Duplique de l'Etat du Qatar

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174-20190729-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15907
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
APPEL CONCERNANT LA COMPÉTENCE DU CONSEIL DE L’OACI EN VERTU
DE LA SECTION 2 DE L’ARTICLE II DE L’ACCORD DE 1944 RELATIF AU TRANSIT
DES SERVICES AÉRIENS INTERNATIONAUX (BAHREÏN,
ÉGYPTE ET ÉMIRATS ARABES UNIS c. QATAR)
DUPLIQUE DE L’ÉTAT DU QATAR
VOLUME I
29 juillet 2019
[Traduction du Greffe]

TABLE DES MATIÈRES
Page
CHAPITRE 1. INTRODUCTION .............................................................................................................. 1
CHAPITRE 2. LE VÉRITABLE PROBLÈME EN CAUSE DEVANT LA COUR PORTE SUR LES
MESURES D’INTERDICTION DES APPELANTS ET NON SUR LES PRÉTENDUES VIOLATIONS
DES ACCORDS DE RIYAD IMPUTÉES AU QATAR............................................................................. 5
I. Les mesures d’interdiction imposées par les appelants sont contraires à l’accord de
transit .................................................................................................................................. 5
II. La thèse des appelants relative au «véritable problème en cause» est clairement un
prétexte ............................................................................................................................... 8
CHAPITRE 3. LA COUR DEVRAIT REJETER LE DEUXIÈME MOYEN D’APPEL ...................................... 14
I. L’existence entre les Parties d’un différend à propos d’autres questions ne change rien
au véritable problème en cause dans la présente affaire .................................................. 15
II. Le critère du véritable problème exige de préciser objectivement l’«objet de la
demande» .......................................................................................................................... 18
III. Le présent différend relève totalement de la compétence du Conseil de l’OACI selon
le critère du «véritable problème» .................................................................................... 20
A. Le Conseil de l’OACI a compétence pour statuer sur le moyen de défense des
appelants relatif aux contre-mesures ................................................................................. 22
B. Le Conseil de l’OACI pourrait trancher le présent différend sans examiner au fond
le moyen de défense des appelants relatif aux contre-mesures ......................................... 25
IV. Il est parfaitement compatible avec le principe de l’opportunité judiciaire que le
Conseil de l’OACI statue sur les demandes du Qatar ...................................................... 29
CHAPITRE 4. LA COUR DEVRAIT REJETER LE TROISIÈME MOYEN D’APPEL ...................................... 31
I. C’est à juste titre que le Conseil de l’OACI a estimé que le Qatar avait satisfait à
l’obligation de négociation prévue dans la section 2 de l’article II .................................. 31
A. Les appelants font une interprétation inexacte de la norme juridique pertinente ............. 31
1. La section 2 de l’article II n’impose pas à une partie de tenter de négocier si
l’autre partie s’y refuse catégoriquement ................................................................... 32
2. Il suffit que la véritable tentative de négociation ait été engagée «en vue de
régler le différend» ..................................................................................................... 37
3. La souplesse est requise pour apprécier les négociations ............................................. 38
B. Les appelants appliquent à mauvais escient le critère juridique aux faits de l’espèce ..... 39
1. Le Qatar a véritablement tenté de négocier directement avec les appelants ................. 39
2. Le Qatar a véritablement tenté de négocier par l’entremise de l’OACI ....................... 41
3. Le Qatar a véritablement tenté de négocier par l’entremise de l’OMC ........................ 45
- ii -
4. Le Qatar a véritablement tenté de négocier par l’entremise de tiers ............................. 45
II. Le Conseil de l’OACI a conclu, à juste titre, que la requête et le mémoire du Qatar
satisfaisaient aux dispositions de l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement de l’OACI ...... 46
CHAPITRE 5. LA COUR DEVRAIT REJETER LE PREMIER MOYEN D’APPEL ......................................... 48
I. La Cour devrait refuser d’exercer son pouvoir de contrôle à l’égard des prétendues
irrégularités de procédure ................................................................................................. 49
A. La question de la compétence du Conseil est une «question juridique objective»
dont la réponse ne dépend pas de la nature de la procédure suivie par cet organe .......... 49
B. La tentative des appelants pour distinguer l’affaire Inde c. Pakistan de la présente
espèce est vaine ................................................................................................................. 52
II. Le Conseil de l’OACI s’est acquitté comme il se doit de ses fonctions au titre de la
section 2 de l’article II ...................................................................................................... 54
A. L’absence de délibérations publiques sur les questions de fond en cause et
l’absence de motivation s’expliquent par la décision du Conseil de procéder à un
scrutin secret comme l’y autorise son Règlement intérieur ............................................. 54
B. Les appelants ont tort d’affirmer que le Conseil n’a pas tenu de délibérations
publiques sur certaines questions d’ordre procédural ....................................................... 57
C. Les appelants ont amplement eu le loisir de présenter leurs arguments devant le
Conseil de l’OACI ............................................................................................................ 59
CONCLUSIONS .................................................................................................................................. 61
CERTIFICATION ................................................................................................................................. 62
ANNEXES .......................................................................................................................................... 63
- iii -
GLOSSAIRE DES PRINCIPAUX TERMES, ABRÉVIATIONS
ET ACRONYMES
Affaire Inde c. Pakistan Appel concernant la compétence du Conseil de
l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972
Accord de transit Accord relatif au transit des services aériens
internationaux, Chicago, 7 décembre 1944
Appelants Le Royaume de Bahreïn, la République arabe
d’Egypte et les Emirats arabes unis
Arabie saoudite Le Royaume d’Arabie saoudite
Articles sur la responsabilité de
l’Etat
Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour
fait internationalement illicite
Bahreïn Le Royaume de Bahreïn
CCG Conseil de coopération du Golfe
CDI Commission du droit international
CIEDR Convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale (1969)
CMQ-B Appel concernant la compétence du Conseil de
l’OACI en vertu de l’article II, section 2, de l’accord
de 1944 relatif au transit des services aériens
internationaux (Bahreïn, Egypte et Emirats
arabes unis c. Qatar), contre-mémoire de l’Etat du
Qatar, 25 février 2019
CNUDM Convention des Nations Unies sur le droit de la mer
Conseil de l’OACI Conseil de l’Organisation de l’aviation civile
internationale
Convention contre la torture Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984)
Convention de Chicago Convention relative à l’aviation civile internationale,
Chicago, 7 décembre 1944
Convention de Vienne Convention de Vienne sur le droit des traités
Décision B du Conseil de l’OACI Décision rendue le 29 juin 2018 par le Conseil de
l’Organisation de l’aviation civile internationale
concernant l’exception préliminaire soulevée en
l’affaire opposant l’Etat du Qatar au Royaume de
Bahreïn, à la République arabe d’Egypte et aux
Emirats arabes unis (2017, requête B)
- iv -
DQ-B Appel concernant la compétence du Conseil de
l’OACI en vertu de l’article II, section 2, de l’accord
de 1944 relatif au transit des services aériens
internationaux (Bahreïn, Egypte et Emirats
arabes unis c. Qatar), duplique de l’Etat du Qatar,
29 juillet 2019
Duplique B devant l’OACI Duplique de la République arabe d’Egypte, du
Royaume de Bahreïn et des Emirats arabes unis à la
réponse de l’Etat du Qatar aux exceptions
préliminaires des défendeurs au sujet de la requête B
de l’Etat du Qatar relative au désaccord découlant de
l’accord relatif au transit des services aériens
internationaux, signé à Chicago le 7 décembre 1944,
12 juin 2018
EAU Les Emirats arabes unis
Egypte La République arabe d’Egypte
Exceptions préliminaires B
devant l’OACI
Exceptions préliminaires de la République arabe
d’Egypte, du Royaume de Bahreïn et des Emirats
arabes unis au sujet de la requête B de l’Etat du Qatar
relative au désaccord découlant de l’accord relatif au
transit des services aériens internationaux, signé à
Chicago le 7 décembre 1944, 19 mars 2018
FIR Flight information region
Région d’information de vol
FMI Fonds monétaire international
GAFI Groupe d’action financière
MBEE Appel concernant la compétence du Conseil de
l’OACI en vertu de l’article II, section 2, de l’accord
de 1944 relatif au transit des services aériens
internationaux (Bahreïn, Egypte et Emirats arabes
unis c. Qatar), mémoire du Royaume de Bahreïn, de
la République arabe d’Egypte et des Emirats arabes
unis, 27 décembre 2018
Mémoire B devant l’OACI Mémoire joint à la requête B de l’Etat du Qatar,
Désaccord à propos de l’interprétation et de
l’application de l’accord relatif au transit des services
aériens internationaux (Chicago, 1944), 30 octobre
2017
NOTAM Avis aux navigateurs aériens
OACI Organisation de l’aviation civile internationale
OMC Organisation mondiale du commerce
- v -
Qatar L’Etat du Qatar
QNA Qatar News Agency
(Agence de presse gouvernementale du Qatar)
Règlement de l’OACI Règlement de l’OACI pour la solution des différends
de 1957
Réplique B devant l’OACI Réponse de l’Etat du Qatar aux exceptions
préliminaires des défendeurs au sujet de la requête B
de l’Etat du Qatar relative au désaccord à propos de
l’interprétation et de l’application de l’accord relatif
au transit des services aériens internationaux
(Chicago, 1944), 30 avril 2018
Requête B devant l’OACI Requête B de l’Etat du Qatar, Désaccord à propos de
l’interprétation et de l’application de l’accord relatif
au transit des services aériens internationaux
(Chicago, 1944), 30 octobre 2017
Requête B devant la Cour Appel concernant la compétence du Conseil de
l’OACI en vertu de l’article II, section 2, de l’accord
de 1944 relatif au transit des services aériens
internationaux (Bahreïn, Egypte et Emirats arabes
unis c. Qatar), requête introductive d’instance
conjointe, 4 juillet 2018
TFTC Terrorist Financing Targeting Center
Centre de lutte contre le financement du terrorisme
UE L’Union européenne
CHAPITRE 1
INTRODUCTION
1.1. En application de l’ordonnance rendue par la Cour le 27 mars 2019, l’Etat du Qatar
(ci-après le «Qatar») soumet respectueusement la présente duplique en réponse à la réplique du
Royaume de Bahreïn (ci-après «Bahreïn»), de la République arabe d’Egypte (ci-après l’«Egypte»)
et des Emirats arabes unis (ci-après les «EAU») (ensemble, ci-après les «appelants»), en date du
27 mai 20191.
1.2. Dans son contre-mémoire, le Qatar a montré que la Cour avait, par le passé, rejeté des
arguments largement identiques à ceux que les appelants avancent aujourd’hui à l’appui de leurs
premier et deuxième moyens d’appel. Plus précisément, dans l’arrêt qu’elle rendu au sujet de
l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan) (ci-après l’affaire «Inde
c. Pakistan»), la Cour a rejeté les arguments de l’Inde selon lesquels la décision rendue par le
Conseil de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) (ci-après le «Conseil de
l’OACI») quant à sa propre compétence en vertu de l’article 84 de convention relative à l’aviation
civile internationale (ci-après la «convention de Chicago») (à laquelle la section 2 de l’article II de
l’accord relatif au transit des services aériens internationaux (ci-après «l’accord de transit») renvoie
expressément2) était 1) viciée par des irrégularités de procédure3, et 2) erronée sur le fond, les
questions soulevées par l’Inde en défense ne relevant pas de ladite convention4.
1.3. S’agissant du premier point, la Cour a conclu que la question dont elle était saisie se
limitait à une «question juridique objective» (celle de savoir si le Conseil de l’OACI était ou non
compétent), dont la solution ne pouvait «dépendre de ce qui s’[était] passé devant le Conseil»5. Les
griefs formulés par l’Inde au sujet de la procédure étaient donc dépourvus de pertinence.
1.4. S’agissant du deuxième point, la Cour a dit que l’«[o]n ne saurait considérer le Conseil
comme privé de compétence du seul fait que des données extérieures aux Traités pourraient être
invoquées, dès lors que, de toute façon, des questions relatives à l’interprétation ou à l’application
de ceux-ci entrent en jeu»6.
1 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI en vertu de l’article II, section II, de l’accord de 1944
relatif au transit des services aériens internationaux (Bahreïn, Egypte et Emirats arabes unis c. Qatar), réplique du
Royaume de Bahreïn, de la République arabe d’Egypte et des Emirats arabes unis, 27 mai 2019 (ci-après «RBEE»).
2 Aux termes de la section 2 de l’article II de l’accord relatif au transit des services aériens internationaux signé à
Chicago le 7 décembre 1994 (ci-après l’«accord de transit») : «Si un désaccord survenu entre deux ou plusieurs États
contractants à propos de l’interprétation ou de l’application du présent Accord ne peut être réglé par voie de négociation,
les dispositions du chapitre XVIII de la Convention [de Chicago] seront applicables dans les conditions prévues par
lesdites dispositions relativement à tout désaccord portant sur l’interprétation ou l’application de ladite Convention.»,
accord de transit, art. II, sect. 2 (Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI en vertu de l’article II, section 2,
de l’accord de 1944 relatif au transit des services aériens internationaux (Bahreïn, Egypte et Emirats arabes unis
c. Qatar), mémoire du Royaume de Bahreïn, de la République arabe d’Egypte et des Emirats arabes unis, 27 décembre
2018 (ci-après «MBEE»), vol. II, annexe 2). L’article 84 est la toute première clause du chapitre XVIII de la convention
de Chicago  convention relative à l’aviation civile internationale signée à Chicago le 7 décembre 1994 (ci-après la
«convention de Chicago»), art. 84 (MBEE, vol. II, annexe 1).
3 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, par. 45.
4 Ibid., par. 27.
5 Ibid., par. 45.
6 Ibid., par. 27.
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1.5. Dans leur mémoire, les appelants ont choisi de ne tenir aucun compte de la portée de
l’arrêt Inde c. Pakistan et de ses effets sur leur argumentation. Il en va de même dans leur réplique :
ils n’ont pas cherché à distinguer cette affaire-là de la présente instance, ni prétendu que la décision
rendue par la Cour en 1972 pût être erronée pour une quelconque raison. Par conséquent, la Cour
peut rejeter les premier et deuxième moyens d’appel pour les mêmes raisons qu’elle a rejeté les
arguments analogues de l’Inde en 1972.
1.6. A propos des arguments de l’Inde qui sont pertinents pour le premier moyen d’appel
qu’ils avancent, les appelants affirment que la Cour ne les a rejetés que parce que les irrégularités
de procédure alléguées ne «constitu[aient] pas une atteinte fondamentale aux exigences d’une
bonne procédure»7. Or cela n’est pas exact. Le fondement essentiel de la décision de la Cour était
que celle-ci, ainsi qu’elle l’a souligné, était uniquement tenue de répondre à une question juridique
objective. Le constat auquel les appelants font référence n’était qu’une raison supplémentaire de
rejeter la thèse de l’Inde. En tout état de cause, les appelants oublient que les prétendues
irrégularités de procédure qu’ils dénoncent sont quasiment identiques à celles dont l’Inde se
plaignait dans l’affaire antérieure. Si ces irrégularités supposées ne «constitu[aient] pas une atteinte
fondamentale aux exigences d’une bonne procédure» dans cette affaire-là, il ne saurait en aller
autrement dans la présente instance.
1.7. Plutôt que d’accepter l’éclairage que l’arrêt de 1972 donne à leur premier moyen, les
appelants présentent un exposé dénué de pertinence et largement répétitif, dans lequel ils
s’emploient à attaquer le comportement du Conseil de l’OACI ainsi que, d’ailleurs, l’ensemble du
système de règlement des différends prévu par l’accord de transit et la convention de Chicago
(alors qu’ils y ont bien entendu consenti lorsqu’ils ont ratifié ces instruments). Cet exposé est, pour
les raisons déjà mentionnées, hors sujet. Mais le Qatar s’attachera de nouveau, dans la présente
duplique, à montrer qu’en réalité le Conseil n’a pas commis d’erreur de procédure, ni a fortiori
d’erreur qui contrevienne d’une quelconque manière aux exigences d’une procédure équitable.
1.8. S’agissant de la partie de l’arrêt de 1972 qui est pertinente pour le deuxième moyen
d’appel qu’ils avancent, les appelants se bornent à dire que «l’affaire Inde c. Pakistan ne mettait
pas en jeu la question des contre-mesures»8. Cependant, ils ne s’efforcent nullement d’expliquer en
quoi cette différence changerait la donne. Car elle ne la change pas. La décision rendue par la Cour
en cette instance n’était pas circonscrite au moyen de défense spécifique de l’Inde ; il s’agissait
d’une conclusion formulée en des termes généraux. D’ailleurs, la Cour n’aurait pu s’exprimer plus
clairement : «Le fait qu’une défense au fond se présente d’une certaine manière ne peut porter
atteinte à la compétence du tribunal ou de tout autre organe en cause ; sinon les parties seraient en
mesure de déterminer elles-mêmes cette compétence, ce qui serait inadmissible.»9 Cela vaut aussi
pour le moyen de défense que les appelants fondent sur leur recours aux contre-mesures.
1.9. A l’appui de leur deuxième moyen, les appelants tentent de remanier les arguments déjà
exposés dans leur mémoire. Ils soutiennent qu’en l’espèce le «véritable problème» en cause est lié
au prétendu non-respect par le Qatar de ses obligations en matière de lutte contre le terrorisme et
dans d’autres domaines. D’après eux, les questions en litige dans la présente affaire ne peuvent être
dissociées de cet autre différend entre les Parties. Cet argument est contredit non seulement par
l’arrêt en l’affaire Inde c. Pakistan, mais également par la jurisprudence bien établie de la Cour, qui
a confirmé que le fait qu’un différend particulier se fasse jour dans un contexte plus vaste ne la
7 RBEE, par. 1.5 [a)] (citant Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt,
C.I.J. Recueil 1972, par. 44-45).
8 Ibid., par. 4.27.
9 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, par. 27.
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privait pas de sa compétence (autre point que la réplique passe sous silence). En réalité, le seul et
unique différend soumis au Conseil de l’OACI, et maintenant à la Cour, porte sur la violation par
les appelants des dispositions de l’accord de transit.
1.10. Les arguments sur lesquels les appelants fondent leur troisième moyen d’appel relatif à
l’obligation de négociation énoncée à la section 2 de l’article II de l’accord de transit sont tout aussi
peu convaincants. Le Qatar a démontré dans son [contre-]mémoire que la position des appelants en
matière de négociations était claire et catégorique : ils refusaient toute discussion à tout moment
tant que le Qatar n’aurait pas satisfait à leurs «13 exigences», elles-mêmes non négociables.
1.11. Les appelants ne contestent pas dans la réplique qu’ils n’ont à aucun moment été
disposés à négocier. Ils soutiennent en revanche que, même ainsi, le droit international exigeait du
Qatar qu’il fît une «véritable tentative» pour négocier avec eux, ce qu’il n’aurait pas fait selon eux.
Les appelants se fourvoient en droit comme en fait. Du point de vue du droit, les Etats ne sont pas
tenus, face à un refus total et exprès de discuter ab initio, de véritablement tenter des négociations.
Rien dans la jurisprudence de la Cour n’impose pareille approche inutilement formaliste. En tout
état de cause, du point de vue factuel, il ressort du dossier de l’affaire que le Qatar a non seulement
véritablement tenté de négocier avec les appelants sur le différend relatif à l’aviation, mais aussi
qu’il l’a fait durant une longue période et dans diverses enceintes, y compris l’OACI. Les
manoeuvres des appelants pour contester ces faits dans leur réplique et mettre en doute que les
multiples efforts du Qatar pour discuter avec eux puissent suffire à constituer une «véritable
tentative» de négociation n’emportent nullement la conviction.
1.12. Pour toutes ces raisons, qui seront développées plus en détail dans les chapitres
suivants, la Cour devrait rejeter les arguments des appelants, débouter ceux-ci de leur appel et
conclure que le Conseil de l’OACI a eu raison de se déclarer compétent pour connaître du différend
que lui a soumis le Qatar il y a près de deux ans.
1.13. Comme il l’a fait dans son contre-mémoire, le Qatar examinera les moyens d’appel
dans un ordre différent de celui dans lequel les appelants les ont présentés dans leurs écritures. Il
commencera par les deux motifs d’incompétence invoqués devant le Conseil de l’OACI ;
autrement dit, il se penchera d’abord sur le deuxième moyen d’appel en l’espèce, puis sur le
troisième. Pour finir, il s’intéressera au premier moyen d’appel, portant sur les prétendues
irrégularités de procédure.
1.14. L’exposé principal de la présente [duplique] se divise en cinq chapitres, suivis des
conclusions du Qatar. Après la présente introduction, le chapitre 2 rappellera brièvement le
contexte factuel dans lequel les appelants ont imposé des mesures d’interdiction visant l’aviation,
lesquelles constituent le coeur du différend au titre de l’accord de transit. Il sera en particulier
question des allégations des appelants selon lesquelles ces interdictions auraient été précédées d’un
préavis, décidées en coopération avec des autorités extérieures, et appliquées de manière
proportionnée. En outre, le chapitre 2 montrera que les affirmations mensongères des appelants sur
le prétendu soutien du Qatar au terrorisme, ainsi que sur d’autres sujets, ne sont qu’un prétexte mal
dissimulé pour tenter de se soustraire à la compétence du Conseil de l’OACI.
1.15. Le chapitre 3 traitera du deuxième moyen d’appel et montrera pourquoi les arguments
exposés dans la réplique à propos du prétendu défaut de compétence du Conseil de l’OACI ne sont
pas convaincants. Il sera d’abord démontré que, conformément à la jurisprudence constante de la
Cour, le fait que les Parties soient en désaccord sur d’autres sujets ne signifie pas que le véritable
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- 4 -
différend ici en cause ait trait à des questions autres que celles qui font l’objet de la demande
soumise au Conseil par le Qatar. Seront également détaillées les nombreuses raisons pour
lesquelles le différend relève sans conteste, au regard du critère du «véritable problème», de la
compétence du Conseil. Nous verrons en particulier que le Conseil est compétent pour se
prononcer sur le moyen de défense que les appelants tirent du recours aux contre-mesures, même
s’il pourrait aussi bien trancher le différend sans avoir besoin d’examiner ce moyen sur le fond.
Enfin, dans ce même chapitre, le Qatar réfutera l’exception d’incompétence que les appelants ont
revisitée en exception d’irrecevabilité et montrera clairement qu’une décision du Conseil de
l’OACI à l’égard de ses demandes serait parfaitement conforme au principe d’opportunité
judiciaire.
1.16. Au chapitre 4, nous verrons pourquoi le troisième moyen d’appel avancé par les
appelants est tout aussi dénué de fondement. Non seulement ces derniers se méprennent sur le
critère juridique régissant l’obligation de négocier énoncée à la section 2 de l’article II de l’accord
de transit, mais ils l’appliquent aux faits de l’espèce à mauvais escient. Il sera montré que le Qatar a
satisfait à cette obligation en s’employant, à maintes reprises et dans diverses enceintes, à négocier
avec les appelants au sujet des interdictions visant l’aviation, essuyant à chaque fois un refus de
leur part. Dans ce chapitre sera également réfutée la thèse des appelants selon laquelle le Qatar
n’aurait pas satisfait à l’exigence énoncée à l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement pour la solution
des différends de l’OACI (ci-après le «Règlement de l’OACI»).
1.17. Le chapitre 5 traitera du premier moyen d’appel avancé par les appelants. Nous
reviendrons tout d’abord sur le fait que ces derniers ne font aucun cas de l’arrêt rendu en l’affaire
Inde c. Pakistan, dans lequel la Cour a conclu que sa seule mission à ce stade était de statuer sur
une «question juridique objective», qui ne pouvait «dépendre de ce qui s’[était] passé devant le
Conseil [de l’OACI]». Il sera ensuite démontré que les irrégularités de procédure alléguées par les
appelants en l’espèce sont quasiment identiques à celles alléguées par l’Inde en 1972. Par
conséquent, quand bien même elle serait amenée à examiner le premier moyen d’appel au fond, la
Cour conclurait qu’aucune de ces irrégularités ne constitue une atteinte fondamentale aux
exigences d’une procédure équitable, pas davantage en la présente instance qu’en l’affaire Inde
c. Pakistan. Enfin, il sera établi dans ce chapitre que le Conseil a suivi une procédure parfaitement
conforme à sa pratique et au cadre procédural en vigueur. Les allégations des appelants concernant
de prétendues irrégularités de procédure sont donc dénuées de fondement.
La présente duplique s’achèvera par les conclusions du Qatar.
7
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CHAPITRE 2
LE VÉRITABLE PROBLÈME EN CAUSE DEVANT LA COUR PORTE SUR LES MESURES
D’INTERDICTION DES APPELANTS ET NON SUR LES PRÉTENDUES VIOLATIONS
DES ACCORDS DE RIYAD IMPUTÉES AU QATAR
2.1. La présente affaire a un seul objet : les mesures d’interdiction visant l’aviation que les
appelants ont prises au mépris des obligations qui leur incombent au titre de l’accord de transit. La
seule question qui se pose à la Cour concerne la décision par laquelle le Conseil de l’OACI s’est
reconnu compétent pour connaître au fond de ces manquements.
2.2. Dans l’espoir de détourner l’attention de leurs mesures d’interdiction visant l’aviation et
de redéfinir le différend, les appelants continuent de porter des accusations fausses et dénuées de
pertinence contre le Qatar, à qui ils font grief de soutenir le terrorisme et l’extrémisme et de
s’ingérer dans leurs affaires intérieures. Selon eux, le simple fait que le Qatar rejette
catégoriquement ces accusations dans son contre-mémoire confirme que «[l]e véritable différend
entre les Parties porte sur les violations des accords de Riyad et d’autres obligations découlant du
droit international commises par [lui]»10. Le Qatar voit les choses autrement : qu’il ait choisi de
parler des prétentions infondées des appelants pour ce qu’elles sont  à savoir un prétexte pour se
soustraire à leurs responsabilités s’agissant de leurs mesures d’interdiction visant l’aviation  ne
modifie en rien la nature du différend soumis au Conseil de l’OACI ou de la question posée à la
Cour.
2.3. Le Conseil de l’OACI a, à juste titre, fait fi des fausses accusations des appelants, les
jugeant dénuées de pertinence. Le Qatar ne doute pas que la Cour fera de même.
2.4. Le présent chapitre est organisé comme suit : la section I traitera de la réponse des
appelants au sujet des seuls faits pertinents pour le véritable problème en cause entre les Parties, à
savoir les violations de l’accord de transit qu’ils ont commises. Il sera démontré que, loin de
correspondre à des «contre-mesures proportionnées aux actes illicites du Qatar»11, les mesures
d’interdiction visant l’aviation ont été mises en oeuvre d’une manière qui met en évidence l’absence
de bonne foi des appelants. Et cette absence de bonne foi apparaît d’autant plus flagrante que le
Qatar a reçu des éloges internationaux pour ses efforts dans la lutte contre le terrorisme et
l’extrémisme, fait embarrassant que les appelants ont choisi d’ignorer au profit de leur récit
mensonger. Cet élément de preuve ainsi que les aveux significatifs des appelants à cet égard et
leurs efforts contraints pour maintenir leurs fausses accusations seront abordés à la section II.
I. LES MESURES D’INTERDICTION IMPOSÉES PAR LES APPELANTS
SONT CONTRAIRES À L’ACCORD DE TRANSIT
2.5. Le Qatar a montré dans son contre-mémoire la manière dont les appelants avaient
imposé des restrictions radicales et sans précédent à l’accès à leurs espaces aériens, et expliqué en
quoi ces mesures violaient l’accord de transit. Les appelants ont répondu à juste titre que «la
question de la portée et de la licéité desdites restrictions relev[ant] clairement du fond … [l]a Cour
10 Voir, par exemple, RBEE, chap. II, titre de la section 1 A ; par. 2.3 («le Qatar ayant reconnu qu’il existait en
effet entre les Parties un différend allant bien au-delà du domaine de l’aviation civile, et portant sur des questions sans
rapport avec celui-ci»).
11 Ibid., chap. II, titre de la section 2.
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n’a[vait] dès lors pas à l’examiner en la présente instance»12. Pourtant, ils affirment en même temps
que leurs mesures d’interdiction visant l’aviation ont été imposées «à titre de contre-mesures
proportionnées»13.
2.6. Il convient de souligner d’entrée de jeu que les appelants ne nient pas qu’à ce jour les
aéronefs immatriculés au Qatar ont interdiction de survoler leurs territoires ou d’utiliser leurs
aéroports pour décoller ou atterrir14. Ils ne nient pas non plus avoir obligé ces aéronefs à emprunter
un nombre limité de routes d’exception. L’ensemble de ces actes a compromis le bon
fonctionnement de l’aviation civile et créé un risque d’engorgement du trafic15.
2.7. Ne pouvant contester l’incontestable, les appelants cherchent plutôt, dans leur réplique, à
établir le caractère prétendument proportionnel de ce qu’ils appellent leurs «contre-mesures», en
soutenant avoir notifié à l’avance les restrictions apportées à l’accès à leurs espaces aériens. Ils
mettent aussi en avant la coopération dont ils prétendent avoir fait preuve aux fins d’établir des
routes d’exception à la suite de l’introduction des mesures d’interdiction visant l’aviation16.
Cependant, par ces arguments, les appelants ne font que souligner l’absence de bonne foi qui
sous-tend aussi bien leurs actes que leur tentative d’échapper à la compétence du Conseil de
l’OACI. Même si les allégations des appelants sont dénuées de pertinence pour la question soumise
à la Cour, le Qatar ne veut pas pour autant les passer sous silence. C’est pourquoi les principaux
points de sa réponse à ce sujet seront résumés aux paragraphes suivants.
2.8. Les appelants soutiennent notamment que les mesures d’interdiction visant l’aviation ont
été adoptées «en temps utile et en bonne et due forme» et «conformément à l’ensemble des règles
et prescriptions de sécurité pertinentes, et en étroite coopération avec toutes les autorités
compétentes, y compris l’OACI»17. Ils ne fournissent cependant aucun élément démontrant que la
moindre notification ait été faite, a fortiori qu’elle l’ait été sept jours ou plus à l’avance (comme
l’exigeait la version alors applicable de l’annexe 15 de la convention de Chicago18). Ils ne prouvent
pas davantage l’existence d’une quelconque coopération avec quelque autorité extérieure que ce
soit, comme l’OACI, dans la mise en place des mesures d’interdiction visant l’aviation. De fait,
aucune coopération de ce type n’a jamais eu lieu.
