15003
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
DEMANDE EN INTERPRÉTATION DE L’ARRÊT DU 23 MAI 2008 EN L’AFFAIRE
RELATIVE À LA SOUVERAINETÉ SUR PEDRA BRANCA/PULAU BATU PUTEH,
MIDDLE ROCKS ET SOUTH LEDGE (MALAISIE/SINGAPOUR)
(MALAISIE c. SINGAPOUR)
OBSERVATIONS ÉCRITES PAR LESQUELLES LA MALAISIE RÉPOND AUX
OBSERVATIONS ÉCRITES DE SINGAPOUR CONTESTANT
LA COMPÉTENCE ET LA RECEVABILITÉ
15 février 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
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I. Introduction ............................................................................................................................... 1
II. L’arrêt rendu par la Cour le 23 mai 2008 ................................................................................... 4
A. Observations liminaires ....................................................................................................... 4
B. Le statut des eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ............................................. 6
C. Souveraineté sur South Ledge ........................................................................................... 10
D. Conclusion ......................................................................................................................... 14
Appendice : Statut constitutionnel de la zone pertinente .......................................................... 14
III. Compétence de la Cour et recevabilité de la requête ............................................................... 17
A. Existence d’une contestation entre les Parties ................................................................... 17
B. «Sens ou … portée de l’arrêt» ........................................................................................... 24
C. Recevabilité ....................................................................................................................... 27
IV. Résumé de l’argumentation ...................................................................................................... 29
V. Conclusions .............................................................................................................................. 30
VI. Liste des annexes ...................................................................................................................... 32
___________
I. INTRODUCTION1
1. Le 30 juin 2017, le Gouvernement de la Malaisie (ci-après «la Malaisie») a soumis à la
Cour une demande en interprétation de l’arrêt du 23 mai 2008 en l’affaire relative à la Souveraineté
sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour)
(respectivement, la «demande en interprétation» et l’«arrêt de 2008»). La République de Singapour
(ci-après «Singapour»), dans les observations écrites sur la demande en interprétation qu’elle a
présentées le 30 octobre 2017 (les «observations écrites de Singapour»), a contesté la compétence
de la Cour pour connaître de la demande en interprétation, ainsi que la recevabilité de la requête2.
2. Par une lettre en date du 15 novembre 2017 adressée à la Cour, la Malaisie, prenant acte
des exceptions à la compétence et à la recevabilité soulevées par Singapour, a demandé à être
autorisée à présenter en réponse ses propres observations écrites. Ayant donné à Singapour la
possibilité de réagir3, la Cour, par une lettre en date du 8 décembre 20174, a fait droit à cette
demande de la Malaisie, et fixé au 8 février 2018 la date d’expiration du délai dans lequel celle-ci
pourrait présenter ses observations. La Malaisie ayant, par une lettre en date du 29 janvier 2018,
demandé la prorogation de ce délai, cette date a été reportée au 15 février 20185.
3. Les présentes observations écrites de la Malaisie («observations écrites de la Malaisie» ou
«OEM») sont soumises conformément auxdites instructions de la Cour et en réponse aux
observations écrites de Singapour.
i) Les questions au coeur de la procédure
4. Dans sa requête, sous le titre «Interprétation demandée à la Cour», la Malaisie prie la Cour
de dire et juger a) que les eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh continuent de faire partie
des eaux territoriales de la Malaisie et b) que South Ledge est situé dans les eaux territoriales de la
Malaisie, ce dont il découle que la souveraineté sur South Ledge appartient à la Malaisie6.
5. Singapour récuse en doute la compétence de la Cour et la recevabilité de la demande en
interprétation. Elle aurait pu procéder autrement. Elle aurait pu affirmer que l’arrêt de la Cour est
clair et que, s’agissant des questions intéressant sa portée et son sens soulevées par la Malaisie, il
ne souffre aucune contestation raisonnable et valable. Elle s’en est bien gardée, toutefois, pour la
bonne et simple raison que, compte tenu de la conclusion à laquelle la Cour est parvenue dans son
arrêt de 2008, pareille allégation est indéfendable. Le fait que Singapour mette en cause la
compétence et la recevabilité, plutôt que de se placer sur le terrain du sens et de la portée de l’arrêt
de 2008, tend à indiquer qu’il existe entre les Parties une contestation, telle que prévue à
l’article 60 du Statut de la Cour et à l’article 98 du Règlement, quant au sens et la portée de certains
aspects précis du dispositif de cet arrêt.
1 Tous les documents cités dans le présent exposé écrit ont déjà été fournis à la Cour en tant qu’annexes à la
demande en interprétation de la Malaisie ou aux observations écrites de Singapour. Les références à ces annexes seront
systématiquement précisées.
2 Voir, notamment, les observations écrites de Singapour (OES), par. 1.13, le résumé de l’argumentation de
Singapour (p. 63-64, par. 2-5) et les conclusions (p. 65).
3 Singapour a soumis ses vues par une lettre datée du 24 novembre 2017.
4 Lettre du greffier en date du 8 décembre 2017 (149485).
5 Ibid. (149959).
6 Demande en interprétation, par. 56.
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6. S’agissant des demandes en interprétation, le Statut et le Règlement, s’ils traitent de la
compétence de la Cour et des modalités d’introduction de l’instance, ne prescrivent pas, au-delà, de
procédure particulière. La jurisprudence en la matière, très peu fournie puisque la Cour n’a été
saisie que de cinq demandes en interprétation et n’a conclu à sa compétence, et à la recevabilité de
la requête, que dans un seul de ces cas, donne à penser que, si elle se déclare compétente et juge la
requête recevable, la Cour rendra son interprétation dans la foulée. En d’autres termes, lorsqu’il
s’agit de demandes en interprétation, la compétence et la recevabilité ne sont pas des questions
préliminaires. Si une demande relève de la compétence de la Cour, telle que prévue à l’article 60 du
Statut et au paragraphe 2 de l’article 98 du Règlement, et si elle est par ailleurs recevable, alors il y
a bien, dans l’arrêt, un point précis dont l’interprétation est incertaine et il incombe à la Cour de
l’éclaircir.
7. Le point en question est succinct, mais il n’est pas sans conséquences en la présente
espèce. Singapour, dans ses observations écrites, n’est pas loin de reconnaître qu’une contestation
continue de couver entre elle-même et la Malaisie à propos des questions soulevées dans la
demande en interprétation. Cette contestation porte toutefois, selon elle, sur «l’étendue des espaces
maritimes revenant à chacune des Parties, et non [sur] le sens ou la portée de l’arrêt, qui ne traitait
que de souveraineté»7. De la même façon, Singapour écrit ailleurs, dans ses observations :
«Si contestation il y a, telle que ressortant des annexes jointes à la demande en
interprétation, elle concerne l’étendue des espaces maritimes et de l’espace aérien
surjacent revenant à chacune des Parties, et non la conclusion selon laquelle la
souveraineté sur l’île est singapourienne.»8
8. Pour la Malaisie, il existe en effet une contestation entre elle-même et Singapour quant
aux droits à l’espace aérien et maritime, mais cette contestation découle directement, foncièrement
et inéluctablement de l’incertitude associée au sens et à la portée des points 1) et 3) du dispositif de
l’arrêt de 2008, prévoyant i) que la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartient à la
République de Singapour et iii) que la souveraineté sur South Ledge appartient à l’Etat dans les
eaux territoriales duquel il est situé9.
9. La souveraineté sur l’espace maritime et aérien est fonction de la souveraineté sur le
territoire. Pour autant, la souveraineté sur l’espace maritime et aérien ne découle pas
automatiquement de la souveraineté sur le territoire. Il ne s’ensuit pas inexorablement, en droit,
qu’une île située dans son intégralité, et sans conteste, dans les eaux historiques puis dans la mer
territoriale d’un Etat dont la souveraineté à son égard est ultérieurement remise en cause, et dont la
Cour vient à juger qu’il l’a transférée à un autre par l’effet de l’«évolution convergente» d’une
pratique qui ne concerne que cette île, génère ses propres espaces maritimes. Il est à la fois
défendable et raisonnable d’affirmer que la décision de la Cour sur la souveraineté ne visait que
l’île elle-même, compte tenu des circonstances inhabituelles propres au différend relatif à la
souveraineté territoriale.
10. Telle est la position de la Malaisie en ce qui concerne Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. La
Malaisie comprend que Singapour pense autrement quoique, pour des raisons tactiques, en
l’espèce, elle ait hésité à cristalliser sa position quant à la souveraineté sur les eaux entourant
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et l’espace aérien surjacent. Elle y était réticente pour une raison
7 OES, par. 1.10.
8 Ibid., par. 3.2.
9 Arrêt de 2008, p. 101, par. 300.
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évidente et bien précise : l’eût-elle fait, les prémisses de son argument, en droit, auraient
nécessairement été que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh génère ses propres espaces maritimes et
aérien ; or, ce n’est pas ce qui découle forcément de l’arrêt de 2008.
11. En ce qui concerne South Ledge, le dispositif de l’arrêt de 2008 est incomplet et, partant,
des incertitudes demeurent quant à son sens et à sa portée, eu égard au compromis conclu par les
Parties priant la Cour de «déterminer si la souveraineté sur… South Ledge… appartient à la
Malaisie ou à la République de Singapour»10. En lui soumettant ce compromis et en lui conférant
compétence, les Parties s’attendaient à ce que la Cour statue sur ce point.
12. Du reste, la question de savoir à qui appartient la souveraineté sur South Ledge a peutêtre
été tranchée implicitement par la Cour dans son arrêt. C’est de fait ce que pense la Malaisie,
puisque South Ledge a été qualifié de haut-fond découvrant, qu’il relève, d’un point de vue
géographique, de Middle Rocks (sur lequel la Malaisie a souveraineté), et qu’il est situé dans des
eaux dont l’appartenance est historiquement et incontestablement malaisienne, sauf à tenir compte
de la revendication contestable que Singapour pourrait faire valoir au titre de sa prétention, non
cristallisée, des espaces maritimes générés par Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. La Malaisie
comprend que telle est de fait la position de Singapour. Une fois encore, poussée par la nécessité
tactique, celle-ci a toutefois pris garde de ne pas cristalliser sa position en ce qui concerne
South Ledge, et ce pour une raison évidente et bien précise : l’eût-elle fait, les prémisses de son
argument, en droit, auraient nécessairement été que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh génère ses
propres espaces maritimes et aérien alors que ce n’est pas forcément ce qui découle de l’arrêt de
2008 et que les espaces maritimes ainsi générés englobent South Ledge alors que
South Ledge relève, sur le plan géographique, non pas de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, mais de
Middle Rocks.
13. Vue sous ce jour, la contestation avec Singapour que la Malaisie prie la Cour de trancher
en interprétant son arrêt de 2008 concerne à l’évidence le sens et la portée d’aspects précis du
dispositif dudit arrêt. C’est là un constat implacable. Les exceptions de Singapour à la compétence
et à la recevabilité ne sont qu’un écran de fumée destiné à escamoter les divergences existant entre
les Parties sur le sens et la portée de l’arrêt de 2008 quant au statut des eaux entourant
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et à la souveraineté sur South Ledge.
14. Singapour s’emploie de même à détourner l’attention lorsqu’elle soutient que la demande
en interprétation représente de la part de la Malaisie une «tentative d’obtenir l’examen en appel de
l’arrêt [de 2008]»11. Ce ne saurait être le cas : vu la teneur de la contestation entre la Malaisie et
Singapour quant au sens et à la portée de l’arrêt de 2008, il n’y a pas matière à interjeter appel. La
Malaisie considère que les eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh sont des eaux
territoriales malaisiennes, nonobstant la conclusion de la Cour attribuant à Singapour la
souveraineté sur cette île. De même, elle considère que la souveraineté sur South Ledge lui revient
compte tenu, notamment, de ce que la Cour lui a attribué la souveraineté sur Middle Rocks, et de ce
que South Ledge relève, d’un point de vue géographique, non pas de Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh, mais de Middle Rocks. Singapour, à l’évidence, nourrit un point de vue différent,
puisqu’elle reconnaît l’existence d’une contestation entre la Malaisie et elle-même quant à leurs
droits sur les espaces maritimes s’étendant autour de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et de
South Ledge, et l’espace aérien surjacent.
10 Arrêt de 2008, p. 17-19, par. 2.
11 Voir OES, notamment au paragraphe 1.31.
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15. Le différend dont la Malaisie a saisi la Cour par sa demande en interprétation est bien, à
tous égards, une contestation quant au sens et à la portée d’aspects précis du dispositif de l’arrêt
rendu par la Cour en 2008.
ii) Plan des présentes observations écrites
16. Compte tenu de ce qui précède, la Malaisie articulera comme suit sa réponse aux
exceptions soulevées par Singapour à la compétence de la Cour et à la recevabilité de la demande
en interprétation. Premièrement, dans la section II, elle analysera les parties de l’arrêt de 2008 qui
intéressent la question du statut des eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et la
souveraineté sur South Ledge. Deuxièmement, dans la section III, elle traitera directement des
exceptions de Singapour à la compétence et à la recevabilité, en revenant plus en détail sur
l’existence d’une contestation entre la Malaisie et Singapour visant le sens et la portée de la
conclusion exposée dans l’arrêt de 2008 quant au statut des eaux entourant Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh et à la souveraineté sur South Ledge.
