Commentaires écrits de Singapour sur les observations écrites additionnelles de la Malaisie

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167-20180212-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été préparée par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15046
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
DEMANDE EN REVISION DE L’ARRÊT DU 23 MAI 2008 EN L’AFFAIRE RELATIVE À LA
SOUVERAINETÉ SUR PEDRA BRANCA/PULAU BATU PUTEH, MIDDLE ROCKS ET
SOUTH LEDGE (MALAISIE/SINGAPOUR)
(MALAISIE C. SINGAPOUR)
COMMENTAIRES ÉCRITS DE LA RÉPUBLIQUE DE SINGAPOUR
SUR LES OBSERVATIONS ÉCRITES ADDITIONNELLES
DE LA MALAISIE
12 FEVRIER 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
CHAPITRE I. INTRODUCTION .............................................................................................................. 1
A. Contexte procédural des présents commentaires écrits ............................................................ 1
B. Présentation générale et économie des présents commentaires écrits ...................................... 2
1. La Malaisie n’a toujours pas démontré avoir satisfait aux «critères de recevabilité
relatifs au devoir de diligence (due diligence) et aux délais» ............................................. 2
2. Le faux jour sous lequel la Malaisie présente ses «faits nouvellement découverts» ........... 3
3. Les failles de l’argumentation malaisienne concernant l’influence décisive ....................... 3
4. Le recours déguisé de la Malaisie sur le fond ...................................................................... 4
CHAPITRE II. L’INOBSERVATION PAR LA MALAISIE DES CONDITIONS PROCÉDURALES DE
RECEVABILITÉ ............................................................................................................................... 5
A. Les documents invoqués par Malaisie ..................................................................................... 5
1. Les annexes de la demande en revision ............................................................................... 5
2. Les annexes des observations écrites additionnelles ............................................................ 6
B. Le «fait nouvellement découvert» de la Malaisie n’était pas inconnu avant le prononcé
de l’arrêt .................................................................................................................................. 8
C. La Malaisie n’a pas agi avec une diligence raisonnable pour tenter d’obtenir les
documents nouveaux avant le prononcé de l’arrêt ................................................................. 11
D. La Malaisie n’a pas formé sa demande en revision dans un délai de six mois après la
découverte supposée du «fait nouveau» ou des documents nouveaux................................... 15
E. Conclusion .............................................................................................................................. 18
CHAPITRE III. LE DÉFAUT DE PERTINENCE DES DOCUMENTS DE LA MALAISIE ............................... 19
A. L’annexe 1 de la demande en revision : la correspondance de 1958 ..................................... 19
B. L’annexe 2 de la demande en revision et l’annexe A des observations écrites
additionnelles : les documents concernant l’incident du Labuan Haji en 1958 ..................... 20
C. L’annexe 3 de la demande en revision et les annexes B et C des observations écrites
additionnelles : les documents relatifs au croquis .................................................................. 23
D. L’annexe D des observations écrites additionnelles : la carte du Johore de 1937.................. 30
E. Conclusion .............................................................................................................................. 32
CHAPITRE IV. L’INOBSERVATION PAR LA MALAISIE DE LA CONDITION DE RECEVABILITÉ
RELATIVE À L’«INFLUENCE DÉCISIVE» ........................................................................................ 33
A. Présentation générale de la condition de recevabilité relative à l’«influence décisive» ........ 34
- ii -
1. Le caractère exceptionnel de la revision ............................................................................ 34
2. Le fait nouveau doit être de nature à exercer une influence décisive ................................ 34
B. Les failles fondamentales de l’argumentation malaisienne et le faux jour sous lequel la
Malaisie présente l’analyse de l’arrêt faite par Singapour ..................................................... 36
C. Les documents nouveaux de la Malaisie ne satisfont pas à la condition de «l’influence
décisive» ............................................................................................................................... 39
1. Annexe 1 : la correspondance interne de 1958 relative à la délimitation des eaux
territoriales ........................................................................................................................ 40
2. Annexe 2 : les documents concernant l’incident du Labuan Haji en 1958........................ 44
3. Annexe 3 : le croquis des zones d’accès restreint ou interdit ............................................ 46
4. La carte du Johore de 1937 ................................................................................................ 49
D. Conclusion ............................................................................................................................. 50
CHAPITRE V. LA DEMANDE EN REVISION DE LA MALAISIE SOUS SON VRAI JOUR, CELUI D’UN
RECOURS CONTRE L’ARRÊT ......................................................................................................... 51
RÉSUMÉ DE L’ARGUMENTATION DE SINGAPOUR ............................................................................. 56
CONCLUSION ................................................................................................................................... 58
- iii -
LISTE DES ENCARTS
Numéro Description Page
1 Croquis produit à l’annexe 3 de la demande en revision, annoté
(en rouge) pour faire apparaître le lieu à Singapour des incidents
répertoriés à l’annexe C (numéros chronologiques en bleu)
après la page 42
2 L’incident no 34 répertorié à l’annexe C des observations écrites
additionnelles de la Malaisie
après la page 44
___________
COMMENTAIRES ÉCRITS DE LA RÉPUBLIQUE DE SINGAPOUR
CHAPITRE I
INTRODUCTION
A. CONTEXTE PROCÉDURAL DES PRÉSENTS
COMMENTAIRES ÉCRITS
1.1. Le 2 février 2017, la Malaisie a déposé une demande en revision (ci-après la «demande
en revision») de l’arrêt rendu par la Cour le 23 mai 2008 en l’affaire relative à la Souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour) (ci-après
l’«arrêt»). Cette demande était assortie de trois annexes. Le 24 mai 2017, Singapour a déposé ses
observations écrites (ci-après les «observations écrites») sur la recevabilité de la demande en
revision.
1.2. Le 9 juin 2017, la Malaisie a sollicité la possibilité de présenter à nouveau ses vues sur
la question de la recevabilité de sa demande en revision, ainsi que certains documents additionnels.
Dans une lettre ultérieure en date du 23 juin 2017, elle a indiqué à la Cour que ces documents
additionnels «n’[avaient] été découverts qu’après le dépôt de la requête» et qu’ils «ne pro[cédaient]
nullement d’une seconde demande en revision».
1.3. Le 9 octobre 2017, la Cour a accédé à la demande de la Malaisie, laquelle a ainsi déposé
ses observations écrites et documentation additionnelles (ci-après les «observations écrites
additionnelles») le 11 décembre 2017. Conformément à la décision de la Cour du 9 octobre 2017,
Singapour soumet à présent ses commentaires écrits sur les observations écrites additionnelles
(ci-après les «commentaires écrits»). Sauf indication contraire expresse, les termes et abréviations
utilisés dans lesdits commentaires ont la signification que Singapour leur a attribuée dans ses
observations écrites.
1.4. Il convient de relever d’emblée deux aspects des observations écrites additionnelles qui
sont caractéristiques de la façon dont la Malaisie conçoit plus généralement sa demande en
revision. Premièrement, les observations écrites additionnelles ont fait apparaître de manière encore
plus claire que la Malaisie ne recherche pas réellement la revision de l’arrêt mais tente, de fait, de
former un recours contre celui-ci afin d’obtenir un réexamen de l’affaire initiale. Ce point sera
développé plus loin au chapitre V. Deuxièmement, la Malaisie a, dans ses observations écrites
additionnelles, présenté des documents qui contredisent les déclarations qu’elle a faites à la Cour
lorsqu’elle lui a demandé l’autorisation de déposer un nouveau jeu d’écritures et de documents. Or
c’est sur le fondement de ces déclarations que la Cour l’a autorisée à déposer ces pièces. Il s’agit là
d’un abus de procédure, sur lequel Singapour reviendra plus longuement au chapitre II ci-après.
1.5. Dans ses observations écrites, Singapour a montré que la demande en revision ne
satisfait pas aux conditions posées par l’article 61 du Statut et est, de ce fait, irrecevable. Les
observations écrites additionnelles ne remédient pas à ces lacunes. Au contraire, dans celles-ci, la
Malaisie
a) non seulement déforme à nouveau, mais va même jusqu’à attaquer le raisonnement que la Cour
a suivi pour décider dans son arrêt que la souveraineté sur Pedra Branca appartenait à
Singapour ;
1
2
- 2 -
b) interprète le critère de «l’influence décisive» qui est applicable au stade de la recevabilité de la
procédure de revision d’une manière erronée qui ne tient compte ni du libellé du Statut, ni de la
jurisprudence de la Cour ;
c) ne répond pas aux arguments avancés par Singapour dans ses observations écrites selon lesquels
les «documents nouvellement découverts» n’ont rien à voir avec la souveraineté sur Pedra
Branca et n’entament en rien le raisonnement qui sous-tend la décision de la Cour sur cette
question ;
d) ne démontre pas en quoi ses «documents nouvellement découverts» sont différents de
documents similaires que la Cour a jugés dépourvus de pertinence dans l’arrêt ;
e) tente de contourner les exigences de l’article 99 du Règlement et présente encore d’autres
documents qui, en tout état de cause, n’ont pas la moindre pertinence à l’égard de la question de
la souveraineté sur Pedra Branca ; et
f) n’expose toujours pas en quoi sa demande en revision satisfait aux conditions procédurales
énoncées à l’article 61 du Statut, ce qui apparaît même plus douteux encore à la lecture de ses
observations.
B. PRÉSENTATION GÉNÉRALE ET ÉCONOMIE DES
PRÉSENTS COMMENTAIRES ÉCRITS
1. La Malaisie n’a toujours pas démontré avoir satisfait aux «critères de
recevabilité relatifs au devoir de diligence (due diligence)
et aux délais»
1.6. Le chapitre II des présents commentaires écrits porte sur l’argument présenté par la
Malaisie dans ses observations écrites additionnelles selon lequel elle a satisfait à ce qu’elle appelle
«les critères de recevabilité relatifs au devoir de diligence (due diligence) et aux délais»1. Comme il
va être exposé, nonobstant la quantité d’encre utilisée et le volume des documents annexés, la
Malaisie n’a toujours pas démontré avoir surmonté les failles procédurales qui entachent sa
demande et que Singapour a mises en évidence dans ses observations écrites2. Au contraire, les
observations écrites additionnelles confirment que la Malaisie n’a pas satisfait aux conditions
procédurales énoncées à l’article 61 du Statut.
1.7. Par exemple, dans ses observations écrites additionnelles, la Malaisie a fourni des
éléments attestant clairement que, en janvier 2017, il lui a été indiqué que le croquis figurant à
l’annexe 3 de sa demande en revision avait vraisemblablement été mis à la disposition du public
dès 19983. Or, la Malaisie n’a pas seulement caché cette information à la Cour : elle a même
catégoriquement affirmé dans sa demande, qu’elle a déposée tout juste deux semaines après avoir
reçu cette information, que ses «documents nouvellement découverts», dont celui figurant à
l’annexe 3, «n’[avaient] été rendus accessibles au public par le Gouvernement britannique qu’après
le prononcé de l’arrêt de 2008»4.
1 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, chap. III.
2 Voir observations écrites de Singapour, chap. V.
3 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, annexe L.
4 Demande en revision, par. 23.
3
4
- 3 -
1.8. De plus, s’agissant des documents présentés aux annexes 1 et 2, la Malaisie voudrait
faire croire à la Cour, en dépit du fait que M. Shaharil s’y soit clairement référé dans un article
publié sur son blog début 20155, que son équipe de recherche les a «découvert[s]»6 par un pur
hasard le matin même du tout premier jour où elle aurait entrepris ses recherches dans les archives
nationales du Royaume-Uni en quête d’un «fait nouveau»7.
2. Le faux jour sous lequel la Malaisie présente ses
«faits nouvellement découverts»
1.9. Singapour a déjà démontré dans ses observations écrites que ni les «documents
nouveaux» eux-mêmes ni leur contexte ne corrobore la signification que la Malaisie cherche à leur
attribuer.
1.10. Au chapitre III des présents commentaires écrits, Singapour montrera que les
observations écrites et la documentation additionnelles de la Malaisie n’ont rien ajouté à
l’argumentation exposée par celle-ci sur ce point. En réalité, la Malaisie n’a absolument pas
répondu aux arguments avancés par Singapour au chapitre III de ses observations, à savoir
qu’aucun des «documents nouvellement découverts»  soit ceux figurant sous les annexes 1, 2
et 3 de la demande en revision  ne concerne les vues que Singapour pouvait avoir au sujet de la
souveraineté sur Pedra Branca, une question à laquelle ces documents sont en substance totalement
étrangers.
1.11. Quant à la «documentation additionnelle» que la Malaisie a jointe à ses observations
écrites, aucun des documents qu’elle contient n’apporte le moindre élément contextuel
supplémentaire qui viendrait étayer les dires de celle-ci concernant les «documents nouvellement
découverts» annexés à sa demande en revision. Ainsi qu’il sera exposé plus loin au chapitre III, ces
documents ne révèlent eux non plus absolument rien des vues que Singapour pouvait avoir quant
au titulaire de la souveraineté sur Pedra Branca, une question à laquelle ils sont tout aussi étrangers.
3. Les failles de l’argumentation malaisienne
concernant l’influence décisive
1.12. Au chapitre IV des présents commentaires écrits, Singapour montrera que la Malaisie,
contrairement à ce qu’elle affirme dans ses observations écrites additionnelles, ne s’est toujours pas
acquittée de la charge qui lui incombe de prouver en quoi ses «documents nouvellement
découverts», ou tous faits prétendument mis en évidence par eux, satisfont au critère de recevabilité
relatif à l’«influence décisive». Plus précisément, Singapour :
a) montrera que la Malaisie fixe, à tort et de manière arbitraire, un seuil peu élevé pour qu’il soit
satisfait à la condition de l’«influence décisive» énoncée à l’article 61 ;
5 Voir observations écrites de Singapour, par. 5.30-5.31.
6 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 158 et annexe H.
7 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 155 («Ces recherches ont débuté le 4 août 2016 et
ont consisté à interroger les archives nationales du Royaume-Uni à Londres.») Voir également demande en revision,
par. 23 («Du 4 août 2016 au 30 janvier 2017, la Malaisie a effectué des recherches dans les archives nationales du
Royaume-Uni à Londres. Ces recherches lui ont permis de découvrir des documents démontrant que certains des plus
hauts représentants de Singapour ne considéraient pas que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh relevait du territoire souverain
singapourien dans les années qui ont suivi l’échange de correspondance de 1953.»)
5
6
- 4 -
b) corrigera la présentation erronée que la Malaisie a faite du raisonnement tenu dans l’arrêt et
montrera que celle-ci a mis l’accent sur des éléments que la Cour n’a pas jugés pertinents, tout
en faisant abstraction de ceux qui l’étaient ou en les faisant passer pour dépourvus de
pertinence ; et
c) démontrera qu’aucun des «documents nouvellement découverts» de la Malaisie, ni aucun fait
prétendument mis en évidence par eux, ne peut exercer une «influence décisive» qui viendrait
entamer le raisonnement suivi par la Cour dans son arrêt ou infléchir sa décision sur la
souveraineté.
4. Le recours déguisé de la Malaisie sur le fond
1.13. Comme il a été brièvement indiqué ci-dessus, au chapitre V des présents commentaires
écrits, Singapour analysera et fera apparaître la demande en revision sous son vrai jour, à savoir
celui d’un recours déguisé quant au fond de l’arrêt. Cela ressort notamment :
a) des critiques concernant le bien-fondé de la méthode juridique suivie dans l’arrêt que la
Malaisie formule, sous couleur d’examiner le fondement de la décision de la Cour d’attribuer la
souveraineté sur Pedra Branca à Singapour, en vue d’étayer la prétendue influence décisive de
ses «faits nouveaux»8 ; et
b) de son accusation directe selon laquelle la Cour «s’est livrée dans son arrêt à une analyse
proprio motu sans bénéficier des vues des Parties.»9
1.14. Ainsi que Singapour le montrera au chapitre V, aucun de ces arguments n’est justifié.
Toujours est-il que, de toute évidence, la tentative de la Malaisie de plaider à nouveau sa cause au
fond dans l’espoir d’établir sa souveraineté sur Pedra Branca non seulement n’a rien à voir avec
une demande en revision au titre de l’article 61 du Statut, mais va en outre à l’encontre des
articles 59 et 60 dudit Statut, qui disposent que l’arrêt de la Cour est obligatoire pour les Parties et
qu’il est «définitif et sans recours».
8 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 49 à 68.
9 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 5. La Malaisie a déjà formulé des insinuations similaires
dans sa demande en revision, auxquelles Singapour a répondu dans ses observations écrites. Voir demande en revision,
par. 41, 45 et 48 et observations écrites de Singapour, par. 5.6.
7
- 5 -
CHAPITRE II
L’INOBSERVATION PAR LA MALAISIE DES CONDITIONS
PROCÉDURALES DE RECEVABILITÉ
2.1. Dans ses observations écrites additionnelles, la Malaisie fait grief à «Singapour [de]
conteste[r] la recevabilité de la demande en revision en invoquant tous les motifs possibles et
imaginables»10. Ce n’est pas faux étant donné que l’argumentation de la Malaisie est critiquable sur
tous les points ou presque, encore que Singapour ait naturellement reconnu que la demande en
revision avait été déposée dans le délai de dix ans prescrit au paragraphe 5 de l’article 61 du
Statut11. Cela étant, la demande en revision ne remplit aucune des autres conditions de recevabilité
établies à l’article 61 du Statut. En outre, dans la mesure où elle invoque les documents annexés à
ses observations écrites additionnelles comme attestant l’existence d’un «fait nouveau», la Malaisie
manque aux exigences procédurales de l’article 99 du Règlement.
2.2. Dans la section A, Singapour présentera brièvement les documents sur lesquels la
Malaisie s’appuie dans sa demande en revision et ses observations écrites additionnelles, afin de
replacer dans leur contexte les failles procédurales dont souffrent les pièces malaisiennes.
Singapour montrera également que, en produisant les documents versés sous les annexes C et D, la
Malaisie n’a pas satisfait aux critères procéduraux établis dans le Règlement et a, en réalité,
commis un abus de procédure.
2.3. Singapour établira dans la section B que le ou les «faits nouveaux» de la Malaisie
n’étaient pas «inconnus» de celle-ci et de la Cour avant le prononcé de l’arrêt. Elle démontrera
dans la section C que, en tout état de cause, si la Malaisie ignorait effectivement l’existence du ou
des «faits nouveaux» qu’elle invoque aujourd’hui, il y avait de sa part «faute à l’ignorer». De plus,
comme Singapour l’exposera dans la section D, la Malaisie n’a pas prouvé avoir formé sa demande
«au plus tard dans le délai de six mois après la découverte du fait nouveau». Chacune de ces failles
procédurales constitue, en elle-même, un motif suffisant pour que la Cour déboute la Malaisie de sa
demande en revision au titre de l’article 61 du Statut.
A. LES DOCUMENTS INVOQUÉS PAR LA MALAISIE
1. Les annexes de la demande en revision
2.4. Dans sa demande, la Malaisie s’appuie sur trois jeux de documents, qui sont produits
sous la forme de trois annexes, pour solliciter la revision de l’arrêt.
2.5. L’annexe 1 contient deux télégrammes : le premier, daté du 18 janvier 1958, est un
télégramme adressé au gouverneur de Singapour par le secrétaire d’Etat aux colonies et le second,
la réponse du gouverneur au secrétaire d’Etat en date du 7 février 1958. La Malaisie affirme que la
correspondance de 1958 présentée à l’annexe 1 montre que, à l’époque, les autorités de Singapour
ne considéraient pas que Pedra Branca faisait partie du territoire singapourien12.
10 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 4.
11 Voir observations écrites de Singapour, par.1.3 et 4.9.
12 Voir demande en revision, par. 25.
9
10
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2.6. L’annexe 2 de la demande en revision contient plusieurs documents relatifs à un incident
du 25 février 1958 concernant le Labuan Haji, un navire parti de Singapour qui faisait route vers la
Thaïlande : il s’agit d’un message d’un certain M. Wickens daté du 25 février 1958, qui est
accompagné de comptes rendus internes manuscrits datés du 26 février 1958 et de deux coupures
de journaux –– le Straits Times et le Singapore Standard –– relatant l’incident. Sur la base de ces
documents, la Malaisie allègue que, à l’époque, les autorités singapouriennes estimaient que les
eaux entourant Pedra Branca appartenaient non pas à Singapour, mais au Johor13.
2.7. L’annexe 3 de la demande en revision est un croquis en date du 25 mars 1962 sur lequel
figure des annotations manuscrites, dont la plus récente est de «février 1966». Selon la Malaisie, ce
croquis révèle les vues des autorités singapouriennes, à savoir que les droits territoriaux de
Singapour ne s’étendaient pas à Pedra Branca14.
2.8. Dans ses observations écrites15, Singapour a démontré que la Malaisie n’avait pas
satisfait aux conditions procédurales prescrites à l’article 61 s’agissant des documents présentés
dans ces annexes.
2. Les annexes des observations écrites additionnelles
2.9. L’annexe A se compose de trois coupures de presse, une en anglais datée du 27 février
1958 provenant du Straits Times et deux en malais datées des 26 et 27 février 1958 provenant du
Berita Harian. La Malaisie soutient que ces articles apportent des indications supplémentaires
quant au lieu de l’incident du Labuan Haji16, qui est l’objet principal des documents produits à
l’annexe 2 de la demande en revision. La Malaisie affirme également que, l’article du Straits Times
du 27 février 1958 indiquant que le premier ministre de la Malaya a réclamé un «rapport
circonstancié sur l’incident survenu …. dans les eaux territoriales du Johore»17, il confirme que,
«dans l’esprit des autorités de la Malaya, les eaux territoriales du Johor comprenaient celles situées
au nord de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»18.
2.10. L’annexe B contient l’intégralité du dossier d’archives de 162 pages dans lequel le
croquis de l’annexe 3 a été découvert.
