Mémoire de la République de l'Inde

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168-20170913-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
14792
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE JADHAV
(INDE c. PAKISTAN)
MÉMOIRE DE LA RÉPUBLIQUE DE L’INDE
13 septembre 2017
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. INTRODUCTION......................................................................................................................... 2
II. COMPÉTENCE ........................................................................................................................... 5
III. EXPOSÉ DES FAITS .................................................................................................................... 9
IV. VIOLATIONS GRAVES DE LA CONVENTION DE VIENNE .......................................................... 13
V. L’ACCORD BILATÉRAL DE 2008 ENTRE L’INDE ET LE PAKISTAN SUR LA
COMMUNICATION ENTRE LES AUTORITÉS CONSULAIRES ET LES
RESSORTISSANTS DE L’ETAT D’ENVOI ................................................................................... 16
VI. HISTORIQUE DE LA COMMUNICATION ENTRE LES AUTORITÉS CONSULAIRES
ET LES RESSORTISSANTS DE L’ETAT D’ENVOI ........................................................................ 18
VII. L’ARTICLE 36 ENTRE DANS LE CADRE DES GARANTIES D’UNE PROCÉDURE RÉGULIÈRE ....... 22
VIII. LA JURISPRUDENCE DE LA COUR INTERAMÉRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ................... 29
IX. LE PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES .............................. 36
X. LES NORMES INTERNATIONALES MINIMALES ........................................................................ 38
XI. LE TRIBUNAL MILITAIRE DU PAKISTAN ................................................................................. 40
XII. RESTITUTION .......................................................................................................................... 51
XIII. CONSIDÉRATIONS FINALES .................................................................................................... 55
XIV. CONCLUSIONS ........................................................................................................................ 57
CERTIFICATION ................................................................................................................................. 59
LISTE DES ANNEXES ......................................................................................................................... 60
___________
I. INTRODUCTION
1. Le 8 mai 2017, la République de l’Inde (ci-après l’«Inde») a déposé une requête
introductive d’instance, conformément au paragraphe 1 de l’article 40 du Statut de la Cour
internationale de Justice (ci-après la «Cour»), lu conjointement avec l’article 38 de son Règlement,
et à l’article premier du protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des
différends (ci-après le «protocole de signature facultative») conclu à Vienne le 24 avril 1963.
2. Dans sa requête, l’Inde cherchait à obtenir réparation du préjudice découlant de violations
flagrantes de la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 (ci-après la «convention
de Vienne» ou la «convention») commises par la République islamique du Pakistan (ci-après le
«Pakistan») dans le cadre de l’arrestation, de la détention et du procès d’un ressortissant indien,
M. Kulbhushan Sudhir Jadhav (ci-après «M. Jadhav»).
3. L’article premier du protocole de signature facultative1 dispose que les différends relatifs à
l’interprétation ou à l’application de la convention de Vienne relèvent de la compétence obligatoire
de la Cour internationale de Justice.
4. Aux termes de l’article 362 de la convention de Vienne, tel qu’il trouve à s’appliquer aux
faits de la présente espèce,
a) le Pakistan, après l’«arrestation» de M. Jadhav, aurait dû avertir sans retard les fonctionnaires
consulaires indiens ;
b) les fonctionnaires consulaires indiens devaient (doivent) avoir la liberté de communiquer avec
M. Jadhav et de se rendre auprès de lui ;
c) M. Jadhav devait (doit) avoir la même liberté de communiquer avec les fonctionnaires
consulaires indiens et de se rendre auprès d’eux ;
d) le Pakistan devait (doit) informer M. Jadhav de son droit de communiquer avec les
fonctionnaires consulaires indiens et de se rendre auprès d’eux ;
e) toute communication adressée au poste consulaire par M. Jadhav, alors que ce dernier était
arrêté, incarcéré ou mis en détention préventive ou toute autre forme de détention, devait être
transmise sans retard aux fonctionnaires consulaires indiens par le Pakistan ;
f) les fonctionnaires consulaires indiens avaient (ont) le droit de se rendre auprès de M. Jadhav,
de s’entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice.
5. Nul ne conteste les agissements du Pakistan, qui a refusé et continue de refuser de
permettre la communication entre un citoyen indien  et reconnu comme tel par le défendeur 
«arrêté» et «jugé» par un tribunal militaire et les autorités consulaires dont il relève. De fait, aucun
des éléments de nature à donner naissance aux obligations énoncées à l’article 36 de la convention
de Vienne n’est contesté. La violation de cet instrument n’est donc pas contestée non plus.
1 L’article premier du protocole de signature facultative est reproduit dans son intégralité au paragraphe 29 du
présent mémoire (sect. II, intitulée «Compétence»).
2 Les paragraphes 1 et 2 de l’article 36 de la convention de Vienne sont reproduits dans leur intégralité au
paragraphe 31 du présent mémoire (sect. II, intitulée «Compétence»).
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6. M. Jadhav a été «arrêté» le 3 mars 2016, l’Inde n’en ayant été avertie que le 25 mars 2016,
lorsque le Foreign Secretary du Pakistan a évoqué la question auprès du haut-commissaire de
l’Inde à Islamabad.
7. En application du litt. b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne, le
Pakistan était tenu d’avertir l’Inde «sans retard» de l’arrestation d’un ressortissant indien. Or, il n’a
fourni aucune explication quant à la raison pour laquelle trois semaines se sont écoulées avant qu’il
n’avise le haut-commissaire de l’Inde de l’arrestation de M. Jadhav.
8. L’Inde, par l’entremise de ses autorités consulaires, a cherché à entrer en communication
avec l’intéressé dès qu’elle a eu connaissance de son arrestation, et a adressé au Pakistan maintes
demandes en ce sens.
9. Nul ne sait si le Pakistan a informé M. Jadhav de son droit de communiquer avec le poste
consulaire indien. Le comportement du défendeur, qui a laissé entendre, dans plusieurs déclarations
publiques et par la voix de différents fonctionnaires des services gouvernementaux, que le détenu
n’était pas en droit de communiquer avec ses autorités consulaires, donne toutefois fortement à
penser que tel n’est pas le cas.
10. Le défendeur s’est contenté d’évoquer la question dans une note verbale en date du
21 mars 2017, indiquant que la possibilité, pour les autorités consulaires indiennes, d’entrer en
communication avec l’intéressé serait étudiée à la lumière de la suite que l’Inde donnerait à la
demande d’assistance aux fins d’enquête du Pakistan.
11. La note verbale du 21 mars 2017 avait été précédée d’une prétendue «demande» du
Pakistan en date du 23 janvier 2017, par laquelle celui-ci sollicitait l’assistance de l’Inde dans le
cadre d’une «enquête» en rapport avec une plainte pénale qui aurait été déposée par ses autorités le
8 avril 2016.
12. Dans cette note verbale, le défendeur semble rejeter la demande de l’Inde tendant à entrer
en communication avec M. Jadhav par l’entremise de ses autorités consulaires.
13. Depuis lors, il est apparu que certaines des accusations portées contre M. Jadhav
reposaient largement, voire entièrement, sur les prétendus aveux de l’intéressé et que celui-ci avait
été «jugé» par un tribunal militaire constitué en application de la loi militaire pakistanaise de 1952.
Il convient de relever que le Pakistan a toujours obstinément refusé de divulguer, ou même de
communiquer à l’Inde, la nature des «accusations» et des «preuves» retenues à l’encontre de
M. Jadhav, ou ne fût-ce que le texte du «jugement» rendu par le prétendu tribunal militaire ayant
connu de l’affaire ainsi que la décision de la cour d’appel qui aurait été saisie.
14. Même à l’issue du «procès» qui se serait tenu devant un tribunal militaire, les autorités
consulaires de l’Inde n’ont pas obtenu l’autorisation d’entrer en communication avec M. Jadhav.
De l’arrestation de l’intéressé à sa condamnation, et depuis lors, le comportement du Pakistan est
donc marqué par l’opacité.
15. L’Inde ne dispose d’aucune information officielle lui permettant de savoir si M. Jadhav a
formé un appel ni, le cas échéant, de quelle manière et dans quelles circonstances, et notamment
s’il a bénéficié d’une assistance juridique. Selon des informations récentes et publiquement
accessibles, il apparaît que l’intéressé aurait bien interjeté appel, que cet appel aurait été rejeté et
qu’un recours en grâce introduit par M. Jadhav serait actuellement examiné par le chef d’état-major
de l’armée du Pakistan.
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16. Pour former elle-aussi un appel, la mère de l’intéressé a demandé en vain à consulter les
pièces afférentes au procès. Elle a néanmoins introduit cette procédure et déposé une demande de
visa afin de pouvoir se rendre au Pakistan en compagnie de son époux (le père de M. Jadhav) pour
y effectuer les démarches nécessaires et obtenir une entrevue avec son fils, désormais en attente
d’être exécuté. Sa demande a été soumise le 25 avril 2017, mais aucun visa n’a été délivré à ce
jour.
17. L’article 36 de la convention de Vienne impose expressément au Pakistan l’obligation
inconditionnelle et absolue de permettre à M. Jadhav d’exercer son droit de communiquer avec les
autorités consulaires indiennes et à l’Inde de communiquer avec son ressortissant. Or, le Pakistan a
délibérément manqué aux obligations qui lui incombent au titre de cette disposition.
18. Il ressort de l’évolution de la jurisprudence en matière de «droits de l’homme»,
notamment depuis l’entrée en vigueur du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
(ci-après le «PIDCP» ou le «Pacte»), que l’article 36 de la convention de Vienne est l’un des
éléments constitutifs d’une procédure régulière auxquels il ne saurait être dérogé, pareille
procédure reposant avant tout sur le droit de toute personne de se défendre efficacement contre les
accusations portées à son encontre et de bénéficier d’un procès équitable et impartial en y étant
représentée par un avocat de son choix. Telles sont les garanties d’une procédure régulière, que
l’on se place dans le contexte des «normes minimales» ou du point de vue des dispositions de
l’article 14 du PIDCP.
19. L’article 36, en définissant les modalités de la communication entre les autorités
consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi, permet à ce dernier d’aider son ressortissant à
bénéficier des garanties d’une procédure régulière. Cette disposition doit donc être interprétée à la
lumière de la place qu’elle occupe dans l’arsenal juridique visant à garantir à tout un chacun une
procédure régulière.
20. Cette interprétation de l’article 36 doit également éclairer l’application des principes de
la responsabilité de l’Etat dans la mise au point de mesures de réparation, y compris la restitutio in
integrum. Les mesures de réparation à mettre en oeuvre à raison de violations de traités
multilatéraux doivent être efficaces et exhaustives. L’article 36 de la convention de Vienne étant
désormais considéré comme l’un des éléments constitutifs d’une procédure régulière, toute mesure
de réparation découlant de sa violation doit permettre de s’assurer que la privation des garanties
d’une procédure régulière est dûment, pleinement et entièrement réparée.
21. Si l’on considère que la saisine de juridictions militaires dans des affaires mettant en
cause des civils porte atteinte aux garanties d’une procédure régulière, le fait que des civils de
nationalité étrangère soient jugés par de telles juridictions constitue a fortiori une violation
intrinsèque du PIDCP, mais aussi des normes minimales reconnues comme étant des principes de
droit international erga omnes.
22. La violation à l’examen revêt une double dimension : elle constitue à la fois une violation
intrinsèque du PIDCP et un facteur à prendre en compte dans l’application des principes de la
responsabilité de l’Etat aux violations d’autres conventions, traités ou principes de droit
international.
23. La première dimension conduit à remettre en question certains actes de l’Etat de
résidence en ce qu’ils sont intrinsèquement contraires à diverses dispositions du PIDCP, des
mesures de réparation pouvant être prescrites, soit par des juridictions bilatérales ou multilatérales
établies en vertu de traités particuliers, soit par la présente Cour dès lors que sa compétence est
reconnue comme obligatoire en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut.
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24. La seconde dimension conduit à considérer que le réexamen et la revision d’une
condamnation par un tribunal militaire ne suffiraient pas à réparer le préjudice découlant de la
violation de l’article 36 de la convention de Vienne. Soutenir le contraire, au regard de la
responsabilité de l’Etat, tendrait en outre à légitimer une procédure qui constitue une violation
intrinsèque de l’article 14 du PIDCP.
25. Etant donné que l’ordre juridique du Pakistan ne prévoit aucune solution conforme à
cette disposition et aux normes minimales, il conviendrait, en application des principes de la
responsabilité de l’Etat  selon lesquels toute violation grave d’un traité exige une réparation
adéquate , que l’accusé soit immédiatement libéré. La violation de l’article 36 ayant été
occasionnée par l’opacité entourant les travaux d’un tribunal militaire, toute mesure de réparation,
pour être efficace, doit nécessairement et avant tout déboucher sur une annulation de la
«déclaration de culpabilité» prononcée à l’encontre de l’intéressé. Il serait cependant insuffisant
d’en rester là et de ne pas réfléchir aux étapes ultérieures. Si un nouveau procès devait se tenir dans
le cadre d’un ordre juridique ne prévoyant aucune mesure de réparation véritablement efficace en
cas de violations de l’article 36, compte tenu des faits et des circonstances extrêmes de la présente
espèce  et notamment du comportement du Pakistan, qui affirme que la déclaration de culpabilité
prononcée à l’encontre de M. Jadhav repose sur les prétendus aveux de celui-ci , les garanties
d’une procédure régulière, qu’elles soient considérées comme correspondant aux normes
minimales reconnues en droit international ou comme étant celles établies par le PIDCP, devraient
éclairer l’interprétation de l’article 36. Toute mesure de réparation découlant de la violation de
cette disposition requerrait donc la libération immédiate de l’accusé, à savoir M. Jadhav.
II. COMPÉTENCE
26. L’Inde a introduit la présente instance contre le Pakistan pour violation de la convention
de Vienne sur la base du paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour, lu conjointement avec
l’article 38 de son Règlement, et de l’article premier du protocole de signature facultative
concernant le règlement obligatoire des différends.
27. Le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour confère à celle-ci compétence
exclusive et obligatoire pour connaître de «tous les cas spécialement prévus … dans les traités et
conventions en vigueur».
28. L’Inde et le Pakistan sont membres de l’Organisation des Nations Unies et donc,
ipso facto, parties au Statut de la Cour. Ils sont également parties à la convention de Vienne et au
protocole de signature facultative, instruments qu’ils ont tous deux acceptés sans formuler aucune
réserve.
29. L’article premier du protocole de signature facultative est ainsi libellé :
«Les différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la Convention
relèvent de la compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice, qui, à ce
titre, pourra être saisie par une requête de toute partie au différend qui sera elle-même
Partie au présent Protocole.»
30. L’Inde et le Pakistan ont également accepté la juridiction obligatoire de la Cour en vertu
du paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut, au moyen de déclarations par lesquelles ils
«reconna[issent] comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l’égard de tout
autre Etat acceptant la même obligation, la[dite] juridiction…» et, plus particulièrement, en ce qui
concerne les différends juridiques portant notamment sur l’interprétation des traités ou des points
de droit international.
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31. L’article 36 de la convention de Vienne se lit comme suit :
«Communication avec les ressortissants de l’Etat d’envoi
1. Afin que l’exercice des fonctions consulaires relatives aux ressortissants de
l’Etat d’envoi soit facilité :
a) Les fonctionnaires consulaires doivent avoir la liberté de communiquer avec les
ressortissants de l’Etat d’envoi et de se rendre auprès d’eux. Les ressortissants de
l’Etat d’envoi doivent avoir la même liberté de communiquer avec les
fonctionnaires consulaires et de se rendre auprès d’eux ;
b) Si l’intéressé en fait la demande, les autorités compétentes de l’Etat de résidence
doivent avertir sans retard le poste consulaire de l’Etat d’envoi lorsque, dans sa
circonscription consulaire, un ressortissant de cet Etat est arrêté, incarcéré ou mis
en état de détention préventive ou toute autre forme de détention. Toute
communication adressée au poste consulaire par la personne arrêtée, incarcérée ou
mise en état de détention préventive ou toute autre forme de détention doit
également être transmise sans retard par lesdites autorités. Celles-ci doivent sans
retard informer l’intéressé de ses droits aux termes du présent alinéa ;
c) Les fonctionnaires consulaires ont le droit de se rendre auprès d’un ressortissant de
l’Etat d’envoi qui est incarcéré, en état de détention préventive ou toute autre
forme de détention, de s’entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa
représentation en justice. Ils ont également le droit de se rendre auprès d’un
ressortissant de l’Etat d’envoi qui, dans leur circonscription, est incarcéré ou
détenu en exécution d’un jugement. Néanmoins, les fonctionnaires consulaires
doivent s’abstenir d’intervenir en faveur d’un ressortissant incarcéré ou mis en état
de détention préventive ou toute autre forme de détention lorsque l’intéressé s’y
oppose expressément.
2. Les droits visés au paragraphe 1 du présent article doivent s’exercer dans le
cadre des lois et règlements de l’Etat de résidence, étant entendu, toutefois, que ces
lois et règlements doivent permettre la pleine réalisation des fins pour lesquelles les
droits sont accordés en vertu du présent article.»
32. L’Inde invoque la compétence de la Cour au titre du paragraphe 1 de l’article 36 du
Statut en se fondant sur un traité (le protocole de signature facultative) qui prévoit expressément la
juridiction de celle-ci ; elle ne cherche pas à invoquer le paragraphe 2 de ce même article. Les
déclarations faites par l’Inde et le Pakistan en vertu de cette dernière disposition, ou toute réserve
qui y aurait été formulée, ne sauraient donc s’appliquer en la présente espèce.
33. La question de savoir si la compétence de la Cour au titre du paragraphe 1 de l’article 36
est indépendante de toute limite qui découlerait de déclarations faites en vertu du paragraphe 2
dudit article n’est plus res integra. En l’affaire relative à des Actions armées frontalières et
transfrontalières (Nicaragua c. Honduras)3, la Cour est ainsi parvenue à la conclusion que le pacte
de Bogotá lui conférait compétence indépendamment des déclarations d’acceptation de sa
juridiction obligatoire qui auraient pu être faites en vertu du paragraphe 2 de l’article 36.
34. Dans l’affaire de l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde
c. Pakistan), outre qu’il contestait la compétence de la Cour au titre de l’article 84 de la convention
3 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 69, par. 41.
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de Chicago et de la section 2 de l’article II de l’accord de transit (dénommées «clauses
juridictionnelles des Traités»), le Pakistan invoquait la réserve dont l’Inde avait assorti sa
déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour en vertu du paragraphe 2 de
l’article 36. La Cour a alors conclu que
«les objections à [s]a juridiction … ne sauraient être retenues, qu’elles se fondent sur
la prétendue inapplicabilité des Traités en tant que tels ou sur celle de leurs clauses
juridictionnelles. La Cour ayant donc compétence en vertu de ces clauses et par
suite … en vertu de l’article 36, paragraphe 1, et de l’article 37 de son Statut, il est
sans pertinence d’examiner les objections visant d’autres fondements possibles de sa
compétence.»4
35. Dans l’affaire LaGrand5, la Cour a admis — même si elle n’était pas saisie de la
question — que la République Fédérale d’Allemagne, dans la requête qu’elle avait présentée pour
violation de la convention de Vienne, avait fondé sa compétence sur le paragraphe 1 de l’article 36
de son Statut et l’article premier du protocole de signature facultative. De même, en l’affaire
Avena6, elle a relevé dans son arrêt que le Mexique avait fondé sa compétence sur ces deux
dispositions.
36. Le protocole de signature facultative, lu conjointement avec le paragraphe 1 de
l’article 36, confère compétence à la Cour pour remédier aux violations de la convention de
Vienne. En conséquence, la compétence de la Cour pour connaître de réclamations formulées à
raison de pareilles violations est immuable.
37. Si nécessaire, la Cour peut également examiner les actes des juridictions internes de
l’Etat de résidence au regard du droit international7. Les observations formulées au paragraphe 34
de l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Avena sont déterminantes en ce qui concerne la question de sa
compétence pour ordonner les remèdes appropriés :
«la Cour ne saurait retenir l’argument des Etats-Unis selon lequel, même si [elle]
devait conclure que ces derniers ont commis les violations de la convention de Vienne
alléguées par le Mexique, elle n’en serait pas moins incompétente pour ordonner la
restitutio in integrum demandée par celui-ci. … [S]’il est établi qu’elle a compétence
pour connaître d’un différend portant sur une question déterminée, elle n’a pas besoin
d’une base de compétence distincte pour examiner les remèdes demandés par une
partie pour la violation en cause … La question de savoir si la Cour peut ordonner le
remède demandé par le Mexique, et dans quelles limites, ressortit au fond du
différend.»8
38. Il s’ensuit nécessairement que, dès lors qu’une violation de l’article 36 de la convention
de Vienne a été démontrée, le remède devrait être modulé en fonction des principes établis de la
responsabilité de l’Etat :
4 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 60,
par. 25.
5 LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 466.
6 Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I),
p. 12.
7 Ibid., p. 30, par. 28.
8 Ibid., p. 33, par. 34.
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«C’est un principe du droit international que la violation d’un engagement
entraîne l’obligation de réparer dans une forme adéquate» (Usine de Chorzów,
compétence, 1927, C.P.J.I., série A n° 9, p. 21). Quant à savoir ce qui constitue une
réparation dans une forme adéquate, cela dépend, manifestement, des circonstances
concrètes de chaque affaire ainsi que de la nature exacte et de l’importance du
préjudice, puisqu’il s’agit de déterminer quelle est la «réparation dans une forme
adéquate» qui correspond à ce préjudice.»9
39. L’article 36 de la convention de Vienne est désormais reconnu, dans la jurisprudence
internationale, comme une disposition allant plus loin que les normes et conventions applicables
aux rapports entre deux Etats ; il est perçu comme conférant à tout accusé ressortissant de l’Etat
d’envoi, détenu et jugé pour une infraction pénale dans l’Etat de résidence, le précieux droit de
communiquer avec ses autorités consulaires, ce qui constitue une étape essentielle sur la voie d’un
procès équitable offrant toutes les garanties d’une procédure régulière consacrées en droit
international. L’article 14 du PIDCP et l’article 36 s’imposent de plus en plus comme les deux
facettes de la même notion d’équité ; tout procès dans le cadre duquel un ressortissant de l’Etat
d’envoi se voit refuser par l’Etat de résidence le droit de communiquer avec ses autorités
consulaires est donc par hypothèse un procès n’offrant pas les garanties d’une procédure régulière.
40. Lorsqu’elle détermine le remède approprié, à l’aune des normes établies en matière de
responsabilité de l’Etat, la Cour tient compte de la nature et de l’importance des violations qui ont
été commises, de l’ampleur du préjudice subi par suite de celles-ci, et de tout autre fait pertinent.
Elle est compétente pour examiner ces éléments et, sur cette base, rechercher quelles sont les
conséquences de la violation de l’article 36 et dans quelle mesure le procès en cause s’est écarté
des garanties d’une procédure régulière. Les principes de la responsabilité de l’Etat doivent être
appliqués de manière à ce que le remède soit également conforme aux principes relevant des droits
de l’homme désormais établis et reconnus en droit international.
41. Comme indiqué dans la section III du présent mémoire, les circonstances dans lesquelles
M. Jadhav a été «arrêté» demeurent mystérieuses. L’Inde pense qu’il a été enlevé en Iran, mais il a
par la suite été affirmé qu’il avait été arrêté au Baloutchistan. Depuis lors, l’intéressé est détenu par
l’armée pakistanaise. Par ailleurs, compte tenu de la nature des allégations portées contre lui et des
déclarations de hauts fonctionnaires le mettant publiquement en cause, il est évident que M. Jadhav
est détenu dans un environnement extrêmement hostile. Le fait que l’association du barreau de la
High Court de Lahore ait adopté une résolution (annexe 11) par laquelle elle menaçait de sanction
tout avocat qui accepterait d’assurer la défense de l’intéressé témoigne de la vindicte publique à
laquelle ce dernier est désigné.
