Contre-mémoire de la France

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163-20181206-WRI-01-00-EN
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE AUX
IMMUNITÉS ET PROCÉDURES PÉNALES
(GUINÉE ÉQUATORIALE c. FRANCE)
CONTRE-MEMOIRE DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
2
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TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ................................................................................................................................. 7
I. RAPPEL DE LA PROCEDURE ................................................................................................. 7
II. PRESENTATION GENERALE ET PLAN DU CONTRE-MEMOIRE .................................... 9
CHAPITRE 1 – EXPOSE DES FAITS DE L’AFFAIRE ................................................................ 10
 Contexte et origine des poursuites pénales engagées devant les juridictions françaises ........... 10
 L’immeuble sis 42, avenue Foch est une résidence privée ........................................................ 11
 L’absence d’invocation du statut diplomatique de l’immeuble sis 42, avenue Foch lors des perquisitions et des saisies effectuées entre le 28 septembre et le 3 octobre 2011 ............................ 13
 L’invocation par la Guinée équatoriale d’un statut diplomatique à partir du 4 octobre 2011 et le refus exprès de la France de faire droit à cette revendication ........................................................... 14
 Les variations de la Guinée équatoriale dans la présentation de l’immeuble sis 42, avenue Foch et le maintien du refus exprimé par la France de manière expresse .................................................. 15
 La saisie des biens meubles appartenant à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue entreposés au 42, avenue Foch entre le 14 et 23 février 2012 ................................................................................. 17
 La saisie pénale immobilière de l’immeuble sis 42, avenue Foch réalisée le 19 juillet 2012 et sa portée ................................................................................................................................................. 19
 La nouvelle présentation par la Guinée équatoriale de l’affectation de l’immeuble sis 42, avenue Foch et le refus persistant de la France ................................................................................. 20
 Derniers développements de la procédure pénale en France ..................................................... 22
CHAPITRE 2 – OBJET DU DIFFEREND ....................................................................................... 25
I. L’ARRET DE LA COUR SUR LES EXCEPTIONS PRELIMINAIRES ................................ 25
II. L’ABSENCE DE PERTINENCE D’AUTRES REGLES QUE CELLES DECOULANT DE LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS DIPLOMATIQUES ........................... 27
III. L’ABSENCE DE PERTINENCE DE LA PROPRIETE DE L’IMMEUBLE AUX FINS D’APPRECIER LES VIOLATIONS ALLEGUEES DE LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS DIPLOMATIQUES ........................................................................................... 30
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CHAPITRE 3 – L’ABSENCE DE VIOLATION DE LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS DIPLOMATIQUES EU EGARD A L’IMMEUBLE SIS 42, AVENUE FOCH ... 34
I. L’OCTROI DU STATUT DE LOCAL DIPLOMATIQUE EST CONDITIONNE AU RESPECT DE DEUX CONDITIONS CUMULATIVES................................................................. 35
A. L’octroi du statut diplomatique à un immeuble ne peut être unilatéralement imposé à l’Etat accréditaire .................................................................................................................................... 36
1. La thèse « déclarative » soutenue par la Guinée équatoriale est contraire à la lettre et à l’esprit de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques ............................................. 37
2. La thèse « déclarative » n’est pas corroborée par la pratique des Etats ................................ 40
B. L’octroi du statut diplomatique à un immeuble – et le régime de l’inviolabilité qui en découle – est tributaire de l’affectation réelle de celui-ci .............................................................. 48
1. Un bâtiment ne constitue un local diplomatique que s’il est utilisé de manière effective aux fins de la mission ........................................................................................................................... 48
2. La pratique des Etats consacre le critère de l’effectivité ....................................................... 51
II. L’IMMEUBLE DU 42, AVENUE FOCH N’A JAMAIS ACQUIS LE STATUT DE LOCAL DIPLOMATIQUE ET NE BENEFICIE DONC PAS DE L’INVIOLABILITE EN VERTU DE LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS DIPLOMATIQUES .................................. 59
A. La France a expressément exprimé son désaccord à l’octroi du statut diplomatique à l’immeuble du 42, avenue Foch .................................................................................................... 59
B. La France n’a pas violé ses obligations au titre de l’article 22 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques dès lors que l’immeuble du 42, avenue Foch n’avait aucun statut diplomatique lorsque les mesures de perquisition et de saisie ont été diligentées ........................ 62
1. Les faits de l’espèce démontrent que les locaux du 42, avenue Foch n’étaient pas effectivement affectés aux fins de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale lors des mesures de perquisition et de saisie ............................................................................................... 65
2. La France n’a pas violé ses obligations au titre de l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques ...................................................................................................... 68
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CHAPITRE 4 – L’INVOCATION PAR LA GUINEE EQUATORIALE DES DISPOSITIONS DE LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS DIPLOMATIQUES A L’EGARD DE L’IMMEUBLE SIS 42, AVENUE FOCH EST CONSTITUTIVE D’UN ABUS DE DROIT 72
I. LE PRINCIPE DE L’INTERDICTION DE L’ABUS DE DROIT ET SON APPLICATION À LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS DIPLOMATIQUES ........................... 73
II. L’ABUS DE DROIT COMMIS PAR LA GUINÉE ÉQUATORIALE .................................... 77
A. Les faits constitutifs de l’abus de droit concernant l’immeuble sis 42, avenue Foch............ 77
B. Les positions contradictoires de la Guinée équatoriale concernant l’affectation de l’immeuble sis 42, avenue Foch .................................................................................................... 79
C. Les circonstances de l’acquisition par la Guinée équatoriale de la propriété de l’immeuble sis 42, avenue Foch ............................................................................................................................. 85
D. La saisine de la Cour comme élément constitutif de l’abus de droit commis par la Guinée équatoriale ..................................................................................................................................... 93
CHAPITRE 5 – L’ABSENCE DE RESPONSABILITE INTERNATIONALE DE LA FRANCE ............................................................................................................................................................... 98
I. LES PREJUDICES ALLEGUES .............................................................................................. 98
II. LE CONTENU DE LA RESPONSABILITE ......................................................................... 102
CONCLUSIONS ................................................................................................................................ 106
TABLE DES ANNEXES ................................................................................................................... 108
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INTRODUCTION
0.1 Par une ordonnance en date du 6 juin 2018, la Cour a fixé au 6 décembre 2018 la date d’expiration du délai pour le dépôt par la République française de son contre-mémoire. Tel est l’objet des présentes écritures.
I. RAPPEL DE LA PROCEDURE
0.2 Le 13 juin 2016, la République de Guinée équatoriale a introduit une requête contre la France devant la Cour internationale de Justice au sujet d’un différend ayant trait à « l’immunité de juridiction pénale du second vice-président de la République de Guinée équatoriale chargé de la défense et de la sécurité de l’Etat [M. Teodoro Nguema Obiang Mangue], ainsi qu[’au] statut juridique de l’immeuble qui abrite l’ambassade de Guinée équatoriale en France ». Pour fonder la compétence de la Cour en l’affaire, la Guinée équatoriale a invoqué, d’une part, l’article 35 de la Convention contre la criminalité transnationale organisée, et, d’autre part, le Protocole de signature facultative à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques concernant le règlement obligatoire des différends.
0.3 Le 29 septembre 2016, la Guinée équatoriale a présenté une demande en indication de mesures conservatoires priant la Cour « d’indiquer, dans l’attente de son arrêt au fond, les mesures conservatoires suivantes :
a) que la France suspende toutes les procédures pénales engagées contre le vice-président de la République de Guinée équatoriale, et s’abstienne de lancer une nouvelle procédure contre lui, qui pourrait aggraver ou étendre le différend soumis à la Cour ;
b) que la France veille à ce que l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris soit traité comme locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France, et, en particulier, assure son inviolabilité, et que ces locaux, ainsi que leur ameublement et les autres objets qui s’y trouvaient ou s’y trouvent, soient protégés contre toute intrusion ou dommage, toute perquisition, réquisition, saisie ou toute autre mesure de contrainte ;
c) que la France s’abstienne de prendre toute autre mesure qui pourrait porter préjudice aux droits revendiqués par la Guinée équatoriale et/ou aggraver ou étendre le différend soumis à la Cour, ou compromettre l’exécution de toute décision que la Cour pourrait rendre ».
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0.4 A la suite des audiences publiques qui se sont tenues du 17 au 19 octobre 2016, la Cour a, par une ordonnance en date du 7 décembre 2016, rejeté la demande de la Guinée équatoriale tendant à la suspension des procédures judiciaires engagées devant les juridictions françaises, constatant qu’elle n’avait pas compétence prima facie pour connaître de la demande de la Guinée équatoriale relative à l’immunité de juridiction pénale dont bénéficierait, selon cette dernière, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue en tant que second vice-président de la République de Guinée équatoriale chargé de la défense et de la sécurité de l’Etat1.
0.5 S’agissant de l’immeuble sis 42, avenue Foch, la Cour a considéré que les conditions pour l’indication de mesures conservatoires étaient réunies et a ordonné à la France de prendre, dans l’attente d’une décision finale en l’affaire, « toutes les mesures dont elle dispose pour que les locaux présentés comme abritant la mission diplomatique de la Guinée équatoriale au 42, avenue Foch à Paris jouissent d’un traitement équivalent à celui requis par l’article 22 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, de manière à assurer leur inviolabilité »2.
0.6 Le 3 janvier 2017, la Guinée équatoriale a déposé son Mémoire auprès du Greffe de la Cour.
0.7 Conformément aux dispositions de l’article 79, paragraphe 1, du Règlement, et à l’ordonnance de la Cour du 1er juillet 2016 fixant les délais de la procédure, la France a soulevé, le 31 mars 2017, des exceptions à la compétence de la Cour, faisant notamment valoir :
a) qu’aucun différend, au sens de l’article I du Protocole facultatif à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, n’oppose la Guinée équatoriale et la France quant à l’interprétation ou l’application du régime d’inviolabilité des locaux diplomatiques énoncé à l’article 22 de la Convention ;
b) que le véritable différend opposant les parties porte sur une question préalable à l’invocabilité de l’article 22 de la Convention, relative à la reconnaissance de l’immeuble sis au 42, avenue Foch à Paris en tant que locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France ;
1 CIJ, ordonnance, 7 décembre 2016, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), par. 46.
2 Ibid., par. 99.
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c) que le traitement de cette question n’entre pas dans les prévisions de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques ;
d) que, dès lors, la Cour n’a pas compétence pour connaître des demandes formulées par la Guinée équatoriale sur le fondement de cette Convention.
0.8 Par un arrêt en date du 6 juin 2018, la Cour a conclu qu’elle :
« n’a[vait] pas compétence en vertu de la convention de Palerme pour connaître de la requête de la Guinée équatoriale. Elle [s’est déclaré] par ailleurs compétente au titre du protocole de signature facultative à la convention de Vienne pour connaître des conclusions de la Guinée équatoriale afférentes au statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que locaux diplomatiques, sa compétence incluant toute demande relative aux pièces d’ameublement et autres objets se trouvant dans les locaux susmentionnés. Enfin, la Cour [n’a pas jugé] la requête de la Guinée équatoriale irrecevable pour abus de procédure ou abus de droit ».
II. PRESENTATION GENERALE ET PLAN DU CONTRE-MEMOIRE
0.9 Dans un premier temps, la République française s’attachera à rappeler les faits pertinents à l’origine de la présente affaire (CHAPITRE 1), ainsi que les limites de l’objet du différend tel qu’il résulte de l’arrêt de la Cour sur sa compétence en date du 6 juin 2018 (CHAPITRE 2).
0.10 Dans un deuxième temps, la République française montrera que les allégations de violation de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques eu égard à l’immeuble sis 42, avenue Foch à Paris ne sont pas fondées (CHAPITRE 3).
0.11 Dans un troisième temps, il sera démontré que l’invocation par la République de Guinée équatoriale des dispositions de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques à l’égard de l’immeuble sis 42, avenue Foch est constitutive d’un abus de droit (CHAPITRE 4).
0.12 Enfin, l’ensemble des conclusions de la Guinée équatoriale devant, de l’avis de la France, être rejetées, le présent contre-mémoire n’examinera qu’à titre subsidiaire les demandes de réparations formulées par la République de Guinée équatoriale (CHAPITRE 5).
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CHAPITRE 1 – EXPOSE DES FAITS DE L’AFFAIRE
1.1 Aux termes de l’article 49 du Règlement de la Cour,
« 1. Le mémoire contient un exposé des faits sur lesquels la demande est fondée […].
2. Le contre-mémoire contient : la reconnaissance ou la contestation des faits mentionnées dans le mémoire ; le cas échéant, un exposé additionnel des faits […] ».
1.2 A maints égards, l’exposé des faits qui ouvre le mémoire de la Guinée équatoriale est incomplet, souvent orienté et parfois contradictoire. Or, dans la présente affaire, les faits revêtent une importance toute particulière au regard des questions de droit soulevées devant la Cour. Il importe ainsi de rappeler les différentes étapes de la procédure de l’information judiciaire ouverte à l’encontre de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue ayant permis aux autorités françaises de constater que l’immeuble sis 42, avenue Foch n’était effectivement affecté à aucune activité diplomatique lorsque les procédures judiciaires contestées par la Guinée équatoriale ont été diligentées. Il est également utile de revenir sur les présentations successives et incohérentes de la Guinée équatoriale relative à la prétendue affectation diplomatique de cet immeuble.
 Contexte et origine des poursuites pénales engagées devant les juridictions françaises
1.3 A titre liminaire, la France croit utile de rappeler que l’ambassade de la Guinée équatoriale en France est située au 29, boulevard de Courcelles depuis le 29 mars 20013. La résidence de l’ambassadeur en France est, elle, située au 8 bis, rue de Verzy depuis le 28 avril 20064. Par ailleurs, le représentant permanent de la Guinée équatoriale auprès de l’UNESCO réside au 46, rue des Belles Feuilles à Paris.
3 Note verbale n° 3227 du ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 28 juin 2002 [ANNEXE 1]. Ainsi, lorsque la Guinée équatoriale a souhaité obtenir l’exonération des droits d’enregistrement relatifs à l’acquisition de cet immeuble, le Protocole du ministère des Affaires étrangères français a confirmé que « Le caractère officiel de ces locaux a été reconnu à compter du 29 mars 2001 ».
4 Note verbale de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au ministère des Affaires étrangères de la République française, le 27 décembre 2006 [ANNEXE 2].
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1.4 La procédure pénale engagée devant les juridictions françaises à l’encontre de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue et ayant abouti à la saisie pénale immobilière de la propriété de l’immeuble du 42, avenue Foch – qui lui servait de résidence privée –, ainsi qu’à la saisie de certains biens mobiliers lui appartenant, trouve son origine dans une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris déposée le 2 décembre 2008 par une association française, Transparence International France, pour des faits de recel de détournement de fonds publics, de blanchiment, d’abus de biens sociaux, d’abus de confiance et de recel, mettant en cause plusieurs personnes, dont M. Teodoro Nguema Obiang Mangue5.
1.5 La France n’est ni le premier, ni le seul Etat dont les institutions judiciaires ont eu à connaître des dépenses somptuaires de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue. En effet, dès 2007, les autorités françaises ont également été informées de l’existence d’enquêtes pénales déjà ouvertes aux Etats-Unis et en Afrique du Sud à son encontre et visant le patrimoine qu’il s’était constitué dans ces pays. A ce jour, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue fait également l’objet d’une enquête pénale en Suisse et d’une autre au Brésil.
1.6 S’agissant de la plainte déposée en France, elle a été jugée recevable par ordonnance du 5 mai 2009 du juge d’instruction, recevabilité qui a été confirmée par un arrêt en date du 9 novembre 2010 de la Chambre criminelle de la Cour de cassation aux motifs, notamment, que les délits poursuivis seraient bien de nature à causer à l’association un préjudice direct et personnel en raison de la spécificité du but et de l’objet de sa mission. Une information judiciaire a été ouverte et deux magistrats instructeurs désignés à la suite d’un réquisitoire définitif en date du 1er décembre 2010 du procureur de la République.
 L’immeuble sis 42, avenue Foch est une résidence privée
1.7 Les investigations, menées par l’Office Central de répression de la Grande Délinquance Financière, ont notamment porté sur les biens meubles et immeubles dont il a été prouvé qu’ils avaient été acquis par M. Teodoro Nguema Obiang Mangue sur le territoire de la République Française de 1997 au mois d’octobre 2011.
5 Plainte avec constitution de partie civile déposée par Transparence International France et M. Gregory Ngbwa Mintsa auprès du Tribunal de Grande instance de paris, 2 décembre 2008, p. 22 [ANNEXE 1 EPF].
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1.8 Elles ont permis de confirmer que M. Teodoro Nguema Obiang Mangue disposait d’un patrimoine d’une grande valeur en France. L’enquête préliminaire, puis l’information judiciaire, ont ainsi démontré que M. Teodoro Nguema Obiang Mangue avait notamment acquis des bijoux pour plus de 10 millions d’euros et des oeuvres d’art pour plus de 15 millions d’euros. L’enquête a également établi que la plupart des factures de ces biens étaient adressées à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, à l’adresse du 42, avenue Foch.
1.9 Suite à des vérifications effectuées auprès de la direction générale des Finances publiques, les enquêteurs ont pu établir qu’un hôtel particulier à usage d’habitation de six étages était situé à cette adresse.
1.10 Les trois premiers étages comprennent une vingtaine de pièces dont quatre grands salons et salles à manger, une chambre de maître avec salle de bain attenante, une salle de sport, un hammam, une discothèque avec écran de cinéma, un bar, un salon oriental, un salon de coiffure, deux cuisines et plusieurs chambres avec salles de bains. Au 4ème, 5ème et 6ème étage, se trouvent des appartements. Enfin, entre le rez-de-chaussée et l’entresol, un duplex a été aménagé ainsi qu’une salle de jeux d’arcade et une salle de cinéma. Il convient de relever que la description de l’immeuble établie par les officiers de police lors des perquisitions ne fait nulle mention de bureaux, de salles de travail ou de réunion.
1.11 Entendue le 24 mai 2011 par les enquêteurs, la gérante d’une société de décoration a confirmé qu’elle avait travaillé à la décoration de l’immeuble du 42, avenue Foch pour le compte de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue. Les documents saisis dans les locaux de la société ont notamment démontré que M. Teodoro Nguema Obiang Mangue avait procédé à deux acomptes de 1 million d’euros chacun les 3 mai 2010 et 4 juillet 2011, afin de permettre à la société de décoration d’acheter, pour son compte, des biens mobiliers et des objets d’art.
1.12 Les investigations ont également confirmé que M. Teodoro Nguema Obiang Mangue était le propriétaire d’un parc automobile de luxe. L’adresse portée sur les nombreuses factures découvertes au cours de l’enquête a, là encore, conduit les enquêteurs au 42, avenue Foch, établissant un lien incontestable entre l’intéressé, l’hôtel particulier et les biens qui s’y trouvaient.
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1.13 Au regard de ce qui précède, il ne fait donc pas de doute que l’immeuble du 42, avenue Foch était la résidence privée de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, lorsque les autorités judiciaires se sont intéressées aux conditions de son acquisition. C’est ce que les perquisitions qu’elles ont par la suite demandées ont permis de confirmer.
 L’absence d’invocation du statut diplomatique de l’immeuble sis 42, avenue Foch lors des perquisitions et des saisies effectuées entre le 28 septembre et le 3 octobre 2011
1.14 Aucune démarche visant à obtenir une reconnaissance du statut diplomatique pour l’immeuble sis 42, avenue Foch n’a été effectuée par la Guinée équatoriale avant que des perquisitions n’aient été réalisées à l’égard de biens appartenant à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue à l’automne 2011.
1.15 Le 28 septembre 2011, les enquêteurs ont effectué un premier transport au 42, avenue Foch afin de procéder à l’inventaire des véhicules présents à cette adresse, en vue de leur saisie. Ces procédures judiciaires concernant les biens de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue ont abouti à la saisie, les 28 septembre et 3 octobre 2011, de dix-huit véhicules automobiles de luxe entreposés dans la cour de l’immeuble du 42, avenue Foch et dans des parkings situés aux alentours.
1.16 Dans une lettre remise en mains propres le 28 septembre 2011 au ministre des Affaires étrangères français, l’Ambassade de la Guinée équatoriale a réagi à ces mesures d’exécution sans faire mention d’une quelconque affectation diplomatique, et sans se référer à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, ni même à l’acquisition de la propriété de l’immeuble. Elle condamnait néanmoins « (…) tout particulièrement les opérations de perquisitions et de saisies ciblées sur la personne de son Ministre de l’Agriculture, Ministre d’Etat (…) »6, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue.
1.17 C’est dans ce contexte, lié à une procédure pénale, que, le 28 septembre 2011, l’attention du ministère des Affaires étrangères français a été attirée sur l’immeuble du 42, avenue Foch.
6 Lettre de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale remise en mains propres à M. Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères de la République française, le 28 septembre 2011 [ANNEXE 32 MGE].
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1.18 Dans son mémoire, la Guinée équatoriale semble aujourd’hui suggérer que les véhicules saisis appartenaient à l’ambassade7. Or, le procès-verbal de perquisition et de saisie8 atteste que, parmi les onze véhicules garés dans la cour de l’hôtel particulier – un véhicule Peugeot ; un véhicule Mercedes; deux véhicules Ferrari; deux véhicule Bentley ; un véhicule Maserati; deux véhicules Bugatti dont un portant l’inscription « special edition 669 made for M. Teodoro Nguema Obiang » ; un véhicule Porsche et un véhicule Aston Martin –, aucun ne bénéficiait d’une immatriculation diplomatique. Les factures démontrent en outre qu’ils appartenaient à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue.
 L’invocation par la Guinée équatoriale d’un statut diplomatique à partir du 4 octobre 2011 et le refus exprès de la France de faire droit à cette revendication
1.19 Le 4 octobre 2011, au lendemain des perquisitions et saisies pratiquées, et une semaine après que la Guinée équatoriale eut attiré l’attention des autorités françaises sur les procédures pénales visant l’immeuble du 42, avenue Foch, l’ambassade de la République de Guinée équatoriale a pour la première fois invoqué un statut diplomatique pour l’immeuble. Elle a même fait valoir que ces locaux, non enregistrés auprès du Protocole, auraient été affectés depuis une longue période à un usage diplomatique. Une note verbale du 4 octobre 2011 affirmait en effet que : « l’Ambassade dispose depuis plusieurs années d’un immeuble situé au 42 avenue Foch, Paris XVIème qu’elle utilise[rait] pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission diplomatique sans qu’elle ne l’ait formalisé expressément auprès de[s] services [du ministère] jusqu’à ce jour »9.
7 Jugement de la 32ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, 27 octobre 2017, p. 39 : « Les 28 et 29 septembre 2011, la justice française a fait introduire la police dans l’enceinte de cet immeuble pour y pratiquer une saisie de biens, malgré les protestations de la Guinée équatoriale par un communiqué de ses avocats joint à la procédure. Dans leur procès-verbal, les policiers ont mentionné que les voitures n’appartenaient pas à l’ambassade, et que l’immeuble appartenait à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue ».
8 Voir Procès-verbal de transport et saisie de véhicules de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue sis au 42 avenue Foch 75016 Paris, 28 septembre 2011 [ANNEXE 33 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
9 Voir Note verbale n° 365/11 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au ministère des Affaires étrangères de la République française, le 4 octobre 2011 [ANNEXE 1 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
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1.20 Le 5 octobre 2011, les enquêteurs se sont de nouveau transportés au 42, avenue Foch et ont constaté que deux affichettes portant les mentions « République de Guinée équatoriale – locaux de l’ambassade » avaient été collées sur le porche d’entrée.
1.21 Selon le témoignage du gardien de l’immeuble, « la veille un chauffeur et deux personnels de l’ambassade de République de Guinée équatoriale s’étaient rendus sur place (…) et avaient apposé les affichettes sur tous les accès aux étages et dépendances appartenant à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue »10.
1.22 Le procès-verbal de transport précise par ailleurs que « figure aussi sur les deux affiches [apposées sur l’entrée de l’hôtel particulier], l’adresse officielle de l’Ambassade de Guinée équatoriale, 29 boulevard de Courcelles à Paris 8ème »11.
1.23 Le service du Protocole du ministère des affaires étrangères français répondit, le 11 octobre 2011, à la note verbale de la Guinée équatoriale en date du 4 octobre 2011 que :
« l’immeuble [sis 42, avenue Foch] ne fait pas partie des locaux relevant de la mission diplomatique de la République de Guinée équatoriale. Il relève du droit privé et, de ce fait, du droit commun. Le Protocole est donc au regret de ne pouvoir faire droit à la demande de l’ambassade »12.
 Les variations de la Guinée équatoriale dans la présentation de l’immeuble sis 42, avenue Foch et le maintien du refus exprimé par la France de manière expresse
1.24 Le 17 octobre 2011, ces locaux ont été présentés par l’ambassade de Guinée équatoriale en France comme abritant la nouvelle résidence de la déléguée permanente auprès de l’UNESCO. Cette résidence avait pourtant été enregistrée par l’UNESCO au service du Protocole comme située au 46, rue des belles Feuilles à Paris. L’ambassade précisait :
10 Voir Jugement de la 32ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, 27 octobre 2017, p. 31.
11 Procès-verbal de transport au 42 avenue Foch 75016 Paris en date du 5 octobre 2011 [ANNEXE 3].
12 Note verbale n° 5007 du ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 11 octobre 2011 [ANNEXE 2 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
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« [qu’en] attendant l’arrivée de son successeur, la Direction de l’Ambassade sera assurée par Mme Mariola Bindang Obiang, déléguée permanente de la République de Guinée équatoriale auprès de l’Unesco, en qualité de chargé d’affaire par intérim et vous informe que la résidence officielle de Mme la déléguée permanente de la République de Guinée équatoriale auprès de l’Unesco se trouve dans les locaux de la mission diplomatique située au 40-42, avenue FOCH, 75016, Paris, dont dispose la République de Guinée équatoriale»13.
1.25 Le 31 octobre 2011, le ministère des Affaires étrangères a alors rappelé à l’ambassade de Guinée équatoriale que :
« conformément à l’article 19 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, seul un membre du personnel diplomatique de la mission peut être désigné en qualité de chargé d’affaires a.i. par l’Etat accréditant. La désignation de Madame BINDANG OBIANG est ainsi contraire à la Convention de Vienne précitée »14.
1.26 Par la même note verbale, le ministère français des Affaires étrangères précisait que :
« Si changement d’adresse de la résidence de Madame BINDANG OBIANG il y a, la délégation permanente de la République de Guinée équatoriale auprès de l’UNESCO doit en informer le Protocole de l’Organisation officiellement et celui-ci devra le préciser au Protocole par note verbale officielle. L’Ambassade ne peut, en effet, s’exprimer au nom de la délégation permanente ».
1.27 Le prétendu changement de résidence de sa déléguée permanente auprès de l’UNESCO n’a toutefois été notifié par la Guinée équatoriale à cette organisation, pourtant concernée au premier chef, que quatre mois plus tard, soit le 14 février 2012, qui correspondait au premier jour de nouvelles perquisitions et saisies diligentées au 42, avenue Foch.
1.28 Le 20 février 2012, le ministère des Affaires étrangères français a rappelé une nouvelle fois sa position selon laquelle :
13 Note verbale n°387/11 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au ministère des Affaires étrangères de la République française, le 17 octobre 2011 [ANNEXE 3 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
14 Note verbale n°5393 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la république de Guinée équatoriale, le 31 octobre 2011 [ANNEXE 4 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
17
« l’immeuble situé 42 avenue Foch à Paris 16ème ne fai[t] partie des locaux de la mission, qu’il n’[a] jamais été reconnu comme tel par le ministère des Affaires étrangères et européennes et qu’il ne [peut] être considéré comme la résidence de Madame BINDANG OBIANG, celle-ci étant situé, conformément aux documents officiels de notification de nomination et de prise de fonctions transmis par l’UNESCO – dont Madame BINDANG OBIANG relève – quelques jours auparavant, 46 rue des Belles Feuilles à Paris 16ème »15.
1.29 Il a en outre relevé que :
« l’immeuble de l’avenue Foch a été successivement présenté par l’Ambassade le 7 octobre 2011 comme local utilisé pour l’accomplissement des fonctions de sa mission diplomatique (l’Ambassade reconnaissant que ceci n’avait jamais été officiellement notifié) puis, le 17 octobre 2011, comme résidence officielle de Madame Bindang Obiang.
Enfin, la note verbale du Protocole de l’UNESCO, en date du 15 février 2012, adressée au Protocole et lui transmettant celle de la délégation permanente en date du 14 février 2012 présentant officiellement l’adresse du 42 avenue Foch comme celle de la résidence de Madame Bindang Obiang, ne peut d’autant pas être prise en compte, que la date du 14 février est celle à laquelle des perquisitions ont été entamées dans ce même immeuble ».
 La saisie des biens meubles appartenant à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue entreposés au 42, avenue Foch entre le 14 et 23 février 2012
1.30 Du 14 au 23 février 2012, une nouvelle perquisition était effectuée dans les locaux de l’hôtel particulier, qui, selon les témoignages des employés de la société Foch Service, continuait à être utilisé à titre privé par M. Teodoro Nguema Obiang Mangue16. Ainsi que le relève le dossier d’instruction :
« Les constatations sur les lieux ont confirmé que M. Teodoro Nguema Obiang Mangue avait la libre disposition de ce bien immobilier.
A l’inverse, aucun document officiel concernant l’Etat de Guinée équatoriale ou permettant de penser que cet immeuble pouvait servir comme lieu de représentation officielle n’a été découvert.
15 Note verbale n°802 du ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 20 février 2012 [ANNEXE 13 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
16 Voir Jugement de la 32ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, 27 octobre 2017, p. 33.
18
Les constatations ont permis de prendre la mesure des achats somptuaires réalisés par M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, à titre privé, pendant plusieurs années, et de confirmer qu’il était bien l’occupant des lieux »17.
1.31 Outre les nombreux objets d’art dont les factures établissent un lien certain entre l’hôtel particulier où ils sont exposés et M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, les enquêteurs ont trouvé des vêtements masculins, tous de même taille, et portant pour certains en filigrane le nom de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue ou les initiales « TNO ».
1.32 Les avocats représentant M. Teodoro Nguema Obiang Mangue devant les juridictions françaises n’ont d’ailleurs pas contesté qu’il est le propriétaire des biens meubles saisis. En effet, ainsi que le précise le jugement correctionnel en date du 27 octobre 2017 :
« Il n’est pas contesté que les biens mobiliers suivants ayant fait l’objet d’une saisie pénale représentent le produit et l’objet de l’infraction et/ou appartiennent au condamné au sens des articles 131-21 et 324-7 du code pénal :
- les biens mobiliers (mobilier, oeuvres d’art etc…) saisis à l’occasion de la perquisition au sein de l’hôtel particulier dont M. Teodoro Nguema Obiang Mangue avait la libre disposition ;
- les véhicules de collection représentant un coût d’achat de près de 7,5 millions d’euros et remis à l’AGRASC en vue de leur aliénation ;
- la créance du cabinet PINTO de 377 Keuros également versée entre les mains de l’AGRASC »18.
1.33 Interrogé sur le patrimoine de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, un salarié de la société Foch Service a par ailleurs indiqué aux enquêteurs qu’entre les perquisitions réalisées à l’automne 2011 et celles pratiquées en février 2012, plusieurs objets de valeur et tableaux de maître avaient été enlevés de l’immeuble sis 42, avenue Foch pour être remisés à la résidence de l’ambassadeur de Guinée équatoriale à Paris.
