Observations écrites de Singapour

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167-20170524-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été préparée par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
14972
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
DEMANDE EN REVISION DE L’ARRÊT DU 23 MAI 2008 EN L’AFFAIRE RELATIVE À LA
SOUVERAINETÉ SUR PEDRA BRANCA/PULAU BATU PUTEH, MIDDLE ROCKS ET
SOUTH LEDGE (MALAISIE/SINGAPOUR)
(MALAISIE C. SINGAPOUR)
OBSERVATIONS ÉCRITES DE LA RÉPUBLIQUE
DE SINGAPOUR
24 MAI 2017
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
CHAPITRE I. INTRODUCTION .............................................................................................................. 1
A. Le non-acquittement par la Malaisie de la charge de la preuve lui incombant ........................ 2
1. Les conditions régissant la recevabilité d’une demande en revision ................................... 2
2. La Malaisie n’a pas respecté les conditions de recevabilité prescrites ................................ 3
B. Le comportement des Parties après le prononcé de l’arrêt ....................................................... 4
C. Economie des présentes observations écrites ........................................................................... 6
CHAPITRE II. LES FONDEMENTS DE L’ARRÊT DE LA COUR S’AGISSANT DE LA SOUVERAINETÉ
SUR PEDRA BRANCA ..................................................................................................................... 8
A. La pertinence de la correspondance de 1953............................................................................ 9
B. Les activités menées par Singapour à titre de souverain sur Pedra Branca ............................ 10
1. Enquêtes menées par Singapour sur les naufrages survenus dans les eaux entourant
Pedra Branca ..................................................................................................................... 10
2. Le contrôle par Singapour des visites sur Pedra Branca .................................................... 11
3. Le déploiement des pavillons britannique et singapourien sur Pedra Branca .................... 12
4. L’installation par Singapour de matériel de communication militaire sur
Pedra Branca en 1977 ....................................................................................................... 13
5. Projet singapourien de récupération de terres en vue d’agrandir Pedra Branca ................. 13
C. Publications et cartes malaisiennes attestant la souveraineté de Singapour sur
Pedra Branca .......................................................................................................................... 14
1. Données météorologiques de la Malaisie ........................................................................... 14
2. Cartes officielles ................................................................................................................ 15
D. Absence de la moindre effectivité malaisienne sur Pedra Branca .......................................... 17
E. Conclusions de la Cour sur la souveraineté ............................................................................ 18
CHAPITRE III. MISE EN CONTEXTE DES «DOCUMENTS NOUVELLEMENT DÉCOUVERTS» DE LA
MALAISIE ................................................................................................................................... 21
A. La correspondance de 1958 .................................................................................................... 21
B. Les documents concernant l’incident du Labuan Haji en 1958 ............................................. 24
C. Le croquis ............................................................................................................................... 27
CHAPITRE IV. LES CONDITIONS DE RECEVABILITÉ ÉNONCÉES À L’ARTICLE 61 .............................. 33
CHAPITRE V. LES FAILLES PROCÉDURALES ENTACHANT LA DEMANDE EN REVISION ..................... 36
A. Les «faits nouvellement découverts» de la Malaisie, quels qu’ils soient, n’étaient pas
inconnus avant le prononcé de l’arrêt .................................................................................... 36
B. La Malaisie n’a pas agi avec une diligence raisonnable pour tenter de découvrir ces
«faits nouveaux» avant le prononcé de l’arrêt ....................................................................... 37
- ii -
1. La législation britannique sur les archives ......................................................................... 37
2. Des recherches auraient permis de découvrir les «documents nouveaux» avant le
prononcé de l’arrêt ............................................................................................................ 39
3. Conclusion ......................................................................................................................... 41
C. La Malaisie n’a pas formé sa demande en revision dans un délai de six mois après la
découverte alléguée des «faits nouveaux» ............................................................................. 41
CHAPITRE VI. L’INOBSERVATION PAR LA MALAISIE DE LA CONDITION RELATIVE À
L’«INFLUENCE DÉCISIVE» ........................................................................................................... 45
A. Le faux jour sous lequel la Malaisie présente le raisonnement de la Cour en
l’affaire initiale ................................................................................................................. 45
B. Les «faits nouveaux» de la Malaisie n’entament en rien le raisonnement de la Cour ...... 46
C. Des documents similaires aux documents nouveaux de la Malaisie ont été écartés
par la Cour pour défaut de pertinence dans l’affaire initiale ............................................. 48
RÉSUME DE L’ARGUMENTATION DE SINGAPOUR ............................................................................. 53
CONCLUSION ................................................................................................................................... 55
CERTIFICATION ................................................................................................................................ 56
LISTE DES ANNEXES ......................................................................................................................... 57
___________
CHAPITRE I
INTRODUCTION
1.1. Le 2 février 2017, la Malaisie a déposé une demande en revision (ci-après la «demande
en revision») de l’arrêt rendu par la Cour le 23 mai 2008 en l’affaire relative à la Souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour) (ci-après
l’«arrêt»)1. Cette demande est assortie de trois annexes.
1.2. Conformément à la lettre du greffier en date du 14 février 2017, les présentes
observations écrites portent sur la question de la recevabilité de la demande en revision au regard
de l’article 61 du Statut de la Cour (ci-après le «Statut») et du paragraphe 2 de l’article 99 de son
Règlement (ci-après le «Règlement»). Comme la Cour l’a clairement dit, son Statut et son
Règlement prévoient qu’une demande en revision fait l’objet d’«une procédure en deux temps», la
première étape étant «limité[e] à la question de sa recevabilité»2.
1.3. Partant, à ce stade, la question est de savoir si la Malaisie a respecté les conditions
auxquelles l’article 61 du Statut subordonne la recevabilité d’une demande en revision. Ces
conditions sont les suivantes3 :
a) la demande doit être fondée sur la «découverte» d’un «fait» ;
b) le fait dont la découverte est invoquée doit être «de nature à exercer une influence décisive» ;
c) le fait doit avoir été, avant le prononcé de l’arrêt, «inconnu» de la Cour et de la partie qui
demande la revision ;
d) l’ignorance de ce fait ne doit pas être due à une «faute» ; et
e) la demande en revision doit être formée «au plus tard dans le délai de six mois après la
découverte du fait nouveau» et avant l’expiration d’un délai de dix ans à dater de l’arrêt.
Dans les présentes observations écrites, Singapour montrera que, à l’exception de celle
relative au délai de dix ans, la demande en revision ne répond à aucune des conditions posées à
l’article 61 et est, de ce fait, irrecevable.
1 Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 12. Conformément à la terminologie utilisée dans la jurisprudence de la Cour à l’occasion de
procédures en revision antérieures, l’affaire relative à la Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks
et South Ledge (Malaisie/Singapour) sera dénommée ci-après l’«affaire initiale».
2 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 197, par. 8 et
10 ; Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires
(Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 11, par. 15.
3 Voir Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires
(Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 11-12, par. 16 ; Demande en revision de l’arrêt du
11 septembre 1992 en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)) (El Salvador c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 398-399, par. 19.
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A. LE NON-ACQUITTEMENT PAR LA MALAISIE DE LA CHARGE
DE LA PREUVE LUI INCOMBANT
1. Les conditions régissant la recevabilité d’une demande en revision
1.4. Il incombe à la Malaise de démontrer que toutes les conditions auxquelles l’article 61 du
Statut subordonne la recevabilité d’une demande en revision sont réunies. Cela ressort clairement
du paragraphe 1 de l’article 99 du Règlement, aux termes duquel : «Une demande en revision d’un
arrêt est introduite par une requête contenant les indications nécessaires pour établir que les
conditions prévues à l’article 61 du Statut sont remplies.» (Les italiques sont de nous.)
L’obligation, pour l’Etat demandant la revision, d’établir que les conditions de recevabilité sont
remplies a été affirmée par la Chambre de la Cour lorsqu’elle a statué sur la demande en revision
formée par El Salvador concernant l’arrêt en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et
maritime, la Chambre ayant alors fait observer que, au stade de la recevabilité, sa décision devait se
«limiter à la question de savoir si la requête d’El Salvador satisfai[sait] aux conditions prévues par
le Statut»4.
1.5. La Cour a également souligné que, «si l’une [des conditions prévues à l’article 61]
fai[sait] défaut, la requête d[evait] être écartée»5. Elle a encore renforcé son propos en ces termes :
«[à] strictement parler, dès lors qu’il est établi que la demande en revision ne remplit pas l’une des
conditions de recevabilité prévues, la Cour n’a pas à aller plus loin et à se demander si les autres
sont satisfaites»6.
1.6. Ces conditions sont rigoureuses et imposent à la Malaisie un niveau de preuve élevé.
Selon la première phrase de l’article 60 du Statut : «L’arrêt est définitif et sans recours.» La
demande en revision d’un arrêt constitue donc une procédure exceptionnelle en tant qu’elle remet
en question le caractère définitif de ce que la Cour a jugé avec force obligatoire et peut nuire à la
stabilité des relations juridiques, voire, dans la présente affaire, de la souveraineté territoriale.
1.7. A cet égard, il importe de rappeler qu’aucune des trois précédentes demandes en
revision soumises à la Cour en vertu de l’article 61 n’a été déclarée recevable7. Cela montre
combien le niveau de preuve attendu du demandeur de la revision est élevé.
4 Demande en revision de l’arrêt du 11 septembre 1992 en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et
maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)) (El Salvador c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 398,
par. 19.
5 Ibid., p. 399, par. 20, citant également Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à
l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 12, par. 17.
6 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 207, par. 29.
7 Ibid., p. 229, par. 69 ; voir également Demande en revision de l’arrêt du 11 septembre 1992 en l’affaire du
Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)) (El Salvador
c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 411, par. 60 ; Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire
relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 32, par. 75.
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2. La Malaisie n’a pas respecté les conditions de recevabilité prescrites
1.8. Ainsi qu’il sera démontré dans les présentes observations écrites, la demande en revision
de la Malaisie est loin de satisfaire aux conditions prescrites par l’article 61. Le non-respect des
conditions de recevabilité sera examiné aux chapitres IV et VI. Quelques points fondamentaux
méritent toutefois d’être mentionnés ici.
1.9. S’agissant de savoir si i) les «documents nouvellement découverts»8 sur lesquels la
Malaisie fait fond étaient inconnus de celle-ci avant le prononcé de l’arrêt ; ii) si son ignorance
n’était pas due à une faute ; et iii) si la demande en revision a été formée dans un délai de six mois
après la découverte desdits documents :
a) la Malaisie se borne à affirmer que les documents à l’appui de sa demande en revision ne lui
étaient «pas accessibles … avant le prononcé de l’arrêt»9, qu’il s’agissait de «documents
officiels confidentiels auxquels le public n’avait pas accès avant que les archives nationales du
Royaume-Uni ne les ait déclassifiés»10, et qu’elle s’est livrée à des recherches dans lesdites
archives au cours de la période allant du 4 août 2016 au 30 janvier 2017, respectant de ce fait le
délai de six mois prescrit11.
b) Singapour a trouvé des éléments de preuve attestant que, près de deux ans avant le dépôt de sa
demande en revision, la Malaisie avait connaissance de l’existence des documents en question,
en particulier de ceux figurant aux annexes 1 et 2 de sa demande. Dès lors, cette demande en
revision n’a pas été formée dans un délai de six mois après leur découverte.
c) En outre, il ressort des documents versés aux annexes 2 et 3 que la Malaisie devait, bien avant
le prononcé de l’arrêt, avoir connaissance de ces documents et de tout fait prétendument révélé
par eux.
d) Enfin, et cela vaut pour les trois annexes jointes à la demande en revision, même si tous ces
documents étaient inconnus de la Malaisie avant le prononcé de l’arrêt, cette ignorance était due
à une faute. En particulier, le texte figurant à l’annexe 3 faisait partie d’un document promulgué
en mars 1965 et distribué aux autorités malaisiennes. De plus, les documents annexés aux
pièces en l’affaire initiale contiennent un extrait du même document. En tout état de cause, le
dossier des archives nationales du Royaume-Uni dans lequel figure le document versé à
l’annexe 3 est accessible au public depuis avril 2005.
1.10. La Malaisie doit également satisfaire à une autre condition, à savoir que ses documents
nouveaux doivent révéler un fait de «nature à exercer une influence décisive» qui vienne entamer le
raisonnement sous-tendant la décision de la Cour de reconnaître à Singapour la souveraineté sur
Pedra Branca. Pour déterminer s’il est satisfait à cette condition, il est nécessaire d’établir une
distinction entre les éléments que la Cour a jugés pertinents aux fins de sa décision sur la
souveraineté et ceux qu’elle a jugés dépourvus de pertinence. Ainsi qu’il sera exposé au
chapitre VI, les documents sur lesquels la Malaisie tente aujourd’hui de faire fond relèvent de la
seconde catégorie. Partant, ces documents n’auraient rien changé à la décision de la Cour, et n’y
changent rien.
8 Demande en revision, par. 22.
9 Ibid., par. 47.
10 Ibid.
11 Ibid., par. 23 et 51.
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1.11. La conclusion formulée par la Cour dans le dispositif de l’arrêt –– à savoir que «la
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartient à la République de Singapour»12 ––
était basée sur un certain nombre d’éléments qui s’inscrivaient dans une période donnée et qui, pris
conjointement, témoignaient d’une «évolution convergente des positions de[s Parties] concernant le
titre sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»13, autant d’éléments qui ont conduit la Cour à conclure
que, «en 1980, la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh était … détenue par
Singapour»14. Ces éléments cruciaux étaient notamment les suivants :
a) Le fait que le Johor ne s’estimait pas souverain sur Pedra Branca, ce dont témoignait une
déclaration dépourvue d’ambiguïté qu’il avait faite en 1953 dans une correspondance officielle
avec Singapour, à savoir qu’il ne revendiquait pas la propriété de l’île ;
b) diverses activités menées par Singapour à titre de souverain sur Pedra Branca entre 1953 et
1980, conjuguées à l’acceptation de ces activités par la Malaisie, ou à l’absence de réaction ou
de protestation de sa part à cet égard ;
c) les propres publications et cartes officielles de la Malaisie, qui incluaient Pedra Branca dans le
territoire de Singapour –– comportement qui emportait reconnaissance par la Malaisie de la
souveraineté singapourienne sur l’île ; et
d) l’absence de la moindre effectivité malaisienne sur Pedra Branca après 1850 et ce, pendant plus
d’un siècle.
1.12. Aucun des documents sur lesquels la Malaisie fait fond dans sa demande en revision
n’entame le raisonnement sous-tendant la décision de la Cour de reconnaître à Singapour la
souveraineté sur Pedra Branca. En outre, aucun de ces documents ne fait référence à la question de
la souveraineté ni ne revêt la signification que la Malaisie lui attribue. Des documents similaires
avaient été produits dans l’affaire initiale, et la Cour ne leur avait accordé aucune importance aux
fins de la détermination de la souveraineté sur Pedra Branca.
B. LE COMPORTEMENT DES PARTIES APRÈS LE PRONONCÉ
DE L’ARRÊT
1.13. Ayant brièvement exposé les raisons pour lesquelles elle considère que la Malaisie ne
s’est pas acquittée de sa charge de démontrer que les conditions de recevabilité prévues à
l’article 61 sont réunies, Singapour estime opportun de rappeler le contexte dans lequel la demande
en revision a été déposée.
1.14. Le 23 mai 2008, la Cour a rendu son arrêt, dans lequel elle a formulé les conclusions
suivantes :
a) la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartient à la République de Singapour ;
b) la souveraineté sur Middle Rocks appartient à la Malaisie ;
c) la souveraineté sur South Ledge appartient à l’Etat dans les eaux territoriales duquel il est situé.
12 Arrêt, p. 101, par. 300, point 1).
13 Ibid., p. 96, par. 276.
14 Ibid.
7
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1.15. Cet arrêt a réglé un différend qui existait de longue date entre la Malaisie et Singapour
s’agissant de la souveraineté sur Pedra Branca. Ce différend durait depuis une trentaine d’années. Il
importe de rappeler que les Parties avaient inclus, à l’article 6 du compromis par lequel elles
avaient soumis le différend à la Cour, une disposition particulière ainsi libellée : «Les Parties
s’engagent à reconnaître l’arrêt que la Cour rendra conformément au présent compromis comme
définitif et obligatoire pour elles.»15
1.16. Par la voie d’une déclaration à la presse faite par son ministère des affaires étrangères
après le prononcé de l’arrêt, Singapour a fait observer ce qui suit :
«[Cet arrêt] n’est pas totalement en faveur de Singapour, la Cour ayant attribué
Middle Rocks à la Malaisie. La Cour a également décidé que South Ledge appartenait
au pays dans les eaux territoriales duquel il était situé. Nous avions plaidé que ces
formations faisaient partie de Pedra Branca, mais la Cour en a jugé autrement, et
Singapour accepte sa décision.»16
Dans des propos relayés par les médias, le ministre malaisien des affaires étrangères de
l’époque, S. Exc. M. Datuk Seri Utama Dr Rais Yatim, a dit que l’arrêt constituait «une solution
avantageuse pour les deux Parties». Selon lui :
«Il s’agit d’une victoire pour Singapour, et d’un succès pour la Malaisie, qui a
obtenu Middle Rocks. Nous nous félicitons également de ce que l’arrêt indique que
South Ledge appartiendra à l’Etat dans les eaux territoriales duquel il est situé. Nous
nous attellerons à cette question avec la commission technique et, comme l’a dit
George [George Yeo, ministre singapourien des affaires étrangères], celle-ci est déjà à
l’oeuvre, prête à être en session d’ici deux semaines.»17
1.17. Entre les mois d’août 2008 et de novembre 2013, la Malaisie et Singapour se sont
rencontrées à six reprises sous les auspices de la commission technique mentionnée par le ministre
malaisien des affaires étrangères. A chaque occasion ou presque, les deux Etats ont publié un
communiqué de presse conjoint dans lequel ils réaffirmaient leur engagement à «honore[r],
respecte[r] et exécute[r] pleinement la décision de la Cour»18. En mai 2011, la Malaisie et
Singapour ont réalisé un levé hydrographique conjoint de la zone de Pedra Branca et Middle Rocks
ainsi que de ses alentours.
15 Arrêt, p. 19, par. 2.
16 Ministère des affaires étrangères de Singapour, déclaration faite le 23 mai 2008 à la presse intitulée «La Cour
internationale de Justice attribue la souveraineté sur Pedra Branca à Singapour» ; disponible (en anglais) à l’adresse
suivante : https://www.mfa.gov.sg/content/mfa/media_centre/special_events/pedrabra…
200805/press_200805_11.html (dernière consultation le 20 mai 2017).
17 Ministère des affaires étrangères de Singapour, transcription d’un point de presse avec le ministre singapourien
des affaires étrangères, M. George Yeo, et son homologue malaisien, M. Datuk Seri Utama Dr Rais Yatim, mené le
25 mai 2008 devant les portes de l’hôtel Sedona de Yangon ; disponible (en anglais) à l’adresse suivante :
https://www.mfa.gov.sg/content/mfa/media_centre/special_events/pedrabra…
200805_1.html (dernière consultation le 20 mai 2017).
18 Voir, par exemple, ministère des affaires étrangères de Singapour, communiqué de presse conjoint de
S. Exc. M. Dato’ Sri Anifah Aman, ministre malaisien des affaires étrangères, et de S. Exc. M. George Yeo, ministre
singapourien des affaires étrangères, publié le 2 décembre 2010 au sujet de la cinquième réunion de la commission
technique mixte de la Malaisie et de Singapour tenue les 29 et 30 novembre 2010 aux fins de la mise en oeuvre de l’arrêt
de la Cour relatif à Pedra Branca, Middle Rocks et South Ledge ; disponible (en anglais) à l’adresse suivante :
https://www.mfa.gov.sg/content/mfa/media_centre/press_room/if/2010/2010… (dernière
consultation le 20 mai 2017).
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1.18. Ainsi, avant de déposer sa demande en revision, la Malaisie avait passé la plus grande
partie des neuf années ayant suivi le prononcé de l’arrêt à oeuvrer avec Singapour à la mise en
oeuvre de cette décision. Au cours de cette période, les Parties ont toutes deux agi en partant du
principe que la souveraineté sur Pedra Branca appartenait à Singapour. Le levé hydrographique
mentionné au paragraphe précédent a été effectué en prévision des travaux d’une sous-commission
chargée d’examiner la délimitation de la frontière maritime, et ne l’aurait évidemment pas été s’il
n’avait pas été considéré que Singapour avait souveraineté sur Pedra Branca (auquel cas il n’y
aurait rien eu à délimiter). Dans ces conditions, le moment auquel la demande en revision a été
déposée, sans même parler du contenu de celle-ci, est surprenant, et tout porte à croire que ce dépôt
a été dicté par des facteurs internes à la Malaisie qui sont sans rapport aucun avec le fond de
l’affaire.