42. Le climat est tellement délétère que cette association serait même allée jusqu’à faire une
déclaration dénonçant l’ordonnance rendue par la Cour au motif qu’elle porterait atteinte à la
souveraineté du Pakistan et affirmant que «le pouvoir judiciaire pakistanais [était] parfaitement en
droit de procéder à l’exécution de M. Jadhav» (annexe 11).
43. M. Jadhav est censé, et ce n’est guère surprenant, avoir «avoué» ses prétendus crimes. Il
a ensuite été jugé par une cour martiale. Comme cela est exposé dans la section suivante du présent
mémoire, 95 % des civils jugés par une cour martiale pakistanaise sont passés aux «aveux». Si
l’administration fournit de temps en temps des informations sur le sort de l’intéressé, ni les chefs
d’accusation ni les éléments de preuve n’ont été rendus publics.
9 Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I),
p. 59, par. 119.
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44. Dès lors, étant donné que M. Jadhav a été gardé au secret et continue de l’être, et qu’il a
été contraint d’assurer sa «défense» dans ces circonstances, sans pouvoir communiquer avec ses
autorités consulaires, son procès n’a été qu’un simulacre.
45. Tous ces aspects de la violation de l’article 36, ainsi que ses conséquences, devront être
examinés par la Cour afin de déterminer un remède approprié conforme aux normes de droit
international les plus strictes en matière de droits de l’homme, dont l’article 36 est de plus en plus
perçu comme un élément essentiel.
46. Enfin, le fait que le Pakistan ait maintes fois mentionné l’accord bilatéral qu’il a conclu
avec l’Inde10 n’a aucune incidence sur la compétence de la Cour. La corrélation entre cet
instrument et la convention de Vienne supposerait en effet d’interpréter cette dernière, la Cour étant
donc compétente pour trancher toute question, y compris celles qui pourraient se poser à cet égard
au titre du paragraphe 1 de l’article 36 du Statut lu conjointement avec le protocole de signature
facultative11.
III. EXPOSÉ DES FAITS
47. M. Kulbhushan Sudhir Jadhav, ressortissant indien, a été «arrêté» le 3 mars 2016.
48. L’Inde a été avisée de cette «arrestation» le 25 mars 2016, lorsque le secrétaire d’Etat
aux affaires étrangères du Pakistan en a fait état auprès du haut-commissaire indien à Islamabad.
49. Le jour même, elle a demandé à pouvoir entrer en communication avec M. Jadhav par
l’entremise de ses autorités consulaires.
50. Bien qu’il ait été tenu d’accéder à cette demande, et ce, sans délai, le Pakistan n’y a pas
donné suite.
51. L’Inde a réitéré sa demande le 30 mars 2016, puis à 13 autres reprises : les 6 mai 2016,
10 juin 2016, 11 juillet 2016, 26 juillet 2016, 22 août 2016, 3 novembre 2016, 19 décembre 2016,
3 février 2017, 3 mars 2017, 31 mars 2017, 10 avril 2017, 14 avril 2017 et 19 avril 2017 (annexes
1.3 à 1.15).
52. Le 23 janvier 2017, soit près de dix mois après la première demande de l’Inde tendant à
ce que ses autorités consulaires puissent entrer en communication avec son ressortissant, le
Pakistan a adressé à celle-ci une demande d’assistance (annexe 2) dans le cadre d’une enquête
engagée sous la référence «FIR no 6 de 2016». Au sens du code de procédure pénale pakistanais, le
«FIR», pour First Information Report, désigne le procès-verbal établi lors du dépôt initial d’une
plainte à la police. Le document en question portait sur la plainte pénale déposée, apparemment le
8 avril 2016, contre un ressortissant indien. Il est important de relever que, dans la lettre du
Pakistan, il était précisé que ledit document avait été déposé contre «un ressortissant indien». La
nationalité de M. Jadhav n’a donc jamais fait de doute.
53. Le 3 février 2017 (annexe 1.10), l’Inde a officiellement protesté contre le déni persistant
de son droit de communiquer avec son ressortissant par l’entremise de ses autorités consulaires,
10 Les deux Etats ont conclu, en 2008, un accord bilatéral ayant trait à certains aspects de la communication entre
les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi.
11 Cette question est traitée séparément dans la section V du présent mémoire, qui porte sur l’accord de 2008.
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13
- 10 -
alors même que le Pakistan avait reconnu la nationalité indienne de celui-ci. Dans la demande
d’assistance du Pakistan, il était par ailleurs fait référence à de prétendus «aveux» de l’intéressé,
qui constituaient le fondement des accusations portées à son encontre — ou, à tout le moins, un
élément important des charges retenues contre lui. L’Inde a donc exprimé ses préoccupations quant
à la sécurité de son ressortissant, précisant que,
«compte tenu, notamment, du caractère forcé des prétendus aveux de l’intéressé, le
traitement dont celui-ci fai[sait] l’objet dans le cadre de sa détention au Pakistan
soul[evait] des inquiétudes grandissantes, les circonstances de sa présence au Pakistan
demeurant par ailleurs inexpliquées».
54. Le 3 mars 2017, l’Inde a rappelé au Pakistan ses démarches successives, y compris celle
du 3 février 2017, et demandé de nouveau à entrer en communication avec son ressortissant par
l’entremise de ses autorités consulaires.
55. Dans une note verbale datée du 21 mars 2017 (annexe 3), le Pakistan lui a indiqué que
«la possibilité de communiquer par l’entremise de ses autorités consulaires [avec M. Jadhav]
ser[ait] étudiée à la lumière de la suite qu’elle donner[ait] à la demande d’assistance aux fins
d’enquête et de célérité de la justice formulée par le Pakistan».
56. L’Inde a répondu à cette note verbale le 31 mars 2017 (annexe 1.12), soulignant que
«le fait d’être autorisée à communiquer avec M. Jadhav par l’entremise de ses
autorités consulaires [était] une condition préalable essentielle pour établir les faits et
comprendre les circonstances de la présence de l’intéressé au Pakistan».
57. M. Jadhav a été enlevé en Iran, où il résidait et se livrait à des activités commerciales
après avoir pris sa retraite de la marine indienne. Les circonstances entourant sa présence au
Pakistan ne sont pas claires et les autorités pakistanaises ont fait preuve d’un mutisme stoïque,
presque assourdissant, sur ces questions. Elles se sont bornées à déclarer que M. Jadhav avait été
«arrêté», sans fournir plus d’explications quant aux circonstances de son arrestation. Ces éléments
demandent à être vérifiés, ce qui suppose avant tout que l’Inde puisse s’entretenir avec l’intéressé
en obtenant de communiquer avec lui par l’entremise de ses autorités consulaires.
58. Dans un communiqué de presse du 10 avril 2017, le service interarmées des relations
publiques, porte-parole de l’armée pakistanaise12, a déclaré ce qui suit au sujet de M. Jadhav :
«L’espion a été jugé par une cour martiale générale en application de la loi sur
l’armée pakistanaise, et condamné à mort. Le général Qamar Javed Bajwa, chef
d’état-major de l’armée, a confirmé ce jour cette condamnation à mort prononcée par
la cour d’appel générale.» (Annexe 4.)
59. Le 10 avril 2017, l’Inde a reçu une nouvelle note verbale du ministère des affaires
étrangères du Pakistan, indiquant que la possibilité, pour ses autorités consulaires, d’entrer en
communication avec l’intéressé serait étudiée à la lumière de la suite qu’elle donnerait à la
demande d’assistance aux fins d’enquête du Pakistan (annexe 5).
60. L’Inde a répondu à cette note verbale le même jour (annexe 1.13), précisant que cette
proposition, qui intervenait alors que la condamnation à mort de son ressortissant avait été
confirmée (par le Pakistan lors d’un point de presse), «soulign[ait] que la procédure et le prétendu
12 Un service du Gouvernement pakistanais.
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- 11 -
procès devant une cour martiale pakistanaise n’étaient qu’un simulacre». Elle a rappelé que, en
dépit de ses demandes répétées, ses autorités consulaires n’avaient pas été autorisées à entrer en
communication avec l’intéressé.
61. Le 14 avril 2017, le conseiller pour les affaires étrangères auprès du premier ministre du
Pakistan a fait une déclaration à la presse (annexe 6), qui a permis d’établir les éléments suivants :
i) Après l’«arrestation» de M. Jadhav, un «enregistrement vidéo des aveux» de l’intéressé a
été réalisé le 25 mars 2016. Le document FIR n’a cependant été établi que le 8 avril 2016.
ii) L’accusé a été interrogé en mai 2016, ses aveux ayant été recueillis en présence d’un
magistrat au mois de juillet 2016.
iii) La cour d’appel a consigné le résumé des éléments de preuve le 24 septembre 2016, et a
jugé l’accusé lors de quatre audiences, dont la dernière s’est tenue le 12 février 2017.
iv) L’accusé «a eu la possibilité de poser des questions aux témoins» qui ont été entendus, et
«un officier supérieur, juriste qualifié, a été commis pour assurer sa défense pendant toute
la durée du procès».
62. La dernière audience en l’affaire ayant eu lieu le 12 février 2017, il est évident que, à la
date de réception de la note verbale du 21 mars 2017, même le droit conditionnel de communiquer
avec l’accusé par l’entremise des autorités consulaires indiennes — qui aurait dû être accordé sans
retard après l’arrestation et au cours du procès — tel que proposé par le Pakistan était devenu vain,
puisque le procès était terminé. Si le droit de communiquer avec M. Jadhav lui avait été accordé à
cette date, l’Inde aurait néanmoins peut-être pu aider l’intéressé à interjeter appel de sa
condamnation, et ce, bien que la nature de la procédure d’appel, telle qu’établie par le droit
pakistanais, ne présente aucune des garanties minimales d’une procédure régulière.
63. Selon l’Inde, les éléments exposés ci-dessus établissent de manière irréfutable que, dès
l’«arrestation» de M. Jadhav, le défendeur a agi en violation flagrante des droits de l’accusé, ainsi
que de ceux que le demandeur tient de la convention de Vienne, en refusant constamment
d’accorder à ce dernier le droit de communiquer avec son ressortissant par l’entremise de ses
autorités consulaires. Le comportement du Pakistan constitue donc une violation grave de ladite
convention.
64. A la suite du communiqué de presse du 14 avril 2017, l’Inde a, dans une note verbale
datée du même jour, demandé au Pakistan de lui fournir des copies certifiées conformes de l’«acte
d’accusation» et de la «décision» de la cour d’appel, et (une fois encore) de lui permettre de
communiquer avec son ressortissant par l’entremise de ses autorités consulaires (annexe 1.14). Elle
n’a reçu aucune réponse.
65. Au cours d’une nouvelle conférence de presse en date du 17 avril 2017, le porte-parole
du Gouvernement pakistanais aurait indiqué que le ressortissant indien ne remplissait pas les
conditions requises pour pouvoir communiquer avec ses autorités consulaires, et que ce droit ne lui
serait pas accordé (annexe 7). Aucune justification n’a été avancée à l’appui de cette assertion. Il
apparaît donc clairement que les dispositions de la convention de Vienne ont été constamment
violées et que le Pakistan, par son comportement, continue d’y contrevenir.
66. Le 19 avril 2017, l’Inde a, par l’entremise du haut-commissariat du défendeur à
New Delhi, remis une note verbale au Pakistan (annexe 1.15) dans laquelle elle demandait de
nouveau à obtenir copie de l’«acte d’accusation», des «procès-verbaux» relatifs à l’enquête, du
résumé des «éléments de preuve» et de la prétendue déclaration de «culpabilité» de M. Jadhav. En
16
17
- 12 -
plus de solliciter une nouvelle fois le droit de communiquer avec ce dernier par l’entremise de ses
autorités consulaires, elle demandait au Pakistan de :
i) lui permettre de prendre part à la procédure d’appel ;
ii) faciliter la désignation d’un avocat de la défense, qui pourrait communiquer avec son hautcommissariat
à Islamabad ;
iii) fournir des copies certifiées conformes des rapports médicaux de M. Jadhav ;
iv) délivrer des visas aux membres de la famille de l’intéressé pour qu’ils puissent se rendre
au Pakistan afin d’y exercer les recours en justice — si limités soient-ils — auxquels la loi
sur l’armée pakistanaise de 1952 ouvre droit.
67. Lors d’une conférence de presse tenue le 20 avril 2017 (annexe 9), le Pakistan s’est
référé à un accord bilatéral sur la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants
de l’Etat d’envoi qu’il a conclu en 2008 avec l’Inde (annexe 10), prétendant que cet accord
régissait entièrement la question entre les deux pays.
68. Cette thèse est infondée au regard tant des dispositions expresses de la convention de
Vienne que des termes mêmes dudit accord bilatéral, signé le 21 mai 200813.
69. Les parents âgés de M. Jadhav ont, le 25 avril 2017, déposé une demande de visas auprès
de l’administration pakistanaise par l’intermédiaire du ministère des affaires étrangères de l’Union
indienne. Cette demande est restée sans réponse.
70. La mère de M. Jadhav a formé un appel en vertu de l’article 133 B) de la loi de 1952 sur
l’armée pakistanaise et introduit un recours auprès du Gouvernement fédéral du Pakistan en vertu
de l’article 131 de cette même loi. Cet appel et ce recours ont été remis au secrétaire d’Etat aux
affaires étrangères du Pakistan par le haut-commissaire indien à Islamabad lors d’une réunion tenue
le 26 avril 2017, au cours de laquelle les représentants de l’Inde ont une fois encore demandé que
les autorités consulaires indiennes soient autorisées à communiquer avec M. Jadhav (voir
annexe 1.16). L’appel et le recours ont été établis sur la base d’informations publiquement
accessibles, le Pakistan n’ayant officiellement fourni aucun détail concernant les «charges»
retenues contre l’intéressé, les «éléments de preuve» ou le «verdict». Faute de pouvoir
communiquer avec l’accusé et accéder à toutes les informations et tous les documents pertinents, la
décision rendue ne saurait être efficacement contestée et tout droit de faire appel ne pourrait, à
l’image du «procès» de M. Jadhav par une cour martiale, qu’être qualifié de simulacre.
71. Par lettre du 27 avril 2017 adressée au conseiller pour les affaires étrangères auprès du
premier ministre du Pakistan (annexe 8), la ministre des affaires étrangères de l’Inde a, une
nouvelle fois, demandé à se voir communiquer des copies certifiées conformes de l’acte
d’accusation établi contre M. Jadhav, des procès-verbaux relatifs à l’enquête, du résumé des
éléments de preuve versés au dossier, du jugement, de l’acte de désignation de l’avocat de la
défense et des coordonnées de ce dernier, ainsi que du rapport médical concernant l’accusé. Elle a
par ailleurs réitéré la demande de visas introduite par les parents de l’intéressé. La ministre a prié le
conseiller d’intervenir personnellement dans cette affaire. Sa lettre n’a reçu aucune réponse.
72. Dans un communiqué de presse du 22 juin 2017 (annexe 12), le service interarmées des
relations publiques (porte-parole de l’armée pakistanaise) a déclaré que M. Jadhav «a[vait] déposé
13 Cette question est traitée dans la section V du présent mémoire.
18
- 13 -
un recours en grâce auprès du chef d’état-major des armées». Il a en outre notamment précisé que
M. Jadhav «a[vait] auparavant introduit un recours auprès de la cour d’appel militaire, qui a[vait]
été rejeté [et que l]a loi l’autoris[ait] à déposer un recours en grâce auprès du chef d’état-major des
armées (ce qu’il a[vait] fait) puis, si ce recours [était] rejeté, auprès du président du Pakistan».
Dans ce même communiqué a été présenté un «second enregistrement vidéo des aveux» de
l’accusé, censé avoir été «réalisé» en avril 2017 (soit bien avant les audiences consacrées aux
mesures conservatoires qui se sont tenues à la Cour en mai 2017), alors que l’intéressé était détenu
par l’armée pakistanaise.
73. L’Inde ne dispose d’aucune information certaine quant au point de savoir si M. Jadhav a
introduit un recours auprès de la cour d’appel militaire et, le cas échéant, sur la manière dont il a
procédé et dans quelles circonstances. Le Pakistan n’a donné à la Cour aucune information sur ce
prétendu recours, que ce soit durant les audiences consacrées à la demande en indication de
mesures conservatoires ou d’une autre manière. Il en va de même de l’état d’avancement de l’appel
et du recours introduits en avril 2017 par la mère de M. Jadhav. De fait, le Pakistan a empêché
celle-ci de mener à bien ces démarches.
IV. VIOLATIONS GRAVES DE LA CONVENTION DE VIENNE
74. Le litt. b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne confère, en des
termes ne laissant place à aucune ambiguïté, à tout ressortissant de l’Etat d’envoi qui est arrêté,
incarcéré ou mis en état de détention préventive ou toute autre forme de détention des droits
inaliénables de communication avec ses autorités consulaires. La convention confère également à
l’Etat d’envoi, agissant par l’entremise de ses fonctionnaires consulaires, le droit de se rendre
auprès de son ressortissant incarcéré ou détenu, de s’entretenir et de correspondre avec lui et de
pourvoir à sa représentation en justice. Ce droit s’exerce de la même manière dans le cas d’un
ressortissant incarcéré ou détenu en exécution d’un jugement.
75. Le respect des obligations consacrées par la convention de Vienne ne souffre aucune
exception.
76. Il est de plus en plus largement admis que l’article 36 est un élément constitutif
fondamental de ce que l’on appelle, d’une manière générale, une procédure régulière.
77. Ni la nature des accusations ni le comportement de l’Etat d’envoi ne sont pertinents aux
fins d’examiner des allégations de violation de l’article 36. Et l’on comprend aisément pourquoi. Si
des droits conventionnels sont ainsi créés, dont l’Etat d’envoi peut chercher à faire réparer la
violation, les droits garantis au ressortissant arrêté ou détenu ont été eux aussi dûment reconnus.
78. Par ailleurs, les garanties d’une procédure régulière, considérées comme l’un des aspects
de la norme internationale minimale, sont désormais expressément consacrées par un traité
multilatéral  le PIDCP , qui a été signé et ratifié non seulement par l’Inde et le Pakistan, mais
également par un grand nombre d’autres Etats, les principes qui y sont énoncés étant reconnus
comme des principes généraux de droit international et un code de conduite que les nations
civilisées se doivent d’observer.
79. L’article 36, qui établit des droits conventionnels, a évolué au fil d’une longue pratique.
Tout au long de l’histoire des relations diplomatiques, la communication entre les autorités
consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi a été regardée comme un élément fondamental
pour garantir la paix et l’harmonie dans les relations entre Etats souverains, l’une des fonctions
importantes des fonctionnaires consulaires consistant à apporter leur assistance aux ressortissants
19
20
- 14 -
de l’Etat d’envoi arrêtés, placés en détention ou jugés dans l’Etat de résidence. La convention de
Vienne de 1963 a cristallisé les pratiques existantes et élevé la communication entre les autorités
consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi au rang de droit inaliénable. La Cour, quant à elle,
a précisé que ce droit était conféré non seulement à l’Etat d’envoi, mais également à son
ressortissant, personne physique relevant dudit Etat. Elle a notamment été amenée à interpréter
cette convention dans les arrêts qu’elle a rendus en l’affaire relative au Personnel diplomatique et
consulaire des Etats-Unis à Téhéran14, ainsi que dans les affaires LaGrand15 et Avena16.
L’institution des relations consulaires  lesquelles sont aujourd’hui régies par la convention de
Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques et celle de 1963 sur les relations consulaires , a
également été examinée dans les arrêts de la Cour, et sa raison d’être, explicitée.
80. En l’affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran,
dont elle a eu à connaître dans les années 1980, la Cour, reprochant au Gouvernement de l’Iran
d’avoir violé l’ensemble des règles établies en matière de relations consulaires, a ainsi indiqué ce
qui suit :
«Le fait de priver abusivement de leur liberté des êtres humains et de les
soumettre dans des conditions pénibles à une contrainte physique est manifestement
incompatible avec les principes de la Charte des Nations Unies et avec les droits
fondamentaux énoncés dans la déclaration universelle des droits de l’homme. Mais ce
qu’il convient de souligner surtout, c’est l’ampleur et la gravité du contraste entre le
comportement adopté par l’Etat iranien et les obligations que lui impose l’ensemble de
règles internationales constitué par le droit diplomatique et consulaire, dont la Cour
doit fermement réaffirmer le caractère fondamental. Dans son ordonnance du
15 décembre 1979, la Cour avait tenu à souligner que les obligations imposées aux
Etats par les deux conventions de Vienne sont d’une importance capitale pour le
maintien de bonnes relations entre Etats dans le monde interdépendant d’aujourd’hui.
Comme la Cour l’a dit alors, «dans la conduite des relations entre Etats, il n’est pas
d’exigence plus fondamentale que celle de l’inviolabilité des diplomates et des
ambassades et … c’est ainsi que, au long de l’histoire, des nations de toutes croyances
et toutes cultures ont observé des obligations réciproques à cet effet». L’institution de
la diplomatie, a-t-elle poursuivi, «s’est avérée un instrument essentiel de coopération
efficace dans la communauté internationale, qui permet aux Etats, nonobstant les
différences de leurs systèmes constitutionnels et sociaux, de parvenir à la
compréhension mutuelle et de résoudre leurs divergences par des moyens pacifiques»
(C.I.J. Recueil 1979, p. 19).»17
81. En l’affaire LaGrand, l’Allemagne avait introduit une instance à raison de violations du
litt. b) du paragraphe 1 de l’article 36 commises, selon elle, par les autorités américaines à l’égard
de ressortissants allemands arrêtés et traduits en justice. La Cour a constaté que
«l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 énon[çait] les obligations que l’Etat de
résidence a[vait] vis-à-vis d’une personne détenue et de l’Etat d’envoi. Il dispose que,
à la demande de la personne mise en détention, l’Etat de résidence doit informer «sans
retard» le poste consulaire de l’Etat d’envoi de la détention de l’individu. Il dispose en
outre que toute communication par la personne détenue adressée au poste consulaire
de l’Etat d’envoi doit lui être transmise par les autorités de l’Etat de résidence «sans
14 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 3.
15 LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 466.
16 Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I),
p. 12.
17 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 42, par. 91.
21
- 15 -
retard». Il est significatif que cet alinéa se termine par la disposition suivante : lesdites
autorités «doivent sans retard informer l’intéressé de ses droits aux termes du présent
alinéa» (les italiques sont de la Cour). En outre, en vertu de l’alinéa c) du
paragraphe 1 de l’article 36, le droit de l’Etat d’envoi de prêter son assistance
consulaire à la personne en détention ne peut s’exercer si celle-ci «s’y oppose
expressément». La clarté de ces dispositions, lues dans leur contexte, ne laisse en rien
à désirer. De ce fait, et comme il a été jugé à plusieurs reprises, la Cour est tenue de
les appliquer telles qu’elles sont (voir Acquisition de la nationalité polonaise, avis
consultatif, 1923, C.PJ.I. série B no 7, p. 20 ; Compétence de l’Assemblée générale
pour l’admission d’un Etat aux Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950,
p. 8 ; Sentence arbitrale du 31 juillet 1989, arrêt, C.I.J. Recueil 1991, p. 69-70,
par. 48 ; Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt,
C.I.J. Recueil 1994, p. 25, par. 51). Compte tenu du libellé de ces dispositions, la Cour
conclut que le paragraphe 1 de l’article 36 crée des droits individuels qui, en vertu de
l’article premier du protocole de signature facultative, peuvent être invoqués devant
la Cour par l’Etat dont la personne détenue a la nationalité. En l’espèce, ces droits
ont été violés.»18 (Les italiques sont de nous.)
82. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en 2004 en l’affaire Avena, instance introduite par le
Mexique contre les Etats-Unis d’Amérique sur le fondement de violations de l’article 36 de la
convention de Vienne, la Cour a précisé
«qu’il [était] en tout état de cause essentiel de garder à l’esprit la nature de la
convention de Vienne. Celle-ci énonce certaines normes que tous les Etats parties
doivent observer aux fins du «déroulement sans entrave des relations consulaires» qui,
comme la Cour l’a fait observer en 1979, est important dans le droit international
contemporain «en ce [sens] qu’il favorise le développement des relations amicales
entre les nations et assure protection et assistance aux étrangers résidant sur le
territoire d’autres Etats» (Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à
Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), mesures conservatoires, ordonnance du
15 décembre 1979, C.I.J. Recueil 1979, p. 20, par. 40). Par conséquent, même s’il était
démontré que la pratique du Mexique en ce qui concerne l’application de l’article 36
n’était pas exempte de critique, les Etats-Unis ne pourraient s’en prévaloir comme
exception à la recevabilité de la demande mexicaine. La cinquième exception
d’irrecevabilité des Etats-Unis ne saurait donc être accueillie.»19 (Les italiques sont de
nous.)
83. Au paragraphe 40 de l’arrêt Avena, la Cour a observé que
«toute violation des droits que l’individu tient de l’article 36 ris[quait] d’entraîner une
violation des droits de l’Etat d’envoi et que toute violation des droits de ce dernier
ris[quait] de conduire à une violation des droits de l’individu. Dans ces circonstances
toutes particulières d’interdépendance des droits de l’Etat et des droits individuels, le
Mexique peut, en soumettant une demande en son nom propre, inviter la Cour à
statuer sur la violation des droits dont il soutient avoir été victime à la fois directement
et à travers la violation des droits individuels conférés à ses ressortissants par
l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36.»20
18 LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 494, par. 77.
19 Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I),
p. 38, par. 47.
20 Ibid., p. 36, par. 40.
22
- 16 -
84. La Cour a donc reconnu que les droits liés à la communication entre les autorités
consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi et à l’assistance consulaire énoncés à l’article 36
étaient conférés non seulement à l’Etat d’envoi, mais également à l’individu qui a été arrêté, placé
en détention, préventive ou autre, ou traduit en justice sans bénéficier des garanties d’une
procédure régulière.
85. Il existe, dans certaines régions du monde, des enceintes créées en application de traités
particuliers devant lesquelles les individus peuvent introduire des réclamations à raison de
violations des droits de l’homme, notamment les droits consacrés par la convention de Vienne, et
en obtenir réparation21. La Cour a toutefois reconnu à l’Etat d’envoi le droit d’exercer des recours
et d’obtenir des réparations pour le compte d’un ressortissant qui aurait été arrêté et traduit en
justice sans qu’ait été respecté le droit que lui confère la convention de Vienne de communiquer
avec ses autorités consulaires et de bénéficier de leur assistance.
86. En refusant, malgré de multiples demandes à cet effet, de permettre à l’Etat d’envoi,
c’est-à-dire à l’Inde, d’entrer en communication avec son ressortissant par l’entremise de ses
autorités consulaires, le Pakistan a adopté un comportement qui constitue une violation flagrante
des obligations que lui impose l’article 36. Il est manifeste qu’il a violé et continue de violer
sciemment et délibérément la convention de Vienne. Dans sa note verbale du 21 mars 2017, le
défendeur a en outre expressément indiqué que la possibilité pour l’Inde de communiquer avec
M. Jadhav par l’entremise de ses autorités consulaires serait étudiée à la lumière de la suite qu’elle
donnerait à la demande d’assistance aux fins d’enquête qu’il lui avait présentée. Cela démontre
que, bien que conscient du principe établi de la communication entre les autorités consulaires et les
ressortissants de l’Etat d’envoi, le Pakistan a choisi de l’ignorer, au mépris total de la convention de
Vienne.
87. Les demandes d’assistance aux fins d’enquête formulées entre Etats souverains font
l’objet de traités d’entraide judiciaire, qui sont des instruments bilatéraux. L’Inde a invité le
Pakistan à conclure un tel traité, proposition à laquelle celui-ci n’a pas donné suite. Un certain
nombre de demandes que l’Inde a adressées au Pakistan aux fins d’enquêter sur des infractions
liées au terrorisme commises sur le sol de celle-ci demeurent ainsi pendantes. Si ces questions, qui
renvoient à l’absence de traité d’entraide judiciaire, sont dénuées de pertinence en la présente
espèce, un prétendu déni d’assistance aux fins d’enquête ne confère pas, en tout état de cause, à
l’Etat de résidence le droit de rejeter les demandes de l’Etat d’envoi tendant à communiquer avec
son ressortissant par l’entremise de ses autorités consulaires, présentées au titre de l’article 36 de la
convention de Vienne.
88. L’Inde soutient que, en la présente affaire, le déni de ce droit de communication a eu de
profondes répercussions dont la gravité est telle que le procès et la condamnation de M. Jadhav ne
sont qu’une parodie de justice et constituent une violation flagrante des garanties d’une procédure
régulière.
V. L’ACCORD BILATÉRAL DE 2008 ENTRE L’INDE ET LE PAKISTAN SUR
LA COMMUNICATION ENTRE LES AUTORITÉS CONSULAIRES ET
LES RESSORTISSANTS DE L’ETAT D’ENVOI
89. Interrogé par un journaliste sur la demande de l’Inde tendant à ce que ses autorités
consulaires puissent entrer en communication avec son ressortissant, le porte-parole du
Gouvernement du Pakistan a, lors d’une conférence de presse donnée le 20 avril 2017 (annexe 9),
déclaré ce qui suit :
21 Notamment la Cour interaméricaine des droits de l’homme.
23
24
25
- 17 -
«Par ailleurs, s’agissant de la question de la communication entre l’intéressé et
ses autorités consulaires, nous avons déjà indiqué que nos deux pays ont conclu un
traité bilatéral dans ce domaine, et qu’en vertu de l’article IV de cet instrument, dans
un cas comme celui du commandant Kulbhushan, la demande doit être traitée au
fond.»
90. Il convient de relever que, lorsque le Pakistan affirme qu’il l’aurait «déjà indiqué», il se
réfère au mieux à quelque déclaration publique ; il n’a en effet jamais laissé entendre, dans une
communication officielle adressée au Gouvernement de l’Inde, que la possibilité pour les autorités
consulaires indiennes d’entrer en communication avec M. Jadhav était régie par l’accord de 2008.
91. En tout état de cause, la question de savoir si la demande présentée au titre de l’article 36
de la convention de Vienne doit être écartée ou soumise aux dispositions d’un quelconque traité
bilatéral ne se pose pas. L’article 36 est une disposition contenue dans une convention
multilatérale, laquelle n’empêche nullement la conclusion d’instruments bilatéraux à condition que
ceux-ci «confirm[ent], compl[ètent] ou développ[ent] ses dispositions, ou étend[ent] leur champ
d’application». C’est ce que dispose clairement l’article 73 de la convention.
92. Dans l’accord de 2008, conclu afin de «renforcer l’objectif consistant à garantir un
traitement humain aux ressortissants de chacun des deux Etats en cas d’arrestation, de détention ou
d’emprisonnement sur le territoire de l’autre», l’Inde et le Pakistan sont convenus de certaines
mesures, notamment de libérer et de rapatrier les intéressés un mois au plus tard après expiration de
leur peine et confirmation de leur nationalité. Les signataires ont reconnu que, en cas d’arrestation,
de détention ou de condamnation pour des motifs politiques ou relatifs à la sécurité, chacun d’eux
pourrait examiner l’affaire au fond et, dans les circonstances spéciales requérant de faire preuve de
compassion et d’humanité, exercer son pouvoir discrétionnaire, en tant que permis par ses lois et
règlements, pour autoriser une libération et un rapatriement anticipés. Or, l’Inde ne demande pas la
libération et le rapatriement anticipés de M. Jadhav, tels que prévus dans l’accord de 2008.
93. L’existence d’un accord bilatéral, dont certaines dispositions peuvent sembler compléter
ou développer celles de la convention de Vienne, n’a donc pas à entrer en considération lorsqu’un
Etat entend faire valoir les droits garantis par cette dernière en matière de communication de ses
autorités consulaires avec ses ressortissants. L’article 41 de la convention de Vienne de 1969 sur le
droit des traités va du reste dans le même sens, qui reconnaît le principe selon lequel deux ou
plusieurs parties peuvent modifier les termes d’un traité pour autant qu’une telle modification soit
possible, ou, à tout le moins, ne soit pas interdite par l’instrument en question, et qu’elle ne porte
pas sur une disposition à laquelle il ne peut être dérogé sans qu’il y ait incompatibilité avec la
réalisation effective de l’objet et du but de celui-ci pris dans son ensemble.
94. La convention de Vienne confère à l’Etat d’envoi et à ses ressortissants des droits
spécifiques en matière de communication par l’entremise des autorités consulaires, et met à la
charge de l’Etat de résidence qui arrête, place en détention ou juge et condamne un ressortissant
d’un autre Etat partie des obligations correspondantes. Tout traité bilatéral créant des obligations ne
peut que compléter les dispositions de la convention et ne saurait modifier les droits et obligations
correspondantes, qui constituent l’objet et le but de l’article 36 de cet instrument.
95. L’historique de la convention démontre également que l’impossibilité d’y déroger par
des accords bilatéraux résultait d’une volonté délibérée de ses rédacteurs.
96. Avant la signature de la convention de Vienne, il existait nombre d’accords bilatéraux
traitant de différents aspects des relations consulaires. La convention avait pour objet de rassembler
26
- 18 -
l’ensemble de ces questions dans un texte unique et exhaustif, tout accord bilatéral ultérieur ne
pouvant que compléter ou développer ses dispositions ou en étendre le champ d’application.
97. Il ressort par ailleurs de l’historique de la rédaction de l’article 73 de la convention que,
alors que différentes logiques étaient examinées, c’est l’Inde elle-même qui a préconisé d’adopter
une position restrictive à l’égard des accords bilatéraux. Le délégué indien s’est ainsi déclaré
défavorable à l’idée de faire prévaloir de tels accords sur une convention multilatérale, estimant
que cela «nuit à la valeur [de pareille] convention … et fait obstacle au développement progressif
du droit international»22.
98. La version définitive de l’article 73, incorporant ce qui fut qualifié d’«amendement des
six puissances» sans toutefois retenir l’obligation expresse de réexamen et de révision des traités
antérieurs, a finalement été adoptée à l’unanimité. Depuis lors, les traités consulaires bilatéraux «ne
sont valides que dans la mesure où ils confirment, complètent ou développent [l]es dispositions [de
la convention], ou étendent leur champ d’application»23.
99. Rien dans le libellé de l’accord de 2008 ne donne à penser que l’Inde ou le Pakistan ait
eu la moindre intention de déroger à l’article 36 de la convention de Vienne. Quoi qu’il en soit,
même s’il en allait autrement, les dispositions de l’accord devraient céder le pas à celles de la
convention.
VI. HISTORIQUE DE LA COMMUNICATION ENTRE LES AUTORITÉS CONSULAIRES
ET LES RESSORTISSANTS DE L’ETAT D’ENVOI
100. Compte tenu des grandes difficultés qu’une personne faisant l’objet de poursuites
pénales dans un pays étranger est susceptible de rencontrer pour se défendre  difficultés qui
peuvent être liées à la méconnaissance du droit et de la langue, voire au «risque de discrimination,
manifeste ou insidieuse, qu’encourt un citoyen étranger»24 , la «protection de ses ressortissants à
l’étranger est reconnue comme une fonction importante de l’Etat»25.
101. Prêter assistance aux ressortissants de l’Etat d’envoi est l’une des principales fonctions
dévolues aux consuls. Cette assistance «aux ressortissants en difficulté fait partie des activités dites
de «protection»»26. «La protection des ressortissants de l’Etat d’envoi est la fonction la plus
élémentaire des consuls, et, bien que son importance ne date pas d’hier, ceux-ci y consacrent depuis
quelques années encore davantage de temps.»27 «L’une des fonctions de protection essentielles des
consuls est de communiquer avec les ressortissants de l’Etat d’envoi placés en détention préventive
du chef d’une infraction pénale ou condamnés à des peines d’emprisonnement après avoir été
reconnus coupables. Cette fonction revêt une importance grandissante en raison de l’accroissement
des déplacements à des fins d’emploi, de commerce et de loisir.»28 En outre, «[l]a communication
22 Consular Law and Practice, Third Edition, Luke T. Lee et John Quigley, p. 568-569.
23 Ibid., p. 571.
24 The Law of Consular Access, A Documentary Guide, John Quigley, William J. Aceves et S. Adele Shank, p. 1.
25 Ibid., p. 3.
26 Ibid., p. 6.
27 Consular Law and Practice, Third Edition, Luke T. Lee et John Quigley, p. 116.
28 Ibid., p. 139.
27
28
- 19 -
avec les ressortissants de l’Etat d’envoi qui se trouvent en détention fait de longue date partie de la
pratique des autorités consulaires»29.
102. Il convient de relever que le préambule de la convention de Vienne commence par
rappeler que, depuis une époque reculée, des relations consulaires se sont établies entre les peuples.
«Les efforts visant à conclure un traité multilatéral sur les relations consulaires se sont inscrits dans
le cadre de l’action menée par l’Organisation des Nations Unies nouvellement créée pour
promouvoir le développement et la codification du droit international.»30
103. La convention est le fruit des travaux des 92 Etats qui ont participé à la conférence des
mois de mars et avril 1963. Certains Etats communistes ont mis du temps avant de la ratifier ou d’y
adhérer. L’URSS n’y a ainsi adhéré qu’en 1989, après avoir longtemps objecté que «la convention
créait un système de protection des ressortissants arrêtés qui, selon elle, permettait à l’Etat de
résidence d’interdire toute communication entre un consul et un ressortissant»31. En 2008,
171 Etats avaient ratifié la convention ou y avaient adhéré, ce nombre étant aujourd’hui de 179.
104. La convention de Vienne est désormais regardée comme un exemple de traité normatif.
Les principes qui y sont énoncés sont considérés comme définissant la fonction consulaire,
«non seulement pour les Etats parties, conformément à la règle pacta sunt servanda,
mais aussi pour ceux qui n’y sont pas parties, étant donné que la plupart des
dispositions de fond contenues dans [cet instrument] sont devenues des règles
coutumières de droit international, liant ainsi tant les Etats parties que les autres»32.
105. L’historique de la rédaction de la convention atteste l’importance que les nations ont
attachée aux dispositions de l’article 36. En témoigne également le fait que l’inquiétude (exprimée
par l’URSS) de voir ces dispositions prévaloir sur le droit interne et l’amendement tendant à donner
primauté à ce dernier sur l’article 36 ont été écartés33. Il ressort du projet de recherche de Harvard
sur la convention que, «en application du droit coutumier, l’Etat de résidence est tenu d’autoriser le
consul de l’Etat d’envoi à se rendre auprès des ressortissants de celui-ci «emprisonnés ou détenus
par ses propres autorités»»34.
106. Certains pays ont donné à leurs consuls des instructions soulignant l’importance que
revêt le fait de porter assistance à leurs ressortissants incarcérés. Les instructions émises par le
Canada, qui expliquent les circonstances dans lesquelles une attention particulière peut être requise,
présentent ainsi un intérêt direct pour la présente espèce : «Le système judiciaire de certains pays
peut être complexe, lent, voire corrompu. Les lois locales peuvent différer sensiblement des nôtres
et, compte tenu, de surcroît, de la barrière linguistique, se révéler difficiles à comprendre pour les
Canadiens.»35
29 Consular Law and Practice, Third Edition, Luke T. Lee et John Quigley, p. 140.
30 Ibid., p. 21.
31 Ibid., p. 23.
32 Ibid., p. 111-112.
33 The Law of Consular Access, A Documentary Guide, John Quigley, William J. Aceves et S. Adele Shank,
p. 9-10.
34 Consular Law and Practice, Third Edition, Luke T. Lee et John Quigley, p. 142.
35 Ibid., p. 147.
29
30
- 20 -
107. L’Etat d’envoi dont un consul refuserait arbitrairement de prêter assistance à l’un de ses
ressortissants mis en détention considérerait que ce fonctionnaire n’a pas rempli son devoir. C’est
sur la base de ce principe que, dans le cadre d’actions engagées devant des juridictions britanniques
et canadiennes au nom de ressortissants de certains Etats, il a été conclu que les Etats d’envoi
devaient assistance à leurs ressortissants36.
108. L’article 36 expose de manière claire et précise les principes applicables à la
communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi, laquelle relève
de la fonction de protection exercée par les consuls. Le bien-fondé de cette fonction, consacrée par
des décennies de pratique, peut être démontré à la lumière des faits de la présente espèce.
109. L’obtention d’«aveux» est la principale caractéristique des procès instruits par les
tribunaux militaires au Pakistan37. Dès lors, l’«arrestation» de M. Jadhav, les «aveux» qu’il aurait
faits par la suite, alors que le Pakistan n’avait pas averti l’Inde «sans retard» de cette arrestation et
détenait l’intéressé au secret, ainsi que les différentes versions desdits «aveux» colportées sur les
réseaux sociaux montrent clairement avec quel mépris le Pakistan traite ses obligations envers
l’Inde. D’autres «éléments de preuve» qui auraient été produits devant le tribunal militaire sont
toujours jalousement gardés. Quant aux «charges» retenues contre l’accusé et au «verdict»
lui-même, ils demeurent entourés de mystère, le Pakistan refusant obstinément d’en informer
l’Inde, et ce, alors même que le procès est terminé38.
110. D’après les déclarations du Pakistan et les communications que l’Inde a reçues de sa
part, il semble que l’infraction pénale commise ait été initialement enregistrée le 8 avril 2016 sous
la référence FIR no 06/2016, puis le 6 septembre 2016 sous la référence FIR no 22/2016, ces deux
rapports décrivant M. Jadhav comme un ressortissant indien soupçonné «d’avoir participé à des
activités de terrorisme et d’espionnage au Pakistan».
111. Après que l’Inde eut demandé à maintes reprises que ses autorités consulaires puissent
entrer en communication avec son ressortissant, le Pakistan lui a répondu pour la première fois
officiellement, le 23 janvier 2017, en sollicitant son assistance aux fins d’enquête dans le cadre de
deux affaires pénales. Il n’a nullement évoqué la possibilité d’une communication entre les
autorités consulaires indiennes et M. Jadhav, mais a demandé à l’Inde de coopérer à son «enquête».
La simple lecture de sa lettre (annexe 2) montre qu’il ne s’agit que d’une posture, et non d’une
demande sérieuse d’assistance aux fins d’enquête.
112. Le contenu de cette communication du 23 janvier 2017 n’a fait qu’accroître les
inquiétudes de l’Inde quant au bien-être de M. Jadhav et à l’état de l’«enquête» ouverte dans les
affaires pénales le visant, inquiétudes encore exacerbées par l’affirmation selon laquelle l’accusé
était passé aux «aveux».
113. Cette affirmation doit être appréciée à la lumière du rapport présenté par la Commission
internationale des juristes au Comité des droits de l’homme des Nations Unies (et examiné lors de
la cent vingtième session de ce dernier à Genève, en juillet 2017) selon lequel «159 des 168 civils
(soit 95 %) dont la condamnation a été publiquement reconnue par l’armée pakistanaise seraient
passés aux «aveux»»39. Des membres de la famille de certains d’entre eux ont introduit une
36 Il s’agissait d’un ressortissant incarcéré par les Etats-Unis à Guantánamo (Cuba).
37 Ce point est développé à la section XI du présent mémoire.
38 Un communiqué de presse récent donne à penser que l’appel formé par M. Jadhav a été rejeté et qu’un recours
en grâce a été soumis au chef des armées.
39 Commission internationale des juristes, Comité des droits de l’homme des Nations Unies, cent
vingtième session, Genève (3-28 juillet 2017), par. 15.
31
32
- 21 -
demande devant la Cour suprême du Pakistan, contestant notamment le caractère volontaire de ces
«aveux». D’après le rapport, en août 2016, la Cour suprême a rejeté l’ensemble de ces demandes,
rappelant les «limites de sa compétence en matière de réexamen judiciaire et [le] caractère «avéré»
des «aveux» puisque ceux-ci ont été faits devant un magistrat et que leurs auteurs ne se sont pas
rétractés»40. Dans son rapport, la Commission internationale des juristes s’est prononcée sur la
manière dont la Cour suprême du Pakistan traitait des questions liées au caractère authentique et
volontaire des aveux, soulignant que l’approche de cette juridiction était très différente selon qu’il
s’agissait d’aveux reçus dans le cadre de procès militaires ou devant des tribunaux civils41. Elle a
ajouté que, depuis le mois de janvier 2017, 161 personnes avaient été condamnées à la peine de
mort par des tribunaux militaires sur la base d’éléments de preuve obtenus au moyen d’«aveux»42.
114. La partialité avec laquelle M. Jadhav a été traité ressort clairement de certaines
déclarations émanant de hauts fonctionnaires de la République islamique du Pakistan. Le 14 avril
2017, le conseiller pour les affaires étrangères auprès du premier ministre pakistanais a ainsi publié
une déclaration à la presse (annexe 6) dans laquelle il mentionne l’enregistrement vidéo des
«aveux», que le Pakistan a rendu publics à plusieurs reprises. Un communiqué de presse diffusé
quelques jours plus tôt, le 10 avril 2017, indiquait que l’intéressé avait «avoué devant un magistrat
et la cour qu’il avait été chargé par le RAW [les services de renseignement indiens] de planifier, de
coordonner et d’organiser des activités d’espionnage et de sabotage visant à déstabiliser le Pakistan
et à lui faire la guerre en entravant les efforts engagés par les forces de l’ordre pour rétablir la paix
au Baloutchistan et à Karachi». Bien que M. Jadhav ait été reconnu «coupable» d’infractions
pénales et condamné à la peine de mort pour ce motif, comme cela a été confirmé le 10 avril 2017,
le défendeur a informé l’Inde, dans une autre communication datée du même jour, que sa demande
tendant à entrer en communication avec l’intéressé par l’entremise de ses autorités consulaires
serait étudiée à la lumière de la suite qu’elle donnerait à la demande d’assistance aux fins d’enquête
formulée par le Pakistan.
115. Dans sa déclaration précitée, le conseiller pour les affaires étrangères auprès du premier
ministre pakistanais a reconnu le sentiment d’hostilité entre les deux pays et plaidé pour que «la
diplomatie joue plus activement son rôle» pour mettre fin à la multiplication des crises dans leurs
relations bilatérales, sans toutefois préciser pourquoi il n’avait pas été accédé à la demande de
l’Inde tendant à entrer en communication avec M. Jadhav par l’entremise de ses autorités
consulaires.
116. Même si, en théorie, M. Jadhav, avait le droit d’interjeter appel, cette procédure devait
être introduite devant une cour d’appel militaire constituée conformément au droit militaire. Le fait
qu’une telle juridiction soit composée d’officiers d’un rang inférieur à celui de chef
d’état-major  le chef d’état-major de l’armée pakistanaise ayant confirmé la «condamnation» de
l’intéressé  montre bien que cet appel n’était qu’un simulacre. Ainsi, le conseiller pour les
affaires étrangères auprès du premier ministre pakistanais ayant affirmé que la «condamnation» de
M. Jadhav était fondée sur des éléments de preuve crédibles et spécifiques qui démontraient sa
participation à des activités d’espionnage et de terrorisme au Pakistan, il apparaît clairement que
l’intéressé ne dispose plus de voie de recours et que les procès qui ont eu lieu  ou plutôt
l’absence de véritable procès  constituent une parodie de justice. A cet égard, le service
interarmées des relations publiques (porte-parole de l’armée pakistanaise) a publié, le 22 juin 2017,
un communiqué de presse (annexe 12) indiquant notamment que M. Jadhav «avait formé un appel
devant la cour d’appel militaire, qui a été rejeté».
