Arrêt du 6 juin 2018

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163-20180606-JUD-01-00-EN
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Incidental Proceedings
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2018
2018
6 juin
Rôle général
no 163
6 juin 2018
IMMUNITÉS ET PROCÉDURES PÉNALES
(GUINÉE ÉQUATORIALE c. FRANCE)
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
Contexte factuel.
*
Bases de compétence invoquées — Article 35 de la convention de Palerme — Article premier
du protocole de signature facultative à la convention de Vienne.
*
Objet du différend.
Aspect du différend à l’égard duquel la Guinée équatoriale invoque la convention de
Palerme — Désaccord sur la question de savoir si, en conséquence des principes visés à l’article 4
de la convention, M. Obiang Mangue jouit de l’immunité de juridiction — Divergence de vues sur
la question de savoir si, en conséquence des principes visés à l’article 4 de la convention,
l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris jouit d’une immunité vis-à-vis des mesures de
contrainte —Désaccord sur la question de savoir si, en établissant sa compétence pour connaître
des infractions principales, la France a violé l’article 4, lu conjointement avec les articles 6 et 15.
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Aspect du différend à l’égard duquel la Guinée équatoriale invoque le protocole de signature
facultative — Désaccord sur la question de savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris fait
partie des locaux de la mission de la Guinée équatoriale en France et peut donc bénéficier de la
protection accordée à pareils locaux par l’article 22 de la convention de Vienne — Désaccord sur
la question de savoir si les mesures prises par la France à l’égard de cet immeuble emportent
violation de l’article 22.
Assertions de la Guinée équatoriale concernant les obligations de consultation et de
coopération prévues dans la convention de Palerme — Absence de telles conclusions au terme du
mémoire — Décision de la Cour de considérer celles-ci comme des arguments supplémentaires et
non comme des demandes distinctes formulées au titre de la convention de Palerme.
*
Première exception préliminaire : Compétence en vertu de la convention de Palerme.
Conditions de nature procédurale prévues à l’article 35 de ladite convention — Conditions
satisfaites.
Violation alléguée des règles relatives aux immunités des Etats et de leurs agents par la
France — Interprétation de l’article 4 de la convention de Palerme — But de l’article 4 — Sens
ordinaire du paragraphe 1 de l’article 4 — Contexte du paragraphe 1 de l’article 4 — Lecture de
cette disposition à la lumière de l’objet et du but de la convention — Conclusion de la Cour selon
laquelle les règles du droit international coutumier relatives aux immunités des Etats et de leurs
agents ne sont pas incorporées dans l’article 4 — Interprétation confirmée par les travaux
préparatoires — Aspect du différend sans relation avec l’interprétation ou l’application de la
convention de Palerme en tant qu’il a trait à l’immunité prétendue du vice-président et de
l’immunité de toute mesure de contrainte invoquée en faveur de l’immeuble en tant que bien
d’Etat — Cour non compétente pour connaître de cet aspect du différend.
Compétence excessive que la France se serait attribuée — Question de savoir si
l’incrimination par la France du blanchiment d’argent et l’établissement de sa compétence à
l’égard de cette infraction concerne l’interprétation ou l’application de la convention de
Palerme — Définition de l’expression «infraction principale» selon l’alinéa h) de l’article 2 de la
convention — Obligation pour les Etats parties, selon le paragraphe 2 de l’article 6, de s’efforcer
de conférer le caractère d’infraction pénale à l’éventail le plus large d’infractions principales,
y compris les infractions commises à l’extérieur du territoire relevant de leur compétence —
Obligation pour chaque Etat partie, selon l’article 15, d’adopter les mesures nécessaires pour
établir sa compétence à l’égard des infractions visées par la convention — Violations reprochées
par la Guinée équatoriale non susceptibles d’entrer dans les prévisions des articles 6 et 15 de la
convention de Palerme — Cour non compétente pour connaître de cet aspect du différend.
Cour non compétente au titre de la convention de Palerme pour connaître de la requête de
la Guinée équatoriale — Première exception préliminaire retenue.
*
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Deuxième exception préliminaire : Compétence en vertu du protocole de signature
facultative à la convention de Vienne.
Aucune suite donnée par la France à la proposition de la Guinée équatoriale d’avoir
recours à la conciliation ou à l’arbitrage — Articles II et III du protocole de signature facultative
dépourvus d’incidence sur une éventuelle compétence de la Cour au titre de l’article premier de
celui-ci.
Question de savoir si cet aspect du différend est relatif à l’interprétation ou l’application de
la convention de Vienne, comme l’exige l’article premier du protocole de signature facultative —
Définition de l’expression «locaux de la mission» selon l’alinéa i) de l’article premier de la
convention de Vienne — Régime d’inviolabilité, de protection et d’immunité garanti à pareils
locaux par l’article 22 de la convention de Vienne — Positions divergentes sur la question de
savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris peut être considéré comme «locaux de la
mission» et s’il convient ou non de lui accorder la protection prévue par l’article 22 — Aspect du
différend relatif à l’interprétation ou l’application de la convention de Vienne, au sens de
l’article premier du protocole de signature facultative, et entrant dans le champ de la convention
de Vienne — Biens mobiliers présents dans l’immeuble — Cour compétente pour se prononcer sur
le différend relatif au statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que locaux
diplomatiques, y compris sur toute demande relative aux pièces d’ameublement et autres objets se
trouvant dans lesdits locaux — Deuxième exception préliminaire rejetée.
*
Troisième exception préliminaire : Abus de procédure et abus de droit.
Exception dûment qualifiée d’exception d’irrecevabilité.
Abus de procédure — Question d’ordre procédural pouvant être examinée à un stade
préliminaire — Abus de procédure à démontrer au moyen de preuves claires — Absence de telles
preuves en l’espèce — Demandeur ne pouvant être débouté pour abus de procédure que dans des
circonstances exceptionnelles — Absence de pareilles circonstances en l’espèce.
Abus de droit — Impossibilité d’invoquer comme cause d’irrecevabilité l’abus d’un droit
dont l’existence doit être établie au stade du fond de l’affaire — Nécessité d’examiner tout
argument relatif à un abus de droit au stade du fond.
Troisième exception préliminaire rejetée.
*
Conclusions générales.
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ARRÊT
Présents : M. YUSUF, président ; MME XUE, vice-présidente ; MM. OWADA, ABRAHAM,
BENNOUNA, CANÇADO TRINDADE, MME DONOGHUE, M. GAJA, MME SEBUTINDE,
MM. BHANDARI, ROBINSON, CRAWFORD, GEVORGIAN, SALAM, juges ; M. KATEKA,
juge ad hoc ; M. COUVREUR, greffier.
