Réplique de la République de l'Inde

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168-20180417-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15477
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE JADHAV
(INDE c. PAKISTAN)
RÉPLIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DE L’INDE
17 avril 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. RÉSUMÉ ..................................................................................................................................... 1
II. CONTEXTE FACTUEL ................................................................................................................. 6
III. VISITE DE LA MÈRE ET DE L’ÉPOUSE DE M. JADHAV .............................................................. 12
IV. ABUS DE PROCÉDURE/DROITS ET ABSENCE DE BONNE FOI ..................................................... 17
V. EX TURPI CAUSA (ILLICÉITÉ)/MAINS SALES/EX INJURIA JUS NON ORITUR ................................. 21
VI. APPLICABILITÉ DE LA CONVENTION DE VIENNE ..................................................................... 23
VII. RÉPONSE AUX ARGUMENTS DU PAKISTAN SELON LESQUELS LA CONVENTION DE VIENNE NE TROUVE PAS À S’APPLIQUER DANS LES AFFAIRES D’ESPIONNAGE ....................... 25
VIII. L’ACCORD BILATÉRAL DE 2008 N’A AUCUNE INCIDENCE SUR LE PRÉSENT DIFFÉREND ......... 32
IX. LE REMÈDE SOLLICITÉ PAR L’INDE EST APPROPRIÉ ................................................................ 35
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I. RÉSUMÉ
1. Dans son contre-mémoire, la République islamique du Pakistan (ci-après, le «Pakistan») se livre à un exercice de dissimulation et de propagande –– en formulant des allégations dépourvues de fondement –– au lieu de s’intéresser aux questions fondamentales (et d’y répondre), à savoir son manquement aux obligations qui lui incombent au regard de la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 (ci-après, la «convention de Vienne»).
2. Le Pakistan consacre de très longs développements au passeport dont aurait été muni M. Kulbhushan Sudhir Jadhav (ci-après, «M. Jadhav»). Il soutient que la République de l’Inde (ci-après, l’«Inde») a délivré ce passeport à l’intéressé et, ce faisant, lui a fourni une fausse identité pour l’aider à entrer au Pakistan et à le quitter. Ces allégations ne sont pas crédibles, et elles sont sans rapport avec les questions soulevées en la présente affaire. Cherchant à justifier juridiquement cet exercice accusatoire, le défendeur invoque un certain nombre d’arguments fondés sur l’abus de procédure, la doctrine ex turpi causa non oritur actio et celle des mains propres, etc.
3. Dans le cadre de la guerre de propagande qu’il livre à l’Inde, le Pakistan s’est servi de M. Jadhav comme d’un pion, en riposte aux critiques croissantes que suscite le soutien ouvert qu’il apporte à la violence terroriste, notamment par une politique d’Etat favorisant l’augmentation exponentielle des attaques visant l’Inde.
4. Il n’est guère surprenant de constater que la réponse du défendeur aux arguments avancés par le demandeur dans son mémoire repose intégralement sur l’idée que les allégations qu’il formule ne sauraient être mises en doute.
5. Dans son contre-mémoire, émaillé d’incohérences, le Pakistan souligne à juste titre que la Cour n’est pas une juridiction d’appel en matière criminelle ; or, par son comportement, il invite à rejuger l’accusé, ce qui serait inévitable si la Cour devait examiner le bien-fondé de la litanie d’allégations formulées contre celui-ci et contre l’Inde. Le défendeur demeure en revanche silencieux sur le fait que le mécanisme de la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi est aujourd’hui reconnu comme un élément essentiel pour garantir l’équité de la procédure dont fait l’objet un ressortissant étranger détenu et jugé dans l’Etat de résidence. Les allégations formulées par la police de ce dernier ainsi que les décisions rendues par des tribunaux militaires à l’issue d’un procès tenu à huis clos et au cours duquel l’accusé n’a pas même bénéficié de la possibilité de communiquer avec les autorités consulaires de son pays n’ont aucune crédibilité. Incapable de répondre à cet argument fondamental, le Pakistan invite la Cour à examiner des questions dépourvues de pertinence, et ce, soit en tenant pour acquis que l’ensemble de ses allégations sont exactes, soit en se transformant en juridiction pénale de première instance appelée à se pencher sur l’origine des aveux et la véracité des assertions concernant le passeport assurément falsifié dont M. Jadhav aurait été porteur.
6. Le défendeur prétend que l’Inde n’a fourni aucune explication en réponse à ses allégations selon lesquelles il a confisqué à M. Jadhav un passeport qui était, selon lui, manifestement falsifié car établi sous une fausse identité musulmane. Quoique l’Inde conteste que M. Jadhav ait été trouvé en possession d’un tel passeport, le Pakistan invite la Cour à admettre la véracité de ses
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assertions et à en conclure que «… les autorités indiennes … ont certainement attribué [à l’intéressé] une fausse identité musulmane (pour lui permettre de mener ses activités illicites)»1.
7. Le défendeur cherche à occulter un point fondamental (et embarrassant pour lui), à savoir que les allégations relatives aux «activités illicites» de l’intéressé n’ont pas été établies dans le cadre d’un procès satisfaisant aux garanties minimales d’une procédure équitable. En laissant entendre que, parce qu’elle cherche à prendre fait et cause pour un «espion» ou un «terroriste», l’Inde agirait de mauvaise foi, il va un peu vite en besogne. N’ayant pas démontré, dans le cadre d’un procès mené par une instance judiciaire indépendante conformément aux normes minimales requises pour assurer une procédure équitable, que M. Jadhav s’était livré à quelque activité illicite, le Pakistan use de l’hyperbole pour tenter de combler l’écart entre ses allégations et les faits établis.
8. Le défendeur avance à maintes reprises l’argument selon lequel l’Inde aurait refusé de lui fournir son assistance dans le cadre de l’enquête concernant M. Jadhav. Il reproche à celle-ci de ne pas avoir communiqué à la Cour l’intégralité du document par lequel il a sollicité cette assistance, tout en passant sous silence le fait que lui-même, avant toute autre chose, a refusé de conclure un traité d’entraide judiciaire avec l’Inde. Et l’on comprend aisément pourquoi : le Pakistan peut difficilement se permettre de conclure pareil traité avec l’Inde, étant donné sa campagne incessante de terreur et son refus obstiné de fournir son assistance pour enquêter sur les agissements liés au terrorisme2. Le défendeur offre ouvertement l’asile à des individus impliqués dans de graves actes de terrorisme, dont certains figurent même sur les listes noires internationales. Il peut donc difficilement prendre le risque de conclure un traité d’entraide judiciaire avec l’Inde.
9. Le Pakistan choisit fort opportunément d’invoquer la Charte des Nations Unies et les résolutions du Conseil de sécurité pour fonder son droit de solliciter une coopération dans le cadre d’une enquête, espérant peut-être que, étant donné la considération nouvelle qu’il affiche à l’égard desdites résolutions dans ses écritures, il sera fait abstraction de ses propres antécédents en matière de soutien et de financement du terrorisme.
10. Il est par ailleurs manifeste que les demandes d’assistance judiciaire du Pakistan constituent davantage des documents de propagande que des demandes sérieuses aux fins d’enquête sur des infractions. Hormis le procès-verbal établi lors du dépôt initial de la plainte (ou «FIR» pour First Information Report), le défendeur ne produit, même à ce stade, aucun des éléments de preuve qui ont été présentés devant son tribunal militaire (si ce n’est les aveux forcés) et sur la base desquels celui-ci a estimé devoir déclarer M. Jadhav coupable et prononcer contre lui la peine capitale. La demande de coopération aux fins d’enquête est un simulacre et relève de la pure gesticulation politique.
11. Le Pakistan admet, dans son contre-mémoire, que, avant même que l’intéressé ait été formellement mis en accusation (et, a fortiori, déclaré coupable par son tribunal militaire), il a, le 25 mars 2017, adressé une lettre «d’information» aux cinq Etats membres permanents du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies. L’Inde fait valoir qu’il est aujourd’hui établi qu’il s’agissait là d’un exercice de propagande visant à répondre aux pressions croissantes dont le défendeur fait l’objet de la part de la communauté internationale au sujet du terrorisme transfrontalier.
1 Contre-mémoire du Pakistan (ci-après «CMP»), par. 7 iii).
2 Au moins 18 demandes ont ainsi été adressées au Pakistan concernant des actes liés au terrorisme, dont certains, effroyables, ont choqué la communauté internationale dans son ensemble.
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12. N’ayant pas trouvé de réponse à apporter aux manquements que l’Inde lui reproche d’avoir commis au regard de la convention de Vienne, le Pakistan détourne certains principes juridiques pour fonder ses allégations. Ainsi, il affirme tout d’abord que la demande de l’Inde constitue un abus de procédure et un abus de droit, et qu’elle est illicite et invalidée par la doctrine des «mains propres». A cet égard, il se réfère à des opinions dissidentes ou à des arguments présentés à la Cour dans certaines affaires, que celle-ci n’a pourtant pas repris dans ses décisions. Il fait notamment l’amalgame entre la violation de droits substantiels, le recours abusif à la souveraineté et les incidents auxquels il peut donner lieu, les actes contraires au droit international public, etc. ; par ce biais, il laisse entendre que l’invocation d’une garantie procédurale essentielle prévue par la convention de Vienne pourrait, d’une certaine manière, constituer un abus.
13. Le défendeur fait abstraction d’un aspect élémentaire de la notion de procédure équitable, à savoir que, plus l’accusation est grave, plus il importe que les garanties procédurales soient respectées. La convention de Vienne a établi une garantie essentielle : un mécanisme permettant à toute personne contre laquelle est intenté un procès dans un Etat étranger d’obtenir l’assistance de son Etat d’origine pour se défendre des allégations formulées à son encontre. Etant donné la gravité des allégations formulées contre M. Jadhav –– soupçonné d’être un «espion» indien, voire un «terroriste» ––, il était donc d’autant plus nécessaire que le procès de l’intéressé soit ouvert et équitable, et que celui-ci puisse bénéficier pleinement de l’assistance de son Etat d’origine pour se défendre de ces lourdes accusations. Le Pakistan tente de renverser les choses en laissant entendre que, parce qu’il est accusé d’être un espion et un terroriste, M. Jadhav aurait, pour ainsi dire, perdu son droit à un procès équitable, et que, en insistant pour que ses autorités consulaires se voient accorder la possibilité de communiquer avec lui pour l’aider à établir sa défense face à des accusations d’une telle gravité, l’Inde se comporterait, en quelque sorte, de manière abusive. C’est tout bonnement choquant.
14. Le Pakistan invite par ailleurs la Cour à créer de toute pièce une exception aux droits énoncés à l’article 36 de la convention de Vienne, lequel, selon lui, ne devrait pas trouver à s’appliquer à l’égard d’un individu soupçonné prima facie d’actes d’espionnage et qui a (prétendument) été trouvé en possession d’un «… authentique passeport lui attribuant une fausse identité»3 pour lequel l’Etat d’envoi refuse de fournir des explications. Incapable de citer le moindre principe ou la moindre source faisant autorité pour étayer une telle exception, le Pakistan renverse l’argument en soutenant que le droit international coutumier et la pratique ne confirment nullement que l’article 36 trouve à s’appliquer lorsque pareilles allégations sont formulées contre un accusé.
15. Le libellé de l’article 36 ne prévoit aucune exception. Les travaux préparatoires, dont le défendeur invoque certains extraits, démontrent que les rédacteurs de la convention de Vienne avaient à l’esprit les questions d’espionnage, et n’ont prévu aucune exception à l’article 36 en cas d’accusations de cette nature formulées par l’Etat de résidence. Le Pakistan reconnaît qu’il aurait à fournir de solides éléments de preuve issus du droit international coutumier et de la pratique pour étayer l’idée que, malgré l’absence de toute réserve dans l’article 36, il y a lieu de faire une exception dans le cas d’allégations d’espionnage et de terrorisme. Outre qu’il serait inadmissible d’occulter les termes clairs d’un traité, prétendre que pareille exception existe est tout simplement contraire au sens commun. Si le Pakistan avait raison, toute exception de cette nature suffirait pour faire tomber la règle, l’Etat de résidence n’ayant qu’à formuler des allégations d’espionnage contre une personne pour rendre inapplicable le droit de cette dernière de communiquer avec ses autorités consulaires. L’historique des différends nés dans ce contexte regorge d’affaires de terrorisme allégué. L’on ne saurait admettre pareille interprétation, qui est non seulement contraire au libellé de l’article 36, mais également incompatible avec l’objet et le but de cette disposition.
3 CMP, par. 7 ii) (cette affirmation est un non-sens).
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16. Son argumentation n’étant, de toute évidence, confirmée ni par le libellé de l’article 36, ni par la pratique des Etats ou les travaux préparatoires de la convention, le défendeur avance l’idée alambiquée selon laquelle l’Inde serait tenue de prouver le contraire, à savoir que le droit international coutumier et la pratique des Etats démontrent qu’il n’existe aucune exception à la convention de Vienne. Cette thèse ne saurait, elle non plus, être retenue.
17. Le Pakistan tente encore de trouver des exceptions à la convention de Vienne dans l’accord bilatéral qu’il a conclu avec l’Inde le 21 mai 2008, et qu’il invite la Cour à interpréter de façon erronée.
18. De plus, si la convention de Vienne admet que les Etats puissent conclure des accords bilatéraux qui développent ou complètent les principes qu’elle consacre, le paragraphe 2 de l’article 73 de cet instrument ne prévoit pas, en revanche, que pareils traités puissent en affaiblir les dispositions. Ni l’Inde ni le Pakistan n’ont jamais indiqué que leur accord bilatéral ferait table rase de la convention de Vienne. L’argument du Pakistan selon lequel l’accord de 2008 l’autoriserait, d’une quelconque manière, à refuser à M. Jadhav d’exercer son droit de communiquer avec ses autorités consulaires, garanti par l’article 36 de la convention de Vienne, est une tentative désespérée de justifier le manquement flagrant du défendeur aux obligations qui lui incombent au regard de cet instrument.
19. Enfin, le défendeur cherche à sauver, aux yeux de la communauté internationale, la piètre réputation de ses tribunaux militaires en matière de procédure équitable en se référant à un rapport4. Or, ce document confirme l’existence de défaillances manifestes dans son système de justice militaire. Le Pakistan ne conteste d’ailleurs aucun des griefs qui lui sont faits quant au fonctionnement de ce système, qui a été critiqué par les organismes internationaux les plus sérieux.
20. Sans récuser aucune des allégations formulées, le Pakistan emploie l’expression «tribunaux fantoches»5. Si, selon lui, la communauté internationale a jugé inacceptable la manière dont fonctionnent ses tribunaux, lesquels doivent donc être qualifiés de «tribunaux fantoches», le défendeur est libre de faire son examen de conscience et de traiter le problème. Sachant parfaitement que l’usage de pareils termes ne sert pas la cause d’une partie, l’Inde, quant à elle, ne s’est jamais laissée aller à cette pratique, et ce, en dépit des provocations dont elle a fait l’objet.
21. Il est trompeur d’affirmer que les tribunaux militaires indiens et pakistanais seraient, à un quelconque titre, similaires. En Inde, les tribunaux militaires n’ont aucune compétence à l’égard des civils. Des terroristes d’origine pakistanaise, arrêtés en flagrant délit, ont ainsi été jugés devant des juridictions pénales ordinaires et ont pu faire appel de leurs condamnations conformément au code de procédure pénale, et selon les voies judiciaires normales. L’affaire qui a opposé Mohammed Ajmal Mohammad Amir Kasab à l’Etat du Maharashtra6 (ci-après, «l’affaire Kasab») illustre les normes strictes que le système judiciaire indien observe en matière de procédure équitable. L’accusé a été représenté par un avocat indépendant, tant devant la juridiction de première instance que devant la High Court et la Cour suprême. Devant cette dernière, M. Kasab a été représenté par un avocat ayant occupé les fonctions d’Additional Solicitor General, de sorte que l’assistance juridique qui lui a été fournie a été «… d’un niveau et d’une qualité dont ne bénéficient généralement pas les ressortissants indiens qui font appel devant la présente Cour d’une déclaration
4 CMP, annexe 142.
5 CMP, par. 18.
6 Mohammed Ajmal Mohammed Amir Kasab v. State of Maharashtra, procédures pénales en appel n° 1899-1900 (2011), annexe 1.
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de culpabilité ou d’une condamnation»7. Par comparaison, l’Association du barreau de la High Court de Lahore a adopté une résolution par laquelle elle menaçait de sanction tout avocat qui accepterait d’assurer la défense de M. Jadhav8. Enfin, il convient de souligner que, dans l’affaire Kasab –– comme d’ailleurs dans toutes les autres affaires concernant des Pakistanais placés en détention puis jugés ––, l’Inde a offert au Pakistan la possibilité de communiquer, par l’entremise de ses autorités consulaires, avec l’intéressé, et ce, indépendamment de la gravité des accusations dont celui-ci faisait l’objet. Dans la quasi-totalité des cas, c’est le Pakistan lui-même qui a refusé de fournir une assistance à ses ressortissants.
