaire est citée dans CMK, par. 309 et 313 e).
238 RéS, par. 3.08, 3.10 et 3.19.
239 CMK, par. 296 («Le tracé d’une ligne d’équidistance (avec application de la méthode
équidistance-circonstances pertinentes) n’est cependant que l’une des méthodes susceptibles d’être employées pour
atteindre l’objectif primordial que constitue une solution équitable.»), par. 304 («Il ressort de pratique étatique que, dans
un certain nombre de cas, les Etats ont adopté une méthode qui n’était pas fondée sur l’équidistance, ce qui démontre que,
dans certaines circonstances, la ligne d’équidistance (y compris une ligne d’équidistance ajustée) est considérée comme
étant inadaptée même dans le cas de frontières établies d’un commun accord.»), par. 308 c) «Une adhésion ferme à
l’objectif obligatoire de parvenir à une solution équitable, assortie de la reconnaissance de ce que l’emploi de la seule
équidistance (y compris d’une ligne équidistante ajustée) ne saurait garantir pareille solution dans tous les cas». Voir
également Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), par. 271 et 272 où la Cour emploie indifféremment les termes «méthode de
l’équidistance-circonstances pertinentes» et «méthode de l’équidistance».
240 RéS, par. 3.10 «qu’une ligne d’équidistance soit ou non le point final du processus de délimitation, la Cour a
précisé il y a longtemps que, à de très rares exceptions près, cette ligne doit constituer le point de départ (sous réserve
d’un ajustement ultérieur si nécessaire.»
241 Voir également CMK, par. 295 et 296 :
«La Somalie tente de présenter l’équidistance comme une règle qui «doit» être appliquée
d’emblée, considérant semble-t-il que «le cadre analytique standard en trois temps, appelé la «méthode
équidistance-circonstances pertinentes»», constitue une méthode obligatoire … Le tracé d’une ligne
d’équidistance (avec application de la méthode équidistance-circonstances pertinentes) n’est cependant
que l’une des méthodes susceptibles d’être employées pour atteindre l’objectif primordial que constitue
une solution équitable.»
58
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même chose que d’insister sur l’équidistance»242, la Somalie affirme en outre qu’aucune
circonstance pertinente n’impose d’ajuster la ligne d’équidistance243. Le résultat est donc
exactement le même.
127. Troisièmement, le fait que «[l]a méthode d’équidistance-circonstances pertinentes ait
été mise au point par la Cour précisément pour garantir que le processus de délimitation aboutisse à
une solution équitable»244 1) n’implique pas nécessairement que cette méthode aboutira à un tel
résultat dans toutes les situations (comme en témoignent la pratique des Etats parties à la
CNUDM245 ainsi que les différentes méthodes adoptées par les cours et tribunaux internationaux
pour parvenir à une solution équitable246) ; et 2) ne répond pas à la question de savoir quelle
méthode est requise en la présente espèce pour aboutir à une solution équitable (cette question est
examinée dans la section suivante).
B. LES RAISONS POUR LESQUELLES LE PARALLÈLE PERMET
D’ABOUTIR À UNE SOLUTION ÉQUITABLE
128. En faisant valoir que «le Kenya n’offre aucune raison de ne pas … appliquer [la
méthode en trois étapes] ici»247, la Somalie ne tient aucun compte des arguments avancés dans le
contre-mémoire. Le Kenya a donné plusieurs raisons expliquant pourquoi, même si la Somalie
n’avait pas consenti tacitement à établir la frontière maritime le long du parallèle (quod non), ce
dernier (et non la méthode en trois étapes) restait la méthode appropriée pour aboutir à une solution
équitable248. Ces raisons sont abordées ci-après, à savoir : 1) le droit applicable à l’époque
critique249 ; 2) le contexte régional250 ; 3) la pratique des Parties jusqu’à ce jour251 ; et 4) un
partage équitable des espaces maritimes252.
242 RéS, par. 3.19.
243 RéS, chap. 3, sect. II, sous-sections B et C.
244 RéS, par. 3.20 :
«Le Kenya semble penser qu’il existe une certaine contradiction entre les principes équitables,
d’une part, et la méthode équidistance-circonstances pertinentes, de l’autre. Il n’en existe pas. La méthode
équidistance-circonstances pertinentes a été mise au point par la Cour précisément pour garantir que le
processus de délimitation aboutisse à une solution équitable.»
245 Comme il a déjà été dit, les paragraphes 302 à 306 du contre-mémoire du Kenya énumèrent des exemples
d’Etats qui ont utilisé un éventail de méthodes de délimitation maritime afin de parvenir à une solution équitable
conformément aux obligations qui leur incombent au titre de la CNUDM.
246 Ainsi qu’il a été observé plus haut, le paragraphe 313 du contre-mémoire du Kenya identifie plusieurs cas dans
lesquels la méthode équidistance-circonstances pertinentes n’a pas été appliquée.
247 RéS, par. 3.21.
248 CMK, chap. III, sect. D et E.
249 Sect. B 1), ci-dessous.
250 Sect. B 2) et 3), ci-dessous.
251 Sect. B 4), ci-dessous.
252 Sect. C, ci-dessous.
59
- 48 -
1. Le «droit applicable» en 1979 (date de la proclamation
présidentielle kényane)
129. Selon la Somalie, le fait que les articles 74 et 83 de la CNUDM ne prescrivent pas de
méthode de délimitation obligatoire est «sans pertinence»253. Cet argument ne tient pas car certains
Etats (y compris le Kenya et la Somalie) ont expressément rejeté toute référence à la méthode de
l’équidistance dans ces dispositions à la troisième conférence sur le droit de la mer254.
Conformément aux articles 74 et 83, tels qu’ils ont été définitivement adoptés, il convient de
s’attacher à définir la méthode appropriée dans les circonstances de l’espèce pour aboutir à la
solution équitable prescrite par la CNUDM.
130. A cet égard, la situation255 à l’époque où la frontière maritime s’est cristallisée entre le
Kenya et la Somalie à partir de 1979 ainsi que la position des deux Etats, à cette même époque, en
ce qui concerne la méthode appropriée pour aboutir à une solution équitable sont hautement
pertinentes aux fins de déterminer ce que pareille solution exige dans le contexte actuel. Le
principe du droit intertemporel impose qu’«un acte juridique [soit] apprécié à la lumière du droit de
l’époque, et non à celle du droit en vigueur au moment où s’élève ou doit être réglé un différend
relatif à cet acte»256. En conséquence, c’est le droit en vigueur en 1979, et non en 2014, lorsque le
différend s’est cristallisé, qui est applicable.
131. La proclamation présidentielle kényane de 1979 a été émisé alors que la troisième
conférence sur le droit de la mer menait ses travaux. Comme il est expliqué dans le contremémoire257,
lors des négociations de la troisième conférence, deux «camps» défendaient des
approches différentes quant aux dispositions de la CNUDM relatives à la délimitation maritime
dans la zone économique exclusive et sur le plateau continental : le camp de l’équidistance et le
camp de l’équité258. La Somalie et le Kenya (comme d’ailleurs de nombreux autres Etats africains)
faisaient résolument partie du camp de l’équité, et ont insisté sur le fait qu’il convenait de ne pas
établir de lien entre délimitation maritime et méthode de l’équidistance. Cette position reflétait leur
253 RéS, par. 3.18 «Le fait que les articles 73 et 84 ne prescrivent pas de méthode de délimitation obligatoire est
peut-être correct, mais ce point est également dénué de pertinence». Voir aussi RéS, par. 3.16 évoquant «des affirmations
non pertinentes du Kenya concernant le texte et l’historique des négociations de la CNUDM». Pour un exposé concis des
débats sur la formulation des articles 74 et 83, voir Virginia Commentary, vol. II, p. 796 à 816 et 948 à 985 (1993).
254 CMK, par. 70.
255 Comme exposé plus loin dans la sous-section 2, en 1976, le Kenya et la Tanzanie avaient établi la délimitation
de leur frontière maritime à la hauteur du parallèle de latitude, conformément au droit international en vigueur à l’époque.
256 Island of Palmas case, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. II, p. 845. Voir également :
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 303, par. 205 («[m]ême si ce mode d’acquisition ne correspond pas au droit
international actuel, le principe du droit intertemporel impose de donner effet aujourd’hui, dans la présente instance, aux
conséquences juridiques des traités alors intervenus dans le delta du Niger») ; Minquiers et Ecréhous
(France/Royaume-Uni), arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 56 (où la Cour a considéré qu’un titre féodal ne pouvait pas
produire d’effet juridique, à moins qu’un autre titre, valable d’après le droit applicable à l’époque considérée, y ait été
substitué) ; Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 37 («la validité
d’un traité conclu à une époque aussi lointaine que le dernier quart du dix-huitième siècle, dans les conditions qui
régnaient alors dans la péninsule indienne, ne doit pas être appréciée sur la base de pratiques et de procédures qui ne se
sont développées depuis lors que graduellement»).
257 CMK, par. 69 à 76.
258 CMK, par. 70, où il est expliqué que, en 1978, le septième groupe de négociation constitué à la troisième
Conférence sur le droit de la mer, pour trouver une solution de compromis en matière de délimitation des frontières, était
divisé en deux groupes : le «groupe de l’équidistance» et le «groupe de l’équité». Le Kenya et la Somalie étaient tous
deux membres du «groupe de l’équité», qui s’est opposé à toute mention de l’«équidistance» dans les dispositions
relatives à la délimitation et qui a finalement eu gain de cause. Plus de la moitié des délégations qui composaient le
«groupe de l’équité» venait du continent africain
60
- 49 -
communauté de vues concernant le droit applicable en matière de délimitation maritime au moment
de la proclamation de 1979259.
132. La Somalie s’efforce de minimiser l’importance de cette communauté de vues en
réitérant son argument selon lequel «le processus en trois temps et la méthode de l’équidistance ne
sont pas identiques»260, le premier étant un moyen d’aboutir à une solution équitable261. Le Kenya
comprend et accepte262 ces deux assertions. Le point essentiel, cependant, est que, alors que les
deux Etats avaient rejeté sans équivoque la méthode de l’équidistance à l’époque critique, la
Somalie tente maintenant d’imposer une ligne d’équidistance en tant que première (et dernière)
étape du processus de délimitation maritime.
133. En outre, la Somalie convient que, à l’époque de la proclamation de 1979, lorsque le
parallèle a été adopté comme frontière maritime, la démarche suivie par les cours et tribunaux
internationaux en matière de délimitation maritime n’était manifestement pas la méthode en trois
étapes. Le demandeur reconnaît ainsi expressément que «la méthode équidistance-circonstances
pertinentes ne s’était pas cristallisée en droit il y a 36 ans»263.
134. Il n’est donc pas contesté qu’à l’époque critique :
a) le Kenya et la Somalie avaient tous deux rejeté l’équidistance en tant que méthode appropriée
pour aboutir à une solution équitable ;
b) la référence à la méthode de l’équidistance a été délibérément écartée dans les dispositions
pertinentes de la CNUDM ;
c) les principes équitables, et non la méthode en trois étapes, prévalaient dans la jurisprudence de
la Cour (conformément à la position adoptée par les rédacteurs de la CNUDM).
Dès lors, le fait d’imposer rétroactivement et mécaniquement en 2018  soit une quarantaine
d’années après la Proclamation de 1979  la méthode en trois étapes et le recours à l’équidistance
en tant que première étape (et, comme la Somalie le demande, en tant que dernière étape) ne
refléterait ni l’intention des Parties ni les règles de droit international applicables. Pareille approche
ne serait donc pas appropriée pour aboutir à une solution équitable en l’espèce.
259 Voir, par exemple, la déclaration du représentant de la Somalie (M. Yusuf, faite le 3 avril 1980, citée dans le
contre-mémoire du Kenya, par. 300 a) : «cette délimitation d[evait] être effectuée conformément aux principes équitables
et en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes. La pratique des Etats et les précédents judiciaires et arbitraux
ont établi clairement l’utilisation généralisée de ces critères par la communauté internationale» (128e séance plénière,
3 avril 1980, A/CONF.62/SR.128, Documents officiels de la troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la
mer, vol. XIII, neuvième session, par. 43, p. 35 (Somalie) et par. 168, p. 44 (Kenya), CMK, annexe 71). Voir également
la déclaration du représentant de la Somalie (M. Robleh) selon laquelle, «en matière de délimitation, c’étaient l’équité et
les principes équitables qui étaient désormais consacrés en tant que règle générale de droit international, et non les
méthodes purement géométriques de la ligne médiane ou de la ligne d’équidistance». (CMK, par. 300 d) renvoyant à la
138e séance plénière, 26 août 1980, A/CONF.62/SR.138, Documents officiels de la troisième Conférence des Nations
Unies sur le droit de la mer, vol. XIV, neuvième session résumée, par. 73, p. 56, CMK, annexe 72).
260 RéS, par. 3.19. La note de bas de page 175 renvoie au paragraphe 298 du contre-mémoire du Kenya. Nous
considérons qu’il s’agit d’une erreur typographique et qu’elle était censée renvoyer au paragraphe 299 du contre-mémoire
du Kenya.