C. ECONOMIE DES PRÉSENTES OBSERVATIONS ÉCRITES
1.19. Les observations écrites de Singapour comprennent six chapitres, dont le présent
chapitre introductif. Les autres chapitres sont organisés comme suit :
a) le chapitre II traitera les aspects centraux du raisonnement que la Cour a suivi dans son arrêt
pour conclure que la souveraineté sur Pedra Branca appartenait à Singapour. Cette toile de fond
est importante pour replacer les affirmations de la Malaisie dans leur contexte ;
b) le chapitre III montrera qu’aucun des documents présentés par la Malaisie dans le cadre de sa
demande en revision n’a trait à la souveraineté sur Pedra Branca, et qu’aucun d’eux, lorsqu’il
est lu dans son sens véritable et dans son contexte, ne revêt la signification que la Malaisie lui
attribue ;
c) le chapitre IV portera ensuite sur les conditions de recevabilité prévues à l’article 61 du Statut ;
d) le chapitre V mettra en évidence les failles procédurales entachant la demande en revision, dont
chacune entraîne l’irrecevabilité de celle-ci ;
e) le chapitre VI montrera que la Malaisie n’a pas non plus satisfait à la condition selon laquelle
tout «fait nouveau» invoqué doit être «de nature à exercer une influence décisive», de sorte que
la demande en revision est irrecevable.
1.20. Un résumé de l’argumentation de Singapour et la conclusion de celle-ci figurent à la fin
des présentes observations écrites.
1.21. S’agissant de la terminologie et de la dénomination des Parties au cours de la période
pertinente pour la présente instance, la Cour pourra juger utile de se référer aux paragraphes du
mémoire de Singapour en l’affaire initiale qui sont reproduits ci-après. Ces paragraphes rappellent
certains faits fondamentaux que la Malaisie ne conteste pas :
«1.5. La Malaisie est un Etat fédéral composé de treize Etats fédérés. Elle est
née en 1963 de la fusion entre la Fédération de Malaya, l’Etat de Singapour (qui était
alors une colonie britannique) et les territoires britanniques du Sabah et du Sarawak
(Bornéo). Parmi les treize Etats qui constituent la Malaisie, celui que concerne ce
différend est l’Etat du Johor, le plus proche géographiquement de Singapour.
1.6. Aux fins de la présente affaire, la Malaisie est l’Etat successeur de l’Etat du
Johor pour ce qui concerne sa revendication de souveraineté sur Pedra Branca.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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1.10. Aux fins de ce différend, Singapour est le successeur en titre du
Royaume-Uni. [Note de bas de page no 4 : «Dans le présent mémoire, les termes
«Royaume-Uni» et «Grande-Bretagne» sont employés indifféremment, en fonction du
contexte.»]»19
1.22. La Malaya est devenue indépendante le 31 août 1957. La Malaisie a été créée le
16 septembre 1963. Singapour a accédé à l’indépendance le 9 août 1965. Dans les présentes
observations écrites, Singapour désignera la Malaisie par le nom qui était le sien à la date
concernée. Ainsi, lorsqu’elle se référera à des questions intervenues avant le 16 septembre 1963,
elle utilisera la dénomination «Malaya».
19 Mémoire de Singapour, par. 1.5-1.6 et 1.10. Voir également CR 2007/20, p. 19-20, par. 16-17 (Koh).
- 8 -
CHAPITRE II
LES FONDEMENTS DE L’ARRÊT DE LA COUR S’AGISSANT DE
LA SOUVERAINETÉ SUR PEDRA BRANCA
2.1. Comme la Cour l’a fait observer dans de précédentes affaires en revision, l’examen de la
thèse présentée par le demandeur impose de récapituler tout d’abord la partie pertinente des motifs
de l’arrêt concerné20. Pour reprendre les termes de son arrêt sur la demande en revision en l’affaire
du Génocide : «la Cour commencera par rappeler les circonstances de la présente affaire, en vue de
replacer les prétentions de la RFY dans leur contexte»21. Il est donc nécessaire de réexaminer les
éléments sur lesquels la Cour s’est fondée dans son arrêt pour conclure que la souveraineté sur
Pedra Branca appartient à Singapour. Ce rappel mettra en évidence les éléments la Cour a jugés
pertinents aux fins de sa décision relative à la souveraineté, ainsi que ceux qu’elle a jugés
dépourvus de pertinence. L’ensemble des documents nouveaux présentés par la Malaisie, ou des
«faits» qu’ils sont censés révéler, relèvent de cette dernière catégorie.
2.2. La Malaisie soutient que, à la lumière de ses récentes découvertes, il n’est «plus [permis]
de considérer que se soit constituée la communauté de vues sur laquelle la Cour a fondé son arrêt»,
eu égard en particulier à l’«importance déterminante» selon elle conférée à la correspondance de
1953, ainsi qu’à l’appréciation de la pratique postérieure à cette date22.
2.3. Cette affirmation ne tient pas. Aux fins présentes, il ressort très clairement d’un examen
des passages pertinents de l’arrêt que la décision de la Cour concernant la souveraineté de
Singapour sur Pedra Branca reposait sur quatre éléments cruciaux, dont chacun avait son
importance en lui-même, et sur aucun desquels les documents nouveaux de la Malaisie n’ont la
moindre incidence. Ces éléments, qui seront traités successivement ci-après, sont les suivants :
a) la correspondance de 1953, et plus particulièrement la réponse en date du 21 septembre 1953 du
secrétaire d’Etat par intérim du Johor à une demande de renseignements du secrétaire colonial
de Singapour, dans laquelle il était indiqué que «le gouvernement du Johore ne revendiqu[ait]
pas la propriété de Pedra Branca», déclaration qui, de l’avis de la Cour, montrait que le Johor
n’estimait pas avoir souveraineté sur cette île ;
b) diverses activités menées par Singapour à titre de souverain sur Pedra Branca entre 1953 et
1980 (le 14 février 1980 étant la date critique23), et leur acceptation par la Malaisie, ou
l’absence de réaction ou de protestation de sa part à ces activités singapouriennes jusqu’à la
date critique. Il convient de noter que la grande majorité de ces activités sont postérieures à
1966, soit la date la plus récente qui figure sur les documents invoqués par la Malaisie dans sa
demande en revision ;
c) les propres publications et cartes de la Malaisie, sur lesquelles Pedra Branca était reconnue
comme faisant partie du territoire singapourien et qui étaient pour la plupart postérieures à
1966 ; et
20 Voir Demande en revision de l’arrêt du 11 septembre 1992 en l’affaire du Différend frontalier terrestre,
insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)) (El Salvador c. Honduras), arrêt,
C.I.J. Recueil 2003, p. 400, par. 23.
21 Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires
(Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 14, par. 24.
22 Demande en revision, par. 3.
23 Voir arrêt, p. 28, par. 34.
13
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- 9 -
d) l’absence de la moindre effectivité malaisienne concurrente sur Pedra Branca ou en rapport
avec celle-ci après 1850, et ce, pendant plus d’un siècle.
A. LA PERTINENCE DE LA CORRESPONDANCE DE 1953
2.4. Le 12 juin 1953, le secrétaire colonial de Singapour écrivit au conseiller britannique du
sultan de Johor pour obtenir des renseignements relatifs à Pedra Branca, sur laquelle se trouvait le
phare Horsburgh, aux fins de déterminer les limites des eaux territoriales singapouriennes. Après
s’être référé à différents documents fondamentaux, il précisa qu’il «y a[vait] lieu à présent de
clarifier le statut de Pedra Branca» et demanda «s’il exist[ait] des documents indiquant que le
rocher a[vait] fait l’objet d’un bail ou d’une concession, ou si le gouvernement de l’Etat du Johore
l’a[vait] cédé ou en a[vait] disposé de toute autre manière»24. Plus tard le même mois, le secrétaire
du conseiller britannique du sultan de Johor fit savoir au secrétaire colonial que sa lettre avait été
transmise au secrétaire d’Etat du Johor25.
2.5. Le 21 septembre 1953, le secrétaire d’Etat par intérim du Johor répondit à la lettre du
secrétaire colonial en date du 12 juin en l’informant «que le gouvernement du Johore ne
revendiqu[ait] pas la propriété de Pedra Branca»26.
2.6. Comme la Cour l’a relevé, il n’y eut pas d’autre échange de correspondance, et
Singapour ne prit aucune mesure officielle, encore que ses responsables aient examiné la question
en interne27. Au paragraphe 203 de l’arrêt, la Cour a ensuite précisé qu’elle
«consid[érait] que cette correspondance ainsi que la manière dont elle [était]
interprétée [étaient] essentielles pour déterminer comment [avaient] évolué les vues
des deux Parties à propos de la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh».
2.7. En l’affaire initiale, la Malaisie soutenait que le secrétaire d’Etat par intérim du Johor
n’avait ni l’autorité ni la qualité requises pour écrire la lettre de réponse du 21 septembre 195328.
La Cour n’a toutefois pas retenu cet argument29. S’agissant du contenu de la lettre, elle a fait
observer que «la propriété» se distinguait certes en droit de «la souveraineté» mais que, en matière
de litiges internationaux, la «propriété» d’un territoire avait parfois été employée comme synonyme
de «souveraineté»30. La Cour a ainsi appelé l’attention sur le fait que la demande de
renseignements visait la souveraineté de Singapour sur Pedra Branca et que le «Johor ne met[tait]
absolument pas en doute cette question»31. Selon elle, «la réponse du Johor revêt[ait] une
signification claire : [ce dernier] ne revendiqu[ait] pas la propriété de Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh … et [c]ette réponse concern[ait] l’île dans son intégralité, et pas seulement le phare»32. Et la
Cour de conclure :
24 Arrêt, p. 73, par. 192.
25 Ibid., p. 73-74, par. 195.
26 Ibid., p. 74, par. 196.
27 Ibid.
28 Ibid., p. 77, par. 211.
29 Ibid., p. 79, par. 220.
30 Ibid., p. 80, par. 222.
31 Ibid.
32 Ibid., par. 223.
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«[L]a réponse du Johor montre que, en 1953, celui-ci considérait que la
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne lui appartenait pas. Au vu de cette
réponse, les autorités à Singapour n’avaient aucune raison de douter que le
Royaume-Uni détenait la souveraineté sur l’île.»33
B. LES ACTIVITÉS MENÉES PAR SINGAPOUR À TITRE DE SOUVERAIN
SUR PEDRA BRANCA
2.8. La Cour s’est ensuite penchée sur les arguments des Parties concernant leur
comportement respectif après 1953, notamment à l’occasion d’un certain nombre d’événements
distincts qui ont influé sur sa décision de reconnaître à Singapour la souveraineté sur Pedra Branca.
Dans la présente section, Singapour rappellera les conclusions de la Cour au sujet de diverses
activités qu’elle a menées sur l’île à titre de souverain, essentiellement après 1966, et de
l’acceptation de ces activités par la Malaisie, ou de l’absence de réaction ou de protestation de sa
part à cet égard.
1. Enquêtes menées par Singapour sur les naufrages survenus dans les eaux
entourant Pedra Branca
2.9. Le premier événement de cette catégorie était antérieur à 1953 et concernait une
collision survenue en 1920 entre un navire britannique et un navire néerlandais à moins de 2 milles
de Pedra Branca. Tout en relevant que le rapport d’enquête ne précisait pas sur quelle base de
compétence cette enquête avait été conduite, la Cour a indiqué que le «fait qu’elle [l’ait été] … par
Singapour et non par le Johor revêt[ait] une importance pour [elle]»34.
2.10. L’incident suivant se rapportait à l’échouement d’un navire britannique sur un récif
adjacent à Pedra Branca en 1963. A ce propos, la Cour a là encore relevé que «c[’étaient] les
autorités de Singapour et non celles du Johor qui [avaient] condui[t] l’enquête»35.
2.11. Le dernier incident maritime antérieur à la date critique de 198036 avait trait à
l’échouement d’un navire panaméen au large de Pedra Branca en 1979. Singapour enquêta sur cet
incident en application de sa loi sur la marine marchande, ce qui déboucha sur une décision
interdisant au commandant et à l’officier en second du navire de servir à bord de navires
singapouriens37. S’agissant de cet incident, la Cour s’est montrée plus catégorique, déclarant :
«La Cour estime que cette enquête appuie particulièrement l’affirmation de
Singapour selon laquelle elle agissait à titre de souverain. Ce comportement, confirmé
dans une certaine mesure par celui de 1920 et de 1963, justifie que la Cour se penche
également sur les enquêtes relatives aux échouements de cinq navires (dont trois
immatriculés à l’étranger) entre 1985 et 1993, tous survenus à moins de 1000 mètres
de l’île.»38
33 Arrêt, p. 80, par. 223.
34 Ibid., p. 83, par. 233.
35 Ibid.
36 Ibid., p. 28, par. 34.
37 Voir mémoire de Singapour, par. 6.79 ; réplique de Singapour, par. 4.163.
38 Arrêt, p. 83, par. 233.
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18
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2.12. En conséquence, la Cour a conclu ce qui suit :
«[C]e comportement vient étayer de manière appréciable la thèse de Singapour.
Elle rappelle également que ce n’est qu’en juin 2003, après que les Parties eurent
soumis le différend à la Cour par voie de compromis, que la Malaisie a protesté contre
cette expression du comportement de Singapour.»39 (Les italiques sont de nous.)
2.13. A cet égard, il importe également de rappeler ce que la Cour a conclu au sujet de
l’ordonnance singapourienne de 1957 sur les droits de phare, relative à l’entretien des phares, et de
son amendement de 1958. Ainsi que la Cour l’a noté dans l’arrêt, non seulement l’énoncé des
objectifs de l’amendement de 1958 indiquait que Pulau Pisang (une île située au nord-ouest de
Singapour, dans le détroit de Malacca, qui relevait incontestablement de la souveraineté de la
Malaya) ne se trouvait pas dans les eaux territoriales singapouriennes, mais il avait en outre été
précisé expressément lors de la rédaction de cet amendement que Pedra Branca appartenait à
Singapour40. La Cour a fait observer qu’une telle combinaison d’éléments «v[enait] à l’appui des
allégations de Singapour»41 concernant l’exercice de son autorité souveraine sur Pedra Branca.
2. Le contrôle par Singapour des visites sur Pedra Branca
2.14. A l’appui de sa revendication de souveraineté sur Pedra Branca, Singapour tirait
également argument de son contrôle des visites sur l’île, tant par des Singapouriens que par
d’autres ressortissants (notamment des dirigeants malaisiens), et de son utilisation de celle-ci. Elle
appelait l’attention sur le fait que, à aucun moment, la Malaisie n’avait protesté contre
l’assujettissement des visites de ses dirigeants sur Pedra Branca à l’autorisation de Singapour42.
2.15. Si la Cour a relevé que nombre des visites effectuées par du personnel singapourien
«concernaient l’entretien et l’exploitation du phare et qu’elles [n’étaient] pas pertinentes en la
présente espèce»43, elle a cependant déclaré que deux visites de représentants malaisiens sur
Pedra Branca en 1974 et 1978 revêtaient une importance particulière aux fins de la souveraineté44.
Ces deux visites étaient nettement postérieures aux trois «documents nouveaux» invoqués par la
Malaisie dans sa demande en revision.
2.16. La visite de 1974 concernait une équipe chargée d’étudier les marées dont les
membres, qui venaient d’Indonésie, du Japon, de la Malaisie et de Singapour, souhaitaient se
rendre sur Pedra Branca pour une période de sept à huit semaines. Ainsi qu’il est rappelé dans
l’arrêt, un agent de l’autorité portuaire de Singapour écrivit au commandant de la marine royale
malaisienne pour lui demander la liste des membres malaisiens qui séjourneraient au phare, le
priant de lui communiquer entre autres leurs noms, numéros de passeport et nationalités afin de
«faciliter l’approbation requise par les différents ministères compétents du gouvernement»45. Le
commandant malaisien se conforma à cette demande.
39 Arrêt, p. 83, par. 234.
40 Voir arrêt, p. 68, par. 174.
41 Ibid.
42 Ibid., p. 83, par. 235.
43 Ibid., p. 84, par. 236.
44 Ibid.
45 Ibid., par. 237.
19
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2.17. Pour la visite de 1978, le haut-commissariat malaisien à Singapour demanda qu’un
navire officiel malaisien fût autorisé à «pénétrer dans les eaux territoriales de Singapour» afin d’y
inspecter les marégraphes, y compris à la station du phare Horsburgh sur Pedra Branca, pendant
une période d’environ trois semaines. Le ministère singapourien des affaires étrangères fit droit à
cette demande, preuve de l’autorité de Singapour sur Pedra Branca. En revanche, peu auparavant,
deux personnes affirmant avoir été envoyées par le service géographique de Malaisie avaient
débarqué sans autorisation sur Pedra Branca pour y effectuer des observations en vue d’une
triangulation. Le gardien du phare les avait informées qu’elles ne pouvaient rester sur l’île sans
autorisation préalable de l’autorité portuaire de Singapour. Les deux représentants malaisiens
étaient repartis, et la Malaisie n’avait émis aucune protestation46.
2.18. Etant donné la pertinence de ces événements aux fins de la question de la souveraineté,
le point de vue de la Cour quant à leur portée juridique mérite d’être rappelé :
«De l’avis de la Cour, il convient de considérer ce comportement de Singapour
comme un comportement à titre de souverain. Les autorisations accordées ou non par
Singapour à des ressortissants malaisiens ne concernaient pas simplement l’entretien
et l’exploitation du phare, et en particulier sa protection. Les décisions prises par
Singapour, dans les cas susmentionnés, concernaient les études que souhaitaient mener
des ressortissants malaisiens dans les eaux environnantes. Le comportement de
Singapour consistant à assujettir ces visites à son autorisation étaye de façon
appréciable sa revendication de souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.»47
(Les italiques sont de nous.)
3. Le déploiement des pavillons britannique et singapourien
sur Pedra Branca
2.19. Ainsi qu’exposé précédemment48, la Malaisie a souveraineté sur l’île de Pulau Pisang.
Singapour y exploitait un phare, dont elle fournissait le personnel, en vertu d’un accord conclu par
le passé entre le sultan de Johor et le Gouvernement singapourien. Jusqu’à 1968, les phares de
Pulau Pisang et de Pedra Branca arboraient l’un et l’autre le pavillon singapourien. En 1968, à la
suite de manifestations en Malaisie contre la présence du pavillon singapourien à Pulau Pisang,
celle-ci demanda à Singapour de «retirer [son] drapeau du territoire malaisien de Pulau Pisang»49.
En revanche, elle ne lui demanda pas de retirer celui hissé sur Pedra Branca50.
2.20. Dans l’arrêt, la Cour a convenu avec la Malaisie que le déploiement d’un pavillon
n’était «habituellement pas une manifestation de souveraineté et que la différence de taille entre les
deux îles d[evait] être prise en compte»51. Cela étant, elle a estimé
46 Arrêt, p. 84, par. 238.
47 Ibid., p. 85, par. 239.
48 Voir plus haut, par. 2.13.
49 Arrêt, p. 87, par. 244.
50 Ibid.
51 Ibid., par. 246.
21
22
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«[qu’]un certain poids p[ouvait] être néanmoins attribué au fait que la Malaisie, dont
l’attention avait été appelée sur la question du déploiement des pavillons par suite de
l’incident de Pulau Pisang, n[’avait pas] formul[é] … de demande similaire au sujet du
pavillon hissé sur le phare Horsburgh»52.
4. L’installation par Singapour de matériel de communication militaire
sur Pedra Branca en 1977
2.21. Il est indiqué dans l’arrêt que,
«[e]n juillet 1976, la marine de Singapour exposa à l’autorité portuaire de Singapour la
nécessité, pour elle et pour l’armée de l’air singapourienne, d’installer une station
relais militaire sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh pour faire face à des difficultés de
communication»53.