II. L’ARRÊT RENDU PAR LA COUR LE 23 MAI 2008
A. Observations liminaires
17. Singapour présente de manière totalement erronée la demande en interprétation formée
en vertu de l’article 60 du Statut et de l’article 98 du Règlement de la Cour, en l’assimilant, d’une
part, à «une deuxième tentative de la Malaisie d’obtenir l’examen en appel de l’arrêt»12 et en
prétendant, d’autre part, que «la Malaisie cherche [par cette voie] à obtenir que la Cour se prononce
sur des questions qui n’étaient pas en cause dans l’affaire initiale»13. Or, comme Singapour le sait
pertinemment, il n’existe aucun mécanisme d’appel en ce qui concerne les décisions de la Cour. La
demande présentée par la Malaisie vise à obtenir de la Cour une interprétation à la lumière de la
«contestation sur le sens et la portée» de son arrêt, ainsi que le permet l’article 60, dont elle entre
pleinement dans les prévisions. Il ne s’agit pas, par ce biais, de rouvrir l’affaire, mais simplement
d’obtenir de la Cour des éclaircissements sur deux points que la Malaisie tient pour incertains, et
qui sont essentiels et controversés entre elle et Singapour.
18. Les Parties avaient signé à Putrajaya, le 6 février 2003, un compromis qui est entré en
vigueur le 9 mai suivant. Dans ce cadre, elles étaient convenues de présenter à la Cour, au titre du
paragraphe 1 de l’article 36, la demande suivante :
«Article 2
Objet du litige
La Cour est priée de déterminer si la souveraineté sur
a) Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ;
b) Middle Rocks ;
c) South Ledge,
12 OEM, par. 1.5.
13 Ibid.
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appartient à la Malaisie ou à la République de Singapour.»14
19. Le compromis était parfaitement clair. La Cour était priée de déterminer à qui, de la
Malaisie ou de Singapour, revenait la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle
Rocks et South Ledge. Rien de plus, rien de moins. La Cour n’était pas invitée à se pencher sur un
différend relatif à la délimitation maritime, ni à traiter de questions intéressant la zone économique
exclusive, les droits de navigation ou les zones de pêche. Mais et c’est là le point important il
lui était demandé d’attribuer la souveraineté et elle a d’ailleurs elle-même reconnu que le différend
était «relatif à la souveraineté sur un territoire»15.
20. Le juge Huber avait fait cette observation, restée célèbre, que «pour qu’une partie de la
terre soit reconnue comme rentrant dans un Etat déterminé, la condition juridique nécessaire est
que ce territoire se trouve soumis à la souveraineté de l’Etat»16. La souveraineté d’un Etat sur un
espace géographique place ainsi celui-ci sous la juridiction de cet Etat, à l’exclusion de la
compétence d’un autre. C’est là un principe essentiel du droit international, dont découlent un
certain nombre de principes et de normes. La souveraineté territoriale est au coeur du droit
international, aussi bien classique que moderne. En dépit de l’accélération de la mondialisation et
de la multiplication des prétentions à une juridiction extraterritoriale, la souveraineté est le point de
départ de tout examen de la question du titre.
21. La Cour, dans le dispositif de son arrêt de 2008 :
«1) Par douze voix contre quatre,
Dit que la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartient à la
République de Singapour ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2) Par quinze voix contre une,
Dit que la souveraineté sur Middle Rocks appartient à la Malaisie ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3) Par quinze voix contre une,
Dit que la souveraineté sur South Ledge appartient à l’Etat dans les eaux
territoriales duquel il est situé.»17
22. Les sous-sections suivantes seront consacrées à deux points spécifiques soulevés dans la
demande en interprétation, à savoir, premièrement, la question du statut des eaux entourant Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh et, deuxièmement, celle de la souveraineté sur South Ledge.
14 Arrêt de 2008, p. 17-19, par. 2.
15 Ibid., p. 27-28, par. 32.
16 Arbitrage relatif à l’île de Palmas, Cour permanente d’arbitrage, sentence du 4 avril 1928, Nations Unies,
Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. II, p. 838. [Traduction française : Ch. Rousseau, Revue générale de droit
international public, t. XLII, 1935, p. 163.]
17 Arrêt de 2008, p. 101-102, par. 300.
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B. Le statut des eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh
23. La décision relative à l’attribution de la souveraineté sur le territoire de Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh est dépourvue d’ambiguïté en tant que telle, mais ce qu’elle recouvre ou
signifie exactement n’est pas évident. Il existe clairement une contestation entre les Parties « sur le
sens ou la portée» de l’arrêt à cet égard. Relevons que la conjonction a ici valeur disjonctive, et non
cumulative. La contestation visée peut porter soit sur le sens d’une partie de l’arrêt soit sur le
champ ou la portée de celui-ci.
24. Comme c’est le cas pour les Etats côtiers, la souveraineté territoriale sur une île emporte
habituellement souveraineté à l’égard des eaux adjacentes. Si, dans le cas de la zone contiguë et de
la zone économique exclusive, une déclaration formelle est requise, de sorte que la souveraineté sur
le territoire terrestre ne s’étend pas nécessairement à ces zones, la mer territoriale, en revanche,
relève en règle générale automatiquement de la même juridiction que le territoire terrestre qu’elle
baigne18. Cette souveraineté sur la mer territoriale n’est toutefois pas absolue, s’exerçant, par
exemple, sans préjudice du principe du droit de passage inoffensif19. En outre, comme le précise le
paragraphe 3 de l’article 2 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, le principe
voulant que la souveraineté sur une île s’étend à sa mer territoriale s’applique dans les conditions
prévues par les dispositions de la convention et les règles du droit international. Il est donc possible
que soit reconnu ou adopté par les parties et en droit international un autre principe aux fins de
l’attribution de la souveraineté sur la mer territoriale dans le cas d’Etats côtiers ou insulaires.
25. Le précepte selon lequel la terre domine la mer constitue généralement le point de
départ20. La Cour l’a souligné, rappelant qu’elle avait
«dit clairement que les droits sur la mer dérivent de la souveraineté de l’Etat côtier sur
la terre, principe qui peut être résumé comme suit : «la terre domine la mer» … C’est
donc la situation territoriale terrestre qu’il faut prendre pour point de départ pour
déterminer les droits d’un Etat côtier en mer. Conformément au paragraphe 2 de
l’article 121 de la convention de 1982 sur le droit de la mer, qui reflète le droit
international coutumier, les îles, quelles que soient leurs dimensions, jouissent à cet
égard du même statut, et par conséquent engendrent les mêmes droits en mer que les
autres territoires possédant la qualité de terre ferme.»21
26. Toutefois, s’il s’agit là d’une règle générale, elle n’est ni imparable ni absolue. La règle
applicable dépend en grande partie de la conjonction factuelle propre à une situation donnée. Les
observations formulées valent également pour les droits à l’espace aérien. Or, il peut d’emblée être
relevé que dès, voire avant, le 6 février 2009, la Malaisie avait indiqué à Singapour que l’espace
aérien au-dessus des eaux baignant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh lui appartenait conformément
aux principes du droit international et aux dispositions de l’arrêt de 2008. La Malaisie a en outre
systématiquement fait valoir que l’ensemble des activités qu’elle avait entreprises sur son
territoire y compris les activités menées en rapport avec les espaces maritimes entourant Pedra
18 Voir les articles 2 et 121 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982.
19 Ibid., art. 17.
20 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale
d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 3, 51, par. 96.
21 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 97, par. 185.
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Branca/Pulau Batu Puteh et l’espace aérien surjacent, ou dans leurs environs participaient de
l’exercice légitime de sa souveraineté et de sa juridiction22. Singapour le conteste.
27. A l’évidence, l’on se trouve ici en présence de deux possibilités qui demandent à être
étudiées ou clarifiées. La première serait que, par exception à la règle générale reconnaissant aux
îles une mer territoriale, Pedra Branca/Pulau Batu Puteh n’en soit pas dotée, au vu des
circonstances propres à l’espèce. La raison en serait en bref la suivante. Il a été admis par les deux
Parties et par la Cour que par le passé, et jusqu’à un moment compris entre 1953 et 1980, la zone
pertinente23 Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge inclus était, dans
son intégralité, soumise à la souveraineté malaisienne. En conséquence, toutes les eaux pertinentes
appartenaient, incontestablement, à la Malaisie. Or ce qu’a fait la Cour dans son arrêt de 2008
revenait à soustraire le territoire terrestre de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh à la souveraineté
malaisienne, le reste de la zone en question demeurant donc, par implication logique, soumise à
cette souveraineté. Il est donc à la fois défendable et raisonnable de conclure que l’attribution par la
Cour de la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh n’a eu aucune incidence en ce qui
concerne le statut, par ailleurs clair, des eaux entourant cette île. La Cour, dans son arrêt, n’a rien
dit qui soit pertinent à cet égard. Du reste, son observation selon laquelle «South Ledge relève des
eaux territoriales générées par la Malaisie continentale, par Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et par
Middle Rocks, eaux territoriales qui semblent se chevaucher»24 paraît le confirmer. A tout le moins
la Cour n’excluait-elle pas, puisqu’elle a employé le verbe «sembler», la possibilité que Pedra
Branca n’ait pas d’eaux territoriales dans les circonstances de l’espèce. C’est là un aspect au moins
qui demande à être clarifié au titre des dispositions de l’article 60.
28. Une analogie avec les zones côtières permet d’établir qu’une île peut, dans certaines
circonstances, ne pas posséder de mer territoriale. Ainsi, la frontière du Québec dans la baie
d’Hudson et le détroit du même nom suit le rivage, et la définition qui en est donnée n’inclut pas
les eaux25. La frontière entre la Tanzanie et le Malawi dans le lac Nyasa/Malawi en offre un autre
exemple : le document essentiel, et fondement juridique de la frontière, est le traité anglo-allemand
du 1er juillet 1890, qui prévoyait que la sphère d’influence allemande serait délimitée par les rives
orientale, septentrionale et occidentale du lac jusqu’à la rive nord de l’embouchure du fleuve
Songwe26. Récemment, la Cour internationale de Justice a déterminé que la frontière entre le
Costa Rica et le Nicaragua suivait la rive droite du cours inférieur du fleuve San Juan27. En d’autres
termes, ce qui importe, ce sont les circonstances propres à la situation à l’examen. Il n’existe pas de
règle absolue. Ainsi, une côte, qu’il s’agisse d’une côte insulaire ou continentale, peut ne pas
générer de mer territoriale lorsque certaines circonstances factuelles et juridiques le justifient.
L’éventuelle existence d’un traité, d’une pratique ou encore d’une décision contraignante pourra
ainsi entrer en ligne de compte. En outre, il a maintes fois été relevé que, en droit international
22 Notes diplomatiques EC 07/2009 en date du 6 février 2009 adressées à Singapour par la Malaisie, OES,
annexe 29.
23 Ce que l’on entend, ici, par «zone pertinente» est explicité à l’appendice de la présente section, aux
paragraphes 61 à 70.
24 Arrêt de 2008, p. 101, par. 297 (les italiques sont de nous).
25 Voir J. I. Charney, «Maritime Jurisdiction and the Secession of States: The Case of Quebec», Vanderbilt
Journal of Transnational Law, 1992, vol. 25, p. 343, p. 350–352 et note de bas de page 22.
26 Voir E. Hertslet, The Map of Africa by Treaty, réimpression de la 3e edition, 1967, vol. III, p. 899. Voir, par
exemple, C. Mahoney et al, «Where Politics Borders Law: The Malawi–Tanzania Boundary Dispute», New Zealand
Human Rights Law, Policy and Practice, Working Paper 21, février 2014 : https://cdn.auckland.ac.nz/
assets/humanrights/Research/MalawiTanzania-NZCHRLPP-final.pdf.
27 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 703, par. 92.
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coutumier, les petites îles, les rochers et les îlots ne se voyaient généralement pas accorder de mer
territoriale en propre28.
29. Compte tenu des circonstances spécifiques prises en compte dans le cadre de l’arrêt
de 2008, il est donc parfaitement envisageable et c’est la position de la Malaisie qu’il en aille
ainsi en ce qui concerne Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Il s’agit, bien sûr, d’une question
contestée entre les Parties, puisque Singapour semble quant à elle revendiquer une mer territoriale
étendue autour de l’île29.
30. Ainsi, dans une note diplomatique en date du 29 octobre 2008, la Malaisie a rejeté en ces
termes l’affirmation de Singapour selon laquelle les eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh
feraient partie de ses eaux territoriales :
«Le Gouvernement malaisien rejette aussi catégoriquement les assertions de la
République de Singapour selon lesquelles la Malaisie se livrerait à des activités
portant atteinte à ses droits sur les eaux baignant Batu Puteh. Les eaux qui entourent
Batu Puteh font partie des eaux territoriales et des espaces maritimes de la Malaisie
tels que figurés sur la carte de 1979 définissant les limites de son plateau continental.
Compte tenu de ce qui précède, le Gouvernement malaisien affirme avec force que les
espaces maritimes entourant Batu Puteh sont compris dans les eaux territoriales
malaisiennes conformément aux principes du droit international et à l’arrêt rendu par
la Cour internationale de Justice.»
31. La Malaisie a maintes fois réaffirmé son rejet de la prétention de Singapour à inclure
dans ses eaux territoriales les eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh30.
32. Dans cette hypothèse, la question contestée n’est en rien celle de la délimitation
maritime, mais celle de savoir si l’attribution à Singapour de la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh confère ipso facto à ce pays, dans les circonstances propres à
l’espèce, souveraineté sur des eaux territoriales générées par celle-ci. La Cour n’a rien dit
concernant le point de savoir si la souveraineté sur les eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh, qui avait appartenu au Johor, avait aussi été transférée à Singapour. Ce point demande à être
clarifié.
28 Voir, par exemple, L.F.E. Goldie, «The International Court of Justice’s «Natural Prolongation» and the
Continental Shelf Problem of Islands», Netherlands Yearbook of International Law, 1973, vol. 4, p. 237, p. 238–250.