12 RBEE, par. 2.3 ; voir également ibid. par. 2.35.
13 Ibid., chap. II, titre de la section 2 ; voir également ibid. par. 2.3.
14 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI en vertu de l’article II, section 2, de l’accord de 1944
relatif au transit des services aériens internationaux (Bahreïn, Egypte et Emirats arabes unis c. Qatar), contre-mémoire
de l’Etat du Qatar, 25 février 2019 (ci-après «CMQ-B»), par. 2.21.
15 Ibid., par. 2.22.
16 RBEE, par. 2.37.
17 Ibid., par. 2.36-2.37.
18 Convention relative à l’aviation civile internationale, annexe 15 : «Services d’information aéronautique»,
15e éd., juillet 2016, norme 5.1.1.4 («Un préavis de sept jours au moins sera donné avant de mettre en activité des zones
interdites, réglementées ou dangereuses déjà établies, ainsi qu’avant d’entreprendre des activités qui exigent l’imposition
de restrictions temporaires de l’espace aérien, sauf s’il s’agit d’opérations d’urgence») (CMQ-B, vol. II, annexe 16). La
convention de Chicago régit l’exercice des privilèges prévus par l’accord de transit – accord de transit, art. premier,
sect. 2 (MBEE, vol. II, annexe 2).
11
12
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2.9. Les affirmations des appelants sont également contredites par 1) la désorganisation
immédiate de grande ampleur causée par leurs mesures d’interdiction visant l’aviation19, et
2) les problèmes de sécurité aérienne résultant du fait que des NOTAM avaient été antidatés, et qui
ont touché plusieurs aéronefs naviguant dans l’espace aérien du Yémen le 5 juin 201720. Ces
conséquences très concrètes et indiscutables non seulement viennent étayer le fait que les
restrictions ont été publiées sans avertissement préalable, mais mettent également en évidence le
mépris des appelants pour les effets qu’ont eu leurs mesures sur les passagers ordinaires de
l’aviation civile dans le monde entier21.
2.10. Les appelants soutiennent en outre qu’ils ont «rapidement adopté des mesures
d’exception afin de préserver la sécurité de l’aviation civile»22. Il ressort pourtant du dossier de
l’affaire qu’ils n’ont accepté que cinq des sept routes d’exception en service, et ce, après un laps de
temps important et seulement après l’intervention du Conseil de l’OACI, notamment à la session
extraordinaire du 31 juillet 201723. Une comparaison des figures 1 et 3 reproduites dans le
contre-mémoire du Qatar montre clairement que le nombre des routes ouvertes aux aéronefs
immatriculés au Qatar a été réduit24.
2.11. Les appelants ne nient pas non plus que, depuis l’introduction de leurs mesures
d’interdiction, les aéronefs immatriculés au Qatar ne peuvent emprunter qu’un nombre
sensiblement réduit de routes, situation qui a gravement compromis la sécurité et la régularité de
19 CMQ-B, par. 2.12 («Plus de 70 vols, programmés par de multiples transporteurs, ont été annulés le 6 juin. Des
centaines de passagers, dont des pèlerins souhaitant faire la Omra, ont été abandonnés à leur sort et contraints de prendre
de nouvelles réservations et de modifier leur itinéraire de voyage. Au cours de la première semaine d’application des
mesures d’interdiction, des dizaines de milliers de réservations de sièges pour des vols assurés par toutes les compagnies
aériennes à destination et en partance de Doha et pour toutes les dates de voyage ultérieures ont été annulées.») (notes de
bas de page omises).
20 Ibid., par. 2.13. Le Qatar note que bien que le Royaume d’Arabie saoudite (l’«Arabie saoudite») ne soit pas
partie à la présente affaire, il a toujours agi de concert avec les appelants, y compris en ce qui concerne les interdictions
visant l’aviation. Par conséquent, comme dans son contre-mémoire, le Qatar traitera aussi du comportement de l’Arabie
saoudite dans le présent chapitre afin de souligner que l’argument des appelants quant au véritable problème en cause
devant le Conseil de l’OACI n’est qu’un prétexte.
21 De fait, le développement «d’une manière sûre et ordonnée» de l’aviation civile est l’un des buts fondamentaux
de la convention de Chicago, laquelle régit l’exercice des privilèges octroyés par l’accord de transit  accord de transit
art. premier, sect. 2 (MBEE, vol. II, annexe 2). De plus, l’importance accordée par la convention à la sécurité des
passagers de l’aviation civile n’est que l’une des raisons pour lesquelles des dispositions comme l’article 82 de la
convention établissent l’engagement des membres de l’OACI «à ne pas contracter [des] obligations ni conclure [des]
ententes [incompatibles avec les dispositions de la convention de Chicago]»  convention de Chicago, préambule et
article 82 (MBEE, vol. II, annexe 1).
22 RBEE, par. 2.37.
23 CMQ-B, par. 2.20. Les appelants interprètent de manière erronée, à leur profit, les éloges relatifs à
l’«amélior[ation du] plan d’urgence mis en oeuvre» dans l’ensemble de la région, en faisant accroire que ces félicitations
visent leurs propres actes. RBEE, par. 2.39, note 144 (qui contient une citation tirée du document suivant : Conseil de
l’OACI, Third ATM Contingency Coordination Meeting for Qatar, Summary of Discussions, doc. ACCM/3
(5-6 septembre 2017), par. 6.2 (CMQ-B, vol. III, annexe 27)). Les efforts déployés par le Conseil de l’OACI et le bureau
régional de l’OACI au Moyen-Orient démontrent en réalité le bien-fondé de l’argument du Qatar selon lequel ce n’est
qu’après l’intervention de l’OACI que l’essentiel des routes d’exception a finalement été approuvé, même si, pour
certaines, cela a pris du temps. Voir CMQ-B, par. 2.17-2.20.
24 Voir CMQ-B, par. 2.15 et 2.21.
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l’aviation civile, sans parler des incidences économiques25. Par exemple, les aéronefs immatriculés
au Qatar ne disposent plus, à présent, que d’une seule route aérienne à travers la FIR des EAU,
contre cinq avant les mesures d’interdiction26. Les restrictions d’accès à l’espace aérien ont
également causé une augmentation des incidents impliquant des aéronefs militaires se trouvant à
proximité immédiate d’aéronefs civils immatriculés au Qatar27.
2.12. En résumé, les mesures d’interdiction visant l’aviation imposées par les appelants
constituent des violations graves, flagrantes et continues de l’accord de transit, qui compromettent
encore à ce jour la sécurité, la régularité et l’économie de l’aviation civile. C’est à l’égard de ce
différend-là que le Conseil de l’OACI s’est déclaré compétent.
II. LA THÈSE DES APPELANTS RELATIVE AU «VÉRITABLE PROBLÈME
EN CAUSE» EST CLAIREMENT UN PRÉTEXTE
2.13. Dans son contre-mémoire, le Qatar a montré ce qu’étaient en réalité les allégations des
appelants sur «[l]’appui qu[’il] apporte à l’extrémisme et au terrorisme, ainsi que son ingérence
dans les affaires d’autres Etats»28 : un prétexte fallacieux visant à éviter que le Conseil de l’OACI
n’exerce sa compétence et se prononce sur les violations de l’accord de transit que les appelants ont
commises.
2.14. Dans leur réplique, les appelants passent largement sous silence les éléments qu’a
produits le Qatar pour mettre en évidence que leurs allégations ne sont qu’un prétexte. Ils ne nient
pas avoir orchestré une campagne médiatique contre lui — qualifiée de «vaste campagne de haine
25 CMQ-B, par. 2.22. Voir également Qatar Civil Aviation Authority, Air Navigation Department, «Reply to
Conclusion 17/19 MIDANPIRG/17, Assessment of Contingency Routes», 7 juillet 2019, p. 2 :
«Les mesures d’exception actuellement en place ne facilitent pas la fluidité du trafic dans son
volume actuel et ne permettent donc pas de répondre à l’augmentation du trafic prévue dans la région. En
général, notamment en ce qui concerne le trafic entrant à Doha lors des périodes de grande affluence, les
routes d’exception existantes ne sont manifestement «pas adaptées à l’objectif visé»[,] ce qui aboutit
fréquemment à des situations d’encombrement (trafic entrant) et à des retards importants s’agissant du
trafic sortant de Doha. Cette situation, à laquelle il faut ajouter une gestion du trafic exigeant une
coordination croissante en dehors du cadre des lettres d’accord en vigueur, pose un problème non
négligeable en matière de sécurité.» (Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI en vertu de
l’article II, section 2, de l’accord de 1944 relatif au transit des services aériens internationaux (Bahreïn,
Egypte et Emirats arabes unis c. Qatar), duplique de l’Etat du Qatar, 29 juillet 2019 (ci-après «DQ-B»,
vol. II, annexe 6.) (Les italiques sont dans l’original.)
26 CMQ-B, par. 2.20. Et même s’il y a encore beaucoup à dire concernant les routes d’exception que les appelants
ont finalement acceptées, ce sont les violations continues de l’accord de transit qui sont en cause en l’espèce  c’est à
cause de ces violations que les routes d’exception sont devenues nécessaires y compris vers la haute mer ou vers les
espaces aériens de pays tiers.
27 Voir «Letter from Abdulla Nasser Turki Al-Subaey, President of Qatar Civil Aviation Authority, to
Dr. Olumuyiwa Benard Aliu, President of ICAO Council», 20 février 2019 (DQ-B, vol. II, annexe 5). Bahreïn, l’un des
appelants, nie également avoir fait savoir au Qatar, immédiatement après l’introduction des interdictions visant l’aviation,
qu’il avait l’intention d’intercepter militairement tout aéronef immatriculé au Qatar qui serait présent dans sa FIR. RBEE,
par. 2.44. Cette menace, dont le Qatar a fait état dans le mémoire joint à sa requête B devant l’OACI (mémoire B devant
l’OACI, 30 octobre 2017, point c) (MBEE, vol. III, annexe 23)) a été portée à la connaissance de l’OACI par lettre.
Réplique B devant l’OACI, pièce jointe 3, «Letter from Abdulla Nasser Turki Al-Subaey, President of Qatar Civil
Aviation Authority, to Dr. Olumuyiwa Benard Aliu, President of ICAO Council», 2017/15984, 8 juin 2017, p. 960
(MBEE, vol. IV, annexe 25). Le Qatar présentera volontiers des informations supplémentaires concernant cette menace
lors de la phase appropriée de la procédure devant le Conseil de l’OACI.
28 Voir, par exemple, RBEE, par. 2.4.
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et de diffamation»29 par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme —, qui a
débuté par le piratage, le 24 mai 2017, du site Internet de Qatar News Agency, l’agence de presse
officielle qatarienne, ainsi que cela a été établi à l’issue d’une enquête menée par des experts
internationaux30.
2.15. Les appelants ne nient pas non plus que le Qatar continue de coopérer avec eux à la
lutte contre le terrorisme dans le cadre du Centre de lutte contre le financement du terrorisme. Cette
coopération avait commencé avant l’adoption des mesures d’interdiction visant l’aviation et
perdure à ce jour31. De fait, les appelants demeurent muets sur les maints éléments attestant le rôle
prépondérant du Qatar dans les initiatives internationales et multilatérales de lutte contre le
terrorisme32.
2.16. En revanche, les appelants interprètent erronément la position du Qatar à l’égard de la
société des Frères musulmans, telle qu’exposée dans le contre-mémoire. Le Qatar n’a pas affirmé,
comme les appelants semblent le laisser entendre, que la confrérie était une «organisation politique
légitime»33. Il s’est borné à rappeler qu’il ne s’agissait pas d’une organisation qualifiée de terroriste
par l’Organisation des Nations Unies (ONU) ou inscrite sur la liste des organisations terroristes du
Conseil de coopération du Golfe (CCG), ce que les appelants ne contestent d’ailleurs pas34. Le
Qatar n’a pas non plus soutenu que la société des Frères musulmans fût «au-delà de tout soupçon
puisque Bahreïn ne l’a[vait] pas interdite»35. Il s’est contenté de souligner l’hypocrisie des
appelants, qui cherchent à justifier leurs mesures d’interdiction visant l’aviation par un prétendu
soutien du Qatar à cette confrérie alors que plusieurs autres Etats dont Bahreïn  l’un des
appelants , autorisent ses membres à exercer des fonctions au sein de gouvernements élus36.
29 Réplique B devant l’OACI, pièce jointe 76, «OHCHR Technical Mission to the State of Qatar,
17-24 November 2017, Report on the Impact of the Gulf Crisis on Human Rights», décembre 2017, par. 14, 20 (MBEE,
vol. IV, annexe 25).
30 CMQ-B, par. 2.58 ; Réplique B devant l’OACI, pièce jointe 80, «Deputy PM and FM: Investigations Proved
Involvement of 2 Siege Countries in QNA Hacking», 10 janvier 2018, p. 1346 (où il est question de la collaboration du
FBI et de la BNCA britannique à l’enquête sur le piratage) (MBEE, vol. IV, annexe 25) ; Letter from Muhammad Bin
Abdul Rahman Al Thani, Minister of Foreign Affairs of the State of Qatar, to Abdullatif Bin Rashid Al Zayani,
GCC Secretary General, 7 août 2017 (CMQ-B, vol. III, annexe 39).
31 CMQ-B, par. 2.33.
32 Ibid., par. 2.34 (décrivant le rôle phare que joue le Qatar au sein du Forum mondial de lutte contre le
terrorisme), par. 2.42, note 113 (faisant état de la participation du Qatar au Fonds mondial pour l’engagement de la
communauté et la résilience, dont il est le seul bailleur de fonds parmi les Etats membres du CCG, au Comité contre le
terrorisme du Conseil de sécurité de l’ONU et à la coalition internationale contre l’Etat islamique d’Iraq et du Levant
(EIIL)/Daech, dont il accueille le commandement central, entre autres exemples de sa coopération internationale).
33 RBEE, par. 2.8.
34 Ibid., par. 2.21.
35 Ibid., par. 2.25.
36 Le Qatar a également souligné ce qui suit :
«puisqu’il y a des partis politiques et des sociétés affiliées aux Frères musulmans dans des pays du
Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, y compris des députés et agents publics, il est normal que ces
personnes soient de temps à autre invitées sur des chaînes d’information en continu, telles qu’Al-Jazeera.
En effet, depuis de nombreuses années, Bahreïn compte au sein de son parlement plusieurs députés qui
sont membres d’un parti politique affilié aux Frères musulmans et le ministre des affaires étrangères
bahreïnite a reconnu que le parti respectait l’état de droit».
De fait, les appelants n’ont contesté aucune de ces affirmations (CMQ-B, par. 2.56).
16
- 10 -
2.17. Enfin, les appelants ne nient pas leur propre passé en matière de soutien au terrorisme
et aux groupes extrémistes37. Ils se bornent à affirmer que ces faits sont «entièrement dépourvu[s]
de pertinence» aux fins des problématiques soumises à la Cour38. Sur ce point au moins, le Qatar
est d’accord avec eux : aucune des accusations de cette nature, y compris celles formulées par les
appelants contre lui, n’est pertinente en l’espèce, et la Cour devrait les ignorer. Toutefois, les
fausses allégations qui le visent à ce sujet étant au coeur de l’exception d’incompétence fabriquée
de toutes pièces par les appelants, il tient à rappeler les actes semblables de ces derniers ainsi que
leur refus de les reconnaître, afin de mieux illustrer encore le fait que leur recours à «l’accusation
en miroir»39 et la thèse du «véritable problème» sur laquelle ils fondent leur défense ne sont que
prétextes.
2.18. Plutôt que de chercher à démentir les faits que nous venons de rappeler, les appelants
réitèrent dans leur réplique la plupart des fausses accusations déjà formulées dans leur mémoire, et
que le Qatar continue de réfuter catégoriquement. Ces accusations restent toujours aussi dénuées de
fondement — et de pertinence — qu’elles l’étaient alors et ne méritent globalement pas de réponse
plus approfondie que celle que le Qatar leur a apportée dans son contre-mémoire40. Quelques points
méritent cependant d’être relevés.
2.19. Les appelants gaspillent beaucoup d’énergie à analyser et à interpréter les dispositions
des accords de Riyad ainsi que les circonstances de leur conclusion41, et ce, afin d’étayer leur thèse
inconsistante du «véritable problème en cause». A cet effet, ils vont jusqu’à réaffirmer que le Qatar
aurait en réalité dénoncé les accords de Riyad42, sans voir aucun contredit, semble-t-il, dans la
déclaration sans équivoque par laquelle celui-ci assure qu’il «continue d[’en] reconnaître le
caractère contraignant»43.
2.20. Les appelants s’obstinent également à citer les déclarations faites par leurs propres
représentants au cours des réunions du comité de mise en oeuvre des accords de Riyad44 sans
jamais tenir compte des démentis détaillés qu’a fournis le Qatar ou des inquiétudes qu’il a
37 Parmi les antécédents des appelants en matière de soutien au terrorisme et à l’extrémisme figurent :
l’implication de personnes et éléments relevant de leur juridiction dans les attentats du 11 septembre 2001 contre les
Etats-Unis d’Amérique (CMQ-B, par. 2.29) ; leur participation au financement d’organisations terroristes basées en Asie
du Sud (ibid., par. 2.35) ; les mauvais résultats de l’Arabie saoudite en matière de lutte contre le financement du
terrorisme constatés par le Groupe d’action financière et l’Union européenne (ibid., par. 2.36 et 2.37) ; le fait que les
appelants figurent parmi les principaux pays d’origine des combattants terroristes étrangers (ibid., par. 2.50) ; et que
l’Arabie saoudite et les EAU fournissent des armes à l’EIIL et à Al-Qaida (ibid., par. 2.50).
38 RBEE, par. 1.12, 2.2.
39 L’«accusation en miroir» est «une pratique rhétorique qui consiste à accuser à tort ses ennemis de commettre,
de se préparer à commettre ou d’avoir l’intention de commettre précisément les mêmes transgressions que l’on [commet
ou] prévoit de commettre contre eux». K. Marcus, «Accusations in a Mirror», Loyola University Chicago Law Journal,
vol. 43 (2012), p. 359 (DQ-B, vol. II, annexe 15).
40 CMQ-B, par. 2.26-2.61.
41 Voir RBEE, par. 2.5-2.14. Les accords de Riyad étant sans rapport avec la question de savoir si le Conseil de
l’OACI est compétent pour connaître du différend en cause relatif à l’interprétation ou l’application de l’accord de transit,
le Qatar ne les analysera pas en détail et se réserve tous droits à cet égard pour la phase de l’examen au fond de ce
différend, qui est en fait celle où il convient de considérer, malgré leur absence de fondement, les éventuels moyens en
défense tirés des contre-mesures.
42 Ibid., par. 2.8.
43 CMQ-B, par. 2.53, note 145. Le Qatar relève que les appelants ont à présent accepté la traduction révisée de la
lettre du 19 février 2017 qu’il a produite dans son contre-mémoire ; voir RBEE, note 50.
44 Voir, par exemple, RBEE, par. 2.9 et 2.10.
17
18
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exprimées sur leur conduite lors de ces mêmes réunions45 ou dans d’autres contextes46. En tout état
de cause, quel que soit le nombre de pages que les appelants consacrent aux accords de Riyad et
aux arguments favorables à leur cause qu’ils en tirent, lesdits accords demeurent dénués de
pertinence aux fins du différend relatif à l’aviation civile qui nous occupe ou de l’établissement de
la compétence du Conseil de l’OACI à cet égard.
2.21. En outre, les appelants continuent d’affirmer à tort que le Qatar ne respecte pas les
obligations découlant des accords de Riyad et d’autres règles de droit international. Par exemple, ils
prétendent que le Qatar a omis de poursuivre ou d’extrader M. Yusuf Al-Qaradawi, un «terrorist[e]
désign[é] résidant sur son territoire et opérant depuis celui-ci»47. Or M. Qaradawi n’est inscrit sur
aucune liste des individus reconnus comme terroristes par l’ONU, et Interpol a annulé le mandat
d’arrêt émis contre lui par l’Egypte (ce que les appelants ont dû admettre)48. Les appelants s’irritent
de ce que le Qatar qualifie M. Qaradawi de «théologien sunnite», alors qu’eux-mêmes l’ont jadis
distingué pour son érudition49.
2.22. Les autres allégations des appelants sur le soutien que le Qatar apporterait
ostensiblement au terrorisme et à l’extrémisme et sur son ingérence dans leurs affaires intérieures
ne résistent pas non plus à l’examen. Citant des décisions de juridictions égyptiennes50, les
appelants accusent le Qatar d’avoir «soutenu ouvertement les Frères musulmans et mis en péril la
stabilité de l’Egypte»51. Or ils prennent soin d’ignorer les éléments prouvant la politisation et le
manque d’indépendance notoires des tribunaux égyptiens52, problème de longue date reconnu par la
45 Voir Fourth Report of the Follow-up Committee on the Implementation of the Riyadh Agreement Mechanism,
15 juillet 2014, p. 1815, 1819 (constatant le fait que les EAU n’ont pas pris les mesures nécessaires au sujet des individus
s’ingérant dans les affaires intérieures du Qatar et des appels à la haine à son égard relayés dans les médias) (MBEE,
vol. V, annexe 64) ; Summary of Discussions in the Sixth Meeting of their Highnesses and Excellencies the Ministers of
Foreign Affairs, Jeddah, 30 août 2014, p. 1833 (MBEE, vol. V, annexe 65).
46 CMQ-B, par. 2.44-2.45.
47 RBEE, par. 2.13.
48 CMQ-B, par. 2.47 ; RBEE par. 2.22, note 94. Les appelants répondent dans une note de bas de page au sujet de
l’arrestation, du placement en détention provisoire puis de l’emprisonnement illégaux de la fille de M. Al-Qaradawi et de
son mari en Egypte, invoquant précisément les chefs d’accusation que le Groupe de travail sur la détention arbitraire du
Conseil des droits de l’homme de l’ONU a considérés comme «n’[ayant] pas de fondement légal» et «arbitraires» ;
Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, groupe de travail sur la détention arbitraire, avis adoptés par le groupe de
travail sur la détention arbitraire à sa quatre-vingt-unième session, doc. A/HRC/WGAD/2018/26 (17-26 avril 2018),
par. 59.
49 CMQ-B, par. 2.47 (relevant que, par l’entremise de leur vice-président et Premier ministre, le cheikh
Mohammed ben Rachid Al Maktoum, les EAU ont décerné à M. Al-Qaradawi le prix de la «figure internationale de
l’année» 2012, et que l’Arabie saoudite lui a remis le Prix international du roi Faiçal dans la catégorie des études
islamiques) ; voir aussi «Custodian of the Two Holy Mosques welcomes Islamic personalities and heads of Hajj
delegations at the annual reception in Mina», Al Riyadh, 28 octobre 2012 (où une photographie montre le roi Abdullah
d’Arabie saoudite accueillant M. Al-Qaradawi) (DQ-B, vol. II, annexe 7).
50 Voir RBEE, par. 2.13, note 71 ; ibid., par. 2.23.
51 Ibid., par. 2.13.
52 CMQ-B, par. 2.51.
19
- 12 -
communauté internationale qui entache la fiabilité de toute décision ou élément de preuve émanant
de ces juridictions53.
2.23. Les appelants ont aussi tenté à plusieurs reprises de faire passer la couverture
médiatique des Frères musulmans, qu’ils condamnent, pour une politique menée officiellement par
le Qatar en violation des accords de Riyad54. Ces accusations ne reposent que sur leur propre
conception  erronée et dénoncée au niveau international55  de la liberté de la presse56, sur les
déclarations d’un ancien journaliste discrédité d’Al-Jazeera57 et sur d’autres mensonges éhontés58.
53 Voir, par exemple, International Commission of Jurists, «Egypt’s Judiciary: A Tool of Repression», septembre
2016, p. 7 :
«Le pouvoir judiciaire en Egypte manque bien souvent à son devoir essentiel de faire respecter
l’état de droit et de protéger les droits de l’homme tout au long de la période de transition... Les juges et
procureurs égyptiens sont désormais considérés comme le principal instrument de la répression des
opposants politiques, des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme. En outre, l’examen de
certaines affaires montre que les procédures pénales intentées contre des opposants politiques, des
journalistes et des défenseurs des droits de l’homme sont entachées par toute une série de violations de
droits internationalement reconnus.» (DQ-B, vol. II, annexe 17.)
Voir aussi United Nations Office of the High Commissioner for Human Rights, «Egypt: Justice and reconciliation
increasingly failing after second wave of mass death sentences», 15 mai 2014 («Il est urgent de réformer le système
judiciaire égyptien conformément aux normes internationales et régionales») (DQ-B, vol. II, annexe 18) ; Commission
africaine des droits de l’homme et des peuples, seizième session extraordinaire, «Résolution sur les abus des droits de
l’homme en Egypte», CADHP Res. 287 (EXT.OS/XVI)201, 20-29 juillet 2014 («Déplorant le mépris flagrant des
garanties les plus fondamentales du droit à un procès équitable et de la légalité par les cours et tribunaux et l’absence
d’indépendance de la justice») (DQ-B, vol. II, annexe 16).
54 Voir, par exemple, RBEE, par. 2.21, 2.24-2.25, 2.27-2.29, 2.32-2.34. Il est révélateur que les prétendus
éléments de preuve des appelants sur les discours haineux relayés par Al-Jazeera soient étonnamment anciens (six des
nouveaux documents annexés à leur réplique et deux à leur mémoire qu’ils citent dans leur réplique sont antérieurs au
Premier accord de Riyad de novembre 2013), si bien qu’ils n’ont aucun rapport avec leurs allégations, elles-mêmes
dénuées de fondement, selon lesquelles le Qatar aurait violé les obligations qu’il tire des accords de Riyad. Voir ibid.,
notes 72, 117, 118, 120, 123, 124. Soyons clairs : le Qatar n’a rien à voir avec le choix des orateurs en question ni avec la
teneur de leurs propos, et il condamne tout discours haineux ou offensant, quelle que soit la personne qui les profère.
Toutefois, la censure de tels propos passe par une procédure judiciaire, qui nécessite de satisfaire à certaines exigences en
matière de preuve et de droit pour contrebalancer le droit d’expression prévu par le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, auquel le Qatar est partie.
55 CMQ-B, par. 2.57 ; Committee to Protect Journalists, Data & Research, 2018 (CMQ-B, vol. IV, annexe 124).
Voir aussi Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, «Annex to the Report of the Special Rapporteur on
extrajudicial, summary or arbitrary executions: Investigation into the unlawful death of Mr. Jamal Khashoggi»,
doc. A/HRC/41/CRP.1, 19 juin 2019, par. 1, 2 (selon les conclusions de ce rapport, le meurtre du journaliste saoudien
Jamal Khashoggi «constitue une exécution extrajudiciaire dont est responsable le Royaume d’Arabie saoudite»).
56 Fait révélateur, les appelants interprètent le point 3 d) de l’accord complémentaire de Riyad comme une preuve
du contrôle que le Qatar exercerait sur Al-Jazeera (voir RBEE, par. 2.8, 2.31), sans comprendre que les obligations
énoncées dans cette disposition ne sont pas incompatible avec l’existence d’une presse libre et indépendante, lorsque leur
respect est garanti par des lois générales et impartiales sur l’incitation à la haine qui sont compatibles avec les obligations
internationales du Qatar. De même, le fait que le Qatar possède la chaîne Al-Jazeera n’est nullement contraire au concept
d’indépendance éditoriale. A l’instar de la British Broadcasting Corporation (BBC), qui conserve son indépendance
éditoriale bien qu’elle ait été établie par une charte royale britannique et qu’elle soit financée par une redevance gérée par
le Gouvernement britannique, Al-Jazeera conserve son indépendance éditoriale bien qu’elle soit une entreprise publique,
partiellement financée par l’Etat du Qatar. CMQ-B, par. 2.56 ; BBC, About the BBC (dernière consultation le 8 juillet
2019) (DQ-B, vol. II, annexe 12) ; Al-Jazeera, «About Us» (dernière consultation le 8 juillet 2019) (DQ-B, vol. II,
annexe 13).
57 RBEE, par. 2.27, 2.33 (citant M. Fahmy, «The Price of Aljazeera’s Politics», The Washington Institute for
Near East Policy, 26 juin 2015 (RBEE, vol. II, annexe 34) ; «How Qatar Used and Abused Its Al Jazeera Journalists»,
The New York Times, 2 juin 2015 (RBEE, vol. II, annexe 33)). Les appelants passent néanmoins sous silence le fait que
M. Fahmy a menti sur la place publique sur sa collaboration avec eux et qu’il a reçu au moins 250 000 dollars de la part
des EAU pour diffamer publiquement Al-Jazeera et le Qatar après avoir été libéré d’une prison égyptienne.
David D. Kirkpatrick, «Journalist Joins His Jailer’s Side in a Bizarre Persian Gulf Feud», The New York Times, 1er juillet
2017 (DQ-B, vol. II, annexe 8)
21
20
- 13 -
Les appelants vont jusqu’à prétendre que le reportage factuel d’Al-Jazeera sur le massacre de plus
de 800 manifestants sur la place Rabaa Al-Adawiya en Egypte, le 14 août 2013, constitue une
preuve du soutien du Qatar à la société des Frères musulmans59. En réalité, la communauté
internationale a fermement condamné l’Egypte pour ces atrocités60.
2.24. Enfin, les appelants citent de nouveaux éléments pour tenter de justifier leurs
accusations relatives au soutien du Qatar à des groupes extrémistes61. Ils affirment ainsi que des
fonds collectés par des organisations caritatives basées au Qatar pourraient avoir été versés à de tels
groupes. Non seulement leur source, vieille de cinq ans, n’est pas du tout à jour, mais de plus elle
ne rapporte que les craintes spéculatives de certains analystes, et non des faits concrets62. Nulle part
les appelants ne reconnaissent ou ne réfutent les diverses sources citées dans le contre-mémoire,
qui décrivent en détail les efforts soutenus du Qatar en faveur de la lutte contre le financement du
terrorisme63, efforts qui «dépassent largement» ceux des appelants64.