En l’affaire relative aux immunités et procédures pénales,
entre
la République de Guinée équatoriale,
représentée par
S. Exc. M. Carmelo Nvono Nca, ambassadeur de la République de Guinée équatoriale auprès
du Royaume de Belgique et du Royaume des Pays-Bas,
comme agent ;
M. Juan Olo Mba, ministre délégué de la justice de la République de Guinée équatoriale,
Mme Rimme Bosio Riokale, secrétaire d’Etat de la République de Guinée équatoriale,
S. Exc. M. Miguel Oyono Ndong, ambassadeur de la République de Guinée équatoriale
auprès de la France,
S. Exc. M. Lázaro Ekua, ambassadeur de la République de Guinée équatoriale auprès de la
Suisse et représentant permanent auprès de l’Office des Nations Unies et d’autres
organisations internationales à Genève,
M. Sergio Abeso Tomo, ancien président de la Cour suprême de justice de la République de
Guinée équatoriale,
comme membres de la délégation ;
M. Maurice Kamto, professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun), avocat au barreau
de Paris, membre et ancien président de la Commission du droit international,
M. Jean-Charles Tchikaya, avocat au barreau de Bordeaux,
sir Michael Wood, K.C.M.G., membre de la Commission du droit international, membre du
barreau d’Angleterre,
comme conseils et avocats ;
M. Alfredo Crosato Neumann, Institut de hautes études internationales et du développement
de Genève,
M. Francisco Evuy Nguema Mikue, avocat de la République de Guinée équatoriale,
M. Francisco Moro Nve Obono, avocat de la République de Guinée équatoriale,
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M. Didier Rebut, professeur à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas,
M. Omri Sender, George Washington University Law School, membre du barreau d’Israël,
M. Alain-Guy Tachou-Sipowo, chargé de cours, Université McGill et Université Laval,
comme conseils ;
Mme Emilia Ndoho, secrétaire à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale auprès
du Royaume de Belgique et du Royaume des Pays-Bas,
comme assistante,
et
la République française,
représentée par
M. François Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des
affaires étrangères,
comme agent ;
M. Pierre Boussaroque, directeur adjoint des affaires juridiques du ministère de l’Europe et
des affaires étrangères,
comme agent adjoint ;
M. Alain Pellet, professeur émérite à l’Université Paris Nanterre, ancien membre et ancien
président de la Commission du droit international, membre de l’Institut de droit
international,
M. Hervé Ascensio, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
M. Pierre Bodeau-Livinec, professeur à l’Université Paris Nanterre,
M. Mathias Forteau, professeur à l’Université Paris Nanterre,
Mme Maryline Grange, maître de conférences en droit public à l’Université Jean Monnet à
Saint Etienne, Université de Lyon,
comme conseils ;
M. Ludovic Legrand, consultant juridique à la direction des affaires juridiques du ministère
de l’Europe et des affaires étrangères,
M. Julien Boissise, consultant juridique à la direction des affaires juridiques du ministère de
l’Europe et des affaires étrangères,
comme conseils adjoints ;
- 6 -
Mme Flavie Le Sueur, cheffe du bureau du droit économique, financier et social, de
l’environnement et de la santé publique à la direction des affaires criminelles et des
grâces du ministère de la justice,
Mme Diarra Dime Labille, conseillère juridique à l’ambassade de France aux Pays-Bas,
comme conseillères,
LA COUR,
ainsi composée,
après délibéré en chambre du conseil,
rend l’arrêt suivant :
1. Le 13 juin 2016, le Gouvernement de la République de Guinée équatoriale (ci-après la
«Guinée équatoriale») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la
République française (ci-après la «France») au sujet d’un différend ayant trait à
«l’immunité de juridiction pénale du second vice-président de la République de
Guinée équatoriale chargé de la défense et de la sécurité de l’Etat
[M. Teodoro Nguema Obiang Mangue], ainsi qu[’au] statut juridique de l’immeuble
qui abrite l’Ambassade de Guinée équatoriale en France, tant comme locaux de la
mission diplomatique que comme propriété de l’Etat».
2. Dans sa requête, la Guinée équatoriale entend fonder la compétence de la Cour, d’une
part, sur l’article 35 de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale
organisée du 15 novembre 2000 (ci-après la «convention de Palerme») et, d’autre part, sur l’article
premier du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations
diplomatiques concernant le règlement obligatoire des différends, du 18 avril 1961 (ci-après le
«protocole de signature facultative à la convention de Vienne»).
3. Conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour, la requête a été
immédiatement communiquée au Gouvernement français ; conformément au paragraphe 3 de cet
article, tous les Etats admis à ester devant la Cour ont par ailleurs été informés du dépôt de la
requête.
4. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de nationalité équato-guinéenne, la
Guinée équatoriale a fait usage du droit que lui confère le paragraphe 2 de l’article 31 du Statut de
procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire ; elle a désigné
M. James Kateka.
5. Par une ordonnance en date du 1er juillet 2016, la Cour a fixé au 3 janvier 2017 et
au 3 juillet 2017, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire de la
Guinée équatoriale et d’un contre-mémoire de la France. Le mémoire de la Guinée équatoriale a été
déposé dans le délai ainsi prescrit.
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6. Le 29 septembre 2016, la Guinée équatoriale, se référant à l’article 41 du Statut et aux
articles 73, 74 et 75 du Règlement de la Cour, a présenté une demande en indication de mesures
conservatoires tendant à ce que la France suspende toutes les procédures pénales engagées contre le
vice-président équato-guinéen ; qu’elle veille à ce que l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris
soit traité comme locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France et, en
particulier, garantisse son inviolabilité ; et qu’elle s’abstienne de prendre toute autre mesure qui
pourrait aggraver ou étendre le différend soumis à la Cour.
7. La Guinée équatoriale a en outre prié «le président de la Cour, conformément à
l’article 74, paragraphe 4, du Règlement de la Cour, d’inviter la France à agir de manière que toute
ordonnance de la Cour sur la demande en indication de mesures conservatoires puisse avoir les
effets voulus».
8. Le greffier a immédiatement transmis copie de la demande en indication de mesures
conservatoires au Gouvernement français, en application du paragraphe 2 de l’article 73 du
Règlement. Il en a également informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
9. Par lettre datée du 3 octobre 2016, dans laquelle il invoquait le paragraphe 4 de l’article 74
du Règlement, le vice-président de la Cour, faisant fonction de président en l’affaire, a appelé
l’attention de la France «sur la nécessité d’agir de manière que toute ordonnance de la Cour sur la
demande en indication de mesures conservatoires puisse avoir les effets voulus».
10. Par ordonnance du 7 décembre 2016, la Cour, après avoir entendu les Parties, a indiqué
les mesures conservatoires suivantes :
«La France doit, dans l’attente d’une décision finale en l’affaire, prendre toutes
les mesures dont elle dispose pour que les locaux présentés comme abritant la mission
diplomatique de la Guinée équatoriale au 42 avenue Foch à Paris jouissent d’un
traitement équivalent à celui requis par l’article 22 de la convention de Vienne sur les
relations diplomatiques, de manière à assurer leur inviolabilité.»
11. Conformément au paragraphe 1 de l’article 43 du Règlement, le greffier a adressé aux
Etats parties à la convention de Palerme la notification prévue au paragraphe 1 de l’article 63 du
Statut de la Cour ; il a en outre adressé à l’Union européenne, en tant que partie à ladite convention,
la notification prévue au paragraphe 2 de l’article 43 du Règlement. Par ailleurs, conformément au
paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement, le greffier a adressé à l’Organisation des Nations Unies,
par l’entremise de son Secrétaire général, la notification prévue au paragraphe 3 de l’article 34 du
Statut.
Par lettre en date du 28 avril 2017, le directeur général du service juridique de la
Commission européenne a fait connaître à la Cour que l’Union européenne n’avait pas l’intention
de présenter, au titre du paragraphe 2 de l’article 43 du Règlement, des observations concernant
l’interprétation de la convention de Palerme.
- 8 -
12. Conformément au paragraphe 1 de l’article 43 du Règlement, le greffier a également
adressé aux Etats parties à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques (ci-après la
«convention de Vienne»), ainsi qu’aux Etats parties au protocole de signature facultative à la
convention de Vienne, la notification prévue au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut.
13. Le 31 mars 2017, dans le délai fixé au paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement, la
France a soulevé des exceptions préliminaires à la compétence de la Cour. En conséquence, par
ordonnance du 5 avril 2017, la Cour, constatant qu’en vertu des dispositions du paragraphe 5 de
l’article 79 du Règlement la procédure sur le fond était suspendue, a fixé au 31 juillet 2017 la date
d’expiration du délai dans lequel la Guinée équatoriale pouvait présenter un exposé écrit contenant
ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées par la France. La
Guinée équatoriale a déposé un tel exposé dans le délai ainsi fixé, et l’affaire s’est alors trouvée en
état pour ce qui est des exceptions préliminaires.