2.11. L’annexe C renferme une copie du dossier d’archives WO 268/802 intitulé «Offensive
indonésienne contre la Malaisie occidentale (à l’exclusion des actes de piraterie et infiltrations non
détectées)», dans lequel il est fait état d’incidents liés à l’infiltration d’éléments indonésiens en
Malaisie et à Singapour pendant la période allant du 17 août 1964 au 31 décembre 1965. La
Malaisie soutient qu’elle a découvert le dossier produit à l’annexe C le 30 mai 201719.
13 Voir demande en revision, par. 30.
14 Voir demande en revision, par. 35.
15 Voir observations écrites de Singapour, chap. V.
16 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 85.
17 Coupure de presse du Straits Times (observations écrites additionnelles de la Malaisie, annexe A).
18 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 85.
19 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 91.
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2.12. La Malaisie prétend que le document versé sous l’annexe C montre pourquoi
l’omission de Pedra Branca sur le croquis de l’annexe 3 revêt de l’importance20. Selon elle, il
indique également que, «jusqu’à la fin de 1965 au moins», les autorités britanniques considéraient
que le phare de Horsburgh «se trouvait dans le Johor oriental»21 et apporte une «illustration
supplémentaire»22 «précieu[se] en [elle]-même»23 des vues des autorités singapouriennes, à savoir
que Singapour n’avait pas acquis la souveraineté du Johor sur Pedra Branca.
2.13. L’annexe D comprend une carte intitulée «Johore, 1937» qui porte le sceau de la
commission des dommages de guerre (ci-après la «carte du Johore de 1937»), ainsi que le rapport
établi par cette commission pour l’année 1952. La Malaisie soutient qu’elle n’a appris l’existence
de cette carte que le 9 novembre 2017 et qu’elle l’a obtenue le 5 décembre 201724. Selon elle, la
carte en question confirme que les autorités de la Malaya et celles de Singapour s’accordaient à
considérer que Pedra Branca était située dans les eaux territoriales du Johor25, et démontre
l’appréciation des autorités singapouriennes, qui était que Pedra Branca ne faisait pas partie du
territoire de Singapour26.
2.14. Ni le document produit à l’annexe C, ni ceux produits à l’annexe D n’étaient
mentionnés dans la demande en revision. Or, la Malaisie a beau prétendre que les documents
additionnels «ne procèdent nullement d’une seconde demande en revision»27, le fait qu’elle les
invoque en tant que preuves des «vues» ou de l’«appréciation» des autorités singapouriennes quant
à la souveraineté sur Pedra Branca montre de manière très claire qu’elle utilise également ces
documents en tant que fondements indépendants d’une revision de l’arrêt.
2.15. De l’avis de la Malaisie, le document versé sous l’annexe C atteste l’existence d’un
«fait nouveau», à savoir que, «jusqu’à la fin de 1965 au moins, les autorités britanniques ont
considéré que le phare Horsburgh se trouvait dans le Johor oriental»28. Cela va bien au-delà de tout
«fait» invoqué par la Malaisie dans sa demande en revision.
2.16. Quant aux documents de l’annexe D, ils n’ont absolument aucun rapport avec l’un ou
l’autre de ceux qui sont annexés à la demande en revision. Rien, dans les observations écrites
additionnelles, ne permet de relier d’une manière ou d’une autre l’annexe D aux annexes de la
demande, sur le fondement desquelles la Malaisie sollicite la revision de l’arrêt. Contrairement à ce
que le coagent de la Malaisie a indiqué dans sa lettre du 23 juin 2017 à la Cour, les documents
produits à l’annexe D ne revêtent aucune «pertinence pour la requête [en revision]», pas plus qu’ils
ne peuvent être réputés d’une certaine façon «permettre à la Cour de bien comprendre le contexte
dans lequel s’inscrivent les arguments de la Malaisie, tels qu’ils sont exposés en détail dans la
requête proprement dite»29. La Malaisie prétend avoir reçu une copie de la carte du Johore de 1937
20 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 95.
21 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 94.
22 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 95.
23 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 95.
24 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 103.
25 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 102.
26 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 105.
27 Lettre en date du 23 juin 2017 adressée au greffier par le coagent de la Malaisie, par. 5. Voir également plus
haut, par. 1.2.
28 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 94.
29 Lettre en date du 23 juin 2017 adressée au greffier par le coagent de la Malaisie, par. 5.
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le 5 décembre 201730, soit six mois après qu’elle eut adressé à la Cour sa lettre du 9 juin 2017 pour
lui demander la possibilité de produire «à l’appui de [sa] requête» en revision des documents
supplémentaires qu’elle affirmait avoir déjà «découverts». Il est donc totalement impossible que la
Malaisie ait eu la carte du Johore de 1937 à l’esprit lorsqu’elle a formulé cette demande. En outre,
contrairement à ce qu’elle a déclaré lors de la réunion de procédure qui s’est tenue avec le président
de la Cour le 11 septembre 2017, à savoir que la documentation additionnelle qu’elle souhaitait
présenter provenait des archives nationales du Royaume-Uni, la Malaisie a en réalité obtenu la
carte de l’annexe D auprès d’une personne privée31.
2.17. Comme l’indique clairement le paragraphe 1 de l’article 99 du Règlement, il incombe à
la Malaisie de démontrer que sa demande en revision contient toutes les indications nécessaires
pour établir que les conditions prescrites à l’article 61 du Statut sont remplies, et tout document à
l’appui devait être annexé à la demande. Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, le fait que la
Malaisie ait, à la faveur de la possibilité accordée par la Cour, présenté les documents contenus
dans les annexes C et D en tant que «documentation additionnelle» au lieu de les annexer à sa
demande en revision, comme l’exigeait l’article 99 du Règlement, constitue un abus de procédure.
En tout état de cause, les documents en question ne satisfont pas aux critères de recevabilité établis
à l’article 61 du Statut.
B. LE «FAIT NOUVELLEMENT DÉCOUVERT» DE LA MALAISIE
N’ÉTAIT PAS INCONNU AVANT LE PRONONCÉ DE L’ARRÊT
2.18. Dans sa demande, la Malaisie ne définit pas de manière précise le «fait nouveau»
qu’elle aurait découvert et qui justifierait la revision de l’arrêt32. Tantôt elle affirme que chacun des
nouveaux documents annexés à sa demande constitue un fait nouveau33, tantôt elle les considère
«comme des éléments attestant un fait sous-jacent implicite, à savoir que Singapour n’estimait pas
que la correspondance de 1953 lui avait transféré la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh»34. Il ne s’agit manifestement pas là d’un «fait nouveau», ainsi que l’a exposé Singapour35.
Dans ses observations écrites additionnelles, la Malaisie ne conteste pas ce point mais reproche à
Singapour –– qui n’a pourtant rien fait d’autre que citer la demande en revision –– de «présenter
sous un faux jour les faits [qu’elle] a découverts»36.
2.19. Consciente des lacunes de sa description du ou des «faits nouveaux», la Malaisie a
désormais modifié sa conception du «fait nouveau» visé à l’article 61 du Statut. S’appuyant sur les
documents qu’elle affirme avoir nouvellement découverts, elle prétend établir
«l’existence d’une situation factuelle continue dont ni [elle-même], ni la Cour
n’avaient connaissance avant le prononcé de l’arrêt, à savoir, plus précisément,
qu’aucun accord, exprès ou tacite, n’avait vu le jour entre les Parties quant au transfert
à Singapour de la souveraineté du Johor sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.»37
30 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 103.
31 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 103.
32 Voir observations écrites de Singapour, par. 4.6 et 5.3.
33 Voir demande en revision, par. 22.
34 Demande en revision, par. 22 ; voir également par. 23 et 40.
35 Observations écrites de Singapour, par. 5.2-5.6.
36 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 107.
37 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 107 ; voir également par. 29.
15
16
- 9 -
2.20. Elle ajoute que «[l]’absence d’un tel accord était évidemment inconnue de la Cour
elle-même»38. Or cette nouvelle qualification ou conception du «fait nouveau» ne transforme pas
celui-ci en fait «inconnu» de la Cour ou de la Malaisie. Cette dernière oublie là encore ce qu’elle
avait elle-même déclaré en l’affaire initiale, lorsqu’elle avait en particulier tenté de convaincre la
Cour que Singapour n’avait jamais manifesté la moindre «conviction» s’agissant de la souveraineté
sur Pedra Branca ou, pour reprendre les termes employés dans ses observations écrites
additionnelles, de «la composante singapourienne présumée de la communauté de vues dont
l’existence a été inférée dans l’arrêt de 2008»39.
2.21. Dans son mémoire en l’instance initiale, la Malaisie avait déclaré ce qui suit :
«Singapour n’entreprit jamais la moindre démarche pour revendiquer Pulau
Batu Puteh à la suite de [la] correspondance [de 1953] ; celle-ci ne modifia pas non
plus, manifestement, la perception qu’avait Singapour que l’île ne faisait pas partie de
son territoire ... Singapour n’a jamais manifesté avant 1980 la moindre conviction que
Pulau Batu Puteh fît partie de son territoire.»40
2.22. Et d’ajouter :
«[D]ans le cours des relations bilatérales entre les Parties, Singapour n’a jamais
manifesté qu’elle estimait détenir la souveraineté sur Pulau Batu Puteh. ... Et rien dans
la pratique ultérieure de Singapour ne vient infirmer cette appréciation.»41
2.23. Après un examen du comportement unilatéral de Singapour au cours de la période
allant de 1953 à 1980, la Malaisie avait finalement affirmé que,
«[c]omme sa conduite dans ses relations bilatérales avec la Malaisie, le comportement
unilatéral de Singapour durant la période décisive de sa transformation
constitutionnelle confirm[ait] qu[e cette dernière] n’a[vait] jamais eu, avant 1980, le
sentiment de détenir un titre sur Pulau Batu Puteh»42.
2.24. Dans son contre-mémoire en l’affaire initiale, la Malaisie s’était également appuyée sur
ce qu’elle estime aujourd’hui être un «fait nouveau», déclarant :
«En outre, [les autorités singapouriennes] ne cherchèrent nullement à traduire
dans les faits la teneur de leur échange de correspondance : à aucun moment jusque
peu avant la date critique, Singapour ne revendiqua PBP [Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh]. Elle ne modifia pas sa conduite d’un iota : elle continua d’agir comme avant
en se contentant d’administrer le phare. Elle n’étendit pas ses eaux territoriales et rien
dans sa conduite ne pouvait être interprété comme une revendication de souveraineté.
La question ne fit l’objet d’aucune autre déclaration. Si Singapour prétend aujourd’hui
38 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 109.
39 Ibid., par. 15 ; voir également par. 32.
40 Mémoire de la Malaisie, par. 242.
41 Ibid., par. 244.
42 Ibid., par. 267.
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- 10 -
qu’elle avait en fait pris acte de la déclaration du secrétaire d’Etat par intérim du
Johor, rien ne permet d’établir que ce fut bien le cas. Au contraire, il ressort
clairement des activités ultérieures de Singapour qu’elle continua à traiter PBP
comme ne relevant pas de son territoire.»43
2.25. Dans sa réplique, la Malaisie avait également analysé le comportement des Parties
avant et après l’échange de correspondance de 1953, et avait tiré la conclusion suivante :
«Quant à la conduite contraire à sa prétention de souveraineté, elle n’y oppose
que le silence. La conduite de Singapour ne suffit pas à fonder sa propre prétention au
titre. Elle ne suffit assurément pas à déplacer le titre originaire de la Malaisie.»44
2.26. Enfin, pendant les audiences, le conseil de la Malaisie avait traité la question de la
reconnaissance tacite et affirmé que Singapour n’avait jamais prétendu exercer sa souveraineté sur
Pedra Branca ou accepté de le faire :
«Cette pratique [subséquente] montre également que, malgré les souhaits du
Chief Surveyor et du Master Attendant de Singapour, les organes compétents n’ont
jamais étendu la mer territoriale de Singapour autour des eaux de Pedra Branca. Il en
va de même du souhait du prédécesseur lointain de M. Chao, l’Attorney-General :
«nous pouvons revendiquer Pedra Branca» disait-il, mais le fait est que ni le
Royaume-Uni ni Singapour [ne] l’ont fait.»45
2.27. Comme il ressort de ce qui précède, il est tout simplement faux de soutenir que le «fait
nouveau» de la Malaisie, quelle que soit la manière dont celle-ci le présente, «n’a été invoqué par
aucune des Parties au cours de la procédure initiale»46. Face à ce qui vient d’être rappelé, la
Malaisie ne peut maintenant affirmer que ni la Cour, ni elle-même n’avaient connaissance du «fait»
qu’il n’avait existé aucun accord quant au transfert de la souveraineté sur Pedra Branca : c’est
précisément ce qu’elle soutenait dans la procédure antérieure47. Or elle n’avait pas eu gain de
cause. En rouvrant la question, la Malaisie tente purement et simplement d’intenter un recours
contre les conclusions formulées par la Cour en l’affaire initiale48.
2.28. Toujours est-il que, comme en l’affaire initiale, les documents produits par la Malaisie
dans sa demande ne peuvent établir l’inexistence d’un accord, tacite ou exprès, entre les Parties
concernant la souveraineté sur Pedra Branca. Ainsi que Singapour le montrera plus loin au
chapitre III, aucun de ces documents ne traite la question de la souveraineté sur Pedra Branca ni
n’autorise la moindre conclusion à cet égard.
43 Contre-mémoire de la Malaisie, par. 510 (les italiques sont de nous).
44 Réplique de la Malaisie, par. 372.
45 CR 2007/31, p. 38-39, par. 30 (Kohen).
46 Demande en revision, par. 45.
47 Voir observations écrites de Singapour, par. 5.4-5.5.
48 Voir plus loin, par. 5.4-5.11.
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- 11 -
C. LA MALAISIE N’A PAS AGI AVEC UNE DILIGENCE RAISONNABLE POUR TENTER
D’OBTENIR LES DOCUMENTS NOUVEAUX AVANT
LE PRONONCÉ DE L’ARRÊT
2.29. Même si les documents nouveaux de la Malaisie, ou tout «fait» qu’ils pourraient être
réputés mettre en évidence, avaient effectivement été inconnus de celle-ci avant le prononcé de
l’arrêt, cette ignorance est due à une faute qui n’est imputable qu’à la Malaisie et à elle seule.
Singapour reconnaît que, «s’agissant de la découverte d’éléments de preuve, la notion de faute
constitue … un critère objectif fondé sur le comportement qu’il est raisonnablement permis
d’attendre d’un Etat dans les circonstances de l’affaire»49. L’existence des documents en cause
aurait certainement été connue de la Malaisie si cette dernière avait dûment agi avec une diligence
raisonnable.
2.30. La Malaisie affirme qu’il n’y a «rien de déraisonnable à ce que, dans les circonstances
de l’affaire initiale, elle n’ait pas, en dépit de ses efforts considérables et soutenus, trouvé ou
obtenu les documents qui étayent les faits nouveaux sur lesquels sa demande en revision est
fondée»50. Voici ce que la Malaisie a, en particulier, soutenu dans sa demande :
«Il convient également de noter que, en l’espèce, l’application du critère de la
faute devrait tenir compte du fait que l’idée que les Parties elles-mêmes se faisaient de
la situation concernant la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh n’a pas été
traitée par elles lors de la procédure initiale ; il serait donc difficile d’envisager de
qualifier les Parties de fautives au motif qu’elles n’auraient pas découvert des
informations concernant un point qui n’a pas été soulevé lors de la procédure.»51
2.31. Il est de toute évidence illogique, de la part de la Malaisie, d’alléguer d’un côté que les
Parties n’avaient ni traité ni soulevé un argument utilisé par la Cour mais que, de l’autre côté, elle
s’était appliquée, avec toute la diligence voulue, à rechercher des documents en vue d’étayer le
même argument.
2.32. En outre, comme il a été démontré plus haut52, la Malaisie avait mentionné dans ses
propres exposés en l’affaire initiale le «fait nouveau» qu’elle invoque à présent. Dans ces
conditions, il est raisonnablement permis de s’attendre à ce qu’elle  la Partie ayant invoqué ce
fait  ait pris toutes les mesures possibles pour établir et vérifier ses allégations. Dans l’affaire
Tunisie c. Libye, la Cour a déclaré ce qui suit :
«On pourrait penser … qu’un Etat n’affirmerait pas que cette concession
empiète sur sa propre zone de plateau continental sans en connaître les limites exactes
ni sans essayer de les découvrir. De même s’attendrait-on que, dans une instance
judiciaire dont le but ultime est de délimiter le plateau continental, au cours de
49 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 112.
50 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 114.
51 Demande en revision, par. 48.
52 Voir plus haut, par. 2.21-2.27.
20
- 12 -
laquelle une concession pétrolière dans la région considérée est décrite de manière
imprécise par l’une des parties, l’autre ne se contenterait pas de souligner ce fait dans
ses pièces de procédure, mais s’efforcerait de se procurer le renseignement
elle-même.»53
2.33. Si elle avait fait preuve de diligence, la Malaisie aurait dû procéder à des recherches
approfondies, y compris dans les archives nationales du Royaume-Uni, compte tenu de sa propre
histoire et de celle de Singapour. Toutefois, elle n’a présenté ni dans sa demande ni dans ses
observations écrites additionnelles aucun élément qui démontre qu’elle ait effectivement essayé de
demander le moindre document aux archives nationales du Royaume-Uni ou au ministère
britannique des affaires étrangères et du Commonwealth. Elle se contente d’invoquer de manière
générale certaines exemptions prévues par la loi britannique de 2000 sur la liberté de l’information
(Freedom of Information Act) (ci-après la «loi sur la liberté de l’information») en ses articles 24
(sécurité nationale), 26 (défense) et 27 (relations internationales)54. La Malaisie ne fournit aucun
élément prouvant que les documents qu’elle a soumis avec sa demande relèvent ou aient relevé de
telles exemptions. Au contraire, le fait que ces documents aient été mis à la disposition du public
porte à croire en lui-même qu’ils échappent aux exemptions en question, et la Malaisie n’a pas
établi qu’elle ait essayé d’y avoir accès avant le prononcé de l’arrêt55.
2.34. S’agissant de l’exemption relative à la sécurité nationale prévue à l’article 24 de la loi
sur la liberté de l’information, la Malaisie ne produit aucun «certificat signé par un ministre de la
Couronne attestant que l’exemption [de production] doive, ou ait dû à un moment quelconque,
s’appliquer afin de sauvegarder la sécurité nationale»56.
2.35. Pour tenter de justifier son omission de chercher à obtenir des documents pertinents (ou
même à savoir si pareils documents existaient dans les archives nationales du Royaume-Uni ou
dans celles du ministère britannique des affaires étrangères et du Commonwealth), la Malaisie fait
valoir «qu’il n’y avait pas lieu pour elle, lors de l’affaire initiale, de faire la moindre démarche
auprès du Gouvernement britannique en vue d[’]obtenir» «des documents dont elle ignorait
l’existence»57. Mais, encore une fois, là n’est pas la question. Il ne s’agit pas de savoir si la
Malaisie connaissait l’existence des documents qu’elle a produits en la présente espèce, mais de
savoir si elle aurait dû procéder avec diligence à des recherches sur l’existence et le contenu de ces
documents dans le contexte de l’affaire, et si elle l’a effectivement fait.
2.36. Dans ses observations écrites58, Singapour a montré que, bien avant le prononcé de
l’arrêt, la Malaisie avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance de certaines circonstances et
informations qui, à tout le moins, auraient dû la conduire à pousser ses recherches, par exemple en
demandant des documents ou des informations au Gouvernement britannique.
53 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 206, par. 27.
54 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 148, ainsi que l’annexe F.
55 Voir, en sens contraire, observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 116.
56 Loi britannique de 2000 sur la liberté de l’information, article 24, par. 3 (observations écrites additionnelles de
la Malaisie, annexe F).
57 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 116.
58 Voir observations écrites de Singapour, par. 5.14-5.22.
21
22
- 13 -
2.37. En ce qui concerne le télégramme daté du 7 février 1958 qui figure sous l’annexe 1 de
la demande en revision, la Malaisie avait connaissance des discussions qui avaient lieu à l’époque
au sujet d’une éventuelle extension de la largeur de la mer territoriale, en conséquence d’une
évolution récente du droit de la mer59. La correspondance de juillet 1953 qu’elle avait produite en
l’affaire initiale le démontre60. En pareilles circonstances, il est parfaitement raisonnable d’attendre
d’une partie qu’elle effectue les recherches nécessaires pour trouver les documents et la
correspondance existant à cet égard, comme ceux relatifs à la conférence de Genève de 1958 sur le
droit de la mer. La Malaisie n’a toutefois présenté aucun élément prouvant qu’elle ait entrepris
auprès du Royaume-Uni la moindre démarche qui lui aurait permis de découvrir, avant le prononcé
de l’arrêt, les documents qu’elle a présentés à l’annexe 1 de sa demande.
2.38. Il en va de même des documents concernant l’incident du Labuan Haji joints sous
l’annexe 2 de la demande en revision. Les coupures de presse que la Malaisie a produites sous cette
annexe et sous l’annexe A de ses observations écrites additionnelles montrent que cet incident a, à
l’époque, fait couler beaucoup d’encre. La Malaisie aurait dû savoir qu’il avait eu lieu et qu’il était
pertinent pour l’affaire initiale, comme elle l’affirme maintenant. Ces articles ayant fait l’objet
d’une diffusion publique, elle aurait pu en découvrir l’existence avec très peu d’efforts. Il est
impossible qu’elle n’ait pas su dès le début ce qui s’était passé avec le Labuan Haji. C’est un fait et
elle ne le conteste pas dans ses observations écrites additionnelles. Pourtant, la Malaisie n’a
nullement démontré qu’elle ait cherché à consulter à ce sujet les archives nationales du Royaume-
Uni ou celles du ministère des affaires étrangères et du Commonwealth.