2.25. Plus les appelants rabâchent des allégations mensongères de cet ordre, plus transparaît
leur stratégie désespérée de l’«accusation en miroir».
*
2.26. Le différend dont le Qatar a saisi le Conseil de l’OACI est un différend ordinaire
concernant les mesures d’interdiction visant l’aviation qui ont été introduites le 5 juin 2017 par les
appelants en violation de l’accord de transit. Ces interdictions demeurent en vigueur à ce jour et
continuent de compromettre la sécurité de l’aviation civile. Les appelants déploient des efforts
considérables pour fabriquer de toutes pièces un moyen de défense fondé sur la compétence,
affirmant que d’autres différends existants, relatifs au soutien au terrorisme et à l’extrémisme et à
l’ingérence dans leurs affaires intérieures dont ils accusent à tort le Qatar, absorbent en quelque
sorte ce différend très concret et distinct qui relève de l’accord de transit. Toutefois, comme cela
sera démontré en détail dans les chapitres suivants, cette tentative transparente de priver le Conseil
de l’OACI de sa compétence pour connaître dudit différend sur le fond échoue sur tous les plans.
58 Par exemple, les appelants mentionnent les résultats d’un sondage en ligne conduit en 2015 par Al-Jazeera,
dont il ressort que les personnes ayant répondu «s[’étaient] déclarées favorables à l’EIIL (Daech)», sans doute pour
illustrer le fait qu’Al-Jazeera est le «chantr[e] de la haine et de la violence», méconnaissant fort à propos le fait que le
document cité à l’appui de leur allégation précise expressément que «[l]es résultats du vote ne reflètent pas l’opinion
d’Al-Jazeera». RBEE, par. 2.27 ; «Voting», Al-Jazeera, 28 mai 2015 (RBEE, vol. II, annexe 32).
59 RBEE, par. 2.24.
60 Voir, par exemple, «Navi Pillay exhorte les Egyptiens à renouer avec le dialogue pour éviter davantage de
violence dans le pays», ONU Info, 15 août 2013 (faisant référence aux déclarations faites par la Haut-Commissaire des
Nations Unies aux droits de l’homme et par plusieurs rapporteurs spéciaux, ainsi qu’à la séance du Conseil de sécurité sur
la situation en Egypte) (CMQ-B, vol. IV, annexe 127).
61 RBEE, par. 2.17-2.18.
62 RBEE, par. 2.17, note 79.
63 CMQ-B, par. 2.31-2.32.
64 Réplique B devant l’OACI, pièce jointe 46, «Tillerson Tries Shuttle Diplomacy in Qatar Dispute», 11 juillet
2017 (MBEE, vol. IV, annexe 25).
22
- 14 -
CHAPITRE 3
LA COUR DEVRAIT REJETER LE DEUXIÈME MOYEN D’APPEL
3.1. A titre de deuxième moyen d’appel, les appelants affirment que la présente affaire ne
relève pas de la compétence ratione materiae du Conseil de l’OACI, «le véritable problème en
cause entre les Parties ne concern[ant] pas l’interprétation ou l’application de l’accord de transit»65
mais, au contraire, «l’appui [qu’apporterait] le Qatar au terrorisme et ses autres faits
internationalement illicites, qui [seraient] à l’origine des contre-mesures [qu’ils ont] imposées»66.
Les appelants avancent en outre que, si l’argument du «véritable problème» n’était pas retenu, il
n’en resterait pas moins qu’il n’est
«[ni] juste [ni] opportun, d’un point de vue judiciaire, que ce différend soit réglé par le
Conseil de l’OACI sans que celui-ci ne se prononce sur les points litigieux ayant trait
au soutien apporté par le Qatar au terrorisme, à son ingérence dans les affaires
intérieures d’autres Etats et aux contre-mesures dont s’autorisent les appelants»67.
3.2. Dans son contre-mémoire, le Qatar a déjà expliqué par le menu pourquoi cette
argumentation ne tenait pas. L’«exception d’incompétence» soulevée par les appelants est
incompatible avec le texte de la section 2 de l’article II de l’accord de transit, avec l’interprétation
ou l’application par la Cour de l’article 84 de la convention de Chicago en l’affaire Inde
c. Pakistan, ainsi qu’avec la jurisprudence de la Cour s’agissant de la caractérisation des différends
internationaux68. En outre, retenir cette exception reviendrait à mettre gravement en péril le
système judiciaire international, puisque les Etats défendeurs pourraient toujours se soustraire au
règlement obligatoire des différends prévu par la clause compromissoire d’un traité en s’autorisant
simplement, dans leur propre intérêt, du recours à des contre-mesures «licites»69. Or il est évident
que la compétence conférée par la section 2 de l’article II de l’accord de transit au Conseil de
l’OACI permet à celui-ci de statuer au fond sur le moyen de défense que les appelants tirent du
recours aux contre-mesures. Et même si ces derniers réutilisent ces arguments exactement sous la
forme d’une «exception d’irrecevabilité», partant du principe qu’en vertu de la section 2 de
l’article II le Conseil n’est pas compétent pour juger de ce qui «fondamentalement … rend
légitim[e]»70 le recours aux contre-mesures, le Conseil n’en est pas moins compétent pour statuer
au fond sur les violations qu’ils ont commises.
3.3. Dans leur réplique, les appelants ne cherchent pas vraiment à réfuter ces arguments et,
même lorsqu’ils le font, ils déforment la position du Qatar et ignorent délibérément la
jurisprudence constante de la Cour. Aucun des arguments dont ils usent ne peut changer la donne
en la présente espèce. La demande soumise par le Qatar au Conseil de l’OACI a pour seul et unique
objet la question des violations de l’accord de transit par les appelants, sur laquelle il serait juste et
opportun, d’un point de vue judiciaire, que le Conseil statue. Le deuxième moyen d’appel avancé
par les appelants doit donc être rejeté.
65 RBEE, par. 4.1.
66 Ibid., par. 4.7, al. a).
67 Ibid., par. 4.7, al. b). A titre de deuxième moyen d’appel, les appelants soulèvent une exception qui vise «à la
fois la compétence et la recevabilité» de la requête B devant l’OACI. Ibid., par. 4.1. Comme l’explique le Qatar dans son
contre-mémoire et dans la présente duplique, la dualité de cette exception n’a aucune incidence (CMQ-B, par. 3.71) ; voir
plus loin, par. 3.56-3.58.
68 Voir CMQ-B, par. 3.6-3.15.
69 Ibid., par. 3.4, 3.19-3.28.
70 RBEE, par. 4.53.
23
24
- 15 -
3.4. La suite du présent chapitre est structurée comme suit : à la section I, il sera montré que,
conformément à la jurisprudence constante de la Cour, l’existence entre les Parties d’un différend à
propos d’autres questions ne signifie pas que le véritable problème en cause dans la procédure
devant le Conseil de l’OACI ne soit pas le même que celui soulevé par le Qatar dans sa requête ; la
section II rappellera que les Parties s’accordent sur le fait que l’application du critère du «véritable
problème» nécessite de définir «l’objet de la demande» de manière objective ; à la section III seront
exposées les nombreuses raisons pour lesquelles le différend relève sans conteste de la compétence
du Conseil d’après le critère du «véritable problème» ; enfin, la section IV démontera les argument
invoqués par les appelants à l’appui de leur exception d’irrecevabilité des demandes du Qatar, qui
ne sont autre qu’une version revisitée de leurs arguments quant à la compétence.
I. L’EXISTENCE ENTRE LES PARTIES D’UN DIFFÉREND À PROPOS D’AUTRES
QUESTIONS NE CHANGE RIEN AU VÉRITABLE PROBLÈME EN CAUSE
DANS LA PRÉSENTE AFFAIRE
3.5. Dès le début du chapitre IV de la réplique, les appelants tentent de brouiller les pistes en
laissant croire que le Qatar a fait une importante concession dans le premier exposé écrit qu’il a
soumis à la Cour. Ils affirment ainsi que «[d]ans le contre-mémoire, les divergences entre les
Parties semblent bien davantage circonscrites» parce que le Qatar aurait «adm[is] … qu’il existe
entre celles-ci un différend qui découle de son propre comportement et des contre-mesures prises
par les appelants»71. Ces derniers estiment que, d’une manière ou d’une autre, cela conduit
«inexorablement» à la «conclusion» que le «véritable problème» en cause «ne concerne pas
l’accord de transit»72.
3.6. Les appelants sont si empressés de faire valoir cette thèse qu’ils en déforment la position
du Qatar. Ce dernier a toujours admis qu’il existait un différend entre les Parties au sujet du respect
des obligations qui lui incombent au titre du droit international en matière de lutte contre le
terrorisme et de non-ingérence. Le Qatar l’a clairement dit dans ses exposés devant le Conseil de
l’OACI73 ainsi que dans son contre-mémoire74. L’existence de ce différend est notoire et
incontestable ; elle n’a toutefois pas les conséquences que lui prêtent les appelants. Qu’il existe un
autre différend «plus large»75 entre les Parties ne signifie pas, contrairement à ce qu’affirment les
appelants, que les problèmes en cause en la présente affaire ne puissent «être dissociés du différend
plus large»76. En réalité, ils peuvent et doivent l’être.
3.7. Quelle qu’eût été la situation avant le 5 juin 2017, les appelants ont fait naître, en
imposant des restrictions à l’accès à leurs espaces aériens, un nouveau différend entre les Parties au
regard de l’accord de transit, lequel n’existait pas auparavant. Le simple fait que ces mesures aient
supposément été imposées dans le contexte d’un différend plus large ne prive pas pour autant ce
nouveau différend de son existence propre d’un point de vue juridique. La jurisprudence de la Cour
est parfaitement claire à ce sujet.
71 RBEE, par. 4.2.
72 Ibid., par. 4.13.
73 Voir la réplique B devant l’OACI, 30 avril 2018, par. 76-78 et 83 (MBEE, vol. IV, annexe 25).
74 Voir CMQ-B, chap. 2, sect. II B 1), par. 3.37.
75 RBEE, par. 4.14, al. b).
76 Ibid., chap. IV, titre de la section 2.
25
26
- 16 -
3.8. Dans l’affaire relative à Certains actifs iraniens, par exemple, les Etats-Unis, tout
comme les appelants en la présente instance, soutenaient que l’Iran «ne recherch[ait] pas le
règlement d’un différend juridique relatif aux dispositions [du] traité [d’amitié], mais qu’il tent[ait]
d’impliquer la Cour dans «un affrontement stratégique de plus grande ampleur»»77. Ils affirmaient
également que «[les] actions dont l’Iran tir[ait] grief ne pou[vaient] être séparées de leur contexte,
à savoir des violations de longue date du droit international…»78.
3.9. La Cour n’a pas été du même avis : dans son arrêt de février 2019 sur les exceptions
préliminaires, elle a rappelé que «les requêtes qui lui sont soumises portent souvent sur un
différend particulier qui s’est fait jour dans le cadre d’un désaccord plus large entre les parties»79.
Selon elle, les seules questions pertinentes étaient celles de savoir 1) «si les actes dont [le
demandeur] tir[ait] grief entr[aient] dans les prévisions» du traité en question (en l’occurrence, du
traité d’amitié de 1955), et 2) «si, par suite, le différend [était] de ceux dont elle [était] compétente
pour connaître ratione materiae» par application de la clause compromissoire dudit traité80.
3.10. Les appelants n’affirment nulle part que les actes dont le Qatar leur fait grief ne
relèvent pas des dispositions de l’accord de transit. Que ce soit devant le Conseil de l’OACI ou
devant la Cour, les appelants n’ont jamais prétendu, dans leurs exposés, que les mesures
d’interdiction visant l’aviation ne relevaient pas de ces dispositions ou qu’elles ne faisaient pas
l’objet d’un différend81. D’où cette conséquence inéluctable : le différend est de ceux dont le
Conseil «est compétent pour connaître ratione materiae».
3.11. Dans leur réplique, les appelants ne font rien pour concilier leur position avec cet
aspect de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire relative à Certains actifs iraniens ; d’ailleurs, ils n’en
tiennent même pas compte.
3.12. Ils ne font rien non plus pour prendre en considération la conclusion presque identique
à laquelle est parvenue la Cour en l’affaire Bolivie c. Chili. La Cour y a rejeté sans difficulté
l’argument du Chili selon lequel la requête de la Bolivie «[aurait] masqu[é] le véritable objet de la
demande [que celle-ci présentait], c’est-à-dire la souveraineté territoriale et la nature de l’accès de
la Bolivie à l’océan Pacifique»82. Dans son arrêt de 2015 sur les exceptions préliminaires, la Cour a
souligné que «les requêtes qui lui sont soumises portent souvent sur un différend particulier qui
s’est fait jour dans le cadre d’un désaccord plus large entre les parties»83. Qu’il en soit ainsi ne
77 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires,
arrêt du 13 février 2019, par. 34 (les italiques sont de nous).
78 Ibid. (les italiques sont de nous).
79 Ibid., par. 36 (les italiques sont de nous).
80 Ibid.
81 Voir par exemple RBEE, par. 4.7 a) et 4.14.
82 Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), par. 32.
83 Ibid. (les italiques sont de nous).
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- 17 -
signifie pas que le véritable problème en cause dans une instance particulière devienne l’objet du
désaccord plus large84.
3.13. Les appelants prennent également soin de passer sous silence les affaires similaires
suivantes :
 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique
c. Iran)85 ;
 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique)86 ;
 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras)87 ; et
 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie)88.
84 Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), par. 32 :
«La Cour considère que, même si l’on peut supposer que l’accès souverain à l’océan Pacifique
constitue l’objectif ultime de la Bolivie, il convient d’établir une distinction entre cet objectif et le
différend lié, mais distinct, qui lui a été présenté dans la requête ; celui-ci réside dans la question de savoir
si le Chili a l’obligation de négocier un accès souverain de la Bolivie à la mer et, dans l’hypothèse où
cette obligation existerait, si le Chili y a manqué. Dans sa requête, la Bolivie ne demande pas à la Cour de
dire et juger qu’elle a droit à pareil accès.»
85 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt,
C.I.J Recueil 1980, par. 37 :
«les différends juridiques entre Etats souverains ont, par leur nature même, toutes chances de surgir dans
des contextes politiques et ne représentent souvent qu’un élément d’un différend politique plus vaste et
existant de longue date entre les Etats concernés. Nul n’a cependant jamais prétendu que, parce qu’un
différend juridique soumis à la Cour ne constitue qu’un aspect d’un différend politique, la Cour doit se
refuser à résoudre dans l’intérêt des parties les questions juridiques qui les opposent. La Charte et le
Statut ne fournissent aucun fondement à cette conception des fonctions ou de la juridiction de la Cour ; si
la Cour, contrairement à sa jurisprudence constante, acceptait une telle conception, il en résulterait une
restriction considérable et injustifiée de son rôle en matière de règlement pacifique des différends
internationaux.»
86 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, par. 96 («la Cour ne s’est jamais dérobée devant l’examen d’une
affaire pour la simple raison qu’elle avait des implications politiques ou comportait de sérieux éléments d’emploi de la
force»).
87 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, par. 54 :
«Il est incontestable que les questions soumises à la Cour pourraient être considérées comme
faisant partie d’un problème régional plus large. La Cour n’ignore pas les difficultés qui peuvent surgir
lorsque des aspects particuliers d’une situation générale complexe sont soumis à un tribunal pour qu’il se
prononce séparément sur ces aspects. Néanmoins, comme la Cour l’a fait observer dans l’affaire du
Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, «aucune disposition du Statut ou du
Règlement ne lui interdit de se saisir d’un aspect d’un différend pour la simple raison que ce différend
comporterait d’autres aspects, si importants soient-ils»…»
29
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3.14. La réticence des appelants à reconnaître cette longue série ininterrompue de précédents
est aussi frappante que révélatrice et rend d’autant plus curieuse leur allégation selon laquelle le
Qatar est celui qui «cherche ouvertement à s’affranchir de [la] pratique bien établie de la Cour»89.
Dans leur réplique, les appelants ne citent que deux affaires à l’appui de leur argument relatif au
«véritable problème» : celle du Plateau continental de la mer Egée et l’arbitrage concernant l’aire
marine protégée des Chagos90. Loin d’étayer leur position, ces deux affaires, pour les raisons qui
seront exposées dans la section suivante, ne font que renforcer l’argument du Qatar.
3.15. Il ne suffit donc pas aux appelants d’invoquer l’existence d’un différend plus large
entre les Parties pour transformer la nature du problème qui est en cause en l’espèce. D’ailleurs, le
Qatar ne peut s’empêcher de remarquer que l’un des appelants au moins, les EAU, ne semble pas
adhérer à la thèse du «véritable problème».
3.16. Comme le sait la Cour, une affaire distincte oppose actuellement le Qatar et les EAU
au sujet des violations de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (ci-après la «CIEDR») commises par les EAU. Cette affaire porte, elle aussi,
sur certaines mesures prises par les EAU, le 5 juin 2017, supposément en réaction aux violations
des accords de Riyad que le Qatar aurait commises, entre autres. Dans cette instance-là, toutefois,
les EAU n’ont pas prétendu que la Cour fût incompétente parce que le «véritable problème» en
cause n’avait pas de rapport avec leurs violations de la CIERD. Or s’ils considéraient vraiment que
l’argument du «véritable problème» était pertinent dans l’une des affaires, ils l’auraient
certainement fait valoir dans l’autre. Ce constat, de l’avis du Qatar, est révélateur.
II. LE CRITÈRE DU VÉRITABLE PROBLÈME EXIGE DE PRÉCISER
OBJECTIVEMENT L’«OBJET DE LA DEMANDE»
3.17. Les Parties s’accordent sur un point : «un différend est correctement défini par «une
appréciation objective»»91 ; mais elles semblent en désaccord quant à la façon de déterminer avec
exactitude quel est le «véritable problème» en cause dans une affaire particulière.
3.18. S’appuyant sur les nombreux précédents en la matière, le Qatar a expliqué, dans son
contre-mémoire, que pour définir le différend avec justesse, la Cour devra «préciser l’objet de la
88 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), par. 32 («Une situation donnée
peut englober des différends ayant trait à plusieurs corpus juridiques et ne relevant pas des mêmes procédures de
règlement.») (citant également Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique
c. Iran), arrêt, C.I.J Recueil 1980, par. 36-37 ; Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, par. 54). Les appelants n’ont rien à dire au sujet de ces affaires si
ce n’est qu’elles ne sont «souvent pas unanimes sur la «doctrine de la question politique»» (RBEE, par. 4.16). Le Qatar
ne voit pas en quoi cela les rendrait moins pertinentes pour l’application du critère du «véritable problème», et les
appelants ne fournissent aucune explication à cet effet. Mais quand bien même ils auraient raison, quod non, en réalité la
plupart de ces instances concernaient clairement des différends juridiques parallèles, qu’ils fussent existants ou
potentiels. Voir par exemple Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I),
par. 32 ; Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), par. 32 ; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, par. 94 et 96.
89 RBEE, par. 4.12.
90 Ibid., par. 4.16 et 4.17.
91 Ibid., par. 4.10.
30
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demande» portée devant le Conseil de l’OACI92. Les appelants en déduisent que pour le Qatar «le
véritable problème en cause doit être déterminé sur la base des seuls exposés du demandeur»93. Or,
le Qatar n’est pas et n’a jamais été d’avis que la Cour, pour mener à bien son appréciation, devait
se fonder exclusivement sur les exposés qu’il a présentés au Conseil. Il reconnaît volontiers que la
Cour peut aller plus loin en examinant aussi les exposés écrits et oraux des appelants, ainsi que
d’autres éléments de contexte. Reste que  et c’est là le point essentiel  cet examen de tous les
éléments pertinents a pour but de définir le «véritable objet du différend» et «la nature exacte» des
demandes soumises à un règlement judiciaire international94.
3.19. La «demande» pertinente est, bien entendu, celle du demandeur. Il faut donc s’attacher
à déterminer objectivement ce que le Qatar attend du Conseil de l’OACI. La Cour a clairement
indiqué qu’elle consacrerait «une attention particulière à la formulation du différend utilisée par le
demandeur» et «tien[drait] compte des faits que le demandeur invoque à l’appui de sa demande»95.
3.20. Les deux affaires citées dans la réplique dans lesquelles une juridiction internationale a
estimé être incompétente sur la base du critère du «véritable problème»96 vont dans le sens du
Qatar. Il est révélateur que les appelants ne prennent pas la peine d’expliquer en quoi la première
de ces affaires, celle du Plateau continental de la mer Egée, sert leur argumentation. De fait, elle ne
la sert pas. Comme l’a rappelé le Qatar dans son contre-mémoire, la Cour a rejeté la demande de la
Grèce dans cette instance parce que son objet, tel qu’énoncé dans la première conclusion de la
demanderesse, exigeait le règlement d’une question qui échappait au consentement des parties du
fait de la réserve formulée par la Grèce à l’égard du titre de compétence applicable97.
3.21. Il en va de même pour la seconde affaire, celle de l’arbitrage concernant l’aire marine
protégée des Chagos, dont les appelants prétendent qu’elle est «très similaire» à la présente
instance en ce sens que «les contre-mesures prises dans le domaine de l’aviation ne constituent
qu’un élément incident d’un différend plus large concernant un ensemble de contre-mesures»98.
Comme l’a expliqué le Qatar dans son contre-mémoire99, une lecture fidèle de la sentence rendue
par le tribunal arbitral montre que si ce dernier s’est déclaré incompétent quant à l’une des
demandes de Maurice (la première), ce n’est pas seulement parce que celle-ci relevait d’un
92 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2018 (I), par. 48 ; CMQ-B, par. 3.44-3.50 (citant Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI
(Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, par. 28 ; Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt,
C.I.J. Recueil 1978, par. 12 et 83 ; Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), par. 22, 32 et 33 ; In the matter of the South China Sea Arbitration (The
Republic of the Philippines v. The People’s Republic of China), Cour permanente d’arbitrage (CPA), affaire no 2013-19,
sentence (compétence et recevabilité), 29 octobre 2015, par. 152 et 153 ; In the matter of the Chagos Marine Protected
Area Arbitration (Republic of Mauritius v. United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland), CPA,
affaire no 2011-03, sentence, 18 mars 2015, par. 209, 211 et 212).
93 RBEE, par. 4.10.
94 MBEE, par. 5.54 (citant Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour,
arrêt, C.I.J. Recueil 1998, par. 29).
95 Voir par exemple Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), par. 48 ; Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la
Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, par. 30 ; Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), par. 38.
96 RBEE, par. 4.16.
97 Voir CMQ-B, par. 3.45.
98 RBEE, par. 4.17.
99 CMQ-B, par. 3.50 et 3.51.
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«différend plus large», comme l’affirment les appelants100, mais aussi parce que Maurice cherchait
en fait à obtenir une décision judiciaire revenant à dire qu’il était «l’«Etat côtier» s’agissant de
l’archipel des Chagos»101. En d’autres termes, l’objet de la demande de Maurice était en fait
d’obtenir du tribunal qu’il dise que le Royaume-Uni ne détenait pas la souveraineté sur l’archipel
des Chagos, question qui n’entrait manifestement pas dans le champ d’application de la convention
des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après la «CNUDM»).
3.22. Il est à noter que, bien qu’il se soit déclaré incompétent s’agissant de la première
demande de Maurice, le tribunal n’est pas parvenu à la même conclusion en ce qui concerne une
autre de ses revendications (la quatrième), relative à «la manière dont [l’aire marine protégée]
a[vait] été déclarée» par le Royaume-Uni102. Le tribunal a considéré qu’il s’agissait d’une question
«distincte de [celle] de la souveraineté» et qui relevait donc de sa compétence103. La simple
existence d’un «différend plus large»104 ne lui a donc pas suffi pour se déclarer incompétent à
l’égard des demandes de Maurice.
III. LE PRÉSENT DIFFÉREND RELÈVE TOTALEMENT DE LA COMPÉTENCE DU CONSEIL
DE L’OACI SELON LE CRITÈRE DU «VÉRITABLE PROBLÈME»
3.23. Les appelants ne contestent pas sérieusement que la Cour, en cherchant à définir avec
justesse le différend porté devant le Conseil de l’OACI, doive se fonder sur le véritable objet de la
demande du Qatar. En l’occurrence, cet objet est parfaitement clair : le Qatar attend du Conseil
qu’il dise que les mesures d’interdiction visant l’aviation violent l’article premier de l’accord de
transit105. Dans sa requête, le Qatar priait le Conseil :
 «d’établir que, par les mesures prises à l’encontre de l’Etat du Qatar, les
défendeurs ont contrevenu à leurs obligations au titre de l’accord relatif au transit
des services aériens internationaux et d’autres règles de droit international ;
 de déplorer le non-respect par les défendeurs des principes fondamentaux de
l’accord de transit ;
 de prier instamment les défendeurs de lever, sans délai, toutes les restrictions
imposées aux aéronefs immatriculés au Qatar et de se conformer à leurs
obligations au titre de l’accord de transit ; [et]
 de prier instamment les défendeurs de négocier de bonne foi en vue d’une
coopération future harmonieuse dans la région afin de préserver la sécurité, la
sûreté, la régularité et l’économie de l’aviation civile internationale»106.
100 RBEE, par. 4.17.
101 In the matter of the Chagos Marine Protected Area Arbitration (Republic of Mauritius v. United Kingdom of
Great Britain and Northern Ireland), Cour permanente d’arbitrage, affaire n° 2011-03, sentence, 18 mars 2015, par. 211.
102 Ibid., par. 210.
103 Ibid. (les italiques sont de nous).
104 Ibid., par. 212. Le «différend plus large» se rapportait à «la souveraineté terrestre sur l’archipel des Chagos».
105 Voir CMQ-B, par. 2.23 et 3.31-3.35.
106 Requête B devant l’OACI, 30 octobre 2017 (MBEE, vol. III, annexe 23).
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3.24. Tout comme l’argumentation fondée sur l’existence d’un différend plus large entre les
Parties107, le recours aux contre-mesures dont s’autorisent les appelants n’a pas et ne saurait avoir
d’incidence sur l’objet de la demande du Qatar devant le Conseil de l’OACI. Dans le seul cas où
elle a été saisie d’un appel contre une décision du Conseil  l’affaire Inde c. Pakistan  la Cour a
rendu une décision sans équivoque à cet égard. Elle a rejeté, en des termes catégoriques, l’argument
de l’Inde qui était très semblable à celui qu’invoquent les appelants en l’espèce108 :
«On ne saurait considérer le Conseil comme privé de compétence du seul fait
que des données extérieures aux Traités pourraient être invoquées, dès lors que, de
toute façon, des questions relatives à l’interprétation ou à l’application de ceux-ci
entrent en jeu. Le fait qu’une défense au fond se présente d’une certaine manière ne
peut porter atteinte à la compétence du tribunal ou de tout autre organe en cause ;
sinon les parties seraient en mesure de déterminer elles-mêmes cette compétence, ce
qui serait inadmissible. Comme on l’a déjà vu pour la compétence de la Cour, la
compétence du Conseil dépend nécessairement du caractère du litige soumis au
Conseil et des points soulevés, mais non pas des moyens de défense au fond ou
d’autres considérations qui ne deviendraient pertinentes qu’une fois tranchés les
problèmes juridictionnels.»109
3.25. Au paragraphe suivant, la Cour a ainsi poursuivi :
«La question juridique que la Cour doit trancher est donc en fait de savoir si ce
différend, sous la forme où les Parties l’ont soumis au Conseil et l’ont présenté à la
Cour dans leurs conclusions …, peut être résolu sans aucune interprétation ou
application des Traités en cause. Si cela n’est pas possible, le Conseil a
nécessairement compétence.»110
3.26. Le Qatar l’a rappelé dans son contre-mémoire111, mais les appelants n’ont pas trouvé
grand-chose à répondre à ce sujet. La seule mention qu’ils font de l’arrêt de 1972 dans le
chapitre IV de leur réplique est la suivante : «[l]es appelants soulignent que l’affaire Inde
c. Pakistan ne mettait pas en jeu la question des contre-mesures»112. Ils n’ont cependant jamais
expliqué en quoi cette distinction supposée changeait quoi que ce fût. Et pour cause : elle ne change
rien.
3.27. Comme l’a expliqué le Qatar dans son contre-mémoire, la décision de la Cour en
l’affaire Inde c. Pakistan en 1972 était formulée en termes généraux ; elle ne traitait pas des
moyens de défense particuliers que l’Inde avait invoqués113. De même, en la présente affaire, «[l]e
fait qu’une défense au fond se présente d’une certaine manière ne peut porter atteinte à la
107 Voir plus haut, sect. I.
108 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, par. 27
et 31 ; voir aussi CMQ-B, par. 3.24.
109 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, par. 27
(les italiques sont de nous).
110 Ibid., par. 28 (les italiques sont de nous).
111 CMQ-B, par. 3.19-3.28.
112 RBEE, par. 4.27.
113 CMQ-B, par. 3.25.
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- 22 -
compétence du tribunal ou de tout autre organe en cause ; sinon les parties seraient en mesure de
déterminer elles-mêmes cette compétence, ce qui serait inadmissible»114.
3.28. Le recours aux contre-mesures dont se prévalent les appelants comme moyen de
défense ne peut donc avoir d’incidence sur le véritable problème en cause devant le Conseil de
l’OACI. En outre, l’objet de la demande du Qatar ne s’étend pas à des questions au règlement
desquelles les Parties n’ont pas consenti, comme nous le verrons aux deux sous-sections suivantes.
A. Le Conseil de l’OACI a compétence pour statuer sur le moyen de défense
des appelants relatif aux contre-mesures
3.29. Le consentement des Parties à la compétence du Conseil de l’OACI n’est pas aussi
étroit que les appelants cherchent à le faire accroire115.
3.30. Un différend entre deux ou plusieurs Etats parties à l’accord de transit peut amener le
Conseil de l’OACI, sous la supervision de la Cour, à se prononcer sur les actions qu’un Etat justifie
par «des raisons de nécessité militaire ou de sécurité publique»116, par «des circonstances
exceptionnelles, en période de crise ou dans l’intérêt de la sécurité publique»117 ou encore par une
situation de «guerre» ou de «crise nationale»118. Toutes ces questions qu’il faudra alors trancher
peuvent porter sur des points de fait et des obligations internationales qui vont au-delà de l’aviation
civile et «qui permettrai[ent] de déroger aux principales obligations de fond, prévoirai[ent] une
exception y relative, ou en limiterai[ent] la portée de toute autre manière»119. Selon la propre
argumentation des appelants, il n’est pas douteux que de tels points «relève[nt] ... pleinement de la
portée ratione materiae de la compétence de la Cour «quant à l’interprétation ou à l’application»
du traité»120.