1.34 Enfin, le 16 février 2012, une personne identifiée « comme au service de monsieur Teodoro Nguema Obiang Mangue » s’est présentée au 42, avenue Foch et a indiqué que la gérante de la société Foch Service « lui a[vait] demandé de venir récupérer deux valises appartenant à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue et se trouvant dans la loge du vigile de sécurité ».
17 Ibid, p. 31.
18 Ibid, p. 98.
19
1.35 Les autorités de police ont alors constaté que ces valises contenaient « des effets masculins (costumes, tee-shirt, chemise, paire de chaussures ainsi qu’un inventaire dactylographié pour chacune des valises et dressant la liste des vêtements en date du 10/02/2012) »19.
 La saisie pénale immobilière de l’immeuble sis 42, avenue Foch réalisée le 19 juillet 2012 et sa portée
1.36 Le 19 juillet 2012, une ordonnance de saisie pénale immobilière visant la propriété de l’immeuble sis 42, avenue Foch a été rendue. Elle était motivée par le fait que les investigations avaient démontré que l’immeuble détenu par six sociétés suisses et françaises avait été financé en tout ou partie avec le produit des infractions visées par l’information judiciaire et constituait l’objet du blanchiment des infractions d’abus de biens sociaux, abus de confiance et de détournement de fonds publics. L’ordonnance précisait que Teodoro Nguema Obiang Mangue avait la libre disposition de l’immeuble.
1.37 En droit français, la saisie des avoirs dans le cadre d’une enquête pénale a pour objectif de garantir l’exécution de l’éventuelle peine de confiscation ultérieure et peut porter sur tout bien susceptible de confiscation. Une procédure spécifique pour la saisie immobilière est prévue aux articles 706-15020 et suivants du code de procédure pénale, outre les articles 706-141 à 706-147 applicables à toutes les saisies spéciales.
1.38 Une saisie pénale immobilière porte, jusqu’à la mainlevée ou la confiscation définitive, sur la valeur totale de l’immeuble saisi. L’article 706-145 énonce que « nul ne peut
19 Voir Procès-verbal de transport et perquisition de l’hôtel particulier sis 42 avenue Foch 750016 Paris, 15 février 2012 [ANNEXE 43 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
20 L’article 706-150 du code de procédure pénale français dispose que, « [a]u cours de l'enquête de flagrance ou de l'enquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête du procureur de la République, peut autoriser par ordonnance motivée la saisie, aux frais avancés du Trésor, des immeubles dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 du code pénal. Le juge d'instruction peut, au cours de l'information, ordonner cette saisie dans les mêmes conditions.
L'ordonnance prise en application du premier alinéa est notifiée au ministère public, au propriétaire du bien saisi et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'ordonnance. Cet appel n'est pas suspensif. L'appelant ne peut prétendre dans ce cadre qu'à la mise à disposition des seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste. S'ils ne sont pas appelants, le propriétaire du bien et les tiers peuvent néanmoins être entendus par la chambre de l'instruction, sans toutefois pouvoir prétendre à la mise à disposition de la procédure » (texte disponible à l’adresse suivante : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI0…).
20
valablement disposer des biens saisis dans le cadre d’une procédure pénale ». Il en résulte que la saisie pénale a pour effet de rendre le bien saisi indisponible. Comme en matière civile, la saisie pénale n’a pas pour effet de transférer la propriété des biens appréhendés ; celui dans le patrimoine duquel il se trouve en reste propriétaire mais ne peut cependant exercer l’ensemble des droits attachés à ce titre.
1.39 Lorsqu’une saisie est ordonnée sans dépossession, ce qui était le cas dans l’ordonnance rendue le 19 juillet 2012 qui l’a explicitement précisé, le propriétaire du bien saisi peut donc toujours en faire usage, mais ne peut ni le vendre, ni le céder.
 La nouvelle présentation par la Guinée équatoriale de l’affectation de l’immeuble sis 42, avenue Foch et le refus persistant de la France
1.40 Une semaine après que la saisie pénale immobilière a été diligentée, l’ambassade de Guinée équatoriale a présenté les locaux du 42, avenue Foch comme abritant ses services. Par note verbale en date du 27 juillet 2012, portant toujours en pied de page l’adresse de l’ambassade au 29, boulevard de Courcelles, Paris 8ème, l’ambassade de Guinée équatoriale a en effet indiqué que :
« Les services de l’Ambassade sont, à partir du 27 juillet 2012, installés à l’adresse sise 42 Avenue Foch, Paris 16ème, immeuble qu’elle utilise désormais pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission diplomatique en France »21.
1.41 Par note verbale en date du 6 août 2012, le ministère des Affaires étrangères français a répondu :
« (…) que l’immeuble sis 42 avenue Foch à Paris 16ème a fait l’objet d’une ordonnance de saisie pénale immobilière en date du 19 juillet 2012. La saisie, enregistrée à la Conservation des hypothèques, a pris rang le 31 juillet 2012.
Le Protocole ne peut, de ce fait, reconnaître officiellement l’immeuble (…) comme étant, à compter du 27 juillet 2012, le siège de la chancellerie. Celle-ci est donc
21 Note verbale n°501/12 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au ministère des Affaires étrangères de la République française, le 27 juillet 2012 [ANNEXE 22 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
21
toujours 29 boulevard de Courcelles à Paris 8ème, seule adresse reconnue comme telle »22.
1.42 Le ministère des Affaires étrangères français a ensuite rappelé, de manière constante, sa position dans l’ensemble des échanges avec la Guinée équatoriale portant sur le statut de l’immeuble sis 42, avenue Foch.
1.43 Ainsi, alors qu’il était interrogé sur les exonérations de taxe foncière dont bénéficient les locaux à usage diplomatique, le protocole du ministère des Affaires étrangères français a rappelé à la Guinée équatoriale dans sa note verbale en date du 13 juin 2014 que :
« Sont donc exonérés de la taxe foncière, les locaux de l’Ambassade sis 29 boulevard de Courcelles à Paris 8ème et la résidence de l’Ambassadeur sise 8 bis avenue de Verzy à Paris 17ème (…) »23.
1.44 Par ailleurs, lorsque l’ambassade de Guinée équatoriale a sollicité, le 21 avril 2016, des mesures particulières de protection des locaux du 42, avenue Foch, le ministère des Affaires étrangères français a réaffirmé qu’il :
« ne considère pas l’immeuble situé 42 avenue Foch à Paris 16ème comme faisant partie des locaux de la mission diplomatique de la République de Guinée équatoriale en France »24.
1.45 Après que la Cour a rendu son ordonnance en indication de mesures conservatoires, l’ambassadeur de la Guinée équatoriale en France a été reçu à deux reprises, à sa demande, par la direction d’Afrique et de l’Océan Indien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Lors de ces entretiens, il a demandé à ce que les autorités françaises confirment qu’elles reconnaissaient désormais le statut diplomatique de l’hôtel particulier sis 42, avenue Foch.
22 Note verbale n°3503 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 6 août 2012 [ANNEXE 24 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
23 Note verbale n° 5638 du ministère des Affaires étrangères et du développement international de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, 13 juin 2014 [ANNEXE 4].
24 Note verbale n° 2016-313721 du ministère des Affaires étrangères et du développement international de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 27 avril 2016 [ANNEXE 5].
22
1.46 Ainsi, par note verbale en date du 15 février 2017, l’ambassade de Guinée équatoriale en France soutenait que :
« dans le cadre des deux dernières audiences avec les responsables de la direction de l’Afrique et de l’Océan Indien, ce sujet a été évoqué et le directeur avait assuré qu’une note parviendrait à cette Mission Diplomatique qui tient compte du statut actuel de cette Représentation Diplomatique située au 42 avenue Foch »25.
1.47 En réponse à cette note verbale, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a répondu le 2 mars 2017 que :
« Suivant sa position constante, la France ne considère pas l’immeuble situé 42 avenue Foch à Paris 16ème comme faisant partie des locaux de la mission diplomatique de la République de Guinée équatoriale en France. Conformément à l’ordonnance rendue par la Cour internationale de Justice le 7 décembre 2016 en l’affaire, la France assurera aux locaux situés 42 avenue Foch, dans l’attente d’une décision finale de la Cour, un traitement équivalent à celui requis par l’article 22 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, de manière à assurer leur inviolabilité »26.
1.48 Face aux déclarations fluctuantes et contradictoires de la Guinée équatoriale, le ministère français des Affaires étrangères a toujours rappelé qu’il ne considérait pas les locaux du 42, avenue Foch comme faisant partie de la mission diplomatique équato-guinéenne et qu’ils ne pouvaient en faire officiellement partie en raison des mesures pénales prises à l’encontre de ces locaux. Les seuls locaux que la France a officiellement accepté de reconnaître comme tels le 29 mars 2001, sont ceux situés au 29, boulevard de Courcelles à Paris.
 Derniers développements de la procédure pénale en France
1.49 L’agent de la République française a eu l’occasion, au cours de la procédure orale sur la demande en indication de mesures conservatoires, de présenter à la Cour l’état et les développements ultérieurs possibles de la procédure pénale visant M. Teodoro Nguema Obiang Mangue en France27.
25 Note verbale n° 069/2017 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au ministère des Affaires étrangères et du développement international de la République française, 15 février 2017 [ANNEXE 6].
26 Note verbale n° 2017-158865 du ministère des Affaires étrangères et du développement international de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 2 mars 2017 [ANNEXE 7].
27 CR/2016/15, 18 octobre 2016, pp. 13-17.
23
1.50 La France a indiqué que suite au renvoi de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue devant le tribunal correctionnel de Paris, une éventuelle première condamnation ne pourrait pas intervenir avant la fin du premier trimestre de l’année 2017.
1.51 Le 27 octobre 2017, c’est-à-dire à la fin du second semestre de l’année 2017, la 32ème chambre du tribunal correctionnel de Paris a rendu son jugement déclarant M. Teodoro Nguema Obiang Mangue coupable de blanchiment pour les faits reprochés commis de 1997 à octobre 2011 et l’a en conséquence condamné à une peine de 3 ans d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à une amende de 30 000 000 euros avec sursis. Le tribunal a en outre ordonné la confiscation de l’ensemble des biens saisis dont l’ensemble du bien immobilier sis 42, avenue Foch.
1.52 Le 3 novembre 2017, ce jugement a été frappé d’appel par M. Teodoro Nguema Obiang Mangue ainsi que par le parquet financier à titre incident.
1.53 Cet appel constitue la voie de recours ordinaire permettant de faire réformer ou annuler par une juridiction de second degré la décision rendue par une juridiction de première instance. La cour d’appel est chargée de juger une seconde fois l’affaire.
1.54 L’appel constitue l’une des voies de recours dont les effets sont les plus larges. Il s’agit d’une voie de réformation qui remet en cause l’autorité de la chose jugée en première instance, afin qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit.
1.55 En outre, l’appel a un effet suspensif de la peine prononcée en première instance. Ceci implique que l’exécution de la décision contestée n’est pas possible pendant le délai de recours.
1.56 Comme l’agent de la République française l’avait indiqué lors des audiences sur la demande en indication de mesures conservatoires, l’affaire ne sera, selon toute vraisemblance, pas inscrite au rôle de la Cour d’appel de Paris avant le second semestre de l’année 2019.
24
1.57 La décision rendue en appel pourrait être contestée par l’intermédiaire d’un pourvoi devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. Dans cette hypothèse, et puisque l’effet suspensif s’applique à la totalité de la procédure pénale, l’arrêt rendu par la Cour d’appel ne serait donc toujours pas exécuté.
1.58 Au regard de ce qui précède, une décision définitive des juridictions françaises ne devrait donc intervenir qu’au cours de l’année 2020.
25
CHAPITRE 2 – OBJET DU DIFFEREND
2.1 Dans sa Requête comme dans son Mémoire, la Guinée équatoriale décrit ainsi le différend qui l’oppose à la France :
« Le différend entre la Guinée équatoriale et la France, qui découle de certaines procédures pénales en cours en France, concerne l’immunité de juridiction pénale du Second Vice-Président de la République de Guinée équatoriale chargé de la Défense et de la Sécurité de l’Etat, ainsi que le statut juridique de l’immeuble qui abrite l’Ambassade de Guinée équatoriale en France, tant comme locaux de la mission diplomatique que comme propriété de l’Etat »28.
2.2 Le 31 mars 2017, conformément au paragraphe 1er de l’article 79 du Règlement de la Cour, la France a soulevé des exceptions préliminaires à la compétence de la Cour et à la recevabilité de la Requête introductive d’instance déposée par la Guinée équatoriale le 13 juin 2016.
I. L’ARRET DE LA COUR SUR LES EXCEPTIONS PRELIMINAIRES
2.3 Dans son arrêt rendu le 6 juin 2018, la Cour a retenu la première exception préliminaire soulevée par la France, dans les termes suivants :
« Ayant analysé l’aspect du différend à l’égard duquel la Guinée équatoriale invoque la convention de Palerme comme base de compétence (voir le paragraphe 68 plus haut), la Cour conclut que celui-ci n’est pas susceptible d’entrer dans les prévisions de cette convention. En conséquence, la Cour n’a pas compétence au titre de la convention de Palerme pour connaître de la requête de la Guinée équatoriale et doit retenir la première exception préliminaire soulevée par la France »29.
2.4 Il ne fait pas de doute qu’« [i]l appartient […] à la Cour d’établir objectivement ce sur quoi porte le différend entre les Parties en circonscrivant le véritable problème en cause et en précisant l’objet de la demande »30, sur la base de la requête, « tout en consacrant une
28 RGE, par. 2. Voir aussi MGE, par. 0.2.
29 CIJ, arrêt, 6 juin 2018, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), par. 118.
30 Ibid., par. 48.
26
attention particulière à la formulation du différend utilisée par le demandeur »31. Par conséquent, l’objet du différend tel qu’il subsiste à ce stade de la procédure doit s’apprécier à la lumière de l’arrêt de la Cour en date du 6 juin 2018. Est exclu du champ de compétence de la Cour :
« L’aspect du différend à l’égard duquel la Guinée équatoriale invoque la convention de Palerme comme base de compétence [qui] concerne différentes demandes sur lesquelles les Parties ont présenté des vues divergentes dans leurs écritures et plaidoiries. Les Parties s’opposent, premièrement, sur le fait de savoir si, en conséquence des principes de l’égalité souveraine et de la non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats, tels que visés à l’article 4 de ladite convention, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, en tant que vice-président de la Guinée équatoriale chargé de la défense nationale et de la sécurité de l’Etat, jouit de l’immunité de juridiction pénale étrangère. Deuxièmement, leurs vues divergent sur la question de savoir si, en conséquence des principes visés dans cette même disposition, l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris jouit de l’immunité des mesures de contrainte. Troisièmement, elles sont en désaccord sur la question de savoir si, en établissant sa compétence sur les infractions principales associées à l’infraction de blanchiment d’argent, la France a outrepassé sa compétence pénale et manqué à l’obligation conventionnelle lui incombant en vertu de l’article 4 de la convention de Palerme, lu conjointement avec les articles 6 et 15 de cet instrument »32.
2.5 S’agissant du second aspect du différend, la Cour a déclaré, dans son arrêt du 6 juin 2018, qu’« elle a compétence, sur la base du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques concernant le règlement obligatoire des différends, pour se prononcer sur la requête déposée par la République de Guinée équatoriale le 13 juin 2016, en ce qu’elle a trait au statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que locaux de la mission, et que ce volet de la requête est recevable »33. La Cour le définit comme suit :
« L’aspect du différend à l’égard duquel la Guinée équatoriale invoque le protocole de signature facultative à la convention de Vienne comme base de compétence concerne deux demandes sur lesquelles les Parties ont présenté des vues divergentes. La première est celle de savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris fait partie des locaux de la mission de la Guinée équatoriale en France et peut donc bénéficier du traitement accordé à pareils locaux par l’article 22 de la convention de Vienne. Les Parties sont également en désaccord sur la question de savoir si les mesures prises par
31 Ibid., par. 48. Voir également CIJ, arrêt, 24 septembre 2015, Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), Rec. 2015, p. 602, par. 26 ; CIJ, arrêt, 13 décembre 2007, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), Rec. 2007, p. 848, par. 38.
32 Ibid., par. 68.
33 Ibid., p. 154 (italiques ajoutés).
27
les autorités françaises à l’égard de l’immeuble emportent violation par la France des obligations lui incombant en vertu de l’article 22 »34.
2.6 La France établira dans la suite de son contre-mémoire qu’elle n’a commis aucune violation de l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Certaines précisions méritent néanmoins d’être apportées, à titre liminaire, quant à l’objet et la portée précis du différend.
II. L’ABSENCE DE PERTINENCE D’AUTRES REGLES QUE CELLES DECOULANT DE LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS DIPLOMATIQUES
2.7 Dans sa Requête introductive d’instance, la Guinée équatoriale formule, s’agissant de l’immeuble sis 42, avenue Foch, les conclusions suivantes :
« c) En ce qui concerne l'immeuble sis au 42, Avenue Foch, à Paris :
i) de dire et juger que la République française, en saisissant l’immeuble sis au 42, avenue Foch à Paris, propriété de la République de Guinée équatoriale et utilisé aux fins de la mission diplomatique de ce pays en France, agit en violation de ses obligations en vertu du droit international, notamment la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et la Convention des Nations Unies, ainsi qu’en vertu du droit international général ;
ii) d’ordonner à la République française de reconnaître à l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris, le statut de propriété de la République de Guinée équatoriale ainsi que de locaux de sa mission diplomatique à Paris, et de lui assurer en conséquence la protection requise par le droit international ;
d) En conséquence de l’ensemble des violations par la République française de ses obligations internationales dues à la République de Guinée équatoriale :
ii) de dire et juger que la responsabilité de la République française est engagée du fait du préjudice que les violations de ses obligations internationales ont causé et causent encore à la République de Guinée équatoriale ;
ii) d’ordonner à la République française de payer à la République de Guinée équatoriale une pleine réparation pour le préjudice subi, dont le montant sera déterminé à une étape ultérieure »35.
Les conclusions de la Guinée équatoriale dans son Mémoire sont identiques36.
34 Ibid., par. 70.
35 RGE, 13 juin 2016, par. 41 ; MGE, pp. 177-181, par. 9.42. Voir aussi CR 2016/14, Audience du 17 octobre 2016 (mesures conservatoires), pp. 21-22, par. 5 (M. Wood) ; CR 2016/15, Audience du 18 octobre 2016 (mesures conservatoires), p. 19, par. 5 (M. Wood).
36 MGE, p. 182.
28
2.8 Dans sa Demande en indication de mesures conservatoires, en date du 29 septembre 2016, la Guinée équatoriale prétend que :
« L’immunité personnelle du Vice-Président et l’inviolabilité de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris, objet de la présente demande en indication de mesures conservatoires, découlent des principes de l’égalité souveraine des Etats et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, qui sont des principes fondamentaux de l’ordre juridique international et auxquels il est expressément fait référence dans la Convention de Palerme. L’immunité et l’inviolabilité de la mission diplomatique sont bien établies en droit international coutumier, tel que codifié par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques »37.
La Guinée équatoriale affirme ainsi, dans le même paragraphe, que l’inviolabilité alléguée de l’immeuble sis 42, avenue Foch se fonde à la fois sur la Convention de Palerme et sur la Convention de Vienne.
2.9 Dès lors que la Cour a conclu qu’elle n’avait « pas compétence au titre de la convention de Palerme pour connaître de la requête de la Guinée équatoriale »38, l’aspect du différend prétendument couvert par cette base conventionnelle – en ce compris l’atteinte alléguée à l’immeuble en tant qu’il serait un bien de la Guinée équatoriale utilisé à des fins de service public non commercial – ne se trouve plus soumis à la Cour de céans dans le cadre de la présente procédure.
2.10 Il en va évidemment de même des prétentions de la Guinée équatoriale fondées sur le « droit international général »39. Ainsi que la France l’a rappelé à plusieurs reprises40, la Cour n’a d’autre compétence en l’espèce que celle de trancher le différend qui lui est soumis sur la base des clauses conventionnelles pertinentes ; elle n’en a aucune pour appliquer le droit international général de manière autonome. La Cour ayant mis un terme définitif à la tentative de la Guinée équatoriale de rattacher artificiellement l’invocation du
37 RGE, par. 13 (italiques ajoutés).
38 CIJ, arrêt, 6 juin 2018, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), par. 118.
39 Voir notamment RGE, par. 39 ; MGE pars. 8.63, 8.66.
40 Voir EPF, par. 5, pars. 54-55, par. 64. Voir aussi CR 2018/2, p. 15, par. 13 et p. 16, par. 17 (F. Alabrune) ; p. 17, par. 2 (H. Ascensio) ; pp. 32-33, par. 8 (P. Bodeau-Livinec) ; p. 45, par. 2 (Pellet) ; et CR 2018/4, pp. 10-12, pars. 4-6 (A. Pellet).
29
droit international général à la Convention de Palerme41, seul subsiste l’aspect du différend relatif à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques en tant que telle.
2.11 Au fil de ses écritures, la Guinée équatoriale a entretenu une confusion notable quant aux obligations découlant des stipulations de la Convention de Vienne que la France aurait violées en l’espèce. Dans sa Requête, la Guinée équatoriale affirme ainsi que la France « a violé ses obligations à 1’égard de la Guinée équatoriale en vertu de la Convention de Vienne […], notamment son article 22 »42. Dans son Mémoire, elle indique que « [l]e différend devant la Cour concerne l’interprétation et l’application de plusieurs dispositions de la CVRD, y compris, sans s’y limiter, l’article 1, alinéa i, et l’article 22 »43, mais mentionne les articles 20 (drapeau et emblème de l’État accréditant)44 et 21 (facilitation de l’acquisition des locaux)45 de la Convention sans jamais chercher à montrer en quoi la France aurait pu contrevenir à ces dispositions. Les observations présentées en réponse aux exceptions préliminaires y ont ajouté l’article 23 (exemption d’impôts) sans davantage d’explications46. Enfin, au cours des audiences, la partie demanderesse s’est de nouveau bornée à affirmer lapidairement que « les dispositions des articles 20, 21 et 23 sont incidemment violées dès lors que l’inviolabilité consacrée par l’article 22 n’est pas respectée »47.
2.12 La France a déjà amplement montré qu’aucun différend ne l’opposait à la Guinée équatoriale en ce qui concerne ces trois dispositions de la Convention48. Le différend – dont l’objet doit s’apprécier au jour de la saisine de la Cour – a uniquement trait au statut de l’immeuble du 42, avenue Foch et au régime d’inviolabilité susceptible d’y être associé, à l’exclusion de toute autre question. Tel est exactement le sens de l’arrêt rendu le 6 juin 2018. La Cour y « rappelle que l’aspect du différend » relatif à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques :
« porte sur la question de savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris fait partie des locaux de la mission de la Guinée équatoriale en France et s’il peut, par suite,
41 Voir en part. CIJ, arrêt, 6 juin 2018, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, par. 96.
42 RGE, p. 11, par. 38 (italiques ajoutés).
43 MGE, p. 78, par. 5.46 (italiques ajoutés).
44 Ibid., p. 137, par. 8.18.
45 Ibid., p. 142, par. 8.32.
46 OGE, par. 1.57.
47 CR 2018/3, p. 47, par. 10.
48 Voir EPF, pp. 59-60, pars. 139-142 et CR 2018/2, pp. 39-40, pars. 25-26 (P. Bodeau-Livinec).
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bénéficier du traitement prévu par l’article 22 de la convention de Vienne. Il porte également sur le point de savoir si les mesures prises par les autorités françaises à l’égard de cet immeuble emportent violation par la France de l’obligation lui incombant en vertu dudit article »49.
III. L’ABSENCE DE PERTINENCE DE LA PROPRIETE DE L’IMMEUBLE AUX FINS D’APPRECIER LES VIOLATIONS ALLEGUEES DE LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS DIPLOMATIQUES
2.13 Ce premier constat emporte des conséquences importantes au regard de certaines des conclusions présentées par la Guinée équatoriale. Or, la Guinée équatoriale a jusqu’à présent pris soin d’entretenir une certaine confusion entre les fondements de ses prétentions à l’égard de l’immeuble sis 42, avenue Foch50. Dans sa Requête introductive d’instance, elle déclarait ainsi que :
« L’immeuble situé au 42 avenue Foch à Paris était, jusqu’au 15 septembre 2011, possédé en copropriété par cinq sociétés suisses dont M. Teodoro Nguema Obiang Mangue était l’unique actionnaire depuis le 18 décembre 2004. Le 15 septembre 2011, il a cédé ses droits sociaux dans ces sociétés à l’Etat de Guinée équatoriale. Depuis lors, cet immeuble est affecté à la mission diplomatique de la Guinée équatoriale »51.
2.14 C’est mélanger la question de la propriété de l’immeuble et celle de l’affectation des locaux. A s’en tenir à la position de la Guinée équatoriale, si « [l]e 15 septembre 2011, [M. Teodoro Nguema Obiang Mangue] a cédé ses droits sociaux à l’Etat de Guinée équatoriale », « [d]epuis lors, cet immeuble » est la propriété de la Guinée équatoriale – ou tout du moins la Guinée équatoriale est-elle propriétaire des sociétés suisses dont elle a acquis les actions. Pour autant, la question de son affectation au regard de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques est parfaitement distincte.
2.15 A ce stade de la procédure, les deux aspects du différend doivent être distingués nettement. Ainsi que la France l’a souligné à plusieurs reprises52, la question de savoir qui est effectivement propriétaire de l’immeuble du 42, avenue Foch est indifférente
49 CIJ, arrêt, 6 juin 2018, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, par. 120 (italiques ajoutés).
50 Voir EPF, pars. 45-52.
51 RGE, p. 10.
52 Voir EPF, par. 141 ; CR 2018/2, p. 38, par. 23 (P. Bodeau-Livinec)
31
aux fins de déterminer si ce bien immobilier est susceptible de faire partie des locaux de la mission diplomatique équato-guinéenne en France et, partant, pourrait bénéficier du régime protecteur que prévoit l’article 22 de la Convention de Vienne. L’article 1er, alinéa i), de celle-ci ne souffre d’aucune ambiguïté à cet égard :
« i) L’expression ‘locaux de la mission’ s’entend des bâtiments ou des parties de bâtiments et du terrain attenant qui, quel qu’en soit le propriétaire, sont utilisés aux fins de la mission, y compris la résidence du chef de la mission »53.
2.16 La Guinée équatoriale a admis elle-même cette absence de corrélation entre propriété, d’une part, et statut et régime diplomatiques, de l’autre54 ; de la sorte, prétendre désormais que le non-respect allégué du droit de propriété de cet immeuble par la France puisse contrarier l’une des obligations découlant de la CVRD s’avère inopérant. Dans son arrêt du 6 juin 2018, la Cour n’a pas estimé nécessaire de préciser que les aspects de la Requête équato-guinéenne relatifs à la propriété de l’immeuble n’entraient pas dans les prévisions de la Convention. La distinction nette qu’elle a effectuée entre les demandes fondées sur l’invocation de la Convention de Palerme et celles qui relèveraient de la Convention de Vienne55 suffit en effet à conclure que le non-respect allégué de l’immunité de l’immeuble comme bien de l’État équato-guinéen s’attachait à la première base de compétence, et non à la seconde. Ainsi que l’a relevé le Juge Gaja dans sa déclaration jointe à l’arrêt :
« la question de la propriété de l’immeuble sis au 42 avenue Foch est à distinguer de celle de l’inviolabilité et de l’immunité des locaux de la mission. Si cette dernière relève du protocole de signature facultative, la partie du différend relative à la propriété de l’immeuble n’entre pas dans son champ d’application. La Cour n’est pas compétente pour trancher cette partie du différend au titre dudit protocole »56.
2.17 Par ailleurs, dans les conclusions de son Mémoire, la Guinée équatoriale demandait à la Cour qu’elle ordonne :
53 Article 1er, al. i), de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 (italiques ajoutés).
54 Voir notamment MGE, p. 142, par. 8.32 ; OGE, par. 3.24 ; CR 2018/3, p. 46, par. 7 (M. Kamto).
55 Voir CIJ, arrêt, 6 juin 2018, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), pars. 52-53.
56 CIJ, arrêt, 6 juin 2018, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), Déclaration de M. le juge Gaja.
32
« à la République française de reconnaître à l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris, le statut de propriété de la République de Guinée équatoriale […] et de lui assurer en conséquence la protection requise par le droit international »57.
2.18 Or l’absence de corrélation entre la question de la propriété de l’immeuble et celle de son affectation au regard de la Convention de Vienne58 emporte une conséquence importante sur l’un des aspects du différend que la Guinée équatoriale a entendu porter devant la Cour. Dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires du 7 décembre 2016, la Cour a demandé qu’il soit « sursis à l’exécution de toute mesure de confiscation »59 avant la date à laquelle elle rendra sa décision finale en l’affaire. La France s’est depuis lors conformée à cette demande, le tribunal correctionnel de Paris ayant assorti la décision prise le 27 octobre 2017 d’ordonner la confiscation de l’immeuble du 42, avenue Foch d’une précision à l’effet de laquelle « la procédure pendante devant [la Cour internationale de Justice] rend[ait] impossible non pas le prononcé d’une peine de confiscation mais l’exécution par l’État français d’une telle mesure »60. Toutefois, comme l’Agent de la République française l’a rappelé lors des audiences relatives aux exceptions préliminaires, « quand bien même elle deviendrait définitive, la mesure de confiscation emporterait uniquement la dévolution à l’Etat de la propriété de l’immeuble du 42 avenue Foch, sans préjudice de la situation prévalant en ce qui concerne l’occupation et l’usage des locaux »61.
2.19 La Guinée équatoriale a d’ailleurs expressément admis que la mesure de confiscation portait sur la propriété de l’immeuble, sans évoquer son usage62. Il découle de ce constat partagé que la confiscation de l’immeuble du 42, avenue Foch ne peut emporter d’elle-même aucune violation des dispositions pertinentes de la Convention de Vienne : quand bien même la France, au terme de la procédure judiciaire engagée contre M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, deviendrait propriétaire de cet immeuble, cette circonstance resterait en soi indifférente au régime d’inviolabilité diplomatique qu’invoque la Guinée
57 MGE, p. 182.
58 Voir supra pars. 12-15.
59 CIJ, ordonnance, 7 décembre 2016, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), p. 1170, par. 95.
60 Voir CR 2018/2, p. 11, par. 5 (F. Alabrune) et CIJ, arrêt, 6 juin 2018, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, par. 40.
61 CR 2018/2, p. 12, par. 5 (F. Alabrune). Voir l’article L. 1124-1 du code général de la propriété des personnes publiques (https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT00…).
62 « [L]a confiscation est, en droit pénal français, une peine qui emporte en elle-même transfert de la propriété du bien qui en est l’objet au profit de l’Etat français » (CR 2018/3, p. 26, par. 43 (J.-C. Tchikaya)).
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équatoriale, lequel est subordonné à l’usage des locaux considérés et non à leur possession. Dans une affaire relative à la nationalisation par la Roumanie d’un immeuble utilisé par une organisation américaine ayant statut diplomatique en Roumanie, la Cour européenne des Droits de l’Homme a ainsi souligné que :
« l’existence d’une éventuelle immunité dont bénéficierait l’organisation susmentionnée ne s’opposait nullement au transfert dans le patrimoine du requérant des attributs du droit de propriété sur l’immeuble litigieux. Ce transfert n’impliquant pas en lui-même l’expulsion du locataire, ce dernier avait la possibilité, en cas de litige sur le droit d’usage de l’immeuble, de faire valoir ses moyens de défense, y compris ceux tirés de l’immunité de juridiction »63.