22. De toute évidence, les tribunaux militaires trouvent leur origine, pour ce qui concerne les forces armées, dans la loi militaire de 1911. Si l’Inde et le Pakistan ont une histoire législative commune jusqu’en 1947, la jurisprudence indienne en matière de garanties constitutionnelles visant à assurer une procédure équitable a ensuite considérablement évolué par rapport au droit pakistanais, qui autorise les tribunaux militaires à juger des civils en lieu et place des juridictions pénales ordinaires. Pareille pratique n’a jamais été ne serait-ce qu’envisagée en Inde.
23. L’arrêt rendu par la Cour suprême du Pakistan en l’affaire Said Zaman Khan v. Federation of Pakistan through Secretary, Ministry of Defence, Government of Pakistan9 démontre que le fonctionnement et le produit de la justice militaire contrastent fortement avec le système en vigueur en Inde. Cette différence est clairement confirmée par la lecture de l’arrêt rendu par la Cour suprême indienne en l’affaire Kasab. En application d’une modification de la loi ayant autorisé les procès devant des tribunaux militaires et de la loi de 2015 portant amendement de l’article 175 de la Constitution pakistanaise (21e amendement), les juridictions pénales ordinaires ont été déclarées incompétentes pour connaître des affaires relevant des tribunaux militaires. Le seul recours d’une personne déclarée coupable par un tribunal militaire consiste à introduire une procédure de réexamen judiciaire dont la portée est intrinsèquement très limitée. En Inde, en revanche, les affaires pénales sont jugées devant des juridictions ordinaires constituées de juges indépendants du pouvoir exécutif.
24. En vertu de l’ancienne législation indienne sur le terrorisme10, les procès se déroulaient devant un tribunal spécial (présidé par un juge de session ou un juge adjoint de session) et tout recours concernant les faits ou le droit était introduit directement auprès de la Cour suprême. Depuis l’abrogation de la loi spéciale, les personnes accusées de crimes liés au terrorisme sont jugées par la Court of Session11 et interjettent appel auprès de la High Court, laquelle doit également confirmer le prononcé de toute peine capitale. Tout condamné dispose donc de voies de recours complètes en ce qui concerne les faits comme le droit. Dans les affaires mettant en jeu la peine capitale, la Cour suprême examine les recours formés, le cas échéant, sur le fond de la condamnation. Tous les recours introduits en pareilles affaires sont examinés en audience publique12.
7 Mohammed Ajmal Mohammed Amir Kasab v. State of Maharashtra, procédures pénales en appel n° 1899-1900 (2011), annexe 1, par. 5.
8 Mémoire de l’Inde (ci-après «MI»), annexe 11.
9 CMP, annexe 81.
10 Loi de 1987 relative à la prévention des activités terroristes et de sabotage (Terrorist and Disruptive Activities (Prevention) Act), abrogée en 2004.
11 C’est-à-dire devant un juge de district ou un juge de session.
12 Mohd. Arif v. Registrar, Supreme Court of India & Others, demande introductive d’instance (procédure pénale) no 77 (annexe 2). Dans les autres affaires, la Cour suprême se prononce sur les demandes de réexamen sans tenir d’audiences, sauf si elle en décide autrement.
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25. Le net contraste entre les deux systèmes ressort particulièrement du passage suivant de l’arrêt de la Cour suprême : «Il convient également de souligner ici que, la présente affaire mettant en jeu la peine capitale, la Cour entend, conformément à sa pratique de longue date, examiner elle-même les éléments versés au dossier pour se forger sa propre opinion sur l’ensemble des questions relatives aux faits et au droit, sans être tenue par les conclusions de la juridiction de première instance ni celles de la High Court»13. Il est donc regrettable que le défendeur croie pouvoir rapprocher, à quelque titre que ce soit, le fonctionnement de ses juridictions militaires du système judiciaire de l’Inde.
26. Au vu des allégations formulées par le Pakistan, y compris devant la Cour, et du type de système qui prévaut dans cet Etat, l’Inde réitère sa position selon laquelle tout remède sous forme de réexamen et de revision serait insuffisant dans les circonstances de l’espèce car pareille procédure se déroulerait dans le cadre d’un système n’offrant aucune garantie d’équité. En outre, il ne fait désormais plus aucun doute que l’affaire Jadhav s’inscrit dans la campagne de propagande menée par le Pakistan. Aussi serait-il particulièrement naïf de croire qu’une procédure de réexamen et de revision puisse être de quelque manière juste et impartiale, ou conforme à l’objet et au but de l’article 36. En la présente affaire, il convient de prescrire les remèdes sollicités par l’Inde, notamment en enjoignant au Pakistan de libérer M. Jadhav.
II. CONTEXTE FACTUEL
27. Dans les paragraphes 22 et suivants de son contre-mémoire, sous l’intitulé «Contexte factuel», le défendeur a choisi de formuler des allégations concernant M. Jadhav qui, pour la plupart, sont fondées sur les prétendus «aveux» de celui-ci, dont l’Inde conteste toutefois la provenance et la crédibilité. Ainsi que l’ont dénoncé un certain nombre d’organismes internationaux, il est aujourd’hui devenu courant que des aveux obtenus par les autorités militaires pakistanaises en cours de détention soient ensuite retenus comme éléments de preuve par un tribunal militaire pour établir les agissements reprochés et fonder un verdict de culpabilité. Cette pratique est totalement incompatible avec le principe de la procédure équitable. L’annexe 17 du contre-mémoire est présentée comme la transcription des aveux de M. Jadhav. L’Inde conteste vivement que ceux-ci aient pu être faits volontairement, et doute même de l’exactitude de leur transcription.
28. Quoi qu’il en soit, ces éléments sont dépourvus de toute pertinence aux fins de la présente espèce, dont ils dépassent le cadre. La question qui se pose est de savoir si le Pakistan manque gravement aux obligations qui lui incombent au regard de l’article 36 et, le cas échéant, s’il y a lieu, à titre de réparation sous la forme d’une restitutio in integrum, de lui interdire de donner suite à la condamnation prononcée contre M. Jadhav et, en conséquence, de libérer ce dernier. Selon l’Inde, le refus obstiné d’autoriser toute communication entre l’intéressé et ses autorités consulaires (qui s’est notamment traduit par le simulacre de visite organisé pour la famille) confirme la crainte du défendeur que, si M. Jadhav se voit accorder ce droit et obtient ainsi l’assurance que justice sera rendue  c’est-à-dire qu’une assistance juridique appropriée lui sera fournie par son Etat d’origine ou avec l’aide de celui-ci, et qu’il sera jugé par un tribunal indépendant dans le cadre d’un procès public , cela pourrait mettre à mal une propagande soigneusement élaborée.
29. L’Inde continue de soutenir que des indications sérieuses (tout récemment confirmées par un entretien accordé par un militant des droits de l’homme baloutche14) portent à croire que
13 Mohammed Ajmal Mohammad Amir Kasab v. State of Maharashtra, annexe 1, par. 6.
14 Annexe 3.
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M. Jadhav a été enlevé en Iran, où il exerçait des activités commerciales après avoir pris sa retraite de la marine indienne. La version du Pakistan est fort peu vraisemblable.
30. C’est le 25 mars 2016, lorsque son haut-commissaire a été convoqué par le Foreign Secretary, que l’Inde a pour la première fois eu connaissance de la prétendue «arrestation» de M. Jadhav.
31. Le défendeur indique en avoir informé, sans procéder à la moindre vérification supplémentaire, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, auxquels il a transmis un document de douze pages formulant diverses allégations contre l’Inde15. Ce document met en évidence un certain nombre d’éléments importants :
a) M. Jadhav aurait été arrêté par les forces de sécurité pakistanaises ; l’on peut raisonnablement supposer qu’il est, depuis son «arrestation», détenu par ces mêmes forces de sécurité.
b) Le document ne précise pas la date exacte de l’arrestation, qui a eu lieu dans «la première semaine de mars 2016».
c) Il est indiqué que «[l]’intéressé a fait [certains] aveux». Des aveux lui ont en effet manifestement été extorqués peu après son arrestation, et alors qu’il était détenu par les forces de sécurité. Bien avant qu’ils ne soient recueillis devant un tribunal  le FIR n’a été enregistré que le 8 avril 2016 , ces aveux ont donc été utilisés à des fins politiques, dans un document communiqué aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies. Cela démontre qu’il s’agissait d’un simple exercice de propagande de la part du Pakistan, auquel la communauté internationale reproche, depuis un certain temps, de soutenir ouvertement le terrorisme.
d) Il est indiqué dans le document que M. Jadhav «opérait… en tant que commerçant à Chabahar».
e) Il est encore indiqué que l’intéressé est entré au Baloutchistan depuis l’Iran. Nulle mention n’est cependant faite de la grave allégation selon laquelle M. Jadhav a été enlevé en Iran et emmené au Pakistan où les forces de sécurité lui ont arraché des aveux. Or, cette thèse de l’enlèvement est confirmée par la rapidité avec laquelle lesdits aveux ont été utilisés pour formuler des accusations contre l’Inde visant à alimenter le système pakistanais de propagande.
f) Il est ensuite précisé que M. Jadhav est commandant de la marine indienne, ce qui signifie nécessairement qu’il est citoyen indien, puisqu’il s’agit là d’une condition préalable pour servir dans les forces armées. Le Pakistan se contredit donc lui-même, affirmant ici que ces allégations sont exactes tout en arguant, dans une autre partie de son contre-mémoire, que la citoyenneté indienne de M. Jadhav n’est pas établie.
g) En conclusion, le défendeur formule des accusations graves, invoquant l’existence d’«actes de terrorisme appuyés par l’Etat indien» et soutenant que l’Inde cherche à reproduire les événements survenus en 1971 au Baloutchistan. Ces éléments suffisent à établir que, au mépris total de la vie humaine, le Pakistan n’a aucun scrupule à kidnapper un citoyen indien et à l’utiliser à des fins géopolitiques dans la guerre de propagande qu’il livre à l’Inde.
32. Le demandeur tient toutefois à réaffirmer que, hormis le fait qu’ils démontrent que les normes en matière de procédure équitable ne seraient pas respectées en cas de réexamen et de revision au Pakistan, tous ces éléments sont totalement dépourvus de pertinence aux fins de la
15 CMP, annexe 12.
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présente affaire. N’ayant pas de réponse satisfaisante à opposer à l’allégation de l’Inde selon laquelle il a manqué de façon flagrante aux obligations qui lui incombent au regard de la convention de Vienne, le défendeur a usé (ou plutôt abusé) de la possibilité de déposer un contre-mémoire devant la Cour afin, non pas d’examiner les questions juridiques qui se posent en la présente espèce, mais de poursuivre sa propagande contre l’Inde.
33. Dans son exposé des faits, le Pakistan reconnaît que le haut-commissariat de l’Inde à Islamabad a, dès le 30 mars 201616, adressé au ministère pakistanais des affaires étrangères une note verbale sollicitant la possibilité d’entrer en communication avec son ressortissant. N’ayant alors manifestement aucune difficulté à comprendre que la demande concernait M. Jadhav, le défendeur n’a demandé aucune précision quant à l’identité du ressortissant indien avec lequel l’Inde cherchait à communiquer.
34. Le Pakistan a produit une copie du document FIR relatif à M. Jadhav17. Il n’a toutefois fourni aucun élément pour expliquer pourquoi, alors que l’arrestation avait eu lieu dans la première semaine de mars, ce document n’a été déposé que le 8 avril 2016. Ainsi que cela est souligné dans le contre-mémoire, «[u]ne fois [l]e document [FIR] établi, les autorités peuvent, conformément aux pouvoirs qui leur sont conférés, enquêter sur l’infraction alléguée»18. Le Pakistan ne précise pas dans quel cadre juridique l’intéressé a été interrogé, placé en détention, puis amené à faire des aveux, avant même que ces pouvoirs d’enquête ne soient juridiquement fondés. Il apparaît clairement que l’ensemble de ces mesures ont été prises par les «forces de sécurité».
35. L’article 154 du code de procédure pénale pakistanais de 189819 exige que les renseignements concernant la commission d’une infraction recevable fournis verbalement à un agent de police soient consignés par écrit par celui-ci, ou sous sa supervision. Or, les faits exposés dans le contre-mémoire laissent raisonnablement supposer que la police pakistanaise n’a eu connaissance de l’arrestation d’un homme accusé d’avoir commis une telle infraction que le 8 avril 2016. Le Pakistan s’est en revanche montré bien plus prompt à informer la communauté internationale qu’il avait arrêté un espion indien, puis à formuler contre l’Inde une kyrielle d’allégations.
36. Le FIR20 indique que «[l]’intéressé a révélé être officier d’active de la marine indienne». Cette affirmation est manifestement tirée des «aveux» extorqués par les autorités militaires du Pakistan, ainsi que le confirme l’alinéa suivant, qui indique que, «[l]ors de l’interrogatoire/audition devant les autorités militaires du Pakistan, il a déclaré …» un certain nombre d’éléments. Enfin, il est souligné, au paragraphe 2 du FIR, que M. Jadhav était soupçonné d’avoir commis «des infractions ne relevant pas de la loi militaire pakistanaise de 1952». Il ne fait donc aucun doute que, dès son arrestation (ou son enlèvement), M. Jadhav a été détenu par l’armée pakistanaise, laquelle lui a extorqué des aveux que le Pakistan s’est empressé d’utiliser pour formuler de fausses accusations contre l’Inde.
16 MI, annexe 1.2.
17 CMP, annexe 17.
18 Ibid., par. 31.
19 Ibid., annexe 82.
20 Ibid., annexe 17.
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37. L’exercice de désinformation ne s’est d’ailleurs pas arrêté là, puisqu’il apparaît que, le 15 avril 201621, le Pakistan a également adressé aux membres de la Ligue arabe et à ceux de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (l’ASEAN) un document d’«information», ce qui est un euphémisme quand on sait l’entreprise de propagande que mène le Pakistan contre l’Inde.
38. Un peu plus loin dans son exposé des faits, le Pakistan relève que c’est dans sa note verbale du 10 juin 201622 que l’Inde a, pour la première fois, indiqué que l’intéressé était M. Jadhav, ce sur quoi il se fonde pour laisser entendre que celle-ci n’a jamais tenté d’expliquer ou de réfuter les graves incidences du «comportement du commandant Jadhav»23. Le défendeur, qui n’a eu aucun mal à comprendre la demande présentée par l’Inde le 30 mars 2016, n’avance cet argument qu’a posteriori pour les besoins de sa cause. Deuxièmement, et surtout, il transforme la présente procédure, qui porte sur un manquement présumé de sa part aux obligations que lui impose la convention de Vienne, en un exercice de propagande, revendiquant une présomption de véracité en ce qui concerne ses allégations contre M. Jadhav et laissant entendre que c’est à l’Inde qu’il reviendrait d’y répondre.
39. Le Pakistan refuse d’admettre qu’il ne saurait utiliser, comme il le fait, l’enceinte et les procédures de la Cour internationale de Justice pour tenter de faire oublier sa propre responsabilité en matière de terrorisme, point sur lequel il est de plus en plus critiqué par la communauté internationale. L’Inde estime qu’il n’y a pas lieu de répondre en détail à la litanie de fausses accusations qu’il formule contre elle.