3.31. Il est également incontestable que, outre ces notions figurant dans la convention de
Chicago et qui sont reprises dans l’accord de transit par la section 2 de l’article premier, le Conseil
de l’OACI peut tenir compte de «toute règle pertinente de droit international applicable dans les
relations entre les parties»121 lorsqu’il interprète les dispositions de cet instrument. Dans un cas
comme dans l’autre, l’on ne saurait prétendre que le Conseil, en examinant des obligations sortant
du cadre de l’accord de transit, étendrait indûment sa compétence. Nonobstant la confusion que les
appelants tentent de semer à cet égard, il en va exactement de même du recours aux contre-mesures
dont ils s’autorisent.
114 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, par. 27.
115 Voir, par exemple, RBEE, par. 4.27.
116 Convention de Chicago, art. 9 a) (MBEE, vol. II, annexe 1).
117 Ibid., art. 9 b).
118 Ibid., art. 89. Aux termes de la section 2 de l’article premier de l’accord de transit, «[l]es privilèges
susmentionnés devront être exercés conformément aux dispositions de … la Convention relative à l’aviation civile
internationale». Il s’agit en l’occurrence des privilèges de «survoler son territoire sans atterrir» et «d’atterrir à des fins
non commerciales»  accord de transit, article premier, sect. 1 (MBEE, vol. II, annexe 2).
119 RBEE, par. 4.43.
120 Ibid., note 296 (citant Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955
(République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance
du 3 octobre 2018, par. 42).
121 Convention de Vienne sur le droit des traités (adoptée le 22 mai 1969), Nations Unies, Recueil des traités
(RTNU), vol. 1155, p. 331, art. 31 3) c) ; voir également Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran
c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, par. 39-42.
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3.32. Les Parties ne contestent pas non plus que, en principe, le Conseil de l’OACI a
compétence pour appliquer les règles régissant la responsabilité internationale des Etats pour faits
internationalement illicites122. C’est sur la base de l’une de ces règles que les appelants affirment
que les manquements allégués du Qatar à des obligations sortant des prévisions de la convention de
Chicago constituent une circonstance excluant l’illicéité des mesures d’interdiction qu’ils ont prises
dans le domaine de l’aviation. Aux termes de l’article 22 du projet d’articles sur la responsabilité
de l’Etat pour fait internationalement illicite de la Commission du droit international (CDI)
(ci-après «les articles sur la responsabilité de l’Etat»),
«[l]’illicéité du fait d’un Etat non conforme à l’une de ses obligations internationales à
l’égard d’un autre Etat est exclue si, et dans la mesure où, ce fait constitue une
contre-mesure prise à l’encontre de cet autre Etat conformément au chapitre II de la
troisième partie»123.
3.33. Dans ce contexte, le Conseil de l’OACI a également compétence, lorsqu’il est appelé à
statuer sur la responsabilité d’un Etat membre au regard du droit international, pour déterminer si
cet Etat membre peut être considéré comme «lésé»124 et, partant, fondé à riposter à un fait
internationalement illicite en prenant des contre-mesures contraires à l’accord de transit.
3.34. Les appelants sont incapables d’indiquer une seule limitation de la portée de
l’ensemble de règles de droit international que le Conseil est habilité à appliquer : ils n’étayent en
rien leur affirmation selon laquelle ce dernier ne saurait traiter leur moyen de défense fondé sur des
contre-mesures non réciproques. C’est pourquoi ils voudraient que la Cour interprète les termes «à
propos de l’interprétation ou de l’application du présent Accord», qui figurent dans la section 2 de
l’article II, comme exprimant une telle limitation125. Selon eux, le Qatar donne une «interprétation
extensive» de ces termes lorsqu’il affirme que le Conseil a compétence pour examiner le recours
aux contre-mesures dont ils s’autorisent126. Les appelants prétendent que la position du Qatar
«va ... à l’encontre de la pratique de la Cour, qui a systématiquement interprété les clauses
compromissoires conformément aux règles classiques de l’interprétation des traités»127. Ils se
méprennent.
122 Voir, par exemple, The Arctic Sunrise Arbitration (Netherlands v. Russia), affaire PCA no 2014-02, sentence
sur le fond (14 août 2015), par. 190 («Pour interpréter et appliquer comme il se doit certaines dispositions de la
convention, un tribunal peut avoir à recourir à des règles fondamentales ou secondaires du droit international général
telles que celles du droit des traités ou de la responsabilité de l’Etat») (notes de bas de page omises). En effet, les
appelants ne laissent entendre nulle part, par exemple, que le Conseil n’aurait pas compétence pour statuer sur un moyen
de défense fondé sur des «contre-mesures réciproques».
123 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
adopté par la Commission du droit international à sa cinquante-troisième session (2001), Rapport de la Commission du
droit international sur les travaux de sa cinquante-troisième session, Nations Unies, doc. A/56/10 (ci-après les «articles
sur la responsabilité de l’Etat»), chap. V, art. 22 (MBEE, vol. II, annexe 13). Le chapitre II de la troisième partie du projet
d’articles expose l’objet et les limites des contre-mesures (article 49), les obligations ne pouvant être affectées par des
contre-mesures (art. 50), le principe fondamental de la proportionnalité régissant le fonctionnement des contre-mesures et
la possibilité de les invoquer (art. 51), les conditions du recours à des contre-mesures (art. 52) et la cessation des
contre-mesures (art. 53).
124 Ibid., art. 42 et 49.
125 Voir, par exemple, RBEE, par. 4.19-4.20.
126 Ibid., par. 4.19.
127 Ibid., par. 4.22.
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3.35. Le Qatar ne propose pas une interprétation «extensive» de la section 2 de l’article II,
pas plus qu’il ne suggère d’interpréter cette disposition autrement que conformément aux règles
habituelles de l’interprétation des traités. Au contraire, il propose seulement de le faire d’une
manière qui soit compatible avec les nombreuses autres clauses compromissoires du même type.
3.36. La section 2 de l’article II n’a rien de particulier ; il s’agit d’une clause compromissoire
classique. Si un différend dans lequel le demandeur allègue des violations de l’accord de transit
cessait de se rapporter à l’«interprétation ou [à] l’application» de cet instrument du seul fait que le
défendeur invoque un moyen de défense fondé sur des contre-mesures non réciproques, cela
vaudrait également pour d’autres traités contenant des clauses compromissoires qui lui sont en
substance identiques.
3.37. Par exemple, l’article 286 de la CNUDM, qui s’apparente beaucoup à la section 2 de
l’article II de l’accord de transit, dispose ce qui suit :
«[T]out différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la Convention
qui n’a pas été réglé par l’application de la section 1 est soumis, à la demande d’une
partie au différend, à la cour ou au tribunal ayant compétence en vertu de
la ... section [2 de la partie XV].»128
3.38. Si l’on applique la théorie des appelants, un Etat défendeur pourrait annuler la
compétence de la juridiction concernée — qui est souvent la Cour de céans — à l’égard d’un
différend portant sur des violations alléguées de la CNUDM simplement en invoquant un moyen de
défense relatif à des contre-mesures non réciproques. Pareil résultat non seulement serait absurde,
mais compromettrait aussi gravement le système tout entier de règlement des différends entre Etats.
3.39. Apparemment conscients des conséquences fâcheuses de leur position, les appelants
cherchent à faire accroire que le problème est sans gravité. Ils affirment ainsi que le risque mis en
avant par le Qatar n’existe pas au motif que l’argument de ce dernier
«repose ... tout entier sur le postulat, implicite, que le différend entre les Parties ne
peut être défini que dans l’optique étroite à laquelle le Qatar s’efforce ici de cantonner
sa demande. Mais, puisque le véritable problème en cause entre les Parties ne
concerne pas des questions dont la Cour est compétente pour connaître au titre de
l’accord de transit, son raisonnement s’effondre.»129
3.40. Bien évidemment, cette thèse présuppose sa propre conclusion. Autrement dit, elle ne
peut emporter la conviction que si le «véritable problème» en cause est bien tel que le voient les
appelants. Ceux-ci font toutefois erreur pour l’ensemble des raisons déjà énumérées par le Qatar, de
sorte que leur tentative de minorer les risques systémiques qui découlent de leur thèse est vouée à
l’échec.
128 Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982, RTNU,
vol. 1833, p. 3, art. 286 (MBEE, vol. II, annexe 9).
129 RBEE, par. 4.26.
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3.41. Les appelants affirment également, au sujet du risque mis en évidence par le Qatar,
«qu’il n’y aurait lieu de s’en préoccuper» que si eux-mêmes s’autorisaient du recours à des
contre-mesures «de mauvaise foi, dans des circonstances non justifiées en fait»130. Cela n’est pas
une réponse. Selon leur conception de l’affaire, le Conseil de l’OACI n’aurait pas compétence pour
examiner un moyen de défense fondé sur des contre-mesures ni, partant, la faculté de même
aborder la question de la mauvaise foi. Autrement dit, il n’y aurait aucune protection contre les
abus.
3.42. Au surplus, le Qatar estime que l’éventualité évoquée par les appelants est exactement
ce qui se produit en l’espèce. En effet, contrairement à ce qu’ils prétendent131, ces derniers n’ont
pas présenté de bonne foi le moyen de défense qu’ils tirent du recours aux contre-mesures. Le
chapitre 2 du contre-mémoire et celui de la présente duplique montrent précisément que ledit
moyen de défense n’est pas «justifié[] en fait»132. Le Qatar y établit que les allégations des
appelants concernant son prétendu appui au terrorisme et son ingérence supposée dans leurs
affaires intérieures ne résistent pas à l’analyse, fût-elle superficielle. Par sa nature, l’argument des
appelants relatif aux contre-mesures n’est qu’un prétexte et ne devrait donc pas être autorisé à faire
obstacle à la compétence du Conseil de l’OACI sous couvert du critère du «véritable problème».
B. Le Conseil de l’OACI pourrait trancher le présent différend sans examiner
au fond le moyen de défense des appelants relatif aux contre-mesures
3.43. Comme le Qatar l’a expliqué dans son contre-mémoire, le Conseil de l’OACI peut
trancher de diverses manières le différend porté devant lui sans jamais avoir à examiner ce qui
«fondamentalement … rend légitimes»133 les contre-mesures dont les appelants tirent leur moyen
de défense134. Il serait dès lors anormal de conclure que le Conseil n’a pas compétence en vertu de
la section 2 de l’article II en raison d’une éventualité fictive qui, bien que théoriquement possible,
ne se produira peut-être jamais.
3.44. Procédant de la même façon que pour nombre d’autres éléments du contre-mémoire,
les appelants dénaturent la position du Qatar. Ils affirment que celui-ci soulève ces points parce
que, selon eux, il a «quasiment reconnu» que «le Conseil de l’OACI n’a pas compétence pour
connaître de la question de savoir si les contre-mesures que les appelants ont adoptées étaient
justifiées par les agissements antérieurs du Qatar»135. Il n’en est rien. Ce que le Qatar veut dire est
bien plus simple : la supposition qui est au coeur de l’argumentation des appelants — à savoir que
le désaccord porté devant le Conseil «imposerait nécessairement à celui-ci de se prononcer sur des
questions qui sont exclues de son champ de compétence»136 — est dénuée de fondement. Comme il
a déjà été dit, il existe plusieurs manières, pour le Conseil, de statuer sur le présent différend sans
avoir à répondre — là encore, pour reprendre les termes des appelants — à «la question de savoir si
130 RBEE., par. 4.27.
131 Ibid.
132 Ibid.
133 Ibid., par. 4.53.
134 Voir CMQ-B, par. 3.58-3.68.
135 RBEE, par. 4.33 ; ibid., par. 4.5 («le Qatar est près d’admettre que le Conseil est incompétent au titre de la
section 2 de l’article II de l’accord de transit, notamment s’agissant du recours aux contre-mesures dont s’autorisent les
appelants»).
136 Ibid., par. 4.33 (les italiques sont de nous).
42
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les contre-mesures que les appelants ont adoptées étaient justifiées par les agissements antérieurs
du Qatar»137.
3.45. Une possibilité serait bien entendu que le Conseil de l’OACI juge que les mesures
d’interdiction visant l’aviation n’emportent pas violation de l’accord de transit138, auquel cas la
question des circonstances excluant l’illicéité ne se poserait pas. Les appelants n’ont aucune
réponse à ce sujet.
3.46. Le Conseil de l’OACI pourrait également décider que les appelants ne se sont pas
conformés aux conditions préalables à l’adoption de contre-mesures qui sont prévues par le droit
international, notamment celles, d’ordre procédural, qui leur imposaient de procéder à une
notification et d’offrir de négocier139.
3.47. A cet égard, le Qatar relève que les appelants n’ont jamais prétendu, que ce soit devant
le Conseil de l’OACI ou devant la Cour, avoir procédé à la notification nécessaire ou offert de
négocier avec lui avant de prendre leurs mesures d’interdiction visant l’aviation. De fait, comme il
l’a montré, ces mesures ont été imposées sans avertissement préalable140. Il serait donc tout à fait
justifié que le Conseil rejette pour ce seul motif le moyen de défense des appelants relatif aux
contre-mesures.
3.48. Les appelants tirent grief de ce que, «[e]n se bornant à examiner les aspects
procéduraux des contre-mesures sans prendre en considération les transgressions du Qatar qui en
sont à l’origine, le Conseil de l’OACI ne se montrerait pas conséquent et parviendrait à une
décision incomplète et partiale»141. Il est toutefois difficile de comprendre pourquoi il en irait ainsi,
puisque les appelants ne contestent pas qu’un moyen de défense fondé sur le recours aux
contre-mesures ne serait pas valable s’il ne satisfaisait pas aux exigences procédurales énoncées au
paragraphe 1 de l’article 52 des articles sur la responsabilité de l’Etat. En pareil cas, point ne serait
besoin de se pencher sur ce qui «fondamentalement … rend légitimes» ces contre-mesures.
3.49. En tout état de cause, le grief des appelants est hors de propos. La question n’est pas
que le Conseil de l’OACI ne puisse pas examiner les aspects de fond de leur moyen de défense.
Comme il l’a indiqué précédemment142, le Qatar est d’avis que le Conseil peut le faire. La section 2
de l’article II de l’accord de transit lui en donne le pouvoir, tout comme à n’importe quel autre
organe habilité à trancher un différend concernant l’«interprétation ou ... l’application» d’un traité
donné. Le fait est simplement que le Conseil pourrait ne même pas avoir à traiter les aspects de
fond du moyen de défense des appelants.
137 RBEE, par. 4.33 (les italiques sont de nous).
138 Voir CMQ-B, par. 3.57.
139 Voir articles sur la responsabilité de l’Etat, art. 52 1).
140 Voir CMQ-B, par. 1.12, 2.6 et 4.28.
141 RBEE, par. 4.54.
142 Voir plus haut, sect. III A.
44
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3.50. Le Conseil de l’OACI pourrait également conclure que l’accord de transit et la
convention de Chicago excluent en tant que lex specialis le recours à des contre-mesures (non
réciproques)143. Il s’agit là clairement d’une question touchant l’«interprétation ou [l’]application»
desdits instruments, par le jeu de la section 2 de l’article premier de l’accord de transit, et qui relève
sans équivoque de la compétence du Conseil144. Les appelants affirment que «la section 2 de
l’article premier [de l’accord de transit] vise uniquement «[l’exercice des] privilèges
susmentionnés», et non d’autres droits conférés par le droit international coutumier tels que le droit
de recourir à des contre-mesures»145, de sorte qu’ils pourraient toujours jouir de ce dernier droit au
regard de l’accord de transit, indépendamment des dispositions de la convention de Chicago.
Cependant, la question de savoir si la section 2 de l’article premier de l’accord de transit a l’effet
que lui prêtent les appelants relève également de l’interprétation dudit accord et donc, sans
équivoque, de la compétence du Conseil. Si celui-ci devait décider que l’accord excluait le recours
à des contre-mesures (non réciproques), ce moyen de défense des appelants serait privé de toute
substance.
3.51. Dans la réplique, les appelants avancent un certain nombre d’arguments pour expliquer
pourquoi, selon eux, l’accord de transit et la convention de Chicago n’excluent pas les
contre-mesures146. Comme ils le reconnaissent eux-mêmes147, le Conseil de l’OACI ne peut pas
trancher cette question au stade actuel ; il lui appartiendra de le faire, le cas échéant, au stade du
fond. Le Qatar n’importunera donc pas la Cour en prolongeant inutilement le débat à ce sujet. Il se
bornera à formuler trois observations afin de souligner à quel point les appelants prennent des
libertés avec le droit pour défendre leur argumentation.
3.52. Les appelants allèguent que l’argument du Qatar relatif à la lex specialis «ne tient pas
compte des termes des accords de Riyad, qui confèrent clairement à l’Etat contractant un droit
autonome, et de vaste portée, d’adopter les «mesures qui s’imposent» — sans restrictions ou autres
réserves — en cas de non-respect par un autre des dispositions de l’accord»148. Le Qatar est en
désaccord avec cette interprétation, et en particulier avec l’idée que ce «droit», comme le laissent
entendre les appelants, irait au-delà du droit reconnu par le droit international coutumier de prendre
des contre-mesures, ou l’emporterait sur l’accord de transit149.
3.53. En revanche, le Qatar s’accorde avec les appelants pour dire qu’il s’agit là d’une
question qui «ne pourra être débattue qu’au stade du fond» devant le Conseil de l’OACI150. Il serait
toutefois négligent de sa part de ne pas relever que, aux termes de l’article 82 de la convention de
Chicago, laquelle régit, en vertu de la section 2 de l’article premier de l’accord de transit, l’exercice
des «privilèges» prévus par celui-ci, les appelants se sont engagés à «ne pas contracter
143 Voir CMQ-B, par. 3.59-3.67.
144 Les opinions divergentes des Parties sur la question de savoir si la convention de Chicago prévoit la possibilité
de prendre des contre-mesures «révèle[nt] l’existence de thèses directement opposées sur le sens de [ladite convention],
autrement dit un «désaccord ... à propos de [son] interprétation ou de [son] application» ; n’y aurait-il qu’une
disposition ... à propos de laquelle on puisse faire cette constatation, le Conseil serait compétent, quand bien même aucun
autre texte ne serait en cause, ce qui manifestement n’est pas le cas». Appel concernant la compétence du Conseil de
l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, par. 43.
145 RBEE, par. 4.43.
146 Ibid., par. 4.34-4.47.
147 Ibid., par. 4.33 («Dans chacun des trois cas de figure envisagés, le Conseil devrait trancher au fond, en tout ou
partie, la défense des appelants fondée sur les contre-mesures, ce qu’il ne saurait faire au stade de la compétence.»).
148 Ibid., par. 4.35.
149 Ibid., par. 2.7.
150 Ibid., par. 4.36.
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- 28 -
d[’]obligations ni conclure d[’]ententes [qui soient] incompatibles» avec les dispositions de ladite
Convention151. Comme le Qatar l’a indiqué dans son contre-mémoire, la CDI a décrit, dans ses
travaux sur la fragmentation du droit international, les clauses revêtant ce caractère bien précis
comme des «exception[s] expresse[s] à la règle de la lex posterior, tendant à garantir le pouvoir
normatif du traité antérieur»152. Bien qu’ils mettent en doute le caractère «intransgressible» des
obligations de fond découlant de l’accord de transit et de la convention de Chicago153, les appelants
ne tiennent aucun compte de cette disposition.
3.54. Les appelants affirment également que «les contre-mesures en matière d’aviation sont
monnaie courante dans la pratique étatique»154, mais la pratique qu’ils citent est dépourvue de toute
pertinence en l’espèce. Ils donnent ainsi des exemples tirés de l’arbitrage de 1978 entre les
Etats-Unis et la France et d’autres affaires impliquant la Pologne et l’Union soviétique ou encore
l’Afrique du Sud et la Yougoslavie, qui portent tous sur des droits d’atterrissage conférés par des
traités bilatéraux155, questions que ne régissent ni l’accord de transit, ni la convention de Chicago.
Seule une des affaires qu’ils citent concernait au moins en partie l’interdiction de survol — faite
aux transporteurs nord-coréens par l’Union européenne156 — mais cette sanction était imposée en
application du paragraphe 21 de la résolution 2270 du Conseil de sécurité de l’ONU adoptée le
2 mars 2016157, et non à titre de contre-mesure158.
151 Convention de Chicago, art. 82 (MBEE, vol. II, annexe 1) (les italiques sont de nous). Voir CMQ-B, par. 3.64
et note 273 («Dans la mesure où les appelants fondent leur défense relative aux contre-mesures sur les accords de Riyad,
cette disposition renverse à elle seule leur affirmation.»).
152 Nations Unies, Commission du droit international (CDI), Fragmentation du droit international : difficultés
découlant de la diversification et de l’expansion du droit international, rapport du groupe d’étude, doc. A/CN.4/L.682
(13 avril 2006), par. 268 (certains des italiques sont de nous).
153 RBEE, par. 4.39 et 4.43. Les appelants laissent également entendre à tort que, tant que les obligations
découlant de la convention de Chicago ne se voient pas «reconnaître un statut comparable à celui de jus cogens», la
question de l’exclusion des contre-mesures ne se pose pas. Ibid., par. 4.39. Dans son commentaire de l’article 50 du
projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat — cité par les appelants —, la CDI rejette clairement ce point de vue : «Les
Etats peuvent convenir que d’autres règles du droit international ne peuvent faire l’objet de contre-mesures, qu’elles
soient ou non considérées comme des normes impératives du droit international général.» Ibid., par. 4.41, note 326
(citant CDI, projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite (2001), art. 50, p. 133,
par. 10 (RBEE, vol. II, annexe 13) (les italiques sont de nous)).
154 RBEE, par. 4.45.
155 Voir RBEE, par. 4.45 a), b), c) et d). Les appelants se réfèrent en particulier au règlement (CE) no 1901/98 du
Conseil du 7 septembre 1998 concernant l’interdiction des vols effectués par des transporteurs yougoslaves entre la
République fédérale de Yougoslavie et la Communauté européenne (RBEE, note 342), mais omettent de relever que ce
document, au paragraphe 2 de l’article 3, précise qu’«[a]ucune disposition du[dit] règlement n’est interprétée comme
limitant l’un quelconque des droits existants des transporteurs et des aéronefs yougoslaves immatriculés dans la RFY,
autres que ceux d’atterrir sur le territoire de la Communauté européenne et d’en décoller». En d’autres termes, le
[premier] privilège prévu à l’article premier de l’accord de transit (à savoir le «privilège de survoler [le] territoire [de
chaque Etat contractant] sans atterrir», dont ils ont privé le Qatar à tort) n’est pas concerné.
156 Ibid., par. 4.45 e).
157 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 2270, doc. S/RES/2270 (2 mars 2016), par. 21 :
«Décide que tous les Etats doivent interdire à tout aéronef de décoller de leur territoire, d’y
atterrir ou de le survoler, sauf s’il s’agit d’atterrir aux fins d’inspection, s’ils sont en possession
d’informations leur donnant des motifs raisonnables de penser qu’il y a à bord des articles dont la
fourniture, la vente, le transfert ou l’exportation sont interdits par les résolutions 1718 (2006), 1874
(2009), 2087 (2013) ou 2094 (2013) ou par la présente résolution, sauf dans le cas d’un atterrissage
d’urgence, et invite tous les Etats, lorsqu’ils examinent s’il convient d’accorder une autorisation de survol
à des appareils, à évaluer les facteurs de risque connus.»
158 Les appelants dénaturent les faits relatifs à cette interdiction. Citant uniquement la résolution 1718 (2006) du
Conseil de sécurité de l’ONU, ils affirment que les interdictions d’atterrir, de décoller et de survoler imposées par l’UE
«sont distinctes des sanctions imposées par le Conseil de sécurité». RBEE, par. 4.45 e). Comme le montre le texte de la
résolution 2270 du Conseil de sécurité citée dans la note précédente, cela est clairement erroné.
47
48
- 29 -
3.55. Enfin, les appelants affirment à tort qu’un «accord spécifique et exprès» est requis pour
exclure les contre-mesures159, et qu’il est toujours possible d’en prendre «quand bien même [des]
traités prévo[ient] déjà des exceptions dans différents cas de figure»160. Or, rien dans les travaux de
la CDI ne donne à penser que les contre-mesures doivent être expressément exclues. Au contraire,
en soulignant que les clauses de dérogation et l’interdiction des réserves peuvent indiquer
l’existence d’une lex specialis qui exclue les contre-mesures161, la CDI précise que ces dernières
peuvent être écartées implicitement. Certains traités muets sur la question ont d’ailleurs été
interprétés comme les excluant162. Au nombre de ces instruments figurent les conventions de
Vienne sur les relations diplomatiques et les relations consulaires, dont la Cour a considéré qu’elles
«excluai[ent] la possibilité de recourir à des contre-mesures»163, bien qu’elles ne contiennent pas
d’«accord spécifique et exprès» à cet effet.
3.56. Le Qatar répète qu’il ne cherche pas à dire que la Cour devrait régler tous ces points
maintenant ; il souhaite simplement souligner qu’il est tout à fait possible que le Conseil de l’OACI
n’ait jamais l’occasion d’examiner au fond l’argument des appelants selon lequel les actes du Qatar
justifiaient les mesures d’interdiction visant l’aviation. Demander à la Cour d’ignorer cette
possibilité est un autre moyen par lequel les appelants tentent de déterminer eux-mêmes la
compétence du Conseil et, en définitive, celle de la Cour, ce qui est inadmissible.
IV. IL EST PARFAITEMENT COMPATIBLE AVEC LE PRINCIPE DE L’OPPORTUNITÉ
JUDICIAIRE QUE LE CONSEIL DE L’OACI STATUE SUR
LES DEMANDES DU QATAR
3.57. Les appelants maintiennent leur thèse selon laquelle, quand bien même le Conseil
aurait compétence, les demandes du Qatar devraient être considérées comme irrecevables en vertu
du «principe de l’opportunité judiciaire»164. D’après eux, «il serait incompatible avec le principe
fondamental du caractère consensuel de la juridiction internationale» que le Conseil exerce sa
compétence165. La Cour n’a pas à s’attarder sur cet argument. Il s’agit à l’évidence d’une nouvelle
version de l’argument des appelants relatif à la compétence, transformé en exception
d’irrecevabilité.
3.58. Selon les appelants, «le fait est que le Conseil ne peut trancher comme il se doit les
aspects du différend relatifs à l’aviation civile sans se prononcer sur des aspects plus généraux qui
échappent à sa compétence, notamment le recours aux contre-mesures dont s’autorisent les
appelants»166. Leur argument concernant la recevabilité repose donc sur la même prémisse que
celui ayant trait à la compétence. Si le second ne peut prospérer (comme c’est le cas, pour toutes les
raisons déjà exposées par le Qatar), il en va de même du premier. Le moyen de défense que les
159 RBEE, par. 4.41.
160 Ibid., par. 4.41, note 328. Les appelants prétendent illustrer leur argument en invoquant la pratique de
l’Allemagne nazie à l’égard du traité de Locarno. Ibid., note 328. Le Qatar juge révélateur que ce soit dans cette pratique
qu’ils recherchent des orientations juridiques.
161 Voir CMQ-B, par. 3.59-3.63.
162 Voir Cour de justice des communautés européennes, Commission de la communauté économique européenne
c. Grand-Duché de Luxembourg et Royaume de Belgique, affaires jointes 90 et 91/63, arrêt (13 novembre 1964),
Recueil 1964, p. 1223.
163 RBEE, par. 4.47 (traitant de l’affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à
Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, par. 83-86).
164 RBEE, par. 4.29.
165 Ibid., par. 4.28 (citant MBEE, par. 5.2 b)).
166 Ibid., par. 4.28.
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appelants tirent du recours aux contre-mesures n’«échappe» pas à la compétence du Conseil ; au
contraire, il entre clairement dans les prévisions de cette compétence.
3.59. En outre, comme le Qatar l’a exposé dans son contre-mémoire, par analogie avec la
logique du forum prorogatum, un Etat défendeur qui présente une défense au fond devrait être
réputé avoir consenti à ce que celle-ci soit dûment examinée si la juridiction internationale
concernée se déclare compétente167. Pour rappeler une fois de plus les termes employés par la Cour
en l’affaire Inde c. Pakistan, le contraire reviendrait à permettre à une «défense au fond» d’éliminer
«la compétence du tribunal ou de tout autre organe en cause»168.
3.60. Aucune question liée au consentement ou au «principe de l’opportunité judiciaire» ne
se pose donc. L’argument des appelants concernant la recevabilité doit être rejeté.
*
3.61. Le différend entre les Parties ayant trait à l’interprétation ou à l’application de l’accord
de transit, le Conseil de l’OACI a compétence pour en connaître. Conformément à la jurisprudence
de la Cour, le Qatar ne saurait être privé de son droit de voir ses demandes examinées du simple
fait que les appelants allèguent unilatéralement que le «véritable problème» en cause entre les
Parties concerne des questions qui échappent au champ d’application de l’accord. Le Conseil a
rejeté à juste titre l’exception préliminaire des appelants, et la Cour devrait faire de même
s’agissant de leur deuxième moyen d’appel.
167 CMQ-B, par. 3.72, note 294.
168 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, par. 27.
51
- 31 -
CHAPITRE 4
LA COUR DEVRAIT REJETER LE TROISIÈME MOYEN D’APPEL
4.1. Par leur troisième moyen, les appelants soutiennent que le Conseil de l’OACI a commis
une erreur en rejetant l’exception préliminaire qu’ils avaient soulevée relativement à la tenue de
négociations préalables169. Selon eux, la décision du Conseil pèche pour deux raisons :
premièrement, le Qatar n’aurait pas respecté l’obligation de négociation prévue à la section 2 de
l’article II de l’accord de transit, qu’ils appellent le «volet relatif à la compétence»170 de leur
exception préliminaire ; deuxièmement, et «à titre subsidiaire»171, le Qatar n’aurait pas respecté les
dispositions de l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement de l’OACI, ce qui, soutiennent-ils, «soulève
une question de recevabilité»172.