40 Commission internationale des juristes, Comité des droits de l’homme des Nations Unies, cent
vingtième session, Genève (3-28 juillet 2017), par. 18.
41 Ibid., par. 15 et 19.
42 Ibid., par. 28.
33
- 22 -
117. Alors qu’il était, et continue d’être, détenu au secret par les autorités militaires
pakistanaises, M. Jadhav, comme tant d’autres avant lui, serait passé aux «aveux» et a été
condamné à la peine de mort en grande partie, si ce n’est en totalité, sur ce fondement.
118. Il faudrait en effet être bien naïf pour penser que l’intéressé a eu la possibilité de se
défendre efficacement contre les charges retenues contre lui, voire de revenir sur ses prétendus
«aveux» ou d’en contester l’authenticité. Si elle avait été autorisée à communiquer «sans retard»
avec lui par l’entremise de ses autorités consulaires, l’Inde aurait pu assurer sa sécurité et son
bien-être et veiller à ce qu’il se défende de manière efficace, dans la mesure du possible,
c’est-à-dire dans les limites d’un procès mené par un tribunal militaire. Bien que ce type de procès
ait lieu à huis clos, un fonctionnaire consulaire aurait alors pu être présent à l’audience, et l’Inde
aurait ainsi été en mesure d’évaluer l’impartialité de l’officier présidant le tribunal.
VII. L’ARTICLE 36 ENTRE DANS LE CADRE DES GARANTIES
D’UNE PROCÉDURE RÉGULIÈRE
119. L’article 36 de la convention de Vienne consacre ce qui, depuis des temps
immémoriaux, est considéré comme un rôle essentiel des consuls et a été assimilé à la fonction de
protection de l’action consulaire.
120. L’article 36 a pour objet de créer des obligations internationales visant à aider un
ressortissant étranger arrêté ou traduit en justice à se défendre de façon effective.
121. Il est établi, en droit international, que l’une des fonctions de l’action diplomatique
 et, partant, l’un des sujets qui sous-tendent cette branche du droit telle qu’elle s’est développée
au cours du siècle dernier — est la reconnaissance des obligations des Etats fondées sur des
considérations élémentaires d’humanité, a fortiori en temps de paix.
122. Dans l’affaire du Détroit de Corfou, en 1949, la Cour a jugé que l’Albanie était tenue de
faire connaître, dans l’intérêt de la navigation en général, l’existence de champs de mines dans ses
eaux territoriales. Cette obligation découlait de «certains principes généraux et bien reconnus, tels
que des considérations élémentaires d’humanité, plus absolues encore en temps de paix qu’en
temps de guerre»43.
123. Les obligations des Etats envers les étrangers constituent un sujet récurrent du droit
international, qui trouve son expression dans l’évolution de la jurisprudence internationale.
124. En l’affaire de la Barcelona Traction, la Cour a exposé les principes qui mettent à la
charge des Etats des obligations erga omnes relatives aux investissements ou ressortissants
étrangers. Elle a indiqué ce qui suit :
«Dès lors qu’un Etat admet sur son territoire des investissements étrangers ou
des ressortissants étrangers, personnes physiques ou morales, il est tenu de leur
accorder la protection de la loi et assume certaines obligations quant à leur traitement.
Ces obligations ne sont toutefois ni absolues ni sans réserve. Une distinction
essentielle doit en particulier être établie entre les obligations des Etats envers la
communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d’un
autre Etat dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature même, les
premières concernent tous les Etats. Vu l’importance des droits en cause, tous les Etats
43 Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 22.
34
35
36
- 23 -
peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient
protégés ; les obligations dont il s’agit sont des obligations erga omnes.»44
Et d’ajouter :
«Ces obligations découlent par exemple, dans le droit international
contemporain, de la mise hors la loi des actes d’agression et du génocide mais aussi
des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne
humaine, y compris la protection contre la pratique de l’esclavage et la discrimination
raciale. Certains droits de protection correspondants se sont intégrés au droit
international général (Réserves à la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23) ; d’autres sont conférés
par des instruments internationaux de caractère universel ou quasi universel.»45
125. Au paragraphe 37, la Cour a dit ceci :
«En cherchant à définir le droit applicable dans la présente affaire, la Cour doit
penser à l’évolution continue du droit international. La protection diplomatique
concerne un secteur très délicat des relations internationales puisque l’intérêt d’un Etat
étranger à protéger ses ressortissants se heurte aux droits du souverain territorial, fait
dont le droit général en la matière a dû tenir compte afin d’éviter les abus et les
frictions. Etroitement liée dès son origine au commerce international, la protection
diplomatique s’est tout particulièrement ressentie du développement des relations
économiques internationales ainsi que des transformations profondes qui se sont
produites dans la vie économique des nations.»46
126. S’agissant des droits de l’homme, la Cour a jugé :
«En ce qui concerne plus particulièrement les droits de l’homme, auxquels le
présent arrêt a déjà fait allusion au paragraphe 34, on doit noter qu’ils comportent
aussi une protection contre le déni de justice. Toutefois, sur le plan universel, les
instruments qui consacrent les droits de l’homme ne reconnaissent pas qualité aux
Etats pour protéger les victimes de violations de ces droits indépendamment de leur
nationalité. C’est donc encore sur le plan régional qu’il a fallu chercher une solution à
ce problème. Ainsi, au sein du Conseil de l’Europe, dont l’Espagne n’est pas membre,
le problème de la recevabilité, auquel se heurte la requête en la présente affaire, est
résolu par la Convention européenne des droits de l’homme qui autorise chaque Etat
partie à la convention à porter plainte contre tout autre Etat contractant à raison d’une
violation de la convention sans égard à la nationalité de la victime.» (Les italiques sont
de nous.)47
127. La protection des droits de l’homme en général et, en particulier, lorsqu’il est question
d’étrangers, constitue également un aspect important de l’évolution jurisprudentielle du droit
international.
128. Le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme est instructif. Il est
ainsi libellé :
44 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33.
45 Ibid., par. 34.
46 Ibid., p. 33, par. 37.
47 Ibid., p. 47, par. 91.
37
- 24 -
«Considérant que dans la Charte les peuples des Nations Unies ont proclamé à
nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur
de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes, et qu’ils
se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures
conditions de vie dans une liberté plus grande,
Considérant que les Etats Membres se sont engagés à assurer, en coopération
avec l’Organisation des Nations Unies, le respect universel et effectif des droits de
l’homme et des libertés fondamentales,
Considérant qu’une conception commune de ces droits et libertés est de la plus
haute importance pour remplir pleinement cet engagement,» (les italiques sont de
nous).
129. Il s’agit là d’une reconnaissance du caractère universel des droits de l’homme et du fait
que les règles fondamentales régissant ce que l’on considère généralement comme une procédure
régulière se sont muées en principes de droit international, créant des obligations erga omnes à la
charge de tous les Etats.
130. Le PIDCP de 1966 a posé un autre jalon important dans l’acceptation de normes de base
communes en matière de droits de l’homme élémentaires et fondamentaux, applicables à
l’ensemble des citoyens de tous les Etats et nécessaires pour permettre aux êtres humains de vivre
dans la dignité.
131. La convention de Vienne, quant à elle, a comblé une lacune au niveau multilatéral  et
presque universel — en garantissant que les ressortissants étrangers traduits en justice dans un pays
étranger aient la faculté de communiquer avec leurs autorités consulaires. Les garanties d’une
procédure régulière, qui ont été expressément reconnues par le PIDCP, peuvent légitimement être
considérées comme une obligation universelle qui s’impose à tous les Etats, et ce, erga omnes. La
pratique consulaire, qui a résisté à l’épreuve du temps, a établi la nécessité de permettre à un
ressortissant étranger de communiquer avec ses autorités consulaires de manière à rendre effectif
son droit à un procès équitable et impartial, ainsi que celui de se défendre face aux accusations
pénales portées contre lui, notamment en engageant un avocat de son choix.
132. L’observation que la Cour a formulée sur cet aspect du droit en l’affaire relative au
Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran mérite d’être rappelée :
«Le fait de priver abusivement de leur liberté des êtres humains et de les
soumettre dans des conditions pénibles à une contrainte physique est manifestement
incompatible avec les principes de la Charte des Nations Unies et avec les droits
fondamentaux énoncés dans la déclaration universelle des droits de l’homme.»48
Ce principe général s’applique non seulement aux membres du corps diplomatique mais à tous les
êtres humains et, dans le contexte de la présente espèce, aux ressortissants de l’Etat d’envoi.
133. Le fait que 95 % des civils arrêtés, détenus et jugés par l’armée pakistanaise, y compris
des ressortissants pakistanais, «avouent» avoir commis les crimes les plus graves atteste clairement
l’effet d’intimidation produit par l’environnement militaire auquel ils sont soumis. Pareil effet sur
un ressortissant indien enlevé en Iran et réapparaissant au Pakistan pour y être mis au secret par
l’armée ne devrait nécessiter aucun élément de preuve ; si besoin était, il suffirait amplement de
48 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt,
C.I.J. Recueil 1980, p. 42, par. 91. Cité in extenso au paragraphe 80 ci-dessus.
38
39
- 25 -
relever que les «aveux» présentés si rapidement aux autorités ont été consignés avant même
l’établissement du procès-verbal relatif au dépôt initial de la plainte visant l’intéressé.
134. Dans le cadre de sa détention dans cet environnement militaire hostile, où il a été
soumis à une pression qui l’a conduit à «faire des aveux» lui ayant valu une condamnation à mort,
M. Jadhav aurait pu, s’il avait été autorisé à communiquer avec ses autorités consulaires, prendre
contact avec des personnes de son pays d’origine. Il aurait ainsi eu la possibilité de partager sa
détresse, ce qui, d’un point de vue humanitaire, aurait constitué une forme de remède. Si ce droit
avait été respecté, les fonctionnaires du poste consulaire auraient également pu surveiller l’état
physique et mental de l’intéressé, en plus de l’aider à préparer sa défense face aux «charges»
retenues contre lui. L’article 36 de la convention de Vienne reflète la nature et l’importance, au
niveau humanitaire, des droits créés et des obligations correspondantes.
135. Ce que la Cour a fait observer au sujet de la convention de Genève49 peut également
être dit de la convention de Vienne, à savoir que, à certains égards, celle-ci constitue un
développement et, à d’autres, la simple expression des principes fondamentaux du droit
humanitaire et de la diplomatie. Ces mesures visaient à mettre en place
«un instrument essentiel de coopération efficace dans la communauté internationale,
qui permet aux Etats, nonobstant les différences de leurs systèmes constitutionnels et
sociaux, de parvenir à la compréhension mutuelle et de résoudre leurs divergences par
des moyens pacifiques»50.
136. Conformément à ces principes généraux, la Cour a, dans des affaires ayant trait à des
violations de l’article 36, reconnu que :
a) cette disposition créait un droit en faveur non seulement des Etats parties, mais également de
l’individu ;
b) ce droit ne saurait être affaibli par des allégations de violations, semblables ou non, formulées à
l’encontre de l’Etat d’envoi, notamment le fait que celui-ci n’aurait, de façon générale, pas créé
de système consulaire conforme à ses obligations ;
c) les obligations que l’article 36 met à la charge de l’Etat de résidence ne dépendent pas de la
suite positive donnée par l’Etat d’envoi à des demandes de coopération à des enquêtes pénales
ou autres formulées par l’Etat de résidence ;
d) les droits énoncés à l’article 36 visent à éviter un déni de justice et ne sont encadrés ou limités
par aucune règle d’épuisement des voies de recours ;
e) toute violation de l’article 36 donne droit à l’Etat d’envoi de demander réparation, sur le
fondement des principes internationaux relatifs à la responsabilité de l’Etat, y compris par une
restitution et une réparation intégrales ;
f) tout différend relatif à la violation des droits énoncés à l’article 36 de la convention relève de la
compétence que la Cour tient du paragraphe 1 de l’article 36 de son Statut, par l’effet des
dispositions du protocole de signature facultative.
49 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 113, par. 218.
50 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), mesures
conservatoires, ordonnance du 15 décembre 1979, C.I.J. Recueil 1979, p. 19.
40
- 26 -
137. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en 2010 en l’affaire Diallo51, la Cour a examiné une
réclamation formulée contre le comportement de la République démocratique du Congo dans le
cadre de la détention et de l’expulsion d’un ressortissant de la République de Guinée, au regard des
droits et obligations découlant du PIDCP et de la Charte africaine, ainsi que des allégations de
violation du litt. b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne.
138. S’agissant de l’article 36, la Cour a déclaré que
«[c]es dispositions [étaient] applicables, comme cela ressort[ait] de leurs termes
mêmes, à toute privation de liberté quelle qu’en [fût] la nature, même en dehors de
tout contexte de recherche des auteurs d’une infraction pénale [et qu’e]lles [étaient]
donc applicables en l’espèce, ce que la RDC ne contest[ait] pas»52.
Cette interprétation est conforme à la nature absolue de l’obligation en cause, ainsi qu’au principe
fondamental du droit à une procédure régulière, en vertu duquel plus les charges retenues contre
l’accusé sont graves, plus il est nécessaire de respecter scrupuleusement les garanties procédurales
reconnues comme étant des éléments constitutifs dudit principe.
139. En tout état de cause, ainsi que l’a affirmé la Cour dans l’affaire Diallo,
«[c]ertes, comme la RDC l’a relevé, l’article 13 du [PIDCP] fait une exception au
droit pour l’étranger de faire valoir ses raisons dans le cas où «des raisons impérieuses
de sécurité nationale» s’y opposent. La défenderesse soutient que tel était précisément
le cas en l’espèce. Mais elle n’a fourni à la Cour aucun élément tangible de nature à
établir l’existence de ces «raisons impérieuses». Sans doute est-ce en principe aux
autorités nationales qu’il appartient d’apprécier les motifs d’ordre public qui peuvent
justifier l’adoption de telle ou telle mesure de police. Mais, lorsqu’il s’agit d’écarter
une importante garantie procédurale prévue par un traité international, on ne saurait
s’en remettre purement et simplement à l’Etat en cause quant à l’appréciation des
conditions qui permettent d’écarter, de manière exceptionnelle, ladite garantie.» (Les
italiques sont de nous.)53
140. Il ressort de ces observations que, contrairement au PIDCP, l’article 36 ne prévoit
aucune exception et, partant, crée des obligations de nature absolue. Même lorsqu’ils sont autorisés
à s’écarter de leurs obligations pour des raisons impérieuses de sécurité nationale, la Cour insiste
pour que les Etats soient en mesure, lorsqu’ils sont mis en cause, de se prévaloir de circonstances
justifiant le déni des droits garantis : l’Etat n’est pas l’unique arbitre des obligations que lui impose
le PIDCP.
141. Par conséquent, lorsque, contrairement à des obligations qui sont assorties d’exceptions,
une obligation découlant du paragraphe 1 de l’article 36 n’en comporte aucune, un Etat ne saurait
s’y soustraire en invoquant un impératif de sécurité nationale qui ne fait que servir sa cause. Toute
tentative de l’Etat de s’écarter de son obligation, quelles que soient les circonstances, constituerait
nécessairement une violation de la convention de Vienne.
142. Citant l’article 13 du PIDCP et l’article 12 de la Charte africaine (tous deux traitant de
l’expulsion du ressortissant d’un autre Etat), la Cour a fait observer ce qui suit :
51 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 639.
52 Ibid., p. 672, par. 91.
53 Ibid., p. 666, par. 74.
41
42
- 27 -
«Il résulte des termes mêmes des deux dispositions précitées que l’expulsion
d’un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d’un Etat partie à ces
instruments ne peut être compatible avec les obligations internationales de cet Etat
qu’à la condition qu’elle soit prononcée conformément à «la loi», c’est-à-dire au droit
national applicable en la matière. Le respect du droit interne conditionne ici, dans une
certaine mesure, celui du droit international. Mais il est clair que, si la «conformité à la
loi» ainsi définie est une condition nécessaire du respect des dispositions précitées,
elle n’en est pas la condition suffisante. D’une part, il faut que la loi nationale
applicable soit elle-même compatible avec les autres exigences du [PIDCP] et de la
Charte africaine ; d’autre part, une expulsion ne doit pas revêtir un caractère
arbitraire, la protection contre l’arbitraire étant au coeur des droits garantis par les
normes internationales de protection des droits de l’homme, notamment celles
contenues dans les deux traités applicables en l’espèce.» (Les italiques sont de
nous.)54
143. En interprétant le PIDCP, la Cour a invoqué la jurisprudence du Comité des droits de
l’homme, établi par cet instrument aux fins d’en assurer le respect par les Etats parties. Elle s’est
également référée à l’interprétation de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que de la
Cour interaméricaine des droits de l’homme.
144. Cette approche est par ailleurs en harmonie avec les objectifs de la Déclaration
universelle des droits de l’homme. Les droits inaliénables reconnus aux articles 5, 9 et 10 ne
souffrent en effet aucune dérogation. L’article 5 dispose que «[n]ul ne sera soumis à la torture, ni à
des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants», l’article 9, que «[n]ul ne peut être
arbitrairement arrêté, détenu ou exilé», et l’article 10, que
«[t]oute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue
équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera,
soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière
pénale dirigée contre elle».
145. L’ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une
forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, adopté par l’Assemblée générale dans sa
résolution no 43/173 du 9 décembre 198855, reconnaît, au principe 16, le droit pour l’intéressé de
communiquer avec les autorités consulaires de son pays. Aux termes du paragraphe 2 de cette
disposition,
«[s]’il s’agit d’une personne étrangère, elle sera aussi informée sans délai de son droit
de communiquer par des moyens appropriés avec un poste consulaire ou la mission
diplomatique de l’Etat dont elle a la nationalité ou qui est autrement habilité à recevoir
cette communication conformément au droit international»,
ce qui donne à penser que, en 1988, l’article 36 était considéré comme un principe de «droit
international».
54 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 663, par. 65.
55 Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de
détention ou d’emprisonnement, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1988, Nations Unies,
doc. A/RES/43/173.
43
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146. A l’article 10 de la déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent
pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent56, adoptée en 1985, il est précisé que «[t]out
étranger doit pouvoir à tout moment se mettre en rapport avec le consulat ou la mission
diplomatique de l’Etat dont il possède la nationalité».
147. Si la convention de Vienne s’impose comme le premier texte énonçant les règles de
conduite à suivre en matière de traitement des ressortissants d’autres Etats, l’évolution des
principes de droit international  l’accent étant de plus en plus mis sur le droit à un procès
équitable en tant qu’aspect fondamental des droits de l’homme  trouve un écho dans des
instruments plus récents, tels que des traités et des résolutions de l’Assemblée générale ou d’autres
organismes bilatéraux ou multilatéraux chargés de prendre des mesures pour protéger les droits de
l’homme. On peut affirmer sans risque de contradiction que la communication entre les autorités
consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi est devenue un élément indispensable de ce
dispositif, dont l’importance fondamentale pour assurer à ces derniers un procès équitable est
reconnue.
148. Le fait que l’article 36 ne prévoie expressément aucune exception est significatif. La
raison en est évidente : il n’existe aucune circonstance justifiant de se soustraire aux principes qui
garantissent une procédure régulière, elle-même garante d’un procès équitable. L’article 36
concrétise ce droit pour les étrangers. Nier les droits énoncés par cette disposition compromettrait
gravement le droit à une procédure régulière lui-même. A cet égard, les institutions internationales
se sont employées à rappeler aux Etats qu’ils étaient tenus de respecter les normes garantissant la
régularité de la procédure même dans le cadre d’enquêtes relatives à des infractions liées au
terrorisme et de la poursuite des auteurs de celles-ci. Les conventions relatives au terrorisme ont
ainsi expressément reconnu le droit pour les intéressés de communiquer avec les autorités
consulaires de leur pays, réaffirmant le caractère crucial d’une disposition telle que l’article 36, qui
s’en est ainsi trouvée renforcée. En ce qui concerne les Etats qui ont signé et ratifié la convention
de Vienne, la gravité des accusations portées contre un accusé n’entame en rien l’obligation que
l’article 36 met à leur charge. Bien au contraire, plus ces accusations sont graves, plus il est
nécessaire que l’équité procédurale soit assurée.
149. En consacrant le mécanisme de la communication par l’entremise des autorités
consulaires, l’article 36 a créé un dispositif permettant aux fonctionnaires consulaires de l’Etat
d’envoi de s’assurer que les droits des ressortissants de celui-ci d’être protégés de la torture et de
l’arrestation arbitraire et de bénéficier d’un procès équitable et public sont pleinement respectés57.
150. Les moyens pour porter remède à une violation de l’article 36, ainsi que les principes
relatifs à la responsabilité de l’Etat tels qu’appliqués à celle-ci, doivent être appréciés en tenant
compte de ce que cette disposition constitue un élément essentiel des garanties d’une procédure
régulière et que, partant, une telle violation non seulement entraîne l’inobservation d’une règle de
conduite entre deux Etats, mais peut, au regard des circonstances de l’espèce, entraîner une
violation des droits fondamentaux inaliénables de l’être humain.
56 Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans
lequel elles vivent, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 décembre 1985, Nations Unies,
doc. A/RES/40/144.
57 Le commentaire de la Commission internationale de juristes sur la culture des «aveux» dans les procès
militaires au Pakistan est éloquent.
44
- 29 -
VIII. LA JURISPRUDENCE DE LA COUR INTERAMÉRICAINE
DES DROITS DE L’HOMME
151. L’article 36 a été interprété et appliqué par la Cour interaméricaine des droits de
l’homme (ci-après la «CIADH») dans un certain nombre d’affaires ; les arrêts correspondants sont
fort utiles pour expliciter la jurisprudence relative à cette disposition et son lien indissociable avec
le PIDCP en particulier, et, plus généralement, avec les garanties d’une procédure régulière.
152. Au fil des décennies, les Etats ont redoublé d’efforts pour préserver les droits de
l’homme en concluant des traités non seulement multilatéraux mais aussi bilatéraux, ceux-ci venant
compléter les droits généraux couverts par ceux-là, et créé des institutions telles que la CIADH
chargées de régler les différends nés de ces instruments. L’interaction fructueuse entre la
jurisprudence relative aux droits reconnus dans les différents traités et les décisions rendues par ces
institutions a enrichi et fait progresser le droit international.
153. Le 1er octobre 1999, la CIADH a donné un avis consultatif au sujet de «plusieurs traités
concernant la protection des droits de l’homme dans les Etats américains»58, dans lequel elle a
relevé ce qui suit :
«Selon l’Etat qui a sollicité le présent avis, la demande portait sur la question
des garanties judiciaires minimales et de l’exigence d’une procédure régulière
lorsqu’un tribunal condamne à mort des ressortissants étrangers que l’Etat hôte n’a pas
informés de leur droit de communiquer avec les autorités consulaires de l’Etat dont ils
sont ressortissants et de solliciter l’assistance de ces autorités.»59
154. La CIADH a analysé la convention de Vienne, précisant que la mention figurant dans le
préambule de cet instrument, à savoir que le but des privilèges et immunités n’est «pas d’avantager
des individus», se rapportait uniquement aux personnes exerçant des fonctions consulaires,
autrement dit que les privilèges et immunités étaient accordés aux fonctionnaires consulaires pour
leur permettre d’exercer leurs fonctions. Et la CIADH d’ajouter ceci :
«D’autre part, la Cour fait observer que, en l’affaire relative au Personnel
diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, les Etats-Unis d’Amérique ont
associé l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires aux droits
des ressortissants de l’Etat d’envoi. La Cour internationale de Justice a pour sa part,
dans l’arrêt correspondant, cité la Déclaration universelle.»60
La CIADH a également conclu ce qui suit :
«En outre, le Mexique ne prie pas la Cour de se prononcer sur le point de savoir
si la convention de Vienne sur les relations consulaires a pour objet principal la
protection des droits de l’homme ; il lui demande de dire si une disposition particulière
de cet instrument se rapporte à ladite protection. C’est là un point important, compte
tenu de la jurisprudence de la Cour en matière consultative, celle-ci ayant jugé qu’un
traité pouvait avoir trait à la protection des droits de l’homme quel que soit son objet
principal. En conséquence, même s’il est vrai que, comme cela a été relevé dans
certaines des observations qui lui ont été communiquées, la convention de Vienne sur
les relations consulaires a pour objet principal d’«établir un équilibre entre les Etats»,
58 Avis consultatif OC-16/99 du 1er octobre 1999, Le droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le
cadre des garanties d’une procédure régulière, par. 1.