40. Le défendeur mentionne le fait que les aveux de M. Jadhav ont été enregistrés le 22 juillet 2016 en présence d’un magistrat24. Dans une note de bas de page de son contre-mémoire, il se réfère à l’article 164  disposition en application de laquelle les aveux ont été recueillis , qui concerne l’enregistrement d’aveux «au cours d’une enquête menée en vertu du présent chapitre, ou à tout moment après le début de l’enquête ou du procès…»25. Le document FIR semble indiquer que les infractions dont le tribunal militaire allait être saisi dépassaient le champ de l’enquête menée par la police pakistanaise. De toute évidence, les juridictions pénales n’ont aucun rôle à jouer dans les procès militaires. De plus, l’enregistrement des aveux est intervenu alors que l’intéressé était toujours détenu par l’armée. Il serait naïf de croire que la simple présence d’un magistrat puisse donner à l’accusé le courage de se rétracter en accusant les autorités militaires de lui avoir arraché des aveux forcés, lorsqu’il sait que, immédiatement après, il sera replacé en détention auprès de ces mêmes autorités.
41. Le parallèle que tente là encore de faire le Pakistan avec les procédures en vigueur en Inde est délibérément trompeur. En Inde, les accusés sont soit en liberté sous caution judiciaire, soit en détention provisoire. Lorsque cela est nécessaire, la police peut demander, pour une période limitée, la mise en détention à des fins d’interrogatoire, demande qui est examinée dans le cadre d’une procédure stricte devant un magistrat. Les forces de sécurité indiennes n’ont pas de pouvoirs de détention prolongée.
21 CMP., annexe 16.
22 Ibid., annexe 13.4.
23 Ibid., par. 38.
24 Ibid., annexe 23.
25 Ibid., note de bas de page no 1.
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42. Poursuivant son exposé des faits, le Pakistan en vient à l’ouverture du procès devant le tribunal militaire. Or, il n’a pas versé au dossier de la présente affaire, même à ce stade, le moindre document susceptible de donner une idée des éléments de preuve qui ont été apportés, des accusations qui ont été formulées et du type d’assistance juridique dont a bénéficié M. Jadhav dans le cadre de ce procès26. Quoique cet exposé des faits soit, selon l’Inde, totalement dénué de pertinence puisqu’il vise à dissimuler la vraie question qui se pose en la présente espèce, il importe de souligner que, hormis les aveux forcés, le Pakistan s’est refusé à produire un seul des documents utilisés dans le procès, comportement qui démontre l’opacité totale de la procédure et témoigne de ce que le système judiciaire des tribunaux militaires pakistanais ne respecte pas les normes les plus élémentaires en matière de procédure équitable.
43. Une fois encore, le défendeur a versé au dossier sa «demande d’entraide judiciaire». Il n’existe pas, entre les Parties, de traité en la matière, et l’on comprend aisément pourquoi, tout en continuant à solliciter unilatéralement et selon ses propres conditions l’assistance de l’Inde, le Pakistan refuse de négocier et de signer pareil instrument : il aurait peu à gagner et beaucoup à perdre dans une telle démarche. Plus de quarante demandes se rapportant, pour certaines, à des actes de terrorisme particulièrement choquants, comme l’attentat de Mumbai, ont été adressées au défendeur pour l’inviter à mener des enquêtes visant à identifier et à juger les auteurs de ces crimes odieux. Le Pakistan, en revanche, n’a présenté sa demande d’entraide judiciaire qu’à des fins de propagande et l’invoque aujourd’hui comme un nouvel argument, tout aussi indéfendable, pour contester la violation manifeste des droits que M. Jadhav et l’Inde tiennent de la convention de Vienne dont il s’est rendu coupable.
44. Il est tout simplement faux d’affirmer que, au vu de la proposition faite dans la note verbale du défendeur du 21 mars 201727, «[i]l ne faisait assurément aucun doute à ce moment-là que le Pakistan était disposé, en principe, à permettre aux autorités consulaires indiennes de communiquer avec M. Jadhav»28. La convention de Vienne s’applique à tous les pays qui en sont parties. Dans sa note verbale du 21 mars 2017, le défendeur a indiqué que la demande de l’Inde tendant à entrer en communication avec son ressortissant «sera[it] étudiée». Or, la convention de Vienne garantit à tout Etat le droit de communiquer avec ses ressortissants par l’entremise de ses autorités consulaires. La déclaration du Pakistan selon laquelle la demande «sera[it] étudiée» démontre donc le peu de cas que celui-ci fait de ses obligations conventionnelles internationales. De plus, le défendeur fait abstraction de ce que M. Jadhav, arrêté en mars 2016, a vu son procès s’ouvrir le 21 septembre 2016 devant le tribunal militaire, et a été déclaré coupable par celui-ci en avril 2017. Il ne fait aucun doute que, en déclarant, en mars 2017, que ses autorités étaient disposées à étudier la demande de l’Inde, le Pakistan avait pour seul objectif d’alimenter encore une fois sa campagne de désinformation, et non de satisfaire aux obligations lui incombant au regard de la convention de Vienne.
45. Par ailleurs, les Etats ne sauraient imposer unilatéralement des conditions pour satisfaire aux obligations mises à leur charge par des traités internationaux. La position du défendeur, qui implique d’admettre qu’il était autorisé à fixer des conditions non prévues par la convention de Vienne, ne fait que confirmer le peu de cas qu’il fait de ses obligations internationales. Son mépris des droits de l’homme est mis en évidence par le fait que M. Jadhav, qui jouit, à titre personnel (et distinctement de l’Inde), du droit d’entrer en communication avec les autorités consulaires de son pays, s’est lui aussi, de fait, vu refuser ce droit, le Pakistan ayant subordonné l’examen des
26 S’il est affirmé qu’un agent qualifié a été fourni, l’on ne dispose d’aucune information à cet égard.
27 MI, annexe 3.
28 CMP, par. 60.
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demandes formulées à cet effet aux suites que l’Inde donnerait à son absurde demande d’«entraide judiciaire».
46. Dans sa note verbale en date du 31 mars 201729, l’Inde a relevé à juste titre que le fait d’être autorisée à communiquer avec M. Jadhav par l’entremise de ses autorités consulaires était une condition préalable pour établir les faits et comprendre les circonstances de la présence de l’intéressé au Pakistan, demandant que ce droit lui soit immédiatement accordé. Par cette note verbale, l’Inde a clairement fait savoir qu’elle n’acceptait pas que le défendeur lui impose des conditions unilatérales. De plus, même lorsqu’un traité d’entraide judiciaire existe, le pays auquel la demande d’assistance est adressée est en droit de vérifier si, au vu des circonstances du cas d’espèce, il y a lieu d’y donner suite. Dans sa note verbale du 21 mars 2017, le Pakistan a de nouveau renversé la situation.
47. Dans les paragraphes 70 et suivants du contre-mémoire, le défendeur examine la question de la peine capitale qui punit certains crimes en Inde. Quoique cette question soit totalement dépourvue de pertinence aux fins de la présente espèce, l’Inde entend toutefois, par souci d’exactitude, rétablir la vérité à cet égard :
a) Le Pakistan se réfère à la recommandation formulée par la commission indienne du droit en faveur de l’abolition de la peine de mort. Bien qu’estimant que des mesures devaient être prises en ce sens, cette institution a elle-même précisé que l’abolition devrait s’appliquer pour tous les crimes, à l’exception de ceux liés au terrorisme. Le terrorisme transfrontalier financé par le Pakistan est en effet l’une des plus grandes menaces qui pèsent sur la sécurité nationale de l’Inde. C’est notamment pour cette raison que celle-ci a jugé qu’il n’était pas encore temps d’abolir la peine capitale.
b) Ainsi que l’a souligné la commission indienne du droit dans un rapport cité par le Pakistan, la Cour suprême indienne a indiqué que la peine capitale devait être limitée aux cas les plus rares. Cette juridiction est par ailleurs tenue, aux termes des règles procédurales applicables aux appels dans les affaires mettant en jeu la peine de mort, de procéder à un réexamen du fond, et notamment des preuves sur lesquelles est fondée la déclaration de culpabilité, ainsi que des éléments sur la base desquels il a été jugé que l’affaire répondait au critère requis, c’est-à-dire relevait «des cas les plus rares». Comme cela a déjà été mentionné, même dans l’affaire Kasab, ce terroriste d’origine pakistanaise arrêté en flagrant délit, la Cour suprême, devant laquelle l’intéressé avait interjeté appel, a examiné l’intégralité des éléments de preuve produits devant la juridiction de première instance et rendu un arrêt pleinement motivé pour confirmer la condamnation.
c) Pour des raisons qui sont sans rapport avec la présente affaire, l’Inde n’est pas partie au premier protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après, le «PIDCP»). Elle dispose d’un solide système judiciaire pénal et ne reconnaît pas les condamnations prononcées par les tribunaux militaires, même pour les actes de terrorisme les plus odieux. Il existe en Inde d’autres structures institutionnelles d’appui, notamment des commissions de défense des droits de l’homme, qui fournissent des moyens efficaces de règlement des griefs présentés par les accusés en matière pénale. Le fait que l’Inde n’ait pas accepté la compétence du Comité des droits de l’homme lorsqu’elle est devenue partie au PIDCP ne signifie pas qu’elle n’adhère pas aux principes établis par cet instrument. Celui-ci a joué, bien au contraire, un rôle essentiel, y compris dans l’évolution de la jurisprudence des juridictions internes du demandeur, la Cour suprême s’y référant fréquemment pour faire des dispositions de la Constitution garantissant les droits et libertés civils une interprétation large.
29 MI, annexe 1.12.
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C’est donc en désespoir de cause que le Pakistan laisse entendre que l’Inde ne pourrait invoquer les décisions du comité qui administre le PIDCP.
d) Conformément à sa position sur la question de la peine de mort et sur celle d’un contrôle externe de l’administration de cette peine, l’Inde a voté contre la résolution en date du 29 septembre 2017 adoptée par le conseil des droits de l’homme. Toutefois, là encore, cela est totalement dépourvu de pertinence aux fins de la présente espèce.
48. Au paragraphe 79 de son contre-mémoire, le Pakistan semble contester les propos du directeur général du bureau de relations publiques de l’armée pakistanaise qui ont été rapportés dans un article de presse, à savoir que «M. Jadhav [était] un espion et [qu’]un espion ne [pouvait] être autorisé à entrer en communication avec ses autorités consulaires». Or, ces déclarations sont parfaitement cohérentes avec la position que le défendeur a prise dans la présente affaire.
49. Le Pakistan reconnaît que, par une note verbale en date du 19 avril 201730, le ministère des affaires étrangères de l’Inde a, par l’entremise de son haut-commissariat à Islamabad, demandé à se voir communiquer, notamment, des copies certifiées conformes de l’acte d’accusation et des procès-verbaux relatifs à l’enquête. Il n’explique pas pourquoi ces documents n’ont pas été communiqués, se contentant d’affirmer à nouveau que l’Inde «a… ignoré [s]a demande d’entraide judiciaire»31. Ainsi, tout au long de son contre-mémoire, chaque fois qu’il est à court d’explications vraisemblables pour justifier son comportement, le Pakistan invoque un simulacre de demande d’entraide judiciaire.
50. Certains journalistes indiens ont effectivement formulé les commentaires que le Pakistan invoque fort opportunément. Ceux-ci reflètent la liberté dont jouit la presse en Inde, où aucune entrave n’est faite à l’expression des opinions individuelles, même lorsqu’elles sont contraires à la position du Gouvernement ; cela contraste radicalement avec un système dans lequel, par crainte de l’armée, l’association du barreau de la High Court de Lahore a adopté une résolution menaçant de sanctions tout avocat qui oserait offrir ses services et son assistance juridique à M. Jadhav.
51. Le Pakistan tire argument de ce que M. Jadhav a fait le même «récit» à plusieurs reprises32. La formulation et la teneur des déclarations, accablantes, faites par M. Jadhav, qui risque la peine capitale, témoignent des pressions dont celui-ci a été l’objet depuis qu’il est détenu par les autorités militaires pakistanaises, et dont il continue à être l’objet aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle l’Inde n’a cessé de formuler ses plus vives préoccupations concernant la santé et la sécurité de l’intéressé. La visite de son épouse et de sa mère a d’ailleurs confirmé les pires craintes de l’Inde concernant le traitement qui lui est réservé dans sa prison pakistanaise.
III. VISITE DE LA MÈRE ET DE L’ÉPOUSE DE M. JADHAV
52. Il est indiqué dans le contre-mémoire qu’une rencontre entre M. Jadhav et son épouse était envisagée. Cette rencontre a effectivement eu lieu le 25 décembre 2017. Un rapport établi par M. J.P. Singh, haut-commissaire adjoint de l’Inde à Islamabad33, qui a été délégué par le ministère
30 MI, annexe 1.15.
31 CMP, par. 82.
32 Ibid., par. 107.
33 Annexe 4.
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pour accompagner la mère et l’épouse de M. Jadhav lors de leur visite, décrit avec éloquence le comportement du Pakistan et la mascarade qui s’est jouée à cette occasion.
53. Le 10 novembre 201734, l’Inde a reçu une note verbale du Pakistan indiquant qu’il avait été, «pour des raisons humanitaires, décidé d’organiser une rencontre entre le commandant Kulbhushan Jadhav et sa femme».
54. Dans sa réponse du 13 novembre 201735, l’Inde a demandé que l’épouse de M. Jadhav puisse être accompagnée de sa belle-mère (la mère de l’intéressé) et a cherché à obtenir la garantie souveraine que le Pakistan assurerait la liberté de mouvement, la sécurité et le bien-être des deux femmes.
55. Le 8 décembre 201736, le défendeur a répondu favorablement à cette demande et étendu sa proposition de visite à la mère de M. Jadhav, là encore «pour des raisons humanitaires». Il a accepté qu’un agent diplomatique du haut-commissariat de l’Inde à Islamabad accompagne les deux femmes lorsqu’elles seraient au Pakistan, assurant à l’Inde qu’il prendrait les mesures nécessaires pour garantir leur sécurité et leur liberté de mouvement. La visite était prévue pour le 25 décembre 2017.
56. Le 11 décembre 201737, l’Inde a répondu en détail à la demande d’assistance que lui avait adressée le défendeur aux fins de la prétendue enquête qu’il se proposait de mener sur les «révélations» censées être contenues dans les aveux extorqués à M. Jadhav. Elle a souligné que cette demande constituait une grossière tentative de propagande, ce que confirmait le fait que le Pakistan ait pris des mesures pour informer des aveux de M. Jadhav les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, puis les pays de la Ligue arabe et de l’ANASE, et formulé sur cette base des allégations gratuites contre l’Inde avant même l’enregistrement du FIR. L’Inde a également souligné que la demande du défendeur ne contenait pas le moindre élément de preuve et que celui-ci ne lui avait pas même transmis l’acte d’accusation censé avoir été établi contre M. Jadhav. Elle a rappelé qu’il n’existait pas de traité d’entraide judiciaire entre les deux Etats et que le Pakistan ne pouvait invoquer de traité bilatéral ou multilatéral pour faire valoir le prétendu droit d’obtenir des explications de sa part. Enfin, en réponse à la singulière proposition d’extradition, l’Inde a souligné qu’elle n’avait aucune raison de soupçonner M. Jadhav d’avoir commis le moindre crime justifiant de le juger sur son territoire. L’intéressé ne fait l’objet d’aucune action pénale en Inde nécessitant son extradition, il n’était pas question de solliciter pareille mesure.
57. Par note verbale en date du 13 décembre 201738, l’Inde a demandé au défendeur de lui donner la garantie souveraine que l’épouse et la mère de M. Jadhav ne seraient ni interrogées ni importunées pendant leur voyage au Pakistan et d’autoriser un diplomate du haut-commissariat de l’Inde à Islamabad à les accompagner, y compris pendant la rencontre elle-même.
34 CMP, annexe 40.
35 CMP, annexe 41.
36 Annexe 5.
37 Annexe 6.
38 Annexe 7.
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58. Par note verbale en date du 20 décembre 201739, le Pakistan, se référant à la demande de l’Inde du 13 décembre 2017 «ainsi qu’à la demande orale concernant la présence du haut-commissaire adjoint de l’Inde à Islamabad», a déclaré qu’il «réitérait son consentement aux demandes de l’Inde, ainsi qu’il lui en avait déjà fait part dans la note verbale du ministère du 8 décembre 2017».
59. Le 23 décembre 201740, le défendeur a envoyé une nouvelle note verbale qui confirmait expressément qu’un diplomate indien du haut-commissariat de l’Inde pourrait accompagner les deux femmes «y compris pendant la rencontre, selon le souhait exprimé par l’Inde». Il a garanti à l’Inde que les visiteuses seraient traitées avec «tous les égards qui leur sont dus» et que leur sécurité serait assurée. Le 24 décembre 201741, l’Inde a adressé une note verbale au Pakistan au sujet de la visite, lui communiquant les informations concernant le vol de l’épouse et de la mère de M. Jadhav, ainsi que le nom du haut-commissaire adjoint de l’Inde qui les accompagnerait depuis leur arrivée jusqu’à leur départ. Elle a également fait part de ses préoccupations concernant le comportement des médias.
