Réplique de la Somalie

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161-20180618-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15788
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À LA DÉLIMITATION MARITIME
DANS L’OCÉAN INDIEN
(SOMALIE c. KENYA)
RÉPLIQUE DE LA SOMALIE
VOLUME I
18 juin 2018
[Traduction fournie par la Somalie]
TABLE DES MATIÈRES
Page
CHAPITRE 1. INTRODUCTION ............................................................................................................. 1
Section I. Historique de la procédure ........................................................................ 1
Section II. Questions en litige et résumé de l’argumentation de la Somalie .............. 1
Section III. Structure de la présente réplique ............................................................... 4
CHAPITRE 2. LA SOMALIE N’A PAS ACQUIESCÉ À UNE FRONTIÈRE MARITIME AVEC LE KENYA ....... 5
Section I. Apories juridiques du Kenya ..................................................................... 5
Section II. Position changeante du Kenya .................................................................. 9
A. Déclarations du Kenya à la Cour ....................................................... 9
B. Mémorandum d’accord de 2009 ...................................................... 11
C. Soumissions du Kenya à la CLPC et déclarations du Kenya
aux Nations Unies ............................................................................ 13
D. Négociations relatives à la frontière ................................................ 14
E. Législation du Kenya et déclarations des responsables kényans ..... 15
Section III. L’absence de frontière convenue est largement reconnue....................... 18
Section IV. Activités alléguées du Kenya dans la zone en litige ............................... 20
A. Effectivités alléguées : patrouilles navales ...................................... 22
B. Effectivités alléguées : zones de pêche et recherche
scientifique marine .......................................................................... 26
C. Effectivités alléguées : pratique en matière de concessions
pétrolières ........................................................................................ 29
D. Cartes officielles du Kenya indiquant une frontière maritime
équidistante dans la mer territoriale ................................................. 31
Section V. Les actes de la Somalie ne constituent aucunement un
acquiescementà la revendication du Kenya ............................................ 32
A. Affirmation erronée du Kenya selon laquelle la Somalie n’a
pas protesté avant 2014 ................................................................... 32
B. La position de longue date de la Somalie selon laquelle
la frontière maritime des Parties devrait suivre une ligne
équidistante ...................................................................................... 34
C. Incapacité de la Somalie, pour des raisons pratiques, à réguler
son espace maritime pendant sa longue guerre civile ...................... 38
CHAPITRE 3. DÉLIMITATION DE LA FRONTIÈRE MARITIME .............................................................. 41
Section I. Le Kenya n’a fourni aucune bonne raison pour laquelle il ne
faudrait pas employer la méthode standard de la Cour ........................... 41
A. La méthode d’équidistance/des circonstances pertinentes est la
méthode standard applicable devant la Cour ................................... 42
B. Les raisons avancées par le Kenya pour ne pas employer la
méthode en trois temps ne sont pas convaincantes .......................... 44
Section II. La méthode en trois temps montre que la ligne d’équidistance est
une solution équitable ............................................................................. 49
A. Construction de la ligne d’équidistance provisoire ......................... 49
B. Absence de circonstances spéciales ou pertinentes ......................... 53
C. Test de proportionnalité ................................................................... 64
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CHAPITRE 4. RESPONSABILITÉ DU KENYA EN RAISON DE SES ACTES ILLICITES DANS LA ZONE
MARITIME EN LITIGE ............................................................................................... 66
Section I. Les faits ................................................................................................... 66
Section II. Réplique à la défense du Kenya .............................................................. 70
CONCLUSIONS ................................................................................................................................ 75
CHAPITRE 1
INTRODUCTION
1.1. La présente réplique complète les arguments de droit et de fait présentés dans le
mémoire de la Somalie et réplique aux arguments exposés dans le contre-mémoire du Kenya. La
Somalie maintient intégralement sa position antérieure. Aucune des affirmations avancées par le
Kenya n’a amené la Somalie à modifier de quelque manière que ce soit sa position concernant la
présente affaire.
SECTION I
HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE
1.2. La Somalie a engagé cette procédure par le biais d’une requête datée du 28 août 2014.
Conformément à l’ordonnance de la Cour datée du 16 octobre 2014, la Somalie a déposé son
mémoire le 13 juillet 2015.
1.3. Le Kenya a soumis ses objections préliminaires concernant la compétence de la Cour le
7 octobre 2015. La Somalie a soumis ses observations écrites concernant les objections
préliminaires du Kenya le 5 février 2016, et la Cour a tenu des audiences orales du 19 au
23 septembre 2016. Par son jugement du 2 février 2017, la Cour a intégralement rejeté les
objections préliminaires du Kenya1.
1.4. Conformément à l’ordonnance de la Cour du 2 février 2017, le Kenya a soumis son
contre-mémoire le 18 décembre 2017. Le 2 février 2018, la Cour a autorisé une deuxième série de
mémoires. La Somalie présente cette réplique conformément à cette ordonnance.
SECTION II
QUESTIONS EN LITIGE ET RÉSUMÉ DE L’ARGUMENTATION DE LA SOMALIE
1.5. Conformément à l’article 49 3) des règles de procédure, la Somalie ne répétera pas ici
les arguments avancés dans son mémoire et concentrera plutôt sa présente réplique sur «les
questions qui divisent encore» les Parties.
1.6. La Somalie observe d’emblée que les arguments avancés par le Kenya dans son
contre-mémoire sont non seulement contradictoires, mais ils s’annulent également les uns les
autres. Dans le deuxième paragraphe de son introduction, par exemple, le contre-mémoire du
Kenya affirme que le différend entre les Parties a déjà été réglé car «la Somalie a acquiescé à une
frontière maritime»2. Dans le paragraphe suivant, cependant, le Kenya indique qu’il reste à
délimiter la frontière et que cette question sera «mieux résolue par une solution négociée»3.
1 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), objections préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2017, (ci-après «Somalie c. Kenya, objections préliminaires, arrêt»), par. 145.
2 Contre-mémoire de la République du Kenya (ci-après «CMK»), par. 2.
3 CMK, par. 3.
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1.7. Cette dernière position, qui est incompatible avec la première, est similaire à l’argument
avancé par le Kenya dans ses objections préliminaires ; c’est-à-dire qu’il n’y avait pas de frontière
existante, que l’emplacement de la frontière était contesté et que les Parties s’étaient engagées à
régler cette question exclusivement par voie de négociations. De manière remarquable, le Kenya,
dans son contre-mémoire, semble avoir abandonné, ou du moins oublié, les arguments qu’il avait
présentés au cours de la phase des objections préliminaires . En contradiction avec ce que le Kenya
a affirmé précédemment, le principal argument du Kenya dans son contre-mémoire est qu’il existe
déjà une frontière maritime juridiquement contraignante, et que celle-ci a été établie à la fois par la
revendication unilatérale du Kenya demandant un parallèle de latitude et par le fait que la Somalie
a prétendument «acquiescé» à cette revendication. Le Kenya ne fait aucun effort pour expliquer
pourquoi il a changé sa position.
1.8. D’autres éléments du contre-mémoire sont également contradictoires. Le Kenya
reconnaît, par exemple, que, dans les affaires de délimitation maritime jugées, la méthode
d’équidistance/des circonstances pertinentes est «couramment appliquée» «dans le but d’obtenir un
résultat équitable»4. Cependant, il refuse ensuite de recourir à cette méthode sous prétexte que cela
ne serait pas conforme aux dispositions pertinentes de la convention des Nations Unies sur le droit
de la mer (ci-après «UNCLOS» ou la «convention»), ainsi qu’à la façon de négocier en général et
aux pratiques habituelles du Kenya. En d’autres termes, le Kenya soutient que, en appliquant «de
manière routinière» la méthode en trois temps, la Cour a incorrectement interprété la loi. La
Somalie ne partage pas ce point de vue. Au contraire, la Somalie est d’avis que, conformément à la
jurisprudence bien établie de la Cour, en l’espèce, la frontière devrait être délimitée par la méthode
en trois temps d’équidistance/des circonstances pertinentes.
1.9. Mettant de côté les difficultés évidentes du Kenya, le contre-mémoire expose les trois
principaux points du litige entre les Parties :
 premièrement, la question de savoir s’il est légalement possible d’établir une frontière maritime
par un simple d’acquiescement, et si la Somalie a en réalité acquiescé à la revendication
unilatérale du Kenya concernant une frontière parallèle ;
 deuxièmement, la question de savoir s’il existe une quelconque raison de s’écarter de la
méthode standard de délimitation en trois temps pour déterminer la frontière maritime entre les
Parties et, en supposant que la réponse soit non, quelle est la solution équitable que cela
entraîne ; et
 troisièmement, la question de savoir si le Kenya a violé les droits souverains et la juridiction de
la Somalie en se livrant à des activités sismiques et de forage dans la zone en litige.
1.10. La présente réplique montrera que l’affirmation du Kenya selon laquelle la frontière
maritime entre les Parties a été établie parce que la Somalie a prétendument acquiescé à la
revendication unilatérale du Kenya n’est pas soutenable, que ce soit en droit ou en fait.
1.11. En droit, les frontières maritimes ne peuvent pas être établies par un acte unilatéral. Il
est notable que le Kenya ne cite aucune loi pour étayer son argumentation, car il n’en existe en
réalité aucune. En vertu d’UNCLOS, une délimitation maritime peut être instaurée soit par le biais
d’un accord, soit par une décision judiciaire. Un acquiescement n’est ni l’un ni l’autre.
4 CMK, par. 275.
3
4
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1.12. Au vu des faits, l’argument du Kenya est indéfendable compte tenu de la position
antérieure du Kenya, à savoir qu’il n’y a jamais eu de frontière maritime convenue ou décidée, et
que le différend entre les Parties reste à résoudre par voie de négociation. De plus, les éléments de
preuve montrent que a) le Kenya lui-même n’a pas toujours considéré le parallèle de latitude
comme la frontière maritime entre les Parties ; b) l’existence du différend, y compris la
revendication de la Somalie selon laquelle la frontière doit être fondée sur l’équidistance, est bien
connue ; et c) la Somalie n’a jamais accepté la revendication du Kenya, que ce soit explicitement
ou implicitement.
1.13. En forme de repli par rapport à son argument basé sur l’acquiescement, le Kenya
soutient que «l’application du principe de la délimitation équitable»5 conduit également à la
frontière parallèle qu’il revendique. Pourtant, comme le Kenya ne peut justifier sa revendication en
vertu de la méthode standard en trois temps, il choisit d’esquiver complètement cette méthode. A la
place, il réitère simplement son argument basé sur l’acquiescement, en proposant que la Cour
renonce à la méthode en trois temps car les Parties ont déjà indiqué qu’elles estiment que le
parallèle est équitable. Cet argument de repli est invalide pour les mêmes raisons que la
revendication du Kenya selon lequel la Somalie a déjà acquiescé. En particulier, il n’y a aucune
raison de renoncer à la méthode en trois temps, et il n’existe aucun élément prouvant que la
Somalie a, à quelque moment que ce soit, estimé que le parallèle était équitable.
1.14. La Cour a indiqué très clairement que la méthode en trois temps doit être appliquée,
sauf si tracer une ligne d’équidistance provisoire n’est pas faisable, ce qui n’est pas le cas en
l’espèce. Le Kenya ne conteste pas le fait qu’une ligne d’équidistance peut être tracée. La Somalie
a démontré dans son mémoire que l’application de la méthode standard permet d’aboutir à la
conclusion que la ligne d’équidistance est une solution équitable. Il n’existe aucune circonstance
pertinente justifiant un ajustement de la ligne d’équidistance provisoire, et cela n’entraîne aucune
disproportion entre les longueurs de côtes concernées des Parties et les espaces maritimes associés.
Par conséquent, la Somalie maintient sa proposition, selon laquelle la Cour devrait délimiter la
frontière maritime entre les Parties au moyen d’une ligne d’équidistance.
1.15. La présente réplique réplique également aux tentatives du Kenya de faire valoir qu’il
n’a pas violé les droits souverains de la Somalie en autorisant et en engageant des activités
sismiques et de forage dans la zone en litige entre la ligne d’équidistance et le parallèle. Encore une
fois, la loi et les faits sont du côté de la Somalie. Comme le démontrera la Somalie, même des
activités transitoires sont susceptibles d’enfreindre l’article 83 de la convention lorsque, comme
c’est le cas en l’espèce, de telles activités compromettent ou entravent la conclusion d’un accord
définitif. Les éléments de preuve montrent que le Kenya et ses sous-traitants étaient bien conscients
de l’existence d’un différend lorsque le Kenya a autorisé des activités de prospection du côté
somalien de la ligne d’équidistance et a cherché à tirer parti de la position affaiblie de la Somalie
pendant les années de guerre civile.
1.16. Pour ces raisons, tel que détaillé de manière plus précise ci-après, la Somalie soutient
respectueusement que tous les arguments du Kenya devraient être rejetés et que la Cour devrait
établir la frontière maritime entre les Parties le long d’une ligne d’équidistance non ajustée. La
Cour devrait également conclure que le Kenya a violé la souveraineté et les droits souverains de la
Somalie et accorder des réparations pleines et entières à la Somalie, y compris une indemnisation
en contrepartie de ces violations.
5 CMK, par. 275.
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SECTION III
STRUCTURE DE LA PRÉSENTE RÉPLIQUE
1.17. La présente réplique comprend deux volumes. Le volume I comprend le texte principal
de la réplique et les figures sélectionnées. Le volume II contient un ensemble complet de figures,
qui sont organisées dans l’ordre dans lequel elles sont référencées dans le texte principal, ainsi que
46 annexes documentaires appuyant la réplique.
1.18. Le présent volume est divisé en quatre chapitres, qui sont suivis des soumissions de la
Somalie. Après la présente introduction, le chapitre 2 répond aux arguments du Kenya selon
lesquels la Somalie a acquiescé au parallèle de latitude revendiqué par le Kenya, et démontre que
les arguments du Kenya sont non seulement sans fondement juridique mais également
insoutenables sur le plan des faits. Le chapitre 3 explique ensuite pourquoi la méthode standard de
délimitation de la Cour doit être appliquée et en quoi son application conduit à une ligne
d’équidistance non ajustée. Enfin, le chapitre 4 montre que le Kenya a violé la souveraineté et les
droits souverains de la Somalie en se livrant à des activités dans la zone en litige qui ont empêché
la conclusion d’un accord concernant la frontière.
1.19. Le volume I se termine par un exposé des soumissions de la Somalie.
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CHAPITRE 2
LA SOMALIE N’A PAS ACQUIESCÉ À UNE FRONTIÈRE MARITIME
AVEC LE KENYA
2.1. La Somalie et le Kenya sont tous deux Parties à la convention. Les articles 15, 74 et 83
de celle-ci constituent respectivement le droit applicable à la délimitation des eaux territoriales, de
la zone économique exclusive la «ZEE») et du plateau continental. Ces trois dispositions indiquent
clairement que la délimitation doit être décidée par accord. Néanmoins, le principal argument du
Kenya dans la présente procédure est que sa frontière maritime avec la Somalie a été décidée sans
accord et plutôt par un acte unilatéral du Kenya  à savoir une proclamation présidentielle  et
que la prétendue absence de protestation de la part de la Somalie vis-à-vis de cet acte constituait un
acquiescement.
2.2. La soumission du Kenya est insoutenable pour plusieurs raisons, tel que ce chapitre le
montre. Elle est manifestement erronée en termes de droit (section I). Les éléments de preuve
présentés à la Cour ne la corroborent pas : les propres positions juridiques du Kenya, telles qu’elles
ont été maintes fois exposées dans de nombreuses enceintes internationales et nationales,
contredisent directement son affirmation selon laquelle cette frontière a été établie (section II). La
revendication du Kenya est également contredite par d’autres sources indépendantes, notamment le
Conseil de sécurité des Nations Unies et la Mission de l’Union africaine en Somalie (section III).
En dépit des affirmations contraires du Kenya, ce pays ne contrôle pas la zone maritime en litige
située au nord de la ligne d’équidistance depuis 1979 (section IV). Enfin, et en tout état de cause, la
Somalie a toujours affirmé avec insistance que la frontière maritime doit suivre une ligne
d’équidistance. Dans la mesure où elle a pu le faire (section V), elle s’est opposée à toute
affirmation du Kenya selon laquelle la frontière suit une ligne parallèle.
SECTION I
APORIES JURIDIQUES DU KENYA
2.3. L’argument central du Kenya est que sa frontière maritime avec la Somalie, depuis la
côte jusqu’à la limite extérieure du plateau continental, a été créée en vertu des proclamations
présidentielles du Kenya de 1979 et 20056. Selon le Kenya, cette revendication unilatérale est
parfaitement conforme à la loi du fait de l’absence de protestation de la Somalie7. Selon le Kenya,
il s’agit-là d’une délimitation par acquiescement8. Cependant, cette affirmation de la part du Kenya
n’est étayée ni par la loi ni par la pratique internationale, et elle est contredite par les faits.
2.4. La Somalie fait d’emblée observer que le Kenya ne prétend pas qu’il existe un accord
tacite entre les Parties. Il est conscient que «[t]he establishment of a permanent maritime boundary
6 CMK, par. 23.
7 Ibid., par. 21.
8 Ibid., par. 237.
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is a matter of grave importance and agreement is not easily to be presumed»9. Le Kenya sait
également que «la preuve d’un accord juridique tacite doit être convaincante»10, un seuil minimum
qu’il ne peut pas atteindre. Conscient qu’il ne peut pas satisfaire aux conditions imposées par le
droit applicable, le Kenya a choisi de ne pas en tenir compte et invente une méthode entièrement
nouvelle : la délimitation par acquiescement à une revendication unilatérale.
2.5. Bien qu’il invoque l’acquiescement en tant que motif indépendant, le Kenya n’explique
pas en quoi cela diffère d’un accord tacite ou de l’estoppel. Pourtant, il fait fréquemment référence
à la jurisprudence en matière d’accords tacites, croyant apparemment que cela est pertinent en
rapport avec son argument original11.
2.6. Même en supposant que l’acquiescement puisse, à l’extrême, être invoqué en tant que
principe de délimitation en vertu de la convention  et il ne peut pas l’être , certaines conditions
strictes devraient être satisfaites. Il n’y a aucune raison pour que le critère plancher soit différent ou
inférieur au critère très exige[a]nt nécessaire pour établir l’existence d’un accord tacite. Dans
l’affaire du Golfe du Maine, la Chambre de la Cour a estimé que ces concepts représentaient
«different aspects of one and the same institution»12. La Commission du tracé de la frontière entre
l’Erythrée et l’Ethiopie a identifié au moins trois conditions communes à tout accord tacite : la
préclusion, l’estoppel et l’acquiescement :
«1) un acte, un comportement ou une omission de la part d’une partie, ou réalisé sous
son autorité, qui est indicatif du contenu de la règle de droit applicable … ;
2) la connaissance (réelle ou raisonnablement inférée) que l’autre partie a de cette
conduite ou omission … ; et
3) le fait que cette autre partie a manqué, dans un délai raisonnable, de rejeter ou de
se dissocier de la position prise par la première partie…»13.
2.7. Il convient de souligner qu’il ne peut y avoir de présomption qu’un acte unilatéral d’un
Etat peut, dans quelques circonstances que ce soit, créer une frontière en droit international. Une
telle méthode irait directement à l’encontre de la règle fondamentale selon laquelle une délimitation
est établie par le biais d’un accord. De plus, cela irait à l’encontre du principe élémentaire selon
lequel «[a]ucune obligation ne peut résulter, pour les autres États, d’une déclaration unilatérale
9 Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II) (ci-après «Nicaragua c. Honduras»), p. 735, par. 253. Voir aussi :
Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009 (ci-après «Roumanie c. Ukraine»),
p. 86, par. 68 ; Différend concernant la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et Myanmar dans le
golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), Jugement du 14 mars 2012, TIDM Recueil 2012 (ci-après
«Bangladesh/Myanmar»), par. 95 ; Différend concernant la délimitation de la frontière maritime entre le Ghana et la
Côte d’Ivoire dans l’océan Atlantique (Ghana/Côte d’Ivoire), Jugement du 23 septembre 2017, TIDM Recueil 2017
(ci-après «Ghana/Côte d’Ivoire»), par. 212.
10 Nicaragua c. Honduras, p. 735, par. 253. Voir aussi Ghana/Côte d’Ivoire, par. 212.
11 Voir, par exemple, CMK, par. 210, 263, 312, 316-317.
12 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 1984 (ci-après «Golfe du Maine»), p. 305, par. 130. Voir aussi : Délimitation de la frontière entre
l’Érythrée et l’Éthiopie (Érythrée/Éthiopie), Décision du 13 avril 2002, UNRIAA (Recueil des sentences arbitrales),
vol. XXV, p. 83 (ci-après «Érythrée/Éthiopie»), par. 3.9.
13 Ibid., p. 85.
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d’un État»14. Comme la CIJ l’a conclu dans l’affaire Golfe du Maine, bien que le principe selon
lequel la frontière doit être déterminée par accord
«is simple, yet its importance must not be underestimated. It must not be seen as a
mere «self-evident truth». The thrust of this principle is to establish by implication that
any delimitation of the continental shelf effected unilaterally by one State regardless
of the views of the other State or States concerned is in international law not
opposable to those States.»15
2.8. Cependant, le Kenya considère que sa frontière maritime commune avec la Somalie a
été établie simplement en vertu d’un acte unilatéral, sous la forme de deux proclamations
présidentielles faites en 1979 et en 2005. Cela équivaut à un rejet direct du droit de la délimitation
maritime et du droit régissant les actes unilatéraux des Etats. Les proclamations présidentielles du
Kenya constituent uniquement des revendications et ne peuvent pas entraîner «des droits et des
obligations pour les autres États»16, comme le voudrait le Kenya. Tel que Charles de Visscher (que
le Kenya cite plutôt de manière sélective17) a très bien expliqué, les notifications de revendications
«ne sont pas des actes juridiques autonomes, c’est-à-dire des actes générateurs par eux-mêmes
d’effets de droit. … [L]a notification par elle-même n’engendre pas d’effets juridiques.»18 Par
conséquent, les notifications de revendications ne requièrent pas de protestation :
«Une notification peut ne susciter aucune réaction ; le destinataire peut garder le
silence sans que l’on soit autorisé à en induire une conséquence juridique à son
détriment. On ne peut obliger les États à protester invariablement contre toutes les
inductions que le calcul politique peut attribuer à leur silence.»19
2.9. L’absence de protestation à l’égard d’une notification de revendication ne peut pas
automatiquement équivaloir à une acceptation de la validité et de l’effectivité de ladite
revendication. Au contraire, pour qu’il y ait acquiescement, le Kenya doit prouver qu’il y a «a very
definite, very consistent course of conduct on the part of a State [here Somalia] …, that is to say if
14 Commission du droit international, Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales d’Etats
susceptibles de créer des obligations juridiques, assortis de commentaires dans le Rapport de la Commission du droit
international sur les travaux de la cinquante-huitième session (1er mai -9 juin et 3 juillet -11 août 2006), Nations Unies,
doc. A/61/10 (2006), p. 379. Réplique de la Somalie (ci-après la «RS»), vol. II, annexe 33.
15 Golfe du Maine, par. 87. Dans la même veine :
«[L]e Tribunal ne saurait prendre en considération une délimitation qui ne résulte pas de
négociations ou d’un acte équivalent conformément au droit international. Or, en l’espèce, la prétendue
délimitation a été effectuée par un acte juridique relevant du seul pouvoir de la Guinée et susceptible,
comme ceux qui ont été pris par cette même Guinée au nord, et à la même période, de faire l’objet de
modifications unilatérales.» Délimitation de la frontière maritime entre la Guinée et la Guinée-Bissau,
Décision du 14 février 1985, UNRIAA, vol. XIX, p. 149 (ci-après «Guinée/Guinée-Bissau»), par. 94.
Voir aussi : Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 116, p. 132.
16 CMK, par. 224.
17 Voir ibid., par. 218.
18 Charles de Visscher, Problèmes d’interprétation judiciaire en droit international public (1963), p. 182, 184.
CMK, vol. III, annexe 118 («les [notifications de revendications] ne sont pas des actes juridiques indépendants
susceptibles de produire des effets juridiques par eux-mêmes. … Une notification ne crée pas en elle-même un effet
juridique.») Voir aussi : ibid., p. 184 («C’est qu’en effet les conséquences qu’elle peut entraîner dépendent de prises de
position ultérieures du destinataire, prises de position que la notification a précisément pour but de provoquer et de rendre
publiques.»)
19 Ibid., p. 184-185 («une notification peut également ne déclencher aucune réaction ; le destinataire peut garder
le silence, et il ne faut rien déduire de ce silence à son détriment. On ne peut exiger des États qu’ils protestent
systématiquement contre toutes les inductions que les calculs politiques cherchent à attribuer à son silence.»)
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there had been a real intention to manifest acceptance or recognition»20 de l’affirmation du Kenya
selon laquelle la frontière devrait s’étendre le long du parallèle de latitude.
2.10. Le Kenya tente de renverser la charge de la preuve en traitant ses proclamations
unilatérales comme des actes instaurant une frontière et en essayant d’imposer à la Somalie un
devoir de protestation. Au lieu d’établir l’intention réelle de la Somalie de manifester son
acceptation, le Kenya présume que l’absence de protestation officielle suite à ses proclamations
présidentielles équivaut à une forme d’acquiescement.
2.11. Pour étayer une telle affirmation lourde de conséquences, selon laquelle des
revendications unilatérales qui ne sont pas contestées établissent une frontière, le Kenya ne donne
que des exemples sélectifs de la pratique des Etats en matière de protestation en rapport avec toutes
sortes de revendications unilatérales21, et il omet de mentionner qu’il n’existe pas de pratiques
courantes en matière de protestations. Sur le continent africain en particulier, les protestations
contre des revendications, loin d’être systématiques, sont plutôt sporadiques22. Par conséquent, on
ne peut rien déduire de l’absence de protestation officielle suite à des revendications et des
proclamations, et on ne doit rien déduire d’une telle absence. Face à des affirmations similaires
avancées par le Danemark et les Pays-Bas dans l’affaire [du] Plateau continental de la mer du
Nord, la CIJ a mis en garde ces pays : «The dangers of the doctrine here advanced by [the
Applicants], if it had to be given general application in the international law field, hardly need
stressing.»23
2.12. En tout état de cause, une protestation pourrait être nécessaire lorsque l’un des deux
Etats a depuis longtemps le même comportement concernant la façon dont il exprime son point de
vue sur l’emplacement d’une frontière maritime. «[Un] acquiescement ... suppose une acceptation
claire et systématique.»24 Le comportement du Kenya est non seulement extrêmement changeant en
l’espèce, mais il n’a en rien démontré la prétendue acceptation de la Somalie. Ainsi, même en
supposant que la notification unilatérale des revendications du Kenya puisse en tant que telle créer
une obligation de protestation de la part de la Somalie (quod non), une telle obligation alléguée est
sans effet dans la mesure où le comportement du Kenya n’a pas été clair et systématique. En fait,
«silence may also speak, but only if the conduct of the other State calls for a response»25. Qui tacet
consentire videtur si loqui debuisset ac potuisset  en l’espèce, la Somalie n’avait bien entendu
aucune obligation puisqu’elle faisait face à un comportement changeant.
20 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale
d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969 (ci-après «Plateau continental de la mer du Nord»), par. 28.
21 CMK, par. 237.
22 Selon le site Internet de DOALOS, sur les 38 Etats côtiers existants dans la région africaine, seuls six d’entre
eux ont vu leurs revendications contestées par un ou plusieurs Etats (Comores, Egypte, Guinée équatoriale, Gabon, Iles
Maurice, Soudan). Aucune protestation officielle n’a été enregistrée concernant les revendications des 32 autres Etats
côtiers, alors que les frontières maritimes de certains d’entre eux ont été établies par décision judiciaire ou arbitrale ; voir,
par exemple, Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982 (ci-après
«Tunisie/Libye») p. 18 ; Souveraineté territoriale et portée du différend (Erythrée et Yémen), Décision du 9 octobre 1998,
UNRIAA, vol. XXII, p. 209 (ci-après «Erythrée/Yémen») ; et Ghana/Côte d’Ivoire).
23 Plateau continental de la mer du Nord, par. 33.
24 Golfe du Maine, par. 145 (citant l’affaire Plateau continental de la mer du Nord, par. 30).
25 Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 50-51, par. 121.
12
13
- 9 -
SECTION II
POSITION CHANGEANTE DU KENYA
2.13. Les propres déclarations et positions publiques du Kenya contredisent directement son
affirmation selon laquelle les Parties ont déjà délimité leur frontière maritime le long d’un parallèle
de latitude. Nous faisons notamment référence a) aux plaidoiries écrites et orales du Kenya devant
la Cour à l’appui de ses exceptions préliminaires, b) aux termes du mémorandum d’accord
(Memorandum of Understanding, «MOU») signé par les Parties en avril 2009, c) aux soumissions
du Kenya à la Commission des limites du plateau continental (la «CLPC» ou la «Commission»),
d) au compte rendu des négociations bilatérales sur la frontière maritime entre le Kenya et la
Somalie, et e) aux rapports officiels et exposés présentés par le Gouvernement kényan,
l’Assemblée nationale du Kenya et le bureau des frontières internationales du Kenya.