261 RéS, par. 3.20.
262 Voir plus haut, par. 125 à 127.
263 RéS, par. 3.21. Voir aussi RéS, par. 3.18 renvoyant à «la jurisprudence de la Cour ... au cours des 36 ans
écoulés depuis la signature de la convention». Pour lever toute ambiguïté, le Kenya ne reconnaît pas que l’application de
la méthode équidistance-circonstances soit prescrite par le droit international coutumier.
61
- 50 -
2. Le contexte régional : la frontière maritime entre le Kenya et
la Tanzanie a été établie au niveau du parallèle
a) Adoption du parallèle comme solution équitable
135. C’est dans le contexte de ce droit applicable que, en 1975-1976, le Kenya et la Tanzanie
ont délimité, par un échange de notes, leur frontière maritime au niveau du parallèle264. Cette
méthode était conforme à leur communauté de vues  et à l’approche de la Cour à l’époque  en
matière de délimitation maritime (comme rappelé plus haut). Il s’agissait d’une solution équitable,
laquelle a toujours été reconnue comme telle par le Kenya et la Tanzanie et par tous les autres
Etats.
136. Le Kenya et la Tanzanie ont expressément confirmé que le parallèle aboutissait à une
solution équitable :
a) Le 26 septembre 2007, le Kenya a adressé une note verbale à la Tanzanie concernant les
demandes soumises à la Commission des limites, rappelant au sujet de l’accord de 1975-1976
portant adoption du parallèle que «les frontières entre [les] deux pays [avaient] été tracées en
utilisant le parallèle, conformément aux articles 74 et 83 de la CNUDM» (dispositions qui,
comme il a été précisé ci-dessus, mentionnent expressément une solution équitable)265.
b) Ainsi que cela a été rappelé plus haut, en 2008, le procès-verbal de la réunion du comité
technique mixte sur la frontière maritime entre la Tanzanie et le Kenya (dont les discussions ont
abouti à l’Accord frontalier de 2009) montre que cette réunion était «guidée par la pratique
courante des Etats consistant à adopter le parallèle pour la cartographie»266.
c) Par la suite, le Kenya et la Tanzanie ont conclu l’Accord frontalier de 2009 qui a confirmé
l’accord de 1975-1976 et étendu le parallèle au-delà de 200 milles marins jusqu’aux limites
extérieures du plateau continental267, accord qu’ils ont qualifié d’«équitable»268. Comme il est
expliqué dans le contre-mémoire, la délimitation maritime de 1975-1976 atténuait dans une
certaine mesure la distorsion produite par la concavité résultant du changement de direction de
la côte tanzanienne au sud du Kenya et la présence des grandes îles de Pemba et de Zanzibar269.
137. La communauté de vues entre le Kenya et la Tanzanie, selon laquelle l’accord de
1975-1976 constituait une solution équitable, a été prise en considération par le Kenya pour adopter
le parallèle en ce qui concerne la Somalie en 1975, ce qui a conduit à une proclamation officielle en
1979. Le Kenya rappelle ce qui suit :
a) En 1974, pendant la troisième conférence sur le droit de la mer, il a précisé que :
264 CMK, par. 326 à 330. MS, vol. III, annexe 5.
265 Note verbale no MFA.273/430/001 en date du 26 septembre 2007 adressée au ministère des affaires étrangères
de la République-Unie de Tanzanie par le ministre des affaires étrangères du Kenya (annexe 10).
266 «Agreed Minutes of the Joint Technical Committee Meeting on the Tanzania/Kenya Maritime Boundary
held in Dar es Salaam, Tanzania (30-31 October 2008), p. 5» (annexe 2).
267 MS, vol. III, annexe 7. CMK, par. 328 et 331.
268 Voir également la qualification de l’accord de 1976 par le département d’Etat des Etats-Unis comme «un
accord qui a été établi conformément aux principes équitables» et par M. Mulwa comme reflétant les «principes
équitables», ainsi qu’il est exposé aux paragraphes 329 et 330 du contre-mémoire du Kenya.
269 CMK, par. 347.
62
63
- 51 -
«[l]’application automatique du principe de l’équidistance p[ouvait] conduire à
nombreuses injustices qui pourraient être aggravées par la présence d’îles à proximité
de la zone frontalière. Dans la situation particulière du Kenya, appliquer la règle de
l’équidistance pour délimiter la zone économique avec la Tanzanie et la Somalie
produirait une importante distorsion en raison de la présence de l’île de Pemba et de
quelques îles somaliennes qui provoqueraient une déviation brusque des frontières
maritimes vers l’intérieur, qui se rejoindraient presque au point des 200 milles marins.
Cela ne devrait jamais être autorisé et c’est pourquoi la Tunisie nous a rejoint dès le
30 juillet 1974 pour proposer la ... formule de délimitation dans le
document A/CONF.62/C.2/L.28.»270
b) L’année suivante, en 1975, le Kenya a tenu une réunion consultative interministérielle du
Groupe sur le droit de la mer. Le mémorandum interne du ministère kényan des affaires
étrangères en date du 26 août 1975 se lit comme suit :
«Dans le cadre de la délimitation de la frontière septentrionale de la mer
territoriale avec la Somalie, il a été suggéré que [celle-ci] devait être tracée en se
fondant sur la ligne de latitude comme cela a été fait pour la frontière méridionale
avec la Tanzanie. La ligne médiane ne doit pas être utilisée car elle détournerait la
frontière du Kenya vers l’intérieur du côté kényan, ce qui est manifestement
inéquitable ... Il a également été précisé que la frontière méridionale de la mer
territoriale entre le Kenya et la Tanzanie constituait un précédent, le problème étant en
l’occurrence encore plus compliqué car la frontière touchait l’île de Pemba.»271
c) La Proclamation kényane de 1979 mentionnait donc les deux frontières maritimes avec la
Tanzanie et la Somalie272 :
«Sous réserve de ce qui précède, la zone économique exclusive du Kenya est
délimitée comme suit :
a) A la frontière sud des eaux territoriales avec la République-Unie de Tanzanie, par
une ligne de latitude passant au nord-est de l’île Pemba et commençant par un
point obtenu par l’intersection septentrionale de deux arcs, partant pour l’un du
phare kényan de Mpunguti ya Juu et pour l’autre du phare de l’île Pemba situé à
Ras Kigomasha.
b) A la frontière nord des eaux territoriales avec la République de Somalie, par une
ligne de latitude passant au sud-est l’île Diua Damasciaca en un point de latitude
1° 38' sud.»
270 Voir CMK, par. 70 citant le rapport de la mission permanente du Kenya auprès de l’ONU relatif aux travaux
de la deuxième session de la troisième Conférence sur le droit de la mer, tenue à Caracas, Venezuela, du 20 juin au
29 août 1974 (273/430/001A/15), reçu par le ministère kényan des affaires étrangères le 28 octobre 1974, CMK,
annexe 11, par. 79 (les italiques sont de nous).
271 Mémorandum interne du ministère des affaires étrangères adressé à M. Adede par le sous-secrétaire juridique,
au sujet de la réunion consultative interministérielle consacrée au groupe sur le droit de la mer tenue à Harambee House
le 12 août 1975 (MFA. 273/430/001A/66), 26 août 1975, CMK, annexe 12, cité dans le contre-mémoire du Kenya,
par. 52 (les italiques sont de nous). A la réunion tenue entre les Parties en mars 2014, le Kenya a expliqué «comment et
pourquoi [il était] parvenu à une frontière latitudinale», faisant observer que «les inégalités qui auraient été créées par des
lignes médianes [avaie]nt été prises en compte et atténuées dans au moins deux autres cas le long de cette même côte par
l’utilisation de frontières latitudinales, établissant ainsi une pratique régionale» (MS, vol. III, annexe 31, présentation
PowerPoint, diapositives 1 et 10, cité dans le contre-mémoire du Kenya, par. 325).
272 Art. premier. Cité dans le contre-mémoire du Kenya, par. 60.
64
- 52 -
b) L’effet d’amputation
138. Le fait que le mémorandum de 1975 (cité plus haut) fasse référence à la déviation de la
frontière du Kenya est significatif. Comme il est expliqué dans le contre-mémoire, l’application
d’une ligne d’équidistance pour tracer la frontière entre le Kenya et la Somalie produirait un effet
d’amputation important sur les espaces maritimes kényans273. Dès lors, le parallèle a été considéré
comme approprié pour aboutir à un résultat équitable.
139. La Somalie admet que la délimitation maritime a notamment pour objectif de
«permettre aux côtes adjacentes des Parties de produire leurs effets, en matière de droits maritimes,
d’une manière raisonnable et équilibrée pour chacune d’entre elles»274. Elle soutient cependant que
«toute amputation susceptible de résulter de la frontière entre le Kenya et la Tanzanie ne saurait
être pertinente aux fins de la délimitation entre la Somalie et le Kenya»275. La position de la
Somalie semble être que si le Kenya pouvait maintenant, conformément à la jurisprudence de la
Cour telle qu’elle s’est développée au cours de ces quarante dernières années, exiger une frontière
maritime qui soit plus défavorable à la Tanzanie et plus favorable à lui-même que celle qui a été
convenue en 1975-1976 et reconnue comme équitable, alors il devrait être considéré comme ayant
à l’époque «renoncé»276 à une partie de ses droits maritimes.
140. Ainsi, pour la Somalie, le fait qu’une ligne d’équidistance crée un effet d’amputation
important au détriment du Kenya est dû au «mauvais choix» qu’il a fait en 1975277 et à l’évolution
du droit international en matière de délimitation maritime depuis lors, de sorte que le Kenya
cherche tout simplement à obtenir une «indemnisation» pour ce «mauvais choix»278. La position de
la Somalie ne reflète ni les faits ni le droit applicable. Le Kenya est d’avis qu’une délimitation
maritime équitable ne saurait faire abstraction des délimitations équitables qui ont été convenues
par le passé conformément au droit applicable. C’est une question d’équité historique, et de bon
sens, que des frontières raisonnablement établies par le passé dans le respect du droit ne peuvent
être ignorées dans le présent. Ce n’est pas le Kenya qui demande une «indemnisation», mais la
Somalie qui cherche à pénaliser le Kenya pour l’accord de délimitation maritime qu’il a conclu
avec la Tanzanie en 1975-1976, et ce, en dépit du fait que cet accord était conforme au principe de
délimitation maritime équitable tel qu’interprété et mis en oeuvre à cette époque279.
273 Voir également CMK, par. 343 à 346.
274 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, par. 201, cité et
confirmé dans la réplique de la Somalie, par. 3.74 (et CMK, par. 287) «Comme il a été dit par la Cour, l’objectif est de
partager l’amputation d’une manière «raisonnable et équilibrée pour chacune d’entre elles».» La Somalie reconnaît que
«l’effet d’amputation évalué dans un contexte géographique général» est un élément géographique pertinent (MS, vol. I,
par. 6.47).
275 RéS, par. 3.75.
276 RéS, par. 3.78 renvoyant à la «renonciation» par le Kenya à «une partie de ses droits sur le plateau
continental».
277 «Toute amputation que le Kenya pourrait subir du fait de sa propre délimitation avec la Tanzanie serait due à
ses propres actions» (RéS, par. 3.78).
278 «[O]n ne peut s’attendre à ce que la Somalie indemnise le Kenya pour les conséquences de l’accord qu’il a
conclu avec la Tanzanie» (RéS, par. 3.80).
279 Voir plus haut, par. 135. Voir également CMK, par. 324 :
65
- 53 -
141. Dans son contre-mémoire, le Kenya a apporté des précisions sur l’effet d’amputation
causé par une frontière équidistante avec la Somalie :
a) La ligne d’équidistance réduit considérablement la projection en mer du Kenya dans sa zone
économique exclusive, la longueur de ses côtes (mesurée en ligne droite) passant ainsi de
424 km à seulement 180 km mesurée à la limite des 200 milles marins, soit une réduction de
58 %280 (ou avec la configuration naturelle utilisée par la Somalie, de 511 km à seulement
180 km mesurée à la limite des 200 milles marins, soit une réduction de 65 %)281.
b) Au-delà de 200 milles marins, l’application du principe de l’équidistance priverait le Kenya de
l’intégralité des droits jusqu’au rebord du plateau continental que lui reconnaît l’article 76 de la
CNUDM. Ce serait comme si le plateau continental étendu dans cette zone était seulement
généré par les projections côtières de la Somalie et de la Tanzanie, et que le Kenya n’existait
tout simplement pas282.
c) Même si une ligne d’équidistance avait été adoptée à l’égard de la Tanzanie et de la Somalie,
l’accès du Kenya au plateau continental étendu aurait été fortement amputé, tandis que la
Somalie aurait bénéficié d’un accès très large à ce plateau.