4.2. Ces deux arguments étant dépourvus de fondement, pour les raisons que nous verrons
ci-après, le troisième moyen d’appel avancé par les appelants est tout autant voué à l’échec que les
deux premiers. La première partie du présent chapitre traitera de l’allégation erronée des appelants
selon laquelle le Conseil de l’OACI a commis une erreur en rejetant leur exception préliminaire
fondée sur les prescriptions de la section 2 de l’article II de l’accord de transit. A la sous-section A,
nous expliquerons en quoi les appelants font une lecture inexacte de la norme juridique applicable,
et à la sous-section B, il sera démontré qu’ils se fourvoient également dans la manière dont ils
appliquent cette norme aux faits de l’espèce. La seconde partie du chapitre portera sur l’affirmation
tout aussi infondée des appelants selon laquelle le Qatar n’a pas respecté les dispositions de
l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement de l’OACI.
I. C’EST À JUSTE TITRE QUE LE CONSEIL DE L’OACI A ESTIMÉ QUE LE QATAR AVAIT
SATISFAIT À L’OBLIGATION DE NÉGOCIATION PRÉVUE DANS LA SECTION 2 DE L’ARTICLE II
A. Les appelants font une interprétation inexacte de la
norme juridique pertinente
4.3. Dans la partie I A du chapitre V de leur réplique, les appelants contestent trois aspects
de la thèse du Qatar relative à la norme juridique régissant l’obligation de négociation, qui serait,
selon eux, «erronée» à ces trois égards173. Le Qatar répondra ici à ces critiques et démontrera que
ce sont au contraire les appelants qui se trompent.
169 Dans leur réplique, les appelants affirment qu’«il ne ressort nullement de la décision … que le Conseil de
l’OACI aurait conclu que le Qatar avait effectivement «satisfait à l’obligation de négociation»» (RBEE, par. 5.5), tout en
admettant un peu plus loin que le Conseil a «rejet[é] le[urs] exceptions préliminaires … à cet égard» (ibid., par. 5.79). Ils
avaient fait de même dans leur requête introductive d’instance conjointe (requête B devant la Cour, par. 31) et dans leur
mémoire, où ils reconnaissent de fait que le Conseil a «rejeté la seconde exception préliminaire des appelants» (MBEE,
par. 6.1). Le Conseil de l’OACI a lui-même, dans sa décision, expressément «[d]écid[é] que l’exception préliminaire des
défendeurs n’[était] pas acceptée», décision rendue le 29 juin 2018 par le Conseil de l’Organisation de l’aviation civile
internationale concernant l’exception préliminaire soulevée en l’affaire opposant l’Etat du Qatar au Royaume de Bahreïn,
à la République arabe d’Egypte et aux Emirats arabes unis (2017, requête B) (MBEE, vol. V, annexe 52).
170 RBEE, par. 5.8 ; ibid., par. 5.78.
171 Ibid., par. 5.2 ; ibid., par. 5.78.
172 Ibid., par. 5.1-5.2.
173 Ibid., par. 5.10.
53
54
- 32 -
1. La section 2 de l’article II n’impose pas à une partie de tenter de négocier si l’autre partie
s’y refuse catégoriquement
4.4. Il a été montré dans le contre-mémoire que les appelants, après avoir rompu leurs
relations diplomatiques avec le Qatar, ont à tout moment considéré qu’il n’y avait «rien à négocier»
avec lui à moins qu’il n’acceptât leurs 13 exigences  dont le caractère déraisonnable est
immédiatement évident , elles-mêmes «non négociables»174. Il a également été expliqué que, au
regard de la section 2 de l’article II de l’accord de transit, une partie n’est pas tenue de tenter de
négocier si l’autre partie s’y refuse ab initio, comme l’ont précisément fait les appelants175.
4.5. Dans la réplique, les appelants ne prétendent pas avoir été disposés à négocier avec le
Qatar au sujet de leurs mesures d’interdiction visant l’aviation (ou sur toute autre question). Ils
n’ont jamais contesté avoir dès le départ refusé toute discussion, position dont ils ne se sont, du
reste, pas départis à ce jour. Il apparaît ainsi que le ministre des affaires étrangères de l’Arabie
saoudite indiquait encore, le 20 juin 2019, que le dialogue avec le Qatar était «exclu … à moins que
celui-ci ne change d’attitude»176. Rien n’indique que les appelants ne soient pas du même avis.
4.6. Sans prétendre que les discussions avec le Qatar fussent possibles, les appelants estiment
néanmoins que, même en pareilles circonstances, le demandeur reste tenu de tenter de négocier177.
Il va de soi, selon le Qatar, que cela est absurde.
4.7. Dans les affaires relatives à l’Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie)
(ci-après l’affaire «Géorgie c. Fédération de Russie») et à des Questions concernant l’obligation de
poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal) (ci-après l’affaire «Belgique c. Sénégal»), la Cour a
certes indiqué que la «condition préalable de tenir des négociations» impliquait «à tout le moins,
que l’une des parties tente vraiment d’ouvrir le débat avec l’autre partie en vue de régler le
différend»178. Mais ni l’une ni l’autre de ces deux instances ne portait sur une situation semblable à
celle de la présente espèce, où l’autre partie oppose un refus immédiat et total d’engager un débat, à
un quelconque moment, dans un quelconque cadre et sur un quelconque sujet. Partant, la Cour n’a
pas eu, dans ces deux affaires, à examiner l’application de l’obligation de négociation en pareilles
circonstances. C’est donc à mauvais escient que les appelants se réfèrent avec tant d’insistance à la
notion de «véritable tentative».
4.8. Outre que pareille interprétation défierait le bon sens, il serait contraire au principe de
bonne foi, ainsi qu’à l’objet et au but de l’obligation de négociation, de considérer que la section 2
de l’article II de l’accord de transit exige cette condition d’une partie même face à un refus
catégorique de l’autre partie. Il ne sert à rien, lorsque la discussion est impossible quel que soit le
sujet, d’attendre des Etats qu’ils engagent des tentatives de négociation vaines et de pure forme aux
seules fins de satisfaire à une prescription de principe.
174 CMQ-B, par. 1.12, 4.30, 4.41.
175 Ibid., par. 4.20, 4.36.
176 R. Al Sherbini, «Iran to face «strong response» if it closes Strait of Hormuz», Gulf News, 20 juin 2019 (DQ-B,
vol. II, annexe 11).
177 RBEE, par. 5.10 a), 5.11-5.31.
178 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), par. 157 ; Questions
concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), par. 57.
55
56
- 33 -
4.9. La lecture de la section 2 de l’article II qui est ici proposée n’est en aucune façon
incompatible avec les «trois fonctions distinctes» d’une obligation de négociation que la Cour a
définies dans l’affaire Géorgie c. Fédération de Russie179.
4.10. Une partie qui refuse ab initio de négocier peut difficilement prétendre qu’elle n’a pas
déjà connaissance de l’existence des revendications de l’autre partie, ou de la portée et de l’objet de
celles-ci. Pourquoi, en effet, refuserait-elle de négocier si elle ne contestait pas ces revendications ?
Nul doute que tel est le cas des appelants. Non seulement étaient-ils, dès le départ, parfaitement
informés des revendications du Qatar180, mais ils ont en outre expressément refusé d’engager des
discussions à ce sujet à de multiples reprises, tant devant le Conseil de l’OACI181 que dans le cadre
de déclarations publiques182.
4.11. Le refus absolu de négocier opposé par une partie a pour effet d’écarter la deuxième
fonction de l’obligation de négociation, l’impossibilité évidente de régler le différend à l’amiable
rendant inévitable le recours au jugement contraignant d’un tiers.
4.12. Enfin, considérer que l’obligation de négociation prévue par la section 2 de l’article II
ne trouve plus à s’appliquer du fait du refus de négocier opposé ab initio par une partie n’entame
nullement la fonction de cette condition qui est d’«indique[r] les limites du consentement donné par
les Etats»183.
179 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), par. 131 :
«il n’est pas rare que les clauses compromissoires conférant compétence à la Cour ou à d’autres
juridictions internationales mentionnent le recours à des négociations. Ce recours remplit trois fonctions
distinctes. En premier lieu, il permet de notifier à l’Etat défendeur l’existence d’un différend et d’en
délimiter la portée et l’objet … En deuxième lieu, il incite les parties à tenter de régler leur différend à
l’amiable, évitant ainsi de s’en remettre au jugement contraignant d’un tiers. En troisième lieu, le recours
préalable à des négociations ou à d’autres modes de règlement pacifique des différends joue un rôle
important en ce qu’il indique les limites du consentement donné par les Etats.»
180 Ainsi que le Qatar l’a exposé dans son mémoire  et les appelants ne l’ont pas contesté dans leur réplique ,
le 7 juin 2017, deux jours après l’imposition des mesures d’interdiction visant l’aviation, la secrétaire générale de l’OACI
a indiqué, en réponse à l’appel adressé le 5 juin par le Qatar, qu’elle avait «porté la question à l’attention des
représentants concernés auprès du Conseil de l’OACI», Letter from Fang Liu, ICAO Secretary General, to Abdulla
Nasser Turki Al-Subaey, Chairman of Qatar Civil Aviation Authority, Reference no. AN 13/4/3/Open-AMO66892,
7 juin 2017 (CMQ-B, vol. III, annexe 22). Deux des appelants  l’Egypte et les EAU  faisaient alors partie des
36 Etats parties siégeant au Conseil de l’OACI, et ont, à ce titre, reçu notification formelle de la plainte du Qatar. Aucun
d’eux n’a toutefois émis la moindre réponse. Au contraire, ils se sont par la suite expressément opposés à ce que le
Conseil examine la question de la licéité des interdictions visant l’aviation et prenne des mesures à cet égard. CMQ-B,
par. 4.60-4.63.
181 Voir CMQ-B, par. 4.60-4.62.
182 Réplique B devant l’OACI, pièce jointe 57, «Foreign Ministers of Saudi Arabia, Bahrain, UAE and Egypt:
Measures taken against Qatar are sovereign, and we all are negatively impacted when terrorism and extremism become
stronger», 30 juillet 2017 (où les Etats en question indiquent que «les 13 exigences ne sont pas ouvertes à la négociation»
et qu’«[ils] [ont] pris la décision de ne pas permettre l’accès à [leurs] espaces aériens et [leurs] frontières, et c’est là [leur]
droit souverain».) (MBEE, vol. IV, annexe 25).
183 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), par. 131.
57
- 34 -
4.13. Les appelants estiment qu’ils ont raison de réclamer une tentative de négociation parce
que, selon eux, «conclure que des négociations ont échoué ou sont devenues inutiles présuppose
nécessairement qu’il y ait à tout le moins eu véritable tentative d’en engager»184. Ils se trompent.
Un refus catégorique et absolu de discuter permet de conclure que les négociations seraient vaines ;
plus encore, il rend cette conclusion incontournable.
4.14. La lecture que fait le Qatar de la section 2 de l’article II est parfaitement compatible
avec la manière dont sont interprétées les exigences procédurales dans différents domaines
spécialisés du droit international. Le droit de la protection diplomatique prévoit par exemple que, si
les recours internes doivent en règle générale être épuisés, il n’est toutefois pas nécessaire de tenter
de les épuiser s’ils seraient vains185. En matière de droits de l’homme également, un plaignant doit
suivre généralement cette règle, mais n’est pas même tenu, là encore, de tenter d’exercer des
recours internes dont l’inutilité serait établie186. En droit des investissements internationaux, les
investisseurs sont parfois soumis, en vertu des traités applicables, à l’obligation de saisir les
juridictions de l’Etat hôte, mais ne sont pas tenus de faire ne serait-ce qu’une tentative en ce sens
lorsqu’il est démontré que les voies de recours internes seraient inutiles187.
184 RBEE, par. 5.20.
185 CDI, Projet d’articles sur la protection diplomatique et commentaires y relatifs (2006), Nations Unies,
Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante et unième session, supplément no 10 (A/61/10), art. 15 a) («Les
recours internes n’ont pas à être épuisés lorsque : a) il n’y a pas de recours internes raisonnablement disponibles pour
accorder une réparation efficace, ou les recours internes n’offrent aucune possibilité raisonnable d’obtenir une telle
réparation») ; ibid., par. 3 du commentaire de l’article 15 :
«Sous cette forme, ce critère cadre avec les cas où il a été jugé que les recours internes n’ont pas à être
épuisés si le tribunal interne est incompétent à l’égard du différend considéré ; que les tribunaux ne
peuvent pas connaître de la législation interne justifiant les actes attaqués par l’étranger ; que les
tribunaux internes manquent notoirement d’indépendance ; qu’une jurisprudence constante et bien établie
est défavorable à l’étranger ; que les tribunaux internes n’ouvrent pas à l’étranger un recours approprié et
suffisant ; ou encore que l’Etat défendeur n’a pas de système adéquat de protection judiciaire.»
Voir également Claim of Finnish shipowners against Great Britain in respect of the use of certain Finnish vessels
during the war (Finland, Great Britain), sentence, 9 mai 1934, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA),
vol. III, p. 1503 («Les parties à la présente affaire conviennent toutefois  et à juste titre  que la règle de l’épuisement
des recours internes ne trouve pas à s’appliquer lorsque de tels recours effectifs n’existent pas.»)
186 Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), Chypre c. Turquie (requête no 25781/94), arrêt du 10 mai
2001, par. 99 («La Cour rappelle … que la règle de l’épuisement ne s’applique pas lorsqu’est prouvée l’existence d’une
pratique administrative … de sorte que toute procédure serait vaine ou ineffective…»). Nations Unies, Comité des droits
de l’homme, Earl Pratt and Ivan Morgan v. Jamaica, communications no 210/1986 et 225/1987, constatations du 16 avril
1989, par. 12.3 («Un principe bien établi en droit international et dans la jurisprudence du Comité veut que la règle de
l’épuisement des voies de recours internes n’impose pas d’interjeter appel si celui-ci est objectivement dénué de chance
de succès.» [traduction du Greffe]) ; CEDH, Akdivar et autres c. Turquie (requête no 21893/93), arrêt du 16 septembre
1996, par. 67 (où la Cour a estimé que la requête ne pouvait être rejetée pour non-épuisement des voies de recours
internes (ibid., par. 70) car des «obstacles p[ouvaient] gêner le bon fonctionnement du système d’administration de la
justice» (ibid., par. 70) et ce, alors même que les demandeurs «n’[avaient] pas eu la moindre velléité» d’épuiser les voies
de recours internes (ibid., par. 56)) ; CEDH, Hornsby c. Grèce (requête no 18357/91), arrêt du 19 mars 1997, par. 36-37
(où la Cour a estimé que, quoique les demandeurs n’aient pas même tenté de saisir les juridictions civiles et
administratives, pareils recours internes auraient été vains et n’avaient donc pas à être épuisés).
187 Voir notamment Ambiente Ufficio S.p.A. and others v. Argentine Republic, affaire CIRDI no ARB/08/9,
décision sur la compétence et la recevabilité (8 février 2013), par. 594 et 620 (où le tribunal a conclu que l’obligation de
saisir les juridictions internes ne trouvait pas à s’appliquer car «le recours aux tribunaux internes argentins, puis à la Cour
suprême argentine … aurait ainsi été inutile» (ibid., par. 620), et ce, alors même que «les demandeurs n’[avaient] pas
saisi les juridictions argentines du différend» (ibid., par. 594) [traduction du Greffe]) ; CPA, ST-AD GmbH v. Republic of
Bulgaria, affaire CPA no 2011-06 (ST-BG), sentence sur la compétence (18 juillet 2013), par. 364-365 (où il est souligné
que «tout traité ou toute règle de droit international doit s’interpréter de bonne foi. L’on peut par conséquent considérer
qu’existe une condition implicite selon laquelle, dans l’hypothèse où la mise en oeuvre d’une procédure requise serait
clairement et inéluctablement inutile, il est possible, dans ces circonstances bien précises, de se dispenser de cette
procédure» [traduction du Greffe] (les italiques sont de nous)).
58
59
- 35 -
4.15. Le Qatar fait en outre observer que le libellé de la section 2 de l’article II de l’accord de
transit diffère de celui de l’article 22 de la CIEDR et de celui du paragraphe 1 de l’article 30 de la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
(ci-après la «convention contre la torture»), les bases de compétence respectivement invoquées
dans les affaires Géorgie c. Fédération de Russie et Belgique c. Sénégal.
4.16. La section 2 de l’article II de l’accord dispose ce qui suit :
«Si un désaccord survenu entre deux ou plusieurs États contractants à propos de
l’interprétation ou de l’application du présent Accord ne peut être réglé par voie de
négociation, les dispositions du chapitre XVIII de la Convention [de Chicago] seront
applicables dans les conditions prévues par lesdites dispositions relativement à tout
désaccord portant sur l’interprétation ou l’application de ladite Convention.»188
4.17. A la différence de l’article 22 de la CIEDR et du paragraphe 1 de l’article 30 de la
convention contre la torture189, la section 2 de l’article II de l’accord de transit est introduite par la
conjonction de subordination «si»190, qui annonce une éventualité, une hypothèse, une supposition
ou une condition191. Cette conjonction sert donc à exprimer une condition à laquelle il doit être
satisfait pour que quelque chose se produise. Sa présence dans la section 2 de l’article II, en
188 Accord de transit, art. II, sect. 2 (MBEE, vol. II, annexe 2). L’article 84 de la convention de Chicago dispose
notamment ce qui suit :
«Si un désaccord entre deux ou plusieurs Etats contractants à propos de l’interprétation ou de l’application de la
présente convention et de ses annexes ne peut être réglé par voie de négociation, le Conseil statue à la requête de tout Etat
impliqué dans ce désaccord. Aucun membre du Conseil ne peut voter lors de l’examen par le Conseil d’un différend
auquel il est partie. Tout Etat contractant peut, sous réserve de l’article 85, appeler de la décision du Conseil à un tribunal
d’arbitrage ad hoc établi en accord avec les autres parties au différend ou à la Cour permanente de Justice internationale.
Un tel appel doit être notifié au Conseil dans les soixante jours à compter de la réception de la notification de la décision
du Conseil.» Convention de Chicago, art. 84 (MBEE, vol. II, annexe 1).
189 L’article 22 de la CIEDR se lit comme suit :
«Tout différend entre deux ou plusieurs États parties touchant l’interprétation ou l’application de
la présente Convention, qui n’aura pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures
expressément prévues par ladite Convention, sera porté, à la requête de toute partie au différend, devant la
Cour internationale de Justice pour qu’elle statue à son sujet, à moins que les parties au différend ne
conviennent d’un autre mode de règlement.» Convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale, 4 janvier 1969, RTNU, vol. 660, p. 195, art. 22.
Le paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture dispose, dans sa partie pertinente : «Tout
différend entre deux ou plus des Etats parties concernant l’interprétation ou l’application de la présente Convention qui
ne peut pas être réglé par voie de négociation est soumis à l’arbitrage à la demande de l’un d’entre eux»  convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, RTNU, vol. 1465,
p. 85. Les deux dispositions fixent une obligation de négociation ayant une incidence directe sur le terme «différend». La
section 2 de l’article II de l’accord de transit, en revanche, établit son obligation de négociation par une clause
commençant par «si» («Si un désaccord survenu entre deux ou plusieurs États contractants à propos de l’interprétation ou
de l’application du présent Accord ne peut être réglé par voie de négociation, les dispositions du chapitre XVIII de la
Convention [de Chicago] seront applicables dans les conditions prévues par lesdites dispositions relativement à tout
désaccord portant sur l’interprétation ou l’application de ladite Convention») (MBEE, vol. II, annexe 2).
190 Contrairement à la convention de Chicago, seule la version anglaise de l’accord de transit fait foi. Voir OACI,
accord de transit, version trilingue, doc. 7500 (1954), art. II, sect. 2 (DQ-B, vol. II, annexe 2). En tout état de cause, la
version anglaise, tout comme les versions française et espagnole adoptées par l’OACI pour ses besoins internes, utilisent
la conjonction «si» (la version anglaise dispose «If any disagreement … cannot be settled by negotiation» et la version
espagnole, «Si surge … algún desacuerdo … que no pueda solucionarse mediante negociación…»). Ibid., art. II, sect. 2
(les italiques sont de nous).
191 Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary (11e éd., 2009), p. 617 (où «if» est défini comme suit : «in the event
that, allowing that, on the assumption that, on condition that») (DQ-B, vol. II, annexe 14).
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particulier en association avec l’expression «ne peut»192 qui traduit l’impossibilité, impose
clairement de procéder à l’évaluation objective d’un élément factuel193 : l’impossibilité de régler
par la négociation un «désaccord entre deux ou plusieurs Etats contractants à propos de
l’interprétation ou de l’application du présent Accord»194.
4.18. Aux fins de cette évaluation objective, la Cour peut se fonder sur l’existence d’une
«véritable tentative» de négociation qui, par la suite, aurait échoué ou serait devenue inutile. Mais
rien ne l’empêche de prendre également en considération le refus d’engager des négociations
opposé ab initio par une partie, tout autant susceptible de démontrer que le désaccord «ne peut être
réglé par voie de négociation».
4.19. En conclusion, la seule interprétation raisonnable et de bonne foi de l’obligation de
négociation prévue par la section 2 de l’article II de l’accord de transit consiste à dire que celui-ci
n’impose pas à une partie de tenter de négocier si l’autre partie s’y refuse ab initio.
4.20. Le Qatar précise toutefois qu’il avance cet argument à la fois parce qu’il l’estime exact
du point de vue du droit, et parce qu’il tient à souligner l’absence totale de bonne foi des appelants
dans cette affaire. Les efforts que déploient ces derniers pour se cacher derrière l’obligation de
négociation contenue à la section 2 de l’article II alors qu’ils ont catégoriquement refusé d’engager
toute discussion avec le Qatar, ainsi qu’ils l’admettent aujourd’hui, témoignent d’une extrême
impudence. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas véritablement tenté de négocier que le Qatar invoque
192 Les termes «ne peut» figurent dans la version anglaise, tout comme dans les versions française et espagnole
adoptées par l’OACI pour ses besoins internes (la version anglaise dispose «If any disagreement … cannot be settled by
negotiation» et la version espagnole, «Si surge … algún desacuerdo … que no pueda solucionarse mediante
negociación…»)  accord de transit, version trilingue, doc. OACI 7500 (1954), art. II, sect. 2 (DQ-B, vol. II, annexe 2)
(les italiques sont de nous).
193 En ce sens, et quoique le Qatar admette que les deux dispositions diffèrent par leur formulation, la section 2 de
l’article II est équivalente au paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires entre
les Etats-Unis d’Amérique et l’Iran, dont la Cour a récemment estimé que le libellé avait un «caractère descriptif» :
Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran
c. Etats-Unis d’Amérique), demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance, C.I.J. Recueil 2018 (II),
par. 50. Dans son contre-mémoire, le Qatar s’est référé à l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis
à Téhéran, dans laquelle la Cour a pour la première fois été amenée à interpréter et appliquer cette disposition, pour
illustrer le cas où un refus de négocier est opposé ab initio par un Etat (en l’occurrence, l’Iran). CMQ-B, par. 4.8. Les
appelants ont contesté la pertinence de ce précédent en avançant trois arguments, qui sont tous dénués de fondement. Ils
cherchent en premier lieu à distinguer la présente affaire en se fondant sur le libellé précis du paragraphe 2 de
l’article XXI. RBEE, par. 5.26. S’il est vrai que le libellé de la section 2 de l’article II de l’accord de transit diffère de
celui du paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires entre les Etats-Unis et
l’Iran, tel est également le cas du libellé de l’article 22 de la CIEDR dont il est question en l’affaire Géorgie c. Fédération
de Russie. Ainsi qu’il est expliqué ci-dessus, l’introduction de l’obligation de négociation par la conjonction de
subordination «si» nécessite d’évaluer objectivement, du point de vue des faits, l’impossibilité de régler le différend. En
deuxième lieu, les appelants soulignent que c’est au sujet d’un autre aspect du paragraphe 2 de l’article XXI que la Cour a
employé les termes «refus immédiat et total» auxquels se réfère le Qatar dans son contre-mémoire. RBEE, par. 5.27. Là
encore, cette distinction est vaine. Ce qui importe, c’est que la Cour ait employé ces termes pour décrire le comportement
de l’Iran, et que, compte tenu du refus catégorique de celui-ci de négocier, elle ait finalement privilégié une application
plus souple de l’obligation de négociation. Les appelants affirment enfin, en troisième lieu, que, dans l’affaire du
Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, «les Etats-Unis avaient, de fait, véritablement tenté
d’entamer des négociations avec l’Iran». RBEE, par. 5.28. Ils ne précisent toutefois pas ce que seraient ces supposées
«tent[atives]». Dans son arrêt, la Cour n’en reconnaît que trois : 1) l’envoi d’un représentant spécial qui, «se voyant
refuser tout contact avec des personnalités iraniennes, n[’est] jamais allé jusqu’en Iran» ; 2) des appels à l’aide adressés
par le chargé d’affaires des Etats-Unis durant l’attaque de l’ambassade ; et 3) une lettre adressée au président du Conseil
de sécurité par les Etats-Unis. Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique
c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, par. 18, 28 et 47. Si l’on considère que, par ce comportement, les Etats-Unis ont
«véritablement tenté» de négocier, le Qatar a incontestablement, ainsi qu’il est exposé ci-après, satisfait lui aussi à
l’obligation de négociation en la présente affaire.
194 Accord de transit, art. II, sect. 2 (MBEE, vol. II, annexe 2).
62
- 37 -
l’argument qui vient d’être exposé. Ainsi que nous le verrons en détail à la section II ci-après, le
Qatar a bel et bien tenté de négocier, à maintes occasions et dans différents cadres.
2. Il suffit que la véritable tentative de négociation ait été engagée «en vue de régler le
différend»
4.21. Dans leur réplique, les appelants qualifient d’«erronée» la manière dont le Qatar définit
l’objet visé par les tentatives de négociation195, tout en affirmant immédiatement après que,
s’agissant de cette question, «il semble que les Parties divergent davantage sur des nuances plutôt
que sur le droit»196. Se référant à la jurisprudence de la Cour, le Qatar a démontré dans son
contre-mémoire qu’une tentative de négociation devait concerner «assez clairement» l’objet du
différend197. Les appelants soutiennent à présent dans leur réplique que l’objet doit être défini «de
manière suffisamment précise»198.
4.22. Si les deux formulations peuvent sembler, de prime abord, similaires, la manière dont
les appelants entendent appliquer leur critère d’une définition «suffisamment précise» suppose une
approche en totale contradiction avec la jurisprudence de la Cour. Les appelants avancent en effet
qu’il faut, lors d’une tentative de négociation, «préciser quelles sont les obligations spécifiques qui
font l’objet du différend»199, et «indiqu[er] quelles sont les obligations de fond prévues par
[l’instrument en question] dont la violation est alléguée»200 ; ils vont jusqu’à affirmer que, dans le
cadre de cette tentative, référence doit être faite aux «obligations de fond spécifiques imposées par
l’accord de transit»201. Tout cela est faux.
4.23. Pour fonder leur thèse, les appelants se contentent de citer l’arrêt rendu en l’affaire
Géorgie c. Fédération de Russie, dans lequel la Cour a fait observer que la «négociation doit porter
sur l’objet de l’instrument qui la renferme. En d’autres termes, elle doit concerner l’objet du
différend, qui doit lui-même se rapporter aux obligations de fond prévues par l’instrument en
question»202.
195 RBEE, par. 5.10.
196 Ibid., par. 5.10 b).
197 CMQ-B, par. 4.15.
198 RBEE, par. 5.10 b) (les italiques sont de nous).
199 Ibid., chap. V, titre de la section 1 A 3) (les italiques sont de nous).
200 Ibid., par. 5.37 (les italiques sont de nous).
201 Ibid., par. 5.64 (les italiques sont de nous). Les appelants indiquent en outre que «[c]et élément de spécificité
est particulièrement important dans une situation, telle que la présente, où, comme le reconnaît du reste le Qatar, le
différend dont il est fait état n’est qu’un aspect d’un différend international autrement plus large entre les Parties», ibid.,
par. 5.37. Or, ainsi qu’il est exposé ci-dessus, les appelants ont été avisés de l’existence d’un différend concernant
l’interprétation ou l’application de l’accord de transit à peine deux jours après l’imposition, le 5 juin 2017, des mesures
d’interdiction visant l’aviation. Voir «Letter from Fang Liu, ICAO Secretary General, to Adbulla Nasser Turki
Al-Subaey, Chairman of Qatar Civil Aviation Authority, Reference no. AN 13/4/3/Open-AMO66892 (7 June 2017)»
(CMQ-B, vol. III, annexe 22). Les appelants ont refusé d’engager des discussions non seulement au moment où le
différend a été porté à leur connaissance, mais également lors des débats qui se sont tenus ultérieurement devant le
Conseil de l’OACI. Voir notamment ICAO Council, 211th Session, Summary Minutes of the Tenth Meeting,
doc. C-MIN 211/10, 23 juin 2017, par. 15, 18, 20 (CMQ-B, vol. III, annexe 24).
202 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), par. 161.
63
64
- 38 -
4.24. Les appelants font une lecture erronée de ce passage de la décision, la Cour entendant
simplement indiquer que les négociations doivent «concerner l’objet du différend» (soit, en
l’occurrence, les mesures d’interdiction visant l’aviation). C’est le différend lui-même qui doit «se
rapporter aux obligations de fond prévues par l’instrument» (c’est-à-dire aux obligations en matière
d’aviation civile internationale). Il est évident que la Cour ne dit pas que les négociations doivent
préciser quelles sont les obligations de fond prévues par le traité203. Elle a, de fait, estimé dans cette
affaire qu’il aurait été satisfait à l’obligation de négociation si les discussions entre les parties
n’avaient concerné que des questions générales prévues par le traité en question (en l’occurrence, la
CIEDR). Elle a conclu, en particulier, que cette condition aurait été remplie si des négociations
avaient eu lieu entre les parties sur les questions d’«extermination» et de «nettoyage ethnique»,
sans qu’il fût nécessaire de préciser quelles étaient, au regard de la CIEDR, les obligations de fond
en cause204.