2.14. Ces déclarations, dont la plupart ont été faites au niveau international, sapent
intégralement le fondement factuel de l’affirmation du Kenya selon laquelle la frontière maritime
des Parties a été délimitée de manière définitive le long d’un parallèle de latitude par le biais d’un
processus d’affirmation unilatérale (par le Kenya) et d’acquiescement (par la Somalie).
A. Déclarations du Kenya à la Cour
2.15. Les exceptions préliminaires du Kenya indiquent clairement qu’il n’existe pas de
frontière maritime établie. Le Kenya a fait valoir que, bien avant que la Somalie ne dépose sa
requête devant la Cour, les Parties avaient convenu de manière contraignante de
«ne délimiter l’étendue complète de leur frontière maritime, en deçà et au-delà de 200
milles marins,
a) qu’une fois que la CLPC aurait formulé ses recommandations concernant
l’établissement du plateau continental ; et
b) uniquement par voie d’accord négocié»26.
2.16. Les exceptions préliminaires du Kenya affirment que
«[l]es Parties ont expressément convenu … d’un règlement négocié concernant leur
frontière maritime. Cela est conforme à la fois à la législation du Kenya exigeant une
délimitation en accord avec la Somalie et aux dispositions de la Convention des
Nations Unies sur le droit de la mer.»27
A cet égard, le Kenya a prétendu qu’il était à la fois «déterminé à» et «obligé de» «négocier un
accord de délimitation avec la Somalie fondé sur le droit international»28. L’insistance du Kenya
pour que la frontière maritime soit délimitée par un accord négocié à une date ultérieure a conduit
le Kenya à alléguer que la Somalie a, à tort, «tenté de contourner son obligation de négocier un
26 Objections préliminaires de la République du Kenya (ci-après les «OPK»), par. 3.
27 Ibid., par. 17.
28 Ibid., par. 21.
14
- 10 -
accord de délimitation après l’examen de la situation effectué par la CLPC», ce en déposant sa
requête auprès de la Cour29.
2.17. Au cours des plaidoiries au cours de cette phase, l’avocat du Kenya a également
déclaré à la Cour que «le Kenya est resté convaincu que la délimitation de la frontière maritime
serait effectuée par voie d’accord» entre les Parties à un moment donné à l’avenir, une fois que la
CLPC aurait formulé ses recommandations sur la délimitation du plateau continental extérieur30. Le
procureur général et agent du Kenya a explicitement et sans ambiguïté insisté sur le fait que la
délimitation de la frontière maritime des Parties «du temps, jusqu’à ce que la Somalie soit parvenue
à stabiliser davantage sa situation»31 étant donné que les négociations bilatérales sur la délimitation
de la frontière maritime entre le Kenya et la Somalie seront délicates32. Il a déclaré que le processus
visant à aboutir à une délimitation négociée venait de commencer, ce par des «pourparlers
préliminaires» «[e]n 2014» suite à «période de transition marquée par l’instabilité que venait de
traverser la Somalie»,33 et il a indiqué clairement que, de l’avis du Kenya, ce processus n’était pas
terminé. Le coagent du Kenya a également insisté sur le fait que l’établissement de la frontière
maritime par les Parties impliquerait «une délimitation complexe nécessitant des négociations
bilatérales délicates». Elle a également déclaré que «on ne saurait prétendre que les Parties aient
jamais engagé de véritables négociations ni, a fortiori, qu’elles aient épuisé leur potentiel de
négociation»34.
2.18. Malgré les déclarations explicites et répétées du Kenya à la Cour selon lesquelles les
Parties étaient convenues que leur frontière maritime serait délimitée a) dans le futur et b) par un
processus de négociation, le Kenya a maintenant changé de cap. Dans son contre-mémoire, il argue
de façon invraisemblable que les Parties ont, en réalité, déjà délimité de façon concluante leur
frontière maritime du fait que le Kenya a «décidé d’adopter» un parallèle de latitude en 1979 et que
la Somalie a ensuite «acquiescé» à cette frontière. Cependant, cela ne peut pas être le cas, car cela
signifierait que le Kenya a sciemment fondé ses objections préliminaires sur une fausse prémisse.
Les deux Parties ont en réalité reconnu que la délimitation de la frontière maritime n’avait pas
encore été effectuée et devrait l’être dans le futur.
2.19. La position du Kenya est d’autant plus remarquable qu’elle a déclaré à la Cour après
l’audience :
«Des négociations entre les Parties avant la recommandation de la CLPC, même
si elles aboutissaient à un ou plusieurs accords intérimaires concernant une
délimitation couvrant tout ou partie de la zone maritime en litige, seraient sous réserve
29 OPK, par. 149.
30 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), exceptions préliminaires, CR 2016/12, p. 16,
par. 8 (Akhavan), texte reproduit mot pour mot, séance publique tenue le mercredi 21 septembre à 16 h 30 au Palais de la
Paix sous la présidence d’Abraham.
31 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), exceptions préliminaires, CR 2016/10, p. 17,
par. 10 (Muigai), texte reproduit mot pour mot, séance publique tenue le lundi 19 septembre 2016 à 10 heures au Palais
de la Paix sous la présidence de M. le juge Abraham.
32 CR 2016/12, p. 40, par. 3 (Muigai).
33 Ibid., p. 40, par. 3 (Muigai).
34 CR 2016/10, p. 53, par. 20-21 (Muchiri).
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- 11 -
d’être finalisées conformément à la procédure convenue dans le mémorandum
d’accord.»35
Le Kenya a également souligné dans cette déclaration que :
«[I]l convient également de noter que, lors de la première réunion [en 2014], les
Parties ont examiné «plusieurs options et méthodes de délimitation équitable,
notamment la bissectrice, la perpendiculaire, la médiane et le parallèle de latitude», en
tant que frontières maritimes potentielles, et que ces méthodes ont été envisagées pour
toute la zone maritime en litige.»36
2.20. Ensuite, le Kenya a écrit à la Cour en septembre 2016 :
«Aucune des Parties ne s’était engagée ni ne s’attendait à ce que les
négociations aboutissent en une fois à un accord concernant toutes les zones
maritimes. Compte tenu des circonstances complexes prévalant entre les Parties, il
était tout à fait envisageable que des accords, conçus comme des volets temporaires ou
permanents d’un régime de frontières entre le Kenya et la Somalie, puissent
initialement couvrir une seule ou plusieurs zones maritimes (telles que la mer
territoriale ou les eaux territoriales en-deçà de, par exemple, 50 milles marins de la
côte), et que ces accords auraient un ou plusieurs objectifs (tels que l’application de la
loi, les patrouilles anti-piratage, l’application des réglementations de la pêche, la
portée des permis d’exploration d’hydrocarbures, les zones de développement
conjoint, etc.), ce avant la conclusion d’un accord global définitif. Il n’y avait pas, et il
n’y a pas, de besoin urgent d’établir toute la frontière maritime immédiatement.»37
2.21. Même dans son propre contre-mémoire, le Kenya ne parvient pas à échapper à ses
contradictions. En dépit de son principal argument selon lequel la frontière a déjà été délimitée, le
Kenya déclare également que «la délimitation de la frontière maritime entre les Parties est une
question complexe qui serait mieux résolue par une solution négociée»38. La Somalie ne comprend
pas comment le Kenya peut, au sein de la même procédure judiciaire, avancer de tels arguments
contradictoires : il argue pour commencer qu’il n’y a pas de frontière maritime établie, et ensuite il
argue que celle-ci existe.
B. Mémorandum d’accord de 2009
2.22. Les termes clairs du mémorandum d’accord signé le 7 avril 2009 par le Kenya et la
Somalie contredisent également ce qu’affirme le Kenya, à savoir que les Parties ont délimité leur
frontière maritime, sur la base de «l’acquiescement» de la Somalie, selon un parallèle de latitude.
Le deuxième paragraphe du mémorandum d’accord indique expressément que les Parties n’ont pas
délimité le plateau continental :
«La délimitation du plateau continental entre la République du Kenya et la
République somalienne (ci-après dénommés collectivement les «deux États côtiers»)
35 Lettre de S. Exc. M. Githu Muigai, procureur général et agent de la République du Kenya, adressée à
S. Exc. M. Philippe Couvreur, greffier de la Cour internationale de Justice, doc. AG/CONF/19/153/2VOL.IV (26 sept.
2016), p. 2 (les italiques sont de nous). RS, vol. II, annexe 13.
36 Ibid., p. 4.
37 Ibid, p. 5.
38 CMK, par. 3.
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n’a pas encore été réglée. Cette question de délimitation non résolue entre les deux
États côtiers doit être considérée comme un «différend maritime.»39
2.23. Le mémorandum d’accord déclare ensuite qu’il est dans l’intérêt des deux Parties
d’établir les limites extérieures du plateau continental au-delà de 200 milles marins «sans préjudice
de la délimitation future du plateau continental entre elles».40 Le quatrième paragraphe du
mémorandum d’accord indique que la soumission, par la Somalie, d’informations préliminaires
indiquant les limites extérieures du plateau continental «ne préjugera en rien de la délimitation
future des frontières maritimes dans la zone en litige, y compris la délimitation du plateau
continental au-delà de 200 milles marins.»41 Enfin, le cinquième paragraphe du mémorandum
d’accord prévoit que les recommandations de la CLPC «ne préjugeront ni la position des deux
États côtiers en ce qui concerne le différend maritime entre eux ni la délimitation future des
frontières maritimes dans la zone en litige, y compris la délimitation du plateau continental au-delà
de 200 milles marins»42.
2.24. Tel que la Cour l’a noté dans sa décision concernant les exceptions préliminaires du
Kenya, le Kenya «souligne/a souligné que … les Parties font à plusieurs reprises référence à la
«délimitation future» dans le mémorandum d’accord43. Bien que la Cour n’ait pas accepté
l’affirmation du Kenya selon laquelle le mémorandum d’accord créait une obligation contraignante
de délimiter la frontière maritime exclusivement par le biais d’un processus de négociation plutôt
que par une décision judiciaire, la Cour a fait observer que la position des Parties était que, «au
moins à partir de la date de la signature du mémorandum d’accord, une telle délimitation serait
réalisée dans le futur»44.
2.25. Par conséquent, bien que le Kenya ait conclu un accord en 2009 reconnaissant
expressément que la question de la frontière maritime entre les Parties n’est «pas résolue» et «n’a
pas encore été réglée», lequel accord notait expressément l’intention des Parties de délimiter cette
frontière dans «le futur», et malgré la position adoptée par le Kenya au cours de la phase des
exceptions préliminaires, si l’on en croit le contre-mémoire du Kenya, la frontière maritime entre
les Parties a été délimitée bien avant cette date par un processus d’affirmation unilatérale (par le
Kenya) et d’acquiescement passif (par la Somalie). Indépendamment du fait que l’argument du
Kenya relatif à un tel acquiescement est erroné en droit45, les termes parfaitement clairs du
mémorandum d’accord montrent que cet argument est également insoutenable sur la base des faits.
39 Mémorandum d’accord entre le Gouvernement de la République du Kenya et le Gouvernement fédéral de
transition de la République somalienne pour s’accorder mutuellement sur l’absence de toute objection concernant leurs
soumissions à la Commission des limites du plateau continental sur les limites extérieures du plateau continental situées
au-delà de 200 milles marins. 2599 U.N.T.S. (Recueil des Traités des Nations Unies) 35 (7 avril 2009) (ci-après le
«Mémorandum d’accord de 2009»), p. 37 (les italiques sont de nous). Mémoire de la Somalie (ci-après le «MS»), vol. III,
annexe 6.
40 Ibid., p. 37 (les italiques sont de nous).
41 Ibid., p. 38 (les italiques sont de nous).
42 Ibid. (les italiques sont de nous).
43 Somalie c. Kenya, exceptions préliminaires, arrêt, p. 25-26, par. 54.
44 Ibid., par. 78 (les italiques sont de nous).
45 Voir ci-dessus par. 2.3 à 2.12.
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C. Soumissions du Kenya à la CLPC et déclarations du Kenya
aux Nations Unies
2.26. Outre les déclarations répétées du Kenya devant la Cour et les termes sans équivoque
du mémorandum d’accord, les déclarations du Kenya devant la CLPC reconnaissent également
expressément l’absence de toute délimitation par acquiescement. Dans la Note de synthèse de la
soumission du Kenya adressée à la Commission en 2009, le Kenya fait référence à «la ligne
frontalière non réglée entre le Kenya et la Somalie»46. Cette soumission mentionnait des
«revendications maritimes [du Kenya] qui chevauchent»47 celles de la Somalie, et expliquait que :
«La section 4 4) de la loi de 1989 sur les zones maritimes prévoit que la limite
de la zone économique exclusive entre le Kenya et la Somalie sera délimitée par
notification publiée dans la Gazette par le ministre conformément à un accord conclu
entre le Kenya et la Somalie sur la base du droit international.»48
2.27. Le Kenya a présenté oralement sa soumission à la CLPC le 3 septembre 2014. La
délégation du Kenya qui s’est présentée devant la Commission était présidée par le procureur
général (et agent en la présente affaire), qui «a observé que le Kenya n’avait pas encore conclu
d’accord concernant sa frontière maritime avec la Somalie mais que les négociations étaient en
cours».49
2.28. Après que la Somalie eut formulé son opposition à la soumission du Kenya, le Kenya
envoya une note verbale au Secrétaire général des Nations Unies le 24 octobre 2014, laquelle note
faisait référence à la «délimitation non résolue» avec la Somalie, et soulignait que le Kenya
«demeure déterminé et continue à rechercher des solutions plus légitimes afin que la question de la
délimitation de la frontière maritime soit résolue à l’amiable, de préférence par le biais d’un accord
bilatéral avec la République fédérale de Somalie»50.
2.29. De nouveau, les références répétées du Kenya concernant le fait que la question de la
frontière maritime entre les Parties n’est pas réglée, ainsi que le fait que le Kenya a assuré sans
équivoque la CLPC et l’Organisation des Nations Unies que la délimitation de la frontière serait
décidée par accord dans le futur, contredisent directement sa revendication actuelle, à savoir que la
Somalie s’est engagée dans une situation d’«acquiescement prolongé» concernant cette frontière
maritime parallèle, avec «effet juridique contraignant»51.
46 République du Kenya, Soumission relative à la soumission concernant le Plateau continental au-delà de
200 milles marins déposée auprès de la Commission des limites du plateau continental : note de synthèse (avril 2009),
par. 8-4. MS, vol. III, annexe 59.
47 Ibid., par. 7-1.
48 Ibid., par. 7-3.
49 Nations Unies, Commission des limites du plateau continental, Progrès des travaux de la Commission des
limites du plateau continental ; Déclaration du président, Nations Unies, doc. CLCS/85 (24 sept. 2014), par. 60.
MS, vol. IV, annexe 71.
50 Note verbale de la mission permanente de la République du Kenya adressée à S. Exc. M. Ban Ki-moon,
Secrétaire général des Nations Unies, no 586/14 (24 oct. 2014). MS, vol. III, annexe 50. Voir aussi : note verbale de la
mission permanente de la République du Kenya adressée à S. Exc. M. Ban Ki-moon, Secrétaire général des
Nations Unies, no 141/15 (4 mai 2015). MS, vol. III, annexe 51.
51 CMK, par. 4 et 6.
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- 14 -
D. Négociations relatives à la frontière
2.30. Au cours de la troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, le
représentant du Kenya a indiqué que le Kenya et la Somalie avaient des points de vue différents sur
la manière dont la frontière devrait être délimitée :
«Nous devons demeurer très vigilants à cet égard, car nos voisins  la
Tanzanie et la Somalie  semblent avoir eu la mauvaise intention de déformer les
frontières maritimes lorsqu’ils ont étendu leur mer territoriale, ce en spécifiant que la
ligne médiane constituait la ligne de démarcation»52.
2.31. Ultérieurement, la Somalie et le Kenya ont réaffirmé leurs positions dans le cadre de
leurs négociations bilatérales sur la frontière maritime. En 2013, le secrétaire général du cabinet du
ministre des affaires étrangères du Kenya et le vice-premier ministre somalien ont publié un
communiqué de presse commun précisant que la frontière maritime n’avait pas encore été
délimitée : «Les deux ministres ont souligné la nécessité de définir un cadre de modalités
permettant de tracer la démarcation maritime.»53
2.32. En février 2014, le Kenya a invité la Somalie à débattre «du différend en cours relatif à
la délimitation de la frontière maritime entre les deux pays»54. Entre février et août 2014, des
négociations se sont tenues à la fois au niveau politique (entre les ministres des affaires étrangères
respectifs des deux Etats) et au niveau technique55. En mars et juillet 2014, les deux délégations ont
procédé à un échange de vues sur l’emplacement de leur frontière maritime. La Somalie a défendu
sa position selon laquelle le «principe d’équidistance» est clairement établi par le droit international
et la jurisprudence56, tandis que le Kenya a mis l’accent sur des considérations «d’équité et de
justice» qui, selon lui, aboutissent au «parallèle de latitude» figurant dans sa proclamation
présidentielle de 200557.
52 Mission permanente de la République du Kenya, Rapport sur les travaux de la Seconde session de la Troisième
Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer qui s’est tenue à Caracas, Venezuela (20 juin-29 août 1974),
doc. no 273/430/001A/15 (28 oct. 1974), p. 64 (les italiques sont de nous). CMK, vol. II, annexe 11. Le Kenya a donc tort
de dire que la revendication de la Somalie en matière d’équidistance a été exprimée pour la première fois en 2014 ; voir,
par exemple, CMK, par. 2, 4, 21 et 180.
53 Secrétaire chargé des affaires étrangères, République du Kenya, et vice-premier ministre, ministre des affaires
étrangères et de la coopération internationale, République fédérale de Somalie, Communiqué de presse commun (31 mai
2013). EPK, vol. II, annexe 31.
54 Lettre de S. Exc. M. Abdirahman Beileh, ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de
la République fédérale de Somalie à S. Exc. Mme Amina Mohamed, ministre des affaires étrangères et du commerce
international de la République du Kenya, no MOFA/SER/MO/ /2014 (13 mars 2014). MS, vol. III, annexe 43.
55 Concernant les négociations, voir MS, par. 3.43-3.56.
56 République fédérale de Somalie, Rapport sur la réunion entre la République fédérale de Somalie et la
République du Kenya sur le différend relatif à la frontière maritime, Nairobi, Kenya, 26-27 mars 2014 (1er avril 2014),
p. 2. MS, vol. III, annexe 24. Voir aussi : Gouvernement de la Somalie et Gouvernement du Kenya, Rapport commun sur
la réunion Kenya-Somalie relative à la frontière maritime, 26-27 mars 2014 (1er avril 2014), p. 5. MS, vol. III,
annexe 31 ; note verbale du ministère des affaires étrangères et du commerce international de la République du Kenya
adressée au ministère des affaires étrangères et de la promotion des investissements de la République fédérale de Somalie
no MFA. PROT 7/17A VOL. IV (18) (11 juillet 2014). MS, vol. III, annexe 44.
57 Gouvernement de la Somalie et Gouvernement du Kenya, Rapport commun sur la réunion Kenya-Somalie
relative à la frontière maritime, 26-27 mars 2014 (1er avril 2014), p. 3. MS, vol. III, annexe 31 ; République fédérale de
Somalie, Rapport sur la réunion entre la République fédérale de Somalie et la République du Kenya sur le différend
relatif à la frontière maritime, Nairobi, Kenya, 26-27 mars 2014 (1er avril 2014), p. 2. MS, vol. III, annexe 24. Voir
aussi : Gouvernement de la Somalie et Gouvernement du Kenya, Rapport commun sur la réunion Kenya-Somalie relative
à la frontière maritime, 28-29 juillet 2014 (juillet 2014). MS, vol. III, annexe 32.
22
- 15 -
2.33. Ces négociations montrent non seulement ce qu’elles révèlent  à savoir que la
Somalie réaffirmait sa prétention à une frontière basée sur l’équidistance et que le Kenya
revendiquait un parallèle de latitude  mais aussi ce qu’elles ne contiennent pas : la moindre
référence de la part du Kenya à une frontière convenue ou acceptée. Au cours de ces réunions
politiques ou techniques, le Kenya n’a jamais fait la moindre allusion à cet argument. Selon la
Chambre spéciale du TIDM en l’affaire Ghana/Côte d’Ivoire : «[T]he fact that the bilateral
exchanges and negotiations on the delimitation of a maritime boundary took place between the
Parties indicates the absence, rather than the existence, of a maritime boundary.»58
E. Législation du Kenya et déclarations des responsables kényans
2.34. Comme nous l’avons montré, le Kenya a fait de nombreuses déclarations, aux niveaux
international et bilatéral, dans lesquelles il a affirmé que cette frontière n’est pas établie et qu’elle
reste à négocier et à régler par un accord. Le Kenya en a fait de même au niveau intérieur. De
nombreux instruments et déclarations officiels émanant de ministères kényans, notamment
l’Assemblée nationale du Kenya et le directeur du bureau des frontières internationales du Kenya,
confirment que la Somalie et le Kenya ont des points de vue divergents sur leur frontière maritime
et que ce différend reste à régler.
2.35. En 1980, soit un an après la proclamation présidentielle de 1979, le représentant du
Kenya aux négociations sur la convention des Nations Unies sur le droit de la mer a déclaré devant
le Parlement kényan que la question de la frontière avec la Somalie devait être résolue par des
discussions bilatérales et, à terme, par un accord officiel (une convention) : «Bien que cette
question de la délimitation soit encore en discussion, en ce qui nous concerne ici au Kenya, cette
discussion a lieu aux fins de la convention proposée…»59
2.36. En 1989, dix ans après la proclamation présidentielle de 1979, le Kenya a adopté sa loi
sur les zones maritimes, qui prévoit que :
«La frontière nord de la zone économique exclusive avec la Somalie sera
délimitée par notification publiée dans la Gazette par le ministre conformément à un
accord conclu entre le Kenya et la Somalie sur la base du droit international.»60
2.37. La loi de 1989 sur les zones maritimes a été notifiée à la division des affaires maritimes
et du droit de la mer (DOALOS) et demeure en vigueur aujourd’hui. Elle est toujours disponible
sur le site Internet de DOALOS61. Le Kenya la mentionne dans ses déclarations internationales62 et
dans plusieurs autres textes de loi nationaux63.
58 Ghana/Côte d’Ivoire, par. 243.
59 République du Kenya, Rapport officiel de l’Assemblée nationale : Quatrième parlement inauguré, vol. LII
(1980), col. 1281 (cité dans CMK, par. 73) (les italiques sont de nous). CMK, vol. II, annexe 5.
60 République du Kenya, chap. 371, Loi sur les zones maritimes (25 août 1989), § 4(4). MS, vol. III, annexe 20
(citée dans le CMK, par. 79) (les italiques sont de nous). La partie de la loi de 1989 sur les zones maritimes relative à la
délimitation de la mer territoriale contredit également la proclamation présidentielle de 1979 du Kenya. En effet, elle
prévoit que la frontière dans la mer territoriale «s’étendra jusqu’à une ligne médiane dont chaque point est à égale
distance des points les plus proches des lignes de base à partir desquelles la largeur des eaux territoriales» est mesurée.
République du Kenya, loi de 1972 no 2, Loi sur les eaux territoriales (16 mai 1972), § 2(4). MS, vol. III, annexe 16.
61 UN-OLA, Bureau des affaires juridiques, division des affaires maritimes et du droit de la mer, «Kenya»,
disponible à http ://www.un.org/Depts/los/LEGISLATIONANDTREATIES/STATEFILES/KEN.htm (dernière mise à
jour le 14 octobre 2014). RS, vol. II, annexe 22.
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24
- 16 -
2.38. L’interprétation que fait le Kenya de ces instruments dans son contre-mémoire est
contradictoire : selon le Kenya, ceux-ci ne font rien d’autre que reconnaître qu’il n’existait «pas
d’accord officiel»64. Cependant, les déclarations faites par le Kenya aux niveaux intérieur et
international vont clairement bien au-delà. Elles admettent que la frontière maritime avec la
Somalie reste à délimiter, et, pour cette raison, elles sapent intégralement l’argument du Kenya
concernant un acquiescement. Ces déclarations admettent également que cette délimitation devait
être effectuée par le biais d’un traité conclu en bonne et due forme, suite à quoi une notification à
cet égard devait être publiée dans la Gazette du ministère des affaires étrangères. Il est en effet
difficile de comprendre comment un accord informel pourrait être publié dans la Gazette. Ainsi, la
législation du Kenya stipule que la délimitation avec la Somalie ne peut être effectuée que par un
accord.
2.39. De nombreuses déclarations de responsables kényans confirment de la même manière
qu’il existe un différend non résolu sur les frontières avec la Somalie. Par exemple, en 2012, après
la date limite de dépôt concernant les soumissions présentées à la CLPC, le ministère des affaires
étrangères du Kenya a déclaré que l’absence d’accord sur la frontière constituait un problème en
rapport aux ambitions maritimes du Kenya :
«L’absence d’accord frontalier entre le Kenya et la Somalie, ainsi que
l’instabilité persistante dans ce dernier pays, risquent de retarder la quête du Kenya,
qui cherche à ajouter 150 milles marins supplémentaires à ses eaux territoriales dans
l’océan Indien. … Le ministère des affaires étrangères, dans un rapport destiné au
Trésor, indique que cette quête est confrontée à un problème qui doit être approuvé
par la communauté internationale en raison des facteurs susmentionnés.»65
2.40. En 2013, le ministère des mines du Kenya a publié un Plan sectoriel 2013-2017 pour le
pétrole et les autres minéraux, qui expliquait que :
«Le Kenya est en désaccord avec la Somalie concernant leur frontière maritime
dans les eaux de l’océan Indien. Il existe également des blocs d’exploration pétrolière
et gazière dans la zone en litige au large du bassin de Lamu, et le règlement de ce
62 Voir, par exemple, République du Kenya, Soumission relative à la soumission concernant le Plateau
continental au-delà de 200 milles marins déposée auprès de la Commission des limites du plateau continental : note de
synthèse (avril 2009), par. 7-3. MS, vol. III, annexe 59.
63 Voir République du Kenya, lois du Kenya, chap. 2, loi sur l’interprétation et les dispositions générales (1983,
révisée en 2008), § 3 a). MS, vol. III, annexe 23 ; République du Kenya, Loi relative à l’autorité du développement côtier
(18 janv. 1990), reproduite dans LAWS OF KENYA, chap. 449 (revisée en 2012), § 2. RS, vol. II, annexe 2 ; c. Section 2
de la Loi de 1991 sur la pêche prévoit que : «Le terme «Eaux de pêche du Kenya» désigne les eaux intérieures et les eaux
des zones maritimes indiquées dans la loi sur les zones maritimes (légende 371)» (République du Kenya, Loi sur la pêche
(25 août 1989), reproduite dans LAWS OF KENYA, chap. 378 (révisée en 2012), § 2. RS, vol. II, annexe 1) ;
République du Kenya, Loi sur la gestion et la coordination de l’environnement (14 janvier 2000), reproduite dans LAWS
OF KENYA, chap. 387 (révisée en 2012), § 2. RS, vol. II, annexe 3 ; République du Kenya, Loi sur l’énergie (2006), § 2.
RS, vol. II, annexe 4 ; République du Kenya, Loi sur les mines, loi no 12 de 2016 (27 mai 2016), § 4. RS, vol. II,
annexe 5. Les publications officielles du Gouvernement kenyan font également systématiquement référence à la loi sur
les zones maritimes. Voir, par exemple, République du Kenya, Autorité de gestion de l’environnement national, Rapport
sur l’état des côtes : vers une gestion intégrée des ressources côtières et marines au Kenya (2009), p. 60, par. 7.1.4.5.
RS, vol. II, annexe 8.
64 CMK, par. 79-80, 102, 246, 264.
65 F. Oluoch et M. Kimani, «War hits Kenya’s bid to expand waters» (La guerre empêche le Kenya d’étendre ses
eaux territoriales), The East African (29 janv. 2012). RS, vol. II, annexe 36.
25
26
- 17 -
différend sera nécessaire pour éviter des conflits relatifs à des ressources naturelles,
qui sont encore plus difficiles à résoudre que les autres.»66
2.41. En octobre 2014, après que la Somalie eut soumis sa requête introductive d’instance, la
Commission départementale de la défense et des relations étrangères de l’Assemblée nationale du
Kenya «organisa à Mombasa du 9 au 12 octobre 2014 un atelier conjointement avec différentes
agences gouvernementales dans le but de délibérer sur les frontières internationales entre la
Somalie et le Kenya»67. Au cours [de] cet atelier gouvernemental de quatre jours, Mme Juster
Nkoroi (EBS), la directrice du bureau des frontières internationales du Kenya et présidente du
groupe de travail sur la délimitation du plateau continental extérieur du Kenya, a fait un exposé
intitulé «Frontières internationales du Kenya : défis/enjeux juridiques». Au cours de cet exposé,
Mme Nkoroi a expliqué que, «à ce jour, l’espace maritime du Kenya n’est pas encore finalisé en
raison de revendications affirmant qu’il chevauche la zone maritime de la Somalie». Mme Nkoroi
n’a jamais parlé d’«acquiescement». Au contraire, elle «a informé les participants à cette réunion
de la nécessité de conclure de toute urgence le processus de définition des frontières du Kenya»68.