14. Par lettre en date du 9 février 2018, l’agent de la France, se fondant sur l’article 56 du
Règlement, a transmis à la Cour une copie certifiée conforme d’un jugement rendu par le tribunal
correctionnel de Paris, en date du 27 octobre 2017. Ainsi que le prévoit le paragraphe 1 de l’article
précité, le document a été communiqué à la Guinée équatoriale. Par note verbale en date du
14 février 2018, l’ambassade de Guinée équatoriale près le Royaume des Pays-Bas a informé la
Cour que la Guinée équatoriale ne voyait pas d’objection à ce qu’il soit produit en l’espèce. La
Cour a pris note de l’accord des Parties et le greffier, par lettres en date du 19 février 2018, a fait
connaître aux Parties que ledit document pouvait être produit.
15. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 du Règlement, la Cour, après s’être
renseignée auprès des Parties, a décidé que des exemplaires des pièces de procédure, dont le
mémoire de la Guinée équatoriale, et des documents y annexés seraient rendus accessibles au
public à l’ouverture de la procédure orale.
16. Des audiences publiques sur les exceptions préliminaires soulevées par la France se sont
tenues du lundi 19 février au vendredi 23 février 2018, au cours desquelles ont été entendus en
leurs plaidoiries et réponses :
Pour la France : M. François Alabrune,
M. Hervé Ascensio,
M. Pierre Bodeau-Livinec,
M. Alain Pellet.
Pour la Guinée équatoriale : S. Exc. M. Carmelo Nvono Nca,
sir Michael Wood,
M. Jean-Charles Tchikaya,
M. Maurice Kamto.
17. A l’audience, un membre de la Cour a posé à la France une question à laquelle une
réponse et des observations y afférentes ont été formulées oralement.
*
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18. Dans la requête, les demandes ci-après ont été formulées par la République de
Guinée équatoriale :
«Au regard de ce qui précède, la Guinée équatoriale prie respectueusement la
Cour :
a) En ce qui concerne le non-respect de la souveraineté de la République de
Guinée équatoriale par la République française :
i) de dire et juger que la République française a manqué à son obligation de
respecter les principes de l’égalité souveraine des Etats et de la
non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats à l’égard de la
République de Guinée équatoriale, conformément au droit international, en
permettant que ses juridictions engagent des procédures judiciaires pénales
contre son second vice-président pour des allégations qui, lors même qu’elles
auraient été établies, quod non, relèveraient de la seule compétence des
juridictions équato-guinéennes, et qu’elles ordonnent la saisie d’un immeuble
appartenant à la République de Guinée équatoriale et utilisé aux fins de la
mission diplomatique de ce pays en France ;
b) En ce qui concerne le second vice-président de la République de
Guinée équatoriale chargé de la défense et de la sécurité de l’Etat :
i) de dire et juger qu’en engageant des procédures pénales contre le
second vice-président de la République de Guinée équatoriale chargé de la
défense et la sécurité de l’Etat, Son Excellence M. Teodoro Nguema Obiang
Mangue, la République française a agi et agit en violation de ses obligations
en vertu du droit international, notamment la convention des Nations Unies
contre la criminalité transnationale organisée et le droit international général ;
ii) d’ordonner à la République française de prendre toutes les mesures
nécessaires pour mettre fin à toutes les procédures en cours contre le Second
Vice-Président de la République de Guinée équatoriale chargé de la Défense
et de la Sécurité de l’Etat ;
iii) d’ordonner à la République française de prendre toutes les mesures pour
prévenir de nouvelles atteintes à l’immunité du second vice-président de la
Guinée équatoriale chargé de la défense et de la sécurité de l’Etat, et
notamment s’assurer qu’à l’avenir, ses juridictions n’engagent pas de
procédures pénales contre le second vice-président de Guinée équatoriale ;
c) En ce qui concerne l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris :
i) de dire et juger que la République française, en saisissant l’immeuble sis au
42 avenue Foch à Paris, propriété de la République de Guinée équatoriale et
utilisé aux fins de la mission diplomatique de ce pays en France, agit en
violation de ses obligations en vertu du droit international, notamment la
convention de Vienne sur les relations diplomatiques et la convention des
Nations Unies, ainsi qu’en vertu du droit international général ;
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ii) d’ordonner à la République française de reconnaître à l’immeuble sis au
42 avenue Foch à Paris, le statut de propriété de la République de
Guinée équatoriale ainsi que de locaux de sa mission diplomatique à Paris, et
de lui assurer en conséquence la protection requise par le droit international ;
d) En conséquence de l’ensemble des violations par la République française de ses
obligations internationales dues à la République de Guinée équatoriale :
i) de dire et juger que la responsabilité de la République française est engagée
du fait du préjudice que les violations de ses obligations internationales ont
causé et causent encore à la République de Guinée équatoriale ;
ii) d’ordonner à la République française de payer à la République de
Guinée équatoriale une pleine réparation pour le préjudice subi, dont le
montant sera déterminé à une étape ultérieure.»
19. Au cours de la procédure écrite sur le fond, les conclusions ci-après ont été présentées au
nom du Gouvernement de la Guinée équatoriale dans le mémoire :
«Pour les motifs exposés dans le présent mémoire, la République de
Guinée équatoriale prie respectueusement la Cour international[e] de Justice :
a) En ce qui concerne le non-respect de la souveraineté de la République de
Guinée équatoriale par la République française :
i) de dire et juger que la République française a manqué à son obligation de
respecter les principes de l’égalité souveraine des Etats et de la
non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats à l’égard de la
République de Guinée équatoriale, conformément à la convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et au droit
international général, en permettant que ses juridictions engagent des
procédures judiciaires pénales contre son Vice-Président pour des allégations
qui, lors même qu’elles auraient été établies, quod non, relèveraient de la
seule compétence des juridictions équato-guinéennes, et qu’elles ordonnent la
saisie d’un immeuble appartenant à la République de Guinée équatoriale et
utilisé aux fins de la mission diplomatique de ce pays en France ;
b) En ce qui concerne le Vice-Président de la République de Guinée équatoriale,
chargé de la Défense nationale et de la Sécurité de l’Etat :
i) de dire et juger qu’en engageant des procédures pénales contre le Vice-
Président de la République de Guinée équatoriale, chargé de la Défense
nationale et de la Sécurité de l’Etat, Son Excellence M. Teodoro Nguema
Obiang Mangue, la République française a agi et agit en violation de ses
obligations en vertu du droit international, notamment la convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et le droit
international général ;
ii) d’ordonner à la République française de prendre toutes les mesures
nécessaires pour mettre fin à toutes les procédures en cours contre le Vice-
Président de la République de Guinée équatoriale, chargé de la Défense
nationale et de la Sécurité de l’Etat ;
- 11 -
iii) d’ordonner à la République française de prendre toutes les mesures pour
prévenir de nouvelles atteintes à l’immunité du Vice-Président de la
République de Guinée équatoriale, chargé de la Défense nationale et de la
Sécurité de l’Etat, et notamment s’assurer qu’à l’avenir, ses juridictions
n’engagent pas de procédures pénales contre celui-ci ;
c) En ce qui concerne l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris :
i) de dire et juger que la République française, en saisissant l’immeuble sis au
42 avenue Foch à Paris, propriété de la République de Guinée équatoriale et
utilisé aux fins de la mission diplomatique de ce pays en France, agit en
violation de ses obligations en vertu du droit international, notamment la
convention de Vienne sur les relations diplomatiques et la convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, ainsi qu’en vertu
du droit international général ;
ii) d’ordonner à la République française de reconnaître à l’immeuble sis au
42 avenue Foch à Paris, le statut de propriété de la République de
Guinée équatoriale ainsi que de locaux de sa mission diplomatique à Paris, et
de lui assurer en conséquence la protection requise par le droit international ;
d) En conséquence de l’ensemble des violations par la République française de ses
obligations internationales dues à la République de Guinée équatoriale :
i) de dire et juger que la responsabilité de la République française est engagée
du fait du préjudice que les violations de ses obligations internationales ont
causé et causent encore à la République de Guinée équatoriale ;
ii) d’ordonner à la République française de payer [à] la République de
Guinée équatoriale une pleine réparation pour le préjudice subi, dont le
montant sera détermin[é] à une étape ultérieure.»