29 Voir demande en interprétation, par. 30 et suiv.
30 Notes verbales adressées au haut-commissariat de la République de Singapour à Kuala Lumpur par le ministère
des affaires étrangères de la Malaisie (toutes les références renvoient aux annexes de la demande en interprétation) :
note EC72/2009 en date du 3 juillet 2009 (annexe 71) ; note EC161/2010 en date du 1er novembre 2010 (annexe 72) ;
note EC164/2010 en date du 1er novembre 2010 (annexe 73) ; note EC167/2010 en date du 1er novembre 2010
(annexe 74) ; note EC168/2010 en date du 1er novembre 2010 (annexe 75) ; note EC60/2011 en date du 19 avril 2011
(annexe 76) ; note EC61/2011 en date du 19 avril 2011 (annexe 77) ; note EC107/2011 en date du 8 juillet 2011
(annexe 78) ; note EC122/2011 en date du 22 août 2011 (annexe 79) ; note EC124/2011 en date du 22 août 2011
(annexe 80) ; note EC145/2011 en date du 30 septembre 2011 (annexe 81) ; note EC146/2011 en date du 30 septembre
2011 (annexe 82) ; note EC18/2012 en date du 14 février 2012 (annexe 83) ; note EC30/2012 en date du 17 février 2012
(annexe 84) ; note EC31/2012 en date du 17 février 2012 (annexe 85) ; note EC69/2012 en date du 24 avril 2012
(annexe 86) ; note EC70/2012 en date du 9 mai 2012 (annexe 87) ; note EC81/2012 en date du 9 mai 2012 (annexe 88) ;
note EC88/2012 en date du 1er juin 2012 (annexe 89) ; note EC90/2012 en date du 6 juin 2012 (annexe 90) ;
note EC7/2014 en date du 27 janvier 2014 (annexe 91) ; note EC9/2014 en date du 28 janvier 2014 (annexe 92) ;
note EC11/2014 en date du 29 janvier 2014 (annexe 93) ; note EC14/2014 en date du 30 janvier 2014 (annexe 94) ;
note EC17/2014 en date du 4 février 2014 (annexe 95) ; note EC18/2014 en date du 5 février 2014 (annexe 96) ;
note EC22/2014 en date du 7 février 2014 (annexe 97) ; note EC144/16 en date du 24 novembre 2016 (annexe 98).
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- 9 -
33. La seconde possibilité (invoquée à titre subsidiaire) justifiant un examen en vertu de
l’article 60 serait que la Cour aurait accepté que la souveraineté territoriale exercée par Singapour
sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh s’étende en effet en mer, mais jusqu’à une distance
indéterminée. Singapour y voit une simple question de délimitation maritime31. C’est là, toutefois,
une simplification abusive, puisque les espaces étendus de mer territoriale qu’elle revendique
empiètent considérablement sur la mer territoriale de la Malaisie et qu’une attribution de
souveraineté ne peut être indéterminée. Cette question met assurément en cause le «sens» ou la
«portée» de l’arrêt. Elle est en outre indissociablement liée à la notion de souveraineté.
34. Pour être plus précis, la position de la Malaisie est la suivante. Dans son arrêt de 2008, la
Cour a admis que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh relevait historiquement des eaux du Johor. En
1969, avant que ne se manifeste le moindre différend relatif à la souveraineté, la Malaisie a étendu
la largeur de ses eaux territoriales de 3 à 12 milles marins, comme suite à la promulgation de
l’ordonnance sur l’état d’urgence (pouvoirs essentiels) no 7 de 196932. Cette ordonnance est entrée
en vigueur le 10 août 1969.
35. Pedra Branca/Pulau Batu Puteh est située à 7,7 milles marins de la côte du Johor. Les
eaux territoriales entourant l’île relèvent, depuis 1969 au moins, des eaux territoriales de la
Malaisie. Sur ce point, il importe de relever que ce n’est qu’après le prononcé de l’arrêt de 2008
que, s’agissant de ses espaces maritimes, Singapour a officiellement fait savoir, dans le journal
officiel no 1485 daté du 30 mai 2008, qu’elle exercerait son droit d’étendre la limite de sa mer
territoriale jusqu’à hauteur de 12 milles marins33. Relevons toutefois qu’elle avait fait état de sa
prétention à une mer territoriale de 12 milles marins dès 1980, ainsi qu’il ressort du le communiqué
de presse publié par le Gouvernement singapourien peu après que le différend avec la Malaisie
relatif à la souveraineté se fut cristallisé34. Cette position a été réitérée dans la presse à la suite du
prononcé de l’arrêt de 2008, dans les termes suivants :
«Ainsi que l’avait indiqué le ministère des affaires étrangères dans sa
déclaration à la presse en date du 15 septembre 1980, Singapour possède une mer
territoriale s’étendant sur une distance maximale de 12 milles marins ainsi qu’une
zone économique exclusive. Cela est conforme à la convention des Nations Unies sur
le droit de la mer signée le 10 décembre 1982, à laquelle Singapour est partie.
Les limites précises de la mer territoriale et de la zone économique exclusive de
Singapour seront annoncées en temps opportun. En cas de chevauchement avec les
revendications d’Etats voisins, Singapour négociera avec ces derniers en vue de
parvenir à des délimitations convenues d’un commun accord conformément au droit
international. Singapour réserve sa position concernant les accords internationaux
auxquels elle n’est pas partie.»35
36. En conséquence, la question de la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh doit
inclure des problématiques telles que celle de l’existence d’une mer territoriale générée par celle-ci
et, le cas échéant, celle de savoir jusqu’où elle s’étend. Il est donc nécessaire que la Cour clarifie ce
qu’elle avait en tête afin que les Parties puissent s’atteler à la recherche d’un règlement effectif.
31 Voir, par exemple, OES, chap. III, p. 25.
32 Ordonnance no 7 sur l’état d’urgence (pouvoirs essentiels) de 1969 (annexe A).
33 http://www.un.org/depts/los/LEGISLATIONANDTREATIES/STATEFILES/SGP.htm.
34 Communiqué de presse 09-0/80/09/15 du Gouvernement singapourien, 15 septembre 1980 (annexe B).
35 Déclaration faite le 23 mai 2008 à la presse par le ministre singapourien des affaires étrangères : «La Cour
internationale de Justice attribue la souveraineté sur Pedra Branca à Singapour», OES, annexe 2, p. A14.
15
16
- 10 -
C. Souveraineté sur South Ledge
37. Le second point soumis à la Cour dans le cadre de la demande en interprétation concerne
le traitement réservé, dans l’arrêt de 2008, à la question explicitement posée de savoir si la
souveraineté sur South Ledge appartient à la Malaisie ou à Singapour. En déterminant que «la
souveraineté sur South Ledge appartient à l’Etat dans les eaux territoriales duquel il est situé»36, la
Cour n’a pas tranché cette question d’une manière qui eût permis de résoudre le différend dont les
Parties l’avaient saisie.
38. La Cour s’est en effet contentée de fournir une indication aux fins de sa détermination
ultérieure par les Parties et n’a traité plus avant la question. A la lumière de l’arrêt, la Malaisie a
toujours considéré que le dispositif, sur ce point, emportait implicitement reconnaissance de sa
propre souveraineté sur South Ledge.
39. La Malaisie estime en effet que South Ledge, qui est un haut-fond découvrant, relève de
sa mer territoriale, et ce, pour l’une au moins des deux raisons suivantes. Premièrement, elle
soutient que South Ledge relève de ses eaux territoriales parce que Middle Rocks, la formation
terrestre qui en est la plus proche, est malaisienne. La Cour elle-même a noté que South Ledge se
trouvait à 1,7 mille marin de Middle Rocks, et à 2,2 milles marins de Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh, et est, partant, incontestablement plus proche du territoire malaisien37. La carte de la zone
(voir, par exemple, le croquis reproduit à la page 24 de l’arrêt de 2008) permet également de
constater que Middle Rocks se trouve directement au sud de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, et que
South Ledge est situé au sud-ouest de Middle Rocks. Il est donc difficile de voir comment
South Ledge pourrait relever de la mer territoriale de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh (à supposer
que celle-ci en possède), sans un écart quelque peu singulier pour contourner Middle Rocks.
Deuxièmement, ainsi que déjà noté, la Malaisie soutient que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh est
dépourvue de mer territoriale. Si tel est le cas, il ne saurait être question pour South Ledge d’en
relever.
40. Le raisonnement de la Cour sur la question de la souveraineté à l’égard de South Ledge
est loin d’être dépourvu d’ambiguïté. Dans son arrêt de 2008, la Cour a fait référence à l’article 13
de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, qui définit les hauts-fonds découvrants et
précise que lorsque ceux-ci se trouvent, entièrement ou en partie, à une distance du continent ou
d’une île ne dépassant pas la largeur de la mer territoriale, la laisse de basse mer sur ces
hauts-fonds peut être prise comme ligne de base pour mesurer la largeur de la mer territoriale. A
l’inverse, lorsque des hauts-fonds découvrants se trouvent entièrement à une distance du continent
ou d’une île qui dépasse la largeur de la mer territoriale, ils n’ont pas de mer territoriale qui leur
soit propre.
41. La Cour a souligné la différence existant en droit international entre les îles et les
hauts-fonds découvrants, citant l’arrêt rendu en l’affaire Qatar c. Bahreïn, où elle a dit que l’Etat
côtier exerce sa souveraineté sur les hauts-fonds découvrants situés dans sa mer territoriale parce
qu’il exerce sa souveraineté sur la mer territoriale elle-même38. Elle a également souligné que les
quelques règles existantes ne justifiaient pas que l’on présume que les hauts-fonds découvrants
36 Arrêt de 2008, p. 102, par. 300 3).
37 Ibid., p. 99-100, par. 293.
38 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 40, p. 101-102, par. 204-206.
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- 11 -
constituent des territoires au même titre que les îles39. Cette position a été mise en avant par le
tribunal constitué en vertu de l’annexe VII de la CNUDM qui, dans le cadre de l’arbitrage entre les
Philippines et la Chine relatif à la mer de Chine méridionale, a considéré,
«s’agissant du statut des hauts-fonds découvrants, que nonobstant l’utilisation du mot
«terrain» pour décrire en quoi consist[aient], physiquement, ces formations, celles-ci
ne rel[evaient] pas du territoire terrestre d’un Etat au sens juridique. Les hauts-fonds
découvrants font partie de la masse continentale immergée et sont soumis au régime
juridique soit de la mer territoriale soit du plateau continental.»40
42. Citant l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice en l’affaire du Différend
territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie)41, le tribunal notait que, contrairement aux
territoires terrestres, les hauts-fonds découvrants ne pouvaient faire l’objet d’une appropriation,
quoiqu’un «Etat côtier exerce sa souveraineté sur les hauts-fonds découvrants situés dans sa mer
territoriale, puisqu’il exerce sa souveraineté sur la mer territoriale elle-même»42.
43. Il est donc clair que les hauts-fonds découvrants ne font pas en tant que tels partie du
territoire d’un Etat côtier. Ils ont néanmoins un rôle à jouer en matière d’attribution de la
souveraineté, notamment en tant que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer
prévoit, au paragraphe 1 de son article 13, que,
«[l]orsque des hauts-fonds découvrants se trouvent, entièrement ou en partie, à une
distance du continent ou d’une île ne dépassant pas la largeur de la mer territoriale, la
laisse de basse mer sur ces hauts-fonds peut être prise comme ligne de base pour
mesurer la largeur de la mer territoriale».
44. La Cour a énoncé la conclusion suivante : «South Ledge relève des eaux territoriales
générées par la Malaisie continentale, par Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et par Middle Rocks,
eaux territoriales qui semblent se chevaucher»43. Or, cette formulation n’est pas claire à deux
égards. Premièrement, en faisant expressément et spécifiquement référence à des eaux territoriales
qui «semblent» se chevaucher, la Cour a introduit un fort élément d’incertitude quant à l’existence
d’un tel chevauchement ; or, ce chevauchement est inévitable, sauf à supposer que
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne génère pas de mer territoriale. Si tel est effectivement le cas,
South Ledge relève nécessairement des eaux de la Malaisie. Deuxièmement, si chevauchement il y
a, des incertitudes demeurent quant aux facteurs à prendre en compte aux fins de déterminer à quel
Etat revient la souveraineté ; or, telle était précisément la question dont la Cour était saisie. Il ne
saurait donc faire de doute que sa décision demande à être clarifiée.
45. Selon la Malaisie, les termes du compromis imposaient à la Cour d’attribuer la
souveraineté sur, notamment, South Ledge. Dans cette mesure, des éclaircissements quant au sens
et à la portée de l’arrêt de 2008 sont nécessaires.
39 Arrêt de 2008, p. 100, par. 293-296.
40 Arbitrage relatif à la mer de Chine méridionale, sentence, 12 juillet 2016, p. 132, par. 309 [traduction du
Greffe].
41 C.I.J. Recueil 2012, p. 641, par. 26.
42 Arbitrage relatif à la mer de Chine méridionale, sentence, 12 juillet 2016, p. 132, par. 309 [traduction du
Greffe].
43 Arrêt de 2008, p. 101, par. 297.
18
19
- 12 -
46. Indépendamment de l’argument selon lequel Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne génère
pas de mer territoriale qui lui soit propre, la Malaisie, ainsi qu’il a été noté ci-dessus, considère que
South Ledge relève de sa souveraineté parce qu’il est à l’évidence, géographiquement, situé plus
près de son territoire (Middle Rocks) qu’il ne l’est de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. C’est là un
paramètre important qui, dans les circonstances de l’espèce, constitue l’élément déterminant en
matière d’attribution, tout particulièrement si l’on prend en considération la configuration
géographique et le fait que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne peut être reliée par ligne directe à
South Ledge, l’interposition de Middle Rocks entre eux y faisant fondamentalement «obstacle».
