Duplique de la République islamique du Pakistan

Document Number
168-20180717-WRI-01-00-EN
Document Type
Date of the Document
Document File

Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15478
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE JADHAV
(RÉPUBLIQUE DE L’INDE c. RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE DU PAKISTAN)
DUPLIQUE DE LA RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE DU PAKISTAN
17 juillet 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
INTRODUCTION ET RÉSUMÉ ................................................................................................................ 1
I. LA RÉPLIQUE DE L’INDE EST ÉMAILLÉE DE FAUSSES ALLÉGATIONS ET DE DIGRESSIONS DÉPOURVUES DE PERTINENCE .................................................................................................. 5
II. L’INDE A DÉLIBÉRÉMENT DÉFORMÉ LA TENEUR DU RAPPORT DES SPÉCIALISTES DU DROIT MILITAIRE ...................................................................................................................... 7
A. Les trois déformations des faits ................................................................................................ 7
Première déformation des faits .............................................................................................. 7
Deuxième déformation des faits ............................................................................................ 8
Troisième déformation des faits ............................................................................................ 9
B. La Haute Cour et la Cour suprême du Pakistan continuent d’exercer un contrôle strict sur les décisions des tribunaux militaires ............................................................................... 10
III. L’INDE PERSISTE À REFUSER DE TRAITER LA QUESTION DU PASSEPORT .................................... 12
A. Les six demandes adressées à l’Inde depuis le 31 mai 2017 concernant la question du passeport ................................................................................................................................ 12
B. La position de l’Inde est manifestement indéfendable ........................................................... 14
C. Le Pakistan n’est pas le seul à questionner l’Inde au sujet du passeport ................................ 19
The Quint — 5 janvier 2018 ................................................................................................ 19
Frontline — 31 janvier 2018 ............................................................................................... 21
Observations ........................................................................................................................ 22
IV. L’INDE A DÉNATURÉ L’ACCORD BILATÉRAL DE 2008 SUR LA COMMUNICATION ENTRE LES AUTORITÉS CONSULAIRES ET LES RESSORTISSANTS DE L’ETAT D’ENVOI ....................... 24
V. LES CAS D’ESPIONNAGE PRIMA FACIE CONSTITUENT, AU REGARD DU DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER, UNE EXCEPTION À L’ARTICLE 36 DE LA CONVENTION DE VIENNE DE 1963 ..................................................................................................................... 27
A. Détermination des règles de droit international coutumier .................................................... 27
Eminents auteurs de doctrine .............................................................................................. 27
i) Les deux éléments constitutifs d’une règle de droit international coutumier .............. 28
ii) Les projets de conclusions sur la détermination du droit international coutumier de la CDI ...................................................................................................................... 32
iii) Evaluation des éléments de preuve .............................................................................. 32
iv) Application des principes de droit international public sous-jacents ........................... 33
v) Prise en considération de la disponibilité ou non des éléments de preuve dans les circonstances de l’affaire en cause ......................................................................... 35
vi) Prise en compte de la nature de la règle de droit international coutumier invoquée ....................................................................................................................... 35
- ii -
vii) La Cour doit examiner séparément la «pratique générale» et l’«opinio juris» ............ 36
viii) Appréciation de l’existence d’une «pratique générale» ............................................... 37
ix) La Cour doit apprécier la pratique générale accessible, considérée dans son ensemble ...................................................................................................................... 37
x) Le manque de cohérence dans la pratique n’impose pas nécessairement d’accorder à celle-ci une moindre importance ............................................................. 38
xi) Sens de l’expression «pratique générale» .................................................................... 39
xii) Quels sont les Etats dont la pratique est pertinente ? ................................................... 40
xiii) Détermination de l’existence d’une opinio juris .......................................................... 42
xiv) Absence de réaction s’étendant dans le temps comme preuve d’une opinio juris ....... 45
Observations ........................................................................................................................ 46
B. La critique erronée de certaines affaires d’espionnage citées à titre d’exemples par le Pakistan à laquelle se livre l’Inde .......................................................................................... 47
C. L’Inde laisse entendre à tort que M. Lee s’est montré incohérent ou a contredit sa déclaration selon laquelle il est «souvent dérogé» au droit à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi dans les cas d’espionnage .......................................................................................................................... 49
VI. L’INDE N’A PAS RÉPONDU AUX ARGUMENTS DU PAKISTAN CONCERNANT LE PROTOCOLE DE SIGNATURE FACULTATIVE................................................................................................. 51
A. Les notifications adressées par la Cour aux Etats parties à la convention de Vienne de 1963 et au protocole de signature facultative ......................................................................... 53
B. L’Inde a joué un rôle déterminant dans l’adoption du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations consulaires ......................................................... 54
C. La «notification» .................................................................................................................... 55
VII. LES TENTATIVES DE L’INDE POUR DÉTOURNER L’ATTENTION ................................................. 58
A. L’allégation infondée de l’Inde selon laquelle le commandant Jadhav aurait été «enlevé en Iran» ..................................................................................................................... 58
B. Il est révélateur que l’Inde n’ait pas saisi l’occasion de soulever la question du prétendu «enlèvement» aux plus hauts niveaux de l’Etat iranien .......................................... 58
CONCLUSIONS .................................................................................................................................. 60
CERTIFICATION ................................................................................................................................. 61
___________
INTRODUCTION ET RÉSUMÉ
1. La République islamique du Pakistan (ci-après le «Pakistan») a l’honneur de soumettre la présente duplique à la Cour, conformément à l’ordonnance de procédure que celle-ci a rendue le 17 janvier 2018 [vol. 1/annexe 5].
2. Aux fins de la présente duplique, le Pakistan reprend toutes les définitions de termes qu’il a pu donner dans son contre-mémoire, déposé à la Cour le 13 décembre 2017 (ci-après le «contre-mémoire»).
3. Les références aux annexes de la présente duplique sont indiquées sous la forme [vol./annexe/p./par.], les références aux pièces déjà annexées au contre-mémoire étant indiquées comme suit : [CM/volume/annexe/p./par.].
4. Ainsi que cela sera exposé ci-après, la réplique que l’Inde a soumise le 17 avril 2018 (ci-après la «réplique»), et dans laquelle elle prétendait «rejeter dans [son] intégralité» le contre-mémoire déposé par le Pakistan le 13 décembre 2017 [vol. 1/annexe 3/p. 3/ par. 5], soulève au moins sept problèmes fondamentaux.
5. L’Inde (sauf le respect qui lui est dû) s’est servie de sa réplique pour présenter la situation sous un faux jour et détourner l’attention de la Cour ; le Pakistan montrera comment elle s’y est prise ci-après. Bien que ce soit le demandeur qui, ainsi que cela sera démontré, devrait se confondre en excuses pour son comportement, le défendeur prie par avance la Cour de bien vouloir lui passer les termes incisifs qu’il pourrait employer pour décrire ce comportement. Il est rare qu’un Etat commette un acte illicite ou dénature les faits de manière aussi éhontée, et c’est pourquoi la Cour ne s’est pas encore prononcée sur les questions de l’illicéité ou des mains propres. Le Pakistan se voit contraint de mettre au jour cet état de fait.
6. Le défendeur maintient tous les arguments qu’il a avancés dans son contre-mémoire. Chaque mot employé dans la réplique ne fait que les renforcer.
Les sept (au mieux) principales erreurs et omissions entachant la réplique
I. L’Inde a été autorisée (à titre exceptionnel) à bénéficier d’un second tour d’écritures, ce qui a retardé encore davantage une instance qu’elle avait pourtant introduite, le 8 mai 2017, en invoquant une urgence extrême et en priant la Cour d’indiquer des mesures conservatoires sans tenir d’audiences. Hélas, loin de réfuter quelque argument que ce soit, la réplique abonde en déformations des faits, invectives et diversions dépourvues de pertinence (quoiqu’incendiaires et fâcheuses).
II. Il est fort regrettable que l’Inde cite incorrectement, de manière éhontée et répétée, le texte d’éminents et très respectés experts britanniques en droit militaire pour étayer la fausse description qu’elle fait du système de tribunaux militaires pakistanais.
La Haute Cour et la Cour suprême du Pakistan, que l’Inde décrie à tort, ont en effet (à trois reprises au moins depuis le 8 mai 2017 et, dans un cas, le lendemain de la présentation d’une
4
- 2 -
demande à cet effet) suspendu des condamnations à mort prononcées par des tribunaux militaires, et même annulé une de ces condamnations1.
Il n’existe pas le moindre élément donnant à penser que les juridictions pakistanaises n’auraient pas agi, ou n’agiraient pas, de manière analogue dans le cas du commandant Jadhav, et qu’elles ne procéderaient pas à un réexamen effectif si cela était justifié. Pourtant, au lieu d’utiliser les voies de recours internes effectives (ou, à tout le moins, les mécanismes prescrits par le protocole de signature facultative [CM/vol. 5/annexe 87]), l’Inde a cherché, en mai 2017, à tendre une embuscade au Pakistan et à se livrer à des gesticulations politiques devant la Cour. Et pourquoi ? Apparemment pour se servir de celle-ci comme d’une tribune politique et permettre à ses médias de dénaturer gravement l’ordonnance en indication de mesures conservatoires (en soi tout à fait compréhensible) qu’elle a rendue.
III. L’Inde persiste à déformer les demandes d’enquête et d’informations que le défendeur a présentées à maintes reprises à ses autorités au sujet du passeport indien que le commandant Jadhav détenait et utilisait sous un faux nom musulman (ci-après «la question du passeport»). Alors qu’il lui serait pourtant aisé d’y répondre, le demandeur cherche obstinément (ce qui en dit long et le compromet) à détourner l’attention de cette question. Là encore, il dénigre le rapport indépendant d’un éminent expert britannique (qui a d’ailleurs également formé les autorités indiennes), sans répondre de quelque façon que ce soit aux conclusions claires, convaincantes et décisives que ledit rapport renferme. Le demandeur refuse d’expliquer comment le commandant Jadhav a obtenu un authentique passeport indien dont il s’est beaucoup servi et qui a été établi à un nom musulman (élément accablant qui fait de ce document un faux).
Pour éviter que l’on ne soit tenté d’accorder le moindre crédit à l’affirmation de l’Inde selon laquelle ses demandes à cet égard constituent une «propagande malveillante» [vol. 1/annexe 17/p. 2-3/par. iv)], le Pakistan précise qu’il n’est pas le seul à poser ces questions. En effet, certains journalistes indiens chevronnés et respectés s’interrogent eux aussi sur les raisons pour lesquelles le demandeur ne répond pas sur ce point. Non content de ne pas leur répondre à eux non plus, le Gouvernement indien a critiqué les intéressés [vol. 1/annexe 29], qui ont par ailleurs été fustigés et qualifiés de «traîtres» dans la presse nationale et les médias sociaux2.
L’Inde sait pertinemment qu’elle est confrontée à un grave dilemme à cet égard. Quoi qu’elle fasse, elle ne peut dire la vérité sur la question du passeport sans avouer que le
1 «Muhammad Imran» avait été déclaré coupable et condamné à mort le 28 juin 2015 par les tribunaux militaires. Une requête contestant sa déclaration de culpabilité et sa condamnation a ensuite été déposée auprès de la Haute Cour de Peshawar en vertu de l’article 199 de la Constitution pakistanaise de 1973. Après qu’une audience eut été tenue le 2 mars 2017, le président de ladite Haute Cour a rendu, le 25 mai 2017, un arrêt précisant qu’il n’y avait ni absence ni insuffisance de preuves susceptibles de justifier l’annulation de la déclaration de culpabilité. Ayant toutefois constaté que, d’un point de vue juridique, les tribunaux militaires n’avaient pas compétence pour condamner à mort «Muhammad Imran» pour les accusations bien précises portées contre lui, il a annulé cette condamnation et renvoyé l’affaire devant les tribunaux militaires [vol. 1/annexe 32/p. 25/point 3 du dispositif].
2 Le 3 février 2018, M. Praveen Swami (voir les paragraphes 89-94 ci-après) a posté sur Twitter une copie des commentaires formulés à son endroit sur un forum public après la parution de son article [vol. 1/annexe 26/p. 9]. En voici un aperçu :
«Je demande à MEAIndia [le ministère indien des affaires étrangères] d’arrêter praveenswami pour propagation de fausses nouvelles visant à nuire aux intérêts nationaux. SushmaSwaraj HMOIndia [ministère indien de l’intérieur].»
«praveenswami, le réseau d’information pakistanais a exulté. Pourquoi l’Inde doit-elle tolérer des traîtres comme vous ? Combien l’ISI vous a-t-il payé ? Ou la Chine, dont le Pakistan est le vassal ? Les gars, quand vous croiserez ce type dans la rue en Inde, faites justice à Kulbhushan et à sa famille.»
«Pourquoi ce porc n’est-il pas égorgé en plein jour, avec diffusion en direct au pays des impurs ?»
«Swamy a peut-être fait allégeance à l’ISI. Il touche régulièrement des fonds !»
5
6
- 3 -
commandant Jadhav était sa marionnette, ni prétendre que celui-ci a utilisé un document de voyage «falsifié» [vol. 1/annexe 17/p. 1-2/par. i) et iv)], auquel cas il serait considéré comme un criminel dans la plupart des Etats. L’Inde est loin d’avoir les mains propres, son comportement est loin d’être licite et sa mauvaise foi est évidente à cet égard. Autant d’observations qu’il est regrettable mais nécessaire de formuler.
IV. L’Inde fait délibérément une interprétation erronée de l’accord bilatéral de 2008 [CM/vol. 7/annexe 160/p. 37] (qui a été conclu à son initiative avec le Pakistan et porte expressément sur la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi) pour nier le sens naturel et ordinaire de l’article vi) de cet instrument — en faisant un «copier-coller» dudit texte dans une disposition totalement distincte, à savoir l’article v) de ce même accord.
V. S’agissant de la question de savoir s’il existait, dans le droit coutumier de 1963, une «exception relative à l’espionnage», l’Inde fait abstraction des déclarations formulées en 1961 et 1965 par d’éminents auteurs de doctrine (parmi lesquels le respecté Biswanath Sen, qui n’était autre que le conseiller juridique honoraire du ministère indien des affaires étrangères de 1954 à 1964 [CM/vol. 5/annexe 117]). En guise de riposte, l’Inde invoque de manière peu convaincante un texte rédigé par M. Luke T. Lee en 1966 pour insinuer que celui-ci aurait changé d’avis au sujet de l’observation qu’il avait formulée dans son important texte de 1961, à savoir que «[l]e cas des espions constitue souvent une exception au droit des consuls de protéger leurs ressortissants et de leur rendre visite en prison» [CM/vol. 5/annexe 112.1/ p. 125/par. 1]. Une lecture correcte (et non biaisée) démontre que l’auteur n’a rien fait de tel. Dans la même ligne, et comme cela a été exposé dans le contre-mémoire, les quelques rares cas d’«espionnage» — il y en a bien évidemment très peu — parvenus à la connaissance du public en ce qui concerne les grandes puissances, démontrent (à tout le moins) que les Etats rechignent à accepter quelque obligation de permettre à un ressortissant de communiquer avec ses autorités consulaires lorsqu’il est établi prima facie qu’il est question d’espionnage. Tout ce que l’Inde peut faire, c’est dénaturer ces exemples.
VI. Le demandeur ne traite pas les questions relatives au protocole de signature facultative [CM/vol. 5/annexe 87], celles-là mêmes sur lesquelles la Cour a appelé son attention (ainsi que celle de l’ensemble des Etats Parties) le 18 janvier 2018 [vol. 1/annexe 9] (cette communication de la Cour faisant suite à une autre, datée du 20 novembre 2017, qui se rapportait à la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 proprement dite [vol. 1/annexe 8]), mais dont il a préféré ne pas tenir compte. L’Inde n’a jamais avisé le Pakistan de l’existence d’un différend ayant trait au protocole de signature facultative, ce qui aurait pourtant permis pendant au moins deux mois d’engager d’autres procédures obligatoires de règlement des différends. Au lieu de cela, sans aucune raison valable, elle a attendu plus d’un an avant de lui tendre une embuscade devant la Cour.
VII. Au paragraphe 29 de sa réplique, l’Inde affirme que le commandant Jadhav a été «enlevé en Iran» (vers le début de l’année 2016) et, au paragraphe 134, que les aveux de l’intéressé, tels qu’ils ont été diffusés au monde entier, ont été «examin[és] par des spécialistes». Ces allégations sont dépourvues de pertinence et indéfendables. Du reste, comme pour mieux souligner qu’il s’agit là de «bouche-trous» ou de «diversions», aucun élément s’apparentant, de près ou de loin, à une preuve crédible n’est avancé.
7. L’Inde consacre une section entière de sa réplique (section III/paragraphes 52-77) à fustiger le Pakistan pour avoir imposé à la mère et à l’épouse du commandant Jadhav de s’exprimer en anglais, de changer de vêtements et d’ôter leurs objets métalliques lorsqu’elles se sont rendues sur son territoire, le 25 décembre 2017, pour y rencontrer l’intéressé. Le demandeur omet de dire que les deux femmes ont consenti par écrit aux mesures de sécurité [vol. 1/annexe 13], qui
7
- 4 -
n’étaient ni impropres ni oppressives dans le cadre d’une visite à un prisonnier3. Il formule de graves allégations (par ailleurs absurdes et déplacées) quant aux mauvais traitements qui auraient été infligés au commandant Jadhav pour insinuer que, lorsqu’il a rencontré son épouse et sa mère, ce dernier «n’avait pas toute sa raison et était sous influence» (sous-entendant peut-être qu’il avait été drogué) ou «qu’il avait l’air bouffi et enflé» (sous-entendant peut-être qu’il avait été torturé) (réplique/annexe 4/par. 14 et 17). Au paragraphe 70 de sa réplique, l’Inde affirme ceci :
«A leur retour, la mère et l’épouse de M. Jadhav ont rapporté que celui-ci semblait subir un stress considérable et qu’il s’exprimait de manière contrainte. Au cours de la discussion, il leur est clairement apparu que ses propos lui avaient été dictés par ses geôliers et visaient à entretenir le faux récit de ses prétendues activités. Son apparence a également suscité quelques inquiétudes quant à sa santé et à son bien-être.»
8. L’absurdité de la position du demandeur apparaît plus clairement encore lorsque l’on relève qu’il se voit contraint de faire abstraction du rapport limpide établi par un médecin allemand indépendant, le Dr. Uwe Johannes Nellessen (consultant principal à l’hôpital germano-saoudien de Doubaï [vol. 1/annexe 11]), qui a soumis le commandant Jadhav à un examen médical approfondi le 21 décembre 2017. Le lendemain, l’éminent médecin a remis un rapport de quatorze pages (ci-après le «rapport médical indépendant») incluant des analyses sanguines et cardiaques [vol. 1/annexe 12]. A la page 3 de ce rapport, il a notamment relevé l’«excellent état de santé» du commandant Jadhav. Le Pakistan a communiqué les conclusions de ce rapport à l’Inde et les a rendues publiques le 25 décembre 2017. Mais le demandeur pense sans doute que l’intéressé a été maintenu en excellente santé jusqu’au 21 décembre 2017, puis qu’on lui a fait subir des tortures pour le forcer à voir son épouse et sa mère.
9. Le Pakistan est au regret de devoir signaler qu’il redoutait quelque peu (et à juste titre, malheureusement) que l’Inde ne fasse tout son possible (fût-ce de manière déloyale et peu vraisemblable) pour présenter sous un mauvais jour la visite humanitaire qu’il a organisée le jour de Noël en gage de sa bonne volonté (voir la note verbale qu’il a adressée au demandeur le 24 novembre 2017 [vol. 1/annexe 10/avant-dernier paragraphe]). Par ses allégations fantaisistes et dépourvues de fondement, l’Inde tente de dénigrer ce geste, ainsi que les commentaires faits au moment de la visite par la mère du commandant Jadhav sur le bon état de santé de celui-ci (qui cadrent parfaitement avec le rapport médical indépendant établi trois jours avant ladite visite). En tout état de cause, bien que ces questions ne soient pas pertinentes, le Pakistan les a abordées dans le présent résumé pour préciser clairement qu’il n’accepte pas la manière dont le demandeur présente les choses.
10. Le Pakistan traitera ci-après plus en détail chacune des sept erreurs ou omissions susmentionnées.
3 Certains Etats, dont le Royaume-Uni [vol. 1/annexe 14], ont publié des règles ou lignes directrices détaillées relatives à la réglementation des visites aux prisonniers, dont il ressort que des aspects tels que les contrôles de sécurité (au moyen de détecteurs de métaux), le retrait des bijoux, l’interdiction des contacts (en particulier avec les prisonniers de haute sécurité), la signature de déclarations écrites par les visiteurs et la surveillance continue des rencontres sont monnaie courante.
8
- 5 -
I. LA RÉPLIQUE DE L’INDE EST ÉMAILLÉE DE FAUSSES ALLÉGATIONS ET DE DIGRESSIONS DÉPOURVUES DE PERTINENCE
11. Dans la lettre en date du 10 janvier 2018 qu’elle a adressée à la Cour, l’Inde déclarait avoir l’intention d’utiliser la réplique pour «réfut[er] intégralement» le contre-mémoire [vol. 1/annexe 3/p. 3/par. 5]. Le Pakistan l’a prise au mot. A cet égard, il fait observer que, dans son contre-mémoire (déposé le 13 décembre 2017), il avait précisé (au paragraphe 6) que «[l]es principaux arguments qu[e] cont[enait la requête de l’Inde] [avaient] été présentés le 15 mai 2017, à l’audience concernant la demande en indication de mesures conservatoires».
12. Le défendeur s’attendait à ce que l’Inde tente au moins de répondre sous une forme ou une autre à ces arguments dans son mémoire (pour les «réduire à néant» (comme si c’était possible) ou, à défaut, pour permettre à la Cour de trancher rapidement la question, ainsi qu’il l’a à maintes reprises demandé depuis le 15 mai 2017)4. Mais elle ne l’a pas fait. Quoi qu’il en soit, au moment du dépôt de sa réplique, le 17 avril 2018, le demandeur connaissait les principaux arguments du Pakistan en l’affaire depuis environ 11 mois et bénéficiait en outre depuis environ quatre mois des explications supplémentaires fournies dans le contre-mémoire.
13. Pourtant, alors qu’elle avait eu amplement le temps de comprendre l’argumentation du défendeur et d’y répondre sur le fond dans son mémoire, l’Inde a demandé à la Cour que soit organisé un second tour d’écritures [vol. 1/annexe 1]. Dans le souci d’oeuvrer à l’efficacité du règlement des différends, le Pakistan a, dans sa lettre du 5 janvier 2018, mis en doute la nécessité d’un nouveau tour d’écritures et proposé que, en tout état de cause, l’affaire soit traitée rapidement afin de limiter tout retard supplémentaire [vol. 1/annexe 2].
14. Dans une lettre en date du 19 décembre 2017 [vol. 1/annexe 1/p. 2], l’Inde a expressément déclaré que le contre-mémoire soulevait «des points de fait et de droit qu[’elle] n’avait pas nécessairement prévus ni examinés dans son mémoire». (Les italiques sont de nous.)