142. Selon la Somalie, «la jurisprudence indique clairement» que ces considérations ne
sauraient justifier ni 1) de ne pas appliquer la méthode en trois étapes, ni 2) de procéder à un
ajustement de la ligne d’équidistance283. Sur ce point, le demandeur s’appuie sur deux affaires :
Bangladesh/Myanmar (Tribunal international du droit de la mer (TIDM))284 et Bangladesh c. Inde
(tribunal arbitral)285. Or :
a) La position du TIDM et du tribunal arbitral dans ces affaires est conforme à celle du Kenya.
Ces deux juridictions ont reconnu que la méthode appropriée dépendait de ce qui permettrait de
parvenir à un résultat équitable dans les circonstances particulières de chaque cas d’espèce :
«Le Tribunal observe que la question de la méthode à suivre pour tracer la ligne
de délimitation maritime doit être examinée à la lumière des circonstances propres à
chaque espèce. La considération ultime qui doit le guider à cet égard est de parvenir à
une solution équitable. La méthode à retenir doit donc être celle qui, dans le contexte
«Le Kenya ne prétend bien évidemment pas que la Cour doive considérer que les accords conclus
entre lui-même et la Tanzanie et entre celle-ci et le Mozambique sont opposables à la Somalie. Il ne
conteste pas que lesdits accords sont res inter alios acta en ce qui concerne les Etats tiers. Il ne réclame
par ailleurs aucune «indemnisation» pour les accords qu’il a conclus avec ces Etats. En revanche, il
estime que ces accords sont pertinents car ils : i) montrent ce que les Etats qui y sont parties ont considéré
comme une solution équitable ; ii) constituent d’autres exemples de la pratique étatique consistant à
adopter des méthodes non fondées sur l’équidistance pour effectuer une délimitation maritime ;
iii) établissent le contexte régional dans lequel la frontière entre le Kenya et la Somalie doit être tracée ; et
iv) fournissent le contexte permettant de comprendre pourquoi, entre 1979 et 2014, le Kenya a revendiqué
une frontière maritime s’étendant le long du parallèle sans que la Somalie n’élève de protestation.»
280 CMK, par. 343 (fig. 3-1).
281 Voir plus loin, par. 165.
282 CMK, par. 344 à 346 (fig. 3-1).
283 RéS, par. 3.81 «la jurisprudence indique clairement que ces considérations ne justifient pas un ajustement de la
ligne d’équidistance, encore moins un abandon du processus en trois temps».
284 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM
Recueil 2012, cité dans RéS, par. 3.82 et 3.83.
285 Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du golfe du
Bengale (Bangladesh c. Inde), sentence, 2014, CPA affaire no 2010-16, cité dans RéS, par. 3.82 et 3.83.
66
- 54 -
géographique et les circonstances particulières de chaque cas d’espèce, permettra
d’aboutir à une solution équitable.»286
«Pour examiner cette question, les cours et tribunaux internationaux sont guidés
par un objectif essentiel, à savoir que la méthode choisie soit conçue pour aboutir à un
résultat équitable et que, à la fin du processus, un résultat équitable ait été
atteint. … Ce Tribunal tient à ajouter que la transparence et la prévisibilité du
processus de délimitation dans son ensemble sont les autres objectifs à atteindre dans
le cadre de ce processus.»287
b) La Somalie passe également sous silence l’affaire Guinée/Guinée-Bissau, dans laquelle le
tribunal a rejeté la méthode en trois étapes, ayant estimé que celle-ci était inappropriée
précisément à cause de l’effet d’amputation288, et compte tenu du facteur suivant : «Le pays
situé au centre est enclavé par les deux autres et se trouve empêché de projeter son territoire
maritime aussi loin vers le large que le lui permettrait le droit international.»289
c) En outre, s’agissant de l’équidistance, la ligne d’équidistance provisoire a été ajustée dans les
affaires Bangladesh/Myanmar et Bangladesh c. Inde290. L’étendue de cet ajustement, y compris
celle du prolongement de la projection du Bangladesh vers le large, est le fruit de l’appréciation,
par les juridictions concernées, des circonstances particulières à chaque affaire. Le TIDM a
ainsi
«not[é] la diversité des ajustements auxquels il pourrait être procédé, dans le respect
des contraintes juridiques pertinentes, afin d’aboutir à une solution équitable. Comme
l’a fait observer le tribunal arbitral dans l’Arbitrage entre la Barbade et
Trinité-et-Tobago, «il n’existe pas de formule magique dans ce domaine».»291
286 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM
Recueil 2012, par. 235, cité dans CMK, par. 310.
287 Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du golfe du
Bengale (Bangladesh c. Inde), sentence, 2014, CPA affaire no 2010-16, par. 339, cité dans CMK, par. 311.
288 Délimitation de la frontière maritime entre la Guinée et la Guinée-Bissau, sentence du 14 février 1985 (1985),
19 RIAA 149, 189, par. 103 à 111.
289 Par. 104. Voir aussi Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark)
(République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, point 1 D) 3) du dispositif :
«au cours des négociations, les facteurs à prendre en considération comprendront … le rapport
raisonnable qu’une délimitation opérée conformément à des principes équitables devrait faire apparaître
entre l’étendue des zones de plateau continental relevant de 1’Etat riverain et la longueur de son littoral
mesurée suivant la direction générale de celui-ci, compte tenu à cette fin des effets actuels ou éventuels de
toute autre délimitation du plateau continental effectuée entre Etats limitrophes dans la même région».
290 Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM
Recueil 2012, par. 297 «l’effet d’amputation produit … est, en la présente espèce, une circonstance pertinente qui
nécessite un ajustement de la ligne d’équidistance provisoire» ; par. 324 «l’effet d’amputation sur la projection maritime
du Bangladesh, produit par la concavité, est une circonstance pertinente qui nécessite un ajustement de la ligne
d’équidistance provisoire». Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime
du golfe du Bengale (Bangladesh c. Inde), sentence, 2014, CPA affaire no 2010-16, par. 477 «Le Tribunal doit
s’employer à atténuer les conséquences négatives excessives que la ligne d’équidistance provisoire produirait pour le
Bangladesh dans les zones situées à l’intérieur et au-delà des 200 milles marins, mais il ne doit pas le faire d’une manière
qui empiète excessivement sur les droits de l’Inde dans cette zone». Au par. 478, le Tribunal a établi sa ligne ajustée
«[p]our atténuer l’impact excessivement négatif que la mise en oeuvre de la ligne d’équidistance provisoire produirait sur
les droits du Bangladesh concernant le plateau continental/la zone économique exclusive et le plateau continental au-delà
des 200 milles marins et pour parvenir à un résultat équitable».
291 Par. 327.
67
- 55 -
c) Résumé
143. L’accord frontalier entre le Kenya et la Tanzanie ne saurait être purement et simplement
écarté comme étant dépourvu de pertinence aux fins de déterminer ce qui constitue une solution
équitable en la présente espèce. Il constitue un fait historique établi et fait partie de la réalité
géographique dans laquelle une délimitation équitable de la frontière maritime entre le Kenya et la
Somalie doit s’inscrire. Il doit être pris en considération tout particulièrement pour les raisons
suivantes :
a) Il a été adopté de bonne foi, étant entendu qu’une frontière maritime suivant le parallèle
permettait d’aboutir à une solution équitable vis-à-vis de la Tanzanie.
b) Il a influé sur l’adoption par le Kenya d’une frontière maritime similaire avec la Somalie le long
du parallèle, délimitation à laquelle la Somalie a consenti pendant trente-cinq ans.
c) Ne tenir aucun compte de la frontière maritime entre le Kenya et la Tanzanie produirait un effet
d’amputation important en ce qui concerne les espaces maritimes du Kenya, ce qui serait
inéquitable.
d) L’accord entre le Kenya et la Tanzanie était conforme à la pratique régionale en matière de
délimitation des espaces maritimes.
3. Le contexte régional plus large : autres délimitations maritimes
utilisant un parallèle
144. Comme il est expliqué dans le contre-mémoire, outre l’accord conclu entre le Kenya et
la Tanzanie en 1975–1976 (qui a été confirmé et étendu en 2009292), la Tanzanie et le Mozambique
ont également, dans l’accord de délimitation maritime qu’ils ont conclu en 1988, adopté la méthode
du parallèle en tant qu’«application du principe d’équité» pour délimiter leurs zones économiques
exclusives293.
145. Le fait que la côte africaine pertinente dans l’océan Indien se caractérise par un
ensemble de délimitations entre Etats côtiers fondées sur l’utilisation d’un parallèle doit être pris en
considération pour déterminer ce qui constitue une solution équitable en l’espèce.
146. La Somalie refuse de tenir compte de ces accords, considérant qu’ils «ne représentent
qu’une partie infime des nombreuses frontières maritimes potentielles concernant la «côte africaine
sur l’océan Indien»»294. De fait, trois frontières maritimes sont pertinentes sur la côte est-africaine
de l’océan Indien et l’utilisation d’un parallèle pour deux d’entre elles (entre le Mozambique et la
Tanzanie, d’une part, et entre la Tanzanie et le Kenya, d’autre part) a été décidée d’un commun
accord et n’a fait l’objet d’aucune contestation, l’utilisation d’un parallèle pour la troisième
292 CMK, par. 110 ; MS, vol. III, annexe 7.
293 Accord entre le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie et le Gouvernement de la République
populaire du Mozambique concernant la frontière entre les deux Etats, 28 décembre 1988, J.I. Charney et L.M. Alexander
(directeurs de publication), International Maritime Boundaries I (Nijhoff 1993), p. 898, CMK, annexe 143. Voir
également CMK, par. 50 et 332.
294 RéS, par. 3.29.
68
69
- 56 -
frontière (entre le Kenya et la Somalie) n’ayant fait l’objet d’aucune protestation entre 1979 et
2014295.
147. La Somalie se réfère à l’affaire Costa Rica c. Nicaragua296, dans laquelle la Cour a
considéré que «les décisions rendues par la Cour entre l’une des Parties et un Etat tiers ou entre
deux Etats tiers n’ont en elles-mêmes pas d’incidence sur la frontière maritime entre les Parties, pas
davantage que les traités conclus entre l’une des Parties et un Etat tiers ou entre deux Etats tiers»297.
Cette référence n’est pas pertinente. La Cour a simplement jugé qu’un traité conclu avec un Etat
tiers ne pouvait pas avoir d’incidence «en soi» (c’est-à-dire en tant que traité) sur la frontière
maritime avec un autre Etat. Le Kenya ne fait pas valoir que ces autres traités ont une incidence en
eux-mêmes sur sa frontière avec la Somalie. Il soutient que, compte tenu du contexte géographique
régional, avant que celle-ci ne revendique pour la première fois une ligne d’équidistance en 2014,
deux des trois frontières maritimes pertinentes avaient été délimitées par voie d’accord exprès
depuis 26 et 39 ans, respectivement, sur le fondement que le parallèle constituait une solution
équitable. Cette pratique a logiquement influé sur l’interprétation du Kenya de 1979 à nos jours,
selon laquelle le parallèle constitue également une solution équitable pour sa frontière maritime
avec la Somalie298.
148. L’approche défendue par le Kenya correspond en outre à celle adoptée par :
a) le Tribunal arbitral en l’affaire Guinée/Guinée-Bissau, dans laquelle celui-ci a reconnu la
pertinence du contexte régional et recherché une solution «tenant compte d’une façon globale
de la forme de[s] côtes [de l’Afrique occidentale]» et produisant une délimitation qui serait
«susceptible d’être insérée équitablement dans les délimitations actuelles de la région
ouest-africaine et dans ses délimitations futures telles qu’on peut raisonnablement les imaginer
en recourant à des principes équitables et d’après les hypothèses les plus vraisemblables»299.
b) la présente Cour qui, dans l’affaire Libye/Malte, a tenu compte du contexte régional, précisant
qu’elle «d[eva]it aussi regarder au-delà de la zone concernée et considérer le cadre
géographique d’ensemble dans lequel la délimitation dev[ait] s’opérer»300.
Ces sources faisant autorité ont été citées dans le contre-mémoire du Kenya301, mais la
Somalie les a passées sous silence dans sa réplique.
295 Une ligne d’équidistance a été envisagée par le Mozambique et l’Afrique du Sud, mais la délimitation n’a pas
encore été convenue : voir la demande soumise en 2010 par l’Afrique du Sud à la Commission des limites du plateau
continental, p. 2 (décrivant «la frontière maritime non résolue avec le Mozambique») http://www.un.org/
depts/los/clcs_new/submissions_files/zaf31_09/zaf2009executive_summary.pdf (en anglais), et la demande soumise en
2010 par le Mozambique à la Commission des limites du plateau continental, p. 3 (évoquant «les questions non résolues
en ce qui concerne les délimitations maritimes bilatérales avec les Etats voisins, en particulier avec l’Afrique du Sud»).
https://www.un.org/Depts/los/clcs_new/submissions_files/moz52_10/moz_cl… (en anglais).
296 Rés, par. 3.30 et 3.31.
297 Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l'océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2018, par. 123 (les italiques sont de nous).