4.25. Il convient en outre de souligner que, dans le passage cité, la nécessité de se rapporter à
l’objet pertinent ne concerne que les négociations effectivement engagées, et non les tentatives qui,
du fait du refus d’une partie, n’ont pas abouti à des négociations effectives205. Dans ce second cas
de figure  celui où des négociations n’ont en fait pas eu lieu , il serait absurde d’imposer,
s’agissant de l’objet visé, une condition aussi stricte que celle que les appelants invoquent. Selon
cette logique, la Cour a estimé en l’affaire Géorgie c. Fédération de Russie qu’il suffisait que des
tentatives de négociations aient été faites «en vue de régler le différend»206. Cela confirme le critère
juridique qu’il convient de retenir dans la présente affaire. Les appelants passent totalement à côté
de ce point.
3. La souplesse est requise pour apprécier les négociations
4.26. Le Qatar a également exposé dans son contre-mémoire que ce qui constituait des
négociations «devrait être évalué avec souplesse»207 et qu’«aucune forme ou procédure particulière
n’[était] … nécessaire» à cet effet208. Dans leur réplique, les appelants commencent par qualifier
d’«erronée» la position du Qatar à cet égard209, avant de constater immédiatement après que les
Parties «semblent s’accorder» sur ce point210. C’est cette seconde affirmation qui paraît exacte, les
appelants affirmant en particulier qu’ils «ne contestent pas que l’on puisse à cet effet prendre en
compte, en principe, la diplomatie pratiquée au sein des conférences ou diplomatie parlementaire»
comme tentative de négociation211.
203 RBEE, par. 5.37.
204 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), par. 181.
205 Ibid., par. 161.
206 Ibid., par. 157.
207 CMQ-B, par. 4.16.
208 Ibid., par. 4.17.
209 RBEE, par. 5.10.
210 Ibid., par. 5.10 c) ; voir également ibid., par. 5.38 (relevant qu’«il ne semble pas y avoir de désaccord
substantiel entre les Parties quant aux principes juridiques applicables»).
211 Ibid., par. 5.39.
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66
- 39 -
4.27. Les appelants ne contestent que les faits, et «en particulier la question de savoir si les
démarches engagées par le Qatar dans diverses enceintes internationales, y compris l’OACI,
peuvent être assimilées à une véritable tentative «d’ouvrir le débat avec l’autre partie en vue de
régler le différend»»212. Ainsi que cela sera démontré dans la section suivante, les démarches
engagées par le Qatar, notamment dans le cadre de l’OACI, constituent sans aucun doute une
véritable tentative de négociation.
B. Les appelants appliquent à mauvais escient le critère juridique
aux faits de l’espèce
4.28. Dans leur réplique, les appelants continuent d’affirmer avec audace que le Qatar «n’a
pas apporté la preuve que, avant de saisir l’OACI, le 30 octobre 2017, il aurait jamais pris la
moindre mesure concrète pour entamer avec [eux] des négociations» au sujet des violations de
l’accord de transit qu’il leur reproche213. Parallèlement, ainsi qu’il a déjà été dit, les appelants n’ont
jamais contesté avoir toujours refusé de négocier avec le Qatar, pas davantage sur les mesures
d’interdiction visant l’aviation que sur quelque autre sujet que ce soit214. La Cour pourrait donc se
contenter de conclure, pour les raisons susmentionnées, qu’il a été satisfait à toute obligation de
négociation énoncée à la section 2 de l’article II.
4.29. Si toutefois la Cour estimait nécessaire de se pencher sur la «véritable tentative» de
négociation que le Qatar a renouvelée à maintes reprises auprès des appelants «en vue de régler le
différend», conformément à l’accord de transit, le résultat serait le même. Dans son contremémoire,
le Qatar a expliqué comment il avait satisfait à l’obligation de négociation prévue par la
section 2 de l’article II de l’accord de transit215, directement mais aussi par l’entremise de
l’OACI216, de l’OMC217 et d’Etats tiers218. Dans leur réplique, les appelants ne contestent pas le
moindre fait ou élément de preuve présenté par le Qatar. En revanche, ils ergotent sur ce que ces
faits et preuves signifient à la lumière des aspects techniques des critères juridiques applicables,
dans l’espoir d’échapper aux conclusions qui découlent d’un dossier incontestable. Mais les faits
parlent d’eux-mêmes, ainsi que le Qatar le montrera ci-après.
1. Le Qatar a véritablement tenté de négocier directement avec les appelants
4.30. Les appelants soutiennent que le «Qatar n’a pas apporté la preuve ne serait-ce que
d’une seule tentative de régler ce différend [par] des discussions relatives aux obligations imposées
par l’accord de transit qu’il reproche à ceux-ci d’avoir violées»219. Cela est faux tant du point de
vue du droit que des faits. Selon le droit, comme nous l’avons vu, les véritables tentatives de
négociation du Qatar devaient seulement viser à «régler le différend» ; le Qatar n’était pas tenu de
«cherch[er] à entamer des discussions relatives aux obligations … qu’il reproche [aux appelants]
212 RBEE, par. 5.40 (citant Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I),
par. 157).
213 RBEE, par. 5.41.
214 Voir CMQ-B, par. 4.30-4.34, 4.54.
215 Ibid., chap. 4, sect. I B 1).
216 Ibid., chap. 4, sect. I B 2).
217 Ibid., chap. 4, sect. I B 3).
218 Ibid., chap. 4, sect. I B 4).
219 RBEE, par. 5.43 (italiques omis).
67
- 40 -
d’avoir violées». Pour ce qui est des faits, le contre-mémoire offre une profusion d’éléments
attestant l’existence de ces tentatives de régler le différend220.
4.31. Dans la réplique, les appelants tentent de détourner l’attention de la Cour des éléments
de preuve présentés par le Qatar, en évoquant les «requêtes initiales, restées lettre morte» que celuici
a soumises au Conseil de l’OACI le 15 juin 2017221. Or, ce ne sont pas les requêtes en cause en
l’espèce. Le présent appel ne porte que sur les requêtes dont le Qatar a saisi le Conseil le 30 octobre
2017.
4.32. Les appelants s’emploient ensuite à jeter le discrédit sur la conversation téléphonique
qui a eu lieu entre S. A. l’émir du Qatar et le prince héritier d’Arabie saoudite, le 8 septembre
2017222. Ils commencent par souligner que l’Arabie saoudite n’est pas partie à la présente
instance223, comme ils l’avaient fait dans le mémoire224. Reste que, dans une situation où les
appelants et l’Arabie saoudite agissent de concert et aucun d’entre eux n’est disposé à
communiquer avec le Qatar, il était raisonnable que ce dernier noue un dialogue avec l’Arabie
saoudite pour tenter de régler le différend l’opposant aux appelants. Ceux-ci affirment par ailleurs
que «c’est tout au plus un appel à dialoguer au sujet de l’ensemble du différend plus large opposant
les Parties, qui ne portait pas sur les violations alléguées de l’accord de transit, qui a été formulé en
cette occasion»225. Cependant, comme nous l’avons expliqué, tel n’est pas le bon critère à appliquer
pour apprécier l’objet visé par une tentative de négociation226. La tentative doit avoir été faite «en
vue de régler le différend», ce qui était effectivement le cas de l’entretien entre S. A. l’émir et le
prince héritier227. En effet, comme en atteste le contre-mémoire du Qatar, une agence de presse
émirienne s’est fait l’écho, après cette conversation téléphonique, d’une déclaration dans laquelle
un responsable du ministère saoudien des affaires étrangères indiquait que l’entretien avait eu lieu
«à l’initiative du Qatar» et «était une demande de dialogue avec les quatre pays [et non uniquement
l’Arabie saoudite] sur les exigences...»228. Et selon l’agence de presse qatarienne, S. A. l’émir s’est
également félicité de la proposition du prince héritier d’Arabie saoudite de «nommer deux envoyés
pour régler [les] questions en litige»229, parmi lesquelles figuraient les mesures d’interdiction visant
l’aviation, que les appelants avaient soustraites à toute intervention du Conseil de l’OACI au cours
des mois précédents230.
220 CMQ-B, par. 4.38-4.56.
221 RBEE, par. 5.45.
222 Ibid., par. 5.48. Fait notable, les appelants ne contestent plus l’existence de cette conversation téléphonique.
Comparer MBEE, par. 6.78, et RBEE, par. 5.49.
223 RBEE, par. 5.50.
224 MBEE, par. 6.77 et 6.82.
225 RBEE, par. 5.49.
226 Voir plus haut, sect. I A 2).
227 Voir CMQ-B, par. 4.48-4.49.
228 Ibid., par. 4.45 (citant «Hopes for Qatar crisis breakthrough raised, shattered within minutes», Gulf News,
9 septembre 2017 (CMQ-B, vol. IV, annexe 90)).
229 «Hopes for Qatar crisis breakthrough raised, shattered within minutes», Gulf News, 9 septembre 2017
(CMQ-B, vol. IV, annexe 90).
230 Voir plus loin, sect. I B 2).
68
69
- 41 -
4.33. Les appelants s’emploient également à discréditer les déclarations de responsables
qatariens mentionnant expressément les «liaisons aériennes» et le «blocus», au motif qu’«elles ne
font pas référence au différend concernant les obligations de fond pertinentes prévues par l’accord
de transit auxquelles les demandeurs auraient manqué ni ne visent à engager des négociations s’y
rapportant»231. Mais ils se trompent, une fois encore. Pour ne citer que les exemples donnés par les
appelants dans leur réplique232, les déclarations du Qatar dont la presse s’est fait l’écho les 28 juin,
5 juillet et 22 juillet 2017 avaient toutes pour objet l’ouverture de négociations233 et visaient toutes
à régler l’ensemble des différends découlant des mesures prises le 5 juin 2017 par les appelants,
dont le différend au titre de l’accord de transit234. Or, comme nous l’avons vu plus haut, c’est tout
ce qu’exige le droit international en matière de tentatives de négociations.
4.34. En conclusion, les tentatives faites directement par le Qatar en vue de négocier
suffisaient en soi à ce que l’obligation de négociation énoncée dans la section 2 de l’article II soit
réputée satisfaite.
2. Le Qatar a véritablement tenté de négocier par l’entremise de l’OACI
4.35. Les appelants reconnaissent que l’on peut voir une tentative de négociation dans «la
diplomatie pratiquée au sein des conférences ou diplomatie parlementaire»235. Ils contestent
toutefois, sur le plan factuel, le caractère adéquat des tentatives de négociation faites par le Qatar
par l’entremise de l’OACI.
231 RBEE, par. 5.53.
232 Les appelants écartent seulement les déclarations rapportées les 28 juin, 5 juillet et 22 juillet 2017, alors qu’il
en existe d’autres attestant des négociations tentées par le Qatar en vue de régler le différend. Voir CMQ-B, par. 4.38.
233 Réplique B devant l’OACI, pièce jointe 33, BBC, «Qatar condemns Saudi refusal to negotiate over demands»,
28 juin 2017 (où il est rapporté que S. Exc. le ministre des affaires étrangères du Qatar a indiqué que son pays
«engagera[it] un dialogue constructif avec les parties concernées si ces dernières souhaitent parvenir à une solution et
surmonter cette crise» (MBEE, vol. IV, annexe 25) ; ibid., pièce jointe 39, «Foreign Minister: Any Threat to Region is
Threat to Qatar», 5 juillet 2017 (où il est indiqué que S. Exc. le ministre des affaires étrangères du Qatar a dit ceci :
«La réponse à nos désaccords ne se trouve ni dans les blocus ni dans les ultimatums. Elle se
trouve dans le dialogue et la raison. Le Qatar demeure ouvert à l’un comme à l’autre et est disposé à
examiner toute initiative sérieuse visant à résoudre les divergences qui l’opposent à ses voisins … Il est
toujours disposé à dialoguer et à négocier. … Le Qatar continue d’appeler au dialogue … Il se tient prêt à
entamer un processus de négociation qui soit guidé par un cadre clair et un ensemble de principes propre
à garantir le respect de sa souveraineté») ;
«Emir speech in full text: Qatar ready for dialogue but won’t compromise on sovereignty», The Peninsula,
22 juillet 2017, p. 7 (rapportant que S. A. l’émir du Qatar a indiqué que son pays était «prêt à dialoguer et à trouver un
règlement pour toutes les questions litigieuses») (CMQ-B, vol. IV, annexe 86).
234 Réplique B devant l’OACI, pièce jointe 33, BBC, «Qatar condemns Saudi refusal to negotiate over demands»,
28 juin 2017 (où il est rapporté que S. Exc. le ministre des affaires étrangères du Qatar a «condamné le refus de ses
voisins du Golfe d’engager des négociations au sujet des exigences auxquelles ils ont subordonné le rétablissement des
liaisons aériennes, maritimes et terrestres») (MBEE, vol. IV, annexe 25) ; ibid., pièce jointe 39, «Foreign Minister: Any
Threat to Region is Threat to Qatar», 5 juillet 2017 (mentionnant les références répétées de S. Exc. le ministre des
affaires étrangères du Qatar au «blocus» et aux «incroyables actions hostiles et gratuites menées contre le Qatar») ; «Emir
speech in full text: Qatar ready for dialogue but won’t compromise on sovereignty», The Peninsula, 22 juillet 2017, p. 7
(indiquant que S. A. l’émir du Qatar a fait savoir que son pays était «prêt à … à trouver un règlement pour toutes les
questions litigieuses») (CMQ-B, vol. IV, annexe 86). Toutes ces déclarations faisaient suite à l’introduction, par le Qatar,
de la procédure prévue à l’alinéa n) de l’article 54, dans le cadre de laquelle les appelants ont tenté de soustraire à
l’examen du Conseil de l’OACI la question des interdictions visant l’aviation. CMQ-B, par. 4.60-4.63.
235 RBEE, par. 5.39.
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4.36. Les appelants mettent tout d’abord en doute que les lettres envoyées par le Qatar à la
secrétaire générale de l’OACI et au président du Conseil soient pertinentes, au motif qu’elles «ne
leur étaient pas adressées, et ne visaient pas, en tout état de cause, à entamer des négociations
concernant le différend relatif à l’accord de transit»236. Les appelants s’abstiennent cependant de
répondre sur les points soulevés à cet égard par le Qatar dans son contre-mémoire.
4.37. Le fait que les lettres ne fussent «pas adressées» aux appelants est sans importance.
Ainsi que le Qatar l’a expliqué dans son contre-mémoire237, lorsqu’elle a reçu ces lettres, la
secrétaire générale de l’OACI a immédiatement «porté la question à l’attention des représentants
concernés siégeant au Conseil de l’OACI», lesquels incluaient des représentants de l’Egypte et des
EAU238. De plus, le 19 juin 2017, le président du Conseil a transmis l’ensemble des lettres du Qatar
à toutes les délégations devant le Conseil, y compris, là encore, celles de l’Egypte et des EAU239.
Les appelants ne contestent rien de tout cela dans leur réplique. Leur récrimination selon laquelle
les lettres «ne leur étaient pas adressées» est donc sans fondement.
4.38. Par ailleurs, l’affirmation des appelants selon laquelle ces lettres «ne visaient pas … à
entamer des négociations concernant le différend relatif à l’accord de transit» est tout simplement
inexacte. Par exemple, dans sa lettre du 8 juin 2017, le Qatar faisait observer au président du
Conseil de l’OACI que les mesures d’interdiction constituaient une violation de la section 1 de
l’article premier de l’accord de transit, et réclamait l’intervention du Conseil à cet égard240.
4.39. De la même manière, dans la lettre qu’il a adressée le 17 juin 2017 au président du
Conseil, le Qatar demandait à ce dernier d’
«inscrire cette question extrêmement urgente au programme de travail de la
211e session du Conseil… et de prendre sans délai des mesures pour rétablir le trafic
aérien de manière sûre, sécurisée et efficace, et pour lever immédiatement le blocus
illicite actuellement imposé aux aéronefs immatriculés au Qatar…»241
Aucun des appelants n’a apporté la moindre réponse.
4.40. Ces deux lettres remplissent pleinement toute condition, y compris du point de vue des
appelants, qui voudrait qu’une tentative de négociation ait été menée dans le cadre de «la
diplomatie pratiquée au sein des conférences ou diplomatie parlementaire»242.
236 RBEE, par. 5.56.
237 CMQ-B, par. 4.59, note 391.
238 Letter from Fang Liu, ICAO Secretary General, to Abdulla Nasser Turki Al-Subaey, Chairman of Qatar Civil
Aviation Authority, Reference No. AN 13/4/3/Open-AMO66892, 7 juin 2017 (CMQ-B, vol. III, annexe 22).
239 Email from Olumuyiwa Benard Aliu, President of the ICAO Council, to All Council Delegations, 19 juin 2017
(DQ-B, vol. II, annexe 4).
240 Réplique B devant l’OACI, pièce jointe 3, «Letter from Abdulla Nasser Turki Al-Subaey, Chairman of Qatar
Civil Aviation Authority, to Dr. Olumuyiwa Benard Aliu, President of ICAO, 2017/15984», 8 juin 2017 (MBEE, vol. IV,
annexe 25).
241 Ibid., pièce jointe 1, «Letter from Abdulla Nasser Turki Al-Subaey, Chairman of Qatar Civil Aviation
Authority, to Olumuyiwa Benard Aliu, President of the ICAO Council», 17 juin 2017 (les italiques sont de nous).
242 RBEE, par. 5.39.
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4.41. Ensuite, les appelants s’emploient à écarter les échanges qu’ont eus les Parties en
relation avec la procédure initiée par le Qatar en vertu de l’alinéa n) de l’article 54 de la convention
de Chicago, soutenant que ces échanges ne sauraient être considérés «comme valant négociation»
parce qu’ils étaient «circonscri[ts] … aux questions relatives à la sécurité de l’aviation et aux routes
d’exception»243. Les appelants affirment également que, si le Qatar leur a fait grief de violations de
l’accord de transit dans la procédure introduite en vertu de l’alinéa n) de l’article 54, il ne s’agissait
cependant que de «simples protestations ou contestations» qui ne sauraient équivaloir à des
négociations244.
4.42. Ce n’est pas là une description fidèle des faits. Le Qatar a engagé une procédure en
vertu de l’alinéa n) de l’article 54 afin de régler le même différend relatif aux interdictions visant
l’aviation que celui dont il a ensuite été contraint de saisir le Conseil de l’OACI en vertu de la
section 2 de l’article II. Si la procédure n’a en définitive porté que sur des questions ayant trait à la
sécurité de l’aviation et aux routes d’exception, c’est uniquement parce que les appelants ont refusé
catégoriquement de discuter de tout autre sujet.
4.43. La demande introduite par le Qatar en vertu de l’alinéa n) de l’article 54 n’a pas
seulement soulevé des «questions relatives à la sécurité de l’aviation et aux routes d’exception»245.
Le Qatar y demandait également l’intervention urgente du Conseil de l’OACI pour «enjoindre aux
Etats imposant le blocus de lever toutes les restrictions sur la haute mer»246 et pour «examiner, en y
donnant la suite voulue» le «blocus aérien international au-dessus de la haute mer imposé [par les
appelants] aux aéronefs immatriculés au Qatar et à cet Etat»247. Il n’a pas seulement «formulé une
accusation devant le Conseil de l’OACI»248 ; il priait également celui-ci de demander instamment
aux appelants «de mettre un terme à ces mesures injustifiées prises contre l’Etat du Qatar»249.
4.44. Les appelants se sont montrés intraitables. Comme le Qatar l’a rappelé dans son
contre-mémoire — et qui n’a pas été contesté dans la réplique —, deux appelants (l’Egypte et les
EAU) ont refusé d’engager une quelconque discussion concernant les mesures d’interdiction visant
l’aviation lors de la 211e session du Conseil de l’OACI, le 23 juin 2017250. Et tous les appelants ont
réitéré ce refus dans un document de travail conjoint qu’ils ont soumis avant la séance
243 RBEE, par. 5.58.
244 Ibid., par. 5.59.
245 Ibid., par. 5.58.
246 Réplique B devant l’OACI, pièce jointe 10, «Council  Extraordinary Session: Request of the State of Qatar
for Consideration by the ICAO Council under Article 54(n) of the Chicago Convention», doc. C-WP/14641, p. 1 (MBEE,
vol. IV, annexe 25).
247 Request of the State of Qatar for Consideration by the ICAO Council under Article 54(n) of the Chicago
Convention, 15 juin 2017, p. 1 («Background») (MBEE, vol. V, annexe 31) (les italiques sont de nous).
248 RBEE, par. 5.60.
249 Request of the State of Qatar for Consideration by the ICAO Council under Article 54(n) of the Chicago
Convention, 15 juin 2017, p. 10 («Conclusion») (MBEE, vol. V, annexe 31) (les italiques sont de nous).
250 ICAO Council, 211th Session, Summary Minutes of the Tenth Meeting, doc. C-MIN 211/10, 23 juin 2017,
par. 18 (où le représentant des EAU approuve cette déclaration) (CMQ-B, vol. III, annexe 24) ; ibid., par. 20 (où le
représentant de l’Egypte affirme que l’OACI ne devrait pas «s’aventurer dans des considérations politiques»).
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extraordinaire du Conseil tenue le 31 juillet 2017251. Et ils ont encore renouvelé ce refus pendant la
séance elle-même252.
4.45. Dans leur mémoire, les appelants citent, entre autres travaux de publicistes, l’ouvrage
de référence du juge Buergenthal sur l’OACI253. Le Qatar, dans son contre-mémoire, en citait un
passage : «Le différend qui a opposé les Etats-Unis à la Tchécoslovaquie au sujet du lancement de
montgolfières démontre que, dans le cadre de l’OACI, la diplomatie parlementaire peut se
substituer aux négociations directes.»254 Dans cette affaire, la Tchécoslovaquie avait saisi l’OACI
d’une réclamation (mais pas en vertu de la section 2 de l’article II de l’accord de transit ni de
l’article 84 de la convention de Chicago) contre les Etats-Unis, qui avaient fait valoir (de manière
assez similaire aux appelants aujourd’hui) que, abstraction faite des aspects sécuritaires du
différend, l’OACI n’était pas l’enceinte idoine pour traiter la question en cause255. Les Etats-Unis
avaient également contesté que le lancement de montgolfières violât la convention de Chicago256, et
refusé de donner à la Tchécoslovaquie l’assurance, comme celle-ci le leur demandait, qu’aucune
autre montgolfière ne serait lancée dans son espace aérien257.
4.46. Après avoir décrit la situation, le juge Buergenthal conclut de la manière suivante :
«[s]i les deux parties étaient restées fermes sur leurs positions respectives, et qu’elle
avait alors soumis le différend au Conseil de l’OACI en vertu de l’article 84 de la
convention, la Tchécoslovaquie aurait pu, à juste titre, invoquer les démarches devant
le Conseil et devant l’Assemblée pour faire valoir que la condition nécessaire pour
établir la compétence, à savoir que le différend «ne peut être réglé par voie de
négociation» avait été remplie»258.
4.47. Il en va de même dans le présent différend. Le fait que le Qatar ait, par l’entremise de
l’OACI, véritablement tenté de négocier permet de considérer que l’obligation de négociation
prévue par la section 2 de l’article II de l’accord de transit a été respectée.
251 Réplique B devant l’OACI, pièce jointe 8, «Response to Qatar’s Submission Under Article 54 (n) Presented
by Bahrain, Egypt, Saudi Arabia, and the United Arab Emirates», doc. C-WP/14640, 19 juillet 2017, par. 5.1 b) (invitant
le Conseil à reporter l’examen des mesures d’interdiction visant l’aviation puisque cela relevait des «questions non
urgentes» et à «limiter ses délibérations aux questions urgentes soulevées au titre de l’alinéa n) de l’article 54, qui
concernent la sécurité de l’aviation civile internationale») (MBEE, vol. IV, annexe 25).
252 Ibid., pièce jointe 10, «Council, Extraordinary Session, Summary Minutes, doc. OACI C-MIN Extraordinary
Session», 31 juillet 2017, par. 32-33 (où l’un des appelants, les EAU, a déclaré, au nom de l’ensemble des appelants, que
«les mesures de fermeture de leurs espaces aériens étaient légitimes, justifiées, proportionnées aux actions du Qatar et
autorisées en droit international», et réaffirmé la position exprimée dans leur document de travail, c’est-à-dire que le
Conseil devait «limiter ses délibérations aux questions urgentes soulevées au titre de l’alinéa n) de l’article 54, qui
concernent la sécurité de l’aviation civile internationale et … reporter l’examen des autres questions non urgentes»).
253 Voir MBEE, note 173 (citant T. Buergenthal, Law-making in the International Civil Aviation Organization,
1969, partie III) (MBEE, vol. VI, annexe 125)).
254 CMQ-B, par. 4.19 (citant T. Buergenthal, Law-making in the International Civil Aviation Organization, 1969,
partie III, p. 131 (MBEE, vol. VI, annexe 125)) (les italiques sont de nous).
255 T. Buergenthal, Law-making in the International Civil Aviation Organization, 1969, partie III, p. 132-133
(MBEE, vol. VI, annexe 125).
256 Ibid., p. 136.
257 Ibid.
258 Ibid.
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- 45 -
3. Le Qatar a véritablement tenté de négocier par l’entremise de l’OMC
4.48. Dans leur réplique, les appelants écartent également les réelles tentatives faites par le
Qatar par l’entremise de l’OMC pour entamer des négociations concernant l’objet du différend
relatif à l’aviation civile, au motif que ses demandes de consultation avaient trait à des
«violations … d’obligations distinctes»259. Or, ils méconnaissent tout autant que le Qatar, comme il
l’a rappelé dans son contre-mémoire, avait expressément indiqué dans ses demandes de
consultation avec Bahreïn et les EAU que lesdites consultations porteraient également sur
«l’interdiction pour les aéronefs qatariens d’accéder à [leur] espace aérien», ainsi que sur «la
prohibition par [les appelants] des vols à destination et en provenance de [leurs territoires] qui sont
assurés par des aéronefs immatriculés au Qatar ; y compris la prohibition de l’atterrissage des
aéronefs qatariens dans les aéroports [de leurs territoires]»260. Les demandes de consultation du
Qatar satisfont donc à la condition selon laquelle il doit y avoir eu une véritable tentative de
négocier sur l’objet du différend261.
4.49. Dans leur réplique, les appelants ne tiennent pas compte non plus de ces demandes au
motif qu’elles ont été adressées à seulement deux d’entre eux et pas à l’Egypte. Cependant, ainsi
que le Qatar l’a expliqué dans le contre-mémoire, cela revient, dans le contexte du présent
différend, à faire une distinction artificielle et excessivement formaliste. Les appelants ont toujours
agi de concert et solidairement262. Ils ne trouvent rien de convaincant à répondre à ce sujet dans leur
réplique263.
4. Le Qatar a véritablement tenté de négocier par l’entremise de tiers
4.50. Enfin, les appelants écartent sommairement les véritables tentatives de négociation
faites par le Qatar par l’entremise de tiers. Ils affirment, sans autre explication, que : «a) aucune des
demandes ou des déclarations en question n’était adressée aux appelants ; et b) toutes étaient
formulées en termes généraux, et toute référence aux obligations de fond spécifiques imposées par
l’accord de transit en était absente.»264
259 RBEE, par. 5.61.
260 Réplique B devant l’OACI, pièce jointe 11, «World Trade Organization, Bahrain — Measures Relating to
Trade in Goods and Services, and Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights, WT/DS527/1», 4 août 2017
(MBEE, vol. IV, annexe 25) ; ibid., pièce jointe 12, «World Trade Organization, United Arab Emirates  Measures
Relating to Trade in Goods and Services, and Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights, WT/DS526/1»,
4 août 2017. Le Qatar considère que Bahreïn et les EAU, par les interdictions qu’ils ont imposées dans le domaine de
l’aviation, ont manqué à leurs obligations au titre non seulement de divers accords de l’OMC, mais aussi de l’accord de
transit. Comme l’a fait observer le tribunal en l’affaire du Thon à nageoire bleue entre l’Australie et le Japon et entre la
Nouvelle-Zélande et le Japon, «[r]ien ne dit qu’un acte commis par un Etat ne puisse emporter violation des obligations
de ce dernier au titre de plusieurs traités. Il est fréquent que des traités présentent des similitudes, tant dans leurs
dispositions de fond que dans celles qui régissent le règlement des différends qui pourraient se faire jour au sujet du
traité», sentence du 4 août 2000, RSA, vol. XXIII, p. 40, par. 52. Au vu de ces similitudes, il ne fait aucun doute que le
règlement de l’un des différends par voie de négociation entraînerait également le règlement de l’autre. Par conséquent,
les démarches devant l’OMC contribuent elles aussi à ce que l’obligation de négociation prévue par l’accord de transit
soit remplie.
261 Voir plus haut, sect. I A 2).
262 CMQ-B, par. 4.71.
263 RBEE, par. 5.63.
264 Ibid., par. 5.64.
77
- 46 -
4.51. Le premier argument est incohérent. Les tentatives de négociation par l’entremise de
tiers se distinguent, à l’évidence, des tentatives directes. Au demeurant, les appelants admettent
ailleurs dans la réplique que les tentatives de négociation peuvent être indirectes. Plus précisément,
ils font observer que, en l’affaire des Otages de Téhéran,
«il a aisément pu être satisfait à la condition relative à l’impossibilité de «régl[er le
différend] d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique» énoncée au
paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié entre l’Iran et les Etats-Unis en
l’absence de relations diplomatiques entre les deux pays, la section des intérêts
étrangers de l’ambassade de Suisse à Téhéran faisant office de canal de
communication entre eux»265.
4.52. En outre, le droit international ne saurait exiger que des tentatives de négociation par
l’entremise de tiers soient adressées directement à la partie adverse dès lors que, comme c’est le cas
ici, celle-ci a clairement fait savoir qu’elle ne souhaitait pas engager de pourparlers directs.