2.42. En plus de préciser que la frontière maritime entre les Parties n’était pas délimitée,
Mme Nkoroi a expliqué avec franchise le fondement de l’objection du Kenya à une frontière
maritime équidistante avec la Somalie. Cela, a-t-elle indiqué, est fondé sur la volonté du Kenya
d’exploiter «l’immense potentiel de richesse» existant dans la partie du plateau continental
extérieur située du côté somalien de la ligne d’équidistance :
«[A] ce jour, l’espace maritime du Kenya n’a pas encore été finalisé car
certaines revendications prétendent qu’il chevauche la zone maritime
somalienne … L’insistance de la Somalie concernant l’utilisation d’une ligne médiane
pour délimiter la zone maritime dans l’océan Indien ferait perdre au Kenya une partie
considérable de sa superficie sur le plateau continental extérieur (PCE). Cela doit être
évité étant donné qu’il existe un potentiel de richesse considérable dans les mers.»69
2.43. Dans la même veine, Mme Florence Atenyo-Abonyo, la directrice des services aux
Commissions, a informé le Parlement kényan que «la question des litiges concernant les frontières
internationales terrestres et maritimes est un enjeu qui existe depuis longtemps»70. Le rapport de la
dernière réunion a lui aussi fait observer que le thème principalement débattu lors de cette réunion
était «la nécessité, pour le Kenya, de conclure de manière urgente le processus de définition de ses
frontières»71.
2.44. Sur la base de ses propres positions répétées et récentes, le nouvel argument du Kenya
concernant l’acquiescement est invraisemblable au point qu’il est impossible d’arguer sur cette
base.
66 République du Kenya, ministère des mines, Plan sectoriel 2013-2017 pour le pétrole et les autres minéraux
(2013), p. 4-5 (les italiques sont de nous). RS, vol. II, annexe 10.
67 République du Kenya, Assemblée nationale, Commission départementale de la défense et des relations
étrangères, Rapport de l’atelier sur la Somalie et les frontières internationales (oct. 2014), p. 5. RS, vol. II, annexe 11.
68 Ibid., p. 21.
69 Ibid.
70 Ibid., p. 11.
71 Ibid., p. 22.
27
- 18 -
SECTION III
L’ABSENCE DE FRONTIÈRE CONVENUE EST LARGEMENT RECONNUE
2.45. Le Kenya n’est pas le seul à reconnaître que la frontière maritime entre le Kenya et la
Somalie reste à délimiter. C’est également le point de vue de nombreux autres Etats et
organisations internationales, y compris les Nations Unies.
2.46. Le 11 avril 2011, par exemple, le Conseil de sécurité des Nations Unies a publié la
résolution 1976, dans laquelle il est indiqué que les frontières maritimes de la Somalie doivent être
délimitées dans les meilleurs délais. Le Conseil de sécurité :
«invite les États et les organisations régionales à maintenir leur soutien et leur
assistance à la Somalie dans ses efforts pour développer des activités nationales de
pêche et des activités portuaires conformément au Plan d’action régional, et, à cet
égard, souligne l’importance de délimiter le plus tôt possible les espaces maritimes
somaliens conformément à la Convention»72.
Compte tenu du rôle joué par le Conseil de sécurité dans la lutte contre la piraterie et la
contrebande dans les eaux situées au large de la côte somalienne, il savait et était préoccupé par le
fait que la frontière maritime avec le Kenya n’était pas encore délimitée.
2.47. En août 2011, l’absence de frontière maritime délimitée a été reconnue dans une note
verbale adressée par la Norvège73 aux Nations Unies. Cette note faisait référence à la
résolution 1976 et soulignait l’existence de «questions de délimitation maritime non résolues entre
la Somalie et les États côtiers voisins». C’est dans ce contexte que la Norvège a attiré l’attention
sur les termes du mémorandum d’accord entre la Somalie et le Kenya, notant que les soumissions à
la CLPC présentées par les Parties «ne porteront pas atteinte à la délimitation future des frontières
maritimes dans la zone en litige». La Norvège a souligné qu’il importait de délimiter rapidement
les frontières maritimes non résolues de la Somalie afin de «jeter les bases de la protection et de
l’exploitation future, par la Somalie, de ses ressources naturelles, et de préserver ainsi les intérêts
importants des générations somaliennes futures»74.
2.48. En juillet 2013, le groupe de contrôle pour la Somalie des Nations Unies a publié un
rapport qui mentionne l’existence d’un «conflit» concernant la frontière maritime entre les Parties
et fait spécifiquement référence aux différentes revendications des deux Parties :
«Conflit entre la Somalie et le Kenya concernant leur frontière maritime
27. La Somalie et le Kenya ont des interprétations divergentes de leurs
frontières maritimes et des droits territoriaux en mer associés. Présentement, la
Somalie affirme que sa frontière maritime avec le Kenya est perpendiculaire à la côte,
bien que cette frontière ne soit pas inscrite dans un accord mutuellement accepté avec
72 Conseil de sécurité des Nations Unies, résolution 1976 (2011), Nations Unies, doc. S/RES/1976 (11 avril
2011), p. 3 (les italiques sont de nous). CMK, vol. III, annexe 95.
73 La Cour se souviendra du rôle important joué par la Norvège dans le cadre à la fois de la préparation de la
soumission de la Somalie à la CLPC et de la rédaction du mémorandum d’accord. Voir Somalie c. Kenya, exceptions
préliminaires, arrêt, p. 40-42, par. 100-104.
74 Note verbale de la mission permanente de la Norvège auprès des Nations Unies adressée au Secrétariat des
Nations Unies (17 août 2011). EPK, vol. II, annexe 4.
28
29
- 19 -
le Kenya, ce dernier considérant que cette frontière maritime est définie par la ligne de
latitude dépassant sa frontière avec la Somalie.»75
Il est en outre souligné que «la Somalie et le Kenya sont tenus de lancer un processus séparé pour
négocier une frontière maritime mutuellement acceptable»76.
2.49. La zone d’intervention maritime de la mission de l’Union africaine en Somalie
(«AMISOM») au large des côtes somaliennes couvre, dans son district méridional, une zone
s’étendant quasiment le long d’une ligne d’équidistance, comme illustré à la figure R2.1 (ci-après).
Le Kenya ne pouvait l’ignorer, puisqu’il a rejoint les forces de l’AMISOM en 200777 et qu’il était
responsable du district sud78.
75 Nations Unies, groupe de contrôle pour la Somalie et l’Erythrée, Rapport sur le Groupe de contrôle pour la
Somalie et l’Érythrée conformément à la Résolution 2060 du Conseil de sécurité (2012) : Somalie, Nations Unies,
doc. S/2013/413 (12 juillet 2013), par. 27. MS, vol. III, annexe 64.
76 Ibid., par. 32.
77 CMK, par. 96.
78 Fred Oluoch, «L’ONU dévoile le nouveau look de l’AMISOM au moment où le Kenya s’y joint», The East
African (11 fév. 2012). RS, vol. II, annexe 37.
30
- 20 -
Figure R2.1 : AMISOM : zones maritimes d’intervention
2.50. Ces déclarations et actions attestent que la communauté internationale reconnaît le fait
que les Parties n’avaient pas délimité leur frontière maritime avant la requête de la Somalie auprès
de la Cour en 2014 et n’avaient certainement pas établi de frontière le long d’un parallèle de
latitude.
SECTION IV
ACTIVITÉS ALLÉGUÉES DU KENYA DANS LA ZONE EN LITIGE
2.51. Bien que le Kenya fonde son argument d’acquiescement sur ses propres proclamations
présidentielles de 1979 et de 2005, il invoque également des effectivités prétendues  à savoir ses
activités dans la zone en litige contre lesquelles la Somalie n’aurait prétendument jamais
protesté  constituant une confirmation de la frontière parallèle revendiquée par le Kenya79. Cet
argument est faux à la fois en droit et en fait.
79 Voir CMK, par. 115-154.
- 21 -
2.52. En droit, le principe qui s’applique est que des effectivités ne peuvent constituer un
élément à prendre en compte aux fins d’une délimitation maritime. Les effectivités maritimes, à la
différence des démonstrations de souveraineté vis-à-vis d’une zone terrestre, ne peuvent être prises
en compte que si elles reflètent un accord tacite80. Si c’est le cas, elles peuvent éventuellement
constituer une circonstance pertinente pour une délimitation selon la méthode standard en trois
temps. Comme indiqué ci-dessus, le Kenya ne dit pas qu’il y ait eu un accord tacite en l’espèce81.
2.53. Le Kenya invoque de manière surprenante la sentence du tribunal arbitral dans l’affaire
Guyana c. Suriname, ce qui contredit effectivement son argument. En effet, ce tribunal a constaté
que la jurisprudence «révèle une profonde réticence des cours et tribunaux internationaux à donner
une importance particulière à la pratique pétrolière des parties au moment de fixer une ligne de
délimitation»82. De fait, et tel que le TIDM l’a récemment observé :
«les cours et tribunaux internationaux ont été systématiquement réticents à considérer
les concessions pétrolières et les activités pétrolières comme des circonstances
pertinentes justifiant l’ajustement d’une ligne de délimitation provisoire»83.
2.54. Cette réticence s’applique non seulement aux activités pétrolières mais également
lorsque le prétendu déploiement de l’autorité publique ou de l’Etat concerne la pêche ou le
maintien de l’ordre. Comme l’a noté le tribunal arbitral dans l’affaire La Barbade
c. Trinité-et-Tobago :
«En examinant le dossier de la présente affaire, le Tribunal n’a pas trouvé
d’activité de portée juridique déterminante pour la Barbade dans la zone revendiquée
par Trinité-et-Tobago au nord de la ligne d’équidistance. Les levés sismiques autorisés
sporadiquement, les concessions pétrolières dans la région et les patrouilles, bien que
pertinents, ne fournissent pas suffisamment de preuves pour établir un estoppel ou un
acquiescement de la part de Trinité-et-Tobago. Par ailleurs, il n’existe pas non plus de
preuve d’une activité significative de la part de Trinité-et-Tobago en rapport avec
l’exercice de sa propre juridiction revendiquée au nord de la ligne d’équidistance.
En outre, l’argument de Trinité-et-Tobago selon lequel, comme l’a jugé la Cour
internationale de Justice dans l’affaire Cameroun c. Nigéria (C.I.J. Recueil 2002,
p. 303), les puits de pétrole ne doivent pas être considérés en eux-mêmes comme des
circonstances pertinentes, sauf s’ils sont basés sur un accord exprès ou tacite entre les
parties, s’applique dans ce contexte. Quand bien même la question de l’activité
sismique a été considérée comme importante par la Cour internationale de Justice dans
l’affaire de la mer Égée (C.I.J. Recueil 1976, p. 3), le contexte de cette décision, qui
faisait suite à une demande de mesures conservatoires, n’est pas pertinent concernant
l’établissement définitif d’une frontière maritime.»84
80 Voir Golfe du Maine, p. 303-312, par. 126-154 ; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le
Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 447-448, par. 304 ;
Roumanie c. Ukraine, p. 125, par. 197 ; Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt,
C.I.J. Recueil 2012 (II) (ci-après «Nicaragua c. Colombie»), p. 705, par. 220 ; Ghana/Côte d’Ivoire, par. 467-481.
81 Voir ci-dessus, par. 2.4.
82 Arbitrage concernant la délimitation de la frontière maritime entre le Guyana et le Suriname, Décision du
17 septembre 2007, UNRIAA, vol. XXX, p. 1 (ci-après «Guyana c. Suriname»), par. 390 (CMK, par. 367, 370).
83 Ghana/Côte d’Ivoire, par. 476.
84 Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago relatif à la délimitation de la zone
économique exclusive et du plateau continental entre eux, Décision du 11 avril 2006, UNRIAA, vol. XXVII, p. 147
(ci-après «La Barbade c. Trinité-et-Tobago»), par. 363-364.
31
32
- 22 -
2.55. Par conséquent, les activités que le Kenya prétend avoir entreprises dans la zone
maritime en litige ne peuvent, par principe, être invoquées pour étayer l’existence d’une frontière
maritime le long d’un parallèle de latitude que la Somalie a prétendument acceptée.
2.56. L’affirmation du Kenya est non seulement réfutée par la jurisprudence, mais aussi par
les éléments de preuve invoqués par le Kenya. Ces éléments de preuve établissent que les
prétendues manifestations d’autorité du Kenya dans la zone maritime en litige étaient, tout au plus,
sporadiques, peu fréquentes et récentes. Elles ont également eu lieu à une époque où, en raison de
la guerre civile, il n’y avait pas de gouvernement fonctionnel en Somalie capable de surveiller la
situation ou de s’informer sur les activités d’autres Etats dans les zones maritimes situées au large
des côtes somaliennes, sans parler d’être capable d’exercer un contrôle effectif sur de telles
activités. En outre, certaines des prétendues manifestations d’autorité invoquées par le Kenya ont
été effectuées conformément à l’autorisation expresse du Conseil de sécurité des Nations Unies
d’entrer dans l’espace maritime somalien  qui a été décrit comme allant jusqu’à une ligne
d’équidistance avec le Kenya  aux fins des opérations multinationales de maintien de la paix des
Nations Unies.
A. Effectivités alléguées : patrouilles navales
2.57. A l’appui de son affirmation selon laquelle il exerce son autorité sur l’espace maritime
jusqu’à une ligne parallèle depuis 1979, le Kenya s’appuie sur une carte de commandement navale
«secrète» prétendument publiée en 198085. Le Kenya n’a notamment fourni aucun élément de
preuve démontrant (ou ne démontrant absolument pas) que la marine kényane a effectué des
patrouilles jusqu’à la ligne parallèle entre la date de la proclamation de 1979 et la promulgation de
la loi de 1989 sur les zones maritimes du Kenya, soit dix ans plus tard. Cela ne signifie
certainement pas que cette carte «secrète» ait jamais été communiquée à la Somalie.
2.58. Au lieu de cela, le Kenya s’appuie sur les carnets de bord d’une poignée de navires
kényans qui, selon lui, témoignent d’une «activité considérable» en 1990 et 1991 à proximité de la
frontière parallèle alléguée86. Le fait que le Kenya s’appuie sur ces éléments de preuve est
révélateur de la faiblesse de son argumentation. En particulier :
a) Les carnets de bord en question font simplement référence aux navires qui patrouillaient à
proximité de la «frontière nord» du Kenya. Ils ne révèlent en rien l’endroit où cette frontière
était jugée être située. Le contenu de ces carnets de bord pourrait donc tout autant être interprété
comme démontrant l’existence d’une frontière équidistante en tant que frontière parallèle.
b) Quoi qu’il en soit, et tel que le Kenya l’a reconnu, la Somalie a été frappée au début des
années 1990 par une guerre civile dévastatrice qui a détruit l’infrastructure de base de l’Etat.
Dans ces circonstances, la Somalie ne pouvait pas détecter les incursions dans son espace
maritime et encore moins prendre des mesures actives et efficaces pour les prévenir. Et en effet,
le contre-mémoire du Kenya souligne expressément «l’absence de capacité de la Somalie à
contrôler son territoire maritime» et «l’incapacité manifeste de la Somalie à contrôler son
territoire terrestre et maritime»87  une absence et une incapacité qui étaient encore plus
prononcées au début de cette guerre civile qui a duré deux décennies. Les preuves présentées
par le Kenya concernant des patrouilles maritimes dans les zones en litige se limitent à la
85 CMK, par. 120.
86 Ibid., par. 125.
87 CMK, par. 183.
33
34
- 23 -
période où il reconnaît que la Somalie n’était pas en mesure de contrôler les entrées dans ces
eaux.
2.59. Le Kenya montre également un diagramme représentant prétendument des patrouilles
navales et des interceptions kenyanes dans la mer territoriale entre 1990 et 201488. Plusieurs aspects
essentiels de ce diagramme révèlent les lacunes du dossier du Kenya.
a) La quasi-totalité des points représentés sur la carte sont simplement décrits comme étant des
«Extraits des carnets de bord des navires de patrouille de la marine kényane pendant la période
2008-2015». Ils visent ainsi à décrire les emplacements transitoires89 des navires de la marine
kényane dans l’espace maritime en litige après que le différend concernant la frontière maritime
avait émergé entre les Parties. Rien n’indique non plus que ces navires ont exercé une
quelconque activité autre que l’exercice des droits internationalement reconnus de liberté de
navigation (entre 12 et 200 milles de la côte) et de passage inoffensif (dans les 12 milles). Cette
présence transitoire de navires kényans dans l’espace maritime en litige ne peut donc constituer
une preuve de quelconques effectivités à l’appui de la revendication du Kenya.
b) La carte montre plusieurs prétendues «interception[s] de navires marchands par des navires de
la marine kenyane pendant une patrouille au cours de la période 1990-2014». Ce graphique est
basé sur un tableau de 22 points d’interception présumés produits par le Kenya. La carte du
Kenya se concentre délibérément sur quelques interceptions et ne montre pas la totalité des
22 interceptions répertoriées dans le tableau sous-jacent90. Contrairement à la figure 1-13 du
Kenya, la figure R2.2 (p. 25) montre l’emplacement de la totalité des 22 interceptions
présumées sur la base des coordonnées fournies par le Kenya. Comme on peut le constater, 14
des interceptions présumées ont eu lieu dans l’espace maritime situé au sud de la ligne
d’équidistance, et elles n’appuient donc en rien la revendication du Kenya concernant une
frontière parallèle. Deux de ces interceptions présumées ont eu lieu dans une zone de la mer
territoriale située au nord de la ligne parallèle, ce qui indique que la marine kényane a procédé
à des interceptions sans tenir compte de l’existence d’une quelconque frontière maritime. Seules
quatre interceptions auraient eu lieu dans la zone située entre la ligne d’équidistance et la ligne
parallèle au cours d’une période de près d’un quart de siècle. Sur les quatre, deux seraient
survenues dans les années 1990 (donc à une époque pendant laquelle il n’y avait pas de
gouvernement fonctionnel en Somalie), et les deux autres seraient survenues en 2008 et 2011,
c’est-à-dire après que le différend concernant la frontière maritime soit manifestement apparu
entre les Parties91.
2.60. A partir d’au moins 2012, des patrouilles et des interceptions de la marine kényane
dans l’espace maritime somalien ont eu lieu sous les auspices de l’AMISOM sur autorisation
expresse du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le 5 janvier 2012, le Conseil de paix et de
88 Ibid., par. 123 et fig. 1-13. Malgré le titre de cette figure, un petit nombre de patrouilles présumées indiquées
dans le diagramme auraient eu lieu au-delà de la limite des 12 milles marins de la mer territoriale.
89 Le tableau des «Extraits des carnets de bord» sur lequel est prétendument basée la carte des patrouilles navales
du Kenya montre que ces navires étaient présents à des endroits spécifiques pendant moins de 45 minutes dans la grande
majorité des cas, et dans certains cas pendant seulement 5 minutes. Voir mémoire du lieutenant-colonel J. S. Kiswaa,
marine kényane, adressé au commandant de la marine kényane, no KN/56/Ops/Trg (juillet 2015), annexe A, Extraits des
carnets de bord des navires de patrouille de la marine kényane dans les limites de la frontière commune (juin 2015).
CMK, vol. II, annexe 44.
90 Communication du Lt. Col. J. S. Kiswaa, marine kényane, adressé au commandant de la marine kényane,
no KN/56/Ops/Trg (juillet 2015), annexe C, Interception de navires marchands par des navires de la marine kényane
alors qu’ils patrouillaient dans la frontière commune FM 1990-2014 (23 juillet 2015). CMK, vol. II, annexe 44.
91 Ibid. En tout état de cause, l’exactitude des données sous-jacentes est compromise par le fait que les
coordonnées fournies par le Kenya placeraient les quatre interceptions navales présumées comme des interceptions
terrestres.
35
36
- 24 -
sécurité de l’Union africaine a étendu la zone d’opérations de l’AMISOM en Somalie à quatre
secteurs. Ces secteurs incluent le secteur «Zone maritime : Sud», qui s’étend jusqu’à une ligne
d’équidistance à la fois à l’intérieur et au-delà de la mer territoriale, comme le montre la
figure R2.1 (p. 20).
2.61. Le 22 février 2012, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la
résolution 2036 se félicitant de «la volonté du gouvernement du Kenya d’inclure des forces
kényanes à l’AMISOM». Il a autorisé l’AMISOM à «établir une présence dans les quatre secteurs
énoncés dans le Concept stratégique de l’AMISOM du 5 janvier» et à «prendre toutes les mesures
nécessaires dans ces secteurs», tout en agissant «dans le plein respect de la souveraineté [et de
l’]«intégrité territoriale» de la Somalie92. Ainsi, à partir de 2012, le Kenya a été autorisé à
patrouiller l’espace maritime somalien dans le cadre d’une mission multinationale de maintien de la
paix approuvée par l’ONU et fondée sur le plein respect de la souveraineté de la Somalie sur son
espace maritime. Même avant 2012, il semble que le Kenya a eu des activités dans l’espace
maritime somalien dans le cadre du mandat de maintien de la paix de l’AMISOM, et non dans le
cadre de l’exercice présumé d’une quelconque autorité souveraine par le Kenya93.
92 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 2036 (2012), doc. S/RES/2036 (22 février 2012), p. 3, par. 1. RS,
vol. II, annexe 20.
93 Tel que le Kenya l’a souligné :
«Depuis janvier 2007, le Kenya joue un rôle clé dans la mission de l’Union africaine en Somalie
(«AMISOM»). Sa participation à l’AMISOM comprend un volet maritime, et la marine kényane encoure
des dépenses importantes en rapport avec ses patrouilles dans les zones maritimes somalienne et kényane
au nord et au sud du parallèle.» CMK, par. 96.
- 25 -
Figure R2.2 : Interceptions par la marine kényane : 1990-2014
- 26 -
2.62. Par conséquent, loin d’appuyer la revendication du Kenya, les patrouilles navales
confirment en réalité que la Somalie a droit à une frontière maritime équidistante.
2.63. La faiblesse fondamentale de l’argumentation du Kenya est également illustrée par le
fait que son argumentation est fondée sur la lettre d’un officier de la marine du Kenya datée du
5 octobre 2017, juste à temps pour le contre-mémoire du Kenya. Cette lettre, qui ne contient que
des assertions non corroborées, est la seule preuve que le Kenya présente pour soutenir son
argument selon lequel sa marine «est guidée par» les proclamations de 1979 et de 200594. Une
affirmation intéressée, non étayée et formulée aux fins du litige en 2017 à propos de la pratique
historique alléguée concernant l’emplacement d’une frontière en litige n’a aucune valeur probante
dans une affaire engagée en 2014, tel que cela a été clairement établi par le TIDM dans l’affaire
Bangladesh/Myanmar95.
B. Effectivités alléguées : zones de pêche et recherche scientifique marine
2.64. Les prétendues preuves présentées par le Kenya concernant les activités de recherche
scientifique marine et les activités de pêche dans la zone maritime en litige sont également dénuées
de la moindre valeur probante.
2.65. Premièrement, il convient de noter que a) la plupart des activités scientifiques marines
sur lesquelles le Kenya s’appuie étaient en réalité des activités menées par des organisations
internationales et non par le Kenya, et b) à une exception près, le Kenya ne prétend pas que l’une
quelconque de ces activités d’organisations internationales ait réellement eu lieu dans la zone
maritime en litige. Au contraire, le Kenya, lorsqu’il s’appuie sur ces activités scientifiques marines,
se limite à mentionner une poignée de cartes produites par ces organisations en lien avec leurs
recherches. Aucune d’elles ne vise à montrer la frontière maritime entre les Parties.
2.66. En tout état de cause, même si certaines de ces activités de recherche scientifique
marine avaient été entreprises dans la zone en litige, le Kenya ne prétend pas les avoir autorisées,
ce qui serait nécessaire pour que de telles activités constituent une preuve potentielle d’un
quelconque exercice d’autorité sur la zone en litige de la part du Kenya96. En tant que telles, ces
activités ne sont en aucun cas en mesure d’étayer l’affirmation selon laquelle le Kenya s’est engagé
dans des effectivités dans la zone maritime en litige.
94 CMK, par. 127 (citant la lettre du Lt. Col. M. R. Atodonyang, marine kényane, adressée à Mme Juster Nkoroi,
directrice du bureau des frontières internationales du Kenya (5 oct. 2017). CMK, vol. II, annexe 48.)
95 Bangladesh/Myanmar, par. 114-115.
96 L’article 246 1) de la convention prévoit que «Les Etats côtiers, dans l’exercice de leur juridiction, ont le droit
de réglementer, d’autoriser et de mener des recherches scientifiques marines dans leur zone économique exclusive et sur
leur plateau continental conformément aux dispositions pertinentes de la présente Convention.» Pareillement,
l’article 245 de la convention stipule que
«Les Etats côtiers, dans l’exercice de leur souveraineté, ont le droit exclusif de réglementer,
d’autoriser et de mener des recherches scientifiques marines dans leur mer territoriale. Toute recherche
scientifique marine dans la mer territoriale ne peut être menée qu’avec le consentement exprès de l’État
côtier et selon les conditions fixées par lui.»
Le Kenya ne prétend pas avoir autorisé des activités de recherche scientifique marine menées dans les zones en
litige dans la mer territoriale, dans la ZEE ou sur le plateau continental.
37
38
- 27 -
2.67. Deuxièmement, même si le Kenya (quod non) avait entrepris des activités de recherche
scientifique marine dans la zone maritime en litige, celles-ci ne seraient, juridiquement parlant, en
aucun cas en mesure d’appuyer une quelconque revendication d’une frontière maritime donnée.
L’article 241 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer l’affirme clairement :
«Des activités de recherche scientifique marine ne constituent aucunement une base juridique
permettant de revendiquer une quelconque partie d’un milieu marin ou ses ressources.»
2.68. Troisièmement, nonobstant leur manque de pertinence juridique, une analyse des
preuves montre que les activités de recherche scientifique marine mentionnées par le Kenya ne
constituent en rien un appui factuel plaidant en faveur de l’existence d’une frontière maritime
parallèle :
a) Le Kenya s’appuie sur un diagramme du Programme du professeur Fridtjof Nansen réalisé dans
le cadre de son étude sur les routes et les stations de pêche, en septembre 198297. Cependant,
i) cette étude ne prétendait pas noter l’emplacement des frontières maritimes du Kenya, ii) des
lignes horizontales et verticales ont été utilisées dans l’ensemble du diagramme pour faciliter la
représentation visuelle des différentes zones étudiées, et iii) la ligne horizontale particulière sur
laquelle le Kenya s’appuie correspond à un emplacement situé à plusieurs milles au sud de la
frontière maritime parallèle revendiquée, comme le reconnaît le Kenya98.
b) Le Kenya mentionne également le fait qu’une étude sur les pêcheries réalisée par la
Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO (la «COI de l’UNESCO»)
en 1987-1988 faisait référence à sept points situés dans la ZEE de la Somalie, dont l’un était à
peu près parallèle au terminus de la frontière terrestre99. Cependant, cette étude ne prétend pas
enregistrer ni refléter l’emplacement de la frontière maritime entre les Parties. Elle ne fournit
pas non plus d’informations quant à savoir comment ou pourquoi les sept points à examiner,
dont six sont situés très au nord de la frontière parallèle maintenant revendiquée par le Kenya,
ont été sélectionnés.
c) En outre, le Kenya s’appuie sur un diagramme figurant dans un rapport publié en 1998 par la
COI de l’UNESCO100. La base sur laquelle ce diagramme a été établi n’est pas claire (une
ambiguïté qui est renforcée par la référence, dans la légende de la carte, à une «LIGNE
MÉDIANE»). Les cartes ultérieures produites par la COI de l’UNESCO montrent une ligne
frontalière équidistante plutôt que parallèle. Par exemple, en 2006, la COI de l’UNESCO a
produit un rapport suite à un atelier consacré à la mobilisation de données sur la biodiversité
marine, lequel rapport contient un diagramme où l’on peut noter les niveaux de concentration
des différentes espèces de porifères dans les ZEE des Etats côtiers en Afrique. La carte,
97 CMK, par. 134-135, et fig. 1-17.
98 Le Kenya reconnaît que la limite nord de la «zone étudiée» est située «à 3,5 milles au sud de la ligne du
parallèle de latitude revendiquée dans sa proclamation de 1979 dans la ZEE». CMK, par. 134.
99 CMK, par. 132, et fig. 1-16.
100 Voir CMK, par. 136, et fig. 1-18.
39
40
- 28 -
reproduite à la figure R2.3 (uniquement dans le volume II), représente la frontière entre la ZEE
du Kenya et la ZEE de la Somalie sous forme d’une ligne d’équidistance101.