298 Comme il est précisé dans le contre-mémoire du Kenya, par. 325, à la réunion tenue entre les Parties en
mars 2014, le Kenya a expliqué «comment et pourquoi [il était] parvenu à une frontière latitudinale», faisant observer que
«les inégalités qui auraient été créées par des lignes médianes [avaie]nt été prises en compte et atténuées dans au moins
deux autres cas le long de cette même côte par l’utilisation de frontières latitudinales, établissant ainsi une pratique
régionale» (MS, vol. III, annexe 31, présentation PowerPoint, diapositives nos 1 et 10).
299 Délimitation de la frontière maritime entre la Guinée et la Guinée-Bissau, sentence du 14 février 1985,
réimprimé dans le Recueil des sentences arbitrales, vol. XIX, p. 149 et ILR, vol. 77, p. 635, par. 108 et 109.
300 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, par. 69.
70
- 57 -
4. La pratique des Parties jusqu’à ce jour, qui indique ce que celles-ci considèrent
être une délimitation équitable de la frontière maritime
149. La Somalie affirme qu’elle n’a «jamais fait quoi que ce soit pour indiquer qu’elle
estim[ait] que le parallèle constitue une solution équitable»302 et qu’elle n’a «jamais indiqué qu’elle
consid[érait] une frontière parallèle comme équitable»303. Cette affirmation est contredite par les
faits. Outre leur rejet catégorique de l’équidistance en faveur de l’équité en tant que principe
fondamental régissant la délimitation maritime avant la troisième conférence sur le droit de la mer,
le Kenya et la Somalie ont reconnu, au moins depuis la proclamation de 1979, que le parallèle
constituait une solution équitable. Il est important de noter que la Somalie n’a pas élevé de
protestation ni revendiqué une autre frontière maritime avant 2014304. Le fait que la Somalie
cherche à oblitérer l’historique des événements, en déclarant que les Parties «ont reconn[u] en
théorie le parallèle de latitude comme étant équitable» est contredit par nombreux éléments de
preuve présentés par le Kenya305.
150. Comme le Kenya l’a précisé dans son contre-mémoire, pour effectuer la délimitation
maritime, la Cour est tenue, en droit, de tenir compte des déclarations et du comportement passés
des Parties qui indiquent ce que celles-ci considèrent comme une solution équitable306. Ainsi
qu’elle l’a précisé dans l’affaire Tunisie c. Libye, pour déterminer «quelle méthode de délimitation
permettrait d’aboutir à un résultat équitable», la Cour «doit tenir compte de tous les indices
existants au sujet de la ligne ou des lignes que les Parties elles-mêmes ont pu considérer ou traiter
en pratique comme équitables» (les italiques sont de nous)307. Le Kenya a cité deux autres affaires
qui confirment cette approche : Libye/Malte308 et Pérou c. Chili309.
151. En réponse à la jurisprudence de la Cour, la Somalie se contente de citer une seule
décision, rendue dans l’affaire Ghana c. Côte d’Ivoire, et d’affirmer que la Cour doit suivre la
Chambre spéciale du TIDM en appliquant la démarche en trois étapes310. Cette décision n’est
toutefois pas pertinente pour les quatre raisons suivantes.
152. Premièrement, le principe selon lequel la Cour «doit tenir compte de tous les indices
existants au sujet de la ligne ou des lignes que les Parties elles-mêmes ont pu considérer ou traiter
en pratique comme équitables», n’est pas contesté. Il ne l’est pas par la Somalie, et ne l’a pas été
par la Chambre spéciale du TIDM dans l’affaire Ghana/Côte d’Ivoire.
301 CMK, par. 325.
302 RéS, par. 3.14 (les italiques sont de nous).
303 RéS, par. 3.39 (les italiques sont de nous).
304 Voir le chap. 1, ci-dessus. Voir également le contre-mémoire du Kenya, chap. 3, sect. D.
305 RéS, par. 3.14 «En d’autres termes, dit le Kenya, puisque les deux Parties ont reconnu en principe le parallèle
de latitude comme étant équitable, la Cour n’a pas besoin de perdre son temps avec la méthode en trois temps.»
306 CMK, chap. 3, sect. C.
307 Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, par. 118, cité dans le
contre-mémoire du Kenya au paragraphe 314.
308 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, par. 25 cité dans le
contre-mémoire du Kenya au paragraphe 319 (les italiques sont de nous).
309 Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, par. 43, cité dans le contre-mémoire du Kenya
au paragraphe 320.
310 RéS, par. 3.40 à 3.43 citant Délimitation de la frontière maritime dans l’océan Atlantique (Ghana/Côte
d’Ivoire), arrêt, TIDM Recueil 2017.
71
- 58 -
153. Deuxièmement, le contexte dans lequel a été examiné le comportement des parties dans
l’affaire Ghana/Côte d’Ivoire diffère fondamentalement de celui dans lequel il l’a été en la présente
espèce. Dans cette affaire, les parties s’étaient accordées sur l’application de la méthode en trois
étapes311. Leur comportement a uniquement été considéré dans le cadre de la deuxième des trois
étapes, à savoir comme une circonstance pertinente potentielle, susceptible d’exiger l’ajustement de
la ligne d’équidistance provisoire312. Contrairement à la présente espèce, il n’était pas demandé à la
Chambre du TIDM d’apprécier la pertinence du comportement des parties pour déterminer – selon
les termes employés dans l’affaire Tunisie/Libye  «quelle méthode de délimitation permettrait
d’aboutir à un résultat équitable»313.
154. De fait, cette distinction a été expressément reconnue dans l’arrêt Ghana/Côte d’Ivoire
(au paragraphe 470), la Chambre spéciale ayant relevé que, dans l’affaire Tunisie/Jamahiriya arabe
libyenne, il avait été demandé à la Cour de décider «[q]uels [étaient les] principes et règles du droit
international [qui] p[ouvaient] être appliqués pour la délimitation de la zone du plateau continental
et … de tenir compte des principes équitables et [des] circonstances pertinentes propres à la
région». La Chambre spéciale a fait observer que, pour sa part, elle avait considéré les
circonstances pertinentes dans le cadre d’une approche en trois étapes «en vue d’évaluer le
caractère équitable d’une ligne d’équidistance provisoire tracée lors de la première étape». Elle a
conclu expressément que «la question et l’approche de la délimitation dans l’affaire du Plateau
continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) diff[éraient] de celles retenues en l’espèce»314.
155. Troisièmement, dans l’affaire Ghana/Côte d’Ivoire, le Ghana a essentiellement fondé sa
revendication du modus vivendi sur les concessions et activités pétrolières315. En l’espèce, le Kenya
s’appuie avant tout sur les proclamations et les notifications officielles, qui revêtent une importance
particulière en droit de la mer316. Le comportement du Kenya et de la Somalie en matière de
concessions pétrolières, d’activités de pêche et de recherche scientifique marine, ne fait que
confirmer l’existence d’une frontière maritime longeant le parallèle, à laquelle il est conforme317.
156. Quatrièmement, l’argument principal de la Somalie est que, dans l’affaire Ghana/Côte
d’Ivoire, la tentative du premier de s’appuyer sur le comportement des parties en matière
d’exploration pétrolière en tant que circonstance pertinente exigeant l’ajustement de la ligne
d’équidistance provisoire était une «tentative visant à faire revivre une frontière maritime tacite, qui
311 Par. 360 «La Chambre spéciale relève que les deux Parties s’accordent, en principe, sur la méthode en trois
étapes élaborée par la jurisprudence internationale (Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 101, par. 116 et 120, et p. 103, par. 122 ; Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du
Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 67, par. 240) pour l’application de la méthode de
l’équidistance-circonstances pertinentes en la présente affaire. La Chambre spéciale suivra cette méthode
internationalement reconnue».
312 Délimitation de la frontière maritime dans l’océan Atlantique (Ghana/Côte d’Ivoire), arrêt, TIDM
Recueil 2017, par. 468 «La Chambre spéciale doit examiner si la conduite des Parties peut néanmoins être considérée
comme une circonstance pertinente exigeant l’ajustement de la ligne d’équidistance».
313 Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, par. 118, cité plus haut
(les italiques sont de nous).
314 Voir Délimitation de la frontière maritime dans l’océan Atlantique (Ghana/Côte d’Ivoire), arrêt, TIDM
Recueil 2017, par. 470.
315 Voir, par exemple, par. 112, 113, 206, 227 et 465.
316 Voir plus haut, par. 23 à 26.
317 Le chapitre 1 du contre-mémoire du Kenya expose les faits dans ses sections A à H. La pratique en matière de
concessions pétrolières est abordée dans la section F, sous-section 4.
72
- 59 -
avait été rejetée par la Chambre spéciale» et «qu’accepter cet argument, dans les faits, réduirait à
néant sa conclusion précédente sur l’existence d’un accord tacite»318.
157. Cette préoccupation ne saurait cependant être transposée à la présente espèce. Même si
la Cour devait conclure que la Somalie n’a jamais acquiescé à la frontière maritime revendiquée
par le Kenya en 1979 (quod non), il lui faudra toutefois immanquablement trancher la question de
droit distincte de savoir quelle est la méthode appropriée pour aboutir à une solution équitable. La
jurisprudence est claire : à cette fin, y compris en recherchant si la méthode en trois étapes est
appropriée ou non, la Cour devra tenir compte de tous les indices existants au sujet de la ligne ou
des lignes que les Parties elles-mêmes ont pu considérer comme équitables (voir la jurisprudence
citée au paragraphe 150 ci-dessus).
158. En la présente espèce, les Parties ont donné des indications claires quant à la frontière
maritime qu’elles ont considérée ou traitée en pratique comme équitable, à savoir le parallèle319.
Même s’ils ne constituent pas «un accord», ces indices ne sauraient être ignorés. Il ne s’agit pas là
d’«une tentative visant à faire revivre une frontière maritime tacite» qui a été rejetée (comme le
prétend la Somalie), mais plutôt un point de droit préliminaire et distinct ayant trait à la méthode de
délimitation, qui doit être tranché à l’aune des objectifs de prévisibilité et de transparence320 que la
Somalie elle-même a reconnus321.
159. A cet égard, le TIDM a souligné dans l’affaire Ghana/Côte d’Ivoire que «s’écarter, en
l’espèce, d’une méthode de délimitation qui a été la pratique presque exclusive suivie par les cours
et tribunaux internationaux ces dernières décennies serait en contradiction avec le principe de
transparence et de prévisibilité»322. En la présente espèce, toutefois, les exigences de transparence
et de prévisibilité indiquent une autre voie, compte tenu de deux éléments caractérisant la frontière
entre le Kenya et la Somalie.
160. Le premier élément est le comportement prolongé des Parties depuis au moins 1979 et
jusqu’en 2014. Comme il est expliqué dans le contre-mémoire, les objectifs de prévisibilité et de
transparence ne sauraient être atteints si deux Etats, engagés dans la délimitation d’une frontière
maritime, commencent par s’entendre sur une frontière équitable avant que l’un d’eux, peut-être en
raison d’un changement de politique ou de perception des avantages de chacun, rejette cette
frontière pour formuler une nouvelle revendication reposant sur une autre méthode. Or, c’est ce que
la Somalie a fait en la présente espèce323.
318 Par. 478.
319 Ces indications sont examinées dans le contre-mémoire du Kenya, chapitre III, section D (évoquant le
contexte régional, les proclamations de 1979 et de 2005, la demande présentée par le Kenya à la Commission des limites
du plateau continental et les autres éléments du comportement des Parties conformes à la communauté de vues de
celles-ci sur le fait que le parallèle de latitude constitue une solution équitable). Voir également le chapitre 1 de la
présente duplique.
320 «[L]a transparence et la prévisibilité du processus de délimitation dans son ensemble sont les autres objectifs à
atteindre dans le cadre de ce processus» (Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la
frontière maritime du golfe du Bengale, sentence du 7 juillet 2014, par. 339).
321 Rés, par. 3.18.
322 Par. 289.
323 CMK, par. 312.
73
- 60 -
161. Le second élément est le contexte plus large de la pratique régionale depuis 1975. La
Somalie estime, en substance, qu’il importe peu que d’autres délimitations aient été effectuées dans
la région il y a plusieurs décennies d’une manière conforme au droit international en vigueur à cette
époque324, que ces délimitations aient abouti à ce qui était et est toujours considéré comme un
résultat équitable et que cette situation soit depuis lors stable et incontestée par les Etats. Elle ajoute
qu’aujourd’hui, la jurisprudence de la Cour relative à la méthode appropriée pour parvenir à une
solution équitable a évolué et qu’elle est en droit de tirer pleinement parti de cette évolution
juridique, même au prix de l’insertion d’une frontière incongrue dans le cadre bien établi des
frontières maritimes sur la côte est-africaine de l’océan Indien, laquelle produirait une amputation
importante pour le Kenya. Ne pas tenir compte des solutions équitables établies et effectuer une
délimitation comme si celles-ci n’existaient pas serait tout à fait incompatible avec les exigences de
prévisibilité et de transparence, notamment au vu de la position adoptée par la Somalie lors des
négociations de la troisième conférence sur le droit de la mer.