La marine demanda ainsi à l’autorité portuaire sa coopération «afin de satisfaire aux exigences de
la sécurité et de la défense en matière de communication»54, demande à laquelle l’autorité portuaire
répondit par l’affirmative. La station relais fut ainsi établie en mai 197755.
2.22. Bien qu’elle ne fût pas en mesure de déterminer si la Malaisie avait à l’époque
connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, de l’installation par Singapour de ce matériel de
communication militaire sur l’île56, la Cour a déclaré ce qui suit :
«Ce que la Cour relève, c’est que l’acte accompli par Singapour est un acte à
titre de souverain. Ce comportement n’est pas compatible avec la reconnaissance par
Singapour d’une quelconque limite à sa liberté d’action.»57 (Les italiques sont de
nous.)
5. Projet singapourien de récupération de terres en vue
d’agrandir Pedra Branca
2.23. Ainsi qu’il est rappelé dans l’arrêt, en 1978, l’autorité portuaire de Singapour, sur les
instructions du Gouvernement singapourien, «étudia la possibilité, comme cela avait déjà été fait en
1972, 1973 et 1974, de récupérer des terres sur la mer autour de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»58.
L’autorité portuaire lança un appel d’offres dans la presse en vue d’un tel projet, et trois sociétés
soumissionnèrent.
2.24. Bien que ce projet soit finalement resté sans suite59, la Cour a néanmoins attaché de
l’importance au comportement de Singapour. Elle a fait observer que,
52 Arrêt, p. 87, par. 246.
53 Ibid., par. 247.
54 Ibid.
55 Ibid.
56 Ibid., p. 88, par. 248.
57 Ibid.
58 Ibid., par. 249.
59 Ibid.
23
- 14 -
«bien qu’il n’ait pas été donné suite au projet et que certains documents n’aient pas été
publics, l’appel d’offres le fut et recueillit des soumissions. De surcroît, ainsi que le
reconnaît l’agent de la Malaisie, le projet, tel que présenté, allait au-delà d’activités
relevant simplement de l’entretien et de l’exploitation du phare. Il s’agit là d’un
comportement qui étaye la thèse de Singapour.»60
2.25. En sus des effectivités singapouriennes rappelées plus haut61, il s’agissait là encore
d’un comportement de Singapour consistant à administrer Pedra Branca à titre de souverain.
C. PUBLICATIONS ET CARTES MALAISIENNES ATTESTANT LA SOUVERAINETÉ
DE SINGAPOUR SUR PEDRA BRANCA
2.26. Outre ces activités menées par Singapour en qualité de souverain sur Pedra Branca ou
par rapport à celle-ci, la Cour a examiné diverses publications et cartes que les Parties avaient
produites à l’appui de leurs positions respectives.
2.27. Pour sa part, la Malaisie avait invoqué plusieurs rapports annuels établis par le bureau
des affaires rurales de Singapour (Rural Board of Singapore), ainsi qu’une publication intitulée
Singapore Facts and Pictures et un ouvrage de J. A. L. Pavitt, qui fut pendant de nombreuses
années le directeur des affaires maritimes de Singapour, autant de publications qui, selon elle,
n’incluaient pas Pedra Branca dans le territoire singapourien62. La Cour n’a toutefois attaché
aucune importance à ces publications, déclarant :
«Etant donné le[ur] but … et le fait que, même si elles étaient des documents
officiels, elles n’étaient pas censées faire autorité et étaient essentiellement de nature
descriptive, la Cour ne considère pas qu’un poids de quelque importance puisse leur
être attribué.»63 (Les italiques sont de nous.)
2.28. En revanche, la Cour a estimé que certaines publications et cartes de la Malaisie qui
présentaient Pedra Branca comme appartenant à Singapour étaient importantes et venaient étayer
l’argumentation singapourienne. Elle a examiné plusieurs de ces documents en particulier, qui vont
être passés en revue ci-après.
1. Données météorologiques de la Malaisie
2.29. Au fil des ans, des données météorologiques furent recueillies à partir d’une station
située sur Pedra Branca, ce dont il était rendu compte dans des publications officielles du
gouvernement.
2.30. En 1959, avant l’accession de Singapour à l’indépendance, la Malaya classait le
phare Horsburgh parmi les stations «singapouriennes» chargées de recueillir de telles données, et la
Malaisie et Singapour en firent de même dans une publication commune de 1966, soit l’année
60 Arrêt, p. 88-89, par. 250.
61 Voir plus haut, par. 2.9-2.22.
62 Voir arrêt, p. 92, par. 261 ; p. 93, par. 263.
63 Ibid., p. 92, par. 262. Dans l’arrêt (p. 93, par. 263), la Cour a déclaré que la «même appréciation p[ouvait] être
portée» à propos d’un passage de l’ouvrage de J. A. L. Pavitt sur lequel s’appuyait la Malaisie.
24
25
- 15 -
suivant l’accession à l’indépendance de cette dernière64. En 1967, toutefois, c’est-à-dire après la
date la plus récente qui apparaisse dans les «documents nouvellement découverts» de la Malaisie (à
savoir 1966), les deux pays commencèrent à communiquer séparément leurs données
météorologiques. Dans son rapport de 1967, la Malaisie dressa une liste répertoriant un certain
nombre de stations météorologiques se trouvant au Johor, sans inclure celle de Pedra Branca. La
Cour a jugé cette omission importante :
«La Cour n’en considère pas moins, au bénéfice de Singapour, qu’il n’est pas
sans intérêt que le phare Horsburgh apparaisse comme l’une des stations de
«Singapour» dans les publications de 1959 et de 1966 mais ne soit plus mentionné
dans la publication malaisienne de 1967.»65 (Les italiques sont de nous.)
2. Cartes officielles
2.31. Les Parties avaient l’une et l’autre produit un grand nombre de cartes en l’affaire
initiale. Si elles s’accordaient à dire qu’aucune de ces dernières n’établissait le titre, elles n’en
affirmaient pas moins que certaines de celles publiées par elles-mêmes ou par leurs prédécesseurs
devaient «être prises en compte en ce qu’elles indiqu[aient] leurs vues quant à la souveraineté ou
confirm[aient] leur prétention»66.
2.32. Dans l’arrêt, la Cour a relevé que «Singapour accord[ait] une grande importance à six
cartes publiées par le géomètre général de la Fédération de Malaya et le directeur de la cartographie
nationale de la Malaisie en 1962 (deux cartes), 1965, 1970, 1974 et 1975»67. Pour la commodité de
la Cour, la carte de 1974 est reproduite ci-après (encart 1)68.
64 Voir arrêt, p. 93, par. 265.
65 Ibid., p. 93-94, par. 266.
66 Ibid., p. 94, par. 267.
67 Ibid., par. 269.
68 La carte reproduite sur l’encart 1 correspond à la carte 30 de l’atlas cartographique joint par Singapour à son
contre-mémoire en l’affaire initiale.
26
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Encart 1
Carte de 1974 de la Malaisie «valant déclaration contraire à ses intérêts» (Carte 30
de l’atlas cartographique joint au contre-mémoire de Singapour
en l’affaire initiale)
2.33. Comme le montre cet exemple représentatif, sur chacune des six cartes, Pedra Branca
(désignée comme «P. Batu Puteh (Horsburgh)») est assortie de la mention «(SINGAPURA)» ou
«(SINGAPORE)». Ainsi que la Cour l’a souligné dans l’arrêt,
«[c]ette même mention «(SINGAPORE)» ou «(SINGAPURA)» figure sur ces cartes
sous le nom d’une autre île relevant incontestablement de la souveraineté
singapourienne. En outre, sur une carte de la même série représentant Pulau Pisang, où
se trouve l’autre phare administré par Singapour, cette mention n’apparaît pas, ce qui
montre qu’elle n’a rien à voir avec la propriété ou la gestion du phare.»69
2.34. La Malaisie a eu beau contester la pertinence desdites cartes pour divers motifs
(arguant que les mentions en question pouvaient être interprétées différemment, que les cartes ne
créaient pas de titre et ne pouvaient valoir admission que si elles étaient intégrées à des traités ou
utilisées dans le cadre de négociations entre Etats, ou encore qu’elles comportaient une note
d’avertissement)70, la Cour n’a pas accepté ces arguments. Son raisonnement fut le suivant :
69 Arrêt, p. 94, par. 269.
70 Ibid., par. 270.
27
- 17 -
«En ce qui concerne la première affirmation de la Malaisie, il semble bien à la
Cour que les annotations sont claires et qu’elles viennent à l’appui de la thèse de
Singapour. En ce qui concerne le deuxième point, la Cour juge pertinent l’argument
plus mesuré de Singapour, selon lequel les cartes, certes, ne créent pas le titre, mais
donnent une bonne indication de la position officielle de la Malaisie. S’agissant du
troisième point, la jurisprudence semble étayer l’idée selon laquelle des admissions
peuvent apparaître en d’autres circonstances (par exemple, Différend frontalier
(Bénin/Niger), C.I.J. Recueil 2005, p. 119, par. 44). La note d’avertissement, qui fait
l’objet du quatrième point soulevé par la Malaisie, précise que la carte ne doit pas être
considérée comme une référence en matière de délimitation des frontières
internationales ou autres. (La formulation, dans la carte de 1974, est un peu
différente.)»71 (Les italiques sont de nous.)
Sur ce dernier point, la Cour a cité la décision de la commission de délimitation des frontières en
l’affaire Erythrée/Ethiopie, selon laquelle «[l]a carte reste une indication de fait géographique, en
particulier lorsque l’Etat désavantagé l’a lui-même établie et distribuée, même contre ses propres
intérêts.»72
2.35. La Malaisie, pour sa part, avait cherché à faire fond sur certaines cartes publiées par
Singapour qui, comme le croquis figurant à l’annexe 3 de la demande en revision, ne représentaient
pas Pedra Branca ou ne l’intégraient pas au territoire singapourien. Or, après examen de ces cartes,
la Cour a conclu ce qui suit :
«La Cour rappelle que jamais avant 1995 Singapour n’a publié de carte
représentant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comme appartenant à son territoire. Elle
estime cependant que cette abstention revêt une bien moins grande importance que
celle qu’il convient d’accorder aux cartes publiées par la Malaya puis par la Malaisie
entre 1962 et 1975. La Cour conclut que ces cartes tendent à confirmer que la Malaisie
considérait que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh relevait de la souveraineté de
Singapour.»73
D. ABSENCE DE LA MOINDRE EFFECTIVITÉ MALAISIENNE
SUR PEDRA BRANCA
2.36. Contrairement à Singapour, la Malaisie ne pouvait se réclamer en l’affaire initiale
d’aucune activité qu’elle aurait menée par rapport à Pedra Branca et qui aurait témoigné d’un
comportement à titre de souverain. De fait, elle ne s’est jamais rendue sur l’île dans une quelconque
qualité de souverain, pas plus qu’elle n’a accompli en une qualité similaire aucun autre acte en
rapport avec celle-ci.
2.37. En lieu et place, la Malaisie invoquait alors un certain nombre d’éléments censés
prouver indirectement sa souveraineté sur l’île. Elle tirait notamment argument d’un accord
pétrolier conclu par elle en 1968, d’une ordonnance interne malaisienne de 1969 ayant porté sa mer
territoriale de 3 à 12 milles marins, ainsi que de deux accords qu’elle avait conclus avec
l’Indonésie, l’un de 1969 relatif au plateau continental et l’autre, de 1970, relatif à la mer
71 Arrêt, p. 95, par. 271.
72 Décision en date du 13 avril 2002 relative à la délimitation des frontières entre l’Erythrée et la République
fédérale démocratique d’Ethiopie, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XXV, p. 116, par. 3.28
[traduction du Greffe].
73 Arrêt, p. 95, par. 272.
28
29
- 18 -
territoriale. Aucun de ces instruments n’a été jugé pertinent par la Cour aux fins de la question de la
souveraineté.
2.38. S’agissant de l’accord pétrolier conclu par la Malaisie en 1968, la Cour l’a rapidement
écarté, faute de pertinence : «Etant donné les limites territoriales et conditions définies dans la
concession, et l’absence de publication des coordonnées, la Cour considère qu’elle ne peut accorder
aucun poids à la concession.»74
2.39. L’argument malaisien fondé sur l’ordonnance de 1969 relative à la mer territoriale a
également fait long feu. La Cour a conclu ce qui suit :
«[E]n raison de la généralité même des termes de l’ordonnance de 1969,
l’argument de la Malaisie fondé sur ce texte doit être rejeté. Cette ordonnance
n’identifie pas, sauf de la manière la plus générale, les zones auxquelles elle
s’applique : elle indique simplement qu’elle est applicable «sur l’ensemble du
territoire malaisien».»75
2.40. Quant à l’accord de 1969 relatif au plateau continental et à celui de 1970 relatif à la
mer territoriale que la Malaisie avait conclus avec l’Indonésie et dont elle tirait argument, la Cour
n’a accordé de poids ni à l’un ni à l’autre. En effet, la ligne établie dans l’accord de 1969 s’arrêtait
à 6,4 milles marins de Pedra Branca et, dans celui de 1970, la zone entourant l’île était là encore
évitée. Pour citer la Cour :
«[En] conséquen[ce] [du fait que Singapour n’avait pas encore porté à 12 milles
marins la largeur de ses eaux territoriales], et comme la ligne s’interrompt à 6,4 milles
marins à l’est de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh pour reprendre au-delà de l’extrémité
ouest du détroit de Singapour, la Cour n’estime pas que l’accord relatif à la mer
territoriale de 1970 puisse revêtir une quelconque importance en l’espèce.»76
2.41. La Cour n’a pas non plus attaché d’importance à l’accord de 1973 relatif à la mer
territoriale entre l’Indonésie et Singapour, ne considérant pas «qu’un poids quelconque p[ût lui]
être accordé ... s’agissant de la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh». Selon elle, «[d]e
même que les accords conclus entre la Malaisie et l’Indonésie en 1969 et 1970, celui de 1973 entre
l’Indonésie et Singapour relatif à la mer territoriale ne couvr[ait] pas la question»77.
E. CONCLUSIONS DE LA COUR SUR LA SOUVERAINETÉ
2.42. Après avoir examiné par le menu le comportement des Parties, la Cour a exposé ses
conclusions sur la question de la souveraineté aux paragraphes 273 à 277 de l’arrêt.
2.43. La Cour a tout d’abord précisé que la question à laquelle elle devait répondre était
74 Arrêt, p. 89, par. 253.
75 Ibid., p. 90, par. 256.
76 Ibid., p. 90-91, par. 258.
77 Ibid., p. 91, par. 259.
30
- 19 -
«celle de savoir si, à la lumière des principes et des règles de droit international qu’elle
a[vait] énoncés plus haut et de son examen des faits pertinents, notamment le
comportement des Parties, la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh [était]
passée au Royaume-Uni ou à Singapour»78.
2.44. La Cour a ensuite rappelé le comportement à titre de souverain dont Singapour avait
fait preuve sur Pedra Branca, sans susciter de protestations de la Malaisie. Si elle a noté que le
comportement du Royaume-Uni et de Singapour se rattachait à bien des égards à l’exploitation du
phare Horsburgh, la Cour a toutefois ajouté que
«tel n’était pas toujours le cas. Sans prétendre à l’exhaustivité, la Cour rappellera,
d’une part, les enquêtes sur les accidents maritimes menées par l’un et l’autre ainsi
que leur contrôle sur les visites au phare et, d’autre part, l’installation par Singapour
de matériel de communication militaire et ses projets visant à gagner des terres, autant
d’actes accomplis à titre de souverain, dont la plupart sont postérieurs à 1953. La
Malaisie et ses prédécesseurs n’ont jamais réagi à ce comportement, ni à d’autres
formes de comportement de même nature dont il a été question plus haut dans cet arrêt
et qui toutes (sauf en ce qui concerne l’installation du matériel de communication)
avaient été portées à sa connaissance.»79
2.45. La Cour a relevé combien le comportement du Johor et de la Malaisie avait été
différent, rappelant à ce propos que «les autorités du Johor et leurs successeurs n’[avaient] pas
mené la moindre activité sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh après juin 1850 et ce, pendant tout un
siècle, voire plus»80. Elle a poursuivi en ces termes : «Et, lorsque des visites officielles (dans les
années 1970, par exemple) ont été effectuées, elles l’ont été avec l’autorisation expresse de
Singapour.»81 S’agissant des cartes, la Cour a ensuite déclaré :
«Il ressort aussi de ses cartes officielles des années 1960 et 1970 que la Malaisie
considérait la souveraineté comme singapourienne. Celles-ci, de même que le
comportement des deux Parties que la Cour vient brièvement de rappeler, cadrent
entièrement avec le dernier élément que rappellera la Cour.»82
Ce «dernier élément» était la correspondance de 1953. Sur ce point, la Cour a rappelé qu’il
«s’agi[ssait] de la déclaration, faite dans des termes clairs en 1953 par le secrétaire
d’Etat par intérim de l’Etat du Johor, selon laquelle le Johor ne revendiquait pas la
propriété de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh[, qui] revêt[ait] une importance
capitale»83.
2.46. C’est sur la base de cette constellation d’éléments que la Cour est parvenue à sa
conclusion quant à la souveraineté sur Pedra Branca, qu’elle a résumée aux paragraphes 276 et 277
de l’arrêt. Ces deux paragraphes méritent d’être cités in extenso :
78 Arrêt, p. 95, par. 273.
79 Ibid., p. 95-96, par. 274.
80 Ibid., p. 96, par. 275.
81 Ibid.
82 Ibid.
83 Ibid.
31
32
- 20 -
«276. La Cour est d’avis que les faits pertinents, dont le comportement des
Parties, examinés plus haut et résumés aux deux paragraphes précédents, témoignent
d’une évolution convergente des positions de celles-ci concernant le titre sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. La Cour conclut, au vu, notamment, du
comportement à titre de souverain de Singapour et de ses prédécesseurs, considéré
conjointement avec celui de la Malaisie et de ses prédécesseurs, et notamment avec le
fait que celle-ci soit demeurée sans réaction face au comportement de Singapour et de
ses prédécesseurs, que, en 1980, la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh
était désormais détenue par Singapour.
277. Pour les raisons qui précèdent, la Cour conclut que la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartient à Singapour.»84
2.47. Ainsi qu’il sera démontré au chapitre VI, aucun des «faits nouveaux» sur lesquels la
Malaisie entend fonder sa demande en revision n’a d’incidence sur l’un quelconque de ces
éléments.
84 Arrêt, p. 96, par. 276-277.
33
- 21 -
CHAPITRE III
MISE EN CONTEXTE DES «DOCUMENTS NOUVELLEMENT DÉCOUVERTS»
DE LA MALAISIE
3.1. La demande en revision de l’arrêt présentée par la Malaisie repose sur un petit nombre
de documents, que celle-ci a produits sous trois annexes de sa demande. Dans le présent chapitre,
Singapour replacera ces documents dans leur contexte, puis démontrera que l’allégation de la
Malaisie concernant l’existence d’un «fait sous-jacent implicite» qui, selon elle, ressort de ces
documents et touche la souveraineté sur Pedra Branca est indéfendable. Aucun de ces documents
ne concerne la souveraineté en tant que telle, et encore moins la souveraineté sur Pedra Branca. Il
s’ensuit également, ainsi qu’il sera exposé aux chapitres V et VI, qu’aucun d’eux ne met en lumière
un quelconque «fait nouveau», et encore moins un fait «de nature à exercer une influence décisive»
au sens de l’article 61 du Statut de la Cour.
A. LA CORRESPONDANCE DE 1958
3.2. A l’annexe 1 de la demande en revision sont reproduits deux télégrammes. Le premier,
en date du 18 janvier 1958, est signé par le secrétaire d’Etat aux colonies et adressé au gouverneur
de Singapour. Le second, daté du 7 février 1958, est la réponse du gouverneur de Singapour au
secrétaire d’Etat aux colonies.
3.3. Cette correspondance portait sur la largeur de la mer territoriale et sur la proposition
d’étendre celle-ci à 6 milles marins que certains Etats avaient formulée, et que Singapour
accueillait avec inquiétude en raison de l’étroitesse du détroit éponyme. Ainsi que le gouverneur le
relevait dans son télégramme du 7 février 1958, les abords de Singapour à l’ouest et à l’est
suivaient des chenaux qui ne faisaient «que 8,5 milles de large dans leurs sections les plus
étroites»85. Une extension à 6 milles marins de la largeur de la mer territoriale aurait eu pour effet
de «fermer l’abord de Singapour par des chenaux de haute mer»86, causant des «difficultés
particulières» à celle-ci87 puisque son territoire se serait, de fait, trouvé «enclavé par les mers
territoriales» des Etats voisins.