2.39. La faute de la Malaisie est également manifeste en ce qui concerne le croquis joint sous
l’annexe 3 de la demande en revision. Les dates dans les annotations manuscrites qui y ont été
apportées sont certes nouvelles, mais il ne fait aucun doute que des versions quasiment identiques
de ce croquis avaient été publiées auparavant et que la Malaisie aurait aisément pu les trouver bien
avant que la Cour ne rende son arrêt en 200861. Vu l’importance qu’elle attache à ce croquis (et,
manifestement, à ce que celui-ci ne montre pas), l’on pouvait s’attendre à ce qu’elle en ait
recherché d’autres versions et demandé à les obtenir. Or, la Malaisie n’a produit aucun élément qui
démontre qu’elle ait jamais cherché à savoir s’il en existait d’autres versions, notamment auprès
des archives nationales du Royaume-Uni.
2.40. En réalité, la Malaisie, et tout un chacun d’ailleurs, pouvait se procurer ce croquis, y
compris la version annotée à la main qui figure dans le dossier d’archives DEFE 69/539, et ce, bien
avant que la Cour ne statue en l’affaire initiale62. La Malaisie essaie de décrédibiliser la preuve
apportée par Singapour au sujet de la date d’ouverture au public du dossier DEFE 69/539 en
affirmant qu’elle-même a obtenu des informations distinctes dans le cadre de ses propres
recherches63. Cette allégation appelle deux observations.
2.41. Tout d’abord, la preuve apportée par Singapour consiste en un courrier officiel du
bureau du directeur général des archives nationales du Royaume-Uni, répondant à une demande
59 Voir observations écrites de Singapour, par. 3.3-3.4.
60 Lettre, avec pièces jointes, de juillet 1953 adressée au commissaire général adjoint aux affaires coloniales de
Singapour par A. G. B. Colton, pour le secrétaire colonial de Singapour (mémoire de la Malaisie, vol. 3, annexe 68).
61 Voir observations écrites de Singapour, par. 5.20-5.24.
62 Voir observations écrites de Singapour, par. 5.19. Voir également correspondance avec les archives nationales
du Royaume-Uni concernant la date de mise à la disposition du public du dossier DEFE 69/539, 4-25 avril 2017
(observations écrites de Singapour, annexe 2).
63 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 159.
23
24
- 14 -
adressée, également par la voie officielle, par le directeur des archives nationales de Singapour. La
Malaisie, en revanche, produit un échange de courriels dont il ressort que l’un des membres de son
équipe de recherche a fait une demande d’information à partir de ce qui semble être son compte de
messagerie personnel, au moyen du formulaire de contact standard qui figure sur le site Internet des
archives nationales du Royaume-Uni, sans donner aucun élément montrant que l’intéressé ait agi
autrement qu’à titre privé. La Cour appréciera elle-même le poids à accorder, respectivement, aux
preuves qui lui ont été soumises par chacune des Parties.
2.42. Ensuite, il apparaît que la Malaisie a fait cette consultation le 19 janvier 2017, soit plus
de deux mois après avoir «découvert» le dossier en question aux archives nationales du
Royaume-Uni et à peine 14 jours avant le dépôt de sa demande en revision, et qu’elle a reçu une
réponse du service des lecteurs desdites archives deux jours plus tard. Or, lorsqu’elle a saisi la Cour
le 2 février 2017, la Malaisie a omis de dire que, selon le service des lecteurs, le dossier contenant
le document joint sous l’annexe 3 de la demande en revision avait vraisemblablement été rendu
public en décembre 1998, soit près de dix ans avant le prononcé de l’arrêt en l’affaire initiale64.
Malgré la teneur des informations ainsi obtenues, la Malaisie n’a pas jugé nécessaire de pousser ses
recherches concernant la date exacte d’ouverture au public des documents concernés. Au contraire,
lorsqu’elle les a annexés à sa demande en revision, elle a affirmé catégoriquement que lesdits
documents  y compris le croquis joint sous l’annexe 3  n’avaient «été rendus accessibles au
public par le Gouvernement britannique qu’après le prononcé de l’arrêt de 2008»65. Ce n’est pas là
faire preuve de la diligence attendue d’une partie, en particulier dans le cadre d’une procédure en
revision.
2.43. Enfin, s’agissant de la carte du Johore de 1937 produite sous l’annexe D des
observations écrites additionnelles, il nous suffit de relever que la Malaisie doit avoir été
officiellement informée de son existence dès les années 1950. En effet, comme elle le rappelle
elle-même, les membres de la commission des dommages de guerre étaient «désignés
conjointement par le haut-commissaire de la Fédération de Malaya et le gouverneur de la colonie
de Singapour», lesquels y faisaient notamment siéger leurs «secrétaires aux finances» respectifs66.
La Malaisie doit avoir eu connaissance de l’ensemble des éléments conservés ou utilisés par la
commission des dommages de guerre, y compris la carte du Johore de 1937, dès que la commission
les a eus en sa possession, c’est-à-dire dès le 1er janvier 1950, date de son entrée en fonctions67. Il
n’est pas possible que la Malaisie n’ait eu connaissance de cette carte qu’en novembre 2017,
surtout si, comme elle l’affirme, celle-ci avait été utilisée par la commission. Par conséquent, si la
Malaisie ignorait l’existence de cette carte au moment de l’affaire initiale, c’est qu’il y a
nécessairement eu, de sa part, faute à l’ignorer. Elle ne saurait prétendre maintenant avoir
récemment découvert ce document chez une personne privée à la faveur d’un concours de
circonstances68.
2.44. Force est de conclure que la Malaisie ne pouvait ignorer l’existence de ces différents
éléments. Quand bien même elle n’aurait pas eu connaissance des documents qu’elle met
aujourd’hui en avant pour appuyer sa prétendue découverte d’un ou de plusieurs «faits nouveaux»,
cette ignorance était due à une faute de sa part. La Malaisie n’a pas démontré avoir fait la moindre
64 Voir correspondance entre l’équipe de recherche malaisienne et les archives nationales du Royaume-Uni en
date des 19 et 21 janvier 2017 (observations écrites additionnelles de la Malaisie, annexe L).
65 Demande en revision, par. 23.
66 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 104.
67 Voir rapport de la commission des dommages de guerre pour l’année 1952, p. 33 (observations écrites
additionnelles de la Malaisie, annexe D).
68 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 103.
25
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- 15 -
recherche sur l’existence ou le contenu de ces documents avant que la Cour ne rende son arrêt.
Etant donné qu’elle pouvait obtenir ces documents et que, si l’on en croit ses arguments et
allégations en l’affaire initiale, il était dans son propre intérêt de se les procurer, la Malaisie n’a pas
satisfait à l’une des conditions de recevabilité énoncées au paragraphe 1 de l’article 61 du Statut, à
savoir que le fait nouvellement découvert lui ait été inconnu sans qu’il y ait eu, de sa part, faute à
l’ignorer69.
2.45. En outre, la Malaisie ne se contente pas d’accuser Singapour d’avoir disposé de ces
documents avant le prononcé de l’arrêt ; elle insinue également que Singapour a fait preuve de
mauvaise foi en s’abstenant de les produire dans l’affaire initiale, et en s’opposant maintenant à ce
qu’ils servent à la revision de l’arrêt qu’elle cherche à obtenir70. Les coupures de presse jointes sous
les annexe 2 et A étaient accessibles au public. Quant aux autres documents, Singapour nie
catégoriquement en avoir disposé avant que la Cour ne statue en l’affaire initiale et conteste avec
force l’accusation de mauvaise foi que la Malaisie semble, sans aucun fondement, formuler à son
encontre.
2.46. En tout état de cause, l’article 61 du Statut ne dit rien sur la connaissance ou
l’établissement du «fait nouveau» par la partie qui ne demande pas la revision de l’arrêt. De plus,
eu égard aux circonstances, la Malaisie avait tout loisir, pendant la procédure initiale, de demander
que fussent produits les documents prétendument détenus ou conservés par Singapour. Elle ne l’a
pourtant jamais fait. Même à supposer qu’elle eût été en possession de ces documents, Singapour
n’avait aucune raison de les produire puisqu’ils n’avaient aucun rapport avec les questions de
souveraineté dont la Cour était saisie.
D. LA MALAISIE N’A PAS FORMÉ SA DEMANDE EN REVISION DANS UN DÉLAI
DE SIX MOIS APRÈS LA DÉCOUVERTE SUPPOSÉE DU «FAIT NOUVEAU»
OU DES DOCUMENTS NOUVEAUX
2.47. Dans ses observations écrites additionnelles, la Malaisie a révélé tardivement la date à
laquelle elle avait découvert chacun des documents joints sous les trois annexes de sa demande en
revision. Rappelons pour commencer que cette information aurait dû figurer déjà dans la demande
puisque celle-ci, conformément au paragraphe 1 de l’article 99 du Règlement, devait contenir «les
indications nécessaires pour établir que les conditions prévues à l’article 61 du Statut [étaient]
remplies». En l’espèce, ces indications nécessaires comprenaient la date de découverte des
documents motivant la demande en revision et toute autre information permettant de vérifier si le
délai de six mois avait été respecté.
2.48. La Malaisie affirme que c’est le 4 août 2016 qu’elle a eu connaissance pour la première
fois des documents produits sous les annexes 1 et 2 de sa demande en revision71. Quant à la
découverte du document joint en tant qu’annexe 3, elle daterait du 8 novembre 201672. A l’appui de
ses dires, la Malaisie fournit une photographie des bordereaux de prêt des archives nationales du
Royaume-Uni73. Ces bordereaux portent bien les dates avancées par la Malaisie, mais ils montrent
69 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 207, par. 28.
70 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 16 et 116.
71 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 158.
72 Ibid., par. 159.
73 Ibid., annexes H et J.
27
28
- 16 -
simplement que, à ces deux dates, l’équipe de recherche malaisienne a demandé à obtenir un
exemplaire papier des dossiers en question.
2.49. Il reste que, selon les éléments de preuve versés au dossier, au moins deux des
documents que la Malaisie prétend n’avoir découverts que le 4 août 2016 étaient en fait connus
d’elle bien avant cette date. Ainsi, indépendamment du point de savoir si M. Shaharil travaille ou
travaillait à l’époque pour le compte de la Malaisie, le fait est que, dans un article publié le 29 mars
2015 sur son blog «Défendre la recherche», il a clairement cité le télégramme du 7 février 1958 qui
est produit sous l’annexe 1 de la demande en revision, et commenté les documents concernant
l’incident du Labuan Haji qui figurent à l’annexe 2.
2.50. L’article publié sur le blog contient le passage suivant, que la Malaisie s’est abstenue
de citer dans ses observations écrites additionnelles74:
«Le troisième fait nouveau concerne l’observation formulée par les autorités
singapouriennes selon laquelle l’extension à 6 milles de la largeur des eaux
territoriales dans le détroit de Singapour, telle que proposée, ne serait pas dans
l’intérêt de cette dernière pour les raisons suivantes :
«a) Les abords de Singapour suivent des chenaux entre les îles indonésiennes au sud et
la partie continentale de la Fédération de Malaya [l’Etat et le territoire du Johore]
au nord. Ces chenaux n’ont que 8,5 milles de large dans leurs sections les plus
étroites, tant à l’ouest qu’à l’est. Porter à 6 milles la largeur des eaux territoriales
aurait par conséquent pour effet de fermer l’abord de Singapour par des chenaux
de haute mer.
b) 2. Il est donc important pour Singapour que la limite des eaux territoriales reste
fixée à 3 milles. Cependant, s’il se révélait nécessaire d’accepter en fin de compte
une application générale de la limite des 6 milles, il faudrait non seulement
réaffirmer le droit de passage inoffensif dans les détroits internationaux ainsi créés,
mais encore veiller à ce que soit ménagé un couloir international de haute mer de
un mille de large dans les détroits entre Singapour et le territoire de la Fédération
de Malaya au nord et Singapour et le territoire de l’Indonésie au sud. Ce couloir
devrait suivre le chenal de navigation normal d’ouest en est qui se présente
approximativement comme suit. A partir d’un point situé à 3 milles au nord du
phare Brothers jusqu’à un point situé à 1 mille au nord du phare Horsburgh, en
passant successivement par un point situé à 3 milles au sud du phare Sultan Shoal,
un point situé à 2 milles au sud du phare Raffles, et un point situé à mi-chemin
entre le point le plus méridional de St John’s Island et le phare Batu Berhanti.»»75
Ce passage figure à l’identique dans le télégramme du 7 février 1958 sur lequel s’appuie la
Malaisie, et qui est produit sous l’annexe 1 de la demande en revision.
2.51. L’article publié sur le blog contient également ce passage :
«Deuxièmement, le do[ssier] révèle un autre élément de preuve crucial en ce
qu’il fait mention d’un incident survenu dans le périmètre des eaux territoriales de
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ; dans leur correspondance officielle, les autorités
74 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 172-177.
75 Observations écrites de Singapour, annexe 3, p. A23. Voir également observations écrites de Singapour,
par. 5.30.
29
- 17 -
locales de Singapour ont indiqué que cet incident s’était produit dans les eaux
territoriales du Johore, ce qui a également été rapporté dans la presse locale.
L’incident en question n’a jamais été inscrit sur la liste des intrusions dans les eaux
territoriales singapouriennes. Il s’agit là d’un fait décisif.»76
Au paragraphe précédent, l’auteur indique que les incidents répertoriés sur «la liste des intrusions
dans les eaux territoriales singapouriennes» se sont produits entre 1955 et 1958. Les documents
concernant l’incident du Labuan Haji, que la Malaisie a produits à l’annexe 2 de sa demande en
revision, correspondent donc à ceux évoqués dans le passage précité. L’annexe 2 contient des
messages et des comptes rendus internes des autorités de Singapour qui situent la position du
Labuan Haji «à l’intérieur des eaux territoriales du Johore»77, ainsi que deux coupures de presse
relatant l’incident.
2.52. Il ne fait en conséquence aucun doute que M. Shaharil a découvert ces documents bien
avant le 4 août 2016. Il ne fait aucun doute non plus que les autorités malaisiennes connaissaient
l’existence et la teneur de l’article qu’il avait publié puisque, comme l’a expliqué Singapour, elles
ont elles-mêmes interdit l’accès à son blog78.
2.53. De surcroît, il est révélateur que ce soit auprès des archives nationales du
Royaume-Uni que les autorités malaisiennes ont débuté leurs recherches, c’est-à-dire précisément
les archives dont M. Shaharil indiquait dans son blog qu’elles avaient, en 2013, ouvert au public
des dossiers contenant des preuves susceptibles d’étayer une demande en revision de l’arrêt de
200879. Il est également révélateur que, d’après le bordereau de prêt produit par la Malaisie80, son
équipe de recherche ait «découvert» et sollicité le dossier FCO 141/14808, qui contenait les
documents joints par la suite sous les annexes 1 et 2 de la demande en revision, dès le tout premier
jour de ses recherches, soit le 4 août 201681, et dès 11 h 5, soit deux heures seulement après
l’ouverture du service des archives. C’est d’autant plus surprenant que l’intitulé du dossier
FCO 141/14808 dans le catalogue des archives nationales du Royaume-Uni est loin d’être
éloquent : «Singapour : eaux locales ; politique et incidents concernant l’Indonésie». Aucune
mention, dans cette description du contenu du dossier, de la Malaisie, de Pedra Branca, ou même
du phare Horsburgh. Il est assurément plus probable que l’équipe de recherche de la Malaisie ait su
exactement ce qu’elle devait chercher, en l’occurrence le dossier contenant les informations
publiées sur le blog de M. Shaharil près de deux années avant le dépôt de la demande en revision.
2.54. Il est donc évident que la Malaisie doit avoir découvert les «faits nouveaux» bien avant
le 4 août 2016. Puisqu’elle n’a formé sa demande en revision que le 2 février 2017, elle n’a pas
satisfait à la condition du délai de six mois prévue au paragraphe 4 de l’article 61 du Statut.
76 Observations écrites de Singapour, annexe 3, p. A23. Voir également observations écrites de Singapour,
par. 5.30.
77 Note en date du 25 février 1958 adressée au secrétaire du gouverneur par «ER» (demande en revision,
annexe 2).
78 Voir observations écrites de Singapour, par. 5.34.
79 Voir observations écrites de Singapour, annexe 3, p. A23.
80 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, annexe H.
81 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, annexe H.
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31
- 18 -
2.55. Du reste, il est de toute façon purement inconcevable que l’équipe malaisienne, à
supposer qu’elle se soit montrée raisonnablement diligente dans sa préparation de l’affaire initiale,
ne soit pas parvenue à trouver un document qu’un ancien «conseiller historique du cabinet de
l’Attorney General» a lui-même découvert dans le cadre de ses activités privées, comme le prétend
maintenant la Malaisie82.
E. CONCLUSION
2.56. Pour les raisons exposées dans le présent chapitre, la demande en revision ne satisfait
pas aux conditions procédurales importantes qui sont énoncées à l’article 61 du Statut. Elle ne
repose sur aucun fait jusqu’alors inconnu de la Cour et de la Malaisie. En tout état de cause, si la
Malaisie ignorait l’existence des documents annexés à sa demande en revision, c’est qu’il y a eu, de
sa part, faute à l’ignorer. En outre, il est évident que ces documents ont en réalité été découverts
plus de six mois avant le dépôt de la demande en revision. Pour chacun de ces motifs, la demande
en revision est irrecevable.
82 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 163-168.
32
- 19 -
CHAPITRE III
LE DÉFAUT DE PERTINENCE DES DOCUMENTS DE LA MALAISIE
3.1. A l’appui de sa demande en revision, la Malaisie a fait valoir plusieurs documents
groupés en trois annexes, numérotées de 1 à 3. Elle a ensuite annexé à ses observations écrites
additionnelles 13 autres jeux de documents. En ce qui concerne la condition de l’«influence
décisive», elle prétend se fonder sur trois de ces derniers –– figurant sous les annexes A, C et D83 –
– pour étayer sa demande en revision de l’arrêt. Dans le présent chapitre, Singapour démontrera
qu’aucun des documents sur lesquels la Malaisie fait fond –– qu’il s’agisse de ceux annexés à sa
demande ou de ceux annexés à ses observations –– n’a le moindre rapport avec la question de la
souveraineté, et encore moins avec celle de la souveraineté sur Pedra Branca.
A. L’ANNEXE 1 DE LA DEMANDE EN REVISION :
LA CORRESPONDANCE DE 1958
3.2. Dans ses observations écrites, Singapour a montré en quoi l’argument avancé par la
Malaisie dans sa demande  à savoir que le gouverneur n’aurait pas eu besoin de «militer en
faveur de la création d’un passage international situé si près de l’île»84 de Pedra Branca si les
autorités singapouriennes avaient considéré à l’époque que celle-ci appartenait à Singapour 
défiait toute logique. Premièrement, c’était le chenal de navigation normal que le gouverneur
décrivait comme passant «approximativement» en «un point situé à 1 mille au nord du phare
Horsburgh», et non le couloir international de haute mer envisagé85. Deuxièmement, en faisant
référence à diverses aides à la navigation situées le long du chenal de navigation normal, le
gouverneur ne se fondait nullement sur les droits dont pouvaient faire l’objet les territoires sur
lesquels ces aides à la navigation se trouvaient, ce qui vaut pour Pedra Branca, où le phare
Horsburgh est érigé86. En conséquence, la description approximative du chenal de navigation
normal que le gouverneur a faite en se référant à des aides à la navigation situées dans le détroit de
Singapour n’avait aucun rapport avec la souveraineté sur Pedra Branca ou quelque autre formation
territoriale. Il s’ensuit que la correspondance de 1958 ne donne absolument aucune indication, qu’il
s’agisse de la composante singapourienne ou de la composante malaisienne de la «communauté de
vues» inférée quant à la souveraineté sur Pedra Branca.
3.3. Dans ses observations écrites additionnelles, la Malaisie n’a pas répondu à ces
arguments. Elle n’a pas non plus soumis d’autres documents pour étayer ses dires concernant la
pertinence de l’annexe 1 à l’égard de la souveraineté sur Pedra Branca.
3.4. En lieu et place, elle a simplement qualifié d’«inhabituel» le fait que les autorités de
Singapour «n’aient pas semblé tenir compte de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»87 et a affirmé que,
83 Dans ses observations écrites additionnelles, la Malaisie n’avance aucun argument sérieux sur la base de
l’annexe B.
84 Demande en revision, par. 25.
85 Voir observations écrites de Singapour, par. 3.6.
86 Voir observations écrites de Singapour, par. 3.9.
87 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 76.
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- 20 -
«[f]ace aux difficultés évidentes que posait le comportement des Etats voisins, ... il
[était] significatif que les[dites] autorités … n’aient fait absolument aucune mention
de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et des droits maritimes générés par la souveraineté
sur cette île»88.
Ces allégations sont dépourvues de tout fondement.
3.5. Tout d’abord, la proposition du gouverneur de créer un «couloir international de haute
mer» n’ayant rien à voir avec la souveraineté sur Pedra Branca, il n’y avait rien d’«inhabituel» ou
de «significatif» à ce que les autorités singapouriennes ne fassent pas mention des droits maritimes
générés par l’île dans la correspondance de 1958. Ainsi que Singapour l’a exposé au chapitre III de
ses observations écrites, la correspondance de 1958 portait sur la crainte que la proposition,
avancée par certains Etats, de porter de 3 à 6 milles marins la largeur de la mer territoriale ait «pour
effet de fermer l’abord de Singapour par des chenaux de haute mer»89, et que le territoire de celle-ci
se trouve ainsi «enclavé par les mers territoriales» des Etats voisins90 en raison de l’étroitesse du
détroit de Singapour. C’était pour apaiser cette crainte que le gouverneur proposait de créer un
«couloir international de haute mer» suivant le «chenal de navigation normal», dont le tracé
approximatif est représenté sur l’encart 2 des observations écrites de Singapour.
3.6. Ensuite, comme nous le montrerons au chapitre IV91, Singapour n’avait nullement à
répondre à des «difficultés ... pos[ées par] le comportement des Etats voisins». Aucun des
documents figurant à l’annexe 1 n’émane de la Malaisie ni ne témoigne d’une quelconque
revendication de sa part sur Pedra Branca qui aurait pu poser des «difficultés».