2.20 Compte tenu de ce qui précède, et ainsi que la Cour l’a conclu dans son arrêt du 6 juin 2018, seule « [l]a demande formulée par la Guinée équatoriale sur le fondement de la convention de Vienne concernant le prétendu non-respect par la France de l’inviolabilité de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale »64 demeure dans son champ de compétence. Les aspects du différend liés à la propriété en sont exclus. Si elle constitue un indice du caractère abusif de la démarche de la Guinée équatoriale65, la question de la propriété de l’immeuble est en soi indifférente au régime d’inviolabilité diplomatique qu’invoque la Guinée équatoriale.
***
2.21 C’est donc dans les strictes limites de l’objet du différend, tel qu’il est décrit par la Cour dans son arrêt en date du 6 juin 2018, sur la base de la Requête et du Mémoire de la Guinée équatoriale, que doivent s’apprécier les allégations de violations des dispositions de l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques en ce qui concerne l’immeuble sis 42, avenue Foch.
63 CEDH, 26 juillet 2007, Hirschhorn c. Roumanie, n°29294/02, par. 60. Voir également Cour constitutionnelle fédérale allemande, 30 octobre 1962, Jurisdiction over Yugoslav Military Mission (Germany) Case, Case No AVR XI (1963/64), ILR, vol. 38, pp. 162-170 (« None of this would adversely affect the mission in the performance of its diplomatic functions. So far as concerns the performance of its functions, it is irrelevant whether the sending State or any other person is registered as the owner of the mission premises »).
64 CIJ, arrêt, 6 juin 2018, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), par. 53.
65 Voir infra Chapitre 4, pars. 4.28-4.45.
34
CHAPITRE 3 – L’ABSENCE DE VIOLATION DE LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS DIPLOMATIQUES EU EGARD A L’IMMEUBLE SIS 42, AVENUE FOCH
3.1 Ainsi que l’a indiqué la Cour dans son arrêt du 6 juin 2018, l’aspect du différend pour lequel elle a retenu sa compétence concerne deux demandes sur lesquelles la France et la Guinée équatoriale ont présenté des vues divergentes. Elle relève ainsi que :
« [l]a première [demande] est celle de savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris fait partie des locaux de la mission de la Guinée équatoriale en France et peut donc bénéficier du traitement accordé à pareils locaux par l’article 22 de la convention de Vienne. Les Parties sont également en désaccord sur la question de savoir si les mesures prises par les autorités françaises à l’égard de l’immeuble emportent violation par la France des obligations lui incombant en vertu de l’article 22 »66.
3.2 Ainsi circonscrite, la définition de l’objet du différend délimite précisément les contours juridiques du contentieux soumis à la Cour, lequel concerne, d’une part, la question de savoir si l’immeuble sis au 42, avenue Foch peut être considéré comme faisant partie des locaux de la mission diplomatique équato-guinéenne en France et, d’autre part, celle de savoir si les mesures de perquisition et de saisie diligentées à l’encontre de cet immeuble l’ont été en violation des obligations pertinentes de l’article 22 de la CVRD.
3.3 S’agissant de la première question, la France conteste fermement la thèse dite « déclarative » présentée par la Guinée équatoriale, selon laquelle l’Etat accréditant pourrait unilatéralement imposer à l’Etat accréditaire le choix des locaux de sa mission diplomatique. Conformément à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, et à l’instar des pratiques de nombreux autres Etats, le régime d’établissement des locaux diplomatiques des missions des Etats étrangers en France est soumis au respect de deux conditions cumulatives. Un immeuble ne peut bénéficier du statut de local diplomatique que si, d’une part, la France, en tant qu’Etat accréditaire, ne s’est pas opposée de manière expresse à ce qu’il soit considéré comme faisant partie de la mission diplomatique et si, d’autre part, il n’est pas affecté de manière effective à des fins diplomatiques (I). Or la France n’a jamais consenti à octroyer le
66 CIJ, arrêt, 6 juin 2018, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, par. 70.
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statut de local diplomatique à l’immeuble du 42, avenue Foch, lequel ne pouvait en aucun cas être considéré comme étant utilisé à des fins diplomatiques lorsqu’il a fait l’objet de mesures de perquisition et de saisie par les autorités judiciaires françaises. Par conséquent, l’immeuble du 42, avenue Foch n’a jamais acquis le statut de local diplomatique et la France n’a pas pu méconnaître les obligations lui incombant en application de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques (II).
I. L’OCTROI DU STATUT DE LOCAL DIPLOMATIQUE EST CONDITIONNE AU RESPECT DE DEUX CONDITIONS CUMULATIVES
3.4 Dans la partie de sa requête introductive consacrée aux « fondements juridiques » de celle-ci, la Guinée équatoriale n’évoque substantiellement la Convention de Vienne qu’une seule fois, dans les termes suivants :
« par le fait de ses autorités judiciaires qui ont saisi un immeuble utilisé aux fins de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France, et faute de reconnaître l’immeuble comme locaux de la mission diplomatique, la République française a violé ses obligations à l’égard de la Guinée équatoriale en vertu de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961, notamment son article 22 »67.
3.5 Cette assertion lapidaire soulève des interrogations. En effet, l’examen détaillé des faits de l’espèce montre à suffisance que la France a toujours refusé d’octroyer à l’immeuble sis 42, avenue Foch le statut de local diplomatique et que ce dernier n’était pas affecté aux fins de la mission équato-guinéenne à Paris lorsqu’il a fait l’objet de mesures de perquisition et de saisie. Or, conformément à l’esprit et à la lettre de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, l’identification des locaux de la mission – et le bénéfice du régime de protection qui en découle – suppose, d’une part, que l’Etat accréditaire ne s’oppose pas expressément à l’octroi du statut diplomatique (A) et, d’autre part, que l’immeuble soit affecté de manière effective aux fins de la mission diplomatique (B).
67 RGE, par. 38.
36
A. L’octroi du statut diplomatique à un immeuble ne peut être unilatéralement imposé à l’Etat accréditaire
3.6 Dans la réponse à la question que lui a posée Mme la Juge Donoghue, la Guinée équatoriale affirme que « le régime de la Convention de Vienne, quant à ce qui concerne le statut des locaux d’une mission diplomatique, [est] un régime déclaratif »68. Par cette mention, il faut comprendre que « les locaux des services diplomatiques sont ceux qui sont désignés comme tels par l’État accréditant à l’État accréditaire »69, et que cette désignation seule fonde le bénéfice du statut diplomatique d’un immeuble, sans que le consentement exprès ou implicite de l’État accréditaire soit nécessaire. Poussant plus loin encore la logique de cette conception « déclarative », la Guinée équatoriale soutient qu’« aucune formalité n’est requise »70, en précisant par exemple que la notification adressée au ministère des Affaires étrangères de la République française le 4 octobre 2011 au sujet de l’immeuble du 42, avenue Foch ne l’a été que par simple « courtoisie »71 : selon elle, l’article 1er, alinéa i), de la Convention peut même « s’entendre comme autorisant l’autodéfinition par l’État accréditant des locaux de sa mission diplomatique »72.
3.7 Le seul intérêt que présente cette conception du régime d’identification des locaux diplomatiques est de permettre à l’État accréditant de revendiquer le statut diplomatique au bénéfice de tous locaux, sans que l’État accréditaire ne puisse jamais s’y opposer, y compris lorsque ces revendications sont abusives73. Une telle construction apparaît cependant illusoire en droit : conformément à la lettre et à l’esprit de la Convention de Vienne il est impossible pour l’Etat accréditant d’imposer à l’Etat accréditaire le choix des locaux de sa mission diplomatique (1). La thèse « déclarative » soutenue par la Guinée équatoriale n’est d’ailleurs pas corroborée par la pratique des États (2).
68 Réponses écrites de la Guinée équatoriale aux questions posées par M. le juge Bennouna et Mme la juge Donoghue à l’audience publique tenue le 19 octobre 2016 à 17h, 26 octobre 2016, p. 7, par. 23.
69 OGE, par. 1.63; « nul besoin d’un processus de reconnaissance » (ibid., par. 3.14).
70 CR 2018/3, p. 50, par. 23 (M. Kamto).
71 MGE, p. 143, par. 8.35. Dans sa note verbale du 4 octobre 2011, l’ambassade de Guinée équatoriale explique pourtant au ministère des affaires étrangères que, « [d]ans la mesure où il s’agit de locaux de la Mission Diplomatique, conformément à l’article 1er de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les immeubles diplomatiques, la République de Guinée Equatoriale souhaite vous informer officiellement afin que l’Etat français, conformément à l’article 22 de ladite Convention, assure la protection de ces locaux » (Note verbale n°365/11 préc. (italiques ajoutés)).
72 OGE, par. 1.61.
73 Ainsi que la France l’a relevé, il suffirait ainsi à la Guinée équatoriale de déclarer avoir installé sa mission diplomatique au premier étage de la Tour Eiffel pour que ces locaux soient considérés comme bénéficiant du statut diplomatique, CR 2016/17, p. 12, par. 11 (M. Pellet).
37
1. La thèse « déclarative » soutenue par la Guinée équatoriale est contraire à la lettre et à l’esprit de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques
3.8 Alors même que la question s’avère déterminante pour l’application des privilèges et immunités prévus par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, celle-ci ne fournit aucune précision quant à la procédure relative à l’octroi du statut diplomatique et des protections y relatives à des locaux au sein desquels un Etat souhaite installer sa mission diplomatique.
3.9 De cette absence de précision procédurale, la Guinée équatoriale croit pouvoir déduire la reconnaissance d’une liberté absolue laissée à l’État accréditant pour désigner les locaux de sa mission et en changer, à charge pour l’État accréditaire d’assurer, sans condition, le respect de l’ensemble des protections exorbitantes du droit commun accordées à ces locaux par la CVRD. Le sens ordinaire à attribuer aux termes de l’article 1er, alinéa i), interprétés à la lumière de l’objet et du but de la Convention, va pourtant à rebours de cette conception « déclarative ». Ainsi, conformément à la lettre et à l’esprit essentiellement consensuels de la Convention de Vienne, les locaux que l’État accréditant souhaite utiliser aux fins de sa mission diplomatique ne peuvent l’être que lorsque l’Etat accréditaire y consent, a fortiori ne s’y oppose pas expressément, à la suite de la notification réalisée par l’Etat accréditant.
3.10 Dans l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, la Cour a solennellement souligné que « dans la conduite des relations entre États, il n’est pas d’exigence plus fondamentale que celle de l’inviolabilité des diplomates et des ambassades et que c’est ainsi que, au long de l’histoire, des nations de toutes croyances et toutes cultures ont observé des obligations réciproques à cet effet »74. Indubitablement, ce régime fait peser sur l’État accréditaire des obligations particulièrement exigeantes, dont l’article 22 est l’une des illustrations les plus manifestes. Il n’y a là rien que de très normal puisqu’il s’agit d’assurer le fonctionnement efficace et serein des missions diplomatiques, nécessaire à l’épanouissement de relations pacifiques entre États. Toutefois, si l’État accréditaire doit ainsi accepter des restrictions très importantes à l’exercice de sa souveraineté territoriale, l’État accréditant est quant à lui tenu d’user des droits qui lui sont conférés de
74 CIJ, ordonnance, 15 décembre 1979, Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran (États-Unis c. Iran), mesures conservatoires, Rec. 1979, p. 38, par. 19.
38
bonne foi. Le préambule de la Convention le souligne distinctement lorsqu’il exprime la conviction que
« les buts desdits privilèges et immunités est non pas d’avantager des individus mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentants des États »75.
3.11 Le lien de confiance qui doit s’établir entre État accréditant et État accréditaire se trouve ainsi rompu lorsque le premier tente d’user des privilèges que lui offre la Convention au profit de personnes privées, sans rapport aucun avec « l’accomplissement efficace » des fonctions diplomatiques. Dans la logique de cette ratio legis, il se comprend aisément que la désignation de bâtiments en tant que locaux de la mission ne relève pas du seul bon vouloir de l’État accréditant. Jean Salmon explique en ce sens que
« [s]i la mission possède le droit d’opérer une qualification de ce qu’elle considère comme des locaux utilisés aux fins de la mission, cette qualification n’est que provisoire et unilatérale et l’Etat accréditaire, éventuellement en position de force pour refuser les autorisations nécessaires, peut la contester. […] Il faut rechercher l’accord. A défaut il nous semble qu’ici aussi le dernier mot doit appartenir à l’Etat accréditaire. Ce qui est sous-jacent, c’est à vrai dire la question des fonctions de la mission, leur extension qualitative et quantitative à propos desquelles l’Etat accréditaire a son mot à dire d’autant plus qu’il a, à l’égard de ces locaux, des obligations lourdes de protection »76.
3.12 La Convention de Vienne énonce en effet clairement les obligations qui pèsent sur l’État accréditaire : celui-ci a ainsi, en sus du devoir général d’accorder « toutes facilités pour l’accomplissement des fonctions de la mission »77, « l’obligation spéciale de prendre toutes mesures appropriées afin d’empêcher que les locaux de la mission ne soient envahis ou endommagés, la paix de la mission troublée ou sa dignité amoindrie »78.
3.13 À suivre la thèse ici défendue par la Guinée équatoriale, faudrait-il admettre que l’État accréditaire serait contraint de prendre des mesures exorbitantes du droit commun, parfois particulièrement exigeantes à mettre en oeuvre en pratique, sans avoir même la possibilité d’avaliser le choix fait par l’Etat accréditant ? Faudrait-il également admettre que l’Etat accréditaire ne peut s’opposer à ce choix de l’Etat accréditant, même dans l’hypothèse
75 Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, 18 avril 1961, 4ème al. du préambule.
76 J. Salmon, Manuel de droit diplomatique, Bruylant, Bruxelles, 1994, p. 190.
77 Article 25.
78 Article 22, paragraphe 2.
39
où celui-ci est susceptible de porter atteinte à son ordre public ? La Convention s’articule autour du principe du respect des volontés souveraines ainsi que du développement de relations diplomatiques mutuellement consenties. L’article 2 prévoit notamment que « [l]’établissement de relations diplomatiques entre Etats et l’envoi de missions diplomatiques permanentes se font par consentement mutuel ». Les débats au sein de la Commission du droit international attestent de la nécessité d’un accord mutuel dans l’établissement des relations diplomatiques, profondément ancré dans la pratique des Etats79. Sur cette base, il paraîtrait étrange que chacun des deux Etats puisse imposer à l’autre le choix des locaux où il établira sa mission.
3.14 Pour contrarier cette interprétation évidente de la Convention et justifier sa thèse de l’autodéfinition déclarative, la Guinée équatoriale cherche à prendre appui sur l’article 12 de ce texte80. Le raisonnement est le suivant :
« L’article 12 de la CVRD ne confère à l’État accréditaire le pouvoir de consentir à l’établissement des locaux de la mission diplomatique que dans l’hypothèse de l’installation de bureaux de la mission dans d’autres localités que celles où elle est établie. Cette disposition n’est pas pertinente aux fins de la présente affaire, puisque la Guinée équatoriale n’a pas établi, ni cherché à établir, des bureaux faisant partie de sa mission « dans d’autres localités ». Elle a simplement transféré sa mission dans d’autres locaux lui appartenant dans la ville de Paris. A contrario, les termes de l’article 12 permettent de conclure que l’ouverture de bureaux de la mission dans la même localité, voire le transfert des locaux dans la même localité, n’est pas soumise au consentement de l’État accréditaire »81.
3.15 La Guinée équatoriale omet toutefois de souligner que l’article 12 requiert, dans le cas de figure qu’il vise, « le consentement exprès de l’État accréditaire »82. Le
79 Voir les débats au sein de la Commission, spécialement au sujet de l’actuel article 2 : « le droit de légation ne peut être exercé sans l’accord des parties » (Annuaire de la Commission du droit international, 1958, vol. II, A/CN.4/SER.A/1958/Add.l, p. 93 (commentaire de l’art. 2, par. 1)) ; la Commission ayant auparavant relevé que cet article confirme la pratique générale des Etats (Annuaire de la Commission du droit international, 1957, vol. II, A/CN.4/SER.A/1957/Add.l, p. 149 (commentaire de l’art. 1er)).
80 « L’État accréditant ne doit pas, sans avoir obtenu au préalable le consentement exprès de l’État accréditaire, établir des bureaux faisant partie de la mission dans d’autres localités que celles où la mission elle-même est établie ».
81 MGE, p. 144, par. 8.36. Au cours des audiences sur les exceptions préliminaires, la Guinée équatoriale a encore expliqué que, « [l]orsque les auteurs de la convention ont voulu restreindre la liberté de l’Etat dans l’établissement des locaux de sa mission diplomatique, ils l’ont indiqué expressément. Il en est ainsi, par exemple, au sujet de l’établissement des locaux de la mission diplomatique ailleurs que dans la capitale de l’Etat accréditaire, en vertu de l’article 12 de la convention Vienne sur les relations diplomatiques » (CR 2018/3, par. 20).
82 Italiques ajoutés. L’article 12 se lit comme suit : « L’État accréditant ne doit pas, sans avoir obtenu au préalable le consentement exprès de l’État accréditaire, établir des bureaux faisant partie de la mission dans d’autres localités que celles où la mission elle-même est établie ».
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raisonnement a contrario qu’elle avance ne tient donc pas. En réalité, le texte de l’article 12 vient clairement au soutien de la nécessité du consentement de l’État accréditaire à l’établissement des locaux de la mission diplomatique de l’État accréditant. Dans les circonstances particulières de l’installation de locaux diplomatiques en dehors de la capitale de l’État territorial, il est tout à fait compréhensible que l’acceptation expresse de celui-ci soit requise. Cela ne signifie pas que, dans les circonstances ordinaires où la mission doit être établie dans la capitale, ce consentement est inutile ; il reste nécessaire mais peut être donné de manière implicite. La pratique de nombreux États corrobore cette conception consensuelle.
2. La thèse « déclarative » n’est pas corroborée par la pratique des Etats
3.16 Comme la France a déjà eu l’occasion de le souligner83, plusieurs États subordonnent explicitement l’établissement des locaux des missions diplomatiques étrangères sur le territoire à une forme de consentement, lequel détermine le début du régime d’inviolabilité dont bénéficient par la suite ces locaux. La Guinée équatoriale ne l’ignore pas mais tente de minimiser l’ampleur de ces pratiques nationales, en faisant notamment valoir qu’elles ne seraient le fait que de « quelques pays occidentaux »84, lesquels « vise[raie]nt à encadrer plutôt qu’à contredire le droit que la CVRD accorde à l’État accréditant d’affecter un bien immobilier comme locaux de sa mission diplomatique »85.
3.17 Un examen attentif de ces pratiques conduit à des conclusions profondément différentes. Par leur existence même, elles témoignent de ce que, à rebours de la thèse de l’autodéfinition « déclarative » avancée par la Guinée équatoriale, la Convention de Vienne ne confère à l’État accréditant aucun droit à désigner seul et à sa convenance les bâtiments devant abriter sa mission. Si tel était le cas, les pratiques nationales considérées seraient, par définition, contraires à la Convention, ce que la partie demanderesse ne semble pas soutenir86.
83 Voir EPF, pp. 68-69, pars. 163-164.
84 MGE, p. 146, par. 8.42. La Guinée équatoriale cite le Canada, l’Espagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Suisse et la Suède, mais aussi l’Afrique du Sud et l’Inde.
85 Ibid., p. 147.
86 Dans ses Observations sur les exceptions préliminaires, elle affirme toutefois, sans autre précision, que « [r]ien n’autorise l’État accréditaire d’établir unilatéralement une procédure particulière » (OGE, par. 1.61). Comme le relève un auteur, « Art. 41.1 requires persons enjoying privileges and immunities to respect the laws of the receiving State. The view has therefore been taken by a number of receiving States that provided that the obligations imposed by Article 21 of the Convention in regard to acquisition of mission premises are observed, it is fully compatible with Article 1(i) and with the Convention as a whole to control the particular premises in which foreign missions carry out their functions » (E. Denza, Diplomatic Law. Commentary on the Vienna
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Elle se borne à les présenter comme une « exception »87, en précisant, d’une part, qu’« [e]n cas de désaccord entre les États sur l’établissement de tels locaux, ce n’est pas le point de vue de l’État accréditaire qui prime nécessairement »88 et, d’autre part, que l’État accréditant conserve « la liberté de faire le choix de ses locaux diplomatiques […] lorsqu’aucune législation nationale dans l’Etat d’accueil n’est applicable en la matière »89. La Convention de Vienne ne dit évidemment rien de tel et la liberté de choix que revendique la Guinée équatoriale n’y est nulle part reconnue, a fortiori dans la conception drastique que veut en retenir le demandeur. Rien n’empêche l’État accréditaire d’exercer un droit de regard sur la désignation des bâtiments que l’État accréditant entend utiliser aux fins de sa mission diplomatique, ne serait-ce que pour vérifier que les conditions, juridiques autant que pratiques, permettant de garantir l’inviolabilité de l’immeuble considéré sont réunies ; qu’il le fasse par le biais d’une législation spécifique, de lignes directrices ou par le simple recours aux voies diplomatiques habituelles est indifférent du point de vue du droit international. De nombreux États entendent ainsi conserver un droit de regard sur le choix que l’État accréditant entend faire de sa mission diplomatique.
3.18 Loin de confirmer la vision d’un droit d’établissement des locaux de la mission diplomatique de nature déclarative, les pratiques nationales ici considérées ont pour point commun de corroborer à l’inverse l’existence d’un régime reposant sur l’accord entre les parties, conformément à l’objet et au but de la Convention de Vienne90. Les pratiques suivies par les États-Unis et le Royaume-Uni ont déjà été évoquées91 ; il suffira de rappeler que le U.S. Foreign Missions Act de 1982 prévoit que « [t]he Secretary shall require any foreign mission […] to notify the Secretary prior to any proposed acquisition, or any proposed sale or other disposition, of any real property by or on behalf of such mission »92. Quant au
Convention on Diplomatic Relations, Oxford University Press, Oxford, 4ème éd., 2016, pp. 16-17 (italiques ajoutés)).
87 MGE, p. 148, par. 8.44 ; voir aussi OGE, p. 71, par. 3.18
88 OGE, par. 71, par. 3.18.
89 CR 2018/3, p. 49, par. 19.
90 Comme l’explique un auteur, « [p]rovided that the power of control is exercised in such a manner that sending States are able to acquire premises adequate and suitable to their needs, […] a system of control is not against the letter or spirit of the Convention. It is in the interests of both sending and receiving States that mission premises are placed in locations where they do not cause friction with local inhabitants and where the receiving State may discharge without undue difficulty its duty of protection. […] A system of notification and agreement may also have the advantage of fixing precisely when the status of mission premises begins and ends » (E. Denza, Diplomatic Law. Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, Oxford University Press, Oxford, 4ème éd., 2016, p. 147).
91 Voir EPF, p. 69, par. 164.
92 Foreign Missions Act (22 U.S.C. 4301-4316, disponible à l’adresse https://www.state.gov/documents/organization/17842.pdf), § 4305, (a) (1). Aux termes du § 4305, (a) (2), « [f]or
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Diplomatic and Consular Premises Act adopté par le Royaume-Uni en 1987, il prévoit dans sa Section 1 que, « where a State desires that land shall be diplomatic or consular premises, it shall apply to the Secretary of State for his consent to the land being such premises. […] In no case is land to be regarded as a State’s diplomatic or consular premises for the purposes of any enactment or rule of law unless it has been so accepted or the Secretary of State has given that State consent under this section in relation to it »93. D’autres États, dans diverses régions du monde, ont formalisé la nécessité de leur consentement à l’établissement des locaux des missions diplomatiques étrangères sur leur territoire et précisé les modalités procédurales du dialogue qui doit ainsi s’instaurer entre État accréditant et État accréditaire. Quelques exemples en seront ici donnés, sans viser à l’exhaustivité :
 En Afrique du Sud, la Section 12 du Diplomatic Immunities and Privileges Act de 2001 dispose : « (1) All foreign missions or consular posts, the United Nations and all specialised agencies or organisations referred to in this Act, must submit a written request to the Director-General [of International Relations and Cooperation] for acquiring, constructing, relocating, renovating, replacing, extending or leasing immovable property in the Republic […]. (2) Any such request must consist of a narrative and graphic description of, and indicate the reasons for, the proposed acquisition, construction, relocation, renovation, replacement, extension or leasing. (3) No deed of transfer of land may be registered […] in the name of any such government, mission or post, the United Nations or any such specialised agency, organisation, person or representative unless the Director-General has informed the Registrar of Deeds in writing that the property has been recognised for the use of an embassy, chancellery, legation, office or official residence and that the Director-General approves of such registration »94 ;
 En Allemagne, le Manuel de protocole du Ministère fédéral des affaires étrangères (1er janvier 2013) précise que « [l]’utilisation à des fins officielles des
purposes of this section, “acquisition” includes any acquisition or alteration of, or addition to, any real property or any change in the purpose for which real property is used by a foreign mission » (soulignement ajouté). Le texte précise ensuite que « [t]he foreign mission (or other party acting on behalf of the foreign mission) may initiate or execute any contract, proceeding, application, or other action required for the proposed action— (A) only after the expiration of the 60-day period beginning on the date of such notification (or after the expiration of such shorter period as the Secretary may specify in a given case); and(B) only if the mission is not notified by the Secretary within that period that the proposal has been disapproved; however, the Secretary may include in such a notification such terms and conditions as the Secretary may determine appropriate in order to remove the disapproval ».
93 Diplomatic and Consular Premises Act, 15 mai 1987, Section 1 (1) et (3) (disponible sur : http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1987/46). La Section 1 (3) précise que, « if (a) a State ceases to use land for the purposes of its mission or exclusively for the purposes of a consular post; or (b) the Secretary of State withdraws his acceptance or consent in relation to land, it thereupon ceases to be diplomatic or consular premises for the purposes of all enactments and rules of law ». Pour un commentaire de ce texte, voir par ex. C . J. Lewis, State and Diplomatic Immunity, London, LLP, 3rd ed., 1990, soulignant not. que le certificat du Secretary of State « is conclusive in any proceedings » (p. 149).
94 Diplomatic Immunities and Privileges Act, 2001, Act No. 37, 2001, Government Gazette, vol. 437, 29 novembre 2001, No. 22876, [disponible à l’adresse : http://www.saflii.org/za/legis/num_act/diapa2001363.pdf].
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immeubles (terrains, bâtiments et corps de bâtiment) des missions diplomatiques et postes consulaires de carrière n’est possible qu’après accord préalable du ministère fédéral des Affaires étrangères (autorisation d’utilisation). […] Le ministère fédéral des Affaires étrangères peut lier son autorisation d’utilisation à des obligations et à des conditions. […] Les bâtiments ou corps de bâtiment non utilisés à des fins diplomatiques ou consulaires sont soumis sans réserve à la législation allemande. Ils ne bénéficient d’aucune exonération fiscale, d’aucune immunité de mesures de contrainte publique ni d’aucune protection des immeubles accordée aux missions diplomatiques et postes consulaires de carrière »95 ;
 En Australie, les Protocol Guidelines: Diplomatic Missions in the Australian Capital Territory [ACT] précisent que « [a]ny chancery to be located on Territory Land, but not within commercial premises such as an office building, will need approval from the ACT Government. Missions should contact Protocol Branch to ensure that ACT Government approval will be forthcoming »96 ;
 Au Brésil, le Manual of Rules and Procedures on Privileges and Immunities, A Practical Guide for the Diplomatic Corps Accredited in Brazil de 2010 prévient les missions diplomatiques étrangères que « the establishment of seats of Diplomatic Missions (Chancery and Residence), Consulates, and foreign Trade Offices on Brazilian territory, as well as the leasing, acquisition, and localization of real property for such purpose are subject to prior MRE authorization »97 ;
 Au Canada, les Lignes directrices sur l’acquisition, l’aliénation ou le développement de biens immobiliers par un État étranger (2017) prévoient que « [l]’État étranger doit obtenir, par les voies diplomatiques habituelles, le consentement écrit d’Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada avant d’acquérir, d’aliéner ou de développer au Canada un bien immobilier devant servir de locaux pour une mission diplomatique, de locaux consulaires ou de résidence d’un chef de poste consulaire de carrière »98 ; elles précisent également que « [p]endant le processus d’examen de la demande d’acquisition, le bien immobilier envisagé n’est normalement pas considéré comme inviolable aux fins des Conventions de Vienne, et le gouvernement du Canada n’est aucunement tenu de le protéger. Il appartient donc à l’État étranger de prendre les mesures voulues à cet égard »99 ;
95 Manuel de protocole du Ministère fédéral des Affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne, publié le 1er janvier 2013 [ANNEXE 8], par. 12.1. Le Manuel précise ensuite les modalités de dépôt de la demande d’autorisation d’utilisation en « recommand[ant] fortement de déposer une demande d’utilisation bien avant de réaliser l’achat ou la location d’un objet » (ibid., § 12.1.1 (italiques dans le texte)).
96 Protocol Guidelines : Diplomatic Missions in the Australian Capital Territory, [disponible à l’adresse : https://dfat.gov.au/about-us/publications/corporate/protocol-guidelines…] , par. 11.1.2.
97 Manual of Rules and Procedures on Privileges and Immunities, A Practical Guide for the Diplomatic Corps Accredited in Brazil, [disponible à l’adresse : https://sistemas.mre.gov.br/kitweb/datafiles/Cgpi/en-us/file/Manual.pdf], p. 73.
98 Lignes directrices sur l’acquisition, l’aliénation ou le développement de biens immobiliers par un État étranger [disponible à l’adresse : http://www.international.gc.ca/protocol-protocole/policies-politiques/p…], par. 3.1. Le gouvernement canadien ajoute que « [c]ette prescription s’applique également aux déménagements temporaires de missions et de résidences officielles pour cause de rénovation ou pour quelque autre motif » (ibidem).