3.4. Pour parer à ces «difficultés particulières», le gouverneur recommandait que fût ménagé,
dans le détroit de Singapour, un «couloir international de haute mer». Selon lui, ce couloir devait
«suivre le chenal de navigation normal»88, et permettre d’éviter que les abords de Singapour à l’est
et à l’ouest ne fussent «ferm[és]»89 par les mers territoriales étendues de la Malaya et de
l’Indonésie. Ce qui était alors le «chenal de navigation normal» était décrit par le gouverneur de
manière «approximati[ve]»90 par rapport à différentes aides à la navigation ; ce chenal est
représenté sur une carte établie à fin d’illustration ci-après, sous l’encart 2.
85 Télégramme confidentiel en date du 7 février 1958 adressé au secrétaire d’Etat aux colonies par le gouverneur
de Singapour, par. 1 a) (demande en revision, annexe 1).
86 Ibid.
87 Télégramme confidentiel en date du 18 janvier 1958 adressé au gouverneur de Singapour par le secrétaire
d’Etat aux colonies, par. 1 (demande en revision, annexe 1).
88 Télégramme confidentiel en date du 7 février 1958 adressé au secrétaire d’Etat aux colonies par le gouverneur
de Singapour, par. 2 (demande en revision, annexe 1).
89 Ibid., par. 1 a).
90 Ibid., par. 2.
35
36
- 22 -
Encart 2
Carte annotée représentant le tracé approximatif du «chenal de navigation normal»
décrit par le gouverneur à l’annexe 1 de la demande en revision
Légende :
En rouge, de gauche à droite : phare Brothers, phare Sultan Shoal, phare Raffles, Saint John’s Island, phare Batu
Berhanti, phare Horsburgh
Encadré : «point situé à mi-chemin entre le point le plus méridional de Saint John’s Island et le phare Batu Berhanti»
3.5. Selon la Malaisie, la correspondance de 1958 démontre que les autorités
singapouriennes ne considéraient pas, à l’époque, que Pedra Branca relevait du territoire de
Singapour91 –– autrement, Singapour «aurait pu revendiquer des droits sur les eaux territoriales
entourant celle-ci»92, de sorte que le gouverneur n’aurait pas eu à «militer en faveur de la création
d’un passage international situé si près de l’île»93. Cet argument défie toute logique. Le fait qu’il ait
décrit le tracé du «chenal de navigation normal» comme passant en un point situé «près» d’une
formation particulière n’autorise pas, à lui seul, à conclure que le gouverneur ne pensait pas, ou
n’avait pas été informé, que la formation en question appartenait à Singapour.
3.6. Premièrement, la description fournie par le gouverneur sur la base des aides à la
navigation n’était pas une proposition précise et détaillée concernant le tracé du couloir
international de haute mer envisagé. Tout ce que le gouverneur a dit, c’est que ce couloir devait
«suivre» ce qui constituait le chenal de navigation normal, lequel était décrit «approximativement»
par rapport à ces aides à la navigation.
91 Voir demande en revision, par. 25.
92 Ibid.
93 Ibid.
37
- 23 -
3.7. Deuxièmement, dans sa description, le gouverneur s’est référé à différentes formations
appartenant incontestablement à Singapour. Outre celui «situé à 1 mille au nord du phare
Horsburgh», il a également mentionné des points «à 3 milles au sud du phare Sultan Shoal» ou «à
2 milles au sud du phare Raffles»94. La Malaisie n’a jamais contesté que les phares Sultan Shoal et
Raffles étaient situés dans les eaux territoriales de Singapour ou sur des formations géographiques
appartenant à celle-ci95. Le gouverneur s’est également référé à «un point situé à mi-chemin entre
le point le plus méridional de Saint John’s Island et le phare Batu Berhanti»  point qui se serait
trouvé à environ 1,25 mille marin de Saint John’s Island96. Là encore, la Malaisie n’a jamais
contesté que Saint John’s Island relevait de la souveraineté singapourienne97.
3.8. Outre les formations appartenant à Singapour, la description faite par le gouverneur du
«chenal de navigation normal» mentionnait également les phares «Brothers» et «Batu Berhanti»,
qui étaient, et sont toujours, situés sur des formations géographiques appartenant à l’Indonésie.
3.9. Ainsi, lorsqu’il a fait référence à diverses aides à la navigation le long du «chenal de
navigation normal», le gouverneur ne se fondait nullement sur les droits dont pouvaient faire
l’objet les territoires sur lesquels ces aides à la navigation se trouvaient.
3.10. Multipliant les entorses à la logique, la Malaisie affirme qu’il ressort de la
correspondance de 1958 que i) «le gouverneur de Singapour considérait que la correspondance de
1953 avec le Johor n’était pas déterminante et n’avait pas emporté transfert de la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»98, et que ii) «les deux parties concernées partageaient le point de
vue selon lequel la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartenait [alors] à la
Malaisie, et non à Singapour»99. Ni l’une ni l’autre de ces affirmations n’est exacte.
3.11. Tout d’abord, comme Singapour l’a démontré plus haut, la correspondance de 1958 ne
concernait nullement la souveraineté. Le gouverneur y proposait simplement l’aménagement d’un
couloir le long du «chenal de navigation normal» existant 100. Il s’agissait de parer aux «difficultés
particulières» liées à la «ferme[ture] [de] l’abord de Singapour par des chenaux de haute mer»101.
Partant, la correspondance de 1958 était totalement étrangère à une quelconque appréciation, de la
94 Télégramme confidentiel en date du 7 février 1958 adressé au secrétaire d’Etat aux colonies par le gouverneur
de Singapour, par. 2 (demande en revision, annexe 1).
95 Voir arrêt, p. 93, par. 263.
96 Cette estimation est fondée sur les écritures présentées par la Malaisie elle-même dans l’affaire initiale, où la
distance entre Saint John’s Island et Batu Berhanti est évaluée à 2,5 milles marins. Voir mémoire de la Malaisie, par. 29
(«A peu près [au] milieu [du détroit], entre … Saint John[’s Island] et Batu Berhenti, le chenal ne mesure pas plus de
2,5 milles marins de large. La zone en cause est donc extrêmement restreinte et, dans des conditions météorologiques
normales, toutes les îles sont visibles depuis les côtes les plus proches.»)
97 Voir mémoire de la Malaisie, par. 211, qui cite l’édition de 1972 de l’ouvrage Singapore Facts and Pictures, et
reproduit une liste d’«îles faisant partie de Singapour», au nombre desquelles figuraient «St John’s Island» (assortie de
son nom malais, «Pulau Sekijang Bendera»).
98 Demande en revision, par. 25.
99 Ibid., par. 26.
100 Télégramme confidentiel en date du 7 février 1958 adressé au secrétaire d’Etat aux colonies par le gouverneur
de Singapour, par. 2 (demande en revision, annexe 1).
101 Ibid., par. 1 a).
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- 24 -
part du gouverneur, selon laquelle la correspondance de 1953 «n’avait pas emporté transfert de la
souveraineté sur Pedra Branca», et ne laissait entrevoir d’aucune façon une telle appréciation102.
3.12. Ensuite, l’échange de 1958 ne révèle l’existence d’aucune communauté de vues103 entre
Singapour et la Malaisie s’agissant de la souveraineté sur Pedra Branca. Pour les raisons exposées
au paragraphe précédent, cette correspondance ne démontre pas que Singapour ait pu penser qu’elle
n’avait pas souveraineté sur les eaux territoriales entourant Pedra Branca. Elle ne témoigne pas
davantage des vues de la Malaya quant à la souveraineté, puisque les autorités de celle-ci n’étaient
nullement parties à cet échange. La Malaisie n’est, de fait, revenue à aucun moment sur la position
exprimée dans la correspondance officielle de 1953, qui a été examinée au chapitre II, à savoir que
«le Gouvernement du Johore ne revendi[quait] pas la propriété de Pedra Branca»104. La
correspondance de 1958 n’a absolument rien changé à cette position.
3.13. En bref, la Malaisie fait une interprétation erronée de la correspondance de 1958 jointe
sous l’annexe 1 de sa demande en revision, dont le sens réel apparaît lorsqu’on la replace dans son
contexte. Contrairement à ce qu’elle affirme, rien dans cette correspondance n’«atteste» ni ne peut
attester quoi que ce soit s’agissant de «l’idée que se faisait Singapour de ses droits sur les espaces
maritimes»105 entourant Pedra Branca. En conséquence, l’on ne saurait considérer que la
correspondance de 1958 traduisait le moindre point de vue, et encore moins une communauté de
vues106, quant à une quelconque question liée à la souveraineté sur Pedra Branca ; elle ne met en
lumière aucun «fait nouveau», et encore moins un fait qui soit de nature à exercer une influence
décisive.
B. LES DOCUMENTS CONCERNANT L’INCIDENT DU LABUAN HAJI EN 1958
3.14. L’annexe 2 de la demande en revision a trait à un incident maritime survenu le
25 février 1958 concernant le Labuan Haji, qui naviguait de Singapour à la Thaïlande. Les
documents que la Malaisie prétend avoir «découvert[s] dans un dossier des archives britanniques
de l’année 1958»107 consistent en un message d’un certain M. Wickens daté du 25 février 1958108,
accompagné de comptes rendus internes manuscrits datés du 26 février 1958109 et de deux coupures
de journaux bien connus et accessibles au public  le Straits Times110 et le Singapore
Standard111  rapportant l’incident.
3.15. Dans son message, M. Wickens déclarait ce qui suit :
102 Demande en revision, par. 25.
103 Ibid., par. 26.
104 Voir plus haut, par. 2.5.
105 Demande en revision, par. 26.
106 Ibid.
107 Ibid., par. 27.
108 Note en date du 25 février 1958 adressée au secrétaire du gouverneur, Harold Anthony Shaw, par «ER»
(demande en revision, annexe 2).
109 Comptes rendus internes manuscrits datés du 26 février 1958, dont le premier est signé par H. Shaw et adressé
à Son Excellence le gouverneur de Singapour, W. A. C. Goode, et le second, signé par W. A. C. Goode et adressé à son
secrétaire, Harold Anthony Shaw (demande en revision, annexe 2).
110 Coupure du Straits Times (demande en revision, annexe 2).
111 Coupure du Singapore Standard (demande en revision, annexe 2).
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- 25 -
«Le Labuan Haji de la KPM a appareillé ce matin de Singapour pour Petani.
A 12 h 56, reçu message signalant qu’il avait été pris en chasse par une canonnière
indonésienne près du phare Horsburgh et qu’il faisait demi-tour vers Singapour. La
vedette de la marine royale de la Malaya a appareillé de Telok Ayer pour se porter à
son secours. Reçu nouveaux messages affolés signalant que la canonnière
indonésienne essayait de barrer la route au Labuan Haji. La Royal Navy n’était pas en
position d’intervenir parce que le navire se trouvait encore à l’intérieur des eaux
territoriales du Johore. Finalement, un Sunderland de la R.A.F. a décollé à 14 h 15, et
à 14 h 50 le Labuan Haji envoyait un message indiquant que la canonnière s’était
éloignée et que lui-même reprenait son cap vers le nord et faisait route à l’intérieur des
eaux territoriales de la Fédération.»112
3.16. S’appuyant sur cette description imprécise du lieu où se trouvait le navire au moment
pertinent, la Malaisie affirme que
«les autorités militaires alors chargées de la défense de Singapour ne considéraient pas
les eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comme appartenant à Singapour.
Elles estimaient en effet qu’elles relevaient du Johor, et avaient semble-t-il donné pour
instruction à leurs navires de ne pas y pénétrer sans y avoir été expressément
invités.»113
3.17. La Malaisie présente le message de M. Wickens sous un faux jour. Celui-ci indique que
l’incident s’est produit «près du phare Horsburgh» et non, contrairement à ce qu’elle affirme, dans
«les eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»114. Rien de significatif ne peut être tiré de
l’expression «près du phare Horsburgh». Il ressort clairement du contexte que l’équipage du
Labuan Haji a mentionné ce phare comme une aide à la navigation et un point de repère naturel
pour les navigateurs dans cette zone, sans aller plus loin.
3.18. De surcroît, étant donné la configuration géographique de la zone, où coexistent
plusieurs formations très proches les unes des autres mais appartenant à différents Etats, la
généralité du terme «près» n’autorise aucune conclusion quant au lieu de l’incident. Pedra Branca
se trouve à 0,6 mille marin de Middle Rocks et à 6,8 milles marins de Pulau Pemanggil, l’île
malaisienne la plus proche après Middle Rocks115. Dans l’affaire initiale, la Malaisie affirmait
même que Pedra Branca se situait «près de Point Romania», puisqu’elle n’était «qu’à 7,7 milles
marins»116. Point Romania est le point le plus proche sur la côte (malaisienne) du Johor. Ainsi,
selon la propre description de la Malaisie, tout incident maritime survenu dans les eaux territoriales
bordant son territoire continental du Johor pourrait être décrit comme s’étant produit «près» de
Pedra Branca. Il n’est donc pas étonnant que le message de détresse émis par le Labuan Haji ait fait
venir à la fois une vedette de la marine royale de la Malaya et un Sunderland de la Royal Air Force.
3.19. Quant aux coupures de presse, elles ne sont guère plus précises. Dans celle extraite du
Singapore Standard, on peut lire ce qui suit :
112 Note en date du 25 février 1958 adressée au secrétaire du gouverneur, Harold Anthony Shaw, par «ER»
(demande en revision, annexe 2).
113 Demande en revision, par. 30.
114 Ibid.
115 Voir mémoire de la Malaisie, par. 32 et 34.
116 Ibid., par. 125. Voir également CR 2007/24, p. 14, par. 15 (Kadir).
42
43
- 26 -
«Dès réception de ce message, une vedette de la marine royale de la Malaya a
été alertée et un Sunderland de la base de Seletar de la Royal Air Force a été envoyé
sur les lieux pour examiner la situation.
Quand le Sunderland est arrivé sur place, au nord du phare Horsburgh, il a vu
la canonnière indonésienne s’éloigner vers l’Indonésie, tandis que le Labuan Haji
faisait route au nord-ouest dans les eaux territoriales de la Fédération.»117 (Les
italiques sont de nous.)
La seule indication concernant le lieu véritable de l’incident est qu’il se situait «au nord du phare
Horsburgh». Selon la même coupure de presse, le navire «faisait route au nord-ouest dans les eaux
territoriales de la Fédération»118.
3.20. La coupure du Straits Times est tout aussi vague quant au lieu de l’incident. Il y est
simplement rapporté que, d’après le message envoyé par le Labuan Haji lui-même, le navire a été
«harcelé» par une canonnière indonésienne «au large du phare Horsburgh, à 35 milles au nord-est
de Singapour»119. Ainsi que la Cour l’a relevé dans son arrêt, Pedra Branca «se trouve à environ
24 milles marins [27,6 milles terrestres] à l’est de Singapour»120. Il est donc peu probable que
l’incident se soit produit à proximité  et encore moins à l’intérieur  de la mer territoriale de
Pedra Branca, qui, à l’époque, s’étendait sur 3 milles marins (3,5 milles terrestres).
3.21. En résumé, les documents produits à l’annexe 2 de la demande en revision ne disent
rien au sujet de la souveraineté sur Pedra Branca. Ils n’indiquent pas la distance entre Pedra Branca
et l’incident concernant le Labuan Haji, et encore moins les coordonnées du lieu où cet incident
s’est produit. Aucune indication précise n’étant fournie quant au lieu de l’incident, la déclaration de
M. Wickens selon laquelle «[l]a Royal Navy n’était pas en position d’intervenir parce que le navire
se trouvait encore à l’intérieur des eaux territoriales du Johore»121 ne saurait, contrairement à ce que
soutient la Malaisie, être interprétée comme signifiant que «les autorités navales britanniques
considéraient que les eaux adjacentes à Pedra Branca/Pulau Batu Puteh relevaient du Johor»122.
3.22. Pour les raisons qui précèdent, les éléments que la Malaisie présente comme des
«documents nouvellement découverts» à l’annexe 2 de sa demande en revision ne viennent pas
étayer sa thèse concernant un quelconque point de vue de Singapour, et encore moins une
«communauté de vues», consistant à considérer que la souveraineté sur Pedra Branca
«relevait … de la Malaisie, au nom du Johor»123 ; ils ne mettent donc là encore en lumière aucun
«fait nouveau», encore moins un fait qui soit de nature à exercer une influence décisive.
117 Voir coupure du Singapore Standard (demande en revision, annexe 2).
118 Ibid.
119 Voir coupure du Straits Times (demande en revision, annexe 2).
120 Arrêt, p. 22, par. 16.
121 Note en date du 25 février 1958 adressée au secrétaire du gouverneur, Harold Anthony Shaw, par «ER»
(demande en revision, annexe 2).
122 Demande en revision, par. 31.
123 Ibid., par. 30.
44
- 27 -
C. LE CROQUIS
3.23. L’annexe 3 de la demande en revision contient un croquis daté du 25 mars 1962
comportant des annotations manuscrites, la plus récente étant de «février 1966»124 La Malaisie lui a
donné son propre intitulé, à savoir «[c]arte annotée des opérations navales». Par souci de
commodité, Singapour reproduit ci-après, en tant que figure 1, ce croquis tiré de la demande en
revision.
Figure 1
Croquis produit à l’annexe 3 de la demande en revision
Confidentiel  Page B.12
Légende :
Johore = Johore
Singapore = Singapour
Tg Poh = Tanjung Poh
Tg Kampong = Tanjung Kampong
West Fishing Area = Zone de pêche occidentale
Sultan Shoal Light House = Phare Sultan Shoal
Night Curfew Area = Zone de couvre-feu nocturne
South Fishing Area = Zone de pêche méridionale
Bn = Balise
Raffles Light House = Phare Raffles
Territorial Boundary = Limite territoriale
Prohibited Zone = Zone interdite
East Fishing Area = Zone de pêche orientale
Mata Ikan Beacon = Balise de Mata Ikan
Tg Changi = Tanjung Changi
Pulau Tekong Besar = Ile Tekong Besar
Tg Batu Koyok = Tanjung Batu Koyok
[Mention manuscrite]
Note : le dispositif de couvre-feu nocturne décrit ci-dessus est revu tous les mois par les autorités singapouriennes et au
besoin reconduit. Actuellement (février 1966), il n’y a aucun changement par rapport à celui qui est présenté ci-dessus,
sinon que les zones de pêche sont inactives.
[Légendes manuscrites en malais et en chinois]
124 Demande en revision, annexe 3.
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- 28 -
3.24. La Malaisie estime que ce croquis présente «une délimitation claire des eaux
territoriales singapouriennes»125, qui s’étendent jusqu’à «un point situé au sud de Pulau Tekon [sic]
Besar, dans le détroit de Johor, sans atteindre les environs de Pedra Branca»126. Selon elle, le
croquis en question «jette une lumière nouvelle et révélatrice sur l’idée que se faisaient les autorités
singapouriennes … de leurs droits territoriaux», qui ne s’étendaient pas à Pedra Branca127.
3.25. La Malaisie a complètement sorti ce croquis de son contexte et l’a présenté sous un
faux jour. Celui-ci n’était pas censé représenter les eaux territoriales de Singapour ni l’étendue de
son territoire, et il ne fait rien de tel.
3.26. Le croquis représente l’île principale de Singapour, certaines de ses îles plus petites et
la partie méridionale du Johor (Malaisie). Les eaux séparant ladite île principale et le Johor au nord
forment le détroit de Johor. La limite des eaux territoriales relevant respectivement de Singapour et
du Johor dans ce détroit existe depuis 1927128, et n’a jamais été contestée par la Malaisie129. Le
croquis de l’annexe 3 de la demande en revision est reproduit sur l’encart 3 ci-après ; Singapour y a
superposé la limite des eaux territoriales dans le détroit de Johor, telle qu’elle existait en 1927. Si
ce croquis visait à représenter une «limite territoriale», elle serait manifestement inexacte, surtout
du côté oriental de l’île principale de Singapour.