4.53. S’agissant du deuxième argument, le Qatar a déjà indiqué que l’obligation de
négociation n’exigeait pas qu’il soit fait référence aux «obligations de fond spécifiques» imposées
par le traité en cause, contrairement à ce que prétendent, à tort, les appelants. Cela va bien au-delà
de ce que requiert la jurisprudence constante de la Cour. Au contraire, il suffit que les tentatives de
négociation aient été faites «en vue de régler le différend», ce qui était le cas de chacune de celles
du Qatar, ainsi qu’il a été démontré dans le contre-mémoire266, et dans les pages qui précèdent267.
II. LE CONSEIL DE L’OACI A CONCLU, À JUSTE TITRE, QUE LA REQUÊTE ET LE MÉMOIRE
DU QATAR SATISFAISAIENT AUX DISPOSITIONS DE L’ALINÉA G)
DE L’ARTICLE 2 DU RÈGLEMENT DE L’OACI
4.54. Dans leur réplique, les appelants réitèrent l’argument qu’ils ont initialement formulé
dans leur requête268, à savoir que l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement de l’OACI ne requiert pas
seulement que soit faite une «déclaration» faisant état de négociations, mais aussi que celle-ci soit
«dûment étayée»269.
4.55. Dans son contre-mémoire, le Qatar a expliqué pourquoi l’interprétation que font les
appelants de cette disposition va à l’encontre non seulement du libellé de celle-ci (en anglais et en
français), mais aussi de la pratique du Conseil270. En effet, celui-ci a conclu, dans une affaire
opposant Cuba aux Etats-Unis, que le mémoire du demandeur était recevable bien qu’il ne contint
pas la déclaration visée à l’alinéa g) de l’article 2271 ; et il a estimé de la même manière que le
mémoire des Etats-Unis en l’affaire Etats-Unis c. 15 Etats européens était recevable alors que ces
derniers n’avaient pas fourni d’éléments étayant la déclaration faite conformément à cette
265 RBEE, note 433 (les italiques sont de nous).
266 CMQ-B, par. 4.72-4.83.
267 Voir plus haut, sect. I B).
268 Requête B devant la Cour, par. 19 ii).
269 RBEE, par. 5.69.
270 CMQ-B, par. 4.86-4.87.
271 Conseil de l’OACI, Cuba v. United States, mémoire de Cuba, 11 juillet 1966, par. 9 (CMQ-B, vol. II,
annexe 11).
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disposition272. Dans leur réplique, les appelants ne répondent absolument pas à ces arguments,
semblant donc reconnaître leur caractère incontestable.
4.56. Dans la réplique est également réaffirmé l’argument artificiel tiré du mémoire des
appelants273 selon lequel, même si l’alinéa g) de l’article 2 n’est qu’une condition de forme, la
déclaration du Qatar n’y a pas satisfait274. En réalité, cet argument n’est pas vraiment subsidiaire,
puisqu’il présuppose que l’alinéa g) de l’article 2 exige que la déclaration soit «dûment étayée»275,
ce qui est faux. En tout état de cause, comme il a été expliqué dans le contre-mémoire276, la
déclaration faite par le Qatar conformément à l’alinéa g) de l’article 2 satisfait largement à cette
condition. De fait, cette disposition ne saurait se lire comme imposant une exigence plus rigoureuse
que celle énoncée dans la section 2 de l’article II qui, comme nous l’avons vu plus haut277, ne
requiert pas de négociations si l’une des parties s’y refuse absolument. Et même s’il existait une
quelconque lacune (quod non), le Qatar y a remédié en modifiant sa déclaration dans sa réplique B
devant l’OACI278.
4.57. Enfin, il convient de souligner que, ainsi que la Cour l’a dit dans l’affaire Inde
c. Pakistan, la question de savoir si le Conseil est compétent ou non est une «question juridique
objective», à laquelle il faut répondre sans tenir compte de la procédure suivie devant cet organe279.
En conséquence, même à supposer que le Qatar n’ait pas satisfait aux exigences du l’alinéa g) de
l’article 2 (quod non), cela ne devrait pas avoir d’incidence sur la décision de la Cour quant à la
compétence du Conseil.
*
4.58. Pour tous les motifs qui précèdent, la Cour devrait rejeter le troisième moyen d’appel
avancé par les appelants.
272 Conseil de l’OACI, United States v. 15 EU Member State, mémoire des Etats-Unis, 14 mars 2000, p. 16
(CMQ-B, vol. II, annexe 12).
273 [M]BEE, par. 6.98-6.99.
274 [R]BEE, par. 5.70-5.71.
275 Ibid., par. 5.73, 5.75-5.76, où cela est particulièrement évident.
276 CMQ-B, par. 4.88-4.89.
277 Voir plus haut, sect. I A 1).
278 CMQ-B, par. 4.90.
279 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, par. 45.
80
- 48 -
CHAPITRE 5
LA COUR DEVRAIT REJETER LE PREMIER MOYEN D’APPEL
5.1. Dans son contre-mémoire, le Qatar a exposé quatre raisons indépendantes justifiant que
la Cour rejette le premier moyen qu’invoquent les appelants pour lui demander d’«infirm[er]» la
décision du Conseil de l’OACI280. Aucune de ces raisons n’est mise à mal dans la réplique. Les
appelants omettent d’aborder plusieurs des arguments clés du Qatar et leurs réponses au sujet de
ceux qu’ils traitent ne sont absolument pas convaincantes.
5.2. Par exemple, et c’est très étonnant, les appelants ont choisi d’ignorer, et a fortiori de ne
pas contester, la manière dont la Cour a défini, dans l’affaire Inde c. Pakistan, la fonction de
juridiction d’appel qu’elle tient de l’article 84 la convention de Chicago. Dans cette instance, la
Cour a considéré que sa fonction de réexamen de la décision en cause consistait à trancher une
question juridique objective «dont la réponse ne [pouvait] dépendre de ce qui s’[était] passé devant
le Conseil»281. Dans leur réplique, les appelants se gardent bien de mentionner cet élément de la
décision de la Cour ou d’arguer qu’il ne s’appliquerait pas de la même manière en l’espèce.
5.3. A la section I du présent chapitre, nous rappellerons les conclusions capitales de la Cour
sur cet aspect de l’appel interjeté par l’Inde dans l’affaire Inde c. Pakistan et montrerons en quoi les
efforts des appelants pour faire accroire qu’il en irait différemment en l’espèce sont vains. La
décision mise en cause dans la présente affaire demeure valable dès lors que le Conseil de l’OACI
est «parvenu à la décision qui convient», même s’il l’a fait «d’une manière erronée»282. Dans la
même section sera également analysée la manière dont les appelants tentent, à tort, de tirer
argument de la raison subsidiaire qu’avait donnée la Cour, dans l’affaire Inde c. Pakistan, pour
écarter les irrégularités de procédure alléguées. Plusieurs des irrégularités «graves et généralisées»
qui auraient entaché, selon les appelants, la procédure suivie par le Conseil283 sont les mêmes que
celles «vigoureusement soutenu[es]» par l’Inde dans l’affaire de 1972284. La Cour ayant décidé que
ces dernières «ne constitu[aient] pas une atteinte fondamentale aux exigences d’une bonne
procédure»285, il n’y a aucune raison de parvenir à une conclusion différente concernant les
premières.
280 RBEE, par. 3.1. La première raison est que, conformément à la décision qu’elle a rendue en l’affaire
Inde c. Pakistan, la Cour n’a pas besoin de se prononcer sur les manquements d’ordre procédural qui sont allégués,
ceux-ci ne présentant aucun intérêt pour répondre à la question juridique objective qui lui est posée : celle de savoir si le
Conseil de l’OACI est compétent à l’égard des demandes du Qatar, CMQ-B, chap. 5.I. La deuxième raison est que, loin
d’être «manifestement viciée et contraire aux principes fondamentaux en matière de procédure régulière» (RBEE,
par. 3.1), la procédure suivie par le Conseil pour statuer sur les exceptions préliminaires des appelants était parfaitement
conforme aux règles procédurales applicables et à sa pratique antérieure, CMQ-B, chap. 5.II. La troisième raison est que,
même si le Conseil avait manqué (quod non) à l’une quelconque des règles procédurales qu’il était tenu d’observer, pareil
manquement ne constituerait pas une atteinte fondamentale aux exigences d’une procédure équitable, CMQ-B,
chap. 5 III. La quatrième raison est que les appelants ont renoncé à leur droit d’interjeter appel de la décision au motif des
irrégularités procédurales qu’ils allèguent aujourd’hui, CMQ-B, par. 5.32 et 5.38.
281 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 69-70,
par. 45.
282 Ibid.
283 RBEE, par. 3.3.
284 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 69,
par. 44.
285 Ibid., p. 69-70, par. 45.
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- 49 -
5.4. La section II montrera que, en tout état de cause, les griefs d’ordre procédural des
appelants sont infondés. Le Conseil de l’OACI n’a commis aucune erreur de procédure, à plus forte
raison aucune erreur qui compromette les garanties d’une procédure équitable. De fait, les actes du
Conseil étaient parfaitement conformes aux règles procédurales applicables. Il convient donc de
rejeter le premier moyen d’appel invoqué par les appelants.
I. LA COUR DEVRAIT REFUSER D’EXERCER SON POUVOIR DE CONTRÔLE À L’ÉGARD
DES PRÉTENDUES IRRÉGULARITÉS DE PROCÉDURE
A. La question de la compétence du Conseil est une «question juridique objective»
dont la réponse ne dépend pas de la nature de la procédure suivie
par cet organe
5.5. Le Qatar invite respectueusement la Cour à refuser d’exercer son pouvoir de contrôle à
l’égard des irrégularités de procédure alléguées par les appelants. Non seulement celles-ci n’ont
jamais existé, mais elles sont en outre dénuées de pertinence pour la question juridique objective
qui se pose à la Cour : celle de savoir si le Conseil de l’OACI est compétent à l’égard des
demandes dont le Qatar l’a saisi en vertu de l’accord de transit. Pour les raisons que nous avons
rappelées aux deux chapitres précédents, le Conseil a décidé à juste titre qu’il avait compétence à
l’égard desdites demandes. Il s’ensuit que les deuxième et troisième moyens d’appel échouent et,
partant, que le premier échoue aussi.
5.6. Comme le Qatar l’a rappelé dans son contre-mémoire286, c’est ainsi que la Cour a
tranché les demandes de l’Inde relatives aux irrégularités de procédure alléguées dans l’affaire Inde
c. Pakistan  le seul appel contre une décision du Conseil de l’OACI dont elle eût été saisie
auparavant. De manière très similaire aux appelants dans la présente affaire287, l’Inde avait soutenu
que,
«indépendamment de la question du bien-fondé juridique de la décision par laquelle le
Conseil s’[était] déclaré compétent et dont [elle] a[vait] fait appel, cette décision
a[vait] été viciée par diverses irrégularités de procédure et [aurait dû], ne serait-ce que
pour ce motif, être déclarée nulle et de nul effet»288.
5.7. La Cour n’a pas été de cet avis. Elle a conclu que «sa tâche [était] de dire si le Conseil
[de l’OACI] [était] compétent en l’espèce»289. Cette tâche exigeait qu’elle se contente de répondre
à «une question juridique objective dont la réponse n[’aurait su] dépendre de ce qui s’[était] passé
devant le Conseil»290. Ayant constaté que le Conseil s’était à juste titre déclaré compétent dans
l’affaire sous-jacente à la procédure d’appel, la Cour n’a pas jugé «nécessaire ni même opportun»
d’examiner plus avant les allégations de l’Inde291.
286 CMQ-B, par. 5.6-5.12.
287 Voir, par exemple, RBEE, par. 6.2.
288 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 69,
par. 44.
289 Ibid., p. 69-70, par. 45.
290 Ibid.
291 Ibid. (les italiques sont de nous).
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- 50 -
5.8. Les appelants citent la partie de l’arrêt de 1972 où la Cour définit l’objectif de l’appel
prévu par la convention de Chicago et l’accord de transit292. En revanche, ils sont muets sur la
manière dont la Cour s’était acquittée de cette fonction d’appel à l’égard des griefs procéduraux
formulés par l’Inde. Plutôt que d’en parler, ils tentent de détourner l’attention de la Cour pour la
mener dans une impasse. Ils soutiennent que le Conseil de l’OACI était «intrinsèquement inapte à
se prononcer sur les exceptions préliminaires des appelants dans le respect d’une procédure
judiciaire en bonne et due forme» et que par conséquent «il échet à la Cour, en tant que gardienne
de l’intégrité de la procédure judiciaire internationale, d’exercer son pouvoir de contrôle afin de
fournir au Conseil les indications dont il a besoin pour pouvoir s’acquitter de l’obligation de
garantir une procédure régulière»293.
5.9. Le Qatar ne considère pas qu’il soit «nécessaire» ou «opportun» pour la Cour
d’examiner cet argument. Ce n’est pas nécessaire car, contrairement à l’Inde294, les appelants ne
prétendent même pas que, sans les irrégularités de procédure qu’ils allèguent, le Conseil de l’OACI
aurait retenu leur exception préliminaire. Par conséquent, même s’ils étaient fondés (quod non)295,
leurs griefs «aur[aient] pour seul résultat qu[e le Conseil] sera[it] parvenu à la décision qui convient
d’une manière erronée : il aura[it] tout de même abouti au bon résultat»296. Du point de vue de
l’économie de la procédure, rien ne justifierait qu’une décision correcte sur le fond soit infirmée
pour des raisons de procédure alors que le Conseil parviendrait de nouveau à la même décision à
l’issue d’une nouvelle procédure297.
5.10. Ce n’est pas opportun parce qu’en réalité, ce que les appelants demandent à la Cour,
c’est d’élargir sa fonction de juridiction d’appel et de reviser le Règlement de l’OACI qui, selon
eux est «à la fois sommaire et d’un autre âge», afin de donner au Conseil de l’OACI des
«indications sur la manière de conduire les procédures judiciaires qui lui sont soumises»298. Même
si le pouvoir de contrôle de la Cour s’étendait à la procédure suivie dans l’instance sous-jacente au
292 RBEE, par. 3.17 (citant l’affaire de l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde
c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 60, par. 26).
293 Ibid., par. 3.8 et 3.11.
294 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 69,
par. 44 (où est mentionné l’argument de l’Inde selon lequel «sans ces irrégularités, le Conseil aurait abouti ou aurait pu
aboutir à un résultat différent»).
295 Voir plus loin, chap. 5 II).
296 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 69-70,
par. 45 (les italiques sont de nous). Compte tenu de ce qui a été exposé aux deux chapitres précédents, même si les
appelants avaient avancé cet argument, cela n’aurait rien changé.
297 Voir H. Thirlway, The Law and Procedure of the International Court of Justice: Fifty Years of Jurisprudence
(2013), vol. I, p. 737 (où la conclusion de la Cour concernant les irrégularités de procédure alléguées par l’Inde est
analysée à la lumière du «principe général de l’économie de la procédure»). Le fait que la décision soit correcte sur le
fond implique également que lesdites irrégularités n’ont pas «fait obstacle matériellement à l’exercice de l’un quelconque
des droits procéduraux fondamentaux en matière de procédure ou causé directement une «décision erronée»», V.S. Mani,
International Adjudication: Procedural Aspects (1980), p. 53.
298 RBEE, par. 3.21 ; ibid. («le Conseil n’a, à ce jour, été appelé à se prononcer que sur sept différends d’ordre
juridique… Il incombe à la Cour, en tant que gardienne de l’intégrité de la procédure judiciaire internationale, d’exercer
son pouvoir de contrôle à l’égard des défaillances procédurales du Conseil de l’OACI en l’espèce») ; par. 3.16 («[i]l
incombe en effet à celle-ci d’arrêter des critères décisionnels et d’en contrôler l’application dans l’ordre juridique
international. Il ne saurait être sérieusement contesté que, dès lors que les garanties fondamentales d’une procédure
régulière n’ont pas été respectées, la Cour a la faculté  et même le devoir  d’infirmer la décision ayant résulté d’une
procédure viciée.») (Notes de bas de page omises).
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- 51 -
recours299, une «procédure judiciaire correcte» dans le cadre de l’accord de transit ne peut être
qu’une procédure conduite conformément aux règles conçues et approuvées par le Conseil pour
régler les désaccords entre les Etats membres de l’OACI300. En demandant à la Cour de rectifier ce
qu’ils considèrent comme des lacunes dans l’ensemble de règles créées par le Conseil  une tâche
dont ils admettent eux-mêmes qu’elle appartient aux organes de l’OACI301  , les appelants lui
demandent en réalité d’outrepasser son pouvoir de contrôle.
5.11. En tout état de cause, les critiques des appelants à l’égard du système de règlement des
différends de l’OACI sont injustifiées. Les appelants jugent notamment «stupéfiant» que les
représentants des Etats membres siégeant au Conseil, lorsqu’ils interviennent dans une procédure
au titre de la section 2 de l’article II de l’accord de transit, le fassent au nom de l’Etat qui les a
nommés302. Or, à la différence d’autres organes juridictionnels internationaux comme la Cour, le
Conseil de l’OACI est composé de personnes agissant au nom des Etats membres en qualité de
299 Le Qatar relève à cet égard qu’aucune des sources dont se réclament les appelants ne confirme que la section 2
de l’article II de l’accord de transit confère, comme ils l’affirment, un droit de recours contre les irrégularités de
procédure. RBEE, par. 3.13-3.15. La thèse selon laquelle le droit d’appel établi par la section 2 de l’article II prévoit
également que la Cour «dise si la décision [du Conseil de l’OACI] a été valablement adoptée, conformément aux
principes essentiels de procédure devant régir les fonctions quasi judiciaires de l’organe du premier degré» est défendue
par le juge Jiménez de Aréchaga dans une opinion individuelle et ne reflète donc pas la position adoptée à la majorité par
la Cour (Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, opinion
individuelle de M. Jiménez de Aréchaga, p. 111-112, par. 37). Quant au Statut du Tribunal administratif des
Nations Unies, il autorise expressément, ainsi que les appelants en conviennent, les recours contre un jugement si le
tribunal a «commis, dans la procédure, une erreur essentielle qui a provoqué un mal-jugé» (Demande de réformation du
jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 170, par. 12 ;
RBEE, note 185). Et, dans l’affaire relative à la Sentence arbitrale du 31 juillet 1989, la Cour a souligné que ladite
instance «constitu[ait] une action en inexistence et en nullité de la sentence rendue par le Tribunal, et non un appel de
ladite sentence ou une demande en revision de celle-ci» (Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissau
c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 1991, p. 62, par. 25). Par conséquent, c’est plutôt la thèse inverse qui se trouve
confirmée, à savoir que le droit de faire appel n’englobe pas le droit de faire réexaminer des irrégularités de procédure qui
auraient été commises lors de la procédure sous-jacente au recours. De fait, comparant cette décision avec celle rendue en
l’affaire Inde c. Pakistan en 1972, M. Thirlway note que :
«si la Cour n’est saisie que d’un recours en nullité, à la lumière de la Sentence arbitrale du
31 juillet 1989, elle n’est pas appelée à déterminer, et donc vraisemblablement pas en mesure de dire, si la
première juridiction est parvenue ou non à la conclusion correcte. Il semblerait donc que, dans ces
circonstances, la Cour doive déterminer s’il y a eu erreur dans la procédure et, le cas échéant, en tirer les
conséquences pertinentes.»
H. Thirlway, «Procedural Aspects of the ICJ», in Fifty Years of the International Court of Justice, V. Lowe
& M. Fitzmaurice (sous la dir. de), 1996, p. 400. Dans le même ordre d’idées, M. Cheng a noté que
«la nullité ou la revision d’un jugement définitif se distingue du réexamen d’un jugement contre lequel est
formé un appel. Dans ce dernier cas, il s’agit de déterminer si un jugement qui n’est pas encore définitif
constitue une décision correcte et, si tel n’est pas le cas, de le faire annuler au besoin par une juridiction
supérieure. Le recours en appel n’a pas d’incidence en droit sur le principe de la chose jugée, la décision
n’étant définitive que lorsqu’elle n’est plus susceptible d’appel.» B. Cheng, General Principles of Law as
Applied by International Courts and Tribunals (2006), p. 372.
300 L’objectif du groupe de travail chargé par le Conseil de l’OACI de rédiger le Règlement de l’Organisation
était d’«élaborer un ensemble de règles aussi simplifiées et souples que possible afin de doter le Conseil d’un système
pratique, compte tenu du fait que cet organe se distingue à bien des égards des cours et tribunaux arbitraux classiques»,
ICAO Council, 19th Session, Working Paper: Report to Council of the Working Group on Rules for Settlement of
Differences, doc. C-WP/1457 (13 mars 1953) (DQ-B, vol. II, annexe 1) (les italiques sont de nous).
301 Voir RBEE, note 195 (où il est fait référence à l’instruction en date de septembre 2018 par laquelle le
secrétariat de l’OACI invite son comité juridique à examiner la nécessité de revoir le règlement de l’organisation et de
«l’harmoniser avec le Règlement actuel de la CIJ», OACI, note du secrétariat soumise au comité juridique pour examen à
sa trente-septième session, doc. LC/37-WP/3-2, 27 juillet 2018, par. 3.2.1 (MBEE, vol. V, annexe 54).
302 RBEE, par. 3.3.
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représentants et non en leur nom personnel303. Ainsi que l’a fait observer le représentant des
Etats-Unis d’Amérique lors des audiences en l’affaire opposant le Pakistan à l’Inde, une décision
du Conseil de l’OACI au titre la section 2 de l’article II de l’accord de transit est une décision «des
gouvernements [qui siègent au Conseil] et non pas des personnes qui [y] siègent»304. Il est tout à
fait conforme à leur fonction judiciaire que ces personnes reçoivent des conseils extérieurs sur des
questions de droit305. Quoi qu’il en soit, comme l’a déjà dit le Qatar dans son contre-mémoire, les
appelants n’ont présenté aucun élément démontrant que les représentants auprès du Conseil
agissaient sur instruction lorsqu’ils ont rejeté, à une très grande majorité les exceptions
préliminaires des appelants306.
5.12. Un examen plus approfondi des similitudes entre les griefs procéduraux allégués dans
la présente instance et ceux de l’Inde en l’affaire Inde c. Pakistan, tout comme les faits sous-jacents
et les règles procédurales applicables, confirment que le premier moyen d’appel est totalement
infondé.
B. La tentative des appelants pour distinguer l’affaire Inde c. Pakistan
de la présente espèce est vaine
5.13. Les appelants laissent entendre dans leur réplique que si la Cour a refusé de se
prononcer sur les irrégularités procédurales alléguées par l’Inde dans l’affaire Inde c. Pakistan,
c’était uniquement parce que celles-ci «n’étaient pas suffisamment graves pour déclencher son
«pouvoir de contrôle»»307. De l’avis des appelants, il en va différemment dans la présente affaire
303 L’article 50 de la convention de Chicago dispose ce qui suit :
«a) Le Conseil est un organe permanent responsable devant l’Assemblée. Il se compose de trentesix
Etats contractants élus par l’Assemblée. … b) En élisant les membres du Conseil, l’Assemblée donne
une représentation adéquate : 1) aux Etats d’importance majeure dans le transport aérien ; 2) aux Etats,
non inclus à un autre titre, qui contribuent le plus à fournir des installations et services pour la navigation
aérienne civile internationale ; et 3) aux Etats, non inclus à un autre titre, dont la désignation assure la
représentation au Conseil de toutes les grandes régions géographiques du monde… c) aucun représentant
d’un Etat contractant au Conseil ne peut être activement associé à l’exploitation d’un service aérien
international ou avoir des intérêts financiers dans un tel service.» Convention de Chicago, art. 50 (MBEE,
vol. II, annexe 1) (les italiques sont de nous).
Fait révélateur, les appelants, pour étayer leur argument selon lequel il est «constant» que «lorsqu’un Etat … a
nommé un juge ou arbitre, c’est l’individu ainsi désigné qui doit agir, et qui doit le faire en sa capacité personnelle, et non
sur instruction», citent seulement un commentaire portant sur la Cour et sa composition. RBEE, par. 3.10 et note 180.
304 Conseil de l’OACI, soixante-quatorzième session, procès-verbal de la 6e séance, doc. 8956-C/1001, 29 juillet
1971, par. 16 (CMQ-B, vol. II, annexe 8).
305 Dans l’affaire opposant le Pakistan à l’Inde devant le Conseil de l’OACI, le représentant du Royaume-Uni
avait notamment déclaré, lors de l’audience, qu’il n’était «pas exceptionnel  tout au moins pas au Royaume-Uni 
qu’un organe composé de personnes qui ne sont pas des juges professionnels siège en qualité de tribunal. Dans de telles
circonstances, il est normal que cet organe ait recours à des avis juridiques sur des points de droit pur», Conseil de
l’OACI, soixante-quatorzième session, procès-verbal de la 6e séance, doc. 8956-C/1001, 29 juillet 1971, par. 18 (CMQ-B,
vol. II, annexe 8). Plus généralement, des chefs d’Etat qui n’étaient pas des juristes ont fréquemment exercé par le passé
les fonctions de juge pour régler des différends entre Etats. Au moment même, quasiment, de l’adoption de l’accord de
transit et de la convention de Chicago, le juge Hudson a écrit à ce propos que, «[e]n pareil cas, la décision est
généralement rédigée par un juriste ou un groupe de juristes dont les noms sont rarement indiqués et qui travaillent sous
la direction du chef d’Etat», Manley O. Hudson, International Tribunals: Past and Future, 1944, p. 17-18.
306 CMQ-B, par. 5.40. Au lieu de cela, les appelants émettent l’hypothèse que la décision «avait déjà été arrêtée»
étant donné que «plusieurs gouvernements représentés au Conseil de l’OACI avaient fait des déclarations politiques à
propos du différend opposant en arrière-fond les Parties», RBEE, par. 3.8 et note 177. Une simple lecture des déclarations
en question montre cependant que celles-ci visaient simplement à insister sur l’importance de mettre rapidement en
oeuvre des mesures d’urgence pour garantir la sécurité de l’aviation civile dans la région du Golfe. Voir «ICAO
Council  Summary Minutes of the Meeting of the Extraordinary Session of 31 July 2017, concerning the Request of
Qatar – Item under Article 54(n) of the Chicago Convention», 22 août 2017, par. 69-84 (MBEE, vol. V, annexe 41).
307 RBEE, par. 3.19 ; voir également par. 3.40.
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parce que le Conseil de l’OACI «a effectivement porté une atteinte fondamentale aux exigences
d’une bonne procédure»308.
5.14. Cependant, comme l’a fait observer le Qatar309, si la Cour a refusé d’exercer son
pouvoir de contrôle à l’égard des griefs de l’Inde relatifs à la procédure, ce n’est pas parce que les
irrégularités alléguées «ne constitu[aient] pas une atteinte fondamentale aux exigences d’une bonne
procédure»310, mais parce qu’elle les considérait dénuées de pertinence dès lors que le Conseil était
«parvenu à la décision qui convient» sur la question de la compétence311.
5.15. En tout état de cause, les irrégularités de procédure alléguées par les appelants sont très
similaires à celles que l’Inde a soulevées devant la Cour en 1972. Si les unes n’ont pas porté
atteinte aux exigences d’une bonne procédure, il en va de même pour les autres.
5.16. La Cour se rappellera que l’Inde s’est plainte que le Conseil de l’OACI avait manqué
de motiver sa décision312, avait formulé de manière erronée les questions soumises au vote313, avait
adopté sa décision en violation de l’article 52 de la convention de Chicago314 et des procédures de
vote315, et n’avait pas délibéré comme il convenait316. La Cour a considéré qu’aucune de ces
lacunes n’était suffisamment grave pour vicier la procédure devant le Conseil. Les appelants
n’offrent aucune raison expliquant en quoi leurs allégations fondamentalement analogues à celles
de l’Inde  absence de motifs et délibération incorrecte, violation de l’article 52 de la convention
de Chicago et des procédures de vote applicables, et formulation inappropriée des questions
soumises au vote  mériteraient une conclusion différente dans la présente affaire.
308 RBEE, par. 3.20.
309 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 70,
par. 46.
310 Ibid., p. 69-70, par. 45.
311 Ibid.
312 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), plaidoiries, p. 54 (Palkhivala) («le
règlement pour la solution des différends exige que les décisions du Conseil soient motivées. En l’occurrence, le Conseil
a rendu une décision sans fournir le moindre motif, et une telle décision n’a aucune valeur juridique.»)
313 Ibid., p. 19 (Palkhivala) («La décision du Conseil est viciée par le fait que les questions étaient mal posées.
Les propositions mises aux voix étaient rédigées sous une forme négative à savoir : «Le Conseil n’a pas compétence…»,
alors qu’il eût fallu s’exprimer affirmativement : «Le Conseil a compétence…».»)
314 Ibid., p. 20 (Palkhivala) («La décision prise par le Conseil à propos de la plainte contrevient directement à
l’article 52 de la Convention, qui prévoit : «Les décisions du Conseil sont prises à la majorité de ses membres.» Or la
décision par laquelle le Conseil s’est déclaré compétent pour connaître de la plainte du défendeur n’a pas eu l’appui d’une
majorité de ses membres. … Si, la question ayant été libellée comme il fallait, une proposition déclarant que le Conseil
était compétent pour connaître de la plainte du défendeur avait fait l’objet du scrutin, la décision du Conseil, avec des
votes analogues, eût été en faveur du demandeur.»).
315 Ibid., p. 39 (Palkhivala) («La décision du Conseil a en outre été viciée par le fait que les propositions mises
aux voix à propos de la demande et de la plainte du Pakistan n’ont été déposées ni appuyées par aucun membre du
Conseil comme le requièrent les règles 41 et 46 du «règlement intérieur du Conseil»»).
316 C.I.J. Mémoires, Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), mémoire de
l’Inde, par. 93.3 («Bien que certains des membres aient demandé un délai pour étudier les questions d’importance
capitale que le demandeur avait soulevées et pour examiner les procès-verbaux de la procédure orale, leur demande a été
rejetée, en sorte que certains des juges n’ont pu participer à la délibération et à la décision finale du Conseil.»).