99 Ibid., par. 3.3.
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 En Espagne, le Chapitre 11 du Guide pratique à l’usage du corps diplomatique accrédité en Espagne (2017) indique que « La note verbale circulaire n.º 10/7 du 11 avril 2011 rappelle aux missions diplomatiques, aux postes consulaires et aux organismes internationaux ayant leur siège ou une représentation en Espagne, que l’acquisition ou la location d’immeubles destinés à un usage officiel, par des pays communautaires ou non communautaires, sont soumis à la réglementation nationale et municipale en vigueur en la matière. Cette note précise qu’il est nécessaire de contacter au préalable les autorités municipales compétentes afin de s’assurer que l’immeuble que l’on veut acheter ou louer peut être utilisé aux fins souhaitées »100 ;
 En Norvège, le guide Diplomat in Norway (2018) prévient les missions étrangères que des « [l]ocal regulations may apply to the use of real estate by foreign nationals. The purpose of the use of the property and other aspects may also be subject to regulations, and it may be necessary to obtain relevant permits from the municipal planning and building authorities »101 ;
 Aux Pays-Bas, le Protocol Guide for Diplomatic Missions and Consular Posts (2018) indique que les « [d]iplomatic missions may choose their own office and residential accommodation, under several conditions »; celles-ci sont les suivantes : « [o]ffices should in principle be situated within the municipality of The Hague. Residential accommodation must in principle be situated in the environs of The Hague (that is, within the municipalities of The Hague, Wassenaar, Leidschendam, Voorburg, Rijswijk or Zoetermeer), so that the Dutch authorities can meet their obligation to uphold the inviolability of such offices and residential accommodation and where necessary to protect them »102 ;
 En République tchèque, le document intitulé « Protection and Security of Diplomatic Missions », disponible sur le site internet du ministère des Affaires étrangères, offre un exposé détaillé des modalités à suivre lorsqu’une mission diplomatique souhaite changer de locaux : « [t]o enable the Czech Republic to take all appropriate steps to protect the premises of the mission as required by the Vienna Convention on Diplomatic Relations, a diplomatic mission, consular post or international organization preparing to relocate its chancery or residence must announce the new address to the Diplomatic Protocol well in advance. The Diplomatic Protocol, in cooperation with the competent authorities, will consider whether the new property is suitable for the purpose namely in terms of security, transport accessibility and operational needs. The new property cannot be recognized as premises of the mission in terms of the Vienna Convention on Diplomatic Relations without the consent of the receiving State, conveyed to the
100 Guide pratique à l’usage du corps diplomatique accrédité en Espagne, [disponible à l’adresse : http://www.exteriores.gob.es/Portal/es/Ministerio/Protocolo/Documents/G…], p. 79. Le même document précise encore qu’« [a]vant d’acquérir ou de louer un immeuble, une note verbale est adressée à la sous-direction générale de la Chancellerie, avec indication de l’emplacement exact de l’immeuble, afin d’évaluer la conformité avec la réglementation en matière d’urbanisme » (ibid., p. 80).
101 Diplomat in Norway, 2018, [disponible à l’adresse : https://www.regjeringen.no/en/dep/ud/about_mfa/diplomatic_relations/dip…], par. 31.
102 Protocol Guide for Diplomatic Missions and Consular Posts, [disponible à l’adresse : https://www.government.nl/documents/leaflets/2015/04/15/protocol-guide-…], p. 4.
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mission through the Diplomatic Protocol. It is important to note that on approving the relocation, the Diplomatic Protocol will not automatically change the mission’s address in the Diplomatic List. The mission must first send to the Diplomatic Protocol a verbal note formally announcing the date on which the change of address takes effect »103;
 En Suisse, la Loi fédérale sur les privilèges, les immunités et les facilités, ainsi que sur les aides financières accordés par la Suisse en tant qu’État hôte (dite « loi sur l’État hôte, LEH ») du 22 juin 2017 dispose en son article 16 que les « bénéficiaires institutionnels »104 doivent, lorsqu’ils entendent « acquérir des immeubles pour leurs besoins officiels »105, adresser une requête en ce sens au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) ; « [a]près avoir consulté l’autorité compétente du canton intéressé, le département vérifie si l’acquéreur est un bénéficiaire institutionnel visé à l’art. 2, al. 1, et si l’acquisition est effectuée à des fins officielles, puis il rend une décision. Une décision positive présuppose que les autorisations nécessaires ont été accordées par les autorités compétentes, notamment les autorisations de construire et celles requises en matière de sécurité »106 ;
 En Turquie, le Guide to Diplomatic Missions in Turkey (2015) prévoit, dans une section intitulée « Approval of the Ministry » : « [a]ll Missions shall notify and request the consent the Ministry prior to a proposed lease, purchase, sale or other forms of acquisition or disposition of a real property. This requirement applies to properties acquired for chancery or residential use by the foreign government for its diplomatic and consular missions in Turkey. Missions shall also notify and request the consent the Ministry in advance to alterations, renovations, additions on existing real estate or changes in their use »107.
103 Protection and Security of Diplomatic Missions [disponible à l’adresse : https://www.mzv.cz/jnp/cz/o_ministerstvu/organizacni_struktura/diplomat…], section 2.1.1. (soulignement ajouté).
104 Lesquels comprennent, selon l’art. 2, al. 1, d), les missions diplomatiques.
105 Art. 16, al. 1. L’acquisition est définie comme « toute acquisition d’un droit de propriété, de superficie, d’habitation ou d’usufruit sur un immeuble, ainsi que l’acquisition d’autres droits qui confèrent à leur titulaire une position analogue à celle du propriétaire, tels que les baux à loyer de longue durée si les accords intervenus excèdent les usages en matière civile. […] Un changement d’affectation est assimilé à une acquisition » (art. 17, al. 1) et 2)).
106 Art. 16, al. 3). Voir aussi l’art. 25 de l’Ordonnance relative à la loi fédérale sur les privilèges, les immunités et les facilités, ainsi que sur les aides financières accordés par la Suisse en tant qu’État hôte. Dans une note adressée le 28 juillet 1989 au Consulat général de l’Etat X. à Genève, le DFAE précisait que : « [l]’acquisition par un Etat étranger d'un immeuble destiné à sa mission diplomatique n’est pas suffisante pour que cet Etat puisse se prévaloir de l’inviolabilité des locaux. Il faut que le contrat d’achat soit suivi de l’installation effective des bureaux de la chancellerie pour que l’inviolabilité prenne effet. On pourrait toutefois considérer que des travaux d’aménagement de la mission diplomatique donnent déjà naissance à cette même inviolabilité. Il en va de même lorsque l’Etat accréditant conclut un contrat de bail pour les besoins de la mission diplomatique. Le contrat en soi ne suffit pas à engendrer l’inviolabilité ; Là aussi, le critère de l’affectation réelle doit être rempli » (reproduit in L. Caflisch, « La Pratique Suisse en Matière de Droit International Public 1990 », RSDIE, vol. 1, 1991, pp. 545-546).
107 Guide to Diplomatic Missions in Turkey, [disponible à l’adresse : http://cd.mfa.gov.tr/Files/diplomaticguide.pdf], section 17.1. Voir aussi la section 17.2 sur la procédure applicable.
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3.19 Tous les États qui viennent d’être cités sont parties à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Au-delà même de leur nombre et de la variabilité des conditions et modalités procédurales retenues, tous ont énoncé le principe du consentement de l’État accréditaire au choix – par acquisition ou d’autres formes de prise de possession – des bâtiments que l’État accréditant entend utiliser effectivement comme locaux de sa mission. Aucun n’a, manifestement, considéré qu’une telle pratique pourrait être contraire à la Convention ni que la simple « déclaration » de l’État accréditant suffirait à établir le statut diplomatique des locaux considérés et le régime d’inviolabilité qui l’accompagne, sans considération de la réaction de l’État accréditaire. Il ne semble pas, surtout, que ces législations, lignes directrices ou guides pratiques aient été contestés par les États auxquels ils s’adressent, ce qui confirme s’il en était besoin qu’ils sont conformes à la Convention108.
3.20 La Guinée équatoriale – qui dispose d’ambassades en Afrique du Sud, en Allemagne, en Espagne, aux États-Unis et au Royaume-Uni109 – connaît ces pratiques ; même si elle tente d’en minimiser l’intérêt110, elle ne peut dès lors ignorer que le consentement de l’État accréditaire à l’affectation d’immeubles aux fins des missions diplomatiques de l’État accréditant n’entraîne aucune violation de la CVRD. Face à la rigueur d’une telle conclusion, elle tente d’opposer à la France un argument formel : dès lors que celle-ci « ne possède pas de législation à laquelle elle aurait pu renvoyer la Guinée équatoriale, à la différence de quelques États qui exigent de consentir à l’affectation d’un immeuble à titre de locaux d’une mission diplomatique »111, « le pouvoir de vérification de la réalité de l’affectation des locaux d’une mission diplomatique revendiqué par la France revêt[irait] un caractère arbitraire »112.
3.21 Comme cela a été antérieurement rappelé113, cette distinction formaliste est parfaitement indifférente du point de vue du droit international : soit la pratique du consentement de l’État accréditaire, quelles que soient ses modalités spécifiques, constitue
108 E. Denza relève par ex., à propos du Diplomatic and Consular Premises Act britannique, que sa « compatibility with the Vienna Convention has not been challenged by other governments » (Diplomatic Law. Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, Oxford University Press, Oxford, 4ème éd., 2016, p. 148).
109 Les ambassades de la Guinée équatoriale sont répertoriées sur le site officiel du Gouvernement de la République de Guinée équatoriale [https://www.guineaecuatorialpress.com/noticia.php?id=130]. Dans sa version française, ce site (consulté le 30 octobre 2018) indique toujours que l’ambassade de Guinée équatoriale en France se situe au 29, Bd de Courcelles, Paris VIIIe.
110 Voir supra Chapitre 3, par. 3.16.
111 MGE, p. 146, par. 8.41.
112 Ibid., p. 150, par. 8.50. Voir aussi CR 2018/5, p. 29, par. 17 (M. Kamto).
113 Voir EPF, p. 70, par. 165.
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une violation de la CVRD soit elle lui est conforme. Il est de notoriété commune que, dans des États n’ayant pas juridiquement formalisé leurs pratiques en la matière – tels que la République populaire de Chine ou le Kenya – l’État d’accueil se réserve la possibilité d’apprécier si le choix par l’État d’envoi des locaux de sa mission est acceptable, en fait comme en droit.
3.22 Dans son Mémoire, la Guinée équatoriale indique que les textes encadrant l’établissement des locaux des missions diplomatiques étrangères visent généralement à ce qu’il ne soit pas « permis […] de s’installer dans une zone ou près de bâtiments sensibles »114. Une telle considération est juste. Il paraît cependant difficilement envisageable de considérer que les Etats n’ayant pas formalisé leur pratique en la matière aient renoncé à pouvoir refuser l’établissement de missions diplomatiques d’Etats étrangers à proximité de zones sensibles ou stratégiques pour la défense de leurs intérêts nationaux, tout comme on ne saurait considérer qu’ils aient renoncé à ce même droit lorsque le choix de l’Etat accréditant vise à faire obstacle à des procédures judiciaires en cours. L’Etat accréditaire conserve ainsi la possibilité d’apprécier si le choix par l’Etat accréditant des locaux de sa mission diplomatique est acceptable au regard de considérations qui peuvent être qualifiées d’ordre public.
3.23 Enfin, si elle s’efforce de minimiser l’importance de ces pratiques et du rôle du consentement de l’Etat accréditaire, la Guinée équatoriale n’avance pour autant aucun exemple d’Etat ayant pour pratique d’admettre que les Etats étrangers puissent installer librement leurs missions diplomatiques dans des locaux de leur choix, sans aucun droit de regard. La Guinée équatoriale elle-même n’a pas indiqué s’il était possible pour les Etats étrangers d’installer leurs missions diplomatiques dans n’importe quels locaux se situant à Malabo, sans qu’il soit besoin de notifier aux autorités équato-guinéennes une telle décision, si ce n’est « [p]ar courtoisie » et sans qu’il soit possible aux autorités équato-guinéennes d’objecter au choix de ces locaux115.
114 MGE, par. 8.42.
115 MGE, p. 143, par. 8.35. Dans sa note verbale du 4 octobre 2011, l’ambassade de Guinée équatoriale explique, à rebours de la position qu’elle défend de pourtant au ministère des affaires étrangères que, « [d]ans la mesure où il s’agit de locaux de la Mission Diplomatique, conformément à l’article 1er de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les immeubles diplomatiques, la République de Guinée Equatoriale souhaite vous informer officiellement afin que l’Etat français, conformément à l’article 22 de ladite Convention, assure la protection de ces locaux » (Note verbale n°365/11 préc. (italiques ajoutés)).
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B. L’octroi du statut diplomatique à un immeuble – et le régime de l’inviolabilité qui en découle – est tributaire de l’affectation réelle de celui-ci
3.24 Il ne saurait suffire par ailleurs qu’un Etat acquiert ou loue un immeuble afin d’y installer sa mission diplomatique pour que cet immeuble puisse être considéré comme faisant partie des locaux de la mission et bénéficie comme tel de l’inviolabilité. Sa mission diplomatique doit y être effectivement installée (1). Cette condition d’effectivité est elle aussi confortée par la pratique des Etats (2).
1. Un bâtiment ne constitue un local diplomatique que s’il est utilisé de manière effective aux fins de la mission
3.25 La définition donnée des locaux diplomatiques à l’article 1er, alinéa i), de la CVRD indique simplement qu’ils doivent s’entendre « des bâtiments ou des parties de bâtiments et du terrain attenant qui, quel qu’en soit le propriétaire, sont utilisés aux fins de la mission ».
3.26 Comme il a été antérieurement rappelé116, la définition de l’article 1er, alinéa i), n’était pas incluse dans le projet d’articles relatifs aux relations et immunités diplomatiques adopté par la Commission du droit international en 1958117, lequel comportait simplement une indication, dans le commentaire du projet d’article 20 (« Inviolabilité des locaux de la mission »), aux termes de laquelle « [l]es locaux de la mission comprennent les immeubles ou les parties d’immeubles utilisés pour les besoins de la mission, qu’ils soient la propriété de l’État accréditant ou d’un tiers agissant pour son compte ou qu’ils soient loués »118. Lors des débats tenus au sein de la C.D.I sur ce projet, la question « du point de départ exact de l’inviolabilité des locaux »119 fut brièvement abordée et donna lieu à des prises de position distinctes : Roberto Ago déclara « croi[re] savoir que l’Etat accréditant a coutume de notifier à l’Etat accréditaire que certains locaux seront désormais destinés à être le siège de sa mission. L’inviolabilité peut donc commencer à la date où cette notification parvient à l’Etat
116 Voir EPF, pp. 67-68, pars. 161-162.
117 Le texte de ce projet d’articles est reproduit in Annuaire de la Commission du droit international, 1958, vol. II, A/CN.4/SER.A/1958/Add.l, pp. 92 et s., par. 53.
118 Ibid., p. 98 (commentaire de l’article 20, par. 2 (italiques ajoutés)).
119 Annuaire de la Commission du droit international, 1957, vol. I, Comptes-rendus analytiques de la 9ème session, 394ème séance, 9 mai 1957, p. 56, par. 17 (M. Bartos).
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accréditaire »120 ; Sir Gerald Fitzmaurice et Jean Spiropoulos indiquèrent quant à eux, dans des termes similaires, que « les locaux jouissent de l’inviolabilité à dater du moment où ils sont mis à la disposition de la mission »121 ; Alfred Verdross fit pour sa part valoir que « [l]’inviolabilité et les immunités attachées aux locaux de la mission ne commencent qu’à partir du moment où ces locaux sont effectivement utilisés par la mission »122.
3.27 La Commission s’abstint en définitive de traiter expressément de ce point123, lequel fut incorporé, lors de la Conférence de Vienne, sous la forme d’une « somewhat shortened version of th[e] descriptive Commentary [to draft article 20] »124, ajoutée aux définitions de l’article 1er de la Convention.
3.28 De manière significative, la Commission du droit international a préféré ne pas reproduire dans son projet d’articles l’approche ayant prévalu lors de la préparation de la « Draft Convention of the Harvard Law School on Diplomatic Privileges and Immunities »125 de 1932, laquelle s’en tenait à l’obligation de l’État accréditant de notifier à l’État accréditaire l’occupation ou l’usage des locaux considérés126. Le texte de l’article 1er, alinéa i), retient pour sa part comme critère distinctif des locaux de la mission le fait que ceux-ci soient « utilisés aux fins de la mission ». Dire qu’il s’agit des bâtiments « utilisés » équivaut à admettre que l’État accréditant doit les « [r]endre utile[s], faire servir à une fin précise »127. En d’autres termes, il ne suffit pas que les bâtiments aient été choisis et désignés par l’État
120 Ibid., p. 57, par. 25.
121 Ibid., p. 56, pars. 19 (Sir G. Fitzmaurice) et 24 (J. Spiropoulos).
122 Ibid., p. 55, par. 5.
123 « La question du point de départ exact de l’inviolabilité des locaux est très épineuse et, faute de règles établies, la Commission serait mieux avisée de ne pas la soulever » (ibid., p. 56, par. 17 (M Bartos)).
124 E. Denza, Diplomatic Law. Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, Oxford University Press, Oxford, 4ème éd., 2016, p. 16. Le commentaire du projet d’article 20, relatif à l’« inviolabilité des locaux de la mission », indique que « [l]es locaux de la mission comprennent les immeubles ou les parties d’immeubles utilisés pour les besoins de la mission, qu’ils soient la propriété de l’État accréditant ou d’un tiers agissant pour son compte ou qu’ils soient loués. Les locaux comprennent, s’il s’agit d’un immeuble, le terrain qui l’entoure et les autres dépendances, y inclus le jardin et le parc à voitures » (Annuaire de la Commission du droit international, 1958, vol. II, A/CN.4/SER.A/1958/Add.l, p. 98 (commentaire de l’art. 20, par. 2)).
125 Texte in AJIL Supp., vol. 26, 1932, p. 15.
126 Selon l’art. 3 § 1 de ce projet, « [a] receiving State shall prevent its agents or the agents of any of its political subdivisions from entering the premises occupied or used by a mission, or occupied by a member of a mission, without the consent of the chief of the mission, provided that notification of such occupation or use has been previously given to the receiving State » (ibid., p. 52). Voir Ph. Cahier, Le droit diplomatique contemporain, Librairie Droz, Genève, 2ème éd., 1964, p. 198 (« [l]a Commission n’a pas cru devoir donner suite à cette proposition ») ; E. Denza, Diplomatic Law. Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, Oxford University Press, Oxford, 4ème éd., 2016, p. 145.
127 Le nouveau petit Robert. Dictionnaire de la langue française, Dictionnaires Le Robert, Paris, 1994, p. 2348.
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accréditant – et acceptés par l’Etat accréditaire, il est nécessaire qu’ils soient effectivement assignés aux buts et fonctions de la mission.
3.29 Cette interprétation ordinaire des termes du traité est d’ailleurs étayée par l’analyse que la doctrine a pu faire de celui-ci et du problème sous-jacent. Philippe Cahier indique par exemple :
« Nous pensons que [la] notification ne saurait suffire, comme du reste ne saurait suffire l’achat d’un immeuble avec l’intention d’en faire le siège d’une mission diplomatique. Ce qui est nécessaire, c’est que l’immeuble soit effectivement affecté à ce but. À ce point de vue, des travaux d’aménagement de l’immeuble peuvent déjà suffire à fonder l’inviolabilité du siège ; toutefois si, les travaux terminés, on n’assistait pas au bout d’un certain temps à l’installation des fonctionnaires, à une activité diplomatique, alors on pourrait estimer que l’inviolabilité prendrait fin. Ainsi l’acte unilatéral de l’Etat accréditaire [sic] manifesté par la notification ne suffit que s’il est concrétisé par des faits. C’est vraiment à partir de ce moment-là que l’inviolabilité s’appliquera à ces immeubles »128.
3.30 Pour que des bâtiments puissent être valablement considérés comme des « locaux de la mission », il faut ainsi qu’ils soient effectivement destinés et assignés aux fonctions assumées par celle-ci, telles qu’elles sont décrites à l’article 3, paragraphe 1er, de la CVRD :
« a) Représenter l’État accréditant auprès de l’État accréditaire ;
b) Protéger dans l’État accréditaire les intérêts de l’État accréditant et de ses ressortissants, dans les limites admises par le droit international ;
c) Négocier avec le gouvernement de l’État accréditaire ;
d) S’informer par tous les moyens licites des conditions et de l’évolution des événements dans l’État accréditaire et faire rapport à ce sujet au gouvernement de l’État accréditant ;
e) Promouvoir des relations amicales et développer les relations économiques, culturelles et scientifiques entre l’État accréditant et l’État accréditaire ».
128 Ph. Cahier, Le droit diplomatique contemporain, Librairie Droz, Genève, 2ème éd., 1964, p. 198 (italiques ajoutés (la mention de l’État « accréditaire » doit être comprise comme une référence à l’État accréditant)). Dans le même sens, voir aussi, par ex. A. Aust, Handbook of International Law, New York, Cambridge University Press, 2nd ed., 2010, pp. 118-119 (« [t]heir mere acquisition will, in itself, not make them ‘premises of the mission’. But once the premises are ready to be occupied, they probably then become premises of the mission and will continue so even if later they have to be vacated for refurbishment. They will cease to have their special status once they cease to be used for the purposes of the mission, which is essentially a question of fact, and which in practice is often a matter of negotiation with the receiving State. The receiving State can always agree to treat the site on which new buildings for the mission are being constructed as premises of the mission [Russia-UK Agreements of 1996, 1997 UNTS 142 (No. 33636); UKTS (1997) 1 and 2] »).
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3.31 À l’évidence, de telles fonctions ne pourraient être pratiquement remplies si l’État accréditant ne disposait pas dans l’État accréditaire de bâtiments spécifiquement et effectivement réservés à cette fin. Ce critère de l’affectation réelle reflète l’objet et le but – mais également l’esprit – de la Convention de Vienne. Il est en outre corroboré par la pratique des Etats.
2. La pratique des Etats consacre le critère de l’effectivité
3.32 L’examen de la pratique des Etats confirme que l’applicabilité du régime d’inviolabilité énoncé à l’article 22 de la CVRD est étroitement tributaire de l’affectation réelle des biens immobiliers considérés permettant de les considérer comme locaux de la mission diplomatique.
3.33 Il s’agit en particulier de la pratique de la France. Celle-ci a été rappelée à la Guinée équatoriale lorsque les autorités équato-guinéennes ont entendu faire valoir que « la seule désignation de locaux par toute mission diplomatique suffit à faire bénéficier ces locaux [de la] protection, prévue à l’article 22 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 ». Le service du protocole du ministère des Affaires étrangères et européennes lui a en effet signifié que,
« conformément à une pratique constante de la France, une Ambassade qui envisage d’acquérir des locaux pour sa mission en informe au préalable le Protocole et s’engage à affecter lesdits locaux aux fins de l’accomplissement de ses missions ou pour la résidence du chef de mission. La reconnaissance officielle de la qualité de « locaux de la mission », au sens de l’article 1er, alinéa i), de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961, s’apprécie à la date de réalisation de l’affectation desdits locaux aux services de la mission diplomatique, soit au moment de l’installation effective. Le critère de l’affectation réelle doit donc être rempli. Ce n’est qu’à compter de cette date, notifiée par note verbale, que les locaux bénéficient des protections idoines prévues notamment par l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 » 129.
129 Ministère des Affaires étrangères et européennes, Note verbale n°1341 PRO/PID, 28 mars 2012 [ANNEXE 18 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires]. Dans sa réponse aux demandes des juges d’instruction désignés dans l’affaire des « biens mal acquis », le Protocole précise que, « [p]our mémoire, un immeuble relevant du statut diplomatique, doit être déclaré comme tel au Protocole avec une date d’entrée précise dans les locaux. Une fois les vérifications effectuées sur la réalité de l’affectation de l’immeuble, le Protocole en reconnaît le caractère officiel auprès de l’administration française conformément aux dispositions pertinentes de la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques. […] L’immeuble du 42 avenue Foch n’a jamais été reconnu par le Protocole comme relevant de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale » (note n°5009/PRO/PID, 11 octobre 2011 [ANNEXE 35 MGE].
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3.34 Cette pratique de la France s’applique notamment s’agissant des exemptions fiscales accordées aux immeubles bénéficiant du statut diplomatique. La Guinée équatoriale ne pouvait l’ignorer, puisque, lorsqu’elle a sollicité en 2005 l’exonération des droits d’enregistrement et des taxes de publicité foncière concernant l’acquisition d’un immeuble situé avenue de Verzy à Paris, destiné à abriter la résidence de son ambassadeur, le service du Protocole du ministère français des affaires étrangères lui a indiqué que :
« cet avantage pourrait faire l’objet d’une remise en cause si l’affectation de l’immeuble était modifiée »130.
3.35 Cette pratique française est confirmée par la jurisprudence. Dans une décision de 1929, le Tribunal civil de la Seine avait déjà fait valoir que « ce n’est point l’acquisition d’un immeuble par un Etat étranger qui crée, ipso facto, au profit de cet immeuble le bénéfice de l’exterritorialité, mais seulement - lorsqu’elle a été réalisée – l’affectation dudit immeuble aux services de l’ambassade de cet Etat »131.
3.36 Dans une décision de 2005 concernant des biens immobiliers de la République démocratique du Congo, la chambre civile de la Cour de Cassation française a également jugé « qu’ayant constaté que les biens en cause n’étaient pas affectés aux services de l’Ambassade ou de ses annexes et n’étaient pas la résidence de l’ambassadeur, […] la cour d’appel a, à bon droit, décidé que la République démocratique du Congo ne pouvait pas opposer son immunité d’exécution »132.
3.37 La pratique d’autres Etats concorde avec celle de la France. Les exemples suivants peuvent en être donnés :
130 Note verbale n° 3190 du ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 6 juillet 2005 [ANNEXE 9].
131 Tribunal civil de la Seine, 30 octobre 1929, Suède c. Petrococchino, JDI, vol. 59, 1932, p. 946 (italiques ajoutés). Le jugement précise immédiatement : « s’il n’est pas contesté que le pavillon litigieux dépend d’une propriété dans certains bâtiments de laquelle est installée la légation de Suède, il résulte des débats que Petrocochino en occupe la totalité et qu’à aucun moment de la location, ledit pavillon n’a, même pour partie, été affecté aux services de cette légation » (ibidem (italiques ajoutés)).
132 Cour de cassation, 1ère chambre civile, 25 janvier 2005, République Démocratique du Congo c/ Syndicat des propriétaires de l’immeuble résidence Antony Châtenay, n° 03-18176, D., 2005, p. 616 ; RCDIP, 2006, p. 123 Note H. Muir Watt.
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 La Cour suprême des restitutions de Berlin, mise en place par les Alliés à la fin de la seconde guerre mondiale pour statuer sur les demandes de restitutions de propriétés illégalement confisquées entre 1933 et 1945, a rendu plusieurs décisions relatives au statut et au régime d’immeubles utilisés par des États étrangers pendant la guerre et n’ayant plus fait l’objet d’utilisation à des fins diplomatiques depuis lors. La Cour écarte à chaque fois les demandes de reconnaissance de l’inviolabilité au bénéfice des immeubles concernés, en faisant notamment valoir « that no diplomatic activity whatever, in the sense of the conduct of diplomatic relations between a sending sovereign and a receiving sovereign, exists in West Berlin. When, therefore, the use and the function of the premises has ceased-and ceased for a reason not truly and merely temporary-then their immunity must be considered as likewise having come to an end »133. Reprenant le même raisonnement, la Cour précise, dans une autre décision, que « [t]he rationale of functional necessity makes it clear that the immunity of diplomatic premises exists because of their possession, coupled with their actual use, for diplomatic purposes. Absent the elements of possession and of actual use, a mere intention to use such premises for diplomatic purposes in the future, prior to their actual use, is of no legal significance upon the question of the resurrection of the privilege of immunity »134.
 En Allemagne, la Cour suprême fédérale a jugé en 1969, à propos d’un immeuble ayant abrité les locaux de la mission diplomatique hongroise avant la seconde guerre mondiale et détruit en 1945 : « [t]he immunity of embassy property from execution extended only so far as performance of the duties of the diplomatic
133 SRCB, 10 juillet 1959, Tietz v. Bulgarie, (ORG/A/1266), AJIL, vol. 54, 1960, pp. 165-178, p. 177. Dans cette même affaire, la Cour expose dans le détail la ratio legis des privilèges et immunités bénéficant aux locaux diplomatiques : « [i]t is only because of these important public (yet personal) human necessities which affect the conduct of diplomacy and of international relations that the buildings and the precincts of an embassy enjoy their traditional nexus of special privileges and immunities. These privileges and immunities of the buildings and the real property on which the buildings stand are in reality no more than an inanimate reflection of the necessary public privileges and immunities of the persons who embody the mission, and who constitute the embassy staff, and these privileges and immunities were created and exist and are designed to be applicable in order to ensure to the mission the peace of mind and the tranquillity, together with the sense of security and confidence, which are so indispensable in permitting the persons who are members of an embassy or legation staff to perform their great public duties to the best of their personal capacities, without being interfered with or impeded in any way whatever, no matter how slight, by local disturbances or difficulties or by the possibility of the existence of local disturbances or difficulties » (ibid., p. 173).
134 SRCB, 10 juillet 1959, Cassirer v. Japon, (ORG/A/1896), AJIL, vol. 54, 1960, pp. 178-188, p. 187. Sur ces décisions, voir not. Ph. Cahier, Le droit diplomatique contemporain, Librairie Droz, Genève, 2ème éd., 1964, p. 199.
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mission required. The test was whether satisfaction of a claim by execution would interfere with the functioning of the mission. Where immoveable property used for the purposes of the mission ceased to be so used, its immunity from execution automatically ended »135. Plus récemment, la même juridiction a considéré qu’un immeuble présenté par le Kenya comme faisant partie de ses locaux diplomatiques bénéficiait de l’inviolabilité et ne pouvait faire l’objet d’une vente forcée, en se fondant sur les éléments de preuve fournis à cet égard par l’État accréditant quant à l’affectation des locaux et corroborés par le ministère allemand des affaires étrangères136.
 Au Canada, la Cour de Justice de l’Ontario a rejeté la demande de la Croatie visant à ce qu’un immeuble (dénommé « Fairview Avenue ») – sur lequel pesait une créance non acquittée – soit considéré comme faisant partie des locaux de sa mission diplomatique et bénéficie du régime de l’article 22 : la Cour a d’abord considéré que « the « premises of the mission » as defined in Article 1(i) of the Vienna Convention on Diplomatic Relations (Vienna Convention) does not include lands and buildings never used in the past or present or in all likelihood ever to be used in the future as the premises of the mission, and therefore such lands and buildings are not subject to the special protection and immunity of Article 22 of that convention »137 ; après avoir examiné les éléments de preuve avancés par le débiteur, elle a écarté l’argument selon lequel « Fairview Avenue is the premises of
135 Federal Supreme Court, 1969, Hungarian Embassy Case, Case No. V ZR 122/65, ILR, vol. 65, p. 111. La Cour poursuit en indiquant que « the purchase of the property […] has occurred at the level of private law so that no immunity existed in respect of this act. Nor was this affected by the fact that the property was intended to serve and did serve to accommodate the Hungarian Embassy. As long as an embassy of a foreign State was erected on the land purchased, the land did indeed remain extraterritorial. This principle, however, did not apply on an unrestricted basis […]. The immunity of embassy land extended only so far as the performance of the duties of the diplomatic mission required. […] Furthermore, the defendant could not rely upon extraterritoriality in respect of the land because, since its destruction, it had no longer been using the land for embassy purposes » (ibid., p. 112).
136 Voir Federal Supreme Court, 28 mai 2003, Kenyan Diplomatic Residence Case, Case No IXa ZB 19/03, ILR, vol. 128, pp. 632-639 (« t]he debtor [Kenya] has sufficiently established its submissions, in view of the fact that its embassy declared, in a note verbale of 17 August 2001 to the Ministry of Foreign Affairs, that the premises were being used for diplomatic purposes at the time of the order and continue to be used as the diplomatic residence of the embassy and in order to accommodate staff of the diplomatic mission during their stay in Bonn. Moreover, as the Ministry has informed the Court by letter of 7 November 2001, the debtor’s ambassador declared personally at a meeting in the Ministry of Foreign Affairs that the premises continue to be used by him in person and his colleagues for diplomatic purposes on official visits to Bonn and in the case of visits by delegations from Kenya. These statements prove that, even when the creditor’s submissions are taken into account, there is an overwhelmingly probability that the facts asserted by the debtor are true » (ibid., p. 637 – italiques ajoutés)).
