Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) - La Cour va faire procéder à une expertise

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116-20200922-PRE-01-00-EN
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Number (Press Release, Order, etc)
2020/29
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Communiqué de presse
Non officiel
No 2020/29
Le 22 septembre 2020
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) La Cour va faire procéder à une expertise
LA HAYE, le 22 septembre 2020. La Cour internationale de Justice (CIJ) a, par ordonnance en date du 8 septembre 2020, décidé de faire procéder à une expertise, conformément au paragraphe 1 de l’article 67 de son Règlement, en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda).
Il est rappelé que, dans l’arrêt qu’elle avait rendu le 19 décembre 2005 sur le fond de l’affaire, la Cour avait jugé que l’Ouganda avait violé les principes du non-recours à la force dans les relations internationales et de la non-intervention, et manqué, en tant que puissance occupante de la province congolaise de l’Ituri, aux obligations lui incombant au regard du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire. Elle avait, dans le même temps, jugé que la République démocratique du Congo (RDC) avait, pour sa part, manqué aux obligations lui incombant, au regard de la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques, envers la République de l’Ouganda. La Cour avait conclu que les Parties avaient l’obligation, l’une envers l’autre, de réparer le préjudice causé, et décidé que, au cas où elles ne pourraient se mettre d’accord à ce sujet, la question de la réparation due à chacune d’elle serait réglée par la Cour dans le cadre d’une procédure ultérieure en l’affaire.
Ayant reçu, le 13 mai 2015, une requête de la RDC lui demandant de trancher la question des réparations dues par l’Ouganda, la Cour, constatant que les Parties n’étaient pas parvenues à un accord à cet égard, a décidé, par ordonnance en date du 1er juillet 2015, de reprendre la procédure en l’affaire sur la question des réparations. En septembre 2016 et février 2018, les Parties ont déposé leurs mémoires et contre-mémoires sur la question. A la suite du dépôt de ces pièces, elles ont également communiqué leurs réponses aux questions posées par la Cour, chacune d’elles présentant en outre ses observations sur les réponses de l’autre.
Dans son ordonnance du 8 septembre 2020, la Cour a notamment décidé ce qui suit :
«1) Il sera procédé à une expertise, laquelle sera confiée à quatre experts indépendants qui, les Parties entendues, seront désignés par ordonnance de la Cour.
2) Afin de déterminer les réparations que l’Ouganda devra verser à la République démocratique du Congo au titre du préjudice découlant du manquement par cet Etat à ses obligations internationales, tel que constaté par la Cour dans son arrêt
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de 2005, la Cour poursuit l’examen de l’ensemble des demandes et moyens de défense concernant les chefs de préjudice avancés par le demandeur. S’agissant de certains d’entre eux, à savoir les pertes en vies humaines, la perte de ressources naturelles et les dommages aux biens, la Cour estime néanmoins qu’il y a lieu de faire procéder à une expertise, conformément au paragraphe 1 de l’article 67 de son Règlement…»
L’ordonnance définit ensuite le mandat à confier aux experts, et prévoit que ceux-ci établiront un rapport écrit contenant leurs conclusions et le déposeront au Greffe ; il est également précisé que ce rapport sera communiqué aux Parties, auxquelles sera donnée la possibilité de présenter des observations en application du paragraphe 2 de l’article 67 du Règlement.
La Cour souligne enfin dans son ordonnance que la décision de faire procéder à une expertise ne préjuge en aucune façon du montant des réparations dues par l’une des parties à l’autre, ni de toute autre question ayant trait au différend porté devant elle, et laisse intact le droit des parties d’apporter des preuves et de faire valoir leurs moyens en la matière, conformément au Statut et au Règlement de la Cour.
Composition de la Cour
La Cour était composée comme suit : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ; M. Gautier, greffier.
M. le juge Cançado Trindade et Mme la juge Sebutinde ont joint à l’ordonnance les exposés de leur opinion individuelle.
Des résumés des opinions individuelles sont annexés au présent communiqué de presse.
Le texte intégral de l’ordonnance est disponible sur le site Internet de la Cour.