47. Plusieurs juges ayant siégé en l’affaire ont tenu compte de cet élément géographique.
48. Le juge Parra-Aranguren, dans son opinion individuelle, a semblé adopter la même
approche, notant :
«[J]e conviens que Middle Rocks relève de la souveraineté de la Malaisie, ainsi
qu’il est dit au point 2) du paragraphe 300 de l’arrêt. Par conséquent, je considère que
South Ledge est situé à l’intérieur des eaux territoriales de la Malaisie et, pour cette
raison, appartient à la Malaisie.»44
49. L’emploi de la locution «par conséquent», dans ce contexte, montre que le
juge Parra-Aranguren estimait que l’attribution de Middle Rocks à la Malaisie conduisait
nécessairement à conclure que South Ledge relevait de la mer territoriale de cette dernière et,
partant, était soumis à la souveraineté malaisienne.
50. Le juge ad hoc Dugard a adopté la même position, déclarant : «[T]ant Middle Rocks que
South Ledge relèvent de la souveraineté malaisienne — Middle Rocks en vertu du titre originaire,
South Ledge en tant que haut-fond découvrant situé dans la mer territoriale de Middle Rocks.»45
51. Il est intéressant de constater que le juge ad hoc Sreenivasa Rao convenait lui aussi de la
justesse de cette approche en droit, lorsqu’il déclarait : «[J]e suis d’avis que, si Middle Rocks est
également considérée comme relevant de la souveraineté de Singapour, alors South Ledge
appartient également à Singapour.»46
52. Ainsi, les trois juges ayant directement traité cette question admettaient que, sur le
principe, l’Etat ayant souveraineté sur Middle Rocks aurait souveraineté sur South Ledge.
53. Puisque Singapour rejette la position de la Malaisie selon laquelle South Ledge relève de
la mer territoriale de ce dernier et, partant, de la souveraineté malaisienne, il existe une contestation
entre les deux Etats au sens de l’article 60. Les Parties ont des vues divergentes quant aux
implications nécessaires et logiques de la formule employée au point 3) du paragraphe 300 de
l’arrêt de 2008, et une interprétation de la Cour s’impose en conséquence.
44 Arrêt de 2008, opinion individuelle de M. le juge Parra-Aranguren, p. 114-115, par. 28 ; les italiques sont de
nous.
45 Ibid., opinion dissidente de M. le juge ad hoc Dugard, p. 151-152, par. 44.
46 Ibid., opinion individuelle de M. le juge ad hoc Sreenivasa Rao, p. 153, par. 1.
20
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54. En clair, l’argument de la Malaisie ne concerne en rien la manière dont il convient de
tracer la frontière maritime entre les Parties. Il ne porte pas sur la méthode ou formule qu’il
s’agirait de privilégier aux fins d’opérer la délimitation dans la zone. Ainsi que la Cour l’a présenté
dans son arrêt de 2008, il consiste à affirmer que
«les formations de Middle Rocks et de South Ledge ont toujours été considérées
comme relevant de la juridiction du Johor ou de la [Malaisie]. Elles [étaient]
ainsi … sous la souveraineté du Johor à l’époque du traité anglo-néerlandais de 1824,
en vertu duquel elles s[ont] ensuite tombées dans la sphère d’influence britannique.»47
55. Dans sa demande en interprétation, la Malaisie souligne que l’application de ce
raisonnement, tel que repris par la Cour, conduit naturellement à conclure que la souveraineté sur
South Ledge lui appartient, parce que cette formation est située dans ses eaux territoriales. La
Malaisie exerce incontestablement sa souveraineté à la fois sur la formation et sur le territoire
continental qui en sont les plus proches (respectivement Middle Rocks, située à une distance de
1,7 milles marin et le Johor, dont la côte est distante de 7,9 milles marins). Par contraste, South
Ledge se trouve à 2,2 milles marins de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et à environ
22 milles marins de l’île de Singapour48.
56. Singapour estime que la question de savoir à qui appartient la souveraineté est
uniquement une question de délimitation maritime49 et que la Malaisie a «fabriqué de toutes pièces
une contestation qui n’existe pas»50. Elle affirme également que la Malaisie a modifié sa position
sur la souveraineté en ce qui concerne South Ledge51. Ces allégations doivent être rejetées. Il existe
une véritable contestation au sens des articles 60 du Statut et 98 du Règlement de la Cour. Cette
contestation met en cause les termes, pris dans leur sens ordinaire, du compromis par lequel les
Parties ont initialement saisi la Cour, et la responsabilité incombant en conséquence à celle-ci de
déterminer qui, de la Malaisie ou de Singapour, a souveraineté sur South Ledge. Dans son arrêt
de 2008, la Cour ne l’a pas fait directement. Il est évident, cependant, que les Parties nourrissent
des vues divergentes quant à la question de savoir ce qu’elle a fait implicitement. Il est on ne peut
plus clair que les Parties divergent sur le «sens ou la portée» du point 3) du dispositif de l’arrêt de
2008. La Malaisie tire des termes employés par la Cour la conclusion logique qu’elle a
souveraineté sur South Ledge, puisque celui-ci relève clairement de sa mer territoriale, au vu de la
configuration géographique générale, et, en particulier, de sa proximité. Cette question demande à
être tirée au clair.
57. Singapour soutient que la position de la Malaisie a changé. Elle affirme que la Malaisie
n’avait jamais, avant sa note diplomatique du 20 avril 2017, soutenu que South Ledge relevait de
ses eaux territoriales et, partant, était soumis à sa souveraineté52. C’est faux. La pratique de la
Malaisie a été constante. La première illustration remonte à quelque trois mois après l’arrêt. La
Malaisie s’était alors livrée à une activité souveraine à l’égard de South Ledge, suscitant une
protestation de Singapour. La Malaisie a immédiatement réagi en faisant valoir qu’il «découl[ait]
naturellement» de l’arrêt de la Cour que «la souveraineté sur Tubir Selatan/South Ledge [lui]
47 Arrêt de 2008, opinion individuelle de M. le juge ad hoc Sreenivasa Rao, p. 98, par. 285.
48 Demande en interprétation, par. 46.
49 Observations écrites de Singapour, par. 4.23.
50 Ibid., par. 4.10.
51 Ibid., par. 4.26.
52 Ibid.
21
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appart[enait]»53. Elle l’a répété constamment et sans jamais en démordre des décennies durant,
ainsi que relaté en détail dans la demande en interprétation54. Singapour, lorsqu’elle qualifie la note
du 20 avril 2017 de «simple artifice destiné à permettre à la Malaisie d’alléguer d’une contestation
qui n’a, en réalité, jamais existé à propos du troisième point du dispositif de l’arrêt»55 est à
l’évidence dans l’erreur. C’est elle, au contraire, qui s’efforce d’escamoter une contestation qui
existe pourtant de longue date.
D. Conclusion
58. La Malaisie soutient que cette demande en interprétation est pleinement justifiée, compte
tenu de l’éclairage sous lequel Singapour interprète la décision de la Cour, et de la contestation qui
en est résultée entre la Malaisie et elle.
59. Pour ce qui est des eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, la Cour n’a fait
aucune référence à cet aspect clé de la souveraineté. La Malaisie considère que son silence sur ce
point, sachant qu’elle avait reconnu que la zone qui était en cause espaces maritimes compris
relevait de la souveraineté du Johor/de Malaya/de la Malaisie en vertu du titre originaire, implique
forcément que les eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh étaient toujours soumises à la
souveraineté de la Malaisie, comme elles l’avaient été avant la période comprise entre 1953 et
1980. A titre subsidiaire, la Malaisie soutient que, dans la mesure où Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh possèderait une mer territoriale, des questions d’attribution de la souveraineté resteraient à
trancher entre Singapour et elle. Or, Singapour ne soucrit absolument pas à cette manière de voir.
Dès lors, il existe clairement entre les Parties une contestation, laquelle concerne le «sens ou la
portée» de l’arrêt.
60. Pour ce qui est de la souveraineté sur South Ledge, l’arrêt de la Cour a laissé la porte
ouverte à un désaccord nécessitant une clarification en vertu des articles 60 du Statut et 98 du
Règlement. La Malaisie soutient, en premier lieu, que South Ledge, en tant que haut-fond
découvrant, se trouve dans sa mer territoriale, compte tenu de sa proximité à l’égard de
Middle Rocks et de la configuration géographique générale, et que, partant, il relève de sa
souveraineté. En second lieu, la Malaisie soutient que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne possède
pas de mer territoriale, de sorte que South Ledge ne peut relever que des eaux territoriales
malaisiennes. Singapour est en désaccord avec cette conclusion, et il existe dès lors une
contestation sur «le sens ou la portée» de l’arrêt de 2008, qui fait à bon droit l’objet de la demande
en interprétation de la Malaisie.
APPENDICE : STATUT CONSTITUTIONNEL DE LA ZONE PERTINENTE
61. Ainsi qu’il a été relevé au paragraphe 27 ci-dessus, jusqu’à un moment compris
entre 1953 et 1980, il était admis par les deux Parties et par la Cour que la zone pertinente y
compris Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge était dans son intégralité
soumise à la souveraineté de la Malaisie et que, en conséquence, tous les espaces maritimes
pertinents relevaient de celle-ci. C’est là un fait incontestable.
53 Demande en interprétation, par. 39 et suiv.
54 Ibid.
55 OES, par. 4.29.
23
- 15 -
62. Par «zone pertinente», la Malaisie entend la zone située au sud et à l’est du Johor,
comprenant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge. Il importe de souligner
l’évolution du statut juridique de cette zone à la lumière du différend relatif à la souveraineté qui
s’est fait jour ultérieurement, et afin de bien comprendre le contexte dans lequel la Cour a rendu
son arrêt, en 2008, et les conséquences que celui-ci a pu avoir.
63. En remontant au début du XIXe siècle, le traité anglo-néerlandais du 17 mars 1824 a fixé
les sphères d’influence des deux puissances européennes, et marqué la reconnaissance, par les
Néerlandais, de l’occupation britannique de Singapour. Le traité Crawfurd du 2 août 1824
prévoyait la cession pleine et entière à la Compagnie anglaise des Indes orientales, par le sultan et
temenggong de Johor, de Singapour et de toutes les îles situées dans un rayon de 10 milles
géographiques de celle-ci. Pedra Branca/Pulau Batu Puteh se trouve bien au-delà, à plus de
20 milles marins, de même que Middle Rocks et South Ledge, et partant, ces formations ne
relevaient pas du territoire de «Singapour». Elles continuaient donc d’appartenir au Sultanat de
Johor56.
64. En 1826, la Compagnie des Indes orientales créa les Etablissements des détroits,
regroupant, notamment, Penang, Singapour et Malacca. En 1867, les Etablissements des détroits
devinrent une colonie de la Couronne britannique. Le Johor, pour sa part, relevait des «Etats malais
non fédérés».
65. Le 19 octobre 1927, le gouverneur des Etablissements des détroits et le sultan de Johor
signèrent un accord relatif aux eaux territoriales des Etablissements des détroits et du Johor
(ci-après l’«accord de 1927»), qui marquait la frontière maritime entre Singapour et le Johor. Cet
accord prévoyait aussi la rétrocession au sultan de Johor d’une partie de territoire initialement cédé
à la Compagnie des Indes orientales en 1824. On en trouvera une illustration sur la carte annexée à
l’accord, reproduite en tant qu’encart no 17 du mémoire de la Malaisie en date du 25 mars 2004,
p. 89. Il est tout à fait clair que la zone pertinente n’est pas incluse dans les limites de Singapour.
La Malaisie concluait en ces termes : «L’accord de 1927, qui renvoie au traité Crawfurd de 1824,
prouve … que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et ses eaux environnantes ont toujours été
considérées comme ne faisant pas partie du territoire de Singapour.»57
66. Singapour devint une colonie distincte en 1946, alors que les autres Etablissements des
détroits s’associaient aux Etats malais pour constituer l’Union malaise, qui allait devenir la
Fédération de Malaya en 1948. Ce territoire accéda à l’indépendance en 1957. En 1963, Singapour
devint membre de la Fédération de Malaisie nouvellement constituée, mais elle s’en retira
en 196558.
67. Dans son arrêt de 2008, la Cour a conclu que, en 1844, l’île de Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh était sous la souveraineté du sultan de Johor59. La question qui se posait alors à elle consistait
à savoir si ce titre originaire avait été modifié par la pratique ultérieure. La Cour n’a pu tirer de la
56 Voir mémoire de la Malaisie du 25 mars 2004, chapitre IV. Voir aussi arrêt de 2008, p. 25, par. 21 et suiv., et
p. 45, par. 102 et suiv. Voir encore le compte rendu de l’audience tenue le 13 novembre 2007, CR 2007/24, p. 24 et suiv.
57 Arrêt de 2008, p. 71, par. 182. La Cour a toutefois noté que, Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne se trouvant pas
à moins de 10 milles géographiques de l’île de Singapour, elle n’était pas couverte par l’accord de 1927, ibid., p. 72,
par. 188.
58 Ibid., p. 71, par. 183 et suiv.
59 Ibid., p. 49, par. 117. Voir aussi p. 35, par. 59 et p. 39, par. 75.
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construction et de la mise en service du phare aucune conclusion quant à la souveraineté60. Elle a
considéré divers textes législatifs (datant de 1852, 1854 et 1912) sans y trouver la preuve d’une
souveraineté britannique61 et, de même, l’examen des différents changements constitutionnels
intervenus dans la région (en 1927, 1946, 1957, 1959, 1963 et 1965) «ne lui [a pas] perm[is] de
régler la question de la souveraineté»62. Celui de la réglementation conjointe de la pêche dans les
années 1860 ne l’a pas davantage éclairée sur ce point63. Il est dès lors loisible de conclure que la
Cour n’a manifestement établi l’existence, avant 1953, d’aucun acte juridique emportant ou
susceptible d’emporter modification claire et effective du titre originaire de la Malaisie. En bref, la
Cour a constaté que le Johor et, partant, la Malaisie, qui lui avait succédé détenait le titre
originaire sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh dans les années 1840, et que rien ne s’était produit au
cours des quelque cent années qui avaient suivi qui ait eu pour conséquence de déplacer ce titre ni,
a fortiori, de le transférer à un autre souverain.