59 Ibid.
60 Ibid., par. 75.
45
46
- 30 -
la Cour n’est pas tenue d’exclure d’emblée que ce traité puisse effectivement se
rapporter à la protection des droits fondamentaux de la personne sur le continent
américain.»61
155. En outre, la CIADH a jugé que
«la disposition consacrant la communication consulaire a[vait] un double objectif, à
savoir reconnaître, d’une part, le droit d’un Etat de venir en aide à ses ressortissants
par l’entremise du fonctionnaire consulaire et, d’autre part, le droit correspondant du
ressortissant de l’Etat d’envoi de contacter le fonctionnaire consulaire pour obtenir
cette assistance»62.
Au paragraphe 82, elle a relevé ceci :
«Le titulaire des droits mentionnés au paragraphe précédent, que la
communauté internationale a reconnus dans l’Ensemble de principes pour la
protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou
d’emprisonnement, est l’individu. En effet, le libellé de cet article ne laisse aucun
doute sur le fait que les droits à l’information et à la notification consulaires sont
«accordés» à la personne. A cet égard, l’article 36 est une exception notable par
rapport aux droits et obligations essentiellement étatiques prévus dans les autres
dispositions de la convention de Vienne sur les relations consulaires. Interprété dans le
sens que lui donne la Cour dans le présent avis consultatif, l’article 36 constitue un
progrès important par rapport aux conceptions traditionnelles du droit international en
la matière.»63
156. Les conclusions auxquelles la CIADH est parvenue sur cette question sont les
suivantes :
«La Cour en conclut que l’article 36 de la convention de Vienne sur les
relations consulaires confère au ressortissant étranger détenu des droits individuels qui
sont la contrepartie des obligations correspondantes de l’Etat de résidence. Cette
interprétation est étayée par l’historique de la rédaction de l’article à l’examen. Bien
que certains Etats aient estimé peu approprié en principe d’inclure dans le traité des
dispositions concernant les droits des ressortissants de l’Etat d’envoi, il a été jugé en
définitive que rien n’empêchait que cet instrument confère des droits aux individus»64
et «[l]a Cour doit à présent rechercher si les obligations et droits consacrés à
l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires se rapportent à la
protection des droits de l’homme.»65
157. La CIADH s’est ensuite penchée sur la question de savoir si l’inobservation du droit à
l’information consulaire emportait violation des droits visés à l’article 14 du PIDCP, à l’article 3 de
la Charte de l’Organisation des Etats américains (OEA) et à l’article II de la Déclaration américaine
des droits et devoirs de l’homme. Elle a cité l’avis consultatif donné par la Cour sur les
Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie
61 Avis consultatif OC-16/99 du 1er octobre 1999, Le droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le
cadre des garanties d’une procédure régulière, par. 76.
62 Ibid., par. 80.
63 Ibid., par. 82.
64 Ibid., par. 84.
65 Ibid., par. 85.
47
- 31 -
(Sud-Ouest africain), dans lequel il est précisé ce qui suit au sujet des principes d’interprétation des
traités :
«[L]a Cour doit prendre en considération les transformations survenues dans le
demi-siècle qui a suivi et son interprétation ne peut manquer de tenir compte de
l’évolution que le droit a ultérieurement connue ... De plus, tout instrument
international doit être interprété et appliqué dans le cadre de l’ensemble du système
juridique en vigueur au moment où l’interprétation a lieu. Dans le domaine auquel se
rattache la présente procédure, les cinquante dernières années ont marqué ... une
évolution importante ... Dans ce domaine comme dans les autres, le corpus juris
gentium s’est beaucoup enrichi et, pour pouvoir s’acquitter fidèlement de ses
fonctions, la Cour ne peut l’ignorer.» (Les italiques sont de nous.)66
158. Après avoir retracé la genèse du PIDCP, qui consacre le droit à une procédure régulière
en tant que droit découlant «de la dignité inhérente à la personne humaine», la CIADH a précisé
ceci :
«La Cour est d’avis que, aux fins d’assurer la «régularité de la procédure», tout
défendeur doit être en mesure d’exercer ses droits et de défendre ses intérêts de façon
effective et en pleine égalité procédurale avec les autres défendeurs.»67
Et d’ajouter :
«Si l’on veut qu’elle atteigne ses objectifs, la procédure judiciaire doit prendre
en compte et corriger les facteurs d’inégalité réelle entre les justiciables, reconnaissant
par là même le principe d’égalité devant la loi et la justice ainsi que le principe de
non-discrimination qui en découle. L’existence de désavantages réels appelle des
mesures de compensation, qui aident à réduire ou à éliminer les obstacles et les
lacunes entravant ou réduisant la possibilité de défendre effectivement ses intérêts. A
défaut de telles mesures, largement reconnues à différentes étapes de la procédure,
l’on pourrait difficilement considérer que les personnes désavantagées ont vraiment la
possibilité d’obtenir justice et de bénéficier d’une procédure régulière, sur un pied
d’égalité avec celles qui ne le sont pas.»68
159. La CIADH a par ailleurs fait une observation qui trouve un écho dans la présente
espèce :
«Dans le cas sur lequel porte le présent avis consultatif, la situation réelle des
ressortissants étrangers qui font face à une procédure pénale doit être prise en
considération. Leurs droits les plus précieux au regard de la loi, peut-être même leur
vie, sont en jeu. En pareilles circonstances, il est évident que le fait d’être informé de
son droit de contacter un fonctionnaire consulaire de son pays améliore
considérablement les chances de l’accusé de se défendre ainsi que la procédure menée
dans l’affaire en question.»69
66 Avis consultatif OC-16/99 du 1er octobre 1999, Le droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le
cadre des garanties d’une procédure régulière, par. 113 ; Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue
de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31-32.
67 Avis consultatif OC-16/99 du 1er octobre 1999, Le droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le
cadre des garanties d’une procédure régulière, par. 117.
68 Ibid., par. 119.
69 Ibid., par. 121.
48
- 32 -
Elle a également jugé que
«les droits individuels analysés dans le présent avis consultatif d[evaient] être
reconnus et considérés comme faisant partie des garanties minimales essentielles
permettant d’offrir aux ressortissants étrangers la possibilité de préparer adéquatement
leur défense et de bénéficier d’un procès équitable»70.
160. Se référant à l’approche suivie par le comité des droits de l’homme des Nations Unies
dans un certain nombre d’affaires mettant en jeu la peine de mort, la CIADH a observé que, selon
le comité, «si les garanties d’une procédure régulière établies à l’article 14 du PIDCP étaient
violées, alors celles prévues au paragraphe 2 de l’article 6 de ce même instrument l’étaient
également en cas d’exécution de la sentence»71. Conformément à cette approche, elle a jugé ce qui
suit aux paragraphes 135 à 137 de son avis consultatif :
«135. Cette tendance, qui est manifeste dans d’autres instruments
interaméricains et universels, se retrouve dans le principe internationalement reconnu
qui veut que les Etats qui n’ont pas encore aboli la peine capitale doivent, sans
exception, veiller avec la plus grande rigueur au respect de toutes les garanties
judiciaires en cas de condamnation à mort. Il va de soi que l’obligation de respecter le
droit à l’information consulaire est d’autant plus impérative en pareil cas, compte tenu
de la nature exceptionnellement grave et irréversible de la peine susceptible d’être
appliquée. Si le principe de la procédure régulière, avec l’ensemble des droits et
garanties dont il est assorti, doit être respecté quelles que soient les circonstances, son
observation prend d’autant plus d’importance lorsqu’est en jeu le droit suprême que
reconnaissent et protègent tous les traités et déclarations en matière de droits de
l’homme, à savoir le droit à la vie humaine.
136. L’exécution de la peine de mort étant irréversible, la mise en oeuvre la plus
stricte et la plus rigoureuse des garanties judiciaires est exigée de l’Etat, de sorte que
celles-ci ne soient pas violées et qu’une vie humaine ne soit pas prise arbitrairement en
conséquence.
137. Pour les motifs qui précèdent, la Cour conclut que l’inobservation du droit
à l’information d’un ressortissant étranger détenu, droit énoncé au litt. b) du
paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires,
porte atteinte aux garanties d’une procédure régulière ; en pareilles circonstances, le
prononcé de la peine de mort emporte violation du droit de ne pas être privé
«arbitrairement» de la vie, pour reprendre les termes des dispositions pertinentes des
traités concernant les droits de l’homme (telles que l’article 4 de la convention
américaine relative aux droits de l’homme et l’article 6 du PIDCP), avec les
conséquences juridiques inhérentes à une violation de cette nature, c’est-à-dire celles
qui ont trait à la responsabilité internationale de l’Etat et à l’obligation de
réparation.»72
161. Dans le droit fil de cette approche, la Commission interaméricaine des droits de
l’homme considère que toute violation du litt. b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention
de Vienne constitue un manquement aux garanties d’une procédure régulière. Ainsi, en l’affaire
Ramón Martinez Villareal c. Etats-Unis d’Amérique, elle a constaté (au paragraphe 81) que
70 Avis consultatif OC-16/99 du 1er octobre 1999, Le droit à l’information sur l’assistance consulaire dans le
cadre des garanties d’une procédure régulière, par. 122.
71 Ibid., par. 130.
72 Ibid., par. 135-137.
49
50
- 33 -
«l’Etat n’a[vait] pas informé M. Martinez Villareal de ses droits au titre du litt. b) du
paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires, et
n’a[vait], de la même manière, pas informé les autorités consulaires du Mexique de
l’arrestation de l’intéressé, puis de sa mise en accusation, ainsi que l’exig[eait] cette
disposition».
Et la Commission de poursuivre :
«83. Dans ces conditions, tout porte à croire que, en raison de son statut de
ressortissant étranger, M. Martinez Villareal a bénéficié de garanties procédurales de
moindre qualité, carence qui aurait certainement pu être atténuée s’il avait été satisfait
aux exigences du litt. b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne.
Par ailleurs, les assertions formulées par l’Etat dans la présente affaire s’agissant du
degré éventuel de connaissance ou de participation des agents consulaires mexicains
ne permettent pas à la Commission de conclure qu’il a été satisfait aux garanties d’une
procédure régulière dues à M. Martinez Villareal au regard de la déclaration
américaine [des droits et devoirs de l’homme] et des principes généraux du droit
international.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
97. Pour ce qui est de sa compétence au titre de la convention de Vienne sur les
relations consulaires, il a été clairement établi dans la décision rendue au fond en la
présente espèce que la Commission est dûment habilitée à rechercher dans quelle
mesure un Etat partie à la convention a mis en oeuvre les exigences de l’article 36 de
cet instrument, en ce que celles-ci relèvent du corpus juris gentium des règles de droit
international applicables lorsqu’il s’agit d’apprécier le respect par cet Etat des droits
énoncés par la déclaration américaine. Ainsi que l’a conclu la Commission au vu des
faits sous-tendant la réclamation de M. Villareal, le manquement à l’obligation prévue
à l’article 36 peut avoir une incidence négative directe sur la qualité des garanties
procédurales accordées au défendeur et, partant, compromettre le respect des
prescriptions des articles XVIII et XXVI de la déclaration américaine et des
dispositions similaires d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de
l’homme.»73
Dans l’affaire Cesar Fierro c. Etats-Unis d’Amérique, la Commission a indiqué ce qui suit :
«30. La réclamation présentée par les demandeurs devant la présente
Commission est fondée sur l’allégation selon laquelle, les Etats-Unis n’ayant pas
informé M. Fierro, au moment de son arrestation, de son droit de notification
consulaire tel qu’il découle de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations
consulaires ainsi que des règles correspondantes du droit international coutumier et du
droit interne des Etats-Unis, leur responsabilité est engagée à raison de la violation des
droits que M. Fierro tient des articles II, XVIII et XXVI de la déclaration américaine.
Ainsi que cela est exposé ci-dessus, les demandeurs avancent que, par suite des
décisions qu’elle a rendues les 4 août et 12 octobre 1994, la chambre pénale de la
Cour d’appel de l’Etat du Texas a privé M. Fierro de la possibilité de faire valoir ses
droits devant les tribunaux de cet Etat en excluant de la procédure sa demande fondée
sur le droit à la notification consulaire, et que les tribunaux fédéraux des Etats-Unis
ont privé M. Fierro de la possibilité de présenter toute demande en se fondant sur les
exceptions énoncées dans l’Antiterrorism and Effective Death Penalty Act [loi de 1996
sur la lutte contre le terrorisme et l’application effective de la peine de mort]. Les
73 Ramón Martinez Villareal c. Etats-Unis d’Amérique, affaire 11.753, rapport no 52/02, Commission
interaméricaine des droits de l’homme, OEA, doc. 5, rev. 1, p. 821 (2002), par. 81, 83 et 97.
51
- 34 -
décisions judiciaires versées au dossier étayent les thèses des demandeurs à cet égard.
Ceux-ci soutiennent que, à la lumière de ces éléments, il y a lieu de considérer que
M. Fierro a épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes sur la
question de la notification consulaire ou, à titre subsidiaire, qu’il a été privé de la
possibilité de faire valoir sa demande devant les juridictions internes.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
40. Au vu de ce qui précède, la Commission conclut que, parmi les garanties
d’une procédure régulière qui étaient dues à M. Fierro au titre des articles XVIII et
XXVI de la déclaration américaine, figurait le droit fondamental à l’information prévu
par le litt. b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les
relations consulaires, et que le fait pour l’Etat de n’avoir ni respecté ni garanti cette
obligation constitue une violation grave des droits à une procédure régulière et à un
procès équitable reconnus à M. Fierro en vertu desdits articles de la déclaration.
41. La Commission estime par conséquent que, si l’Etat devait exécuter
M. Fierro sur le fondement des chefs d’accusation qui lui ont valu d’être déclaré
coupable et condamné, cela constituerait une privation arbitraire de la vie de
l’intéressé contraire à l’article I de la déclaration.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
66. Ayant examiné les observations de l’Etat concernant les conclusions et
recommandations qu’elle a formulées, la Commission tient à souligner qu’elle estime
encourageantes les mesures prises par les Etats-Unis pour favoriser le respect des
obligations que leur impose la convention de Vienne sur les relations consulaires en
matière de notification et de communication. L’Etat semble avoir pris, à cet égard, un
certain nombre de mesures aux fins de mettre en oeuvre la deuxième recommandation
de la Commission, telle que rappelée ci-après. La Commission ne saurait toutefois
admettre l’affirmation de l’Etat selon laquelle le respect du droit dont jouit un
ressortissant étranger d’informer les autorités consulaires et de bénéficier de leur
assistance est dépourvu de pertinence aux fins de la question des garanties d’une
procédure régulière et d’un procès équitable qui découlent des instruments
internationaux relatifs aux droits de l’homme, et notamment de la déclaration
américaine. Ainsi que la Commission l’a déjà constaté, compte tenu du caractère
fondamental de certaines garanties d’une procédure régulière telles que les droits du
défendeur d’être préalablement informé en détail des charges retenues contre lui et de
bénéficier d’un conseil juridique effectif, un ressortissant étranger poursuivi devant les
juridictions pénales pourrait se trouver considérablement désavantagé s’il ne
bénéficiait pas de l’assistance des autorités consulaires de son pays. Chaque cas doit
être apprécié selon ses circonstances particulières. Toutefois, lorsqu’il est prouvé que
l’Etat n’a pas informé le ressortissant étranger de son droit à la notification et
l’assistance consulaires, il existe une très forte présomption d’iniquité, à moins qu’il
puisse être établi que la procédure était équitable en dépit du défaut de notification. Si,
en la présente affaire, l’Etat affirme que les protections prévues par son système
juridique sont parmi les plus solides et les plus étendues au monde, cela n’exclut pas
que l’accès à l’assistance consulaire puisse avoir une incidence sur le caractère
équitable de poursuites pénales intentées aux Etats-Unis contre un ressortissant
étranger. On pense notamment à la faculté du défendeur de rassembler des éléments de
52
53
- 35 -
preuve susceptibles de le faire bénéficier de circonstances atténuantes ou toute autre
information pertinente émanant de son pays d’origine.»74
162. L’historique de l’affaire Medellín illustre bien l’importance de l’article 36 en ce qui
concerne les garanties d’une procédure équitable. Dans cette affaire, les Etats-Unis soutenaient que
leur droit interne prévoyait en la matière des protections strictes s’appliquant indépendamment de
tout droit de notification, de communication ou d’assistance consulaires, et que ces normes étaient
parmi les plus solides et les plus étendues au monde. L’affaire Medellín a elle aussi été renvoyée
devant la Cour suprême américaine, laquelle a, dans son arrêt du 25 mars 2008, tout en
reconnaissant que l’arrêt Avena créait une obligation internationale à la charge des Etats-Unis,
estimé que, aucune loi n’ayant été promulguée en vue de son exécution, cette obligation n’était pas
contraignante en droit interne. La Cour suprême a donc déclaré contraire à la Constitution le
mémorandum du président tendant à ce que l’arrêt Avena soit exécuté. Ce nonobstant, la
Commission interaméricaine des droits de l’homme, quant à elle, a indiqué ce qui suit :
«132. Au vu de ce qui précède, la Commission conclut que l’obligation
incombant à l’Etat en application du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de
Vienne sur les relations consulaires d’informer MM. Medellín, Ramírez Cardenas et
Leal García de leur droit de notification et d’assistance consulaires constituait un
élément fondamental des garanties d’une procédure régulière qui étaient dues aux
intéressés au titre des articles XVIII et XXVI de la déclaration américaine, et que le
fait que l’Etat n’ait pas respecté cette obligation et n’en ait pas assuré l’exécution a
privé les intéressés d’une procédure pénale satisfaisant aux conditions minimales
d’une procédure régulière et d’un procès équitable prescrites par les articles XVIII et
XXVI de la déclaration.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
155. En la présente affaire, la Commission a établi que, en ne fournissant pas
aux victimes une représentation juridique compétente dans le cadre de la procédure
pénale, et en ne permettant pas à MM. Medellín, Ramírez Cardenas et Leal García
d’exercer leur droit de notification des autorités consulaires au titre du litt. b) du
paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne, l’Etat s’est rendu responsable
de manquements aux obligations qui lui incombent au titre des articles XVIII et XXVI
de la déclaration américaine. La Commission estime donc que l’imposition de la peine
capitale en la présente affaire constitue une privation arbitraire de la vie, proscrite par
l’article I de la déclaration. Au surplus, en exécutant M. Medellín en application de la
condamnation à mort prononcée contre lui, l’Etat a commis une violation délibérée et
manifeste de l’article I de la déclaration américaine ; s’il devait exécuter
MM. Ramírez Cardenas et Leal García, il commettrait de nouveau cette même
violation.»75
163. Au vu de ces éléments, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a
déclaré qu’il convenait d’
«[a]nnuler les condamnations à mort prononcées et [d’]offrir aux victimes un recours
effectif, notamment par un nouveau procès offrant les garanties d’égalité, de
procédure régulière et de procès équitable prescrites par les articles I, XVIII et XXVI
74 Cesar Fierro c. Etats-Unis d’Amérique, affaire 11.331, rapport n° 99/03, Commission interaméricaine des
droits de l’homme, OEA, doc. Ser./L/V/II.114, doc. 70, rev. 1, p. 769 (2003), par. 30, 40, 41 et 66.
75 Medellín, Ramírez Cardenas et Leal García, Etats-Unis, recevabilité et fond (publication), affaire 12.644,
rapport no 90/09, Commission interaméricaine des droits de l’homme, OEA (7 août 2009), par. 132, 155.
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- 36 -
de la déclaration américaine, en ce compris le droit de bénéficier d’une représentation
juridique compétente»76.
IX. LE PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX
DROITS CIVILS ET POLITIQUES
164. Le Comité des droits de l’homme, lors de sa quatre-vingt-dixième session, qui s’est
tenue à Genève en juillet 2007, s’est penché sur l’article 14 du PIDCP dans son observation
générale no 32. Il a indiqué ce qui suit :
«[l]e droit d’accès aux tribunaux et aux cours de justice ainsi que le droit à l’égalité
devant ces derniers, loin d’être limité aux citoyens des Etats parties, doit être accordé
aussi à tous les individus, quelle que soit leur nationalité ou même s’ils sont apatrides,
par exemple aux demandeurs d’asile, réfugiés, travailleurs migrants, enfants non
accompagnés et autres personnes qui se trouveraient sur le territoire de l’Etat partie ou
relèveraient de sa juridiction»77.
Le Comité a précisé que
«[l]e terme «tribunal», au paragraphe 1 de l’article 14, désign[ait] un organe, quelle
que soit sa dénomination, qui est établi par la loi, qui est indépendant du pouvoir
exécutif et du pouvoir législatif ou, dans une affaire donnée, qui statue en toute
indépendance sur des questions juridiques dans le cadre de procédures à caractère
judiciaire. La deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 garantit l’accès à un
tribunal à toute personne qui fait l’objet d’une accusation en matière pénale.»78
Et d’ajouter que
«[l]a garantie d’indépendance port[ait], en particulier, sur la procédure de nomination
des juges, les qualifications qui leur sont demandées et leur inamovibilité jusqu’à l’âge
obligatoire de départ à la retraite ou l’expiration de leur mandat pour autant que des
dispositions existent à cet égard ; les conditions régissant l’avancement, les mutations,
les suspensions et la cessation de fonctions ; et l’indépendance effective des
juridictions de toute intervention politique de l’exécutif et du législatif»79
et que «le tribunal d[evait] aussi donner une impression d’impartialité à un observateur
raisonnable»80. Le Comité a relevé l’existence du phénomène des «juges sans visage» faisant
observer que, en pareils cas, l’accusé pâtissait non seulement de ce que l’identité et le statut des
juges n’étaient pas révélés
«mais … aussi … d’irrégularités, comme l’exclusion du public, ou même de l’accusé
[lui-même] ou de son représentant ; [de] restrictions du droit d’avoir un défenseur de
son choix ; [de] restrictions graves ou [d’un] déni du droit du défendeur de
communiquer avec son avocat, en particulier lorsqu’il est détenu au secret ; [de]
menaces dirigées contre les avocats ; [d’un] temps insuffisant pour préparer la
76 Medellín, Ramírez Cardenas et Leal García, Etats-Unis, recevabilité et fond (publication), affaire 12.644,
rapport no 90/09, Commission interaméricaine des droits de l’homme, OEA (7 août 2009), par. 160.1.
77 Comité des droits de l’homme, observation générale no 32, quatre-vingt-dixième session, Genève (9-27 juillet
2007), par. 9.