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Historique de la procédure
L’historique de la procédure figure dans les communiqués de presse nos 1999/34 du 23 juin 1999, 2000/24 du 1er juillet 2000, 2005/11 du 29 avril 2005, 2005/26 du 19 décembre 2005, 2015/18 du 9 juillet 2015, 2019/11 du 1er mars 2019 et 2019/48 du 13 novembre 2019, qui sont disponibles sur le site Internet de la Cour (www.icj-cij.org).
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Remarque : Les communiqués de presse de la Cour sont établis par son Greffe à des fins d’information uniquement et ne constituent pas des documents officiels.
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La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies. Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé ses activités en avril 1946. La Cour est composée de 15 juges, élus pour un mandat de neuf ans par
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l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Elle a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). La Cour a une double mission, consistant, d’une part, à régler conformément au droit international, par des arrêts qui ont force obligatoire et sont sans appel pour les parties concernées, les différends d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions du système dûment autorisées à le faire.
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Département de l’information :
M. Andreï Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
Mme Joanne Moore, attachée d’information (+31 (0)70 302 2337)
M. Avo Sevag Garabet, attaché d’information adjoint (+31 (0)70 302 2394)
Mme Genoveva Madurga, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396)
Annexe au communiqué de presse 2020/29
Résumé de l’opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade
1. Dans son opinion individuelle, le juge Cançado Trindade estime opportun de consigner les préoccupations que lui inspire depuis plusieurs années la conduite de la procédure relative aux réparations en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda). Tout au long des 29 paragraphes que compte ladite opinion, il examine trois points liés entre eux, à savoir : premièrement, l’importance du strict respect du droit à réparation ; deuxièmement, la nécessité du prompt respect de ce droit ; et troisièmement, l’importance de la prompte réparation des violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire.
2. En la présente affaire, le juge Cançado Trindade s’est toujours opposé à un nouveau report des audiences consacrées aux réparations, seul et à rebours de la majorité de la Cour qui s’est prononcée à plusieurs reprises en faveur d’un tel report. Le juge Cançado Trindade rappelle que, dans la déclaration qu’il a jointe à l’ordonnance rendue en l’espèce par la Cour le 11 avril 2016, il a fait part de son inquiétude face à la prolongation excessive de la procédure (depuis 2005) en ce qu’elle a trait aux réparations dues. Il est resté très critique à l’égard de la Cour, persistant à considérer que l’attention portée aux souffrances prolongées de nombreuses victimes est bien plus importante que celle portée aux susceptibilités d’Etats concurrents.
3. Le juge Cançado Trindade rappelle qu’il insiste depuis longtemps au sein de la Cour sur la nécessité de procéder rapidement à la détermination des réparations dues à raison de violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Les retards pris par la Cour jusqu’à présent sont pour lui inacceptables (par. 1). Selon lui,
«il faut, si l’on entend promouvoir le développement progressif du droit international dans le domaine des réparations, en particulier collectives, aller au-delà de l’insatisfaisante perspective interétatique. Toute lenteur excessive est éminemment regrettable, surtout du point de vue des victimes. Déjà, les «pères fondateurs» du droit international ont largement dépassé la perspective strictement interétatique, en accordant une attention toute particulière à l’obligation d’apporter prompte réparation pour les dommages causés.» (Par. 2.)
4. Le juge Cançado Trindade considère que la Cour n’est pas liée ni limitée par ce que demandent ou souhaitent les parties, pas même en ce qui concerne la fixation de délais. Ainsi qu’il l’a fait observer maintes fois en son sein, la Cour n’est pas un tribunal arbitral. Elle est maîtresse de sa propre procédure, y compris en matière de fixation de délais, aux fins de rendre la justice en évitant tout retard excessif (par. 20).
5. Dans sa présente ordonnance en date du 8 septembre 2020, la Cour désigne enfin quatre experts indépendants chargés de l’assister dans la détermination des réparations, selon que de besoin. Le juge Cançado Trindade est d’avis que cela aurait pu et dû être fait il y a longtemps.
6. Selon lui, poursuit-il, c’est le courant de pensée jusnaturaliste ⎯ tel qu’il est né au XVIe siècle ⎯ qui a de tout temps constitué le cadre le plus propice à la poursuite de cet objectif qu’est la prompte réparation. Le positivisme juridique ⎯ tel qu’il a vu le jour à la fin du XIXe siècle ⎯ a indûment placé la «volonté» des Etats au-dessus de la recta ratio.