20. Les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement de la
République française dans les exceptions préliminaires :
«Pour les motifs exposés dans les présentes exceptions préliminaires, et tous
ceux qui pourraient être invoqués dans la suite de la procédure ou soulevés d’office, la
République française prie la Cour internationale de Justice de bien vouloir décider
qu’elle n’a pas compétence pour se prononcer sur la requête introduite par la
République de Guinée équatoriale le 13 juin 2016.»
21. Les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement de la République
de Guinée équatoriale dans l’exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les
exceptions préliminaires :
«Pour les raisons exposées ci-dessus, la République de Guinée équatoriale prie
respectueusement la Cour :
1) de rejeter les exceptions préliminaires de la France ; et
2) de déclarer qu’elle a compétence pour se prononcer sur la requête de la
Guinée équatoriale.»
- 12 -
22. A l’issue de la procédure orale sur les exceptions préliminaires, les conclusions ci-après
ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement de la République française,
à l’audience du 21 février 2018 :
«Pour les motifs développés dans ses exceptions préliminaires et exposés par
ses représentants au cours des audiences relatives à ces exceptions préliminaires en
l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France),
la République française prie la Cour de bien vouloir décider :
i) qu’elle n’a pas compétence pour se prononcer sur la requête introduite par la
République de Guinée équatoriale le 13 juin 2016 ; et
ii) que la requête est irrecevable.»
Au nom du Gouvernement de la République de Guinée équatoriale,
à l’audience du 23 février 2018 :
«Sur la base des faits et du droit exposés dans nos observations sur les
exceptions préliminaires soulevées par la République française, et au cours de la
présente audience, la Guinée équatoriale prie respectueusement la Cour :
1) de rejeter les exceptions préliminaires de la France ; et
2) de déclarer qu’elle a compétence pour se prononcer sur la requête de la République
de Guinée équatoriale.»
*
* *
I. CONTEXTE FACTUEL
23. A partir de 2007, des associations et personnes privées ont déposé des plaintes auprès du
procureur de la République de Paris à l’encontre de certains chefs d’Etat africains et de membres de
leurs familles, pour des détournements allégués de fonds publics dans leur pays d’origine, dont les
produits auraient été investis en France.
24. L’une de ces plaintes, déposée le 2 décembre 2008 par l’association Transparency
international France, a été déclarée recevable par la justice française et une information judiciaire a
été ouverte des chefs de «recel de détournement de fonds publics», «complicité de recel de
détournement de fonds publics, complicité de détournement de fonds publics, blanchiment,
complicité de blanchiment, abus de biens sociaux, complicité d’abus de biens sociaux, abus de
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confiance, complicité d’abus de confiance et recel de chacune de ces infractions». Le 1er décembre
2010, deux juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris ont été désignés pour mener
l’enquête. Celle-ci a notamment porté sur le mode de financement de biens mobiliers et
immobiliers acquis en France par plusieurs personnes, dont M. Teodoro Nguema Obiang Mangue,
fils du président de la Guinée équatoriale, qui était à l’époque ministre d’Etat chargé de
l’agriculture et des forêts de la Guinée équatoriale.
25. L’enquête diligentée a plus particulièrement concerné les modalités d’acquisition par
M. Teodoro Nguema Obiang Mangue de divers objets de très grande valeur et d’un immeuble sis
au 42 avenue Foch à Paris. Le 28 septembre 2011, les enquêteurs ont effectué un premier transport
au 42 avenue Foch à Paris et saisi des véhicules de luxe stationnés sur place qui appartenaient à
l’intéressé. Alors qu’ils se trouvaient sur les lieux, l’ambassadeur de Guinée équatoriale et un
avocat français représentant cet Etat sont venus protester contre les opérations en cours en
invoquant la souveraineté de la Guinée équatoriale. Le 3 octobre 2011, les enquêteurs ont saisi
d’autres véhicules de luxe appartenant à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue dans des parcs de
stationnement environnants. Le 4 octobre 2011, l’ambassade de Guinée équatoriale en France a
adressé au ministère français des affaires étrangères et européennes (ci-après le «ministère des
affaires étrangères1») une note verbale dans laquelle elle précisait que la Guinée équatoriale avait
antérieurement fait l’acquisition de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris, et que celui-ci était
utilisé aux fins de sa mission diplomatique. Le 5 octobre 2011, les enquêteurs se sont de nouveau
transportés au 42 avenue Foch à Paris, où ils ont constaté la présence de deux affichettes portant les
mentions «République de Guinée équatoriale — locaux de l’ambassade», qui, selon eux, avaient
été apposées la veille sur la porte d’entrée de l’immeuble. Par notes verbales en date du 11 octobre
2011, le ministère français des affaires étrangères a fait savoir à l’ambassade de Guinée équatoriale
et aux magistrats instructeurs qu’il considérait que l’immeuble en cause ne faisait pas partie des
locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale, position que la France a maintenue par
la suite malgré les protestations répétées de la Guinée équatoriale.
26. Par note verbale du 17 octobre 2011, l’ambassade de Guinée équatoriale a informé le
ministère français des affaires étrangères que «la résidence officielle de Mme la Déléguée
Permanente [de la Guinée équatoriale] auprès de l’UNESCO se trouv[ait] dans les locaux de la
Mission Diplomatique située au 40-42 avenue Foch, 75016, Paris». Par note verbale du 31 octobre
2011 adressée à l’ambassade de Guinée équatoriale, le ministère français des affaires étrangères a
réaffirmé que l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris «ne fai[sait] pas partie des locaux de la
mission, qu’il n’a[vait] jamais été reconnu comme tel et rel[evait], de ce fait, du droit commun».
27. Du 14 au 23 février 2012, l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris a fait l’objet de
nouvelles perquisitions au cours desquelles d’autres biens ont été saisis et enlevés. Ces opérations
ont de nouveau été contestées par la Guinée équatoriale, notamment lorsque celle-ci, par note
verbale du 14 février 2012, a invoqué le bénéfice de la protection prévue par la convention de
Vienne pour la résidence officielle de sa déléguée permanente auprès de l’UNESCO. Par note
verbale du 12 mars 2012, la Guinée équatoriale a déclaré que les locaux du 42 avenue Foch à Paris
étaient utilisés aux fins de sa mission diplomatique en France. Le ministère français des affaires
étrangères, dans sa réponse en date du 28 mars 2012, a renvoyé à la «pratique constante» de la
France en matière de reconnaissance de la qualité de «locaux de la mission» et réaffirmé que
l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris ne saurait être considéré comme faisant partie de la
mission diplomatique de la Guinée équatoriale.
1 Le ministère en question a été successivement appelé «ministère des affaires étrangères et européennes»
(2007-2012), «ministère des affaires étrangères et du développement international» (2012-2017), puis «ministère de
l’Europe et des affaires étrangères» (depuis 2017). Aux fins du présent arrêt, il sera désigné par l’expression «ministère
des affaires étrangères».
- 14 -
28. L’un des juges chargés de l’instruction a notamment conclu que l’achat de l’immeuble du
42 avenue Foch à Paris avait été financé en tout ou partie par le produit des infractions visées par
celle-ci et que son véritable propriétaire était M. Teodoro Nguema Obiang Mangue. Il a donc
ordonné la saisie pénale immobilière du bâtiment le 19 juillet 2012. Cette décision a par la suite été
confirmée par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris devant laquelle
M. Teodoro Nguema Obiang Mangue avait interjeté appel. Par note verbale en date du 27 juillet
2012, l’ambassade de Guinée équatoriale en France a informé le service du protocole du ministère
français des affaires étrangères que «les services de l’Ambassade [étaient], à partir de vendredi
27 juillet 2012, installés à l’adresse sise : 42 avenue FOCH, Paris 16ème, immeuble qu’elle utili[sait]
désormais pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission Diplomatique en France».