60. Par note verbale datée du même jour42, le défendeur a confirmé qu’il avait pris note de la demande de l’Inde relative au comportement des médias et que le haut-commissaire adjoint de l’Inde serait autorisé à accompagner l’épouse et la mère de M. Jadhav depuis leur arrivée jusqu’à leur départ. Il a cependant insisté sur le fait qu’un véhicule lui appartenant serait emprunté pour tous les déplacements.
61. Un rapport43 présenté par M. J.P. Singh, haut-commissaire adjoint de l’Inde à Islamabad, au ministère des affaires étrangères de l’Inde décrit la manière déplorable dont, une fois encore, le Pakistan a utilisé la visite de l’épouse et la mère de M. Jadhav à la seule fin d’assurer sa propagande ; le comportement des hauts responsables du Gouvernement pakistanais non seulement soulève de sérieuses objections, mais constitue aussi une violation flagrante des droits de l’homme fondamentaux de deux êtres humains, de surcroît mère et épouse d’un accusé que le Pakistan a déjà catalogué publiquement comme terroriste.
62. Parmi les conditions fixées par le défendeur figuraient un contrôle de sécurité effectué en toute dignité et l’absence d’échanges entre les deux femmes et les médias ; en outre, la rencontre devait avoir lieu dans une pièce équipée d’un panneau vitré, de part et d’autre duquel seraient assis M. Jadhav et ses visiteurs, un système audio ou un microphone devant leur permettre de communiquer.
63. Le haut-commissariat de l’Inde a demandé l’autorisation d’utiliser ses propres véhicules pour les déplacements de la famille, mais cela lui a été refusé, tout comme la demande tendant à ce qu’une fonctionnaire du ministère des affaires étrangères puisse accompagner les deux femmes pendant leur visite au Pakistan afin que celles-ci se sentent en sécurité et en confiance.
39 Annexe 8.
40 Annexe 9.
41 Annexe 10.
42 Annexe 11.
43 Annexe 4.
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64. Contrairement à l’assurance que la visite ne donnerait lieu à aucune mise en scène médiatique, deux caméramans se sont présentés dès l’arrivée des intéressées sur le tarmac de l’aéroport. Le trajet entre l’aéroport et le haut-commissariat a été filmé par les médias pakistanais, postés à différents endroits du parcours. Lorsque la mère et l’épouse de M. Jadhav sont arrivées au ministère des affaires étrangères, de nombreux représentants des médias pakistanais s’y trouvaient déjà pour couvrir l’événement, et leur véhicule a été stratégiquement immobilisé à une certaine distance du bâtiment, de sorte qu’elles ont dû faire une cinquantaine de pas pour le rejoindre, sous les invectives des médias. Les intéressées ont été huées et traitées de mère et d’épouse d’assassin et de terroriste. La scène s’est reproduite lorsqu’elles sont ressorties du bâtiment, devant lequel, face aux médias, elles ont dû attendre leur véhicule, retardé à dessein. Là encore, les deux femmes ont fait l’objet de propos hostiles. Comme c’était prévisible, elles ont été gravement traumatisées par ces événements.
65. Le pire restait cependant à venir. A l’aéroport, lorsqu’elles sont descendues du véhicule, les deux femmes sont tombées dans une embuscade tendue par une vingtaine de journalistes pakistanais qui ont tenté de leur faire dire qu’elles reconnaissaient que M. Jadhav était un terroriste, et ce, en présence du directeur du ministère des affaires étrangères du Pakistan.
66. Contrairement à ce qui avait été convenu en ce qui concerne la disposition des lieux de la rencontre, le diplomate indien se trouvait dans une pièce, M. Jadhav dans une autre, sa mère et son épouse, ainsi que deux responsables pakistanais, étant installées dans une troisième pièce située entre les deux autres.
67. L’épouse de M. Jadhav, n’ayant pas vu son mari depuis fort longtemps, avait revêtu des ornements à caractère religieux dans la société indienne. Elle a été contrainte de changer de vêtements et d’ôter ces objets. De même, la mère de l’intéressé a été obligée de troquer son sari contre une tenue pakistanaise.
68. La famille a été empêchée d’utiliser sa langue maternelle, le marathi, bien qu’il s’agisse clairement de son moyen de communication naturel. Alors qu’ils s’exprimaient en marathi, M. Jadhav, sa mère et son épouse ont apparemment été interrompus par le responsable pakistanais présent, qui leur a interdit de poursuivre dans cette langue.
69. Et ce ne sont là que quelques-uns des faits marquants d’une visite qui avait été présentée comme un geste «humanitaire». Le traitement déshumanisant infligé à la mère et à l’épouse de M. Jadhav, à la seule fin d’obtenir des éléments de propagande, montre le peu de cas qui est fait de l’état de droit au Pakistan (si tant est qu’il en soit fait le moindre cas). Il en ressort également que toute garantie donnée par les responsables pakistanais ne devrait être accueillie qu’avec prudence et circonspection.
70. A leur retour, la mère et l’épouse de M. Jadhav ont rapporté que celui-ci semblait subir un stress considérable et qu’il s’exprimait de manière contrainte. Au cours de la discussion, il leur est clairement apparu que ses propos lui avaient été dictés par ses geôliers et visaient à entretenir le faux récit de ses prétendues activités. Son apparence a également suscité quelques inquiétudes quant à sa santé et à son bien-être.
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71. Par note verbale en date du 27 décembre 201744, l’Inde a protesté contre la violation de la lettre et de l’esprit de l’accord sur la base duquel l’épouse et la mère de M. Jadhav s’étaient rendues au Pakistan. Elle a également déclaré que la manière dont s’était déroulée la visite et les suites de celle-ci montraient clairement qu’il s’agissait d’une tentative des autorités et du Gouvernement pakistanais d’étayer un récit faux et non corroboré, fût-ce au prix d’une violation du droit fondamental à la dignité de M. Jadhav, de son épouse et de sa mère. L’Inde a en outre exprimé ses préoccupations au sujet du bien-être physique et mental de l’intéressé, de la façon dont il est traité par les autorités pakistanaises et des mesures adoptées en violation flagrante de ses droits fondamentaux et des garanties minimales d’une procédure régulière.
72. Le déroulement de la visite a suscité de vives inquiétudes dans l’opinion publique indienne et choqué la conscience de toute la nation. Le 28 décembre 2017, le ministre des affaires étrangères de l’Inde a fait une déclaration devant le Parlement indien45 pour informer la nation des faits survenus lors de la visite et de ses suites.
73. Le 19 janvier 201846, le Pakistan a répondu à la lettre de l’Inde du 11 décembre 2017. Dénuée de tout contenu, sa lettre n’était à nouveau qu’affectation. Par souci d’exhaustivité, copie en est jointe à la présente réplique.
74. Dans une note verbale datée du même jour47, le défendeur répondait aussi à l’Inde en ce qui concerne les événements survenus lors de la visite.
a) Il a cherché à justifier les contrôles de sécurité indignes en alléguant que M. Jadhav était «coupable d’espionnage et de terrorisme» et que «la dimension de la sécurité ne pouvait être ignorée», excuse déplorable au traitement infligé à l’épouse et à la mère de l’intéressé.
b) Il a reconnu que les deux femmes avaient dû changer de vêtements avant la visite et qu’elles avaient été autorisées à se changer de nouveau après celle-ci. Il a admis que les chaussures de l’épouse de M. Jadhav avaient été conservées, car, selon lui, «elles ne passaient pas les contrôles de sécurité».
c) Il n’a pas contesté que M. Jadhav et sa mère n’avaient pas été autorisés à communiquer dans leur langue maternelle, au motif que «l’Inde n’avait nullement demandé à ce que le marathi soit autorisé».
d) En dépit des informations relevant du domaine public, qui montrent que les médias ont pu approcher les visiteuses sans entraves, il est indiqué dans la note verbale que, «à la demande de l’Inde, les médias ont été maintenus à bonne distance».
75. Par deux notes verbales datées du 11 avril 201848, l’Inde a répondu aux deux communications du Pakistan du 19 janvier 2018. S’agissant de la visite, elle a nié que, en acceptant un contrôle de sécurité effectué dans la dignité, elle avait consenti à ce que la mère et l’épouse de M. Jadhav retirent leurs vêtements et les objets à caractère culturel et religieux qu’elles portaient. Elle a souligné que le haut-commissariat de l’Inde n’avait jamais été informé que les intéressées
44 Annexe 12.
45 Annexe 13.
46 Annexe 14.2.
47 Annexe 14.1.
48 Annexes 15.1 et 15.2.
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devraient signer une déclaration, ce qui a donc constitué une surprise lorsque le directeur général pour l’Asie du Sud le leur a demandé, juste avant la visite du 25 décembre 2017. En outre, la déclaration mentionnait seulement que les deux femmes et le diplomate indien ne portaient ni armes ni matériel d’enregistrement, et non qu’elles acceptaient de se changer et d’ôter leurs ornements traditionnels. L’Inde a fait part de son indignation concernant la confiscation des chaussures de l’épouse de M. Jadhav, d’autant que celle-ci est aussi nommément désignée dans le FIR. Elle a rappelé au défendeur les reportages de ses propres médias qui montrent que les journalistes pakistanais ont pu non seulement s’approcher de la mère et de l’épouse de M. Jadhav à plusieurs reprises, mais aussi les importuner et les harceler. Enfin, l’Inde a protesté contre le fait que les responsables pakistanais aient pu écouter la conversation de la famille.
76. Dans sa seconde note verbale49, l’Inde traitait des allégations infondées concernant le passeport. Elle y soulignait également que, si le Pakistan l’invitait à mener une enquête sur ce document contrefait, il conviendrait avant tout d’examiner la provenance et la crédibilité des allégations formulées à ce sujet, ce qui amènerait l’Inde à se pencher sur le comportement des responsables pakistanais ayant «appréhendé» M. Jadhav ainsi que sur les faits et circonstances entourant l’«arrestation», et ce, afin de commencer par déterminer si l’intéressé détenait effectivement un passeport contrefait.
77. L’Inde fait valoir que le Pakistan n’est pas parvenu à exposer le moindre fait pertinent qui permettrait à la Cour de trancher la question de savoir s’il a commis des violations flagrantes de ses obligations au titre de la convention de Vienne.
IV. ABUS DE PROCÉDURE/DROITS ET ABSENCE DE BONNE FOI
78. Aux paragraphes 124 à 129 et 151 à 167 de son contre-mémoire, le Pakistan cite des commentaires d’éminents auteurs ainsi que l’exposé de certaines opinions dissidentes ou des arguments avancés dans différentes affaires dans lesquelles sont employés le mot «abus» et l’expression «bonne foi». Ces termes ont été utilisés dans différent contextes par différents juristes et, outre qu’elles ne font pas autorité, toutes les citations en question sont dépourvues de pertinence dans le cadre de la présente espèce.
79. Dans son commentaire faisant autorité intitulé La Cour internationale de Justice50, M. Kolb décrit la notion d’«abus de procédure» comme étant le principe applicable tant en «droit international [que] dans les ordres juridiques internes»51. A la page 974, il précise en outre qu’il s’agit de
«l’utilisation d’instruments et de prérogatives procédurales par une ou plusieurs parties à l’instance dans une intention frauduleuse, dilatoire ou frivole ; dans l’intention de nuire ou de s’assurer un avantage illégitime ; dans l’intention de dévaluer ou de priver de son objet une autre procédure en cours ; dans l’intention de pure propagande ; ou, généralement, à toute fin détournée du but en vue duquel les droits procéduraux ont été institués»52.
49 Annexe 15.2.
50 Robert Kolb, La Cour internationale de Justice (2013).
51 Annexe 16.
52 Ibid.
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80. Le comportement dont a fait preuve le Pakistan en cherchant à projeter la vidéo falsifiée lors des audiences de la Cour consacrées à la demande en indication de mesures conservatoires, de même que son comportement général en la présente espèce, qui a consisté à s’en servir à des fins de propagande, constitue un cas classique d’abus de procédure.
81. M. Kolb relève ensuite ce qui suit :
«L’existence d’un tel abus n’est pas à présumer. Il ne doit pas davantage être admis facilement. D’abord, les Etats sont souverains et des accusations d’abus ne doivent être porté[e]s qu’avec circonspection contre eux. De plus, nul n’est censé abuser de ses droits quand il les exerce.»53
L’Inde demande réparation à raison d’une violation de ses droits et de ceux d’un ressortissant indien au titre de la convention de Vienne. Or, le volumineux contre-mémoire n’énonce pas la moindre raison convaincante expliquant pourquoi le Pakistan a refusé de permettre à l’intéressé de communiquer avec ses autorités consulaires. La justification fondée sur la procédure interne applicable à certaines infractions relevant des tribunaux militaires est vouée à l’échec. Il est en effet bien établi qu’un Etat ne saurait invoquer son droit interne pour se défendre d’avoir manqué à des obligations internationales. Le droit d’un accusé, a fortiori lorsqu’il lui faut répondre d’infractions d’une telle gravité et qu’il est qualifié à maintes reprises d’espion et de terroriste, de communiquer avec son Etat d’envoi par l’entremise de ses autorités consulaires revêt davantage d’importance encore, car les principes relatifs à la régularité de la procédure exigent un respect scrupuleux des garanties procédurales lorsque les accusations sont graves. La convention de Vienne reconnaît les difficultés auxquelles un accusé jugé dans un pays étranger doit faire face, difficultés qui sont encore accrues lorsque l’intéressé est détenu par des forces de sécurité et traduit devant un tribunal militaire. La garantie de pouvoir communiquer avec ses autorités consulaires et d’obtenir leur aide pour préparer sa défense n’en est donc que plus nécessaire lorsque l’intéressé est jugé par des tribunaux militaires pour des infractions d’une telle gravité.
82. Enfin, comme le relève M. Kolb,
«[l]a pratique de la CIJ est riche d’invocations d’abus de procédure. Toutefois, contrairement à d’autres tribunaux internationaux, la Cour n’a jusqu’ici jamais dû conclure qu’un tel abus était établi. Cette interprétation restrictive de la Cour se recommande».
Et l’auteur de poursuivre en précisant que
«[l]a pratique montre que l’argument de l’abus de procédure était lui-même généralement animé par une tentative très malvenue d’empêcher la Cour de connaître d’une requête en affirmant une irrecevabilité in limine litis»54.
83. Ce commentaire relatif à l’argument de l’abus de procédure est parfaitement justifié au vu du type d’arguments qui sont avancés dans le contre-mémoire.
84. Les éléments sur lesquels le Pakistan se fonde pour dénoncer l’abus de procédure qu’aurait commis le demandeur sont les suivants :
53 Ibid.
54 Annexe 16.
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a) Le «refus de l’Inde de traiter»55 sa demande d’informations concernant le passeport.
b) Le fait que l’Inde aurait prêté à M. Jadhav «une fausse identité destinée à lui permettre de se rendre plus facilement au Pakistan en vue de se livrer à des actes d’espionnage et de terrorisme»56.
c) Le fait que l’Inde aurait invoqué le droit conventionnel d’un Etat de communiquer avec ses ressortissants par l’entremise de ses autorités consulaires afin de pouvoir s’entretenir avec un agent secret.
d) La manière dont l’Inde a invoqué la compétence de la Cour d’indiquer des mesures conservatoires, droit qu’elle aurait exercé comme une arme politique.
85. Chacun de ces arguments illustre le cynisme qu’évoque M. Kolb quant à la façon dont le principe de l’abus est détourné. Aucun des éléments susmentionnés n’a la moindre pertinence en la présente espèce. Un ressortissant indien est détenu par le Pakistan ; il a été jugé, puis déclaré coupable et condamné à mort par un tribunal militaire, et ce, en étant incarcéré dans une prison militaire pendant toute la procédure. Autant d’événements qui se sont produits sans que l’intéressé ne soit autorisé à communiquer avec ses autorités consulaires, ce qui aurait permis à l’Etat d’envoi de s’assurer de son bien-être et de sa sécurité, ainsi que de l’aider à préparer sa défense. L’Inde fait valoir qu’il a été gravement porté atteinte à ses propres droits et à ceux de M. Jadhav, ressortissant indien, et que la convention de Vienne a été violée de manière éhontée.