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7. Le juge Cançado Trindade ajoute que, à cet égard, l’on trouve des passages pertinents dans les importantes références aux ouvrages classiques1. Ce devoir de réparer les préjudices subis était selon lui «clairement perçu comme une réponse à un besoin international»2, réponse conforme à la recta ratio, ⎯ que les bénéficiaires en soient les Etats (naissants), les peuples, les groupes ou les individus. La recta ratio constituait le principe fondamental régissant les relations humaines, compte dûment tenu des droits de chacun.
8. Pour en revenir à la conduite de la présente affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) (phase des réparations), quinze années se sont déjà écoulées depuis le 19 décembre 2005, date de l’arrêt au fond dans lequel la Cour a établi que de graves violations avaient été commises, et le juge Cançado Trindade rappelle que
«les nombreuses victimes attendent toujours d’obtenir réparation. Et c’est la troisième fois, au cours de la présente procédure relative aux réparations, que j’estime devoir consigner les préoccupations que m’inspire la prolongation persistante et indue de cette procédure, au détriment des victimes elles-mêmes3. Tempus fugit.» (Par. 5, cité au par. 14.)
9. Le juge Cançado Trindade ajoute que, dans l’arrêt de 2005 mentionné plus haut, la Cour a accordé une attention toute particulière aux graves violations en cause (parmi lesquelles des massacres de civils, des actes d’incitation au conflit ethnique entre certains groupes et le déplacement forcé de populations) et relevé la nécessité d’apporter réparation, en omettant malheureusement de fixer un délai raisonnable pour ce faire.
10. En la présente affaire, les bénéficiaires des réparations pour des dommages résultant des violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire établies par la Cour sont, en dernière analyse, les êtres humains victimes. Ce sont eux qui, en tant que sujets du droit des gens ⎯ tel que celui-ci a été conçu et développé, d’un point de vue historique, par les «pères fondateurs» du droit international ⎯, sont les titulaires du droit à réparation. Ce point est profondément enraciné dans l’histoire du droit international. Le juge Cançado Trindade estime que, en tant que titulaires de ce droit, les intéressés attendent, en
1 Ceux de Francisco de Vitoria (Second Relectio ⎯ De Indis (1538-1539)), Hugo Grotius (De Jure Belli ac Pacis, 1625, livre II, chap. 17), Samuel Pufendorf (Elementorum Jurisprudentiae Universalis ⎯ Libri Duo, (1672) et On the Duty of Man and Citizen According to Natural Law (1673)), Christian Wolff (Jus Gentium Methodo Scientifica Pertractatum (1764) et Principes du droit de la nature et des gens (1758)) ; ainsi que les réflexions sur le sujet d’Alberico Gentili (De Jure Belli, 1598), de Francisco Suárez (De Legibus ac Deo Legislatore (1612)) et de Cornelius van Bynkershoek (De Foro Legatorum (1721) et Questiones Juris Publici ⎯ Libri Duo (1737)) (par. 16-17), entre autres. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Plus l’on se replonge dans les classiques du droit international (largement tombés dans l’oubli à notre époque trépidante), plus l’on trouve de réflexions sur le droit des victimes à obtenir réparation des préjudices qui leur ont été causés ⎯ question qu’ont également abordée Juan de la Peña (De Bello contra Insulanos (1545)), Bartolomé de Las Casas (De Regia Potestate (1571)), Juan Roa Dávila (De Regnorum Justitia (1591)) et Juan Zapata y Sandoval (De Justitia Distributiva et Acceptione Personarum ei Opposita Disceptatio (1609)), pour ne citer qu’eux (par. 16-17).