15. Dans sa lettre susmentionnée du 10 janvier 2018, le demandeur a soutenu que le Pakistan avait, dans son contre-mémoire, «exposé pour la première fois sa défense, soulevant à cette occasion différents points de fait et de droit» [vol. 1/annexe 3/p. 2/par. 2], qui «de[vraient] être réfuté [s] intégralement» [vol. 1/annexe 3/p. 3/par. 5]. (Les italiques sont de nous.)
16. C’est sur le fondement de ce que le demandeur a présenté comme une justification de la nécessité d’organiser un nouveau tour d’écritures, à savoir la possibilité de traiter de certains points «de fait et de droit» que la Cour a, par son ordonnance du 17 janvier 2018 [vol. 1/annexe 5], autorisé la présentation d’une réplique et d’une duplique (donnant à chaque Partie trois mois pour préparer sa pièce, ainsi que l’Inde l’avait demandé).
17. Cependant, le Pakistan est au regret de devoir relever que, bien que l’Inde ait avancé l’argument ci-dessus, elle a manqué ou refusé d’aborder et de traiter les points de fait et de droit cruciaux soulevés par lui. Dans sa réplique, la position du demandeur est d’ailleurs mise en exergue par cette assertion sans détour (au paragraphe 39) : «L’Inde estime qu’il n’y a pas lieu de répondre en détail à la litanie de fausses accusations [que le Pakistan] formule contre elle.»
4 Voir [CM/vol. 1/annexe 5.2/par. 18] et [vol. 1/annexe 2/p. 3/par. 12-13].
9
10
- 6 -
18. Le Pakistan ne formule pas de fausses allégations. Il attend en particulier de l’Inde qu’elle fournisse des explications sur la question essentielle du passeport (et il n’est manifestement pas le seul  voir la section III C) ci-après).
19. L’Inde ne peut s’empêcher de donner une interprétation tendancieuse de l’argumentation du Pakistan. Dans sa réplique, elle soutient ainsi (au paragraphe 5) que celui-ci
«souligne à juste titre que la Cour n’est pas une juridiction d’appel en matière criminelle ; or, par son comportement, il invite à rejuger l’accusé, ce qui serait inévitable si la Cour devait examiner le bien-fondé de la litanie d’allégations formulées contre celui-ci et l’Inde».
20. Le Pakistan n’est pas la Partie qui demande à la Cour de prescrire l’«acquittement ou la libération» du commandant Jadhav (voir le point 4) du paragraphe 60 de la requête de l’Inde et le point iii) du paragraphe 214 du mémoire). Il a fait valoir à maintes reprises que la Cour avait expressément décliné toute fonction qui ferait d’elle une juridiction d’appel en matière criminelle [voir CMP/vol. 1/annexe 4/p. 8-13/par. 26, 32, 38, 47 et CMP/vol. 1/annexe 5.2/p. 16-17 et CMP/par. 391, 396-411], et ce, pour de très bonnes raisons (notamment pour éviter d’être submergée de requêtes présentées à la dernière minute par de multiples juridictions).
21. L’on ne saurait considérer que, par les conclusions qu’il formule dans son contre-mémoire, le défendeur invite la Cour à refaire le procès de M. Jadhav. S’il a fourni des éléments relatifs au contexte factuel de l’affaire (qui, il est vrai, ne sont pas pertinents aux fins de celle-ci), ce n’est que pour se défendre de l’Inde qui tournait en ridicule ses procédures judiciaires. Pour tout le reste, le contre-mémoire soulève des questions de fait et de droit dont le demandeur semblait avoir admis qu’elles appelaient une réponse, même si, le moment venu, il s’est tu ou a refusé de répondre, préférant, avec tout le respect qui lui est dû, pratiquer l’esquive tout au long de sa réplique.
- 7 -
II. L’INDE A DÉLIBÉRÉMENT DÉFORMÉ LA TENEUR DU RAPPORT DES SPÉCIALISTES DU DROIT MILITAIRE
22. Dans son contre-mémoire, le Pakistan expose (aux paragraphes 444-446) les conclusions auxquelles sont parvenus deux spécialistes britanniques du droit militaire éminents et indépendants (le général de brigade Anthony Paphiti et le colonel Charles Garraway (ci-après les «spécialistes du droit militaire»)) en analysant la pratique étatique sur la base d’un échantillon représentatif des lois et procédures en vigueur dans certains Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies, notamment en ce qui concerne la base juridictionnelle et les procédures devant les tribunaux militaires (ci-après, le «rapport des spécialistes du droit militaire»). Le rapport complet a été soumis en tant qu’annexe 142 du contre-mémoire.
23. L’Inde a délibérément cité ce rapport en le déformant, et ce, sur trois points essentiels. Une unique citation erronée peut passer pour une erreur ; deux citations de ce genre peuvent éventuellement être mises sur le compte d’un manque de rigueur. Mais avec trois, on entre dans le domaine de la déformation des faits et de l’inconvenance, pour le moins maladroite, en l’occurrence, tant cela apparaît de façon tout à fait évidente à la lecture attentive du rapport5.
A. Les trois déformations des faits
Première déformation des faits
24. Dans leur rapport, le général de brigade Paphiti et le colonel Garraway concluaient ce qui suit (au point d) du paragraphe 3) [CM/vol. 7/annexe 142/p. vii] :
«En ce qui concerne le Pakistan, le «contrôle judiciaire» exercé par les tribunaux militaires semble pouvoir constituer une garantie efficace pour remédier à des défaillances manifestes en matière de procédure régulière.»
25. Dans sa réplique, l’Inde affirme ceci (au paragraphe 19) :
«Enfin, le défendeur cherche à sauver, aux yeux de la communauté internationale, la piètre réputation de ses tribunaux militaires en matière de procédure équitable en se référant à un rapport. Or, ce document confirme l’existence de défaillances manifestes dans son système de justice militaire. Le Pakistan ne conteste d’ailleurs aucun des griefs qui lui sont faits quant au fonctionnement de ce système, qui a été critiqué par les organismes internationaux les plus sérieux.» (Les italiques sont de nous.)
26. Citant le rapport des spécialistes du droit militaire, l’Inde écrit (au point d) du paragraphe 154) :
«Les experts soulignent qu’il existe au Pakistan un contrôle judiciaire exercé par les tribunaux civils, lequel «semble pouvoir constituer une garantie efficace pour remédier aux défaillances manifestes en matière de procédure régulière». Deux
5 Par une note verbale en date du 5 juin 2018 [vol. 1/annexe 6] il a été donné à l’Inde, dans un souci d’équité, la possibilité de confirmer l’exactitude de la teneur de la réplique au plus tard le 21 juin 2018, afin que la duplique puisse être mise au point à la lumière d’éventuelles précisions. Par une note verbale en date du 27 juin 2018, c’est-à-dire avec retard [vol. 1/annexe 7], l’Inde a manqué ou refusé de fournir toute réponse sur le fond, se contentant de qualifier d’«inappropriées et [de] non pertinentes» les questions formulées au sujet de la réplique et de son exactitude.
11
12
- 8 -
observations s’imposent au sujet de cette déclaration circonspecte. Premièrement, les experts confirment l’existence de «défaillances manifestes» dans le système.» (Les italiques sont de nous.)
27. Comme on le voit, l’Inde a remplacé les mots «à des» par «aux» devant «défaillances manifestes». Cela a pour effet de modifier sensiblement le sens de la phrase : on passe de la possibilité de procéder au contrôle d’éventuelles défaillances manifestes (ce que voulaient évidemment dire les spécialistes du droit militaire) au fait que les auteurs du rapport auraient relevé et admis l’existence de défaillances manifestes dans le système judiciaire pakistanais (sens que l’Inde aurait assurément préféré). La déformation par le demandeur des conclusions formulées dans le rapport est tout simplement inacceptable.
28. Comme on le voit au point d) du paragraphe 154 de la réplique de l’Inde (tel que cité ci-dessus), ayant modifié le sens des conclusions des spécialistes du droit militaire, l’Inde en profite pour s’en prendre au rapport lui-même et dénoncer le fait que le Pakistan s’appuie sur ce document.
29. Au mépris de la vérité, l’Inde affirme, au paragraphe 155 de sa réplique :
«Ce rapport d’experts n’étaye guère la réponse qu’apporte le Pakistan aux arguments de l’Inde. Bien au contraire, la Cour dispose désormais d’un document produit par le défendeur lui-même, qui, pour l’essentiel, confirme les affirmations du demandeur concernant les défaillances du système pakistanais de justice militaire.»
30. Ce n’est que parce qu’elle a modifié le sens du rapport pour pouvoir en présenter les conclusions sous un jour biaisé que l’Inde peut formuler de telles allégations.
Deuxième déformation des faits
31. Dans leur rapport, le général de brigade Paphiti et le colonel Garraway concluaient ce qui suit (au point a) du paragraphe 3) [CM/vol. 7/annexe 142/p. vi] :
«Si la plupart des tribunaux militaires ont effectivement compétence pour connaître des infractions civiles que sont l’espionnage et le terrorisme, en sus d’infractions connexes de même nature au regard du droit militaire, cette compétence est souvent limitée aux infractions commises par des personnes relevant déjà de leur juridiction.» (Les italiques sont de nous.)
32. Citant le rapport des spécialistes du droit militaire, l’Inde affirme, au point b) du paragraphe 154 de sa réplique :
«Dans la conclusion figurant au paragraphe 3 de leur rapport, [les auteurs] relèvent que les tribunaux militaires ne sont compétents pour connaître d’infractions civiles telles que l’espionnage et le terrorisme (c’est-à-dire d’infractions ne tombant pas sous le coup du droit applicable aux membres des forces armées) qu’à l’égard des personnes relevant déjà de la juridiction militaire.» (Les italiques sont de nous.)
33. Il apparaît ainsi que l’Inde a erronément omis la nuance apportée par le mot «souvent», ce qui a pour effet de modifier sensiblement le sens de la phrase : on passe d’une limitation qui n’est pas universelle et (de façon tout à fait légitime) n’existe pas dans le système judiciaire
13
- 9 -
militaire de certains Etats (ce que les spécialistes du droit militaire entendaient manifestement dire) à une limitation stricte et générale faisant obstacle à toute poursuite de civils (catégorie dans laquelle l’Inde persiste à vouloir ranger le commandant Jadhav, malgré tous les éléments attestant le contraire et sans nullement essayer d’étayer ses propos) au titre d’infractions relevant de l’espionnage ou du terrorisme (sens que l’Inde aurait assurément préféré). La modification par le demandeur des conclusions formulées dans le rapport est donc délibérée, mensongère et totalement inappropriée.
Troisième déformation des faits
34. Dans leur rapport, le général de brigade Paphiti et le colonel Garraway concluaient ce qui suit (au point f) du paragraphe 3) [CM/vol. 7/annexe 142/p. vii] :
«Nous avons conscience des critiques générales formulées à l’égard des tribunaux qui statuent sur les infractions relevant du terrorisme tant en Inde qu’au Pakistan. Nous ne sommes cependant pas en mesure d’apprécier le bien-fondé de ces critiques sans procéder à de nouvelles recherches et analyses approfondies.» (Les italiques sont de nous.)
35. Citant le rapport des spécialistes du droit militaire, l’Inde affirme, au point e) du paragraphe 154 de sa réplique :
«En conclusion, les experts indiquent fort prudemment que, s’ils ont bien conscience des critiques adressées aux tribunaux qui jugent les auteurs présumés d’actes de terrorisme, ils ne sont pas en mesure «d’apprécier le bien-fondé de ces critiques sans procéder à de nouvelles recherches et analyses approfondies».»
36. Il est évident que l’Inde sous-entend que les auteurs du rapport font uniquement référence aux tribunaux militaires pakistanais, alors que, comme cela apparaît clairement, les critiques dont il est fait état existent «tant en Inde qu’au Pakistan» (les italiques sont de nous). Le demandeur fabrique ainsi de toutes pièces un autre fondement lui permettant de décrédibiliser les spécialistes du droit militaire ; elle ne peut cependant y parvenir qu’en faisant une interprétation délibérément erronée de la première phrase du paragraphe pertinent afin de dénaturer les conclusions de ces derniers.
37. Si l’Inde s’est livrée à un exercice de déformation aussi manifeste, c’est parce qu’elle est dans l’incapacité d’apporter une réponse, et encore moins une réponse probante, au rapport des spécialistes du droit militaire.
38. De surcroît, l’Inde reconnaît clairement que l’existence d’un second degré de juridiction efficace au sein du système judiciaire pakistanais rend en réalité inutile (au mieux) la requête qu’elle a présentée à la Cour, puisqu’elle persiste à demander à celle-ci de prescrire «au moins» [CM/vol. 1/annexe 5.1/p. 42/par. 95] l’acquittement ou la libération du commandant Jadhav. Lorsqu’elles sont saisies, les juridictions pakistanaises peuvent en effet exercer un contrôle sur les décisions des tribunaux militaires, ce qu’elles font effectivement. C’est tout simplement à tort que l’Inde soutient le contraire.
14
- 10 -
B. La Haute Cour et la Cour suprême du Pakistan continuent d’exercer un contrôle strict sur les décisions des tribunaux militaires
39. Dans sa réplique (aux paragraphes 26 et 152-157), l’Inde semble insinuer, en dépit de ce qu’affirment les spécialistes du droit militaire dans leur rapport, que les juridictions civiles pakistanaises (qui ont toujours jugé qu’elles avaient compétence pour exercer un contrôle sur les décisions des tribunaux militaires) ne constituent pas, pour le Pakistan, un moyen efficace de «procéder à un «réexamen et à une revision» de la décision rendue contre le commandant Jadhav.
40. Le Pakistan s’abstiendra d’effectuer une comparaison entre la Cour suprême de l’Inde et la sienne (ainsi que le demandeur prétend le faire dans sa réplique, aux paragraphes 23-25 et au point d) du paragraphe 154). Toutes deux sont des institutions respectables et tenter de les comparer n’a aucun sens dans le contexte de la présente espèce.
41. Le défendeur donnera ci-après trois exemples dans lesquels des juridictions civiles pakistanaises ont procédé à un contrôle strict de condamnations à mort prononcées par des tribunaux militaires depuis le 18 mai 2017 (date à laquelle a été présentée la demande en indication de mesures conservatoires).
42. En août 2016, une requête a été soumise à la Haute Cour de Peshawar par Fazal Ghafoor, le père de «Fazal Rabi», dans laquelle celui-ci contestait la déclaration de culpabilité et la condamnation à la peine capitale prononcées contre son fils par un tribunal militaire et demandait, à titre conservatoire, qu’il soit sursis à l’exécution de la peine en attendant l’issue de ce recours. Le 29 août 2016, le président de la Haute Cour de Peshawar a rendu une ordonnance suspendant l’exécution de la peine capitale prononcée contre «Fazal Rabi». Le 20 septembre 2016, cette suspension a été prorogée par une nouvelle ordonnance du président de la Haute Cour [vol. 1/annexe 33]. Le 25 mai 2017, ce dernier a rendu une décision rejetant la requête. En juin 2017, le père de «Fazal Rabi» a introduit un recours contre la décision de la Haute Cour de Peshawar devant la Cour suprême du Pakistan [vol. 1/annexe 34]. Le 19 juillet 2017, cette dernière a rendu une ordonnance dans laquelle il était indiqué «Dans l’attente de l’examen du pourvoi, il ne sera pas procédé à l’exécution du demandeur6» [vol. 1/annexe 35/p. 1] ; il a ainsi été sursis à l’exécution de la peine capitale prononcée contre l’intéressé.
43. En janvier 2016, une requête a été soumise à la Haute Cour de Lahore par Muhammad Liaqat, le père de «Shafaqat Farooqi», dans laquelle celui-ci contestait la déclaration de culpabilité et la condamnation à la peine capitale prononcées contre son fils par un tribunal militaire. Le 13 décembre 2016, la Haute Cour a rendu un jugement rejetant cette requête. Muhammad Liaqat a ensuite introduit un recours contre cette décision devant la Cour suprême du Pakistan [vol. 1/annexe 36]. Le 22 janvier 2018, une chambre de la Cour suprême constituée de deux juges a rendu une ordonnance dans laquelle il était indiqué «Dans l’attente de l’examen du pourvoi, il sera sursis à l’exécution du demandeur» [vol. 1/annexe 37/p. 1/par. 2] ; l’exécution de la peine capitale prononcée contre «Shafaqat Farooqi» a ainsi été suspendue.
44. Le 8 mai 2018, le père de «Burhan-ud-Din» a soumis une requête à la Haute Cour de Peshawar, dans laquelle il contestait la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre son fils et demandait, à titre conservatoire, «qu’il soit sursis à l’exécution du condamné/détenu, Burhan-ud-Din, en attendant que soit rendue la décision définitive concernant la présente requête» [vol. 1/annexe 38/p. 4]. Le 9 mai 2018, le président de la Haute Cour a rendu
6 Le terme «demandeur» renvoie évidemment à la personne condamnée, bénéficiaire de la mesure conservatoire.
15
- 11 -
une ordonnance dans laquelle il était indiqué «L’exécution de la peine capitale prononcée par le tribunal militaire à l’encontre du condamné est suspendue» [vol. 1/annexe 39] ; il a ainsi été sursis à l’exécution de la peine capitale prononcée contre l’intéressé moins de 24 heures après le dépôt d’un recours contre cette peine.
- 12 -
III. L’INDE PERSISTE À REFUSER DE TRAITER LA QUESTION DU PASSEPORT
45. Dans sa réplique, l’Inde cherche une fois de plus à détourner l’attention d’une question fondamentale, que le Pakistan a soulevée auprès d’elle à maintes reprises et à laquelle elle a toujours refusé de répondre.
46. Cette question fondamentale (que le Pakistan a qualifiée, au paragraphe 121 de son contre-mémoire, de «centrale») est la suivante :
«Comment le commandant Jadhav, dont l’Inde admet qu’il était membre de ses forces armées mais laisse (opportunément) entendre qu’il serait parti à la retraite peu de temps avant son arrestation, a-t-il pu effectuer des voyages fréquents à partir de son territoire et à destination de celui-ci, muni d’un passeport indien authentique établi sous une fausse identité et un nom musulman ?»
47. Cette question elle-même en appelle d’autres encore, qui revêtent également une grande importance. Toutes ces questions ont été régulièrement posées à l’Inde depuis le 31 mai 2017, et celle-ci pourrait aisément y répondre. Or, elle refuse de le faire, cherchant à les escamoter au motif qu’elles n’auraient «pas la moindre pertinence» (réplique/paragraphe 97) ou constitueraient une «propagande malveillante» [vol. 1/annexe 17/p. 2-3/par. iv)]. La réponse du demandeur est en soi éloquente et ne peut que le compromettre.
48. Le Pakistan réitère que, lors de son arrestation, le commandant Jadhav était en possession d’un passeport indien (n° L9630722, délivré le 12 mai 2014 et valable jusqu’au 11 mai 2024) établi au nom musulman de «Hussein Mubarak Patel» (ci-après le «passeport»).
49. Comme cela a été exposé aux paragraphes 206 à 209 du contre-mémoire, le Pakistan a demandé à maintes reprises à l’Inde de fournir des informations concernant ce passeport, ce que celle-ci a obstinément refusé de faire, préférant détourner l’attention, opérer des diversions, déformer les faits ou opposer un silence assourdissant.
A. Les six demandes adressées à l’Inde depuis le 31 mai 2017 concernant la question du passeport
 note verbale en date du 31 mai 2017 adressée au haut-commissariat de la République de l’Inde à Islamabad par le ministère des affaires étrangères du Pakistan (réf. : n° Ind(I)-5/20/2017) [CM/vol. 2/annexe 42] ;
 note verbale en date du 30 août 2017 adressée au haut-commissariat de la République de l’Inde à Islamabad par le ministère des affaires étrangères du Pakistan (réf. : n° Ind(I)-5/20/2017) [CM/vol. 2/annexe 43] ;
 note verbale en date du 26 octobre 2017 adressée au haut-commissariat de la République de l’Inde à Islamabad par le ministère des affaires étrangères du Pakistan (réf. : n° IND(I)-5/20/2017) [CM/vol. 2/annexe 44] ;
 note verbale en date du 19 janvier 2018 adressée au haut-commissariat de la République de l’Inde à Islamabad par le ministère des affaires étrangères du Pakistan (réf. : n° Ind(I)-5/20/2018) [vol. 1/annexe 16] ;
16
17
- 13 -
 note verbale en date du 16 avril 2018 adressée au haut-commissariat de la République de l’Inde à Islamabad par le ministère des affaires étrangères du Pakistan (réf. : n° Ind(I)-5/20/2018) [vol. 1/annexe 18] ;
 note verbale en date du 3 mai 2018 adressée au haut-commissariat de la République de l’Inde à Islamabad par le ministère des affaires étrangères du Pakistan [vol. 1/annexe 19].
50. Le Pakistan a joint à la présente duplique l’ensemble desdites demandes ainsi que les réponses à celles-ci (pour autant qu’il en ait obtenu). A aucun moment l’Inde n’a cherché à aborder les questions simples et légitimes auxquelles elle devrait pourtant pouvoir répondre facilement (si ce n’était embarrassant pour elle).
51. Au lieu de cela, il apparaît clairement que :
1) Le Pakistan a déclaré que le passeport qui était en la possession du commandant Jadhav indiquait une identité manifestement fausse (un nom musulman) [CM/vol. 2/annexe 42/ p. 1/par. c)]. Comme à son habitude, l’Inde a présenté la situation sous un faux jour en alléguant que, selon le défendeur, le commandant Jadhav détenait un «faux» passeport [CM/vol. 2/annexe 33/p. 1/par. iii)].
2) En guise de réponse à une demande très circonstanciée qui lui avait été adressée le 30 août 2017 [CM/vol. 2/annexe 43], puis renouvelée le 26 octobre 2017 [CM/vol. 2/annexe 44], l’Inde a indiqué, dans une note verbale en date du 11 décembre 2017, que le Pakistan demandait de manière répétée des explications
«au sujet d’un document ressemblant à un passeport, et qui, selon les allégations du [défendeur], [était] clairement un faux … Ce dernier a[vait] soulevé des questions relatives à la provenance dudit document et … souhait[ait] obtenir à cet égard des explications de [s]a part.»
[Vol. 1/annexe 15/p. 2/par. 2]
L’Inde avait tout à fait raison et avait bien compris que le Pakistan souhaitait obtenir des explications concernant le passeport. Elle a toutefois déclaré (pour la première fois) qu’il s’agissait «clairement [d’]un faux» [vol. 1/annexe 15/p. 2/par. 2], sans fournir le moindre élément de preuve à l’appui d’une allégation aussi importante.
3) Par note verbale en date du 19 janvier 2018, l’Inde a notamment été invitée à préciser ce qui lui permettait d’affirmer que le passeport était «clairement un faux» [vol. 1/annexe 16/ p. 2-3/paragraphes de la partie B)].
4) A l’époque, l’Inde avait reçu le rapport de l’expert indépendant, M. David Westgate (produit le 13 décembre 2017 en tant qu’annexe 141 du contre-mémoire du Pakistan). Au paragraphe 169 de son contre-mémoire, le défendeur a résumé comme suit certaines des conclusions auxquelles M. Westgate était parvenu dans son rapport, après s’être livré à un examen approfondi du passeport :
«Le passeport est un document de voyage indien authentique, et non une contrefaçon» (paragraphe 9 du rapport de M. Westgate).