78 Ibid., par. 18.
79 Ibid., par. 19.
80 Ibid., par. 21.
55
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- 37 -
défense ; [de] restrictions graves ou [d’un] déni du droit de faire comparaître et
d’interroger ou faire interroger des témoins, y compris l’interdiction de procéder au
contre-interrogatoire de certaines catégories de témoins, par exemple les
fonctionnaires de police ayant arrêté et interrogé le défendeur. Les procès devant les
tribunaux composés ou non de «juges sans visage», en particulier dans de telles
circonstances, ne remplissent pas les conditions fondamentales d’un procès équitable
et, en particulier, la prescription selon laquelle le tribunal doit être indépendant et
impartial.»81
165. Au paragraphe 37, le Comité a fait observer ce qui suit :
«Deuxièmement, le droit de toute personne accusée d’un crime de se défendre
elle-même ou d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix, et d’être informée de
ce droit, comme prévu à l’alinéa d) du paragraphe 3 de l’article 14, fait référence à
deux types de défense qui ne sont pas incompatibles. Les personnes qui se font aider
par un avocat ont le droit de donner des instructions à celui-ci sur la conduite de la
défense, dans les limites de la responsabilité professionnelle, et de témoigner en leur
nom propre. En même temps, le texte du Pacte est clair dans toutes les langues
officielles, puisqu’il dispose que l’accusé peut se défendre lui-même «ou» avoir
l’assistance d’un défenseur de son choix, ce qui lui laisse la possibilité de refuser
l’assistance d’un conseil. Le droit d’assurer sa propre défense sans avocat n’est
cependant pas absolu. L’intérêt de la justice peut, dans certaines circonstances,
nécessiter la commission d’office d’un avocat contre le gré de l’accusé, en particulier
si l’accusé fait de manière persistante gravement obstruction au bon déroulement du
procès, si l’accusé doit répondre à une accusation grave mais est manifestement
incapable d’agir dans son propre intérêt, ou s’il s’agit, le cas échéant, de protéger des
témoins vulnérables contre les nouveaux traumatismes que l’accusé pourrait leur
causer ou les manoeuvres d’intimidation qu’il pourrait exercer contre eux en les
interrogeant lui-même. Cependant, les restrictions du droit de l’accusé d’assurer sa
propre défense doivent servir un but objectif et suffisamment important et ne pas aller
au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts de la justice. Par conséquent,
la législation interne devrait éviter d’exclure purement et simplement le droit d’assurer
sa propre défense dans une procédure pénale, sans l’assistance d’un conseil.»82
Lorsqu’une personne est poursuivie en justice par un Etat étranger, son droit de bénéficier de
l’assistance d’un avocat pour assurer sa défense prend sens avec l’application de la procédure de
l’article 36 de la convention de Vienne.
166. Les droits de l’homme au sens large sont sous-jacents à l’évolution de la jurisprudence
de la Cour, car, en dernière analyse, l’existence de bonnes relations entre les Etats, qui permettent à
la paix et à l’harmonie de régner, crée les conditions pour que soient considérés comme inviolables
les droits de l’homme tels que le droit à la vie, le droit de vivre avec dignité et de bénéficier des
privilèges inhérents à l’humanité.
167. L’article 36, qui a cristallisé en un traité multilatéral une pratique des postes
consulaires, a trait aux droits de l’homme, même si, en lui-même, il n’a pas pour objet de créer des
droits qui peuvent être qualifiés comme tels.
81 Comité des droits de l’homme, observation générale no 32, quatre-vingt-dixième session, Genève (9-27 juillet
2007), par. 23.
82 Ibid., par. 37.
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168. Après l’adoption de la convention en 1963, les droits de l’homme se sont cristallisés
dans le PIDCP, les Etats ayant signé et ratifié la convention devant être jugés au regard des
engagements formels qu’ils ont pris dans le cadre de cet instrument multilatéral. Le Pakistan a
signé le Pacte le 17 avril 2008 et l’a ratifié le 23 juin 2010, l’Inde y ayant adhéré le 10 avril 1979.
X. LES NORMES INTERNATIONALES MINIMALES
169. Les principes de droit international, désormais considérés comme des «normes
internationales minimales», sont reconnus par les organes internationaux. Le droit interne et la
pratique étatique ne sauraient être invoqués lorsque le comportement d’un Etat contrevient aux
normes internationales minimales garantissant la régularité de la procédure. Tout comportement
d’un Etat pouvant être qualifié de cruel et d’inhumain constitue une violation de la norme minimale
qui prévaut en droit international.
170. Pour reprendre les termes employés par la commission générale des réclamations dans
l’affaire Etats-Unis c. Mexique83 (l’affaire Neer), le bien-fondé des actes gouvernementaux doit
être apprécié à l’aune des normes internationales, le traitement d’un ressortissant étranger
constituant un acte délictueux s’il s’agit d’un acte de violence, d’une négligence délibérée, ou d’un
comportement «tellement éloigné des normes internationales que toute personne raisonnable et
objective conviendrait immédiatement de son insuffisance»84.
171. Dans l’affaire Roberts c. United Mexican States85, la commission générale des
réclamations avait conclu que
«[l]es faits se rapportant à l’égalité de traitement des ressortissants étrangers et des
nationaux [pouvaient] être importants pour déterminer le bien-fondé d’une plainte
pour mauvais traitement introduite par un ressortissant étranger, mais que cette égalité
de traitement n’[était] pas le critère absolu de la légitimité des actes des autorités au
regard du droit international. Il s’agit en effet, de manière plus générale, de savoir si
les ressortissants étrangers sont traités conformément aux normes prévalant
habituellement dans nos civilisations»86.
172. Dans l’essai qu’il a consacré aux normes minimales à respecter en matière de traitement
des ressortissants étrangers, Edwin Borchard87 relève que «la notion de procédure régulière a été,
dans une certaine mesure, internationalisée par le fait que les tribunaux internationaux se sont
développés sur la base d’une pratique interne moyenne, et non de la plus rudimentaire»88. Selon cet
auteur,
«il est donc évident que, en ce qui concerne les questions de fond comme de
procédure, le droit international, tel qu’il trouve son expression dans la pratique
diplomatique et les décisions arbitrales, a établi l’existence d’une norme internationale
83 L.F.H Neer and Pauline Neer (U.S.A) v. United Mexican States (15 octobre 1926), Nations Unies, Recueil des
sentences arbitrales (RSA), vol. IV, p. 60-66.
84 Ibid., par. 4.
85 Harry Roberts (U.S.A) v. United Mexican States (2 novembre 1926), RSA, vol. IV, p. 77-81.
86 Ibid., par. 8.
87 “The ‘Minimum Standard’ of the Treatment of Aliens”, Edwin Borchard, (1940), Michigan Law Review, 4e éd.,
vol. 38, p. 445.
88 Ibid., p. 449.
58
59
- 39 -
minimale à laquelle tous les Etats civilisés sont tenus de se conformer sous peine de
voir leur responsabilité engagée»89.
Et Edwin Borchard d’ajouter : «[d]es tribunaux équitables, aisément accessibles aux ressortissants
étrangers, administrant la justice de façon honnête et impartiale, sans parti pris politique, semblent
essentiels à toute procédure internationale régulière»90.
173. Le PIDCP constitue, de toute évidence, un traité «normatif» créant des obligations
juridiques et des normes générales, ces dernières se présentant sous la forme de propositions
juridiques visant à régir le comportement des Etats parties, mais sans se limiter nécessairement à ce
comportement inter se. Le nombre de parties, leur acceptation explicite des règles énoncées dans
ledit traité et le caractère déclaratoire des dispositions de ce dernier «se conjuguent pour engendrer
un puissant effet normatif»91.
174. Dans la sentence arbitrale qu’il a rendue en l’affaire Pope and Talbot Inc
c. Gouvernement du Canada92, le tribunal de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA),
après avoir examiné les nombreux traités bilatéraux en matière d’investissements négociés au cours
des décennies écoulées, a jugé que, «en appliquant les règles ordinaires pour déterminer la teneur
de la coutume en droit international, force [était] de conclure que la pratique des Etats [était]
désormais reflétée par ces traités»93. Il a repris un passage de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire
de l’Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie)94, dans lequel il est indiqué
que «[l]’arbitraire n’est pas tant ce qui s’oppose à une règle de droit que ce qui s’oppose au règne
de la loi»95. Et le tribunal de conclure que
«la Cour internationale de Justice s’est écartée de la formulation de l’arrêt Neer … Il
ne s’agit plus d’exiger que toute personne raisonnable et objective soit indignée ; il
suffit désormais que l’observateur soit surpris par les actes du gouvernement. De plus,
il va de soi que le fait de remplacer l’idée de neutralité de «l’action gouvernementale»
par la notion de «procédure régulière» rend nécessairement la formulation plus
dynamique et adaptée aux critères d’évaluation du traitement réservé par les
gouvernements aux populations et aux sociétés, critères à la fois plus rigoureux et en
perpétuelle évolution.»96
175. Etant largement acceptés, les principes contenus dans la convention de Vienne et le
PIDCP peuvent désormais être qualifiés d’obligations erga omnes. Pour les Etats qui ont signé et
ratifié tant la convention et son protocole de signature facultative que le Pacte, les droits découlant
de l’article 14 de ce dernier deviennent indissociablement liés à la procédure énoncée au litt. b) du
paragraphe 1) de l’article 36, puisque celle-ci crée un mécanisme par lequel les garanties d’une
procédure régulière  c’est-à-dire le droit de tout ressortissant étranger de se défendre dans un Etat
étranger après avoir été dûment informé des charges retenues contre lui et de son droit d’engager
89 “The ‘Minimum Standard’ of the Treatment of Aliens”, Edwin Borchard, (1940), Michigan Law Review, 4e éd.,
vol. 38, p. 456-457.
90 Ibid., p. 460.
91 Brownlie’s Principles of Public International Law, James Crawford, 8e éd., p. 31.
92 Pope and Talbot Inc. v. Government of Canada, sentence du 31 mai 2002 relative aux dommages, ILM, vol. 41
(2002), p. 1347 (anglais uniquement).
93 Ibid., par. 62.
94 Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 15.
95 Ibid., p. 76, par. 128.
96 Pope and Talbot Inc. v. Government of Canada, sentence du 31 mai 2002 relative aux dommages, ILM, vol. 41
(2002), par. 63-64 (anglais uniquement).
60
- 40 -
un avocat de son choix  peuvent être traduits dans les faits. Ainsi, un manquement à l’article 36
pourrait entraîner une violation de l’article 14 du PIDCP.
176. Bien que toute inobservation de l’article 14 ne donne pas nécessairement lieu en soi à
réparation, lorsqu’un manquement à l’article 36 entraîne la violation du droit énoncé à l’article 14,
ou une aggravation de cette violation, les principes de la responsabilité de l’Etat doivent lui être
appliqués en tenant compte de l’interaction entre les deux dispositions et, partant, en tenant compte
des graves conséquences de ces manquements conjugués.
177. Dès lors, l’interaction entre l’article 36, les garanties énoncées dans le PIDCP et les
principes régissant la régularité de la procédure, en tant que droits de l’homme minimaux garantis,
devrait avoir une incidence cruciale sur l’élaboration d’un remède approprié, de manière à atteindre
l’objectif souhaité de restitutio in integrum.
178. Les droits de l’homme, ainsi que les mesures énoncées dans divers traités qui ont été
conçues pour respecter la valeur fondamentale de dignité humaine, doivent être considérés à la
lumière de leur effet conjugué ; lorsque le comportement d’un Etat engendre la violation d’un
ensemble de principes, certains découlant de traités, d’autres fondés sur des principes de droit
international liant les Etats erga omnes, les principes de la responsabilité de l’Etat devraient être
appliqués en ayant à l’esprit la gravité de la violation du droit international commise par l’Etat
contrevenant, et non en examinant les violations de chaque traité ou les obligations erga omnes
séparément.
179. Dans le cadre de l’élaboration d’un remède à titre de réparation ou de restitution
effective, toute violation de l’article 14 du PIDCP, notamment lorsqu’elle revêt un caractère
continu, constitue un élément très important devant être pris en considération. Toute mesure de
restitution ou de réparation risquant de perpétuer la violation de l’article 14 ou de légitimer l’acte
délictueux en cause n’est pas conforme au droit international et aux principes de la responsabilité
de l’Etat.
XI. LE TRIBUNAL MILITAIRE DU PAKISTAN
180. Le tribunal militaire qui a «jugé» M. Jadhav a été créé conformément à la loi militaire
pakistanaise de 1952. L’article 2 de ce texte a été modifié périodiquement et, en janvier 2015, le
Pakistan a conféré aux tribunaux militaires le pouvoir de juger des civils pour des infractions liées
au terrorisme. La Constitution pakistanaise a été amendée à cet effet, de même que la loi militaire
de 195297.
181. Les cours martiales font l’objet du chapitre IX de ladite loi, M. Jadhav ayant été jugé
par une cour martiale générale créée en application de l’article 59 de celle-ci. Cette disposition
étend la compétence des tribunaux militaires aux civils. Une cour martiale générale est convoquée
par le chef d’état-major des armées ou un officier habilité par lui, et doit comprendre au moins trois
officiers (aux termes de l’article 84, lu conjointement avec l’article 87). Le président de la cour
d’appel générale est désigné par l’officier ayant convoqué celle-ci (art. 102). Les conclusions de la
cour d’appel générale, ainsi que la peine prononcée par elle, sont confirmées par ce même officier.
L’article 133 B prévoit que les personnes condamnées à la peine capitale peuvent exercer un
recours auprès d’une cour d’appel, qui se compose soit du chef d’état-major des armées, soit d’un
ou de plusieurs officiers désignés par lui et ayant un grade au moins égal à celui prescrit par la loi.
97 Commission internationale de juristes, Comité des droits de l’homme des Nations Unies, cent dix-huitième
session, Genève (17 octobre-4 novembre 2016), par. 5.
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182. Dans la présente affaire, le chef d’état-major des armées a confirmé la peine prononcée
par la cour d’appel générale. De plus, le conseiller pour les affaires étrangères auprès du premier
ministre (un haut fonctionnaire pakistanais) a fait une déclaration à la presse le 14 avril 2017, dans
laquelle il a relevé que,
«tout d’abord, de part et d’autre de l’échiquier politique, tous [étaient] unanimes pour
dire que la décision, prise au terme d’une procédure équitable et eu égard à des
preuves accablantes, de condamner à la peine capitale un espion étranger qui ne se
contentait pas de se livrer à des activités subversives sur le sol pakistanais, mais
promouvait de fait le terrorisme, [était] justifiée».
183. Il apparaît clairement que le procès de M. Jadhav est un simulacre et une parodie de
procédure équitable. Avant même que l’intéressé ne puisse interjeter appel de sa condamnation, un
haut fonctionnaire du Gouvernement confirmait, dans une déclaration, le bien-fondé de celle-ci et
de la peine prononcée. L’appel que M. Jadhav aurait formé et la prétendue issue de cette procédure
sont également une parodie de justice. Nul ne sait ce qu’il est advenu de la démarche entreprise par
la mère de l’intéressé, mais il est évident que ce recours introduit devant une cour d’appel militaire
subordonnée au chef d’état-major des armées (qui a déjà confirmé la peine), sans avoir pu accéder
aux éléments de preuve relatifs aux charges retenues contre l’accusé ni à l’ordonnance condamnant
celui-ci, n’est pas conforme aux règles d’une procédure régulière.
184. Le fonctionnement des tribunaux militaires pakistanais a fait l’objet de critiques de la
part du Parlement européen, qui, dans une résolution en date du 15 juin 2017, a indiqué ce qui suit :
«considérant que les tribunaux militaires ont été autorisés pour une période de deux
ans, alors que le système judiciaire civil devait être renforcé ; que peu de progrès ont
été accomplis dans le développement du système judiciaire et que, le 22 mars 2017,
les tribunaux militaires ont été rétablis pour une période supplémentaire de deux ans,
décision qui a suscité la controverse»98.
En outre, le Parlement européen
«déplore le recours, au Pakistan, à des tribunaux militaires qui tiennent des audiences
secrètes et jugent des affaires civiles ; insiste pour que les autorités pakistanaises
permettent aux observateurs internationaux et aux organisations de défense des droits
de l’homme de surveiller le recours aux tribunaux militaires ; appelle aussi à une
transition immédiate et transparente vers des juridictions civiles indépendantes,
conformément aux normes internationales en matière de procédures judiciaires ;
souligne que les ressortissants de pays tiers traduits en justice doivent avoir accès aux
services et à la protection consulaires»99.
185. La commission internationale de juristes, quant à elle, a soumis un rapport au Comité
des droits de l’homme des Nations Unies afin qu’il l’examine lors de sa cent dix-huitième session à
Genève. Parmi les observations importantes formulées dans ce rapport, on citera les suivantes :
«8. Selon les normes internationales, la compétence des tribunaux militaires
devrait être limitée aux seules infractions spécifiquement militaires commises par des
militaires ; en règle générale, il ne devrait pas être recouru à ces juridictions pour juger
des civils ou des personnes accusées de violations graves des droits de l’homme.
98 Résolution du Parlement européen du 15 juin 2017 sur le Pakistan, et plus particulièrement sur la situation des
défenseurs des droits de l’homme et sur la peine de mort (2017/2723(RSP)), par. F.
99 Ibid., par. 5.
63
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
10. Dans le projet de principes sur l’administration de la justice par les
tribunaux militaires, qui a été adopté en 2006 par l’ancienne sous-commission de la
promotion et de la protection des droits de l’homme, il est indiqué que la compétence
des juridictions militaires devrait être limitée aux infractions d’ordre militaire
commises par le personnel militaire. L’accent est également mis sur le droit à un
procès équitable, notamment celui d’interjeter appel devant des juridictions civiles, et
sur le fait que les civils accusés d’avoir commis une infraction pénale de quelque
nature que ce soit devraient être jugés par de telles juridictions.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
12. Selon les normes internationales, les tribunaux militaires doivent, comme
toutes les autres juridictions, être indépendants, impartiaux et compétents, et respecter
les garanties minimales d’équité, notamment celles qui sont énoncées à l’article 14 du
PIDCP.
13. Les tribunaux militaires pakistanais ne sont pas indépendants et la procédure
qu’ils appliquent n’est pas conforme aux normes nationales et internationales
garantissant un procès équitable. Les juges qui les composent sont des officiers
appartenant au pouvoir exécutif et ne sont pas indépendants par rapport à la hiérarchie
militaire. Ils ne sont pas tenus d’avoir une formation judiciaire ou juridique, ni même
un diplôme en droit, et ne sont pas inamovibles, conditions pourtant essentielles à la
compétence et à l’indépendance des magistrats.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
22. Pour ces raisons, la commission recommande que les questions suivantes
soient ajoutées à la liste de celles qui devront être posées au Pakistan dans le cadre de
l’examen qui lui est consacré :
 Le Pakistan entend-il reconduire le vingt et unième amendement une fois celui-ci
expiré, en janvier 2017 ?
 Quelles mesures le Pakistan a-t-il prises depuis janvier 2015 pour permettre au
système judiciaire pénal ordinaire de juger efficacement les affaires touchant au
terrorisme ?
 Comment le gouvernement s’assure-t-il que les droits fondamentaux à un procès
équitable sont garantis aux personnes jugées par des tribunaux militaires ?
 Quelles mesures le gouvernement a-t-il prises pour s’assurer que les juridictions
militaires ne jugent pas des enfants ?
 Les personnes traduites devant un tribunal militaire ont-elles le droit de désigner
un avocat de leur choix ?
 Les jugements rendus par les tribunaux militaires comportent-ils un exposé
détaillé des motifs ? Ces jugements sont-ils accessibles au public ?
 Quelles mesures le gouvernement a-t-il prises pour s’assurer que les personnes
jugées par des tribunaux militaires ne sont pas soumises à la torture ou à d’autres
mauvais traitements au cours de leur détention par les autorités militaires ?
64
65
- 43 -
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
38. La loi militaire pakistanaise empêche les juridictions civiles d’exercer leur
compétence en matière d’appel en ce qui concerne les décisions rendues par des
tribunaux militaires. Les juridictions civiles pakistanaises ont estimé qu’elles
pourraient se déclarer compétentes à titre exceptionnel pour connaître d’affaires
traitées par la justice militaire lorsque, «en effectuant un acte ou en rendant une
ordonnance, une quelconque autorité liée aux forces armées du Pakistan a agi en
dehors de son champ de compétence ou de mauvaise foi». Sur cette base, Javed Iqbal
Ghauri a contesté la condamnation et la peine prononcées contre son fils en invoquant
la violation du droit à un procès équitable. La Haute Cour de Lahore a toutefois rejeté
son recours le 27 janvier 2016. L’ordonnance de trois pages rendue par cette
juridiction n’a pas répondu aux préoccupations spécifiquement formulées par
l’intéressé, notamment les allégations de disparition forcée. L’affaire est actuellement
pendante devant la Cour suprême.»100
186. En juin 2017, la commission internationale de juristes a présenté un second rapport au
Comité des droits de l’homme avant que celui-ci n’examine le rapport initial du Pakistan lors de sa
cent vingtième session, à Genève, le mois suivant. Certaines des observations importantes
contenues dans ce rapport sont reproduites ci-après :
«5. Le système de «justice militaire» du Pakistan place le pays en situation de
violation manifeste de ses obligations juridiques et de ses engagements politiques en
ce qui concerne le respect du droit à la vie, le droit à un procès équitable, ainsi que
l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
6. Au cours des deux années qui se sont écoulées depuis que les tribunaux
militaires ont été habilités à juger des civils pour des infractions qui seraient liées au
terrorisme, au moins 274 civils, dont peut-être des enfants, ont été condamnés à l’issue
de procédures opaques et secrètes ; 161 ont été condamnés à mort et au moins 48 ont
été pendus à l’issue de procès manifestement inéquitable. Dans toutes ces affaires, les
autorités gouvernementales et militaires n’ont rendu publique aucune information
relative à la date et au lieu de la tenue des procès, aux accusations précises et aux
éléments de preuve présentés contre les défendeurs, ni même aux décisions des
tribunaux militaires, y compris les principales conclusions, le raisonnement juridique
et les éléments de preuve qui ont fondé les condamnations.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
12. Les tribunaux militaires pakistanais ne sont pas indépendants et la procédure
qu’ils appliquent n’est pas conforme aux normes nationales et internationales
garantissant un procès équitable. Les juges qui les composent sont des officiers
appartenant au pouvoir exécutif et ne sont pas indépendants par rapport à la hiérarchie
militaire. Ils ne sont pas tenus d’avoir une formation judiciaire ou juridique, ni même
un diplôme en droit, et ne sont pas inamovibles, conditions pourtant essentielles à la
compétence et à l’indépendance des magistrats.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
15. Au moins 159 des 168 civils (95 %) dont les condamnations ont été
reconnues publiquement par l’armée auraient «avoué» les actes qui leur étaient
reprochés. En l’absence de garanties adéquates et de mécanismes de recours
100 Commission internationale de juristes, Comité des droits de l’homme des Nations Unies, cent dix-huitième
session, Genève (17 octobre-4 novembre 2016), par. 8, 10, 12, 13, 22, 38.
66
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indépendants applicables aux procédures militaires, ce taux particulièrement élevé
d’«aveux» soulève de sérieuses questions quant au caractère volontaire de ceux-ci,
voire à d’éventuels actes de torture et autres mauvais traitements qui auraient été
infligés aux intéressés dans le but de leur extorquer ces aveux.
16. Les Etats doivent s’assurer que personne n’est détenu au secret, que ce soit
dans des centres de détention officiellement reconnus ou en d’autres lieux. Le Comité
des droits de l’homme a précisé que la détention au secret était interdite au regard du
PIDCP et que «[l]es détenus d[evaient] être placés uniquement dans des
établissements officiellement reconnus comme des lieux de détention». Le Comité des
Nations Unies contre la torture a lui aussi déclaré à maintes reprises que les personnes
accusées d’un crime devaient être détenues et interrogées dans des lieux de détention
officiellement reconnus et que la détention au secret, sans possibilité pour les détenus
de communiquer avec le monde extérieur, devait également être interdite. Dans ses
observations finales concernant le Pakistan, le Comité contre la torture a demandé
instamment à celui-ci de «veiller à ce que nul ne soit gardé au secret dans tout
territoire relevant de l’Etat partie, le placement en détention dans ces conditions
constituant, en soi, une violation de la Convention.»