2 J. Brown Scott, The Spanish Origin of International Law ⎯ Francisco de Vitoria and His Law of Nations, Oxford/London, Clarendon Press/H. Milford, 1934, p. 140, 150, 163, 165, 172, 210-211 et 282-283 ; voir aussi Association Internationale Vitoria-Suarez, Vitoria et Suarez : Contribution des théologiens au Droit international moderne, Paris, Pédone, 1939, p. 73-74, et voir p. 169-170 ; A.A. Cançado Trindade, “Prefacio”, in Escuela Ibérica de la Paz (1511-1694) ⎯ La Conciencia Crítica de la Conquista y Colonización de América (sous la dir. de P. Calafate et R.E. Mandado Gutiérrez), Santander, ed. Universidad de Cantabria, 2014, p. 40-109.
3 Voir précédemment en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), ordonnance du 1er juillet 2015, déclaration de M. le juge Cançado Trindade, par. 1-7 ; et ordonnance du 11 avril 2016, déclaration de M. le juge Cançado Trindade, par. 1-20.
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l’espèce, depuis bien trop longtemps de se voir accorder réparation ; nombre d’entre eux ne sont déjà plus de ce monde. Justitia longa, vita brevis (par. 7).
11. Il lui paraît fâcheux que, tout d’abord, l’accent ait été mis indûment sur la seule indemnisation, alors que la Cour devrait s’intéresser aux réparations sous toutes leurs formes ; en outre, il est fait indûment et exclusivement référence au calcul du nombre de victimes individuelles, alors qu’il faudrait garder à l’esprit la complexité de cette affaire relative à des meurtres de masse, laquelle met en jeu un nombre considérable de victimes qu’il est impossible de toutes identifier. Selon le juge Cançado Trindade, il y a lieu de mettre l’accent sur les réparations collectives plutôt que sur les réparations individuelles.
12. A cet égard, le juge Cançado Trindade ajoute qu’il convient de tirer des enseignements de la jurisprudence internationale pertinente en matière de réparations collectives dans des affaires de massacres, en particulier la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme4, de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour pénale internationale.
13. De fait, le juge Cançado Trindade rappelle dans son opinion que la violation des droits et les réparations dues forment un tout indissociable. Il insiste sur le fait que l’obligation de réparation est profondément et fermement enracinée dans l’histoire du droit des gens, puisqu’elle s’inscrit à ses origines mêmes, à savoir les écrits des «pères fondateurs» du droit international, qui y ont fait expressément référence à la lumière du principe neminem laedere. Il importe de faire face aux nouveaux défis qui se posent à l’ordre juridique international «en suivant une approche essentiellement humaniste», en allant «au-delà de l’insatisfaisante perspective interétatique», de façon à promouvoir «le développement progressif du droit international dans le domaine des réparations, en particulier collectives».
14. La reparatio vise à éviter l’aggravation du tort extrême déjà causé aux victimes humaines, en accordant une attention scrupuleuse aux valeurs fondamentales de l’humanité. Selon le juge Cançado Trindade, le droit et l’éthique sont inéluctablement liés, et il ne faut pas l’oublier pour réaliser fidèlement la justice (par. 22).
15. Cette vision est historiquement présente depuis les origines du droit des gens, et n’a jamais été minimisée par la doctrine juridique internationale plus lucide, épargnée par les distorsions trompeuses du positivisme juridique. Le juge Cançado Trindade ajoute que le principe fondamental de l’humanité qui défend la dignité humaine, de la plus haute importance, a été affirmé dans la construction jurisprudentielle des tribunaux internationaux contemporains5.
4 Voir par exemple A.A. Cançado Trindade, La Responsabilidad del Estado en Casos de Masacres ⎯ Dificultades y Avances Contemporáneos en la Justicia Internacional, Mexico, Ed. Porrúa/Escuela Libre de Derecho, 2018, p. 1-104 ; A.A. Cançado Trindade, Los Tribunales Internacionales Contemporáneos y la Humanización del Derecho Internacional, Buenos Aires, Ed. Ad-Hoc, 2013, p. 7-185 ; A.A. Cançado Trindade, El Acceso Directo del Individuo a los Tribunales Internacionales de Derechos Humanos, Bilbao, Universidad de Deusto, 2001, p. 9-104.