2.69. En ce qui concerne ses effectivités alléguées relatives à l’exercice de la juridiction de
pêche, le Kenya ne peut pas produire une carte plus convaincante que la figure 1-14. Cette carte
 publiée par le ministère somalien de la pêche et des ressources marines à une date inconnue
avant 1987  indique sept régions de développement de la pêche102. Elle n’indique aucune
frontière maritime avec le Kenya (ni ne prétend l’indiquer), et ne constitue pas une preuve de
quelconques activités de la part du Kenya103.
2.70. Le Kenya affirme également avoir «délivré des permis de pêche à des navires
étrangers, indiquant le parallèle de latitude comme frontière maritime avec la Somalie»104. Ces
permis ont cependant été délivrés en 2011-2012,105 soit bien après que le Kenya ait reconnu
l’existence d’un différend avec la Somalie relatif à leur frontière maritime. En tout état de cause,
rien n’indique que la Somalie ait jamais eu connaissance du fait que le Kenya a délivré des permis
de pêche empiétant sur l’espace maritime de la Somalie.
2.71. A cet égard, il est largement admis qu’en raison du manque de moyens dont la police
maritime somalienne dispose pour effectuer des contrôles en mer, des navires de nombreux Etats
pêchent illégalement dans les eaux territoriales de la Somalie et dans sa zone économique exclusive
 des activités que la Somalie n’est pas en mesure d’empêcher. En 2015, le groupe de contrôle
pour la Somalie de l’ONU a souligné l’ampleur des activités illégales menées dans l’espace
maritime de la Somalie et l’incapacité concrète de ce pays à les empêcher. Il a indiqué que :
«Profitant de la capacité de contrôle maritime limitée du gouvernement fédéral
somalien, de nombreux navires étrangers pêchent dans les eaux somaliennes en
violation du droit international et du Code de la pêche du gouvernement fédéral
somalien, sans permis ou avec de faux documents, et sans communiquer de données à
une quelconque autorité somalienne… La pêche illégale, non déclarée et non
réglementée représente une menace importante pour la paix et la sécurité en
Somalie.»106
2.72. Cette prétendue activité ne peut donc pas appuyer la revendication du Kenya.
101 Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, Commission océanographique
intergouvernementale, Rapport sur les cours de formation no 89 : ODINAFRICA : Atelier de mobilisation des données
sur la diversité biologique marine consacré aux anémones de mer, doc. COI/2006/TCR/89 (4-18 nov. 2006). RS, vol. II,
annexe 17. En 2007, la COI de l’UNESCO a produit une carte essentiellement identique montrant que la frontière entre la
ZEE du Kenya et la ZEE de la Somalie suit une ligne d’équidistance. Voir Organisation des Nations Unies pour
l’éducation, la science et la culture, Commission océanographique intergouvernementale, Dix-neuvième session du
Comité de la COI sur l’échange international de données et d’informations océanographiques (IODE-XIX) : Réseau de
données et d’information océanographiques pour l’Afrique (ODINAFRICA), Nations Unies, doc. IOC/IODE-XIX/35
(22 fév. 2007). RS, vol. II, annexe 18.
102 CMK, par. 129, fig. 1-14.
103 Loin de soutenir l’existence d’une ligne frontalière parallèle, les lignes indiquées plus haut sur la côte est de la
Somalie sont orientées sud-est, ce qui indique que, si la carte avait inclus une ligne marquant le bord de la zone de pêche
la plus méridionale (ce qui n’est pas le cas), cette ligne aurait également été orientée sud-est.
104 CMK, par. 137.
105 Ibid.
106 Groupe de contrôle pour la Somalie et l’Erythrée de l’ONU, Rapport du Groupe de contrôle pour la Somalie
et l’Érythrée conformément à la Résolution 2182 (2014) du Conseil de sécurité : Somalie, Nations Unies,
doc. S/2015/801 (19 oct. 2015), par. 34-35. RS, vol. II, annexe 23.
41
- 29 -
C. Effectivités alléguées : pratique en matière de concessions pétrolières
2.73. Le Kenya tente également de fonder son argument à propos d’effectivités sur sa
pratique en matière de concessions pétrolières dans la zone en litige. L’analyse des éléments de
preuve montre qu’en réalité, le comportement historique du Kenya sape plus qu’il n’appuie son
affirmation selon laquelle il a exercé son autorité de manière systématique jusqu’à une frontière
maritime parallèle.
2.74. Comme la Somalie l’a expliqué dans son mémoire107, la carte des concessions
pétrolières du Kenya produite par Petroconsultants S.A. en 1978 montre la limite nord du bloc de
concessions situé au nord du Kenya, le long d’une ligne qui ressemble beaucoup à une ligne
d’équidistance. Des cartes similaires produites par diverses sociétés de services pétroliers pour les
années 1979, 1982, 1984, 1985, 1994, 1995 et 1996 montrent tous que les blocs de concessions les
plus septentrionaux du Kenya ont continué à respecter la ligne d’équidistance jusqu’à la fin des
années 1990108.
2.75. Le Kenya conteste la pertinence de ces cartes dans son contre-mémoire, en partie sur la
base (révélatrice) du fait que, «pendant cette période, le Kenya n’a pas attribué de blocs dans cette
zone maritime»109. Le Kenya admet ainsi avoir des non-effectivités dans la zone en litige.
Le Kenya reconnaît pourtant que plusieurs des cartes «semblent effectivement montrer que le
bloc L-5 a été tracé au niveau de la ligne d’équidistance dans la mer territoriale» pendant plusieurs
années dans les années 1990110.
2.76. En effet, l’une des cartes citées par le Kenya à l’appui de sa revendication d’une
frontière maritime parallèle  une carte produite par la National Oil Corporation of Kenya en
1995  montre clairement que le périmètre du bloc de concession le plus au nord (L-5) a été tracé
précisément pour qu’il suive une ligne d’équidistance.111 A propos de ce bloc, le Kenya explique
dans son contre-mémoire : «Dans la zone économique exclusive, le bloc a été prolongé vers le sud,
s’éloignant de la frontière maritime somalienne, (plutôt que vers l’est le long du parallèle)»112, ce
qui ne fait que souligner que «l’activité offshore [était] concentrée dans la partie sud du bassin de
Lamu»113— c’est-à-dire loin de la zone en litige.
2.77. Ainsi, pendant deux décennies après la proclamation présidentielle de 1979, la pratique
du Kenya en matière d’octroi de concessions pétrolières en mer s’est limitée à des concessions qui
allaient parfois jusqu’à l’équidistance (mais jamais au-delà). Et en effet, dans son contre-mémoire,
107 MS, par. 3.21, et fig. 3.5A.
108 Voir MS, vol. II, annexes M2-M7 : Petroconsultants S.A., Kenya (Zone côtière) : Tableau synoptique 1979
(février 1980). MS, vol. II, annexe M2 ; Petroconsultants S.A., Kenya (Zone côtière) : Tableau synoptique de 1982
(janvier 1983). MS, vol. II, annexe M3 ; Petroconsultants S.A., Kenya : Tableau synoptique de 1984 (janvier 1985). MS,
vol. II, annexe M4 ; Petroconsultants S.A., Kenya : Tableau synoptique de 1985 (y compris activité actuelle) (avril 1986).
MS, vol. II, annexe M5 ; Petroconsultants S.A., Kenya : Tableau synoptique de 1994 (janvier 1995). MS, vol. II,
annexe M6 ; Petroconsultants S.A., Kenya : Tableau synoptique de 1995 (juillet 1996). MS. vol. II, annexe M7 ;
Petroconsultants S.A., Kenya : Situation présente et Tableau synoptique de 1996 (juin 1997). MS, vol. II, annexe M8.
109 CMK, par. 143.
110 Ibid., par. 144.
111 Voir ibid. ; National Oil Corporation of Kenya, Hydrocarbon Potential of the Coastal Onshore and Offshore
Lamu Basin of South-East Kenya : Integrated Report (Potentiel en hydrocarbures dans les territoires côtiers et dans le
bassin offshore de Lamu, au sud-est du Kenya : Rapport intégré) (1995). CMK, vol. II, annexe 38.
112 CMK, par. 144 (les italiques sont dans l’original).
113 Ibid. (les italiques sont de nous).
42
43
- 30 -
le Kenya ne prétend pas avoir attribué des concessions pétrolières au nord de la ligne
d’équidistance à un quelconque moment entre le moment de son indépendance en 1963 et le
tournant du siècle près de quatre décennies plus tard.
2.78. Comme la Somalie l’a expliqué dans son mémoire, le Kenya n’a commencé à attribuer
des concessions pétrolières dans la zone située au nord de la ligne d’équidistance qu’au milieu de la
longue période de guerre civile en Somalie qui a duré deux décennies, à savoir au milieu des
années 2000114. Le Kenya reconnaît lui-même que son expansion dans cette région depuis le début
du nouveau millénaire est motivée par «un intérêt commercial croissant»115.
2.79. Le Kenya est particulièrement vague concernant ces activités. Bien que le bloc L-5 ait
été «reconfiguré»116 à une date non précisée au début des années 2000, ce n’est qu’en
décembre 2006 que le premier puits d’exploration a été foré dans le bloc agrandi L-5117. Et même à
ce moment-là, ce puits se trouvait juste au nord de la ligne d’équidistance, à un point situé à
environ 17,5 milles au sud de la ligne frontalière parallèle revendiquée118. Le Kenya déclare
également qu’il avait créé un nouveau bloc L-13 «le long du parallèle»119. De nouveau, aucune date
n’est fournie par le Kenya ; cependant, il semble que la première concession pour ce bloc n’a pas
été attribuée avant 2008120.
2.80. Le contre-mémoire du Kenya ne mentionne aucune activité de forage ni aucune
attribution de concession pétrolière entre la date de début du forage du puits d’exploration du
bloc L-5 situé légèrement au nord de la ligne d’équidistance en décembre 2006 et la date de
signature d’un contrat de partage de production portant sur le bloc L-21 le 29 juin 2012121. A cette
date, bien sûr, les deux Parties avaient déjà et depuis longtemps clairement reconnu l’existence
d’un différend relatif à leur frontière maritime. En fait, elles ont conclu un mémorandum d’accord à
propos de ce différend en 2009. En outre, la prétendue extension de ces blocs jusqu’à une ligne
parallèle a suscité de vives protestations officielles de la part du gouvernement somalien122.
2.81. Par conséquent, on peut constater que la pratique du Kenya en matière de concessions
pétrolières ne représente rien de plus que :
a) plus de deux décennies pendant lesquelles aucune activité n’a été exercée dans la zone située
entre la ligne parallèle et la ligne d’équidistance, ce qui est compatible avec l’existence d’une
ligne frontalière équidistante ;
114 MS, par. 3.22.
115 CMK, par. 146.
116 Ibid., par. 147.
117 Ibid., par. 151.
118 Voir ibid., par. 151, et fig. 1-25.
119 CMK, par. 147.
120 Voir MS, par. 8.20.
121 Tel que la Somalie l’a fait observer dans son mémoire, il semble que le Kenya ait proposé un nouveau
périmètre pour le bloc L-5 en avril 2009 concernant la prospection en surface et le forage. En 2015 (après que la
revendication de la Somalie eut été déposée auprès de la Cour), il a été signalé que des forages exploratoires étaient
prévus dans ce bloc un peu plus tard en 2015. Voir ibid., par. 8.22.
122 Voir ibid., par. 8.27.
44
45
- 31 -
b) une prétendue «extension» de seulement deux blocs de concessions jusqu’à une ligne parallèle,
ce à un moment où la Somalie était affligée par une guerre civile de dix ans qui détruisait toutes
les capacités effectives de gouvernance et de contrôle de l’Etat dans ce pays ; et
c) une attribution de concessions pétrolières supplémentaires couvrant la zone en litige réalisée
uniquement à divers moments après que les Parties eurent officiellement reconnu l’existence
d’un différend relatif à leur frontière maritime.
D. Cartes officielles du Kenya indiquant une frontière maritime équidistante
dans la mer territoriale
2.82. La position du Kenya est également contredite par le fait que, depuis 1979, le Kenya a
publié diverses cartes indiquant sa frontière maritime avec la Somalie le long d’une ligne
équidistante, plutôt que le long d’un parallèle de latitude. Ces cartes constituent une preuve
supplémentaire que le Kenya n’a pas toujours revendiqué que son territoire maritime s’etend
jusqu’à une ligne parallèle.
2.83. En 1980, le ministère de l’agriculture du Kenya a publié une carte détaillée du Kenya
qui indiquait clairement une frontière maritime équidistante dans la mer territoriale. Cette carte est
reproduite à la figure R2.4 (uniquement dans le volume II)123.
2.84. Quinze ans plus tard, en 1995, la National Oil Corporation du Kenya a publié un
rapport sur le potentiel en hydrocarbures du bassin de Lamu. Ce rapport contient une carte qui
montre également une frontière maritime équidistante dans la mer territoriale. Il est reproduit à la
figure R2.5 (uniquement dans le volume II)124.
2.85. De même, en 2003, un relevé complet du Kenya a permis de produire, pour le compte
du gouvernement du Kenya, un atlas national contenant plusieurs cartes qui indiquent toutes une
frontière sud-est avec la Somalie dans la mer territoriale,125 y compris la figure R2.6 (uniquement
dans le volume II).
2.86. Conformément aux dispositions de la loi de 1972 sur les eaux territoriales et à celles de
la loi de 1989 sur les zones maritimes, le site Internet de l’Institut kényan de recherche sur la
marine et la pêche (Kenyan Marine and Fisheries Research Institute) affiche encore aujourd’hui
des cartes montrant une frontière maritime équidistante dans la mer territoriale. Deux de ces cartes,
123 République du Kenya, ministère de l’agriculture, Carte exploratoire des sols du Kenya (1980). RS, vol. II,
annexe 6.
124 National Oil Corporation du Kenya, Hydrocarbon Potential of the Coastal Onshore and Offshore Lamu Basin
of South-East Kenya : Integrated Report (Potentiel en hydrocarbures du bassin de Lamu onshore et offshore dans le
sud-est du Kenya : Rapport combiné) (1995). CMK, vol. II, annexe 38.
125 Voir République du Kenya, Survey of Kenya (Relevé du Kenya), ATLAS NATIONAL DU KENYA (5e éd.,
2003), p. 66, 69. RS, vol. II, annexe 7.
46
- 32 -
l’une montrant les récifs coralliens sur la côte kényane et l’autre montrant des sites de
débarquement de pêcheurs, sont reproduites dans le volume II dans les figures R2.7 et R2.8126.
SECTION V
LES ACTES DE LA SOMALIE NE CONSTITUENT AUCUNEMENT UN ACQUIESCEMENT À LA
REVENDICATION DU KENYA
2.87. L’absence de toute constance dans le comportement du Kenya à l’égard de sa frontière
maritime est fatale à toute revendication fondée sur un prétendu «acquiescement». Cependant,
même si le Kenya avait fait preuve de constance (quod non), il n’a présenté aucune preuve
plausible démontrant que la Somalie a commis des actes ou des omissions pouvant être qualifiés
d’une manière ou d’une autre comme un «acquiescement» concernant le comportement du Kenya.
Au contraire (et comme le Kenya le sait très bien), la Somalie a toujours eu une revendication
différente fondée sur l’équidistance. La Somalie a toujours mis en avant cette revendication et a
toujours agi conformément à celle-ci. En outre, même si l’absence de protestation contre une
revendication unilatérale d’un Etat était susceptible d’entraîner une délimitation d’une frontière
maritime  ce qui n’est pas le cas  cela n’a aucune pertinence dans le contexte de la présente
affaire étant donné que la Somalie a protesté à plusieurs reprises et sans équivoque concernant
l’affirmation du Kenya en faveur d’une frontière maritime parallèle.
A. Affirmation erronée du Kenya selon laquelle la Somalie
n’a pas protesté avant 2014
2.88. L’affirmation du Kenya selon laquelle la Somalie a attendu 2014 pour protester contre
la revendication d’une frontière maritime parallèle de la part du Kenya127 contredit ses propres
conclusions à un stade antérieur de la procédure. En effet, dans ses exceptions préliminaires, le
Kenya a déclaré : «Ce n’est qu’en 2009 que la Somalie a contesté pour la première fois la frontière
maritime de la ZEE du Kenya revendiquée en 1979»128.
2.89. L’affirmation selon laquelle la Somalie n’aurait formulé aucune objection officielle
avant 2014 est manifestement indéfendable compte tenu de la lettre du 19 août 2009 adressée au
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies par le premier ministre somalien, dans
laquelle ce dernier déclarait que :
«La question de la délimitation du plateau continental entre la République de
Somalie et la République du Kenya n’a pas encore été réglée. Il semble que le Kenya
revendique une zone s’étendant jusqu’à la latitude du point où la frontière atteint la
côte. En réalité, conformément au droit international de la mer, une ligne
d’équidistance constitue normalement le point de départ de la délimitation du plateau
continental entre deux États ayant des côtes adjacentes. La Somalie se base sur ce
126 Kenya Marine and Fisheries Research Institute (Institut de recherche marine et de la pêche du Kenya), Kenya
Coastal Development Project (Projet de développement côtier du Kenya), Integrated Coastal Biodiversity Management
System (Système intégré de gestion de la biodiversité côtière) : Récifs coralliens du Kenya (4 oct. 2017), disponible à
http ://icbims.kmfri.co.ke/maps/221/view. RS, vol. II, annexe 15 ; Kenya Marine and Fisheries Research Institute, Kenya
Coastal Development Project (Projet de développement côtier du Kenya), Integrated Coastal Biodiversity Management
System (Système intégré de gestion de la biodiversité côtière) : Fish Landing Sites (Sites de débarquement des pêcheurs)
(4 oct. 2017), disponible à http ://icbims.kmfri.co.ke/maps/231/view. RS, vol. II, annexe 14.
127 Le Kenya répète cette affirmation erronée plusieurs fois dans son contre-mémoire. Voir CMK, par. 10, 27 et
200.
128 EPK, par. 18 (les italiques sont de nous).
47
48
- 33 -
dernier point de vue. Cette question de délimitation non résolue doit être considérée
comme un «différend maritime»…»129
2.90. De nombreuses sources indépendantes confirment que ce que prétend le Kenya, à
savoir que la Somalie n’a pas protesté avant 2014 contre l’affirmation du Kenya selon laquelle la
frontière maritime est une frontière maritime parallèle, est manifestement erroné. Les éléments de
preuve soumis à la Cour montrent que la Somalie a protesté bien avant cette année-là
 conformément à la position qu’elle a adoptée il y a longtemps concernant une frontière
d’équidistance  c’est-à-dire à partir du moment où elle a été de nouveau dotée d’un
gouvernement fonctionnel après une longue période de guerre civile.
2.91. En avril 2012, Reuters a publié un article sur «la querelle entre le Kenya et la Somalie
concernant leur frontière maritime». Cet article expliquait que la position de la Somalie était que la
frontière maritime «continuait dans l’océan en diagonale orientée sud-est, et qu’une frontière
horizontale serait injuste»130.
2.92. Trois mois plus tard, Reuters a publié un autre article, indiquant que la Somalie avait
protesté contre la décision du Kenya d’attribuer des concessions pétrolières et gazières en mer pour
des zones maritimes situées au nord de la ligne d’équidistance. Cet article mentionnait que le
Gouvernement somalien avait «accusé le Kenya … d’avoir attribué illégalement des blocs de
prospection pétrolière et gazière en mer aux multinationales Total et Eni parce que ces concessions
se situaient dans les eaux revendiquées par la Somalie», ajoutant que «La Somalie affirme que la
frontière devrait s’étendre perpendiculairement à la côte.»131
2.93. En juillet 2012, Stimson, un centre de recherche en politique indépendant situé aux
Etats-Unis, a publié un rapport intitulé Indian Ocean Rising : Maritime Security and Policy
Challenges (Hausse du niveau de la mer dans l’océan Indien : sécurité maritime et défis politiques).
Ce rapport contient une carte des «revendications territoriales dans la région de l’océan Indien» qui
montre une frontière équidistante entre les ZEE du Kenya et de la Somalie132. Le rapport Stimson
mentionne également que, pour la Somalie, la question de sa «frontière maritime avec le Kenya
n’est pas résolue», alors que, pour le Kenya, il y a une «question frontalière non résolue avec la
Somalie»133.
2.94. L’opposition de la Somalie à une frontière maritime parallèle est également
mentionnée par le groupe de contrôle pour la Somalie des Nations Unies dans son rapport de juillet
2013, à la section intitulée «Conflit entre la Somalie et le Kenya à propos de leur frontière
maritime» :
129 Lettre de S. Exc. M. Omar Abdirashid Ali Sharmarke, premier ministre du Gouvernement fédéral de transition
de la République de Somalie, adressée à S. Exc. M. Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations Unies,
doc. XRW/00506/08/09 (19 août 2009) (les italiques sont de nous). MS, vol. III, annexe 37.
130 Kelly Gilblom, «Kenya, Somalia border row threatens oil exploration» (Une querelle frontalière entre le
Kenya et la Somalie menace la prospection pétrolière), Reuters (20 avril 2012). MS, vol. IV, annexe 104.
131 Kelly Gilblom, «Somalia challenges Kenya over oil blocks» (La Somalie défie le Kenya concernant ses blocs
pétroliers), Reuters (6 juillet 2012). MS, vol. IV, annexe 107.
132 Caitlyn Antrim, «International Law and Order : The Indian Ocean and South China Sea» (Ordre international :
océan Indien et mer de Chine méridionale), dans Indian Ocean Rising : Maritime Security and Policy Challenges
(Hausse du niveau de la mer dans l’océan Indien : sécurité maritime et défis politiques) (D. Michel et R. Sticklor éds.,
2012), p. 68. RS, vol. II, annexe 34.
133 Ibid., p. 83.
49
- 34 -
«Le gouvernement fédéral somalien (GFS) a donc refusé de reconnaître les
licences pétrolières octroyées à des sociétés multinationales par le Kenya et qui
s’étendent dans les eaux définies comme étant somaliennes selon cette ligne de
démarcation perpendiculaire. Parmi les multinationales du secteur pétrolier affectées
par l’opposition du GFS figurent la société pétrolière française Total (permis
kényan L22), l’importante société italienne ENI (permis kényans L21, L23 et L24), la
société pétrolière américaine Anadarko (permis kényan L5) et Statoil, une société
norvégienne majoritairement détenue par l’État norvégien (permis kényan L26)…
Le GFS a persuadé Statoil, Anadarko et Total de retirer leurs revendications
enfreignant partiellement la ligne de démarcation somalienne. Toutefois, ENI, à qui
trois permis correspondant à la définition des eaux somaliennes par la Somalie, n’avait
pas encore, à la date de soumission du présent rapport, retiré ses revendications134. Le
différend qui subsiste entre ENI et le GFS, ainsi que la persistance d’une ligne de
démarcation perpendiculaire contestée, pourraient contribuer à créer une nouvelle
animosité entre les gouvernements de Somalie et du Kenya à un moment où les deux
pays sont à couteaux tirés concernant la création d’une administration politique au
Jubaland.
Ce différend territorial pourrait exacerber les tensions entre la Somalie et le
Kenya, qui se sont aggravées en raison de leurs désaccords politiques concernant le
contrôle de Kismayo et du territoire de Jubaland…»135
2.95. Les protestations de la Somalie contre la revendication d’une frontière maritime
parallèle ont abouti à la suspension d’un opérateur pétrolier par le Kenya en 2012 :
«Le Kenya a suspendu la compagnie pétrolière norvégienne Statoil concernant
le bloc L26 fin 2012, étant donné que cette société refusait de s’acquitter de ses
obligations financières liées au développement d’activités de prospection dans ce bloc,
ce à un moment où des incertitudes juridiques prévalaient concernant la frontière
maritime entre le Kenya et la Somalie».136
B. La position de longue date de la Somalie selon laquelle la frontière maritime
des Parties devrait suivre une ligne équidistante
2.96. Comme l’explique le [mémoire], la Somalie a longtemps prétendu que l’affaire la
frontière maritime devrait suivre une ligne équidistance137.
134 La note de bas de page 27 de l’original indique :
«En novembre 2012, un responsable pétrolier du GFS a informé ENI par écrit que les trois autres
grandes compagnies pétrolières avaient retiré leurs revendications concernant les eaux du Kenya. En
février 2013, le GFS était toujours en négociations avec ENI concernant le retrait de leur revendication,
mais la correspondance par courrier électronique laissait également ouverte la possibilité de négocier un
permis antérieur concernant une zone située au Puntland.» Groupe de contrôle pour la Somalie et
l’Érythrée des Nations Unies, Rapport du Groupe de contrôle pour la Somalie et l’Érythrée des Nations
Unies en application de la Résolution 2060 (2012) du Conseil de sécurité : Somalie, Nations Unies,
doc. S/2013/413 (12 juillet 2013), p. 249, note de bas de page 27. MS, vol. III, annexe 64.
135 Ibid., p. 248-249, par. 28-30 (notes de bas de page omises).
136 Ibid., p. 249, par. 33 (notes de bas de page omises).
137 Voir, par exemple, MS, par. 3.6, 3.21 n. 95.
50
51
- 35 -
2.97. En 1974 déjà, la Somalie avait revendiqué une telle ligne d’équidistance lors des
négociations relatives à la convention, et le Kenya était donc au courant de sa position. Comme l’a
noté le représentant du Kenya lors de la troisième session de la Conférence :
«Nous devons rester très vigilants à cet égard étant donné que nos voisins  la
Tanzanie et la Somalie  semblent avoir la mauvaise intention de déformer les
frontières maritimes lorsqu’ils ont étendu leur mer territoriale, spécifiant que la ligne
médiane est la ligne de démarcation»138.
2.98. Conformément à cette position, et tel que le Kenya le fait observer dans son
contre-mémoire, en 1978, le Gouvernement somalien a proposé un bloc de concessions pétrolières
et gazières qui suivait une ligne orientée sud-est qui suivait de près une ligne d’équidistance sur
environ 100 milles marins139.
2.99. La revendication d’une frontière maritime équidistante a été formellement consacrée à
l’article 4, paragraphe 6, de la loi somalienne de 1988 sur la navigation maritime, qui prévoit que la
frontière maritime avec le Kenya «est une ligne droite allant vers la mer»140. Comme l’a expliqué la
Somalie, qui est quelconque chose que le Kenya néglige remarquablement dans son
contre-mémoire, bien que la langue somali ne contienne aucun mot correspondant précisément au
mot anglais «équidistance», il est clair que le texte de la loi de 1988 parle d’une ligne
d’équidistance141. A aucun moment après la promulgation de la loi de 1988 le Kenya n’a formulé
des objections concernant l’existence d’une telle ligne frontalière. Au contraire, le Kenya a
explicitement approuvé le principe d’une frontière maritime équidistante l’année suivante (du
moins dans la mer territoriale) lorsqu’il a promulgué sa loi de 1989 sur les zones maritimes - une
approbation législative qui reste en vigueur aujourd’hui142.
2.100. La position reflétée dans la loi de 1988 de la Somalie va dans le sens de ses objections
répétées à la revendication, par le Kenya, d’une frontière parallèle. Contrairement au cas du Kenya,
il n’y a pas de contradiction entre la position avancée par la Somalie devant la Cour et le contenu
de sa propre législation maritime au cours des trente dernières années.
2.101. A cet égard, diverses cartes produites par des tiers indépendants pendant la période du
prétendu acquiescement de la Somalie indiquent une frontière maritime le long d’une ligne
d’équidistance, et non d’un parallèle de latitude. Ces cartes reflètent et appuient la revendication de
longue date de la Somalie en faveur d’une frontière avec le Kenya fondée sur l’équidistance, et
138 Mission permanente de la République du Kenya auprès des Nations Unies, Rapport sur les travaux de la
deuxième session de la troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, tenue à Caracas (Venezuela)
(20 juin-29 août 1974), document no 273/430/001A/15 (28 oct. 1974), par. 80 (les italiques sont de nous). CMK, vol. II,
annexe 11.
139 CMK, par. 141.
140 République démocratique somalienne, ministère de la pêche et des transports maritimes, Loi maritime
somalienne (1988), art. 4 6). MS, vol. III, annexe 10.
141 MS, par. 3.6, note de bas de page 62. En langue somali, il n’existe aucun mot ayant exactement le sens du mot
«équidistance». La loi maritime de 1988 de la Somalie utilise l’expression «ligne droite vers la mer». Le Gouvernement
somalien estime que cette expression vise clairement à décrire une ligne d’équidistance plutôt (comme le suggère le
Kenya) qu’une ligne parallèle.
142 La loi de 1989 sur les zones maritimes, section 3 4), prévoit que : «Sur les côtes adjacentes aux États voisins,
la largeur des eaux territoriales s’étend à tout point qui est à égale distance des points les plus proches des lignes de base
à partir desquelles la largeur des eaux territoriales de chacun de ces États est mesurée.» République du Kenya, chap. 371,
Loi sur les zones maritimes (25 août 1989). MS, vol. III, annexe 20.
52
- 36 -
affaiblissent de nouveau l’affirmation du Kenya selon laquelle la Somalie a acquiescé, avec effet
contraignant, à un tel parallèle.