C. LE PARALLÈLE ABOUTIT À UNE SOLUTION ÉQUITABLE MÊME EN APPLIQUANT
LE CRITÈRE DE PROPORTIONNALITÉ DE LA SOMALIE
162. Outre les éléments susmentionnés concernant le droit intertemporel, la pratique
régionale et le contexte géographique, une frontière maritime suivant le parallèle constitue un
résultat équitable et ce, même en appliquant le critère de proportionnalité que la Somalie invoque
elle-même.
163. La Somalie déclare que, dans son contre-mémoire, «le Kenya ne cherche même pas à
démontrer que l’application de la méthode standard [en trois étapes] aboutit au parallèle de latitude
qu’il revendique»325. Ainsi qu’il l’a clairement indiqué dans cette pièce  et qu’il le répète dans la
présente duplique , le Kenya considère qu’il n’y a pas lieu, en la présente instance, d’adopter
cette démarche. Il ne s’est donc pas intéressé, dans son contre-mémoire, à une méthode qu’il estime
inapplicable en la présente espèce d’un point de vue juridique.
164. Il est cependant faux de soutenir que le Kenya «ne critique» en rien la manière dont la
Somalie a appliqué la[dite] méthode»326, celui-ci ayant, de fait, formulé certaines critiques dans son
contre-mémoire327. Plus précisément, et comme cela est exposé plus en détail ci-après, le Kenya
fait valoir que, si l’on définit comme il se doit la zone maritime pertinente  condition
indispensable pour déterminer quelle solution produit un résultat équitable (partie 1 ci-dessous) ,
c’est le parallèle, et non la ligne d’équidistance, qui permet d’obtenir le «partage presque égal de la
324 RéS, par. 3.21 «la méthode de l’équidistance-circonstances pertinentes ne s’était pas cristallisée en droit il y a
36 ans». Voir aussi RéS, par. 3.18 évoquant «la jurisprudence de la Cour … pendant les 36 ans écoulés depuis la
signature de la convention».
325 RéS, par. 3.45.
326 Ibid. (Les italiques sont de nous.)
327 Voir CMK, par. 352, note de bas de page 506 :
«il n’est pas approprié d’appliquer en l’espèce la démarche en trois étapes invoquée par la Somalie et, en
tout état de cause, l’analyse de la Somalie à cet égard est erronée. Celle-ci présente la ligne d’équidistance
en deçà des 200 milles marins comme aboutissant à un partage plus ou moins égal des espaces maritimes
entre les deux Etats, et elle présente ce partage comme équitable (MS, vol. I, par. 6.54 à 6.58 et fig. 6.12.
Voir également, MS, vol. III, annexe 31, p. 6, où il est indiqué que la Somalie a proposé à la réunion de
mars 2014 un «partage presque égal de la zone en litige»). En fait, c’est le parallèle qui produit le
«partage presque égal» des espaces maritimes entre le Kenya et la Somalie, dont celle-ci a admis qu’il
était équitable.»
74
75
- 61 -
zone en litige»328 constituant, selon la Somalie, une délimitation équitable entre les Parties (partie 2
ci-après).
1. La zone maritime pertinente
165. L’une des étapes essentielles aux fins d’établir la zone maritime pertinente consiste à
définir la côte pertinente. Le Kenya souscrit globalement à l’approche retenue à cet effet par la
Somalie329, à cette importante réserve près que celle-ci exclut arbitrairement de la côte kényane une
section de 30 km située au sud du point Chale, qui devrait être prise en considération. Les figures
reproduites ci-après illustrent ce point : la figure 6.6, extraite du mémoire de la Somalie, représente
la côte pertinente de la Somalie ; la figure 6.7, elle-aussi tirée du mémoire, représente la côte
pertinente du Kenya avec, indiquée en rouge, la section supplémentaire de 30 km qui, selon le
Kenya, devrait être ajoutée. Mesurées suivant leur configuration naturelle, les côtes du Kenya et de
la Somalie s’étendent donc, respectivement, sur environ 511 et 733 km, soit un rapport de
1 pour 1,4.
Figure KR 2-1 : Cartes de la Somalie représentant les côtes pertinentes, faisant apparaître
la section de côte kényane exclue par celle-ci
166. Il convient de noter que le point terminal de la frontière terrestre (ci-après le «TFP»)
que le Kenya estime exact, d’un point de vue juridique, diffère de celui invoqué par la Somalie.
Selon celle-ci, le TFP à retenir est situé sur la laisse de basse mer, à 41 mètres du pilier no 29330
328 Voir plus loin, par. 174.
329 MS, par. 6.27-6.30 et fig. 6.6 et 6.7.
330 RéS, par. 3.61. Le pilier «BP 29» (pour «Boundary Pillar 29», est également désigné «balise principale no 29»
(voir CMK, par. 30).
76
- 62 -
alors que, de l’avis du Kenya, il correspond précisément à ce pilier331. La position du Kenya est
conforme à l’accord auquel sont parvenues les Parties (à la réunion qu’elles ont tenue en mars
2014) sur le fait que leur frontière maritime devait partir du pilier no 29332. Pour ce qui est de
l’emplacement de celui-ci, la Somalie accepte de retenir les coordonnées proposées par le Kenya333,
lesquelles ont été établies à partir de levés réels334.
167. S’agissant de la détermination de la zone pertinente, le Kenya se propose, dans les
paragraphes qui suivent, 1) de rappeler la méthode  erronée  que la Somalie emploie à cette fin
(voir figure KR 2-2 ci-après), 2) de présenter la méthode qu’il convient de retenir, 3) d’établir la
zone pertinente par application de celle-ci (voir figure KR 2-4 ci-après) et 4) de comparer la zone
pertinente ainsi obtenue à celle avancée par la Somalie, en mettant en évidence la différence
importante qui en résulte (voir figure KR 2-5 ci-après).
168. Le Kenya ne souscrit pas à la méthode adoptée par la Somalie, qui consiste à établir les
zones dans lesquelles les droits potentiels se chevauchent tout en faisant abstraction de la partie
septentrionale de la côte qu’elle a elle-même définie comme constituant sa côte pertinente335. La
démarche suivie par la Somalie est illustrée par les figures 6.8 et 6.9 de son mémoire ; celles-ci sont
reproduites ci-après pour des raisons de commodité, complétées de la côte pertinente établie par la
Somalie.
331 Voir CMK, conclusions, point 2 («la frontière maritime entre la Somalie et le Kenya dans l’océan Indien suit
le parallèle situé par 1° 39' 43.2'' de latitude sud, à partir de la balise principale n o29 (située par 1° 39' 43,2" de latitude
sud) jusqu’à la limite extérieure du plateau continental»).
332 MS, vol. III, annexe 31, p. 3 : «au terme de leurs discussions, les délégations sont convenues d’utiliser le pilier
n°29 tel que mentionné dans le traité anglo-italien de 1924 comme point de départ aux fins exclusives d’établir une
frontière maritime en attendant confirmation des coordonnées». Voir également MS, vol. III, annexe 24, p. 2 :
«les parties sont convenues que le point de départ constitué par le point terminal de la frontière terrestre
entre les deux Etats était le pilier no 29, tel que mentionné dans le traité anglo-italien de 1933 établissant
la frontière entre ceux-ci. La délégation somalienne a déclaré que le fait qu’elle consente au choix du
pilier no 29 comme point terminal de la frontière terrestre ne reflétait ni explicitement ni implicitement la
position du Gouvernement somalien concernant le traité anglo-italien de 1933.»
333 RéS, par. 3.51.
334 CMK, par. 30 ; ibid., annexe 40. L’écart entre les coordonnées proposées par chacune des Parties lors du
premier tour de plaidoiries était minime, et n’était pas lié à l’«imprécision de la géo-rectification d’images satellitaires
différentes» (RéS, par. 3.51), le Kenya ayant utilisé à cet effet des données directement obtenues par levé (voir CMK,
note de bas de page 26).
335 MS, chap. 6, sect. II, partie C) et fig. 6.8 et 6.9.
77
- 63 -
Figure KR 2-2 : Cartes de la Somalie représentant la zone pertinente et les côtes pertinentes
169. Contrairement à la méthode illustrée sur les cartes de la Somalie, il convient de
déterminer la zone maritime en cause à partir des projections des côtes pertinentes336. La Somalie
reconnaît que «deux affaires ont déjà été jugées qui, de même que la présente affaire, portaient sur
la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins : Bangladesh/Myanmar et
Bangladesh c. Inde»337. Le TIDM et le tribunal d’arbitrage ont, dans ces deux affaires, retenu la
zone résultant des projections des côtes pertinentes. Dans Bangladesh/Myanmar, le TIDM a ainsi
relevé, au paragraphe 489 de son arrêt, que «la zone maritime pertinente aux fins de la délimitation
de la zone économique exclusive et du plateau continental entre le Bangladesh et le Myanmar
[était] celle qui résult[ait] de la projection des côtes pertinentes des Parties».
170. De même, en l’affaire Bangladesh c. Inde, le tribunal arbitral constitué en application
de l’annexe VII de la CNUDM a indiqué, au paragraphe 306 de sa sentence, que, «[a]yant établi ce
qu’il estim[ait] être les côtes pertinentes, [il] n’a[vait] plus qu’à définir la zone résultant de la
projection de ces côtes».
171. Les figures reproduites ci-après représentent les projections des côtes pertinentes
retenues, respectivement, par le TIDM en l’affaire Bangladesh/Myanmar et par le tribunal arbitral
en l’affaire Bangladesh c. Inde.
336 Voir Fietta et Cleverly, A Practitioner’s Guide to Maritime Boundary Delimitation, p. 599-600 et 49-50.
337 MS, par. 6.35.
78
79
- 64 -
Figure KR 2-3 : Les zones pertinentes dans les affaires Bangladesh/Myanmar (gauche) et
Bangladesh c. Inde (droite)
172. Si l’on applique la même logique à la présente espèce, la zone pertinente se trouve
définie comme suit (telle que représentée sur la figure KR 2-4 ci-après) :
a) à l’ouest, elle est bornée par les côtes du Kenya et de la Somalie, à partir de la ville kényane de
Ras Wasin au sud, en passant par le point terminal de la frontière terrestre, et jusqu’au
promontoire somalien de Gees Washikh au nord ;
b) au nord, elle est circonscrite par une ligne droite perpendiculaire à la côte tracée entre
Gees Washikh, qui marque l’extrémité de la côte pertinente, et la limite du plateau continental ;
c) à l’est, elle est bordée par la limite du plateau continental telle que soumise par la Somalie à la
Commission des limites du plateau continental le 21 juillet 2014 ;
d) au sud, elle est circonscrite par la frontière convenue entre le Kenya et la Tanzanie.
80
- 65 -
Figure KR 2-4 : La zone pertinente à retenir
173. La figure KR 2-5 ci-après, sur laquelle la zone maritime pertinente est comparée à celle
qu’invoque la Somalie, met en évidence l’écart important entre ces deux solutions, la seconde
aboutissant manifestement à étendre au maximum la zone pertinente du Kenya et à restreindre celle
de la Somalie.
- 66 -
Figure KR 2-5 : Portion de la zone pertinente exclue par la Somalie
2. Le critère de proportionnalité préconisé par la Somalie
174. Ainsi que cela est exposé plus en détail ci-après, la Somalie prétend que la ligne
d’équidistance génère un partage à peu près égal de la zone maritime entre elle et le Kenya, et que
ce partage constitue une délimitation équitable. Cette position, fondée sur son argument relatif au
critère de proportionnalité, reprend la proposition que la Somalie a formulée lors de la réunion de
mars 2014 (soit peu avant le dépôt de sa requête devant la Cour), selon laquelle une ligne
bissectrice «produi[sait] un partage presque égal de la zone en litige»338. Or, lorsque la zone
pertinente est correctement définie, la thèse du «partage presque égal» s’effondre. Ainsi qu’il est
exposé ci-après, c’est en effet le parallèle (et non la ligne d’équidistance) qui se rapproche le plus
de la ligne produisant le partage égal des espaces maritimes entre les Parties, qui constitue, selon la
Somalie, une solution équitable.
a) Délimitation de la ZEE et du plateau continental en deçà de 200 milles marins
175. Examinant, dans son mémoire, la délimitation de la ZEE et du plateau continental en
deçà de 200 milles marins, la Somalie affirme :
«Diviser la zone où les droits des parties se chevauchent en deçà de 200 M au
moyen de la ligne d’équidistance provisoire produit une répartition de 103 627 km²
(48,5 %) pour la Somalie et 110 236 km² (51,5 %) pour le Kenya ; un ratio de 0,94:1
en faveur du Kenya. Ceci est illustré dans la figure 6.12 … [L]a Somalie soutient
respectueusement que la frontière maritime entre la Somalie et le Kenya dans la ZEE
338 MS, vol. III, annexe 31, p. 6.
81
82
- 67 -
et sur le plateau continental en deçà de 200 M devrait être fondée sur une ligne
d’équidistance. Une telle ligne produit la solution équitable requise par la loi.»339
176. La figure 6.12, reproduite ci-après à des fins de commodité, montre que le partage
préconisé par la Somalie, qui attribuerait 48,5 % à celle-ci et 51,5 % au Kenya, découle du fait que
la zone pertinente est incorrectement définie comme correspondant à la zone de chevauchement des
droits.