La partie intérieure du film comporte une impression de sécurité claire et intacte, et rien ne prouve que la photo du document ne soit pas celle d’origine (paragraphe 9 du rapport de M. Westgate).
18
- 14 -
D’après ma connaissance et ma compréhension du système d’immigration mis en oeuvre dans les aéroports indiens, les guichets sont reliés à une base de données centrale, et toute irrégularité relative à l’authenticité [d’]un passeport y est normalement signalée. J’en conclus que le nombre de fois où l’intéressé a présenté le document en cause à un guichet d’immigration en Inde pour entrer sur le territoire ou le quitter [M. Westgate ayant relevé plus tôt que cela s’était produit à au moins 17 reprises] tend à en prouver le caractère authentique. En outre, si des problèmes s’étaient posés au sujet du titulaire d’un passeport authentique, par exemple l’existence d’une notice Interpol I24/7, d’une inscription sur la liste centrale indienne des personnes surveillées, d’une procédure pénale ou de questions liées à l’identité de l’intéressé, il est fort probable qu’ils auraient été décelés au guichet d’immigration lorsque les fonctionnaires indiens ont contrôlé le passeport. Ces derniers examinent en effet tous les jours des centaines de passeports et possèdent donc bien plus d’expérience en la matière (paragraphe 15 du rapport de M. Westgate).»
5) Comment l’Inde a-t-elle répondu ? Eh bien, dans sa note verbale en date du 11 avril 2018, elle a allégué que les questions du Pakistan relatives au passeport «visaient à répandre des mensonges et la propagande du [défendeur] en la matière» [vol. 1/annexe 17/ p. 1/par. 2]. Avec tout le respect qui lui est dû, cette réponse, si elle est censée être directe et honnête, est incompréhensible, sachant que, de surcroît, la convaincante expertise susmentionnée avait été fournie au demandeur. Celui-ci ne s’est pas arrêté là ; il a ajouté que le défendeur lui-même avait décrit le passeport comme étant «manifestement faux» [vol. 1/annexe 17/p. 1/par. i)/l. 1-6] — en réalité, il convient de le relever, c’est cette affirmation qui était manifestement fausse. Défiant la logique de sa propre position (selon laquelle le passeport serait «clairement un faux» [vol. 1/annexe 15/p. 2/par. 2]), l’Inde a également nié que le commandant Jadhav ait été en possession d’un passeport falsifié [vol. 1/annexe 17/p. 1-2/par. i)] et avancé qu’il fallait y voir de la «malveillance et une énième mesure de propagande» [vol. 1/annexe 17/p. 2-3/par. iv)].
6) Le 16 avril 2018, le Pakistan a adressé à l’Inde une note verbale lui rappelant qu’il attendait qu’elle apporte, dans sa réplique, une réponse de fond à la question du passeport [vol. 1/annexe 18/p. 1/par. 6]. Or, on ne trouve dans cette pièce aucune trace ne serait-ce que d’un semblant de réponse. Aucune suite n’a par ailleurs été donnée à la note verbale précitée, pas plus qu’à une autre, en date du 3 mai 2018, dans laquelle le défendeur renouvelait ses demandes susmentionnées [vol. 1/annexe 19].
B. La position de l’Inde est manifestement indéfendable
52. Pour autant que l’Inde ait fait quelque effort pour aborder ou traiter la question du passeport dans sa réplique, le Pakistan soutient respectueusement que la position du demandeur est, au mieux, manifestement inappropriée et incohérente.
53. D’une part, au paragraphe 2 de sa réplique, l’Inde affirme que la question du passeport ne présente aucun intérêt ou est «sans rapport avec [celles qui sont] soulevées en la présente affaire». Le Pakistan affirme respectueusement que, comme il l’a clairement exposé dans son contre-mémoire, la question du passeport présente au contraire un intérêt direct aux fins de déterminer si la Cour devrait exercer sa compétence et s’il convient de faire droit aux mesures demandées par l’Inde, compte tenu de l’abus de droits auquel celle-ci s’est livrée, de l’illicéité de ses actes et de l’application de la doctrine des mains propres (question qui se pose sans l’ombre d’un doute en la présente espèce).
19
- 15 -
54. D’autre part, au paragraphe 6 de sa réplique, l’Inde déclare de but en blanc que le passeport est «manifestement falsifié car établi sous une fausse identité musulmane». Pareille déclaration exige d’être étayée par des éléments de preuve, et ce, plus encore au vu du rapport clair et convaincant établi par M. Westgate.
55. En outre, le paragraphe 92 de la réplique de l’Inde semble, en lui-même, constituer un aveu qui, à tout le moins, exige des explications7.
56. Dans sa réplique, l’Inde cherche à créer la confusion sur la question en affirmant, à la note de bas de page no 3 afférente au paragraphe 14, que ce que le Pakistan lui-même dit du passeport, à savoir qu’il s’agit d’un document authentique attribuant une fausse identité au commandant Jadhav, «est un non–sens». Or, il s’agit là d’une déclaration factuelle simple, claire et exacte. Un passeport peut être un document authentique tout en attribuant une fausse identité à son porteur. Les cas sont bien évidemment rares, car il serait tout à fait inapproprié pour un Etat membre de l’Organisation des Nations Unies de délivrer un passeport authentique attribuant une fausse identité. L’intention et l’objectif indignes qui sous-tendent un tel acte (le document en question ayant pour but de dissimuler la véritable identité de son porteur) sont par trop évidents.
57. L’Inde continue de faire abstraction de ce sur quoi le Pakistan a maintes fois tenté d’obtenir des précisions et qu’elle a toujours refusé d’expliquer (mais qui est à présent confirmé par le rapport Westgate, [CM, vol. 7, annexe 141]), à savoir que le passeport était un passeport authentique (c’est-à-dire réel ou véritable) délivré par les autorités indiennes compétentes, mais sous un nom (musulman) différent de celui du commandant Jadhav (c’est là que réside la falsification).
58. Le Pakistan observe que l’Inde dispose d’un exemplaire du rapport Westgate [CM, vol. 7, annexe 141] depuis le 13 décembre 2017. Or, elle n’a pas manifesté la moindre velléité (que ce soit dans ses échanges de correspondance avec le Pakistan ou dans les écritures qu’elle a soumises à la Cour) d’aborder ou de traiter les conclusions de ce rapport (même pour les réfuter substantiellement).
59. Au lieu de cela, au paragraphe 97 de sa réplique, l’Inde se contente d’une remarque inutile en parlant d’«un prétendu rapport d’expert concernant le passeport qu’il [le Pakistan] s’est procuré unilatéralement» (les italiques sont de nous).
60. En qualifiant M. Westgate de «prétendu» expert, l’Inde cherche à dénigrer l’expertise de ce dernier. Le Pakistan appelle donc l’attention sur les qualifications et compétences techniques de l’intéressé, telles qu’elles sont mentionnés dans son rapport et reproduites ci-après, aux paragraphes 65 à 67.
61. Pour autant que l’Inde cherche à le critiquer pour avoir engagé «unilatéralement» M. Westgate, le Pakistan note qu’elle avait connaissance de la question du passeport depuis le 25 mars 2016 [CM, vol. 2, annexe 12] ou, au plus tard, le 23 janvier 2017 [CM, vol. 2, annexe 17, p. 12-14]. Depuis le 31 mai 2017 [CM, vol. 2, annexe 42], le Pakistan a plus spécifiquement
7 Au paragraphe 92 de la réplique, l’Inde semble (peut-être involontairement) reconnaître que le passeport est un élément de preuve prima facie d’actes d’espionnage et de terrorisme : «la nature des éléments de preuve (autres que les aveux manifestement extorqués et le passeport falsifié) susceptibles d’établir que l’intéressé se livrait à des actes d’espionnage et de terrorisme» (les italiques sont de nous).
20
- 16 -
demandé à maintes reprises à l’Inde de fournir des informations concernant ce passeport (informations qu’il aurait été très simple pour elle, en tant qu’autorité de délivrance des passeports indiens, d’obtenir et de lui fournir, ainsi qu’à la Cour), mais elle a toujours refusé de le faire. Il est inconcevable qu’elle ne puisse pas accéder à sa propre base de données ni aux ressources de l’Etat pour fournir les explications nécessaires concernant la question du passeport. La réalité est donc bien plus simple ; si l’Inde s’en est abstenue et continue de s’en abstenir, c’est pour des raisons tout à fait évidentes (y compris pour la Cour).
62. De fait, la provenance et l’authenticité du passeport ayant à présent été établies par un expert indépendant et hautement qualifié, c’est à l’Inde qu’il revient de réfuter les conclusions inéluctables qui en découlent. Au lieu de cela, le demandeur se dérobe, et ce, avec tout le respect qui lui est dû, en pratiquant l’invective. Pourquoi ? Le Pakistan observe que deux questions distinctes pourraient se poser à propos du passeport :
1) Quels éléments de preuve l’Inde a-t-elle fournis au Pakistan pour établir que le commandant Jadhav était effectivement un ressortissant indien bénéficiant de la protection diplomatique ? Aucun. Sa réponse, au paragraphe 100 de sa réplique, selon laquelle les autorités pakistanaises ont indiqué à la communauté internationale, en mars 2016, que le commandant Jadhav «avait été envoyé au Pakistan par [elle] afin d’y mener des activités d’espionnage», ne saurait constituer une exonération/un estoppel (si toutefois tel est l’argument du demandeur). Cela ne saurait être compris comme une reconnaissance claire et sans équivoque de la nationalité indienne de l’intéressé. Pour être tout à fait clair, cela signifie que celui-ci est «un espion au service de l’Inde». Si l’Inde souhaitait affirmer qu’il était un ressortissant indien, mais pas un espion, il lui incombait d’expliquer comment il pouvait posséder et utiliser un passeport lui attribuant une fausse identité musulmane. Or, le demandeur a bien pris soin d’éviter de donner quelque explication à ce sujet et le Pakistan comprend fort bien pourquoi il ne souhaite pas creuser sa propre tombe.
2) Compte tenu de l’illicéité manifeste qui sous-tend la question du passeport (attribution d’un faux nom, délivrance par les autorités indiennes, document fréquemment utilisé et trouvé en la possession de l’intéressé lorsque celui-ci a été arrêté au Pakistan), il appartient à l’Inde d’expliquer ce point comme cela lui a été demandé à de nombreuses reprises. Autrement dit, non seulement l’Inde a les mains sales et la requête qu’elle a déposée devant la Cour est entachée d’une grave illicéité, mais elle fait également montre d’une absence manifeste de bonne foi à ce sujet.
63. En outre, le Pakistan soutient, avec tout le respect qui lui est dû, que l’Inde ne saurait affirmer, face au rapport Westgate (et sans fournir ni même tenter de fournir quelque élément prouvant ou justifiant cette assertion), que le passeport est un faux. S’il peut s’agir, de la part du demandeur, d’une simple et tentante diversion, cela exige néanmoins une explication.
64. Le Pakistan affirme de nouveau respectueusement que le fait que l’Inde ait refusé ou manqué d’aborder les questions que soulève le passeport est d’autant plus troublant que celles-ci sont simples et qu’ elle pourrait y répondre facilement.
65. Au paragraphe 2 de son rapport, M. Westgate a exposé comme suit ses compétences et qualifications [CM, vol. 7, annexe 141] :
«J’ai travaillé pendant plus de 27 ans au ministère de l’intérieur et à la direction du renseignement sur l’immigration du Royaume-Uni, période pendant laquelle j’ai acquis une très vaste expérience des procédures de contrôle des frontières et de
21
- 17 -
vérification des documents. Pendant toutes ces années, j’ai manipulé quotidiennement des documents de voyage. De 1990 à 2001, j’ai fait partie de l’équipe du terminal 4 de l’aéroport de Heathrow chargée de la lutte contre la contrefaçon, avant d’être détaché à New Delhi auprès du ministère des affaires étrangères et du Commonwealth en qualité de conseiller des compagnies aériennes et des agents contrôlant la sécurité des frontières en matière de contrefaçon et de fraude aux documents de voyage, et ce, pour l’Inde septentrionale et le Népal. J’ai également travaillé en tant qu’agent des visas détaché auprès du bureau du ministère des affaires étrangères et du Commonwealth à Karachi, au Pakistan. A mon retour au Royaume-Uni, en 2004, et jusqu’à ce que je quitte le ministère de l’intérieur en février 2017, j’ai travaillé en tant que responsable de l’immigration au sein de l’unité nationale britannique chargée de la lutte contre la fraude documentaire. Cette unité centralise les connaissances et les informations relatives aux documents de voyage pour le ministère de l’intérieur. J’ai par ailleurs exercé les fonctions d’expert auprès des Crown courts et des tribunaux de première instance (Magistrates courts) en tant que représentant du ministère de l’intérieur dans des affaires de fraude documentaire.»
66. M. Westgate n’était donc pas seulement un haut fonctionnaire des autorités britanniques en matière d’immigration doté d’une longue et très solide expérience ; il était également responsable de l’organe traitant précisément de la détection des fraudes dans les documents de voyage, à savoir l’unité nationale britannique chargée de la lutte contre la fraude documentaire.
67. En outre, et c’est tout aussi important, M. Westgate a passé trois ans en Inde en tant qu’officier de liaison de la direction du renseignement sur l’immigration ce qui, comme l’indique le curriculum vitae joint à son rapport [CM, vol. 7, annexe 141, p. 10], consistait notamment à :
«[t]ravailler, dans toute l’Inde septentrionale et le Népal, en étroite collaboration avec les agents des services de renseignement et la police de l’Inde, ainsi que les services de sécurité et des visas du Royaume–Uni ; conseiller les autorités indiennes et népalaises chargées du contrôle des frontières sur les documents de voyage et les questions de sécurité».
68. C’est peut-être en raison de l’expertise spécifique et incontestable de M. Westgate que l’Inde, plutôt que de chercher à réfuter les éléments de preuve que celui-ci a présentés dans son rapport, s’efforce de les ignorer.
69. En outre, étant donné que l’Inde dispose d’une base de données relatives à l’immigration informatisée et centralisée [CM, vol. 7, annexe 141, p. 7, par. 15], il lui serait facile d’entrer le numéro du passeport dans cette base de données et de faire savoir au Pakistan et à la Cour si ledit document y est bien enregistré sous ce numéro.
70. Même si ce passeport particulier ne figure pas dans la base de données de l’Inde, il incombe à cette dernière d’expliquer comment (comme l’a conclu M. Westgate) il a pu être utilisé au moins 17 fois pour passer les services d’immigration à l’entrée et à la sortie de son territoire [CM, vol. 7, annexe 141, p. 7, par. 14]. A chacune de ces occasions, n’importe quel système de télévision en circuit fermé ou autre caméra installée près des guichets de l’immigration aurait saisi et enregistré l’image de la personne se présentant avec ce passeport, ainsi que la date et l’heure précise de son passage.
22
- 18 -
71. En outre, de nombreux aéroports internationaux sont équipés de systèmes de balayage d’empreintes digitales, les passagers qui entrent ou qui sortent par ces aéroports étant tenus de s’y soumettre8. Or, ce balayage d’empreintes est conservé pour les autorités compétentes.
72. De plus, comme l’a fait observer M. Westgate, le passeport portait des visas iraniens valides [CM, vol. 7, annexe 141, p. 3, par. 11]. Or, la procédure de demande de visa pour l’Iran exige de soumettre un formulaire accompagné de documents [vol. 1, annexe 31] et il serait parfaitement possible à l’Inde de vérifier si ces visas ont été obtenus de manière irrégulière par le commandant Jadhav (qui se faisait passer pour «Hussein Mubarak Patel»).
73. Malgré la simplicité de pareilles mesures d’investigation, et la facilité avec laquelle elle pourrait les prendre, l’Inde a constamment refusé ou manqué de traiter ou d’aborder ces questions. Avec tout le respect dû au demandeur, le Pakistan soutient que ce refus ou manquement est éloquent.
74. A la lumière des conclusions claires, fiables et convaincantes contenues dans le rapport indépendant de M. Westgate, le Pakistan soutient que l’Inde a fourni le passeport en question au commandant Jadhav, et l’a donc ainsi (hélas) équipé pour accomplir des actes illicites d’une manière qui s’apparente fort à la fourniture d’armes. La Cour se souviendra de l’alinéa g) du paragraphe 2 et de l’alinéa a) du paragraphe 3 de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité de l’ONU [CM, vol. 5, annexe 89], dans lequel celui-ci souligne l’importance de veiller à ce qu’il ne soit pas fait un usage illicite des documents de voyage et à ce que ces derniers soient examinés minutieusement afin d’éviter qu’ils ne soient utilisés pour faciliter des actes graves de terrorisme.
75. En fournissant le passeport en question au commandant Jadhav, l’Inde lui a matériellement permis d’accomplir des actes illicites sur le territoire du Pakistan et à l’encontre de celui–ci ainsi que de ses ressortissants, et doit donc être tenue pour responsable.
76. En outre, le passeport en question est un élément de preuve clair et décisif de l’activité clandestine et illicite du commandant Jadhav, et c’est un document qui n’a pu être établi que par les autorités indiennes et ne peut provenir que de l’Inde. Dès lors, il est regrettable (même si ce n’est pas du tout une surprise) que l’Inde cherche à éviter d’aborder tout aspect de la question du passeport.
77. Dans la section III C) de son contre mémoire, le Pakistan a exposé en détail ses conclusions sur le comportement illicite de l’Inde, précisant, au paragraphe 219, que celle-ci s’était «rendue coupable d’un comportement illicite grave en fournissant au commandant Jadhav un passeport authentique et une fausse identité, puis en l’envoyant au Pakistan pour y commettre des actes d’espionnage et de terrorisme en violation de la Charte des Nations Unies». Il a donc invité la Cour à déclarer la demande de l’Inde irrecevable ou à la rejeter sur la base des doctrines de l’illicéité, des mains propres ou du principe ex injuria jus non oritur. Soit le grave comportement de l’Inde est la cause principale de la procédure devant la Cour, soit il a pour effet de faire obstacle à toute forme de remède qui pourrait être accordé au demandeur.
8 Un article du Times of India semble indiquer que des systèmes de balayage d’empreintes digitales avaient été installés dans les aéroports internationaux de l’Inde depuis mai 2011 (ou devaient l’être peu de temps après) précisément pour lutter contre les fraudes liées à l’identité dans les documents de voyage et contre l’utilisation de faux documents de voyage [vol. 1, annexe 30].
23
- 19 -
78. Dans sa correspondance et dans sa réplique, l’Inde n’a pas cherché à traiter cette conclusion essentielle. Au paragraphe 56 de ladite pièce, elle a au contraire affirmé avoir «répondu en détail» à la demande d’entraide judiciaire du Pakistan par le biais de sa note verbale datée du 11 décembre 2017 [vol. 1, annexe 15], ce qui est manifestement indéfendable.
79. L’Inde continue d’éluder la question, y compris en persistant à affirmer, dans sa note verbale datée du 11 avril 2018, que le passeport est un «faux» [vol. 1, annexe 17, p. 2-3, par. iv] (et ce, malgré les conclusions claires et convaincantes du rapport Westgate).
80. En outre, l’Inde a qualifié les préoccupations et questions exprimées par le Pakistan à l’égard du passeport de «propagande» [vol. 1, annexe 17, p. 2-3, par. iv], de «farce» [vol. 1, annexe 15, p. 2, par. 2 ; et vol. 1, annexe 17, p. 3, par. 2], d’«attitude malveillante» [vol. 1, annexe 17, p. 2-3, par. iv] et de «litanie de fausses accusations» (réplique, par. 39).
C. Le Pakistan n’est pas le seul à questionner l’Inde au sujet du passeport
81. Le Pakistan n’est pas le seul à demander des explications à l’Inde. Des journalistes indiens chevronnés et respectés posent des questions très semblables et ne reçoivent (au mieux) que des réponses évasives.
82. Au paragraphe 50 de sa réplique, le demandeur déclare ce qui suit :
«Certains journalistes indiens ont effectivement formulé les commentaires que le Pakistan invoque fort opportunément. Ceux-ci reflètent la liberté dont jouit la presse en Inde, où aucune entrave n’est faite à l’expression des opinions individuelles, même lorsqu’elles sont contraires à la position du Gouvernement.»
83. L’on peut supposer (l’Inde n’ayant pas donné davantage de précisions) qu’il s’agit là d’une allusion à l’article rédigé le 21 avril 2017 par le très respecté journaliste indien Karan Thapar (auquel le Pakistan a fait référence au paragraphe 85 et à l’annexe 28 de son contre-mémoire). En réalité, au moins trois journalistes indiens chevronnés ont soulevé, séparément et publiquement, des questions analogues à cet égard sans obtenir la moindre réponse des autorités indiennes sur le fond. Il n’est pas question ici de la liberté d’exprimer une opinion ; il est question d’un Etat qui apporte (ou plutôt refuse d’apporter) des réponses à des questions légitimes.
84. Par sa réponse, le demandeur cherche en effet à escamoter ce point. Le passeport détenu par le commandant Jadhav lors de son arrestation (sur lequel figure le nom de «Hussein Mubarak Patel») soulève des questions simples (et déterminantes) auxquelles il serait pourtant à même de répondre  mais il refuse de le faire.
The Quint — 5 janvier 2018
85. A cet égard, le Pakistan relève que, le 6 janvier 2018, il a été largement rapporté [vol. 1/annexe 21] que The Quint9 avait été contraint de retirer un article, publié la veille, que son
9 Plate-forme indienne d’information en ligne fondée par M. Ragav Bahl  l’un des fondateurs et ancien directeur général de Network18 Group (important réseau indien de chaînes de télévision d’information en continu) [vol. 1/annexe 23].
24
- 20 -
rédacteur en chef, M. Chandan Nandy10, avait consacré au commandant Jadhav [vol. 1/annexe 20]. Le site n’a pas encore donné la moindre explication sur les raisons qui l’ont poussé à prendre cette mesure subite. Le Pakistan a connaissance d’articles de presse laissant entendre que des pressions ont été exercées sur lui, mais faute d’explication de première main, il ne peut que s’en tenir là11.
86. Selon cet article (intitulé «De hauts fonctionnaires du RAW étaient défavorables à Jadhav»), «deux anciens hauts fonctionnaires du service de renseignement extérieur de l’Inde, dont l’un de ses dirigeants après 2008» [vol. 1/annexe 20/p. 1/par. 2], ont déclaré que le recrutement du commandant Jadhav par le RAW constituait l’une des
«quelques tentatives de redoubler d’efforts pour utiliser des sources humaines en tant qu’agents d’«infiltration profonde» au Pakistan, où la plupart des ressources en matière de renseignement, tant humaines qu’électromagnétiques, avaient été supprimées pendant le mandat de premier ministre d’I. K. Gujral, à la fin des années 1990». [Vol. 1/annexe 20/p. 1/dernier paragraphe.]
87. L’article précisait également ce qui suit :
«L’élément attestant le plus clairement que M. Jadhav agissait pour le compte du RAW n’a été mis en évidence qu’après que l’intéressé eut perdu sa couverture — celle d’un homme d’affaires se rendant occasionnellement en Iran, et en particulier à Chabahar — et eut été capturé par le Pakistan, un ancien chef du RAW, ainsi qu’au moins deux autres hauts responsables de ce service, ayant ensuite appelé ses parents, qui résident à Mumbai, pour leur «recommander» de ne parler à personne du cas de leur fils.