5 Il a récemment abordé cette critique dans son étude intitulée «Reflections on the International Adjudication of Cases of Grave Violations of Rights of the Human Person», publiée à l’origine dans le no 9 du Journal of International Humanitarian Legal Studies (2018), p. 98-136, qu’il a présentée il y a peu en français à l’occasion d’un cours magistral à la Faculté de droit de l’Université Aix-Marseille, à Aix-en-Provence (France), le 30 octobre 2018, puis dans le cadre d’une seconde conférence donnée en anglais au Palais de la Paix de la Cour internationale de Justice, à La Haye, le 17 janvier 2019.
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16. La consolidation de la personnalité juridique internationale (active et passive) des individus, en tant que sujets de droit international, poursuit le juge Cançado Trindade, renforce la responsabilité au niveau international pour les violations graves des droits de la personne humaine. Et d’ajouter que les individus
«sont également porteurs d’obligations au titre du droit international, ce qui témoigne aussi de la consolidation de leur personnalité juridique internationale. L’évolution de la personnalité juridique internationale et celle de la responsabilité internationale vont de pair, donnant lieu à la formation de l’opinio juris communis selon laquelle la gravité des violations des droits fondamentaux de la personne humaine porte directement atteinte aux valeurs fondamentales de la communauté internationale dans son ensemble.» (Par. 25.)
17. Justitia longa, vita brevis ; le temps de la justice humaine n’est pas celui de l’être humain. Le juge Cançado Trindade estime que les leçons des «pères fondateurs» du droit des gens restent plus que jamais d’actualité, tout en étant tournées vers l’avenir. L’obligation d’apporter prompte réparation s’inscrit dans le cadre de leur héritage éternel, qu’il convient de perpétuer6 pour faire face aux nouveaux défis qui se posent aujourd’hui aux juridictions internationales contemporaines, en suivant une approche essentiellement humaniste (par. 27).
18. Selon le juge Cançado Trindade, il faut, si l’on entend promouvoir le développement progressif du droit international dans le domaine des réparations, en particulier collectives, aller au-delà de l’insatisfaisante perspective interétatique. Toute lenteur excessive est éminemment regrettable, surtout du point de vue des victimes et, donc, de la justice.
Résumé de l’opinion individuelle de Mme la juge Sebutinde
La juge Sebutinde est d’avis que, en l’espèce, rien ne justifie de désigner des experts en vertu de l’article 50 du Statut et de l’article 67 du Règlement de la Cour, car l’affaire ne met pas en jeu des «questions complexes» qui nécessiteraient une expertise ou des connaissances techniques, scientifiques ou spécialisées sortant du cadre de l’expertise judiciaire classique. Elle rappelle que, selon le principe bien établi onus probandi incumbit actori, c’est à la partie qui avance certains faits d’en démontrer l’existence. Depuis que la République démocratique du Congo a déposé, le 13 mai 2015, une «requête en saisine à nouveau de la Cour internationale de Justice», priant celle-ci de relancer la procédure aux fins de fixer le montant des réparations qui lui sont dues par la République de l’Ouganda, les deux Parties ont eu amplement l’occasion, au cours de ces cinq dernières années, de produire tous les éléments de preuve qu’elles estiment nécessaires ou suffisants (sur le plan des faits, des données ou de la méthode) pour étayer leurs demandes respectives. A ce stade, il n’appartient pas à la Cour de chercher à obtenir des éléments supplémentaires, autres que ceux déjà avancés par les Parties ; il lui incombe seulement d’exercer sa fonction judiciaire en examinant les éléments de preuve déjà versés au dossier et en fixant le montant des réparations dues.
Le mandat des experts énoncé dans l’ordonnance a pour effet de déplacer indûment la charge de la preuve et de faire pencher la balance en faveur d’une partie au détriment de l’autre, ce qui va à l’encontre du droit à un procès équitable et du principe d’égalité des armes. Par ailleurs, le mandat a pour effet de déléguer la fonction judiciaire aux experts, ce qui est tout à fait inapproprié.
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6 S’agissant de cet héritage, voir, parmi les sources récentes, A.A. Cançado Trindade, A Humanização do Direito Internacional, 2e éd. rév., Belo Horizonte/Brésil, Ed. Del Rey, 2015, chap. XXIX (“The Perennity of the Teachings of the ‘Founding Fathers’ of International Law”), 2015, p. 647-676.

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