125 Demande en revision, par. 33.
126 Ibid.
127 Demande en revision, par. 35.
128 Voir contre-mémoire de Singapour, par. 6.20-6.25 et 6.97-6.99.
129 Voir mémoire de la Malaisie, par. 11, 99-100, 190-192 et 220-221, et encarts 14 et 17.
46
- 29 -
Encart 3
Croquis produit à l’annexe 3 de la demande en revision, annoté (en rouge) pour faire apparaître
«Pulau Ubin» et «Pulau Tekong Besar» ainsi que la limite des eaux territoriales
dans le détroit de Johor, telle qu’elle existait en 1927
Croquis établi à seule fin d’illustration.
Légende :
1927 territorial waters boundary in the Johor Strait = Limite des eaux territoriales dans le détroit de Johor, telle
qu’elle existait en 1927
3.27. L’argument malaisien consiste, semble-t-il, à dire que les autorités singapouriennes ne
considéraient pas Pedra Branca comme appartenant à Singapour parce que l’île n’est pas située en
deçà de la «limite territoriale» représentée sur le croquis130. Un simple coup d’oeil à ce croquis
montre que cet argument est fallacieux. Le croquis représente deux îles situées au nord-est de l’île
principale de Singapour, dans le détroit de Johor. L’une d’elles est Pulau Tekong Besar. Son nom y
est reproduit tel quel et a été agrandi sur l’encart 3 pour une meilleure visibilité. L’île située
immédiatement à l’ouest de Pulau Tekong Besar est Pulau Ubin, dont le nom a été ajouté sur
l’encart 3. La Malaisie n’a jamais contesté que Pulau Tekong Besar et Pulau Ubin appartiennent à
Singapour131. Or, sur le croquis, l’une et l’autre sont représentées au-delà de la prétendue «limite
territoriale» de Singapour, dont l’extrémité orientale s’arrête sur terre au centre de
Pulau Tekong Besar, ce qui est peu plausible et erroné. Il est donc évident que le croquis n’était pas
censé constituer une carte officielle ou faisant autorité des limites du territoire de Singapour.
130 Voir demande en revision, par. 33-35.
131 Voir mémoire de la Malaisie, par. 191, 196, 211, 214 et 313.
47
- 30 -
3.28. En réalité, le croquis a été établi dans le cadre d’une série d’instructions rédigées
uniquement à des fins de sécurité. La Malaisie a mentionné le titre de ces instructions dans sa
demande en revision132 mais a omis de préciser que, au moment où elles étaient en vigueur,
Singapour était menacé au sud par l’Indonésie lors d’une période de tensions appelée la
confrontation (Konfrontasi). Ainsi que l’écrit l’historienne C. M. Turnbull,
«[l]a confrontation avec l’Indonésie a nui au commerce et entraîné des violences
physiques. Entre septembre 1963 et mai 1965, des saboteurs ont fait exploser un
certain nombre de bombes à Singapour, et des canonnières indonésiennes ont saisi
maints navires de pêche singapouriens.»133
3.29. A cet égard, le croquis n’avait vocation à illustrer que les zones qui, au large de la côte
méridionale de l’île principale de Singapour, faisaient l’objet de certaines restrictions établies en
réponse à des menaces contre la sécurité venant du sud. Son but apparaît lorsqu’on lit la partie, non
produite par la Malaisie, du dossier relatif aux années 1964-1966 dans lequel figure le croquis.
Singapour a joint les extraits pertinents aux présentes observations écrites (annexe 1)134.
3.30. Au paragraphe 32 de sa demande en revision, la Malaisie se réfère aux «Instructions à
l’intention des navires effectuant des patrouilles de défense du littoral de la Malaisie occidentale»,
desquelles le croquis a été tiré. Elle n’a toutefois ni produit ni mentionné l’annexe B de ces
instructions, dont le paragraphe 6 est ainsi libellé :
«Zones d’accès restreint du port de Singapour
6. Eaux au sud de l’île de Singapour. Des zones d’accès restreint, de couvre-feu
nocturne et de pêche nocturne sont en vigueur. Des précisions figurent dans
l’appendice 1 de la présente annexe.»135 (Les italiques sont de nous.)
3.31. Il est ensuite indiqué ce qui suit dans l’appendice 1 de l’annexe B, dont le texte mérite
d’être reproduit in extenso :
«Zones d’accès restreint ou interdit  eaux territoriales de Singapour
Il est porté à la connaissance des communautés maritime et halieutique qu’un
nouveau dispositif de couvre-feu pour les bateaux à rames, à voiles ou à moteur horsbord
entrera en vigueur le vendredi 29 janvier 1965 à 19 heures. Trois zones où la
pêche nocturne sera autorisée ont été établies. Les navires devront y pénétrer avant
19 heures et y demeurer jusqu’à 5 h 30. Tout déplacement nocturne de bateaux à
rames, à voiles ou à moteur reste interdit dans l’ensemble des autres parties des eaux
territoriales de Singapour comprises entre Tg. Changi et Tg. Kampong.
Les zones dont l’accès est interdit de jour comme de nuit à tous les navires de
moins de 100 tonneaux s’étendront, à compter du 29 janvier 1965 à 19 heures, à l’est
jusqu’à un point situé au large de Tg. Mata Ikan et, à l’ouest, au large du phare
132 Voir demande en revision, par. 32.
133 Turnbull, C. M., A History of Singapore, 1819-2005, Singapour, NUS Press, 2009, p. 290.
134 Extraits d’instructions à l’intention des navires effectuant des patrouilles de défense du littoral de la Malaisie
occidentale (2e éd.) promulguées le 25 mars 1965 par l’officier responsable de la Malaisie occidentale et le commandant
de la flotte d’Extrême-Orient de la marine royale (MALPOS II), joints aux présentes observations écrites en tant
qu’annexe 1.
135 Annexe 1, p. A4.
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- 31 -
Sultan Shoal. Tout navire de moins de 100 tonneaux souhaitant traverser cette zone de
jour ou de nuit devra être en possession d’un permis délivré par le commandant de
l’autorité portuaire ou d’une autorisation portuaire. Les laissez-passer ne sont
normalement délivrés que pour une traversée de jour des zones d’accès interdit.
Le plan ci-joint représente :
a) les zones de pêche nocturne [signalées comme suit ],
b) la zone de couvre-feu nocturne pour les bateaux à rames, à voiles ou à moteur
[signalée comme suit ], et
c) les zones dont l’accès est interdit de jour comme de nuit à tous les navires de
moins de 100 tonneaux [signalées comme suit ].» (Les italiques sont de
nous.)
3.32. Le «plan ci-joint» est le croquis figurant à l’annexe 3 de la demande en revision.
3.33. Au paragraphe 33 de sa demande, la Malaisie se réfère incidemment à ce qui ne peut
être que l’appendice 1 de l’annexe B, d’après le titre de l’instruction qu’elle mentionne. Or, elle ne
précise pas le contexte, pourtant essentiel, dans lequel s’inscrit le croquis, que l’on peut apprécier
en examinant ce dernier conjointement avec les extraits de l’annexe B reproduits aux
paragraphes 3.30 et 3.31 ci-dessus. Comme on peut le voir sur le croquis, les «eaux au sud de l’île
de Singapour» dont il est question au paragraphe 6 de l’annexe B correspondent aux «eaux
territoriales de Singapour comprises entre Tg. Changi et Tg. Kampong», ainsi qu’aux zones
s’étendant «à l’est jusqu’à un point situé au large de Tg. Mata Ikan et, à l’ouest, au large du phare
Sultan Shoal». Tanjung Changi («Tg. Changi») est le point le plus oriental de l’île principale de
Singapour qui soit marqué sur le croquis, et Tanjung Kampong («Tg. Kampong»), le plus
occidental. Tanjung Mata Ikan («Tg. Mata Ikan») correspond sur le croquis à la «balise de
Mata Ikan», près de Tanjung Changi, tandis que le phare Sultan Shoal y est indiqué tel quel, non
loin de Tanjung Kampong. Toutes les zones de couvre-feu et de pêche désignées dans
l’appendice 1 et marquées sur le «plan» — c’est-à-dire le croquis qui figure à l’annexe 3 de la
demande en revision —, se trouvent au sud de l’île principale de Singapour.
3.34. Par conséquent, si l’on replace le croquis dans son contexte, il apparaît que celui-ci a
été établi spécialement et exclusivement en réponse aux menaces que la confrontation
(Konfrontasi) avec l’Indonésie faisait peser sur la sécurité, et qui se manifestaient au sud de l’île
principale de Singapour. Il était donc inutile d’y inclure Pedra Branca. Il était également inutile de
faire mention de Pedra Branca lorsque le «dispositif de couvre-feu nocturne» illustré sur le croquis
était «revu tous les mois par les autorités singapouriennes et au besoin reconduit», selon
l’annotation manuscrite en date de «février 1966»136.
3.35. En résumé, le croquis ne jette aucune lumière sur «l’idée que se faisaient les autorités
singapouriennes de l’étendue de leurs droits territoriaux»137. Ni le croquis ni l’annotation
manuscrite ne «décrivent…un processus régulier dans le cadre duquel ces autorités réexaminaient
et reconduisaient chaque mois la stricte règlementation de leurs espaces maritimes»138. Le croquis
136 Demande en revision, annexe 3.
137 Ibid., par. 35.
138 Ibid.
50
51
- 32 -
n’était pas une carte officielle ou faisant autorité censée représenter les limites territoriales de
Singapour, mais accompagnait une série d’instructions visant la mise en oeuvre d’un dispositif de
sécurité spécialement conçu pour répondre à des menaces qui s’étaient fait jour au sud de l’île
principale de Singapour. Pour toutes ces raisons, il est dépourvu de pertinence s’agissant de la
question de la souveraineté sur Pedra Branca.
- 33 -
CHAPITRE IV
LES CONDITIONS DE RECEVABILITÉ ÉNONCÉES À L’ARTICLE 61
4.1. Les dispositions pertinentes de l’article 61 du Statut sont ainsi libellées :
«1. La revision de l’arrêt ne peut être éventuellement demandée à la Cour qu’en
raison de la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive et qui,
avant le prononcé de l’arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la
revision, sans qu’il y ait, de sa part, faute à l’ignorer.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4. La demande en revision devra être formée au plus tard dans le délai de six
mois après la découverte du fait nouveau.
5. Aucune demande de revision ne pourra être formée après l’expiration d’un
délai de dix ans à dater de l’arrêt.»
4.2. Singapour approuve et fait totalement sienne l’analyse que la Malaisie, aux
paragraphes 17 à 19 de sa demande, donne des conditions énoncées à l’article 61, en particulier
lorsqu’elle «reconnaît que, pour qu’une demande en revision soit recevable139, toutes ces conditions
doivent être remplies» (les italiques sont de nous).
4.3. Cette dernière observation est conforme à la jurisprudence bien établie de la Cour, selon
laquelle «une requête en revision ne peut être admise que si chacune des conditions prévues à
l’article 61 est remplie. Si l’une d’elles fait défaut, la requête doit être écartée»140 (les italiques sont
de nous).
4.4. Comme il a été observé récemment et à juste titre, les dispositions du Statut et du
Règlement concernant la revision, «de par leur libellé et leur place dans le Statut, mettent en
exergue le caractère exceptionnel de [cette procédure], dans la mesure où la stabilité des relations
juridiques qu’assure l’autorité de la chose jugée risque de s’en trouver compromise»141.
139 Demande en revision, par. 19. A la note de bas de page 11 de sa demande, la Malaisie se réfère également à la
Demande en revision de l’arrêt du 11 septembre 1992 en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime
(El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)) (El Salvador c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 399, par. 20.
140 Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires
(Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 12, par. 17. Voir également Demande en revision et
en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne)
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 207, par. 29 ; et Demande en revision de l’arrêt du
11 septembre 1992 en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)) (El Salvador c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 404, par. 36.
141 Shaw, Malcolm N., Rosenne’s Law and Procedure of the International Court: 1920-2015. 5e édition.
Koninklijke Brill NV, 2016. §III.394. Voir également ibid., §III.397 («Il est par ailleurs vrai que la procédure en revision
doit également être strictement circonscrite, et ce, pour la même raison, à savoir le respect du principe fondamental de
l’autorité de la chose jugée.») [Traduction du Greffe.]
53
54
- 34 -
4.5. Du fait de ce caractère exceptionnel, la Cour a reconnu que les «conditions à réunir pour
qu’il soit fait droit à une demande en revision d’un arrêt» étaient «circonscrit[es]
rigoureusement»142. En conséquence,
«[les] conditions énumérées dans cet article … doivent, dans l’intérêt de la stabilité
des relations juridiques, être appliquées strictement. … Sous la seule réserve de cette
possibilité de revision [offerte par l’article 61], le principe applicable est celui de la
res judicata pro veritate habetur, ce qui signifie que les conclusions d’un arrêt
doivent, aux fins de l’affaire et entre les parties, être considérées comme exactes, et ne
sauraient être remises en question au motif que des événements postérieurs feraient
planer sur elles des doutes.»143
4.6. Il est difficile de discerner d’emblée ce qui constitue précisément le «fait nouveau», au
sens de l’article 61, qu’invoque la Malaisie à l’appui de sa demande en revision. Celle-ci soutient
tout d’abord que chacun des documents «peut être qualifié de fait nouveau»144. Elle affirme ensuite
que
«ces documents nouvellement découverts peuvent être considérés comme des
éléments attestant un fait sous-jacent implicite, à savoir que Singapour n’estimait pas
que la correspondance de 1953 lui avait transféré la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»145. (Les italiques sont de nous.)
Ailleurs encore, la Malaisie expose que
«[p]ris ensemble ou séparément, les documents nouvellement découverts démontrent
que Singapour savait, aux plus hauts niveaux, que la correspondance de 1953 n’avait
emporté aucun transfert de souveraineté et que, dans les années ayant suivi cet
échange, Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne faisait pas partie de son territoire
souverain»146.
4.7. En ce qui concerne l’affirmation de la Malaisie selon laquelle chacun des documents
«peut être qualifié de fait nouveau», il convient de souligner que «des documents nouvellement
produits ne constituent pas par eux-mêmes des faits nouveaux»147. Il se peut qu’un document soit
nouvellement découvert, mais que le «fait» sous-jacent auquel il est censé se rapporter soit déjà
connu, ne constituant donc pas un «fait nouveau».
142 Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004, p. 314, par. 90. Voir également Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 90, par. 115.
143 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 92-93, par. 120.
144 Demande en revision, par. 22.
145 Ibid.
146 Ibid., par. 40. Voir également par. 23.
147 Monastère de Saint-Naoum (frontière albanaise), avis consultatif, 1924, C.P.J.I., série B n° 9, p. 22. Voir
également Demande en revision de l’arrêt du 11 septembre 1992 en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et
maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)) (El Salvador c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 411,
par. 59, dans le cadre de laquelle la Chambre n’a pas formulé de conclusion sur le point de savoir si les documents
présentés par El Salvador constituaient en eux-mêmes «des faits nouveaux». Elle a simplement conclu que ces documents
ne satisfaisaient pas à la condition de «l’influence décisive» énoncée à l’article 61.
55
56
- 35 -
4.8. En outre, comme le montre le chapitre III, qu’ils soient pris ensemble ou séparément, les
«documents nouvellement découverts» n’étayent pas l’affirmation de la Malaisie selon laquelle ils
peuvent être «considérés comme des éléments attestant un fait sous-jacent implicite, à savoir que
Singapour n’estimait pas que la correspondance de 1953 lui avait transféré la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»148, pas davantage qu’ils ne «démontrent que Singapour savait, aux
plus hauts niveaux, que la correspondance de 1953 n’avait emporté aucun transfert de souveraineté
et que, dans les années ayant suivi cet échange, Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne faisait pas partie
de son territoire souverain»149. En résumé, il n’existe aucun «fait nouveau» de la nature alléguée
par la Malaisie aux fins de l’article 61. Sur cette seule base, la demande en revision n’est pas
recevable.
4.9. Aux chapitres V et VI, Singapour montrera que, à l’exception de celle relative au délai
de dix ans énoncée au paragraphe 5, il n’est satisfait à aucune des conditions prévues à l’article 61.
Plus précisément, Singapour établira que :
a) Les «faits nouveaux» dont il serait question dans les documents nouvellement découverts par la
Malaisie n’étaient inconnus ni de cette dernière, ni de la Cour avant le prononcé de l’arrêt. Ce
point est examiné dans la section A du chapitre V.
b) La Malaisie n’est pas parvenue à établir qu’il n’y a pas eu de sa part faute à ignorer les «faits
nouveaux» avant le prononcé de l’arrêt, comme il sera expliqué dans la section B du chapitre V.
c) La Malaisie n’a pas satisfait à la condition relative au délai de six mois énoncée au paragraphe 4
de l’article 61, étant donné qu’elle avait connaissance des prétendus «faits nouveaux» bien
avant le 4 août 2016. Ce point est développé dans la section C du chapitre V.
d) Les «faits nouveaux» de la Malaisie ne satisfont pas à la condition de «l’influence décisive»,
comme nous le verrons au chapitre VI.
148 Demande en revision, par. 22 (les italiques sont de nous).
149 Ibid., par. 40.
57
- 36 -
CHAPITRE V
LES FAILLES PROCÉDURALES ENTACHANT LA DEMANDE EN REVISION
5.1. Dans le présent chapitre, il sera démontré que les «faits nouvellement découverts» de la
Malaisie, quels qu’ils soient, étaient déjà connus de la Cour et d’elle-même puisque les Parties
avaient présenté des arguments exhaustifs sur la base de ces faits dans l’affaire initiale. Singapour
démontrera en outre que, de par leur nature et leur teneur, ces «faits nouveaux» étaient à la portée
de la Malaisie dans l’affaire initiale. Enfin, la plupart des «documents nouveaux» invoqués par la
Malaisie ont été publiés sur Internet en mars 2015 par une personne qui faisait partie de la
délégation malaisienne dans l’affaire initiale, bien avant le délai de six mois précédant la demande
qui est prescrit au paragraphe 4 de l’article 61. Pour toutes ces raisons, les failles procédurales
entachant la demande en revision présentée par la Malaisie sur le fondement de l’article 61
constituent des motifs suffisants pour que la Cour déboute cette dernière.
A. LES «FAITS NOUVELLEMENT DÉCOUVERTS» DE LA MALAISIE, QUELS QU’ILS SOIENT,
N’ÉTAIENT PAS INCONNUS AVANT LE PRONONCÉ DE L’ARRÊT
5.2. Comme la Cour l’a précisé lorsqu’elle a statué sur la demande en revision de son arrêt
sur les exceptions préliminaires en l’affaire relative au Génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie),
«aux termes du paragraphe 1 de l’article 61 du Statut, la revision d’un arrêt ne peut
être demandée qu’«en raison de la découverte» d’un fait qui, «avant le prononcé de
l’arrêt», était inconnu. Tels sont les caractères que doit revêtir le fait «nouveau» visé
au paragraphe 2 du même article. Ces deux paragraphes font donc référence à un fait
préexistant au prononcé de l’arrêt et découvert ultérieurement.»150
5.3. Ainsi qu’exposé plus haut au paragraphe 4.6, on ne voit pas clairement quel «fait
nouveau» la Malaisie invoque à l’appui de sa demande en revision. S’il s’agit du «fait» que
«Singapour n’estimait pas que la correspondance de 1953 lui avait transféré la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»151, ce «fait» était connu de tous avant le prononcé de l’arrêt. Telle
était la position de Singapour dans l’affaire initiale, qui était parfaitement connue de la Malaisie et
dont un conseil de celle-ci avait formellement pris acte lors des audiences : «Nous prenons acte
toutefois que Singapour ne revendique pas cette lettre comme valant un titre ou même comme
constituant la racine d’un titre»152.
5.4. Si, d’un autre côté, le «fait nouvellement découvert»153 invoqué par la Malaisie est que
«Singapour savait, aux plus hauts niveaux, … que, dans les années ayant suivi cet échange [à
savoir, la correspondance de 1953], Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne faisait pas partie de son
territoire souverain»154, il ne s’agit nullement, là encore, d’un fait «inconnu» au sens de l’article 61.
150 Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires
(Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 30, par. 67.
151 Demande en revision, par. 22.
152 CR 2007/31, p. 29, par. 3 (Kohen).
153 Demande en revision, par. 41.
154 Ibid., par. 40.
59
60
- 37 -
5.5. Contrairement à ce que soutient la Malaisie à plusieurs reprises dans sa demande en
revision155, elle avait clairement connaissance de ce «fait nouvellement découvert» puisqu’elle
défendait exactement le même argument dans l’affaire initiale. A l’époque, en effet, elle affirmait
qu’il ressortait du comportement et des déclarations de Singapour que cette dernière n’avait pas
souveraineté sur Pedra Branca156. La Cour a examiné cet argument avec soin, et l’a rejeté157. Ainsi,
par le biais des documents qu’elle met aujourd’hui en avant, la Malaisie ne fait que tenter, en vain,
de prouver l’existence d’un «fait nouveau» inexistant.