L’autre élément de preuve était le second passeport trouvé en la possession de Jadhav, sur lequel figurait le nom de Hussein Mubarak Patel et dont il ressort qu’il a été initialement délivré en 2003, puis renouvelé en 2014. Ce document (n° L9630722) avait été délivré à Thane le 12 mai 2014 et devait expirer le 11 mai 2024.
Si l’un des passeports (no E6934766) a été établi au nom de M. Jadhav, le second soulève en revanche davantage de questions, notamment en ce qui concerne la date de sa délivrance et les raisons pour lesquelles l’intéressé a utilisé le nom de Hussein Mubarak Patel pour effectuer une transaction immobilière (avec sa mère) à Mumbai, où il vivait avec ses parents, son épouse et ses enfants avant d’être arrêté par la Direction pour le renseignement interservices du Pakistan (ISI).»
[Vol. 1/annexe 20/p. 2/par. 3-5]
88. Au paragraphe 50 de sa réplique, l’Inde cherche à écarter la référence faite par le Pakistan à l’enquête effectuée par M. Karan Thapar au motif qu’elle serait «opportun[iste]». Pourtant, le fait que plusieurs journalistes indiens chevronnés et respectés appellent l’attention sur des points factuels essentiels de la présente espèce, dont la détention, par le commandant Jadhav, d’un passeport authentique sur lequel figurait un faux nom, donne à penser (à tout le moins) que les
10 M. Chandan Nandy est rédacteur en chef des rubriques politique et opinion au Quint depuis mai 2015 [vol. 1/annexe 22]. Il était auparavant assistant de rédaction principal à Times Group, propriétaire du Times of India (journal anglophone le plus diffusé en Inde et l’un des journaux indiens de référence).
11 Plusieurs médias indiens ont rapporté qu’une plainte pour sédition avait été déposée au titre de l’article 124A du code pénal indien à l’encontre de M. Chandan Nandy et du Quint pour cet «article antinational» [vol. 1/annexe 24].
25
- 21 -
demandes d’informations y afférentes que le défendeur a adressées au demandeur étaient justifiées et légitimes.
Frontline — 31 janvier 2018
89. Le 31 janvier 2018, le très respecté journaliste indien Praveen Swami12 a publié dans Frontline13 un article intitulé «La guerre secrète de l’Inde» [vol. 1/annexe 25], dans lequel il a écrit ceci :
«En principe, établir la véracité de l’affirmation selon laquelle M. Jadhav est toujours au service de la marine indienne ne devrait présenter aucune difficulté. Le Journal officiel de l’Inde rend en effet compte de manière on ne peut plus détaillée de la nomination, des promotions, des départs à la retraite, etc. des fonctionnaires militaires et civils. Ayant été incorporé dans la marine en 1987, avec le numéro matricule 41558Z, Kulbhushan Sudhir Jadhav aurait sans doute été promu au grade de commandant après treize années de service, soit en 2000.
Les archives numériques du Journal officiel de l’Inde, qui sont accessibles au public, ne contiennent cependant plus aucun des dossiers relatifs au ministère de la défense correspondant à plusieurs mois de l’an 2000. Ceux des années qui suivent ne font pas état d’un départ à la retraite de M. Jadhav, bien que des erreurs ou omissions ne puissent être exclues, tant s’en faut, s’agissant du Journal officiel.»
Le Gouvernement indien a dit à la Cour internationale de Justice que M. Jadhav était un officier de marine à la retraite  ce qui n’est, en tout état de cause, pas pertinent aux fins de la procédure devant la Cour , tout en refusant de préciser la date exacte du départ à la retraite de l’intéressé.
En réponse à une question écrite de M. Swami, le quartier général de la marine a refusé de confirmer ou de nier que M. Jadhav était toujours en service, renvoyant le journaliste au ministère des affaires étrangères, lequel a, quant à lui, indiqué n’avoir «rien à ajouter à ce qui a[vait] déjà été rendu public».» (Les italiques sont de nous.)
[Vol. 1/annexe 25/p. 1/par. 8-11]
90. Le Pakistan soutient que la méthode consistant à éviter ou éluder les questions simples et légitimes concernant le commandant Jadhav (qu’elles émanent de journalistes indiens respectés ou de lui-même), qui a été celle du Gouvernement indien à maintes reprises en l’espèce, est aussi révélatrice qu’inacceptable.
91. L’auteur de l’article soulève ensuite des points de la plus haute importance concernant les passeports du commandant Jadhav :
«En décembre 2003, M. Jadhav s’est rendu de Pune en Iran en se servant d’un passeport (E6934766) sur lequel figurait le nom de Hussein Mubarak Patel. Il était indiqué sur ce document que «M. Patel» résidait dans la Martand Cooperative
12 M. Praveen Swami est un journaliste indépendant qui était auparavant rédacteur en chef de la rubrique diplomatique au Daily Telegraph à Londres (2010-2011), rédacteur en chef adjoint du Hindu (2011-2013) et rédacteur en chef (affaires stratégiques et internationales) au Indian Express (2014-2017) [vol. 1/annexe 27].
13 Frontline est une revue d’actualité bimensuelle anglophone publiée par The Hindu Group de Chennai (Inde), propriétaire du Hindu (deuxième journal anglophone le plus diffusé en Inde et l’un des journaux indiens de référence).
27
26
- 22 -
Housing Society à Pune, aucun numéro d’appartement n’étant toutefois précisé. Il n’y a pas eu d’enquête officielle sur la manière dont ce passeport avait été délivré.
Il ressort des archives du bureau des passeports de Pune que le document en question appartenait auparavant à une autre personne, mais aucune adresse ne figure dans les dossiers. Le Gouvernement indien n’a pas expliqué comment M. Jadhav a pu se procurer ce passeport.»
[Vol. 1/annexe 25/p. 2/par. 7-8]
92. Et le journaliste d’ajouter :
«En 2014, M. Jadhav a obtenu le passeport (L9630722) en possession duquel il a fini par être arrêté au Pakistan et qui avait été délivré à Thane. Cette fois, il a indiqué qu’il résidait au complexe Jasdanwala, sur l’ancienne route reliant Mumbai à Pune et traversant Navi Mumbai. Il ressort des registres municipaux que l’appartement appartenait à sa mère, Mme Avanti Jadhav.»
[Vol. 1/annexe 25/p. 3/par. 7]
93. Comme on pouvait s’y attendre, le 3 février 2018, le porte-parole officiel du ministère indien des affaires étrangères a préféré rejeter l’article de M. Swami, le qualifiant d’«inventé de toutes pièces et [de] malveillant» [vol. 1/annexe 29], plutôt que de chercher à réfuter un tant soit peu son contenu. Ces propos nous semblent très familiers et font écho à la réponse donnée au Pakistan sur ce point.
94. De fait, M. Swami et Frontline ont essuyé des critiques virulentes en Inde, dans les médias traditionnels et les médias sociaux, après la publication de l’article précité. Les auteurs de ces critiques ont parfois aussi exhorté le Gouvernement indien à faire preuve de fermeté à l’égard des journalistes dont le travail «compromet[tait] l’intérêt national et aid[ait], délibérément ou non, les ennemis étrangers depuis le sol indien» [vol. 1/annexe 28/p. 4/dernier paragraphe].
95. Si le Pakistan appelle l’attention sur ces questions, c’est simplement pour montrer que la méthode suivie par l’Inde dans ce contexte a consisté i) à ne rien dire, ii) à attaquer et iii) à détourner les faits  que ce soit le défendeur ou ses propres journalistes indépendants et respectés qui lui aient demandé des explications.
Observations
96. Le dépôt de la présente duplique clôt la procédure écrite. Bien qu’elle ait insisté pour obtenir un second tour d’écritures devant lui permettre d’apporter une «réfutation effective» aux arguments du Pakistan [vol. 1/annexe 3/p. 5-6/par. 17], l’Inde a fait montre d’une réticence prononcée à aborder cette question et le rapport d’expert indépendant, qui appelle pourtant une réponse au fond.
97. Le Pakistan invite la Cour à retenir les éléments de preuve fournis par M. David Westgate (même si cela devait avoir, du point de vue de l’Inde, des conséquences fâcheuses et importantes). Le fait que le demandeur n’ait apporté aucune réponse sur ce point ne saurait être maquillé en un argument touchant à la pertinence, ou, a fortiori, visant à contrecarrer une prétendue «propagande» [vol. 1/annexe 17/p. 2-3/par. iv)]. Le défendeur soutient
28
- 23 -
respectueusement que c’est précisément parce que le passeport est hautement pertinent (si ce n’est déterminant) pour les faits et questions qui sont au coeur de l’argumentation qu’il développe devant la Cour que celle-ci peut et doit rechercher si ce document :
1) était un passeport indien authentique ;
2) a été délivré par les autorités indiennes ;
3) a été établi à un faux nom musulman ;
4) a été utilisé à de nombreuses reprises par le commandant Jadhav pour entrer sur le territoire indien et le quitter, ainsi que pour obtenir des visas étrangers ;
5) a été fourni délibérément à l’intéressé, en violation de l’obligation de bonne foi qui incombe à tous les Etats Membres de l’ONU, par la commission d’un abus de droit, de manière illicite ou pour faciliter la commission de graves faits illicites, parmi lesquels des violations des principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies tels que la non-ingérence, le respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté, ainsi que la règle de jus cogens de l’interdiction du terrorisme (soutenu par l’Etat ou de toute autre nature).
98. De plus :
1) La possession dudit passeport et le déplorable refus de l’Inde de donner des explications à cet égard (alors qu’il lui serait pourtant si aisé de le faire) constituent des éléments de preuve clairs et convaincants attestant les desseins scélérats du demandeur, dont le plus évident était de faciliter la présence clandestine et illicite du commandant Jadhav sur des territoires étrangers à des fins qui ne pouvaient être qu’illicites, notamment la commission d’actes d’espionnage ou de terrorisme.
2) L’Inde s’est vu accorder toutes les possibilités imaginables de s’expliquer au sujet du passeport. Le fait de ne pas trancher cette question (objectif que le demandeur s’efforce sans nul doute d’atteindre) reviendrait à fermer les yeux sur ces violations on ne peut plus flagrantes du droit international.
3) Le comportement dont l’Inde fait preuve à cet égard est tout à fait abusif et, même s’il n’existait pas d’exception relative à l’espionnage en droit international coutumier, ou si l’accord de 2008 n’avait pas l’effet invoqué par le Pakistan (aucune de ces deux propositions n’étant défendable compte tenu des éléments qui ont été versés au dossier), le rôle que le demandeur a joué empêcherait la Cour de lui accorder un quelconque remède  que ce soit pour cause d’irrecevabilité, d’absence de fondement ou pour toute autre raison.
- 24 -
IV. L’INDE A DÉNATURÉ L’ACCORD BILATÉRAL DE 2008 SUR LA COMMUNICATION ENTRE LES AUTORITÉS CONSULAIRES ET LES RESSORTISSANTS DE L’ETAT D’ENVOI
99. L’Inde semble avoir cherché, de façon trompeuse, à fusionner des dispositions distinctes de l’accord de 2008 pour étayer son interprétation de cet instrument.
100. Dans le titre de la section VIII de sa réplique, l’Inde affirme que l’accord de 2008 «n’a aucune incidence sur le présent différend». Le Pakistan soutient respectueusement qu’il est indéfendable d’affirmer qu’un accord bilatéral circonstancié et soigneusement négocié  en particulier lorsqu’il porte sur la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi —, signé par l’Inde et le Pakistan, n’a «aucune incidence» sur un différend opposant les deux Etats à cet égard.
101. De fait, et bien que tardivement, l’Inde est à présent contrainte de reconnaître (comme il se doit) que l’accord de 2008 a un sens et un effet juridiques ; ce qui lui donne l’occasion de dénaturer cet instrument.
102. Au paragraphe 144 de sa réplique, l’Inde affirme ce qui suit :
«Il est évident que le membre de phrase «examiner l’affaire au fond» [du paragraphe vi) de l’accord de 2008] se rapporte à l’accord consistant à libérer et rapatrier les intéressés dans un délai d’un mois au plus tard après expiration de leur peine et confirmation de leur nationalité. A titre d’exception à cette règle, l’Inde et le Pakistan se réservent, en cas d’arrestation, de détention ou de condamnation pour des motifs politiques ou relatifs à la sécurité, le droit d’examiner l’affaire au fond après expiration de la peine des intéressés pour déterminer s’il convient de les libérer ou de les rapatrier.»
103. Or, c’est en réalité le paragraphe v) et non le paragraphe vi) de l’accord de 2008 qui régit la question de la libération et du rapatriement des intéressés après expiration de leur peine.
104. Le paragraphe vi) renvoie à une situation totalement différente  à savoir les «cas d’arrestation, de détention ou de condamnation pour des motifs politiques ou relatifs à la sécurité». C’est la disposition qui s’applique aux circonstances de la présente espèce. La tentative grossière de l’Inde (avec tout le respect que nous lui devons) pour vider de son sens ordinaire l’accord qu’elle a elle-même proposé et adopté, ou altérer ce sens, est des plus regrettables.
105. Sans doute convient-il de citer de nouveau l’accord de 2008 pour démontrer que l’affirmation de l’Inde est tout simplement indéfendable, à moins de faire de cet instrument une lecture délibérément erronée.
«Accord sur la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi
Le Gouvernement de l’Inde et le Gouvernement du Pakistan, désireux d’oeuvrer à la réalisation de l’objectif consistant à garantir un traitement humain aux ressortissants de chacun des deux Etats en cas d’arrestation, de détention ou
29
- 25 -
d’emprisonnement sur le territoire de l’autre, sont convenus des facilités consulaires suivantes :
i) Chaque gouvernement tient une liste exhaustive des ressortissants de l’autre Etat arrêtés, détenus ou emprisonnés sur son territoire. Ces listes sont échangées le 1er janvier et le 1er juillet de chaque année.
ii) L’arrestation, la détention ou l’emprisonnement de tout ressortissant de l’autre Etat doivent être signalés sans délai au haut-commissariat de celui-ci.
iii) Chaque gouvernement s’engage à informer sans délai l’autre gouvernement des condamnations prononcées à l’encontre des ressortissants de celui-ci.
iv) Chaque gouvernement autorise, dans un délai maximal de trois mois, les autorités consulaires de l’autre Etat à entrer en communication avec les ressortissants de celui-ci qui ont été arrêtés, détenus ou emprisonnés.
v) Les deux gouvernements conviennent de libérer et de rapatrier les intéressés dans un délai d’un mois au plus tard après expiration de leur peine et confirmation de leur nationalité.
vi) En cas d’arrestation, de détention ou de condamnation pour des motifs politiques ou relatifs à la sécurité, chaque partie peut examiner l’affaire au fond.
vii) Dans des circonstances spéciales appelant ou requérant compassion et humanité, chaque partie peut exercer son pouvoir discrétionnaire, sous réserve de ses lois et règlements, d’autoriser une libération et un rapatriement anticipés.
Le présent accord entrera en vigueur à la date de sa signature.
Fait à Islamabad le 21 mai 2008 en deux exemplaires originaux, en langue anglaise, les deux textes faisant également foi.» (Les italiques sont de nous.)
106. Au paragraphe 92 de son mémoire, l’Inde a soutenu ce qui suit :
«Dans l’accord de 2008, conclu afin de «renforcer l’objectif consistant à garantir un traitement humain aux ressortissants de chacun des deux Etats en cas d’arrestation, de détention ou d’emprisonnement sur le territoire de l’autre», l’Inde et le Pakistan sont convenus de certaines mesures, notamment de libérer et de rapatrier les intéressés un mois au plus tard après expiration de leur peine et confirmation de leur nationalité. Les signataires ont reconnu que, en cas d’arrestation, de détention ou de condamnation pour des motifs politiques ou relatifs à la sécurité, chacun d’eux pourrait examiner l’affaire au fond et, dans les circonstances spéciales requérant de faire preuve de compassion et d’humanité, exercer son pouvoir discrétionnaire, en tant que permis par ses lois et règlements, pour autoriser une libération et un rapatriement anticipés. Or, l’Inde ne demande pas la libération et le rapatriement anticipés de M. Jadhav, tels que prévus dans l’accord de 2008.» (Les italiques sont de nous.)
107. Si le paragraphe 92 du mémoire de l’Inde est lu à la lumière des paragraphes v) et vi) de l’accord, pris séparément (comme il se doit), cela est exact. La dénaturation apparaît toutefois à la 8e ligne, lorsque le texte fusionne les paragraphes vi) et v) au moyen d’une simple virgule et omet fort à propos d’indiquer que ces dispositions sont distinctes.
30
- 26 -
108. Quoi qu’il en soit, la position de l’Inde (avec tout le respect que nous lui devons) est à présent bien plus claire.
109. Au stade des mesures conservatoires, l’Inde a commencé par affirmer avec un certain dédain que l’accord de 2008 n’était «pas pertinent» [CM, vol. 1, annexe 5.1, p. 17, par. 15 et p. 34, par. 66], qu’elle «ne cherch[ait] pas à invoquer cet accord bilatéral» [CM, vol. 1, annexe 5.1, p. 17, par. 14] et qu’il «n’[était] pas enregistré auprès de l’Organisation des Nations Unies comme le prévoit l’article 102 de la Charte» [CM, vol. 1, annexe 5.1, p. 17, par. 16 ; voir également p. 34, par. 66 b)].
110. Après avoir peut-être consacré au sujet un semblant de réflexion, l’Inde a soutenu, au paragraphe 91 de son mémoire que, «[e]n tout état de cause, la question de savoir si la demande présentée au titre de l’article 36 de la convention de Vienne d[evait] être écartée ou soumise aux dispositions d’un quelconque traité bilatéral ne se pos[ait] pas» et, au paragraphe 93, que l’existence de l’accord de 2008 «n’a[vait …] pas à entrer en considération».
111. Enfin, si l’Inde reconnaît finalement aujourd’hui que l’accord de 2008 était censé avoir des effets juridiques et qu’il a effectivement de tels effets, elle cherche cependant à nier celui du paragraphe vi) en le fusionnant avec le paragraphe v).
112. Le Pakistan soutient que, étant donné que la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 reflète l’état du droit international coutumier de l’époque et qu’il n’existait pas de pratique étatique donnant à penser que, dans une affaire portant prima facie sur des actes d’espionnage, le dispositif prévu par le paragraphe 1 de l’article 36 de ladite convention devait entrer en jeu, il appartenait aux Etats, et il leur appartient toujours, de s’entendre sur une solution bilatérale à cet égard.
113. Compte tenu du caractère tendu et (malheureusement) souvent empreint de violence et d’hostilité que revêt la relation entre l’Inde et le Pakistan depuis 1947, l’accord de 2008 (dont l’Inde a pris l’initiative) est intelligible, vital et effectif sur le plan juridique ; il était censé avoir l’effet que son libellé appelle.
31
- 27 -
V. LES CAS D’ESPIONNAGE PRIMA FACIE CONSTITUENT, AU REGARD DU DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER, UNE EXCEPTION À L’ARTICLE 36 DE LA CONVENTION DE VIENNE DE 1963
114. Le Pakistan réitère les arguments qu’il a exposés dans son contre-mémoire et les développera ci-après selon la méthode que la Cour a énoncée pour déterminer l’existence et la teneur du droit international coutumier dans un contexte particulier.
A. Détermination des règles de droit international coutumier
115. Dans la section VII de sa réplique, l’Inde rejette l’argument du Pakistan selon lequel il existait, en 1963, une règle de droit international coutumier faisant exception à l’article 36 de la convention de Vienne en ce qui concerne les personnes qui, du fait de leur comportement et des éléments en leur possession, semblent prima facie être des espions. Ainsi que cela est clairement énoncé dans le préambule de la convention, «les règles du droit international coutumier continueront à régir les questions qui n’ont pas été expressément réglées dans les dispositions de la présente Convention,» [CM/vol. 5/annexe 88/p. 2]
Eminents auteurs de doctrine
116. Comme le Pakistan l’a indiqué au paragraphe 317 de son contre-mémoire, en 1961, la pratique des Etats en matière de communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi dans les cas d’espionnage avait conduit Luke T. Lee14 (l’auteur de référence en ce qui concerne la convention de Vienne de 1963) à conclure clairement que l’«un des cas où il [était] souvent dérogé au droit des fonctionnaires consulaires de protéger leurs concitoyens et de leur rendre visite en prison [était] celui des espions». [CM/vol. 5/annexe 112.1/p. 125]
117. De surcroît, ainsi que le Pakistan l’a fait valoir au paragraphe 318 de son contre-mémoire, il apparaît que (peu après l’adoption de la convention de Vienne de 1963), ce point de vue était partagé par Biswanath Sen, alors conseiller juridique honoraire au ministère indien des affaires étrangères (de 1954 à 1964), qui a indiqué ce qui suit à la page 233 de son ouvrage intitulé A Diplomat’s Handbook of International Law and Practice et publié en 1965 : «Constitue souvent une exception au droit des consuls de protéger leurs ressortissants et de leur rendre visite en prison le cas des personnes détenues pour espionnage, comme le démontre la pratique des Etats.» [CM/vol. 5/ annexe 117.]
118. Le Pakistan est d’avis que, en l’absence de toute déclaration contraire crédible et étayée  et il n’en a trouvé aucune, pas plus, semble-t-il, que l’Inde, les observations formulées par ces éminents et respectés auteurs sont fort pertinentes, sinon décisives.
119. Toutefois, par souci d’exhaustivité, le Pakistan exposera ci-après la manière dont la Cour elle-même a déterminé l’existence et le contenu du droit international coutumier, comme cela a été résumé dans des déclarations proposées par la Commission du droit international (ci-après la «CDI») en 2016 (et revisées en mars 2018). A cet égard, il renvoie au projet de conclusions tel que présenté à la 70e session de la CDI (17 mai 2018) (Nations Unies, doc. A/CN.4/L.908)
14 M. Luke T. Lee (décédé en 2015) a été membre du «Senior Executive Service» au département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique ; il a également été président de la commission du statut juridique des réfugiés de l’Association de droit international et professeur auxiliaire de droit à l’université américaine de Washington [vol. 2/annexe 58].
32
33
- 28 -
[vol. 2/annexe 55] et expliqué plus avant par le président du comité de rédaction de la CDI le 25 mai 2018 [vol. 2/annexe 56]15.
120. Le Pakistan formulera quatorze observations concernant la détermination des règles de droit international coutumier par la Cour ; celle-ci connaît parfaitement les éléments et principes auxquels il est fait référence à cet égard.
121. Le Pakistan soutient que les commentaires ci-dessus reflètent pleinement l’approche de la Cour. De même, la pratique des Etats en 1963 en matière d’espionnage, activité clandestine, nécessairement cachée (voire illégale ou trouble) étaye les propos éclairés qui sont rapportés aux paragraphes 116 et 117 ci-dessus.
i) Les deux éléments constitutifs d’une règle de droit international coutumier
122. L’article 38 du Statut de la Cour est ainsi libellé :
«Article 38
1. La Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis, applique :
a) les conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les Etats en litige;
b) la coutume internationale comme preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit;
c) les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées;
d) sous réserve de la disposition de l’article 59, les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit.
2. La présente disposition ne porte pas atteinte à la faculté pour la Cour, si les parties sont d’accord, de statuer ex aequo et bono.»