68. Ayant examiné la pratique et la correspondance des Parties en 1953, la Cour est parvenue
à la conclusion suivante :
«[L]es faits pertinents, dont le comportement des Parties, … témoignent d’une
évolution convergente des positions de celles-ci concernant le titre sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh. La Cour conclut, au vu, notamment, du comportement à
titre de souverain de Singapour et de ses prédécesseurs, considéré conjointement avec
celui de la Malaisie et de ses prédécesseurs, et notamment avec le fait que celle-ci soit
demeurée sans réaction face au comportement de Singapour et de ses prédécesseurs,
que, en 1980, la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh était désormais
détenue par Singapour.»64
69. Dans sa conclusion sur le statut juridique de Middle Rocks, la Cour a précisé ceci :
«Le statut juridique de Middle Rocks au regard du titre originaire détenu par le
sultan de Johor devant être considéré comme identique à celui de Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh, mais les conditions particulières qui ont ensuite amené Singapour à
devenir le titulaire du titre sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ne s’appliquant pas à
Middle Rocks, la Malaisie, en sa qualité de successeur du sultan de Johor, doit être
considérée comme ayant conservé le titre originaire sur cette dernière formation, sauf
preuve contraire que Singapour n’a pas rapportée.»65
70. En d’autres termes, le titre originaire que détenait la Malaisie sur la zone pertinente a été
déplacé dans les circonstances indiquées par la Cour, mais uniquement s’agissant de
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. En conséquence, ce titre originaire, tel qu’a affirmé la Cour, est
demeuré le même pour le reste de la zone pertinente, Pedra Branca/Pulau Batu Puteh faisant seule
exception. Autrement dit, Pedra Branca/Pulau Batu Puteh a simplement été soustraite ou retranchée
de la zone pertinente qui était sous souveraineté malaisienne, et déclarée territoire de Singapour.
60 Arrêt de 2008, p. 65, par 162.
61 Ibid., p. 67, par 172.
62 Ibid., p. 71, par 186.
63 Ibid., p. 72, par 191. Voir aussi l’opinion dissidente commune de MM. Les juges Simma et Abraham, indiquant
que la Cour n’a pas vu dans la pratique de 1852-1952 de «claire manifestation d’une revendication britannique de
souveraineté», ibid., p. 123, par. 22.
64 Ibid., p. 96, par. 276.
65Ibid., p. 99, par. 290.
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III. COMPÉTENCE DE LA COUR ET RECEVABILITÉ
DE LA REQUÊTE
71. Dans la dernière en date de ses décisions sur une demande en interprétation, laquelle
renvoyait à l’affaire du Temple de Preah Vihear, et est du reste la seule à avoir dépassé le stade de
la compétence et de la recevabilité, la Cour a précisé comme suit à quelles conditions était
subordonnée sa compétence pour interpréter un arrêt au titre de l’article 60 : «[E]n vertu de
l’article 60 du Statut, [la Cour] peut … connaître d’une demande en interprétation dès lors
qu’existe une «contestation sur le sens et la portée» de tout arrêt rendu par elle»66.
Une demande en interprétation introduite en vertu de l’article 60 doit ainsi satisfaire à deux
conditions : a) il doit exister entre les parties une contestation, laquelle b) doit viser le sens ou la
portée de l’arrêt.
72. Singapour semble soutenir que la compétence qu’a la Cour de rendre une interprétation
authentique est assujettie à une troisième condition, lorsqu’elle affirme que, «si l’arrêt … est
clair …, la Cour n’a pas compétence pour statuer sur la demande en interprétation»67. Or,
l’existence d’un tel critère n’est étayée ni par les termes de l’article 60 du Statut, ni par ceux de
l’article 98 du Règlement, ni encore par la jurisprudence de la Cour. Deux parties tenues de
respecter un arrêt peuvent l’une et l’autre considérer le sens de celui-ci comme parfaitement clair,
tout en parvenant, à partir de son libellé, à des interprétations totalement contradictoires. Ainsi, le
fait qu’une partie soit convaincue que le sens de l’arrêt est limpide ne saurait, à lui seul, priver la
Cour de sa compétence pour statuer sur une demande en interprétation soumise par l’autre. De fait,
dès lors qu’une partie est à même de démontrer que les deux conditions prévues à l’article 60 sont
remplies, la Cour peut décider de donner suite à la demande en fournissant une interprétation
authentique de ce qu’elle a tranché avec effet obligatoire dans son arrêt.
73. Dans cette section, la Malaisie montrera que sa demande en interprétation remplit les
seules conditions auxquelles l’article 60 du Statut subordonne sa compétence : l’existence d’une
contestation entre les Parties, d’une part, laquelle vise, d’autre part, le sens et la portée de l’arrêt de
2008.
A. Existence d’une contestation entre les Parties
74. Selon la jurisprudence bien établie, «une contestation au sens de l’article 60 du Statut
doit être comprise comme une divergence d’opinions ou de vues entre les parties quant au sens et à
la portée d’un arrêt rendu par la Cour»68. Pour que la condition y relative soit remplie, il suffit donc
à une partie demandant l’interprétation d’un arrêt de démontrer que les Etats auxquels celui-ci
s’impose ont des vues divergentes quant à ce que la Cour y a décidé avec effet obligatoire.
75. Singapour révoque en doute l’existence de pareille contestation entre les Parties quant au
sens ou à la portée de l’arrêt, et soutient que la demande en interprétation de la Malaisie ne satisfait
66 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), arrêt, C.I.J. Recueil 2013, p. 295, par. 32, et mesures conservatoires,
ordonnance du 18 juillet 2011, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 542, par. 21 ; Demande en interprétation de l’arrêt du
31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique
c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 9, par. 15-16, et mesures conservatoires, ordonnance du
16 juillet 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 323, par. 44-46.
67 OES, par. 2.2-2.3.
68 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thailande), arrêt, C.I.J. Recueil 2013, p. 295, par. 33.
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pas à la première condition prévue à l’article 60 du Statut69. Elle justifie ainsi son refus d’admettre
l’existence d’une telle contestation :
«On ne trouve … à l’examen du comportement des Parties, de leurs interactions
ou de la correspondance qu’elles ont échangée au fil des années suivant le prononcé de
l’arrêt, aucune trace de l’existence d’une contestation quant au sens ou à la portée de
la décision rendue par la Cour [dans le] dispositif de son arrêt.»70
76. D’après Singapour, ses actes et déclarations, comme ceux de la Malaisie, dans la période
qui a suivi le prononcé de l’arrêt témoignent d’une compréhension commune du contenu de l’arrêt
rendu par la Cour. Selon elle, les Parties s’accordent à penser que, comme suite à celui-ci,
Singapour a acquis la souveraineté sur les eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh71, et que
la souveraineté sur South Ledge ne pourra être déterminée qu’au moyen d’une délimitation
maritime72.
77. La Malaisie commencera par relever que la Cour a constamment affirmé que la portée du
terme «contestation», utilisé dans la version française de l’article 60, était moins restrictive que
celle du mot «différend» employé au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut («dispute», dans les
deux cas, en anglais) et les exigences en matière d’établissement de l’existence d’une contestation,
moins strictes. La Cour a explicité cette distinction lorsqu’elle a statué sur la demande en
interprétation de l’arrêt Avena : dans la version française du Statut, le terme «contestation» utilisé à
l’article 60 a «une portée plus large» que le mot «différend» employé à l’article 36, et «n’implique
pas nécessairement le même degré d’opposition». En outre,
«par rapport à la notion de «différend», celle de «contestation» s’entend, dans son
application à une situation donnée, de manière plus souple [et] il n’est [dès lors] pas
nécessaire, pour établir l’existence d’une contestation («dispute» dans la version
anglaise) … que soient remplis les mêmes critères que ceux qui déterminent
l’existence d’un différend («dispute» dans la version anglaise) tel que visé au
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut»73.
Le seuil au-delà duquel l’existence d’une contestation sera établie au regard de l’article 60 est ainsi
plus bas que celui à partir duquel le sera celle du différend visé au paragraphe 2 de l’article 36 du
Statut : dans le premier cas, le demandeur devra simplement démontrer l’existence d’une
«divergence de vues» entre les parties quant au sens et à la portée de l’arrêt74.
69 OES, par. 1.12. Voir aussi par. 1.28-1.30, 3.2, 3.8.
70 Ibid., par. 3.8.
71 Ibid., par. 3.17.
72 Ibid., par. 4.4, 4.9.
73 Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du
16 juillet 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 325, par. 53, citée dans l’arrêt rendu en la même affaire, ibid., C.I.J. Recueil 2009,
p. 9, par. 17, et dans celle relative à la Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de
Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), C.I.J. Recueil 2013, p. 295, par. 33.
74 Voir par exemple, Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du droit d’asile
(Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 403 ; Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire
Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 12, par. 25 ; Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de
Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), arrêt, C.I.J. Recueil 2013, p. 299, par. 43.
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78. En outre, conformément à la logique suivie par la Cour lorsqu’elle a reconnu qu’une
certaine souplesse était de mise s’agissant d’établir l’existence d’une contestation au sens de
l’article 60, les parties ne sont pas expressément tenues de manifester leur désaccord ou divergence
de vues d’une manière ou sous une forme données. La Cour a maintes fois rappelé que sa
devancière avait, dans le cadre de l’Interprétation des arrêts n° 7 et 8 (usine de Chorzów), estimé
«ne pouvoir exiger que la contestation se soit formellement manifestée ; à son avis, il
doit suffire que les deux gouvernements aient en fait manifesté des opinions opposées
quant au sens et à la portée d’un arrêt de la Cour.»75
79. L’examen du comportement des Parties au cours des années qui ont suivi le prononcé de
l’arrêt de 2008 révèle sans l’ombre d’un doute l’existence d’une divergence d’opinions entre elles
quant au sens et à la portée dudit arrêt. Ainsi que l’a montré en détail la Malaisie dans sa demande
en interprétation, il est devenu de plus en plus patent au vu tant des protestations diplomatiques
persistantes que du blocage au sein de la commission technique mixte Malaisie-Singapour pour
l’exécution de l’arrêt (également appelée la «commission technique mixte» ou «CTM») que les
Parties étaient en désaccord sur la teneur exacte de ce que la Cour avait décidé avec effet
obligatoire.
80. La principale preuve de cette divergence manifeste quant au sens et à la portée de l’arrêt
nous est offerte par les notes verbales que n’ont cessé d’échanger les Parties depuis 2008. Dans ses
notes diplomatiques, la Malaisie a systématiquement indiqué que, selon elle, il ressortait des termes
du dispositif de l’arrêt que les eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et l’espace aérien
surjacent lui appartenaient, de même que la souveraineté sur South Ledge. Singapour, quant à elle,
a exprimé dans les siennes la certitude de détenir des droits sur les eaux territoriales baignant
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et l’espace aérien surjacent, et la conviction que le statut de
South Ledge ne pourrait être déterminé que moyennant la délimitation de la frontière maritime
entre les Parties. Ces notes verbales montrent clairement que les Parties ne sont pas d’accord sur ce
que l’arrêt leur impose à l’une comme à l’autre. Elles révèlent en outre les difficultés sur lesquelles
ont achoppé les efforts déployés de part et d’autre pour donner suite à l’arrêt. A défaut d’une
interprétation claire et authentique de la Cour quant aux implications précises qu’ont, pour elles, les
dispositions de celui-ci, les Parties n’auront aucune chance de voir aboutir leurs tentatives pour y
donner intégralement effet et assurer le maintien de relations harmonieuses dans la région.
81. Singapour nie l’existence d’une quelconque divergence d’opinions entre les Parties quant
au sens et à la portée de l’arrêt de 2008. Elle écrit :
«On ne trouve … à l’examen du comportement des Parties, de leurs interactions
ou de la correspondance qu’elles ont échangé au fil des années suivant le prononcé de
l’arrêt, aucune trace de l’existence d’une contestation quant au sens ou à la portée de
la décision rendue par la Cour au premier point du dispositif de son arrêt à savoir
que la souveraineté sur Pedra Branca appartient à Singapour.»76
82. Ailleurs, elle écrit «[L]es faits … montrent qu’en réalité nul ne conteste que le troisième
point du dispositif de l’arrêt a tranché la question de la souveraineté sur South Ledge»77.
75 Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt no 11, 1927, C.P.J.I série A, n° 13, p. 11.
76 OES, par. 3.8.
77 Ibid., par. 4.9.
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83. Singapour prétend que les Parties, loin d’être en désaccord, ont en réalité partagé, dans la
période qui a suivi le prononcé de l’arrêt, une «compréhension commune des conclusions
auxquelles la Cour était parvenue». A l’appui de cette assertion, elle invoque leur comportement au
cours de cette période en mettant en avant : 1) d’une part, certaines observations formulées par de
hauts responsables malaisiens quant à la délimitation des espaces maritimes leur revenant
respectivement ; et 2) d’autre part, la création et les travaux de la commission technique mixte.