3.7. En résumé, aucune des allégations formulées par la Malaisie dans ses observations
écrites additionnelles n’ajoute le moindre poids à la correspondance de 1958 figurant à l’annexe 1
de sa demande. Replacé dans son contexte, cet échange ne concerne nullement la souveraineté sur
Pedra Branca, et encore moins les vues que les autorités de Singapour pouvaient alors avoir à cet
égard.
B. L’ANNEXE 2 DE LA DEMANDE EN REVISION ET L’ANNEXE A DES OBSERVATIONS
ÉCRITES ADDITIONNELLES : LES DOCUMENTS CONCERNANT
L’INCIDENT DU LABUAN HAJI EN 1958
3.8. Dans sa demande en revision, la Malaisie a tiré argument du fait que l’incident du
Labuan Haji survenu dans les eaux territoriales du Johor avait été décrit comme s’étant produit
«près du phare Horsburgh» pour soutenir que les autorités singapouriennes considéraient que les
eaux entourant Pedra Branca appartenaient au Johor92.
3.9. Dans ses observations écrites93, Singapour a démontré que cette affirmation n’était pas
corroborée par les documents soumis à l’annexe 2. Etant donné la configuration géographique de la
88 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 76.
89 Télégramme confidentiel en date du 7 février 1958 adressé au secrétaire d’Etat aux colonies par le gouverneur
de Singapour, par. 1 a) (demande en revision, annexe 1).
90 Observations écrites de Singapour, par. 3.3.
91 Voir plus haut, par. 4.34-4.35.
92 Voir demande en revision, par. 27-31.
93 Voir observations écrites de Singapour, par. 3.14-3.22.
35
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- 21 -
zone, où coexistent plusieurs formations très proches les unes des autres mais appartenant à
différents Etats, la généralité du terme «près» n’autorise aucune conclusion quant au lieu exact de
l’incident94. En outre, aucun des documents produits à l’annexe 2 n’indique précisément la distance
entre Pedra Branca et le lieu de l’incident du Labuan Haji, et encore moins les coordonnées de
l’endroit où cet incident s’est produit, ni ne dit quoi que ce soit au sujet de la souveraineté sur
Pedra Branca95.
3.10. Dans ses observations écrites additionnelles, la Malaisie s’est bornée à déclarer que
l’annexe 2 fournissait des «indications fiables»96 concernant le lieu de l’incident sans même
prendre la peine de répondre aux arguments de Singapour.
3.11. Au lieu de cela, la Malaisie a présenté à l’annexe A trois autres coupures de presse qui,
selon elle, viennent encore «confirm[er]»97 le lieu de l’incident du Labuan Haji, qu’elle situe, de
manière erronée et fallacieuse, «dans les eaux … directement au nord de Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh»98.
3.12. Cependant, les coupures de presse de l’annexe A sont tout aussi vagues et imprécises
que les documents de l’annexe 2 de la demande en revision en ce qui concerne le lieu de l’incident.
3.13. Les coupures de presse de l’annexe A ne font qu’indiquer que le Labuan Haji a été
harcelé par une canonnière indonésienne «au large» ou «près du phare Horsburgh, à 35 milles au
nord-est de Singapour»99 et que, à un moment donné, il s’est trouvé dans les eaux territoriales du
Johor. Le simple fait que des eaux territoriales du Johor se soient trouvées dans les environs ne
signifie pas pour autant que l’intégralité de celles entourant Pedra Branca en fassent partie et donc
que Pedra Branca appartienne au Johor. En outre, aucun de ces articles n’indique que l’incident est
survenu dans les eaux territoriales relevant de Pedra Branca ou que l’île appartenait à la Malaisie,
ni même que l’incident a eu lieu dans les eaux «directement au nord de Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh»100.
3.14. Lorsqu’elle affirme que l’incident a eu lieu «dans les eaux situées directement au nord
de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»101, la Malaisie prétend s’appuyer sur l’article du
94 Observations écrites de Singapour, par. 3.18.
95 Observations écrites de Singapour, par. 3.21.
96 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 83 et 86.
97 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 85.
98 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 86 (les italiques sont de nous).
99 Voir coupure du Straits Times datée du 27 février 1958 («La canonnière indonésienne a harcelé [le Labuan
Haji] au large du phare Horsburgh, à 35 milles au nord-est de Singapour») ; coupure du Berita Harian datée du 26 février
1958 («une canonnière indonésienne l’importunait près du phare Horsburgh, à 35 milles au nord-est de Singapour»)
[traduction française établie à partir de la traduction anglaise fournie par la Malaisie] ; voir également coupure du
Berita Harian datée du 27 février 1958 («La canonnière indonésienne s’en est prise au [Labuan Haji] près du phare
Horsburgh, à 35 milles au nord-est de Singapour») [traduction française établie à partir de la traduction anglaise fournie
par la Malaisie] (observations écrites additionnelles de la Malaisie, annexe A).
100 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 86 .
101 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 86 (les italiques sont de nous).
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- 22 -
Singapore Standard produit à l’annexe 2 de sa demande en revision102, mais elle en déforme en
réalité le contenu. Voici ce que cet article du Singapore Standard indique :
«Quand le Sunderland est arrivé sur place, au nord du phare Horsburgh, il a vu
la canonnière indonésienne s’éloigner vers l’Indonésie, tandis que le Labuan Haji
faisait route au nord-ouest dans les eaux territoriales de la Fédération.»103
Il n’est dit nulle part dans cet article, ni dans aucun des autres documents de l’annexe 2 ou de
l’annexe A, que l’incident du Labuan Haji s’est produit dans les eaux situées «directement au
nord» de Pedra Branca.
3.15. La Malaisie déforme encore la teneur de cet article lorsqu’elle affirme que, selon le
Singapore Standard, «la canonnière indonésienne et le Labuan Haji avaient été vus dans la zone
située au nord du phare Horsburgh»104, alors que c’est le Sunderland qui aurait été aperçu dans
cette zone.
3.16. Le dernier point soulevé par la Malaisie dans ses observations écrites additionnelles
concerne la référence, dans l’article du Straits Times daté du 27 février 1958, au fait que le premier
ministre de la Malaya avait alors réclamé «un rapport circonstancié sur l’incident survenu [la
veille] dans les eaux territoriales du Johore»105. Sur la base de cet article, la Malaisie soutient que
pareille demande «confirme que, dans l’esprit des autorités de la Malaya, les eaux territoriales du
Johor comprenaient celles situées au nord de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»106.
3.17. Cette affirmation est un non sequitur. En déduisant d’une telle demande de rapport que
les autorités du Johor considéraient que l’intégralité des eaux situées au nord de Pedra Branca
appartenaient au Johor, la Malaisie fait un raccourci très contestable sur le plan de la logique. Il va
de soi que le Johor, situé au nord-ouest de Pedra Branca, possédait des eaux territoriales mais cela
ne signifie pas que ses eaux territoriales englobaient l’intégralité des eaux au nord de Pedra Branca.
Aucun des documents de l’annexe 2 ou de l’annexe A n’étaye un tant soit peu une telle affirmation.
3.18. En résumé, aucun des documents que la Malaisie a produits à l’annexe 2 de sa
demande en revision ou à l’annexe A de ses observations écrites additionnelles ne dit quoi que ce
soit au sujet de la souveraineté sur Pedra Branca, et encore moins des vues de Singapour sur cette
question.
102 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 84.
103 Coupure du Singapore Standard (demande en revision, annexe 2).
104 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 84.
105 Coupure du Straits Times datée du 27 février 1958 (observations écrites additionnelles de la Malaisie,
annexe A).
106 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 85.
39
- 23 -
C. L’ANNEXE 3 DE LA DEMANDE EN REVISION ET LES ANNEXES B ET C
DES OBSERVATIONS ÉCRITES ADDITIONNELLES :
LES DOCUMENTS RELATIFS AU CROQUIS
3.19. La Malaisie s’appuie sur le croquis de l’annexe 3 de sa demande en revision et, en
particulier, sur le fait que Pedra Branca n’y est pas représentée, une omission qui démontre selon
elle que, à l’époque, Singapour considérait que ses droits territoriaux ne s’étendaient pas à l’île107.
3.20. Afin d’étayer ses dires concernant l’annexe 3, la Malaisie a soumis, à l’annexe B de ses
observations écrites additionnelles, l’intégralité du dossier d’archives de 162 pages dans lequel le
croquis a été découvert108, mais sans présenter aucun argument sérieux sur la base de cette annexe.
A l’inverse, Singapour a, dans ses observations écrites, produit le paragraphe 6 de l’annexe B des
«[i]nstructions à l’intention des navires effectuant des patrouilles de défense du littoral de la
Malaisie occidentale», qui montrait que les zones d’accès restreint illustrées sur le croquis étaient
limitées aux eaux situées au sud de l’île principale de Singapour. Le paragraphe en question est
ainsi libellé :
«Zones d’accès restreint du port de Singapour
6. Eaux au sud de l’île de Singapour. Des zones d’accès restreint, de couvre-feu
nocturne et de pêche nocturne sont en vigueur. Des précisions figurent dans
l’appendice 1 de la présente annexe.»109
Singapour a également produit l’appendice 1 de l’annexe B, qui fournissait des indications plus
détaillées quant aux zones d’accès restreint, de couvre-feu nocturne ou de pêche nocturne en
vigueur dans les eaux méridionales de l’île de Singapour110 et précisait encore que toutes les zones
de couvre-feu ou de pêche décrites de façon détaillée à l’appendice 1 et représentées sur le croquis
se trouvaient au sud de l’île principale de Singapour111.
3.21. La Malaisie s’est gardée d’évoquer le contexte de ce croquis, qui est pourtant crucial et
bat en brèche son argument selon lequel cet élément de sa «documentation additionnelle» permet
d’avoir «une vision plus claire et complète du contexte dans lequel le croquis a été produit»112. Elle
n’a pas davantage répondu aux arguments de Singapour concernant l’inexactitude intrinsèque de la
«limite territoriale» prétendument illustrée par ce croquis. Comme Singapour l’a souligné dans ses
observations écrites113, cette inexactitude montre que le croquis n’était pas censé constituer une
carte officielle ou faisant autorité des limites de son territoire et qu’il est donc dépourvu de
pertinence s’agissant de la question de la souveraineté sur Pedra Branca.
3.22. La Malaisie a en revanche produit, à titre de «documentation additionnelle», le
document versé à l’annexe C de ses observations concernant une «[o]ffensive indonésienne contre
la Malaisie occidentale», dont elle tente de tirer deux arguments. Le premier consiste à dire que ce
107 Demande en revision, par. 33-35.
108 Singapour note que les documents de l’annexe B n’ont pas été «découverts après le dépôt de [la demande en
revision]» (voir lettre en date du 9 juin 2017 adressée à la Cour par la Malaisie) et qu’ils ne relèvent donc pas de la
documentation additionnelle que la Malaisie a demandé à pouvoir soumettre, et que la Cour l’a autorisée à soumettre.
109 Observations écrites de Singapour, annexe 1, p. A4 (les italiques sont de nous).
110 Voir observations écrites de Singapour, par. 3.31.
111 Voir observations écrites de Singapour, par. 3.32-3.33.
112 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 88.
113 Voir observations écrites de Singapour, par. 3.25-3.27.
40
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- 24 -
document montre que «Singapour avait manifestement besoin d’étendre son dispositif de sécurité et
ses arrêtés de couvre-feu à Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»114 et donc «qu’elle avait tout lieu de
représenter l’île sur le croquis figurant à l’annexe 3»115. Un tel argument ne résiste pas à un examen
plus approfondi de l’annexe C. Cette annexe ne démontre pas que Singapour avait besoin d’étendre
son dispositif de sécurité et ses arrêtés de couvre-feu à Pedra Branca.
3.23. Des incidents répertoriés à l’annexe C, absolument aucun ne concerne une incursion
d’éléments indonésiens sur Pedra Branca. Sur les 124 «épisodes d’hostilité avec des assaillants
indonésiens»116 mentionnés, 54 se seraient produits à Singapour. Parmi ces 54 incidents,
17 concernaient des attentats à la bombe ou la découverte d’explosifs dans des lieux situés sur l’île
principale de Singapour117. Les 37 autres incidents comprenaient des attentats à la bombe, des
interceptions en mer, des débarquements ou des tentatives de débarquement le long de la côte
méridionale de l’île principale de Singapour et sur les îles situées au large de cette côte ou autour
de celles-ci. Le croquis de l’annexe 3 reproduit ci-après, sous l’encart 1, a été annoté afin
d’indiquer le lieu de tous les incidents répertoriés à l’annexe C comme étant survenus à Singapour
dans le cadre de l’offensive indonésienne.
3.24. Le lieu de ces incursions indonésiennes montre clairement que Singapour voyait sa
sécurité menacée essentiellement au sud de son île principale  en particulier, autour de Saint
John’s Island, des Sisters’ Islands, de Pulau Blakang Mati et du phare Raffles  ainsi que le long
de la côte méridionale de son île principale. Partant, comme le montre l’encart 1, les zones d’accès
restreint, de couvre-feu nocturne ou de pêche nocturne instaurées dans ces secteurs visaient
précisément à parer à ces menaces contre la sécurité. Les instructions y afférentes étant limitées aux
zones situées au sud de l’île principale de Singapour, celle-ci n’avait donc aucune raison de
représenter Pedra Branca sur le croquis.
114 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 99.
115 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 99.
116 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 98.
117 Il s’agit des lignes 29, 30, 32, 35, 37, 39, 40, 65, 69, 70, 71, 77, 101, 102, 104, 105 et 106 des observations
écrites additionnelles de la Malaisie, annexe C.
42
- 25 -
Encart 1  Croquis produit à l’annexe 3 de la demande en revision, annoté (en rouge) pour
faire apparaître le lieu à Singapour des incidents répertoriés
à l’annexe C (numéros chronologiques en bleu)
- 26 -
Légende :
Place (column (C)) = Lieu (colonne c))
Serial number (column (a)) = Numéro chronologique (colonne a))
JOHORE = JOHORE
SINGAPORE = SINGAPOUR
TG POH = TANJUNG POH
TG KAMPONG = TANJUNG KAMPONG
WEST FISHING AREA = ZONE DE PECHE OCCIDENTALE
SULTAN SHOAL LIGHT HOUSE = PHARE SULTAN SHOAL
NIGHT CURFEW AREA = ZONE DE COUVRE-FEU NOCTURNE
SOUTH FISHING AREA = ZONE DE PECHE MERIDIONALE
BN = BALISE
RAFFLES LIGHT HOUSE = PHARE RAFFLES
TERRITORIAL BOUNDARY = LIMITE TERRITORIALE
PROHIBITED ZONE = ZONE INTERDITE
EAST FISHING AREA = ZONE DE PECHE ORIENTALE
MATA IKAN BEACON = BALISE DE MATA IKAN
TG CHANGI = TANJUNG CHANGI
PULAU TEKONG BESAR = PULAU TEKONG BESAR
TG BATU KOYOK = TANJUNG BATU KOYOK
[Légendes manuscrites en malais et en chinois]
Croquis établi à seule fin d’illustration.
3.25. La Malaisie ne tient compte d’aucun des incidents de l’annexe C qui se sont produits à
Singapour, mais fait en revanche grand cas du numéro 34 (page 8). Par souci de commodité, le
texte correspondant de l’annexe C est reproduit sur l’encart 2 (qui suit la page 44).
3.26. La Malaisie s’appuie sur l’incident no 34 pour affirmer que «la menace que les
agitateurs indonésiens faisaient peser sur la sécurité lors de la Konfrontasi concernait toute la
région, et assurément la zone de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»118. Cette affirmation est mal
inspirée. C’est dans la zone de Tanjung Punggai, sur la côte orientale du Johor continental, qu’a eu
lieu la tentative de débarquement d’agitateurs indonésiens qui est répertoriée sous le numéro 34119
(l’emplacement de Tanjung Punggai est indiqué sur la figure 1 ci-après). C’est la raison pour
laquelle il est indiqué que l’incident n° 34 s’est produit au «Johore oriental (zone de
Tanjung Punggai)». La seule chose qui se soit produite au phare Horsburgh, à 9 milles marins de
Tanjung Punggai, est la capture ultérieure de l’un des Indonésiens impliqués. Le phare Horsburgh
n’était pas la cible de cette opération.
118 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 99.
119 L’emplacement de Tanjung Punggai est indiqué sur plusieurs cartes et encarts soumis dans l’affaire initiale.
Voir, par exemple, le mémoire de Singapour, vol. 1, carte 3, et le mémoire de la Malaisie, vol. 1, encarts 1, 2 et 21
43
- 27 -
Figure 1  Localisation de Tanjung Punggai et du phare Horsburgh
(Croquis établi à seule fin d’illustration.)
3.27. La Malaisie n’a donc pas démontré que pesait sur la zone de Pedra Branca une menace
qui aurait imposé d’étendre à cette île le dispositif de sécurité et les arrêtés de couvre-feu. Elle n’a
pas non plus démontré en quoi il y avait lieu d’inclure Pedra Branca sur le croquis illustrant lesdits
dispositif et arrêtés. Dans la mesure où ces restrictions particulières ne s’étendaient pas à
Pedra Branca, point n’était besoin de la faire figurer sur le croquis correspondant. Cela explique
pourquoi, en février 1966, le dispositif décrit sur la carte n’avait pas été modifié120.
120 Voir demande en revision, par. 34.
44
Encart 2  L’incident no 34 répertorié à l’annexe C des observations écrites additionnelles de la Malaisie
Numéro
chronologique
(le numéro entre
parenthèses
correspond au
nombre cumulé
d’incidents)
Date Lieu
(ou nom de
l’opération)
Incident Nombre de personnes
impliquées
Ennemis
tués
Ennemis
capturés/
s’étant rendus
Neutralisation
totale
Militaires Civils Observations
Nombre de
personnes
prévues ou
ayant
effectivement
participé
Nombre de
personnes
ayant réussi
à débarquer
a) b) c) d) e) f) g) h) j) k) l) m)
34
(36)
25 mars Johore oriental
(zone de
Tanjung
Punggai)
(Oak Tree III)
Interception
en mer
42  8 a) 19 b) 25 mars   Tentative de
débarquement de trois
navires. Deux ont
été interceptés par les
navires de Sa Majesté
le Puncheston,
le Maryton et
l’Invermoriston. Le
troisième, à bord
duquel se trouvaient
15 agents d’infiltration
indonésiens, a pris la
fuite.
a) 6 disparus
présumés noyés ;
b) 1 fuyard capturé au
phare Horsboro.
Mission :
établissement d’une
base.
- 29 -
3.28. En outre, la Malaisie soutient que l’incident concernant le Labuan Haji qui est décrit
dans les documents figurant à l’annexe 2 de sa demande en revision «montre clairement que les
forces d’infiltration indonésiennes représentaient une menace jusqu’à
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et aux eaux environnantes»121. Cette allégation est dépourvue de
fondement. L’incident du Labuan Haji n’avait absolument aucun rapport avec les menaces qui
pesèrent sur la sécurité de Singapour pendant la période de la Konfrontasi. En effet, il s’est produit
le 25 février 1958, soit plus de cinq ans avant que la Konfrontasi, ou «confrontation», ne débute
avec son lot de menaces en août 1963, lorsque la Fédération de Malaisie vit le jour. Comme il est
souligné dans l’introduction des «[i]nstructions à l’intention des navires effectuant des patrouilles
de défense du littoral de la Malaisie occidentale» présentées à l’annexe B des observations de la
Malaisie :
«1. Lorsque la Malaisie vit le jour à l’automne 1963, Soekarno, le président
indonésien, annonça une politique de «confrontation» et lança une campagne visant à
«écraser la Malaisie». Dans sa première phase, cette campagne consista à mener des
actions de propagande et de sabotage ainsi qu’à encourager les conflits raciaux,
notamment dans les zones sensibles de Singapour. La lutte entra dans une nouvelle
phase en août 1964 avec l’infiltration, sur le territoire continental de la Malaisie
occidentale, d’éléments indonésiens par la voie maritime à Pontian, par la voie
aérienne à Labis en septembre et avec d’autres intrusions ultérieures.»122
3.29. Le second argument que la Malaisie s’efforce de tirer de l’annexe C consiste à soutenir
que, à en juger par l’incident n° 34, «jusqu’à la fin de 1965 au moins, les autorités britanniques ont
considéré que le phare Horsburgh se trouvait dans le Johor oriental»123. Or l’annexe C n’indique
rien de tel.
3.30. A chaque ligne du tableau contenu à l’annexe C, la colonne c) fait tout simplement
référence au lieu où s’est produit l’incident décrit dans la colonne d). En ce qui concerne
l’incident no 34, la colonne d) fait état d’une «interception en mer» qui, selon la colonne m), a été
menée par les navires de Sa Majesté dénommés le Puncheston, le Maryton et l’Invermoriston,
lesquels ont arrêté deux des trois navires indonésiens qui avaient fait une «tentative de
débarquement» dans la zone de Tanjung Punggai, sur la côte continentale du Johore oriental, d’où
la mention «Johore oriental (zone de Tg Punggai) [pour Tanjung Punggai]» figurant dans la
colonne c). L’arrestation ultérieure, au «phare Horsboro», de l’un des Indonésiens impliqués alors
qu’il tentait de s’échapper n’avait rien à voir avec le lieu indiqué dans la colonne c). Cela ressort
également d’autres entrées de l’annexe C. Par exemple, s’agissant de l’incident n° 30, à savoir le
célèbre attentat à la bombe contre la maison MacDonald, un édifice sis Orchard Road sur l’île
principale de Singapour, la colonne c) situe les faits à «Singapour (zone d’Orchard Rd)
[Orchard Road]» alors que, selon la colonne m), les auteurs ont été arrêtés ultérieurement sur
Pulau Sebarok, une île au sud de Singapour qui est très éloignée d’Orchard Road124. Par
conséquent, contrairement à ce qu’affirme la Malaisie, l’incident no 34 n’indique pas que les
autorités britanniques considéraient le phare Horsburgh comme faisant partie du territoire du Johor.