137 Ontario Court of Justice (General Division), 15 janvier 1998, Croatia (Republic) v. Ru-Ko Inc., [1998] 37 O.R. (3d) 133, in American Bar Association, Int’l L. News, vol. 27, 1998, p. 16.
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the Croatian mission because the Croatian ambassador intends to reside there. Croatia presented no evidence of that intent other than an aside in a letter dated August 6, 1997, that Fairview Avenue was to be used as the premises of the Croatian mission. The court buttressed its rejection of Croatia's argument by stating that the inviolability and immunity of Article 22 of the Vienna Convention attaches to the premises where the ambassador currently resides, which is not Fairview Avenue. Thus, the court concluded that Fairview Avenue is not the premises of the Croatian mission »138.
 Aux Etats-Unis, une juridiction d’appel a refusé en 1982 de faire droit à la demande d’une municipalité de percevoir la taxe foncière sur un immeuble acquis et utilisé par la République démocratique allemande pour y loger des employés de sa mission diplomatique. Le juge s’appuie pour ce faire sur le U.S. Foreign Missions Act139, le point de vue du Département d’État et l’utilisation effective du bâtiment considéré140.
 Les juridictions britanniques ont été confrontées à des questions de cet ordre à plusieurs reprises et ont clairement privilégié le critère de l’affectation réelle et le point de vue adopté par le Foreign Office quant au caractère diplomatique d’un immeuble donné. La France a antérieurement cité une décision emblématique rendue à cet égard par la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni, dans laquelle le bénéfice du régime de l’article 22 a été refusé à un immeuble londonien possédé par la République fédérale du Nigéria, en l’absence d’un certificat délivré en ce sens par le Secretary of State141. Dans une affaire antérieure, la même juridiction avait refusé de considérer qu’un immeuble possédé par l’Iran et laissé à l’abandon
138 Ibid., pp. 16-17.
139 Voir supra Chapitre 3, par. 3.18.
140 « Neither the Act nor its legislative history specifies what property is or is not "used for purposes of maintaining a diplomatic or consular mission." The views of the Department concerning the scope of this phrase, though not conclusive, are entitled to great weight. The Department is charged with maintaining our missions abroad and with dealing with foreign missions here. It has expertise for determining whether property is used for maintaining a mission. Only if its views are manifestly unreasonable should they be rejected. In this instance we believe the Department's views are reasonable. The property is owned by a foreign state, and presently it is used exclusively by its diplomatic and consular staff and their families. It is not operated for profit as a commercial venture. On the contrary, it serves a public function » (CA, 4th circuit, 1er février 1982, US v. County of Arlington, 669 F. 2d 925, p. 937 (soulignement ajouté)).
141 High Court of Justice [Mr. Justice Males], Avionics Technologies Ltd v. Nigeria, [2016] EWHC 1761 (Comm), 8 juillet 2016 (consultable à l’adresse suivante : http://www.bailii.org/ew/cases/EWHC/Comm/2016/1761.html) ; voir EPF, pp. 63-64, par. 151.
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quelques années auparavant, après l’intervention de forces spéciales britanniques et un incendie, faisait toujours partie des locaux diplomatiques iraniens. Selon le raisonnement tenu par le juge, « [t]he fact that premises have been used in the past cannot be relevant to the state immunity afforded by the Vienna Convention 1961. The evidence is clear that since May 1980 the premises have not been used. The premises are in such a state now that they could not be used without extensive rebuilding. […]. The Foreign and Commonwealth Office, in a letter dated 2 November 1984, expressed to the city council the view that the building no longer constituted the premises of the Iran mission within the meaning of article 1(i). I agree. It seems to me clear beyond argument that the premises have ceased to be used for the purposes of the mission, and in those circumstances the provisions of article 22 have no application to the premises »142.
3.38 Les exemples qui viennent d’être cités, sans viser à l’exhaustivité143, témoignent d’une pratique constante et durablement établie dans la jurisprudence à conditionner la reconnaissance de l’inviolabilité diplomatique à l’affectation réelle du bâtiment considéré, en accordant sur ce point une attention particulière à l’appréciation portée par l’État accréditaire. En 1960, un auteur pouvait ainsi indiquer, à propos de la pratique :
« La protection que l’Etat accréditaire est obligé d’assurer aux locaux de la mission diplomatique est fondamentalement liée, d’après le droit international commun, au fait que ces locaux servent de siège à la mission de l’Etat accréditant. Ce fait, par conséquent, conditionne aussi la durée de la protection. L’Etat accréditant n’a droit à ladite protection que du moment et jusqu’au moment où les locaux dont il est propriétaire ou qu’il occupe, sont utilisés pour les besoins de la mission diplomatique, sont affectés au service diplomatique »144.
142 High Court of Justice, Chancery Division, 21 janvier 1986, Westminster City Council v. Iran, [1986] 1 W.L.R. 979 (1986), pp. 984-985.
143 J. Salmon note par ex. que, « s’agissant par exemple d’un immeuble ou d’un terrain acheté par un Etat pour y établir une ambassade (ou un consulat), mais non encore affecté à celle-ci (ou à celui-ci), l’immunité de juridiction de l’Etat à propos de cette acquisition n’est pas reconnue par les juridictions : - Tribunal civil de Rome, Perucchetti c. Puig y Cassauro, 6 juin 1928, Foro Italiano, p. 857 ; ADILC (1927-28) case n° 247, p. 366. – Tribunal civil de la Seine, Etat de Suède c. Petrococchino, 30 octobre 1929 […], Clunet, 1932, p. 945, ADILC, (1929-1930), case n° 198. » (p. 191). « - Tribunal civil mixte du Caire, Ministre de la Yougoslavie en Egypte c. W.R. Fanner, 29 avril 1947, Clunet, 1949, p. 113 ; - Cour de district de Tokyo, Limbin Hteik Tin Lat v. Union of Burma, 9 juin 1954, ILR, vol. 32, p. 124. – West Berlin, Kammergericht, 25 février 1955, Mrs J.W.V. Republic of Latvia, AJIL, 1955, p. 574. – Tribunal de première instance de Bruxelles, 3 mars 1989, Boubaker c. Royaume de l’Arabie Saoudite, (inédit) » (Manuel de droit diplomatique, Bruylant, Bruxelles, 1994, p. 192). Voir également l’arrêt rendu par la Cour européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire Manoilescu et Dobrescu c. Roumanie et Russie (CEDH, 3 mars 2005, n° 60861/00, par. 77).
144 M. Giuliano, « Les relations et immunités diplomatiques », RCADI, vol. 100, 1960, pp. 189-190. Voir également H. P. Romberg, « The Immunity of Embassy Premises », Brit. Y. B. Int’l L., vol. 35, 1959, p. 235
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3.39 Pour étayer son argumentaire au regard de l’article 22, paragraphes 1 et 3, la Guinée équatoriale prétend, d’abord, qu’« [u]n immeuble tout juste acquis par l’État accréditant, lorsque celui-ci le destine, comme en l’espèce, à servir de locaux de sa mission diplomatique, bénéficie de l’inviolabilité au même titre qu’un immeuble effectivement occupé à cette fin »145 ; elle précise ensuite de façon plus nuancée, en évoquant très brièvement la « pratique d’autres États »146 :
« [s]i, de manière générale, cette pratique veut que l’acquisition de l’immeuble seule ne suffise pas à lui reconnaître l’inviolabilité au titre de l’article 22 de la CVRD, elle n’exige cependant pas une utilisation effective et totale de l’immeuble comme locaux de la mission diplomatique pour que l’obligation prévue à cet article naisse. Tantôt la jurisprudence a parlé d’appropriation complète aux fins de locaux de l’ambassade, tantôt d’utilisation, le plus souvent lorsque l’utilisation était déjà effective avant que le différend quant à l’immunité soit porté devant les tribunaux »147.
3.40 En fait de « pratique », la Guinée équatoriale se borne à citer une décision rendue en 2001 par la Cour d’appel de Bruxelles ou encore les conditions de la construction de l’ambassade américaine en Chine. Mais, dans le premier cas, l’extrait de la décision reproduit dans le mémoire lui-même montre que la Cour d’appel s’est fondée en réalité sur les positions convergentes exprimées par l’État accréditant et l’État accréditaire148 et, dans le second, c’est dans le cadre d’un accord conclu par les États-Unis et la Chine qu’il fut prévu que l’immeuble considéré jouirait du régime d’inviolabilité dès sa prise de possession149.
3.41 Loin de la fragiliser, ces deux épisodes confortent donc la position constante de la France. C’est bien l’affectation réelle d’un immeuble qui détermine son statut diplomatique et, partant, le régime d’inviolabilité y associé ; l’État accréditant ne peut pas plus sur ce point imposer ses vues à l’État accréditaire et la possibilité d’accorder le bénéfice de l’inviolabilité
(« [t]he general immunity of embassy buildings has been the subject of many decisions of national and international courts. Some of these decisions deal with the inception of the immunity and state that the purchase of real property does not ipso facto invest the property with the privileges of extraterritoriality but that it is necessary for the property to be completely appropriated to the services of the embassy »).
145 MGE, p. 134, par. 8.15.
146 Ibid., pp. 134-136, pars. 8.15-8.16.
147 Ibid., p. 135, par. 8.16.
148 Voir Cour d’appel de Bruxelles, République démocratique du Congo c. Segrim NV, arrêt de la 8e chambre, 11 septembre 2001, par. 20 cité in MGE, p. 134, par. 8.15 (« it is clear from recent announcements made by the Ambassador of the sending State and by the Belgian Ministry of Foreign Affairs that the designated use of the building has remained unchanged »).
149 Voir E. Denza, Diplomatic Law. Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, Oxford University Press, Oxford, 4ème éd., 2016, p. 146.
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en amont de l’affectation réelle (ou lorsque celle-ci a cessé) reste subordonnée à l’accord exprès de ce dernier.
3.42 La pratique des Etats selon laquelle un local ne peut bénéficier du statut diplomatique que si l’Etat accréditaire ne s’y oppose pas, et si ledit local est utilisé de manière effective aux fins d’une mission diplomatique n’a fait que s’affirmer dans la période récente150. Elle n’implique aucune altération du régime d’inviolabilité prévu par l’article 22 de la Convention de Vienne mais, à l’inverse, permet de préserver l’intégrité de ce régime, spécifiquement réservé aux locaux effectivement utilisés aux fins des missions diplomatiques. C’est à la lumière de ce constat qu’il convient d’apprécier la licéité du comportement de la France en l’espèce.
150 Voir par ex. J. D’Aspremont, « Premises of Diplomatic Missions », in R. Wolfrum (dir.), The Max Planck Encyclopedia of Public International Law, vol. VIII, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 414 (« [i]t is clear that the requirement of prior notification is being eroded to give way to satisfaction of functional, or close thereto, usage of diplomatic premises in order to trigger inviolability »).
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II. L’IMMEUBLE DU 42, AVENUE FOCH N’A JAMAIS ACQUIS LE STATUT DE LOCAL DIPLOMATIQUE ET NE BENEFICIE DONC PAS DE L’INVIOLABILITE EN VERTU DE LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS DIPLOMATIQUES
3.43 Dans la présente affaire, le seul examen des faits de l’espèce suffit à démontrer que les locaux du 42, avenue Foch n’ont jamais acquis le statut diplomatique et que la France ne peut donc avoir violé ses obligations au titre de l’article 22 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. la France a en effet toujours refusé d’octroyer à l’immeuble sis 42, avenue Foch le statut de local diplomatique (A) et ce dernier n’était en tout état de cause pas affecté aux fins de la mission équato-guinéenne à Paris lorsqu’il a fait l’objet de mesures de perquisition et de saisie (B).
A. La France a expressément exprimé son désaccord à l’octroi du statut diplomatique à l’immeuble du 42, avenue Foch
3.44 La pratique française en matière d’octroi du statut diplomatique aux immeubles que l’Etat accréditant souhaite affecter à sa mission diplomatique s’inscrit pleinement dans le cadre des pratiques nationales ci-avant décrites. En effet, comme le suggère la pratique française, et telle qu’elle a été rappelée à la Guinée équatoriale151, la notification officielle et préalable par l’État accréditant de son intention d’affecter des locaux aux services de sa mission suffit généralement au ministère pour leur reconnaître le bénéfice du régime de la
151 Ministère des Affaires étrangères et européennes, Note verbale n°1341 PRO/PID, 28 mars 2012 [ANNEXE 18 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires] par laquelle le service du protocole du ministère des Affaires étrangères et européennes rappelle que « conformément à une pratique constante de la France, une Ambassade qui envisage d’acquérir des locaux pour sa mission en informe au préalable le Protocole et s’engage à affecter lesdits locaux aux fins de l’accomplissement de ses missions ou pour la résidence du chef de mission. La reconnaissance officielle de la qualité de « locaux de la mission », au sens de l’article 1er, alinéa i), de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961, s’apprécie à la date de réalisation de l’affectation desdits locaux aux services de la mission diplomatique, soit au moment de l’installation effective. Le critère de l’affectation réelle doit donc être rempli. Ce n’est qu’à compter de cette date, notifiée par note verbale, que les locaux bénéficient des protections idoines prévues notamment par l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 ». Dans sa réponse aux demandes des juges d’instruction désignés dans l’affaire des « biens mal acquis », le Protocole précise que, « [p]our mémoire, un immeuble relevant du statut diplomatique, doit être déclaré comme tel au Protocole avec une date d’entrée précise dans les locaux. Une fois les vérifications effectuées sur la réalité de l’affectation de l’immeuble, le Protocole en reconnaît le caractère officiel auprès de l’administration française conformément aux dispositions pertinentes de la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques. […] L’immeuble du 42 avenue Foch n’a jamais été reconnu par le Protocole comme relevant de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale » (note n°5009/PRO/PID, 11 octobre 2011 [ANNEXE 35 MGE].
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Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Dans ces cas de figure très ordinaires, l’absence d’opposition expresse des autorités compétentes en France vaut en effet reconnaissance du caractère diplomatique de l’immeuble désigné. Comme l’a relevé la professeure Eileen Denza,
« In States where no specific domestic legal framework controls the acquisition or disposal of mission premises, the definition of Article 1 (i) falls to be applied by agreement between sending and receiving State. Generally speaking, a receiving State is likely to be notified of mission premises for the purpose of ensuring that it carries out its duties under Article 22 to protect those premises and ensure their inviolability. Challenge to such notification will usually take place only where there are grounds to suspect that the premises are not being used for purposes of the mission. Article 3, which describes the functions of the mission, may be relevant in this context »152.
3.45 Contrairement à ce que la Guinée équatoriale soutient, cette notification officielle et préalable ne peut être considérée comme une simple mesure de « courtoisie »153. Si elle doit permettre à l’Etat accréditaire d’accorder, au moins implicitement, ou de s’opposer expressément au bénéfice du statut diplomatique, elle permet également aux autorités de l’Etat qui accepte d’octroyer ce statut de donner plein effet aux obligations qui lui incombent alors en application de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Ainsi, lorsqu’un Etat acquiert un immeuble afin d’y installer sa mission diplomatique, il est par exemple fondé à demander l’exonération des droits d’enregistrement et des taxes de publicité foncière concernant l’acquisition. La Guinée équatoriale ne peut l’ignorer puisque, si pareille demande n’est jamais parvenue à la France s’agissant de l’immeuble du 42, avenue Foch, elle avait sollicité le bénéfice de telles exemptions au moment de l’acquisition d’un immeuble situé avenue de Verzy à Paris, destiné à abriter la résidence de son ambassadeur154.
3.46 Comme elle l’a déjà rappelé155, la France a expressément refusé, à plusieurs reprises, de reconnaître aux locaux du 42, avenue Foch le bénéfice du statut diplomatique156.
152 E. Denza, Diplomatic Law. Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, Oxford University Press, Oxford, 4ème éd., 2016, p. 17 (soulignement ajouté).
153 MGE, p. 143, par. 8.35.
154 Note verbale de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au ministère des Affaires étrangères de la République française, le 27 décembre 2006 [ANNEXE 2].
155 Voir EPF, par. 29 ; Observations de la République française sur la réponse de la Guinée équatoriale aux questions de M. le Juge Bennouna et de Mme la Juge Donoghue, 31 octobre 2016, p. 8, par. 32.
156 Voir notamment Note verbale n°5007 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la république de Guinée équatoriale, le 11 octobre 2011 [ANNEXE 2 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires] ; Note verbale n°5393 du Ministère des Affaires étrangères de la République française
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Elle l’a refusé dès que la Guinée équatoriale a tenté d’abriter l’immeuble du 42, avenue Foch sous le régime de la Convention de Vienne en indiquant, le 11 octobre 2011, soit seulement 7 jours après la première notification de la prétendue affectation diplomatique de l’immeuble par la Guinée équatoriale, que « l’immeuble précité ne fait pas partie des locaux relevant de la mission diplomatique de la République de Guinée équatoriale. Il relève du domaine privé et, de ce fait, du droit commun »157 ; en rappelant sa pratique constante en la matière ou encore en exposant les raisons pour lesquelles elle ne pouvait reconnaître officiellement l’immeuble du 42, avenue Foch comme siège de la Chancellerie équato-guinéenne à la suite du déménagement évoqué le 27 juillet 2012158.
3.47 La pratique de la France à l’égard d’autres Etats confirme que la Guinée équatoriale n’a pas fait l’objet d’un traitement discriminatoire. Elle se fonde sur le droit de l’Etat accréditaire d’accepter ou de refuser l’octroi du statut diplomatique à des locaux. À titre d’exemple, en mai 2016, un État a demandé au ministère des Affaires étrangères et du Développement international « de confirmer le statut diplomatique »159 d’un immeuble dont il était propriétaire dans le XVIe arrondissement de Paris. Le service du protocole lui a, en réponse, rappelé que les locaux considérés, qui abritaient auparavant le Consulat général de cet Etat, étaient désaffectés depuis le 1er août 2014 et « rel[evaient] depuis cette date du droit commun »160. De même, en réponse à la demande d’une ambassade – qui souhaitait savoir quels étaient les bâtiments, parmi ceux dont elle était propriétaire à Paris, bénéficiant
adressée à l’ambassade de la république de Guinée équatoriale, le 31 octobre 2011 [ANNEXE 4 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires] ; Note verbale n°802 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la république de Guinée équatoriale, le 20 février 2012 [ANNEXE 12 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires] ; Note verbale n°1341 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la république de Guinée équatoriale, le 28 mars 2012 [ANNEXE 18 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires] ; Note verbale n° 158/865 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 2 mars 2017 [ANNEXE 2].
157 Note verbale n°5007 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 11 octobre 2011 [ANNEXE 2 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
158 Note verbale n°3503 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la république de Guinée équatoriale, le 6 août 2012 [ANNEXE 49 MGE].
159 Note verbale de l’ambassade de [X] adressée au ministère des Affaires étrangères de la République française, le 6 mai 2016. [ANNEXE 10].
160 Note verbale n°2016-468932 du ministère des Affaires étrangères et du développement international de la République française à l’ambassade de [X], le 24 juin 2016. [ANNEXE 11].
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d’immunités diplomatiques et depuis quelle date161 – le service du Protocole a signifié que des bâtiments tels que ceux abritant l’ambassade, ses services et la résidence de l’ambassadeur bénéficiaient des privilèges et immunités diplomatiques « à compter de l’entrée effective dans les locaux »162. En revanche, le ministère a précisé que d’autres résidences « ne rel[evaient] pas des locaux de la mission au sens de l’article 1er, i, de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961. Elles ne bénéficient donc pas des privilèges et immunités »163 au titre de cette Convention.
3.48 Dans la présente espèce, dans laquelle le comportement de l’Etat accréditant présente un caractère exceptionnel, le ministère des Affaires étrangères a eu toute raison de considérer que la Guinée équatoriale, loin de vouloir « assurer l’accomplissement efficace des fonctions » de sa mission – comme le prévoit le préambule de la Convention de Vienne –, entendait plutôt « avantager des individus » en tentant de transformer l’affectation réelle, et privée, de l’immeuble sis au 42, avenue Foch, et cela dans le contexte de procédures pénales en cours portant sur cet immeuble. Dire de celui-ci qu’il était utilisé aux fins de cette mission ne pouvait à cette lumière correspondre à aucune réalité.
3.49 Des développements qui précèdent, il ressort clairement que l’immeuble du 42, avenue Foch n’a pu, en raison du refus de l’Etat accréditaire, valablement acquérir le statut diplomatique prévu par la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Dès lors, l’immeuble ne bénéficiait pas de l’inviolabilité prévue à l’article 22 de la convention de Vienne, que la France n’a donc pas méconnue.
B. La France n’a pas violé ses obligations au titre de l’article 22 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques dès lors que l’immeuble du 42, avenue Foch n’avait aucun statut diplomatique lorsque les mesures de perquisition et de saisie ont été diligentées
3.50 A titre liminaire, il convient de relever que, dans cadre du différend opposant la Guinée équatoriale à la France, seuls les paragraphes 1er et 3 de l’article 22 sont pertinents, le
161 Note verbale de l’ambassade de [X] adressée au ministère des Affaires étrangères de la République française, le 12 janvier 2017. [ANNEXE 12].
162 Note verbale n° 2017-050359 du ministère des Affaires étrangères et du développement international de la République française à l’ambassade de [X], le 20 janvier 2017 [ANNEXE 13].
163 Ibidem.
63
demandeur n’ayant jamais allégué que la France ait pu contrevenir aux obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 2164.
3.51 Comme l’a relevé la Requérante lors des audiences relatives aux exceptions préliminaires, « la date à laquelle l’immeuble sis au 42, avenue Foch a ou n’a pas acquis le statut de locaux de la mission diplomatique de la République de Guinée équatoriale et, en conséquence, l’inviolabilité garantie par l’article 22 de la convention de Vienne, sont bel et bien l’objet du différend pour lequel la Guinée équatoriale prétend que votre Cour est compétente »165. Dans sa Requête, la Guinée équatoriale indique que le différend « découle de certaines procédures pénales en cours en France »166 ; dans ses conclusions relatives à l’immeuble, elle précise qu’elle demande à la Cour « de dire et juger que la République française, en saisissant l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris, propriété de la République de Guinée équatoriale et utilisé aux fins de la mission diplomatique de ce pays en France, agit en violation de ses obligations en vertu du droit international, notamment la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques »167.
3.52 Ainsi que la France a déjà eu l’occasion de le souligner168, le différend entre les deux États est strictement lié à l’engagement des procédures pénales ayant conduit à la saisie de l’immeuble considéré. Si, au cours de cette période, l’immeuble du 42, avenue Foch était réservé à l’usage privé de la personne poursuivie – dont la Guinée équatoriale n’a d’ailleurs jamais prétendu qu’elle avait un statut diplomatique ni, a fortiori, celui de chef de sa mission en France –, alors le régime prévu par la CVRD ne saurait s’y appliquer et la France ne peut pas, par hypothèse, avoir violé la Convention. Les seules « mesures prises par les autorités françaises à l’égard de l’immeuble [pouvant] emporte[r] violation par la France des obligations lui incombant en vertu de l’article 22 »169 ne concernent en réalité que les perquisitions, toutes intervenues entre le 28 septembre 2011 et le 23 février 2012. Il importe
164 Selon la Guinée équatoriale, « [d]ans la présente affaire, les autorités françaises ont à la fois manqué à l’interdiction de ne pas pénétrer dans les locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale sans le consentement de son chef et posé contre l’immeuble des actes de contrainte prohibés par les dispositions de l’article 22, paragraphe 3, de la CVDR » (MGE, p. 132, par. 8.11).
165 CR 2018/5, p. 26, par. 8 (M. Kamto). Dans son Mémoire, la Guinée équatoriale explique également que « [l]’un des aspects fondamentaux du différend est en effet de déterminer si l’immeuble sis au 42, avenue Foch à Paris fait partie des locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France, et à partir de quelle date » (MGE, p. 78, par. 5.46).
166 RGE, p. 1, par. 2 (italiques ajoutés).
167 Ibid., p. 13, par. 41, i) (italiques ajoutés).
168 Voir CR 2018/4, p. 13, par. 9 (A. Pellet).
169 CIJ, arrêt, 6 juin 2018, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, par. 70.
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en effet de rappeler que la saisie pénale immobilière diligentée le 19 juillet 2012 n’a d’effet que sur le droit de propriété de l’immeuble et ne saurait donc emporter méconnaissance de l’inviolabilité dont bénéficierait, selon la Guinée équatoriale, l’immeuble sis 42, avenue Foch. En outre, à supposer même que cet immeuble abrite aujourd’hui le siège de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale à Paris – ce que la France a toujours contesté170 –, le Demandeur n’a jamais fait état dans sa Requête introductive d’instance de mesures ultérieures qui auraient été diligentées en méconnaissance des dispositions de la CVRD.
3.53 La Guinée équatoriale considère par ailleurs que « [l]’immeuble sis au 42 avenue Foch doit être considéré comme locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France à partir du 4 octobre 2011 »171, date à laquelle l’ambassade de Guinée équatoriale en France a indiqué au ministère des Affaires étrangères de la République française qu’elle « dispos[ait] depuis plusieurs années d’un immeuble situé au 42 Avenue FOCH, Paris XVIème qu’elle utilise pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission Diplomatique »172.
3.54 Que ce soit dans ses échanges avec la France ou dans ses présentations devant la Cour, la Guinée équatoriale a sensiblement varié quant à la date à partir de laquelle l’immeuble du 42, avenue Foch devrait être considéré comme un local diplomatique, évoquant successivement les 15 septembre 2011, 4 octobre 2011 ou encore 27 juillet 2012173. Ces atermoiements trahissent d’eux-mêmes les abus du droit diplomatique auxquels la partie demanderesse s’est livrée pour tenter de faire échec à la progression et aux conséquences des poursuites judiciaires intentées à l’égard de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue174. Mais, comme la France l’a rappelé ci-dessus175, le point essentiel est que l’immeuble du 42, avenue Foch n’était affecté à aucune activité diplomatique effective lorsqu’il a fait l’objet de mesures de perquisition entre le 28 septembre 2011 et le 23 février 2012, pas plus qu’il ne l’était lorsque la saisie pénale immobilière a été diligentée le 19 juillet 2012.
170 Voir supra Chapitre 1, pars. 1.19-1.23.
171 MGE, p. 148, par. 8.46.
172 Note verbale n°365/11 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au Ministère des Affaires étrangères de la République française, le 4 octobre 2011 [ANNEXE 1 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
173 Voir supra Chapitre 1.
174 Voir infra Chapitre 4.
175 Voir supra Chapitre 1.
65
3.55 En effet, la simple étude des faits de l’espèce démontre que les locaux du 42, avenue Foch ne faisaient pas partie de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale lorsqu’ils ont fait l’objet des mesures de perquisition et de saisie contestées par celle-ci (1). Ces locaux ne bénéficiaient donc pas de l’inviolabilité prévue la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Par conséquent, la France n’a pas violé ses obligations au titre de l’article 22 de la Convention (2).
1. Les faits de l’espèce démontrent que les locaux du 42, avenue Foch n’étaient pas effectivement affectés aux fins de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale lors des mesures de perquisition et de saisie
3.56 Les circonstances – pour le moins chaotiques et assurément abusives – dans lesquelles la Guinée équatoriale a prétendu que l’immeuble du 42, avenue Foch faisait partie des locaux de sa mission diplomatique à Paris ont déjà été abondamment rappelées176. Il n’apparaît donc pas nécessaire d’y revenir ici, si ce n’est pour souligner que cet immeuble, lorsqu’il a fait l’objet des mesures de perquisitions et de saisie évoquées dans la Requête introductive d’instance, n’était pas effectivement affecté à l’accomplissement des fonctions de la mission équato-guinéenne en France.
3.57 Les éléments de fait les plus pertinents à cet égard ont déjà été exposés dans le chapitre premier du présent contre-mémoire177. Il suffira d’en retenir ici les plus significatifs :
 Au 1er décembre 2010, date de l’ouverture de l’information judiciaire178, il ne fait aucun doute – et la Guinée équatoriale n’a d’ailleurs jamais prétendu le contraire – que l’immeuble du 42, avenue Foch n’abritait pas les locaux de sa mission diplomatique à Paris.
 Les premières perquisitions de l’immeuble, les 28 septembre et 3 octobre 2011, appellent les mêmes conclusions : la Guinée équatoriale n’a jamais allégué que les véhicules alors saisis dans la cour de l’immeuble et ses alentours relevaient du parc
176 Voir CR 2016/15, pp. 9-12, pars. 11-28 ( ?) ; Observations de la République française sur la réponse de la Guinée équatoriale aux questions posées par M. le Juge Bennouna et Mme la Juge Donoghue, pp. 5-8, pars. 17-32 ; EPF, pp. 13-15, par. 27 ; CR 2018/4, pp. 13-15, pars. 11-13 (A. Pellet).
177 Voir supra Chapitre 1, pars. 1.3-1.48.
178 Voir supra, par. 1.6.
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automobile de sa mission179. La lettre de protestation adressée au ministre français des Affaires étrangères par l’Ambassadeur de la Guinée équatoriale le jour de la première perquisition porte l’adresse habituelle de l’ambassade au 29, rue de Courcelles à Paris (VIIIe) et ne mentionne à aucun moment que l’immeuble perquisitionné puisse être protégé par le régime de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques180.
 La Guinée équatoriale soutient que « le critère de « l’affectation réelle » invoqué par la France pour lui refuser la protection demandée était rempli, du fait de sa déclaration du 4 octobre 2011. Il ne saurait être autrement, puisque l’affectation consiste à donner une destination ou une fonction à une personne ou un bien »181. Quand bien même cette définition de la notion d’« affectation » serait acceptée, elle ne changerait rien à l’appréciation du problème dans le cas d’espèce : le demandeur explique lui-même que la mission diplomatique de la Guinée équatoriale a déménagé au 42, avenue Foch, « après quelque temps nécessaire pour la préparation ce déménagement, le juillet [sic] 2012 »182 ; cela équivaut à admettre qu’au 4 octobre 2011, l’immeuble n’était pas réellement et effectivement affecté aux services de l’ambassade.
 La suite de cette séquence chronologique le confirme encore : au moment des perquisitions suivantes, en février 2012, l’immeuble n’était pas effectivement affecté aux besoins de la mission de la Guinée équatoriale : dans une note verbale du 15 février 2012, elle avait sollicité une protection policière pour son ministre délégué aux affaires étrangères et le Secrétaire général de ce ministère, qui « souhait[ai]ent se rendre à la propriété du Gouvernement de la Guinée équatoriale au 42 avenue Foch à Paris »183. Le déplacement ne visait donc pas la mission diplomatique équato-guinéenne et la note verbale comporte d’ailleurs
179 Voir Jugement du Tribunal correctionnel de Paris, 32ème Chambre correctionnelle, 27 septembre 2017, p. 18.
180 Lettre de M. F. Edjo Ovono, ambassadeur de la république de Guinée équatoriale en France, à M. A. Juppé, ministre des Affaires étrangères, 28 septembre 2011 [ANNEXE 32 MGE].
181 Réponses écrites de la Guinée équatoriale aux questions posées par M. le juge Bennouna et Mme la juge Donoghue à l’audience publique tenue le 19 octobre 2016 à 17h, 26 octobre 2016, p. 7, par. 24 (italiques ajoutés).
182 MGE, p. 25, par. 2.30.
183 Note verbale n°185/12 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au Ministère des Affaires étrangères de la République française, le 15 février 2012 [ANNEXE 9 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires] (italiques ajoutés).