86. Le défendeur invite la Cour à partir du principe que la déclaration de culpabilité est justifiée et cherche, sur cette base, à escamoter son mépris total de la convention de Vienne. S’il suffisait qu’un Etat allègue qu’une personne détenue par lui est un espion ou un terroriste pour pouvoir faire fi d’une garantie procédurale aussi essentielle que la communication entre une personne traduite en justice dans un pays étranger et ses autorités consulaires, cela aurait été expressément mentionné à l’article 36 de ladite convention. En jugeant M. Jadhav et en le déclarant coupable des infractions d’espionnage et de terrorisme, sans l’autoriser à communiquer avec ses autorités consulaires de la manière prévue par cet instrument, ce qui l’aurait aidé à préparer sa défense et aurait garanti qu’il ne soit pas soumis à quelque acte de torture ou traitement cruel, le Pakistan a gravement manqué aux obligations internationales qui sont les siennes.
87. Le défendeur invite la Cour à prendre ses allégations pour argent comptant tout en acceptant le verdict de son tribunal militaire, et à considérer comme un abus la protestation de l’Inde contre la violation du droit d’un Etat de communiquer avec ses ressortissants par l’entremise de ses autorités consulaires en vertu de la convention de Vienne. Pareille approche revient à vider cet instrument de sa substance.
88. L’Inde a toujours proposé au défendeur de communiquer par l’entremise de ses autorités consulaires avec tout ressortissant pakistanais arrêté et jugé par les tribunaux indiens, le Pakistan ayant toujours refusé de fournir cette assistance à ses ressortissants accusés de graves crimes de terrorisme. Or, les besoins du demandeur en matière de sécurité nationale sont tout aussi sacrés et, de fait, sa sécurité est davantage menacée en raison du terrorisme transfrontalier. Pour autant, l’Inde n’a cependant jamais dérogé aux obligations internationales qui lui incombent. L’allégation du Pakistan selon laquelle le fait d’autoriser M. Jadhav à communiquer avec ses autorités consulaires aurait eu quelque incidence que ce soit sur ses préoccupations en matière de sécurité est
55 CMP, par. 168.
56 Ibid., par. 170.1.
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une piètre excuse pour ne pas se conformer à des obligations conventionnelles fondamentales qui sont aujourd’hui reconnues comme une dimension des droits de l’homme d’un accusé.
89. L’argument du défendeur selon lequel, en refusant de fournir des «explications sur une série de points se rapportant à l’enquête qui était menée»57 et de traiter sa demande d’entraide judiciaire, l’Inde n’aurait pas agi de bonne foi, conformément à la norme requise par le droit international, est dépourvu de tout fondement, tant en droit qu’en fait.
90. Le Pakistan cherche à invoquer le litt. f) de l’article 2 de la résolution 1373 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies58. A cet égard, l’Inde soutient ce qui suit :
a) Il est ironique que le Pakistan se fonde sur cette résolution, dans laquelle le Conseil commence par prescrire à tous les Etats de prévenir et de réprimer le financement des actes de terrorisme ; de s’abstenir d’apporter quelque forme d’appui que ce soit, actif ou passif, aux entités ou personnes impliquées dans des actes de terrorisme ; de prendre les mesures voulues pour empêcher que des actes de terrorisme ne soient commis ; et de refuser de donner refuge à ceux qui financent, organisent, appuient ou commettent des actes de terrorisme. Par son propre comportement, le Pakistan a contrevenu à chacune de ces décisions.
b) L’assistance dans le cadre d’enquêtes pénales, y compris en ce qui concerne «le financement d’actes de terrorisme ou l’appui dont ces actes ont bénéficié», est rendue possible par la conclusion de traités d’entraide judiciaire. Or, il n’existe aucun traité de ce type entre l’Inde et le Pakistan, la première ayant toujours estimé qu’il en allait ainsi en raison de la réticence du second à conclure un tel instrument.
91. La demande formulée par le Pakistan ne satisfait pas aux critères établis en la matière par les traités d’entraide judiciaire. Elle ne contient aucun élément attestant prima facie qu’une infraction a été commise. Des aveux extorqués par les forces de sécurité et promptement utilisés à des fins de propagande ainsi qu’un passeport falsifié dont le Pakistan ne cesse d’affirmer qu’il l’a trouvé en la possession de M. Jadhav sont tout ce que le défendeur avance à l’appui de ses graves allégations. La lecture de sa demande d’entraide ne laisse aucun doute sur le fait qu’il s’agit là d’une étape de plus dans sa guerre de propagande.
92. Dans son volumineux contre-mémoire, le défendeur n’a pas donné le moindre détail sur la manière dont M. Jadhav a été capturé par les forces de sécurité, ni sur la nature des éléments de preuve (autres que les aveux manifestement extorqués et le passeport falsifié) susceptibles d’établir que l’intéressé se livrait à des actes d’espionnage et de terrorisme ; de fait, les informations sur ces actes proprement dits brillent par leur absence dans toutes les communications que le Pakistan a adressées à l’Inde. Il suffit de lire la demande de «coopération» qu’il lui a présentée pour constater qu’il s’agit d’un énième instrument de propagande, et non d’un document juridique sérieux sur la base duquel il sollicitait le concours du demandeur dans le cadre d’une enquête.
93. Toutes ces allégations reposent sur le fait que M. Jadhav «a lui-même avoué volontairement et à plusieurs reprises avoir financé et appuyé des actes de terrorisme»59. L’Inde affirme que, en obtenant ces aveux et en poursuivant la procédure qui a débouché sur la déclaration de culpabilité de l’intéressé, le Pakistan a agi au mépris total de la convention de Vienne. Il en
57 CMP, par. 172.
58 Ibid., annexe 89.
59 Ibid., par. 176.
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résulte notamment que toutes ces allégations du défendeur, ainsi que la déclaration de culpabilité prononcée par son tribunal (militaire, qui plus est), ne sont pas crédibles. Le Pakistan invite la Cour à juger que la demande par laquelle l’Inde cherche à faire valoir son droit au titre de la convention de Vienne constitue un abus, et ce, en s’appuyant sur ses propres allégations et la procédure de son tribunal dont la crédibilité est réduite à néant par son refus de se conformer aux obligations internationales que lui impose ladite convention.
V. EX TURPI CAUSA (ILLICÉITÉ)/MAINS SALES/EX INJURIA JUS NON ORITUR
94. Le Pakistan invoque ensuite, comme moyen de défense, le principe ex turpi causa (illicéité)/mains sales/ex injuria jus non oritur.
95. Les arguments formulés à ce titre sont tout aussi infondés que les précédents. Leur base factuelle est la même que celle du moyen de défense que le Pakistan a déjà avancé concernant un prétendu abus de la part de l’Inde. Celle-ci réitère la position qu’elle a exposée dans les paragraphes ci-dessus.
96. Les arguments de droit sont eux aussi indéfendables. A cet égard, le demandeur se contentera de formuler les brefs commentaires ci-après :
a) Les observations formulées dans l’arrêt rendu en l’affaire relative à l’Usine de Chorzów (demande en indemnité) (compétence) (République Fédérale d’Allemagne c. Pologne) sont sans rapport avec l’argument que fait valoir le défendeur. Le passage de cette décision cité dans le contre-mémoire60 énonce un principe bien établi : une Partie ne saurait reprocher à l’autre de ne pas avoir rempli une obligation si, par un acte contraire au droit, elle l’a empêchée de le faire. Le Pakistan ne précise pas quel acte de l’Inde contraire au droit l’aurait empêché de permettre la communication entre M. Jadhav et ses autorités consulaires. Au lieu de cela, il avance que «l’illicéité de l’acte antérieur a pour conséquence d’annuler toute obligation corrélative»61. Rien ne permet d’étayer une telle proposition, sans parler du fait que les principes régissant la primauté du droit s’en trouveraient mis à mal. En droit des contrats, où les obligations sont successives, l’inexécution par une partie d’une de ses obligations peut dispenser l’autre d’exécuter l’obligation ultérieure qui lui incombe. Pareil principe n’a toutefois jamais été étendu au droit international. En outre, les obligations découlant de l’article 36 sont autonomes et ne dépendent pas de quelque autre obligation imposée à l’Etat d’envoi par la convention de Vienne elle-même, par un autre traité ou de toute autre manière.
b) Le Pakistan invite la Cour à dire qu’un Etat peut juger unilatéralement de la licéité des actes d’un autre Etat en fonction de sa propre conception de certains principes généraux de droit coutumier (ou des conséquences de telle ou telle résolution de l’Organisation des Nations Unies) et refuser, sur cette base, d’exécuter des obligations qui, de son propre aveu, sont pourtant sans rapport et lui incombent en application d’un traité international. Si une telle proposition devait jamais être admise, cela anéantirait la primauté du droit et la courtoisie internationale.
c) Le contre-mémoire contient une citation de l’opinion dissidente dont le juge Anzilotti62 a joint l’exposé en l’affaire relative au Statut juridique du territoire du sud-est du Groënland (1933), C.P.J.I. série A/B n° 53. Même ce passage est, en tout état de cause, entièrement sorti de son
60 CMP, par. 191.
61 Ibid., par. 192.
62 Ibid., par. 194.
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contexte. Le fait que l’Inde se soit prévalue de son droit de communiquer avec son ressortissant par l’entremise de ses autorités consulaires n’était pas un acte illicite ; la présente action en justice repose sur une affirmation des droits conventionnels qui sont les siens.
d) Dans son contre-mémoire, le Pakistan cite l’opinion dissidente dont le juge Schwebel63 a joint l’exposé à l’arrêt rendu en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 14. La proposition figurant dans l’extrait cité est dépourvue de pertinence en la présente espèce. L’éminent juge a estimé que les actes commis par le Nicaragua à El Salvador le privaient du droit de faire valoir ses prétentions à l’encontre des Etats-Unis d’Amérique, puisque les mesures de ces derniers faisaient suite à ses activités illicites ou avaient été prises en réponse à celles-ci. Cela n’est nullement pertinent en l’espèce, et l’on ne saurait ainsi sortir de leur contexte des énoncés de droit d’ordre général pour les invoquer dans une situation totalement différente. Au surplus, les propositions sur lesquelles le Pakistan fait fond ne figurent dans aucun arrêt de la Cour. Quoi qu’il en soit, le défendeur a totalement manqué d’avancer (et, a fortiori, d’établir) un quelconque motif qui permettrait de déduire que l’Inde s’est présentée devant la Cour avec «les mains sales» ou, pis encore, qu’elle se serait rendue coupable de quelque fait illicite, ni lesquels de ses actes l’empêcheraient de s’acquitter des obligations que lui impose l’article 36.
e) Aux paragraphes 198 à 201 de son contre-mémoire, le Pakistan se fonde sur des affirmations formulées, elles aussi, dans des affaires dont les faits n’ont rien à voir avec ceux de la présente espèce ou dont le contexte n’a aucune pertinence aux fins de celle-ci. Des arguments avancés par un conseil qui n’ont pas été accueillis dans l’arrêt ne constituent pas un exposé du droit faisant autorité. Le Pakistan invite la Cour à partir du principe qu’il a été implicitement fait droit à l’argumentation présentée pour s’opposer à l’indication de mesures conservatoires, au motif qu’il a été décidé de pas en indiquer ; ce raisonnement est indéfendable.
f) En ce qui concerne la procédure relative aux Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136, le défendeur s’appuie sur l’exposé de l’opinion individuelle du juge Elaraby64, qui s’inscrivait dans un contexte totalement différent de celui de la présente affaire. Il était alors question de la reconnaissance d’un territoire ; l’éminent juge estimait que l’occupation illicite de territoires ne devait pas être reconnue, et c’est dans ce contexte qu’il s’est fondé sur le principe selon lequel un acte illicite ne saurait produire des résultats licites. Il s’agit là d’une nouvelle affirmation dépourvue de pertinence, dont la source (l’exposé d’une opinion dissidente) n’a été incluse au contre-mémoire que pour l’embellir.
97. Le Pakistan cherche à s’appuyer sur un prétendu rapport d’expert65 concernant le passeport qu’il s’est procuré unilatéralement. L’Inde a abondamment traité la question de ce document de voyage, qui est soulevée à maintes reprises dans le contre-mémoire. Il lui suffit de dire qu’elle réfute toutes ces allégations et soutient qu’elles n’ont pas la moindre pertinence.
98. Le seul passage où le défendeur fait mine d’aborder directement la question du déni du droit du demandeur de communiquer avec son ressortissant se trouve au paragraphe 218.5 du contre-mémoire. L’affirmation du Pakistan selon laquelle il a refusé de permettre à l’Inde de ce faire au motif qu’elle aurait mené des activités illicites revient à attribuer aux Etats Parties à la convention de Vienne le droit de juger du comportement d’autres Etats et de décider eux-mêmes
63 CMP, par. 196.
64 Ibid., par. 204.
65 Ibid., annexe 141.
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s’ils satisferont ou non aux obligations pourtant énoncées en des termes inconditionnels dans cet instrument. L’Inde a toujours autorisé le Pakistan à communiquer avec ses ressortissants par l’entremise de ses autorités consulaires, même lorsque les personnes arrêtées avaient été prises en flagrant délit de terrorisme. Le principe selon lequel le fait de formuler des allégations d’espionnage et de terrorisme dispenserait l’Etat de résidence de se conformer aux obligations que lui impose la convention de Vienne est manifestement erroné.
99. L’Inde réitère que les assertions du Pakistan reposent sur deux éléments qui n’ont pas la moindre crédibilité — des aveux extorqués dans une prison militaire à un accusé qui était, et est toujours, détenu au secret ainsi qu’un document que les forces de sécurité concernées auraient trouvé en la possession de M. Jadhav et que le Pakistan qualifie à juste titre de faux. Le défendeur fonde son argumentation sur le fait qu’il a exhorté l’Inde à donner des explications sur ce document falsifié et que celle-ci ne lui a pas répondu66. D’un point de vue juridique, cela revient à dire que le défendeur accuse le demandeur d’avoir conspiré à la falsification dudit document. Proférer de telles accusations ne dispense pas l’Etat de résidence des obligations que lui impose la convention de Vienne. Les dispositions relatives au droit d’une personne de communiquer avec son Etat de nationalité par l’entremise de ses autorités consulaires visent à préserver les droits fondamentaux des ressortissants étrangers détenus (a fortiori par des forces de sécurité) et de donner un contenu concret aux obligations de garantir la régularité de la procédure, sous la forme d’un procès équitable, et de réserver un traitement humain à l’intéressé, y compris en détention. Reconnaître le droit d’un Etat de refuser ladite garantie (dont un aspect est aujourd’hui énoncé à l’article 36) sur la base des allégations qu’il formule contre un accusé revient à rendre inopérante la convention de Vienne. Il convient de répéter à cet égard que, même lorsqu’elle a accusé le Pakistan de soutenir le terrorisme, l’Inde lui a toujours permis de communiquer avec ses ressortissants par l’entremise de ses autorités consulaires.
VI. APPLICABILITÉ DE LA CONVENTION DE VIENNE
100. L’allégation du Pakistan selon laquelle l’Inde aurait manqué ou refusé de lui fournir un quelconque élément attestant la nationalité de M. Jadhav n’est pas sérieuse. Dans toutes ses communications, le Pakistan a qualifié l’intéressé de ressortissant indien. Il a immédiatement formulé des accusations contre l’Inde devant la communauté internationale en partant du principe que celui-ci était un ressortissant indien qui avait été envoyé au Pakistan par son pays afin d’y mener des activités d’espionnage et d’y promouvoir le terrorisme. Il l’a à maintes reprises désigné comme le «commandant Jadhav», partant du principe que l’intéressé était un officier d’active de la marine indienne. Or, pour être membre des forces armées indiennes, il faut nécessairement être un citoyen indien  un ressortissant indien. Et pourtant, contre toute attente, le Pakistan soutient, au paragraphe 238 de son contre-mémoire, que l’Inde a à ce jour manqué ou refusé de lui fournir un quelconque élément attestant la nationalité de M. Jadhav.