123. Il ressort clairement de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 38 du Statut de la Cour que deux éléments sont nécessaires à la détermination d’une règle de droit international coutumier : 1) l’existence avérée d’une «pratique générale» ; et 2) le fait que celle-ci soit acceptée comme étant le droit, en ce sens que les Etats la suivent en ayant le sentiment d’en avoir juridiquement le droit ou le devoir (autrement dit, la pratique générale est assortie d’une opinio juris). Cela est confirmé par la jurisprudence de la Cour.
124. Dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 3, une instance avait été introduite devant la Cour par un compromis en date du 20 février 1967 afin que celle-ci énonce les règles de droit international applicables et délimite le plateau continental sur la base desdites règles.
15 Comme on peut le constater dans le projet de conclusions, presque toutes les suggestions du rapporteur spécial ont été adoptées.
34
- 29 -
125. Au paragraphe 77 de son arrêt du 20 février 1969, la Cour a indiqué [vol. 2/annexe 40] ce qui suit :
«L’élément essentiel à cet égard — il semble nécessaire de le souligner — est que, même si pareille attitude avait été beaucoup plus fréquente de la part des Etats non parties à la Convention, ces actes, même considérés globalement, ne suffiraient pas en eux-mêmes à constituer l’opinio juris car, pour parvenir à ce résultat, deux conditions doivent être remplies. Non seulement les actes considérés doivent représenter une pratique constante, mais en outre ils doivent témoigner, par leur nature ou la manière dont ils sont accomplis, de la conviction que cette pratique est rendue obligatoire par l’existence d’une règle de droit. La nécessité de pareille conviction, c’est-à-dire l’existence d’un élément subjectif, est implicite dans la notion même d’opinio juris sive necessitatis. Les Etats intéressés doivent donc avoir le sentiment de se conformer à ce qui équivaut à une obligation juridique. Ni la fréquence ni même le caractère habituel des actes ne suffisent. Il existe nombre d’actes internationaux, dans le domaine du protocole par exemple, qui sont accomplis presque invariablement mais sont motivés par de simples considérations de courtoisie, d’opportunité ou de tradition et non par le sentiment d’une obligation juridique.» (Les italiques sont de nous.)
126. Dans l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 13, une instance avait été introduite devant la Cour par un compromis en date du 26 juillet 1982 afin que celle-ci délimite le plateau continental entre la Libye et Malte.
127. Au paragraphe 27 de son arrêt du 3 juin 1985, la Cour a précisé [vol. 2/annexe 41] ceci :
«Il est bien évident que la substance du droit international coutumier doit être recherchée en premier lieu dans la pratique effective et l’opinio juris des Etats, même si les conventions multilatérales peuvent avoir un rôle important à jouer en enregistrant et définissant les règles dérivées de la coutume ou même en les développant.» (Les italiques sont de nous.)
128. Plus récemment, dans l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 99, l’Allemagne avait, par une requête en date du 23 décembre 2008, introduit une instance contre l’Italie, priant la Cour de dire que, en permettant que soient intentées à son encontre des actions civiles devant des tribunaux italiens au titre d’actes commis pendant la seconde guerre mondiale, l’Italie n’avait pas respecté l’immunité de juridiction de l’Etat allemand.
129. Au paragraphe 55 de son arrêt du 3 février 2012, la Cour, citant la décision qu’elle avait rendue en l’affaire du Plateau continental de la mer du Nord [vol. 2/annexe 42], a rappelé ce qui suit : «une «pratique effective» assortie d’une opinio juris est en particulier requise pour qu’existe une … règle [de droit international coutumier]».
130. Dans l’affaire du Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 6, le Portugal avait introduit une instance par une requête en date du 22 décembre 1955, prétendant avoir un droit de passage sur deux enclaves (Dadra et Nagar-Aveli) et avoir été empêché par l’Inde d’exercer ce droit contrairement à une pratique antérieurement suivie.
35
- 30 -
131. Aux pages 42 et 43 de son arrêt du 12 avril 1960, la Cour a constaté [vol. 2/annexe 43] ce qui suit :
«Il apparaît donc qu’au cours des périodes britannique et post-britannique les forces armées et la police armée portugaises ne passaient pas entre Damao et les enclaves à titre de droit et qu’après 1878 leur passage n’a pu avoir lieu qu’avec l’autorisation préalable des Britanniques, puis des Indiens, donnée soit en vertu d’un accord réciproque antérieur, soit dans des cas d’espèce. La Cour estime qu’eu égard aux circonstances spéciales de l’espèce l’exigence d’une autorisation préalable au passage est la négation même de l’exercice du passage à titre de droit. La pratique suppose que le souverain territorial avait le pouvoir discrétionnaire de retirer ou de refuser son autorisation. II est allégué que cette autorisation était toujours accordée mais, de l’avis de la Cour, cela ne saurait affecter la situation juridique. Rien dans le dossier n’indique que les Britanniques ou les Indiens aient été obligés d’accorder leur autorisation.» (Les italiques sont de nous.)
132. Dans la procédure relative à la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 226, l’Assemblée générale des Nations Unies avait demandé à la Cour de rendre un avis consultatif sur la question suivante : «Est-il permis en droit international de recourir à la menace ou à l’emploi d’armes nucléaires en toute circonstance ?»
133. Aux paragraphes 72 et 73 de son avis consultatif du 8 juillet 1996, la Cour a indiqué [vol. 2/annexe 44] ceci :
«72. La Cour note par ailleurs que la première des résolutions de l’Assemblée générale à avoir proclamé expressément l’illicéité du recours à l’arme nucléaire — la résolution 1653 (XVI) du 24 novembre 1961 (mentionnée dans des résolutions ultérieures) —, après avoir fait référence à certaines déclarations internationales et à certains accords obligatoires allant de la déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 au protocole de Genève de 1925, a procédé à une qualification de la nature juridique de l’arme nucléaire, à une détermination de ses effets et à l’application de règles générales du droit international coutumier à l’arme nucléaire en particulier. Cette application par l’Assemblée de règles générales du droit coutumier au cas particulier de l’arme nucléaire indique qu’à ses yeux il n’existait pas de règle spécifique de droit coutumier interdisant l’emploi de l’arme nucléaire; si une telle règle avait existé, l’Assemblée générale aurait, en effet, pu se contenter de s’y référer et n’aurait pas eu à se livrer à un tel exercice de qualification juridique.
73. Cela étant, la Cour observera que l’adoption chaque année par l’Assemblée générale, à une large majorité, de résolutions rappelant le contenu de la résolution 1653 (XVI) et priant les Etats Membres de conclure une convention interdisant l’emploi d’armes nucléaires en toute circonstance est révélatrice du désir d’une très grande partie de la communauté internationale de franchir, par une interdiction spécifique et expresse de l’emploi de l’arme nucléaire, une étape significative sur le chemin menant au désarmement nucléaire complet. L’apparition, en tant que lex lata, d’une règle coutumière prohibant spécifiquement l’emploi des armes nucléaires en tant que telles se heurte aux tensions qui subsistent entre, d’une part, une opinio juris naissante et, d’autre part, une adhésion encore forte à la pratique de la dissuasion.» (Les italiques sont de nous.)
36
- 31 -
134. Ainsi, si la Cour n’est pas en mesure d’établir qu’il existe une pratique générale acceptée comme étant le droit, elle conclura probablement que l’existence d’une règle de droit international coutumier n’a pas été prouvée.
135. Autrement dit, dans le contexte de la présente espèce, à moins que la Cour ne puisse établir que les Etats avaient généralement accepté qu’il existait, en droit international coutumier, un droit pour l’Etat d’envoi de communiquer avec ses ressortissants par l’entremise de ses autorités consulaires, ou à moins que cela ne soit expressément énoncé dans la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963, la situation résultant du droit international coutumier continuerait de l’emporter. De fait, le Pakistan affirme qu’il ressort de la pratique des Etats en 1963 qu’il n’existait pas, au regard du droit international coutumier, d’obligation de permettre à l’Etat d’envoi de communiquer avec ses ressortissants par l’intermédiaire de ses autorités consulaires dans un cas relevant prima facie de l’espionnage.
136. La Cour s’est utilement interrogée sur le degré d’incertitude qui fait obstacle à l’existence du droit international coutumier. Dans l’affaire du Droit d’asile (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 266, la Colombie affirmait que le Pérou était tenu de donner les garanties nécessaires pour qu’un réfugié (accusé d’incitation à la rébellion politique) qui avait déposé une demande d’asile auprès de l’ambassade colombienne au Pérou puisse quitter le pays en sécurité.
137. A la page 277 de son arrêt du 20 novembre 1950, la Cour, ayant examiné la pratique pertinente des Etats, a précisé [vol. 2/annexe 45] ce qui suit :
«Enfin, le Gouvernement de la Colombie a cité un grand nombre de cas particuliers dans lesquels l’asile diplomatique a, en fait, été accordé et respecté. Mais il n’a pas établi que la règle prétendue de la qualification unilatérale et définitive ait été invoquée ou que — si, dans certains cas, elle a, en fait, été invoquée — elle ait été appliquée, en dehors des stipulations conventionnelles, par les Etats qui accordaient l’asile, en tant que droit appartenant à ceux-ci, et respectée par les États territoriaux en tant que devoir leur incombant, et pas seulement pour des raisons d’opportunité politique. Les faits soumis à la Cour révèlent tant d’incertitude et de contradictions, tant de fluctuations et de discordances dans l’exercice de l’asile diplomatique et dans les vues officiellement exprimées à diverses occasions ; il y a eu un tel manque de consistance dans la succession rapide des textes conventionnels relatifs à l’asile, ratifiés par certains États et rejetés par d’autres, et la pratique a été influencée à tel point par des considérations d’opportunité politique dans les divers cas, qu’il n’est pas possible de dégager de tout cela une coutume constante et uniforme acceptée comme étant le droit en ce qui concerne la prétendue règle de la qualification unilatérale et définitive du délit.» (Les italiques sont de nous.)
37
- 32 -
ii) Les projets de conclusions sur la détermination du droit international coutumier de la CDI
138. Au vu de ce qui précède, il est désormais clair et incontestable que, pour déterminer l’existence d’une règle de droit international coutumier, deux éléments doivent être établis : 1) l’existence d’une pratique générale et 2) l’acceptation de celle-ci comme étant le droit (opinio juris).
139. Cette position est aujourd’hui confirmée par les projets de conclusions sur la détermination du droit international coutumier établis par le comité de rédaction avec l’aide de sir Michael Wood, rapporteur spécial16, et adoptés par la CDI en 2016 (ci-après les «projets de conclusions»), dont la conclusion 2 énonce que, «[p]our déterminer l’existence et le contenu d’une règle de droit international coutumier, il est nécessaire de rechercher s’il existe une pratique générale qui est acceptée comme étant le droit (opinio juris)» (vol. 2, annexe 53, p. 82).
140. Dans son commentaire relatif au projet de conclusion 2, le rapporteur spécial précise (au paragraphe 1) que ces deux éléments sont «deux questions distinctes, mais liées» (vol. 2, annexe 53, p. 82).
141. Le rapporteur spécial précise en outre (au paragraphe 2) que ce sont là «les conditions indispensables à l’existence d’une règle de droit international coutumier» et qu’il convient de rechercher si elles sont réunies en toute circonstance par un «examen minutieux des éléments de preuve disponibles» (vol. 2, annexe 53, p. 82).
142. Dans ce même paragraphe, il est indiqué que, lorsqu’elle entend déterminer l’existence de règles de droit international coutumier, la Cour
«recherche … une pratique dont l’acceptation par les Etats est telle qu’elle peut être considérée comme l’expression d’une obligation juridique ou d’un droit (c’est-à-dire qu’elle est requise, autorisée ou interdite en droit). Le test doit toujours être le suivant : existe-t-il une pratique générale qui est acceptée comme étant le droit ?» (Vol. 2, annexe 53, p. 83.)
iii) Evaluation des éléments de preuve
143. Il ne fait aucun doute que, dans le cadre de l’évaluation des éléments de preuve en vue de déterminer l’existence d’une règle de droit international coutumier, il y a lieu de tenir compte du contexte plus général ainsi que de la nature de la règle invoquée et des circonstances dans lesquelles les éléments pertinents doivent être recherchés.
144. Dans l’exposé de l’opinion dissidente qu’il a joint à l’arrêt que la Cour a rendu le 20 février 1969 dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas) (vol. 2, annexe 46), le juge Tanaka (Japon) a indiqué ce qui suit : (p. 175-176) :
16 Sir Michael Wood a exercé les fonctions de conseiller juridique principal du ministère des affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni (de 1999 à 2006) ; il est membre de la Commission du droit international depuis 2008.
38
- 33 -
«Déterminer si ces deux facteurs sont réunis ou non dans le processus de formation d’un droit coutumier soulève des problèmes délicats et difficiles à résoudre. On ne peut pas mesurer selon des critères mathématiques et uniformes la répétition, le nombre d’exemples de la pratique des Etats ou la durée nécessaires à la formation d’un droit coutumier. Chaque fait doit être apprécié en fonction des circonstances particulières. La situation ne se présente pas non plus de la même manière dans les différents domaines du droit  droit de la famille, droit des biens, droit commercial, droit constitutionnel, etc. Il est indéniable que la question de la répétition se pose en termes de quantité ; on ne saurait donc admettre la formation d’un droit coutumier concernant le plateau continental en général et le principe de l’équidistance en particulier si cette condition de quantité n’est pas remplie. Ce que je veux souligner ici c’est que l’important en la matière n’est pas tant le nombre de ratifications et d’adhésions dont la Convention a fait l’objet ni le nombre des exemples tirés de la pratique ultérieure des Etats, mais plutôt la signification qu’on peut leur attribuer dans les circonstances dont elles s’entourent. Nous ne pouvons pas considérer que la ratification de la Convention par une grande puissance maritime ou le fait qu’elle conclut une convention consacrant le principe de l’équidistance ont exactement la même importance que des actes semblables, accomplis par un Etat sans littoral, qui n’a pas d’intérêt particulier à la délimitation du plateau continental.» (Les italiques sont de nous.)
iv) Application des principes de droit international public sous-jacents
145. Le Pakistan fait valoir que, lorsqu’elle procède à l’évaluation contextuelle des éléments de preuve aux fins de déterminer l’existence d’une règle de droit international coutumier, la Cour devrait tenir compte de l’applicabilité de tout principe de droit international public sous-jacent. Ainsi, les principes consacrés par la Charte des Nations Unies  dont on peut supposer qu’ils ne soulèvent pas de controverse  doivent constituer la pierre angulaire du droit international coutumier quel qu’il soit.
146. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 3 février 2012 en l’affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), la Cour a, au paragraphe 57, jugé (vol. 2, annexe 42)
«que la règle de l’immunité de l’Etat jou[ait] un rôle important en droit international et dans les relations internationales. Elle procède du principe de l’égalité souveraine des Etats qui, ainsi que cela ressort clairement du paragraphe 1 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, est l’un des principes fondamentaux de l’ordre juridique international. Ce principe doit être considéré conjointement avec celui en vertu duquel chaque Etat détient la souveraineté sur son propre territoire, souveraineté dont découle pour lui un pouvoir de juridiction à l’égard des faits qui se produisent sur son sol et des personnes qui y sont présentes. Les exceptions à l’immunité de l’Etat constituent une dérogation au principe de l’égalité souveraine. L’immunité peut constituer une dérogation au principe de l’égalité souveraine et au pouvoir de juridiction qui en découle.» (Les italiques sont de nous.)
147. Dans cette affaire, la Cour a considéré l’immunité de l’Etat comme une règle de droit international coutumier «proc[édant]» du principe fondamental de droit international public de l’égalité souveraine des Etats, tel que consacré par le paragraphe 1 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies (contre-mémoire du Pakistan, vol. 5, annexe 102).
39
- 34 -
148. Dans les affaires relatives à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), dont les instances étaient jointes, le différend entre les Parties portait notamment sur l’allégation du Nicaragua selon laquelle le Costa Rica se livrait à de vastes travaux de construction d’une route le long de la zone frontalière, lesquels avaient un impact important sur l’environnement.
149. Au paragraphe 3 de l’exposé de l’opinion individuelle qu’elle a joint à l’arrêt que la Cour a rendu le 16 décembre 2015 (vol. 2, annexe 47), Mme la juge Donoghue (Etats-Unis) a souligné ceci :
«3. Il est souvent difficile de déterminer l’existence et la substance des règles du droit international coutumier. Au fil des ans, d’aucuns se sont réclamés de la déclaration faite en 1927 par la Cour permanente de Justice internationale, qui avait alors conclu que «[l]es limitations de l’indépendance des Etats ne se présum[aient] … pas» (Lotus, arrêt no 9, 1927, C.P.J.I. série A no 10, p. 18), pour soutenir que, s’agissant d’une règle du droit international coutumier, lorsque la pratique des Etats et l’opinio juris n’offrent que des éléments incomplets ou contradictoires, elle ne saurait entraver la liberté d’action des Etats. Pareille affirmation ne tient compte que d’un seul aspect du principe dit «Lotus», alors que, pour définir le droit international coutumier, il faut prendre en considération les paramètres fondamentaux de l’ordre juridique international, c’est-à-dire les piliers des relations entre Etats, telle la souveraineté territoriale, et les normes énoncées dans la Charte des Nations Unies, comme l’égalité souveraine des Etats (Charte des Nations Unies, art. 2, par. 1).» (Les italiques sont de nous.)
150. Se référant à la démarche de la Cour en l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), Mme la juge Donoghue indiquait ensuite, au paragraphe 5 :
«5. La démarche adoptée par la Cour dans l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat et consistant à asseoir son analyse sur les principes fondamentaux s’applique tout aussi bien à la recherche de l’existence et de la substance des règles du droit international coutumier en matière de dommages transfrontières. Dans l’hypothèse où serait invoquée une norme environnementale, à moins que l’argumentation ne soit étayée sur la pratique générale des Etats et l’opinio juris, la présomption établie dans l’affaire «Lotus» amènerait à conclure que le droit international coutumier n’impose aucune limitation à l’Etat d’origine. Toutefois, comme dans l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat, la détermination de l’existence et de la substance des règles du droit international coutumier concernant les dommages transfrontières est subordonnée à l’examen du conflit opposant, en l’espèce, l’égalité souveraine et la souveraineté territoriale.» (Les italiques sont de nous.)
151. Le Pakistan réaffirme respectueusement que, en la présente espèce, ce sont les principes fondamentaux de droit international public interdisant le recours à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale d’un autre Etat (conformément au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies) et l’intervention dans les affaires internes de celui-ci (conformément au paragraphe 7 de cette même disposition) (contre-mémoire du Pakistan, vol. 5, annexe 102) qui fournissent le cadre juridique et factuel essentiel. C’est dans ce cadre que la Cour doit apprécier la situation que le défendeur a exposée sur le fondement du droit international coutumier s’agissant de la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi, lorsque le
40
- 35 -
comportement de l’intéressé ou les éléments trouvés en sa possession démontrent prima facie son implication dans des activités d’espionnage.
v) Prise en considération de la disponibilité ou non des éléments de preuve dans les circonstances de l’affaire en cause
152. Dans le cadre de son analyse contextuelle, la Cour doit en outre évaluer le type d’éléments de preuve qui lui sont soumis en ce qui concerne le différend qu’elle est appelée à trancher, et tenir dûment compte de la disponibilité relative de ces éléments dans les circonstances de l’espèce.
153. Au paragraphe 55 de l’arrêt qu’elle a rendu le 3 février 2012 en l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)) (vol. 2, annexe 42), la Cour a constaté ce qui suit :
«Dans le cas d’espèce, une pratique étatique particulièrement importante se dégage de la jurisprudence des tribunaux internes qui ont été amenés à se prononcer sur l’immunité d’un Etat étranger, des lois adoptées par ceux des Etats qui ont légiféré en la matière, de l’invocation de l’immunité par certains Etats devant des tribunaux étrangers, ainsi que des déclarations faites par les Etats à l’occasion de l’examen approfondi de cette question par la Commission du droit international puis de l’adoption de la convention des Nations Unies. Dans ce contexte, l’opinio juris est reflétée notamment par l’affirmation, de la part des Etats qui invoquent l’immunité de juridiction devant les tribunaux d’autres Etats, qu’ils sont, en vertu du droit international, fondés à en bénéficier ; par la reconnaissance, de la part des Etats qui accordent cette immunité, qu’il s’agit d’une obligation que leur impose le droit international ; et, inversement, par l’affirmation par des Etats, dans d’autres affaires, de leur droit d’exercer leur juridiction à l’égard d’Etats étrangers.» (Les italiques sont de nous.)
154. Dans cette affaire, la Cour a pu déterminer quelles étaient, au vu des circonstances de l’espèce, les sources d’éléments de preuve les plus fiables. Le Pakistan fait respectueusement valoir que, étant donné que les Etats veillent en général scrupuleusement à protéger (si ce n’est à dissimuler) les affaires touchant à l’espionnage, les documents et informations officiels publiquement accessibles sur ces questions sont rares.
155. Le Pakistan a néanmoins produit devant la Cour des éléments crédibles et cohérents qui permettent d’établir l’existence, en 1963, d’une pratique générale des Etats en matière de communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi dans les cas d’actes d’espionnage prima facie : il n’existait aucun droit reconnu à cet égard, la pratique constante des Etats étant de s’opposer à cette communication ou de laisser passer un temps important avant d’accorder une communication limitée et rigoureusement contrôlée.
vi) Prise en compte de la nature de la règle de droit international coutumier invoquée
156. Au paragraphe 4 de ses commentaires relatifs au projet de conclusion 3, qui porte sur la nécessité d’une évaluation contextuelle pour déterminer l’existence d’une règle de droit international coutumier (et dont le texte est reproduit ci-après), le rapporteur spécial précise ceci (vol. 2, annexe 53, p. 86) :
41
- 36 -
«En particulier, lorsqu’il s’agit de règles prohibitives (comme l’interdiction de la torture), il peut parfois être difficile de trouver une pratique étatique positive (par opposition à l’inaction) ; dans les affaires portant sur de telles règles, il s’agit la plupart du temps d’évaluer si la pratique (à savoir l’inaction délibérée) est acceptée comme étant le droit.»
157. Si la Cour n’a jamais considéré les activités d’espionnage comme étant contraires au droit international  ce qui n’est guère surprenant, étant donné la logique suivie par les Etats à cet égard, et n’est pas non plus strictement nécessaire dans la présente affaire , les commentaires formulés par d’éminents juristes dans le cadre des négociations relatives à la convention de Vienne de 1963 apportent des éclaircissements sur ce point. En 1962, Quincy Wright17 faisait ainsi observer que,
«[e]n temps de paix … les actes d’espionnage et, de fait, toute pénétration sur le territoire d’un Etat, en violation de son droit interne, par les agents d’un autre Etat empor[taient] également violation de la règle de droit international imposant l’obligation de respecter l’intégrité territoriale et l’indépendance politique des autres Etats» (vol. 2, annexe 57, p. 12, par. 3).
vii) La Cour doit examiner séparément la «pratique générale» et l’«opinio juris»
158. Pour rechercher s’il existe une pratique générale et si elle est considérée comme constituant une opinio juris, la Cour doit, de toute évidence, procéder à deux analyses distinctes (même si celles-ci peuvent reposer en partie sur les mêmes éléments).