17. Or, les suspects jugés par des tribunaux militaires pakistanais étaient
souvent détenus au secret et privés de tout contact avec les membres de leurs familles,
leurs avocats et les ONG ; les procédures étaient totalement secrètes et inaccessibles
au public ; et l’accusé ne pouvait interjeter appel devant les tribunaux civils.
Entièrement privés de contact avec le monde extérieur, ils couraient un risque élevé
d’être torturés et maltraités.
18. Les proches de certaines des personnes condamnées par des tribunaux
militaires ont déposé une requête devant la Cour suprême du Pakistan pour contester,
notamment, la légalité et le caractère volontaire des «aveux» des accusés. En août
2016, la Cour suprême a cependant rejeté toutes les requêtes sans examiner en détail
les allégations de torture et autres mauvais traitements. Elle a de nouveau fait état des
limites de sa compétence en matière de revision et relevé que, puisque les «aveux»
avaient été recueillis par un magistrat et que les accusés n’étaient pas revenus dessus,
leur véracité était avérée.
19. La commission relève que la Cour suprême traite de manière très différente
les questions relatives à la véracité et au caractère volontaire des «aveux» selon qu’il
s’agit d’un procès devant un tribunal militaire ou d’une affaire portée devant une
juridiction civile. Il ressort clairement d’un examen du droit et de la jurisprudence
pakistanaise sur plusieurs décennies que, lorsqu’il recueille des «aveux», un magistrat
doit s’entourer d’un certain nombre de précautions obligatoires. Suivant les termes
employés par la Cour suprême, celles-ci ont pour finalité essentielle de débarrasser
«l’accusé de tout sentiment de peur que les enquêteurs ont pu instiller en lui» et de lui
fournir l’«assurance totale» qu’il ne sera pas remis à la police s’il ne fait pas
volontairement des aveux. La Cour suprême a également jugé que les aveux seraient
illégaux ou dépourvus de force probante si ces instructions n’étaient pas respectées.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
21. Ces garanties ont cependant été totalement foulées aux pieds dans le cadre
des procédures de «justice militaire». Les suspects ont été détenus en permanence par
les autorités militaires, même après que le magistrat eut recueilli leurs «aveux». Ils
n’ont en outre pas eu accès au monde extérieur, ce qui a aggravé leur vulnérabilité
face aux pressions et à la contrainte. Certains d’entre eux auraient été victimes dès
2010 de disparitions forcées organisées par les autorités militaires, et détenus au secret
67
68
- 45 -
dans des centres d’internement situés dans les zones tribales sous administration
fédérale pendant de nombreuses années avant l’ouverture de leur procès militaire.
Dans ces conditions, les «aveux» faits par des suspects devant des tribunaux militaires
soulèvent de sérieuses questions en ce qui concerne leur caractère volontaire et la
manière dont ils ont été obtenus, tout en suscitant des craintes quant à l’utilisation de
la torture et d’autres mauvais traitements.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
25. Il convient de noter que le champ de la revision judiciaire est extrêmement
limité en droit pakistanais. Les tribunaux ont également interprété de manière
restrictive leurs compétences en la matière et jugé que, «en tant que juridiction
constitutionnelle, la Haute Cour n’[était] pas une juridiction d’appel et n’[était] donc
pas autorisée à analyser chacun des éléments de preuve afin de rendre une décision»,
et que «les questions de fait controversées … ne p[ouvaient] être examinées dans le
cadre de cette compétence extraordinaire limitée».
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
28. Depuis le mois de janvier 2017, au moins 161 personnes ont été
condamnées à mort après avoir été reconnues coupables par des tribunaux militaires
sur la base d’«aveux» (voir la section ci-dessus s’agissant des problèmes soulevés par
le taux élevé d’«aveux» et les conditions dans lesquelles ceux-ci ont probablement été
obtenus). Parmi ces 161 personnes condamnées à mort, au moins 48 civils ont déjà été
exécutés entre janvier 2015 et mai 2017. Au regard du droit international, et
notamment de l’article 6 du PIDCP, la peine de mort ne peut être exécutée qu’en
application d’une décision définitive rendue par un tribunal compétent. Les garanties
qui doivent être fournies tout au long de la procédure juridique pour s’assurer d’un
procès équitable dans des affaires dans lesquelles la peine de mort peut être prononcée
doivent être au moins équivalentes à celles qui sont prévues à l’article 14 du
PIDCP.»101
187. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a examiné ces rapports et adopté
des observations finales dont certaines, pertinentes, aux fins de la présente espèce sont reproduites
ci-après :
«23. Le Comité est préoccupé par l’élargissement de la compétence des
tribunaux militaires aux affaires transmises par les tribunaux antiterroristes et aux
personnes détenues au titre du règlement relatif au soutien au pouvoir civil. Il relève
également avec préoccupation que les tribunaux militaires ont condamné au moins
274 civils  y compris, selon les informations disponibles, des enfants  lors de
procédures secrètes, et condamné à mort 161 civils. Il note en outre avec
préoccupation qu’environ 90 % des condamnations sont fondées sur des aveux, que
les critères utilisés pour déterminer quelles affaires seront examinées par ces tribunaux
ne sont pas clairs, que, dans la pratique, les défendeurs ne sont pas autorisés à désigner
un avocat de leur choix, ni ne disposent effectivement d’un droit de recours auprès des
juridictions civiles, et que les accusations portées contre les défendeurs, la nature des
preuves et le texte écrit des jugements portant les motifs de la condamnation ne sont
pas rendus publics. Le Comité relève aussi avec préoccupation que les tribunaux
militaires auraient condamné au moins cinq «personnes disparues» qui faisaient l’objet
d’une enquête de la Commission d’enquête sur les disparitions forcées (art. 2, 6, 7, 9,
14 et 15).
101 Commission internationale de juristes, Comité des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies,
cent vingtième session, Genève (3-28 juillet 2017), par. 5-6, 12, 16-19, 21, 25 et 28.
69
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24. L’État partie devrait : a) revoir la législation relative aux tribunaux
militaires en vue d’abroger les dispositions relatives à leur compétence pour juger des
civils et leur pouvoir d’imposer la peine de mort ; b) réformer les tribunaux militaires
pour rendre leurs procédures pleinement conformes aux articles 14 et 15 du Pacte, afin
de garantir le droit à un procès équitable.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
25. Le Comité note avec préoccupation que la législation nationale ne donne pas
de définition de la torture et n’érige pas cette pratique en infraction conformément à
l’article 7 du Pacte et à d’autres normes internationales, que la torture serait
couramment employée par la police, l’armée et les forces de sécurité ainsi que les
services de renseignement, que les allégations de torture ne font pas rapidement l’objet
d’enquêtes approfondies et que les auteurs de tels actes sont rarement traduits en
justice (art. 2, 7, 14 et 15).
26. L’État partie devrait : a) modifier sa législation de sorte qu’elle interdise
tous les actes susceptibles de relever du crime de torture au sens de l’article 7 du Pacte
et qu’elle prévoie pour ces actes des sanctions qui soient proportionnées à la gravité du
crime ; b) veiller à ce que des enquêtes approfondies et efficaces soit rapidement
menées sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements, poursuivre les
auteurs de tels actes et, s’ils sont reconnus coupables, leur infliger des peines
proportionnées à la gravité de ce crime, et offrir aux victimes des recours utiles, y
compris des mesures de réadaptation ; c) veiller à ce que les aveux obtenus par la
contrainte ne soient en aucun cas admissibles dans le cadre de procédures judiciaires ;
d) prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir la torture, notamment
renforcer la formation des juges, des procureurs, des policiers, des militaires et des
membres des forces de sécurité.»102
188. S’inquiétant de violations imminentes des droits de l’homme par des tribunaux
militaires jugeant des civils, plusieurs organisations ont établi des rapports à ce sujet. L’un d’entre
eux, présenté par la rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats, a été transmis
à l’Assemblée générale lors de sa soixante-huitième session, en août 2013. Certaines des
observations contenues dans ce rapport et reproduites ci-après sont pertinentes aux fins de la
présente espèce :
«1. Le présent rapport est présenté conformément à la résolution 17/2 du
Conseil des droits de l’homme.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
13. La problématique de l’institution et du fonctionnement des tribunaux
militaires est au coeur du mandat de la Rapporteuse spéciale, qui, à la suite de son
prédécesseur, Leandro Despouy, porte un intérêt tout particulier à la création et au
fonctionnement des tribunaux militaires et des juridictions spéciales, en particulier
ceux compétents pour juger d’affaires liées au terrorisme (voir A/HRC/8/4,
A/HRC/11/41, A/HRC/20/19, E/CN.4/2004/60, E/CN.4/2005/60, A/61/384, A/62/207
et A/63/271).
14. La Rapporteuse spéciale constate que l’administration de la justice par les
tribunaux militaires suscite de vives inquiétudes quant à l’accès à la justice, l’impunité
des violations des droits de l’homme perpétrées par des régimes militaires par le passé,
102 Comité des droits de l’homme, observations finales concernant le rapport initial du Pakistan adopté par le
Comité lors de sa cent vingtième session, Genève (3-28 juillet 2017), par. 23-26.
71
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l’indépendance et l’impartialité des tribunaux militaires, et le respect du droit de
l’accusé à un procès équitable.
15. Envisageant ici cette problématique, la Rapporteuse spéciale propose
diverses solutions, fondées sur le principe que les Etats qui ont institué des tribunaux
militaires doivent veiller à incorporer ces tribunaux dans l’ordonnancement judiciaire
et les voir agir en toute compétence, indépendance et impartialité, en garantissant
l’exercice des droits de l’homme, en particulier le droit à un procès équitable et le
droit à un recours effectif, leur compétence devant en outre être limitée aux infractions
d’ordre militaire commises par des membres des armées.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
20. Au fil du temps, on a eu de plus en plus tendance à circonscrire la
compétence des tribunaux militaires. Le modèle classique de justice militaire, selon
lequel quiconque donne des ordres dit le droit, a peu à peu été remis en cause ; les
tribunaux militaires s’ingèrent ainsi de plus en plus, en tant que branche spécialisée,
dans l’ordonnancement judiciaire. Plusieurs pays ont purement et simplement aboli les
tribunaux militaires en temps de paix et donné aux tribunaux de droit commun ou à
des instances disciplinaires compétence pour juger de toutes infractions imputées à des
militaires.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
31. Parfois, la compétence personnelle des tribunaux militaires s’étend aux
civils assimilés aux militaires en raison de leurs fonctions ou du lieu où ils se trouvent,
ou à cause de la nature de l’infraction reprochée. Il peut s’agir de civils qui sont
employés par les forces armées ou affectés dans un établissement militaire ou à
proximité, de personnes ayant commis des actes qualifiés d’infractions militaires, ou
de l’auteur d’une infraction commise en complicité avec des militaires. Dans certains
pays, des affaires liées au terrorisme ou à d’autres atteintes aux intérêts fondamentaux
de l’Etat sont également justiciables des tribunaux militaires.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
38. Le principe de la séparation des pouvoirs veut que les tribunaux militaires
soient organiquement distincts de l’exécutif et du pouvoir législatif de manière à
prévenir [toute] immixtion, notamment de l’armée, dans l’administration de la justice.
A cet égard, le principe no 13 du projet de principes sur l’administration de la justice
par les tribunaux militaires porte que le statut des magistrats militaires doit garantir
leur indépendance et leur impartialité, notamment par rapport à la hiérarchie militaire.
Il résulte du commentaire de ce principe que l’indépendance statutaire des juges par
rapport à la hiérarchie militaire doit être strictement protégée, en évitant toute
subordination directe ou indirecte, qu’il s’agisse de l’organisation et du
fonctionnement de la justice elle-même ou du déroulement de la carrière du juge
militaire. (E/CN.4/2006/58, par. 46.)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
46. La Rapporteuse spéciale a déclaré à plusieurs reprises que le recours à des
tribunaux militaires ou d’exception pour juger des civils au nom de la sécurité de
l’Etat, de l’état d’exception ou de la lutte contre le terrorisme était une pratique, hélas
courante, qui allait à l’encontre de l’ensemble des normes internationales et régionales
ainsi que [de] la jurisprudence établie (voir par exemple E/CN.4/2004/60, par. 60),
suivant en cela d’autres experts mandatés au titre d’une procédure spéciale.
72
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47. Les instruments internationaux des droits de l’homme ne traitent pas
expressément de la problématique du jugement de civils par des tribunaux militaires.
Néanmoins, il ressort d’un certain nombre d’instruments juridiques non contraignants
et de la jurisprudence d’instances internationales et régionales qu’il existe une forte
réticence à étendre la compétence pénale des tribunaux militaires aux civils.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
49. Dans le droit fil de cette thèse, le principe no 5 du projet de principes sur
l’administration de la justice par les tribunaux militaires stipule que les juridictions
militaires doivent, par principe, être incompétentes pour juger des civils et qu’en
toutes circonstances, l’Etat veille à ce que les civils accusés d’une infraction pénale,
quelle qu’en soit la nature, soient jugés par les tribunaux civils. Il est dit dans le
commentaire de ce principe que la pratique consistant à traduire des civils devant des
tribunaux militaires pose de sérieux problèmes en ce qui concerne l’administration
équitable, impartiale et indépendante de la justice, étant souvent justifiée par la
nécessité de permettre l’application de procédures exceptionnelles qui ne sont pas
conformes aux normes ordinaires de la justice (voir E/CN.4/2006/58, par. 20).
50. Un certain nombre d’autres instruments internationaux recommandent
également aux Etats de restreindre la compétence des tribunaux militaires vis-à-vis des
civils au profit des juridictions de droit commun.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
74. Le droit de l’accusé d’être représenté par un conseil de son choix revêt une
importance cardinale s’agissant de procédures devant les tribunaux militaires.
S’inscrivant dans le droit fil du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques, l’alinéa e) du projet de principe no 15 sur l’administration de la justice par
les tribunaux militaires porte que toute personne accusée d’une infraction pénale a le
droit de se défendre elle-même et d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix, et
le droit d’être informée de son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la
justice le commande, de se voir commettre un défenseur, si elle n’a pas les moyens de
le rémunérer.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
85. Dans la plupart des pays dotés d’un système de justice militaire, toute
personne condamnée pour une infraction militaire a le droit de faire appel de sa
condamnation devant une juridiction supérieure, que ce soit une cour d’appel militaire
ou civile. Les peines prononcées par les tribunaux du second degré peuvent en outre
être attaquées devant la Cour suprême, où des militaires peuvent parfois siéger. Dans
certains pays, les décisions rendues par les tribunaux militaires sont insusceptibles
d’appel, le pourvoi devant la Cour de cassation, s’il en est institué une, étant la seule
voie de recours.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
86. L’intégrité du système de justice est essentielle à la démocratie et à l’état de
droit. Le système de justice doit s’articuler autour de quatre grands axes :
indépendance, impartialité, compétence et responsabilité, les principes de
74
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l’indépendance du pouvoir judiciaire et de la séparation des pouvoirs devant être
strictement respectés.»103
189. Le Comité des droits de l’homme a également eu l’occasion de connaître de plaintes
relatives à des procès menés par des tribunaux militaires. L’une d’elles, qui concernait une
personne jugée au Cameroun, l’a conduit à formuler les observations suivantes :
«7.5. Le Comité prend note de l’argument de l’Etat partie qui affirme que le
procès de l’auteur s’est déroulé conformément à la législation en vigueur et qu’il a
bénéficié pendant les audiences des services d’un interprète officiel. Il note également
que l’auteur fait valoir que le tribunal n’était pas indépendant, qu’il a eu très peu
d’occasions de communiquer avec son avocat, lequel n’avait pas accès à l’acte
d’accusation et n’était par conséquent pas en mesure de préparer sa défense de
manière adéquate, et que les preuves écrites sur lesquelles se fondait l’accusation
n’ont pas été produites au tribunal. Le Comité rappelle son Observation générale no 32
dans laquelle il a estimé que l’Etat partie doit démontrer, relativement à la catégorie
spécifique des personnes en cause, que les tribunaux civils ordinaires ne sont pas en
mesure de mener les procès, qu’aucun autre tribunal civil spécial ou de haute sécurité
ne convient en l’espèce et que le recours à un tribunal militaire ne peut pas être évité.
L’Etat partie doit en outre démontrer que les tribunaux militaires garantissent
intégralement la protection des droits de l’accusé conformément à l’article 14. Dans
l’affaire à l’examen, l’Etat partie n’a pas montré pourquoi le recours à un tribunal
militaire était nécessaire. Dans ses commentaires sur la gravité des charges portées
contre l’auteur, il n’a pas indiqué pourquoi les tribunaux civils ordinaires ou d’autres
types de juridictions civiles ne convenaient pas pour le juger. Le simple fait d’affirmer
que le procès militaire s’est déroulé conformément aux dispositions législatives
internes ne constitue pas non plus un argument valable au regard du Pacte à l’appui du
recours à ces tribunaux. L’incapacité de l’Etat partie à démontrer la nécessité d’avoir
recours à un tribunal militaire en l’espèce signifie que le Comité n’a pas besoin
d’examiner si le tribunal militaire a, dans les faits, apporté toutes les garanties
énoncées à l’article 14. Le Comité conclut que le procès et la condamnation de
l’auteur par un tribunal militaire font apparaître une violation de l’article 14 du
Pacte.»104
190. Au sujet d’une plainte similaire concernant l’Ouzbékistan, le Comité des droits de
l’homme a indiqué ce qui suit :
«9.3. Le Comité a également noté le grief de l’auteur qui affirme que son fils
n’a jamais été présenté à un juge ou à une autre autorité habilitée par la loi à exercer
des fonctions judiciaires pour vérifier la légalité de ses arrestations et de son
placement en détention avant jugement, et que les décisions de le faire arrêter et placer
en détention ont été prises uniquement par des procureurs. Le Comité rappelle que,
conformément à sa jurisprudence, le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte a pour objet
de garantir que la détention des personnes accusées d’une infraction pénale soit
contrôlée par un juge, et qu’il est inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire que ce
contrôle soit assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport
aux questions à traiter. En l’espèce, le Comité n’est pas convaincu que le procureur
puisse être considéré comme ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles
nécessaires pour être qualifié d’«autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions
103 Note du Secrétaire général, Assemblée générale, Nations Unies, doc. A/68/285 (7 août 2013), par. 1, 13-15,
20, 31, 38, 46-47, 49-50, 74, 85 et 86.
104 Akwanga c. Cameroun, Comité des droits de l’homme, communication no 1813/2008, par. 7.5.
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judiciaires» au sens du paragraphe 3 de l’article 9. Il conclut donc qu’il y a eu
violation de cette disposition du Pacte.»105
191. La Cour interaméricaine des droits de l’homme s’est elle aussi montrée critique à
l’égard des Etats permettant à des tribunaux militaires de juger des civils. En l’affaire Petruzzi et
autres c. Pérou, elle a ainsi fait observer ce qui suit :
«128. La Cour relève que plusieurs textes législatifs confèrent compétence aux
tribunaux militaires pour maintenir l’ordre et la discipline dans les rangs des forces
armées. L’application de cette compétence fonctionnelle est limitée aux personnels
militaires ayant commis un délit ou une négligence dans l’exercice de leurs fonctions,
et ce, uniquement dans certaines circonstances. Telle était la définition énoncée par la
loi péruvienne elle-même (article 282 de la Constitution de 1979). Le transfert de
compétence des tribunaux civils aux tribunaux militaires, permettant à ces derniers de
juger des civils accusés de trahison, implique que le tribunal compétent, indépendant
et impartial, établi antérieurement par la loi, est empêché de connaître des affaires en
question. En effet, les tribunaux militaires ne sont pas des juridictions établies pour
juger des civils, lesquels, n’ayant pas de fonctions ou d’obligations militaires, ne
sauraient avoir de comportements contrevenant à pareilles obligations. Lorsqu’un
tribunal militaire se déclare compétent à l’égard d’une question dont devrait connaître
un tribunal ordinaire, le droit de l’intéressé à être jugé par un tribunal compétent,
indépendant et impartial, établi antérieurement par la loi, et, a fortiori, son droit à une
procédure régulière, lequel est intimement lié au droit d’accès aux tribunaux, sont
violés.
129. L’un des principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la
magistrature est que chacun a le droit d’être jugé par les juridictions ordinaires selon
les procédures légales établies. «Il n’est pas créé de juridictions n’employant pas les
procédures dûment établies conformément à la loi afin de priver les juridictions
ordinaires de leur compétence.»
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
131. La Cour a jugé que les garanties auxquelles a droit chaque personne jugée
devaient être considérées non seulement comme essentielles, mais aussi comme étant
de nature judiciaire, ce qui «implique l’intervention active d’un organe judiciaire
indépendant et impartial ayant compétence pour déterminer la légalité des mesures
adoptées dans le cadre de l’état d’urgence».
132. En la présente espèce, la Cour estime que les tribunaux militaires qui ont
jugé les victimes présumées pour des crimes de trahison ne satisfaisaient pas aux
conditions inhérentes aux garanties d’indépendance et d’impartialité qui, aux termes
du paragraphe 1 de l’article 8 de la convention [américaine relative aux droits de
l’homme], sont essentielles aux fins d’une procédure régulière.
133. De surcroît, les juges qui siègent dans les procès pour trahison étant «sans
visage», les défendeurs n’ont aucun moyen de connaître leur identité et, partant,
d’évaluer leur compétence. Pour compliquer encore la situation, la loi ne permet pas à
ces juges de se récuser.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
105 Musaev c. Ouzbékistan, Comité des droits de l’homme, communications nos 1914, 1915 et 1916/2009, par. 9.3.
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161. La Cour rappelle que, comme elle l’a déjà indiqué (paragraphe 134), les
procédures menées contre des civils par des tribunaux militaires du chef de trahison
n’offrent pas la garantie d’être jugé par un tribunal compétent, indépendant et
impartial, établi antérieurement par la loi, prévues au paragraphe 1 de l’article 8 de la
convention. Le droit d’interjeter appel du jugement, également reconnu dans la
convention, n’est pas respecté par le simple fait qu’il existe une instance supérieure à
celle qui a jugé l’accusé et l’a déclaré coupable. Pour permettre un véritable réexamen
du jugement, au sens de la convention, l’instance supérieure doit avoir l’autorité
juridictionnelle de connaître de l’affaire en cause. A cet égard, il est important de
souligner que, de la première à la dernière instance, une procédure pénale constitue
une procédure unique qui suit différentes étapes. Les principes d’un tribunal établi
antérieurement par la loi et d’une procédure régulière s’appliquent donc à toutes les
phases et doivent être respectés par l’ensemble des instances. Si la juridiction de
deuxième instance ne satisfait pas aux critères définissant un tribunal juste, impartial
et indépendant, établi antérieurement par la loi, la phase de la procédure qu’elle mène
ne saurait être considérée comme légale ou valable. En la présente espèce, l’instance
supérieure faisait partie de la structure militaire et, partant, ne jouissait pas de
l’indépendance nécessaire pour agir comme un tribunal établi antérieurement par la loi
ayant compétence pour juger des civils. Par conséquent, alors que des voies de
recours, quoique très restrictives, s’offraient bel et bien aux accusés, cela ne
garantissait pas véritablement que l’affaire serait réexaminée par une instance
supérieure à la fois compétente, impartiale et indépendante, comme le requiert la
convention.»106
XII. RESTITUTION
192. La protection des droits de l’homme étant aujourd’hui généralement reconnue comme
un objectif fondamental du droit international, il était inévitable que le droit international des droits
de l’homme limitât le domaine réservé de la souveraineté des Etats. «Aucun Etat ne peut faire
valoir de manière crédible que le traitement qu’il réserve aux personnes qui se trouvent sur son
territoire ou relèvent de sa juridiction est une question exclusivement interne.»107 En tant que
précurseur du droit relatif aux droits de l’homme, le droit de la protection diplomatique a joué un
rôle important dans la définition de certains critères en matière de protection des personnes. De la
norme minimale internationale jusqu’au PIDCP et au-delà, le droit international n’a cessé
d’intégrer des principes et des normes visant à faire progresser la cause de la protection des droits
de l’homme.