339 Voir MS, par. 6.56 et 6.58 (les italiques sont de nous). Ces chiffres sont repris dans la réplique de la Somalie,
au paragraphe 3.95.
- 68 -
Figure KR 2-6 : Carte de la Somalie représentant un partage «équitable» de sa version
de la zone pertinente en deçà de 200 milles marins
83
- 69 -
177. De fait, lorsque l’on définit comme il se doit la zone pertinente, à savoir par projection
des côtes pertinentes, ainsi que le prescrit le droit international, il est évident que c’est le parallèle
(et non la ligne d’équidistance) qui est le plus à même de produire le «partage presque égal» des
espaces maritimes entre le Kenya et la Somalie, lequel constitue, selon celle-ci, une solution
équitable. Ce point est clairement exposé dans le contre-mémoire du Kenya340 et illustré par les
deux figures ci-après.
178. La figure KR 2-7 représente le partage de la zone pertinente en deçà de 200 milles
marins de la côte, telle que dûment définie, effectué à l’aide de la ligne d’équidistance proposée par
la Somalie. Aboutissant à une répartition à hauteur de 68 % pour la Somalie et 32 % pour le Kenya,
cette ligne ne produit pas le «partage presque égal» qui constitue, selon celle-ci, une délimitation
équitable. Sur la figure KR 2-8, en revanche, la zone pertinente en deçà de 200 milles marins est
partagée en suivant le parallèle. Le résultat obtenu  55 % pour la Somalie et 45 % pour le
Kenya  se révèle en fait plus favorable à la Somalie que la répartition à hauteur de 48,5 % et
51,5 % que celle-ci présente comme étant une solution équitable (voir figure KR 2-6 ci-dessus).
Figure KR 2-7 : Partage de la zone pertinente en deçà de 200 milles marins suivant la ligne
d’équidistance
340 Par. 352, note de bas de page no 506.
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- 70 -
Figure KR 2-8 : Partage de la zone pertinente en deçà de 200 milles marins suivant le parallèle
b) Délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins
179. Le caractère équitable d’une frontière maritime suivant le parallèle est encore plus
manifeste lorsque l’on prend en considération le plateau continental étendu aux fins de définir la
zone maritime pertinente.
180. Concernant la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins, la
Somalie affirme :
«Tel qu’illustré dans la figure 7.9 (après la page 124), une frontière entre la
Somalie et le Kenya basée sur l’équidistance et prenant en compte la ligne de
délimitation résultant de l’accord entre le Kenya et la Tanzanie accorderait au Kenya
41 % de la zone pertinente (y compris quelque 16 700 km² au-delà de 200 milles
marins) et 59 % à la Somalie.»341
181. S’il ne s’agit pas exactement du partage égal invoqué en ce qui concerne la délimitation
en-deçà de 200 milles marins, cette solution est néanmoins présentée par la Somalie comme une
solution équitable.
182. La figure 7.9, reproduite ci-après pour des raisons de commodité, montre que le partage
accordant 41 % au Kenya et 59 % à la Somalie découle, là encore, du fait que la zone pertinente est
erronément définie comme correspondant à la zone de chevauchement des droits (telle que
représentée par la Somalie sur la figure 7.4 de son mémoire).
341 MS, par. 7.58. Ces chiffres sont repris dans la réplique de la Somalie, au paragraphe 3.96.
86
- 71 -
Figure KR 2-9 : Carte de la Somalie représentant un partage «équitable» de sa version
de la zone pertinente englobant la partie située au-delà de 200 milles marins
183. Or, si l’on retient la bonne définition de la zone pertinente (à savoir, la zone résultant de
la projection des côtes pertinentes, et non la zone de chevauchement des droits), il est, là encore,
manifeste que c’est le parallèle (et non la ligne d’équidistance) qui produit le «partage presque
égal» des espaces maritimes entre le Kenya et la Somalie que celle-ci a reconnu comme équitable.
Les deux figures ci-après en offrent une illustration. La figure KR 2-10 représente la zone
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- 72 -
pertinente au-delà de 200 milles marins partagée suivant la ligne d’équidistance proposée par la
Somalie. Elle aboutit à une répartition de 75 % contre 25 %, en faveur de la Somalie. La
figure KR 2-11, qui illustre quant à elle le partage de la zone pertinente au-delà de 200 milles
marins suivant le parallèle, produit une répartition de 51 % contre 49 %, également en faveur de la
Somalie. Ainsi, selon le propre critère de cette dernière, lorsque la zone maritime pertinente est
dûment définie, c’est le parallèle qui produit une frontière maritime constituant une solution
équitable.
Figure KR 2-10 : Partage de la zone pertinente, y compris la partie située
au-delà de 200 milles marins, suivant la ligne d’équidistance
Figure KR 2-11 : partage de la zone pertinente, y compris la partie située
au-delà de 200 milles marins, suivant le parallèle
89
- 73 -
184. Les deux figures ci-dessus confirment que le parallèle n’a qu’une incidence assez faible
sur les espaces maritimes auxquels la Somalie peut prétendre342. La différence pour celle-ci est de
129 900 km², soit 33 % de sa zone maritime pertinente et seulement 10 % de son espace maritime
total. En revanche, si la ligne d’équidistance était adoptée, cela entraînerait pour le Kenya une
différence de 129 900 km², ce qui représente 50 % de sa zone maritime pertinente, mais également
50 % de son espace maritime total343.
185. Dans son contre-mémoire344, le Kenya a exposé que, si l’on considère la longueur totale
de la côte de la Somalie (1890 km, mesurée par lignes droites jusqu’à la corne de l’Afrique, ou
2119 km, mesurée selon sa configuration naturelle), et la mer territoriale et la ZEE de celle-ci
(702 900 km2), et si on les compare à la côte du Kenya (420 km par lignes droites ou 511 km selon
sa configuration naturelle) et à la mer territoriale et la ZEE de celui-ci (110 900 km2), une
disproportion marquée apparaît entre les longueurs de côte des deux Etats et les portions de la zone
pertinente attribuées à chacun d’eux. L’espace attribué à la Somalie par kilomètre de côte est
nettement supérieur à celui qu’obtient le Kenya (le rapport est de 371 pour le demandeur
contre 262 pour le défendeur (lignes droites), ou de 331 contre 224 (configuration naturelle)). De
fait, celui-ci disposerait des espaces maritimes les moins étendus, par kilomètre de côte, des quatre
Etats d’Afrique de l’Est bordant l’océan Indien, les plus avantagés en la matière étant les deux
Etats «extérieurs» dans la concavité que forme la côte de l’Afrique de l’Est sur cet océan345.
186. La Somalie rejette l’argument avancé à cet égard par le Kenya en le qualifiant de «pure
invention»346, sans pour autant contester les faits sur lesquels il repose. Aussi le Kenya fait-il valoir
que la disparité marquée des résultats obtenus selon la ligne de délimitation appliquée doit être
prise en considération pour atteindre l’objectif d’une solution équitable ; ce facteur explique
clairement pourquoi, en 1979, le Kenya  et, implicitement, la Somalie  a considéré que le
parallèle était une solution équitable.
D. CONCLUSION
187. Aux fins de procéder à la délimitation en la présente espèce, la Cour, plutôt que
d’appliquer automatiquement la méthode en trois étapes «équidistance-circonstances pertinentes»
préconisée par la Somalie, doit tenir compte du fait que les Parties ont, au moins de 1979 à 2014,
considéré que la frontière maritime suivant le parallèle constituait une délimitation équitable. Le
Kenya a adopté le parallèle en 1979 parce que celui-ci aboutissait à une délimitation équitable et
conforme au droit international applicable. Cela s’inscrivait dans le droit fil de la position
clairement exprimée par la Somalie à la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la
mer, selon laquelle les dispositions pertinentes de la CNUDM ne devaient pas mentionner la
méthode de l’équidistance aux fins de la délimitation de la ZEE ou du plateau continental, laquelle
devait être fondée sur une solution équitable.
342 Cet argument a été avancé aux paragraphes 349 à 351 du contre-mémoire du Kenya. Au paragraphe 3.86 de sa
réplique, la Somalie répond que le calcul doit être fondé sur la côte pertinente et la zone pertinente ; cela est sans
incidence sur l’argument fondamental du Kenya, ainsi qu’il est illustré par les figures contenues dans le présent document
(qui reposent sur la côte et la zone pertinentes).
343 L’espace maritime du Kenya est intégralement compris dans la zone pertinente.
344 CMK, par. 352.
345 Ibid.
346 RéS, par. 3.91.
90
91
- 74 -
188. Il convient en outre que la Cour effectue la présente délimitation en tenant compte du
contexte géographique régional et de la pratique des Etats, notamment en ce qui concerne
l’utilisation de parallèles en tant que frontières maritimes par d’autres Etats d’Afrique de l’Est
bordant l’océan Indien, c’est-à-dire en ayant à l’esprit les accords de délimitation maritime que la
Tanzanie a signés avec, respectivement, le Kenya et le Mozambique.
189. En tout état de cause, à l’aune du critère d’un «partage presque égal» de la zone
maritime pertinente  critère établi par la Somalie elle-même pour définir une solution
équitable , c’est toutefois le parallèle (et non la ligne d’équidistance) qui produit ce résultat
lorsque la zone maritime en question est dûment définie.
190. Ainsi, indépendamment de l’acquiescement de la Somalie, la frontière maritime suivant
le parallèle constitue une solution équitable.
- 75 -
CHAPITRE III
RÉFUTATION DES ALLÉGATIONS RELATIVES À L’EXERCICE D’ACTIVITÉS ILLICITES
DANS LA ZONE LITIGIEUSE
191. Le présent chapitre porte sur les allégations de la Somalie selon lesquelles le Kenya se
serait livré à des activités illicites dans la zone litigieuse.
192. Dans sa réplique, le demandeur maintient ce qu’il a affirmé dans son mémoire, à savoir
que le Kenya est responsable «d’actes illicites dans la zone maritime en litige»347. Or, d’un point de
vue factuel (section A), la Somalie ayant acquiescé à la frontière maritime suivant le parallèle
depuis la proclamation du Kenya de 1979, elle n’est manifestement pas parvenue à établir qu’il
existait une «zone maritime litigieuse» avant 2014, lorsqu’elle a revendiqué pour la première fois
une ligne d’équidistance. Comme cela a été exposé ci-dessus348, l’existence d’un «différend» exige
en effet que la revendication d’une partie se heurte à «l’opposition manifeste» de l’autre349. En
outre, à l’exception d’un unique forage exploratoire en 2007 (contre lequel la Somalie n’a jamais
protesté), le Kenya n’a, depuis 2014, mené dans la zone maritime litigieuse que des activités de
nature transitoire.
193. Du point de vue du droit international applicable (section B), la Somalie emploie, pour
apprécier les activités unilatérales en cause, un critère erroné qui ne tient pas compte de la
jurisprudence de la Cour. Premièrement, elle passe sous silence le fait qu’elle a, après que le
différend relatif à la frontière maritime se fut cristallisé en 2014, rejeté les offres du Kenya tendant
à conclure des arrangements provisoires de caractère pratique conformément aux paragraphes 3 des
articles 74 et 83 de la CNUDM, mettant ainsi fin à toutes les activités de prospection dans la zone.
De plus, contrairement à l’interprétation arbitraire qu’en fait la Somalie, les paragraphes 3 des
articles 74 et 83 de la CNUDM ne prescrivent nullement de cesser toute activité dans les zones
litigieuses, notamment les activités transitoires qui n’entraînent pas de changement physique
permanent. En conséquence, toutes les activités du Kenya ayant soudainement été interrompues
après trente-cinq ans d’acquiescement, la demande d’indemnisation de la Somalie est tout à fait
infondée (section C). C’est en réalité le Kenya qui a subi un préjudice et un manque à gagner
substantiels en raison du comportement de la Somalie.
A. LES FAITS EXACTS CONCERNANT LA «ZONE LITIGIEUSE»
ET LES ACTIVITÉS DU KENYA
194. Comme cela a été exposé dans le contre-mémoire et au chapitre I de la présente
duplique, la Somalie a, entre 1979 et 2014, acquiescé à une frontière maritime suivant le parallèle.
Le Kenya lui avait officiellement et à maintes reprises notifié sa position pendant trente-cinq ans
avant qu’elle n’élève sa première protestation officielle en 2014, l’année même où elle a
revendiqué pour la première fois une frontière maritime fondée sur l’équidistance. Il n’existait donc
aucune «zone litigieuse» avant 2014, aucun différend ne s’étant jusqu’alors cristallisé.
347 RéS, chapitre 4.
348 Voir ci-dessus, par. 81.
349 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c.
Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 32-33, par. 73.
92
93
- 76 -
195. Dans sa réplique, la Somalie affirme que le Kenya «sa[vait]», depuis la «fin des
années 1970», qu’elle revendiquait une ligne d’équidistance350. Comme cela est exposé au
chapitre I, cette assertion est totalement infondée. Dans sa réplique, la Somalie affirme également
que, «[d]ans la mesure où les activités du Kenya ont eu lieu dans une zone située du côté somalien
de la frontière, ces activités ont porté atteinte à la souveraineté (sur la mer territoriale) et aux droits
souverains (sur la ZEE/ le plateau continental) de la Somalie»351. Cette affirmation ne tient pas
compte de son acquiescement prolongé au parallèle, en ce compris l’exercice incontesté par le
Kenya de sa juridiction sur ce qui constitue désormais la zone maritime litigieuse. De fait, en
l’absence de tout différend relatif à la frontière maritime avant 2014, la Somalie n’explique pas
comment le Kenya aurait pu raisonnablement se demander s’il menait ses activités «du côté
somalien de la frontière».
196. Les activités «illicites» que la Somalie attribue au Kenya sont antérieures à la
cristallisation du différend en 2014352. La seule exception est l’annonce d’un forage exploratoire
pour 2015 faite par Anadarko Kenya Corporation, qui, comme la Somalie le concède, «n’indique
pas l’endroit exact où ce forage [devait être] réalisé»353. Ainsi que le Kenya l’a précisé dans son
contre-mémoire, rien ne démontre que le site de forage se trouvait dans la «zone maritime
litigieuse» et, de fait, le forage en question n’a jamais été réalisé354. La Somalie  à laquelle il
incombe de démontrer l’existence d’un manquement à l’alinéa 3 de l’article 83  se contente de
répondre que «[l]e déni contredit le communiqué de presse de Total annonçant que des forages de
prospection sont prévus»355. En réalité, ce communiqué de presse ne contient aucune mention du
forage. Seule l’annonce d’Anadarko fait référence à un forage «prévu pour 2015»356.
197. Le président-directeur général de la National Oil Corporation of Kenya a confirmé par
écrit qu’il n’existait «aucune information substantielle concernant quelque forage que ce soit en
2015»357. Dans la même lettre, il est expliqué que deux puits ont été creusés dans les blocs L7
(Kubwa-I) et L11B (Kiboko-I) en 2013, en des lieux éloignés de la zone litigieuse358 et avant que
celle-ci n’existe en tant que telle à partir de 2014.
198. Les «éléments de preuve supplémentaires» invoqués par la Somalie n’étayent pas non
plus son argumentation. Dans l’exposé qu’il a présenté en 2011, le commissaire à l’énergie
pétrolière du Kenya a fait référence à une étude sismique et au forage du puit Pomboo-1 par
Woodside en 2007, ce qui, comme cela est relevé dans le contre-mémoire, est antérieur à 2014359.
En outre, ce forage était de notoriété publique et avait fait l’objet de discussions à l’Assemblée
nationale du Kenya ; de son propre aveu, la Somalie ne s’y est d’ailleurs jamais opposée360. Il
350 RéS, par. 4.12.
351 RéS, par. 4.15.
352 CMK, par. 376.
353 MS, vol. I, par. 8.22.
354 CMK, par. 376 c).
355 RéS, note de bas de page 263 dans laquelle est citée l’annexe 102 du mémoire de la Somalie.
356 MS, annexe 126.
357 Lettre en date du 11 octobre 2018 adressée à l’Attorney-General du Kenya par Mme Mary Jane Mwangi,
président-directeur général de la National Oil Corporation of Kenya, annexe 8.
358 Voir MS, fig. 8.1.
359 CMK, par. 376 b).
360 MS, vol. I, par. 8.21 ; RéS, par. 4.3.
94
- 77 -
s’agirait plutôt d’un exemple supplémentaire de l’acquiescement, par le demandeur, à la frontière
maritime revendiquée par le Kenya.
199. La Somalie insiste également beaucoup sur un accord conclu entre la National Oil
Corporation of Kenya et WesternGeco accordant des droits exclusifs sur les données provenant
d’études sismiques 2D. Cet accord ne vient pas non plus étayer son argumentation, celle-ci
reposant sur une série d’affirmations inexactes :
a) Premièrement, la Somalie cite un projet d’accord de 2013361. Le Kenya a annexé l’accord
définitif à la présente duplique362.
b) Deuxièmement, l’accord est antérieur à l’apparition de la «zone litigieuse» en 2014.
c) Troisièmement, les études sismiques prévues dans l’accord sont transitoires et constituent donc
des activités licites (même dans des zones maritimes litigieuses) n’entraînant pas de
changement physique permanent (voir les paragraphes 204 et 205 ci-après).
d) Quatrièmement, la Somalie soutient à tort que les grilles de levés des cartes jointes au projet
d’accord «montrent toutes les lignes revendiquées par la Somalie et le Kenya»363. La carte 1364
représente des blocs et des grilles de levés mais aucune ligne d’équidistance ; la carte 2365
représente les mêmes blocs et grilles, une ligne étant ajoutée qui pourrait être la ligne
d’équidistance. Cette ligne ne vise cependant qu’à faire la distinction entre la phase I de
l’acquisition sismique 2D de WesternGeco et la «zone à déterminer» après achèvement de la
phase I lors de la phase II de l’acquisition sismique 3D366. Il ne s’agit assurément pas d’une
représentation des frontières maritimes revendiquées, comme l’affirme la Somalie.
e) Cinquièmement, la Somalie indique que la clause 3.8 du projet d’accord oblige la National Oil
Corporation of Kenya et WesternGeco à lui demander son consentement pour procéder à des
études367. En réalité, la clause 3.8, que ce soit dans le projet d’accord ou dans sa version finale,
ne fait nulle mention de la Somalie ; il y est simplement fait référence en des termes généraux
aux «eaux relevant de la juridiction exclusive revendiquée par un Etat autre que le Kenya». La
clause contenue dans le projet d’accord indique que WesternGeco «ne sera pas contraint de
pénétrer dans des eaux territoriales litigieuses ou dans les eaux d’un autre Etat». De surcroît, la
clause 3.8 de l’accord final ne reprend aucun de ces termes368. En tout état de cause, les cartes 1
et 2 (réplique de la Somalie, figure R4.1) montrent toutes deux des études sismiques jusqu’au
parallèle, confirmant que cette zone n’était pas considérée comme litigieuse avant 2014.
f) Sixièmement, la Somalie se réfère également à la clause 8.3, qui prévoit une procédure en cas de
différends frontaliers maritimes369. Cela indique tout simplement qu’il existait une procédure en
361 RéS, annexe 27.
362 Accord entre la National Oil Corporation of Kenya et Schlumberger Offshore Services Limited (ou
WesternGeco), octobre 2013, annexe 3.
363 RéS, par. 4.5.
364 RéS, annexe 27, appendice 1.
365 RéS, annexe 27, appendice 1 et fig. R4.1.
366 RéS, annexe 27, appendice 1, carte 2.
367 RéS, par. 4.6-4.7.
368 Accord entre la National Oil Corporation of Kenya et Schlumberger Offshore Services Limited (ou
WesternGeco), octobre 2013, annexe 3.
369 RéS, par. 4.6-4.7. Le libellé de la clause 8.3 de l’accord final est quelque peu différent, mais ces divergences
ne concernent pas les termes mis en évidence par la Somalie.
95
- 78 -
vigueur à appliquer dans le cas d’un différend futur, et non que pareil différend existait au
moment de la conclusion de l’accord.
g) Septièmement, la Somalie affirme qu’elle s’est «opposée à plusieurs reprises» aux activités en
cause, mais les seuls éléments de preuve qu’elle produit sont des lettres qu’elle a adressées à
certaines compagnies pétrolières autres que WesternGeco (et non au Kenya), et ce, uniquement
entre avril et septembre 2014, soit après la naissance du différend370. La Somalie soutient en
outre qu’elle a «fait directement part au Kenya de ses inquiétudes concernant l’incidence
néfaste de ces activités sur les négociations en cours», mais la note de bas de page en question
renvoie simplement à un paragraphe du mémoire dans lequel le demandeur indiquait avoir pris
la décision d’introduire une instance devant la Cour en août 2014 et à un article de presse de
l’agence Reuters de 2012 ; or, aucun de ces éléments n’établit que la Somalie aurait fait part
«directement» (ou même indirectement) de ses inquiétudes au Kenya ni, a fortiori, qu’elle
aurait protesté contre ces activités371.
200. Le demandeur invoque également trois autres sources qui démontrent, au mieux,
l’existence de tensions entre les Parties, mais pas d’un différend relatif à la frontière maritime. Le
rapport de 2013 du Groupe de contrôle pour la Somalie de l’Organisation des Nations Unies ne fait
référence qu’à «la persistance d’une ligne de démarcation perpendiculaire contestée», «pou[vant]
contribuer à générer de nouveau de l’animosité entre les Gouvernements somalien et kényan»372. Il
n’y est pas fait mention de la moindre protestation de la Somalie ni de la moindre revendication
concurrente d’une ligne d’équidistance. La référence aux tensions entre les Parties contenue dans le
rapport du Groupe de contrôle pour la Somalie daté de 2016 (soit deux ans après que le différend
s’est fait jour en 2014) n’étaye pas l’affirmation du demandeur selon laquelle les activités
transitoires étaient «illicites»373. De même, dans son rapport de 2014, le Heritage Institute for
Policy Studies, basé à Mogadiscio, ne mentionne la «volonté [du Kenya] d’avoir des activités de
prospection et d’exploitation d’hydrocarbures à court terme» que comme «ajoutant encore à la
complexité de la situation»374.
201. Ces faits montrent que l’affirmation de la Somalie selon laquelle les activités du Kenya
étaient illicites est totalement infondée. Ils confirment plutôt les éléments de preuve présentés au
chapitre 1, qui démentent l’existence d’une zone maritime litigieuse entre les Parties avant 2014.
B. LE CRITÈRE JURIDIQUE DEVANT ÊTRE APPLIQUÉ POUR APPRÉCIER LA LICÉITÉ
DES ACTIVITÉS MENÉES DANS LA «ZONE LITIGIEUSE»
202. S’agissant du régime applicable aux zones maritimes litigieuses, l’interprétation par la
Somalie de la portée des paragraphes 3 des articles 74 et 83 de la CNUDM n’est pas conforme à la
jurisprudence des cours et tribunaux internationaux. Les Parties conviennent que, comme cela a été
indiqué dans l’affaire Ghana/Côte d’Ivoire, le paragraphe 3 de l’article 83 de la convention «met
deux obligations connexes à la charge des Etats concernés, à savoir de faire tout leur possible «pour
370 RéS, par. 4.9 et note de bas de page 273, dans laquelle sont cités les paragraphes 8.20, 8.23, 8.24 et 8.27 du
mémoire de la Somalie.
371 RéS, par. 4.9 et note de bas de page 274, dans laquelle est citée l’annexe 107 du mémoire de la Somalie ; voir
ci-dessus, par. 32.
372 RéS, par. 4.21.
373 RéS, par. 4.22.
374 RéS, par. 4.23. L’indépendance de l’Institut peut-être mise en cause compte tenu de ses liens étroits avec le
gouvernement. Son directeur exécutif a été «chef de cabinet adjoint au bureau du premier ministre, secrétaire du conseil
des ministres, directeur de communication de la présidence, conseiller auprès du premier ministre et du ministre chargé
des travaux publics et de la reconstruction», accessible à l’adresse suivante : http://www.heritageinstitute.org/staff/.
96
97
- 79 -
conclure des arrangements provisoires de caractère pratique» et «pour ne pas compromettre ou
entraver pendant cette période de transition la conclusion de l’accord définitif»»375. La Somalie se
fourvoie cependant à plusieurs égards quant à la portée et à l’application de cette disposition.
203. Premièrement, la Somalie soutient que la première obligation, qui consiste pour les
Parties à faire tout leur possible pour conclure des arrangements provisoires, «n’est pas en cause
dans la présente affaire»376. Cela est erroné. Selon le demandeur, la proposition du Kenya tendant à
conclure des arrangements pratiques en vue de la prospection et de l’exploitation de la zone
litigieuse «n’est pas pertinente» car elle date de 2016, soit deux ans après le dépôt de la requête377.
La Somalie en conclut que cette offre «ne peut remédier à l’absence de proposition équivalente, en
2000 ou après»378. A cet égard, il convient de relever qu’elle fait à présent remonter la naissance du
différend à 2000, et non plus à la «fin des années 1970»379, même si elle ne dispose d’aucun
élément de preuve pour étayer l’une ou l’autre date. En outre, si le Kenya a offert à la Somalie de
conclure avec elle des arrangements provisoires en 2016 c’est précisément parce qu’il n’existait
aucune zone maritime litigieuse avant 2014 et, partant, aucune obligation au titre des paragraphes 3
des articles 74 et 83 de la CNUDM. En rejetant sommairement les efforts du Kenya, la Somalie n’a
donc pas respecté l’obligation incombant aux Parties de faire «tout leur possible» pour conclure des
arrangements provisoires de caractère pratique.