159. Cette position trouve aujourd’hui son expression dans les projets de conclusions sur la détermination du droit international coutumier adoptés par la CDI en 2016 (vol. 2, annexe 53, p. 84), dont la conclusion 3 se lit comme suit :
«1. Dans l’appréciation des moyens permettant d’établir l’existence d’une pratique générale et son acceptation comme étant le droit (opinio juris), il faut tenir compte du contexte général, de la nature de la règle, et des circonstances propres à chacun de ces moyens.
2. Chacun des deux éléments constitutifs doit être établi séparément. Cela exige d’apprécier pour chaque élément les moyens permettant d’en établir l’existence.»
160. Au paragraphe 6 du commentaire relatif à cette conclusion (ibid., p. 86) le rapporteur spécial précise que, «[m]ême si les éléments constitutifs peuvent être indissolublement liés (dans le sens où la pratique peut être assortie d’une certaine motivation), chacun d’eux est une notion autonome aux fins de la détermination d’une règle de droit international coutumier».
161. Au paragraphe 2 de ce même commentaire, le rapporteur spécial rappelle (ibid., p. 85) le «principe général» qui veut que «l’appréciation de tous les éléments de preuve disponibles [soit]
17 Quincy Wright (décédé en 1970) a été membre du département de sciences sociales de l’Université de Chicago (de 1923 à 1956), puis professeur de droit international au Woodrow Wilson Department of Foreign Affairs de l’Université de Virginie (de 1951 à 1961). Il a également exercé les fonctions de président de l’American Society of International Law (de 1955 à 1956) et a fait partie du comité de rédaction de l’American Association of International Law (de 1923 à 1970). Il a en outre exercé les fonctions de conseiller du juge Robert H. Jackson aux procès de Nuremberg et de conseiller auprès du département d’Etat américain.
42
- 37 -
minutieuse et contextualisée», et souligne que «[l]a question de l’existence d’une pratique générale acceptée comme étant le droit (opinio juris) doit être étudiée soigneusement dans chaque cas, à la lumière des circonstances pertinentes» (ibid., p. 85).
viii) Appréciation de l’existence d’une «pratique générale»
162. Ainsi que cela est expliqué ci-dessus, il peut se révéler difficile, en raison de la nature même de la question, de discerner une pratique étatique positive. Il est toutefois admis que l’inaction délibérée d’un Etat face à certaines circonstances peut être considérée comme participant de la «pratique» de celui-ci.
163. Ce point est désormais conforté par les projets de conclusions sur la détermination du droit international coutumier adoptés par la CDI en 2016, dont la conclusion 6 se lit comme suit (vol. 2, annexe 53, p. 91) :
«1. La pratique peut revêtir une large variété de formes. Elle comprend des actes matériels et verbaux. Elle peut, dans certaines circonstances, comprendre l’inaction.
2. Les formes de pratiques étatiques comprennent, sans y être limitées : les actes et la correspondance diplomatiques ; la conduite relative aux résolutions adoptées par une organisation internationale ou lors d’une conférence intergouvernementale ; la conduite relative aux traités ; la conduite exécutive, y compris la conduite opérationnelle «sur le terrain» ; les actes législatifs et administratifs ; et les décisions des juridictions internes.
3. Il n’y a aucune hiérarchie prédéterminée entre les différentes formes de pratique.» (Les italiques sont de nous.)
164. Pour être tout à fait à jour sur la question, le Pakistan observe que, au paragraphe 55 de son cinquième rapport, daté du 14 mars 2018 (vol. 2, annexe 54, p. 25), le rapporteur spécial, tenant compte des observations formulées par les Etats, recommande de reformuler comme suit le paragraphe 1 de la conclusion 6 : «La pratique peut revêtir une large variété de formes. Elle peut comprendre les actes matériels et verbaux, ainsi que l’inaction délibérée.» (Les italiques sont de nous.)
165. Le Pakistan fait respectueusement valoir que les éléments de preuve qu’il a produits pour établir l’existence d’une pratique étatique matérielle attestent que, avant l’adoption de la convention de Vienne de 1963  période pertinente aux fins de la présente instance , les Etats agissaient généralement d’une manière pouvant donner à penser qu’ils reconnaissaient que la possibilité de communiquer avec leurs ressortissants par l’entremise de leurs autorités consulaires n’était pas acquise de plein droit lorsque le comportement de l’intéressé ou les éléments trouvés en sa possession permettaient d’établir prima facie son implication dans des activités d’espionnage.
ix) La Cour doit apprécier la pratique générale accessible, considérée dans son ensemble
166. Lorsqu’elle examine la pratique d’un Etat, la Cour doit, à l’évidence, prendre en considération l’ensemble des éléments accessibles, lesquels doivent être appréciés comme un tout.
167. Au paragraphe 76 de l’arrêt qu’elle a rendu le 3 février 2012 en l’affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)) (vol. 2, annexe 42), la Cour a
43
44
- 38 -
estimé que «la pratique suivie par l’Etat grec, considérée dans son ensemble, contredi[sait] plutôt qu’elle n’étay[ait] l’argument de l’Italie» (les italiques sont de nous).
168. En l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (C.I.J. Recueil 1986, p. 14), le Nicaragua avait, le 9 avril 1984, introduit une instance contre les Etats-Unis d’Amérique au sujet d’un différend relatif à la responsabilité du recours à la force à son encontre.
169. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 27 juin 1986, la Cour a, au paragraphe 186, (vol. 2, annexe 48) conclu ce qui suit :
«Il ne faut pas s’attendre à ce que l’application des règles en question soit parfaite dans la pratique étatique, en ce sens que les Etats s’abstiendraient, avec une entière constance, de recourir à la force ou à l’intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats. La Cour ne pense pas que, pour qu’une règle soit coutumièrement établie, la pratique correspondante doive être rigoureusement conforme à cette règle. Il lui paraît suffisant, pour déduire l’existence de règles coutumières, que les Etats y conforment leur conduite d’une manière générale et qu’ils traitent eux-mêmes les comportements non conformes à la règle en question comme des violations de celle-ci et non pas comme des manifestations de la reconnaissance d’une règle nouvelle. Si un Etat agit d’une manière apparemment inconciliable avec une règle reconnue, mais défend sa conduite en invoquant des exceptions ou justifications contenues dans la règle elle-même, il en résulte confirmation plutôt qu’un affaiblissement de la règle, et cela que l’attitude de cet Etat puisse ou non se justifier en fait sur cette base.» (Les italiques sont de nous.)
170. Le Pakistan soutient donc respectueusement que les quelques cas dans lesquels l’Etat de résidence a autorisé l’Etat d’envoi à entrer en communication avec son ressortissant accusé d’espionnage (presque toujours dans des conditions restrictives) n’ont aucune incidence sur l’existence de la règle de droit international coutumier qu’il invoque, à savoir que les faits d’espionnage établis prima facie constituent une exception au droit de communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi, autrement garanti par l’article 36 de la convention de Vienne de 1963.
x) Le manque de cohérence dans la pratique n’impose pas nécessairement d’accorder à celle-ci une moindre importance
171. Il ne fait en outre aucun doute que le manque de cohérence dans la pratique d’un Etat donné ne conduit pas nécessairement à conclure que celle-ci revêt, devant la Cour, une moindre importance (voire aucune).
172. Dans l’affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège) (C.I.J. Recueil 1951, p. 116), le Royaume-Uni avait, le 28 septembre 1949, introduit une instance contre la Norvège, invoquant l’illicéité d’un décret norvégien qui établissait une méthode pour tracer les lignes de base servant à mesurer la largeur de la mer territoriale de cet Etat.
45
- 39 -
173. A la page 138 de son arrêt du 18 décembre 1951 (vol. 2, annexe 49), la Cour a
«estim[é] qu’il n’y a[vait] pas lieu d’attacher trop d’importance aux quelques incertitudes ou contradictions, apparentes ou réelles, que le Gouvernement du Royaume-Uni a[vait] cru pouvoir relever dans la pratique norvégienne. Elles s’expliqu[aient] assez naturellement si l’on [prenait] en considération la diversité des faits et des situations au cours de la longue période qui s’[était] écoulée depuis 1812, et [n’étaient] pas de nature à modifier les conclusions auxquelles la Cour [était] arrivée.»
174. De même, le Pakistan avance respectueusement que les quelques incohérences que révèle la pratique de certains Etats en matière d’octroi à l’Etat d’envoi de la possibilité de communiquer, par l’entremise de ses autorités consulaires, avec son ressortissant accusé d’espionnage (dans des conditions restrictives, le plus souvent) n’ont aucune incidence sur l’existence de la règle de droit international coutumier qu’il invoque, à savoir que les faits d’espionnage établis prima facie constituent une exception à ce droit de communication, autrement garanti par l’article 36 de la convention de Vienne de 1963.
175. La position exposée ci-dessus est aujourd’hui confirmée par les projets de conclusions sur la détermination du droit international coutumier adoptés par la CDI en 2016 (vol. 2, annexe 53, p. 92-93), dont la conclusion 7 se lit comme suit :
«1. Il convient de prendre en compte toute la pratique accessible de l’Etat, laquelle doit être appréciée dans son ensemble.
2. Lorsque la pratique d’un Etat varie, le poids à accorder à cette pratique peut être réduit.»
176. Le rapporteur spécial précise, au paragraphe 2 de son commentaire du projet de conclusion 7 (vol. 2, annexe 53, p. 93) que
«[c]ela signifie que la pratique examinée devrait être exhaustive, dans les limites de son accessibilité, c’est-à-dire qu’elle devrait inclure la pratique pertinente de tous les organes de l’Etat et toute la pratique pertinente d’un organe particulier. Il est en outre indiqué dans le paragraphe que cette pratique doit être appréciée dans son ensemble ; c’est alors seulement que la position effective de l’Etat peut être déterminée.» (Les italiques sont de nous.)
177. Là encore dans le souci d’être tout à fait à jour sur la question, le Pakistan se réfère de nouveau au cinquième rapport du rapporteur spécial daté du 14 mars 2018, dans lequel celui-ci, prenant note des observations formulées par les Etats, a proposé, au paragraphe 62 (vol. 2, annexe 54, p. 28), de reformuler comme suit le paragraphe 2 de la conclusion 7 : «Lorsque la pratique d’un Etat varie, le poids à accorder à cette pratique peut, selon les circonstances, être réduit.»
xi) Sens de l’expression «pratique générale»
178. L’expression «pratique générale» indique clairement que la Cour entend déterminer l’existence d’une pratique qui doit, en particulier, être suivie par un nombre suffisamment important et représentatif d’Etats.
46
- 40 -
179. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 20 février 1969 dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), la Cour a, au paragraphe 74, conclu ce qui suit (vol. 2, annexe 40) :
«En ce qui concerne l’élément de temps, la Cour constate qu’il y a actuellement plus de dix ans que la Convention a été signée et moins de cinq ans qu’elle est entrée en vigueur (juin 1964) ; lorsque la présente affaire a été introduite, il y en avait moins de trois ; enfin moins d’un an s’était écoulé lorsque les négociations bilatérales tendant à une délimitation complète entre la République fédérale et les deux autres Parties ont échoué sur la question de l’application du principe de l’équidistance. Bien que le fait qu’il ne se soit écoulé qu’un bref laps de temps ne constitue pas nécessairement en soi un empêchement à la formation d’une règle nouvelle de droit international coutumier à partir d’une règle purement conventionnelle à l’origine, il demeure indispensable que dans ce laps de temps, aussi bref qu’il ait été, la pratique des Etats, y compris ceux qui sont particulièrement intéressés, ait été fréquente et pratiquement uniforme dans le sens de la disposition invoquée et se soit manifestée de manière à établir une reconnaissance générale du fait qu’une règle de droit ou une obligation juridique est en jeu.» (Les italiques sont de nous.)
180. Ainsi que la Cour l’a indiqué un peu plus loin (au paragraphe 77), ce qui est requis, c’est que la pratique des Etats soit «constante».
xii) Quels sont les Etats dont la pratique est pertinente ?
181. Ainsi que l’a indiqué clairement la Cour, il importe de tenir compte de la pratique des Etats qui sont particulièrement impliqués dans l’activité considérée, ou les plus susceptibles d’être concernés par cette activité (en l’espèce, l’espionnage ou la capture/détention d’agents secrets étrangers). Au paragraphe 74 de l’arrêt du 20 février 1969 qu’elle a rendu dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas, [vol. 2/annexe 40], la Cour a dit ceci : «[I]l demeure indispensable que dans [l]e laps de temps [écoulé], aussi bref qu'il ait été, la pratique des Etats, y compris ceux qui sont particulièrement intéressés, ait été fréquente et pratiquement uniforme…» (Les italiques sont de nous.)
182. Si, par la force des choses, les documents officiels publiquement accessibles font défaut en matière de capture/détention d’agents secrets, le Pakistan soutient que les exemples auxquels il s’est référé jusqu’à présent rendent compte d’une pratique suivie par un groupe suffisamment important d’Etats, au nombre desquels figurent des pays souvent accusés de se livrer à des activités d’espionnage ou ayant été amenés à indiquer qu’ils avaient capturé un agent secret étranger.
183. En outre, il est clair que, lorsqu’elle s’interroge sur l’existence d’une «pratique générale», la Cour doit rechercher s’il existe une pratique non seulement suivie par un nombre suffisamment important et représentatif d’Etats, mais encore constante.
184. Le Pakistan reconnaît bien sûr que la Cour, si elle estime que les actes pertinents des Etats sont à ce point divergents qu’aucune tendance ou forme de comportement systématique ne peut être dégagée, n’a pas à conclure à l’existence d’une règle de droit international coutumier.
47
- 41 -
185. Dans l’affaire des Pêcheries(Royaume-Uni c. Norvège), la Cour, à la page 131 de son arrêt du 18 décembre 1951 [vol. 2/annexe 49], a dit ceci :
«Dans ces conditions, la Cour estime nécessaire d’observer que si la règle des dix milles a été adoptée par certains Etats, aussi bien dans leurs lois nationales que dans leurs traités et conventions, et si quelques décisions arbitrales en ont fait application entre ces Etats, d’autres Etats, en revanche, ont adopté une limite différente. En conséquence, la règle des dix milles n’a pas acquis l’autorité d’une règle générale de droit international.»
186. Dans l’affaire de la Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), le Canada et les Etats-Unis d’Amérique avaient, par un compromis daté du 25 novembre 1981, soumis à la Cour la question du tracé de la frontière maritime divisant leur plateau continental et leurs zones de pêche dans la région du golfe du Maine (voir arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 246).
187. La Chambre de la Cour, au paragraphe 81 de son arrêt du 12 octobre 1984 [vol. 2/annexe 50], a dressé le constat suivant :
«81. Le droit international, et en disant cela il est logique que la Chambre se réfère en premier lieu au droit international coutumier, ne peut, par sa nature même, fournir dans une matière comme celle du présent arrêt que quelques principes juridiques de base qui énoncent des directives à suivre en vue d’un but essentiel. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’il spécifie aussi les critères équitables à appliquer et les méthodes pratiques et souvent techniques à utiliser pour atteindre le but en question, critères et méthodes qui restent tels même lorsqu’on les qualifie aussi, mais dans un autre sens, de «principes». La pratique, d’ailleurs, bien qu’encore peu abondante à cause de la nouveauté relative de la matière, est là pour démontrer que chaque cas concret est finalement différent des autres, qu’il est un unicum, et que les critères les plus appropriés et la méthode ou la combinaison de méthodes la plus apte à assurer un résultat conforme aux indications données par le droit, ne peuvent le plus souvent être déterminés que par rapport au cas d’espèce et aux caractéristiques spécifiques qu’il présente. Les conditions pour la formation de principes et règles de nature coutumière donnant des prescriptions précises sur des sujets comme ceux qui viennent d'être mentionnés ne sauraient donc être réunies.» (Les italiques sont de nous.)
188. Ainsi que cela a été rappelé ci-dessus, la Cour, à la page 277 de son arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du Droit d’asile (Colombie/Pérou)[vol. 2/annexe 45], a jugé que les
«faits soumis [qui lui avaient été] soumis … rév[élaient] tant d’incertitude et de contradictions, tant de fluctuations et de discordances dans l’exercice de l’asile diplomatique … qu’il n’[était] pas possible de dégager de tout cela une coutume constante et uniforme … en ce qui concerne la prétendue règle de la qualification unilatérale et définitive du délit».
189. Toutefois, la pratique d’un Etat particulier n’a pas à être parfaitement constante. La Cour recherchera une uniformité importante, mais un élément de pratique non conforme voire contraire ne sera pas un obstacle rédhibitoire à ce que soit considérée comme remplie la condition relative à l’existence d’une pratique «générale».
48
- 42 -
190. Ainsi que cela a été rappelé ci-dessus, la Cour, au paragraphe 186 de son arrêt du 7 juin 1986 en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) [vol. 2, annexe 48], a indiqué ce qui suit :
«Il ne faut pas s’attendre à ce que l’application des règles en question soit parfaite dans la pratique étatique, en ce sens que les Etats s’abstiendraient, avec une entière constance, de recourir à la force ou à l’intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats. La Cour ne pense pas que, pour qu’une règle soit coutumièrement établie, la pratique correspondante doive être rigoureusement conforme à cette règle. Il lui paraît suffisant, pour déduire l’existence de règles coutumières, que les Etats y conforment leur conduite d’une manière générale et qu’ils traitent eux-mêmes les comportements non conformes à la règle en question comme des violations de celle-ci et non pas comme des manifestations de la reconnaissance d’une règle nouvelle. Si un Etat agit d’une manière apparemment inconciliable avec une règle reconnue, mais défend sa conduite en invoquant des exceptions ou justifications contenues dans la règle elle-même, il en résulte une confirmation plutôt qu’un affaiblissement de la règle, et cela que l’attitude de cet Etat puisse ou non se justifier en fait sur cette base.» (Les italiques sont de nous.)
191. Ainsi, même en présence d’une pratique non conforme résultant d’une violation, par l’Etat, de la règle de droit international coutumier invoquée, l’existence d’une pratique générale peut néanmoins être établie.
192. La position exposée ci-dessus trouve désormais son expression dans le projet de conclusions adopté par la CDI en 2016. Le projet de conclusion 8 (vol. 2, annexe 53) se lit comme suit :
«1. La pratique pertinente doit être générale, c’est-à-dire suffisamment répandue et représentative, ainsi que constante.
2. Il n’est prescrit aucune durée particulière de la pratique, pour autant que celle-ci soit générale.»
193. Pour être tout à fait complet sur le sujet, le Pakistan précise que, au paragraphe 69 de son cinquième rapport en date du 14 mars 2018 (vol. 2, annexe 54), le rapporteur spécial, prenant note des observations des Etats, a entre-temps proposé de modifier comme suit le paragraphe 1 du projet de conclusion 8 : «La pratique pertinente doit être générale, c’est-à-dire suffisamment répandue et représentative, ainsi que pratiquement uniforme.»
xiii) Détermination de l’existence d’une opinio juris
194. S’agissant de la condition voulant que la pratique générale soit assortie d’une opinio juris, il est clair qu’elle suppose que cette pratique ait été suivie avec le sentiment de l’existence d’une obligation juridique ou d’un droit, autrement dit, que les Etats s’estimaient juridiquement contraints ou autorisés à agir comme ils l’ont fait en vertu d’une règle de droit international coutumier.
49
- 43 -
195. Au paragraphe 76 de son arrêt du 20 février 1969 dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas) [vol. 2, annexe 40], la Cour a indiqué ceci :
«Tout d’abord plus de la moitié des Etats intéressés, qu’ils aient agi unilatéralement ou conjointement, étaient, ou sont bientôt devenus, parties à la Convention de Genève et il est donc permis de supposer que leur action s’inscrivait en fait ou virtuellement dans le cadre de l’application de la Convention. On ne saurait donc légitimement en déduire qu’il existe une règle de droit international coutumier consacrant le principe de l’équidistance. Pour les Etats qui n’étaient pas et ne sont pas devenus depuis lors parties à la Convention, les raisons de leur action ne peuvent être que problématiques et restent entièrement du domaine de la conjecture. Il est clair que ces Etats n’appliquaient pas la Convention, mais il serait excessif d’en conclure qu’ils croyaient appliquer une règle de droit international coutumier à caractère obligatoire. Il n’existe pas le moindre indice en ce sens et, comme on l’a vu aux paragraphes 22 et 23, il ne manquait pas d’autres raisons de recourir à la méthode de l’équidistance, de sorte que le fait d’avoir agi ou de s’être engagé à agir d’une certaine façon ne prouve rien sur le plan juridique.» (Les italiques sont de nous.)
196. Il va de soi qu’une pratique motivée uniquement par d’autres considérations, telles que la courtoisie, la convenance ou l’opportunité politique ne permettra pas d’établir l’existence d’une opinio juris.
197. Au paragraphe 286 de son arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du Droit d’asile (Colombie/Pérou) [vol. 2, annexe 45], la Cour a précisé ce qui suit :
«Les faits portés à la connaissance de la Cour montrent que dans nombre de cas, les personnalités qui ont bénéficié de l’asile n’avaient, au moment de l’octroi, été l’objet d’aucune accusation émanant des autorités judiciaires. De façon plus générale, des considérations de convenance ou de simple opportunité politique semblent avoir déterminé l’Etat territorial à reconnaître l’asile sans que cette décision lui fût dictée par le sentiment d’un devoir juridique quelconque.» (Les italiques sont de nous.)
198. En l’affaire du Lotus (France c. Turquie ), à la suite d’une collision en haute mer entre un charbonnier turc et un navire français, l’officier de quart à bord de ce dernier fut arrêté et traduit devant une juridiction pénale turque. La France ayant rejeté la compétence de cette juridiction, la question fut portée devant la Cour permanente de justice internationale par un compromis en date du 12 octobre 1926 (voir Lotus, arrêt no 9, 1927, C.P.J.I. série A no 10).
199. A la page 28 de son arrêt du 7 septembre 1927 [vol. 2, annexe 151], la Cour permanente est parvenue à la conclusion suivante :
«Même si la rareté des décisions judiciaires que l’on peut trouver dans les recueils de jurisprudence était une preuve suffisante du fait invoqué par l’agent du Gouvernement français, il en résulterait simplement que les Etats se sont souvent abstenus, en fait, d’exercer des poursuites pénales, et non qu’ils se reconnaissent obligés de ce faire ; or, c’est seulement si l’abstention était motivée par la conscience d’un devoir de s’abstenir que l’on pourrait parler de coutume internationale. Le fait allégué ne permet pas de conclure que les Etats aient été conscients de pareil devoir ; par contre, comme on le verra tout à l’heure, il y a d’autres circonstances qui sont de nature à persuader du contraire.»
50
- 44 -
200. Au paragraphe 207 de son arrêt du 27 juin 1986 en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) [vol. 2, annexe 48], la Cour a indiqué ceci :
«L’invocation par un Etat d’un droit nouveau ou d’une exception sans précédent au principe pourrait, si elle était partagée par d’autres Etats, tendre à modifier le droit international coutumier. En réalité la Cour constate cependant que les Etats n’ont pas justifié leur conduite en prenant argument d’un droit nouveau d’intervention ou d’une exception nouvelle au principe interdisant celle-ci. A diverses occasions les autorités des Etats-Unis ont clairement exposé les motifs qu’elles avaient d’intervenir dans les affaires d’un Etat étranger et qui tenaient par exemple à la politique intérieure de ce pays, à son idéologie, au niveau de ses armements ou à l’orientation de sa politique extérieure. Mais il s’agissait là de l’exposé de considérations de politique internationale et nullement de l’affirmation de règles du droit international actuel.»