5.6. Quand bien même la décision antérieure de la Cour aurait été fondée sur des points non
soulevés par les Parties (ce qui n’est pas le cas), cela ne constituerait pas, en soi, un fondement
valable pour en demander la revision au titre de l’article 61. Prétendre le contraire, comme le fait la
Malaisie dans sa demande158, revient à confondre la procédure de revision prévue à l’article 61 avec
une procédure d’appel qui pourrait être ouverte en droit interne mais qui n’est pas envisagée dans le
Statut, lequel dispose expressément que les arrêts de la Cour sont «définitif[s] et sans recours».
B. LA MALAISIE N’A PAS AGI AVEC UNE DILIGENCE RAISONNABLE POUR TENTER DE
DÉCOUVRIR CES «FAITS NOUVEAUX» AVANT LE PRONONCÉ DE L’ARRÊT
5.7. Il est précisé au paragraphe 1 de l’article 61 du Statut que, même si les «faits nouveaux»
invoqués par la Malaisie lui avaient été inconnus avant le prononcé de l’arrêt, celle-ci devrait
encore démontrer «qu’il [n’]y [a pas eu], de sa part, faute à l[es] ignorer». Dans l’affaire Tunisie
c. Libye, la Cour a déclaré qu’il s’agissait là de «l’une des conditions essentielles de recevabilité
d’une demande en revision, posée à l’article 61, paragraphe 1, du Statut»159.
5.8. En l’espèce, même si les documents présentés par la Malaisie mettaient effectivement en
lumière des «faits nouveaux», ce qui n’est pas le cas, celle-ci n’a pas démontré avoir fait le
moindre effort en vue de les obtenir avant le prononcé de l’arrêt. De fait, elle aurait pu se procurer
l’ensemble des documents qu’elle invoque à présent si elle avait fait preuve d’une diligence
raisonnable avant le prononcé de l’arrêt.
1. La législation britannique sur les archives
5.9. Tentant d’éluder cette conclusion évidente, la Malaisie affirme que,
«[l]es documents décrits ci-dessus ayant été conservés aux archives nationales du
Royaume-Uni et n’ayant été rendus publics qu’après l’arrêt, leur découverte après la
clôture de la procédure devant la Cour n’est pas imputable à une faute de la part du
Gouvernement de la Malaisie et ne fait donc pas obstacle à la recevabilité de la
présente demande en revision»160.
155 Demande en revision, par. 44-45 et 48.
156 Voir mémoire de la Malaisie, par. 242 et 245-267 ; contre-mémoire de la Malaisie, par. 510-514 ; et réplique
de la Malaisie, par. 304-318, 324-329 et 339-367.
157 Arrêt, p. 36-38, par. 118-124 ; p. 82-96, par. 231-277.
158 Voir demande en revision, par. 41, 45 et 48.
159 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 207, par. 28.
160 Demande en revision, par. 49.
61
62
- 38 -
La Malaisie tente ainsi, sans guère convaincre, de mettre sa propre faute sur le compte de la
politique de déclassification des archives nationales du Royaume-Uni. Elle n’a présenté aucun
élément attestant qu’elle ait tenté d’une façon ou d’une autre d’obtenir les documents avant le
prononcé de l’arrêt. De fait, comme le montrent les éclaircissements ci-après concernant les
dispositions pertinentes du droit britannique, si la Malaisie avait demandé au Royaume-Uni, avant
le prononcé de l’arrêt, les documents annexés à son actuelle demande en revision, elle aurait pu les
obtenir en vertu des dispositions applicables du droit britannique en vigueur. Les éclaircissements
suivants sont basés sur des informations librement accessibles sur le site Internet des archives
nationales du Royaume-Uni161.
5.10. Pendant de nombreuses années et jusqu’en janvier 2005, le droit applicable au
Royaume-Uni était la loi sur les archives publiques (Public Records Act (UK))162. En vertu de cette
loi, «les documents produits ou conservés par tout service du gouvernement de sa Majesté au
Royaume-Uni»163 constituaient des «archives publiques» destinées à être conservées de façon
permanente et transférées au Public Record Office (devenu par la suite les National Archives, ou
archives nationales du Royaume-Uni)164. Selon la «règle des 30 ans», les archives publiques sous la
garde du Public Record Office devaient être rendues accessibles au public après 30 ans
d’existence165.
5.11. Par conséquent, avant janvier 2005, si le Gouvernement malaisien avait demandé au
Gouvernement britannique à pouvoir consulter les archives relatives à l’administration coloniale de
la Malaisie et de Singapour, ce dernier aurait été tenu par son droit interne de faire droit à cette
demande si les archives pertinentes existaient depuis au moins 30 ans. En d’autres termes, le
Gouvernement britannique aurait été tenu de lui donner accès aux archives datant d’avant
janvier 1975. Cette obligation aurait valu pour les documents versés aux annexes 1 à 3 de la
demande, puisque tous sont antérieurs à janvier 1975.
5.12. En janvier 2005, la loi sur la liberté de l’information (Freedom of Information Act
(UK)) a modifié la loi sur les archives publiques ; si le Gouvernement malaisien avait présenté sa
demande après cette date, le Gouvernement britannique aurait là encore été tenu, en application de
cette nouvelle loi, de lui donner accès aux archives demandées166.
161 Voir The National Archives, Legislation and regulations, disponible à l’adresse suivante :
http://www.nationalarchives.gov.uk/information-management/legislation/ (dernière consultation le 20 mai 2017).
162 Loi sur les archives publiques de 1958, telle que modifiée par la loi sur les archives publiques de 1967. Ce
document peut être consulté (en anglais) à l’adresse suivante : http://www.legislation.gov.uk/ukpga/Eliz2/6-
7/51/contents/ (dernière consultation le 20 mai 2017).
163 Loi sur les archives publiques de 1958 (Royaume-Uni), première annexe, par. 2 1) a).
164 Loi sur les archives publiques de 1958 (Royaume-Uni), art. 3, par. 4.
165 Loi sur les archives publiques de 1967 (Royaume-Uni), article 1 (disponible à l’adresse suivante :
http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1967/44/section/1 (dernière consultation le 20 mai 2017)), qui a porté modification
de la loi sur les archives publiques de 1958 (Royaume-Uni), art. 5, par. 1. Voir également The National Archives, History
of the Public Records Acts, disponible à l’adresse suivante : http://www.nationalarchives.gov.uk/informationmanagement/
legislation/public-records-act/history-of-pra/ (dernière consultation le 20 mai 2017).
166 En janvier 2005, les parties de la loi sur les archives publiques de 1958 (Royaume-Uni) concernant l’accès
auxdites archives ont été modifiées par la loi sur la liberté de l’information de 2000 (Royaume-Uni). Ces amendements
ont eu pour effet d’assouplir encore davantage les règles relatives à l’accès aux archives du ministère des affaires
étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni, sous réserve seulement de quelques exceptions, qui sont énoncées
dans la loi sur la liberté de l’information de 2000. Voir The National Archives, The public records system, disponible à
l’adresse suivante : http://www.nationalarchives.gov.uk/information-management/legislation/p…-
system/ (dernière consultation le 19 mai 2017).
63
64
- 39 -
5.13. La législation britannique présentée aux paragraphes 5.10 à 5.12 ci-dessus est
conforme à l’esprit général du paragraphe 3 de l’article 28 de la convention de Vienne sur la
succession d’Etats en matière de biens, archives et dettes d’Etat167, qui est ainsi libellé :
«L’Etat prédécesseur fournit à l’Etat nouvellement indépendant la meilleure
preuve disponible dans ses archives d’Etat qui a trait aux titres territoriaux de l’Etat
nouvellement indépendant ou à ses frontières ou qui est nécessaire pour préciser le
sens des documents des archives d’Etat de l’Etat prédécesseur qui passent à l’Etat
nouvellement indépendant en application des autres dispositions du présent article.»168
2. Des recherches auraient permis de découvrir les «documents nouveaux»
avant le prononcé de l’arrêt
5.14. La Malaisie n’a pas non plus agi avec une diligence raisonnable en ce qu’elle n’a pas
fait de recherches en vue de découvrir l’ensemble des «documents nouveaux» sur lesquels elle se
fonde aujourd’hui.
5.15. Premièrement, dans l’affaire initiale, elle avait produit un document de juillet 1953
similaire au télégramme du 7 février 1958 figurant à l’annexe 1 de sa demande en la présente
affaire169. Les deux correspondances, celle de 1953 et celle de 1958, portaient sur des questions
liées à une possible extension de la largeur de la mer territoriale au-delà de 3 milles marins, compte
tenu des derniers développements du droit de la mer170. Cela bat en brèche l’argument de la
Malaisie selon lequel «il serait … difficile d’envisager de qualifier les Parties de fautives au motif
qu’elles n’auraient pas découvert des informations concernant un point qui n’a pas été soulevé lors
de la procédure»171. A en juger par la correspondance de juillet 1953, la Malaisie savait
manifestement que la question de la mer territoriale faisait l’objet de discussions internes à
Singapour ; pourtant, elle n’a produit aucun élément établissant qu’elle ait engagé la moindre
démarche auprès du Royaume-Uni pour obtenir le document joint sous l’annexe 1172.
5.16. Deuxièmement, la position de la Malaisie n’est guère plus convaincante s’agissant des
documents relatifs à l’incident du Labuan Haji. L’annexe 2 de la demande en revision, très
révélatrice, contient deux articles parus à l’époque dans des journaux bien connus et accessibles au
public, le Straits Times et le Singapore Standard, selon lesquels cet incident se serait produit «au
large du phare Horsburgh». En 1958, le Straits Times était le principal journal en langue anglaise
de la Malaya et de Singapour. Ses archives, jusque-là à Singapour, ont été transférées à
167 Nations Unies, Documents officiels de la Conférence des Nations Unies sur la succession d’Etats en matière
de biens, archives et dettes d’Etat, doc. A/CONF.117/14, p. 150.
168 La convention a été adoptée lors d’une conférence diplomatique organisée par l’Assemblée générale des
Nations Unies sur la base d’une série de projets d’articles adoptés par la Commission du droit international des
Nations Unies. A propos de la preuve «qui a trait aux titres territoriaux de l’Etat nouvellement indépendant ou à ses
frontières» mentionnée au paragraphe 3 de l’article 28 [alors paragraphe 3 du projet d’article 26], la Commission a relevé
qu’elle était «particulièrement importante en cas de différends ou de litiges entre l’Etat nouvellement indépendant et un
Etat tiers au sujet d’une partie du territoire de l’Etat ou de ses frontières. C’est pourquoi la Commission [a] considér[é]
que l’Etat prédécesseur [était] tenu de fournir à l’Etat nouvellement indépendant la «meilleure preuve disponible».» Voir
Nations Unies, Annuaire de la Commission du droit international, 1981, vol. II, deuxième partie, doc. A/CN.4/
SER.A/1981/Add.1 (Part 2), p. 63.
169 Lettre, avec pièces jointes, de juillet 1953 adressée au commissaire général adjoint aux affaires coloniales de
Singapour par A. G. B. Colton, pour le secrétaire colonial de Singapour (mémoire de la Malaisie, vol. 3, annexe 68).
170 Voir également plus haut, par. 3.3-3.4.
171 Demande en revision, par. 48.
172 Voir également plus haut, par. 5.10-5.12.
65
66
- 40 -
Kuala Lumpur (capitale de l’actuelle Malaisie) en 1959, où sont conservés depuis tous les éléments
antérieurs à cette date, notamment l’article du Straits Times produit à l’annexe 2. Si la Malaisie
avait fait preuve d’une diligence raisonnable lors de la préparation de l’affaire initiale, elle aurait de
toute évidence pu découvrir et obtenir cet article sans grand effort.
5.17. En outre, il ressort du message de M. Wickens et des coupures de presse que tant les
forces militaires britanniques que celles de la Malaya ont répondu au message de détresse émis par
le Labuan Haji. La marine royale de la Malaya a envoyé une vedette et la Royal Air Force, un
aéronef du modèle Sunderland. La Malaisie a donc connaissance de l’incident et de ses
circonstances précises depuis le jour même où il s’est produit.
5.18. Troisièmement, l’ignorance fautive de la Malaisie est également établie s’agissant du
croquis produit à l’annexe 3 de sa demande en revision. Celle-ci soutient que «[l]a date exacte à
laquelle [ce croquis] a été rend[u] publi[c] n’est pas connue, et les archives nationales du
Royaume-Uni n’ont pas été en mesure de la préciser lorsque la demande leur en a été faite»173.
5.19. Or, les archives nationales du Royaume-Uni ont en fait expressément informé
Singapour, par une lettre en date du 25 avril 2017 (reproduite sous l’annexe 2 des présentes
observations écrites), que le dossier portant la cote «DEFE 69/539», dans lequel figure le croquis
«découvert» par la Malaisie, leur avait été «transféré … le 20 septembre 2002» et était «accessible
à des fins de recherche depuis le 21 avril 2005»174.
5.20. Du reste, la série d’instructions dont le croquis est extrait est mentionnée dans
l’ouvrage sur la marine royale australienne en Asie du Sud-Est rédigé par M. Ian Pfennigwerth175.
Cet ouvrage a été publié en 2008 mais il est évident que, en novembre 2007, toutes les recherches
étaient déjà terminées et le manuscrit, mis au point avant publication176.
5.21. Dans cet ouvrage, M. Pfennigwerth fait référence à certaines «Instructions à l’intention
des navires effectuant des patrouilles de défense du littoral de la Malaisie occidentale, également
désignées sous l’acronyme MALPOS»177. La principale source citée dans la note de bas de page
correspondante est la suivante : «Archives nationales du Royaume-Uni, dossier
DEFE 24/98  Rapport sur les opérations navales en Malaisie orientale et occidentale, 1964-1966,
COMFEF, lettre 1763.FEF.143/12 OPS du 23 novembre 1966»178. M. Pfennigwerth mentionne
ensuite «la deuxième édition des MALPOS, publiée en mars 1965», qui constitue un «recueil
complet d’instructions sur la préparation et la conduite des patrouilles»179. Si M. Pfennigwerth, une
personne privée, a été en mesure de consulter ces instructions, la Malaisie aurait certainement pu
elle aussi y avoir accès sans grand effort. De plus, les archives nationales du Royaume-Uni ont
173 Demande en revision, par. 36.
174 Correspondance avec les archives nationales du Royaume-Uni concernant la date de mise à la disposition du
public des dossiers DEFE 69/539 et DEFE 24/98, 4 et 25 avril 2017, jointe aux présentes observations écrites en tant
qu’annexe 2.
175 Pfennigwerth, Ian, Tiger Territory: The Untold Story of the Royal Australian Navy in Southeast Asia from
1948 to 1971, Kenthurst, Nouvelle-Galles du Sud, Rosenberg Publishing, 2008.
176 Ibid., p. 9.
177 Ibid., p. 187.
178 Pfennigwerth, Ian, Tiger Territory: The Untold Story of the Royal Australian Navy in Southeast Asia from
1948 to 1971, Kenthurst, Nouvelle-Galles du Sud, Rosenberg Publishing, 2008, p. 307-308, note 79.
179 Ibid., p. 187.
67
68
- 41 -
informé Singapour qu’elles avaient rendu le dossier DEFE 24/98 accessible à des fins de recherche
dès janvier 1998180.
5.22. La Malaisie omet également de préciser que cette même série d’instructions contenant
le croquis non seulement était librement accessible depuis janvier 1998, comme le confirment les
archives nationales britanniques, mais était en outre partiellement reproduite dans l’annexe d’une
pièce de procédure écrite en l’affaire initiale. Au paragraphe 32 de la demande en revision, la
Malaisie s’y réfère sous l’intitulé «Instructions à l’intention des navires effectuant des patrouilles
de défense du littoral de la Malaisie occidentale». Or, l’annexe 33 de la réplique de Singapour dans
l’affaire initiale contenait des extraits d’un document portant le même intitulé.
5.23. Il ressort également de l’annexe 33 que des exemplaires de la série d’instructions
contenant le croquis ont été distribués à diverses autorités malaisiennes, dont l’«inspecteur général
de la police royale malaisienne», le «département de la marine du ministère de la défense à
Kuala Lumpur (Malaisie)» et le «responsable du bureau naval chargé de la Malaisie
occidentale … pour les navires de la marine royale malaisienne»181. Ainsi, la Malaisie est en
possession de la série d’instructions contenant le croquis depuis plus de cinquante ans.
5.24. La Malaisie était donc en mesure d’obtenir ce croquis bien avant le prononcé de l’arrêt.
3. Conclusion
5.25. Pour toutes ces raisons, il ne fait aucun doute que «l’une des conditions essentielles de
recevabilité d’une demande en revision, posée à l’article 61, paragraphe 1, du Statut, celle de
l’ignorance non fautive d’un fait nouveau, n’est pas satisfaite»182. La Malaisie a commis une faute
en n’obtenant pas en temps utile l’ensemble des documents qu’elle présente aujourd’hui comme
des «faits nouveaux».
C. LA MALAISIE N’A PAS FORMÉ SA DEMANDE EN REVISION DANS UN DÉLAI DE
SIX MOIS APRÈS LA DÉCOUVERTE ALLÉGUÉE DES «FAITS NOUVEAUX»
5.26. La Malaisie n’a pas non plus satisfait à la condition énoncée au paragraphe 4 de
l’article 61 du Statut, qui dispose que «[l]a demande en revision d[oit] être formée au plus tard dans
le délai de six mois après la découverte du fait nouveau».
5.27. Au paragraphe 23 de sa demande en revision, la Malaisie précise avoir effectué «[d]u
4 août 2016 au 30 janvier 2017 ... des recherches dans les archives nationales du Royaume-Uni à
Londres»183. Cette précision appelle un certain nombre d’observations.
180 Voir correspondance avec les archives nationales du Royaume-Uni concernant la date de mise à la disposition
du public des dossiers DEFE 69/539 et DEFE 24/98, 4 et 25 avril 2017, jointe aux présentes observations écrites en tant
qu’annexe 2. Dans la lettre datée du 25 avril 2017 (annexe 2, p. A15), le bureau du directeur des archives nationales du
Royaume-Uni mentionne l’existence d’«un élément … retenu (expurgé) [dans le dossier DEFE 24/98] pour être conservé
par le ministère de la défense». Le croquis n’en fait pas partie.
181 Réplique de Singapour, vol. 3, annexe 33, p. 244.
182 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 207, par. 28.
183 Demande en revision, par. 23.
69
70
- 42 -
5.28. Premièrement, le fait même que ces recherches aient été effectuées montre que la
Malaisie estimait ne pas avoir procédé, dans le cadre de l’affaire initiale, à des recherches aussi
exhaustives qu’elles auraient dû l’être. Deuxièmement, s’agissant des documents soumis à
l’annexe 1 de sa demande en revision, la Malaisie affirme que les archives pertinentes ont été
ouvertes au grand public en 2013184, mais n’explique nullement pourquoi elle a attendu trois ans
encore avant de se mettre en quête de nouveaux documents. Troisièmement, elle ne fait aucune
mention dans sa demande en revision du caractère tardif de la «découverte» des documents figurant
aux annexes 2 et 3. Quatrièmement, elle n’y précise pas non plus la date exacte de la prétendue
«découverte» de l’un quelconque de ses «documents nouveaux».
5.29. C’est à la Malaisie, en tant que demandeur, qu’incombe la charge de démontrer qu’il
est satisfait aux conditions de recevabilité prescrites à l’article 61 du Statut, y compris à celle
relative au délai de six mois185. L’on ne saurait attendre de Singapour, en tant que défendeur,
qu’elle réfute des éléments de preuve non communiqués.
5.30. Cela étant, il est clair que les documents présentés par la Malaisie à l’appui de sa
demande en revision ne satisfont pas à la condition relative au délai de six mois prévue au
paragraphe 4 de l’article 61. Dans un article de blog publié le 29 mars 2015 sous l’intitulé «Faits
nouveaux en faveur d’une demande en revision», M. Shaharil Talib déclare ce qui suit :
«Le dernier élément de preuve décisif pour la demande en revision de l’arrêt est
un autre document rendu public en 2013 par les archives du Royaume-Uni. Ce
document révèle trois faits nouveaux importants, jusqu’alors inconnus.