3.31. Pour résumer, les documents que la Malaisie a soumis aux annexes B et C de ses
observations écrites additionnelles n’expliquent nullement en quoi il y aurait eu lieu de représenter
121 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 98.
122 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, annexe B.
123 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 94.
124 L’emplacement d’Orchard Road et de Pulau Sebarok est indiqué sur l’encart 1.
45
46
- 30 -
Pedra Branca sur le croquis. Le fait que l’île n’y figure pas n’éclaire en rien les vues que les
autorités singapouriennes pouvaient avoir au sujet de la souveraineté sur Pedra Branca.
D. L’ANNEXE D DES OBSERVATIONS ÉCRITES ADDITIONNELLES :
LA CARTE DU JOHORE DE 1937
3.32. Sous l’annexe D de ses observations écrites additionnelles, la Malaisie a produit une
carte, intitulée «Johore, 1937», qu’elle prétend avoir «nouvellement découverte» et qui porte le
sceau de la commission des dommages de guerre (autrement dénommée la «carte du Johore de
1937»), ainsi que le rapport établi par cette commission pour l’année 1952. Ce que la Malaisie
omet toutefois de préciser, c’est que ces deux documents n’ont en réalité absolument aucun lien
entre eux. Contrairement à la carte, le rapport de la commission a été obtenu non pas auprès d’une
personne privée, mais auprès des archives nationales de la Malaisie, comme l’attestent le sceau
«Pengarah Arkib Negara  Malaysia» (reproduit sous la figure 2 ci-dessous), apposé dans le coin
supérieur gauche de la première page du rapport, ainsi que le sceau «Arkib Negara Malaysia»
(reproduit sous la figure 3 ci-dessous) situé dans le coin inférieur droit de chaque page du
document.
Figure 2. Sceau indiquant «Pengarah Arkib Negara  Malaysia»
[«Directeur des archives nationales  Malaisie»]
Figure 3. Sceau indiquant «Arkib Negara Malaysia»
[«Archives nationales de la Malaisie»]
47
- 31 -
3.33. Dans ses observations écrites additionnelles, la Malaisie prétend que la carte du Johore
de 1937 «inclut très clairement Pedra Branca/Pulau Batu Puteh dans le territoire du Johor»125 et que
Singapour, dont le secrétaire aux finances était membre de la commission des dommages de guerre,
en était «clairement informée de manière officielle ... et n’a émis aucune protestation»126.
3.34. Rien dans l’annexe D, pas même la carte du Johore de 1937, ne corrobore ces
allégations.
3.35. Premièrement, rien sur la carte n’indique que Pedra Branca fasse partie du territoire du
Johor. La prétendue «ligne frontière en pointillés»127 dans le détroit du Johor qui est représentée sur
la carte de 1937 décrit la limite dans ce détroit des eaux territoriales relevant respectivement de
Singapour et du Johor, telle qu’arrêtée par ce dernier et le Royaume-Uni dans l’accord relatif aux
eaux territoriales des Etablissements des détroits et du Johor en 1927128 (ci-après l’«accord de
1927»). Elle n’indique pas que Pedra Branca fasse partie du territoire du Johor. En l’affaire initiale,
la Malaisie avait présenté une carte montrant le tracé de cette limite129 pour étayer son argument
selon lequel l’accord de 1927 «prouv[ait] ... que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et ses eaux
environnantes [avaient] toujours été considérées comme ne faisant pas partie du territoire de
Singapour»130. Dans son mémoire, elle avait, de fait, avancé exactement le même argument que
celui qu’elle avance maintenant au sujet de cette ligne frontière :
«Comme le montre la carte jointe en annexe à l’accord ..., l’article [décrivant le
tracé de la ligne frontière] définit un arc : le territoire terrestre et les eaux territoriales
de Singapour se trouvent à l’intérieur de cet arc, et le territoire terrestre et les eaux
territoriales du Johor ou d’Etats tiers à l’extérieur.»131
3.36. Ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt, Pedra Branca n’était pas couverte par l’accord
de 1927, lequel ne concernait que les zones situées dans un rayon de 10 milles de l’île principale de
Singapour132. La Cour en a conclu que «l’accord de 1927 [n’allait] pas dans le sens de la thèse de la
Malaisie»133.
3.37. Deuxièmement, rien dans l’annexe D, que ce soit la carte du Johore de 1937 ou le
rapport de la commission des dommages de guerre pour l’année 1952, ne montre que la
commission ait ne serait-ce que consulté ladite carte, et encore moins qu’elle l’ait «utilisée»134. La
125 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 104.
126 Ibid.
127 Ibid.
128 Voir observations écrites de Singapour, par. 3.26. Cette ligne délimitant les eaux territoriales relevant
respectivement du Johor et de Singapour dans le détroit du Johor est représentée sur l’encart 3 des observations écrites de
Singapour. Voir aussi contre-mémoire de Singapour, par. 6.20-6.25 et 6.97-6.99.
129 Voir mémoire de la Malaisie, vol. 1, encart 17.
130 Arrêt, p. 71, par. 182.
131 Mémoire de la Malaisie, par. 220.
132 Voir arrêt, p. 72, par. 188.
133 Ibid.
134 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 104.
48
49
- 32 -
Malaisie le reconnaît d’ailleurs135. La commission était chargée d’examiner les demandes
d’indemnisation présentées par des personnes ou des entités de Singapour ou de la Malaya en
conséquence de l’invasion et de l’occupation des territoires de ces dernières par le Japon au cours
de la deuxième guerre mondiale, une tâche sans rapport aucun avec la question de l’établissement
de la souveraineté sur tel ou tel territoire. Son objectif, attesté par les documents produits par la
Malaisie, était d’évaluer les demandes qui lui étaient soumises dans le cadre d’une action visant à
redresser l’économie de la Malaya136. De fait, la commission n’avait aucune raison d’attacher une
importance particulière à la carte ou d’y voir une revendication de souveraineté sur un territoire
particulier, comme Pedra Branca. Sa mission était de tout autre nature.
3.38. En elle-même, la présence du sceau de la commission des dommages de guerre sur la
carte du Johore de 1937 indique tout au plus que cet exemplaire se trouvait dans les archives de
celle-ci. Elle n’indique pas que la commission ait utilisé la carte ni, même si elle s’en était
effectivement servie, dans quel objectif elle l’aurait fait. Et quand bien même elle l’aurait
«utilisée», comme exposé ci-dessus137, la carte n’indique pas en soi que Pedra Branca faisait partie
du territoire du Johor, de sorte que les autorités singapouriennes qui siégeaient à la commission
n’avaient aucune raison de protester. L’absence de toute protestation de Singapour contre la carte
du Johore de 1937 est donc complètement dépourvue de pertinence aux fins de la question de la
souveraineté sur Pedra Branca.
E. CONCLUSION
3.39. Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, aucun des documents que la Malaisie a
joints à sa demande ou à ses observations écrites additionnelles ne revêt la moindre pertinence à
l’égard de la question de la souveraineté sur Pedra Branca. Ces documents ne disent rien de la
souveraineté, et encore moins des vues que la Malaisie ou Singapour pouvait avoir au sujet de la
souveraineté sur Pedra Branca ; partant, ils n’attestent l’existence d’aucun fait de la nature alléguée.
135 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, note de bas de page 113 («Il convient de noter qu’aucun des
rapports de cette commission ne fait expressément référence à la carte»).
136 Voir rapport de la commission des dommages de guerre pour l’année 1952, p. 63 (observations écrites
additionnelles de la Malaisie, annexe D).
137 Voir plus haut, par. 3.35-3.36.
50
- 33 -
CHAPITRE IV
L’INOBSERVATION PAR LA MALAISIE DE LA CONDITION DE RECEVABILITÉ
RELATIVE À L’«INFLUENCE DÉCISIVE»
4.1. Outre les conditions procédurales examinées précédemment au chapitre II, auxquelles
l’article 61 du Statut lui impose de satisfaire pour que sa demande en revision puisse être jugée
recevable, la Malaisie doit démontrer que le «fait nouveau» qu’elle prétend avoir découvert après le
prononcé de l’arrêt est de nature à exercer une «influence décisive». Ainsi qu’il sera exposé dans le
chapitre qui suit, la Malaisie n’a même pas commencé à remplir cette condition. En effet, dans les
longs passages qu’elle consacre, dans ses observations écrites additionnelles, à la méthode suivie
par la Cour, elle semble vouloir former un recours contre l’arrêt plutôt qu’une réelle demande en
revision.
4.2. A la section A, nous ferons une présentation générale de la condition de l’«influence
décisive». Nous montrerons notamment que la Malaisie fait fi, dans son argumentation, du
caractère exceptionnel de la procédure en revision et fixe un seuil erroné pour qu’il soit satisfait à
la condition de l’«influence décisive».
4.3. A la section B, nous montrerons que l’argumentation de la Malaisie concernant le critère
de l’«influence décisive» présente des failles fondamentales. Afin d’apprécier si les nouveaux
documents qu’elle soumet mettent en évidence un fait de nature à exercer une telle influence, il est
nécessaire de rappeler quels sont les faits dont la Cour a jugés qu’ils étaient pertinents, ou qu’ils
exerçaient cumulativement une «influence décisive», l’amenant à conclure que, en 1980, la
souveraineté sur Pedra Branca avait été transférée à Singapour et qu’en conséquence ladite
souveraineté «appart[enait] à la République de Singapour», comme elle l’a dit dans le dispositif de
son arrêt. La Malaisie non seulement rechigne nettement à s’intéresser aux éléments véritablement
pertinents, mais manque également d’établir  comme il lui incombe de le faire  en quoi ses
nouveaux documents exercent la moindre influence sur lesdits éléments.
4.4. A la section C, nous reprendrons un à un les jeux de nouveaux documents produits par la
Malaisie, déjà examinés au chapitre III, et nous démontrerons qu’aucun d’eux ne met en évidence
un fait nouveau qui soit de nature à exercer une «influence décisive», ou qui aurait modifié le
raisonnement de la Cour voire influé sur sa décision concernant la souveraineté. Au contraire, ainsi
que Singapour l’a déjà expliqué dans ses observations écrites138, loin d’exercer une «influence
décisive», les nouveaux documents de la Malaisie sont par nature similaires à d’autres déjà produits
en l’affaire initiale, auxquels la Cour n’a attaché aucune pertinence aux fins de sa décision.
4.5. Il s’ensuit que la Malaisie n’a pas satisfait à la condition de l’«influence décisive»
devant être remplie pour que sa demande en revision puisse être jugée recevable.
138 Voir observations écrites de Singapour, par. 6.14-6.27.
51
52
- 34 -
A. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE LA CONDITION DE RECEVABILITÉ RELATIVE
À L’«INFLUENCE DÉCISIVE»
1. Le caractère exceptionnel de la revision
4.6. Eu égard au principe fondamental, énoncé à l’article 60 du Statut, selon lequel un arrêt
de la Cour est «définitif et sans recours», il est bien établi qu’une demande en revision d’un arrêt
présentée au titre de l’article 61 du même Statut, tout comme une demande en interprétation
présentée en vertu de l’article 60, constitue une procédure exceptionnelle. Ainsi que l’a relevé
M. Rosenne, ces dispositions, «de par leur libellé et leur place dans le Statut, mettent en exergue le
caractère exceptionnel de ces deux procédures, dans la mesure où la stabilité des relations
juridiques qu’assure l’autorité de la chose jugée risque de s’en trouver compromise»139.
4.7. Le Comité consultatif de juristes chargé de rédiger le premier Statut de la Cour
permanente de Justice internationale, dont l’article 59 devenu l’actuel article 61, était pleinement
conscient du caractère exceptionnel de la procédure en revision. Dans le compte rendu des travaux
qu’il a menés en 1920 sur le projet de Statut de la Cour permanente, il a souligné que la revision
était une démarche très lourde de conséquences qui heurte l’autorité de la chose jugée dont sont
revêtues les décisions de justice et qui, pour la paix des nations, doit être considérée comme
définitivement acquise140.
4.8. Charles de Visscher a abondé dans ce sens, rappelant qu’en principe, «il est de l’intérêt
général que les litiges ne recommencent pas indéfiniment relativement au même objet : ut sit finis
litium»141.
4.9. Le caractère exceptionnel des demandes en revision est également illustré par leur
rareté : trois seulement ont été soumises à la Cour avant celle de la Malaisie, et aucune à sa
devancière, la Cour permanente. Aucune n’a été déclarée recevable.
2. Le fait nouveau doit être de nature à exercer une influence décisive
4.10. La Malaisie fait mine de reconnaître le caractère exceptionnel de la procédure en
revision. Elle le dit dans sa demande : «Les procédures de revision revêtent un caractère
exceptionnel.»142 Pourtant, dans ses observations écrites additionnelles, elle prétend, à propos de la
condition de l’«influence décisive» prévue à l’article 61, qu’il lui suffit, pour que sa demande en
revision soit recevable, de montrer qu’il existe un fait nouveau qui «de par sa nature … pourrait
exercer une influence ou … conduire aujourd’hui [la Cour] à une conclusion différente»143. Ce
n’est pas ce que dit l’article 61, et ce n’est pas ainsi que les rédacteurs de l’article, ni la Cour dans
sa jurisprudence, entendaient le critère de l’«influence décisive».
4.11. Plutôt que de s’en tenir au langage réellement employé dans la première partie du
paragraphe 1 de l’article 61 pour définir les premiers éléments de la recevabilité  «La revision de
139 M. Shaw, Rosenne’s Law and Procedure of the International Court: 1920-2015 (5e éd.) (Brill Nijhoff, 2016),
par. III.394. [Traduction du Greffe.]
140 Voir Comité consultatif de juristes, Procès-verbaux des séances du Comité, 1[6] juin-24 juillet 1920, p. 744.
141 Revue belge de droit international, 1965, p. 14.
142 Demande en revision, par. 6.
143 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 37.
53
54
- 35 -
l’arrêt ne peut être éventuellement demandée à la Cour qu’en raison de la découverte d’un fait de
nature à exercer une influence décisive» (les italiques sont de nous) , la Malaisie voudrait que
l’on entende cette disposition comme suit : «La revision de l’arrêt peut être éventuellement
demandée à la Cour en raison de la découverte d’un fait qui pourrait se révéler susceptible
d’exercer une influence ou de conduire la Cour à une conclusion différente». Il est pourtant
manifeste que l’article 61 place la barre plus haut. Le fait nouveau doit être «de nature à exercer
une influence décisive». Cela signifie qu’il doit exercer une influence directe et concrète sur la
décision.
4.12. Cela est confirmé par les travaux du Comité consultatif de juristes. Comme il a été dit
ci-dessus144, le Comité avait à l’esprit que la revision était une procédure exceptionnelle,
susceptible de porter atteinte au principe fondamental de l’autorité de la chose jugée ou
res judicata. Il a ainsi précisé, à propos du libellé de l’article 61 (anciennement l’article 59), qu’il
fallait «un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive et qui, au moment du jugement,
était inconnu du tribunal»145. Cette expression très précise a été reprise dans la version française du
paragraphe 1 de l’article 61 du Statut, dont la partie pertinente est ainsi libellée : «La revision de
l’arrêt ne peut être éventuellement demandée à la Cour qu’en raison de la découverte d’un fait de
nature à exercer une influence décisive».
4.13. La Cour a eu l’occasion de préciser ce que recouvre la condition de l’«influence
décisive» dans son arrêt en l’affaire Tunisie c. Libye. Dans cette affaire, le «fait nouveau»
invoqué par la Tunisie concernait les coordonnées d’une concession pétrolière libyenne (la
concession no 137), qui faisaient apparaître que les limites de ladite concession ne coïncidaient pas
exactement avec celles des concessions tunisiennes. La Cour, après avoir expliqué que les preuves
produites par la Tunisie au sujet des limites de la concession libyenne «n’entam[aient] en rien»146 le
raisonnement qu’elle avait suivi dans l’arrêt initial, a conclu ce qui suit :
«Cela ne revient naturellement pas à dire que, si les coordonnées de la
concession n° 137 avaient été clairement indiquées à la Cour, la rédaction de l’arrêt de
1982 aurait été inchangée. Il aurait peut-être été utile d’inclure l’explication donnée
plus haut de la distinction entre l’azimut de la véritable limite de la concession no 137
(24° 57' 03") et celui de la limite à partir de Ras Ajdir résultant implicitement du choix
du point 33° 55' N 12° E, soit 26°. Si la Cour avait jugé nécessaire d’entrer dans de
telles précisions cartographiques, elle aurait pu aussi exprimer avec plus de précision
sa constatation suivant laquelle «le phénomène du chevauchement des
prétentions n’est effectivement apparu qu’en 1974, et seulement à des distances de
quelque 50 milles de la côte» (par. 117). Mais, pour qu’une requête en revision soit
recevable, il ne suffit pas que le fait nouveau invoqué eût permis à la Cour, si elle en
avait eu connaissance, de se montrer plus spécifique dans sa décision ; il faut encore
que ce fait ait été «de nature à exercer une influence décisive». Loin de constituer un
tel fait, les précisions quant aux coordonnées exactes de la concession no 137
n’auraient pas changé la décision de la Cour quant au premier secteur de la
délimitation.»147
144 Voir plus haut, par. 4.7.
145 Comité consultatif de juristes, Procès-verbaux des séances du Comité, 1[6] juin-24 juillet 1920, p. 744 (les
italiques sont de nous).
146 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 213, par. 38.
147 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 213-214,
par. 39.
55
56
- 36 -
Il s’ensuit que la Malaisie est tenue de démontrer que tout «fait nouveau» prétendument mis en
évidence par les documents sur lesquels elle se fonde est de nature à exercer une influence décisive
sur la décision de la Cour.
4.14. Par exemple, si les documents nouveaux invoqués par la Malaisie dans la présente
procédure avaient été produits dans l’affaire initiale, la Cour aurait pu les examiner comme elle en
a examiné d’autres, également soumis par les Parties, qu’elle n’a pas jugés pertinents. Autrement
dit, l’arrêt aurait pu s’en trouver libellé différemment. Mais, tout comme ce fut le cas dans les
procédures en revision Tunisie c. Libye et El Salvador c. Honduras, il ne s’en serait pas trouvé
modifié, car la Cour a fondé sa décision sur des éléments différents, que les nouveaux documents
de la Malaisie ne peuvent en rien entamer. Ainsi, non seulement lesdits documents n’exercent pas
la moindre «influence décisive», même en cherchant bien, et même si l’on accepte le seuil moins
élevé que la Malaisie adopte à cet égard (quod non), mais ils ne peuvent, de toute façon, entamer en
aucune manière le raisonnement sous-tendant l’arrêt.
B. LES FAILLES FONDAMENTALES DE L’ARGUMENTATION MALAISIENNE ET
LE FAUX JOUR SOUS LEQUEL LA MALAISIE PRÉSENTE L’ANALYSE
DE L’ARRÊT FAITE PAR SINGAPOUR
4.15. La Malaisie soutient que les documents nouveaux figurant dans les trois annexes
jointes à sa demande en revision, ainsi que ceux versés sous les annexes A à D de ses observations
écrites additionnelles, ne mettent pas tant en évidence un «fait nouveau» que l’inexistence d’un fait
–– à savoir l’inexistence entre les Parties d’une quelconque communauté de vues à l’effet de
considérer que, en 1980 (soit la date critique148), la souveraineté sur Pedra Branca était désormais
détenue par Singapour149.
4.16. Rappelons que la décision de la Cour concernant la souveraineté sur Pedra Branca était
fondée sur la combinaison de quatre éléments liés au comportement des Parties, que la Cour a dit
être les «faits pertinents» au paragraphe 276 de son arrêt. En bref, ces éléments, que la Cour avait
passés en revue et résumés dans les paragraphes précédents de son arrêt, étaient les suivants :
a) la déclaration expresse, faite le 21 septembre 1953 par le secrétaire d’Etat par intérim du Johor,
selon laquelle «le gouvernement du Johore ne revendiqu[ait] pas la propriété de Pedra Branca»,
une déclaration dont la Cour a jugé qu’elle montrait que, «en 1953, [le Johor] considérait que la
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne lui appartenait pas»150 (ci-après la «prise de
position du Johor en 1953») ;
b) nombre d’activités que Singapour et ses prédécesseurs avaient accomplies à titre de souverain
sur Pedra Branca et aux alentours, conjuguées à l’acceptation de ces activités par la Malaisie, ou
à l’absence de réaction de sa part à cet égard, bien qu’elle en eût presque systématiquement été
informée151. Ces activités comprenaient : i) plusieurs épisodes, intervenus en 1920, 1963, 1979
et de 1985 à 1993, lors desquels Singapour avait enquêté sur des échouements de navires ou
d’autres incidents maritimes dans les eaux entourant l’île –– un comportement dont la Cour a
148 Arrêt, p. 28, par. 34.
149 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 28-29.
150 Arrêt, p. 80, par. 223.
151 Arrêt, p. 95-96, par. 274 («La Malaisie et ses prédécesseurs n’ont jamais réagi à ce comportement [à savoir les
actes de Singapour à titre de souverain], ni à d’autres formes de comportement de même nature dont il a été question plus
haut dans cet arrêt et qui toutes (sauf en ce qui concerne l’installation du matériel de communication) avaient été portées
à sa connaissance»).