201. Il est clair que l’existence d’une opinio juris doit être recherchée tant du côté des Etats qui se livrent à la pratique sous-jacente pertinente que de ceux qui sont en mesure d’y réagir. Ainsi que cela a été rappelé ci-dessus, la Cour, au paragraphe 207 de ce même arrêt [vol. 2, annexe 48], a formulé le constat suivant :
«Ou bien les Etats agissant de la sorte ou bien d’autres Etats en mesure de réagir doivent s’être comportés d’une façon qui témoigne
«de la conviction que cette pratique est rendue obligatoire par l’existence d’une règle de droit. La nécessité de pareille conviction, c’est-à-dire l’existence d’un élément subjectif, est implicite dans la notion même d’opinio juris sive necessitatis.» (C.I.J. Recueil 1969, p. 44, par. 77.)»
202. S’il n’est pas nécessaire d’établir que tous les Etats ont cette conviction en ce qui concerne la règle de droit international coutumier invoquée, il faut néanmoins avoir pu constater une large acceptation conjuguée à une absence ou quasi-absence d’objections.
203. Au paragraphe 67 de son avis consultatif du 8 juillet 1996 relatif à la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires [vol. 2, annexe 44], la Cour a indiqué qu’elle :
«n’entend[ait] pas se prononcer ici sur la pratique dénommée «politique de dissuasion». Elle constate qu’il est de fait qu’un certain nombre d’Etats ont adhéré à cette pratique pendant la plus grande partie de la guerre froide et continuent d’y adhérer. De surcroît, les membres de la communauté internationale sont profondément divisés sur le point de savoir si le non-recours aux armes nucléaires pendant les cinquante dernières années constitue l’expression d’une opinio juris. Dans ces conditions, la Cour n’estime pas pouvoir conclure à l’existence d’une telle opinio juris.»
204. A défaut de l’opinio juris requise, toute «pratique générale» qui aura été mise en évidence sera considérée comme une simple habitude ou un simple usage ; l’on ne saurait en effet considérer que des Etats qui estimeraient avoir juridiquement toute latitude pour suivre la pratique invoquée ou, au contraire, ne pas en tenir compte donneraient, par le choix qu’ils feraient, expression à une règle de droit international coutumier.
51
- 45 -
205. La position exposée ci-dessus se retrouve désormais dans le projet de conclusions adopté par la CDI en 2016. Le projet de conclusion 9 se lit comme suit [vol. 2, annexe 53] :
«1. La condition, en tant qu’élément constitutif du droit international coutumier, que la pratique générale soit acceptée comme étant le droit (opinio juris) signifie que la pratique en question doit être menée avec le sentiment de l’existence d’une obligation juridique ou d’un droit.
2. Une pratique générale qui est acceptée comme étant le droit (opinio juris) doit être distinguée du simple usage ou de la simple habitude.»
xiv) Absence de réaction s’étendant dans le temps comme preuve d’une opinio juris
206. Il est clair qu’une absence de réaction s’étendant dans le temps à une pratique générale peut, dans certaines circonstances, constituer la preuve d’une opinio juris.
207. A la page 29 de son arrêt du 7 septembre 1927 en l’affaire du Lotus (France c. Turquie) [vol. 2, annexe 51], la Cour permanente de justice internationale a
«cr[u] devoir souligner le fait qu’il n’apparaît pas que les Etats intéressés se soient opposés aux poursuites pénales relatives à des cas d'abordage devant les tribunaux d’un pays autre que celui du pavillon ou qu’'ils aient avancé des protestations : leur conduite ne semble guère avoir été différente de celle qu’ils tiennent dans tous les cas de juridictions concurrentes. Cette circonstance va directement à l'encontre de l’existence du consentement tacite des Etats en faveur de la compétence exclusive de l’Etat du pavillon, que l’agent du Gouvernement français a cru pouvoir déduire de la rareté des questions de compétence devant les tribunaux répressifs. Il ne semble guère probable, et il ne serait pas conforme à la pratique internationale, que le Gouvernement français dans le cas de l’Ortigia-Oncle-Joseph et le Gouvernement allemand dans celui de l’Ekbatana-West-Hinder eussent omis de protester contre l’exercice de la juridiction pénale de la part des tribunaux italiens et belges, si vraiment ils avaient pensé qu'il y avait là une violation du droit international.»
208. A la page 139 de son arrêt du 18 décembre 1951 en l’affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège) [vol. 2, annexe 49], la Cour a indiqué ceci :
«La Cour constate qu’à l’égard d’une situation qui ne pouvait manquer de se fortifier d’année en année, le Gouvernement du Royaume-Uni s’est abstenu de formuler des réserves.
La notoriété des faits, la tolérance générale de la communauté internationale, la position de la Grande-Bretagne dans la mer du Nord, son intérêt propre dans la question, son abstention prolongée, permettraient en tout cas à la Norvège d’opposer son système au Royaume-Uni.
La Cour est ainsi amenée à conclure que la méthode des lignes droites, consacrée par le système norvégien, a été imposée par la géographie particulière de la côte norvégienne ; que, dès avant la naissance du différend, cette méthode avait été consolidée par une pratique constante et suffisamment longue en face de laquelle l’attitude des gouvernements atteste que ceux-ci ne l’ont pas considérée comme étant contraire au droit international.»
52
- 46 -
209. Une opinio juris peut se manifester par une inaction délibérée si l’Etat concerné était en mesure de réagir et que les circonstances appelaient une réaction.
210. En l’affaire relative à la Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), la Malaisie et Singapour ont soumis à la Cour, par voie de compromis, un différend les opposant relativement à la souveraineté sur certains espaces maritimes (voir arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 12).
211. Au paragraphe 121 de son arrêt du 23 mai 2008 [vol. 2, annexe 52], la Cour a précisé que «[l]’absence de réaction p[ouvait] tout à fait valoir acquiescement … Autrement dit, un silence peut aussi être éloquent, mais seulement si le comportement de l’autre Etat appelle une réponse.» (Les italiques sont de nous.)
212. La position exposée ci-dessus trouve désormais son expression dans le projet de conclusions adopté en 2016 par la CDI. Le projet de conclusion 10 [vol. 2, annexe 53] se lit comme suit:
«1. La preuve de l’acceptation comme étant le droit (opinio juris) peut revêtir une large variété de formes.
2. Les formes de preuves de l’acceptation comme étant le droit (opinio juris) comprennent, sans s’y limiter : les déclarations publiques faites au nom des Etats ; les publications officielles ; les avis juridiques gouvernementaux ; la correspondance diplomatique ; les décisions des juridictions nationales ; les dispositions de traités ; ainsi que la conduite en relation avec les résolutions adoptées par une organisation internationale ou lors d’une conférence intergouvernementale.
3. L’absence de réaction s’étendant dans le temps à une pratique peut constituer la preuve de l’acceptation de cette pratique comme étant le droit (opinio juris), lorsque les Etats étaient en mesure de réagir et que les circonstances appelaient une réaction.»
Observations
213. Pour les raisons développées dans le contre-mémoire, et ainsi que cela a été exposé ci-dessus, le Pakistan réaffirme que l’on ne saurait prétendre que, en 1963, il était accepté par les Etats, à titre de droit international coutumier, que la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi était obligatoire lorsque les ressortissants en cause étaient présumés coupables d’activités d’espionnage.
214. De fait, les commentaires d’éminents auteurs et la pratique des Etats associés (à tort ou à raison) à des activités d’espionnage qu’a évoqués le Pakistan illustrent clairement que, avant l’adoption de la convention de Vienne de 1963, ces Etats excluaient totalement de se soumettre, en pareil cas, à quelque forme d’obligation juridique ayant trait à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi. Lorsque les personnes mises en cause étaient présumées coupables d’activités d’espionnage, cette communication était bien souvent refusée ou extrêmement limitée et soumise à un contrôle strict.
53
- 47 -
215. En conséquence, depuis l’entrée en vigueur de la convention de Vienne de 1963, les Etats ont eu tout loisir de modifier ou de formaliser leur pratique à cet égard. L’accord bilatéral de 2018 sur la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi conclu entre l’Inde et le Pakistan (et, plus particulièrement, sa clause vi)) illustre la manière dont ces deux Etats l’ont fait.
B. La critique erronée de certaines affaires d’espionnage citées à titre d’exemples par le Pakistan à laquelle se livre l’Inde
216. Au paragraphe 126 de sa réplique, l’Inde choisit et critique (à tort) quelques-unes des affaires d’espionnage mentionnées par le Pakistan dans son contre-mémoire.
217. La réponse du Pakistan à ces critiques est exposée ci-après.
217.1. S’agissant de l’affaire Mikhail Gorin, l’observation formulée par l’Inde au paragraphe 126 a) de sa réplique, selon laquelle «on ignore si les Etats-Unis ont ou non refusé qu’il communique avec les autorités consulaires de son Etat d’envoi», passe à côté de l’essentiel. Comme l’a clairement indiqué le Pakistan au paragraphe 315.1 de son contre-mémoire, si le vice-consul soviétique a bien été autorisé à voir Mikhail Gorin, le département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique a toutefois insisté pour qu’un agent de l’Office of Naval Intelligence russophone assiste à l’entrevue [CM, vol. 7, annexe 146]. L’affaire Mikhail Gorin est donc une illustration de ce qu’indique le Pakistan au paragraphe 319 de son contre-mémoire, à savoir que, avant la conclusion de la convention de Vienne de 1963, les Etats étaient, en règle générale, extrêmement réticents à permettre à des espions présumés de communiquer, sous quelque forme que ce soit, avec leurs autorités consulaires et que, s’ils leur accordaient cette possibilité, ils l’assortissaient de limites très strictes.
217.2. En ce qui concerne l’affaire Gary Powers, le fait que le père de celui-ci ait assisté à son procès à Moscou est sans pertinence aux fins de la question de savoir si l’intéressé avait ou non le droit de communiquer avec ses autorités consulaires et s’il a pu effectivement entrer en contact avec elles. Et, bien que l’Inde affirme, au paragraphe 126 b) de sa réplique, qu’«[i]l ressort … d’autres documents publics, que l’ambassadeur des Etats-Unis[avait été] invité à … assister» au procès, elle ne cite absolument aucun document à cet égard. Apparemment, selon un entretien qu’il a eu avec un certain Vladimir I. Toumanoff18 après que le président Khrouchtchev eut annoncé publiquement que l’aéronef U-2 de Gary Powers avait été abattu, l’ambassadeur des Etats-Unis avait bien été invité à assister au procès de Gary Powers organisé pour l’exemple, mais ce sont deux subalternes (dont M. Toumanoff) qui s’y sont rendus [vol. 2, annexe 61, p. 5, par. 3]. Nul ne saurait cependant en déduire que cela revenait à accorder aux autorités consulaires de l’Etat d’envoi le droit de communiquer avec leur ressortissant. En outre, M. Toumanoff n’a jamais indiqué, au cours de cet entretien, avoir été autorisé à entrer en communication avec l’intéressé avant ou pendant son procès ; de fait, il précise que, au moment du procès, Gary Powers «était déjà détenu depuis environ trois mois sans pouvoir entrer en communication avec qui que ce soit d’autre que les autorités soviétiques, les personnes qui l’interrogeaient et l’agent infiltré qui lui servait de compagnon de cellule. Aucun Américain ni aucun étranger» [vol. 2, annexe 61, p. 5, dernier paragraphe].
18 Un officier américain exerçant les fonctions de conseiller politique à Moscou à l’époque du procès de Gary Powers [vol. 2, annexe 61, p. 2, par. 4].
55
54
- 48 -
217.3. Au sujet de l’affaire Gary Powers, l’Inde a par ailleurs fait observer, au paragraphe 126 b) de sa réplique, qu’«[i]l sembl[ait] également que le procès se soit déroulé avant l’entrée en vigueur de la convention de Vienne», ce qui donne à penser (avec tout le respect que nous lui devons) qu’elle n’a pas réfléchi au fait que, conformément au préambule de de ce même instrument, il convient de déterminer le droit international coutumier qui existait avant 1963 pour trancher toute question qui n’est pas expressément régie par les dispositions de la convention elle-même.
217.4. S’agissant de l’affaire du professeur Frédérick Barghoorn, l’Inde affirme, au paragraphe 126 c) de sa réplique, qu’«[a]ucun document ne donne à penser que, à l’issue de ces 16 jours, la possibilité de communiquer avec ses autorités consulaires lui ait été refusée». Or, voici ce qu’indique la lettre adressée au sénateur Clifford P. Hansen par le département d’Etat des Etats-Unis, citée par le Pakistan au paragraphe 322.1 de son contre-mémoire : «[n]ous n’avons jamais été autorisés à communiquer avec le professeur Barghoorn avant son expulsion d’Union soviétique» [CM, vol. 7, annexe 151, p. 7041, paragraphe 3 de la lettre adressée au sénateur Hansen] (les italiques sont de nous). L’Inde se plaint de ce que le Pakistan n’ait pas produit suffisamment de documents officiels à l’appui de ses arguments concernant la pratique en matière d’espionnage, alors qu’elle passe sous silence un rapport presque contemporain émanant du département d’Etat des Etats-Unis et cité comme élément de preuve par le défendeur.
217.5. En ce qui concerne l’affaire Hanson Huang, le fait qu’un ami ait pu lui rendre visite est sans pertinence aux fins de la question de savoir si l’intéressé avait le droit de communiquer avec ses autorités consulaires ou s’il a effectivement pu se mettre en rapport avec elles. Au paragraphe 126 d) de sa réplique, l’Inde affirme qu’«[u]n article publié dans le New York Times indique qu’aucune action diplomatique n’a été engagée pour communiquer avec lui car il n’était pas citoyen américain», ajoutant que «cela illustre une fois encore la difficulté de se fonder sur des articles de presse et non sur des documents d’archives permettant réellement d’établir si les autorités consulaires ont demandé à entrer en contact avec l’intéressé et, en cas de refus, quels en étaient les motifs». Or, c’est l’Inde qui s’appuie sur un article de presse, le Pakistan ayant, quant à lui, soumis comme élément de preuve un extrait du Historical Dictionary of Chinese Intelligence (2010) [CM, vol. 7, annexe 152] rédigé par des experts, I.C. Smith19 et Nigel West20.
217.6. En ce qui concerne l’affaire Harry Wu, l’Inde soutient, au paragraphe 126 e) de sa réplique, que «[l]’on ignore si les autorités américaines avaient été préalablement informées de son arrestation, et si elles ont cherché à communiquer avec lui». Or, les rapports versés au dossier par le Pakistan en ce qui concerne Harry Wu indiquent que les «fonctionnaires consulaires ont été empêchés de voir M. Wu jusqu’à hier» [CM, vol. 7, annexe 153, p. 1, par. 3] (les italiques sont de nous). Cette formulation implique que les autorités de l’Etat de résidence se sont opposées aux démarches entreprises par l’Etat d’envoi pour entrer en communication avec son ressortissant ; ce qui, de fait, démontre que les Etats-Unis ont effectivement cherché à pouvoir communiquer avec Harry Wu. Et pourtant, l’Inde affirme encore (à tort), au paragraphe 126 e) de sa réplique, que «[c]et exemple contredit … l’idée selon laquelle la communication entre
19 I.C. Smith a exercé les fonctions d’agent du contre-espionnage au sein du FBI de 1973 1998, en tant que membre du Senior Executive Service du FBI (1990), chef des enquêtes, des programmes de contre-espionnage et du service diplomatique au département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique (1990) et chef du service de l’analyse, du budget et de la formation au département de la sécurité nationale (1991) (où il a été le principal représentant du FBI pour la communauté du renseignement des Etats-Unis et le principal agent de liaison entre le FBI et les agences de renseignement et de sécurité étrangères) [vol. 2, annexe 62].
20 Nigel West est un auteur spécialisé dans les questions de sécurité, de renseignement, de services secrets et d’espionnage. Il est le rédacteur en chef pour l’Europe de la World Intelligence Review [vol. 2, annexe 63, p. 1].
56
- 49 -
les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi serait impossible en cas d’accusations d’espionnage». Le Pakistan soutient respectueusement que l’affaire Harry Wu démontre que les grandes puissances (en l’occurrence, la Chine) n’ont pas toujours considéré qu’elles étaient juridiquement tenues de permettre immédiatement la communication entre un espion et ses autorités consulaires.
217.7. En ce qui concerne le paragraphe 126 g) de la réplique de l’Inde, il semblerait (l’Inde n’ayant donné aucune référence spécifique) que celui-ci renvoie aux affaires citées au paragraphe 349 du contre-mémoire du Pakistan. Or, ces affaires étayent l’argument avancé par ce dernier au paragraphe 348 de son contre-mémoire, à savoir que les espions sont souvent envoyés à l’étranger sous une couverture diplomatique et que, s’ils sont capturés, ils sont déclarés persona non grata par l’Etat de résidence et obligés de quitter le pays. L’Inde le reconnaît d’ailleurs au paragraphe 112 de sa réplique.
C. L’Inde laisse entendre à tort que M. Lee s’est montré incohérent ou a contredit sa déclaration selon laquelle il est «souvent dérogé» au droit à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi dans les cas d’espionnage
218. Au paragraphe 317 de son contre-mémoire, le Pakistan, ayant expliqué que le préambule de la convention de Vienne de 1963 imposait d’examiner le droit international coutumier tel qu’il existait à l’époque afin de trancher une question non expressément régie par les dispositions de cet instrument lui-même, a cité l’édition de 1961 de Consular Law and Practice de M. Luke T. Lee. A la page 125 de cet ouvrage, il est indiqué ceci [CM, vol. 5, annexe 112.1] : «[u]n des cas où il est souvent dérogé au droit des fonctionnaires consulaires de protéger leurs concitoyens et de leur rendre visite en prison est celui des espions».
219. Au paragraphe 128 c) de sa réplique, l’Inde cite le passage suivant d’un ouvrage ultérieur de M. Lee publié en 1966 :
«[l]’on observera que, tant dans l’accord de 1933 que dans le traité conclu entre l’Union soviétique et les Etats-Unis ou la convention de Vienne, aucune exception n’est prévue en ce qui concerne les personnes accusées de se livrer à des activités d’espionnage».
220. Si l’intention de l’Inde était de soutenir que M. Lee avait modifié sa position sur ce point par suite de la promulgation de la convention de Vienne de 1963, le Pakistan soutient respectueusement que cela est inexact.
221. La déclaration précitée de M. Lee fait immédiatement suite à son exposé sur la manière dont, dans les affaires d’espionnage, les Etats, y compris les grandes puissances, ont toujours refusé d’autoriser la personne détenue à communiquer avec ses autorités consulaires (et ce, malgré l’existence de traités en vigueur traitant de la question de la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi détenus à l’étranger en général).
222. Tout ce qui précède s’inscrit par ailleurs parfaitement dans la suite logique de l’extrait de l’ouvrage Consular Law and Practice de 1961 de M. Lee (et, de fait, vient encore l’étayer), extrait que le Pakistan a reproduit dans son contre-mémoire pour exposer ce qu’étaient, en 1963, la pratique des Etats et les principes du droit international coutumier.
57
- 50 -
223. Ainsi, dans l’extrait de son ouvrage de 1966, lu dans son contexte, M. Lee se contente d’indiquer que la convention de Vienne de 1963, et les autres traités auxquels il est fait référence, ne contenaient aucune exception expresse concernant l’espionnage, point qui n’est pas contesté. L’Inde considère donc le problème comme étant résolu ; mais alors pourquoi les Etats refusaient-ils que les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi communiquent entre eux ? Le Pakistan soutient qu’il a fourni à cet égard une réponse décisive, que l’Inde ne saurait contester, à savoir que pareille obligation n’existait pas en droit international coutumier. Autrement dit, dans les cas d’espionnage (qui étaient rares et le sont toujours), le droit international coutumier reconnaissait une exception à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi.
- 51 -
VI. L’INDE N’A PAS RÉPONDU AUX ARGUMENTS DU PAKISTAN CONCERNANT LE PROTOCOLE DE SIGNATURE FACULTATIVE
224. Dans sa réplique, l’Inde a manqué ou refusé de répondre à un argument essentiel avancé par le Pakistan au sujet de l’abus de procédure auquel elle se livre.
225. Dans son contre-mémoire, le Pakistan expose de façon détaillée (aux paragraphes 142 à 149) l’argument selon lequel l’Inde s’est délibérément abstenue d’invoquer les autres mécanismes de règlement des différends énoncés dans le protocole de signature facultative [CM/vol. 5/annexe 87] à la convention de Vienne de 1963. Ce faisant, elle a commis un abus de procédure en tendant un piège au Pakistan par le dépôt, le 8 mai 2017, de sa requête et de sa demande en indication de mesures conservatoires devant la Cour.
226. Le protocole de signature facultative est ainsi libellé :
«Protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends
Fait à Vienne, le 24 avril 1963
Les Etats parties au présent protocole et à la Convention de Vienne sur les relations consulaires, ci-après dénommée «la Convention», qui a été adoptée par la Conférence des Nations Unies tenue à Vienne du 4 mars au 22 avril 1963,
Exprimant leur désir de recourir, pour ce qui les concerne, à la juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice pour la solution de tous différends touchant l’interprétation ou l’application de la Convention, à moins qu’un autre mode de règlement n’ait été accepté d’un commun accord par les parties dans un délai raisonnable.
Sont convenus des dispositions suivantes :
Article I
Les différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la Convention relèvent de la compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice, qui, à ce titre, pourra être saisie par une requête de toute partie au différend qui sera elle-même Partie au présent protocole.
Article II
Les parties peuvent convenir, dans un délai de deux mois après notification par une partie à l’autre qu’il existe à son avis un litige, d’adopter d’un commun accord, au lieu du recours à la Cour internationale de Justice, une procédure devant un tribunal d’arbitrage. Ce délai étant écoulé, chaque partie peut, par voie de requête, saisir la Cour du différend.
Article III
1. Les parties peuvent également convenir d’un commun accord, dans le même délai de deux mois, de recourir à une procédure de conciliation avant d’en appeler à la Cour internationale de Justice.
58
- 52 -
2. La Commission de conciliation devra formuler ses recommandations dans les cinq mois suivant sa constitution. Si celles-ci ne sont pas acceptées par les parties au litige dans l’espace de deux mois après leur énoncé, chaque partie sera libre de saisir la Cour du différend par voie de requête.
Article IV
Les Etats parties à la Convention, au protocole de signature facultative concernant l’acquisition de la nationalité et au présent protocole peuvent à tout moment déclarer étendre les dispositions du présent protocole aux différends résultant de l’interprétation ou de l’application du protocole de signature facultative concernant l’acquisition de la nationalité. Ces déclarations seront notifiées au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
Article V
Le présent protocole sera ouvert à la signature de tous les Etats qui deviendront Parties à la Convention, de la manière suivante : jusqu’au 31 octobre 1963 au ministère fédéral des affaires étrangères de la République d’Autriche, et ensuite, jusqu’au 31 mars 1964, au Siège de l’Organisation des Nations Unies à New York.