2.102. Par exemple, une étude de 1992 sur les limites maritimes dans la région de
l’océan Indien143 montre que la frontière entre la Somalie et le Kenya suit une ligne d’équidistance,
et non le parallèle de latitude (illustration reproduite dans le volume II en tant que figure R2.9).
2.103. En 2001, la multinationale pétrolière TotalFinaElf a soumis un exposé au
Gouvernement somalien contenant plusieurs cartes, qui montraient toutes que le bloc de concession
de Jorre s’étendait jusqu’à la ligne d’équidistance144. Un exemple est reproduit en figure R2.10
(voir ci-après, p. 37).
143 Vivian Louis Forbes, The Maritime Boundaries of the Indian Ocean Region (Frontières maritimes dans la
région de l’océan Indien) (1995), p. 159. RS, vol. II, annexe 32.
144 Total Fina Elf, Réunion avec les autorités somaliennes (3 février 2001), diapositives 2, 32, 34, 35 et 38. RS,
vol. II, annexe 25.
53
- 37 -
Figure R2.10 : Carte du bloc de Jorre
- 38 -
2.104. Comme indiqué ci-dessus, le groupe de contrôle pour la Somalie des Nations Unies a
publié en 2012 une carte illustrant les secteurs de contrôle de l’AMISOM145. Cette carte
(figure R2.1, p. 20) montre clairement que le secteur sud s’étendant jusqu’à une ligne
d’équidistance située entre les zones maritimes de la Somalie et du Kenya.
2.105. Dans son contre-mémoire, le Kenya parle abondamment d’une poignée de graphiques
produits par Soma Oil, une société privée constituée au Royaume-Uni, qui indiquent une ligne
parallèle146. Cependant, ces graphiques ont été présentés lors d’une conférence au Kenya en 2014 (à
savoir bien après que le présent différend ait surgi entre les Parties). Les cartes reflètent simplement
que, compte tenu du différend concernant la frontière maritime, la Somalie s’est conformée aux
obligations qui lui incombent en vertu de l’article 83, paragraphe 3, de la convention en s’abstenant
de prendre, dans la zone en litige, toute mesure susceptible de compromettre ou d’empêcher la
conclusion d’un accord final sur la frontière maritime entre les Parties. Le fait que la Somalie se
soit conformée à ses obligations en vertu de la convention, alors que le Kenya ne l’a pas fait,
contredit la revendication du Kenya. En effet, comme le stipule expressément l’article 83 3), le
respect par la Somalie de ses obligations en vertu de cet article «ne porte pas atteinte à la
délimitation finale».
2.106. En conséquence, l’affirmation du Kenya selon laquelle «la Somalie n’a ni protesté
contre cette ligne [la ligne parallèle revendiquée par le Kenya] ni revendiqué une frontière maritime
basée sur une ligne d’équidistance contraire avant 2014»147 n’est pas étayée par les preuves
présentées à la Cour et est erronée. En fait, la Somalie a toujours affirmé que la frontière maritime
devait suivre une ligne d’équidistance et s’est opposée à plusieurs reprises et avec insistance à la
revendication du Kenya concernant une frontière maritime parallèle. Outre les nombreuses
contradictions dans le comportement et la législation du Kenya, son affirmation selon laquelle la
Somalie a reconnu l’existence d’une frontière maritime parallèle est manifestement insoutenable au
regard des éléments de preuve.
C. Incapacité de la Somalie, pour des raisons pratiques, à réguler
son espace maritime pendant sa longue guerre civile
2.107. Enfin, l’évaluation des actions et inactions de la Somalie en ce qui concerne les
revendications et activités unilatérales du Kenya ne peuvent en aucun cas être dissociées de la
situation qui prévalait en Somalie durant cette période, en particulier une guerre civile dévastatrice
et durable, et notamment de l’absence de gouvernement central pendant environ deux décennies.
2.108. Le Kenya est particulièrement dédaigneux vis-à-vis de cet état de fait, et nie que toute
conséquence juridique puisse en découler en ce qui concerne un prétendu devoir de protestation.148
Pourtant, quand «une absence de protestation semble normalement indiquer un degré
d’acquiescement, [plusieurs] éléments doivent être pesés par le tribunal au moment d’examiner les
preuves … [y compris] le fait que des hostilités civiles étaient en cours»149. Dans le même esprit, le
tribunal dans l’affaire Erythrée/Yémen a jugé déraisonnable de reprocher à l’Erythrée son absence
145 Voir ci-dessus par. 2.48.
146 Voir CMK, par. 160-162.
147 Ibid., par. 200.
148 Ibid., par. 228-229.
149 Erythrée/Yémen, par. 306.
54
55
- 39 -
de protestation compte tenu des circonstances dans lesquelles l’accord de partage de 1990 entre le
Yémen et British Petroleum a été conclu :
«L’Éthiopie était alors engagée dans sa lutte finale contre le mouvement de
libération de l’Érythrée et le régime de Mengistu était sur le point de s’effondrer.
Suggérer que l’Érythrée devrait aujourd’hui être pénalisée en raison du fait que
l’Éthiopie, au cours de cette période, a échoué à trouver les termes d’un accord et à
protester contre les termes de l’accord pourrait être déraisonnable.»150
2.109. Le Kenya a reconnu l’incapacité pratique de la Somalie à accepter toute frontière
maritime pendant la guerre civile qui a dévasté ce pays. Le procureur général du Kenya a lui-même
mentionné ces circonstances dans sa soumission finale devant la Cour lors de l’audience sur les
exceptions préliminaires du Kenya : «La Somalie n’a commencé que récemment à sortir d’une
longue période d’instabilité causée par la guerre civile, une catastrophe humanitaire et un
terrorisme généralisé. En particulier, la Somalie ne dispose d’aucunes capacités de contrôle
maritime.»151 L’avocat du Kenya a d’ailleurs indiqué que, même aujourd’hui, «la Somalie demeure
dans une situation fragile de transition post-conflit»152.
2.110. Plus de dix ans auparavant, en 2005, le Gouvernement fédéral de transition de
Somalie et le Gouvernement kényan avaient signé un accord de coopération technique et
économique qui reconnaissait expressément «que les conflits qui ravagent la Somalie depuis une
décennie et demie» n’ont épargné que très peu des ressources naturelles et artificielles du pays» et
que «la destruction des infrastructures de la Somalie … est écrasante»153.
2.111. L’effondrement de l’infrastructure de l’Etat a empêché la Somalie de gouverner et de
protéger ses actifs naturels. Comme l’expliquait le Secrétaire général des Nations Unies en 2011 :
«Depuis le renversement du régime de Siad Barre en 1991, le cadre national pour la gouvernance
de l’environnement et des ressources naturelles en Somalie était quasiment inexistant, faute de
gouvernement central fonctionnel.»154 En particulier, «[l]’absence de contrôle ou de gouvernance
de la part de l’Etat a entraîné une utilisation abusive généralisée des ressources naturelles de la
Somalie»155. En outre, «la faiblesse du cadre juridique et institutionnel et l’incapacité du
Gouvernement fédéral de transition à appliquer les lois dans les eaux somaliennes rendent la zone
[maritime somalienne] attrayante pour la pêche illicite, non déclarée et non réglementée»156.
150 Ibid., par. 415. Voir aussi : ibid., par. 520 («L’Éthiopie n’a pas protesté contre ces accords (mais rappelons en
même temps que l’accord de Hunt avait été conclu à un moment où la guerre civile éthiopienne continuait de faire
rage).»)
151 CR 2016/12, p. 40, par. 3 (Muigai).
152 CR 2016/10, p. 25-26, par. 25 (Akhavan).
153 Accord de coopération technique et économique entre le Gouvernement de la République du Kenya et le
Gouvernement fédéral de transition de la République de Somalie (6 sept. 2005). CMK, vol. IV, annexe 149.
154 Conseil de sécurité des Nations Unies, Rapport du Secrétaire général sur la protection des ressources
naturelles et des eaux de la Somalie, doc. S/2011/661 (25 oct. 2011), par. 22. RS, vol. II, annexe 19.
155 Ibid., par. 5.
156 Ibid., par. 18. A cet égard, ce rapport explique que
«Selon un certain nombre d’observateurs somaliens et internationaux, avec la chute du régime de
Siad Barre, des chalutiers de pêche industriels battant pavillon étranger ont commencé à empiéter sur les
eaux somaliennes, qui sont riches en ressources … Selon les estimations de la FAO, en 2005, environ
700 chalutiers battant pavillon étranger se livraient à de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée
dans et autour des eaux somaliennes.» Ibid., par. 40.
56
- 40 -
2.112. Le rapport du Secrétaire général poursuit ainsi :
«Bien que la Somalie ait signé un certain nombre d’accords internationaux et
régionaux applicables, le gouvernement et les administrations régionales manquent de
moyens de mise en oeuvre et de contrôle. Les défis sont énormes : instabilité
politique ; données de base inadéquates ; absence de moyens de recherche et de
surveillance ; faible capacité technique ; et manque de financements. Le manque de
moyens de surveillance et d’application de la loi en Somalie expose ce pays au risque
d’activités criminelles, notamment les déversements illégaux de déchets toxiques.»157
2.113. Dans un tel contexte, l’affirmation du Kenya selon laquelle la Somalie aurait dû
s’opposer rapidement  «en l’espace de quelques semaines ou quelques mois tout au plus»158  à
toute revendication maritime présentée par le Kenya dans les années 1990 ou 2000 est tout aussi
irréaliste qu’elle est dénuée de fondement juridique. Il est particulièrement injustifié de s’attendre à
ce qu’un Etat, ravagé par une guerre civile et dépourvu de gouvernement central fonctionnel,
proteste officiellement par les voies diplomatiques contre une prétendue revendication en faveur
d’une ligne frontalière parallèle exprimée dans une déclaration unilatérale, en contradiction directe
avec la propre législation maritime du Kenya, sachant qu’il n’y avait pas la moindre effectivité
dans l’espace maritime en question jusqu’à la ligne de frontalière revendiquée.
*
* *
2.114. Pour toutes les raisons indiquées ci-dessus, la revendication par le Kenya d’une
frontière maritime constituée d’un parallèle de latitude, laquelle revendication est fondée sur un
prétendu acquiescement de la part de la Somalie à une telle frontière, doit être rejetée. Etant donné
que le Kenya n’a présenté aucune autre prétendue justification de la frontière qu’il a proposée, la
Cour devrait délimiter la frontière maritime entre la Somalie et le Kenya conformément à la
méthode désormais standard en trois temps, qui est présentée dans le chapitre suivant.
157 Conseil de sécurité des Nations Unies, Rapport du Secrétaire général sur la protection des ressources
naturelles et des eaux de la Somalie, doc. S/2011/661 (25 oct. 2011), par. 61. RS, vol. II, annexe 19.
158 CMK, par. 237.
57
- 41 -
CHAPITRE 3
DÉLIMITATION DE LA FRONTIÈRE MARITIME
3.1. Le chapitre III du contre-mémoire du Kenya fait valoir que, même si la Somalie n’a pas
acquiescé à sa revendication d’une frontière parallèle, «l’application du principe de délimitation
équitable en vertu du droit international aboutirait au même résultat»159. Cet argument ressemble à
une forme de repli fondé sur la faiblesse évidente des observations du Kenya relative à un
«acquiescement», et le présent chapitre explique pourquoi cet argument alternatif est tout aussi peu
convaincant que l’argument principal.
3.2. La section I expose les nombreuses erreurs figurant dans la présentation du Kenya, et
montre en particulier que les raisons avancées par le Kenya pour tenter de contourner la méthode
en trois temps régulièrement utilisée par la Cour pour délimiter des frontières maritimes ne sont pas
convaincantes. Le texte et l’historique des négociations de la convention, la pratique des Etats et la
jurisprudence n’appuient pas la tentative du Kenya de se débarrasser de cette méthode employée
par la Cour et qui est désormais bien établie.
3.3. La section II porte sur l’application de la méthode standard en trois temps, et confirme
que celle-ci conduit incontournablement à la conclusion que la frontière la plus équitable est une
ligne d’équidistance non ajustée, comme l’a proposé la Somalie. Aucun des arguments du Kenya
contre l’équité de la ligne d’équidistance ne résiste à un examen minutieux. Dans les circonstances
du présent différend, la ligne d’équidistance ne supprime pas de manière inéquitable les droits
maritimes de l’une ou l’autre des Parties et est manifestement proportionnée.
SECTION I
LE KENYA N’A FOURNI AUCUNE BONNE RAISON POUR LAQUELLE IL NE FAUDRAIT PAS
EMPLOYER LA MÉTHODE STANDARD DE LA COUR
3.4. Le Kenya fait valoir que l’application du principe de délimitation équitable conduit
exactement à la même frontière parallèle que celle sur laquelle repose son affirmation selon
laquelle il y a eu «acquiescement». Son argumentation repose sur trois affirmations fondamentales,
dont aucune ne résiste à un examen attentif :
 premièrement, le Kenya fait valoir que la méthode désormais standard en trois temps  à
savoir la règle d’équidistance/des circonstances spéciales (dans la mer territoriale) et la règle
d’équidistance/des circonstances pertinentes (dans la ZEE et le plateau continental)  n’est
pas obligatoire160 ;
 deuxièmement, il soutient que les Parties ont démontré par leur pratique qu’elles considéraient
le parallèle de latitude du Kenya comme un résultat équitable et que cette pratique devait être
respectée ; et
159 CMK, par. 275.
160 Le contre-mémoire du Kenya ne traite pas séparément les questions de la délimitation de la mer territoriale en
vertu de l’article 15 de la convention, et de la ZEE/du plateau continental en vertu des articles 74 et 83. La méthode de la
Cour en matière de délimitation de ces zones étant fonctionnellement identique, la Somalie elle aussi ne traite pas
séparément ces questions dans sa présente réponse.
59
60
- 42 -
 troisièmement, il soutient que le «parallèle de latitude constitue, quoi qu’il en soit, une solution
objectivement équitable tenant compte de toutes les circonstances pertinentes de cette
délimitation maritime»161.
3.5. La Somalie va examiner un par un chacun de ces arguments.
A. La méthode d’équidistance/des circonstances pertinentes
est la méthode standard applicable devant la Cour
3.6. Le Kenya reconnaît que la méthode d’équidistance/des circonstances pertinentes est
«couramment appliquée pour obtenir un résultat équitable»162. La décision de la Cour la plus
récente en matière de délimitation de frontières maritimes, c’est-à-dire dans l’affaire Costa Rica
c. Nicaragua  a réaffirmé que la méthode en trois temps est la «méthode … qu’elle a établie»163.
Et dans l’affaire de délimitation précédente, Pérou c. Chili, la Cour a également reconnu que la
méthode d’équidistance/des circonstances pertinentes est «[l]a méthode habituellement appliquée
par la Cour»164.
3.7. Bien que le Kenya ait reconnu que la méthode en trois temps constitue la méthode
«établie» et «habituelle», il soutient néanmoins qu’elle n’est pas «obligatoire ou … appropriée dans
toutes les circonstances»165. Selon le Kenya, «une ligne d’équidistance … n’est qu’une méthode
parmi d’autres pouvant être déployée pour atteindre l’objectif primordial d’une solution
équitable»166.
3.8. La Cour constatera immédiatement la confusion conceptuelle qui existe au coeur de
l’argument du Kenya : il assimile à tort la méthode d’équidistance/des circonstances pertinentes,
d’une part, à une ligne d’équidistance, d’autre part. Cependant, comme la Cour le sait bien, les
deux ne sont pas identiques.
3.9. La «méthode» d’équidistance/des circonstances pertinentes (qui devrait peut-être être
plus correctement appelée un «processus») est celle employée par les cours et tribunaux
internationaux pour atteindre le résultat équitable requis par la convention167. Une ligne
d’équidistance, en revanche, est une méthode de délimitation particulière qui peut (ou non) résulter
de l’application du processus d’équidistance/des circonstances pertinentes.
161 Voir CMK, par. 278 e).
162 Ibid., par. 276
163 Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua) et Frontière
terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I) (ci-après
«Costa Rica c. Nicaragua»), p. 190, par. 135.
164 Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 66, par. 184.
165 CMK, par. 276.
166 Ibid., par. 296.
167 A la suite de ce processus, la Cour 1) trace une ligne d’équidistance provisoire, 2) détermine si des
circonstances pertinentes justifient un ajustement de cette ligne, et 3) confirme que la délimitation obtenue à l’aide des
deux premières étapes n’entraîne pas une disproportion prononcée et n’est pas inéquitable par ailleurs. Voir Roumanie
c. Ukraine, par. 115-122.
61
62
- 43 -
3.10. Par conséquent, bien que l’affirmation du Kenya selon laquelle «les méthodes de
non-équidistance … sont également admises par le droit international» soit en partie vraie168, cela
ne peut en soi être une raison pour abandonner la méthode en trois temps. Qu’une ligne
d’équidistance soit ou non le point final du processus de délimitation, la Cour a précisé il y a
longtemps que, à de très rares exceptions près, cette ligne doit constituer le point de départ (sous
réserve d’un ajustement ultérieur si nécessaire). En effet, la Cour a indiqué que les seules
circonstances dans lesquelles il ne serait pas approprié de commencer le processus de délimitation
avec une ligne d’équidistance seraient lorsque «l’établissement d’une [ligne d’équidistance] n’est
pas impossible»169.
3.11. Or il convient de noter que le Kenya ne prétend pas que la construction d’une ligne
d’équidistance n’est pas faisable dans le cas d’espèce. Au lieu de cela, le Kenya tente de faire
valoir que son refus de commencer la délimitation par une ligne d’équidistance et d’appliquer le
reste du processus en trois temps est étayé par les dispositions pertinentes de la convention, sa
propre histoire en matière de négociations, la pratique des Etats et la jurisprudence.
3.12. Avant d’aborder chacune de ces affirmations erronées, une observation préliminaire
s’impose. Plus précisément, la longue discussion du Kenya sur la convention, la pratique des Etats
et la jurisprudence se situe à un niveau entièrement théorique. Son objectif déclaré consiste à
montrer de manière générale que la méthode en trois temps n’est pas obligatoire dans tous les cas.
3.13. Cependant, s’agissant d’expliquer pourquoi la méthode en trois temps devrait être
écartée dans les circonstances particulières de la présente affaire, le contre-mémoire du Kenya est
notablement mesuré. Il se limite à l’argument selon lequel «en l’espèce, l’application de la
méthodologie en «trois temps» n’est pas appropriée car les Parties ont déjà indiqué ce que serait
une solution équitable, à savoir le parallèle de latitude»170. En même temps, il ne mentionne aucun
obstacle pratique ou juridique à l’utilisation de la méthode en «trois temps» en l’espèce.
3.14. En d’autres termes, dit le Kenya, puisque les deux Parties ont reconnu nominalement le
parallèle de latitude comme étant équitable, la Cour n’a pas besoin de perdre son temps avec la
méthode en trois temps. Cela, bien sûr, constitue un recyclage évident de l’argument de
l’acquiescement du Kenya, formulé de façon différente. En tant que tel, cet argument peut et doit
être rejeté pour toutes les raisons exposées au chapitre précédent. La Somalie n’a jamais acquiescé
à la revendication du Kenya en faveur du parallèle, ni fait quoi que ce soit pour indiquer qu’elle
estime que le parallèle constitue une solution équitable171.
3.15. La raison pour laquelle le Kenya propose de ne pas employer la méthode en trois temps
dans cette affaire n’est donc pas valable. En conséquence, l’effort du Kenya pour faire valoir que
l’emploi de la méthode en trois temps n’est pas toujours obligatoire est sans intérêt. Le Kenya
n’ayant fourni aucune raison valable de renoncer à cette méthode en l’espèce, la Somalie invite
respectueusement la Cour à employer cette méthode.
168 CMK, par. 296.
169 Nicaragua c. Colombie, par. 195.
170 CMK, par. 308 a).
171 Voir ci-dessus par. 2.44-2.48, 2.86-2.112.
63
- 44 -
3.16. Cela étant dit, par souci d’intégralité et afin de ne pas laisser la présentation du Kenya
sans réponse, la Somalie répliquera dans les sections suivantes aux affirmations non pertinentes du
Kenya concernant le texte et l’historique des négociations de la convention des Nations Unies sur
le droit de la mer, la pratique des Etats et la jurisprudence.
B. Les raisons avancées par le Kenya pour ne pas employer
la méthode en trois temps ne sont pas convaincantes
1. Dispositions de la convention, et historique des négociations menées en vertu de celle-ci
3.17. Le Kenya indique que les articles 73 et 84 de la convention «ne prescrivent aucune
méthode obligatoire pour parvenir à une solution équitable»172. Il souligne ensuite qu’au cours des
processus de négociation, un certain nombre d’Etats ont estimé que «la délimitation maritime doit
être fondée non pas sur l’équidistance mais sur le principe du «résultat équitable»»173.
3.18. Le fait que les articles 73 et 84 ne prescrivent aucune méthode de délimitation
obligatoire est peut-être correct, mais ce point est également dénué de pertinence. La jurisprudence
de la Cour, et celle d’autres tribunaux internationaux, ont permis de structurer et de rendre
prévisible le processus de délimitation au cours des 36 années écoulées depuis la signature de la
convention. Pour la Cour, la méthode en trois temps représente l’«évolution [de] sa jurisprudence
vers une plus grande certitude»174.
3.19. L’argument du Kenya selon lequel certains Etats ont estimé que «la délimitation
maritime ne doit pas être fondée sur l’équidistance»175 est également dénué de pertinence et reflète
la même confusion conceptuelle que celle évoquée plus haut. En d’autres termes, le processus en
trois temps et la méthode d’équidistance ne sont pas identiques, et l’emploi de la méthode en trois
temps n’est pas la même chose que d’insister sur l’équidistance. La méthode en trois temps tient
compte de la possibilité que, dans certaines circonstances appropriées (ce qui n’est pas le cas en
l’espèce), la ligne de délimitation finale sera autre chose qu’une ligne d’équidistance.
3.20. En ce qui concerne l’historique des négociations, le Kenya fait également référence aux
observations faites par les représentants somaliens selon lesquelles le processus de délimitation
devrait être guidé par des «principes équitables»176. Le Kenya semble penser qu’il existe une
certaine contradiction entre des principes équitables, d’une part, et la méthode d’équidistance/des
circonstances pertinentes, d’autre part. Il n’en existe pas. La méthode d’équidistance/des
circonstances pertinentes a été mise au point par la Cour précisément pour garantir que le processus
de délimitation aboutisse à une solution équitable. Le Kenya lui-même admet que la méthode
standard en trois temps est un moyen de «parvenir à un résultat équitable»177. Il n’y a donc rien,
dans les déclarations des représentants de la Somalie, qui empêche la Somalie (et la Cour) de se
baser sur la méthode en trois temps dans la présente affaire.
172 CMK, par. 298.
173 Ibid. (les italiques sont dans l’original).
174 Discours de S. Exc. M. le juge Gilbert Guillaume, président de la Cour internationale de Justice, devant la
Sixième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies (31 oct. 2001), p. 8. CMK, vol. III, annexe 120.
175 CMK, par. 298 (les italiques sont dans l’original).
176 Ibid., par. 300.
177 Ibid., par. 276.
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65
- 45 -
3.21. En outre, même si la position de négociation de la Somalie au cours de la conférence
UNCLOS III pouvait être quelque peu considérée comme incompatible avec l’application de la
méthode d’équidistance/des circonstances pertinentes (quod non), il ne serait ni raisonnable ni
nécessaire ni conforme à la loi de rejeter aujourd’hui l’emploi de cette méthode sur une base aussi
ténue. La méthode d’équidistance/des circonstances pertinentes ne s’était pas concrétisée par une
loi il y a 36 ans, mais aujourd’hui c’est le cas, et le Kenya n’offre aucune raison de ne pas
l’appliquer ici.
2. Pratique des Etats
3.22. En ce qui concerne la pratique des Etats, le Kenya fait valoir que «les États ont recours
à diverses méthodes pour parvenir à une solution équitable»178. Le Kenya estime que cet aspect est
«extrêmement important» en ce qui concerne le choix de la méthode de délimitation que fera la
Cour179, pour deux raisons : «La pratique des États est un élément constitutif du droit international
coutumier», et b) cette pratique constitue la «pratique ultérieurement suivie», au sens de
l’article 31 3) b) de la convention de Vienne sur le droit des traités.180 Le Kenya se fourvoie dans
les deux cas.
3.23. Premièrement, les accords entre Etats ne peuvent en aucun cas être indicatifs du droit
applicable dans le contexte d’une délimitation juridictionnelle. Un accord est l’un des deux moyens
de délimitation prévus par UNCLOS, l’autre moyen étant la résolution du différend par une tierce
partie. Dans le cas d’un accord, le caractère équitable du résultat est mis en évidence par le simple
fait que les parties ont décidé de conclure un accord. Dans le cas d’une délimitation tranchée par un
tiers, la méthode en trois temps est la méthode établie pour parvenir à un résultat équitable.
3.24. Il est également loin d’être clair que de tels accords peuvent être, en tant que tels,
considérés comme reflétant les règles du droit international coutumier, encore moins le droit
coutumier qui pourrait justifier une dérogation au processus en trois temps en l’espèce. Les accords
de délimitation maritime sont souvent influencés par des considérations extrajudiciaires
 politiques, historiques, économiques, etc181. Chaque accord repose sur des faits qui lui sont
propres. En outre, le Kenya n’a pas expliqué en quoi les accords de délimitation auxquels il fait
référence manifestent l’opinio juris requise.
3.25. Deuxièmement, le Kenya dit également que la pratique des Etats constitue une
««pratique ultérieurement suivie» … qui est pertinente pour l’interprétation de la Convention»182.
Cet argument est lui aussi irrecevable.
178 CMK., par. 302.
179 Ibid., par. 302-303.
180 Ibid., par. 303.
181 Le Kenya partage ce point de vue. Voir CR 2016/10, p. 17, par. 10 (Muigai) (arguant qu’un «règlement
complet et définitif devra contenir plusieurs éléments importants qui nécessitent un accord négocié», dont certains ne
peuvent apparemment pas être pris en compte dans une procédure judiciaire) ; CR 2016/12, p. 40, par. 3 (Muigai) («Ce
différend concernant la frontière maritime survient dans un contexte politique délicat … La délimitation de la frontière
maritime entre le Kenya et la Somalie nécessite des négociations bilatérales délicates, qui pourraient englober non
seulement des questions strictement juridiques mais également nos préoccupations politiques et sécuritaires très réelles,
ainsi que des arrangements pratiques permettant d’y remédier.») ; lettre de S. Exc. M. Githu Muigai, ministre de la justice
et agent de la République du Kenya, adressée à S. Exc. M. Philippe Couvreur, greffier de la Cour internationale de
Justice, doc. AG/CONF/19/153/2VOL.IV (26 sept. 2016). RS, vol. II, annexe 13.
182 CMK, par. 303.
66
67
- 46 -
3.26. L’article 31 3) b) de la convention de Vienne stipule que la pratique ultérieurement
suivie doit être «prise en compte» dans l’interprétation de la convention des Nations Unies sur le
droit de la mer si cette pratique «établit l’accord des parties concernant l’interprétation [du
traité]»183. La Somalie ne voit pas comment la pratique des Etats consistant à conclure des accords
bilatéraux de délimitation maritime peut être considérée comme une indication d’un quelconque
accord concernant l’interprétation juridique des articles 74 ou 83. Cela est d’autant plus vrai quand
on prend en compte le fait (qui est mentionné ci-dessus) que les accords bilatéraux sont souvent
influencés par des facteurs non juridiques.
3.27. En outre, quel que soit l’état ou la désignation nominale de la pratique des Etats, la
Cour a été catégorique. En ce qui concerne la méthode de délimitation, «[l]a règle juridique est
désormais claire» : «[D]ans tous les cas, la Cour» applique la méthode standard, à moins que cela
ne soit pas faisable184.
3.28. Dans une autre tentative forcée d’extraire quelque chose de la pratique des Etats, le
Kenya invoque une «règle» de coutume régionale qui favorise la délimitation des frontières
maritimes par le biais des parallèles de latitude185, et affirme que le «parallèle de latitude a toujours
été considéré comme une solution «adaptée à une intégration équitable au sein des délimitations
existantes de la région de l’Afrique [orientale]»»186.
3.29. Ce n’est pas vrai. Les parallèles de latitude n’ont pas «toujours été considérés comme
une solution [équitable]»187 en Afrique orientale et le Kenya n’a fourni aucune preuve convaincante
à l’appui de cette affirmation. Les seuls accords mentionnés par le Kenya sont ceux concernant les
deux frontières maritimes de la Tanzanie, avec le Kenya au nord et le Mozambique au sud, mais
ces deux accords ne représentent qu’une partie infime des nombreuses frontières maritimes
potentielles concernant la «côte africaine le long de l’océan Indien»188. Une coutume régionale ne
peut pas être bâtie à partir d’un ou deux exemples qui constituent en réalité des exceptions.