Premièrement, il recense toutes les intrusions de patrouilleurs indonésiens dans
les eaux territoriales singapouriennes du détroit de Singapour au sujet desquelles le
Gouvernement de la colonie de Singapour a approché les autorités indonésiennes. Les
incidents répertoriés ont eu lieu entre 1955 et 1958 ; ils se sont produits notamment à
proximité de Mata Ikan, du phare Raffles et de Pulau Senang. Il n’est fait aucune
mention du phare Horsburgh et de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh dans la liste des
intrusions dans les eaux territoriales singapouriennes.
Deuxièmement, le document révèle un autre élément de preuve crucial en ce
qu’il fait mention d’un incident survenu dans le périmètre des eaux territoriales de
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ; dans leur correspondance officielle, les autorités
locales de Singapour ont indiqué que cet incident s’était produit dans les eaux
territoriales du Johore, ce qui a également été rapporté dans la presse locale.
L’incident en question n’a jamais été inscrit sur la liste des intrusions dans les eaux
territoriales singapouriennes. Il s’agit là d’un fait décisif.
Le troisième fait nouveau concerne l’observation formulée par les autorités
singapouriennes selon laquelle l’extension à 6 milles de la largeur des eaux
territoriales dans le détroit de Singapour, telle que proposée, ne serait pas dans
l’intérêt de cette dernière pour les raisons suivantes :
«a) Les abords de Singapour suivent des chenaux entre les îles
indonésiennes au sud et la partie continentale de la Fédération de
Malaya [l’Etat et le territoire du Johore] au nord. Ces chenaux n’ont
que 8,5 milles de large dans leurs sections les plus étroites, tant à
l’ouest qu’à l’est. Porter à 6 milles la largeur des eaux territoriales
184 Demande en revision, par. 25.
185 Voir également plus haut, par. 1.4.
71
- 43 -
aurait par conséquent pour effet de fermer l’abord de Singapour par
des chenaux de haute mer.
b) 2. [sic] Il est donc important pour Singapour que la limite des eaux
territoriales reste fixée à 3 milles. Cependant, s’il se révélait
nécessaire d’accepter en fin de compte une application générale de la
limite des 6 milles, il faudrait non seulement réaffirmer le droit de
passage inoffensif dans les détroits internationaux ainsi créés, mais
encore veiller à ce que soit ménagé un couloir international de haute
mer de un mille de large dans les détroits entre Singapour et le
territoire de la Fédération de Malaya au nord et Singapour et le
territoire de l’Indonésie au sud. Ce couloir devrait suivre le chenal de
navigation normal d’ouest en est qui se présente approximativement
comme suit. A partir d’un point situé à 3 milles au nord du
phare Brothers jusqu’à un point situé à 1 mille au nord du
phare Horsburgh, en passant successivement par un point situé à
3 milles au sud du phare Sultan Shoal, un point situé à 2 milles au sud
du phare Raffles, et un point situé à mi-chemin entre le point le plus
méridional de St John’s Island et le phare Batu Berhanti.»
Il est évident que, si la colonie de Singapour avait eu souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, la question de la fermeture de l’entrée dans le détroit
de Singapour par la haute mer, depuis la mer de Chine méridionale, ou de la sortie
vers ladite mer n’aurait jamais été soulevée en 1958.»186
5.31. Les éléments qui sont à la base de la demande en revision et les «faits nouveaux»
décrits dans l’article de M. Shaharil coïncident dans une large mesure. Ce dernier avait déjà
connaissance des documents annexés à la demande au début de l’année 2015, si ce n’est avant.
5.32. M. Shaharil a participé à la procédure orale en l’affaire initiale et est présenté dans
l’arrêt comme un membre de la délégation malaisienne, sous la désignation «directeur du service
des études spéciales du cabinet de l’Attorney-General de la Malaisie»187. Selon le curriculum vitae
figurant sur le blog, M. Shaharil occupe toujours cette fonction188. Ce qui est connu de M. Shaharil
l’est donc également de la Malaisie.
5.33. Ainsi que l’ont relevé MM. Zimmermann et Geiss,
«pour établir si le fait était inconnu de l’Etat demandeur, il convient de rechercher si
celui qui en avait connaissance est assimilable à l’Etat189. Par analogie avec l’article 4
des articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat,
l’Etat doit être réputé avoir connaissance de ce que connaissent ses organes190, en
186 Shaharil Talib, article en date du 29 mars 2015 intitulé «Faits nouveaux en faveur d’une demande en revision»
et disponible à l’adresse suivante : http://indefenceofresearch.blogspot.com/2015/03/new-facts-for-revisiona….
html (dernière consultation le 24 avril 2017) ; joint aux présentes observations écrites en tant qu’annexe 3.
187 Arrêt, p. 16, préambule.
188 Curriculum vitae de M. Dato’ Dr Shaharil Talib, non daté, accessible via un lien sur le site
http://indefenceofresearch.blogspot.com renvoyant vers l’adresse http://www.scribd.com/doc/15984859/CV-Prof-
Shaharil (dernière consultation le 15 avril 2017) ; joint aux présentes observations écrites en tant qu’annexe 4.
189 Note 186 dans l’original : «Pour ce qui est de l’attribution de la connaissance, voir, de manière générale,
l’affaire du Détroit de Corfou, C.I.J. Recueil 1949, p. 17-22.» [Traduction du Greffe.]
190 Note 187 dans l’original :
72
73
- 44 -
particulier s’agissant de personnes qui l’ont représenté dans le cadre de l’affaire
initiale191.»192
Bien qu’elle ait été formulée dans le contexte de la connaissance aux fins du paragraphe 1 de
l’article 61, cette observation s’applique également au paragraphe 4 du même article.
5.34. A cet égard, il est révélateur que l’accès au blog de M. Shaharil ait été interdit en
Malaisie et que celui-ci demeure actuellement inaccessible sur le territoire malaisien. En lieu et
place s’affichent des notifications indiquant que «[c]e site n’est pas accessible en Malaisie pour
violation(s) de la législation nationale»193, à savoir du paragraphe 2 de l’article 263 et de
l’article 233 de la loi de 1998 sur les communications et les multimédias (Malaisie)194. Il ressort
clairement du paragraphe 2 de l’article 263 de cette loi et de l’une des notifications que l’accès au
blog a été interdit sur demande écrite de la commission malaisienne des communications et des
multimédias, un organisme gouvernemental malaisien. La Malaisie a donc parfaitement
connaissance de ce blog. La Cour pourra tirer ses propres conclusions de cette coïncidence entre
l’interdiction de l’accès au blog en Malaisie et le dépôt de la demande en revision.
5.35. Il est en conséquence tout à fait évident que la Malaisie a découvert les «faits
nouveaux» en mars 2015, sinon avant. En ne déposant sa demande en revision que le
2 février 2017, elle n’a pas satisfait à la condition relative au délai de six mois prescrite par le
paragraphe 4 de l’article 61 du Statut.
«Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat pour fait
internationalement illicite, Nations Unies, doc. A/56/10 ; Demande en revision de l’arrêt du
11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie
c. Bosnie-Herzégovine), CR 2002/40, p. 62 (Varady), où l’article 4 de la CDI a été appliqué dans le
contexte de la découverte du fait pour établir que le délai avait été observé et que les actes et la
connaissance de M. Koštunica ne pouvaient être attribués à la RFY, l’intéressé ayant agi en tant que
personne privée à l’époque pertinente ; voir également CR 2002/41, p. 28 (van Biesen).» [Traduction du
Greffe.]
191 Note 188 dans l’original : «S’agissant de la représentation des parties par des agents, conseils et avocats, cf.
Berman sur l’article 42, passim.» [Traduction du Greffe.]
192 Zimmermann, Andreas, et Geiss, Robin : Article 61 (The Statute of the International Court of Justice: A
Commentary, Andreas Zimmermann et al., sous la dir. de., 2e éd., Oxford : Oxford University Press, 2012, p. 1522).
[Traduction du Greffe.]
193 Capture d’écran de la notification indiquant que le site www.indefenceofresearch.blogspot.my est inaccessible
en Malaisie (dernière consultation le 27 avril 2017 en Malaisie) ; jointe aux présentes observations écrites en tant
qu’annexe 5.
194 Capture d’écran de la notification précisant que l’accès au site www.indefenceofresearch.blogspot.my a été
interdit en Malaisie pour violation de la loi de 1998 sur les communications et les multimédias (Malaisie) (dernière
consultation le 27 avril 2017 en Malaisie) ; jointe aux présentes observations écrites en tant qu’annexe 6.
74
- 45 -
CHAPITRE VI
L’INOBSERVATION PAR LA MALAISIE DE LA CONDITION RELATIVE
À L’«INFLUENCE DÉCISIVE»
6.1. Ainsi qu’il a été exposé au chapitre IV195, la Malaisie doit satisfaire à toutes les
conditions prévues à l’article 61 du Statut. Celui-ci exige notamment que les «faits nouveaux»
allégués soient de nature à exercer une influence décisive. La Malaisie n’a, là encore, pas satisfait à
cette condition. Les «faits nouveaux» qu’elle met en avant ne sont pas de telle nature et ne
permettent en aucun cas de juger la demande en revision recevable au regard du paragraphe 1 de
l’article 61.
6.2. Afin de déterminer s’il est satisfait à la condition de l’«influence décisive», la Cour
évalue le fait nouvellement découvert à la lumière des éléments sur lesquels elle avait fondé son
arrêt196. Pour qu’un fait soit de nature à exercer une influence décisive, il faut, comme l’a dit la
Chambre en l’affaire El Salvador c. Honduras, qu’il «infirme … les conclusions auxquelles la
[Cour] était parvenue» en l’affaire initiale197.
6.3. Au chapitre II, Singapour a examiné les éléments décisifs qui ont conduit la Cour à lui
reconnaître la souveraineté sur Pedra Branca. Ainsi qu’elle le démontrera dans le présent chapitre,
les faits supposément révélés par les «documents nouvellement découverts» de la Malaisie
«n’entament en rien»198 le raisonnement que la Cour a tenu dans l’arrêt. Au contraire, ces
«documents nouvellement découverts» sont similaires à ceux que la Cour a écartés pour défaut de
pertinence en l’affaire initiale.
A. Le faux jour sous lequel la Malaisie présente le raisonnement
de la Cour en l’affaire initiale
6.4. Singapour doit répondre d’emblée à la présentation erronée que donne la Malaisie du
raisonnement tenu dans l’arrêt lorsqu’elle affirme ceci :
«Si elle a, dans son arrêt de 2008, examiné la pratique postérieure à 1953, la
Cour l’a fait au travers du prisme de la correspondance de cette année-là, à laquelle
elle a accordé un poids décisif. Or les documents de 1958 récemment mis au jour
contredisent directement cette approche, remettant en question non seulement
l’importance déterminante conférée à la correspondance de 1953, mais également
l’appréciation de la pratique postérieure à cette date.»199 (Les italiques sont de nous.)
195 Voir plus haut, par. 4.2-4.3.
196 Voir plus haut, par. 2.1 et les sources qui y sont citées. Voir également Tribunal arbitral mixte
franco-allemand, Baron de Neuflize (France) c. Diskontogesellschaft et al. (Allemagne), 1927, Recueil des décisions des
Tribunaux arbitraux mixtes, vol. 7, p. 629 ; Demande en revision de l’arrêt du 11 septembre 1992 en l’affaire du
Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)) (El Salvador
c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 409-410, par. 50-51 ; Geiss, Robin : «Revision Proceedings before the
International Court of Justice» (Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht, vol. 63, 2003, p. 182).
197 Demande en revision de l’arrêt du 11 septembre 1992 en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et
maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)) (El Salvador c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 410,
par. 53.
198 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 213, par. 38.
199 Demande en revision, par. 3.
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6.5. La Malaisie présente ici l’arrêt sous un faux jour. Si la Cour lui a certes reconnu une
«importance capitale»200, la correspondance de 1953 n’allait cependant pas jusqu’à revêtir
l’«importance déterminante» que la Malaisie cherche à lui attribuer. Ainsi qu’il est exposé au
chapitre II, la décision de la Cour de reconnaître à Singapour la souveraineté sur Pedra Branca
reposait sur quatre éléments cruciaux — parmi lesquels la correspondance de 1953 —, dont chacun
avait son importance en lui-même201. La Malaisie se fonde sur cette présentation erronée, qu’elle
répète aux paragraphes 40 et 41 de sa demande en revision, pour étayer l’assertion selon laquelle
son «fait nouveau» serait de nature à exercer une influence décisive.
6.6. En outre, la Malaisie soutient que le
«fait nouveau, en cas de réexamen, conduirait inévitablement … à une conclusion
différente concernant l’existence d’un transfert à Singapour du titre du Johor sur l’île.
Cela est d’autant plus vrai que, au cours de la procédure initiale, la conclusion de la
Cour selon laquelle la souveraineté avait été transférée par suite d’un accord informel
s’étant peu à peu fait jour entre les Parties ne découlait pas des demandes de celles-ci
ni de renseignements qu’elle aurait recherchés.»202
6.7. Il n’existe aucun élément factuel autorisant la Malaisie à soutenir que, «au cours de la
procédure initiale, la conclusion de la Cour selon laquelle la souveraineté avait été transférée par
suite d’un accord informel s’étant peu à peu fait jour entre les Parties ne découlait pas des
demandes de celles-ci ni de renseignements qu[e la Cour] aurait recherchés»203. La raison en est
que la Cour n’a tout simplement jamais fait la moindre référence à un tel «accord informel», et
encore moins conclu qu’il s’était fait jour. Elle a seulement déclaré ce qui suit :
«[L]es faits pertinents, dont le comportement des Parties, examinés plus haut et
résumés aux deux paragraphes précédents témoignent d’une évolution convergente
des positions de celles-ci concernant le titre sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. La
Cour conclut, au vu, notamment, du comportement à titre de souverain de Singapour
et de ses prédécesseurs, considéré conjointement avec celui de la Malaisie et de ses
prédécesseurs, et notamment avec le fait que celle-ci soit demeurée sans réaction face
au comportement de Singapour et de ses prédécesseurs, que, en 1980, la souveraineté
sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh était désormais détenue par Singapour.»204
B. Les «faits nouveaux» de la Malaisie n’entament en rien
le raisonnement de la Cour
6.8. Au chapitre II, Singapour a longuement exposé le contenu de l’arrêt, lequel était fondé
sur quatre éléments cruciaux205. Les «faits nouveaux» de la Malaisie n’entament en rien ces
différents éléments.
6.9. Premièrement, pour ce qui est de la correspondance de 1953, que la Cour a jugée
«essentiell[e] pour déterminer comment [avaient] évolué les vues des deux Parties à propos de la
200 Arrêt, par. 275.
201 Voir plus haut, par. 2.2 et 2.3.
202 Demande en revision, par. 41.
203 Ibid.
204 Arrêt, p. 96, par. 276.
205 Voir plus haut, par. 2.42-2.46.
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souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»206, la Malaisie s’appuie sur ses «documents
nouveaux» pour soutenir qu’il existe quelque «fait nouveau» éclairant les vues qui auraient été
celles des autorités singapouriennes au sujet de la souveraineté de Singapour sur Pedra Branca. La
Malaisie a mal interprété la conclusion de la Cour relative à la correspondance de 1953, qui est que
«la réponse du Johor montr[ait] que, en 1953, celui-ci considérait que la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne lui appartenait pas»207. En d’autres termes, la Cour a mis
l’accent sur les vues du Johor, et non de Singapour, quant à la souveraineté sur Pedra Branca.
Aucun des documents sur lesquels la Malaisie fonde sa demande en revision n’entame l’importance
de la déclaration du secrétaire d’Etat par intérim du Johor selon laquelle le Johor ne revendiquait
pas la propriété de Pedra Branca (c’est-à-dire la souveraineté sur l’île, a estimé la Cour)208 — une
déclaration sur laquelle ni le Johor ni la Malaisie ne sont jamais revenus par la suite.
6.10. Deuxièmement, la Cour a cité diverses activités accomplies par Singapour à titre de
souverain sur Pedra Branca ou en rapport avec celle-ci, essentiellement après 1953, ainsi que
l’acceptation de ces activités par la Malaisie, ou son absence de réaction ou de protestation à
l’égard de l’une ou de l’autre, comme jouant un rôle essentiel dans sa conclusion selon laquelle, en
1980, la souveraineté sur Pedra Branca était détenue par Singapour. Il est significatif que la grande
majorité de ces activités ait eu lieu après 1966, à savoir la date la plus récente qui figure dans les
documents sur lesquels la Malaisie fait fond dans sa demande en revision. A propos de ces
activités, la Cour a relevé dans plusieurs passages de l’arrêt qu’elles venaient «étayer de manière
appréciable» la thèse de Singapour209. Les «faits nouveaux» de la Malaisie n’entament en rien le
raisonnement tenu par la Cour à cet égard.
6.11. Troisièmement, la Cour s’est appuyée sur les propres publications et cartes officielles
de la Malaisie, dont la plupart étaient également postérieures à 1966, pour étayer sa décision sur la
souveraineté. Ainsi, s’agissant du fait que la Malaisie n’avait pas inclus Pedra Branca au nombre de
ses stations météorologiques dans un document officiel publié après l’accession de Singapour à
l’indépendance, la Cour a déclaré qu’elle considérait, «au bénéfice de Singapour», que cette
omission n’était «pas sans intérêt»210. De même, au sujet de plusieurs cartes officielles de la
Malaisie sur lesquelles Pedra Branca était assortie de la mention «Singapore», la Cour a jugé que
les annotations en question étaient «claires et qu’elles v[enaient] à l’appui de la thèse de
Singapour»211. Elle a conclu que «ces cartes tend[aient] à confirmer que la Malaisie considérait que
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh relevait de la souveraineté de Singapour»212. Aucun des documents
que la Malaisie a annexés à sa demande en revision n’entame le raisonnement tenu par la Cour à
cet égard.
6.12. Quatrièmement, la Cour a noté que la Malaisie n’avait pu citer le moindre acte qu’elle
eût jamais accompli en qualité de souverain sur Pedra Branca213. Cet aspect de son raisonnement
n’est, là encore, entamé en rien puisqu’aucun des documents sur lesquels la Malaisie se fonde
n’atteste l’existence d’une quelconque effectivité malaisienne sur Pedra Branca.
206 Arrêt, p. 75, par. 203 ; les italiques sont de nous.
207 Ibid., p. 80, par. 223 ; les italiques sont de nous.
208 Ibid.
209 Ibid., p. 83, par. 234 ; p. 85, par. 239. Voir également arrêt, p. 87, par. 246 ; p. 88, par. 248 ; et p. 88-89,
par. 250.
210 Ibid., p. 93-94, par. 266.
211 Ibid., p. 95, par. 271.
212 Ibid., par. 272.
213 Ibid., p. 96, par. 275. Voir également plus haut, par. 2.36-2.41.
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6.13. Compte tenu de ce qui précède, aucun des «faits nouveaux» allégués n’entame la
conclusion de la Cour selon laquelle la souveraineté sur Pedra Branca appartient à Singapour, pas
plus que son raisonnement sous-tendant cette conclusion. Aucun d’eux ne saurait donc exercer une
influence décisive.
C. Des documents similaires aux documents nouveaux de la Malaisie ont été écartés
par la Cour pour défaut de pertinence dans l’affaire initiale
6.14. Il est une autre raison encore pour laquelle les «faits nouveaux» de la Malaisie ne sont
pas de nature à exercer une influence décisive et ne sauraient être considérés comme tels. Dans
l’affaire initiale, la Cour a examiné –– mais n’a pas accepté –– des arguments que les Parties
avaient avancés sur la base de documents similaires à ceux sur lesquels s’appuie à présent la
Malaisie ; aucun de ces derniers ne peut, a fortiori, être considéré comme étant de nature à exercer
une influence décisive. Ce point est développé ci-après.
1. Annexe 1
6.15. L’annexe 1 de la demande en revision contient un échange de correspondance de 1958
relatif à la largeur de la mer territoriale. La Malaisie se fonde sur cet échange pour soutenir que, à
l’époque, Singapour ne considérait pas Pedra Branca comme sienne, et ne considérait pas
davantage que la correspondance de 1953 avait influé d’une manière ou d’une autre sur ses droits
territoriaux, tels qu’elle les concevait214.