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toujours l’adresse du 29, boulevard de Courcelles. La Guinée équatoriale finira par l’admettre devant la Cour en précisant qu’il « s’agissait en réalité de superviser la préparation de l’occupation effective de l’immeuble acquis pour servir de locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale »184.
 À en croire la Guinée équatoriale, ce déménagement serait intervenu le 27 juillet 2012. C’est, du moins, le sens de la note verbale datée du même jour (et portant toujours l’adresse de l’ambassade au 29, boulevard de Courcelles), dans laquelle l’ambassade de Guinée équatoriale informe le service du Protocole que « [l]es services de l’Ambassade sont, à partir du 27 juillet 2012, installés à l’adresse sise 42 Avenue Foch, Paris 16ème, immeuble qu’elle utilise désormais pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission diplomatique en France »185. En tout état de cause, l’immeuble du 42, avenue Foch ne faisait donc pas partie des locaux de cette mission diplomatique lorsqu’il a fait l’objet d’une saisie pénale immobilière le 19 juillet 2012.
3.58 L’ensemble des mesures de perquisition et de saisie contestées par la Guinée équatoriale ont été diligentées avant le 27 juillet 2012, date à partir de laquelle elle prétend que les locaux étaient effectivement affectés à sa mission diplomatique. À aucune de ces dates, cet immeuble ne pouvait donc être objectivement considéré comme relevant des « locaux de la mission » au sens de l’article 1er, alinéa i), de la Convention de Vienne. Partant, il ne pouvait bénéficier du régime d’inviolabilité que prévoit l’article 22 de celle-ci. Pour les raisons qui ont été précédemment exposées186, la France a conservé depuis lors la même position de principe à l’égard de cet immeuble, même si elle se conforme évidemment aux mesures conservatoires décidées par la Cour dans son ordonnance du 7 décembre 2016.
3.59 Dans un « Mémorandum », en date du 16 octobre 2015, transmis aux autorités françaises, la Guinée équatoriale avait annexé une consultation juridique réalisée, à sa demande, par le professeur Yann Kerbrat à propos des « privilèges et immunité dans l’affaire
184 Réponse de la Guinée équatoriale aux questions des juges Bennouna et Donoghue, 26 octobre 2016, p. 9, par. 28.
185 Note verbale n° 501/12 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au Ministère des Affaires étrangères de la République française, 27 juillet 2012 [ANNEXE 47 MGE] (italiques ajoutés).
186 Voir supra, Chapitre 1.
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des biens mal acquis », dont il apparaît utile de rappeler les conclusions. Après avoir cité l’article 22 de la Convention de 1961, le professeur Kerbrat souligne que :
« [l]a protection conférée par cette disposition […] est toutefois subordonnée à l’usage effectif du bien pour les besoins de la mission, l’article 1, paragraphe (i), de la même Convention précisant, en effet, que « l’expression ‘locaux de la mission’ s’entend des bâtiments ou des parties de bâtiments et du terrain attenant qui, quel qu’en soit le propriétaire, sont utilisés aux fins de la mission ». Or, en l’occurrence, il apparaît qu’à l’occasion des actes d’instruction effectués à la fin septembre 2011, soit après la cession de l’immeuble à l’Etat de Guinée Equatoriale, nulle mention n’a été faite de l’usage diplomatique des locaux et du bien visés. Les perquisitions réalisées dans les locaux du 42 avenue [sic] Foch ont, au contraire, montré que l’immeuble était utilisé à des fins purement personnelles et pour les besoins exclusifs de Monsieur Nguema Obiang jusqu’à sa saisie.
Au vu de ces éléments, il n’est guère possible de conclure que l’immeuble du 42 Avenue Foch serait protégé par une immunité diplomatique ; le refus de l’immunité diplomatique opposé par la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 13 juin 2013, confirmé par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans son Arrêt n° 990 du 5 mars 2014 (n° 13-84.977), ne nous paraît pas contestable »187.
3.60 C’est également la conclusion à laquelle sont parvenues les autorités françaises.
2. La France n’a pas violé ses obligations au titre de l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques
3.61 Des développements qui précèdent, il ressort clairement que la France n’a pas violé les obligations lui incombant en vertu de l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques à l’occasion des mesures de perquisition et de saisie pénale ayant concerné l’immeuble du 42, avenue Foch de septembre 2011 à juillet 2012. Ces actes, rendus nécessaires par l’évolution des poursuites judiciaires lancées à l’encontre de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, ont uniquement visé le patrimoine personnel et privé de celui-ci ; lorsqu’ils ont été accomplis, l’immeuble était à « la libre disposition »188 de M. Obiang Mangue, n’était pas effectivement affecté aux besoins de l’ambassade équato-guinéenne en France et ne pouvait pas être considéré comme faisant partie des « locaux de la mission » au
187 Annexe 2 au « Mémorandum déposé dans l’intérêt de la République de Guinée Équatoriale, représentée par Maître Jean-Pierre Mignard et Maître Jean-Charles Tchikaya, à l’attention des services compétents de la République Française dans l’affaire dite des « biens mal acquis », volet Guinée Équatoriale », 16 octobre 2015 [ANNEXE 14] (italiques dans l’original).
188 Jugement du Tribunal correctionnel de Paris, 32ème Chambre correctionnelle, 27 septembre 2017, p. 31.
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sens de l’article 1er, alinéa i), de la Convention de Vienne189. Or, comme le souligne la lettre même de l’article 22 de celle-ci, le régime d’inviolabilité qu’il prévoit ne concerne que les « locaux de la mission » diplomatique. L’ensemble de ces éléments de droit et de fait a déjà été amplement développé dans les écritures de la France ; n’en seront donc repris ci-après que les aspects les plus distinctifs au regard des allégations de violations de l’article 22.
3.62 Il importe d’abord de rappeler que la Guinée équatoriale n’a, que ce soit dans sa requête introductive ou dans son mémoire, jamais précisé la nature exacte des violations que la France aurait commises au regard de l’article 22. À l’exclusion de la saisie pénale – laquelle ne saurait constituer une violation de l’article 22 puisqu’elle est intervenue avant que la Guinée équatoriale informe le ministère français des Affaires étrangères qu’elle entendait utiliser « désormais »190 l’immeuble aux fins de sa mission – aucune précision n’a été fournie quant aux actes qui auraient spécifiquement caractérisé une violation par la France de l’article 22 et, plus particulièrement, quant aux meubles, objets et moyens de transport qui auraient été saisis.
3.63 À cet égard, il convient de relever qu’à s’en tenir aux affirmations de la partie demanderesse elle-même, les actes judiciaires visant le patrimoine de M. Obiang Mangue ne pouvaient constituer des violations de l’article 22. Dans sa réponse à la question de Mme la Juge Donoghue, elle précise ce qui suit :
« La Guinée équatoriale ne prétend […] pas que lors de l’utilisation qui précède le 4 octobre 2011, l’immeuble jouissait du statut de mission diplomatique, en d’autres termes, que l’immeuble était protégé par le principe de l’inviolabilité des locaux de la mission diplomatique conformément à la Convention de Vienne »191.
3.64 La Guinée équatoriale essaie pourtant par ailleurs de soutenir que la France aurait « porté atteinte à l’interdiction que lui fait l’article 22 »192 une première fois lors de « la perquisition du 28 septembre et du 3 octobre 2011 »193 ! À ces dates, la Guinée équatoriale admet elle-même que l’immeuble du 42, avenue Foch ne pouvait bénéficier d’aucune
189 Voir supra pars. 3.55-3.58.
190 Note verbale n° 501/12 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au Ministère des Affaires étrangères de la République française, 27 juillet 2012 [ANNEXE 47 MGE].
191 Réponses écrites de la Guinée équatoriale aux questions posées par M. le juge Bennouna et Mme la juge Donoghue à l’audience publique tenue le 19 octobre 2016 à 17h, 26 octobre 2016, p. 6, par. 22. Voir également MGE, p. 148, par. 8.45.
192 MGE, p. 133, par. 8.12.
193 Ibid., p. 134, par. 8.15.
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immunité ; dès lors, la perquisition qui y a été conduite et la saisie de la flotte automobile appartenant à M. Obiang Mangue – laquelle n’était pas constituée, en tout état de cause, de « moyens de transport de la mission » au sens de l’article 22 – ne peuvent pas être contraires au principe d’inviolabilité qu’énonce cette disposition.
3.65 Il n’en va pas différemment de la seconde perquisition, intervenue du 14 au 23 février 2012. La description du déroulement et du résultat de celle-ci, telle qu’elle figure dans le jugement du Tribunal correctionnel du 27 octobre 2017, ne laisse subsister aucun doute quant au fait que l’utilisation de l’immeuble du 42, avenue Foch ne correspondait en rien au critère classique de l’affectation réelle :
 Les constatations effectuées sur place, corroborées par les témoignages des employés de l’hôtel particulier, montrent que celui-ci était réservé à l’usage privé de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, lequel en avait la libre disposition194 ;
 « aucun document officiel concernant l’Etat de Guinée-Equatoriale ou permettant de penser que cet immeuble pouvait servir comme lieu de représentation officielle n’a été découvert »195 ;
 Les biens saisis à cette occasion appartenaient à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, ce qui n’a pas été contesté196 ;
 Entre la première perquisition et la seconde, « plusieurs objets de valeur et tableaux de maître [ont] été enlevés pour être remisés à la résidence de l’ambassadeur de Guinée équatoriale à Paris »197, selon les déclarations faites aux enquêteurs par l’un des gestionnaires de l’immeuble.
3.66 Des conclusions identiques peuvent être tirées de l’examen de l’ordonnance de saisie pénale immobilière de l’immeuble du 42, avenue Foch le 19 juillet 2012 : ce sont toujours « les effets personnels, meubles et documents de Monsieur Téodoro NGUEMA
194 Voir Jugement du Tribunal correctionnel de Paris, 32ème Chambre correctionnelle, 27 septembre 2017, pp. 31-32.
195 Ibid., p. 31.
196 Ibid., p. 98.
197 Ibid., p. 34.
71
OBIANG MANGUE » qui se trouvent dans les lieux, ce dernier ayant conservé « la libre disposition de l’ensemble immobilier fictivement attribué à des personnes morales »198. Depuis lors, aucune mesure visant l’immeuble, son ameublement ou les biens qui s’y trouvent n’a été prise par les autorités judiciaires françaises.
***
3.67 L’ensemble de ces constatations confirme que la France n’a commis aucune violation de l’article 22, paragraphes 1 et 3, à l’égard de la Guinée équatoriale. Sans doute cette disposition offre-t-elle à l’État accréditant une protection très large contre des actes de contrainte que pourraient y accomplir les États accréditaires. Mais, hormis même le fait que ce régime exorbitant ne peut bénéficier qu’aux locaux de la mission, il n’a jamais été considéré comme étant absolu. Dans sa déclaration jointe à l’arrêt du 6 juin 2018, le Juge Gaja rappelle ainsi que l’article 22, paragraphe 3, de la Convention « does not grant total immunity to the building. It only refers to forcible measures that interfere with the use of the building for the diplomatic mission »199. Cette disposition cardinale ne saurait ainsi avoir pour effet – sauf à aller à l’encontre de l’objet et du but poursuivis par la Convention de Vienne – d’offrir un paravent à des comportements, individuels et privés, pénalement répréhensibles. Elle vise à protéger le libre exercice des fonctions diplomatiques de l’État accréditant dans l’État accréditaire. La France n’y a nullement contrevenu dans la présente affaire.
198 Ordonnance de saisie pénale immobilière, 19 juillet 2012 [ANNEXE 25 MGE, pp. 3-4].
199 Voir aussi, dans le même sens, Ph. Cahier, Le droit diplomatique contemporain, Librairie Droz, Genève, 2ème éd., 1964, pp. 209-210 et W. Koffler, « A Passing Glimpse at Diplomatic Immunity », Ky. L.J., vol. 54, 1965, p. 262.
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CHAPITRE 4 – L’INVOCATION PAR LA GUINEE EQUATORIALE DES DISPOSITIONS DE LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS DIPLOMATIQUES A L’EGARD DE L’IMMEUBLE SIS 42, AVENUE FOCH EST CONSTITUTIVE D’UN ABUS DE DROIT
4.1 Par ses exceptions préliminaires soulevées en la présente affaire, le 30 mars 2017, la France avait demandé à la Cour de décider que la Requête de la Guinée équatoriale était irrecevable en raison, notamment, du caractère abusif de l’invocation par l’État requérant des droits prévus par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques en faveur de l’immeuble sis 42, avenue Foch200. Dans son arrêt rendu le 6 juin 2018, la Cour a considéré qu’
« [e]n ce qui concerne l’abus de droit invoqué par la France, il reviendra à chacune des Parties d’établir les faits ainsi que les moyens de droit qu’elle entend faire prévaloir au stade du fond de l’affaire. La Cour est d’avis que l’abus de droit ne peut être invoqué comme cause d’irrecevabilité alors que l’établissement du droit en question relève du fond de l’affaire. Tout argument relatif à un abus de droit sera examiné au stade du fond de la présente affaire »201.
4.2 La Cour ayant conclu à son incompétence pour connaître de la Requête de la Guinée équatoriale sur le fondement de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée202, c’est uniquement au regard de l’invocation du Protocole de signature facultative à la Convention de Vienne que la question de l’abus de droit doit désormais être examinée.
4.3 En conséquence, la France démontrera dans la présente partie que les allégations de violations de dispositions de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques en ce qui concerne l’immeuble du 42, avenue Foch à Paris constituent une tentative de la Guinée équatoriale d’abuser des droits et privilèges prévus par le droit international (II). De manière liminaire, quelques observations seront formulées concernant la notion d’abus de droit et son application en matière de droit diplomatique (I).
200 EPF, pars. 76-88.
201 CIJ, arrêt, 6 juin 2018, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), par. 151.
202 Ibid., par. 118.
73
I. LE PRINCIPE DE L’INTERDICTION DE L’ABUS DE DROIT ET SON APPLICATION À LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS DIPLOMATIQUES
4.4 Suivant la définition qu’en donne le « Dictionnaire Salmon de droit international public », l’abus de droit constitue l’« [e]xercice par un État d’un droit, d’un pouvoir ou d’une compétence d’une manière ou dans un but qui ne correspondent pas aux finalités de ce droit, de ce pouvoir ou de cette compétence, par exemple dans le but d’échapper à une obligation internationale ou d’obtenir un avantage indu »203.
4.5 L’applicabilité dans l’ordre juridique international de ce « principe juridique général »204 est largement admise. La Cour l’a reconnu dans sa jurisprudence, comme corollaire nécessaire du principe de bonne foi205. Son invitation à en discuter au stade du fond de la présente affaire, au paragraphe 151 de son arrêt du 6 juin 2018, en atteste une nouvelle fois.
4.6 De nombreuses conventions internationales rappellent expressément que les États Parties doivent remplir leurs obligations de bonne foi et ne pas exercer les droits qui leur sont reconnus de manière abusive206. Telle est d’ailleurs l’essence même du droit des traités, dominé par le principe pacta sunt servanda selon lequel « [t]out traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi »207.
203 J. Salmon (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles, 2011, pp. 3-4.
204 ORD, Crevettes, Rapport de l’Organe d’appel (WT/DS58/AB/R), 12 octobre 1998, par. 158.
205 Voir CPJI, arrêt, 25 mai 1926, Certains intérêts allemands en Haute Silésie polonaise, Série A - n° 7, p. 30. Voir aussi, CPJI, arrêt, 7 juin 1932, Zones franches de Haute-Savoie et du Pays de Gex, Série A/B - n° 46, p. 167 ; CIJ, arrêt, 18 décembre 1951, Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), Rec. 1951, p. 142 ; CIJ, arrêt, 19 mai 1953, Ambatielos (Grèce c. Royaume-Uni), Rec. 1953, p. 23 ; CIJ, arrêt, 5 février 1970, Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne) (Nouvelle requête : 1962), Rec. 1970, p. 39, par. 56 ; CIJ, arrêts, 20 décembre 1974, Essais nucléaires (Australie c. France et Nouvelle-Zélande c. France), Rec. 1974, p. 268, par. 46, et p. 473, par. 49 ; CIJ, arrêt, 26 juin 1992, Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), Rec. 1992, p. 255, paras. 37-38 ; CIJ, arrêt, 11 juillet 1996, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), Rec. 1996, p. 622, par. 46.
206 Voir notamment, article 3 de la Convention concernant les droits et devoirs des États du 26 décembre 1933 ; article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, relatif à l’« Interdiction de l’abus de droit»; article 2 de la Convention sur la haute mer du 29 avril 1958; articles 294 et 300 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 sur la « Bonne foi et abus de droit »; article 34 de l’accord aux fins de l’application des dispositions de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s’effectuent tant à l’intérieur qu’au-delà de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs.
207 Article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969. La France n’est pas partie à la Convention, mais considère que, sur ce point, elle reflète l’état du droit international coutumier. Voir CIJ, arrêt,
74
4.7 L’octroi de privilèges et immunités poursuit un but légitime et participe à la garantie de l’indépendance des États étrangers dans le respect du principe de l’égalité souveraine des États et de la souveraineté territoriale de l’État d’accueil. Compte tenu de l’objet même de ces droits, il s’agit cependant d’un domaine susceptible de se prêter à des pratiques abusives. Dans un contexte marqué par un développement du sentiment de défiance à l’égard des privilèges et immunités – pourtant indispensables à l’action extérieure des États, il convient de veiller scrupuleusement à prévenir les tentatives d’abus, pouvant remettre en cause à terme la pérennité de ces droits fondamentaux. C’est avec ce risque à l’esprit que les rédacteurs de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques ont tenu à rappeler, en préambule de ce texte, que « le but desdits privilèges et immunités est non pas d’avantager des individus mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentants des États »208. Un grand nombre d’accords internationaux relatifs aux privilèges et immunités contiennent des dispositions similaires209. Certains textes internationaux prévoient même des dispositions spécifiques pour prévenir les risques d’abus des privilèges et immunités qui peuvent être accordés conventionnellement210.
4.8 Le but des privilèges et immunités n’est pas d’accorder un avantage personnel à leurs bénéficiaires, mais de préserver l’indépendance de l’État et de ses représentants à l’étranger. L’application des règles relatives aux immunités ne doit pas aboutir à soustraire leurs bénéficiaires – qu’il s’agisse de personnes ou de biens – aux voies judiciaires de droit commun à des fins étrangères à celles gouvernant l’octroi de telles protections. Pareille utilisation des dispositions de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques est
27 août 1952, Droits des ressortissants des États-Unis d’Amérique au Maroc (France c. États-Unis d’Amérique), Rec. 1952, p. 212.
208 Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, 18 avril 1961, 4ème alinéa du Préambule.
209 Voir notamment les sections 20 et 21 de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies du 13 février 1946 ; les sections 22 et 23 de la Convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées du 21 novembre 1947 ; l’article 10 du Protocole additionnel no. 1 à la Convention de Coopération économique européenne sur la capacité juridique, les privilèges et les immunités de l’Organisation du 16 avril 1948 ; l’article 21 de l’ Accord entre le Gouvernement de la République française et l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture relatif au Siège de l’UNESCO et à ses privilèges et immunités sur le territoire français du 2 juillet 1954 ; le 7ème alinéa de la Convention sur les missions spéciales du 8 décembre 1969 ; les articles 24, paragraphe 1, et 25 de l’Accord sur les privilèges et immunités de la Cour pénale internationale du 9 septembre 2002 ; article 19 de l’Accord sur les privilèges et immunités du Tribunal international du droit de la mer du 23 mai 1997.
210 Voir notamment les sections 20 et 21 de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies du 13 février 1946 ou les sections 22 et 23 de la Convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées du 21 novembre 1947.
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constitutive d’un abus de droit ; ce qui est le cas en l’espèce211. La Cour a du reste reconnu par le passé que les règles du droit diplomatique établissent des privilèges et immunités susceptibles de faire l’objet d’un « mauvais usage » et d’« abus »212.
4.9 En matière d’abus de droit, ainsi qu’un tribunal arbitral constitué dans le cadre du CIRDI l’a relevé, « [u]nder general international law as well as under ICSID case law, abuse of right is to be determined in each case, taking into account all the circumstances of the case »213. Et il ressort d’une jurisprudence fournie en matière d’investissements, dont on ne voit pas pourquoi elle ne devrait pas être transposée à cet égard dans le droit interétatique, que :
« As for any abuse of right, the threshold for finding of abuse […] is high, as a court or tribunal will obviously not presume an abuse, and will affirm the evidence of an abuse only “in very exceptional circumstances” »214.
4.10 Pour autant, s’il est établi que le standard de la preuve en matière d’abus de droit est élevé, « [i]t is equally accepted that the notion of abuse does not imply a showing of bad faith. Under the case law, the abuse is subject to an objective test »215. La Cour a d’ailleurs reconnu, de manière implicite, que l’abus de droit pouvait être établi par l’intermédiaire d’un critère fonctionnel, consistant à rechercher si le titulaire d’une prérogative juridique l’utilisait conformément au but pour lequel cette prérogative lui était octroyée sans se préoccuper de la question de savoir si l’auteur de l’acte litigieux était inspiré par une intention maligne. Ainsi, dans l’affaire relative à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, la CPJI a considéré que l’Allemagne n’avait pas commis d’abus de droit en se fondant notamment sur le fait que l’aliénation de certains biens constituait « un acte ne sortant pas du cadre de l’administration normale des biens publics, et [un] acte qui
211 Voir infra, par. 4.27.
212 CIJ, arrêt, 24 mai 1980, Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, Rec. 1980, p. 40, par. 86.
213 Mobil Corporation et al. c. République bolivarienne du Venezuela, CIRDI n° ARB/07/27, décision sur la compétence, 10 juin 2010, par. 177. Voir également, Levy et Gremcitel c. Pérou, SA, 9 janvier 2015, CIRDI n° ARB/11/17, par. 186 ; Philip Morris c. Australie, sentence sur la compétence et la recevabilité, 17 décembre 2015, CPA n° 2012-12, p. 167, par. 539.
214 Levy et Gremcitel c. Pérou, SA, 9 janvier 2015, CIRDI n° ARB/11/17, p. 58, par. 186. Voir également Chevron Corporation and Texaco Petroleum Company c. République d’Equateur (I), sentence intérimaire, 1er décembre 2007, CPA n° 34877, p. 80, par. 143 ; Bayindir Insaat Turizm Ticaret Ve Sanayi A.S. c. Pakistan, SA, 27 août 2009, CIRDI ARB n°/03/09, pp. 39-40, pars. 142-143 ; Philip Morris c. Australie, sentence sur la compétence et la recevabilité, 17 décembre 2015, CPA n° 2012-12, par. 539 ; Capital Financial Holdings c. Cameroun, SA, 22 juin 2017, CIRDI n° ARB/15/18, par. 135.
215 Philip Morris c. Australie, sentence sur la compétence et la recevabilité, 17 décembre 2015, CPA n° 2012-12, par. 539.
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n’était pas destiné à procurer à une des parties intéressées un avantage illicite […] ». La résiliation du contrat contesté semblait ainsi « avoir répondu à un but légitime de l’administration »216. De même, dans sa déclaration jointe à l’affaire relative à Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale, le Juge Keith évoque la notion d’abus de droit et affirme qu’elle impose à l’État « d’exercer le pouvoir aux fins pour lesquelles celui-ci lui a été conféré et non à des fins erronées ou au gré de facteurs sans rapport avec les objectifs visés ».
4.11 L’intention de nuire ou la mauvaise foi de l’auteur de l’acte sont des critères fréquemment employés en droit interne pour établir l’abus de droit. Néanmoins, ils ne sont guère adaptés au droit international public compte tenu de la nature de ses sujets de droit. En pratique, c’est un critère plus objectif qui est employé. Il y a abus de droit dès lors que le droit a été détourné de sa finalité. L’intention de nuire, quand elle est avérée, n’est qu’un élément témoignant de l’abus.
4.12 En la présente espèce, la demande de la France concernant l’abus de droit commis par la Guinée équatoriale se rapporte à des circonstances tout à fait exceptionnelles et est fondée sur des « éléments clairs et convaincants qui appellent nécessairement pareille conclusion »217. Les éléments de preuve présentés établissent une situation objective d’abus de droit.
216 CPJI, arrêt, 25 mai 1926, Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, Série A – n° 7, pp. 37-38.
217 CIJ, arrêt, 5 décembre 2011, Application de l’Accord intérimaire du 13 septembre 1995 (Macédoine c. Grèce), Rec. 2011, p. 685, para. 132.
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II. L’ABUS DE DROIT COMMIS PAR LA GUINÉE ÉQUATORIALE
4.13 Le différend qui oppose la France et la Guinée équatoriale procède du refus par les autorités françaises d’entériner l’invocation abusive par la Guinée équatoriale de la protection offerte par le statut diplomatique aux fins de faire échapper l’immeuble du 42, avenue Foch aux poursuites pénales engagées en France à l’encontre de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue.
4.14 Pour démontrer le caractère abusif des demandes de la Guinée équatoriale concernant l’immeuble sis 42, avenue Foch, il convient d’examiner successivement : A) les faits constitutifs de l’abus de droit ; B) les positions contradictoires prises par la Guinée équatoriale concernant l’affectation des locaux de l’immeuble ; C) les circonstances de l’acquisition par la Guinée équatoriale de la propriété de l’immeuble (étant cependant remarqué que cette question ne relève pas de la Convention de Vienne) ; et D) l’utilisation de la saisine de la Cour comme ultime recours pour conforter cet abus de droit.
A. Les faits constitutifs de l’abus de droit concernant l’immeuble sis 42, avenue Foch
4.15 C’est avant tout au regard des circonstances d’espèce que la question de l’abus de droit s’apprécie. À cet égard, la chronologie des faits de la présente affaire se suffit à elle-même : la demande de la Guinée équatoriale procède d’une utilisation abusive des droits et obligations invoqués par elle au bénéfice de l’immeuble sis 42, avenue Foch.
4.16 Les poursuites pénales engagées devant les juridictions françaises à l’encontre de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue trouvent leur origine dans une plainte déposée le 2 décembre 2008. Ce n’est cependant que le 1er février 2011 que l’information judiciaire identifia l’immeuble du 42, avenue Foch comme faisant partie du patrimoine de l’intéressé, sur la base d’éléments transmis par l’association Transparency International France218.
4.17 Les 28 septembre et 3 octobre 2011, des perquisitions étaient réalisées dans l’immeuble et des saisies de plusieurs véhicules automobiles de grand prix, appartenant à M.
218 Jugement du Tribunal correctionnel de Paris, 27 septembre 2017, p. 17.
78
Teodoro Nguema Obiang Mangue, entreposés dans la cour de l’immeuble et dans des parkings avoisinants, étaient effectuées.
4.18 Or la première note verbale adressée par la Guinée équatoriale au ministère des Affaires étrangères de la République française à propos de l’immeuble sis 42, avenue Foch intervient le 4 octobre 2011, soit quelques jours après les saisies. L’ambassade de la République de Guinée équatoriale y affirme qu’elle « dispose [de l’immeuble] depuis plusieurs années [et qu’elle l’] utilise pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission Diplomatique »219. Une telle position était intenable : il ressort des investigations menées par les autorités judiciaires et policières françaises, décrites dans les pièces versées au dossier de la présente procédure, qu’avant cette date, l’immeuble était utilisé par M. Teodoro Nguema Obiang Mangue à des fins purement personnelles220 ; le Président de la République de Guinée équatoriale l’a lui-même reconnu dans une lettre, en date du 14 février 2012, adressée à son homologue français221. La Guinée équatoriale est revenue sur cette affirmation, assurant par la suite avoir acquis la propriété de l’immeuble le 15 septembre 2011 – soit, opportunément, quelques jours avant les premières perquisitions – et y avoir installés les services de son ambassade « à partir du 27 juillet 2012 »222.
4.19 Il n’est pas indifférent de noter à cet égard que c’est également suite à ces saisies que M. Teodoro Nguema Obiang Mangue fut nommé, par décret présidentiel en date du 13 octobre 2011, délégué adjoint de la Guinée équatoriale auprès de l’UNESCO223 – soit deux jours après le refus de la France de reconnaître l’immeuble comme faisant partie des locaux de la mission diplomatique de Guinée équatoriale, en réponse à la note verbale du 4 octobre 2011, par laquelle elle affirmait en « dispose[r] depuis plusieurs années »224. En mai 2012, il
219 Note verbale n°365/11 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au Ministère des Affaires étrangères de la République française, le 4 octobre 2011 (italiques ajoutées) [ANNEXE 1 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
220 Voir notamment Jugement du Tribunal correctionnel de Paris, 27 septembre 2017, pp. 13-46 ; Documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires.
221 Lettre du Président de la République de Guinée équatoriale au Président de la République française, 14 février 2012 [ANNEXE 5 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
222 Note verbale de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale Ministère des Affaires étrangères de la République française du 27 juillet 2012 [ANNEXE 47 MGE].
223 Voir le communiqué reproduisant le texte du décret sur le site officiel du Gouvernement guinéen (https://www.guineaecuatorialpress.com/noticia.php?id=1994).
224 Voir supra Chapitre 1, par. 1.19.
79
est nommé second vice-président de la République, chargé de la défense et de la sécurité de l’État, deux mois après la seconde série de perquisitions effectuée au 42, avenue Foch225.
B. Les positions contradictoires de la Guinée équatoriale concernant l’affectation de l’immeuble sis 42, avenue Foch
4.20 Avant de saisir la Cour internationale de Justice de la présente affaire, la Guinée équatoriale s’est employée à faire obstacle à la saisie de l’immeuble sis 42, avenue Foch dans le cadre des poursuites pénales engagées devant les juridictions françaises à l’encontre de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue au moyen d’une importante correspondance diplomatique. Les allégations de la Guinée équatoriale ont cependant varié au gré des développements de la procédure judiciaire.
4.21 La seule lecture des notes verbales adressées par l’ambassade de Guinée équatoriale au service du protocole du ministère français des Affaires étrangères fait apparaître les contradictions des positions successives de la Guinée équatoriale sur le statut de l’immeuble du 42, avenue Foch :
 Le 4 octobre 2011, l’ambassade affirmait qu’elle « dispose depuis plusieurs années d’un immeuble situé au 42 avenue FOCH, Paris XVIème qu’elle utilise pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission Diplomatique sans qu’elle ne l’ait formalisé expressément […] jusqu’à ce jour »226.
Lors des perquisitions réalisées les 28 septembre et 3 octobre 2011, les enquêteurs français n’ont cependant trouvé nulle trace de services diplomatiques de la République de Guinée équatoriale. Au contraire, il leur a été répondu que M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, le propriétaire des lieux, « était actuellement
225 Voir Procès-verbaux de transport et perquisition de l’hôtel particulier sis 42 avenue Foch 75016 Paris, en date des 14, 15 et 16 février 2012 [ANNEXES 42, 43 et 44 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires] et Décret présidentiel n° 64/2012 du 21 mai 2012 portant nomination de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue en tant que Seconde Vice-Président de la République – Chargé de la Défense et de la Sécurité de l’Etat [ANNEXE 3 MGE].
226 Note verbale n°365/11 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au Ministère des Affaires étrangères de la République française, le 4 octobre 2011 (italiques ajoutés) [ANNEXE 1 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires]. Voir également Note verbale n° 5007/PRO/PID du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 11 octobre 2011 [ANNEXE 35 MGE]. Voir supra Chapitre 1, par. 1.19.