3.30. Plus fondamentalement parlant, les accords mentionnés par le Kenya ne sauraient avoir
la moindre incidence sur la délimitation entre la Somalie et le Kenya. Dans sa dernière décision
relative à la frontière maritime dans l’affaire Costa Rica c. Nicaragua, la Cour a précisé que les
délimitations proches, qu’elles soient établies par un accord ou par une décision arbitrale, ne
peuvent avoir aucune incidence sur la délimitation en question dans la présente affaire.
3.31. En réponse à l’argument du Costa Rica selon lequel son accord avec le Panama était
pertinent pour la délimitation avec le Nicaragua, la Cour a déclaré qu’un :
«décision[] rendue[] par la Cour entre l’une des Parties et un Etat tiers ou entre deux
Etats tiers n’ont en elles-mêmes pas d’incidence sur la frontière maritime entre les
183 Convention de Vienne sur le droit des traités, 1155 U.N.T.S. (Recueil des Traités des Nations Unies) 332
(23 mai 1969), entrée en vigueur le 27 janvier 1980, art. 31 3) b). Déclaration écrite de la Somalie (ci-après la «DES»)
(5 fév. 2016), vol. II, annexe 1.
184 Discours de S. Exc. M. le juge Gilbert Guillaume, président de la Cour internationale de Justice, devant la
Sixième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies (31 oct. 2001), p. 11. CMK, vol. III, annexe 120.
185 Voir CMK, par. 312, 325 et 342.
186 Ibid., par. 325.
187 Ibid.
188 Ibid., par. 323.
68
- 47 -
Parties, pas davantage que les traités conclus entre l’une des Parties et un Etat tiers
ou entre deux Etats tiers»189.
3.32. En conséquence, la tentative du Kenya d’invoquer une «règle», en termes de pratique
régionale, et en particulier une règle inexistante, est vaine.
3. Jurisprudence
3.33. Le Kenya fait valoir que «la jurisprudence de la Cour démontre que : a) l’approche en
trois temps est une méthode courante mais non obligatoire ; et que [d]’autres méthodes peuvent être
et sont utilisées, y compris la délimitation utilisant le parallèle de latitude»190. Il affirme également
qu’«[une] application mécanique de l’équidistance, y compris la méthode «en trois temps», irait à
l’encontre des dispositions pertinentes de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et
ne serait pas conforme à la pratique des États»191.
3.34. En affirmant qu’une «application mécanique de ... la méthode «en trois temps» serait
contraire aux dispositions pertinentes de la Convention et non conforme à la pratique des États», le
Kenya semble dire que la Cour s’est trompée pendant toutes ces années. La Somalie n’est pas
d’accord avec cette affirmation. Comme indiqué ci-dessus, la Cour a expliqué, à juste titre, que la
méthode en trois temps est désormais la méthode «habituelle» et «établie» qu’elle applique pour
parvenir à une solution équitable192.
3.35. Comme l’ex-président Guillaume l’a déclaré il y a plus de 15 ans dans son discours en
2001 devant la Sixième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies (un discours sur
lequel le Kenya lui-même s’appuie193) : «La règle juridique est désormais claire» : «Dans tous les
cas, la Cour … doit d’abord établir provisoirement la ligne d’équidistance …, [puis] se demander
s’il existe des circonstances particulières ou pertinentes nécessitant l’ajustement de cette ligne en
vue d’obtenir un résultat équitable.»194
3.36. Le Kenya ne peut donc tirer aucun avantage en citant des affaires remontant à 1982 ou
avant, soit des années avant que la méthode en trois temps ne soit établie, pour étayer son
interprétation peu orthodoxe de la jurisprudence195. Pour cette raison, la Somalie ne voit pas la
nécessité d’imposer à la Cour un examen cas par cas de la jurisprudence citée par le Kenya.
3.37. De plus, la seule justification avancée dans le contre-mémoire pour s’écarter de la
méthode en trois temps en l’espèce est peu convaincante. Comme nous l’avons indiqué, le Kenya
189 Costa Rica c. Nicaragua, par. 123 (les italiques sont de nous).
190 CMK, par. 307.
191 Ibid., par. 308.
192 Voir ci-dessus par. 3.6-3.11.
193 Voir CMK, par. 282, note de bas de page 380.
194 Discours de S. Exc. M. le juge Gilbert Guillaume, président de la Cour internationale de Justice, devant la
Sixième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies (31 oct. 2001), p. 11. CMK, vol. III, annexe 120.
195 Ces affaires incluent : les affaires de 1969 concernant le Plateau continental de la mer du Nord, citées dans
CMK, par. 312 ; les décisions de la CIJ, en 1982 dans l’affaire Tunisie/Libye, et en 1984 dans l’affaire Golfe du Maine,
citées dans CMK, par. 313 ; et les décisions des tribunaux arbitraux ad hoc dans les affaires Guinée/Guinée-Bissau
(1985) et St. Pierre & Miquelon (1992), également examinées dans CMK, par. 313.
69
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fait valoir que, «en l’espèce, l’application de la méthode «en trois temps» n’est pas appropriée car
les Parties ont déjà indiqué ce que serait une solution équitable, à savoir le parallèle de latitude»196.
3.38. Le Kenya prétend fonder cet argument sur l’observation faite par la Cour dans son
jugement de 1982 en l’affaire Tunisie/Libye : «[L]a Cour doit tenir compte de tous les indices
existants au sujet de la ligne ou des lignes que les Parties elles-mêmes ont pu considérer ou traiter
en pratique comme équitables.»197 Selon le Kenya, étant donné que le Kenya et la Somalie ont tous
deux indiqué, à travers leurs pratiques, qu’ils considèrent le parallèle de latitude comme équitable,
la Cour doit donner effet au parallèle.
3.39. Au chapitre 2 de la présente réplique, la Somalie a montré qu’elle n’avait jamais
indiqué qu’elle considérait une frontière parallèle comme équitable198. Compte tenu des preuves
présentées à la Cour, l’argument du Kenya fondé sur l’affaire Tunisie/Libye n’est absolument pas
convaincant.
3.40. Cependant, même s’il existait une pratique concordante limitée (ce qui n’est pas le
cas), la thèse du Kenya demeurerait vaine. Le jugement rendu récemment par la chambre spéciale
du TIDM dans l’affaire Ghana/Côte d’Ivoire est particulièrement instructif à cet égard. En effet,
dans cette affaire, il existait un record incontesté de pratiques mutuelles, concordantes et
fondamentales (y compris en ce qui concerne l’octroi de concessions pétrolières) autour de la
même ligne de délimitation pendant quatre décennies  un comportement beaucoup plus
systématique et uniforme que ce que l’on observe, même de l’avis du Kenya, dans la présente
affaire.
3.41. Le Ghana a d’abord affirmé qu’il existait un accord tacite entre les Parties. La chambre
spéciale a rejeté cet argument199. Le Ghana a ensuite fait valoir, à titre alternatif, exactement ce que
le Kenya fait valoir ici : il faut donner effet à l’indication de la ligne jugée équitable par les parties,
ou du moins la considérer comme une «circonstance pertinente» nécessitant simplement un
ajustement de la ligne d’équidistance provisoire200.
3.42. La chambre spéciale a rejeté les arguments du Ghana, les qualifiant de «tentative
injustifiable de rétablir une frontière maritime tacite précédemment rejetée par la chambre spéciale,
ce en contournant le niveau de preuve élevé requis pour démontrer l’existence d’un accord tacite».
En rejetant l’argument alternatif du Ghana, la chambre spéciale a expliqué que l’accepter
«compromettrait en réalité sa conclusion antérieure concernant l’existence d’un accord tacite»201.
196 CMK, par. 308 a).
197 Ibid., par. 314 (citant Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982,
p. 84, par. 118).
198 Voir ci-dessus par. 2.87-2.106.
199 Ghana/Côte d’Ivoire, par. 211-228.
200 Ibid., par. 102, 104, 457-460.
201 Ibid., par. 478.
71
72
- 49 -
3.43. La Cour devrait en faire de même dans la présente affaire. Le Kenya ne peut pas
ressusciter son argument fort peu convaincant d’un acquiescement en l’habillant maintenant du
costume des «principes équitables».
*
* *
3.44. Pour toutes ces raisons, le Kenya n’est pas parvenu à justifier pourquoi, en l’espèce, la
Cour ne devrait pas employer la méthode standard en trois temps.
SECTION II
LA MÉTHODE EN TROIS TEMPS MONTRE QUE LA LIGNE D’ÉQUIDISTANCE
EST UNE SOLUTION ÉQUITABLE
3.45. Parce qu’il résiste à l’application de la méthode d’équidistance/des circonstances
pertinentes, le contre-mémoire du Kenya ne cherche même pas à démontrer que l’application de la
méthode standard aboutit au parallèle de latitude qu’il revendique. Il ne critique pas non plus la
manière dont la Somalie a appliqué cette méthode dans son mémoire.
3.46. Le Kenya ne dit rien sur la définition des côtes et de la zone concernées, sur la
construction de la ligne d’équidistance provisoire, ou sur le test de disproportion réalisé par la
Somalie. La raison pour laquelle le Kenya ne fait rien pour examiner la méthode en trois temps est
évidente : aucune application fidèle de ce processus ne pourrait aboutir à un parallèle de latitude ou
à quelque chose qui s’en rapproche.
3.47. En réalité, employer la méthode en trois temps aboutit, au contraire, à la ligne
d’équidistance non ajustée mentionnée dans le mémoire de la Somalie. La Somalie montrera
brièvement ci-dessous comment l’application de la méthode en trois temps aboutit à une ligne
d’équidistance non ajustée, et non au parallèle de latitude revendiqué par le Kenya.
A. Construction de la ligne d’équidistance provisoire
1. Point de départ de la frontière maritime
3.48. Pour construire une ligne d’équidistance provisoire, il faut commencer par identifier le
terminus de la frontière terrestre («TFT»), et il y a peu de divergences entre les Parties sur ce point.
3.49. En mars 2014, les Parties ont convenu de «s’appuyer sur le Pilier BP 29 (Balise
principale 29), tel que reflété dans le traité anglo-italien de 1924 comme point de départ, mais
73
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exclusivement pour définir une frontière maritime»202. Il n’y a donc que deux questions que la Cour
doit résoudre : 1) l’emplacement précis de la BP 29, et 2) comment connecter la BP 29 (qui est
située légèrement à l’intérieur des terres) à la laisse de basse mer.
3.50. En ce qui concerne la première de ces deux questions, la Somalie a expliqué dans son
mémoire comment elle a déterminé l’emplacement de la BP 29203. Le Kenya ne conteste pas la
méthode somalienne, mais fournit cependant des coordonnées légèrement différentes. Alors que la
Somalie situe la BP 29 à 1° 39' 43,30" S - 41° 33' 33,49" E, le Kenya affirme qu’elle est située à
1° 39' 43,22" S - 41° 33' 33.19" E. La différence entre les deux coordonnées est de minimis,
seulement d’environ 10 mètres.
3.51. L’écart entre les deux points, tel qu’il se présente, semble être lié à l’imprécision de la
géo-rectification d’images satellitaires différentes204. La différence étant si minime, la Somalie
serait satisfaite si la Cour adoptait les coordonnées de BP 29 proposées par le Kenya.
3.52. La BP 29 ne peut toutefois pas être le point de départ de la frontière maritime car,
comme indiqué, elle n’est pas située sur la côte. Cela soulève la deuxième question : comment
connecter la BP 29 à la laisse de basse mer.
3.53. L’accord de 1927 stipule que la frontière terrestre s’étend à partir de la BP 29 jusqu’à
la mer en direction sud-est, «en ligne droite perpendiculaire à l’orientation générale du littoral au
niveau de Dar Es Salam»205. Conformément à cet accord, le mémoire de la Somalie relie la BP 29 à
la laisse de basse mer au moyen d’une ligne perpendiculaire à l’orientation générale de la côte206.
3.54. Le Kenya convient que l’accord de 1927 reflète la façon dont les Parties définissent la
frontière terrestre207. Il déclare néanmoins que la méthode somalienne est erronée car elle relie la
BP 29 à la laisse de basse mer, alors que, selon le Kenya l’accord de 1927 déclare que la BP 29
«doit être connectée à la «ligne correspondant à la moyenne du niveau de la mer lors de marées de
printemps ordinaires»»208.
202 Gouvernement de la Somalie et Gouvernement du Kenya, Rapport commun sur la réunion Kenya-Somalie
relative à la frontière maritime, 26-27 mars 2014 (1er avril 2014), p. 3-4. MS, vol. III, annexe 31.
203 MS, par. 4.18-4.20.
204 Cet écart peut être constaté en comparant les figures R3.1A et R3.2A (uniquement dans le volume II). La
figure R3.1A montre les emplacements proposés pour la BP 29 par la Somalie et le Kenya, tels que tracés sur des images
Google Earth de 2010 (la figure R3.1B est une version non annotée de la même image). La figure R3.2A illustre les
emplacements proposés par les Parties pour la BP 29, tels que tracés sur des images Digital Globe prises à une date
inconnue (la figure R3.2B est une version non annotée de la même image Digital Globe). Comme la Cour peut le
constater, le point à terre que la Somalie indique comme étant l’emplacement de la BP 29 d’après les images Google
Earth (figure R3.1A) est virtuellement identique à l’emplacement du même point sur les images Digital Globe (figure
R3.2A).
205 Accord entre l’Italie et le Royaume-Uni, dans lequel sont enregistrées les décisions de la Commission mise en
place en vertu de l’article 12 du traité entre Sa Majesté Britannique et Sa Majesté le Roi d’Italie signé à Londres le
15 juillet 1924, pour régir certaines questions concernant les frontières de leurs territoires respectifs en Afrique de l’Est
(17 déc. 1927), annexe I, première partie. MS, vol. III, annexe 3.
206 MS, par. 4.22.
207 KCM, par. 29. Voir aussi : MS, par. 4.2, no 149.
208 CMK, par. 34.
74
75
- 51 -
3.55. Le Kenya a mal interprété le traité de 1927. Le traité de 1924 entre l’Italie et le
Royaume-Uni définissait à l’origine le dernier segment de la frontière terrestre par une ligne
orientée «plein sud» aboutissant à un point situé «sur la côte»209. Il stipulait ensuite que : «La côte
est la ligne correspondant à la moyenne du niveau de la mer lors de marées de printemps
ordinaires»210.
3.56. Cependant, lorsque la Commission des frontières du Jubaland examina et délimita
l’intégralité de la nouvelle frontière entre 1925 et 1927, elle décida de déplacer la courte section de
la frontière allant du sud légèrement à l’ouest, «de façon à ce que son point final sud soit situé à
15 m à l’intérieur des terres par rapport à la laisse de haute mer»211 ; c’est-à-dire l’emplacement de
la BP 29. A partir de ce point nouvellement défini, la dernière section de la frontière fut redéfinie
comme s’étendant dans une direction sud-est «en ligne droite à angle droit de l’orientation générale
de la côte à Dar Es Salam»212. En d’autres termes, la définition de 1924 de «la côte» comme étant
«la moyenne du niveau de la mer lors de marées de printemps ordinaires» n’avait plus aucune
pertinence.
3.57. Quoi qu’il en soit, dans le contexte des délimitations modernes de frontières maritimes,
la loi est claire : conformément à l’article 5 de la convention, le point de départ d’une frontière
maritime doit être «la laisse de basse mer le long de la côte, telle qu’elle est indiquée sur les cartes
marines à grande échelle reconnues officiellement par l’État côtier».
3.58. Aucune des Parties ne semble avoir mentionné ses cartes officiellement reconnues
avant la présente affaire. Dans son mémoire, la Somalie a adopté la carte marine américaine du
NGA no 61220, pour laquelle le zéro des cartes est la laisse de basse mer la plus basse213 ; soit le
niveau de la marée la plus basse observée le long de cette côte214. Le contre-mémoire du Kenya ne
mentionne aucune carte, et le Kenya n’indique pas non plus où se situerait la laisse de basse mer
selon la «moyenne du niveau de la mer lors de marées de printemps ordinaires». En conséquence,
la Somalie estime que la laisse de basse mer indiquée sur la carte marine américaine du
NGA no 61220 constitue l’emplacement approprié pour localiser le TFT et commencer cette
délimitation.
3.59. Bien qu’ayant réclamé de commencer la frontière maritime au niveau de la «moyenne
du niveau de la mer lors de marées de printemps ordinaires», il convient de remarquer que le Kenya
n’a pas proposé de méthode permettant de relier la BP 29 à cette ligne. Il évite simplement la
question en faisant valoir que la frontière maritime devrait «suivre le parallèle de
209 Traité entre l’Italie et le Royaume-Uni régissant certaines questions concernant les frontières de leurs
territoires respectifs en Afrique de l’Est signé à Londres (15 juillet 1924), et échange de notes définissant une portion des
dites frontières, Rome (16 et 26 juin 1925), 35 L.N.T.S. 380 (1925), p. 388. MS, vol. III, annexe 2.
210 Ibid.
211 Accord entre l’Italie et le Royaume-Uni dans lequel sont enregistrées les décisions de la Commission mise en
place en vertu de l’article 12 du traité entre Sa Majesté Britannique et sa Majesté le Roi d’Italie signé à Londres le
15 juillet 1924, pour régir certaines questions concernant les frontières de leurs territoires respectifs en Afrique de l’Est
(17 déc. 1927), par. 7. MS, vol. III, annexe 3.
212 Ibid., annexe I, première partie.
213 Voir United States National Geospatial-Intelligence Agency, Carte n° 61220 : De l’Ile Manda à Kismaayo
(20 janv. 2014). RS, vol. II, annexe 42.
214 Organisation hydrographique internationale, Dictionnaire hydrographique (5e éd., 1994), p. 135. RS, vol. II,
annexe 41.
76
- 52 -
latitude … s’étendant à partir de la Balise principale no 29»215. Il n’explique en rien en quoi sa
méthode est conforme au texte de l’accord de 1927 ni ne fournit la moindre base en fait ou en droit
pour étayer sa méthode.
3.60. La Somalie estime que sa méthode est celle requise par les termes de l’accord de 1927,
et qu’elle est également conforme à la jurisprudence. Les cours et tribunaux internationaux ont
tendance à suivre l’orientation du dernier segment de la frontière terrestre jusqu’à ce qu’il atteigne
la laisse de basse mer. Par exemple, dans l’affaire Ghana/Côte d’Ivoire, la chambre spéciale a relié
la laisse de basse mer au dernier pilier de la frontière marquant l’extrémité de la frontière terrestre
convenue par une ligne suivant le même azimut que la ligne reliant ce pilier à l’avant dernier
pilier216. Dans l’affaire Guyana c. Suriname, le tribunal arbitral a employé une méthode
similaire217.
3.61. Conformément à la méthode prévue dans l’accord de 1927, le mémoire de la Somalie
indique un point situé sur la laisse de basse mer à 41 mètres de la balise BP 29, dont les
coordonnées sont 1° 39' 44.07" S-41° 33' 34.57 "E. La Somalie soumet que ce point de départ
devrait constituer le début de la frontière maritime218.
2. Ligne d’équidistance provisoire
3.62. Une fois que le point de départ de la frontière maritime a été déterminé, la méthode
d’équidistance/des circonstances pertinentes prévoit l’«établi[ssement] [d’]une ligne de
délimitation provisoire en utilisant des méthodes objectives d’un point de vue géométrique et
adaptées à la géographie de la zone dans laquelle la délimitation doit être effectuée»219. Cela
nécessite 1) de définir les côtes pertinentes des Parties et la zone pertinente ; 2) d’identifier les
points de base pertinents ; et 3) de tracer la ligne d’équidistance provisoire220.
3.63. La Somalie a exposé ses vues sur ces questions dans son mémoire221. Le
contre-mémoire du Kenya ne conteste aucun aspect de la présentation de la Somalie, et il faut noter
qu’il ne traite pas du tout des questions des côtes et de la zone pertinentes, des points de base
appropriés ou du tracé de la ligne d’équidistance.
3.64. Etant donné que sa discussion de ces points n’est absolument pas réfutée, la Somalie,
ne voulant pas alourdir la charge de la Cour, ne répètera pas cette discussion ici. Elle tient
simplement à rappeler à la Cour qu’en employant la méthode conventionnelle, la Somalie a
déterminé que la ligne d’équidistance provisoire correspond à ce qui est illustré à la figure 6.1 du
mémoire de la Somalie et reproduit à la figure R3.3 (page suivante).
215 CMK, Soumission no 2.
216 Ghana/Côte d’Ivoire, par. 352-356.
217 Voir Guyana c. Suriname, par. 137-138, 308.
218 Si les coordonnées proposées par le Kenya pour l’emplacement de la BP no 29 étaient utilisées pour calculer
l’emplacement du TFT, ce dernier serait situé aux coordonnées suivantes : 1° 39' 44.168" S - 41° 33' 34.52" E. Ce point
est situé à seulement 3,39 m au sud-ouest du TFT proposé dans le mémoire de la Somalie.
219 Roumanie c. Ukraine, par. 116.
220 Voir, par exemple, ibid., par. 77-78, 116-118, 127, 153-154 ; Nicaragua c. Colombie, par. 200.
77
78
- 53 -
Figure R3.3 : Ligne d’équidistance
221 MS, par. 6.16-6.38.
- 54 -
B. Absence de circonstances spéciales ou pertinentes
3.65. La deuxième étape du processus de délimitation standard consiste à «examiner s’il
existe des facteurs nécessitant d’effectuer un ajustement ou un déplacement de la ligne
d’équidistance provisoire afin d’obtenir un résultat équitable»222.
3.66. Dans son mémoire, la Somalie a montré qu’il n’existait aucune circonstance spéciale
dans la mer territoriale ni aucune circonstance pertinente dans la ZEE/sur le plateau continental
justifiant un ajustement de la ligne d’équidistance provisoire dans la présente affaire223. Etant
donné qu’il n’utilise pas la méthode en trois temps, le Kenya ne conteste pas directement l’analyse
de la Somalie. Cela dit, son contre-mémoire mentionne trois considérations qui, selon le Kenya,
devraient éclairer «l’évaluation d’une solution équitable» en l’espèce et peser contre l’adoption de
la ligne d’équidistance224.
3.67. Il s’agit des considérations suivantes : 1) la «prise en compte du contexte régional»225 ;
2) «l’effet d’amputation» que l’équidistance aurait prétendument «sur les zones maritimes du
Kenya»226 ; et 3) le fait que l’équidistance accorderait à la Somalie «plus d’espace maritime par
kilomètre de côte qu’au … Kenya»227. Aucun de ces arguments n’est défendable.
1. Contexte régional
3.68. L’invocation, par le Kenya, du contexte régional selon lequel «divers accords de
délimitation dans cette région d’Afrique ont adopté la même méthodologie de délimitation basée
sur le «parallèle de latitude» en tant que solution équitable» ne constitue qu’un retour à sa
discussion antérieure concernant ces mêmes accords, présentés comme une raison de s’écarter du
processus en trois temps228. Cet argument n’est pas plus convaincant dans ce contexte qu’il ne
l’était auparavant, et il peut et doit donc être rejeté pour les raisons indiquées aux paragraphes 3.28
à 3.32 ci-dessus.
2. Effet d’amputation
3.69. Le Kenya soutient également que la ligne d’équidistance a un effet d’amputation
inéquitable, en ce sens qu’«elle rétrécit considérablement la projection côtière du Kenya dans sa
ZEE et fait passer la longueur côtière (mesurée en ligne droite) de 424 km à seulement 180 km,
telle que mesurée à la limite de 200 milles marins, soit une réduction de 58 %»229.
3.70. En outre, le Kenya déclare que «l’effet d’amputation … est encore plus prononcé
au-delà de 200 milles marins. Dans ce secteur de la frontière, l’application du principe
222 Roumanie c. Ukraine, par. 120.
223 MS, par. 5.22-5.26, 6.45-6.53.
224 CMK, par. 342.
225 Ibid.
226 Ibid., par. 343.
227 Ibid., par. 352.
228 Ibid., par. 342 (référence croisée avec ibid., par. 326-332).
229 Ibid., par. 343.
79
- 55 -
d’équidistance empêcherait le Kenya d’avoir le moindre droit au-delà du plateau continental
conformément à l’article 76 de la convention230.
3.71. Le Kenya illustre cet effet d’amputation présumé dans la figure 3-1 de son
contre-mémoire, dans laquelle deux astuces sont employées pour créer l’illusion d’une amputation
du Kenya, alors que ce n’est absolument pas le cas (ou du moins aucune amputation pertinente
pour ce qui concerne la délimitation avec la Somalie).
3.72. Premièrement, cette figure indique la frontière convenue entre le Kenya et la Tanzanie
au moyen d’une ligne noire sombre. Le Kenya reconnaît l’effet de la délimitation avec la Tanzanie
en déclarant : «L’effet d’amputation découle en partie de la frontière maritime entre le Kenya et la
Tanzanie.»231 Utiliser les mots «en partie» constitue une sous-estimation substantielle. Comme le
montre la version annotée de la figure 3-1 du Kenya reproduite en tant que figure R3.4 (page
suivante), les projections dessinées perpendiculairement à l’orientation générale de la côte du
Kenya montrent que toute amputation alléguée que le Kenya pourrait subir résulte intégralement de
son accord avec la Tanzanie, et non de la ligne d’équidistance avec la Somalie.
230 CMK, par. 344.
231 Ibid., par. 347 (les italiques sont de nous).
80
- 56 -
Figure R3.4 : Figure 3.1 du Kenya (annotée)
- 57 -
3.73. Deuxièmement, le Kenya illustre, au moyen de la même ligne noire sombre, le parallèle
de latitude qu’il revendique et la limite de 200 milles marins qui s’appliquerait au Kenya si la
frontière était effectivement le parallèle de latitude. L’inclusion de ces lignes est clairement
destinée à donner l’impression que la ligne d’équidistance provisoire prive le Kenya de zones
maritimes auxquelles il aurait droit autrement. Cela est de la pure fiction.
3.74. Bien entendu, la ligne d’équidistance réduit l’espace maritime du Kenya par rapport à
sa ligne parallèle revendiquée. Toute délimitation produit un certain degré d’amputation. Comme
l’a déclaré la Cour, l’objectif est de répartir l’amputation «d’une manière raisonnable et équilibrée
pour chacune d’entre elles»232, et la ligne d’équidistance provisoire répond exactement à cet
objectif.
3.75. En outre, toute amputation susceptible de résulter de la frontière entre le Kenya et la
Tanzanie ne saurait être pertinente aux fins de la délimitation de la frontière entre la Somalie et le
Kenya.
3.76. Dans la décision la plus récente de la Cour dans l’affaire Costa Rica c. Nicaragua, le
Costa Rica a soutenu qu’une frontière équidistante avec le Nicaragua, associée à une frontière
convenue entre le Costa Rica et le Panama, l’amputerait de manière inéquitable. Il a plaidé pour un
ajustement de la ligne d’équidistance en sa faveur sur cette base233. En fait, le Costa Rica a
démontré que la combinaison de l’équidistance avec le Nicaragua et de sa frontière convenue avec
le Panama amputerait son espace maritime bien en deçà de 200 milles marins, soit une amputation
beaucoup plus importante que celle mentionnée par le Kenya, dont l’espace maritime s’étend bien
au-delà de 200 milles marins même avec une frontière d’équidistance avec la Somalie.
3.77. La Cour a rejeté l’argument du Costa Rica selon lequel «les relations [d’un Etat] avec
[une voisine] ne sauraient justifier un ajustement de la ligne d’équidistance dans ses relations avec»
un autre Etat234. Toute amputation résultant de l’accord entre le Costa Rica et le Panama, ou entre
le Kenya et la Tanzanie, n’est donc pas pertinente pour des Etats tiers comme le Nicaragua ou la
Somalie et ne peut être prise en compte aux fins de la délimitation entre la Somalie et le Kenya.
3.78. De plus, toute amputation que le Kenya pourrait subir du fait de sa propre délimitation
avec la Tanzanie serait due à ses propres actions. La Somalie a souligné ce point dans son mémoire
en déclarant :
«Par cet accord [avec la Tanzanie], le Kenya a concrètement renoncé à une
partie de ses droits vis-à-vis du plateau continental au-delà de 200 milles marins. Cela
est évident lorsque l’on compare les résultats de l’Accord aux portions respectives du
plateau continental qui seraient revenues respectivement au Kenya et à la Tanzanie si
ces deux pays avaient simplement adopté une ligne d’équidistance au-delà de
200 milles marins. Eussent-ils adopté une telle ligne, la portion du plateau continental
232 Roumanie c. Ukraine, par. 201. Voir aussi : Bangladesh/Myanmar, par. 326.
233 Costa Rica c. Nicaragua, par. 150.
234 Ibid., par. 156.
81
82
- 58 -
revenant au Kenya au-delà de 200 milles marins aurait été considérablement plus
importante que ce que l’Accord octroie à ce pays.»235
3.79. Le Kenya ne semble pas être en désaccord. En effet, il ne répond pas du tout sur ce
point, et son silence est révélateur et constitue une admission que la Somalie a raison.