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58
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conclu qu’il «v[enait] étayer de manière appréciable la thèse de Singapour»152 ; ii) le contrôle
par Singapour des visites sur Pedra Branca, notamment de représentants malaisiens, dont la
Cour a également jugé qu’il «étay[ait] de façon appréciable sa revendication de souveraineté sur
[l’île]»153 ; iii) le contraste dans le comportement des Parties au sujet du déploiement du
pavillon singapourien, selon qu’il s’agissait de Pedra Branca ou du phare de Pulau Pisang, une
île malaisienne154 ; iv) l’installation par Singapour de matériel de communication militaire sur
l’île, une démarche dans laquelle la Cour a vu un comportement à titre de souverain155 ; et v) le
projet singapourien de récupération de terres en vue d’agrandir l’île, dont la Cour a fait observer
qu’il s’agissait d’un «comportement qui étay[ait] la thèse de Singapour»156.
c) les propres publications et cartes de la Malaisie, notamment des cartes officielles des années
1960 et 1970 qui accolaient à Pedra Branca la mention «Singapore» ou «Singapura», ce dont il
ressortait, de l’avis de la Cour, «que la Malaisie considérait la souveraineté comme
singapourienne»157 ; et
d) le fait que les autorités du Johor et leurs successeurs n’aient pas mené la moindre activité sur
Pedra Branca «après juin 1850 et ce, pendant tout un siècle, voire plus»158.
4.17. Voilà les éléments du comportement des Parties qui, selon la Cour, «témoign[aient]
d’une évolution convergente des positions de celles-ci concernant le titre sur Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh»159. C’est sur la base de ce comportement concordant des deux Parties que la Cour a
conclu que, «en 1980, la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh était désormais détenue
par Singapour»160.
4.18. Dans ses observations écrites additionnelles, la Malaisie se réfère à ces quatre
éléments. Toutefois, elle ajoute ensuite que la manière dont Singapour les analyse «suppose
clairement que la Cour avait quatre raisons indépendantes d’attribuer à Singapour le titre sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»161, et que les déclarations de celle-ci trahissent une interprétation
erronée de la décision de la Cour162.
4.19. Il s’agit là d’une déformation grossière des propos de Singapour. Singapour n’a jamais
laissé entendre que la Cour avait fondé sa décision sur quatre raisons juridiques indépendantes. Au
152 Arrêt, p. 83, par. 234.
153 Ibid., p. 85, par. 239.
154 Ibid., p. 87, par. 246.
155 Ibid., p. 88, par. 248. Au paragraphe 64 de ses observations écrites additionnelles, la Malaisie affirme que la
Cour n’a accordé aucun poids à l’installation par Singapour de matériel de communication militaire sur Pedra Branca.
C’est tout simplement faux. Comme Singapour l’a relevé dans ses observations écrites (par. 2.21-2.22), bien qu’elle ne
fût pas en mesure de déterminer si la Malaisie avait à l’époque connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, de
l’installation par Singapour de ce matériel de communication militaire, la Cour a déclaré ce qui suit : «Ce que la Cour
relève, c’est que l’acte accompli par Singapour est un acte à titre de souverain. Ce comportement n’est pas compatible
avec la reconnaissance par Singapour d’une quelconque limite à sa liberté d’action.» (Arrêt, p. 88, par. 248.)
156 Ibid., p. 89, par. 250.
157 Ibid., p. 96, par. 275.
158 Ibid.
159 Ibid., p. 96, par. 276.
160 Ibid.
161 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 40 (les italiques sont de nous).
162 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 41.
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contraire, elle a très clairement dit que la conclusion formulée aux paragraphes 276 et 277 de
l’arrêt, à savoir que la souveraineté sur Pedra Branca appartenait à Singapour, reposait sur une
«constellation d’éléments» liés au comportement des Parties dont la Cour avait fait mention aux
paragraphes 273 à 275163. Difficile de voir là une «interprétation erronée de la décision de la
Cour»164.
4.20. Ainsi que Singapour va le démontrer une fois encore, aucun des documents produits
par la Malaisie en la présente instance, que ce soit sous les trois annexes de sa demande en revision
ou sous celles de ses observations écrites additionnelles, ne change quoi que ce soit aux faits ou au
raisonnement sous-tendant l’arrêt de la Cour. En particulier :
a) Aucun d’eux ne fait référence à la souveraineté sur Pedra Branca ni n’indique que l’île
appartienne au Johor.
b) Aucun d’eux n’entame l’importance de la déclaration expresse faite par le Johor en 1953, selon
laquelle celui-ci ne revendiquait pas la propriété de Pedra Branca ou la souveraineté sur l’île.
c) Aucun d’eux n’a le moindre effet sur les diverses activités que Singapour a accomplies à titre
de souverain sur Pedra Branca ou aux alentours jusqu’en 1980 (de fait, la plupart des
documents produits par la Malaisie en l’espèce datent de 1958 voire sont antérieurs, un seul
d’entre eux –– le petit croquis figurant à l’annexe 3 –– portant une annotation ultérieure datée
de 1966). Exception faite de la prise de position du Johor en 1953, le comportement des Parties
que la Cour a jugé pertinent est pour l’essentiel postérieur à 1966.
d) Aucun des documents nouveaux n’enlève quoi que ce soit au fait que la Malaisie a reconnu la
souveraineté singapourienne sur l’île en acceptant que ses représentants fussent assujettis à un
contrôle de Singapour pour pouvoir se rendre sur l’île dans les années 1970, en publiant des
cartes officielles sur lesquelles l’île était présentée comme singapourienne, en omettant de
protester contre le déploiement du pavillon singapourien sur Pedra Branca alors qu’elle avait
protesté contre son déploiement sur Pulau Pisang, une île malaisienne165, et en cessant, après
que Singapour se fut séparée d’elle en 1965 pour accéder à l’indépendance, d’inclure le phare
Horsburgh au nombre de ses stations météorologiques, telles que répertoriées dans les rapports
annuels de son service météorologique.
e) Enfin, aucun desdits documents ne témoigne de la moindre activité souveraine menée par la
Malaisie sur Pedra Branca, de sorte que l’observation formulée par la Cour dans son arrêt
demeure pleinement d’actualité, à savoir que ni la Malaisie ni ses prédécesseurs n’ont jamais
mené de telles activités après 1850 et ce, pendant plus d’un siècle.
4.21. Au lieu de tenter de démontrer que ses «faits nouvellement découverts» revêtent la
nature «décisive» propre à influer sur le raisonnement et sur la décision de la Cour, la Malaisie ne
s’intéresse dans ses observations écrites additionnelles qu’aux éléments que la Cour n’a pas jugés
pertinents, et présente à tort comme dépourvus de pertinence deux éléments dont la Cour a pourtant
163 Observations écrites de Singapour, par. 2.46.
164 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 41.
165 Au paragraphe 64 de ses observations écrites additionnelles, la Malaisie affirme que la Cour n’a accordé aucun
poids au déploiement des pavillons britannique et singapourien sur Pedra Branca. C’est tout simplement faux. Comme
Singapour l’a relevé dans ses observations écrites (par. 2.19-2.20), la Cour a déclaré au paragraphe 246 de l’arrêt qu’«un
certain poids p[ouvait] être néanmoins attribué au fait que la Malaisie, dont l’attention avait été appelée sur la question du
déploiement des pavillons par suite de l’incident de Pulau Pisang, n[’ait pas] formul[é] … de demande similaire au sujet
du pavillon hissé sur le phare Horsburgh».
61
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- 39 -
tenu compte (l’installation par Singapour de matériel de communication militaire sur Pedra Branca
et le déploiement des pavillons britannique et singapourien sur l’île)166.
4.22. En revanche, lorsqu’il s’agit d’examiner les éléments que la Cour a réellement
considérés comme les «faits pertinents» à l’origine de sa décision, la Malaisie est remarquablement
peu loquace dans ses observations écrites additionnelles. Tout d’abord, elle les énumère (et encore,
de manière incomplète) dans un seul paragraphe (le paragraphe 64) sans exposer en quoi ses
«documents nouvellement découverts» entament la portée juridique de l’un quelconque d’entre
eux. Ensuite, elle se lance dans des conjectures en affirmant que, «[é]tant donné la nature, le
nombre et l’importance des activités que la Cour a analysées, la balance a dû pencher de justesse en
faveur de Singapour» (la Malaisie faisant ici référence à la décision selon laquelle, en 1980, la
souveraineté était désormais détenue par Singapour)167. Une telle assertion n’est étayée par aucun
élément de preuve. Elle est faite au mépris de tous les éléments du comportement des Parties que la
Cour a jugés pertinents aux fins de sa décision, et ne démontre nullement que la Malaisie ait
satisfait à la condition de l’«influence décisive» imposée par l’article 61 du Statut.
4.23. Au chapitre II de ses observations écrites additionnelles, qui est consacré au critère de
l’«influence décisive», la Malaisie s’engage également dans une exégèse longue et très critique de
la méthode ayant conduit la Cour à sa conclusion concernant la souveraineté. Ainsi qu’il sera
démontré plus loin au chapitre V, non seulement cette exégèse tend à présenter l’arrêt sous un faux
jour en attribuant à la Cour des analyses juridiques qu’elle n’a pas faites, mais elle met en outre en
lumière l’objectif réellement poursuivi par la Malaisie en l’instance, à savoir former un recours
contre l’arrêt en contravention de l’article 60 du Statut, plutôt qu’une véritable demande en
revision.
4.24. En résumé, la Malaisie ne veut pas uniquement que la Cour rouvre l’affaire sur la base
d’une série fort peu convaincante de documents nouveaux totalement dépourvus de pertinence
qu’elle prétend avoir découverts après le prononcé de l’arrêt ; elle veut aussi remettre en cause le
fondement juridique de la décision de la Cour.
C. LES DOCUMENTS NOUVEAUX DE LA MALAISIE NE SATISFONT PAS
À LA CONDITION DE «L’INFLUENCE DÉCISIVE»
4.25. Dans ses observations écrites additionnelles, la Malaisie fait valoir que les documents
nouveaux qu’elle a déposés «établissent l’existence d’une série d’incidents qui démontrent tous
qu’un tel accord [c’est-à-dire un accord tacite à l’effet de transférer à Singapour la souveraineté sur
Pedra Branca] n’a jamais vu le jour»168. Sur la base de cette affirmation, elle soutient que ses
documents nouveaux «pourraient changer la donne» et donc «sont de nature à exercer une
influence décisive»169.
4.26. Singapour a montré plus haut au chapitre III que, en réalité, aucun des documents
nouveaux soumis par la Malaisie ne fait référence à la souveraineté sur Pedra Branca ni n’indique
de quelque manière que ce soit que, dans l’esprit de la Malaisie, c’était elle et non Singapour qui
166 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 63-64. Voir également plus haut, notes 155 et 165.
167 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 67.
168 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 70.
169 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 70.
63
- 40 -
avait souveraineté sur l’île. De fait, les documents que la Malaisie invoque à présent ont trait à des
questions totalement distinctes qui n’ont rien à voir avec l’étendue de la souveraineté territoriale.
4.27. Singapour a également démontré que la Malaisie n’était nullement fondée à soutenir
que ses documents nouveaux infirmaient l’idée qu’une «communauté de vues» ou un «accord
tacite» ait pu s’établir entre les Parties au cours de la période pertinente. Indépendamment du fait
que la Cour a basé sa conclusion relative à la souveraineté sur une «évolution convergente»170 des
positions des Parties, les documents nouveaux, qu’ils soient considérés isolément ou
conjointement, ne sauraient, même en cherchant bien, exercer une «influence décisive» ni
constituer un facteur décisif. Ils sont par nature plus proches des documents auxquels la Cour
n’avait, en l’affaire initiale, attaché aucune pertinence pour trancher la question de la souveraineté
sur Pedra Branca.
1. Annexe 1 : la correspondance interne de 1958 relative à la délimitation
des eaux territoriales
4.28. L’annexe 1 de la demande en revision se compose de deux télégrammes, l’un daté du
18 janvier 1958 et l’autre, du 7 février 1958, dans lesquels des responsables singapouriens
examinaient la proposition, formulée par certains Etats, de porter la largeur de la mer territoriale de
3 à 6 milles marins. Comme il a été rappelé plus haut au chapitre III171, afin d’empêcher que le
territoire de Singapour se trouve «enclavé par les mers territoriales» d’autres Etats du fait de
l’étroitesse du détroit de Singapour, les parties à cet échange s’interrogeaient sur la nécessité de
ménager «un couloir international de haute mer»172 suivant «le chenal de navigation normal»173
existant174.
4.29. La Malaisie n’a soumis aucun autre document sur cette question avec ses observations
écrites additionnelles. Elle a cependant fait valoir que l’examen d’une telle proposition en 1958
montrait que, dans l’esprit de Singapour, la lettre du secrétaire d’Etat par intérim du Johor de 1953,
qui indiquait clairement que «le gouvernement du Johore ne revendiqu[ait] pas la propriété de
Pedra Branca»175, n’avait pas réglé la question de la souveraineté, autrement Singapour aurait fait
valoir ses droits sur les eaux entourant l’île dans cette correspondance interne176.
4.30. Singapour a déjà démontré que la correspondance de 1958 ne faisait rien de tel177. Elle
n’avait pas trait à la question de la souveraineté sur Pedra Branca ou sur quelque autre formation du
détroit de Singapour178, et elle n’avait assurément aucun rapport avec la manière dont les positions
des Parties ont évolué entre 1953 et 1980, soit jusqu’à 22 ans après la correspondance invoquée par
170 Arrêt, p. 96, par. 276.
171 Voir plus haut, par. 3.2 et 3.5.
172 Télégramme confidentiel en date du 7 février 1958 adressé au secrétaire d’Etat aux colonies par le gouverneur
de Singapour, par. 2 (demande en revision, annexe 1).
173 Télégramme confidentiel en date du 7 février 1958 adressé au secrétaire d’Etat aux colonies par le gouverneur
de Singapour, par. 2 (demande en revision, annexe 1).
174 Voir également observations écrites de Singapour, par. 3.3-3.4.
175 Lettre en date du 21 septembre 1953 adressée au secrétaire colonial de Singapour par M. Seth Bin Saaid,
secrétaire d’Etat par intérim du Johor (mémoire de Singapour, vol. VI, annexe 96).
176 Voir demande en revision, par. 25.
177 Voir observations écrites de Singapour, par. 6.8-6.13.
178 Voir plus haut, par. 3.2-3.7. Voir également observations écrites de Singapour, par. 3.2-3.13.
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65
- 41 -
la Malaisie, une évolution constatée sur la base de toute une série d’éléments pertinents dont la
plupart étaient postérieurs aux documents nouveaux de celle-ci.
4.31. Singapour a également établi que la correspondance de 1958 était par nature similaire à
une lettre interne de juillet 1953 rédigée par un certain M. Colton au nom du secrétaire colonial de
Singapour (ci-après la «lettre de M. Colton»), dans laquelle des préoccupations analogues
concernant la mer territoriale avaient été soulevées179. La Cour connaissait parfaitement cette lettre
et ne lui a accordé aucune pertinence particulière, s’étant contentée de dire que l’absence de
réaction à l’époque de la part des autorités à Singapour ou à Londres était «loin d’être
surprenante»180.
4.32. Un autre fait tout aussi important est que la correspondance de 1958 n’entame en rien
l’importance que la Cour a accordée à la position prise par le Johor en 1953181, lorsque celui-ci
avait déclaré ne pas avoir la propriété de Pedra Branca ou la souveraineté sur l’île. De fait, rien
dans la correspondance de 1958 ne permet de penser soit que la Malaisie soit revenue sur la prise
de position du Johor en 1953, soit que Singapour ou le Royaume-Uni ait reconnu que la
souveraineté sur l’île n’était pas singapourienne. Il n’est tout simplement pas fait mention de la
question de la souveraineté dans la correspondance de 1958.
4.33. Dans ses observations écrites additionnelles, la Malaisie élude l’importance de ce
qu’elle appelle «la fameuse lettre en date du 21 septembre 1953»182 émanant du secrétaire d’Etat
par intérim du Johor, et n’explique toujours pas en quoi la correspondance de 1958 est censée
modifier la portée de cette lettre. Elle se concentre plutôt sur la lettre de M. Colton qui, comme la
Cour l’a relevé, «indique [que]…les services du Foreign Office et du Colonial Office à Londres se
livraient à un vaste examen des questions relatives aux eaux territoriales. L’arrêt qu’avait peu avant
rendu la Cour en l’affaire des Pêcheries … constituait un élément important de cet examen.»183
4.34. La Malaisie plaide que M. Colton ne pouvait pas tenir compte dans sa lettre de la prise
de position du Johor en 1953, celle-ci n’ayant été formulée que deux mois plus tard, tandis que la
correspondance de 1958 «doit être examinée à la lumière de celle de 1953 concernant la
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»184. Selon elle, le fait que, cinq ans après la prise
de position du Johor en 1953, les autorités de Singapour «n’aient pas semblé tenir compte de
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh» lorsqu’elles ont examiné la question de la mer territoriale dans le
détroit de Singapour «est pour le moins inhabituel»185. Faisant un raccourci étrange sur le plan de la
logique, la Malaisie ajoute que l’inaction d’un Etat (Singapour) dans des circonstances où l’on
s’attendrait raisonnablement à une réaction de sa part, «face aux difficultés évidentes que posait le
comportement des Etats voisins», est «un élément qui permet d’apprécier ou d’interpréter son
intention»186.
179 Observations écrites de Singapour, par. 6.16.
180 Arrêt, p. 81, par. 225.
181 Voir plus haut, par. 4.16 a).
182 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 74.
183 Arrêt, p. 80-81, par. 225.
184 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 76.
185 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 76.
186 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 76.
66
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- 42 -
4.35. Cependant, en 1958, ni la Malaisie ni aucun autre Etat ne causait à Singapour de
difficulté appelant une réaction de sa part concernant la souveraineté sur Pedra Branca. Aucun des
documents nouveaux n’émane de la Malaisie, aucun n’a trait à la question de la souveraineté
territoriale et aucun ne révèle l’existence du moindre comportement à titre de souverain de la
Malaisie sur Pedra Branca qui aurait pu appeler une réaction de la part de Singapour. La
correspondance de 1958 n’était qu’un échange interne entre les autorités singapouriennes sur un
tout autre sujet, à savoir la position que le Royaume-Uni devait adopter à l’occasion de la
prochaine conférence de Genève sur le droit de la mer187.
4.36. C’est, de surcroît, à tort que la Malaisie tente de dissocier la correspondance de 1958
de la lettre de M. Colton au motif que cette dernière était antérieure à la prise de position du Johor
en 1953 et qu’elle aurait porté sur les «zones de pêche»188. Dans l’affaire initiale, la Malaisie avait
déclaré que la lettre de M. Colton (adressée en juillet 1953) et la correspondance renfermant la
prise de position du Johor (adressée en septembre 1953) avaient été «é[crites] presque à la même
date»189. Par ailleurs, la lettre de M. Colton portait principalement sur l’étendue des eaux
territoriales de Singapour et d’autres Etats, tout comme la correspondance de 1958190. Si les
«domaines des pêcheries, du maintien de l’ordre et des activités de contrôle» ont été abordés dans
la lettre de M. Colton, c’était dans le contexte de la question plus générale des eaux territoriales.
4.37. La Malaisie se fourvoie également en tentant de distinguer la correspondance de 1958
d’un autre document relatif à un dispositif de navigation auquel la Cour n’a attribué aucune
pertinence dans l’affaire initiale, à savoir le dispositif établi en 1977 pour les détroits de Malacca et
de Singapour191. Contrairement à la description qu’en fait la Malaisie, le dispositif de 1977 ne
portait pas simplement sur «l’établissement et … l’entretien d’aides à la navigation»192. Il
définissait des voies de navigation et des chenaux profonds dans les détroits193. Or, de même que la
Cour a estimé que les documents de 1977 «concer[naient] non pas des droits territoriaux mais la
facilitation et la sécurité de la navigation dans l’ensemble des détroits»194, la correspondance de
1958 concernait non pas des droits territoriaux mais la navigation dans un couloir de haute mer à
travers le détroit de Singapour.
4.38. L’argument alambiqué de la Malaisie est donc dépourvu de fondement, mais ce n’est
pas tout : il fait également abstraction d’un autre événement de 1958 qui contredit la thèse
malaisienne selon laquelle Singapour devait, à l’époque, avoir conscience de ne pas avoir
souveraineté sur l’île.
4.39. L’événement en question concerne la modification apportée en 1958 par Singapour à
son ordonnance de 1957 sur les droits de phare. A la différence de l’ordonnance de 1957, que la
187 Voir télégramme confidentiel en date du 18 janvier 1958 adressé au gouverneur de Singapour par le secrétaire
d’Etat aux colonies, par. 1 (demande en revision, annexe 1).
188 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 76 et 77.
189 Mémoire de la Malaisie, par. 238.
190 Voir lettre, avec pièces jointes, de juillet 1953 adressée au commissaire général adjoint aux affaires coloniales
de Singapour par A. G. B. Colton, pour le secrétaire colonial de Singapour, par. 4 (mémoire de la Malaisie, vol. 3,
annexe 68).
191 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 78.
192 Ibid.
193 Voir mémoire de Singapour, annexe 134, annexes I-IV.
194 Arrêt, p. 91, par. 260.
68
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- 43 -
Cour n’a pas estimée pertinente car elle ne faisait pas de distinction entre le phare de Pedra Branca
et celui de Pulau Pisang195, le nouveau texte de 1958 faisait pareille distinction en précisant, dans
l’énoncé de ses objectifs, que le phare de Pulau Pisang  et lui seul  n’était pas situé dans les
eaux territoriales de Singapour, sans en dire autant du phare de Pedra Branca. De plus, ainsi que la
Cour l’a relevé, il ressortait des travaux préparatoires du nouveau texte une «déclaration selon
laquelle Pedra Branca/Pulau Batu Puteh [était] la propriété de Singapour»196. La Cour a considéré
qu’il s’agissait là d’un élément important, indiquant dans l’arrêt :
«Etant donné en particulier qu’il est expressément fait mention de Pulau Pisang
dans l’énoncé des objectifs de l’ordonnance et que l’historique de sa rédaction contient
la déclaration selon laquelle Pedra Branca/Pulau Batu Puteh est la propriété de
Singapour, la Cour estime que cette modification vient à l’appui des allégations de
Singapour.»197
4.40. Il s’ensuit que, lorsqu’elle soutient que la correspondance de 1958
«pè[se] … lourdement contre l’idée qu’une convergence, ou même un début de convergence, ait pu
exister en 1958 dans les vues des Parties concernant [Pedra Branca/Pulau Batu Puteh]», et que,
«[m]is dans la balance des éléments factuels sur la base desquels la Cour a conclu à l’existence
d’un accord tacite entre les Parties, les documents de l’annexe 1 inversent l’équilibre»198, la
Malaisie prend purement et simplement ses désirs pour des réalités.