29. Dans le cadre de l’enquête, la police a procédé à un certain nombre d’auditions. Elle a
notamment cherché à interroger M. Teodoro Nguema Obiang Mangue à deux reprises au cours de
l’année 2012. M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, qui est devenu, le 21 mai 2012, second viceprésident
de la Guinée équatoriale chargé de la défense et de la sécurité de l’Etat, a refusé de
comparaître devant les tribunaux français au motif qu’il jouissait d’une immunité de juridiction.
30. Un mandat d’arrêt a été délivré le 13 juillet 2012 à l’encontre de M. Teodoro Nguema
Obiang Mangue, qui l’a contesté devant la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris.
Celle-ci a toutefois considéré que l’intéressé ne pouvait prétendre bénéficier d’une quelconque
immunité de juridiction pénale s’agissant d’actes qu’il aurait commis en France à titre privé ; elle a
en outre constaté qu’il avait refusé de comparaître et de répondre aux convocations qui lui avaient
été adressées.
31. Ne parvenant pas à entendre l’intéressé, les autorités judiciaires françaises ont, par une
demande en date du 14 novembre 2013, sollicité, en application de la convention de Palerme,
l’entraide judiciaire pénale des autorités judiciaires équato-guinéennes afin que celles-ci
transmettent à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue une convocation de première comparution.
32. Les autorités judiciaires équato-guinéennes ont accepté la demande d’entraide judiciaire
le 4 mars 2014. Elles l’ont ensuite exécutée. Le 18 mars 2014, une audience s’est tenue en
Guinée équatoriale, à Malabo, à laquelle les magistrats instructeurs français ont assisté par
visioconférence. M. Teodoro Nguema Obiang Mangue a par la suite été mis en examen par la
justice française
«pour avoir à Paris et sur le territoire national courant 1997 et jusqu’au mois
d’octobre 2011 … apporté son concours à des opérations d’investissements cachés ou
de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit … en acquérant
plusieurs biens mobiliers et immobiliers et [en] procédant au paiement de plusieurs
prestations de service».
Le 19 mars 2014, un avis de cessation de recherches concernant l’intéressé a été émis par l’un des
juges français chargés de l’instruction.
- 15 -
33. Le 31 juillet 2014, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue a saisi la chambre de
l’instruction de la Cour d’appel de Paris en vue d’obtenir l’annulation de sa mise en examen, au
motif qu’il avait droit à l’immunité de juridiction en sa qualité de second vice-président de la
Guinée équatoriale chargé de la défense et de la sécurité de l’Etat. La Cour d’appel a toutefois
rejeté sa requête par un arrêt du 11 août 2015. M. Teodoro Nguema Obiang Mangue ayant saisi la
Cour de cassation, celle-ci, par un arrêt du 15 décembre 2015, a écarté la thèse selon laquelle
l’intéressé aurait droit à l’immunité et a confirmé sa mise en examen.
34. L’enquête a été déclarée clôturée et le procureur de la République financier a, le 23 mai
2016, pris un réquisitoire définitif aux fins notamment que M. Teodoro Nguema Obiang Mangue
soit jugé pour des délits de blanchiment d’argent. Le 13 juin 2016, la Guinée équatoriale a déposé
sa requête devant la Cour (voir le paragraphe 1 plus haut). Le 5 septembre 2016, les juges
d’instruction du tribunal de grande instance de Paris ont ordonné le renvoi de M. Teodoro Nguema
Obiang Mangue  qui avait entre-temps été nommé, par décret présidentiel du 21 juin 2016, viceprésident
de la Guinée équatoriale chargé de la défense nationale et de la sécurité de l’Etat 
devant le tribunal correctionnel de Paris afin d’y être jugé pour les infractions qu’il aurait
commises en France entre 1997 et octobre 2011. Le 21 septembre 2016, le procureur de la
République financier a émis un «mandement de citation à prévenu», ordonnant à
M. Teodoro Nguema Obiang Mangue de se présenter le 24 octobre 2016 devant le tribunal
correctionnel de Paris pour une «audience au fond».
35. L’adjoint du procureur de la République financier a par la suite indiqué aux conseils de
M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, dans un courriel en date du 26 septembre 2016, que cette
audience visait simplement à «évoquer une difficulté de procédure». Il a expliqué que, ayant
constaté une irrégularité (à savoir que le dispositif de l’ordonnance de renvoi ne citait pas les
dispositions pertinentes d’incrimination et de répression des infractions), le ministère public avait
estimé que le tribunal correctionnel de Paris devait trancher cette question avant d’aborder l’affaire
au fond.
36. Comme cela a été précisé plus haut (voir le paragraphe 6), le 29 septembre 2016, la
Guinée équatoriale a déposé devant la Cour une demande en indication de mesures conservatoires.
37. Le 24 octobre 2016, le tribunal correctionnel de Paris a renvoyé la procédure au
ministère public pour qu’il saisisse à nouveau les juges d’instruction aux fins de régularisation de
l’ordonnance de renvoi ; il a également indiqué que les audiences de jugement se tiendraient du
2 au 12 janvier 2017.
38. Par ordonnance du 7 décembre 2016, la Cour a indiqué des mesures conservatoires (voir
le paragraphe 10 plus haut).
39. Le 2 janvier 2017, une audience au fond a eu lieu devant le tribunal correctionnel de
Paris, en l’absence de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, représenté par ses avocats. La
présidente du tribunal a notamment relevé que, conformément à l’ordonnance de la Cour en date du
7 décembre 2016, toute mesure de confiscation de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris qui
serait prononcée ne pourrait être exécutée avant l’issue de la procédure judiciaire internationale. A
la demande des avocats de la défense, le tribunal a également décidé de reporter l’ouverture du
procès au 19 juin 2017.
- 16 -
40. Les audiences sur le fond devant le tribunal correctionnel de Paris se sont tenues du
19 juin au 6 juillet 2017. Le 27 octobre 2017, le tribunal a rendu son jugement, par lequel il a
déclaré M. Teodoro Nguema Obiang Mangue coupable des faits de blanchiment d’argent qui lui
étaient reprochés, commis en France entre 1997 et octobre 2011. Il a été condamné à une peine
d’emprisonnement de trois ans, assortie d’un sursis, ainsi qu’à une peine d’amende de 30 millions
d’euros, également assortie de sursis. Le tribunal a en outre ordonné la confiscation de l’ensemble
des biens saisis dans le cadre de l’information judiciaire et de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à
Paris ayant déjà fait l’objet d’une saisie pénale immobilière. S’agissant de la confiscation de cet
immeuble, le tribunal, se référant à l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue
par la Cour le 7 décembre 2016, a dit que «la procédure pendante devant [la Cour internationale de
Justice] rend[ait] impossible non pas le prononcé d’une peine de confiscation mais l’exécution par
l’Etat français d’une telle mesure».
41. A la suite du prononcé du jugement, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue a fait appel de
sa condamnation devant la Cour d’appel de Paris. Cet appel ayant un effet suspensif, aucune
mesure n’a été prise pour mettre à exécution les peines prononcées à l’encontre de l’intéressé.
II. BASES DE COMPÉTENCE INVOQUÉES
42. La Cour rappelle que sa compétence est fondée sur le consentement des parties, dans la
seule mesure reconnue par celles-ci (Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête :
2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 2006, p. 32, par. 65 et p. 39, par. 88).