3.80. La situation de la Cour est analogue à celle dans laquelle elle se trouvait dans l’affaire
La Barbade c. Trinité-et-Tobago, lorsque Trinité-et-Tobago a soutenu que l’effet combiné d’une
ligne d’équidistance avec la Barbade et de sa délimitation convenue avec le Venezuela avait
entraîné une amputation inéquitable.236 Le tribunal arbitral a rejeté cet argument et déclaré : «On ne
peut exiger de la Barbade qu’elle «indemnise» Trinité-et-Tobago en contrepartie des accords
qu’elle a conclus en déplaçant la frontière maritime de la Barbade en faveur de
Trinité-et-Tobago.»237 Pareillement, on ne peut s’attendre à ce que la Somalie indemnise le Kenya
pour les conséquences de l’accord qu’il a conclu avec la Tanzanie.
3.81. Même si l’on mettait de côté ce point critique, les arguments du Kenya ne seraient
toujours pas convaincants. Le Kenya se plaint qu’en conséquence à la fois de ses frontières
convenues avec la Tanzanie et de la ligne d’équidistance avec la Somalie, il subit
1) «un rétrécissement substantiel de [sa] projection côtière»238, et 2) «qu’il est empêché de jouir
souverainement de ses droits souverains vis-à-vis du plateau continental … dans toute la mesure
autorisée par le droit international»239. Pourtant, la jurisprudence indique clairement que ces
considérations ne justifient pas un ajustement de la ligne d’équidistance, encore moins un abandon
du processus en trois temps.
3.82. Dans les affaires Bangladesh/Myanmar et Bangladesh c. Inde, le TIDM et le tribunal
arbitral ont tous deux rejeté les arguments du Bangladesh selon lesquels la méthode en trois temps
était inappropriée dans une affaire de concavité côtière prononcée, qui  comme l’ont reconnu les
deux tribunaux  a entraîné une importante amputation de l’espace maritime du Bangladesh. Au
lieu de cela, ils ont appliqué la méthode en trois temps et ajusté la ligne d’équidistance provisoire
en faveur du Bangladesh en raison des effets de cette concavité240. Quand bien même, les solutions
équitables adoptées dans les deux cas ont fait subir au Bangladesh un rétrécissement prononcé de
sa projection vers la mer, qui est passée d’une longueur côtière d’environ 394 km à seulement
103 km au niveau de la limite des 200 milles marins. Comme le montre la figure R3.5 (p. 60), il
s’agit d’une limitation beaucoup plus importante que ce que le Kenya prétend subir en l’espèce.
3.83. Les délimitations finales ont également empêché le Bangladesh de jouir de ses droits
souverains vis-à-vis du plateau continental dans toute la mesure autorisée par la loi. Alors que la
limite extérieure de la marge continentale du Bangladesh, telle que présentée dans la
communication à la CLPC, était à 417 milles marins de la côte, la combinaison du jugement du
TIDM et de la sentence arbitrale a amputé les droits de ce pays vis-à-vis du plateau continental à
une distance de seulement 304 milles marins de la côte. Tel que le tribunal arbitral dans l’affaire
235 MS, par. 7.53.
236 La Barbade c. Trinité-et-Tobago, par. 339.
237 Ibid., par. 346.
238 CMK, par. 343.
239 Ibid.
240 Bangladesh/Myanmar, par. 323-340 ; Arbitrage concernant la frontière maritime dans le golfe de Bengale
(Bangladesh c. Inde), Sentence, 2014, PCA Affaire n° 2010-16 (ci-après «Bangladesh c. Inde»), par. 478-480.
83
- 59 -
Bangladesh c. Inde l’a expliqué, «la jurisprudence internationale concernant la délimitation du
plateau continental ne reconnaît pas un droit général des États côtiers à la portée maximale de leurs
droits…»241.
241 Bangladesh c. Inde, par. 469 (les italiques sont de nous).
84
- 60 -
Figure R3.5 : Carte 12 extraite de la sentence dans l’affaire Bangladesh/Inde (annotée)
- 61 -
3.84. La tentative finale du Kenya pour sauver coûte que coûte son argument concernant une
amputation est tout aussi défectueuse que les autres. En effet, le Kenya fait valoir que la ligne
d’équidistance réduirait davantage, en termes de pourcentage, son espace maritime total que le
parallèle de latitude ne réduirait celui de la Somalie242. Selon le Kenya, le parallèle réduirait la
totalité de la ZEE de la Somalie de 6 % et son plateau continental de 9 %243. En revanche, selon le
Kenya, la ligne d’équidistance réduirait la ZEE du Kenya de 45 % et son plateau continental de
98 %244.
3.85. Le Kenya ne cite aucune jurisprudence ou autre élément faisant autorité pour appuyer
cette approche, sans doute parce qu’il n’en existe aucun. L’effet relatif sur la Somalie est inférieur à
celui sur le Kenya pour la simple raison que la Somalie a un littoral beaucoup plus long. La côte
somalienne mesure au total près de 3000 km, tandis que celle du Kenya ne fait que 400 km de long.
3.86. Aux fins de son argumentation, le Kenya prend en compte l’ensemble de la côte
somalienne, et pas seulement ses côtes pertinentes, ainsi que toutes les eaux et les plateaux annexes
de cette côte, et pas seulement ceux qui sont pertinents pour cette délimitation245. Il résultera donc
inévitablement, et non pas de manière inéquitable, d’une quelconque délimitation que le
pourcentage de réduction de l’espace maritime total de la Somalie sera inférieur à celui du Kenya.
3.87. En outre, comme le montre clairement la figure R3.6 (p. 62), la prétendue réduction du
plateau continental du Kenya est en grande partie due à son accord de 2009 avec la Tanzanie
portant sur l’extension de leur frontière maritime le long d’un parallèle de latitude au-delà de
200 milles marins, soit à la limite de la juridiction nationale, plutôt que sur une délimitation de la
frontière au moyen d’une ligne d’équidistance246.
242 Voir CMK, par. 349-351.
243 Ibid., par. 349.
244 Ibid., par. 350.
245 Voir ibid., fig. 3-2.
246 Voir ibid., par. 110.
85
- 62 -
Figure R3.6 : Toute amputation subie par le Kenya résulte de son accord avec la Tanzanie
- 63 -
3.88. Pour ces raisons, le Kenya a échoué à alléguer un quelconque argument plausible selon
lequel il subirait une amputation inéquitable si la Cour adoptait la ligne d’équidistance en tant que
frontière maritime entre les Parties.
3. Disproportion prononcée entre les longueurs des côtes et les espaces maritimes
3.89. Enfin, le Kenya soutient que la ligne d’équidistance est inéquitable étant donné qu’elle
accorderait à la Somalie «beaucoup plus d’espace maritime par kilomètre de côte qu’au Kenya»247.
Selon le Kenya, si l’on prend en compte la côte et le territoire maritime somaliens «jusqu’à la
Corne de l’Afrique», l’équidistance accorderait [à la Somalie] 371 km2 d’espace maritime par
kilomètre de côte, et 262 km2 au Kenya248.
3.90. Il est utile de noter que le Kenya «ne dit pas que la «proportionnalité», qui a son rôle
propre à jouer en tant que facteur de vérification de la frontière proposée dans le cadre de la «phase
trois» de la méthode en trois temps, est un principe juridique applicable à la détermination d’une
ligne équitable»249. Il dit que, selon lui, il s’agit d’«un outil analytique utile pour mesurer et illustrer
le degré d’amputation»250.
3.91. Ici encore, le Kenya ne cite aucune jurisprudence ni aucun autre élément faisant
juridiquement autorité pour appuyer sa méthode basée sur l’«espace maritime par kilomètre de
côte». Il s’agit d’une pure invention, dont le but évident est d’inviter la Cour à prendre pitié du
Kenya et à le dédommager en raison de sa côte comparativement plus courte. Faire cela
constituerait toutefois une violation de l’avertissement systématique de la Cour, qui avait été
déclaré dans les affaires de la mer du Nord, que :
«[i]l n’est jamais question de refaire la nature entièrement et l’équité ne commande
pas qu’un Etat sans accès à la mer se voie attribuer une zone de plateau continental,
pas plus qu’il ne s’agit d’égaliser la situation d’un Etat dont les côtes sont étendues et
celle d’un Etat dont les côtes sont réduites. L’égalité se mesure dans un même plan et
ce n’est pas à de telles inégalités naturelles que l’équité pourrait porter remède.»251
3.92. Les seules côtes et zones concernées par la délimitation actuellement en litige sont les
côtes pertinentes et la zone pertinente correctement définies dans le mémoire de la Somalie252,
vis-à-vis desquelles le Kenya ne présente aucune objection dans son contre-mémoire. La tentative
du Kenya d’étendre les côtes et la zone qui sont effectivement pertinentes est juridiquement
injustifiable. Comme la Cour l’a jugé dans l’affaire de la mer Noire, seules les côtes «générant des
projections qui chevauchent des projections de la côte de l’autre partie» sont «considérées comme
pertinentes aux fins de la délimitation» de la frontière maritime253.
247 CMK, par. 352.
248 Ibid.
249 Ibid.
250 Ibid.
251 Plateau continental de la mer du Nord, par. 91.
252 MS, par. 6.16-6.38.
253 Roumanie c. Ukraine, par. 99.
86
- 64 -
3.93. Lorsque (comme expliqué ci-après) l’analyse de l’absence de proportions est
correctement effectuée en tenant compte des côtes pertinentes et de la zone pertinente dans la
présente affaire, on aboutit inévitablement à la conclusion suivante : la ligne d’équidistance est
équitable.
C. Test de proportionnalité
3.94. Dans l’affaire Roumanie c. Ukraine, la Cour a expliqué qu’à la troisième et dernière
étape du processus de délimitation, elle vérifiera si la ligne de délimitation résultant de
l’application des deux premières étapes «entraîne … disproportion marquée entre les longueurs
respectives des côtes et les espaces répartis par ladite ligne»254.
3.95. Dans son mémoire, la Somalie a effectué l’analyse de proportionnalité requise255. Etant
donné qu’il rejette intégralement la méthode en trois temps, le Kenya n’a ni réfuté ni contesté
l’analyse de la Somalie. Aux fins de la présente réplique, la Somalie se bornera donc à rappeler à la
Cour que le fait de diviser la zone de droits superposés en deçà de 200 milles marins au moyen de
la ligne d’équidistance provisoire alloue 103 627 km2 (48,5 %) à la Somalie et 110 236 km2
(51,5 %) au Kenya. Le ratio entre les deux est de 0,94 :1 en faveur du Kenya256.
3.96. Si l’on inclut également la zone au-delà de 200 milles marins, l’équidistance
accorderait au Kenya 41 % de la superficie (environ 16 700 km2 au-delà de 200 milles marins), et
59 % à la Somalie257. Le ratio résultant est de 1,44 :1 en faveur de la Somalie.
3.97. Ces ratios doivent être comparés au ratio des côtes pertinentes des Parties, qui est de
1,57 :1 en faveur de la Somalie.258
3.98. Ni l’un ni l’autre de ces calculs ne révèle une quelconque absence de proportionnalité,
qu’elle soit brute ou autre. A titre de comparaison, dans l’affaire Nicaragua c. Colombie, la
délimitation finale de la Cour avait eu «effet de partager la zone pertinente dans un rapport
d’environ 1 à 3,44 en faveur du Nicaragua. Or le rapport entre les côtes pertinentes [était] d’environ
1 à 8,2 [en faveur du Nicaragua]»259. Pourtant, la Cour a conclu que ce résultat «n’entraînait pas
une absence de proportionnalité telle que cela viendrait à produire un résultat inéquitable»260.
254 Roumanie c. Ukraine, par. 210.
255 MS, par. 6.54-6.57.
256 Ibid., par. 6.56, fig. 6.12.
257 Ibid., par. 7.58.
258 Ibid., par. 6.30.
259 Nicaragua c. Colombie, par. 243.
260 Ibid., par. 247.
87
88
- 65 -
3.99. Une ligne d’équidistance non ajustée constitue donc clairement une solution équitable
en l’espèce.
*
* *
3.100. Pour toutes les raisons susmentionnées, le Kenya n’a en rien démontré de manière
convaincante  ni même plausible  qu’il serait justifié que l’on déroge à la méthode standard en
trois temps utilisée depuis longtemps par la Cour. Si cette méthode est employée en l’espèce,
comme elle doit l’être, elle conduira inévitablement à la conclusion qu’une ligne d’équidistance
non ajustée dans la mer territoriale, la ZEE et le plateau continental, y compris le plateau
continental au-delà de 200 milles marins, constitue la solution équitable que la loi exige.
- 66 -
CHAPITRE 4
RESPONSABILITÉ DU KENYA EN RAISON DE SES ACTES ILLICITES DANS
LA ZONE MARITIME EN LITIGE
SECTION I
LES FAITS
4.1. Dans son mémoire, la Somalie a fourni des éléments de preuve à l’appui de son
affirmation selon laquelle, à partir d’environ l’an 2000, le Kenya s’est livré à des activités
sismiques et de forage illicites dans la zone maritime en litige261, et le Gouvernement somalien a
protesté contre ces activités une fois qu’il en a été informé et lorsqu’il était en mesure de réagir262.
Ces activités de la part du Kenya constituent une violation de la souveraineté et des droits
souverains de la Somalie, ainsi que des obligations du Kenya en vertu de l’article 83 3) de la
convention.
4.2. Le Kenya n’a aucunement contesté la recevabilité de cette requête, et n’a pas non plus
nié avoir entrepris de vastes activités de prospection dans la zone maritime en litige263. Bien qu’il
conteste les éléments de preuve accessibles au public qui ont été présentés par la Somalie dans son
mémoire264, le contre-mémoire du Kenya ne clarifie pas la situation factuelle. Il refuse de présenter
des preuves directes concernant la nature et l’étendue de ses propres activités. Quoi qu’il en soit,
sur la base des éléments de preuve présentés dans le mémoire de la Somalie et des autres éléments
de preuve recueillis depuis et examinés ci-après, il est incontestable que le Kenya a agi dans la zone
maritime en litige d’une manière contraire à ses obligations en vertu du droit international.
4.3. Tel que cela a été confirmé par une présentation publique faite en 2011 par le
commissaire kényan à l’énergie pétrolière, c’est vers l’an 2000 que le Kenya a commencé à
«octroyer les CPP [contrats de production partagée] offshore et a relancé les activités de
prospection»265. Cette même présentation confirme que, depuis cette époque, des tests sismiques
intensifs ont été entrepris avant la délivrance de permis concernant les blocs («De nombreuses
données 2D sont disponibles»), et montre également qu’en 2011, «4 puits [ont été] forés au large
du bassin de Lamu»266, dont l’un (Pomboo-1) a été foré par Woodside en 2007 à proximité de la
261 MS, par. 3.22-3.24, 8.19-8.27.
262 MS, par. 8.20, 8.23, 8.24, 8.27.
263 Le Kenya a nié une seule fois que des forages ont eu lieu en 2015 dans la zone en litige (notamment pour le
bloc L-5), comme indiqué dans le mémoire de la Somalie. Voir MS, par. 8.22 ; CMK, par. 376 c). Cependant, le Kenya
n’offre aucune preuve pour corroborer ce déni. Voir ibid. Ce déni contredit le communiqué de presse de Total annonçant
que des forages de prospection sont prévus. Voir Total S.A., Communiqué de presse : Total se lance dans la prospection
au Kenya en acquérant 40 % des parts de cinq blocs situés au large des côtes du bassin de Lamu (21 sept. 2011). MS,
vol. IV, annexe 102.
264 CMK, par. 376.
265 Martin M. Heya, ministère de l’énergie, République du Kenya, Overview of Petroleum Exploration in Kenya :
Presentation to the 5th East African Petroleum Conference and Exhibition 2011 (Tour d’horizon de la prospection
pétrolière au Kenya : présentation lors de la cinquième Conférence et exposition sur le pétrole en Afrique de l’Est, 2011)
(25 fév. 2011), diapositive 6. RS, vol. II, annexe 9. La figure 1-26 du contre-mémoire du Kenya provient de ce document.
266 Ibid. Voir aussi : République du Kenya, ministère de l’énergie et du pétrole, Strategic Environmental and
Social Assessment of the Petroleum Sector in Kenya : Final Report (Evaluation environnementale et sociale stratégique
du secteur pétrolier au Kenya : Rapport final) (déc. 2016), diapositive 26. Annexe 12.
89
90
- 67 -
ligne d’équidistance, mais du côté somalien267. Les éléments de preuve confirment que, lorsque le
Kenya a octroyé des blocs à des fins de prospection, les «obligations de prospection des sociétés
pétrolières comprenait [sic] l’acquisition de données sismiques et de forage avec peu de frais
(Négociable)»268.
4.4. Après 2012, le Kenya a intensifié ses activités sismiques dans la zone en litige. Avant
d’organiser de nouvelles séries de permis destinées aux compagnies pétrolières, la National Oil
Corporation du Kenya, dûment mandatée par la législation kenyane pour représenter le
gouvernement du Kenya, a conclu un accord avec Western Geco (une société affiliée à
Schlumberger)269. Plus spécifiquement, la National Oil Corporation du Kenya a accordé à Western
Geco des droits exclusifs concernant la collecte, le stockage, l’interprétation et la vente à des tiers
des données résultant des études sismiques en 2D, notamment les données relatives à la zone
maritime en litige.
4.5. Il ressort clairement du projet d’accord entre le Kenya et Western Geco, qui est
facilement accessible en ligne et inclus en annexe 27 de la présente réplique, qu’au moment de sa
signature en 2013, le Kenya et ses partenaires commerciaux étaient parfaitement conscients que ce
projet d’accord couvrait une zone contestée. Les cartes jointes en annexes au projet d’accord de
2013, telles que la figure R4.1 (p. 69), montrent toutes les lignes revendiquées par la Somalie et le
Kenya.
4.6. Plusieurs clauses du projet d’accord de 2013 sont spécifiquement applicables à la zone
en litige. La clause 3.8 impose à la National Oil Corporation du Kenya et Western Geco d’obtenir
l’accord de la Somalie avant de réaliser cette étude dans la zone en litige :
«Dans la mesure où les travaux d’acquisition sont exécutés dans une zone
nécessitant un accès, une entrée ou une sortie dans des eaux sous la juridiction
exclusive revendiquée d’un État autre que le Kenya, National Oil doit aider
WesternGeco à obtenir les droits d’accès, d’entrée et de sortie requis en rapport avec
la zone d’opération. Si l’État qui revendique la juridiction refuse les droits d’accès,
267 Voir Martin M. Heya, ministère de l’énergie, République du Kenya, Overview of Petroleum Exploration in
Kenya : Presentation to the 5th East African Petroleum Conference and Exhibition 2011 (Tour d’horizon de la
prospection pétrolière au Kenya : présentation lors de la cinquième Conférence et exposition sur le pétrole en Afrique de
l’Est, 2011) (25 fév. 2011), diapositive 25. RS, vol. II, annexe 9 (fournissant les coordonnées suivantes : 1° 57' 16.15" S
41° 56' 28.02" E). Voir aussi : MS, par. 8.21.
268 Martin M. Heya, ministère de l’énergie, République du Kenya, Overview of Petroleum Exploration in Kenya :
Presentation to the 5th East African Petroleum Conference and Exhibition 2011 (Tour d’horizon de la prospection
pétrolière au Kenya : présentation lors de la cinquième Conférence et exposition sur le pétrole en Afrique de l’Est, 2011)
(25 fév. 2011), diapositive 28. RS, vol. II, annexe 9.
269 Voir Consumers Federation of Kenya (Fédération des consommateurs du Kenya), «How the latest string of
National Oil Corporation of Kenya (NOCK) contracts will affect you the consumer» (Comment la dernière série de
contrats de la National Oil Corporation du Kenya (NOCK) affectera les consommateurs) (20 mars 2014), disponible à
http ://www.cofek.co.ke/index.php/news-and-media/399-how-the-latest-string-of-n…-
affect-you-the-consumer. RS, vol. II, annexe 43 ; Samuel Kamau Mbote, «COFEK question National Oil Western
Geco contract to store Kenya Oil Data» (COFEK remet en cause le contrat entre National Oil et Western Geco
concernant le stockage des données pétrolières du Kenya), Oil News Kenya (22 mars 2014). RS, vol. II, annexe 38. Le
site Internet de la Consumers Federation of Kenya contient des liens permettant de consulter les instruments pertinents
conclus entre la National Oil Corporation du Kenya et WesternGeco. Voir Draft Agreement between National Oil
Corporation of Kenya and Eastern Echo DMCC (Projet d’accord entre la National Oil Corporation du Kenya et Eastern
Echo DMCC) (août 2013), disponible à http ://cofek.co.ke/Western%20Geco%20and%20National
%20Oil%20-%20New%20Acquisition%20Agreement%202013.docx. RS, vol. II, annexe 27. Cet accord fut précédé par
un mémorandum d’accord entre la National Oil Corporation du Kenya et Eastern Echo DMCC. Voir Memorandum of
Understanding between the National Oil Corporation of Kenya and Eastern Echo DMCC (mémorandum d’accord entre
la National Oil Corporation du Kenya et Eastern Echo DMCC) (26 juillet 2013). RS, vol. II, annexe 26.
91
- 68 -
d’entrée ou de sortie dans de telles eaux, les Parties se réuniront de bonne foi sans
retard indû pour convenir d’un plan d’action atténuant ce refus, lequel plan incluera la
divulgation potentielle de données sismiques pertinentes pour un tel État. National Oil
informera WesternGeco de toute limitation ou restriction dont elle a connaissance
affectant l’accès, l’entrée et la sortie en rapport avec la zone d’opération, et
WesternGeco respectera ces limitations ou restrictions. WesternGeco ne sera pas
tenue d’entrer dans les eaux territoriales contestées ni dans les eaux d’un autre État
pendant la période d’exécution du présent Accord.»270
4.7. La clause 8.3 prévoit une procédure en cas de différend concernant les limites de la
zone :
«En cas de différend au sujet des limites géographiques de la zone d’opérations,
tel que détaillé à l’Annexe 1, et si ce différend a une incidence sur l’exécution, par
WesternGeco, de ses obligations en vertu du présent Accord, les Parties se réuniront
pour parvenir à une résolution mutuellement acceptable du différend. Si les Parties au
différend ne parviennent pas à une résolution mutuellement acceptable dans un délai
raisonnable, et à condition toutefois que WesternGeco soit empêchée, en raison du
différend, d’acquérir, de traiter et/ou de retraiter ou de commercialiser les données de
l’étude et/ou des données, WesternGeco se réserve le droit de résilier l’Accord de
manière anticipée sans qu’une telle résiliation n’entraîne, pour WesternGeco, la
moindre responsabilité supplémentaire. En cas de résiliation anticipée par
WesternGeco, National Oil paiera à Western Geco l’intégralité (100 %) des coûts de
l’étude, comme indiqué à l’Annexe 2.»271
4.8. Le projet d’accord montre que le Kenya et Western Geco étaient tout à fait conscients
qu’ils devaient solliciter le consentement de la Somalie concernant ces activités. Néanmoins, ils
n’ont pas contacté la Somalie ni cherché à obtenir autrement son consentement. Selon la carte
jointe au projet d’accord (figure R4.1, p. 69), la zone en litige était considérée comme une zone
prioritaire/de Phase 1. Sans avoir obtenu l’accord de la Somalie, Western Geco a procédé à la
collecte de données sur quelque 10 000 km de levés sismiques 2D, comme le confirme le
site Internet de Schlumberger, Ltd272.
270 Project d’accord entre la National Oil Corporation du Kenya et Eastern Echo DMCC (août 2013), disponible à
http ://cofek.co.ke/Western%20Geco%20and%20National%20Oil%20-%20New%20Acquisition%20Agreement%20201
3.docx, art. 3.8 (les italiques sont de nous). RS, vol. II, annexe 27.
271 Ibid., art. 8.3 (les italiques sont de nous). RS, vol. II, annexe 27.
272 Voir Schlumberger, Ltd., «Multiclient Latest Projects : Kenya Deepwater 2D 2013 Multiclient Seismic
Survey» (Derniers projets multi-clients : étude sismique 2D multi-clients en eaux profondes de 2013 du Kenya),
disponible à http ://www.multiclient.slb.com/latest-projects/africa/kenya_2d.aspx (consultation la plus récente : 11 mai
2018). RS, vol. II, annexe 31.
92
93
- 69 -
Figure R4.1 : Projet d’accord entre la NOCK et Western Geco
4.9. Les informations sur les types de ressources acquises au cours d’études sismiques
exploratoires sont sensibles sur les plans politique et commercial. Ces données, qui, en vertu du
projet d’accord, sont protégées par des clauses d’exclusivité et de confidentialité, sont également
susceptibles de générer des recettes, à la fois pour la National Oil Corporation du Kenya et pour
Western Geco. La Somalie a protesté à plusieurs reprises contre ces activités en envoyant des
lettres aux sociétés pétrolières concernées, lesquelles lettres visaient à informer des dernières des
actes illicites qu’elles commettaient273. Elle a également fait part directement au Kenya de sa
préoccupation concernant l’impact préjudiciable de ces activités sur les négociations en cours274.
4.10. Malgré l’attitude envahissante du Kenya, la Somalie a toujours fait preuve de retenue
dans la zone maritime en litige, car il était clair que les Parties avaient des revendications
divergentes. Il convient de noter qu’en 1991, tous les opérateurs détenant des permis dans les eaux
offshore de la Somalie ont invoqué un cas de force majeure en raison de la guerre civile. Ce n’est
qu’en 2013-2014 que le Gouvernement somalien a contacté les compagnies pétrolières concernant
273 MS, par. 8.20, 8.23, 8.24, 8.27.
274 Voir ibid., par. 3.56 ; Kelly Gilblom, «Somalia challenges Kenya over oil blocks» (La Somalie lance un défi
au Kenya concernant ses blocs de pétrole), Reuters (6 juillet 2012). MS, vol. IV, annexe 107.
94
- 70 -
les nouveaux permis offshore275. A cette époque, l’existence d’un différend avec le Kenya était bien
connue276. La Somalie a choisi la seule démarche conforme à ses obligations internationales :
s’abstenir de mener de quelconques activités unilatérales dans la zone en litige, et maintenir
fermement sa revendication concernant une limite d’équidistance. Pour ces raisons, tous les permis
octroyés par le Gouvernement somalien ont été délivrés pour des zones situées en dehors de la zone
en litige277.
SECTION II
RÉPLIQUE À LA DÉFENSE DU KENYA
4.11. Les faits parlent d’eux-mêmes et sont difficiles à contester. Le Kenya tente de légitimer
ses actions à l’aide de quatre arguments, dont aucun n’est tenable :
a) jusqu’en 2014, aucune zone n’était contestée278 ;
b) les seules règles applicables sont celles énoncées à l’article 83, paragraphe 3, qui excluent toute
obligation de respecter la souveraineté et les droits souverains279 ;
c) en raison de leurs caractéristiques prétendument transitoires, les activités unilatérales du Kenya
ne violent pas l’article 83 3)280 ;
d) en tout état de cause, le Kenya a cessé ces activités en 2016 (deux ans après le début de la
présente procédure et un an après la soumission du mémoire de la Somalie)281.
4.12. Le principal argument du Kenya est qu’il n’y avait pas de zone en litige avant 2014282.
Cet argument n’est pas convaincant étant donné que, comme nous le montrons dans le chapitre 2, le
Kenya sait depuis la fin des années 1970 que la Somalie revendique une frontière le long de la ligne
d’équidistance, et donc une frontière différente de celle du Kenya qui est basée sur le parallèle de
latitude. Les deux Etats ont par la suite maintenu leurs revendications divergentes. Un
chevauchement partiel des revendications s’est ainsi manifesté, au plus tard à la fin des
années 1970, et il est en suspens depuis lors, un état de fait reconnu entre autres dans le
mémorandum d’accord de 2009283.
275 Voir Soma Oil & Gas Exploration, Ltd., Unlocking Somalia’s Potential : 1st International Forum on Somalia
Oil, Gas & Mining (Libérer le potentiel de la Somalie : 1er Forum international sur le pétrole, le gaz et les mines en
Somalie) (27-28 avril 2015). RS, vol. II, annexe 28. Une version plus complète de cette présentation datée de 2016 est
ci-jointe en annexe 30. Voir Soma Oil & Gas Exploration, Ltd., Unlocking Somalia’s Potential : Company Presentation
Q2 2016 (Libérer le potentiel de la Somalie : présentation de la société) (2016). RS, vol. II, annexe 30.
276 Voir ci-dessus par. 2.45-2.49, 2.96-2.106.
277 Voir aussi : Spectrum Geo, «Spectrum signs Seismic Data Agreement to Kick-Start Oil Exploration Offshore
Somalia» (Spectrum signe un contrat relatif aux données sismiques pour lancer l’exploration pétrolière au large de la
Somalie) (7 septe. 2015). RS, vol. II, annexe 29 ; «Spectrum ASA completes the acquisition of 2D seismic data offshore
Somalia» (Spectrum ASA achève l’acquisition de données sismiques 2D au large de la Somalie), Oil News Kenya (5 mai
2016). RS, vol. II, annexe 39.