101. Lorsqu’un fait est contesté, il faut en apporter la preuve. Il s’agit là d’un principe élémentaire de la procédure contradictoire. L’Inde affirme que M. Jadhav est un ressortissant indien. Le fait qu’il ait servi au sein de la marine indienne n’est pas contesté67. Depuis le début, le Pakistan accuse l’Inde de soutenir le terrorisme sur son territoire en s’appuyant sur les allégations qu’il formule contre M. Jadhav, un ressortissant indien. Dans toutes les communications diplomatiques, y compris la toute première, il a agi en partant du principe que l’intéressé était un ressortissant indien. Le grief formulé au paragraphe 238 est donc en contradiction avec le
66 Un faux est par définition un document falsifié. Il est donc contradictoire de parler d’authentique faux.
67 Le Pakistan soutient que l’intéressé est toujours un commandant de la marine indienne. L’Inde affirme qu’il ne l’est plus.
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comportement du Pakistan, ainsi qu’avec les conclusions formulées par celui-ci dans d’autres parties du contre-mémoire.
102. Le second moyen que le Pakistan avance pour soutenir que la convention de Vienne ne s’applique pas est lui aussi sans fondement. Ainsi que cela a été exposé précédemment, la convention confère un droit de communication par l’entremise des autorités consulaires au ressortissant étranger (qui a été arrêté puis jugé dans un Etat de résidence) ainsi qu’à l’Etat d’envoi. La Cour a établi qu’il s’agissait là d’un droit inaliénable qui, à mesure que s’étoffait la jurisprudence relative à cette convention, avait été reconnu comme une dimension du droit de l’accusé à une procédure régulière. Dans l’arrêt LaGrand, elle a ainsi indiqué ceci :
«Compte tenu du libellé de ces dispositions, la Cour conclut que le paragraphe 1 de l’article 36 crée des droits individuels qui, en vertu de l’article premier du protocole de signature facultative, peuvent être invoqués devant la Cour par l’Etat dont la personne détenue a la nationalité. En l’espèce, ces droits ont été violés.»68
Et de préciser, en l’affaire Avena :
«Elle observera en outre que toute violation des droits que l’individu tient de l’article 36 risque d’entraîner une violation des droits de 1’Etat d’envoi et que toute violation des droits de ce dernier risque de conduire à une violation des droits de l’individu. Dans ces circonstances toutes particulières d’interdépendance des droits de 1’Etat et des droits individuels, le Mexique peut, en soumettant une demande en son nom propre, inviter la Cour à statuer sur la violation des droits dont il soutient avoir été victime à la fois directement et à travers la violation des droits individuels conférés à ses ressortissants par l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36. L’obligation d’épuiser les voies de recours internes ne s’applique pas à une telle demande.»69
103. Ainsi que cela a déjà été exposé, plus les allégations formulées contre un accusé sont graves, plus la nécessité de veiller au respect des garanties procédurales est grande, de manière à s’assurer que ces allégations font l’objet d’un examen pleinement conforme aux principes garantissant une procédure régulière et que l’accusé est traité dans le respect de la primauté du droit.
104. Pour justifier que, comme il le soutient, les précieuses protections instaurées par la convention sont écartées du simple fait qu’un Etat formule des allégations d’espionnage fondées sur des aveux extorqués par des forces de sécurité, il faudrait que le Pakistan établisse que l’application de cet instrument est expressément exclue en pareil cas. Or, il reconnaît lui-même qu’il n’existe aucun fondement concret sur lequel il pourrait étayer une allégation aussi extrême, laquelle nuirait gravement à l’efficacité de la convention.
105. Aussi le Pakistan formule-t-il une thèse tout à fait erronée, soutenant que l’Inde, pour se prévaloir des droits garantis par la convention, doit établir un fondement de droit international coutumier extrinsèque à celle-ci qui viendrait s’ajouter aux termes clairs et dépourvus de toute ambiguïté qui y sont employés. Pareil argument est voué à l’échec.
68 LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 466, par. 77.
69 Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), par. 40.
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106. C’est à mauvais escient que le Pakistan invoque en l’espèce l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Avena. Dans cette affaire, les Etats-Unis avaient soutenu qu’«un grand nombre des cinquante-deux personnes visées au paragraphe 16 ci-dessus étaient des ressortissants américains et que, par conséquent, [ils] n’étaient tenus d’aucune obligation envers ces personnes en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36»70. C’est dans ce contexte que la Cour avait déclaré qu’«il appart[enait] au Mexique de démontrer que les cinquante-deux personnes … étaient de nationalité mexicaine au moment de leur arrestation»71. Dans la présente affaire, en revanche, la nationalité de M. Jadhav n’a jamais été contestée, et le Pakistan n’a soulevé cette question que dans un second temps, pour renforcer son argumentation.
VII. RÉPONSE AUX ARGUMENTS DU PAKISTAN SELON LESQUELS LA CONVENTION DE VIENNE NE TROUVE PAS À S’APPLIQUER DANS LES AFFAIRES D’ESPIONNAGE
107. Dans cette partie de son contre-mémoire, le Pakistan fonde l’intégralité de son argumentation selon laquelle il ressort de la pratique des Etats que les personnes détenues, puis arrêtées et jugées pour s’être livrées à des activités d’espionnage et de terrorisme, ne peuvent jouir des droits prévus par l’article 36 de la convention de Vienne sur des citations sorties de leur contexte, des sources étayant une position exactement inverse ou des extraits fournis sans avoir été scrupuleusement analysés.
108. L’Inde a déjà fait observer que ce raisonnement était en soi erroné, car il consiste à poser la mauvaise question pour aboutir, dès lors, à la mauvaise réponse. Le Pakistan se demande en effet s’il ressort de la pratique des Etats que même les individus arrêtés sous les chefs d’espionnage et de terrorisme doivent se voir accorder le droit de communiquer avec leurs autorités consulaires, et parvient à la conclusion qu’une telle pratique n’existe pas. Autrement dit, il tente de brouiller les pistes et aborde à reculons le véritable problème que soulève son raisonnement, à savoir que, bien que les rédacteurs de la convention de Vienne aient eu à l’esprit les questions d’espionnage  ce qui transparaît également dans les documents sur lesquels il s’appuie  ils n’ont prévu aucune exception en cas d’actes de cette nature.
109. Reconnaissant que sa thèse72 est vouée à l’échec et que rien, dans les analyses et observations invoquées, ne permet de l’étayer, le Pakistan cherche à esquiver le problème en posant la mauvaise question, c’est-à-dire de savoir si la pratique des Etats justifie que les droits énoncés par la convention de Vienne s’étendent aux ressortissants étrangers accusés de s’être livrés à des actes d’espionnage et de terrorisme, pour conclure finalement, fort opportunément, que tel n’est pas le cas. L’Inde, quant à elle, ne fonde son argumentation ni sur le droit international coutumier ni sur la pratique des Etats, mais sur le simple libellé de l’article 36, qui ne laisse place à aucune ambiguïté.
110. Le demandeur ne suggère nullement que les activités d’espionnage font partie des fonctions légitimes d’un consulat, ni que les fonctionnaires consulaires, protégés par la convention de Vienne, ont le droit de se livrer à pareilles activités. Soit dit en passant, certains faits survenus par le passé laissent planer de sérieux doutes sur le point de savoir si le Pakistan partage ces vues essentielles.
70 Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), par. 53.
71 Ibid., par. 57.
72 A savoir que la convention de Vienne ne s’applique pas aux cas où des accusations d’espionnage sont portées contre un ressortissant étranger.
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111. Le défendeur appelle l’attention73 sur les observations formulées par G. E. do Nascimento au sujet de la convention de Vienne74, celui-ci ayant indiqué que si, dans certaines circonstances, des fonctionnaires consulaires peuvent être personnellement tenus pour responsables et doivent répondre de leurs actes devant les juridictions locales,
«[l]a Commission du droit international a[vait toutefois], dans son projet d’articles, fait sienne la théorie selon laquelle les fonctionnaires consulaires ne peuvent être mis en état d’arrestation ou placés en détention préventive qu’en cas de crime grave et sur décision de l’autorité judiciaire compétente»75.
L’auteur retrace ensuite le cheminement des débats, faisant état des nettes divergences qui existaient entre les Etats. Il poursuit en indiquant que le projet de la Commission du droit international n’a été que très légèrement modifié par l’article 43, lequel introduit une exception concernant les actions civiles résultant de contrats passés par des fonctionnaires consulaires n’agissant pas en tant que mandataires de l’Etat d’envoi, ou de dommages résultant d’accidents de la route ou d’accidents similaires. G. E. do Nascimento fait observer que ces changements n’ont rien ajouté de substantiel étant donné que, au paragraphe 1, l’immunité est accordée «pour les actes accomplis dans l’exercice des fonctions consulaires»76.
112. Il ressort cependant de cet examen que les fonctionnaires attachés à un poste consulaire sont soumis à la juridiction civile et pénale de l’Etat de résidence «pour ce qui concerne leurs actions privées, en particulier lorsqu’ils exercent des activités personnelles lucratives»77. Tout cela est sans rapport avec la présente affaire. Du reste, le Pakistan ne dit pas que, lorsqu’un fonctionnaire consulaire apparemment chargé de missions de cet ordre est suspecté de se livrer à des actes d’espionnage, son immunité de juridiction pénale serait levée ; la pratique consiste à le déclarer persona non grata et à lui demander de quitter le pays en évitant de violer les locaux consulaires ou de l’arrêter en contravention de la convention de Vienne sous le prétexte spécieux qu’un Etat d’envoi commettant des actes illicites n’a pas le droit d’invoquer cet instrument. La possibilité, pour un Etat, d’accuser unilatéralement un fonctionnaire consulaire d’actes d’espionnage et, partant, d’ignorer tout aussi unilatéralement l’immunité qui lui est reconnue depuis des temps immémoriaux, porterait gravement atteinte aux fondements mêmes des relations internationales.
113. Le Pakistan déclare que «[l]’on ne saurait trop insister»78 sur l’effet que la guerre froide a eu sur l’exercice de codification du droit international, sans toutefois reconnaître que si, ce nonobstant, aucune réserve expresse concernant les accusations d’espionnage n’est prévue à l’article 36 de la convention de Vienne, cela signifie (ce qui n’est pas une surprise) que les Etats ne souhaitaient pas qu’une garantie aussi capitale que celle qui y est énoncée dépende des actions de l’Etat de résidence dans lequel le ressortissant étranger a été arrêté, ledit Etat se voyant autorisé à se déroger à l’article 36 en formulant unilatéralement des accusations d’espionnage. Si l’on va jusqu’au bout de la logique du Pakistan, un Etat de résidence pourrait, en formulant pareilles accusations, réduire à néant toute immunité diplomatique en arguant que l’existence d’allégations selon lesquelles l’Etat d’envoi aurait commis des infractions justifie pleinement le déni des
73 CMP, par. 275-279.
74 CMP, annexe 115 : G. E. do Nascimento, «The Vienna Conference on Consular Relations» in The International & Comparative Law Quarterly», vol. 13, no 4 (octobre 1964).
75 Ibid., p. 1226.
76 Ibid., p. 1227.
77 Ibid., p. 1227.
78 CMP, par. 280.
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protections prévues à l’article 36. Eh bien, le Pakistan invite la Cour à admettre que pareille anarchie est compatible avec les principes régissant la primauté du droit.
114. Il convient de réitérer que l’absence de telles exceptions dans la convention de Vienne n’est pas surprenante puisque, selon les principes fondamentaux permettant d’assurer une procédure équitable, plus l’accusation est grave, plus il importe que les garanties procédurales soient respectées. Du reste, certaines règles essentielles doivent prévaloir entre les nations civilisées, règles auxquelles un Etat de résidence ne saurait déroger en formulant des allégations unilatérales.
115. Reconnaissant que des besoins de sécurité nationale et d’efficacité de l’enquête peuvent contraindre l’Etat de résidence à différer de quelques jours la notification de l’arrestation, les rédacteurs de la convention ont prévu une certaine souplesse en employant l’expression «sans retard injustifié». Un Etat peut ainsi justifier un écart de quelques jours entre l’arrestation et la notification à l’Etat d’envoi si ce temps est consacré en toute bonne foi à enquêter sur des questions liées à une activité d’espionnage. Une chose est d’expliquer le laps de temps entre une arrestation et sa notification ; c’en est une autre que d’insinuer que des accusations d’espionnage permettent de déroger à l’article 36.
116. L’invocation du volume I de l’Annuaire de la CDI de 195779 est complètement hors de propos. Dans son contre-mémoire, le Pakistan cite des extraits des débats de la 414e séance du 11 juillet 195780, dont le contexte est fourni au paragraphe 1 du procès-verbal correspondant. Il y est indiqué que «[l]e président a invité la Commission à poursuivre les débats d’ordre général sur le second rapport de M. Garcia Amador». Il est difficile de saisir la pertinence des observations citées au paragraphe 280 du contre-mémoire. La même remarque s’applique au paragraphe 281 du contre-mémoire, même s’il est intéressant de noter que, pour protester contre ce qu’elle considère comme un commentaire âpre et discordant à son égard, la Chine affirme qu’«elle n’arrête pas les agents diplomatiques et consulaires sur de fausses accusations d’espionnage [et qu’]elle ne viole pas les locaux des ambassades et des consulats pour y brancher des appareils aux téléphones et aux bureaux». C’est qu’en effet, l’arrestation de fonctionnaires consulaires sous le chef d’espionnage anéantirait le système même de l’immunité diplomatique.
117. Le Pakistan cite des extraits du commentaire faisant autorité de sir Arthur Watts QC, dans lequel celui-ci expose le projet de convention de la CDI. Sir Arthur Watts explique en quoi les intérêts d’un Etat dans le cadre d’une enquête pénale ont été mis en balance avec le droit de communiquer par l’entremise des autorités consulaires. L’auteur déclare ainsi, au paragraphe 6, de son commentaire81, que «[l]’expression «sans retard injustifié» utilisée à l’alinéa b du paragraphe 1 tient compte des cas où les intérêts de l’instruction criminelle exigent que l’arrestation d’une personne soit tenue secrète pendant un certain temps». Le Pakistan avance, à tort, que rien dans ce commentaire faisant autorité n’indique que l’article 36 trouve à s’appliquer aux personnes accusées d’espionnage. Tout d’abord, le défendeur pose de nouveau la mauvaise question, aboutissant ainsi de nouveau à la mauvaise réponse. Ensuite, dans son commentaire, sir Arthur Watts explique en quoi le paragraphe 6 répond à la nécessité, pour un Etat, de mener des enquêtes au cours desquelles il peut détenir une personne au secret, ce qui n’est pas nécessaire si de graves allégations d’espionnage et de terrorisme rendent l’article 36 inapplicable.
79 Annuaire de la Commission du droit international, 1957, vol. I, p. 159, par. 16, 2e colonne.
80 CMP, par. 280.
81 Ibid., par. 284.
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118. Au paragraphe 288 de son contre-mémoire, le Pakistan cite un échange entre M. Tounkine et le président de la CDI, qui clôt cette question. Alors que M. Tounkine, évoquant les cas d’espionnage, estime qu’il peut être bon que les autorités locales ne soient pas tenues d’informer le consul, le président fait observer que, dans l’éventualité où la Commission déciderait d’examiner la question de savoir s’il convient de faire exception pour les cas d’espionnage, le principe même de la protection consulaire et de la communication entre un Etat d’envoi et ses ressortissants par l’entremise des autorités consulaires serait remis en cause. Loin de donner à penser que l’examen de ce problème suscitait de grandes réticences, ces extraits indiquent au contraire que, bien qu’aucune exception n’ait été prévue à l’article 36 en cas d’accusations d’espionnage, les questions liées à ce type d’activités étaient tout à fait à l’ordre du jour.
119. Le paragraphe 295 du contre-mémoire va dans le même sens. La conclusion, avancée au paragraphe 296, est cependant tout à fait contraire à ce qui a été établi dans les extraits invoqués par le Pakistan. Il est utile de rappeler que, bien que le problème de l’espionnage ait été soulevé et examiné, et même s’il a été admis que, d’une certaine manière, il pouvait constituer une limite au droit de communiquer par l’entremise des autorités consulaires (ainsi que le président l’a fait observer dans ses commentaires), aucune restriction de ce type n’a été énoncée dans l’article qui a finalement été inséré dans le traité.
120. Le Pakistan évoque ensuite les problèmes que pose la mise en oeuvre des dispositions de la convention de Vienne en ce qui concerne les demandeurs d’asile et les personnes ayant une double nationalité. Ces deux questions prouvent elles aussi que la convention de Vienne est bien l’instrument le plus complet qui soit sur la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi ; en toute situation, ce sont les dispositions de cette convention qui permettent de trouver la solution conforme à celle-ci.