43. La Guinée équatoriale entend fonder la compétence de la Cour sur deux instruments. Le
premier est la convention de Palerme, entrée en vigueur le 29 septembre 2003, que la France a
ratifiée le 29 octobre 2002 et la Guinée équatoriale le 7 février 2003. Le second est le protocole de
signature facultative à la convention de Vienne, entré en vigueur le 24 avril 1964, que la France a
ratifié le 31 décembre 1970 et auquel la Guinée équatoriale a adhéré le 4 novembre 2014. Les deux
Etats sont également parties à la convention de Vienne, entrée en vigueur le 24 avril 1964, que la
France a ratifiée le 31 décembre 1970 et à laquelle la Guinée équatoriale a adhéré le 30 août 1976.
44. L’article 35 de la convention de Palerme, dans sa partie pertinente, se lit comme suit :
«1. Les Etats Parties s’efforcent de régler les différends concernant
l’interprétation ou l’application de la présente convention par voie de négociation.
2. Tout différend entre deux Etats Parties ou plus concernant l’interprétation ou
l’application de la présente convention qui ne peut être réglé par voie de négociation
dans un délai raisonnable est, à la demande de l’un de ces Etats Parties, soumis à
l’arbitrage. Si, dans un délai de six mois à compter de la date de la demande
d’arbitrage, les Etats Parties ne peuvent s’entendre sur l’organisation de l’arbitrage,
l’un quelconque d’entre eux peut soumettre le différend à la Cour internationale de
Justice en adressant une requête conformément au Statut de la Cour.»
45. L’article premier du protocole de signature facultative à la convention de Vienne dispose
que
«[l]es différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la convention relèvent
de la compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice, qui, à ce titre, pourra
- 17 -
être saisie par une requête de toute partie au différend qui sera elle-même Partie au
présent Protocole.»
46. La Cour rappelle que, pour déterminer si un différend concerne l’interprétation ou
l’application d’un traité particulier, elle
«ne peut se borner à constater que l’une des Parties soutient qu’il existe un tel
différend et que l’autre le nie. Elle doit rechercher si les violations du
traité … alléguées … entrent ou non dans les prévisions de ce traité et si, par suite, le
différend est de ceux dont la Cour est compétente pour connaître ratione materiae»
(Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique),
exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16).
47. Il échet à la Cour, avant de traiter des exceptions préliminaires soulevées par la France,
de déterminer l’objet du différend.
III. OBJET DU DIFFÉREND
48. Le paragraphe 1 de l’article 40 du Statut et le paragraphe 1 de l’article 38 du Règlement
imposent à l’Etat demandeur de préciser «l’objet du différend» dans sa requête. Le Règlement
prescrit encore que la requête doit indiquer «la nature précise de la demande et con[tenir] un exposé
succinct des faits et moyens sur lesquels cette demande repose» (paragraphe 2 de l’article 38 du
Règlement), et le mémoire, comporter un exposé des «faits sur lesquels la demande est fondée»
(paragraphe 1 de l’article 49 du Règlement). Il appartient toutefois à la Cour d’établir
objectivement ce sur quoi porte le différend entre les Parties en circonscrivant le véritable problème
en cause et en précisant l’objet de la demande. Elle examine à cet effet la requête, ainsi que les
exposés écrits et oraux des parties, tout en consacrant une attention particulière à la formulation du
différend utilisée par le demandeur (Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie
c. Chili), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 602, par. 26 ; Différend
territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 848, par. 38). Elle tient compte des faits que le demandeur invoque à
l’appui de sa demande. Il s’agit là d’une question de fond, et non de forme.
* *
49. La Cour rappelle que, dans sa requête déposée le 13 juin 2016, la Guinée équatoriale
indique que le différend entre les Parties découle de certaines procédures pénales en cours en
France, et concerne
«l’immunité de juridiction pénale du second vice-président de la République de
Guinée équatoriale chargé de la défense et de la sécurité de l’Etat, ainsi que le statut
juridique de l’immeuble qui abrite l’ambassade de Guinée équatoriale en France, tant
comme locaux de la mission diplomatique que comme propriété de l’Etat.
- 18 -
Les procédures pénales contre le second vice-président constituent une atteinte à
l’immunité à laquelle il a droit en vertu du droit international et l’entravent dans
l’exercice de ses fonctions officielles en tant que personne occupant un rang élevé
dans l’Etat de Guinée équatoriale. A ce jour, ces procédures ont aussi donné lieu, entre
autres, à la saisie de l’immeuble sis 42 avenue Foch à Paris, qui est la propriété de la
Guinée équatoriale et utilisé à des fins de sa mission diplomatique en France. Ces
procédures violent la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations
diplomatiques, la convention des Nations Unies du 15 novembre 2000 contre la
criminalité transnationale organisée et le droit international général.»
50. Il est en outre soutenu dans la requête que
«la République française a manqué à son obligation de respecter les principes de
l’égalité souveraine des Etats et de la non-intervention dans les affaires intérieures
d’autres Etats à l’égard de la République de Guinée équatoriale, conformément au
droit international, en permettant que ses juridictions engagent des procédures
judiciaires pénales contre son Second Vice-Président pour des allégations qui, lors
même qu’elles auraient été établies, quod non, relèveraient de la seule compétence des
juridictions équato-guinéennes».
51. La Guinée équatoriale indique encore, dans son mémoire, que le différend entre les
Parties
«trouve son origine dans certaines procédures pénales engagées en France contre
M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, le Vice-Président de la Guinée équatoriale,
chargé de la Défense nationale et de la Sécurité de l’Etat. A l’occasion de ces
procédures, la justice française a cru devoir mépriser plusieurs actes et décisions
relevant de la seule souveraineté et compétence exclusive de la Guinée équatoriale,
étendre sa compétence pénale sur le territoire de la Guinée équatoriale, nier
l’immunité de juridiction pénale étrangère du Vice-Président, chargé de la Défense
nationale et de la Sécurité de l’Etat, et méconnaître le statut juridique de l’immeuble
sis 42 avenue Foch à Paris, tant comme propriété de l’Etat de Guinée équatoriale que
comme locaux affectés à sa mission diplomatique en France.»
*
52. Les demandes formulées par la Guinée équatoriale sur le fondement de la convention de
Palerme concernent premièrement la prétendue violation par la France de l’immunité de juridiction
pénale étrangère de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, actuellement vice-président de la
République de Guinée équatoriale chargé de la défense nationale et de la sécurité de l’Etat. Elles
portent deuxièmement sur la compétence pénale excessive que la France se serait attribuée pour
connaître des infractions principales liées au délit de blanchiment d’argent. Troisièmement, elles
ont trait au prétendu non-respect par la France de l’immunité de l’immeuble sis au 42 avenue Foch
à Paris en tant que bien d’Etat de la Guinée équatoriale.
- 19 -
53. La demande formulée par la Guinée équatoriale sur le fondement de la convention de
Vienne concerne le prétendu non-respect par la France de l’inviolabilité de l’immeuble sis au
42 avenue Foch à Paris en tant que locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale. La
demanderesse avance les arguments suivants à l’appui de ses demandes.
*
54. Concernant M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, la Guinée équatoriale affirme que, si
celui-ci était son ministre d’Etat chargé de l’agriculture et des forêts lorsque les poursuites pénales
ont été initialement engagées devant les juridictions françaises, il assume de nouvelles
responsabilités depuis qu’il a été nommé au rang élevé de second vice-président de la
Guinée équatoriale chargé de la défense et de la sécurité de l’Etat le 21 mai 2012, puis de viceprésident
de la Guinée équatoriale chargé de la défense nationale et de la sécurité de l’Etat le
21 juin 2016. Selon la Guinée équatoriale, la nature de ces nouvelles fonctions, en particulier en ce
que leur exercice effectif demande qu’il voyage à l’étranger au nom de son gouvernement, exige
que la France respecte son immunité personnelle, conformément au droit international coutumier.