Article VI
Le présent protocole sera ratifié. Les instruments de ratification seront déposés auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
Article VII
Le présent protocole restera ouvert à l’adhésion de tous les Etats qui deviendront Parties à la Convention. Les instruments d’adhésion seront déposés auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
Article VIII
1. Le présent protocole entrera en vigueur le même jour que la Convention ou, si cette seconde date est plus éloignée, le trentième jour suivant la date de dépôt du second instrument de ratification du protocole ou d’adhésion à ce protocole auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
2. Pour chaque Etat qui ratifiera le présent protocole ou y adhérera après son entrée en vigueur conformément au paragraphe 1 du présent article, le protocole entrera en vigueur le trentième jour après le dépôt par cet Etat de son instrument de ratification ou d’adhésion.
Article IX
Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies notifiera à tous les Etats qui peuvent devenir Parties à la Convention :
a) les signatures apposées au présent protocole et le dépôt des instruments de ratification ou d’adhésion, conformément aux articles V, VI et VII ;
b) les déclarations faites conformément à l’article IV du présent protocole ;
59
60
- 53 -
c) la date à laquelle le présent protocole entrera en vigueur, conformément à l’article VIII.
Article X
L’original du présent protocole, dont les textes anglais, chinois, espagnol, français et russe font également foi, sera déposé auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, qui en adressera des copies certifiées conformes à tous les Etats visés à l’article V.
EN FOI DE QUOI les plénipotentiaires soussignés, dûment autorisés par leurs gouvernements respectifs, ont signé le présent protocole.
FAIT à Vienne, le vingt-quatre avril mil neuf cent soixante-trois.» (Les italiques sont de nous.)
227. Le Pakistan et l’Inde ont adhéré au protocole de signature facultative le 29 mars 1976 et le 28 novembre 1977, respectivement. Aucun d’eux n’a déposé de réserves à cet instrument [vol. 2/annexe 64].
A. Les notifications adressées par la Cour aux Etats parties à la convention de Vienne de 1963 et au protocole de signature facultative
228. L’article 63 du Statut de la Cour se lit comme suit :
«1. Lorsqu’il s’agit de l’interprétation d’une convention à laquelle ont participé d’autres Etats que les parties en litige, le Greffier les avertit sans délai.
2. Chacun d’eux a le droit d’intervenir au procès et, s’il exerce cette faculté, l’interprétation contenue dans la sentence est également obligatoire à son égard.»
229. Le 20 novembre 2017 [vol. 1/annexe 8] et le 18 janvier 2018 [vol. 1/annexe 9], la Cour, estimant que des questions d’interprétation de la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 et du protocole de signature facultative étaient en jeu en l’espèce, a, en application de l’article 63 de son Statut, adressé des notifications aux Etats parties à ces instruments.
230. S’agissant du protocole de signature facultative, le Pakistan fait respectueusement observer que, parmi les questions d’interprétation concernant cet instrument, pourraient fort bien figurer les suivantes :
1) Quelle forme et quel contenu doit au minimum avoir la notification d’un litige (article II) ?
2) Que la notification soit obligatoire ou non, quel est l’effet d’un défaut de notification ?
3) Quel est l’effet du délai de deux mois prévu aux articles II et III ?
4) Quelle est la conséquence du non-respect du délai de deux mois susmentionné ?
231. Bien que la Cour ait (89 jours avant le dépôt de la réplique de l’Inde) clairement signifié qu’il serait tenu compte des termes du protocole de signature facultative dans la présente instance ou qu’il était probable qu’il en soit tenu compte, l’Inde a, dans sa réplique, manqué ou refusé de
61
- 54 -
répondre, de quelque manière que ce soit, aux questions soulevées par le Pakistan au sujet dudit protocole.
232. Le Pakistan relève que, parmi les arguments qu’elle a avancés pour justifier la tenue d’un second tour d’écritures, l’Inde a affirmé à la Cour, le 10 janvier 2018, que les questions soulevées par le défendeur dans son contre-mémoire «devr[aient] être rejetées dans leur intégralité» (les italiques sont de nous). [Vol. 1/annexe 3/p. 3/par. 5].
233. Le Pakistan fait respectueusement valoir que le fait que l’Inde, après avoir demandé à la Cour d’autoriser un tour d’écritures supplémentaire au motif qu’elle avait besoin de rejeter «dans leur intégralité» les arguments du défendeur tels qu’exposés dans son contre-mémoire, n’ait pas même mentionné (ni, a fortiori, rejeté) un élément aussi important constitue un nouvel exemple de la stratégie du demandeur en la présente espèce.
234. Cela est d’autant plus frappant que c’est sur l’insistance de l’Inde qu’a été adoptée la disposition juridictionnelle plus détaillée que contient le protocole de signature facultative.
B. L’Inde a joué un rôle déterminant dans l’adoption du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations consulaires
235. L’article 72 (Règlement des différends) du projet de convention de Vienne sur les relations consulaires établi par le comité de rédaction était ainsi libellé [vol. 2/annexe 65] :
«1. Tout différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la présente convention sera soumis à la Cour internationale de Justice à la requête de l’une ou l’autre partie, à moins qu’elles ne soient convenues d’un autre mode de règlement.
2. Chaque partie contractante pourra, au moment où elle signera ou ratifiera la présente convention ou y adhérera, déclarer qu’elle ne se considère pas liée par le paragraphe 1 du présent article. Les autres parties contractantes ne seront pas liées par ledit paragraphe envers toute partie contractante qui aura fait une telle déclaration.»
236. A la 21e séance plénière de la conférence des Nations Unies sur les relations consulaires, qui s’est tenue le 22 avril 1963 à 10 h 45, le représentant de l’Inde (M. Krishna Rao21) a recommandé que l’article 72 soit «remplacé par un protocole de signature facultative sur le règlement obligatoire des différends» [vol. 2/annexe 66/p. 88/par. 10].
237. Chose intéressante, le paragraphe 3 du compte rendu de son intervention se lit comme suit [vol. 2/annexe 66/p. 87-88] :
«3. On a donné l’impression que la Cour était un organe parfait pour trancher tous les différends d’ordre juridique et qu’on ne devait tolérer aucune critique à son égard. M. Krishna Rao comprend très bien l’attitude de certains pays d’Europe qui font réellement confiance à la Cour. Il ne peut cependant pas admettre que certains Etats prétendent faire grand cas de la Cour alors que, dans les déclarations qu’ils ont faites en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, ils ont refusé à la Cour le droit
21 M. K. Krishna Rao était à l’époque le conseiller juridique du ministère indien des affaires étrangères.
62
- 55 -
de décider elle-même de sa compétence, ainsi qu’il est prévu au paragraphe 6 du même Article 36. A cet égard, l’Inde a eu une attitude plus correcte que celle de ce dernier groupe de pays. A ce propos, on pourrait citer à juste titre cet adage du droit anglais selon lequel «ceux qui viennent demander justice doivent avoir les mains blanches». M. Krishna Rao admet qu’on ne doit épargner aucun effort pour encourager le plus grand nombre possible d’Etats à accepter la juridiction de la Cour. En même temps, cependant, on doit s’efforcer de déterminer les raisons pour lesquelles un si grand nombre d’Etats n’acceptent pas cette juridiction et de remédier aux imperfections qui peuvent ainsi apparaître.» (Les italiques sont de nous.)
238. Il semblerait que l’éminent et respecté représentant de l’Inde faisait ainsi allusion à la nécessité d’établir clairement la juridiction de la Cour, exprimant des préoccupations quant à la réticence de certains Etats à conférer compétence à celle-ci, sans doute en raison du climat de «guerre froide» qui régnait alors.
239. Ce qui est particulièrement frappant, c’est que le protocole de signature facultative prévoit ce que l’on pourrait appeler un processus de règlement des différends à plusieurs niveaux. Des dispositions de ce type sont courantes au 21e siècle et témoignent du souhait d’éviter le règlement contentieux des différends et l’escalade concomitante qui en découle. Pareilles considérations sont encore plus pressantes dans le contexte des relations diplomatiques et des questions touchant à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi.
240. Le protocole de signature facultative reflète donc l’accord entre les Etats parties à cet instrument pour tenter (de bonne foi) d’éviter de se «précipiter» devant la Cour et donner à des processus moins formels voire confidentiels une chance d’aboutir à un résultat acceptable.
241. Le Pakistan relève que, dans ce contexte, le comportement de l’Inde est d’autant plus problématique qu’elle
1) s’est abstenue de notifier l’existence d’un litige au Pakistan ;
2) a cherché ainsi à éviter une procédure d’arbitrage ou de conciliation ;
3) a attendu plus d’un an pour finalement tendre un piège au défendeur en présentant une demande en indication de mesures conservatoires (alors que des mesures équivalentes auraient également — et peut-être plus rapidement — pu être accordées par la Haute Cour du Pakistan) afin de créer les conditions pour politiser le litige et ouvrir la voie au sensationnalisme et à une couverture caricaturale des faits par les médias indiens.
242. Il s’agit là (peut-être) précisément de ce que les auteurs du protocole de signature facultative cherchaient à éviter.
C. La «notification»
243. Le Pakistan relève que la forme que doit revêtir la notification prévue par le protocole de signature facultative n’y est pas expressément indiquée.
63
- 56 -
244. Il est néanmoins bien établi que la notion de «notification» renvoie, dans le contexte du droit des traités, à une notification formelle requise pour susciter certains événements d’ordre juridique ou commencer à faire courir certains délais. A propos du terme «notification», le glossaire du Recueil des traités des Nations Unies précise ce qui suit [vol. 2/annexe 67/p. 2] :
«Le terme «notification» désigne une formalité par laquelle l’État ou une organisation internationale communique certains faits ou certains événements ayant une importance juridique. On recourt de plus en plus à la notification comme moyen d’exprimer le consentement définitif. Au lieu de procéder à un échange de documents ou à un dépôt, les Etats peuvent se borner à notifier leur consentement à l’autre partie ou au dépositaire. Toutefois, tous les autres actes et instruments se rapportant à la vie d’un traité peuvent faire l’objet de notifications.» (Les italiques sont de nous.)
245. De surcroît, au paragraphe 6 de l’ouvrage publié sous la direction d’Olivier Dörr et de Kirsten Schmalenbach, Vienna Convention on the Law of Treaties : A Commentary (2018), Helmut Tichy22 et Philip Bittner23 déclarent ce qui suit [vol. 2/annexe 59/p. 1328] dans leur commentaire relatif à l’article 78 de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 (qui concerne les notifications et communications faites en application de la convention) : «De façon générale, on peut entendre par notification «un acte de droit international formel et unilatéral, par lequel un Etat informe d’autres Etats ou des organisations de faits juridiquement pertinents».»
246. Au paragraphe 2 de l’ouvrage publié sous la direction d’Olivier Corten et Pierre Klein, Les conventions de Vienne sur le droit des traités — Commentaire article par article (vol. III) (2006), Riad Daoudi24 indique ce qui suit [vol. 2/annexe 60/p. 2762] dans son commentaire relatif à l’article 78 de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 :
«Le Dictionnaire de la terminologie du droit international définit la notification comme étant l’«action de porter officiellement un fait, une situation, une action, un document, à la connaissance d’un tiers en vue d’obtenir que l’objet de cette notification soit désormais considéré comme juridiquement connu de celui à qui elle a été faite». C’est pour cette raison que toute notification est soumise à des conditions de forme. Elle est faite par écrit, et doit être signée par l’une des autorités habilitées à exprimer le consentement de l’Etat à être lié par un traité conformément à l’article 7 de la convention de Vienne de 1969, faute de quoi les pleins pouvoirs sont exigés du signataire de la notification». (Les italiques sont de nous ; les notes de bas de page ont été omises).
247. Le Pakistan estime par conséquent que l’inclusion, dans le protocole de signature facultative, d’une disposition prévoyant que l’existence d’un litige doit faire l’objet d’une notification formelle, associée à la possibilité de recourir à d’autres types de mécanismes de règlement des différends, lesquels sont destinés à être employés avant l’introduction d’une instance devant la Cour, revêt la plus haute importance.
22 M. Helmut Tichy, ambassadeur, exerce des fonctions au sein du ministère fédéral des affaires étrangères de l’Autriche (devenu ministère fédéral aux affaires européennes et internationales) depuis 1983, dont il est conseiller juridique depuis 2010. Il est également professeur à l’Institut de droit international et de relations internationales de l’université de Graz.
23 M. Philip Bittner a exercé les fonctions de conseiller (affaires juridiques) à la représentation permanente de l’Autriche auprès de l’Union européenne.
24 M. Riad Daoudi a été membre de la Commission du droit international (2002-2006).
64
- 57 -
248. L’Inde n’ayant pas abordé cette question, ou ayant refusé de le faire, le Pakistan se réserve le droit de développer ses arguments à cet égard lors de la procédure orale.
249. En résumé, le Pakistan affirme que : 1) l’Inde était tenue de lui notifier clairement ou aurait dû lui notifier clairement par écrit l’existence d’un litige concernant la convention de Vienne de 1963 (en en précisant la nature) ; 2) cette notification (si elle avait été faite) aurait entraîné le déclenchement des procédures d’arbitrage ou de conciliation prévues aux articles II et III du protocole de signature facultative ; 3) la compétence de la Cour ne pouvait pas être invoquée avant que ne soient mises en oeuvre les étapes 1) et 2) susmentionnées.
250. A titre subsidiaire, au vu des mécanismes prévus aux articles premier et II du protocole de signature facultative, la saisine de la Cour par le demandeur relève de la mauvaise foi et milite en tant que telle, ou conjointement avec les autres éléments exposés dans le contre-mémoire et dans la présente réplique, contre l’octroi de toute mesure sollicitée.
- 58 -
VII. LES TENTATIVES DE L’INDE POUR DÉTOURNER L’ATTENTION
251. Au paragraphe 28 de sa réplique, l’Inde affirme qu’une grande partie du contexte factuel que le Pakistan a présenté aux paragraphes 22 et suivants de son contre-mémoire est «dépourvu[e] de toute pertinence aux fins de la présente espèce, dont [elle] dépasse[] le cadre». Non seulement cette assertion est tout à fait inacceptable, mais le demandeur n’hésite pas, de son côté, à chercher à détourner l’attention en multipliant les allégations malveillantes, dénuées de tout fondement et sans pertinence aucune. Le défendeur reviendra sur l’une d’elles à titre d’exemple.
A. L’allégation infondée de l’Inde selon laquelle le commandant Jadhav aurait été «enlevé en Iran»
252. Au paragraphe 29 de sa réplique, l’Inde affirme que le commandant Jadhav a été «enlevé en Iran», produisant comme «élément de preuve» à cet égard la transcription d’un entretien accordé le 18 janvier 2018 à CNN News 18 (réseau indien de télévision) par un certain «Mama Qadir» (qui se présente comme le vice-président de l’organisation «Voice for Baloch Missing Persons»). Outre qu’elle soulève certaines questions, telles que la date bien commode dudit entretien ainsi que la source de celui-ci, cette transcription est censée démontrer que Mama Qadir (non content de formuler des allégations graves et infondées contre diverses autorités pakistanaises) est l’auteur de plusieurs déclarations qui, selon le demandeur  et c’est là le seul élément sur lequel il s’appuie, de manière opportuniste et tardive , attestent que le commandant Jadhav aurait été enlevé en territoire iranien.
253. Le Pakistan relève que ce n’est pas la première fois que l’Inde a formulé ou fait valoir cette allégation manifestement douteuse et erronée. Le 11 avril 2017, le ministre indien des affaires étrangères avait ainsi indiqué, dans un discours prononcé devant le Rajya Sabha, que le commandant Jadhav «se livrait à des activités commerciales en Iran et qu’il a[vait] été enlevé puis emmené au Pakistan», sans toutefois avancer le moindre élément étayant ses dires [CM/vol. 2/annexe 21/p. 1/par. 2]. Plus d’un an après, le demandeur se contente de réitérer son allégation dans l’espoir qu’elle se transforme en un fait incontestable. Cet exemple ne fait qu’illustrer une nouvelle fois sa stratégie.
254. Alors même qu’elle a allégué, aux paragraphes 41, 57, 133 et 206 a) de son mémoire, que le commandant Jadhav avait été enlevé en Iran, l’Inde n’a pas fourni l’ombre d’une preuve à l’appui de sa théorie. Au paragraphe 206 a) de son mémoire, elle est même allée jusqu’à avancer qu’«[u]n ancien responsable de l’armée pakistanaise aurait également déclaré via les médias électroniques que M. Jadhav avait été enlevé en Iran». Or, là encore, le demandeur n’a cité aucun élément venant étayer cette assertion.
255. Sans doute n’est-ce pas là une surprise, mais le Pakistan n’a trouvé aucune déclaration officielle accessible au public (et encore moins un élément de preuve) donnant à penser que l’Inde aurait, à un moment ou à un autre, adressé aux autorités iraniennes une quelconque demande relative au commandant Jadhav et à son prétendu «enlèvement». En tout état de cause, insinuer que l’intéressé aurait été enlevé en Iran est, au mieux, saugrenu.
B. Il est révélateur que l’Inde n’ait pas saisi l’occasion de soulever la question du prétendu «enlèvement» aux plus hauts niveaux de l’Etat iranien
256. De fait, en dépit de ces allégations à l’emporte-pièce, il est (à tout le moins) singulier que le demandeur n’ait pas saisi l’occasion qui s’est très récemment présentée à lui de demander de
65
66
- 59 -
l’aide ou des renseignements aux autorités iraniennes compétentes. Le Pakistan se réfère ici à la visite que le président de l’Iran a effectuée en Inde en février 2018 et qui a donné lieu à une conférence de presse fort instructive organisée par le ministère indien des affaires étrangères le 17 février 2018.
257. La transcription officielle de cette conférence de presse, en date du 19 février 2018, fait apparaître que les journalistes ont abordé au moins à quatre reprises le cas du commandant Jadhav, sans nul doute en réaction à ce que l’Inde avait publiquement affirmé, à savoir que l’intéressé avait été enlevé en Iran. Chaque fois, le représentant du ministère indien des affaires étrangères (qui n’est autre que l’agent de l’Inde en la présente instance) a confirmé que la question n’avait pas été soulevée auprès des autorités iraniennes (et ce, malgré cette occasion évidente de le faire au plus haut niveau) [vol. 2/annexe 68/p. 4/par. 3-4, p. 4/par. 9-10, p. 7/par. 6-7, et p. 8/par. 5-6] :
«Question : vous avez évoqué la coopération en matière de sécurité et l’échange d’informations. La question de l’enlèvement en Iran de Kulbhushan Jadhav a-t-elle été soulevée et, comme suite à la ratification du traité d’extradition intervenue aujourd’hui, sera-t-il demandé aux Iraniens de poursuivre ceux qui se sont rendus complices de cet enlèvement en Iran ?
M. Deepak Mittal, Joint Secretary (Pakistan, Afghanistan et Iran) : cette question n’a pas été abordée au cours des discussions.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Question : y-a-t-il une quelconque raison pour laquelle le cas de M. Jadhav n’a pas été évoqué ; pourquoi cette question n’a-t-elle pas été soulevée lors des discussions ?
M. Deepak Mittal, Joint Secretary (Pakistan, Afghanistan et Iran) : il ne s’agit en aucun cas d’une question bilatérale entre l’Inde et l’Iran.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Question : l’Iran avait déclaré qu’il chercherait à découvrir comment Kulbhushan Jadhav avait été enlevé sur son territoire, nous faisant dernièrement savoir que le Pakistan ne lui apportait aucune coopération à cette fin. L’Iran a-t-il, à un moment ou à un autre, recontacté l’Inde à cet égard et s’est-il jamais penché sur la question ? Une communication officielle a-t-elle eu lieu à quelque niveau que ce soit25 ?
M. Deepak Mittal, Joint Secretary (Pakistan, Afghanistan et Iran) : je pensais que nous allions parler de la visite en cours. J’ai déjà précisé que ce point n’était pas à l’ordre du jour.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Question : lors de la définition des domaines d’intervention entre l’Inde et l’Iran, qui a eu lieu à la veille de la visite du président, vous aviez mentionné que le
25 S’agissant de la prémisse de la question, le Pakistan n’est parvenu à trouver aucune déclaration publique officielle de quelque autorité iranienne donnant à penser que l’Iran aurait, à un moment ou à un autre, admis que le commandant Jadhav avait été «enlevé en Iran». La question semble donc reposer uniquement sur l’allégation formulée par l’Inde. Les médias indiens ont en effet rapporté, le 12 avril 2017, que M. Gholamreza Ansari, ambassadeur d’Iran auprès de l’Inde, avait déclaré que «Téhéran examinait le cas de M. Kulbhushan Jadhav, prétendu espion indien, et les activités commerciales que ce dernier menait à Chabahar» [vol. 2/annexe 69].
67
- 60 -
cas de Kulbhushan Jadhav ne serait pas examiné, mais est-ce l’Inde qui a pris la décision de ne pas aborder la question, ou bien souhaitait-elle le faire mais l’Iran s’y est opposé ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
M. Deepak Mittal, Joint Secretary (Pakistan, Afghanistan et Iran) : … la réponse est non, et je répète qu’il ne s’agit là en aucun cas d’une question bilatérale entre l’Inde et l’Iran».
258. Le Pakistan soutient que la déclaration du représentant de l’Inde selon laquelle il ne «s’agit en aucun cas d’une question bilatérale entre l’Inde et l’Iran» [vol. 2/annexe 68/p. 4/par. 10] ne laisse de surprendre, compte tenu de la grave allégation que le demandeur a formulée contre lui et de la manière dont celle-ci a été amplifiée et exacerbée par les médias indiens. Il fait observer que l’Inde s’est montrée nettement moins convaincue à ce sujet au moment où il lui aurait été si aisé d’étayer son affirmation, si celle-ci était un tant soit peu crédible ou sérieuse.
259. Dès les audiences consacrées à la demande en indication de mesures conservatoires, puis, de nouveau, au paragraphe 69 de son contre-mémoire, le Pakistan a exposé les raisons pour lesquelles les allégations infondées de l’Inde relatives à un enlèvement en Iran étaient tout à fait extravagantes. Cela fait donc déjà un certain temps que le proverbe «parler c’est bien, agir c’est mieux» a été rappelé au demandeur ; autrement dit, qu’il lui a été rappelé qu’il devait étayer son argument ou y renoncer.
CONCLUSIONS
260. Pour les motifs exposés dans la présente duplique et dans son contre-mémoire, le Pakistan prie la Cour de dire et juger que les demandes de l’Inde, telles que celle-ci les a présentées dans sa requête, son mémoire et sa réplique, sont rejetées.
261. Le Pakistan se réserve le droit de compléter ou de modifier les présentes conclusions.
Le 17 juillet 2018.
Le conseil de la République islamique du Pakistan,
(Signé) M. Khawar QURESHI, QC.
___________
68
- 61 -
J’ai l’honneur, au nom de la République islamique du Pakistan, de déposer la présente duplique ainsi que les documents y annexés.
CERTIFICATION
J’ai l’honneur de certifier que les documents annexés à la présente duplique sont des copies conformes des originaux.
Le coagent de la République islamique du Pakistan,
(Signé) M. Mohammad FAISAL.
___________
69

Document file FR
Document Long Title

Duplique de la République islamique du Pakistan

Links