Toutefois, ainsi qu’il sera démontré ci-après, Singapour présente de façon erronée, sans doute à
dessein, la nature et l’importance de ces faits. Un examen plus attentif révèle sans conteste que les
Parties étaient en désaccord sur la teneur de la décision de la Cour, leurs divergences quant au sens
et à la portée de l’arrêt devenant plus patentes à mesure des initiatives prises pour donner effet à
celui-ci.
i) Déclarations relatives à la délimitation maritime
84. Singapour renvoie à un certain nombre de déclarations de membres du Gouvernement
malaisien faisant part de la disposition de leur pays à entamer la délimitation de la frontière
maritime bilatérale78. Le premier ministre malaisien avait ainsi affirmé, au lendemain du prononcé
de l’arrêt de 2008, que l’étape suivante consisterait, «pour les représentants des deux Parties, à se
rencontrer pour fixer dans les meilleurs délais la ligne de délimitation maritime»79. Singapour en
infère que les Parties étaient d’accord quant au sens et à la portée de l’arrêt, en tant qu’elles
admettaient toutes deux qu’il était nécessaire de procéder à une délimitation maritime. Selon elle,
ces déclarations attestent que la Malaisie comprenait que, en vertu de l’arrêt, Singapour avait
acquis les eaux territoriales baignant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, puisqu’une délimitation des
eaux entourant cette formation n’aurait pas été requise si Singapour n’avait pu se prévaloir d’un
droit entrant en concurrence avec celui de la Malaisie. En outre, Singapour soutient que la Malaisie
comprenait que la question de la souveraineté sur South Ledge ne pourrait être réglée que
moyennant une délimitation maritime qui permettrait de déterminer auquel des deux Etats
appartenaient les eaux territoriales dans lesquelles se trouve cette formation.
85. La Malaisie fera trois observations en ce qui concerne ces déclarations et les conclusions
que Singapour cherche à en tirer. Premièrement, si elles montrent clairement que la Malaisie était
disposée à oeuvrer de concert avec Singapour en vue d’une délimitation bilatérale des espaces
maritimes revenant à chacune des Parties, les déclarations en question n’attestent nullement
l’existence d’une compréhension du sens ou de la portée de l’arrêt qui leur fût commune. La
Malaisie a toujours été consciente de l’importance de parvenir à une délimitation définitive de sa
frontière maritime avec Singapour pour assurer le maintien de bonnes relations dans la région, et
s’est donc toujours montrée disposée à oeuvrer avec cette dernière à la réalisation de cet objectif
dans un esprit de bonne volonté et de coopération. Les déclarations et les actes cités par Singapour
le confirment. Pour autant, l’on ne peut en conclure que si les Parties avaient l’une comme l’autre
l’intention d’entamer un processus de délimitation maritime, c’est parce qu’elles avaient la même
compréhension de la teneur précise de ce que la Cour avait décidé avec effet obligatoire. Inférer de
leur comportement après le prononcé de l’arrêt que les Parties étaient l’une comme l’autre résolues
à en mettre en oeuvre les dispositions est une chose, mais c’en est une autre que d’y voir la preuve
qu’elles comprenaient de la même façon le contenu et les implications de la décision de la Cour.
Un objectif commun ne présuppose pas nécessairement des interprétations concordantes.
86. Deuxièmement, un examen attentif des termes employés dans les brefs extraits cités par
Singapour révèle que, quoi que celle-ci en dise, la teneur de ces déclarations ne permet pas de
conclure que les deux Parties comprenaient l’arrêt de la même façon. Il ressort de certaines de ces
78 OES, par. 1.15-1.17 et 4.11-4.12.
79 Ibid., 1.1[7].
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déclarations que la Malaisie considérait les eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh comme
non délimitées. Le ministre malaisien des affaires étrangères, M. Rais Yatim, avait par exemple
affirmé, dans un entretien accordé à la presse en 2008, que «le statut des eaux … entour[ant Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh] n’a[vait] pas encore été établi» et que «la question de savoir s’il y a[vait]
chevauchement avec les eaux de Middle Rocks sera[it] tranchée»80. Comme on le voit ici, la
revendication avancée par Singapour à l’égard de certaines eaux territoriales autour de Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh était loin d’aller de soi ; au contraire, il existait une incertitude quant au
sens et à la portée exacts de la décision de la Cour à cet égard dès après le prononcé de l’arrêt. Il
n’y a donc pas lieu de s’étonner que la Malaisie ait jugé nécessaire de procéder à une délimitation
dans les meilleurs délais81.
87. S’agissant de South Ledge, les représentants de la Malaisie ont, au lendemain du
prononcé de l’arrêt, indiqué qu’ils situaient cette formation dans les eaux malaisiennes.
Abdullah Badawi, qui était alors premier ministre de la Malaisie, a tenu le propos suivant, cité par
Singapour dans ses observations écrites : «Nous devons fixer la ligne de délimitation afin de
montrer que [South Ledge] est situ[é] dans nos eaux territoriales.»82 Dans cette optique,
l’opération de délimitation avait seulement vocation à confirmer le fait, déjà établi, que
South Ledge relevait de la souveraineté malaisienne, au vu de sa position dans les eaux territoriales
de la Malaisie. Cette conviction a également été exprimée par le Gouvernement malaisien dans une
déclaration reproduite par la presse à la suite de la publication de l’arrêt : «South Ledge étant situé
dans les eaux territoriales de Middle Rocks, il semble que c’est à la Malaisie qu’en revient la
souveraineté»83. La presse a de même relayé les propos suivants de la directrice en chef de la
division de la recherche, des traités et du droit international du ministère des affaires étrangères :
«[M]ême s’il est avéré, géographiquement, que South Ledge est situé dans les
eaux nationales et qu’il est plus proche de Middle Rocks, Kuala Lumpur n’en
poursuivr[a] pas moins des négociations avec Singapour, dans un esprit de bon
voisinage et d’amitié. Ces négociations sont nécessaires pour démontrer que la
Malaisie a la souveraineté sur South Ledge.»84
88. Comme le montre ce dernier extrait, le Gouvernement de la Malaisie s’est dès le départ
attaché à coopérer avec Singapour en vue d’assurer conjointement la bonne exécution de l’arrêt,
mais il appréhendait à l’évidence le sens et la portée de ce que la Cour avait décidé différemment
de Singapour. Selon la Malaisie, le processus de mise en oeuvre bilatéral engagé par Singapour
n’était requis que pour confirmer le fait que South Ledge était déjà sous souveraineté malaisienne.
Contrairement à ce qu’affirme Singapour, le point de vue exprimé dans les déclarations
susmentionnées est conforme à la position qu’a maintenue la Malaisie dans les échanges
diplomatiques bilatéraux relativement à South Ledge85.
89. Troisièmement, la Malaisie observe que les déclarations et les actes invoqués par
Singapour ne pourraient établir que les Parties comprenaient de la même façon le sens de l’arrêt
qu’à condition de ne faire aucun cas des éléments que révèlent les protestations diplomatiques
échangées entre elles à la suite d’incursions alléguées dans les eaux territoriales de la zone en
80 OES, annexe 16, p. A71 (les italiques sont de nous).
81 Voir la déclaration d’Abdullah Badawi, premier ministre de la Malaisie, citée dans les observations écrites de
Singapour, par. 1.17.
82 OES, par. 4.11 ; les italiques sont de nous.
83 Ibid., annexe 3, citée au paragraphe 4.15.
84 Ibid., annexe 50, citée au paragraphe 4.17 ; les italiques sont de nous.
85 Voir, par exemple, ibid., par. 4.20.
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question, et l’espace aérien surjacent. Il est pour le moins singulier que Singapour semble prête à
accorder un tel poids à des observations peu nombreuses et relativement informelles la plupart
étant des commentaires impromptus relayés par la presse tout en minorant l’importance des
multiples et vifs échanges diplomatiques qu’elle a eus avec la Malaisie à propos de cette question.
Quand bien même les observations citées par Singapour auraient effectivement le sens que celle-ci
leur prête ce qui déjà, en soi, est contestable , des remarques formulées en passant, lors d’un
point presse tenu à l’occasion de la conférence d’annonces de contributions organisée par les
Nations Unies et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est pour faire face aux conséquences
du cyclone Nargis86, ou encore lors d’une table ronde avec plusieurs journalistes87, ne sauraient se
voir reconnaître moins [sic] de poids que les positions contraires exprimées au plus haut niveau du
gouvernement par les voies diplomatiques régulières. Dans leur correspondance diplomatique
formelle, les deux Parties expriment des positions qu’elles estiment conformes à la décision
contraignante de la Cour ; or, ainsi qu’il a été montré en détail dans la demande en interprétation,
ces positions sont totalement différentes, sinon contradictoires. Pris conjointement, ces éléments ne
laissent guère place au doute quant au fait que les vues des Parties sur ce que leur impose l’arrêt
divergent à de nombreux et importants égards.
ii) La commission technique mixte Malaisie-Singapour
90. Singapour fait également référence, pour étayer l’allégation selon laquelle les Parties
partageaient une même compréhension du sens et de la portée de l’arrêt, à la création et aux
activités de la commission technique mixte. Elle affirme que
«[l]es travaux de la commission étaient fondés sur la compréhension commune que les
Parties avaient des conclusions auxquelles la Cour était parvenue. L’une et l’autre
étaient en effet d’accord pour considérer que, compte tenu des conclusions de la Cour
quant à la souveraineté sur Pedra Branca et Middle Rocks, il leur fallait désormais
s’intéresser à l’étendue des espaces maritimes, et de l’espace aérien surjacent, leur
revenant respectivement. Elles s’accordaient aussi à considérer que la question de la
souveraineté sur South Ledge était, selon la décision de la Cour, tributaire de la
délimitation de leurs espaces maritimes respectifs. N’en déplaise à la Malaisie,
l’existence et les travaux de la commission viennent donc contredire entièrement la
thèse de l’incapacité des Parties à s’entendre sur le sens ou la portée de l’arrêt.»88
91. Plus loin, Singapour écrit encore :
«En filigrane de toutes les discussions qui se tinrent [entre les Parties à
l’occasion des réunions de la CTM et de ses sous-commissions], il était entendu que la
Cour, dans le dispositif de son arrêt, avait clairement attribué la souveraineté sur
Pedra Branca à Singapour, la souveraineté sur Middle Rocks, à la Malaisie, et la
souveraineté sur South Ledge, «à l’Etat dans les eaux territoriales duquel il est situé».
Les Parties partaient du principe que, par suite de l’arrêt, elles avaient droit à des
espaces maritimes générés, qui par Pedra Branca, qui par Middle Rocks, et que la
souveraineté sur South Ledge serait fonction de la délimitation de la frontière
maritime. La mission de la CTM était de trouver un moyen de leur permettre d’aller de
l’avant, à la lumière de cette position commune.»89
86 OES, annexe 10.
87 Ibid., annexe 16.
88 Ibid., par. 1.14.
89 Ibid., par. 1.19.
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92. Singapour présente la situation sous un jour trompeur, lorsqu’elle affirme que de ce
qu’elles avaient été d’accord pour créer la CTM et ses sous-commissions, et avaient participé à des
réunions et travaux visant à assurer l’exécution de l’arrêt, il conviendrait de conclure que les Parties
avaient, après le prononcé de l’arrêt, une «compréhension commune … des conclusions auxquelles
la Cour était parvenue». Si ces activités attestent qu’elles poursuivaient un objectif commun
oeuvrer de concert en vue d’assurer la pleine exécution de l’arrêt , elles ne prouvent pas que
les Parties avaient une «interprétation commune» de ce que la Cour avait décidé avec effet
obligatoire.
93. De fait, les deux Etats n’ont pas tant s’en faut participé aux activités de la CTM sur
la base d’une «compréhension commune», mais étant expressément entendu que toutes les
discussions qu’ils auraient, et toutes les mesures qu’ils prendraient, seraient «sans préjudice de la
question de la souveraineté et de la délimitation ultérieure des frontières maritimes»90.
Contrairement à ce qu’affirme Singapour, les discussions entre les Parties n’étaient pas tenues sur
le fondement d’une position commune quant à la souveraineté à l’égard des formations ; bien au
contraire, elles l’étaient étant expressément entendu que les positions antagoniques des Parties sur
les questions de souveraineté et de délimitation maritime seraient réservées. Ainsi, lorsque les
Parties sont convenues «qu’elles seraient «autoris[ées] à poursuivre leurs activités de pêche
traditionnelle dans le secteur de Pedra Branca, Middle Rocks et South Ledge», l’ont-elles fait en
soulignant que ces arrangements étaient «sans préjudice de la question de la souveraineté et de la
délimitation ultérieure des frontières maritimes»91. De même ont-elles décidé qu’elles pourraient
l’une comme l’autre fournir une assistance humanitaire en cas d’incident en mer dans les eaux de
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, ou aux alentours, étant «entendu que toute mesure prise serait sans
préjudice de la question de la souveraineté et de la délimitation ultérieure des frontières
maritimes». Enfin, lorsqu’elles ont fini par conclure le mémorandum d’accord relatif au levé
hydrographique conjoint, au terme de deux ans et demi de négociations portant sur l’étendue, la
méthodologie et les coûts des travaux, les Parties ont une fois de plus indiqué que ces travaux
seraient entrepris sans préjudice des questions de souveraineté et de délimitation maritime :
«Article 2
Questions auxquelles il ne sera pas porté préjudice
La réalisation du levé conjoint conformément au présent mémorandum d’accord
ou au cahier des charges, ou tout acte ou omission résultant des mêmes, est sans
préjudice des questions de souveraineté, en ce compris les positions prises concernant
l’interprétation et l’application du droit international, les revendications maritimes ou
territoriales, sous forme écrite ou autre, et la délimitation ultérieure des frontières
maritimes.»92
94. Loin de démontrer l’existence d’une «compréhension commune … des conclusions
auxquelles la Cour» était parvenue, comme le prétend Singapour, les activités de la CTM et de ses
sous-commissions attestent que Singapour et la Malaisie avaient non seulement abordé le processus
en ayant des droits spécifiques qu’elles tenaient de l’arrêt des conceptions différentes et
contradictoires, mais systématiquement eu soin, tout au long de ce processus bilatéral, de réserver
leurs positions antagoniques, et de garantir qu’aucune démarche effectuée dans le cadre de la CTM
90 Cette formule a été employée à plusieurs reprises dans les minutes des réunions de la CTM et de ses
sous-commissions. Voir, par exemple, les annexes suivantes des observations écrites de Singapour : annexe 18, p. A128 ;
annexe 21, p. A141-142, A152 ; annexe 26, p. A226.