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5.17. Dans la réplique, les appelants ont beaucoup de mal à trouver des différences entre
leurs griefs procéduraux et ceux de l’Inde. C’est pourquoi ils cherchent d’autres raisons de se
plaindre et font valoir par exemple que le Conseil de l’OACI a prévu une séance d’une seule
demi-journée pour l’examen de leurs exceptions préliminaires317, qu’ils se sont vu allouer le même
temps de parole que le Qatar à l’audience318, que le Conseil a procédé au vote immédiatement après
la présentation des exposés oraux319 et qu’il a adopté la décision au scrutin secret (ce qu’il est
pourtant expressément autorisé à faire selon les règles de procédure régissant ses travaux320), ce qui
signifierait selon eux que les supposées violations de la procédure étaient «bien plus nombreuses et
plus graves que celles qui étaient en jeu dans [l’affaire opposant le Pakistan et l’Inde]  tant et si
bien que la … décision doit être déclarée nulle»321. Le Qatar montrera à la section suivante que
toutes ces allégations ainsi que celles qui sont dans une large mesure communes aux griefs de
l’Inde en l’affaire Inde c. Pakistan sont totalement infondées.
II. LE CONSEIL DE L’OACI S’EST ACQUITTÉ COMME IL SE DOIT DE SES FONCTIONS
AU TITRE DE LA SECTION 2 DE L’ARTICLE II
5.18. Quand bien même elle viendrait à examiner au fond les griefs d’ordre procédural
soulevés par les appelants, la Cour n’en devrait pas moins rejeter leur premier moyen d’appel.
Comme l’a expliqué le Qatar dans son contre-mémoire322, et comme il le détaillera ci-après323, la
procédure devant le Conseil de l’OACI était pleinement conforme, dans la lettre et l’esprit, au
Règlement de l’OACI et au Règlement intérieur du Conseil.
A. L’absence de délibérations publiques sur les questions de fond en cause et
l’absence de motivation s’expliquent par la décision du Conseil
de procéder à un scrutin secret comme l’y autorise
son Règlement intérieur
5.19. Le Qatar a montré dans son contre-mémoire que l’absence de délibérations publiques
sur les questions de fond ici en cause et l’absence de motivation de la décision découlaient
naturellement du choix qu’avait fait le Conseil de l’OACI de procéder à un scrutin secret324. Il a
également montré que ce choix était pleinement conforme à l’approche que le Conseil a suivie dans
l’affaire opposant le Brésil et les Etats-Unis – dernier exemple en date de sa pratique – et à
laquelle, du reste, le représentant mexicain s’est expressément référé lorsqu’il a proposé en l’espèce
317 RBEE, par. 3.20 a).
318 Ibid., par. 3.20 b).
319 Ibid., par. 3.20 e) et f).
320 Voir CMQ-B, par. 5.30 ; RBEE, par. 3.20 g).
321 RBEE, par. 3.20.
322 Voir CMQ-B, chap. 5 II.
323 Les appelants semblent avoir, de fait, renoncé à soutenir, comme dans leur requête et dans leur mémoire, que
le Conseil de l’OACI aurait indûment fixé à 19 voix la majorité requise pour retenir les exceptions préliminaires, MBEE,
par. 3.1 c). Bien qu’ayant, formellement, maintenu cette allégation (voir RBEE, par. 3.33 b)), ils n’ont pas cherché à
réfuter la démonstration apportée par le Qatar dans son contre-mémoire, établissant que le nombre de voix requis par le
Conseil était conforme aux prescriptions de l’article 52 de la convention de Chicago et à la manière dont le Conseil avait
toujours appliqué cette disposition et que, quand bien même leur allégation aurait le moindre fondement, l’erreur
procédurale qui aurait été commise ne porterait aucunement à conséquence, CMQ-B, par. 5.50-5.59.
324 CMQ-B, par. 5.29. Les appelants ne contestent pas que le régime procédural applicable autorise expressément
la tenue d’un scrutin secret. Conseil de l’OACI, Règlement intérieur du Conseil, doc. 7559/10 (2014), règle 50 (CMQ-B,
vol. II, annexe 15) (les italiques sont de nous).
92
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de tenir directement un scrutin secret325. Dans cette affaire-là, aucun des Etats membres du Conseil
ayant voté ne s’était plaint de ce que l’exception des Etats-Unis ait été rejetée sans que les
questions de fond en cause eussent fait l’objet de délibérations publiques326. Figuraient pourtant
parmi eux deux des appelants en la présente instance, l’Egypte et les EAU (ces derniers ayant
d’ailleurs été à l’origine de la proposition de procéder à un scrutin secret).
5.20. Il en va de même en la présente affaire : aucun des appelants n’a contesté le choix qu’a
fait le Conseil de l’OACI de procéder directement à un scrutin secret ni, a fortiori, élevé
d’objection à cette décision sur le fondement des règles 34 c) et 36 du Règlement intérieur du
Conseil327. Dès lors, les appelants doivent être réputés avoir renoncé à leur grief procédural328.
5.21. Les appelants répliquent en mettant en avant quatre arguments, dont aucun n’a de
fondement.
5.22. Premièrement, les appelants font valoir que «ni le Règlement de l’OACI ni le
Règlement intérieur du Conseil n’interdisent la tenue de délibérations, ni même n’envisagent qu’il
puisse ne pas y en avoir»329. C’est peut-être vrai, mais ils n’envisagent pas non plus expressément
la tenue de délibérations. En tout état de cause, les appelants ont beau protester du contraire330, le
procès-verbal de la séance tenue par le Conseil de l’OACI le 26 juin 2018 montre clairement que
des délibérations ont bien eu lieu331 ; simplement, elles ne portaient pas sur les questions de fond en
cause en l’espèce, ce qui, une fois de plus, découlait nécessairement du choix qu’avait fait le
Conseil de procéder directement à un scrutin secret332.
325 Conseil de l’OACI, deux cent quatorzième session, procès-verbal sommaire de la 8e séance du 26 juin 2018,
doc. C-MIN 214/8, 23 juillet 2018, par. 106 (MBEE, vol. V, annexe 53) ; voir aussi CMQ-B, par. 5.35.
326 CMQ-B, par. 5.35-5.37.
327 Voir OACI, Règlement intérieur du Conseil, doc. 7559/10 (2014), Règle 34 c) : «Pendant les débats sur toute
question, un représentant peut soulever un point d’ordre ou toute autre question relative à l’interprétation ou à
l’application du présent Règlement. Le Président rend immédiatement sa décision sur le point d’ordre…» (CMQ-B,
vol. II, annexe 15) ; et ibid., règle 36 : «Tout membre du Conseil peut faire appel des décisions rendues par le Président
au cours d’une séance du Conseil au sujet de l’interprétation ou de l’application du présent Règlement ; l’appel est
immédiatement mis aux voix. La décision du Président peut être infirmée à la majorité des suffrages exprimés.»
328 CMQ-B, par. 5.38 (citant l’affaire de l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde
c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 46, opinion individuelle de M. le juge Jiménez de Aréchaga, par. 42).
329 MBEE, par. 3.24.
330 Ibid., par. 3.25.
331 Conseil de l’OACI, deux cent quatorzième session, procès-verbal sommaire de la 8e séance du 26 juin 2018,
doc. C-MIN 214/8, 23 juillet 2018, par. 106-118 (MBEE, vol. V, annexe 53).
332 Les appelants n’ont nulle part expliqué comment des délibérations publiques sur des questions de fond
pourraient être conciliables avec la notion de scrutin secret. Le Qatar rappelle que l’expression «scrutin secret» est définie
dans le Règlement intérieur du Conseil de l’OACI de la manière suivante : «scrutin lors duquel les représentants
remplissent leurs bulletins de vote en privé, sans que quiconque ne puisse les observer à part leur suppléant. Tous les
bulletins de vote distribués sont rigoureusement identiques, de façon que l’on ne puisse pas déterminer quel a été le vote
d’un représentant». Conseil de l’OACI, Règlement intérieur du Conseil, doc. 7559/10 (2014), définitions (CMQ-B,
vol. II, annexe 15) (les italiques sont de nous). Des délibérations publiques sur des questions de fond iraient donc à
l’encontre de la raison d’être à laquelle obéit, d’après cette définition, le «scrutin secret», et il en irait de même des
délibérations qui se tiendraient en présence des Parties.
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5.23. Deuxièmement, les appelants contestent l’affirmation du Qatar, soutenant que le
Conseil de l’OACI a tenu des délibérations dans l’affaire opposant le Brésil et les Etats-Unis, et
qu’il aurait pu en faire autant en la présente espèce333. Or, le fait est que le Conseil a procédé de la
même manière dans les deux cas. Ainsi qu’il a été dit, il a bel et bien tenu des délibérations en la
présente espèce  mais pas sur les questions de fond mises en cause, ce qui eût été incompatible
avec sa décision de procéder à un scrutin secret. C’est également ce qu’il avait fait dans l’affaire
susmentionnée334. L’argument du Qatar reste donc valable.
5.24. Troisièmement, les appelants prétendent que «le président [du Conseil de l’OACI est]
intervenu à l’audience pour signaler qu’en procédant à un vote sans tenir de délibérations, le
Conseil s’écarterait de sa propre pratique»335. Cette assertion, toutefois, ne repose que sur les
corrections au compte rendu de la procédure orale proposées le 2 août 2018, soit après
l’introduction de la présente instance devant la Cour, par les EAU et Bahreïn, deux des appelants
en l’espèce. Or, on ne trouve aucune trace de la prétendue intervention du président du Conseil
dans le procès-verbal officiel de la séance336. Le Conseil a donc rejeté la proposition des appelants
tendant à l’y faire figurer337.
5.25. En tout état de cause, la prétendue «déclaration» que les appelants attribuent au
président du Conseil (à supposer que celui-ci l’ait faite) n’a pas le sens qu’ils lui prêtent. Ainsi qu’il
ressort des propositions d’amendements de Bahreïn  l’un des appelants en l’espèce , le
président souhaitait simplement «s’assurer de l’opportunité de tenir des délibérations»338.
333 MBEE, par. 4.50.
334 Les appelants font référence de manière générale à la décision rendue par le Conseil de l’OACI dans l’affaire
opposant le Brésil et les Etats-Unis, mais ne renvoient à aucun document prouvant que des délibérations ont bien eu lieu.
Voir MBEE, note 296 (citant la décision du Conseil concernant l’exception préliminaire dans l’affaire : Brésil et
Etats-Unis (2016), 23 juin 2017 (MBEE, vol. V, annexe 32)). On trouve cette preuve dans le procès-verbal de la séance
du Conseil au cours de laquelle a été discutée l’exception préliminaire des Etats-Unis. Voir exceptions préliminaires B
devant l’OACI, pièce jointe 2, «ICAO Council – 211th Session, Summary Minutes of the Ninth Meeting of 21 June
2017», doc. C-MIN 211/9, 5 juillet 2017, par. 92 (MBEE, vol. III, annexe 24). Un simple coup d’oeil à ces paragraphes
permet d’établir qu’un seul Etat membre  Cuba  s’est exprimé sur le bien-fondé de l’exception d’incompétence
soulevée par les Etats-Unis, et il l’a fait avant que les EAU  l’un des appelants en la présente affaire  ne proposent
que le Conseil procède à un scrutin secret. Ibid., par. 94-95. Une fois cette proposition adoptée, les délibérations ou
discussions n’ont porté que sur des questions d’ordre procédural.
335 RBEE, par. 3.25 (citant Commentaires de Barheïn et des Emirats arabes unis sur le projet de procès-verbal CMIN
214.8 (clôturé), 2 août 2018 (en réponse à l’intervention de Bahreïn), par. 108 (RBEE, vol. II, annexe 8)).
336 Conseil de l’OACI, deux cent quatorzième session, procès-verbal sommaire de la 8e séance du 26 juin 2018,
doc. C-MIN 214/8, 23 juillet 2018, par. 41 (MBEE, vol. V, annexe 53).
337 Le secrétaire général de l’OACI établit les «projets de procès-verbaux» de chaque séance dans les six
semaines qui suivent la session du Conseil. Il les soumet à l’accord du président, qui les communique alors aux
représentants, pour observations. Une fois celles-ci reçues, le Conseil adopte la version finale «par la voie d’une
procédure écrite ou lors d’une séance ultérieure». Voir Conseil de l’OACI, Règlement intérieur du Conseil, doc. 7559/10
(2014), règle 57 b) :
«Le Secrétaire général établit les projets de procès-verbaux des séances dans les six semaines qui
suivent la session du Conseil à laquelle ils se rapportent. Ces projets de procès-verbaux sont soumis à
l’accord du Président, communiqués aux représentants, qui ont dix jours ouvrables pour présenter leurs
observations à leur sujet, et adoptés par le Conseil par la voie d’une procédure écrite ou lors d’une séance
ultérieure.» (CMQ-B, vol. II, annexe 15.)
338 Commentaires de Barheïn et des Emirats arabes unis sur le projet de procès-verbal C-MIN 214.8 (clôturé),
2 août 2018 (en réponse à l’intervention de Bahreïn), par. 108 (RBEE, vol. II, annexe 8).
95
- 57 -
5.26. Quatrièmement, enfin, les appelants font valoir que «[c]hacune des décisions qu[e le
Conseil de l’OACI] a rendues depuis l’arrêt en appel de la Cour en l’affaire Inde c. Pakistan était
motivée»339. Toutefois, comme l’a expliqué le Qatar dans son contre-mémoire340, si tel est peut-être
le cas pour les décisions adoptées au scrutin par appel nominal341, il n’en va en aucun cas ainsi
s’agissant de celles qui sont prises au scrutin secret342. Les appelants s’obstinent à nier cette
distinction. De même n’expliquent-ils à aucun moment comment ils peuvent maintenir leur grief
tout en ayant admis, ailleurs dans leur réplique, que l’absence de motivation de la décision du
Conseil contestée dans l’affaire Inde c. Pakistan n’était «pas … suffisamment grav[e] pour
déclencher [le] «pouvoir de contrôle» [de la Cour]»»343.
5.27. En définitive, l’absence de délibérations publiques sur les questions de fond en cause et
de motivation de la décision est conforme aux dispositions du Règlement de l’OACI et au choix
qu’a fait le Conseil de procéder à un scrutin secret.
B. Les appelants ont tort d’affirmer que le Conseil n’a pas tenu de délibérations
publiques sur certaines questions d’ordre procédural
5.28. Dans leur réplique, les appelants cherchent également à élargir le champ des griefs
procéduraux qu’ils prétendent tirer de l’«absence de délibérations», en y incluant le fait que le
Conseil de l’OACI n’aurait pas débattu de la majorité requise pour se prononcer sur leurs
exceptions préliminaires ni de la question mise aux voix344. Une fois de plus, leur propos est
démenti par le procès-verbal de la séance, qui montre clairement que :
 la décision quant à la majorité requise aux fins de se prononcer sur les exceptions
d’incompétence soulevées par les appelants n’a pas, comme ceux-ci l’allèguent
mensongèrement345, été prise par le directeur des affaires juridiques, mais par le Conseil
lui-même346. Ce faisant, celui-ci a expressément indiqué ceci :
«L’article 52 de la convention de Chicago stipule que les décisions du Conseil
sont prises à la majorité de ses membres. Le Conseil comptant 36 membres, les
exceptions préliminaires soulevées par les défendeurs relativement à la requête A et à
la requête B doivent être approuvées par 19 voix favorables, conformément à la
pratique constante du Conseil relativement à cette disposition.»347
339 RBEE, par. 3.27.
340 CMQ-B, par. 5.35.
341 «Règlement des différends : Etats-Unis et 15 Etats européens» (2000), note présentée par le président du
Conseil de l’OACI sur la procédure concernant les exceptions préliminaires, doc. C-WP/11380, 9 novembre 2000,
par. 6.2 (RBEE, vol. II, annexe 7).
342 Décision du Conseil de l’OACI concernant l’exception préliminaire dans l’affaire : Brésil et Etats-Unis
(2016), 23 juin 2017 (MBEE, vol. V, annexe 32).
343 RBEE, par. 3.19 ; voir aussi ibid., par. 3.40.
344 Ibid., par. 3.23.
345 Ibid., par. 3.23 a).
346 Conseil de l’OACI, deux cent quatorzième session, procès-verbal sommaire de la 8e séance du 26 juin 2018,
doc. C-MIN 214/8, 23 juillet 2018, par. 106 (MBEE, vol. V, annexe 53).
347 Ibid., par. 108. Le Qatar rappelle une fois de plus que les appelants n’ont réfuté aucun des arguments par
lesquels il avait montré, dans son contre-mémoire, que la décision du Conseil de l’OACI sur ce point cadrait parfaitement
avec les termes de l’article 52 et la pratique antérieure du Conseil. Ainsi, quand bien même le grief procédural selon
lequel le Conseil n’aurait pas délibéré sur cette question serait fondé  quod non , la décision du Conseil n’en
demeurerait pas moins juste quant au fond.
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- 58 -
Le Conseil a de même examiné une demande du représentant des EAU tendant à ce qu’il
revienne sur sa décision, mais il l’a rejetée, «ne souhaitant pas que la règle de la majorité soit
déterminée autrement que par les dispositions pertinentes de la convention de Chicago»348. La
seule contribution du directeur des affaires juridiques, dans ce contexte, a consisté à «lire au
Conseil le texte de l’article 52 de la convention de Chicago et [à] recenser les faits relatifs aux
précédentes décisions du Conseil, ni plus, ni moins»349.
 Le président du Conseil n’a pas «fai[t] fi des éclaircissements répétés apportés par les appelants
quant à l’existence de deux exceptions préliminaires distinctes, nécessitant d’être examinées
séparément»350. Au contraire, il ressort du procès-verbal que le président du Conseil avait
pleinement saisi que, en fait, «pour chacune des requêtes A et B du Qatar, les défendeurs
soulev[aient] une exception préliminaire pour laquelle ils invoqu[aient] deux motifs» et qu’il
s’était «ralli[é] à l’opinion d[u conseil de Barheïn, l’un des appelants en l’espèce] selon lequel
le vote sur chaque exception préliminaire s’appliqu[ait] aux deux motifs qui la fond[aient]»351.
Affirmer, malgré cela  comme le font les appelants , que le président du Conseil aurait
«regroupé les deux exceptions préliminaires des appelants en une seule, [que] le Conseil les
a[urait] rejetées en les traitant comme telle» et que, ce faisant, le «Conseil
s’est … fondamentalement mépris et ne pouvait dès lors mener comme il se doit la réflexion
collective qu’exigeaient les exceptions qui lui avaient été soumises[, ce qui] n’avait pas été le
cas en l’affaire [opposant le Pakistan à l’Inde]»352 n’est pas défendable353.
348 Conseil de l’OACI, deux cent quatorzième session, procès-verbal sommaire de la 8e séance du 26 juin 2018,
doc. C-MIN 214/8, 23 juillet 2018, par. 118 (MBEE, vol. V, annexe 53).
349 Ibid., par. 11[4] (MBEE, vol. V, annexe 53).
350 RBEE, par. 3.23 b). Le procès-verbal de la séance du Conseil ne fait toutefois état que d’un seul de ces
«éclaircissements». Voir Conseil de l’OACI, deux cent quatorzième session, procès-verbal sommaire de la 8e séance du
26 juin 2018, doc. C-MIN 214/8, 23 juillet 2018, par. 121 (MBEE, vol. V, annexe 53).
351 Conseil de l’OACI, deux cent quatorzième session, procès-verbal sommaire de la 8e séance du 26 juin 2018,
doc. C-MIN 214/8, 23 juillet 2018, par. 12[3] (MBEE, vol. V, annexe 53)
352 RBEE, par. 3.20 c).
353 Dans le même ordre d’idée, les appelants font valoir que le président du Conseil a mis aux voix une question
qui n’était pas celle qui avait été proposée et appuyée lors de la séance, au rebours de ce qu’exigent les règles 40 et 45 du
Règlement intérieur. RBEE, par. 3.33 c). Dans son contre-mémoire, le Qatar expliquait que la motion initiale présentée
par le représentant du Mexique, et soutenue par le représentant de Singapour, qui satisfait indubitablement aux exigences
précitées, n’a jamais été changée ou modifiée ; CMQ-B, par. 5.60. Le président du Conseil l’a dit on ne peut plus
clairement lorsqu’il a rappelé, en réponse aux observations de Bahreïn, l’un des appelants en l’espèce, que «les
exceptions préliminaires … des défendeurs port[aient] toutes les deux sur la compétence du Conseil» en se référant au
texte du paragraphe 1 de l’article 5 du Règlement de l’OACI, qui stipule que «le défendeur qui excipe de l’incompétence
du Conseil à connaître de l’affaire soumise par le demandeur doit soulever une exception préliminaire motivée». Conseil
de l’OACI, deux cent quatorzième session, procès-verbal sommaire de la 8e séance du 26 juin 2018, doc. C-MIN 214/8,
23 juillet 2018, 23 juillet 2018, par. 122 (MBEE, vol. V, annexe 53).
98
- 59 -
5.29. Le procès-verbal de la séance du Conseil de l’OACI montre également de manière
claire que les appelants ont renoncé à leur grief relatif à la question mise aux voix. Contrairement à
ce qu’ils affirment354, ils n’ont pas élevé d’objection au titre des règles 34 et 36 du Règlement
intérieur, ni contesté d’aucune autre façon la décision du Conseil quant à la manière dont était
formulée cette question.
5.30. Le Conseil de l’OACI a donc décidé en bonne et due forme de la majorité requise pour
se prononcer sur les exceptions préliminaires des appelants et de la question mise aux voix.
C. Les appelants ont amplement eu le loisir de présenter leurs arguments
devant le Conseil de l’OACI
5.31. Dans son contre-mémoire, le Qatar a montré que les appelants s’étaient vu accorder,
par deux fois, la possibilité de présenter un exposé écrit sur la question de la compétence, ainsi que
celle de soumettre un exposé oral355. Il a également relevé que les appelants avaient agi
collectivement devant le Conseil (de la même manière qu’ils le font aujourd’hui devant la Cour) et
que, par conséquent, ils n’avaient pas à dénoncer le fait que le Conseil les ait traités exactement de
la même manière lorsqu’il s’est agi de leur accorder un temps d’audience356. En tout état de cause,
les appelants n’ont pas expliqué en quoi les occasions qui leur avaient été données de présenter
leurs arguments auraient été insuffisantes, ni de quelle manière le fait qu’il ne leur en ait pas été
accordé davantage leur aurait porté préjudice, au vu de la nature des questions de droit en cause357.
5.32. Dans leur réplique, les appelants maintiennent que la tenue d’une audience «limitée à
[une] demi-journée» ne leur a pas laissé suffisamment de «temps … pour bien coordonner leur
action et présenter leur argumentation»358. Cela reste une simple assertion. Ils n’expliquent jamais
en quoi la durée du temps de parole qui leur a été accordée, en sus des deux possibilités qui leur
avaient été données de présenter des exposés écrits, et compte tenu de la nature des questions de
droit en cause, ne constituerait pas une «possibilité raisonnable de développer leurs arguments»
(qui est, comme ils le reconnaissent à présent, la garantie prévue par le Règlement de l’OACI)359.
Quel argument qui ne figurât pas déjà dans leurs exposés écrits ont-ils été empêchés de développer
à l’audience ? En quoi cela les aurait-il privés d’une «possibilité raisonnable» ? L’issue de la
354 Les appelants soutiennent qu’ils ont bel et bien objecté, «leur conseil intervenant pour préciser combien il était
important de bien comprendre, et de trancher, chaque exception préliminaire en tant que telle». RBEE, par. 3.36 d). Or,
ainsi qu’il ressort clairement du procès-verbal de la séance, leur conseil n’a rien fait de tel :
«Comme expliqué par M. Petrochilos (conseiller juridique, délégation de Bahreïn), la première
exception préliminaire porte sur le fait que le véritable objet du différend ne concerne pas l’interprétation
ou l’application de la convention de Chicago ou de l’accord relatif au transit des services aériens
internationaux. La deuxième exception préliminaire porte sur le fait que le différend n’est pas un
différend qui ne peut pas être réglé par négociation comme l’exigent les clauses attributives de
compétence de ces deux traités. Etant entendu que le fait d’accepter l’une ou l’autre de ces exceptions
préliminaires aurait pour effet de clore immédiatement l’affaire, M. Petrochilos suggère que la question
mise aux voix au scrutin secret soit la suivante : «Acceptez-vous l’une ou l’autre des deux exceptions
préliminaires soulevées par les défendeurs relativement à chacune des requêtes ?»» Conseil de l’OACI,
deux cent quatorzième session, procès-verbal sommaire de la 8e séance du 26 juin 2018,
doc. C-MIN 214/8, 23 juillet 2018, par. 121 (MBEE, vol. V, annexe 53).
355 CMQ-B, par. 5.42.
356 Ibid., par. 5.44, 5.47.
357 Ibid., par. 5.42, 5.46.
358 RBEE, par. 3.29.
359 Ibid., par. 3.31.
99
100
- 60 -
procédure aurait-elle été différente s’ils avaient bénéficié de davantage de temps, et pourquoi ? Les
appelants n’abordent jamais ces questions et il n’y a donc pas moyen de le savoir.
5.33. Les appelants indiquent toutefois que «[l]a bonne administration de la justice suppose
de veiller à assurer un bon équilibre entre les pièces de procédure déposées et entre les temps de
parole impartis afin de «parer à toute iniquité éventuelle»» entre elles 360. Or, l’on pourrait
difficilement reprocher au Conseil de l’OACI de ne pas avoir assuré ici un bon équilibre. En dépit
des protestations émises par le Qatar, il a, par deux fois, donné aux appelants la possibilité
d’exposer par écrit leurs arguments sur les questions de compétence361. Les appelants n’ont pas
manqué de s’en prévaloir, consacrant à leurs deux exceptions préliminaires des écritures longues,
au total, de 80 pages362. Le Qatar, quant à lui, n’a soumis qu’une seule pièce de procédure, de
58 pages363. Les appelants ont également obtenu la tenue d’une audience, laquelle n’est accordée
qu’à la discrétion du Conseil364. Dans ces circonstances, il est difficile de voir en quoi le fait de leur
accorder encore davantage de temps d’audience aurait permis de parer à une prétendue
«iniquité» entre les Parties.
5.34. En résumé, les appelants ont amplement eu l’occasion de faire valoir leurs arguments
devant le Conseil de l’OACI.
*
5.35. Pour les motifs qui précèdent, ainsi que pour ceux précédemment exposés dans son
contre-mémoire, le Qatar prie respectueusement la Cour de rejeter le premier moyen d’appel
avancé par les appelants.
360 RBEE, (citant R. Kolb, «General Principles of Procedural Law» in A. Zimmermann, C. Tomuschat,
K. Oellers-Frahm et C. Tams (sous la dir. de), The Statute of the International Court of Justice: A Commentary (2019),
p. 969).
361 CMQ-B, par. 5.19.
362 Exceptions préliminaires de la République arabe d’Egypte, du Royaume de Bahreïn et des Emirats arabes unis
au sujet de la requête B de l’Etat du Qatar relative au désaccord découlant de l’accord relatif au transit des services
aériens internationaux, signé à Chicago le 7 décembre 1944, 19 mars 2018 (MBEE, vol. III, annexe 24) ; Duplique de la
République arabe d’Egypte, du Royaume de Bahreïn et des Emirats arabes unis à la réponse de l’Etat du Qatar aux
exceptions préliminaires des défendeurs au sujet de la requête B de l’Etat du Qatar relative au désaccord découlant de
l’accord relatif au transit des services aériens internationaux, signé à Chicago le 7 décembre 1944, 12 juin 2018 (MBEE,
vol. IV, annexe 26).
363 Les appelants s’inscrivent en faux contre l’affirmation du Qatar selon laquelle, dès lors qu’ils ont eu par deux
fois l’occasion de présenter leurs exceptions d’incompétence par écrit, alors que lui-même n’en a eu qu’une, s’il est
résulté un préjudice de la décision de ne prévoir qu’une demi-journée d’audience, c’est le Qatar qui l’a subi, CMQ-B,
par. 5.22. Ils soutiennent que s’il s’estimait lésé, le Qatar n’aurait pas dû «refus[er] de demander à être autorisé à
présenter un second tour de pièces écrites», RBEE, note 214. L’argument dénote une bonne dose de cynisme de la part
d’Etats que ne dérange apparemment en rien le fait que chaque jour qui passe sans que soient révoquées leurs mesures
illicites d’interdiction visant l’aviation voit croître le risque pesant sur la sécurité et l’efficacité de l’aviation civile dans la
région, ainsi que le préjudice financier subi par les transporteurs aériens qatariens. Demander «à être autorisé à présenter
un second tour de pièces écrites» n’a jamais été une option pour le Qatar.
364 En vertu de l’article 12 du Règlement de l’OACI, le Conseil peut admettre la présentation d’exposés oraux à
sa seule discrétion. Règlement de l’OACI, art. 12 2) (MBEE, vol. II, annexe 6) ; voir aussi T. Buergenthal, Law-making
in the International Civil Aviation Organization, 1969, p. 189 («On remarquera que le Règlement met l’accent sur la
procédure écrite. Les Parties n’ont pas droit à une procédure orale, bien que le Conseil puisse autoriser celle-ci, à sa
discrétion. Même les conclusions des parties doivent être déposées par écrit, «mais leur présentation orale peut être
admise à la discrétion du Conseil.» Si la procédure orale n’est pas la règle, c’est probablement pour réduire le temps que
le Conseil aurait à consacrer à une affaire.») (MBEE, vol. VI, annexe 125.) (Les italiques sont de nous.)
101
102
- 61 -
CONCLUSIONS
Sur la base des éléments de fait et de droit exposés dans la présente duplique, le Qatar prie
respectueusement la Cour de rejeter le recours des appelants et de confirmer la décision du Conseil
de l’OACI en date du 29 juin 2018 portant rejet de l’exception préliminaire par laquelle ceux-ci ont
contesté la compétence du Conseil pour connaître de la requête B du Qatar en date du 30 octobre
2017.
Respectueusement,
L’agent de l’Etat du Qatar,
(Signé) M. Mohammed ABDULAZIZ AL-KHULAIFI.
Le 29 juillet 2019.
___________
103
- 62 -
CERTIFICATION
Je certifie que toutes les annexes sont des copies conformes des documents auxquels il est
fait référence et que les traductions fournies sont exactes.
L’agent de l’Etat du Qatar,
(Signé) M. Mohammed ABDULAZIZ AL-KHULAIFI.
Le 29 juillet 2019.
___________
105

Document file FR
Document Long Title

Duplique de l'Etat du Qatar

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