6.16. Premièrement, dans l’affaire initiale, la Cour n’a pas considéré que la correspondance
échangée entre les autorités britanniques et l’administration coloniale au sujet de la largeur de la
mer territoriale revêtait une importance décisive pour la question de la souveraineté sur
Pedra Branca215. Comme il a été exposé au chapitre III216, l’échange de 1958 s’inscrivait dans le
contexte d’une évolution du droit de la mer concernant de «nouvelles méthodes de définition des
eaux territoriales», dans le sillage de l’arrêt rendu par la Cour en 1951 en l’affaire des Pêcheries.
Dans l’affaire initiale, la Cour a examiné une correspondance interne de Singapour de juillet 1953
relative aux mêmes questions, qui avait de fait été produite par la Malaisie217. La correspondance
de 1958 sur laquelle celle-ci tente à présent de s’appuyer est très similaire à celle de juillet 1953. Il
y a lieu de citer intégralement le paragraphe 225 de l’arrêt pour faire apparaître les similitudes entre
l’échange de 1953 et celui produit à l’annexe 1 de la demande en revision :
«Comme l’indique une correspondance interne de Singapour datée de
juillet 1953, les services du Foreign Office et du Colonial Office à Londres se livraient
à un vaste examen des questions relatives aux eaux territoriales. L’arrêt qu’avait peu
avant rendu la Cour en l’affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège) (arrêt,
C.I.J. Recueil 1951, p. 116) constituait un élément important de cet examen (cet arrêt
avait été rendu le 11 décembre 1951). Le secrétaire colonial de Singapour était
parvenu à la conclusion que, en raison des circonstances géographiques, la colonie
avait très peu à gagner des nouvelles méthodes de définition des eaux territoriales. En
revanche, «l’application des nouveaux principes par les Etats voisins … ne pou[v]ait
qu’entraîner une restriction peu souhaitable des zones de pêche généralement utilisées
214 Voir demande en revision, par. 25.
215 Voir arrêt, p. 81, par. 225.
216 Voir plus haut, par. 3.3.
217 Voir lettre, avec pièces jointes, de juillet 1953 adressée au commissaire général adjoint aux affaires coloniales
de Singapour par A. G. B. Colton, pour le secrétaire colonial de Singapour (mémoire de la Malaisie, vol. 3, annexe 68).
81
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par les pêcheurs de Singapour». «Par ailleurs, pour des raisons d’ordre général, la
fermeture d’espaces de haute mer par des Etats étrangers [était] contraire à l’intérêt
de cette colonie maritime densément peuplée, tributaire du commerce maritime.» La
lettre interne de juillet 1953 mentionnait en conclusion qu’une entente pour s’en tenir
aux méthodes antérieures de définition des eaux territoriales avait été trouvée avec
l’Indonésie en juillet 1951 et faisait état du souci de ne pas perturber les relations
qu’entretenaient alors la colonie et l’Indonésie. Dans ces conditions, l’absence de
réaction de la part des autorités à Singapour  ou à Londres, car c’est là qu’étaient
prises les décisions en dernier ressort  est loin d’être surprenante.»218 (Les italiques
sont de nous.)
A la lumière de l’extrait cité ci-dessus, il est clair que la Malaisie tente aujourd’hui de faire à
nouveau valoir un argument qui a déjà été examiné et écarté dans l’affaire initiale.
6.17. Deuxièmement, la Cour a également considéré comme dépourvu de pertinence un
nouveau dispositif de navigation applicable dans les détroits de Malacca et de Singapour, y compris
«dans la zone du phare Horsburgh»219, qui avait été établi en 1977 et jouait un rôle similaire à celui
du «couloir international de haute mer» proposé à l’annexe 1 de la demande en revision. La Cour a
jugé que ce dispositif «concern[ait] non pas des droits territoriaux mais la facilitation et la sécurité
de la navigation dans l’ensemble des détroits»220.
6.18. Troisièmement, s’agissant des références faites par le gouverneur, pour décrire le
«couloir international de haute mer», à plusieurs aides à la navigation situées dans le détroit de
Singapour, la Cour a rejeté un argument analogue que la Malaisie avait avancé dans l’affaire
initiale. La Malaisie avait alors tenté de tirer de l’extrait suivant, qui provenait d’un ouvrage de
J. A. L. Pavitt publié en 1966 par le conseil des droits de phare de Singapour, des conclusions au
sujet de la souveraineté sur Pedra Branca :
«Le conseil, institué par la loi de 1957, est chargé de la fourniture et de
l’entretien de tous types d’aides à la navigation dans les eaux de Singapour, ainsi que
pour les stations plus éloignées de Pedra Branca (Horsburgh) en mer de Chine
méridionale et de Pulau Pisang dans le détroit de Malacca. Dans les eaux de
Singapour, le conseil entretient les phares Raffles, Sultan Shoal et Fullerton,
trente-trois balises lumineuses, vingt-neuf balises non lumineuses, quinze bouées
lumineuses et huit bouées non lumineuses.»221
La Cour a donné raison à Singapour, qui avait fait valoir que les descriptions étaient «d’ordre
purement géographique»222 et donc dépourvues de pertinence aux fins de la question de la
souveraineté sur Pedra Branca. Cette conclusion s’applique également aux documents présentés à
l’annexe 1 de la demande en revision, qui sont tout aussi dépourvus de pertinence aux fins de cette
même question.
218 Arrêt, p. 80-81, par. 225.
219 Voir mémoire de Singapour, annexe 134, p. 1060.
220 Arrêt, p. 91, par. 260.
221 Extrait reproduit dans l’arrêt, p. 93, par. 263. Voir également plus haut, par. 2.27.
222 Arrêt, p. 93, par. 264.
83
- 50 -
2. Annexe 2
6.19. L’annexe 2 de la demande en revision contient plusieurs documents relatifs à un
incident concernant le Labuan Haji et une canonnière indonésienne, à savoir un message d’un
certain M. Wickens223, accompagné de comptes rendus manuscrits224 et de deux coupures de
journaux rapportant l’incident, dont l’une est tirée du Straits Times et l’autre, du Singapore
Standard. Tirant argument d’indications vagues et imprécises, dans ces documents, selon lesquelles
l’incident aurait eu lieu «près du phare Horsburgh», la Malaisie soutient que les eaux territoriales
entourant Pedra Branca appartenaient au Johor (et lui appartiennent en conséquence). Dans l’affaire
initiale, cependant, la Cour n’a accordé aucune importance à des documents tout aussi vagues et
imprécis, et aucune importance ne devrait donc être accordée à ceux versés sous l’annexe 2.
6.20. Premièrement, dans la veine de son argument actuel fondé sur les termes «près du
phare Horsburgh»225, la Malaisie s’appuyait alors sur une correspondance de 1844 entre le
gouverneur de Singapour et le temenggong de Johor concernant la construction d’«un phare à
proximité de Point Romania»226 afin d’étayer sa thèse devant la Cour. Elle soutenait en particulier
que l’expression «à proximité de Point Romania» faisait aussi référence à Pedra Branca. Voici ce
que la Cour a déclaré :
«La Cour notera en tout état de cause que cet argument de la Malaisie se heurte
au fait que la correspondance semble être rédigée en des termes très généraux, et ne
comporte selon toute vraisemblance aucune référence particulière à
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.»227 (Les italiques sont de nous.)
6.21. Deuxièmement, la Cour s’est intéressée à un incident survenu en 1861 concernant des
pêcheurs singapouriens qui avaient été attaqués par des Malais du Johor alors qu’ils rentraient chez
eux après avoir pêché, selon eux, «près du phare de Pedro Branco»228. Dans l’affaire initiale, la
Malaisie avait appelé l’attention de la Cour sur une lettre du gouverneur britannique au temenggong
de Johor dans laquelle le gouverneur indiquait que l’incident avait eu lieu «à proximité du phare de
Pedro Branco»229 et demandait à ce que des sanctions fussent prises contre les assaillants. La
Malaisie faisait valoir que cette lettre démontrait que le gouverneur ne considérait pas Pedra Branca
comme britannique230. En ce qui concerne les arguments des Parties sur la question de savoir si cet
incident démontrait que les autorités coloniales britanniques avaient juridiction sur Pedra Branca et
ses eaux territoriales, la Cour a conclu que «la teneur des rapports singapouriens [était] trop
imprécise pour lui permettre de se prononcer sur les vues des autorités de Singapour à l’époque, en
ce qui concerne la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»231 (les italiques sont de nous).
223 Note en date du 25 février 1958 adressée au secrétaire du gouverneur, Harold Anthony Shaw, par «ER»
(demande en revision, annexe 2).
224 Comptes rendus internes manuscrits datés du 26 février 1958, dont le premier est signé par H. Shaw et adressé
à Son Excellence le gouverneur de Singapour, W. A. C. Goode, et le second, signé par W. A. C. Goode et adressé à son
secrétaire, Harold Anthony Shaw (demande en revision, annexe 2).
225 Demande en revision, par. 27 (les italiques sont de nous).
226 Arrêt, p. 53, par. 128 (les italiques sont de nous).
227 Ibid., p. 55, par. 134.
228 Contre-mémoire de Singapour, vol. 2, annexe 19, p. 194 (les italiques sont de nous).
229 Ibid.
230 Voir contre-mémoire de la Malaisie, par. 119-120 ; réplique de la Malaisie, par. 276.
231 Arrêt, p. 72, par. 191.
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- 51 -
6.22. Troisièmement, s’agissant de l’ordonnance de 1969 sur les eaux territoriales de la
Malaisie, la Cour a souligné ce qui suit :
«en raison de la généralité même des termes de l’ordonnance de 1969, l’argument de
la Malaisie fondé sur ce texte doit être rejeté. Cette ordonnance n’identifie pas, sauf de
la manière la plus générale, les zones auxquelles elle s’applique»232.
6.23. Ici également, en raison de «la généralité même» des documents produits à l’annexe 2,
l’argument de la Malaisie fondé sur ces derniers doit être rejeté.
3. Annexe 3
6.24. L’annexe 3 de la demande en revision contient un croquis qui fait partie d’une série
d’instructions navales illustrant certaines zones de couvre-feu ou d’accès restreint. La Malaisie tire
argument de l’absence de Pedra Branca sur ce croquis pour soutenir que, à l’époque, Singapour ne
considérait pas que ses droits territoriaux s’étendaient à l’île233.
6.25. Dans l’affaire initiale, la Malaisie s’appuyait également sur le fait que Pedra Branca
n’était pas visée par un arrêté de couvre-feu pris à Singapour en 1948 (dit l’«arrêté de couvre-feu
de 1948») pour étayer son argument selon lequel les autorités singapouriennes auraient été
conscientes de ce que Pedra Branca ne «faisa[it pas] partie du territoire de Singapour»234. Rejetant
l’argument de la Malaisie, la Cour a décidé ce qui suit :
«[C]omme Singapour le fait observer, il n’était pas davantage justifié d’étendre
l’interdiction [faite à quiconque de se trouver dans la zone visée entre 18 h 30 et
6 h 30 sans autorisation de la police] à une île aussi éloignée que de l’étendre aux îles
Cocos et Christmas, situées très loin dans l’océan Indien et qui à l’époque faisaient
partie de la colonie de Singapour.»235
Le même raisonnement s’applique précisément au croquis figurant à l’annexe 3 de la demande en
revision. Ainsi qu’exposé au chapitre III236, ce croquis n’était destiné à représenter que les zones
qui, au sud de l’île principale de Singapour, faisaient l’objet de restrictions établies en réponse à
des menaces contre la sécurité venant du sud. Aussi n’était-il «pas davantage justifié» d’étendre la
zone couverte par le croquis à Pedra Branca, qui se trouve à quelque 24 milles marins à l’est de
l’île principale de Singapour237.
6.26. En outre, comme il a été expliqué au chapitre II238, la Malaisie s’appuyait dans l’affaire
initiale sur des cartes de Singapour qui ne montraient pas Pedra Branca, ou ne la représentaient pas
comme appartenant au territoire singapourien, pour étayer son affirmation selon laquelle cette île
232 Arrêt, p. 90, par. 256.
233 Voir demande en revision, par. 33 et 35.
234 Mémoire de la Malaisie, par. 197.
235 Arrêt, p. 72, par. 189.
236 Voir plus haut, par. 3.28-3.34.
237 Voir arrêt, p. 22, par. 16.
238 Voir plus haut, par. 2.35.
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ne faisait pas partie des territoires sur lesquels Singapour estimait avoir des droits239. Or la Cour a
rejeté cet argument. En concluant son examen des cartes, elle a déclaré ceci :
«La Cour rappelle que, jamais avant 1995, Singapour n’a publié de carte
représentant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comme appartenant à son territoire. Elle
estime cependant que cette abstention revêt une bien moins grande importance que
celle qu’il convient d’accorder aux cartes publiées par la Malaya puis par la Malaisie
entre 1962 et 1975. La Cour conclut que ces cartes tendent à confirmer que la Malaisie
considérait que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh relevait de la souveraineté de
Singapour.»240 (Les italiques sont de nous.)
6.27. Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, la Malaisie n’a pas satisfait à la condition
de l’«influence décisive» prescrite par l’article 61 du Statut.
239 Voir arrêt, p. 94, par. 268.
240 Ibid., p. 95, par. 272.
- 53 -
RÉSUME DE L’ARGUMENTATION DE SINGAPOUR
1. Conformément à l’instruction de procédure II publiée par la Cour, Singapour fournit ciaprès
un bref résumé de l’argumentation exposée dans les présentes observations écrites.
2. Il incombe à la Malaisie de démontrer qu’elle a respecté toutes les conditions prescrites
par l’article 61 du Statut, le niveau de preuve requis à cet égard étant élevé. Exception faite de
l’obligation de former la demande en revision dans un délai de dix ans à dater de l’arrêt, la Malaisie
n’a respecté aucune de ces conditions.
3. La demande en revision est entachée de failles procédurales qui, en elles-mêmes,
constituent des motifs suffisants pour que la Cour déboute la Malaisie :
a) la Malaisie n’a pas formé sa demande en revision dans un délai de six mois après la découverte
des documents annexés à celle-ci. En effet, près de deux ans avant le dépôt de sa demande, la
plupart de ces documents avaient été publiés sur Internet par une personne qui faisait partie de
sa délégation en l’affaire initiale ;
b) la Malaisie n’a pas démontré avoir fait le moindre effort pour obtenir avant le prononcé de
l’arrêt de 2008 les documents annexés à sa demande en revision ;
c) la Malaisie soit avait connaissance soit aurait dû, si elle avait fait preuve d’une diligence
raisonnable, avoir connaissance des documents annexés à sa demande en revision avant le
prononcé de l’arrêt. Elle aurait pu tous se les procurer auprès des archives nationales du
Royaume-Uni avant 2008. Ces documents portent en outre sur des points dont la Malaisie avait
déjà connaissance ou que les Parties avaient déjà examinés dans l’affaire initiale, de sorte
qu’elle aurait pu les découvrir avant 2008 ;
d) la Malaisie avait, avant le prononcé de l’arrêt, connaissance des «faits nouveaux» sur lesquels
elle s’appuie — qu’il s’agisse i) du fait allégué que «Singapour n’estimait pas que la
correspondance de 1953 lui avait transféré la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh» ; ou ii) du fait allégué que «Singapour savait, aux plus hauts
niveaux, … que, dans les années ayant suivi cet échange [c’est-à-dire la correspondance de
1953], Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne faisait pas partie de son territoire souverain». En
l’affaire initiale, la Malaisie avait présenté à la Cour des arguments exhaustifs sur ces «faits».
4. En tout état de cause, la demande en revision ne satisfait pas à la condition de l’«influence
décisive» prévue au paragraphe 1 de l’article 61 du Statut.
5. Lorsque les «documents nouvellement découverts» de la Malaisie sont lus dans leur sens
véritable et dans leur contexte, il apparaît qu’aucun ne fait référence à la souveraineté sur
Pedra Branca ni ne revêt la signification que la Malaisie lui attribue :
a) dans la correspondance de 1958 (annexe 1), il était seulement proposé que Singapour fasse
établir un couloir de navigation dans l’éventualité où il serait permis aux Etats d’étendre la
largeur de leur mer territoriale. Ce couloir devait suivre le chenal de navigation normal, qui était
lui-même décrit de manière approximative par rapport à des aides à la navigation,
indépendamment de la question de la souveraineté sur les formations sur lesquelles ces aides
étaient établies ;
89
90
- 54 -
b) les documents relatifs à l’incident du Labuan Haji (annexe 2) ne contenaient aucune
information sur le lieu exact de l’incident. Le fait que celui-ci se soit produit «près» du
phare Horsburgh ne prouve absolument rien, compte tenu en particulier de la proximité des
eaux de la Malaya et de celles de Singapour dans cette zone ;
c) le croquis (annexe 3) visait à illustrer un dispositif de sécurité établi au sud de l’île principale de
Singapour pendant la période de la confrontation avec l’Indonésie. Point n’était donc besoin d’y
faire apparaître Pedra Branca.
6. Pour adjuger à Singapour la souveraineté sur Pedra Branca, la Cour s’était fondée dans
l’affaire initiale sur quatre éléments cruciaux, à savoir : i) la correspondance de 1953 montrant que
le Johor n’estimait pas avoir souveraineté sur Pedra Branca ; ii) les activités menées à titre de
souverain par Singapour, qui étaient quasiment toutes postérieures aux documents annexés à la
demande en revision, et l’acceptation de ces activités par la Malaisie ou son absence d’objection à
cet égard ; iii) les publications et cartes de la Malaisie, également postérieures pour la plupart aux
documents annexés à la demande en revision, qui représentaient Pedra Branca comme appartenant
à Singapour ; et iv) l’absence d’effectivités malaisiennes concurrentes.
7. Aucun des documents produits par la Malaisie n’entame l’un quelconque des quatre
éléments cruciaux sous-tendant le raisonnement de la Cour. Tous sont en revanche similaires à des
éléments que la Cour a examinés en l’affaire initiale, et qu’elle a jugés dépourvus de pertinence aux
fins de la question de la souveraineté.
___________
91
- 55 -
CONCLUSION
Pour les raisons exposées ci-dessus, la République de Singapour prie la Cour de dire et juger
que la demande en revision de l’arrêt présentée par la Malaisie est irrecevable.
L’Attorney-General,
agent du Gouvernement de la République de Singapour,
(Signé) Lucien WONG.
___________
93
- 56 -
CERTIFICATION
J’ai l’honneur de certifier que les documents annexés aux présentes observations écrites sont
des copies exactes et conformes des documents originaux.
L’Attorney-General,
agent du Gouvernement de la République de Singapour,
(Signé) Lucien WONG.
___________
95
- 57 -
LISTE DES ANNEXES
ANNEXE

DOCUMENT Page
1 Extraits d’instructions à l’intention des navires effectuant des patrouilles de
défense du littoral de la Malaisie occidentale (2e éd.) promulguées le
25 mars 1965 par l’officier responsable de la Malaisie occidentale et le
commandant de la flotte d’Extrême-Orient de la marine royale (MALPOS II)
58
2 Correspondance avec les archives nationales du Royaume-Uni concernant la
date de mise à la disposition du public des dossiers DEFE 69/539 et DEFE
24/98, 4 et 25 avril 2017
60
3 Shaharil Talib, article en date du 29 mars 2015 intitulé «Faits nouveaux
en faveur d’une demande en revision» et disponible à l’adresse suivante :
http://indefenceofresearch.blogspot.com/2015/03/new-facts-for-revision-…
cation.html (dernière consultation le 24 avril 2017)
62
4 Curriculum vitae de M. Dato’ Dr Shaharil Talib, non daté, accessible via un
lien sur le site http://indefenceofresearch.blogspot.com renvoyant vers
l’adresse http://www.scribd.com/doc/15984859/CV-Prof-Shaharil (dernière
consultation le 15 avril 2017)
69
5 Capture d’écran de la notification indiquant que le site
www.indefenceofresearch.blogspot.my est inaccessible en Malaisie (dernière
consultation le 27 avril 2017 en Malaisie)
75
6 Capture d’écran de la notification précisant que l’accès au site
www.indefenceofresearch.blogspot.my a été interdit en Malaisie pour violation
de la loi de 1998 sur les communications et les multimédias (Malaisie)
(dernière consultation le 27 avril 2017 en Malaisie)
76

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Observations écrites de Singapour

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