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absent et se trouvait à l’étranger et que les clefs de véhicules de luxe [stationnés dans la cour de l’immeuble] se trouvaient entre les mains de son homme de confiance »227. Les conclusions des investigations menées par les autorités françaises rendent intenable l’assertion de la Guinée équatoriale selon laquelle l’immeuble était utilisé « depuis plusieurs années » pour sa mission diplomatique228. Face à l’évidence, la Guinée équatoriale a revu sa position.
 Le 17 octobre 2011, l’immeuble était cette fois présenté par l’ambassade de Guinée équatoriale comme abritant la nouvelle résidence officielle de la déléguée permanente auprès de l’UNESCO229. Dans sa réponse à la question posée par Mme la Juge Donoghue à l’issue de la procédure orale concernant la demande en indication de mesures conservatoires, la Guinée équatoriale admettra n’avoir notifié à l’UNESCO ce changement de résidence de sa déléguée permanente que le 14 février 2012230 – soit le premier jour des secondes perquisitions et des saisies mobilières diligentées au 42, avenue Foch dans le cadre des poursuites engagées à l’encontre de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue231. Par une note verbale en date du 31 octobre 2011, le ministère français des Affaires étrangères avait pourtant pris soin de rappeler à l’ambassade de la Guinée équatoriale qu’un tel changement de résidence devait être notifié, non pas à la République française, mais au Protocole de l’UNESCO232.
A cet égard, la Guinée équatoriale affirme dans son Mémoire que, « [l]e 17 octobre 2011, à la suite de la fin de mission de l’ambassadeur Edjo Ovono Frederico, la chargée d’affaires a.i. désignée, Mme Bindang Obiang, par ailleurs déléguée permanente de la Guinée équatoriale auprès de l’UNESCO, a été relogée au 42 avenue Foch. Cette réinstallation se justifiait parce que le logement notifié à
227 Jugement du Tribunal correctionnel de Paris, 27 septembre 2017, p. 13.
228 Voir notamment le jugement du Tribunal correctionnel de Paris, 27 septembre 2017, pp. 26-33.
229 Note verbale n° 387/11 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 17 octobre 2011 [ANNEXE 3 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
230 Réponse de la Guinée équatoriale aux questions des Juges Bennouna et Donoghue, 26 octobre 2016, pp. 8-9, par. 27.
231 Après les perquisitions et saisies réalisées les 28 septembre et 3 octobre 2011, de nouvelles perquisitions ont été réalisées du 14 au 23 février 2012 42 avenue Foch (voir le jugement du Tribunal correctionnel de Paris, 27 septembre 2017, p. 18).
232 Note verbale n°5393 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la république de Guinée équatoriale, le 31 octobre 2011 [ANNEXE 4 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
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l’UNESCO et sis au 46 rue des Belles Feuilles s’était avéré impropre à l’habitation et que la dignité des nouvelles fonctions de Mme Bindang Obiang exigeait un meilleur cadre résidentiel »233. Pourtant, le 19 septembre 2012, dans la note verbale de l’ambassade de Guinée équatoriale sollicitant le service du Protocole du Ministère des Affaires étrangères afin qu’il édite le titre de séjour spécial de Mme Bindang Obiang en qualité d’ambassadrice extraordinaire et plénipotentiaire, l’adresse de la résidence de l’intéressée qui figure dans le formulaire de notification de nomination et de prise de fonctions, est située au 8 bis avenue de Verzy à Paris (17ème), et ni au 46, rue des Belles Feuilles, ni au 42, avenue Foch234.
 Le 16 février 2012, alors que le ministère équato-guinéen des Relations extérieures sollicitait l’agrément des autorités françaises à la nomination de Mme Bindang Obiang comme ambassadrice de son pays en France, cette dernière était cette fois présentée, sur le curriculum vitae joint à la note verbale, comme résidant 46, rue des Belles feuilles, Paris (16ème).
 Par ailleurs, dans sa réponse à une question posée par Mme la Juge Donoghue lors des audiences relatives à la demande en indication de mesures conservatoires du 29 septembre 2016235, la Guinée équatoriale a admis qu’une demande faite par son ambassade à Paris, dans une note verbale en date du 15 février 2012236, en vue d’assurer la protection de deux ministres équato-guinéens devant se rendre à l’immeuble du 42, avenue Foch, consistait « en réalité [... à] superviser la préparation de l’occupation effective de l’immeuble acquis pour servir de locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale »237.
Lors des perquisitions effectuées entre le 14 et le 23 février 2012 dans les locaux de l’immeuble du 42, avenue Foch, les enquêteurs n’ont cependant constaté aucune
233 MGE, pp. 47-48, par. 4.9.
234 Note verbale n°628/12 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au Ministère des Affaires étrangères de la République française, le 19 septembre 2012 [ANNEXE 3 EPF].
235 Réponse de la Guinée équatoriale aux questions des juges Bennouna et Donoghue, 26 octobre 2016, pp. 8-9, par. 28.
236 Note verbale n°185/12 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au Ministère des Affaires étrangères de la République française, le 15 février 2012 [ANNEXE 9 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
237 Réponse de la Guinée équatoriale aux questions des juges Bennouna et Donoghue, 26 octobre 2016, p. 9, par. 28.
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« préparation de l’occupation effective de l’immeuble » par les services diplomatiques de la République de Guinée équatoriale et ont procédé à de nouvelles saisies de biens mobiliers appartenant à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue238.
Que ce soit lors des perquisitions effectuées en septembre et octobre 2011 ou lors de celles de février 2012, « [l]es constatations sur les lieux [menées dans le cadre des poursuites pénales engagées] ont confirmé que Teodoro NGUEMA OBIGAN MANGUE avait la libre disposition de ce bien immobilier », ainsi qu’a pu le relever le Tribunal correctionnel de Paris dans son jugement du 27 septembre 2017, qui a ajouté qu’« [à] l’inverse, aucun document officiel [de] l’État de Guinée-Equatoriale ou permettant de penser que cet immeuble pouvait servir comme lieu de représentation officielle n’a été découvert »239.
 Le 27 juillet 2012 – soit huit jours après la décision des magistrats instructeurs d’ordonner la saisie pénale immobilière de l’immeuble –, une nouvelle note verbale de l’ambassade de Guinée équatoriale (portant toujours en pied de page l’adresse de l’ambassade au 29 boulevard de Courcelles Paris 8ème) indiquait que :
« Les services de l’Ambassade sont, à partir du 27 juillet 2012, installés à l’adresse sise 42 Avenue Foch, Paris 16ème, immeuble qu’elle utilise désormais pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission diplomatique en France »240.
4.22 Hésitante quant aux fondements juridiques à invoquer, la Guinée équatoriale a ainsi tout d’abord affirmé, le 4 octobre 2011, que l’immeuble du 42, avenue Foch était « utilis[é] [depuis plusieurs années] pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission Diplomatique »241, avant que celui-ci ne devienne, pour quelques mois, prétendument, la nouvelle résidence officielle de la déléguée permanente auprès de l’UNESCO242, et
238 Jugement du Tribunal correctionnel de Paris, 27 septembre 2017, p. 18.
239 Ibid., p. 31.
240 Note verbale n° 501/12 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au Ministère des Affaires étrangères de la République française, 27 juillet 2012 [ANNEXE 47 MGE] – italiques ajoutées.
241 Note verbale n°365/11 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au Ministère des Affaires étrangères de la République française, le 4 octobre 2011 [ANNEXE 1 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
242 Note verbale n° 387/11 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 17 octobre 2011 [ANNEXE 3 des documents produits
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finalement que « [l]es services de l’Ambassade [y] s[oient], à partir du 27 juillet 2012, [ré ?]installés »243.
4.23 Au cours de la présente procédure même, ces fluctuations contradictoires sont réapparues dans les écritures de la Guinée équatoriale :
 Dans sa Requête introductive d’instance, en date du 13 juin 2016, la Guinée équatoriale affirmait que l’immeuble du 42, avenue Foch était affecté à sa mission diplomatique en France depuis le 15 septembre 2011244 ; sans pour autant prétendre l’avoir notifié à cette date. La question se pose légitimement de savoir comment un État accréditaire pourrait respecter, le cas échéant, ses obligations au titre de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques s’il n’est pas informé de l’existence et de l’affectation des locaux. La thèse du régime déclaratoire d’installation des locaux diplomatiques soutenue par la Guinée équatoriale exclut qu’il puisse en aller ainsi.
 Dans sa réponse aux questions de M. le Juge Bennouna et de Mme la Juge Donoghue, en date du 26 octobre 2016, c’est la date du 4 octobre 2011 qui a été avancée par la Guinée équatoriale pour marquer le début de l’utilisation des locaux pour l’accomplissement de sa mission diplomatique en France245, sans que cette date, purement artificielle, corresponde à une affectation réelle de l’immeuble.
 Par ailleurs, dans son Mémoire déposé le 3 janvier 2017, la Guinée équatoriale affirme qu’elle a protesté contre les premiers actes de perquisition menés dans l’immeuble les 28 septembre et 3 octobre 2011, alors qu’elle reconnaît, à la ligne suivante, qu’elle n’a indiqué au ministère français des Affaires étrangères que l’immeuble était affecté à sa mission diplomatique en France que le 4 octobre
par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
243 Note verbale n° 501/12 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale Ministère des Affaires étrangères de la République française du 27 juillet 2012 [ANNEXE 47 MGE].
244 RGE, p. 6, par. 20 : « L’immeuble situé au 42 avenue Foch à Paris était, jusqu’au 15 septembre 2011, possédé en copropriété par cinq sociétés suisses dont M. Teodoro Nguema Obiang Mangue était l’unique actionnaire depuis le 18 décembre 2004. Le 15 septembre 2011, il a cédé ses droits sociaux dans ces sociétés à l’État de Guinée équatoriale. Depuis lors, cet immeuble est affecté à la mission diplomatique de la Guinée équatoriale ».
245 Réponse de la Guinée équatoriale aux questions des juges Bennouna et Donoghue, 26 octobre 2016, p. 10, par. 32.
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2011246. La Guinée équatoriale proteste ainsi contre les actes de perquisition avant même l’envoi de la première note verbale, en date du 4 octobre 2011, informant les autorités françaises du prétendu statut diplomatique de cet immeuble.
4.24 Le rappel des positions prises par la Guinée équatoriale à propos de l’affectation de l’immeuble sis 42, avenue Foch suffit à en démontrer les incohérences. À chacune de ces démarches – qui ne peuvent que s’analyser comme autant de réactions de la Guinée équatoriale aux développements de la procédure pénale engagée à l’encontre de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue – la France a opposé une position ferme et constante et rappelé, par l’entremise du service du Protocole du ministère des Affaires étrangères, que l’immeuble sis 42, avenue Foch à Paris n’avait jamais été considéré comme faisant partie des locaux de la mission diplomatique de Guinée équatoriale247.
4.25 L’impossible justification des errements de la Guinée équatoriale quant à l’affectation de l’immeuble du 42, avenue Foch illustre le caractère abusif de l’invocation par la Guinée équatoriale des droits prévus par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.
4.26 Depuis le début de la procédure, la Guinée équatoriale n’a par ailleurs jamais prétendu que les investigations et les perquisitions réalisées par la justice française dans le cadre des procédures engagées à l’encontre de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue avaient porté atteinte aux fonctions de sa mission diplomatique en France.
246 MGE, p. 150, par. 8.49.
247 Voir notamment Note verbale n°5007 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la république de Guinée équatoriale, le 11 octobre 2011 [ANNEXE 2 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires] ; Note verbale n°5393 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la république de Guinée équatoriale, le 31 octobre 2011 [ANNEXE 4 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires] ; Note verbale n°802 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la république de Guinée équatoriale, le 20 février 2012 [ANNEXE 12 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires] ; Note verbale n°1341 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la république de Guinée équatoriale, le 28 mars 2012 [ANNEXE 18 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires] ; Note verbale n° 158/865 du Ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 2 mars 2017 [ANNEXE 2].
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4.27 Dans sa demande en indication de mesures conservatoires, en date du 29 septembre 2016, la Guinée équatoriale fondait ses demandes sur le fait que « puisqu[e] [les locaux du 42, avenue Foch] n’ont pas été reconnus par la France comme […] [faisant partie de sa mission diplomatique], il existe un risque constant d’intrusion soit par la police et les autorités judiciaires françaises, soit par des personnes privés »248. Ce faisant, la Guinée équatoriale ne soutient pas que les perquisitions menées en septembre 2011 et février 2012 dans l’immeuble, et les saisies de biens mobiliers, ont effectivement porté atteinte aux fonctions de sa mission diplomatique – ce qui est logique, puisqu’elle n’y était pas installée249 et que les investigations visaient des biens de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue. La République de Guinée équatoriale fonde ses allégations de violations des dispositions de l’article 22 de la Convention de Vienne sur la saisine pénale immobilière du bien et le refus consécutif des autorités françaises de reconnaitre l’immeuble comme faisant partie des locaux de la mission diplomatique. Or cette saisie est une conséquence des investigations dont était pleinement consciente la Guinée équatoriale comme en témoignent les circonstances de sa prise de possession du 42, avenue Foch. Dès lors, il apparaît que cet immeuble ne répond en aucune manière à la définition de l’expression « locaux de la mission » telle que la définit l’article 1er, alinéa i), de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques qui entend par là « des bâtiments ou des parties de bâtiments et du terrain attenant qui, quel qu’en soit le propriétaire, sont utilisés aux fins de la mission, y compris la résidence du chef de la mission » et que la défense imaginée par la Guinée équatoriale a pour seul but de faire appliquer, sans aucune justification juridique ou factuelle, le paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, aux termes duquel : « Les locaux de la mission, leur ameublement et les autres objets qui s’y trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission, ne peuvent faire l’objet d’aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d’exécution ».
C. Les circonstances de l’acquisition par la Guinée équatoriale de la propriété de l’immeuble sis 42, avenue Foch
4.28 Le droit international n’impose nullement à l’État accréditant de disposer de la propriété des locaux qu’il affecte à ses missions diplomatiques à l’étranger. Toutefois, en l’espèce, la question de la propriété de l’immeuble du 42, avenue Foch est un élément de
248 Demande en indication de mesures conservatoires, 29 septembre 2016, par. 16.
249 Voir supra note de bas de page 240. Note verbale n° 501/12 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au Ministère des Affaires étrangères de la République française, 27 juillet 2012 [ANNEXE 47 MGE].
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contexte factuel qui revêt une certaine importance particulière en ce qu’il confirme l’abus de droit commis par la Guinée équatoriale.
4.29 Dans une consultation juridique, en date du 25 juillet 2015, jointe au Mémorandum transmis par la République de Guinée équatoriale à la République française, le professeur Kamto soulignait à juste titre que :
« la question est compliquée par le déroulement des faits qui ne permettent pas d’y voir clair dans le statut de cet immeuble, en particulier en ce qui concerne sa propriété.
Les enquêtes réalisées par les services compétents et les perquisitions effectuées au 42 Avenue Foch ont montré que cet immeuble était la propriété de M. Nguema Obiang Mangue. La Guinée Équatoriale elle-même ne conteste pas ce fait »250.
4.30 En effet, à aucun moment de la présente procédure, la Guinée équatoriale n’a contesté le fait que le propriétaire de l’immeuble sis 42, avenue Foch était M. Teodoro Nguema Obiang Mangue au moment de l’engagement des poursuites pénales en France et durant, au moins, les trois premières années de l’information judiciaire.
4.31 En premier lieu, s’agissant de la date d’acquisition de l’immeuble, les déclarations de la Guinée équatoriale sont extrêmement erratiques :
 À l’issue des audiences sur la demande en indication de mesures conservatoires, M. le Juge Bennouna avait posé à la Guinée équatoriale la question suivante :
« Dans une lettre, qui a été versée au dossier du 15 février 2012 adressée au ministère français des affaires étrangères, l’ambassade de la République de Guinée équatoriale informe que ‘la République de Guinée équatoriale a acquis un hôtel particulier au 42 avenue Foch’ et elle a ajouté ‘l’obtention du titre de propriété est en cours’. Ma question est la suivante :
‘À quelle date la Guinée équatoriale a-t-elle acquis définitivement ce titre de propriété et l’a-t-elle inscrit au registre de la conservation foncière en France ?’ »251.
250 Annexe 2 au « Mémorandum déposé dans l’intérêt de la République de Guinée Équatoriale représentée par Maître Jean-Pierre Mignard et Maître Jean-Charles Tchikaya à l’attention des services compétents de la République Française dans l’affaire dite des « biens mal acquis », volet Guinée Équatoriale », 16 octobre 2015, p. 13 [ANNEXE 14].
251 CR 2016/17, Audience du 19 octobre 2016 (mesures conservatoires), p. 20.
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Dans sa Réponse à la question, la Guinée équatoriale affirme que « c’est […] le 15 septembre 2011, date de la convention de cession d’actions et de créances, que la Guinée équatoriale est devenue propriétaire de l’immeuble sis au 42 avenue Foch »252. Elle n’y explique cependant pas pourquoi elle a par ailleurs soutenu, dans sa note verbale du 15 février 2012, que « l’obtention du titre de propriété était en cours ». En outre, dans sa Requête transmise au Greffe sur le fondement de l’article 38, paragraphe 5, du Règlement de la Cour, le 22 septembre 2012, à propos des mêmes faits, la Guinée équatoriale avait indiqué que « [l]a République de Guinée Equatoriale a acquis le 16 septembre 2011, auprès de Monsieur Teodoro NGUEMA OBIANG MANGUE, un immeuble sis au 40/42 avenue Foch – 765116 Paris »253. Il convient de noter à nouveau que, dans sa note verbale en date du 4 octobre 2011 – que la Guinée prend désormais pour référence comme point de départ de sa revendication du statut diplomatique pour l’immeuble – l’ambassade de Guinée équatoriale affirmait qu’elle « dispose depuis plusieurs années d’un immeuble situé au 42 avenue FOCH, Paris XVIème qu’elle utilise pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission Diplomatique sans qu’elle ne l’ait formalisé expressément […] jusqu’à ce jour »254. Une telle position est frontalement incompatible avec la réponse faite par la Guinée équatoriale à la question de M. le Juge Bennouna255.
 Si « la France n’a jamais contesté le droit de propriété de la Guinée équatoriale sur le bien immobilier du 42 avenue Foch »256, elle n’a pas non plus reconnu que la Guinée équatoriale est propriétaire du bien.
Aux yeux des autorités françaises, l’immeuble sis 42, avenue Foch est resté tout au long de la procédure la propriété d’une même personne – ou plutôt des mêmes personnes : cinq sociétés immatriculées en Suisse, qui ont acquis les lots de
252 Réponse de la Guinée équatoriale aux questions des juges Bennouna et Donoghue, 26 octobre 2016, par. 12.
253 Lettre du Greffier de la Cour n° 140831 au Ministre des Affaires étrangères de la République française, 25 septembre 2012, p. 16 [ANNEXE 7 EPF].
254 Note verbale n°365/11 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au Ministère des Affaires étrangères de la République française, le 4 octobre 2011 (italiques ajoutés) [ANNEXE 1 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
255 Voir supra note de bas de page 251.
256 Réponse de la Guinée équatoriale aux questions des juges Bennouna et Donoghue, 26 octobre 2016, par. 13.
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l’immeuble le 19 septembre 1991257. Le 18 décembre 2004, ce sont les parts des sociétés propriétaires de l’ensemble immobilier que M. Teodoro Nguema Obiang Mangue a acquis, au moyen d’un complexe montage financier258. De même, le 15 septembre 2011, la Guinée équatoriale a acquis les actions des cinq sociétés copropriétaires par le biais d’une convention de cession conclue entre elle et M. Teodoro Nguema Obiang Mangue. Et c’est en tant qu’actionnaire unique de ces sociétés que la Guinée équatoriale revendique être désormais propriétaire du 42, avenue Foch.
4.32 Ainsi, comme l’a indiqué la Guinée équatoriale dans sa Réponse à la question de M. le Juge Bennouna à l’issue des audiences sur la demande en indication de mesures conservatoires, « [à] ce jour [et aujourd’hui encore], ce sont les sociétés Ganesha Holding SA, GEP Gestion Entreprise Participation SA, RE Entreprise SA, Nordi Shipping & Trading Co Ltd, et Raya Holdings SA qui figurent en qualité de propriétaires au service de la publicité foncière de Paris – 8ème Bureau »259.
4.33 Dans ce contexte, la question posée par M. le Juge Bennouna de l’inscription du titre de propriété au registre de la conservation foncière en France revêt une importance particulière. Comme la Guinée équatoriale a été forcée de l’admettre :
« Aux fins d’inscription directe de son titre de propriété au service de la publicité foncière, la Guinée équatoriale doit, conformément au point N du contrat de cession d’actions, procéder à la liquidation des cinq sociétés.
Mais, à cause de la saisie pénale qui a été publiée au service de la publicité foncière de Paris 8ème, le 31 juillet 2012, par le Tribunal de grande instance de Paris, la Guinée équatoriale s’est trouvée dans l’impossibilité juridique de faire inscrire directement à son nom son titre de propriété en tant que propriétaire de l’immeuble sis au 42 avenue Foch »260.
4.34 Après avoir exposé les diverses démarches qu’elle a entreprises auprès des autorités administratives françaises, la Guinée équatoriale se limite prudemment à affirmer que, « [p]our avoir constaté et enregistré la cession de droits sociaux au profit de la Guinée équatoriale et perçu les impôts y afférents, la France n’a jamais contesté le droit de propriété
257 Jugement du Tribunal correctionnel de Paris, 27 septembre 2017, p. 27.
258 Ibid., p. 27.
259 Réponse de la Guinée équatoriale aux questions des juges Bennouna et Donoghue, 26 octobre 2016, par. 14.
260 Ibid., pars. 15-16.
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de la Guinée équatoriale sur le bien immobilier »261. C’est en effet à l’enregistrement de la cession d’actions sociales de sociétés suisses qu’il a été procédé, et les impôts y afférents prélevés262, mais non à l’enregistrement du titre de propriété de la Guinée équatoriale de l’immeuble sis 42, avenue Foch.
4.35 C’est qu’en effet la mesure de saisie pénale immobilière prononcée le 19 juillet 2012 avait justement pour objet de prévenir toute tentative de faire échapper le bien aux poursuites263.
4.36 En revanche, la mesure de saisie pénale immobilière ne prive pas le propriétaire de son bien. Conformément aux dispositions pertinentes du Code de procédure pénale français, « [j]usqu’à la mainlevée de la saisie […] du bien saisi, le propriétaire ou, à défaut, le détenteur du bien est responsable de son entretien et de sa conservation »264. Les limites du régime français en matière de saisies pénales immobilières et le temps des investigations judiciaires ont ainsi pu être exploitées par la Guinée équatoriale pour mettre les autorités françaises devant un fait accompli : l’occupation d’un bien immobilier suspecté d’être le produit d’actes de blanchiment, et sur lequel une mesure de saisie pénale immobilière avait été pratiquée quelques jours à peine avant que la Guinée équatoriale prétende déclarer à la France que les services de son ambassade y sont désormais installés265, et doivent donc être à ce titre protégés par les privilèges et immunités prévus par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.
4.37 En outre, les juges français ne disposaient d’aucun moyen pour prévenir la cession d’actions de sociétés immatriculées en Suisse par contrat privé entre la Guinée équatoriale et M. Teodoro Nguema Obiang Mangue – quelles que soient, par ailleurs les fonctions officielles de celui-ci. La mesure de saisie pénale immobilière fait néanmoins
261 Ibid., par. 13.
262 Ibid., pars. 7-13.
263 L’article 706-145 du Code de procédure pénale français prévoit que : « Nul ne peut valablement disposer des biens saisis dans le cadre d’une procédure pénale » (texte disponible à l’adresse suivante : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=0BB91706B2A96D1…).
264 Article 706-143 du Code de procédure pénale (texte disponible à l’adresse suivante : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=0BB91706B2A96D1…).
265 Note verbale n° 501/12 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au Ministère des Affaires étrangères de la République française, 27 juillet 2012 [ANNEXE 47 MGE].
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obstacle à ce que la Guinée équatoriale puisse être directement reconnue comme propriétaire du bien en l’inscrivant au registre de la conservation foncière266.
4.38 Si le but de l’opération n’était pas de faire échapper l’immeuble aux poursuites pénales engagées à l’encontre de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, il aurait été pour le moins surprenant que la Guinée équatoriale n’ait pas demandé l’annulation de la convention de cession d’actions et de créances en découvrant que le bien – qui en constituait le principal actif des sociétés dont elle se portait acquéreur – était visé par des poursuites pénales en France pour des faits de blanchiment. C’est en effet une étrange hypothèse que celle de l’acheteur d’un bien qui, découvrant l’origine frauduleuse de celui-ci, se retourne vers les autorités qui l’ont saisi plutôt que vers le vendeur qui est poursuivi.
4.39 Dans une lettre adressée au Président de la République française, en date du 14 février 2012, le Président de la République de Guinée équatoriale a cependant explicitement reconnu que la vente de l’immeuble au gouvernement de Guinée équatoriale et l’invocation du caractère diplomatique découlaient effectivement de la volonté de faire échapper l’immeuble aux poursuites pénales engagées à l’encontre de son fils :
« Votre Excellence n’est pas sans être informé que Mon fils, Teodoro NGUEMA OBIANG MANGUE, a vécu en France, où il a effectué ses études, de son enfance à son âge adulte. La France a été le pays de sa préférence et, en tant que jeune, il a acquis un logement à Paris, mais que, à cause des pressions exercées contre sa personne, du fait d’une supposée acquisition illégale de biens, il a décidé de revendre ledit immeuble au Gouvernement de la République de Guinée équatoriale »267.
4.40 Comme l’a conclu Mme la Juge Donoghue dans son opinion jointe à l’arrêt de la Cour en date du 6 juin 2018, par cette lettre :
« Le président de la Guinée équatoriale a bien indiqué que le but de ces mesures est d’ordre personnel et vise à faire face aux difficultés auxquelles se heurte son fils. Un tel objectif est en totale contradiction avec le régime des privilèges et immunités prévu par la convention de Vienne, qui dispose en son préambule que le but des privilèges et immunités ‘est non pas d’avantager des individus mais d’assurer l’accomplissement
266 Voir Réponse de la Guinée équatoriale aux questions des juges Bennouna et Donoghue, 26 octobre 2016, par. 16.
267 Lettre du Président de la République de Guinée équatoriale au Président de la République française, 14 février 2012 [ANNEXE 5 des documents produits par la France, le 14 octobre 2016, dans le cadre de la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires].
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efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentant des États’ »268.
4.41 Au regard des éléments qui précèdent, le caractère abusif de l’invocation par la Guinée équatoriale des dispositions de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques est objectivement établi. L’utilisation des privilèges et immunités dans « le but […] d’avantager des individus »269 est exactement ce qui caractérise l’abus de droit dans le cadre de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques270. Et la Guinée équatoriale le reconnaît expressément dans cette lettre du 14 février 2018, émanant qui plus est de son plus haut représentant. Il ne s’agit pas d’une « déduction contestable » mais d’un « élémen[t] clai[r] et convaincan[t] qui appell[e] nécessairement pareille conclusion »271.
4.42 Dans une lettre plus récente, adressée par le Président de la République de Guinée équatoriale au Président de la République française, le 19 janvier 2017, figurait en annexe une « Note en vue d’un règlement diplomatique du différend ». De manière surprenante, l’Accord bilatéral de protection réciproque des investissements entre la France et la Guinée équatoriale y était invoqué comme voie de sortie alternative au différend :
« L’Accord de protection réciproque des investissements en date du 3 mars 1982 liant les deux États permet le règlement des différends inter-étatiques relatifs à son interprétation et à son application par la voie diplomatique.
Dès lors que l’État de Guinée Équatoriale n’a cessé de soutenir que les biens saisis par la justice française ont tous été régulièrement acquis et ne constituent pas le produit d’un détournement de derniers publics ou d’une infraction quelconque, se pose alors la question de leur protection par la France en vertu de l’Accord précité.
Cela étant, dans le cadre des discussions diplomatiques entre les deux États prévus à l’article 11 dudit Accord et avant toute décision judiciaire en France sur le fond du litige, les deux États peuvent considérer d’un commun accord que les biens régulièrement acquis en France répondent à la définition des ‘investissements’ au sens de l’article 1er du même Accord et que, par conséquent, la France leur doit protection »272.
268 CIJ, arrêt, 6 juin 2018, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), Opinion dissidente de Mme la Juge Donoghue, par. 15.
269 Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, 18 avril 1961, 4ème alinéa du Préambule.
270 Voir supra Chapitre 4, section I.
271 CIJ, arrêt, 5 décembre 2011, Application de l’Accord intérimaire du 13 septembre 1995 (Macédoine c. Grèce), Rec. 2011, p. 685, para. 132.
272 Lettre du Président de la République de Guinée équatoriale au Président de la République française, le 19 janvier 2017 [ANNEXE 12 EPF].
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4.43 De manière conforme à sa position constante dans cette affaire, la France a indiqué que les faits mentionnés faisaient l’objet de décisions de justice et de procédures judiciaires en cours, et qu’en conséquence il ne pouvait être donné suite à l’offre de règlement par les voies proposées par la Guinée équatoriale273. Au demeurant, la démarche effectuée par la Guinée équatoriale témoigne de sa volonté d’invoquer – sans s’encombrer d’un quelconque souci de vraisemblance juridique – toute disposition conventionnelle prévoyant un mode de règlement des différends et liant les Parties afin de mettre fin aux procédures judiciaires en cours. Et le recours à la Cour constitue le moyen assumé de l’y amener : « Ainsi, [conclut la note,] le différend opposant les deux États ayant trouvé une solution définitive, la République de Guinée Équatoriale n’aura plus qu’à mettre fin à la procédure pendante devant la Cour »274.
4.44 Surtout, il convient de relever que la Guinée équatoriale proteste contre la saisie des biens réalisée dans le cadre des poursuites pénales engagées à l’encontre de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, non pas parce qu’elle est propriétaire du bien, ou parce qu’il s’agit de biens diplomatiques, mais parce qu’ils « ont tous été régulièrement acquis et ne constituent pas le produit d’un détournement de deniers publics ou d’une infraction quelconque ». Il appartient aux juridictions françaises de se prononcer sur ce point, et elles en auront de nouveau l’occasion lors du procès en appel275. C’est cependant admettre que les biens saisis – qu’il s’agisse de l’immeuble ou de l’ameublement et des autres objets – constituaient des biens privés de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, seul concerné par les poursuites pénales engagées en France.
4.45 Bien que, par elle-même, la question de la propriété ne soit pas en cause dans la présente affaire et que la Cour ne soit pas appelée à se prononcer à son sujet276, les circonstances dans lesquelles la Guinée équatoriale a acquis celle de l’immeuble du 42, avenue Foch participent ainsi du très large faisceau d’indices conduisant à conclure que l’invocation du statut diplomatique au bénéfice de l’immeuble en question constitue une tentative d’abus des droits prévus dans la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.
273 Lettre du Président de la République française au Président de la République de Guinée équatoriale, le 16 février 2017 [ANNEXE 13 EPF].
274 Lettre du Président de la République de Guinée équatoriale au Président de la République française, le 19 janvier 2017 [ANNEXE 12 EPF].