La Guinée équatoriale avance que, d’une part, la conduite des procédures pénales engagées contre
M. Teodoro Nguema Obiang Mangue en France «consti[tue] une atteinte à l’immunité
[ratione personae] à laquelle il a droit en vertu du droit international et l’entra[ve] dans l’exercice
de ses fonctions officielles en tant que personne occupant un rang élevé dans l’Etat de
Guinée équatoriale». Elle allègue, d’autre part, qu’un tel comportement de la France emporte
violation des «principes de l’égalité souveraine et de l’intégrité territoriale des Etats et de celui de
la non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats» que vise l’article 4 de la convention
de Palerme.
55. S’agissant de sa demande relative à l’extension excessive par la France de sa compétence
pénale, la Guinée équatoriale soutient que la défenderesse
«s’est attribué[], de manière unilatérale, une compétence pénale excessive pour
connaître et caractériser des prétendues infractions pénales (les infractions principales
liées au blanchiment d’argent) qui auraient été commises sur le territoire de la
Guinée équatoriale, par des nationaux de la Guinée équatoriale et dont les victimes
seraient des Equato-[G]uinéens ou l’Etat de Guinée équatoriale».
La demanderesse estime que les infractions principales en question sont, de par leur nature, des
délits dont seul l’Etat de Guinée équatoriale serait victime, et que, en conséquence, «seul l’Etat de
Guinée équatoriale serait compétent pour en connaître et bien placé pour déterminer leur
commission». La Guinée équatoriale expose en outre que son procureur général a ouvert des
enquêtes sur les infractions principales alléguées et conclu qu’aucune de ces infractions n’avait été
commise son territoire. Elle fait valoir que l’article 4 de la convention de Palerme exige que toute
caractérisation des infractions principales soit faite d’une manière compatible avec les principes de
l’égalité souveraine et de la non-intervention dans les affaires intérieures d’un autre Etat. Elle en
conclut que la France, en déclarant unilatéralement que les infractions principales alléguées d’abus
de biens sociaux, de détournement de fonds publics, d’abus de confiance et de corruption avaient
effectivement été commises en Guinée équatoriale, a, en la présente espèce, violé lesdits principes
visés à l’article 4 de la convention de Palerme.
- 20 -
56. Pour ce qui est de sa demande concernant le statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch
à Paris en tant que bien d’Etat, la Guinée équatoriale expose que, s’il détenait auparavant cet
immeuble à titre privé, ayant été, depuis le 18 décembre 2004, l’actionnaire unique des cinq
sociétés suisses qui en étaient propriétaires, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue a toutefois cédé
l’intégralité de ses droits sociaux dans ces sociétés à l’Etat équato-guinéen le 15 septembre 2011,
date à laquelle la Guinée équatoriale aurait acquis la propriété de l’immeuble. La demanderesse
précise que la cession de l’immeuble à l’Etat équato-guinéen a été officiellement constatée et
enregistrée par les autorités françaises compétentes le 17 octobre 2011. Selon la
Guinée équatoriale, en refusant de reconnaître l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris comme un
bien appartenant, à dater du 15 septembre 2011, à l’Etat équato-guinéen, et en ne faisant pas en
sorte que cet immeuble soit protégé des mesures de contrainte, telles que la saisie pénale, ou
d’exécution, la France viole les règles du droit international coutumier régissant les immunités des
Etats, de leurs agents et de leurs biens, lesquelles découlent des principes visés à l’article 4 de la
convention de Palerme.
*
57. Concernant sa demande relative au statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en
tant que locaux de sa mission diplomatique en France  demande formulée sur le fondement de la
convention de Vienne , la Guinée équatoriale expose que, en ne garantissant pas l’inviolabilité,
la protection et l’immunité de cet immeuble, la France manque à l’obligation qui lui incombe en
vertu de l’article 22 de ladite convention.
58. La Guinée équatoriale affirme que l’immeuble du 42 avenue Foch à Paris «a acquis le
statut diplomatique» depuis le 4 octobre 2011 et que sa mission diplomatique en France y a
déménagé l’ensemble de ses services en juillet 2012. Elle avance en outre qu’elle a, dans sa note
verbale du 4 octobre 2011 (voir le paragraphe 25 plus haut), indiqué au service du protocole du
ministère français des affaires étrangères que
«[d]ans la mesure où il s’agi[ssai]t des locaux de la Mission Diplomatique,
conformément à l’article [premier] de la convention de Vienne … la République de
Guinée Équatoriale souhait[ait] [l’]informer officiellement afin que l’Etat français,
conformément à l’article 22 de ladite convention, assure la protection de ces locaux».
La Guinée équatoriale soutient qu’elle n’a depuis lors cessé d’affirmer le statut diplomatique du
bâtiment dans le cadre de divers échanges diplomatiques. Elle ajoute que la France n’a pas été
cohérente sur sa position car, depuis la naissance du différend, elle a accepté que ses autorités se
rendent à l’immeuble du 42 avenue Foch à Paris pour obtenir le visa d’entrée en
Guinée équatoriale ; elle a, par l’intermédiaire de l’administration fiscale française, perçu des droits
sur la cession de l’immeuble intervenue entre M. Teodoro Nguema Obiang Mangue et la
Guinée équatoriale ; et elle a dépêché une unité de sécurité à l’adresse de l’immeuble à l’occasion
de la tenue des élections présidentielles d’avril 2016 en Guinée équatoriale. L’immeuble, qui fait
office de locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France, bénéficie donc,
selon la demanderesse, de l’inviolabilité, de la protection et de l’immunité prévues par l’article 22
de la convention de Vienne.
- 21 -
59. La Guinée équatoriale affirme encore que des autorités françaises se sont introduites dans
le bâtiment et y ont procédé à des perquisitions à maintes reprises entre le 28 septembre 2011 et le
23 février 2012, et qu’elles ont ordonné sa saisie pénale immobilière le 19 juillet 2012, puis sa
confiscation le 27 octobre 2017.
* *
60. La France conteste, pour sa part, que la Cour ait compétence pour connaître des
demandes de la Guinée équatoriale sur le fondement, premièrement, de la convention de Palerme,
et deuxièmement, du protocole de signature facultative à la convention de Vienne, au motif que ces
demandes portent sur «la violation alléguée de principes très généraux du droit international que la
Guinée équatoriale tente de relier artificiellement» aux deux instruments qu’elle invoque comme
bases de compétence. La France s’oppose en outre à la compétence de la Cour au motif que les
«conclusions mêmes de la Guinée équatoriale  tant dans sa Requête que dans son Mémoire 
vont très au-delà de l’objet du différend» tel que celle-ci le définit elle-même.
61. Rappelant la position prise par la Cour dans son ordonnance en indication de mesures
conservatoires du 7 décembre 2016, la France fait valoir que le différend allégué, tel que la Cour
l’a défini, ne concerne pas la façon dont la France a exécuté les obligations qui lui incombent en
vertu de la convention de Palerme, mais semble en réalité «porter sur une question distincte, celle
de savoir si le vice-président équato-guinéen bénéficie en droit international coutumier d’une
immunité ratione personae, et, le cas échéant, si la France y a porté atteinte en engageant des
poursuites à son encontre». C’est donc, selon la France, dans les strictes limites de l’objet du
différend tel qu’il est décrit dans la requête et le mémoire de la Guinée équatoriale et circonscrit par
les conventions sur lesquelles elle entend établir la compétence de la Cour que celle-ci doit être
appréciée. La France conteste également la compétence de la Cour et la recevabilité de la requête
au motif que les griefs de la Guinée équatoriale procéderaient d’un abus de procédure et d’un abus
de droit.