91 Voir, minutes de la première réunion de la CTM, OES, annexe 18, p. A128.Voir aussi celles de la deuxième
réunion de la CTM, OES, annexe 21, p. A198.
92 OES, annexe 66, p. A1043-1044.
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ne pourrait porter préjudice à leurs droits. Contrairement à ce qu’affirme Singapour, les activités de
la CTM ne permettent pas de conclure à l’existence d’une position commune sur le sens et la portée
de l’arrêt.
iii) Conclusion quant à l’existence d’une contestation
95. Singapour a mis en avant une petite sélection d’actes et de déclarations de hauts
responsables malaisiens dans l’espoir de fonder sur ce florilège restreint la thèse de la
«compréhension commune des conclusions auxquelles la Cour était parvenue» qu’auraient
constamment partagée les Parties après le prononcé de l’arrêt. Singapour a tout à fait raison
d’observer que ces actes et déclarations révèlent l’existence d’un important point commun entre
elle et la Malaisie : l’une comme l’autre conviennent que l’arrêt doit être exécuté in extenso, et sont
disposées à prendre des initiatives en vue d’atteindre cet objectif. Le fait qu’elles ont créé la CTM
et les travaux préliminaires réalisés par celle-ci et par ses sous-commissions témoignent de leur
détermination commune à respecter et à mettre en oeuvre les décisions de la Cour.
96. Toutefois, si les Parties ont en commun de s’être engagées à respecter l’arrêt, elles ne
conçoivent pas de la même façon ce que ce dernier leur impose. Singapour semble certes faire peu
de cas de la longue série de protestations diplomatiques formulées par les deux gouvernements,
mais ces protestations n’ont pas cessé et leur persistance, ainsi que la contestation latente dont elles
attestent l’existence, s’expliquent foncièrement par la divergence de vues entre les Parties quant au
sens et à la portée de certains éléments essentiels de l’arrêt de 2008. Le blocage au sein de la CTM
en apporte une nouvelle preuve : à chaque initiative de cet organe bilatéral, la dissonance entre les
perceptions des Parties sur ce qu’impose l’arrêt se fait plus patente.
97. En outre, dans ces protestations, la Malaisie et Singapour ont exprimé des vues
entièrement différentes quant aux obligations et aux droits que chacune d’elles tiendrait de l’arrêt.
De ce fait, et ainsi qu’il sera montré plus en détail dans la section ci-après, la divergence d’opinions
manifestée par les Parties concerne bien le sens et la portée de celui-ci.
B. «Sens ou … portée de l’arrêt»
98. Comme l’a indiqué la CPJI dans l’Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de Chorzów),
la faculté qu’a la Cour d’interpréter un arrêt vise à lui permettre de «préciser… ce qui [y] a été
décidé avec force obligatoire»93. Pour qu’une contestation entre dans le cadre de l’article 60, «il
faut donc qu’il y ait divergence entre les [p]arties sur ce qui, dans l’arrêt en question, a été tranché
avec force obligatoire»94. En d’autres termes, il faut, au regard de l’article 60 du Statut, que la
divergence d’opinion concerne «le sens» ou «la portée» du dispositif de l’arrêt. La Cour a confirmé
dans un certain nombre de précédents qu’il s’agissait là d’une règle générale d’interprétation95.
93 Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt no 11, 1927, C.P.J.I. série A n° 13, p. 11.
94 Ibid.
95 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011, C.I.J. Recueil 2011 (II),
p. 542-544, par. 20-32 ; Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants
mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 3 ;
Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du Droit d’asile (Colombie/Pérou) (Colombie
c. Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 402.
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99. Bien que la Cour n’ait pas eu le loisir d’expliquer plus en détail à quoi renvoient «le
sens» ou «la portée» d’un arrêt, tels que visés à l’article 60, il ressort de la jurisprudence que cette
condition sera remplie si la contestation entre les parties se rapporte au contenu exprès de la
décision énoncée par la Cour dans le dispositif de l’arrêt en cause. Elle le sera également s’il y a
controverse «sur la question de savoir si tel ou tel point a été décidé avec force obligatoire»96, ou
divergence de vues quant à la nature ou à l’étendue exacte des obligations et des droits déterminés
par la Cour avec effet obligatoire. Ainsi, la Cour a écarté la demande du Mexique tendant à
l’interprétation de l’arrêt Avena au motif que la divergence entre ce dernier et les Etats-Unis ne
concernait pas tel ou tel effet obligatoire spécifique que pouvait avoir l’arrêt à leur égard, mais
seulement la question des effets, dans l’absolu, d’une décision de la Cour dans l’ordre juridique
interne des Etats parties à l’affaire dans laquelle elle a été rendue97.
100. Si la règle générale veut qu’une demande en interprétation se rapporte au dispositif de
l’arrêt, la Cour, dans sa jurisprudence, a confirmé que, en vertu de l’article 60, il lui est également
loisible d’éclaircir, «dans la mesure où [ils] sont inséparables du dispositif», les motifs fondant la
décision qui s’impose aux parties98. La compétence que la Cour tient de l’article 60 englobe donc la
faculté pour elle de clarifier les conclusions qui jalonnent le raisonnement qu’elle développe dans
l’arrêt, lorsque ce raisonnement est essentiel pour comprendre le sens ou la portée du dispositif.
101. Singapour admet l’existence entre les Parties de divergences d’opinions et de points de
désaccord mais pas d’une contestation au sujet de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh,
Middle Rocks et South Ledge. Mais ces divergences ne concernant pas, selon elle, le «sens ou la
portée» de l’arrêt, elle soutient que la demande en interprétation de la Malaisie ne satisfait pas à la
seconde condition prévue par l’article 60 et que, partant, elle est irrecevable.
102. Singapour avance deux arguments à l’appui de cette affirmation. Premièrement, elle
soutient que ce que signifie l’arrêt est si clair qu’une éventuelle contestation entre les Parties ne
pourrait concerner le sens ou la portée des termes employés dans le dispositif. Deuxièmement, elle
fait valoir que, dans la mesure où il concerne la délimitation de leurs eaux territoriales, le désaccord
entre les Parties ne saurait mettre en cause «le sens ou la portée» de l’arrêt, puisque la Cour n’avait
pas vocation, en vertu du compromis, à se pencher sur des questions de délimitation maritime.
Singapour prétend que l’«objet véritable» de la demande de la Malaisie est «d’obtenir de la Cour
qu’elle se prononce sur une question qu’elle ne pouvait trancher, et n’a pas tranchée, dans l’affaire
initiale»99.
103. La Malaisie note que le degré de clarté que Singapour prête aux termes de l’arrêt n’a
pas à entrer en ligne de compte. Singapour peut bien juger l’arrêt «limpide», et avoir une idée
tranchée de ce qu’il impose précisément à chacune des Parties, la question qui se pose au regard de
l’article 60 n’en reste pas moins celle de savoir si elle appréhende de la même manière que la
Malaisie le sens et la portée de ce que la Cour a décidé avec effet obligatoire.
96 Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt n° 11, 1927, C.P.J.I. série A n° 13, p. 11-12.
97 Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 42-43, par. 37.
98 Demande en interprétation de l’arrêt du 11 juin 1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria c. Cameroun), arrêt, C.I.J. Recueil
1999 (I), p. 35, par. 10 ; voir aussi Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres
ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 3, déclaration de M. le juge Koroma, p. 24, par. 6, et opinion dissidente de M. le juge Sepúlveda-
Amor, p. 41-42, par. 34-35.
99 OES, par. 4.[5].
40
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104. Comme il a été démontré dans la section précédente, il est évident que les Parties ont
des obligations et des droits qu’elles tiennent de l’arrêt des compréhensions différentes. Cette
divergence semble liée, à tout le moins dans une certaine mesure, à l’importance inégale que
chacune d’elles attache au raisonnement motivant la décision obligatoire de la Cour.
105. La Malaisie observe que le dispositif ne peut se comprendre qu’à la lumière de trois
conclusions qui sont autant de jalons du raisonnement suivi par la Cour dans son arrêt de 2008, à
savoir que : premièrement, le Johor, auquel la Malaisie a succédé, possédait, de longue date et
jusqu’à 1953 au moins, un titre originaire de souveraineté qui couvrait les trois formations en
litige ; deuxièmement, la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh est passée des mains de
la Malaisie à celle de Singapour par l’effet d’un processus graduel, les Parties en étant venues à
partager implicitement les mêmes vues quant à l’identité du titulaire du titre sur cette formation ; et,
troisièmement, cette convergence de leurs vues ne concernait que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh
et a laissé inchangée la situation s’agissant de Middle Rocks et de South Ledge100. A la lumière de
ces conclusions, la Malaisie pose, ainsi qu’expliqué dans la section II ci-dessus, la question de
savoir si l’acquisition par la voie d’un accord tacite découlant du comportement des Parties101
d’une île inhabitée située en dehors des eaux territoriales d’un Etat côtier implique
automatiquement et nécessairement l’acquisition d’eaux territoriales générées par celle-ci, et
demeure en conséquence dans le flou quant au sens et à la portée exacts de la décision de la Cour
selon laquelle «la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartient à la République de
Singapour». Cette dernière, quant à elle, semble ne faire aucun cas des conclusions exposées par la
Cour dans le cadre de son raisonnement, lorsque, s’en tenant à la lettre du dispositif, elle écrit :
«Singapour a souveraineté sur Pedra Branca, ni plus ni moins»102. Cela dit, si Singapour entend par
là qu’elle a simplement acquis la souveraineté sur l’île de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, et rien
de «plus», les Parties pourraient bien, en définitive, partager une «compréhension commune» sur ce
point.
106. Pour ce qui est du point du dispositif de l’arrêt de 2008 concernant South Ledge, la
Malaisie relève que, puisque la Cour a jugé que le titre originaire du Johor englobait l’intégralité de
la zone en litige, sa conclusion selon laquelle «la souveraineté sur South Ledge appartient à l’Etat
dans les eaux territoriales duquel il est situé» ne peut signifier qu’une chose : que la Malaisie
conserve la souveraineté sur cette formation. Singapour, une fois de plus, méconnaît la conclusion
de la Cour quant au titre originaire du Johor lorsqu’elle affirme que celle-ci a laissé aux Parties le
soin de déterminer la souveraineté à l’égard de South Ledge au moyen d’un processus bilatéral de
délimitation maritime.
107. En outre, la Malaisie note que, au vu des trois conclusions susvisées exprimées dans le
raisonnement, les deux points contestés du dispositif de l’arrêt sont liés entre eux. Dans ses
observations, Singapour présente la nature de la contestation entre les Parties quant au sens ou la
portée de l’arrêt de manière trompeuse, en séparant systématiquement les questions relatives à la
décision sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh de celles intéressant South Ledge. Or, le sens et la
portée de la décision à laquelle la Cour est parvenue sur South Ledge sont étroitement liés à sa
décision relative à Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, dans la mesure où il ne saurait y avoir de doutes
sur le premier si, comme la Malaisie espère le voir clarifié, Singapour n’a acquis un droit à la
souveraineté territoriale qu’à l’égard de la seconde. Et l’une et l’autre de ces décisions sont à leur
tour étroitement liées à la conclusion exprimée en amont de l’arrêt selon laquelle la Malaisie, en sa
100 Arrêt de 2008, p. 99, par. 289-290.
101 Ibid., p. 50, par. 120.
102 OES, par. 3.21.
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qualité de successeur du Johor, avait souveraineté sur l’intégralité de la zone en litige en vertu du
titre originaire.
108. Pour en venir au second argument de Singapour, selon lequel la divergence d’opinions
existant entre les Parties concernerait l’étendue des espaces maritimes revenant à chacune d’elles
et, partant, ne relèverait pas de l’arrêt, la Malaisie observe que Singapour n’a pas présenté comme
il se doit le point sur lequel les Parties nourrissent des divergences. Les Parties sont en désaccord
sur les implications qu’ont pour chacune d’elles l’arrêt tel que formulé et les conclusions relatives à
la souveraineté qu’il contient. Ce ne sont pas des questions de délimitation maritime qui sont en
cause, non plus que le processus de délimitation maritime en tant que tel. La Malaisie n’a pas
demandé à la Cour de déterminer le tracé de la frontière maritime entre Singapour et elle-même et,
partant, ne lui a pas demandé de trancher une question dont, en vertu du compromis, la Cour n’était
pas saisie dans l’instance initiale. Elle cherche simplement à voir clarifier ce qu’entendait
précisément la Cour lorsque, ayant conclu que la Malaisie détenait, en 1953 encore, un titre
originaire de souveraineté sur les trois formations en litige, ainsi que sur les eaux avoisinantes, elle
a dit que la «souveraineté» sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartenait à Singapour, et que la
souveraineté sur South Ledge appartenait à celui des deux Etats dans les eaux territoriales duquel il
était situé. Prétendre, comme le fait Singapour, que cette contestation concerne simplement
«l’étendue» des espaces maritimes revenant à chacune des Parties et, partant, la délimitation, c’est
se méprendre sur les points qui opposent celles-ci.
109. Enfin, la Malaisie relève une incohérence dans l’argument de Singapour relatif à la
délimitation maritime. Singapour soutient que les démarches entreprises par les Gouvernements
malaisien et singapourien en vue de délimiter leurs espaces maritimes témoignent de la
compréhension commune du sens et de la portée de l’arrêt qui aurait été la leur, tout en affirmant
que la détermination de l’étendue des droits maritimes des Parties ne relève pas de l’arrêt,
puisqu’elle n’était pas expressément visée dans le compromis. Comment le comportement des
Parties pourrait-il apporter la preuve d’une telle compréhension commune du sens et de la portée de
l’arrêt s’il recouvre des initiatives, qui, selon Singapour, sont sans rapport aucun avec ledit arrêt ?