275 Voir supra Chapitre 1, pars. 1.52-1.58.
276 Voir supra Chapitre 2, pars. 2.13-2.20.
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D. La saisine de la Cour comme élément constitutif de l’abus de droit commis par la Guinée équatoriale
4.46 Dans son arrêt sur les exceptions préliminaires soulevées par la France, en date du 6 juin 2018, la Cour a considéré qu’
« [u]n abus de procédure se rapporte à la procédure engagée devant une cour ou un tribunal et peut être examiné au stade préliminaire de ladite procédure. En la présente affaire, la Cour ne considère pas que la Guinée équatoriale, qui a établi une base de compétence valable, devrait voir sa demande rejetée à un stade préliminaire s’il n’existe pas d’éléments attestant clairement que son comportement pourrait procéder d’un abus de procédure. Or, pareils éléments n’ont pas été présentés à la Cour. Seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier que la Cour rejette pour abus de procédure une demande fondée sur une base de compétence valable. La Cour estime ne pas être en présence de telles circonstances en l’espèce »277.
4.47 La France ne remet évidemment pas en cause cette décision, mais il lui apparaît que, quand bien même la saisine de la Cour par la Guinée équatoriale ne constitue pas, par elle-même, un abus de procédure motivant le rejet de sa Requête pour irrecevabilité, elle constitue un indice supplémentaire de la tentative d’abus de droit qui caractérise l’attitude de la Guinée équatoriale.
4.48 Ainsi qu’il a été largement exposé dans les présentes et les précédentes écritures de la France ainsi qu’au cours des plaidoiries orales dans les phases antérieures de l’affaire278, le différend qui oppose la Guinée équatoriale et la France porte sur le refus des autorités françaises d’accepter les tentatives de la Guinée équatoriale de protéger les biens privés de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue des conséquences des poursuites pénales engagées à l’encontre de ce dernier.
4.49 L’invocation par la Guinée équatoriale des dispositions prévues par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques au bénéfice de l’immeuble sis 42, avenue Foch, ainsi que des biens mobiliers saisis par la justice française, constitue un abus de
277 CIJ, arrêt, 6 juin 2018, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), par. 150.
278 Voir CR 2016/17, Audience du 19 octobre 2016 (mesures conservatoires), pp. 8-9, par. 3 (A. Pellet) ; EPF, 30 mars 2017, p. 29, pars. 64, 71-72, 127, 136-137.
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droit, comme la France l’a montré ci-dessus279. Saisir la Cour pour retarder (et tenter de faire obstacle à) la mise en oeuvre de décisions judiciaires relève de l’abus de droit.
4.50 Pour porter l’affaire devant la Cour, la Guinée équatoriale s’est efforcée de trouver des accroches conventionnelles artificielles. Elle avait choisi la Convention de Palerme pour fonder ses demandes relatives à l’immunité de juridiction pénale étrangère dont bénéficierait, selon elle, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue. La Cour ne l’a pas suivie280. L’invocation de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques est tout aussi artificielle : aucune de ses dispositions ne peut raisonnablement être invoquée en l’espèce281.
4.51 L’instrumentalisation du recours à la Cour internationale de Justice se traduit notamment dans les communiqués de presse que la Guinée équatoriale publie à chaque étape de la procédure. A propos de l’Ordonnance de la Cour en date du 7 décembre 2016, la Guinée équatoriale a ainsi affirmé dans plusieurs communiqués que :
« le gouvernement de la Guinée équatoriale a montré sa satisfaction, car dans le rapport [sic] présenté par la Cour internationale de justice de La Haye, aujourd’hui, le 7 décembre 2016, il est reconnu clairement le caractère diplomatique de l’immeuble situé 42 avenue Foch, à Paris. Donc, il est reconnu que cette propriété ne constitue pas un ‘bien mal acquis’. L’État équato-guinéen a réclamé de façon réitérée la propriété de cet immeuble-là, qui était la propriété de l’État équato-guinéen mais que la justice française a rejeté de le reconnaitre [sic], résistant à cette appréciation.
Le fait de reconnaître que l’État de la Guinée équatoriale est le propriétaire légitime de l’immeuble, avec tous ses meubles, implique donc de reconnaître qu’il ne s’agit pas d’un ‘bien mal acquis’ et montre également la preuve évidente de la mascarade judiciaire que la justice française prétend faire de manière unilatérale.
Puisqu’il a été démontré que l’immeuble n’est pas un ‘bien mal acquis’, la partie française devrait retirer définitivement l’accusation contre le vice-président de la République de Guinée équatoriale, car elle n’est pas fondée sur l’accusation principale. Par conséquent, elle devrait reconnaître sans ambages l’immunité de S. E. Nguema Obiang Mangue »282.
279 Voir supra Chapitre 4, pars. 4.13-4.45.
280 Voir CIJ, arrêt, 6 juin 2018, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), par. 118.
281 Voir supra, par. 4.27.
282 Communique de presse du porte-parole du gouvernement de la République de Guinée équatoriale, 7 décembre 2016, Malabo (version en français disponible sur le site officiel du Gouvernement de la République de Guinée équatoriale : http://www.guineaecuatorialpress.com/noticia.php?id=9000&lang=fr [ANNEXE 9 EPF]. Voir également, communiqué de presse de la Représentation de la Guinée équatoriale à La Haye, 8 décembre 2017) [ANNEXE 10 EPF] et communiqué de presse du Bureau d’information et de presse de Guinée équatoriale, 9 décembre 2016 [ANNEXE 11 EPF].
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4.52 Il va sans dire que la France ne partage pas cette lecture, assez singulière, de l’Ordonnance de la Cour sur la demande de la Guinée équatoriale en indication de mesures conservatoires. Il reste que la déclaration illustre bien l’approche de la Guinée équatoriale dans cette affaire : utiliser la Cour comme un moyen pour tenter de faire obstacle aux poursuites engagées devant les juridictions françaises contre M. Teodoro Nguema Obiang Mangue. Surtout, elle atteste des motivations réelles de la Guinée équatoriale : elle entend non pas faire régler par la Cour un différend relatif à l’interprétation ou l’application des dispositions de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, mais refaire le procès au fond de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue et faire échapper ses biens aux conséquences des poursuites pénales engagées à l’encontre de ce dernier. Ce n’est pas la mission de la Cour ; et utiliser l’office de la Cour à cette fin participe de l’abus de droit commis par la Guinée équatoriale.
4.53 Dans son communiqué rendant compte des audiences sur les exceptions préliminaires soulevées par la France la Guinée équatoriale a affirmé que « [l]a France n’a pas respecté la Convention de Vienne qui octroie l’immunité diplomatique à Teodoro Nguema Obiang et n’a pas non plus respecté le statut diplomatique du bâtiment qui accueille l’ambassade de Guinée équatoriale à Paris et que la France a essayé de saisir »283. Une déclaration de l’Agent de la Guinée équatoriale en la présente affaire, M. Carmelo Nvono-Ncá, y est citée : « Le jugement rendu le 29 octobre 2017 par le tribunal correctionnel de Paris à l’encontre de notre vice-président, violant de manière flagrante le droit international, a provoqué une indignation réelle dans mon pays et on ne peut pas permettre cette injustice ». Ce communiqué contraste, de manière frappante, avec la déclaration publiée sur le site du Gouvernement de la République de Guinée équatoriale, le 28 octobre 2017 qui célébrait le jugement du Tribunal correctionnel comme « une vraie victoire »284 ; mais il montre une nouvelle fois, de la manière la plus claire, que c’est bien du sort de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue et de ses biens qu’il est question dans l’affaire que la Guinée équatoriale a portée devant la Cour. Les allégations de violations des droits prévus par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques servent uniquement à donner au différend l’apparence d’une question d’interprétation ou d’application de dispositions conventionnelles.
283 Communiqué de presse de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale à Bruxelles, 20 février 2018 (texte disponible à l’adresse suivante : https://www.guineaecuatorialpress.com/mobile/noticia.php?id=11062&lang=…).
284 Texte disponible à l’adresse suivante : https://www.guineaecuatorialpress.com/noticia.php?id=10566&lang=fr, cité in CR 2018/4, 21 février 2018, p. 38, par. 10 (F. Alabrune).
96
***
4.54 La conclusion à tirer de ce qui précède a été très pertinemment résumée par Mme la Juge Donoghue dans son Opinion jointe à l’arrêt de la Cour du 6 juin 2018 :
« The sequence of actions taken by the applicant State is established by the documents submitted by the Applicant. The purpose of those actions, which was stated by the President of the applicant State, is manifest. The evidence regarding the character of the Applicant’s conduct is conclusive, easily meeting the heightened standards of proof that the Court has suggested in certain circumstances […]. The applicant State has told the Court nothing to suggest that its diplomatic functions were disrupted when French authorities entered the Building and initiated searches in September 2011, nor is there any indication that French authorities entered or attached the Building with such a purpose ».
4.55 Les circonstances de la présente affaire sont suffisamment exceptionnelles pour que le principe de l’interdiction de l’abus de droit – dont l’applicabilité n’est pas contestable dans l’ordre juridique international, et l’application particulièrement nécessaire en matière d’immunités et privilèges – trouve à s’y appliquer.
4.56 Les faits exposés, sur la base d’éléments objectifs, constituent un faisceau d’indices concordants qui ne trompe pas sur le caractère abusif des revendications de la Guinée équatoriale concernant l’immeuble du 42, avenue Foch. L’invocation des droits prévus par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques a pour but, non pas « d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions d[e] [la] missio[n] diplomatiqu[e] » de la République de Guinée équatoriale en France, mais bien « d’avantager des individus »285, ou plutôt un individu : M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, en réclamant l’application des privilèges et immunités prévus par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques pour faire échapper ses biens personnels aux conséquences des poursuites pénales engagées à son encontre devant les juridictions françaises. A aucun moment la Guinée équatoriale n’a exposé à la Cour en quoi les fonctions de sa mission diplomatique en France auraient été affectées par les investigations et actes de saisie réalisés dans le cadre des procédures judiciaires en cours. Les actes et comportements de la Guinée équatoriale, et les positions contradictoires prises par les autorités de ce pays, résultent non pas de « déductions contestables mais […] [d’]éléments clairs et convaincants qui appellent nécessairement
285 Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, 18 avril 1961, 4ème alinéa du Préambule.
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pareille conclusion »286. Et, pris ensemble (et pour certains d’entre eux, sans doute même individuellement), ces faits caractérisent une situation objective d’abus de droit.
4.57 Pour les motifs exposés dans le présent chapitre, la République française prie donc la Cour de bien vouloir rejeter, pour abus de droit, l’ensemble des demandes présentées par la Guinée équatoriale, sur le fondement de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, à propos de l’immeuble sis 42, avenue Foch et de l’ameublement et des autres objets saisis dans le cadre des procédures judiciaires engagées en France à l’encontre de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue.
286 CIJ, arrêt, 5 décembre 2011, Application de l’Accord intérimaire du 13 septembre 1995 (Macédoine c. Grèce), Rec. 2011, p. 685, para. 132.
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CHAPITRE 5 – L’ABSENCE DE RESPONSABILITE INTERNATIONALE DE LA FRANCE
5.1 Dans son mémoire, la République de Guinée équatoriale consacre un chapitre à la « responsabilité internationale de la France comme conséquence de la violation de ses obligations vis-à-vis de la Guinée-équatoriale »287. Elle y rappelle le principe fondamental selon lequel « tout fait internationalement illicite de l’Etat engage sa responsabilité internationale »288. Toutefois, la France a démontré dans les précédents chapitres de son contre-mémoire qu’aucun comportement susceptible de lui être attribué ne « constitue une violation d’une obligation internationale »289 résultant de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Les conditions d’engagement de sa responsabilité ne sont donc pas réunies. C’est dès lors à titre supplétif seulement que la France entend formuler certaines remarques à propos des préjudices allégués (I) et du contenu de la responsabilité (II).
I. LES PREJUDICES ALLEGUES
5.2 La France constate tout d’abord que la plus grande part des préjudices mentionnés dans le mémoire ne résulte pas de la violation d’une obligation relevant de la compétence matérielle de la Cour. Dans le dispositif de son arrêt du 6 juin 2018, la Cour a déclaré qu’elle avait compétence pour se prononcer sur la requête « en ce qu’elle a trait au statut de l’immeuble sis au 42, avenue Foch à Paris en tant que locaux de la mission », sur le fondement du protocole facultatif à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques290. Cela exclut qu’elle puisse se prononcer sur un préjudice dont il est allégué qu’il découlerait de la procédure pénale menée à l’encontre de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue nonobstant une supposée immunité personnelle.
5.3 De même, le préjudice allégué à propos de la saisie pénale de l’immeuble sis au 42, avenue Foch291 n’entre pas dans le champ du différend à l’égard duquel la Cour a
287 Mémoire RGE, pp. 163-179.
288 Articles de la Commission du droit international sur la Responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires, Ann. C.D.I., 2001, vol. 2, deuxième partie, p. 26, et annexe à la résolution A/RES/56/83 du 12 décembre 2001 (ci-après « Articles de 2001 »), article 1.
289 Ibid., article 2.
290 CIJ, arrêt, 6 juin 2018, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), par. 153.
291 Mémoire RGE, par. 9.8, 9.12.
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compétence, conformément à l’arrêt du 6 juin 2018. La saisie pénale est une mesure affectant la disponibilité de la propriété de l’immeuble mais non son usage. Comme cela a été exposé plus haut dans le présent mémoire, la Convention de Vienne n’a pas pour objet de protéger la propriété immobilière, qu’il s’agisse de celle d’un Etat ou de toute autre personne, mais de protéger l’usage de locaux à des fins diplomatiques292. La République de Guinée équatoriale elle-même reconnaît la pertinence de cette distinction dans la présente affaire293. Dès lors, les préjudices allégués à propos de la propriété de l’immeuble sont sans rapport avec le présent litige.
5.4 Les seuls préjudices dont fait état le mémoire et qui pourraient entretenir un rapport avec la Convention de Vienne sont ceux qui résulteraient des actes de perquisition et de la non-reconnaissance du statut diplomatique des locaux.
5.5 La Guinée équatoriale allègue en premier lieu que les actes de perquisition menés au 42, avenue Foch ont porté atteinte à l’inviolabilité des locaux de sa mission diplomatique et établit un parallèle avec l’affaire du Personnel diplomatique des Etats-Unis à Téhéran294. Le parallèle ne saurait convaincre car les circonstances sont très différentes de celles de la présente affaire : l’immeuble du 42, avenue Foch ne fait l’objet d’aucune occupation illicite. De plus, l’occupation dont il était question dans l’affaire du Personnel diplomatique était un fait continu295, tandis que, dans la présente affaire, les atteintes alléguées à l’inviolabilité des locaux sont dues à des perquisitions, c’est-à-dire à des faits instantanés et achevés296. Cela implique que l’on ne saurait réclamer à leur propos la cessation comme corollaire de la responsabilité297.
5.6 De plus, les premières perquisitions, ayant conduit à la saisie de véhicules de luxe, datent des 28 septembre et 3 octobre 2011. Or la République de Guinée équatoriale a déclaré pour la première fois qu’elle entendait affecter l’immeuble à un usage diplomatique le
292 Voir supra Chapitre 2, pars. 2.13-2.20.
293 Mémoire RGE, par. 8.26, 8.32, 8.45.
294 Mémoire RGE, par. 9.4-9.5.
295 CIJ, arrêt, 24 mai 1980, Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, Rec. 1980, p. 42, par. 90 (« les violations successives et continues »).
296 Articles de 2001, article 14.
297 Voir infra Chapitre 5, par 5.14.
100
4 octobre 2011 seulement298, ce qui suffit à écarter tout rapport entre le supposé préjudice et la violation d’une disposition de la Convention de Vienne.
5.7 Les seuls autres actes ayant engendré un préjudice aux yeux de la République de Guinée équatoriale et susceptibles de donner lieu à réparation si une violation de la Convention était avérée sont les perquisitions survenues entre le 14 et le 23 février 2012, période à propos de laquelle les thèses des parties s’opposent. Quant aux objets alors saisis, la République de Guinée équatoriale ne prétend pas qu’ils lui appartiendraient et n’allègue aucun préjudice au titre d’éventuels biens ou archives diplomatiques qui se seraient trouvés dans l’immeuble au moment de ces perquisitions et saisies. Aucune atteinte ultérieure à l’inviolabilité des locaux du 42, avenue Foch n’est alléguée non plus, y compris depuis l’ordonnance de la Cour du 7 décembre 2016. Il n’est donc pas possible de parler, à propos des perquisitions, de « violations successives », ni d’un préjudice moral « particulièrement grave » en raison de « violations répétées de ses immunités d’exécution et de juridiction au titre de l’immeuble du 42 avenue Foch, qui abrite ses locaux »299.
5.8 S’agissant de la non-reconnaissance du statut diplomatique, la République de Guinée équatoriale invoque comme préjudice matériel « l’impossibilité d’utiliser en toute sécurité son immeuble du 42 avenue Foch comme locaux de sa mission diplomatique »300. Cette présentation du préjudice laisse entendre que la cause serait un fait continu s’étendant sur l’ensemble de la période pendant laquelle l’immeuble aurait, selon elle, abrité sa représentation diplomatique, suggestion réitérée plus loin à propos du maintien de l’obligation301. Tel n’est pas le cas.
5.9 Dans la présente affaire, le différend entre les parties porte sur un acte précisément situé dans le temps : le refus opposé par la France le 11 octobre 2011 de faire droit à la demande de la Guinée équatoriale du 4 octobre 2011 de considérer l’immeuble du 42, avenue Foch comme un local diplomatique302. Les demandes ultérieures de la République de Guinée équatoriale ayant le même objet ont conduit au simple rappel par la France de son
298 Voir supra Chapitre 1, pars. 1.19-1.23 et Chapitre 3, pars. 3.53-3.54.
299 Mémoire RGE, pars. 9.5 et 9.16.
300 Mémoire RGE, par. 9.10.
301 Mémoire RGE, par. 9.41 (« le fait illicite que la Guinée équatoriale dénonce perdure, causant à la Guinée équatoriale un préjudice continu. (…) La France continue donc de lui contester le statut de locaux de la mission diplomatique »).
302 Voir supra, par. 1.23.
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refus initial ; elles ne sauraient transformer un fait instantané en fait continu. Sans doute le refus produit-il des effets dans le temps, puisqu’il a ultérieurement donné naissance à un différend. Mais cet effet de l’acte instantané ne doit pas être confondu avec un acte illicite continu303. Comme l’indiquent les commentaires de la Commission du droit international sur l’article 14 du projet d’Articles de 2001 : « un fait n’a pas un caractère continu simplement parce que ses effets ou ses conséquences s’étendent dans le temps »304.
5.10 De plus, admettre une telle présentation du préjudice comme résultant d’un acte illicite continu reviendrait à accepter et tirer des conséquences juridiques du transfert de facto de certaines activités au 42, avenue Foch, contre la volonté clairement exprimée de l’Etat accréditaire et malgré les circonstances de ce transfert305.
5.11 Par ailleurs, la France observe que la requérante n’apporte aucune preuve concrète de la survenance d’un quelconque dommage résultant d’une atteinte à la sécurité des locaux concernés.
5.12 La Guinée équatoriale invoque encore le préjudice moral résultant des « péripéties que la Guinée équatoriale doit endurer de la part de la France pour faire respecter le statut des locaux de sa mission diplomatique »306. Le terme de « péripéties », par son imprécision, révèle la difficulté de la requérante à identifier précisément un préjudice. Par ailleurs, il désigne de façon bien plus appropriée les déclarations fluctuantes et contradictoires de la Guinée équatoriale à propos de l’usage de cet immeuble, y compris après le 11 octobre 2011307.
303 Septième rapport sur la responsabilité des Etats, par M. Roberto Ago, rapporteur spécial, Ann. C.D.I., 1978, vol. I(1), par. 26-37.
304 Articles de 2001, commentaires, p. 148, par. 6.
305 Voir supra Chapitre 1, par. 1.40 et Chapitre 4 pars. 4.20-4.25.
306 Mémoire RGE, par. 9.16.
307 Voir supra, pars. 1.24-1.28 et Chapitre 4, pars. 4.21-4.23.
102
II. LE CONTENU DE LA RESPONSABILITE
5.13 Les développements que le mémoire de la Guinée équatoriale consacre ensuite aux conséquences du fait illicite allégué s’appuient eux aussi, pour leur plus grande part, sur des allégations de violation d’une obligation internationale qui n’entrent pas dans le champ de la compétence matérielle de la Cour. Il convient, comme pour le préjudice, de limiter la discussion à ce qui y entre, conformément aux termes de l’arrêt du 6 juin 2018, à savoir les perquisitions et la non-reconnaissance du statut diplomatique.
5.14 L’obligation de cessation est mentionnée dans le mémoire équato-guinéen seulement à propos de la procédure contre M. Teodoro Nguema Obiang Mangue et de la saisie pénale de l’immeuble, donc pour des faits en dehors du champ du litige à l’égard duquel la Cour a compétence. Cela est cohérent car une telle obligation ne peut porter que sur des violations revêtant un caractère continu308, ce que la République de Guinée équatoriale souligne également309. Comme les actes illicites allégués sont des faits instantanés, il n’y aurait pas lieu pour la Cour de prononcer une mesure de cessation.
5.15 Quant à d’éventuelles garanties de non-répétition, elles ne seraient pas appropriées au regard des circonstances, à savoir : le faible nombre d’actes en cause, leur lien commun avec une même procédure judiciaire, les fluctuations de la position équato-guinéenne à propos de l’affectation des locaux, les nombreux indices d’un abus de droit. Il en va exactement de même pour les garanties de non-répétition que la requérante réclame plus loin au titre de la satisfaction310. Conformément à la jurisprudence de la Cour, le prononcé de telles mesures suppose des « circonstances spéciales »311. Or, les arguments avancés au soutien de la demande, d’une part, n’entrent pas tous dans le champ de la présente affaire, et, d’autre part, ne sauraient constituer des circonstances spéciales permettant de penser que le fait illicite se répèterait. Comme la Cour l’a maintes fois indiqué, « il n’y a pas lieu de
308 Articles de 2001, commentaires, pp. 233-234 ; CIJ, arrêt, 3 février 2012, Immunités juridictionnelles de l’Etat, Rec. 2014, p. 153, par. 137 ; sentence du 30 avril 1990, Rainbow Warrior (Nouvelle Zélande c. France), Recueil des sentences arbitrales, vol. XX, 1990, p. 270, par. 113.
309 Mémoire RGE, par. 9.21.
310 Mémoire RGE, par. 9.33. Voir le Projet d’Articles de 2001, art. 30 (a).
311 CIJ, arrêt, 13 juillet 2009, Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), Rec. 2009, p. 267, par. 150 ; CIJ, arrêt, 3 février 2012, Immunités juridictionnelles de l’Etat, Rec. 2014, p. 154, par. 138.
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supposer que l’Etat dont un acte ou un comportement a été déclaré illicite par la Cour répétera à l’avenir cet acte ou ce comportement, puisque sa bonne foi doit être présumée »312.
5.16 Au titre de la réparation ensuite, la République de Guinée équatoriale demande des mesures de satisfaction et d’indemnisation313. Toutefois, si l’on devait admettre l’existence d’un quelconque acte illicite attribuable à la France, il faudrait s’interroger sur la contribution de la Guinée équatoriale à la réalisation du préjudice avant d’en arriver aux modalités de la réparation. Selon l’article 39 des Articles de 2001 sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, « l’action ou … l’omission, intentionnelle ou par négligence, de l’Etat lésé » doit être prise en compte pour déterminer la réparation314. Cela est conforme à la jurisprudence de la Cour315. De plus, selon l’article 31, paragraphe 1, des Articles de 2001, l’établissement d’un lien causal entre le fait internationalement illicite et le préjudice est nécessaire. Ici, ce lien est très nettement affecté par le comportement de l’Etat prétendument lésé.
5.17 Dans la présente affaire, la contribution au préjudice atteint son degré maximal car la requérante a elle-même créé la situation qu’elle qualifie désormais de préjudice, en prétendant transférer à partir du 27 juillet 2012 certaines activités dans un immeuble dont elle savait qu’il faisait l’objet d’une procédure judiciaire et était grevé d’une mesure de sûreté. Préalablement, elle avait contribué au préjudice par ses déclarations variables et contradictoires316. Elle a de surcroît établi un rapport direct entre sa position relative à l’immeuble et la procédure judiciaire en cours à l’encontre de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue317. Chacun de ces actes constitue une contribution notable au supposé préjudice. Pris ensemble, ils donnent à voir un abus de droit bien plus que l’exercice légitime d’un droit au titre de la Convention de Vienne318.
312 CPJI, Usine de Chorzów, fond, arrêt n° 13, 1928, CPJI série A n° 17, p. 63 ; CIJ, arrêts, 20 décembre 1974, Essais nucléaires (Australie c. France), Rec. 1974, p. 272, par. 60, et Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), Rec. 1974, p. 477, par. 63 ; CIJ, arrêt, 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, Rec. 1984, p. 437, par. 101 ; CIJ, arrêt, 13 juillet 2009, Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), Rec. 2009, p. 267, par. 150 ; CIJ, arrêt, 3 février 2012, Immunités juridictionnelles de l’Etat, Rec. 2014, p. 154, par. 138.
313 Mémoire RGE, par. 9.27-9.37.
314 Articles de 2001, article 39.
315 CIJ, arrêt, 27 juin 2001, LaGrand (Allemagne c. États.Unis d.Amérique), p. 508, par. 116.
316 Voir supra Chapitre 4 pars. 4.20-4.25.
317 Voir supra Chapitre 4 pars. 4.39-4.40.
318 Voir supra Chapitre 4, par. 4.56.
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5.18 A supposer, à titre très subsidiaire, qu’une obligation de réparer pèse malgré tout sur la France, il conviendrait d’examiner avec attention les demandes de la requérante, et ce exclusivement dans la mesure où elles entrent dans le champ de compétence matérielle de la Cour.
5.19 Les demandes de réparation telles que formulées dans le mémoire prennent la forme de mesures de satisfaction, pour le préjudice moral, et d’indemnisation, aussi bien pour le préjudice matériel que pour le préjudice immatériel. La requérante exclut ainsi à juste titre la restitution, y compris à propos des perquisitions. La forme de la réparation souhaitée pour les perquisitions est seulement la satisfaction, car ces actes « ne sont pas susceptibles de réparation par la restitution ou l’indemnisation »319.
5.20 Au demeurant, la République de Guinée équatoriale n’a jamais prétendu que les objets saisis lui appartenaient ou relevaient autrement des fonctions de sa mission diplomatique320. Il a été établi dans le cadre d’une procédure judiciaire qu’ils appartenaient à un tiers, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue321. Dès lors, la réparation de l’éventuel préjudice subi en propre par la République de Guinée équatoriale ne saurait s’étendre à ce patrimoine personnel et privé.
5.21 Parmi les demandes d’indemnisation, celle relative aux préjudices immatériels porte uniquement sur des violations n’entrant pas dans le champ de la compétence matérielle de la Cour322. Il ne reste dès lors qu’une demande d’indemnisation du préjudice matériel, pour la non-reconnaissance du statut diplomatique des locaux du 42, avenue Foch.
5.22 A cet égard, la République de Guinée équatoriale non seulement n’apporte aucune preuve d’un dommage, mais ne formule aucune demande précise. Elle se contente de se « réserver le droit de demander, à une phase ultérieure de la procédure, que lui soit adjugé le montant de l’indemnisation pour toutes les conséquences pécuniaires des actes illicites de la France »323. La France n’est ainsi pas en mesure de répondre à ces allégations dans le présent contre-mémoire. Au demeurant, elle ne discerne aucun préjudice matériel puisqu’il est patent
319 Mémoire RGE, par. 9.31.
320 Voir supra Chapitre 3, pars. 3.62 et Chapitre 4, par. 4.44.
321 Voir supra Chapitre 1, pars. 1.7-1.13 et 1.30-1.35.
322 Mémoire RGE, par. 9.36.
323 Mémoire RGE, par. 9.37.
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que la mission diplomatique de la République de Guinée équatoriale, de jure sise 29 boulevard de Courcelles, pouvait parfaitement remplir ses fonctions. La volonté de la République de Guinée équatoriale de transférer certaines activités au 42, avenue Foch, nonobstant l’opposition de la France et les mesures pénales antérieures dont l’immeuble était l’objet, ne saurait engendrer un préjudice imputable à la République française.
5.23 Enfin, la requérante demande le maintien de l’obligation d’exécuter les obligations violées, se référant tant à la Convention de Vienne qu’au droit international général324. La France rappelle que le présent différend porte uniquement sur la Convention de Vienne, dont il n’est pas contesté qu’elle demeure en vigueur dans les relations entre les parties ; dès lors, la demande n’ajoute rien.
***
5.24 En conclusion de ce chapitre, la France réaffirme qu’elle n’a nullement manqué aux obligations de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Si la Cour devait en juger autrement, elle devrait nécessairement constater, d’une part, qu’aucune mesure de cessation n’est requise s’agissant de faits instantanés et que des garanties de non-répétition ne sont pas requises au regard des circonstances et, d’autre part, que la contribution de la République de Guinée équatoriale au préjudice est telle que ses demandes de réparation devraient être rejetées dans leur intégralité. A titre plus subsidiaire encore, si des mesures de réparation devaient être prononcées nonobstant le comportement de la République de Guinée équatoriale, une mesure de satisfaction, consistant en un constat de violation de la Convention, serait la seule mesure envisageable.
324 Mémoire RGE, par. 9.39-9.40.
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CONCLUSIONS
Pour les raisons exposées dans le présent contre-mémoire et pour tous autres motifs à produire, déduire ou suppléer s’il échet, la République française prie la Cour internationale de Justice de bien vouloir rejeter l’ensemble des demandes formulées par la République de Guinée équatoriale.
Paris, le 6 décembre 2018
François ALABRUNE
Agent de la République française
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TABLE DES ANNEXES
1. Note verbale n° 3227 du ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 28 juin 2002
2. Note verbale de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au ministère des Affaires étrangères de la République française, le 27 décembre 2006
3. Procès-verbal de transport au 42 avenue Foch 75016 Paris en date du 5 octobre 2011
4. Note verbale n° 5638 du ministère des Affaires étrangères et du développement international de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, 13 juin 2014
5. Note verbale n° 2016-313721 du ministère des Affaires étrangères et du développement international de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 27 avril 2016
6. Note verbale n° 069/2017 de l’ambassade de la République de Guinée équatoriale adressée au ministère des Affaires étrangères et du développement international de la République française, 15 février 2017
7. Note verbale n° 2017-158865 du ministère des Affaires étrangères et du développement international de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 2 mars 2017
8. Manuel de protocole du Ministère fédéral des Affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne, publié le 1er janvier 2013
9. Note verbale n° 3190 du ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale, le 6 juillet 2005
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10. Note verbale de l’ambassade de [X] adressée au ministère des Affaires étrangères de la République française, le 6 mai 2016
11. Note verbale n°2016-468932 du ministère des Affaires étrangères de la République française adressée à l’ambassade de [X], le 24 juin 2016
12. Note verbale de l’ambassade de [X] adressée au ministère des Affaires étrangères de la République française, le 12 janvier 2017
13. Note verbale n° 2017-050359 du ministère des Affaires étrangères et du développement international de la République française adressée à l’ambassade de [X], le 20 janvier 2017
14. « Mémorandum déposé dans l’intérêt de la République de Guinée Équatoriale, représentée par Maître Jean-Pierre Mignard et Maître Jean-Charles Tchikaya, à l’attention des services compétents de la République Française dans l’affaire dite des « biens mal acquis », volet Guinée Équatoriale », 16 octobre 2015
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Impression : Service de reprographie du MEAE – La Courneuve.

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Contre-mémoire de la France

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