193. Dans l’ouvrage Remedies in International Human Rights Law, il est relevé ce qui suit :
«Les atrocités perpétrées durant la seconde guerre mondiale ont entraîné une
mutation profonde du droit. De nos jours, le souci de promouvoir et de protéger les
droits de l’homme est le fil rouge de la Charte des Nations Unies, à commencer par
son préambule, dans lequel les peuples «proclame[nt] à nouveau [leur] foi dans les
droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine,
dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et
petites».»108
106 Castillo Petruzzi et autres c. Pérou (1999), série C no 52, par. 128, 129, 131-133, 161.
107 Remedies in International Human Rights Law, Dinah Shelton, 3e éd., p. 1.
108 Ibid., p. 7.
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194. Les principes régissant la responsabilité de l’Etat sont désormais bien enracinés. Alors
que, depuis le début du XXe siècle, différentes institutions avaient tenté de les codifier et d’élaborer
des remèdes appropriés, le 31 mai 2001, la Commission du droit international (CDI) a adopté les
articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite.
195. Bien que ces articles n’aient pas été élevés au rang de convention, ils jouent «un rôle
actif et utile dans le processus du droit international» et «sont considérés par certains tribunaux et
auteurs comme constituant, en totalité ou en grande partie, une codification exacte du droit
international coutumier relatif à la responsabilité de l’Etat»109.
196. En l’affaire de la Bosnie, la Cour a relevé ceci :
«En l’absence d’une lex specialis expresse, les règles relatives à l’attribution
d’un comportement internationalement illicite à un Etat sont indépendantes de la
nature de l’acte illicite en question. Le génocide sera regardé comme attribuable à
l’Etat si et dans la mesure où les actes matériels, constitutifs du génocide, commis par
des organes ou des personnes autres que ses propres agents l’ont été, en tout ou en
partie, selon les instructions ou sous la direction ou le contrôle effectif de cet Etat.
Ainsi se présente aujourd’hui le droit international coutumier en la matière, tel que
reflété par les articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat.» (Les italiques sont de
nous.)110
197. Le Pakistan a sciemment, délibérément et éhontément violé les dispositions de
l’article 36 de la convention de Vienne et, partant, les droits que celui-ci confère à M. Jadhav, en
tant qu’individu, et à l’Inde, en tant qu’Etat d’envoi. Cette violation doit avoir des conséquences,
fondées sur les principes de la responsabilité des Etats.
«Parmi toutes les violations du droit international qui engagent la responsabilité
de l’Etat, ce sont celles qui portent atteinte à des étrangers qui se rapprochent le plus
de violations des droits de l’homme modernes. L’abondante jurisprudence issue des
travaux des commissions de réclamations et d’autres tribunaux ... fournit des
précédents instructifs quant aux aspects théoriques et pratiques des remèdes appropriés
en cas de violations de droits individuels.»111
198. Les sources du droit international, telles que les conventions (notamment celle de
Vienne), visent à cristalliser certains principes de droit dont l’application transcende la
souveraineté des Etats, à commencer par le principe fondateur de l’état de droit, qui doit régir le
comportement des nations. Dans le commentaire de l’article 30 des articles sur la responsabilité de
l’Etat pour fait internationalement illicite, il est ainsi précisé ce qui suit :
«La cessation a pour fonction de mettre fin à une violation du droit international
et de préserver la validité et l’efficacité de la règle primaire sous-jacente. L’obligation
de cessation qui incombe à l’Etat responsable sert ainsi à protéger aussi bien l’intérêt
109 State Responsibility, The General Part, James Crawford, 1re éd., p. 43.
110 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 208-209, par. 401.
111 Remedies in International Human Rights Law, Dinah Shelton, 3e éd., p. 35.
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de l’Etat ou des Etats lésés que l’intérêt de la communauté internationale dans son
ensemble à préserver l’état de droit et à s’appuyer sur lui.»112
199. Il existe des situations dans lesquelles
«[l]e résultat de la cessation peut être impossible à distinguer de celui de la restitution,
par exemple lorsque le comportement devant être adopté consiste à libérer des otages
ou à restituer des objets et locaux confisqués ... Si les conséquences d’actes passés ne
peuvent pas être effacées dans tous les cas, il est, en revanche, toujours possible d’agir
par rapport à des événements futurs.»113
200. L’article 35 des articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement
illicite, qui porte sur la restitution, est ainsi libellé :
«L’Etat responsable du fait internationalement illicite a l’obligation de procéder
à la restitution consistant dans le rétablissement de la situation qui existait avant que le
fait illicite ne soit commis, dès lors et pour autant qu’une telle restitution :
a) n’est pas matériellement impossible ;
b) n’impose pas une charge hors de toute proportion avec l’avantage qui dériverait de
la restitution plutôt que de l’indemnisation.»
201. Dans son commentaire relatif à l’article 35, la CDI précise ce qui suit au sujet du
remède que constitue la restitution :
«La restitution peut prendre la forme d’une restitution matérielle, ou d’une
restitution de territoire, de personnes ou de biens, ou bien encore d’une annulation
d’un acte juridique, voire d’une combinaison de ces différentes hypothèses. Comme
exemples de restitution matérielle, on peut citer la remise en liberté d’individus
incarcérés, la remise à un Etat d’un individu qui a été arrêté sur son territoire, la
restitution de navires ou d’autres types de biens, y compris des documents, des oeuvres
d’art, des titres d’actions, etc. Le terme «restitution juridique» est parfois employé
dans le cas où l’exécution de la restitution requiert ou suppose la modification d’une
situation juridique, soit dans le cadre du système juridique de l’Etat responsable, soit
dans le cadre de ses relations juridiques avec l’Etat lésé. Les hypothèses de restitution
juridique sont l’abrogation, l’annulation ou la modification d’une disposition
constitutionnelle ou législative promulguée en violation d’une règle du droit
international, l’annulation ou le réexamen d’un acte administratif ou d’une décision
judiciaire pris illégalement à l’encontre de la personne ou des biens d’un étranger, ou
l’exigence que des mesures soient prises (dans la mesure permise par le droit
international) pour annuler un traité.»114
112 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
2001, art. 30, par. 5. Texte adopté par la Commission du droit international à sa cinquante-troisième session, en 2001, et
soumis à l’Assemblée générale dans le cadre du rapport de la Commission sur les travaux de ladite session
(Nations Unies, doc. A/56/10).
113 State Responsibility, The General Part, James Crawford, 1re éd., p. 465.
114 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
2001, art. 35, par. 5. Texte adopté par la Commission du droit international à sa cinquante-troisième session, en 2001, et
soumis à l’Assemblée générale dans le cadre du rapport de la Commission sur les travaux de ladite session
(Nations Unies, doc. A/56/10).
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202. Les articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite
reconnaissent la restitution comme un remède figurant au premier rang des modes de réparation,
puisqu’elle est «l[a] plus conforme au principe général selon lequel l’Etat responsable est tenu
d’«effacer» les conséquences juridiques et matérielles de son fait illicite en rétablissant la situation
qui aurait existé si ce fait n’avait pas été commis»115.
203. La notion de restitution juridique recouvre expressément l’annulation d’une décision
judiciaire, si tant est que le verdict d’un tribunal militaire puisse être considéré comme tel. La
restitution matérielle, quant à elle, comprend des mesures telles que la remise en liberté d’un
individu incarcéré. A cet égard, des difficultés juridiques ou pratiques ne sauraient être assimilées à
une impossibilité matérielle116 : «[c]omme le précise l’article 32, un Etat «ne peut pas se prévaloir
des dispositions de son droit interne pour justifier un manquement aux obligations qui lui
incombent»»117.
204. Dans certaines affaires dans lesquelles des violations du PIDCP ont été établies, le
Comité des droits de l’homme a appliqué les principes de la responsabilité de l’Etat en prescrivant
la remise en liberté du détenu dont les droits avaient été violés, ou l’organisation d’un nouveau
procès présentant toutes les garanties nécessaires ou, en cas d’impossibilité, la libération de
l’intéressé118.
205. En l’affaire Avena, la Cour a défini le remède en fonction des circonstances factuelles
qui lui étaient présentées. Les Etats-Unis d’Amérique affirmaient que, quand bien même
l’article 36 aurait été violé, leurs système et droit internes étaient solides et protégeaient pleinement
les droits de l’accusé puisqu’ils satisfaisaient aux normes les plus strictes en matière de procédure
régulière. Dans ces conditions, la Cour a admis qu’un réexamen dans le cadre du système
américain constituait une restitution suffisante.
206. En la présente espèce, en revanche, les éléments suivants justifieraient une restitution
par la remise en liberté de la personne détenue et l’annulation du verdict du tribunal militaire :
a) les faits ayant entouré l’arrestation de M. Jadhav ont été tenus rigoureusement secrets par le
Pakistan. L’intéressé a été enlevé en Iran, et les circonstances de sa présence au Pakistan ne
sont pas claires. On ne connaît aucun détail sur son «arrestation», ni sur le lieu où il se trouvait
au moment de celle-ci. Un ancien responsable de l’armée pakistanaise aurait également déclaré
via les médias électroniques que M. Jadhav avait été enlevé en Iran ;
b) l’intéressé a été détenu pendant trois semaines après son «arrestation», sans que l’Inde ne soit
avisée de celle-ci ;
c) M. Jadhav a été «arrêté» le 3 mars 2016. Ses «aveux» ont été recueillis le 25 mars 2016, c’est-àdire
avant même l’établissement du «procès-verbal relatif au dépôt initial d’une plainte à la
police» (daté du 8 avril 2016) ;
115 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
2001, art. 35, par. 3. Texte adopté par la Commission du droit international à sa cinquante-troisième session, en 2001, et
soumis à l’Assemblée générale dans le cadre du rapport de la Commission sur les travaux de ladite session
(Nations Unies, doc. A/56/10).
116 Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs,
2001, art. 35, par. 5 et 8. Texte adopté par la Commission du droit international à sa cinquante-troisième session, en 2001,
et soumis à l’Assemblée générale dans le cadre du rapport de la Commission sur les travaux de ladite session
(Nations Unies, doc. A/56/10).
117 State Responsibility, The General Part, James Crawford, 1re éd., p. 513.
118 Une liste de ces décisions figure à l’annexe 13.
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- 55 -
d) le Pakistan a cherché à exploiter la moindre possibilité — y compris à l’audience consacrée à la
demande en indication de mesures conservatoires — de projeter l’enregistrement vidéo desdits
«aveux» pour justifier son comportement ;
e) en dépit des demandes répétées de l’Inde, le Pakistan a violé de manière éhontée l’article 36 de
la convention de Vienne ;
f) le Pakistan a certes précisé qu’il examinerait la possibilité de permettre à l’Inde d’entrer en
communication avec M. Jadhav par l’entremise de ses autorités consulaires en fonction de la
suite qu’elle donnerait à sa demande d’assistance aux fins de certaines enquêtes, mais cette
proposition est intervenue alors que le «procès» de l’intéressé était déjà terminé. Il convient de
la replacer dans le contexte dans lequel elle a été formulée. Le Pakistan a tout d’abord diffusé
l’enregistrement vidéo des «aveux» de M. Jadhav, puis il a demandé à l’Inde de l’«aider» à
enquêter sur les infractions que celui-ci y avait «révélées». Or, il n’est pas sans savoir que les
droits conférés par l’article 36 de la convention de Vienne ne sauraient être subordonnés à des
conditions telles que celles qu’il a posées ;
g) en dépit de demandes répétées, émanant notamment des parents de M. Jadhav, le Pakistan a
refusé de révéler, même après la fin du prétendu «procès», la nature des «accusations» portées
contre l’intéressé, les «éléments de preuve» retenus contre celui-ci et le «jugement» du tribunal
militaire. Les parents de M. Jadhav se sont vu refuser un visa pour lui rendre visite, même après
sa condamnation ; alors même qu’il encourt la peine de mort, l’intéréssé n’est pas autorisé à
rencontrer quelque agent de la haute commission de l’Inde, ni même ses parents.
207. Enfin, si la décision du tribunal militaire est simplement annulée sans que M. Jadhav
soit remis en liberté, ce dernier sera laissé à la merci des autorités militaires pakistanaises, qui
pourront lui faire subir un nouveau «procès», ce qui irait à l’encontre des principes établis de droit
international prescrivant une procédure régulière. En définissant les remèdes appropriés, la Cour ne
saurait cautionner le fait qu’un tribunal militaire juge un civil en appliquant les codes de procédure
de l’armée, sous la présidence d’un responsable militaire et sans permettre à l’intéressé d’être
assisté d’avocats de son choix, compte devant également être dûment tenu des infractions dont
celui-ci est «accusé» et qui lui font encourir la peine de mort. De par sa nature même, l’institution
devant laquelle M. Jadhav serait jugé ne satisfait pas aux normes requises par le droit international
 quand bien même le critère minimal serait retenu  et a, en tout état de cause, été condamnée
par le Comité des droits de l’homme.
XIII. CONSIDÉRATIONS FINALES
208. Dans sa requête, déposée le 8 mai 2017, l’Inde a exposé les arguments qui établissent,
sans que subsiste le moindre doute, que le Pakistan s’est rendu coupable d’un manquement flagrant
aux obligations qui lui incombent au regard de l’article 36 de la convention de Vienne.
209. L’Inde a demandé,
a) que la condamnation à mort prononcée à l’encontre de l’accusé soit immédiatement suspendue ;
b) que lui soit accordée restitutio in integrum, sous la forme d’une déclaration constatant que la
condamnation à laquelle est parvenu le tribunal militaire au mépris total des droits énoncés à
l’article 36 de la convention de Vienne, notamment au litt. b) du paragraphe 1 de celui-ci, et des
droits de l’homme élémentaires de tout accusé, auxquels il convient également de donner effet
en application de l’article 14 du PIDCP de 1966, est contraire au droit international et aux
dispositions de la convention de Vienne ;
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c) qu’il soit prescrit au Pakistan de ne pas donner effet à la condamnation prononcée par le
tribunal militaire et de prendre les mesures qui pourraient être prévues par le droit pakistanais
pour annuler la décision de ce tribunal ;
d) que cette décision, dans le cas où le Pakistan ne serait pas en mesure de l’annuler, soit déclarée
illicite en tant que contraire au droit international et aux droits conventionnels, et qu’il soit
prescrit au Pakistan de s’abstenir de violer la convention de Vienne sur les relations consulaires
et le droit international en donnant quelque effet à la condamnation ou à la déclaration de
culpabilité en cause, ainsi que de libérer sans délai le ressortissant indien qui en a fait l’objet.
210. La loi militaire pakistanaise de 1952 comporte une disposition (l’article 132) qui
confère au gouvernement fédéral le pouvoir d’annuler toute procédure devant une cour martiale qui
serait jugée illicite ou injuste. Au vu des motifs et moyens exposés dans la requête et dans le
présent mémoire, il ne fait guère de doute que la déclaration de culpabilité et la peine prononcées
par le tribunal militaire à l’encontre de M. Jadhav sur le fondement, total ou partiel, de prétendus
«aveux» de celui-ci sont illicites et manifestement injustes. La Cour est habilitée à les déclarer
telles, en ce qu’elles ont été prononcées au mépris total des droits énoncés à l’article 36 de la
convention de Vienne, et à prescrire au Pakistan d’exercer les pouvoirs qu’il tient de l’article 132
pour annuler la décision en cause.
211. En tout état de cause, la Cour peut constater le caractère illicite de la déclaration de
culpabilité et de la peine prononcées par le Pakistan, car celles-ci sont entachées de nullité par une
violation patente des droits liés à la communication entre les autorités consulaires et les
ressortissants de l’Etat d’envoi au titre de la convention de Vienne, ainsi que par les manquements
flagrants au droit international que constituent le déni des garanties élémentaires d’une procédure
régulière et la violation des droits consacrés par le PIDCP.
212. L’un des remèdes qu’il conviendrait d’accorder, à titre de restitution, en la présente
affaire consisterait à prescrire au Pakistan de libérer sans délai le ressortissant indien et de
l’autoriser à rentrer en Inde en toute sécurité, après avoir annulé la décision illicite et injuste du
tribunal militaire. Il ne saurait être question de réexamen ou de revision, et ce, pour trois raisons :
i) en application du droit pakistanais, le nouveau procès serait lui aussi confié à un tribunal
militaire. Or, les tribunaux militaires pakistanais, lorsqu’ils exercent leur compétence à
l’égard de civils, ne satisfont pas aux dispositions du PIDCP, ni même aux normes
minimales du droit international. Si la Cour demandait à un tribunal militaire de
réexaminer et de reviser la décision en cause, cela reviendrait, d’une certaine manière, à
cautionner un système «judiciaire» contraire au Pacte  auquel le Pakistan est partie  et
au droit international, et à lui conférer ce faisant une certaine légitimité, alors même qu’il a
fait l’objet de critiques de la part du Parlement européen et du Comité des droits de
l’homme des Nations Unies. Pareille procédure de réexamen ou de revision serait un
revers pour les commissions des droits de l’homme, qui s’emploient à persuader les Etats
de renoncer à cette pratique consistant à conférer compétence aux tribunaux militaires à
l’égard de civils ;
ii) la deuxième raison tient au climat de tension extrême dont témoigne la déclaration du
conseiller pour les affaires étrangères auprès du premier ministre du Pakistan, représentant
de haut rang de l’administration pakistanaise ;
iii) la culpabilité de M. Jadhav ayant ainsi été publiquement affirmée, il serait bien naïf de
croire que celui-ci pourrait réellement bénéficier d’un «procès équitable» au Pakistan.
86
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213. Le fait que l’article 36 de la convention de Vienne ne prévoie expressément aucune
exception est significatif. La raison en est évidente : il n’existe aucune circonstance justifiant de se
soustraire aux principes qui garantissent une procédure régulière, elle-même garante d’un procès
équitable. L’article 36 concrétise ce droit pour les ressortissants étrangers. Nier les droits énoncés
par cette disposition compromettrait gravement les garanties d’une procédure régulière
elles-mêmes. Les institutions internationales se sont employées à rappeler aux Etats qu’ils étaient
tenus de respecter les normes garantissant la régularité de la procédure, y compris dans le cadre
d’enquêtes relatives à des infractions liées au terrorisme et de la poursuite des auteurs de celles-ci.
Les conventions relatives au terrorisme ont expressément reconnu le droit pour les intéressés de
communiquer avec les autorités consulaires de leur Etat, réaffirmant le caractère crucial d’une
disposition telle que l’article 36, qui s’en est ainsi trouvée renforcée. En ce qui concerne les Etats
qui ont signé et ratifié la convention de Vienne, la gravité des accusations portées contre un accusé
n’entame en rien l’obligation que l’article 36 met à leur charge. Bien au contraire, plus ces
accusations sont graves, plus il est nécessaire d’assurer l’équité procédurale.
XIV. CONCLUSIONS
214. Pour ces motifs, le Gouvernement de l’Inde prie respectueusement la Cour de dire et
juger que le Pakistan a agi en violation flagrante de l’article 36 de la convention de Vienne sur les
relations consulaires, en ce qu’il
i) n’a pas informé l’Inde sans délai de l’arrestation et de la détention de M. Jadhav ;
ii) n’a pas informé M. Jadhav de ses droits au titre de l’article 36 de la convention de Vienne
sur les relations consulaires ;
iii) a refusé aux fonctionnaires consulaires de l’Inde la possibilité de communiquer avec
M. Jadhav, en violation de leur droit de se rendre auprès de lui alors qu’il était incarcéré,
en état de détention préventive ou toute autre forme de détention, de s’entretenir et de
correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice ;
et, en conséquence de ce qui précède,
i) de déclarer que la condamnation à laquelle est parvenu le tribunal militaire au mépris total
des droits énoncés à l’article 36 de la convention de Vienne, notamment au litt. b) du
paragraphe 1 de celui-ci, et des droits de l’homme élémentaires de M. Jadhav, auxquels il
convient également de donner effet en application de l’article 14 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques de 1966, est contraire au droit international et aux
dispositions de la convention de Vienne ;
ii) de déclarer que l’Inde a droit à la restitutio in integrum ;
iii) de prescrire au Pakistan de ne pas donner effet à la condamnation ou à la déclaration de
culpabilité prononcées par le tribunal militaire, de libérer sans délai le ressortissant indien
qui en a fait l’objet et de faciliter son retour en Inde en toute sécurité ;
iv) à titre subsidiaire, et si la Cour devait conclure qu’il n’y a pas lieu de libérer M. Jadhav, de
prescrire au Pakistan de ne pas donner effet à la condamnation prononcée par le tribunal
militaire et de prendre les mesures qui pourraient être prévues par le droit pakistanais pour
annuler la décision de ce tribunal, et, après avoir déclaré irrecevables les aveux de
l’intéressé qui ont été recueillis sans que celui-ci ait pu communiquer avec ses autorités
consulaires, d’organiser un procès de droit commun devant les juridictions civiles, dans le
respect le plus strict des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et
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politiques, ainsi que du droit des autorités consulaires de communiquer avec l’intéressé et
de pourvoir à sa représentation en justice.
215. L’Inde se réserve le droit de modifier ou de compléter les conclusions formulées dans le
présent mémoire ainsi que les fondements qui y sont invoqués.
Respectueusement,
Le 13 septembre 2017.
L’agent de la République de l’Inde,
(Signé) M. Deepak MITTAL.
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CERTIFICATION
Je certifie que les documents annexés sont des copies conformes des originaux.
L’agent de la République de l’Inde,
(Signé) M. Deepak MITTAL.
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LISTE DES ANNEXES
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Annexe 1 Notes verbales de l’Inde en date des 25 mars 2016 (1.1), 30 mars 2016 (1.2),
6 mai 2016 (1.3), 10 juin 2016 (1.4), 11 juillet 2016 (1.5), 26 juillet 2016
(1.6), 22 août 2016 (1.7), 3 novembre 2016 (1.8), 19 décembre 2016 (1.9),
3 février 2017 (1.10), 3 mars 2017 (1.11), 31 mars 2017 (1.12), 10 avril 2017
(1.13), 14 avril 2017 (1.14), 19 avril 2017 (1.15) et 26 avril 2017 (1.16)
1
Annexe 2 Note verbale du Pakistan en date du 23 janvier 2017 (sans pièce jointe) 9
Annexe 3 Note verbale du Pakistan en date du 21 mars 2017 10
Annexe 4 Communiqué de presse du service interarmées des relations publiques en date
du 10 avril 2017
11
Annexe 5 Note verbale du Pakistan en date du 10 avril 2017 12
Annexe 6 Déclaration à la presse du conseiller pour les affaires étrangères auprès du
premier ministre du Pakistan en date du 14 avril 2017
13
Annexe 7 Articles parus dans Jehan Pakistan et Business Standard au sujet de la
conférence de presse du 17 avril 2017 du directeur général du service
interarmées des relations publiques, porte-parole de l’armée pakistanaise.
16
Annexe 8 Lettre en date du 27 avril 2017 adressée au conseiller pour les affaires
étrangères auprès du premier ministre du Pakistan par le ministre des affaires
étrangères de l’Inde
18
Annexe 9 Conférence de presse du porte-parole du Gouvernement du Pakistan en date
du 20 avril 2017
19
Annexe 10 Accord du 21 mai 2008 entre l’Inde et le Pakistan sur la communication des
autorités consulaires avec les ressortissants de l’Etat d’envoi
21
Annexe 11 Article de presse paru le 15 avril 2017 dans le journal Dawn et article paru le
18 mai 2017 sur le site Internet de la chaîne de télévision Lahore News
22
Annexe 12 Communiqué de presse du service interarmées des relations publiques en date
du 22 juin 2017
23
Annexe 13 Liste de décisions du Comité des droits de l’homme constitué en application
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
24
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Mémoire de la République de l'Inde

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