Cette contradiction est peut-être même la meilleure illustration des difficultés auxquelles se sont
heurtées les Parties en cherchant à comprendre le dispositif de l’arrêt. L’incertitude qui plane
autour de ce dernier complique à l’évidence le processus d’exécution.
110. Ayant établi l’existence d’une divergence d’opinions entre les Parties quant au sens ou à
la portée du dispositif de l’arrêt, la Malaisie montrera à présent que sa demande en interprétation
est recevable.
C. Recevabilité
111. Dans sa décision sur la demande en interprétation de l’arrêt rendu en l’affaire du Droit
d’asile, la Cour a énoncé comme suit les conditions auxquelles est subordonnée la recevabilité de
telles demandes :
«II faut que la demande ait réellement pour objet une interprétation de l’arrêt, ce
qui signifie qu’elle doit viser uniquement à faire éclaircir le sens et la portée de ce qui
a été décidé avec force obligatoire par l’arrêt, et non à obtenir la solution de points qui
n’ont pas été ainsi décidés. Toute autre façon d’interpréter l’article 60 du Statut aurait
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pour conséquence d’annuler la disposition de ce même article selon laquelle l’arrêt est
définitif et sans recours.»103
112. La Cour a maintes fois réaffirmé ces conditions, et s’est refusée à examiner toute partie
d’une demande en interprétation ne visant pas à faire éclaircir le sens et la portée de ce qui avait été
décidé par l’arrêt. Ainsi, lorsqu’elle s’est repenchée sur l’arrêt rendu en l’affaire du Plateau
continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), la Cour n’a-t-elle examiné la demande en
interprétation introduite par la Tunisie en vertu de l’article 60 que dans la mesure où elle avait trait
au sens et à la portée de l’arrêt en question104.
113. Singapour soutient que la demande en interprétation soumise en la présente espèce est
irrecevable, la Malaisie priant la Cour de trancher une question en l’occurrence, la délimitation
des espaces maritimes revenant respectivement aux Parties qu’elle n’a pas décidée avec force
obligatoire dans son arrêt, parce qu’elle n’avait pas, en vertu du compromis conclu entre les Parties,
vocation à se prononcer sur ce point105. Singapour écrit ceci :
«[L]e véritable dessein de la Malaisie, en … soumettant [sa demande], est
d’obtenir non pas une interprétation de questions que la Cour a décidées avec force
obligatoire, mais la solution de points qui n’ont pas ainsi été décidés.»106
114. Ailleurs, elle prétend que «[c]e que cherche en réalité la Malaisie, sous le couvert d’une
interprétation, c’est à obtenir l’examen en appel ou la revision de l’arrêt»107.
115. Ainsi qu’elle n’a eu de cesse de l’expliquer, la Malaisie a soumis sa demande en
interprétation afin d’obtenir, avec l’aide de la Cour, des éclaircissements quant au sens exact du
dispositif de l’arrêt de 2008. Les Parties doivent en particulier comprendre ce qu’entendait
précisément la Cour lorsqu’elle a dit que la «souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh
appart[enait] à la République de Singapour» et que «la souveraineté sur South Ledge appart[enait]
à l’Etat dans les eaux territoriales duquel il [était] situé», alors qu’elle avait conclu, plus haut dans
l’arrêt, que la Malaisie détenait la souveraineté sur les trois formations en vertu d’un titre
originaire, et que la souveraineté acquise par Singapour l’avait été à l’issue «d’une évolution
convergente des positions de[s Parties] concernant le titre sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh»108.
116. Il ressort on ne peut plus clairement de la longue litanie de protestations diplomatiques
relatives aux activités menées dans les eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh,
Middle Rocks et South Ledge, ou l’espace aérien surjacent, ainsi que de l’inaction à laquelle s’est
récemment trouvée réduite la CTM, que la Malaisie et Singapour ont des vues divergentes quant au
sens et à la portée de ces deux points du dispositif de l’arrêt. En outre, le fait que les efforts qu’elles
ont déployés pour mener à bien une délimitation maritime sous les auspices de la CTM sont au
point mort montre que, sans un accord bilatéral sur cette question, cette divergence d’opinions
103 Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du Droit d’asile (Colombie/Pérou)
(Colombie c. Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 402. Cette citation a été reprise dans les affaires Tunisie c. Jamahiriya
arabe libyenne, p. 217, par. 44, Cameroun c. Nigeria, p. 36-37, par. 12, Préah Vihéar, p. 303, par. 55.
104 Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 223, par. 56.
105 OES, par. 2.11. Voir aussi par. 3.24, 3.31, 4.31, 4.34 et 4.38.
106 Ibid., résumé de l’argumentation, par. 5.
107 Ibid., par. 4.38.
108 Arrêt de 2008, p. 96, par. 276.
45
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quant au sens et à la portée de l’arrêt risque de demeurer une source de tension et d’instabilité entre
les Parties, et de rendre plus difficile le maintien de la sécurité dans ces eaux très fréquentées.
117. Ainsi, l’organisation des opérations de recherche et de sauvetage des forces navales
malaisiennes est considérablement alourdie par la nécessité de tenir compte, en sus, de toute
l’amplitude potentielle des droits maritimes revendiqués par Singapour. Celle-ci a fait référence,
dans ses observations écrites, à des cartes marines utilisées par le chef des forces navales
malaisiennes lors d’un incident impliquant le USS John McCain, intervenu le 21 août 2017, après
l’introduction par la Malaisie de sa demande en interprétation, y voyant la preuve que la Malaisie
lui reconnaissait des droits sur certaines eaux territoriales. De fait, en montrant jusqu’où s’étendent
les visées de Singapour en matière d’espaces maritimes, cette carte témoigne de l’incertitude et de
l’instabilité qui resteront le quotidien des forces navales malaisiennes tant que persistera la
divergence d’opinions entre les Parties sur ce qui a été décidé par l’arrêt, et tant que ce désaccord
entravera le processus devant aboutir à une délimitation maritime.
118. Si la Malaisie et Singapour ont maintes fois, lors de discussions tenues au sein de la
CTM, fait part de l’importance qu’elles attachent à la communication mutuelle, il leur serait fort
utile d’être parfaitement au clair sur ce qui a été décidé avec effet obligatoire par l’arrêt. Cela leur
permettrait en effet de coordonner leur réponse en cas d’urgence ou autres incidents, ainsi que de
prévoir les moyens de limiter les risques dans la zone avec plus de précision et de certitude.
119. Les Parties ont donc besoin que la Cour les éclaire sur le sens exact de la décision selon
laquelle «la souveraineté sur Pedra Branca/Palau Batu Puteh appart[ient] à la République de
Singapour» et «la souveraineté sur South Ledge[,] à l’Etat dans les eaux territoriales duquel il est
situé». Voilà pourquoi la Malaisie a soumis sa demande en interprétation en l’espèce.
IV. RÉSUMÉ DE L’ARGUMENTATION
120. Conformément à l’instruction de procédure II, la Malaisie présente ici un bref résumé
de l’argumentation qu’elle a développée dans ses observations écrites :
a) le sens et la portée des points 1) et 3) du dispositif de l’arrêt de 2008 ne sont pas clairs, et sont
en cause dans le cadre d’une contestation entre les Parties relative au statut des eaux entourant
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et à la souveraineté sur South Ledge.
b) Singapour reconnaît l’existence d’une contestation entre les Parties, mais soutient qu’elle porte
sur les droits à l’espace aérien et maritime, et ne concerne pas le sens et la portée de l’arrêt de
2008.
c) La Malaisie admet qu’il existe une contestation entre les Parties au sujet des droits à l’espace
aérien et maritime, mais dont Singapour méconnaît qu’elle découle directement, foncièrement
et inéluctablement de l’incertitude associée au sens et la portée des points 1) et 3) du dispositif
de l’arrêt de 2008.
d) S’agissant des eaux situées autour de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, si la Cour a attribué à
Singapour la souveraineté sur cette formation, il ne s’ensuit pas inexorablement, en droit, que
celle-ci génère ses propres espaces maritimes. Au contraire, il est défendable et raisonnable, eu
égard à l’arrêt de 2008, d’affirmer que Pedra Branca/Pulau Batu Puteh n’en génère aucun. C’est
en ce sens que la Malaisie interprète l’arrêt de 2008.
e) S’agissant de la souveraineté sur South Ledge, l’interprétation qu’elle fait de l’arrêt de 2008
amène la Malaisie à conclure que la souveraineté sur cette formation lui revient, par implication
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logique, car il s’agit d’un haut-fond découvrant qui relève, d’un point de vue géographique, non
pas de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, mais de Middle Rocks (sur lequel elle a souveraineté),
et se trouve dans des eaux dont l’appartenance est historiquement et incontestablement
malaisienne.
f) Singapour a une appréciation différente du sens et de la portée de l’arrêt de 2008 à ces égards.
g) Le différend entre la Malaisie et Singapour est une contestation bien circonscrite ayant pour
objet le sens et la portée des points 1) et 3) du dispositif de l’arrêt de 2008.
h) En conséquence, la Cour a compétence pour interpréter son arrêt de 2008, ainsi que demandé
par la Malaisie, et la requête de celle-ci est recevable.
V. CONCLUSIONS
121. Eu égard aux exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité soulevées par Singapour, la
Malaisie prie la Cour de dire et juger :
a) qu’il existe une contestation, au sens de l’article 60 du Statut de la Cour, entre la Malaisie et
Singapour au sujet de l’interprétation de l’arrêt du 23 mai 2008 ;
b) que la Cour est compétente pour connaître de la demande en interprétation de la Malaisie, et
que la requête est recevable.
122. Dans la requête, l’«interprétation demandée à la Cour», au paragraphe 56, l’est dans ces
termes :
«La Malaisie prie respectueusement la Cour de dire et juger que :
a) «les eaux entourant Pedra Branca/Pulau Batu Puteh continuent de faire partie des
eaux territoriales de la Malaisie» ; et que
b) «South Ledge est situé dans les eaux territoriales de la Malaisie, ce dont il découle
que la souveraineté sur South Ledge appartient à la Malaisie.»
123. La Malaisie réitère cette demande.
124. Si la Cour devait juger opportun, aux fins de l’interprétation de son arrêt de 2008, de
voir développées certaines questions soulevées par la demande, la Malaisie l’invite à prescrire aux
Parties la présentation, par écrit ou par oral, de tout moyen complémentaire qui pourrait l’assister
dans sa tâche.
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J’ai l’honneur de soumettre à la Cour les observations écrites par lesquelles la Malaisie
répond aux observations écrites de Singapour contestant la compétence et la recevabilité dans
l’affaire de la Demande en interprétation de l’arrêt du 23 mai 2008 en l’affaire relative à la
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge
(Malaisie/Singapour) (Malaisie c. Singapour), ainsi que les annexes qui y sont jointes.
Les présentes observations écrites sont soumises comme suite à la lettre du greffier en date
du 9 octobre 2017, communiquant la décision de la Cour d’autoriser la production d’une telle
pièce. Conformément au Règlement et à la pratique de la Cour, j’en soumets un exemplaire dûment
signé.
Je certifie que les documents reproduits dans les annexes sont des copies conformes des
originaux.
Le 15 février 2018,
L’ambassadeur de la Malaisie
auprès du Royaume des Pays-Bas,
coagent de la Malaisie,
M.Dato’ Ahmad Nazri YUSOF.
___________
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VI. LISTE DES ANNEXES
Annexe A Ordonnance no 7 sur l’état d’urgence (pouvoirs essentiels) de 1969,
Nations Unies, Série législative ST/LEG/SER.B/16, p. 14
Annexe B Communiqué de presse 09-0/80/09/15 du Gouvernement de Singapour, en date
du 15 septembre 1980
___________
ANNEXE A
ORDONNANCE NO 7 SUR L’ÉTAT D’URGENCE (POUVOIRS ESSENTIELS) DE 1969,
NATIONS UNIES, SÉRIE LÉGISLATIVE ST/LEG/SER.B/16, P. 14
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ANNEXE B
COMMUNIQUÉ DE PRESSE 09-0/80/09/15 DU GOUVERNEMENT
DE SINGAPOUR, EN DATE DU 15 SEPTEMBRE 1980
Zone économique exclusive
La neuvième session (suite) de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la
mer vient de se terminer à Genève. Il ressort des résultats de cette session que la conférence touche
à sa fin et qu’il est probable qu’une nouvelle convention sur le droit de la mer sera conclue sous
peu.
Une des tendances qui se dégagent de la conférence est l’approbation d’une limite de
12 milles marins pour la mer territoriale, assortie de garanties de libre passage en transit au travers
des détroits, et d’une zone économique exclusive de 200 milles au-delà de la mer territoriale sur
laquelle les Etats exerceront leur juridiction et jouiront de droits sur les ressources. Ces dernières
années, la pratique des Etats a été conforme à cette tendance. La Malaisie et l’Indonésie,
notamment, ont déjà déclaré une mer territoriale de 12 milles marins et une zone économique
exclusive de 200 milles marins.
Depuis 1978, Singapour souscrit au concept d’une mer territoriale de 3 milles marins. Dans
certaines zones, elle peut étendre sa mer territoriale au-delà de 3 milles marins et revendiquer aussi
une zone économique exclusive. A la lumière de cette évolution internationale, Singapour exercera
son droit de porter la limite de sa mer territoriale à 12 milles marins au plus. Elle établira également
une zone économique exclusive.
Les coordonnées précises de toutes extensions de la mer territoriale et l’établissement de
toute zone économique exclusive seront annoncés en temps utile. Si ces extensions et
l’établissement d’une zone économique exclusive devaient entrer en concurrence avec des
revendications de pays voisins, Singapour négociera avec ces pays en vue d’aboutir à un accord sur
la délimitation, conformément au droit international.
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Observations écrites par lesquelles la Malaisie répond aux observations écrites de Singapour contestant la compétence et la recevabilité