4.41. Du reste, le raisonnement qui a conduit la Cour à conclure que, en 1980, la
souveraineté sur Pedra Branca était désormais détenue par Singapour était essentiellement fondé
sur le comportement des Parties après 1958. La Malaisie n’a pas démontré, et ne peut démontrer,
que la correspondance de 1958 ait le moindre effet sur
a) les divers actes accomplis par Singapour à titre de souverain sur Pedra Branca ou aux alentours,
en particulier pendant les vingt-deux années écoulées entre 1958 et 1980 ;
b) l’absence de réaction, de la part de la Malaisie, à l’un quelconque de ces actes, conjuguée à sa
reconnaissance de la souveraineté de Singapour sur Pedra Branca, qui ressort notamment du fait
que, en 1974 et en 1978, elle lui ait demandé son autorisation pour que des représentants
malaisiens puissent se rendre sur l’île et se soit alors pliée à ses conditions ;
c) les cartes officielles de la Malaisie publiées après 1958 qui indiquent que Pedra Branca
appartient à Singapour et le fait que, à partir de 1967, soit après que Singapour se fut séparée
d’elle pour accéder à l’indépendance, elle ait cessé d’inclure le phare Horsburgh au nombre de
ses stations météorologiques, telles que répertoriées dans les rapports annuels de son service
météorologique ; et
d) l’incapacité de la Malaisie de fournir la moindre preuve d’activités souveraines qu’elle aurait
elle-même menées sur l’île au cours du siècle qui a suivi 1850, voire au-delà.
195 Arrêt, p. 68, par. 174.
196 Ibid.
197 Ibid. Cela contrastait avec le comportement adopté par la Malaisie elle-même concernant l’entretien des
phares. Un peu plus loin dans l’arrêt, la Cour a souligné :
«Il est en revanche à noter qu’en 1952, le directeur de la marine de la Fédération de Malaya, dont
le Johor faisait alors partie, souleva la question de l’éventuelle prise en charge du phare de Pulau Pisang
par la Fédération, «comme il est proche de la côte de la Fédération», mais qu’il ne fit aucune proposition
analogue en ce qui concerne Pedra Branca/Pulau Batu Puteh» (arrêt, p. 70, par. 178).
198 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 80.
70
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4.42. Compte tenu de ce qui précède, la correspondance de 1958 sur laquelle la Malaisie fait
fond est bien loin d’être «de nature à exercer une influence décisive» justifiant que la Cour déclare
sa demande en revision recevable. Rien de ce qui est contenu dans cette correspondance n’entame
le raisonnement qui sous-tend la décision de la Cour concernant la souveraineté.
2. Annexe 2 : les documents concernant l’incident
du Labuan Haji en 1958
4.43. Pour des considérations analogues, les documents que la Malaisie a versés sous
l’annexe 2 de sa demande en revision au sujet de l’incident du Labuan Haji, également survenu en
1958, sont dépourvus de pertinence. De même que la correspondance de la même année, aucun des
éléments invoqués par la Malaisie, y compris les coupures de presse additionnelles soumises sous
l’annexe A de ses observations, ne fait référence à la souveraineté sur Pedra Branca. Aucun d’eux
n’entame l’importance que la Cour a attachée à la prise de position du Johor en 1953. Comme
exposé ci-dessus, aucun ne change quoi que ce soit au comportement que la Cour a jugé pertinent,
qu’il s’agisse de l’année 1958199 ou des années suivantes jusqu’en 1980200. Enfin, aucun ne
témoigne d’une quelconque revendication malaisienne de souveraineté sur l’île, et encore moins
d’effectivités malaisiennes.
4.44. Ni les documents déposés par la Malaisie sous l’annexe 2 de sa demande en revision, ni
les coupures de presse présentées avec ses observations écrites additionnelles n’indiquent le lieu
exact de l’incident du Labuan Haji. Les documents contenus à l’annexe 2 rapportent simplement
que l’incident a eu lieu «près du phare Horsburgh»201. Selon les coupures de presse additionnelles,
il est survenu «au large»202 ou «près du phare Horsburgh, à 35 milles au nord-est de Singapour»203.
Il est significatif qu’aucun de ces documents ne précise que l’incident a eu lieu dans les eaux
territoriales de Pedra Branca ou que l’île appartenait à la Malaisie.
4.45. Au contraire, comme exposé précédemment204, l’année de l’incident, soit lorsqu’elle
entreprit de modifier son ordonnance sur les droits de phare en 1958, Singapour déclara
précisément que Pedra Branca lui appartenait. Sa souveraineté sur l’île ne faisait donc aucun doute
dans son esprit. De fait, la situation n’avait pas changé depuis la fin de l’année 1953, après que
Singapour eut reçu la lettre énonçant la prise de position du Johor. Voici comment, dans son arrêt,
la Cour a résumé la situation qui prévalait à l’époque : «Au vu de [la] réponse [du Johor], les
autorités à Singapour n’avaient aucune raison de douter que le Royaume-Uni détenait la
souveraineté sur l’île.»205
4.46. Cet élément de preuve contemporain balaye tout doute pouvant être prêté à Singapour
quant à sa souveraineté sur Pedra Branca. Dans ses observations écrites, Singapour a également
relevé que les indications relatives au lieu de l’incident étaient trop vagues pour avoir quelque
199 Voir plus haut, par. 4.38-4.40.
200 Voir plus haut, par. 4.41.
201 Demande en revision, par. 27
202 Coupure du Straits Times (observations écrites additionnelles de la Malaisie, annexe A).
203 Coupures du Berita Harian (observations écrites additionnelles de la Malaisie, annexe A).
204 Voir plus haut, par. 4.39.
205 Arrêt, p. 82. par. 230.
72
73
- 45 -
incidence sur la question de la souveraineté et que, dans son arrêt, la Cour n’avait accordé aucune
importance à des descriptions géographiques tout aussi imprécises206.
4.47. Dans ses observations écrites additionnelles, la Malaisie ne conteste la pertinence que
d’une seule des références que Singapour a tirées de l’arrêt pour démontrer qu’aucune conclusion
ne saurait être déduite de descriptions géographiques générales : cette référence concerne la
correspondance de 1844 relative à l’emplacement envisagé pour construire un phare. La Malaisie
tente d’établir que cet exemple est dépourvu de pertinence en rappelant que la correspondance en
question ne faisait pas spécifiquement référence à Pedra Branca, contrairement aux documents
qu’elle a produits en la présente espèce, et que la Cour n’a pas jugé nécessaire de se prononcer sur
ses arguments car elle avait déjà estimé que le titre originaire appartenait au Johor207. Mais cela
n’affaiblit en rien l’observation de la Cour selon laquelle l’argument de la Malaisie tendant à
englober Pedra Branca dans l’expression «à proximité de Point Romania» achoppait sur le fait que
«la correspondance sembl[ait] être rédigée en des termes très généraux»208. En outre, la Malaisie ne
trouve rien à répondre au fait que la Cour a aussi écarté plusieurs autres documents au motif qu’ils
contenaient des références géographiques générales qui n’éclairaient en rien la question de la
souveraineté.
4.48. Par exemple, Singapour a également relevé que la Cour n’avait pas accordé de poids à
un incident survenu en 1861 lors duquel des pêcheurs singapouriens avaient été attaqués «près du
phare de Pedro Branco» ou «à proximité du phare de Pedro Branco»209. Bien que les rapports
singapouriens fissent précisément référence au phare situé sur Pedra Branca, la Cour a déclaré que
«les faits ne p[ouvaient] être clairement établis au vu des éléments dont elle dispos[ait]
et que la teneur des rapports singapouriens [était] trop imprécise pour lui permettre de
se prononcer sur les vues des autorités de Singapour, à l’époque, en ce qui concerne la
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»210.
Pour toute réponse, la Malaisie qualifie les arguments de Singapour d’«allégations tout aussi
contestables»211 sans se justifier d’aucune manière.
4.49. Ailleurs dans son arrêt, la Cour a encore écarté d’autres descriptions générales de
nature géographique. Ainsi, s’agissant des documents que la Malaisie prétendait être des
publications officielles de Singapour n’incluant pas Pedra Branca dans le territoire singapourien212,
la Cour a déclaré ce qui suit :
«Etant donné le but des publications et le fait que, même si elles étaient des
documents officiels, elles n’étaient pas censées faire autorité et étaient essentiellement
de nature descriptive, la Cour ne considère pas qu’un poids de quelque importance
puisse leur être attribué.»213
206 Voir observations écrites de Singapour, par. 6.19-6.23.
207 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 82.
208 Arrêt, p. 55, par. 134.
209 Voir observations écrites de Singapour, par. 6.21.
210 Arrêt, p. 72, par. 191.
211 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 82.
212 Voir arrêt, p. 92, par. 261.
213 Arrêt, p. 92, par. 262.
74
75
- 46 -
Par ailleurs, dans l’affaire initiale, la Malaisie s’était également appuyée sur une monographie
 dont l’auteur avait été pendant de nombreuses années le directeur des affaires maritimes de
Singapour  qui semblait faire une distinction entre les aides à la navigation situées dans les eaux
de Singapour et celles établies sur les «stations plus éloignées» de Pedra Branca et de Pulau Pisang.
Pour la Malaisie, cela démontrait que ces deux dernières stations avaient le même statut214. Face à
cet argument de la Malaisie, la Cour a donné raison à Singapour, selon laquelle il s’agissait de
descriptions «d’ordre purement géographique»215.
4.50. De même, lorsqu’elle en est venue à évaluer la pertinence de l’ordonnance de 1969 sur
les eaux territoriales de la Malaisie, qui, comme les documents de 1958 relatifs à l’incident du
Labuan Haji, ne faisait pas référence à des territoires, lignes de base, limites extérieures ou zones
d’eaux territoriales, la Cour a encore déclaré que, «en raison de la généralité même des termes de
l’ordonnance de 1969, l’argument de la Malaisie fondé sur ce texte d[evait] être rejeté»216.
4.51. Compte tenu de ce qui précède, l’affirmation de la Malaisie selon laquelle les
documents de 1958 concernant l’incident du Labuan Haji  qui ne montrent même pas que celuici
ait eu lieu dans les eaux territoriales de Pedra Branca  exercent une «influence décisive» au
sens de l’article 61 du Statut fait long feu.
3. Annexe 3 : le croquis des zones d’accès restreint ou interdit
4.52. Le document soumis à l’annexe 3 de la demande en revision est un croquis daté du
25 mars 1962 illustrant des «zones d’accès restreint ou interdit [dans les e]aux territoriales de
Singapour», sur lequel figure une annotation manuscrite de 1966. Il montre certaines zones faisant
l’objet de restrictions ou d’un couvre-feu que Singapour avait décrétés à des fins de sécurité en
conséquence de la Konfrontasi avec l’Indonésie. La Malaisie n’a pas dit grand-chose sur ce croquis
dans sa demande en revision, son argument semblant consister à soutenir que l’omission de
Pedra Branca sur celui-ci atteste que, à l’époque, Singapour n’estimait pas que ses droits
territoriaux s’étendaient à l’île217.
4.53. Singapour a démontré que la thèse de la Malaisie était fantaisiste et ne pouvait exercer
absolument aucune influence sur la décision de la Cour, encore moins une influence décisive218.
Premièrement, elle a montré que le croquis n’était pas censé constituer une représentation faisant
autorité de l’étendue de son territoire, mais ne décrivait que les zones qui, au large de la côte
méridionale de son île principale, faisaient l’objet de restrictions établies en réponse à des menaces
venant du sud. La preuve en est qu’aucune zone d’accès restreint n’était représentée ni au nord de
l’île principale de Singapour, ni au large d’autres îles singapouriennes telles que Pulau Tekong
Besar et Pulau Ubin219. De même, les restrictions en question ne s’étendaient pas à Pedra Branca et
il n’y avait donc pas lieu de représenter l’île sur le croquis. Deuxièmement, Singapour a produit
l’annexe B de la série d’instructions dont le croquis est tiré, un document que la Malaisie n’avait
pas joint à sa demande en revision et qui confirme la portée limitée desdites restrictions. Il est
214 Voir arrêt, p. 93, par. 263.
215 Ibid., p. 93, par. 264.
216 Arrêt, p. 90, par. 256. Voir également la remarque formulée par Singapour au paragraphe 6.22 de ses
observations écrites, à laquelle la Malaisie n’a nullement répondu.
217 Voir demande en revision, par. 33-35.
218 Voir observations écrites de Singapour, par. 6.8-6.13 et 6.24-6.27. Voir également plus haut, par. 3.19-3.28.
219 Voir observations écrites de Singapour, par. 3.26-3.27.
76
- 47 -
indiqué très clairement dans ce document que les zones d’accès restreint dans le port de Singapour
étaient limitées aux «[e]aux au sud de l’île de Singapour», et ne concernaient pas l’ensemble du
territoire singapourien220. Troisièmement, Singapour a rappelé que, dans l’affaire initiale, la
Malaisie avait invoqué l’omission de Pedra Branca dans un document similaire –– un arrêté de
couvre-feu de 1948 –– dans l’espoir de prouver que les autorités singapouriennes estimaient que
Pedra Branca ne faisait pas partie du territoire de Singapour, un argument que la Cour a toutefois
rejeté au motif qu’«il n’était pas … justifié d’étendre l’interdiction à une île aussi éloignée»221.
4.54. Avec ses observations écrites additionnelles, la Malaisie a soumis d’autres documents
relatifs à la Konfrontasi avec l’Indonésie. Cependant, ainsi qu’il a déjà été démontré au
chapitre III222, ces nouveaux documents non seulement n’infirment pas ce que Singapour a déclaré
au sujet du croquis dans ses observations écrites, mais viennent même conforter sa position.
4.55. L’un des documents nouveaux sur lesquels la Malaisie se fonde est un tableau du
ministère britannique de la guerre répertoriant de manière détaillée de nombreux incidents liés à
l’infiltration d’éléments indonésiens, tant à Singapour qu’en Malaisie, pendant la période allant du
17 août 1964 au 31 décembre 1965223. Comme il a été dit plus haut au chapitre III224, ce document
est intéressant en ceci qu’il démontre que tous les incidents ayant opposé des activistes indonésiens
à Singapour ont eu lieu sur l’île principale de celle-ci ou au large de sa côte méridionale. Aucun des
incidents inventoriés à l’annexe C ne comprend une incursion sur l’île de Pedra Branca.
4.56. Pour tenter de contrer cet argument, la Malaisie soutient que Singapour «minimise
l’étendue de la zone sur laquelle la Konfrontasi faisait peser une menace»225 en disant que cette
menace se manifestait au sud de son île principale. A l’appui de ses dires, elle fait valoir que le
document du ministère de la guerre nouvellement produit recense de nombreux épisodes d’hostilité
avec des assaillants indonésiens, sur une période de seize mois, «dans une zone comprenant les
détroits de Malacca et de Singapour ainsi que la côte sud-est du Johor»226, et que la Konfrontasi
«concernait toute la région, et assurément la zone de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»227.
4.57. Comme il a déjà été dit au chapitre III, il est vrai que les opérations des agents
d’infiltration indonésiens étaient dirigées à la fois contre Singapour et contre la Malaisie. Mais il
est faux de soutenir que ces infiltrations concernaient Pedra Branca ou que Singapour avait lieu
d’étendre à l’île les restrictions qui étaient illustrées sur le croquis228. Qui plus est, tout cela n’avait
aucun rapport avec l’établissement des limites du territoire singapourien.
4.58. Dans ses observations écrites additionnelles, la Malaisie tente de prouver le contraire
en mettant en avant un incident (répertorié sous le numéro 34 dans la liste) survenu le
220 Voir observations écrites de Singapour, par. 3.30. Voir également plus haut, par. 3.20.
221 Arrêt, p. 72, par. 189. Voir également observations écrites de Singapour, par. 6.25.
222 Voir plus haut, par. 3.19-3.31.
223 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 92. Voir également observations écrites
additionnelles de la Malaisie, annexe C.
224 Voir plus haut, par. 3.22-3.27.
225 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 97.
226 Ibid., par. 98.
227 Ibid., par. 99.
228 Voir plus haut, par. 3.20-3.28.
77
78
- 48 -
25 mars 1965, à l’occasion duquel un agent d’infiltration indonésien fut capturé au phare
Horsburgh229.
4.59. Il a été démontré au chapitre III que la Malaisie déforme la réalité. L’incident auquel
elle fait référence n’a pas eu lieu sur Pedra Branca, mais visait la côte orientale du Johor
continental230. La seule chose qui se soit produite au phare Horsburgh, sur Pedra Branca, est la
capture de l’un des Indonésiens impliqués alors qu’il tentait de prendre la fuite231. La Malaisie a
beau prétendre le contraire, il est difficile de voir là une preuve de ce que «les autorités
britanniques [auraient] considéré que le phare Horsburgh se trouvait dans le Johor oriental»232.
4.60. Pour ce qui est des vues des Parties concernant la souveraineté à l’époque de l’incident,
la Malaisie omet de rappeler que, en 1953, le Johor avait déjà fait savoir qu’il ne revendiquait pas
la propriété de Pedra Branca ou la souveraineté sur l’île, et qu’elle avait ensuite elle-même publié
deux cartes officielles en 1962233, puis une autre en 1965234 (soit l’année de l’incident), sur
lesquelles Pedra Branca était désignée comme appartenant à Singapour235. Elle en publia encore
trois autres similaires par la suite236. Ainsi que la Cour l’a noté, «ces cartes tendent à confirmer que
la Malaisie considérait que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh relevait de la souveraineté de
Singapour»237. L’idée qu’un petit croquis dont le seul but était d’illustrer les zones d’accès restreint
établies à des fins de sécurité, et non l’étendue territoriale de Singapour, puisse, par rapport à six
cartes officielles publiées par la Malaisie sur lesquelles Pedra Branca est clairement désignée
comme appartenant à «Singapore», «faire basculer la balance des éléments factuels sur la base
desquels la Cour a conclu à l’émergence d’un accord tacite»238 n’est pas plausible. Par opposition,
Singapour avait mené une enquête sur l’échouement d’un navire britannique sur un récif adjacent à
Pedra Branca seulement deux ans plus tôt, en 1963239, et encore n’était-ce qu’une des nombreuses
manifestations de son comportement qui, de l’avis de la Cour, «v[enait] étayer de manière
appréciable [s]a thèse»240.
4.61. Evidemment, l’incident de 1965 invoqué par la Malaisie n’a pas davantage d’influence
sur l’ensemble des autres activités des Parties postérieures à cette date que la Cour a jugées
pertinentes aux fins de sa décision sur la souveraineté. Il s’ensuit que l’allégation de la Malaisie
selon laquelle son document nouvellement découvert constitue une «illustration supplémentaire
«[d]es vues des autorités de Singapour, à l’époque», à savoir que la souveraineté du Johor sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh n’avait pas été transférée à Singapour»241, est totalement dépourvue
229 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 93.
230 Voir plus haut, par. 3.25-3.26 et 3.30.
231 Voir plus haut, par. 3.26 et 3.30.
232 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 94.
233 Mémoire de la Malaisie, vol. 4, cartes 32 et 33. Voir également contre-mémoire de Singapour, vol. 4, cartes 26
et 27.
234 Mémoire de la Malaisie, vol. 4, carte 34. Voir également contre-mémoire de Singapour, vol. 4, carte 28.
235 Arrêt, p. 94, par. 269.
236 Les cartes en question furent publiées en 1970 (mémoire de la Malaisie, vol. 4, carte 38), 1974
(contre-mémoire de Singapour, vol. 4, carte 30) et 1975 (mémoire de la Malaisie, vol. 4, carte 41).
237 Arrêt, p. 95, par. 272.
238 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 101.
239 Voir arrêt, p. 83, par. 233.
240 Arrêt, p. 83, par. 234.
241 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 95.
79
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de fondement. Ni le croquis ni les documents relatifs à l’incident liés à la Konfrontasi avec
l’Indonésie que la Malaisie a produits n’ont le moindre rapport avec la souveraineté sur
Pedra Branca. Dès lors, ils ne sauraient en aucun cas exercer une «influence décisive» au sens de
l’article 61 du Statut.
4. La carte du Johore de 1937
4.62. Le dernier document invoqué par la Malaisie est une carte intitulée «Johore, 1937»,
que celle-ci n’aurait apparemment «découverte» que le 5 décembre 2017, environ dix mois après
avoir formé sa demande en revision242, et quelque six mois après avoir sollicité l’autorisation de
présenter ses observations écrites et documentation additionnelles.
4.63. La carte du Johore de 1937 a été produite sous l’annexe D des observations écrites
additionnelles de la Malaisie, en même temps qu’un long rapport de la commission des dommages
de guerre pour l’année 1952. Singapour a montré précédemment, au chapitre III243, que la mission
de la commission n’avait aucun lien avec la détermination d’une quelconque souveraineté
territoriale, et que cette instance n’aurait donc eu aucune raison d’attacher une importance
particulière à la carte du Johore de 1937.
4.64. La Malaisie ne cherche pas à tirer argument du rapport de la commission des
dommages de guerre proprement dit. Sa thèse est la suivante : puisque la carte du Johore de 1937
inclut l’île de Pedra Branca et qu’elle porte le sceau de la commission des dommages de guerre, et
puisque ladite commission comptait parmi ses membres plusieurs fonctionnaires de Singapour,
«[cette dernière] était clairement informée de manière officielle que cette carte situait
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh dans le territoire du Johor, et n’a émis aucune protestation»244.