121. Le cas des demandeurs d’asile est aux antipodes de celui des ressortissants de l’Etat d’envoi qui n’entendent pas renoncer à leur nationalité. La question de savoir si l’article 36 trouve à s’appliquer de la même manière aux personnes demandant asile et exprimant par là même leur intention de répudier leur nationalité est un problème épineux. Dans les cas où l’article 36 risquerait de porter atteinte aux droits de l’homme d’un ressortissant arrêté, son applicabilité soulèverait un problème auquel il serait impossible de trouver une solution définitive.
122. De même, l’application de l’article 36 au cas des personnes ayant une double nationalité pose des difficultés sui generis. Le fait de déroger à cette disposition en pareil cas repose sur le postulat que, étant ressortissant de l’Etat dans lequel il a été arrêté, l’intéressé n’a pas droit à la protection offerte par ladite disposition. Le point de savoir si ce postulat se justifie est délicat.
123. En cherchant désespérément à justifier la manière flagrante et inexcusable dont il a violé l’article 36 de la convention de Vienne, sans être capable pour autant d’étayer sa théorie selon laquelle celui-ci ne s’applique pas dès lors que des accusations d’espionnage ont été formulées, le Pakistan cite deux cas dans lesquels l’application dudit article dans son propre contexte produit des résultats incertains. Ces exemples sont totalement dépourvus de pertinence.
124. Les pratiques au Royaume-Uni et en Irlande, telles qu’elles sont évoquées respectivement aux paragraphes 301 et 302, puis 303 du contre-mémoire, n’ajoutent rien à cette discussion. Au paragraphe 305, le Pakistan se borne à reconnaître le problème, tout en fournissant des explications qui n’ont rien à voir avec la présente espèce. La convention de Vienne s’intéresse aux situations où le ressortissant d’un Etat a été placé en détention dans un autre Etat. Dans le cas
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d’une personne ayant une double nationalité, la première étape consiste à déterminer la capacité d’un Etat à revendiquer un droit de protection à son égard, dans la mesure où «il est admis que l’un des États de nationalité peut [la] représenter». Si l’Etat ayant procédé à l’arrestation représente lui-même ou prétend représenter l’intéressé, la question de l’application de l’article 36 ne se pose tout simplement pas. Il s’agit là d’un point de droit international fort intéressant, qui pourra être tranché dans une affaire appropriée. Inviter la Cour à le faire en la présente espèce est cependant hasardeux.
125. Le libellé de l’article 36 ne laisse place à aucune ambiguïté. Le Pakistan ne cherche même pas à démontrer que, dans la pratique des Etats, l’article 36 n’a jamais été étendu aux cas d’espionnage (la question posée une nouvelle fois au paragraphe 311 du contre-mémoire suggère l’inverse). Le fait que certains pays aient insisté pour que leurs ressortissants et leurs autorités consulaires puissent communiquer même en cas d’accusations d’espionnage (ainsi que cela ressort du paragraphe 313) remet en cause l’idée que l’article 36 n’était pas censé s’appliquer en pareil cas. Le Pakistan présente, à cet égard, «de nombreux cas d’espionnage anciens ou récents [desquels il ressort] que les Etats ont souvent agi en partant du principe qu’ils n’auraient pas le droit ou n’auraient pas la possibilité de communiquer avec leurs agents secrets si ceux-ci se faisaient capturer ou si leur couverture était compromise»82.
126. L’Inde soutient que, outre le fait que, en raison de l’insuffisance des informations fournies, les documents invoqués à cet égard ne sont guère fiables, les faits présentés eux-mêmes ne sont pas corroborés.
a) En ce qui concerne Mikhail Gorin, on ignore si les Etats-Unis ont ou non refusé qu’il communique avec les autorités consulaires de son Etat d’envoi. Il semble qu’il ait été autorisé à appeler trois fois l’ambassade de l’Union soviétique, que le vice-consul lui ait rendu visite et qu’on lui ait permis de s’entretenir en russe en présence d’un officier de renseignement de la marine américaine.
b) S’agissant de Gary Powers, comme l’attestent les documents produits, la possibilité de communiquer avec ses autorités consulaires lui a été refusée pendant 21 mois. Il ressort toutefois de ces mêmes documents que son père était présent à son procès, et d’autres documents publics que l’ambassadeur des Etats-Unis, invité à y assister, y a dépêché deux administrateurs auxiliaires. Il semble également que le procès se soit déroulé avant l’entrée en vigueur de la convention de Vienne.
c) Frederik Barghoorn a été détenu au secret pendant 16 jours sous le chef d’espionnage. Aucun document ne donne à penser que, à l’issue de ces 16 jours, la possibilité de communiquer avec ses autorités consulaires lui ait été refusée. Du reste, dans cette affaire, c’est une convention bilatérale conclue en 1933 entre les Etats-Unis et la Russie, soit antérieurement à la convention de Vienne, qui était en jeu.
d) Sino-américain né à Hong Kong, Hanson Huang a été incarcéré à Beijing, puis condamné à une peine d’emprisonnement de 15 ans pour espionnage. Un ami a été autorisé à lui rendre visite. Un article publié dans le New York Times indique qu’aucune action diplomatique n’a été engagée pour communiquer avec lui car il n’était pas citoyen américain83. Cela illustre une fois encore la difficulté de se fonder sur des articles de presse et non sur des documents d’archives permettant réellement d’établir si les autorités consulaires ont demandé à entrer en communication avec l’intéressé et, en cas de refus, quels en étaient les motifs.
82 CMP, par. 314.
83 Annexe 17.
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e) Harry Wu, citoyen américain naturalisé arrêté en Chine en 1995, a été autorisé à communiquer avec ses autorités consulaires, alors même qu’il avait été formellement accusé d’espionnage. L’on ignore si les autorités américaines avaient été préalablement informées de son arrestation et si elles ont cherché à communiquer avec lui. Cet exemple contredit d’ailleurs l’idée selon laquelle la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi serait impossible en cas d’accusations d’espionnage.
f) Xue Feng et Phan Phan-Gillis, deux citoyens américains arrêtés en Chine, eux aussi sous le chef d’espionnage, ont été autorisés à communiquer avec leurs autorités consulaires.
g) Faute d’informations suffisantes, le cas des deux diplomates soviétiques et du diplomate américain ne permet pas, là encore, d’établir une quelconque pratique.
127. En principe, le fait qu’il y ait des cas dans lesquels des Etats ont, avec un retard considérable, autorisé un ressortissant à entrer en communication avec ses autorités consulaires ou lui ont tout bonnement refusé cette possibilité ne peut avoir une quelconque incidence sur l’interprétation de la convention et de son article 36 en particulier. Dans ses errements, le Pakistan ne va cependant pas jusqu’à insinuer qu’il existerait une pratique bien établie de refus systématique de la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi ; ces incidents isolés permettent au mieux de démontrer qu’il n’est peut-être pas le seul Etat à avoir violé l’article 36 de la convention de Vienne ou des dispositions analogues contenues dans des traités bilatéraux antérieurs audit instrument. Voilà qui constitue une ligne de défense bien fragile contre une action engagée pour manquement à des obligations internationales.
128. Le Pakistan affirme que la convention de Vienne n’est «pas censée s’appliquer … lorsqu’il est question d’un individu dont le comportement et les documents qui sont en sa possession ont montré à première vue qu’il se livrait à des activités d’espionnage avec le soutien d’un Etat»84. Il cite l’ouvrage de Luke T. Lee et de John B. Quigley, publié en 196185, pour étayer son assertion selon laquelle les activités d’espionnage constituaient une exception à l’article 36. Deux passages du chapitre 14 d’un ouvrage ultérieur de Luke T. Lee (paru en 1966)86 méritent cependant d’être signalés :
a) L’auteur y indique que l’article 36
«[p]eut être considéré comme l’un des apports les plus importants de la convention de Vienne au droit consulaire. Au coeur du sujet se trouvent les devoirs incombant à l’Etat de résidence de permettre une communication sans entraves entre consuls et ressortissants de l’Etat d’envoi, d’informer les premiers de l’incarcération ou de la détention des seconds dans leur circonscription, et de les autoriser à leur rendre visite en prison ou sur le lieu où ils sont incarcérés ou mis en détention. De toute évidence, ces droits sont essentiels aux fonctions de protection des consuls».
b) Et Luke T. Lee de poursuivre :
«bien que le droit international coutumier n’exige pas de l’Etat de résidence qu’il accorde aux consuls les trois droits susmentionnés, ceux-ci font souvent l’objet d’instructions consulaires et de traités. Il arrive qu’ils soient octroyés par pure
84 CMP, par. 325.
85 Ibid., par. 317.
86 Annexe 18.
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«courtoisie internationale», laquelle procède, au moins en partie, d’un souhait de réciprocité.»
Luke T. Lee examine ensuite les cas de Frederick Barghoon et de Gary Powers, tous deux antérieurs à la convention de Vienne.
c) Même en ce qui concerne ces deux exemples, Luke T. Lee fait observer que
«le refus des Soviétiques était en contravention directe des assurances qu’ils avaient données en 1933 aux Etats-Unis au sujet du droit consulaire de ces derniers d’être informés, dans les trois jours, de l’arrestation de l’un de leurs ressortissants dans les grands centres, et, dans les sept jours, d’une arrestation intervenue dans des zones reculées, ainsi que de leur droit de se rendre «sans retard» auprès de l’intéressé».
Et Luke T. Lee d’ajouter :
«[l]’on observera que, tant dans l’accord de 1933 que dans le traité conclu entre l’Union soviétique et les Etats-Unis ou la convention de Vienne, aucune exception n’est prévue en ce qui concerne les personnes accusées de se livrer à des activités d’espionnage» (les italiques sont de nous).
129. L’argument du Pakistan selon lequel l’article 36 ne trouve pas à s’appliquer dans le cas d’allégations d’espionnage est tout bonnement voué à l’échec.
130. En ce qui concerne les faits de la présente espèce, le Pakistan déforme l’argumentation de l’Inde pour tenter d’y trouver une réponse.
131. Lorsqu’il évoque le contexte factuel de l’affaire, le défendeur prétend que le commandant Jadhav a été arrêté le 3 mars 2016. Il allègue en outre que, le 25 mars 2016, celui-ci aurait «volontairement … avoué». Le Pakistan ne s’est nullement inquiété de ce que cette arrestation soit connue du public et de ce que cette publicité puisse entraver le déroulement de l’enquête, puisqu’il n’a guère perdu de temps pour lancer sa machine de propagande. Il a en outre adressé une communication au haut-commissaire indien.
132. Aucun document versé au dossier ne permet d’établir que le fait d’autoriser la communication entre M. Jadhav et ses autorités consulaires avant de lui extorquer des aveux aurait mis en péril la sécurité du Pakistan ou entravé le déroulement de l’enquête, de sorte qu’un retard de 22 jours pour communiquer ces informations aurait été justifié. Faute d’explications cohérentes pour justifier que l’arrestation n’ait pas été notifiée pendant 22 jours, ce retard constitue une violation pure et simple de l’article 36.
133. Même après que l’arrestation lui a été notifiée, et en dépit des demandes très claires qu’elle a formulées à cet effet, l’Inde s’est vu refuser de communiquer avec son ressortissant tout au long de sa détention au Pakistan, y compris au cours de son «procès». Même après que M. Jadhav a été déclaré coupable, l’Inde n’a pas été autorisée à entrer en communication avec lui. Il est évident que ce sont des contraintes d’un autre ordre que la nécessité réelle de garantir sa sécurité qui guident les actes et les omissions du Pakistan, même si cela aboutit à un manquement total à certaines obligations internationales.
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134. L’Inde estime en outre que, en s’appuyant de manière répétée sur des aveux extorqués à M. Jadhav alors que celui-ci se trouvait en détention, le Pakistan n’est pas crédible un seul instant. De son côté, elle a fait examiner ces aveux par des spécialistes de police scientifique qui ont confirmé (ce qui est évident même aux yeux d’un profane) qu’ils étaient tout sauf volontaires et avaient été largement remaniés. Par principe, l’Inde s’est cependant opposée et continue de s’opposer aux tentatives du Pakistan d’amener la Cour à prendre en considération, en la présente espèce, le procès au fond et la déclaration de culpabilité de M. Jadhav, ainsi que les «preuves» telles que ces faux aveux, tout en affirmant qu’elle n’a pas compétence pour jouer le rôle de juridiction d’appel. Le demandeur, quant à lui, n’a jamais eu accès à ces éléments. Quoi qu’il en soit, le bien-fondé (ou plutôt l’absence de fondement) des accusations portées contre l’intéressé n’a aucun rapport avec la question de savoir si les droits énoncés par la convention de Vienne lui ont été garantis ainsi qu’à l’Inde, ce qui est la question qui se pose en la présente espèce. Le Pakistan cherche à masquer sa violation flagrante de cet instrument et le mépris dans lequel il tient les obligations internationales qui lui incombent en détournant l’attention sur des questions sans pertinence aux fins de la présente espèce et en produisant des éléments de preuve qu’il a choisis d’une manière sélective et obtenus illicitement.
135. Le paragraphe 2 de l’article 36 dispose que les lois et règlements de l’Etat de résidence doivent permettre la pleine réalisation des fins pour lesquelles les droits sont accordés en vertu dudit article. En tout état de cause, le droit interne ne saurait constituer un moyen de défense pour justifier un manquement aux obligations internationales. En laissant entendre que le droit interne peut prévaloir sur les droits énoncés à l’article 36, le Pakistan se fourvoie.
VIII. L’ACCORD BILATÉRAL DE 2008 N’A AUCUNE INCIDENCE SUR LE PRÉSENT DIFFÉREND
136. Le Pakistan insiste sur le contexte dans lequel cet accord a été conclu et sur les étapes de sa négociation. Aucun de ces éléments n’est cependant pertinent aux fins de la présente espèce.
137. L’Inde affirme que l’article 36 de la convention de Vienne est la principale source d’obligations internationales et de règles créées par un traité multilatéral en ce qui concerne les relations consulaires. Dans cet instrument, il est reconnu qu’il peut exister d’autres traités, notamment bilatéraux, portant sur des questions identiques ou similaires. La relation entre de tels instruments et la convention de Vienne est établie au paragraphe 2 de l’article 73 de celle-ci, aux termes duquel «[a]ucune disposition de la présente Convention ne saurait empêcher les Etats de conclure des accords internationaux confirmant, complétant ou développant ses dispositions, ou étendant leur champ d’application».
138. Le défendeur invite la Cour à déclarer qu’un accord bilatéral qui, comme cela sera exposé ci-après, portait sur des questions totalement différentes, crée une exception à l’article 36, dont il réduirait considérablement l’efficacité étant donné le type d’affaires qui surviennent fréquemment entre les deux voisins que sont l’Inde et le Pakistan. Il invite la Cour à conclure que le demandeur a renoncé aux droits garantis par la convention de Vienne et consenti à ce que ses ressortissants soient soumis aux caprices du système pakistanais, où des civils peuvent être jugés dans le cadre de procès militaires, et que le Pakistan peut, à des fins de propagande, fouler aux pieds les droits de certaines personnes en se contentant de formuler des allégations d’espionnage ou de terrorisme.
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139. L’accord de 2008 énonce son propre objet, à savoir «garantir un traitement humain aux ressortissants de chacun des deux Etats en cas d’arrestation, de détention ou d’emprisonnement sur le territoire de l’autre».
140. Etant donné que l’Inde et le Pakistan ont des frontières communes tant terrestres que maritimes et qu’il arrivait souvent que des personnes habitant dans les régions frontalières se retrouvent par mégarde dans l’autre pays et soient de ce fait placées en détention, il a été jugé nécessaire de conclure un accord bilatéral complétant la convention de Vienne. Les questions traitées aux paragraphes i)87, iii)88, iv)89 et v)90, qui ne sont pas couvertes par la convention de Vienne, ont ainsi fait l’objet d’un accord, lequel complète et développe les dispositions de la convention.
141. Le Pakistan semble s’appuyer sur les paragraphes iv) et vi) de l’accord de 200891. Or, aucune de ces dispositions ne donne à penser qu’elle s’écarte des dispositions générales de l’article 36 et de la protection globale qui y est énoncée.