278 CMK, par. 359-362.
279 Ibid., par. 363-364.
280 Ibid., par. 376.
281 Ibid., par. 378-379.
282 Ibid., par. 355-362.
283 Voir mémorandum d’accord de 2009. MS, vol. III, annexe 6.
95
- 71 -
4.13. Dans son mémoire, la Somalie a démontré que les activités de prospection menées par
le Kenya, dans la mesure où elles ont été entreprises dans une zone que la Cour pourrait attribuer à
la Somalie, constituent une violation de la souveraineté (lorsque ces activités ont eu lieu dans la
mer territoriale) et des droits souverains (lorsqu’elles ont eu lieu dans la ZEE/sur le plateau
continental) de la Somalie. La seule réponse du Kenya à cet argument est que «le «principe
d’exclusivité» … associe à tort la souveraineté dont jouit l’État côtier dans la mer territoriale aux
«droits souverains», plus limités, dans la ZEE et sur le plateau continental»284.
4.14. Contrairement à ce qu’affirme le Kenya, l’article 77 de la convention dispose que les
droits d’un Etat sur le plateau continental sont exclusifs :
«Les droits [de prospecter et d’exploiter le plateau continental] visés au
paragraphe 1 sont exclusifs, en ce sens que, si l’État côtier n’a pas d’activités de
prospection sur le plateau continental ou n’exploite pas ses ressources, nul n’est
autorisé entreprendre de telles activités sans le consentement exprès de l’État côtier.»
Une chambre spéciale du TIDM a récemment confirmé cela à l’unanimité et sans ambiguïté :
«La Chambre spéciale souscrit aux déclarations des deux Parties selon
lesquelles les droits souverains des Etats côtiers sur le plateau continental au large de
leurs côtes sont de nature exclusive et les Etats côtiers ont un droit sur le plateau en
question sans devoir faire de déclaration à cet effet.»285
4.15. Dans la mesure où les activités du Kenya ont eu lieu dans une zone située du côté
somalien de la frontière, ces activités ont porté atteinte à la souveraineté (sur la mer territoriale) et
aux droits souverains (sur la ZEE/le plateau continental) de la Somalie. En conséquence, le Kenya
et ses sociétés partenaires ont obtenu des données sensibles sur les plans politique et commercial
concernant les caractéristiques de certaines ressources naturelles, ainsi que sur l’emplacement et le
caractère exploitable de ces ressources naturelles.
4.16. Les activités du Kenya constituent également une violation des obligations qui lui
incombent en vertu de l’article 83 3), quels que soient les emplacements précis où ces activités ont
été menées. L’article 83, paragraphe 3, stipule que :
«En attendant la conclusion de l’accord visé au paragraphe 1, les Etats
concernés, dans un esprit de compréhension et de coopération, font tout leur possible
pour conclure des arrangements provisoires de caractère pratique et pour ne pas
compromettre ou entraver pendant cette période de transition la conclusion de l’accord
définitif. Les arrangements provisoires sont sans préjudice de la délimitation finale.»
4.17. Pour reprendre les propres mots de la chambre spéciale du TIDM dans l’affaire
Ghana/Côte d’Ivoire, l’article 83 3) «met deux obligations connexes à la charge des Etats
concernés, qui sont de faire «tout leur possible pour conclure des arrangements provisoires de
caractère pratique» et «pour ne pas compromettre ou entraver pendant cette période de transition la
284 CMK, par. 363.
285 Ghana/Côte d’Ivoire, par. 590. Voir aussi : Plateau continental de la mer du Nord, par. 18 ;
Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c. Norvège), arrêt,
C.I.J. Recueil 1993, p. 66-67, par. 64 ; Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), mesures conservatoires,
ordonnance du 11 septembre 1976, C.I.J. Recueil 1976, p. 10-11, par. 31.
96
97
- 72 -
conclusion de l’accord définitif»286. L’obligation de faire «tout leur possible pour conclure des
arrangements provisoires» n’est pas en cause dans la présente affaire. Néanmoins, le Kenya fait
valoir qu’en 2016, il a proposé à la Somalie de conclure des accords pratiques concernant des
activités de prospection et d’exploitation dans la zone en litige287. Cet argument n’est pas
convaincant. La proposition du Kenya, soumise deux années après le dépôt par la Somalie de sa
requête introduisant la présente instance, n’est pas pertinente en l’espèce et ne peut remédier à
l’absence de proposition équivalente, en 2000 ou après. En réalité, elle confirme que le Kenya a
reconnu son obligation, à savoir la possibilité de faire une proposition, ainsi que son manquement à
faire une telle proposition avant 2016.
4.18. Le Kenya a violé la deuxième obligation en vertu de l’article 83, paragraphe 3 ; à
savoir que, «pendant cette période de transition», il ne doit rien faire «pour … compromettre ou
entraver … la conclusion de l’accord définitif». Tel que la chambre spéciale l’a affirmé dans
l’affaire Ghana/Côte d’Ivoire :
«L’article 83, paragraphe 3 couvre deux situations dans cette période de
transition, celle où un arrangement provisoire a été conclu, qui régit la conduite des
parties dans la zone litigieuse et celle où un tel arrangement provisoire n’a pas été
conclu. Les obligations que les Etats rencontrent s’agissant d’une zone maritime
litigieuse pour laquelle aucun arrangement provisoire n’existe sont décrites par les
termes «pour ne pas compromettre ou entraver pendant cette période de transition la
conclusion de l’accord définitif». En interprétant ces termes, il convient de tenir
compte de l’obligation générale au titre de l’article 83, paragraphe 3, de la
Convention, faite aux Etats durant la période de transition d’agir «dans un esprit de
compréhension et de coopération».»288
4.19. En 2016, lorsqu’il a décidé tardivement de faire une proposition à la Somalie en vue de
la conclusion d’un arrangement provisoire, le Kenya a expressément reconnu qu’il avait
l’obligation de faire preuve de retenue :
«La République du Kenya, en respectant l’obligation susmentionnée
[article 83 3)], a agi avec modération, et les activités qu’il a entreprises dans la zone en
litige étaient uniquement à caractère transitoire afin de ne pas causer de préjudice
irréparable à la Somalie, ou de compromettre ou d’entraver autrement la conclusion
d’un accord définitif.»289
4.20. Sur la base de la sentence arbitrale dans l’affaire Guyana c. Suriname290, le Kenya
allègue que seules des activités entraînant une modification physique permanente du milieu marin
peuvent constituer une violation de l’obligation de contrainte291, Cependant, ce critère, adopté par
286 Ghana/Côte d’Ivoire, par. 626.
287 CMK, par. 378 (citant la lettre de S. Exc. M. Githu Muigai, ministre de la justice et agent de la République du
Kenya, adressée à S. Exc. M. Philippe Couvreur, greffier de la Cour internationale de Justice, doc. AG/CONF/19/153/2
VOL.III (27 mai 2016), par. 10. CMK, vol. II, annexe 62).
288 Ghana/Côte d’Ivoire, par. 630.
289 Lettre de l’ambassadeur Mme Amina Mohamed, secrétaire générale du cabinet des affaires étrangères de la
République du Kenya, adressée à S. Exc. M. Abdusalam H. Omer, ministre des affaires étrangères et de la promotion des
investissements de la République fédérale de Somalie, doc. MFA.INT.8/15A (18 mai 2016). RS, vol. II, annexe 16.
290 Guyana c. Suriname, par. 467.
291 CMK, par. 370.
98
- 73 -
le tribunal arbitral dans l’affaire Guyana c. Suriname292, ne constitue pas une jauge absolue pour
déterminer si l’article 83 3) est respecté. Cette disposition fait référence aux activités susceptibles
d’avoir pour effet «de compromettre ou d’entraver la conclusion de l’accord définitif». Ainsi, les
activités unilatérales dans une zone en litige ne sont pas jugées exclusivement sur la base de leurs
effets physiques mais également en fonction de leurs effets probables sur la conclusion d’un accord
définitif. Dans certains cas, des actes non invasifs, tels que des études sismiques, peuvent être
provocateurs et incendiaires étant donné que les Etats les considèrent comme une violation de leurs
droits souverains. Même si certains Etats réagissent avec modération, d’autres adoptent parfois des
mesures coercitives fortes afin de prévenir de tels actes (ou interviennent parfois même
militairement, comme dans le cas Guyana c. Suriname293).
4.21. Dans la présente affaire, les activités unilatérales du Kenya ont été perçues par le
Gouvernement somalien et le peuple somalien comme une tentative de priver la Somalie de ses
droits en vertu du droit international et de contribuer à une situation de facto irréversible. Le
président du groupe de contrôle pour la Somalie des Nations Unies a déclaré ce qui suit dans son
rapport de 2013 au Conseil de sécurité :
«Conflit entre la Somalie et le Kenya concernant
leur frontière maritime
Le GFS [gouvernement fédéral de Somalie] a donc refusé de reconnaître les
permis pétroliers accordés à des sociétés multinationales par le Kenya et s’étendant
dans des eaux définies comme étant somaliennes selon cette ligne de démarcation
perpendiculaire.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le GFS a persuadé Statoil, Anadarko et Total de retirer leurs revendications
enfreignant partiellement la ligne de démarcation somalienne. Toutefois, ENI, une
société à laquelle trois permis ont été attribués dans des zones qui relèvent de la
définition somalienne des eaux somaliennes, n’a pas encore retiré ses revendications à
la date de la soumission du présent rapport. Le différend qui subsiste entre ENI et le
GFS, ainsi que la persistance d’une ligne de démarcation perpendiculaire contestée,
pourraient contribuer à générer de nouveau de l’animosité entre les gouvernements
somalien et kényan à un moment où ces deux pays sont en désaccord concernant la
création d’une administration politique au Jubaland.
Ce différend territorial pourrait exacerber les tensions entre la Somalie et le
Kenya, qui sont déjà aggravées par les désaccords politiques existants concernant le
contrôle de Kismayo et du territoire de Jubaland.»294
4.22. Dans le même esprit, le rapport de 2016 souligne que :
«Il existe un conflit persistant entre le Kenya et la Somalie au sujet de leur
frontière maritime, une région dans laquelle des droits relatifs à des réserves
pétrolières et gazières considérables pourraient être en jeu. Comment ce conflit sera
292 Guyana c. Suriname, par. 467.
293 Ibid., par. 445.
294 Nations Unies, Groupe de contrôle pour la Somalie et l’Erythrée, Rapport du Groupe de contrôle pour la
Somalie et l’Érythrée conformément à la Résolution 2060 du Conseil de sécurité (2012) : Somalie, doc. S/2013/413
(12 juillet 2013), p. 247-250 (les italiques sont de nous). MS, vol. III, annexe 64.
99
100
- 74 -
résolu pourrait avoir des conséquences importantes sur les relations entre le Kenya et
la Somalie, ce qui pourrait affecter la paix et la sécurité dans la région.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Comme indiqué précédemment par le Groupe de contrôle dans son rapport
2013, une frontière maritime en litige entre le Kenya et la Somalie pourrait avoir des
implications importantes pour la paix et la sécurité dans la région. La zone en litige,
qui est en forme de triangle, couvre environ 100 000 km2 dans l’océan Indien et
renferme un potentiel considérable de réserves pétrolières et gazières
commerciales.»295
4.23. Le Heritage Institute for Policy Studies, un institut indépendant de recherche et
d’analyse de politiques basé à Mogadiscio, a également noté, dans un rapport de 2014, que :
«Alors que le GFS n’est absolument pas en mesure de se passer de partenaires
internationaux, tel que le Kenya, dans sa lutte contre al-Shabaab, il semble que la
volonté de Nairobi d’avoir des activités de prospection et d’exploitation
d’hydrocarbures à court terme en Somalie ajoute non seulement une couche de
complexité supplémentaire mais pourrait également nuire au rétablissement d’un état
stable et fonctionnel en Somalie.»296
4.24. Le fait que les activités unilatérales du Kenya dans la zone maritime en litige
engendrent de la méfiance et de l’animosité dans les relations entre les Parties est donc une source
de préoccupation internationale et bilatérale. Cela compromet et limite l’éventualité de parvenir à
un accord définitif entre ces deux pays, et exacerbe les risques que cette situation pose pour la paix
et la sécurité internationales.
4.25. Pour toutes ces raisons, le Kenya a violé ses obligations internationales envers la
Somalie, et il est donc tenu de procéder à une réparation intégrale à son égard, y compris, sans
toutefois s’y limiter, le paiement d’une indemnité appropriée.
295 Nations Unies, Groupe de contrôle pour la Somalie et l’Erythrée, Rapport du Groupe de contrôle pour la
Somalie et l’Érythrée conformément à la Résolution 2244 du Conseil de sécurité : Somalie, doc. S/2016/919 (31 oct.
2016), par. 82, 188 (les italiques sont de nous). RS, vol. II, annexe 24.
296 Dominik Balthasar, The Heritage Institute for Policy Studies, Oil in Somalia : Adding Fuel to the Fire ?
(Le pétrole en Somalie : cela jette-t-il de l’huile sur le feu ?) (2014), p. 8. RS, vol. II, annexe 35.
101
- 75 -
CONCLUSIONS
Compte tenu des éléments de fait et de droit mentionnés dans son mémoire et dans la
présente réplique, la Somalie prie respectueusement la Cour :
1) de rejeter les conclusions 1 et 2 du contre-mémoire du Kenya ;
2) de déterminer, sur la base du droit international, l’intégralité du tracé de la frontière maritime
entre la Somalie et le Kenya dans l’océan Indien, y compris sur le plateau continental au-delà de
200 milles marins ;
3) d’établir la frontière maritime entre la Somalie et le Kenya dans l’océan Indien sur la base des
coordonnées géographiques suivantes :
Point n° Latitude Longitude
1
(TFT)
1° 39' 44.07" S 41°33' 34.57" E
2 1° 40' 05.92" S 41° 34' 05.26" E
3 1° 41' 11.45" S 41° 34' 06.12" E
4 1° 43' 09.34" S 41° 36' 33.52" E
5 1° 43' 53.72" S 41° 37' 48.21" E
6 1° 44' 09.28" S 41° 38' 13.26" E
7
(intersection de la
limite des 12 milles
marins)
1° 47' 54.60" S 41° 43' 36.04" E
8 2° 19' 01.09" S 42° 28' 10.27" E
9 2° 30' 56.65" S 42° 46' 18.90" S
10
(intersection de la
limite des 200
milles marins)
3° 34' 57.05" S 44° 18' 49.83" E
11
(intersection de la
limite des 350
milles marins)
5° 00' 25.71" S 46° 22' 33.36" E
4) et de dire et juger que, par son comportement dans la zone litigieuse, le Kenya a violé ses
obligations internationales et que, en vertu du droit international, il est tenu de remédier à
l’ensemble du préjudice subi par la Somalie, notamment en communiquant à celle-ci toutes les
données sismiques, géologiques, bathymétriques et autres données techniques recueillies dans
les zones dont la Cour aura jugé qu’elles relèvent de la souveraineté et/ou des droits et de la
juridiction souverains de la Somalie, ainsi que de réparer l’intégralité du préjudice subi par
celle-ci sous la forme du versement d’indemnités appropriées.
103
104
- 76 -
(Toutes les coordonnées géographiques ci-avant ont été établies sur la base du système
géodésique WGS 84.)
Le 18 juin 2018.
L’ambassadeur de la République fédérale de Somalie
auprès du Royaume de Belgique et de l’Union européenne,
coagent de la République fédérale de Somalie,
(Signé) S. Exc. M. Ali Said FAQI.
- 77 -
ATTESTATION
Je certifie que les annexes sont des copies certifiées conformes des documents mentionnés.
L’ambassadeur de la République fédérale de Somalie
auprès du Royaume de Belgique et de l’Union européenne,
coagent de la République fédérale de Somalie,
(Signé) S. Exc. M. Ali Said FAQI.
___________
- 78 -
VOLUME I
Figures
Figure R2.1 AMISOM : zones maritimes d’intervention p. 20
Figure R2.2 Interceptions par la marine kényane : 1990 - 2014 p. 25
Figure R2.10 Carte du bloc de Jorre p. 37
Figure R3.3 Ligne d’équidistance p. 53
Figure R3.4 Figure 3.1 du Kenya (annotée) p. 56
Figure R3.5 Carte 12 extraite de la sentence dans l’affaire
Bangladesh/Inde (annotée)
p. 60
Figure R3.6 Toute amputation subie par le Kenya résulte de son
accord avec la Tanzanie
p. 62
Figure R4.1 Projet d’accord entre la NOCK et Western Geco p. 69
VOLUME II
Figures
Figure R2.1 AMISOM : zones maritimes d’intervention
Figure R2.2 Interceptions par la marine kényane : 1990-2014
Figure R2.3 Nombre et répartition des espèces spongiaires dans les ZEE africaines
Figure R2.4 Carte exploratoire des sols du Kenya
Figure R2.5 Nouveaux blocs de prospection et emplacements des puits dans le bassin de
Lamu
Figure R2.6 Carte des emplacements de la National Oil Corporation du Kenya
Figure R2.7 Carte des récifs coralliens kényans, disponible en ligne
Figure R2.8 Carte des sites de débarquement des pêcheurs au Kenya, disponible en ligne
Figure R2.9 Juridictions maritimes à proximité de la péninsule arabique et de la Corne de
l’Afrique
Figure R2.10 Carte du bloc de Jorre
Figure R3.1A Emplacement proposé par les Parties concernant la Balise principale 29
(BP 29), tel qu’illustré sous Google Earth
Image : 2010
Figure R3.1B Version non annotée de l’image Google Earth
Imagery : 2010
Figure R3.2A Emplacement proposé par les Parties concernant la Balise principale 29
(BP 29), tel qu’illustré sous Digital Globe
Image (date inconnue)
Figure R3.2A Version non annotée de l’image Digital Globe (date inconnue)
Figure R3.3 Ligne d’équidistance
Figure R3.4 Figure 3.1 du Kenya (annotée)
Figure R3.5 Carte 12 extraite de la sentence dans l’affaire Bangladesh/Inde (annotée)
Figure R3.6 Toute amputation subie par le Kenya résulte de son accord avec la Tanzanie
Figure R4.1 Projet d’accord entre la NOCK et Western Geco
- 79 -
Pièces jointes
Législation kényane
Annexe 1 République du Kenya, Fisheries Act (loi sur la pêche) (25 août 1989),
reproduite dans Laws of Kenya, Chapitre 378 (éd. rév. 2012)
Annexe 2 République du Kenya, Coast Development Authority Act (Loi relative à
l’autorité du développement côtier) (18 janvier 1990), reproduite dans Laws
of Kenya, Chapitre 449 (éd. rév. 2012)
Annexe 3 République du Kenya, Environmental Management and Co-ordination Act
(Loi de gestion et de coordination de l’environnement) (14 janvier 2000),
reproduite dans Laws of Kenya, Chapitre 387 (éd. rév. 2012)
Annexe 4 République du Kenya, Energy Act (Loi sur l’énergie) (2006)
Annexe 5 République du Kenya, Mining Act (Loi sur les mines), loi no 12 de 2016
(27 mai 2016)
Documents du Gouvernement Kényan
Annexe 6 République du Kenya, ministère de l’Agriculture, Exploratory Soil Map of
Kenya (Carte exploratoire des sols du Kenya) (1980)
Annexe 7 République du Kenya, Survey of Kenya (Étude topographique du Kenya),
National Atlas of Kenya (5e éd., 2003)
Annexe 8 République du Kenya, National Environment Management Authority
(Direction nationale de la gestion de l’environnement), State of the Coast
Report: Towards Integrated Management of Coastal and Marine Resources
in Kenya (Rapport sur l’état des côtes : Vers une gestion intégrée des
ressources côtières et maritimes du Kenya) (2009)
Annexe 9 Martin M. Heya, ministère de l’énergie, République du Kenya, Overview of
Petroleum Exploration in Kenya: Presentation to the 5th East African
Petroleum Conference and Exhibition 2011 (Tour d’horizon de la
prospection pétrolière au Kenya : présentation lors de la cinquième
Conférence et exposition sur le pétrole en Afrique de l’Est,) (25 février
2011)
Annexe 10 République du Kenya, ministère des mines, Sector Plan for Oil and Other
Minerals 2013-2017 (Plan sectoriel 2013-2017 pour le pétrole et les autres
minéraux) (2013)
Annexe 11 République du Kenya, Assemblée nationale, Commission départementale de
la défense et des relations étrangères, Report of the Workshop on Somalia
and International Boundaries (Rapport de l’atelier sur la Somalie et les
frontières internationales) (oct. 2014)
Annexe 12 Republic of Kenya, Ministry of Energy and Petroleum, Strategic
Environmental and Social Assessment of the Petroleum Sector in Kenya:
Final Report (Dec. 2016) [annexe non traduite]
Annexe 13 Lettre de S. E. Githu Muigai, ministre de la justice et agent de la République
du Kenya, adressée à S. E. M. Philippe Couvre[u]r, Greffier de la Cour
Internationale de Justice, no AG/CONF/19/153/2 VOL. IV (26 sept. 2016)
Annexe 14 Kenya Marine and Fisheries Research Institute, Kenya Coastal
Development Project, Integrated Coastal Biodiversity Management System:
- 80 -
Fish Landing Sites (Système intégré de gestion de la biodiversité côtière :
sites de débarquement des pêcheurs) (4 octobre 2017), disponible à
http://icbims. kmfri.co.ke/maps/231/view
Annexe 15 Kenya Marine and Fisheries Research Institute, Kenya Coastal
Development Project, Integrated Coastal Biodiversity Management System:
Kenyan Coral Reefs (Système intégré de gestion de la biodiversité côtière :
récifs coralliens du Kenya) (4 octobre 2017), disponible à http://icbims.
kmfri.co.ke/maps/221/view
Correspondances diplomatiques
Annexe 16 Lettre de Mme l’ambassadrice Amina Mohamed, secrétaire générale du
cabinet des Affaires étrangères de la République du Kenya, adressée à
S. E. Abdusalam H. Omer, ministre des Affaires étrangères et de la
Promotion des investissements de la République fédérale de Somalie,
no MFA.INT.8/15A (18 mai 2016)
Documents des Nations Unies
Annexe 17 Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture,
Commission océanographique intergouvernementale, Rapport sur les cours de
formation n° 89 : ODINAFRICA : Atelier de mobilisation des données sur la
diversité biologique marine consacré aux anémones de mer, Nations Unies,
doc. IOC/2006/TCR/89 (4-18 novembre 2006)
Annexe 18 Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture,
Commission océanographique intergouvernementale, Dix-neuvième session
du Comité de la COI sur l’échange international de données et d’informations
océanographiques (IODE-XIX) : Réseau de données et d’information
océanographiques pour l’Afrique (ODINAFRICA), Nations Unies,
doc. OC/IODE-XIX/35 (22 février 2007)
Annexe 19 Conseil de sécurité des Nations Unies, Rapport du Secrétaire général sur la
protection des ressources naturelles et des eaux de la Somalie, Document
ONU S/2011/661 (25 oct. 2011)
Annexe 20 Conseil de sécurité des Nations Unies, Résolution 2036 (2012), Document
ONU S/RES/2036 (22 févr. 2012)
Annexe 21 Nations Unies, groupe de contrôle pour la Somalie et l’Erythrée, Rapport sur
le groupe de contrôle pour la Somalie et l’Erythrée conformément à la
résolution 2060 du Conseil de sécurité 2002 (2011), doc. S/2012/544
(13 juillet 2012)
Annexe 22 UN–OLA, bureau des affaires juridiques, division des affaires maritimes et du
droit de la mer, «Kenya», disponible à l’adresse suivante :
http://www.un.org/Depts/los/LEGISLATIONANDTREATIES/STATEFILES/
KEN.htm (dernière mise à jour : 14 octobre 2014)
Annexe 23 Nations Unies, Groupe de contrôle pour la Somalie et l’Érythrée, Rapport sur
le Groupe de contrôle pour la Somalie et l’Érythrée conformément à la
Résolution 2182 (2014) : Somalie, Document ONU S/2015/801 (19 oct. 2015)
Annexe 24 Nations Unies, Groupe de contrôle pour la Somalie et l’Érythrée, Rapport sur
le Groupe de contrôle pour la Somalie et l’Érythrée conformément à la
Résolution 2244 : Somalie, Document ONU S/2016/919 (31 oct. 2016)
- 81 -
Documents de l’industrie pétrolière
Annexe 25 Total Fina Elf, Réunion avec les autorités somaliennes (3 février 2001)
Annexe 26 Mémorandum d’accord entre la National Oil Corporation du Kenya et
Eastern Echo DMCC (26 juillet 2013)
Annexe 27 Projet d’accord entre la National Oil Corporation du Kenya et Eastern Echo
DMCC (août 2013), disponible à http://cofek.co.ke/Western
%20Geco%20and%20National%20Oil%20-%20New%20Acquisition%20
Agreement%202013.docx
Annexe 28 Soma Oil & Gas Exploration, Ltd., Unlocking Somalia’s Potential: 1st
International Forum on Somalia Oil, Gas & Mining (Libérer le potentiel de
la Somalie : 1er Forum international sur le pétrole, le gaz et les mines en
Somalie) (27-28 avril 2015)
Annexe 29 Spectrum Geo, «Spectrum signs Seismic Data Agreement to Kick- Start Oil
Exploration Offshore Somalia» (Spectrum signe un contrat relatif aux
données sismiques pour lancer l’exploration pétrolière au large de la
Somalie) (7 septembre 2015)
Annexe 30 Soma Oil & Gas Exploration, Ltd., Unlocking Somalia’s Potential:
Company Presentation (Libérer le potentiel de la Somalie : présentation de
la société) Q2 2016 (2016)
Annexe 31 Schlumberger, Ltd., «Multiclient Latest Projects: Kenya Deepwater 2D
2013 Multiclient Seismic Survey» (Derniers projets multi-clients : étude
sismique 2D multi-clients en eaux profondes de 2013 du Kenya),
disponible à http://www.multiclient.slb.com/latest-projects/africa/kenya_
2d.aspx (dernière consultation : 11 mai 2018)
Articles de spécialistes universitaires et d’experts juridiques
Annexe 32 Vivian Louis Forbes, The Maritime Boundaries of the Indian Ocean Region
(Frontières maritimes dans la région de l’océan Indien) (1995)
Annexe 33 Commission du droit international, Principes directeurs applicables aux
déclarations unilatérales d’États susceptibles de créer des obligations
juridiques, assortis de commentaires dans le Rapport de la Commission du
droit international sur les travaux de la cinquante-huitième session
(1 mai-9 juin, et 3 juillet-11 août 2006), Document ONU A/61/10 (2006)
Annexe 34 Caitlyn Antrim, «International Law and Order: The Indian Ocean and South
China Sea» (Ordre international : océan Indien et mer de Chine méridionale)
in Indian Ocean Rising: Maritime Security and Policy Challenges (Hausse
du niveau de la mer dans l’océan Indien : sécurité maritime et défis
politiques) (D. Michel et R. Sticklor, rédacteurs, 2012)
Annexe 35 Dominik Balthasar, The Heritage Institute for Policy Studies, Oil in
Somalia: Adding Fuel to the Fire? (Le pétrole en Somalie : cela jette-t-il de
l’huile sur le feu ?) (2014)
- 82 -
Articles de presse
Annexe 36 F. Oluoch & M. Kimani, «War hits Kenya’s bid to expand waters», The
East African (La guerre empêche le Kenya d’étendre ses eaux territoriales)
(29 janvier 2012)
Annexe 37 Fred Oluoch, «UN unveils new look AMISOM as Kenya joins up» (L’ONU
dévoile le nouveau look de l’AMISOM au moment où le Kenya s’y joint),
The East African (11 février 2012)
Annexe 38 Samuel Kamau Mbote, «COFEK question National Oil Western Geco
contract to store Kenya Oil Data» (COFEK remet en cause le contrat entre
National Oil et Western Geco concernant le stockage des données
pétrolières du Kenya), Oil News Kenya (22 mars 2014)
Annexe 39 «Spectrum ASA completes the acquisition of 2D seismic data offshore
Somalia» (Spectrum ASA achève l’acquisition de données sismiques 2D au
large de la Somalie), Oil News Kenya (5 mai 2016)
Divers
Annexe 40 République unie de Tanzanie, avis gouvernemental no 209 (24 août 1973),
publié dans la Gazette de la République unie de Tanzanie, no 36, vol. LIV,
supplément no 48 (7 septembre 1973)
Annexe 41 Organisation Hydrographique Internationale, Dictionnaire hydrographique
(5e éd., 1994)
Annexe 42 United States National Geospatial-Intelligence Agency, Carte 61220 :
Manda Island to Kismaayo (20 janvier 2014)
Annexe 43 Consumers Federation of Kenya (Fédération des consommateurs du Kenya),
«How the latest string of National Oil Corporation of Kenya (NOCK)
contracts will affect you the consumer» (Comment la dernière série de
contrats de la National Oil Corporation du Kenya (NOCK) affectera les
consommateurs) (20 mars 2014), disponible à http://www.cofek.
co.ke/index.php/news-and-media/399-how-the-latest-string-of-national-oilcorporation-
of-kenya-nock-will-affect-you-the-consumer
___________

Document file FR
Document Long Title

Réplique de la Somalie

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