4.65. Rien ne fonde la Malaisie à faire valoir la carte du Johore de 1937 pour démontrer que
les nouveaux documents produits sous l’annexe D témoignent de l’absence d’une «communauté de
vues» quant à la souveraineté sur Pedra Branca. Pour commencer, la commission des dommages de
guerre ne parle même pas de cette carte dans son rapport. Ensuite, aucune des réclamations qu’elle
y examine ne concerne Pedra Branca. De fait, l’île n’est même pas mentionnée dans le rapport. Si
la commission y examine des réclamations concernant la Malaya, ce sont surtout des réclamations
concernant la région de la côte est du pays. Cette région, ainsi qu’il est précisé dans le rapport,
comprend les Etats de Kelantan, T[e]rengganu et East Pahang245. Pedra Branca n’est pas recensée
parmi les localités désignées.
4.66. Outre que la présence du sceau de la commission des dommages de guerre sur la carte
du Johore de 1937 n’a aucune pertinence pour les questions de souveraineté, il est important de
rappeler que la commission a commencé ses travaux en 1950 et que le rapport sur lequel s’appuie
la Malaisie est celui de l’année 1952. Ce rapport a donc été établi un an avant la prise de position
du Johor en 1953, et est antérieur à l’ensemble des activités menées par les Parties entre 1953 et
1980 dont la Cour a jugé qu’elles étaient pertinentes pour sa décision sur la souveraineté. En
d’autres termes, quel que soit l’usage qu’ait pu faire la commission de la carte du Johore de 1937
242 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 103.
243 Voir plus haut, par. 3.37.
244 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 104.
245 Voir rapport de la commission des dommages de guerre pour l’année 1952, p. 67 (observations écrites
additionnelles de la Malaisie, annexe D).
81
82
- 50 -
 chose que la Malaisie n’explique pas , cela n’a aucune incidence sur les éléments qui ont
amené la Cour à conclure que, en 1980, la souveraineté sur Pedra Branca était désormais détenue
par Singapour.
D. CONCLUSION
4.67. Nous avons démontré dans le chapitre qui précède qu’aucun des nouveaux documents
présentés par la Malaisie, que ce soit dans sa demande en revision ou dans ses observations écrites
additionnelles, ne met en évidence un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur le
raisonnement de la Cour ou sur sa décision de reconnaître à Singapour la souveraineté sur
Pedra Branca. Par conséquent, la Malaisie n’a pas satisfait à la condition de l’«influence décisive»
énoncée au paragraphe 1 de l’article 61 du Statut et la demande en revision est, partant, irrecevable.
83
- 51 -
CHAPITRE V
LA DEMANDE EN REVISION DE LA MALAISIE SOUS SON VRAI JOUR,
CELUI D’UN RECOURS CONTRE L’ARRÊT
5.1. Singapour a démontré dans les chapitres précédents que la Malaisie n’avait pas satisfait
aux conditions de recevabilité énoncées à l’article 61 du Statut. Elle montrera dans le présent
chapitre que les observations écrites additionnelles confirment que la demande en revision de la
Malaisie, et sa demande en interprétation dans une procédure distincte246, constituent de fait un
recours contre l’arrêt au fond. Il va sans dire que l’arrêt n’est pas susceptible de recours.
L’article 60 est on ne peut plus clair : «[l’]arrêt est définitif et sans recours».
5.2. La Malaisie est consciente de l’effet de la res judicata et de l’autorité de la chose jugée
dont l’arrêt est revêtu. Elle affirme même –– probablement pour s’en convaincre –– que sa
«demande ne constitue pas un recours contre l’arrêt de 2008»247. Mais elle a beau prétendre le
contraire, la Malaisie ne fait que plaider à nouveau sa cause.
5.3. Dans ses observations écrites additionnelles, la Malaisie se livre à une longue exégèse de
ce qu’elle appelle la «méthode juridique» que la Cour a suivie pour parvenir à la conclusion que la
souveraineté sur Pedra Branca appartenait à Singapour248. Cet exposé, qui traite de notions telles
que la présomption contre l’abandon de titre, la relation entre un titre préexistant et les effectivités,
la prescription acquisitive et la consolidation historique, n’est rien de moins qu’une attaque contre
le raisonnement de la Cour.
5.4. La Malaisie critique en effet l’arrêt lorsqu’elle affirme que : celui-ci «se distingue des
autres décisions»249 ; les éléments de preuve sur lesquels la Cour s’est appuyée dans son arrêt
concernant le comportement de la Malaisie ont été «inféré[s]» et ont «toujours été douteu[x]»250 ;
ceux concernant le comportement de Singapour ont été «entrevu[s] dans une pratique limitée et
fluctuante»251 ; «l’appréciation de la Cour était inévitablement fondée sur un équilibre subtil»252 ;
«la balance a dû pencher de justesse»253 ; et que «[l]a Cour s’est livrée dans son arrêt à une analyse
proprio motu sans bénéficier des vues des Parties»254. Et la Malaisie de glisser que «la balance
aurait pu pencher d’un côté comme de l’autre»255 et que «[l]’arrêt repose sur une pratique limitée et
sur des appréciations nuancées»256.
246 Voir Demande en interprétation de l’arrêt du 23 mai 2008 en l’affaire relative à la Souveraineté sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour) (Malaisie c. Singapour), observations
écrites de la République de Singapour, 30 octobre 2017, par. 1.5, 1.31, 1.35 et 4.41.
247 Demande en revision, par. 7.
248 Voir observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 42-67.
249 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 5.
250 Ibid., par. 8.
251 Ibid., par. 5.
252 Ibid., par. 11.
253 Ibid., par. 67.
254 Ibid., par. 5.
255 Ibid., par. 7.
256 Ibid., par. 7 et 11.
85
86
- 52 -
5.5. La Malaisie se livre également à une analyse détaillée de principes juridiques qui ne
figurent pas dans le raisonnement que la Cour a elle-même tenu. Tout d’abord, elle s’étend
longuement sur la présomption contre l’abandon de titre257 et soutient que «la charge de la preuve
incombe à la partie qui affirme qu’il a été renoncé à la souveraineté»258. Ce faisant, elle tente tout
simplement de remettre en cause des points de droit i) qui ont déjà été traités dans l’affaire initiale ;
ii) ou qui, de son point de vue, auraient dû l’être par la Cour. De toute évidence, la Cour avait bien
conscience du fait que la question était alors de savoir si, en vertu du comportement ultérieur des
Parties, la souveraineté avait été transférée à Singapour. Cela étant, sa décision n’était pas fondée
sur l’idée que la Malaisie ait pu abandonner son titre, mais reposait sur le comportement mutuel des
Parties.
5.6. La Malaisie ajoute ensuite dans ses observations écrites additionnelles que le principe,
énoncé par la Chambre de la Cour dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République
du Mali), selon lequel le titre juridique prime les effectivités est l’un des éléments du «cadre
juridique fondamental»259 de l’arrêt260. Là encore, il ne s’agit de rien de moins que d’une attaque
contre la conclusion de la Cour selon laquelle les activités menées par Singapour à titre de
souverain sur Pedra Branca et aux alentours, conjuguées à l’absence de réaction de la Malaisie à
ces activités, étaient l’un des éléments –– mais assurément pas le seul –– justifiant de conclure que,
en 1980, la souveraineté sur Pedra Branca était désormais détenue par Singapour.
5.7. Troisièmement, bien qu’elle admette que, dans l’affaire initiale, «les deux Parties
[avaient] reconnu que la notion de prescription acquisitive n’avait aucun rôle à jouer» et que «la
Cour elle-même n’y [a] pas fait expressément référence, pas plus qu’à la notion de consolidation
historique», la Malaisie n’en prétend pas moins que, «de fait, la Cour s’est inspirée de leurs
principaux éléments dans son analyse»261. Elle va même jusqu’à déclarer que «la Cour a perçu, sur
la base des éléments du dossier, l’existence après 1953 d’une communauté de vues en faveur d’une
prescription acquisitive ou d’une consolidation historique au bénéfice de Singapour»262. Or, la Cour
ne s’est appuyée nulle part dans son arrêt sur l’une ou l’autre de ces deux notions aux fins de son
raisonnement.
5.8. Tout cela fait encore apparaître la demande en revision sous son vrai jour, celui d’un
recours et non d’une réelle demande en revision. Forte de ce qu’elle sait désormais, la Malaisie
cherche à remettre en cause le fondement juridique sur lequel la Cour a pris –– ou aurait
apparemment (selon la Malaisie) dû prendre –– sa décision, à l’opposé de la manière dont la Cour a
véritablement appréhendé la question de la souveraineté.
5.9. Cependant, la revision n’est pas «une deuxième instance»263. Il ne s’agit pas non plus
d’une forme de réexamen permettant aux parties de mettre en question le raisonnement juridique
sur la base duquel une décision de justice a été rendue. Pour reprendre les termes du Tribunal
arbitral mixte allemand-yougoslave, la revision n’est pas «une voie de recours ordinaire, permettant
257 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 49-51.
258 Ibid., par. 52.
259 Ibid., par. 55.
260 Ibid., par. 53-54.
261 Ibid., par. 56.
262 Ibid., par. 11.
263 Heim et Chamant c. Etat allemand, Tribunal arbitral mixte franco-allemand, Recueil des décisions des
tribunaux arbitraux mixtes, tome III, p. 54.
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aux parties de remettre directement en question le raisonnement juridique ou la méthode qui sont à
la base de la décision attaquée»264.
Selon un autre tribunal arbitral mixte :
«[L]a procédure de révision instituée par le Tribunal constitue une voie de
recours extraordinaire [et] ne peut être considérée comme une voie indirecte,
permettant de revenir par une nouvelle instance sur des décisions déclarées
définitives … [L]e Tribunal ne saurait se montrer trop rigoureux dans cet examen
avant d’accueillir une demande qui ne tend rien de moins qu’à remettre en discussion
des questions définitivement jugées.»265
5.10. La Malaisie affirme en outre à plusieurs reprises que les questions essentielles n’ont
pas été examinées par les Parties266. Dans sa demande en revision, elle glisse que «la conclusion de
la Cour selon laquelle la souveraineté avait été transférée par suite d’un accord informel s’étant peu
à peu fait jour entre les Parties ne découlait pas des demandes de celles-ci ni de renseignements
qu[e la Cour] aurait recherchés»267, ou encore que son ou ses «faits nouveaux» n’ont «été
invoqué[s] par aucune des Parties au cours de la procédure initiale»268. Elle soutient également que
«l’idée que les Parties elles-mêmes se faisaient de la situation concernant la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh n’a pas été traitée par elles lors de la procédure initiale»269. Elle
déclare enfin que, «si elle juge la demande en revision recevable, la Cour se verra pour la première
fois soumettre, sur la base de ces faits nouveaux, des arguments concernant la communauté de vues
implicite, ou l’accord tacite, sur lequel son arrêt de 2008 était fondé»270. Cela revient à dire, «si
nous avions su ce que la Cour déciderait, nous aurions plaidé autrement». Cela montre là encore
que, sous couleur de former une demande en revision, la Malaisie tente en fait de former un recours
contre l’arrêt.
5.11. Singapour a démontré que les allégations de la Malaisie étaient manifestement erronées
et que les deux Parties, y compris la Malaisie elle-même, avaient abondamment plaidé dans
l’affaire initiale sur ce que celle-ci présente aujourd’hui comme un ou des «faits nouveaux»271.
5.12. Toujours est-il que, si la Cour doit s’en tenir au petitum défini par les Parties dans leurs
conclusions et doit statuer sur l’intégralité de ce petitum, elle demeure libre dans le choix des
arguments et motifs à retenir aux fins de sa décision. Ainsi a-t-elle déclaré, dans l’affaire relative à
l’Application de la convention de 1902 pour régler la tutelle des mineurs : «La Cour doit statuer
sur l’objet du litige … Elle reste libre dans le choix des motifs sur lesquels elle fondera son arrêt et
264 Epoux Ventense c. Etat S. H. S., Tribunal arbitral mixte allemand-yougoslave, Recueil des décisions des
tribunaux arbitraux mixtes, tome VII, p. 83.
265 Battus c. Etat bulgare, Tribunal arbitral mixte franco-bulgare, Recueil des décisions des tribunaux arbitraux
mixtes, tome IX, p. 285.
266 Voir demande en revision, par. 41, 45 et 48. Voir également observations écrites additionnelles de la Malaisie,
par. 5, 15 et 187 d).
267 Demande en revision, par. 41.
268 Ibid., par. 45. Voir également observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 5.
269 Demande en revision, par. 48.
270 Observations écrites additionnelles de la Malaisie, par. 17. Voir également observations écrites additionnelles
de la Malaisie, par. 68.
271 Voir observations écrites de Singapour, par. 5.5. Voir également plus haut, par. 2.20-2.27.
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n’est pas tenue d’examiner toutes les considérations présentées par les Parties, si d’autres lui
paraissent suffisantes à cette fin.»272
5.13. La Cour a réaffirmé dans plusieurs autres affaires cette liberté dans le choix des motifs
sur lesquels fonder sa décision, qui est un corollaire essentiel du principe iura novit curia273. Dans
l’exposé de son opinion individuelle en l’affaire du Mandat d’arrêt, le juge Koroma a décrit
comme suit cette liberté essentielle :
«En d’autres termes, selon la jurisprudence de la Cour, celle-ci statue sur le
petitum, ou l’objet du différend tel qu’il est défini par les demandes formulées par les
Parties dans leurs conclusions ; la Cour n’est pas liée par les moyens et les arguments
avancés par les Parties à l’appui de leurs demandes, et elle n’est pas non plus tenue de
répondre à toutes ces demandes, dès lors qu’elle fournit une réponse complète aux
conclusions.»274
5.14. Dans l’exposé de son opinion dissidente en l’affaire initiale, le juge ad hoc Dugard a
confirmé que
«[l]a Cour n’est pas liée, lorsqu’elle rend sa décision, par les conclusions soumises par
les conseils représentant les parties. Il lui est loisible, dès lors qu’elle juge pouvoir
fonder sa décision sur une base plus solide que celle alléguée par les parties, d’avancer
de son chef ses propres raisons.»275
5.15. La Malaisie tente de jeter le doute sur la faculté de la Cour de trancher le différend
porté devant elle conformément au droit international qu’elle juge applicable et pertinent. En
résumé, elle cherche à rouvrir l’affaire afin de pouvoir plaider comme elle l’aurait fait si elle avait
eu connaissance de la décision de la Cour. Toutefois, comme le Tribunal arbitral mixte
franco-allemand l’a exposé dans sa décision de 1927 en l’affaire concernant le Baron de Neuflize :
«[L]a revision ne se motive pas devant une juridiction souveraine, par le bien ou mal jugé de la
sentence, ni par conséquent par la critique d’une doctrine de droit ou par l’appréciation différente
des faits.»276
272 Application de la convention de 1902 pour régler la tutelle des mineurs (Pays-Bas c. Suède), arrêt,
C.I.J. Recueil 1958, p. 62.
273 Voir, par exemple, Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du
Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt,
C.I.J. Recueil 1985, p. 207, par. 29 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 180, par. 37 ; et Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 298-299, par. 46.
274 Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), opinion individuelle de
M. le juge Koroma, C.I.J. Recueil 2002, p. 60, par. 3.
275 Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour),
opinion dissidente de M. le juge ad hoc Dugard, C.I.J. Recueil 2008, p. 152, par. 45.
276 Baron de Neuflize c. Diskontogesellschaft et al., Recueil des décisions des tribunaux arbitraux mixtes,
tome VII, p. 632. Pour citer un résumé de l’affaire :
«Il ne faut pas confondre revision et recours. Pour justifier la revision, il ne suffit pas qu’une
erreur ait été commise sur un point de droit ou dans l’appréciation d’un fait, voire les deux. Seule
l’ignorance, par le juge et l’une des parties, d’un fait pertinent et décisif peut, sur le plan juridique, donner
ouverture à la revision d’une décision» (Annual Digest of Public International Law Cases –– Years 1927
and 1928 (Grotius Publications Ltd : 1981), p. 492 [traduction du Greffe]).
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5.16. En l’espèce, la Malaisie entend ni plus ni moins former contre l’arrêt un recours
incompatible avec le principe de l’autorité de la chose jugée. Ainsi que la Cour l’a récemment
rappelé,
«le principe de l’autorité de la chose jugée, tel que reflété aux articles 59 et 60 de son
Statut, est un principe général de droit qui protège en même temps la fonction
judiciaire d’une cour ou d’un tribunal et les parties à une affaire qui a donné lieu à un
jugement définitif et sans recours (Application de la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),
arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 90-91, par. 116)»277.
5.17. Comme il ressort de ce qui précède, en dépit du fait que la présente instance a trait à la
question de savoir si sa demande en revision satisfait aux conditions de recevabilité énoncées à
l’article 61, la Malaisie a profité de l’occasion que la Cour lui a accordée de déposer une pièce
additionnelle pour remettre en cause des points de droit qui n’avaient pas été retenus dans l’arrêt et
sur lesquels la Cour ne s’était pas appuyée pour parvenir à sa décision. Singapour considère que, en
procédant de la sorte, la Malaisie ne s’est nullement acquittée de la charge lui incombant au titre de
l’article 61, et que les arguments malaisiens reviennent en fait à former un recours contre la
décision de la Cour plutôt qu’une véritable demande en revision.
5.18. Nul ne peut contester que l’arrêt est revêtu de l’autorité de la chose jugée. Il n’est pas
susceptible de recours, contrairement à ce que la Malaisie avance en l’espèce par le biais de sa
demande en revision.
277 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles
marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016, p. 125,
par. 58.
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RÉSUMÉ DE L’ARGUMENTATION DE SINGAPOUR
1. Conformément à l’instruction de procédure II publiée par la Cour, Singapour fournit ciaprès
un bref résumé de l’argumentation exposée dans les présents commentaires écrits.
2. La Malaisie n’a toujours pas démontré avoir surmonté les failles procédurales qui
entachent sa demande en revision. Plus précisément :
a) Son ou ses «faits nouveaux» n’étaient pas inconnus d’elle-même ou de la Cour avant le
prononcé de l’arrêt.
b) Elle n’a pas agi avec une diligence raisonnable pour tenter d’obtenir avant le prononcé de l’arrêt
les documents nouveaux qui sont annexés à sa demande en revision. En particulier, elle a
produit dans ses observations écrites additionnelles des éléments prouvant que, avant le dépôt
de sa demande, elle avait été informée que le document versé sous l’annexe 3 avait
vraisemblablement été mis à la disposition du public dès 1998, soit bien avant le prononcé de
l’arrêt.
c) Elle n’a toujours pas démontré qu’elle a formé sa demande en revision dans un délai de six
mois après la découverte de son ou ses «faits nouveaux». Les éléments qu’elle a elle-même
produits dans ses observations écrites additionnelles ne font qu’ajouter aux doutes sur le point
de savoir si sa demande a réellement été déposée dans ce délai.
3. Même avec le renfort de ses pièces et arguments supplémentaires, la Malaisie n’est
toujours pas parvenue à démontrer que les documents annexés à sa demande, fussent-ils lus à la
lumière de la documentation additionnelle jointe à ses observations écrites additionnelles, ont un
quelconque rapport avec la question de la souveraineté, et encore moins avec les vues des Parties
concernant la souveraineté sur Pedra Branca.
4. Les «documents nouvellement découverts» de la Malaisie, ou tous faits prétendument mis
en évidence par eux, ne satisfont pas au critère de recevabilité relatif à l’«influence décisive». A ce
sujet :
a) la Malaisie a fixé, de manière arbitraire, un seuil peu élevé pour que le «fait nouveau» invoqué
à l’appui d’une demande en revision puisse être considéré comme «décisif». Il lui incombe
d’établir que son «fait nouveau» exercerait sur la décision de la Cour une influence décisive
pour que sa demande en revision puisse être déclarée recevable.
b) La Malaisie a présenté sous un faux jour le raisonnement sous-tendant la décision formulée
dans l’arrêt ainsi que le contexte dans lequel ses «faits nouveaux» doivent véritablement être
examinés pour évaluer s’ils sont de nature décisive. L’arrêt était, en réalité, fondé sur la
combinaison de quatre éléments cruciaux, à savoir : i) la correspondance de 1953 indiquant que
le Johor n’estimait pas avoir souveraineté sur Pedra Branca ; ii) le comportement de Singapour
à titre de souverain, qui était pour l’essentiel postérieur aux documents annexés à la demande en
revision, et l’acceptation de ce comportement par la Malaisie ou l’absence d’objection de sa
part à cet égard ; iii) les publications et cartes de la Malaisie, pour la plupart également
postérieures aux documents annexés à la demande en revision, qui indiquaient que Pedra
Branca appartenait à Singapour ; et iv) l’absence de la moindre effectivité concurrente de la
Malaisie.
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c) Aucun des «documents nouvellement découverts» de la Malaisie, ni aucun fait prétendument
mis en évidence par eux, ne peut exercer une «influence décisive» aux fins de la recevabilité.
Même si l’on adopte le seuil de recevabilité peu élevé que la Malaisie a fixé de manière
arbitraire, aucun des «documents nouvellement découverts» n’entame le raisonnement sur
lequel l’arrêt était fondé ni ne «pourrait» conduire la Cour à une conclusion différente.
5. Les observations écrites additionnelles de la Malaisie présentent toutes les caractéristiques
d’un abus de la procédure de revision visant à former un recours contre l’arrêt ou à obtenir le
réexamen au fond de l’affaire initiale. Une telle démarche non seulement ne revêt aucune
pertinence s’agissant des critères auxquels l’article 61 du Statut subordonne la recevabilité d’une
demande en revision, mais va en outre à l’encontre des articles 59 et 60 dudit Statut, qui disposent
clairement que l’arrêt de la Cour est obligatoire pour les Parties et qu’il est «définitif et sans
recours».
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CONCLUSION
Pour les raisons exposées ci-dessus et dans ses observations écrites, la République de
Singapour prie la Cour de dire et juger que la demande en revision de l’arrêt présentée par la
Malaisie est irrecevable.
L’Attorney-General,
agent du Gouvernement de la République de Singapour,
(Signé) Lucien WONG.
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Commentaires écrits de Singapour sur les observations écrites additionnelles de la Malaisie

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