142. La prescription faite à chaque gouvernement d’autoriser la communication par l’entremise des autorités consulaires dans un délai maximal de trois mois ne constitue pas une excuse pour retarder ladite communication ; même si elle s’applique en tant que disposition complétant et développant l’article 36, elle ne peut que fixer une limite maximale au cours de laquelle la communication par l’entremise des autorités consulaires doit être autorisée.
143. L’Inde n’admet pas que l’accord de 2008 doive être interprété comme prévalant sur l’article 36 et soutient que les droits qu’elle-même ainsi que M. Jadhav tiennent de cette disposition ne sont en rien affectés par cet instrument bilatéral. Quand bien même le paragraphe iv) de ce dernier s’appliquerait, le Pakistan aurait pu expliquer pour quelles raisons il lui fallait trois mois pour autoriser l’Inde à entrer en communication avec l’intéressé, ce qui lui aurait permis d’affirmer s’être conformé à ses obligations conventionnelles. Même en partant du principe erroné que le paragraphe iv) s’appliquait, le défendeur ne s’est pas conformé à ces obligations.
144. Le Pakistan est encore moins crédible lorsqu’il invoque le paragraphe vi) de l’accord bilatéral. Il est évident que le membre de phrase «examiner l’affaire au fond» se rapporte à l’accord consistant à libérer et rapatrier les intéressés dans un délai d’un mois au plus tard après expiration de leur peine et confirmation de leur nationalité. A titre d’exception à cette règle, l’Inde et le Pakistan se réservent, en cas d’arrestation, de détention ou de condamnation pour des motifs politiques ou relatifs à la sécurité, le droit d’examiner l’affaire au fond après expiration de la peine des intéressés pour déterminer s’il convient de les libérer ou de les rapatrier.
87 Chaque gouvernement tient une liste exhaustive des ressortissants de l’autre Etat arrêtés, détenus ou emprisonnés sur son territoire. Les listes sont échangées le 1er janvier et le 1er juillet de chaque année.
88 Chaque gouvernement s’engage à informer l’autre gouvernement dans les meilleurs délais des condamnations prononcées à l’encontre des ressortissants de l’autre Etat qui ont été condamnés.
89 Chaque gouvernement autorise la communication par l’entremise des autorités consulaires, dans un délai maximal de trois mois, avec les ressortissants d’un Etat arrêtés, détenus ou emprisonnés dans l’autre Etat.
90 Les deux gouvernements conviennent de libérer et de rapatrier les intéressés dans un délai d’un mois au plus tard après expiration de leur peine et confirmation de leur nationalité.
91 En cas d’arrestation, de détention ou de condamnation pour des motifs politiques ou relatifs à la sécurité, chaque partie peut examiner l’affaire au fond.
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145. Le paragraphe vii)92 de l’accord de 2008 appelle à faire preuve, dans certaines circonstances, de compassion et d’humanité, chaque partie pouvant alors exercer son pouvoir discrétionnaire pour autoriser une libération et un rapatriement anticipés.
146. Dans ces trois paragraphes, l’accord bilatéral de 2008 traite du retour des personnes arrêtées, jugées et condamnées dans l’Etat de résidence qui sont des ressortissants de l’autre Etat. L’Inde et le Pakistan ont des frontières terrestres et maritimes communes et nombreux sont les cas où des nomades ou des pêcheurs franchissent par mégarde la frontière et sont de ce fait arrêtés. Ce traité a principalement pour but de régler les problèmes liés à ce type de situation.
147. Le Pakistan invite la Cour à ajouter une exception à la convention de Vienne, exception qui, comme cela a été exposé précédemment, a bien été soulevée mais n’a finalement pas été retenue dans l’article 36 de cet instrument. L’interprétation proposée par le défendeur serait contraire aux termes clairs de l’article 73 ; une telle exception ne viendrait pas compléter les dispositions de la convention de Vienne, pas plus qu’elle n’en étendrait le champ d’application, mais soumettrait au contraire l’application de l’article 36 à certaines conditions et en restreindrait donc la portée. Le Pakistan invite la Cour à récrire la relation entre la convention de Vienne et les traités bilatéraux qui ont été conclus par la suite. Cet argument est tout aussi vain que ceux qu’il a avancés auparavant.
148. La teneur du paragraphe 378 du contre-mémoire va à l’encontre de l’argumentation du défendeur. Dans son ouvrage, le juge Shigeru Oda se penche sur la différence entre ce qui est aujourd’hui l’article 30 de la convention de Vienne sur le droit des traités et la convention de Vienne de 1963. Le paragraphe 2 de l’article 73 de ce dernier instrument est cité comme une disposition qui reconnaît le droit de compléter celles de la convention générale par des accords bilatéraux «qui ne dérogent pas aux obligations imposées par» celle-ci. Le texte du paragraphe 2 de l’article 30 de la convention sur le droit des traités va, selon l’auteur, bien au-delà d’une simple confirmation de la légitimité des accords bilatéraux et il soutient que, si cette disposition était appliquée, les accords consulaires bilatéraux l’emporteraient sur la convention de Vienne. Cette analyse de l’article 73 va totalement à l’encontre de ce que le Pakistan invite la Cour à conclure dans la présente affaire.
149. De toute évidence, c’est le paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de Vienne de 1963 qui s’appliquerait, et non les dispositions générales de l’article 30 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Il convient également de relever à cet égard que l’Inde n’est pas partie à ce dernier instrument. Si celle-ci admet que plusieurs des principes qui y sont énoncés sont en fait une codification de principes généraux de droit international, et donc pertinents, l’idée que l’article 30 de cette convention puisse prévaloir sur le paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de Vienne est tout à fait absurde.
150. Le Pakistan énonce cet argument avec une certaine ambivalence ; il n’ose pas aller jusqu’à avancer que l’article 30 de la convention de Vienne sur le droit des traités l’emporte sur le paragraphe 2 de l’article 73. Au lieu de cela, dans les conclusions qu’il formule au paragraphe 385 de son contre-mémoire, il soutient que l’accord bilatéral «complète» l’article 36 et «en étend le champ d’application». Si l’Inde souscrit de façon générale à cette assertion, elle fait valoir que cela infirme l’interprétation du paragraphe vi) de l’accord bilatéral de 2008 avancée par le défendeur.
92 Dans des circonstances spéciales appelant ou requérant compassion et humanité, chaque partie peut exercer son pouvoir discrétionnaire, sous réserve de ses lois et règlements, pour autoriser une libération et un rapatriement anticipés.
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151. Le caractère erroné de l’argumentation du Pakistan, et le fait que son interprétation du paragraphe vi) de l’accord bilatéral de 2008 priverait l’article 36 de tout effet, devient évident à la lecture du paragraphe 385.4 du contre-mémoire. Les termes «politique» et «sécurité nationale» sont employés sans être définis. Si les deux pays peuvent décider unilatéralement d’appliquer l’article 36 ou de l’écarter pour des motifs aussi subjectifs, cette disposition perd tout son sens. Le défendeur procède souvent à des arrestations sur la base de fausses accusations, la présente affaire en étant une parfaite illustration. Tout ce qu’il aurait à faire pour écarter l’article 36 serait donc de fournir un motif permettant de faire valoir ultérieurement que des considérations «politiques» ont présidé à l’arrestation, quand bien même cela ne ressortirait pas de l’acte d’accusation final ou de la condamnation, et de refuser sur cette base au pays d’envoi le droit de communiquer avec la personne arrêtée par l’entremise de ses autorités consulaires. Le Pakistan pourrait tout aussi bien dénoncer l’article 36.
IX. LE REMÈDE SOLLICITÉ PAR L’INDE EST APPROPRIÉ
152. L’Inde a précisé ses moyens de fond à l’appui du remède qu’elle sollicite, c’est-à-dire qu’il soit prescrit au Pakistan de ne pas donner effet au verdict de culpabilité et à la peine prononcés contre M. Jadhav, et d’ordonner la libération de ce dernier. Le Pakistan, quant à lui, avance qu’aucun remède allant au-delà du réexamen et de la revision tels qu’ordonnés dans les affaires LaGrand et Avena ne devrait être accordé.
153. Le défendeur omet toutefois à cet égard un point fondamental, à savoir que la Cour a reconnu que, dans les affaires mettant en jeu des violations de la convention de Vienne, comme dans d’autres affaires, le principe de la restitution s’appliquait proprio vigore. Reconnaissant, comme l’y invitaient les Etats-Unis, que le système judiciaire américain satisfaisait pleinement aux critères d’une procédure équitable, et estimant que les erreurs pouvaient être réparées par voie de réexamen et de revision, elle a toutefois estimé devoir ordonner un remède modéré.
154. L’Inde a exposé en quoi ces précédents se distinguaient de la présente espèce. En réponse, le Pakistan s’est borné à citer un rapport qu’il s’est procuré auprès d’experts en «droit militaire», au sujet duquel le demandeur formulera les observations suivantes :
a) l’Inde fonde son argumentation sur l’idée que le système pakistanais de justice pénale administrée par des tribunaux militaires ne satisfait pas aux critères d’une procédure équitable lorsqu’il est appliqué aux civils. Elle a produit des documents incontestables émanant de sources internationales et dénonçant les graves lacunes de ce système, qui méconnaît les principes aujourd’hui admis par la communauté internationale. Les deux experts du Pakistan ne tentent pas de définir ce que seraient les règles minimales en matière de procédure équitable que la Cour devrait appliquer, et ce, à juste titre : c’est à cette dernière, et non à des experts en droit militaire, qu’il revient de se prononcer sur cette question.
b) Dans la conclusion figurant au paragraphe 3 de leur rapport, ils relèvent que les tribunaux militaires ne sont compétents pour connaître d’infractions civiles telles que l’espionnage et le terrorisme (c’est-à-dire d’infractions ne tombant pas sous le coup du droit applicable aux membres des forces armées) qu’à l’égard des personnes relevant déjà de la juridiction militaire. Les experts indiquent ensuite que : «[l]a pratique récente dans la plupart des Etats veut que, en cas de compétences concurrentes, ce soient les juridictions civiles qui se chargent des poursuites concernant pareilles infractions.»93 Cela confirme la thèse de l’Inde selon laquelle le système pakistanais, qui confère compétence exclusive aux tribunaux militaires  au détriment
93 CMP, annexe 142, p. vi.
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des juridictions civiles , va à l’encontre de la pratique moderne des Etats. (Les italiques sont de nous.)
c) Les experts affirment que, d’une part, «[l]es tribunaux militaires du Pakistan reposent sur des bases législatives solides, qui constituent le socle juridique de leur compétence»94, et que, d’autre part, cette compétence est conforme à la Constitution du Pakistan. Or, ces deux assertions sont dénuées de toute pertinence aux fins de la présente affaire, puisque les normes internationales minimales de procédure équitable ne sont pas soumises au droit interne, mais servent au contraire de référence pour apprécier celui-ci dans certaines situations. De fait, c’est la conformité du droit interne aux règles minimales en matière de procédure équitable qui est examinée dans le contexte d’une affaire donnée.
d) Les experts soulignent qu’il existe au Pakistan un contrôle judiciaire exercé par les tribunaux civils, lequel «semble pouvoir constituer une garantie efficace pour remédier aux défaillances manifestes en matière de procédure régulière»95. Deux observations s’imposent au sujet de cette déclaration circonspecte. Premièrement, les experts confirment l’existence de «défaillances manifestes» dans le système. Deuxièmement, ils font abstraction de la compétence limitée des juridictions exerçant ce contrôle judiciaire, pourtant longuement abordée dans l’arrêt de la Cour suprême pakistanaise auquel ils se réfèrent. Un procès impartial, tenu en audience publique et conduit par un magistrat indépendant du pouvoir exécutif, ainsi que la possibilité donnée à l’accusé de se défendre et de disposer de l’assistance juridique de son choix sont des composantes indispensables d’une procédure équitable telle qu’elle est aujourd’hui comprise à la lumière de l’évolution de la jurisprudence en matière de droits de l’homme. C’est l’absence de tous ces éléments qui constitue la défaillance manifeste du système judiciaire pakistanais. Le contrôle judiciaire exercé par les tribunaux civils nationaux peut difficilement se substituer à ces garanties fondamentales d’une procédure équitable. Par comparaison, la Cour suprême indienne a étendu la portée de son pouvoir de réexamen des procédures ayant conduit à une condamnation à la peine capitale, soulignant que, lorsqu’il s’agit de condamner à mort un être humain, elle doit être en mesure d’exercer le plus haut niveau de contrôle judiciaire, sans être entravée par des restrictions procédurales. Ces principes ont d’ailleurs été appliqués à un ressortissant pakistanais arrêté en flagrant délit d’actes de terrorisme, qui avait criblé de balles l’une de ses victimes.
e) En conclusion, les experts indiquent fort prudemment que, s’ils ont bien conscience des critiques adressées aux tribunaux qui jugent les auteurs présumés d’actes de terrorisme, ils ne sont pas en mesure «d’apprécier le bien-fondé de ces critiques sans procéder à de nouvelles recherches et analyses approfondies»96.
155. Ce rapport d’experts n’étaye guère la réponse qu’apporte le Pakistan aux arguments de l’Inde. Bien au contraire, la Cour dispose désormais d’un document produit par le défendeur lui-même qui, pour l’essentiel, confirme les affirmations du demandeur concernant les défaillances du système pakistanais de justice militaire.
156. Il est important de rappeler que c’est le Pakistan qui demande à la Cour de jouer le rôle d’une juridiction d’appel, et que c’est dans ce but qu’il soulève la question du passeport et celle des aveux, invitant la Cour à cautionner les actes illicites qui ont conduit à ce simulacre de condamnation. Invoquant, pour sa part, la violation de certains droits et l’inobservation de l’article 36, l’Inde a pour seule intention de faire valoir que le Pakistan a agi de façon illicite et
94 CMP, annexe 142, p. vi.
95 Ibid., p. vii.
96 Ibid.
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contraire aux obligations internationales qui lui incombent. Elle n’invite pas la Cour à réexaminer les éléments de fond sur la base desquels le verdict de culpabilité a été prononcé. La Cour a déjà jugé qu’une violation de l’article 36 autorisait l’Etat et l’accusé lésés à demander réparation sous la forme d’une restitutio in integrum. L’Inde prie la Cour, à la lumière des faits et circonstances de la présente affaire, d’enjoindre au Pakistan de ne pas donner suite au verdict de culpabilité au motif que celui-ci a été prononcé à l’issue d’une procédure emportant violation manifeste de l’article 36 et que, en la présente espèce, une réparation sous la forme d’une revision et d’un réexamen serait tout à fait inadaptée, compte tenu des faits et circonstances exposés dans son mémoire. Cela ne revient pas à solliciter une revision en appel du procès et du verdict de culpabilité.
157. L’Inde conteste les allégations du Pakistan selon lesquelles, dans le contexte particulier de la présente espèce, toute mesure allant au-delà d’une revision et d’un réexamen dépasserait le cadre des fonctions légitimes de la Cour. Ainsi que cela est exposé au paragraphe 473 du contre-mémoire, selon le droit interne pakistanais, les condamnations prononcées par les tribunaux militaires ne peuvent être contestées que sur le fondement du principe dit coram non judice, de l’incompétence, de la mauvaise foi ou de l’intention de nuire. Le droit pakistanais ne prévoit aucun mécanisme par lequel les conclusions d’un tribunal militaire peuvent être réexaminées de manière impartiale par un magistrat indépendant et qualifié. Le demandeur fait valoir que, étant donné qu’il n’existe aucune procédure permettant à une juridiction d’appel indépendante de réexaminer les éléments de preuve, le remède à accorder doit être celui qui est sollicité dans son mémoire. Laisser entendre que la Cour n’a pas le pouvoir d’accorder pareil remède reviendrait à restreindre gravement les pouvoirs conférés à cette éminente institution en matière de protection des droits de l’homme des personnes accusées de crimes graves et risquant une condamnation à la peine capitale, ainsi que des ressortissants de l’Etat d’envoi ayant besoin d’aide pour assurer leur défense  droit fondamental consacré par l’article 36 de la convention de Vienne.
L’Inde se réserve le droit de modifier et de compléter ses conclusions ainsi que les moyens exposés dans la présente réplique.
Respectueusement soumis le 17 avril 2018.
L’agent de la République de l’Inde
devant la Cour internationale de Justice,
(Signé) M. Deepak MITTAL.
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Réplique de la République de l'Inde

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