204. Deuxièmement, s’agissant de l’obligation de «ne pas compromettre ou entraver … la
conclusion de l’accord définitif», le demandeur soutient que ce membre de phrase doit être lu de
manière extrêmement large, de sorte que «les activités unilatérales menées dans une zone en litige
ne so[ient] pas jugées exclusivement sur la base de leurs effets physiques mais également en
fonction de leurs effets probables sur la conclusion d’un accord définitif»380. Sur cette base, la
Somalie affirme que des «actes non invasifs, tels que des études sismiques, peuvent être
provocateurs et incendiaires»381. Le critère proposé par le demandeur est contraire à la
jurisprudence établie par la Cour dans l’affaire du Plateau continental de la mer Egée en ce qui
concerne les activités de «caractère temporaire»382, jurisprudence que le Tribunal constitué en
application de l’annexe VII a invoquée plus récemment dans l’affaire Guyana c. Suriname pour
conclure que les activités «qui n’entraînent pas de changement physique du milieu marin» sont
conformes au paragraphe 3 de l’article 83 de la CNUDM383 et «d[oivent donc] être autorisée[s]»384.
205. La Somalie répond que l’affaire Guyana c. Suriname «ne constitue pas une jauge
absolue pour déterminer si l’article 83 3) est respecté»385. Or, l’affaire Ghana/Côte d’Ivoire sur
375 Délimitation de la frontière maritime dans l’océan Atlantique (Ghana/Côte d’Ivoire), arrêt,
TIDM Recueil 2017, p. 182, par. 626 ; CMK, par. 365 et RéS, par. 4.17.
376 RéS, par. 4.17.
377 RéS, par. 4.17.
378 RéS, par. 4.17.
379 Voir RéS, par. 4.12.
380 RéS, par. 4.20 (les italiques sont de nous).
381 RéS, par. 4.20.
382 Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), mesures conservatoires, ordonnance du
11 septembre 1976, C.I.J. Recueil 1976, p. 10, par. 30.
383 Sentence arbitrale relative à la délimitation de la frontière maritime entre le Guyana et le Surinam, Sentence
du 17 septembre 2007, Recueil des sentences arbitrales, vol. XXX, par. 467.
384 Sentence arbitrale relative à la délimitation de la frontière maritime entre le Guyana et le Surinam, Sentence
du 17 septembre 2007, Recueil des sentences arbitrales, vol. XXX, par. 467-468 et 481.
385 RéS, par. 4.20.
98
- 80 -
laquelle elle s’appuie abondamment va encore plus loin que l’affaire Guyana c. Suriname. Au
cours de la phase relative aux mesures conservatoires, la Chambre spéciale du Tribunal
international du droit de la mer a ainsi, dans son ordonnance, rejeté la demande de la Côte d’Ivoire
tendant à ce que le Ghana suspende toutes ses activités, se contentant de dire que les parties
devaient veiller à ce «qu’aucun nouveau forage ne soit effectué par lui ou sous son contrôle dans la
zone litigieuse»386. En réalité, au cours de la période qui s’est écoulée entre ladite ordonnance et
l’arrêt définitif, le Ghana a procédé à des activités de forage  il a même creusé un nouveau puits
dans le champ TEN , la Chambre ayant tout simplement jugé qu’il s’agissait d’«activités en
cours … pour lesquelles des forages [avaient] déjà été effectués» conformément à l’ordonnance en
prescription de mesures conservatoires387. Ainsi, à la différence de l’affaire Guyana c. Suriname, le
Tribunal a jugé, dans l’affaire Ghana/Côte d’Ivoire que, quand les circonstances l’exigent, même
les activités causant un «changement physique sur le milieu marin» devaient être autorisées.
206. Troisièmement, au regard du droit applicable, le Kenya a eu un comportement
exemplaire et est allé au-delà des obligations que lui impose le paragraphe 3 de l’article 83 en ce
qui concerne le plateau continental. Rappelons que, dans sa lettre datée du 27 mai 2016, l’Attorney
General du Kenya a été jusqu’à indiquer que, «[m]ême si les activités de prospection de nature
transitoire n[’étaient] pas susceptibles de causer un préjudice irréparable à la Somalie, le Kenya
a[vait] suspendu temporairement toutes ses activités dans la ZEE litigieuse». Il y a joint une lettre
datée du 5 mai 2016 émanant du ministre kényan de l’énergie et du pétrole qui confirmait
qu’aucune activité de prospection n’était menée dans la zone en question. Copie de ces deux lettres
a été adressée au ministre somalien des affaires étrangères et de la promotion des investissements,
ainsi qu’à l’agent adjoint du demandeur en la présente instance388. Au lieu de tenter de conclure des
arrangements pratiques, la Somalie s’est contentée de répondre que le Kenya avait «choisi la seule
démarche conforme à ses obligations internationales : s’abstenir de mener de quelconques activités
unilatérales dans la zone en litige»389.
207. Ainsi, après trente-cinq années d’acquiescement, au cours desquelles le Kenya avait
exercé sur la zone maritime désormais litigieuse une juridiction incontestée, la Somalie a, par son
comportement, entraîné l’arrêt de toutes les activités transitoires licites en matière de prospection
pétrolière, privant le Kenya d’investissements étrangers et faisant obstacle au développement de ses
ressources offshores. Son argument selon lequel le comportement exemplaire du défendeur
constituerait une violation du droit international est totalement infondée. C’est au contraire la
Somalie qui n’a pas respecté les obligations que lui imposent les paragraphes 3 des articles 74 et 83
de la CNUDM.
C. LA DEMANDE D’INDEMNISATION DE LA SOMALIE
208. Dans ces conditions, l’affirmation de la Somalie selon laquelle le Kenya a «violé ses
obligations internationales» et est «tenu de procéder à une réparation intégrale» y compris par «le
paiement d’une indemnité appropriée»390 est tout à fait infondée. C’est la Somalie qui a refusé de
conclure des arrangements provisoires avec le Kenya en mai 2016, et ce, malgré les efforts
déployés de bonne foi par celui-ci pour suspendre des activités transitoires pourtant licites dans la
386 Délimitation de la frontière maritime dans l’océan Atlantique (Ghana/Côte d’Ivoire), mesures conservatoires,
ordonnance du 25 avril 2015, TIDM Recueil 2015, p. 165, par. 102 (les italiques sont de nous).
387 Délimitation de la frontière maritime dans l’océan Atlantique (Ghana/Côte d’Ivoire), arrêt, TIDM
Recueil 2017, p. 189, par. 651-2.
388 CMK, par. 378, annexes 62 et 45.
389 RéS, par. 4.10.
390 RéS, par. 4.25.
99
- 81 -
zone litigieuse, dans un esprit de bon voisinage. C’est le Kenya qui a subi un préjudice et un
manque à gagner importants en raison du comportement de la Somalie. De fait, celle-ci a utilisé sa
récente revendication d’une frontière maritime équidistante, qui date de 2014, ainsi que son refus
ultérieur de s’acquitter des obligations que lui impose le paragraphe 3 de l’article 83 de la
CNUDM, pour mettre fin au développement offshore du Kenya dans une zone maritime qui n’était
pas litigieuse entre 1979 et 2014, peu avant l’introduction de la présente instance.
- 82 -
CONCLUSIONS
Compte tenu des éléments de fait et de droit exposés dans la présente duplique, le Kenya prie
respectueusement la Cour :
1. De rejeter les demandes formulées aux points 1, 3, et 4 des conclusions figurant dans la réplique
de la Somalie.
2. De dire et juger que la frontière maritime entre la Somalie et le Kenya dans l’océan Indien suit
le parallèle situé à 1° 39' 43.2" de latitude sud, à partir de la borne principale no 29 (située par
1° 39' 43.2" de latitude sud) jusqu’à la limite extérieure du plateau continental.
Le 18 décembre 2018.
L’agent de la République du Kenya,
(Signé) P. KIHARA KARIUKI.
100
- 83 -
ATTESTATION
Je certifie que les documents annexés sont des copies conformes aux originaux.
Le 18 décembre 2018.
L’agent de la République du Kenya,
(Signé) P. KIHARA KARIUKI.
___________
- 84 -
LISTE DES ANNEXES
Figures
Figure KR 1-1 Délimitation de la ZEE comparant le recours à l’équidistance et le recours à des
parallèles
Figure KR 1-2 Mer territoriale et zone économique du Kenya, direction de la topographie du Kenya,
SK-90 Edition 2, 1983
Figure KR 1-3a Carte officielle de l’UNSOA AMISOM sans indication de zones maritimes
(juin 2015)
Figure KR 1-3b Carte officielle de l’UNSOMA (UNMAS) AMISOM sans indication de zones
maritimes (janvier 2015)
Figure KR 1-4 Comparaison entre la carte de répartition des espèces de Porifera de l’UNESCO-COI
et la carte du Profil de pays dans le domaine des sciences de la mer de
l’UNESCO-COI
Figure KR 2-1 Cartes de la Somalie représentant les côtes pertinentes, faisant apparaître la section de
côte kényane exclue par celle-ci
Figure KR 2-2 Cartes de la Somalie représentant la zone pertinente et les côtes pertinentes
Figure KR 2-3 Les zones pertinentes dans les affaires Bangladesh/Myanmar (gauche) et Bangladesh
c. Inde (droite)
Figure KR 2-4 La zone pertinente à retenir
Figure KR 2-5 Portion de la zone pertinente exclue par la Somalie
Figure KR 2-6 Carte de la Somalie représentant un partage «équitable» de sa version de la zone
pertinente en deçà de 200 milles marins
Figure KR 2-7 Partage de la zone pertinente en deçà de 200 milles marins suivant la ligne
d’équidistance
Figure KR 2-8 Partage de la zone pertinente en deçà de 200 milles marins suivant le parallèle
Figure KR 2-9 Carte de la Somalie représentant un partage «équitable» de sa version
de la zone pertinente englobant la partie située au-delà de 200 milles marins
Figure KR 2-10 Partage de la zone pertinente, y compris la partie située
au-delà de 200 milles marins, suivant la ligne d’équidistance
Figure KR 2-11 Partage de la zone pertinente, y compris la partie située au-delà de 200 milles marins,
suivant le parallèle
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Pièces
Documents émanant d’instances gouvernementales
Annexe 1 Production Sharing Contract between the Government of the Republic of
Kenya and Sohi-Gas Dodori Ltd Relating to Block L13 (3 September 2008)
(extract showing map)
Annexe 2 Agreed Minutes of the Joint Technical Committee Meeting on the
Tanzania/Kenya Maritime Boundary held in Dar es Salaam, Tanzania
(30-31 October 2008)
Annexe 3 Agreement between the National Oil Corporation of Kenya and Schlumberger
Offshore Services Limited (known as WesternGeco) (October 2013)
Annexe 4 Kenyan Marine & Fisheries Research Institute RV Mtafiti Report, Annex 1
(24 November-18 December 2016)
Annexe 5 Kenyan Marine & Fisheries Research Institute RV Mtafiti Cruise Technical
Report, Annex 2 (6-21 February 2017)
Annexe 6 Letter from the Kenyan Marine & Fisheries Research Institute to the
Attorney-General (18 July 2018)
Annexe 7 Letter from Lieutenant Colonel Muhia of the Kenyan Navy to Juster Nkoroi,
Head of Kenya International Boundaries Office (23 August 2018)
Annexe 8 Letter from MaryJane Mwangi, CEO of NOCK, to the Attorney-General of
Kenya (11 October 2018)
Correspondance diplomatique
Annexe 9 Note verbale no MFA.273/430/001 en date du 26 septembre 2007 adressée au
ministère des affaires étrangères du Gouvernement fédéral de transition de la
Somalie par le ministère des affaires étrangères du Kenya
Annexe 10 Note verbale no MFA.273/430/001 en date du 26 septembre 2007 adressée au
ministère des affaires étrangères de la République-Unie de Tanzanie par le
ministre des affaires étrangères du Kenya
Annexe 11 Note verbale no ESR/4287/V/07 en date du 30 octobre 2007 adressée par
l’ambassade de la République somalienne au Kenya à l’ambassade du Kenya en
Somalie
Annexe 12 Note verbale no MFA.273/430/001A en date du 4 juillet 2008 adressée par le
ministère des affaires étrangères du Kenya au ministère des affaires étrangères
du Gouvernement fédéral transitoire de Somalie
Annexe 13 Note Verbale from the Kenya Embassy to Somalia to the Embassy of the
Transitional Federal Government of Somalia in Kenya, MFA.273/430/001A
(16 July 2008)
Traductions
Annexe 14 Traduction certifiée d’Absolute Translations (15 octobre 2018)
Annexe 15 Rapport d’Absolute Translations (26 octobre 2018)
___________

Document file FR
Document Long Title

Duplique du Kenya

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