*
62. La France avance plusieurs arguments au sujet des demandes formulées par la
Guinée équatoriale sur le fondement de la convention de Palerme. Elle expose, premièrement, que
le but de cette convention est de «promouvoir la coopération afin de prévenir et de combattre plus
efficacement la criminalité transnationale organisée», soulignant que cet instrument «ne vise
nullement à organiser de manière générale les rapports juridiques entre Etats au regard des
principes mentionnés [à son article 4], et notamment pas à poser un régime d’immunité ou à établir
le statut des biens des Etats parties». La défenderesse avance par ailleurs que, en soutenant que
l’article 4 de la convention de Palerme «contient une «obligation autonome» de respecter le droit
international coutumier en général», la Guinée équatoriale entretient une confusion indue entre les
obligations prévues par la convention et la manière dont celles-ci doivent être exécutées, et qu’elle
cherche, ce faisant, à attribuer à la convention un objet qu’elle n’a pas et à étendre artificiellement
- 22 -
le champ du consentement donné en vertu du paragraphe 2 de l’article 35 de cet instrument. La
France ajoute que, étant donné que la demanderesse ne lui reproche ni de ne pas avoir incriminé
dans son droit interne les actes constitutifs des infractions mentionnées dans la convention de
Palerme, ni de ne pas avoir établi la compétence de ses juridictions nationales à l’égard de ces
mêmes infractions, ni encore de ne pas avoir apporté sa coopération judiciaire, aucune question
d’interprétation ou d’application d’une obligation conventionnelle n’est en cause.
63. Deuxièmement, la France expose que, si les obligations conventionnelles requièrent la
mise en conformité des droits internes avec la convention de Palerme, la mise en oeuvre des
législations nationales continue à relever de la souveraineté en matière pénale des Etats parties à
cette convention. Elle fait valoir que les poursuites pénales engagées contre M. Teodoro Nguema
Obiang Mangue pour une infraction de blanchiment d’argent l’ont été sur le fondement du droit
interne français, et que cela ne fait pas «entrer de telles poursuites dans le champ des obligations
conventionnelles». Elle avance, en particulier, que la Guinée équatoriale n’a pas démontré en quoi
elle aurait manqué aux obligations conventionnelles lui incombant en vertu des divers articles de la
convention de Palerme invoqués (notamment des articles 3, 4, 6, 11, 12, 14, 15 et 18). La France
soutient en conséquence que les demandes de la Guinée équatoriale ne concernent nullement
l’application ou l’interprétation de quelque disposition de cet instrument.
64. Troisièmement, en réponse à l’allégation de la Guinée équatoriale selon laquelle la
France «s[e serait] attribué[], de manière unilatérale, une compétence pénale excessive» en
connaissant des infractions principales associées au blanchiment d’argent et en les caractérisant, la
défenderesse fait valoir qu’elle a respecté son obligation, en vertu de l’article 6, d’incriminer et de
réprimer les actes de blanchiment du produit du crime dans son droit interne. La France affirme
encore que l’article 15 de la convention de Palerme oblige chaque Etat partie à «adopte[r] les
mesures nécessaires pour établir sa compétence à l’égard des infractions établies conformément [à
la Convention]», et expose qu’elle a bien mis en oeuvre cette obligation conventionnelle dans son
droit interne. Elle souligne en outre que l’article 15 porte sur la compétence juridictionnelle et non
sur les immunités, et que l’immunité n’est pas une question de compétence, mais d’exercice de la
compétence. Les deux questions doivent donc, selon elle, être soigneusement distinguées.
*
65. La France conteste également la compétence de la Cour au regard du protocole de
signature facultative à la convention de Vienne pour connaître de la demande de la
Guinée équatoriale concernant le statut juridique de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris, en
tant que locaux de sa mission diplomatique en France, au motif que les autorités françaises n’ont
jamais reconnu l’immeuble en question comme faisant partie des locaux de la mission
diplomatique de la Guinée équatoriale. Elle expose que, si les locaux utilisés aux fins d’une
mission diplomatique doivent effectivement jouir de l’immunité et de l’inviolabilité au titre de la
convention de Vienne, le régime d’inviolabilité prévu à l’article 22 ne peut s’appliquer et être mis
en oeuvre «que s’il est préalablement établi que le local en question avait bel et bien un caractère
diplomatique». Ainsi, selon elle, la question sur laquelle porte réellement le différend  et qui sort
du champ de la convention de Vienne et de celui de la compétence de la Cour  est celle de savoir
si, au moment des faits dont la Guinée équatoriale tire grief dans sa requête, l’immeuble devait
 ou non  être considéré comme étant utilisé aux fins de la mission équato-guinéenne en France.
- 23 -
66. De plus, selon la France, «la convention de Vienne ne comporte pas de règles fixant les
modalités ou la procédure permettant d’identifier les locaux d’une mission diplomatique et, partant,
de déterminer si le régime de l’article 22 est applicable à un immeuble donné». La défenderesse
soutient que cette question sort elle aussi du champ de la convention, et donc du champ de la
compétence de la Cour.
* *
67. La Cour relève que le différend qui oppose les Parties découle des procédures pénales
engagées en France contre M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, et que, lorsque la
Guinée équatoriale a, le 13 juin 2016, déposé sa requête devant la Cour, celles-ci étaient en cours
devant les juridictions françaises. Les faits de l’affaire et les conclusions des Parties exposés plus
haut indiquent qu’il existe plusieurs demandes distinctes sur lesquelles les vues des Parties
s’opposent et qui constituent l’objet du différend. Par commodité, ces demandes seront décrites au
regard des bases de compétence que la Guinée équatoriale invoque pour chaque demande.
68. L’aspect du différend à l’égard duquel la Guinée équatoriale invoque la convention de
Palerme comme base de compétence concerne différentes demandes sur lesquelles les Parties ont
présenté des vues divergentes dans leurs écritures et plaidoiries. Les Parties s’opposent,
premièrement, sur le fait de savoir si, en conséquence des principes de l’égalité souveraine et de la
non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats, tels que visés à l’article 4 de ladite
convention, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, en tant que vice-président de la
Guinée équatoriale chargé de la défense nationale et de la sécurité de l’Etat, jouit de l’immunité de
juridiction pénale étrangère. Deuxièmement, leurs vues divergent sur la question de savoir si, en
conséquence des principes visés dans cette même disposition, l’immeuble sis au 42 avenue Foch à
Paris jouit de l’immunité des mesures de contrainte. Troisièmement, elles sont en désaccord sur la
question de savoir si, en établissant sa compétence sur les infractions principales associées à
l’infraction de blanchiment d’argent, la France a outrepassé sa compétence pénale et manqué à
l’obligation conventionnelle lui incombant en vertu de l’article 4 de la convention de Palerme, lu
conjointement avec les articles 6 et 15 de cet instrument.
69. La Cour recherchera si cet aspect du différend entre les Parties, tel que décrit ci-dessus,
est susceptible d’entrer dans les prévisions de la convention de Palerme, et si, par suite, il est de
ceux dont elle est compétente pour connaître sur le fondement de cette convention. Cette question
est examinée dans la partie IV de l’arrêt.
70. L’aspect du différend à l’égard duquel la Guinée équatoriale invoque le protocole de
signature facultative à la convention de Vienne comme base de compétence concerne deux
demandes sur lesquelles les Parties ont présenté des vues divergentes. La première est celle de
savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris fait partie des locaux de la mission de la
Guinée équatoriale en France et peut donc bénéficier du traitement accordé à pareils locaux par
l’article 22 de la convention de Vienne. Les Parties sont également en désaccord sur la question de
savoir si les mesures prises par les autorités françaises à l’égard de l’immeuble emportent violation
par la France des obligations lui incombant en vertu de l’article 22. La Cour recherchera si cet
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aspect du différend entre les Parties est susceptible d’entrer dans les prévisions de la convention de
Vienne et si, par suite, il est de ceux dont elle est compétente pour connaître au titre du protocole
de signature facultative à ladite convention. Cette question est examinée dans la partie V de l’arrêt.
*
71. La Cour relève que, outre les demandes exposées ci-dessus, la Guinée équatoriale a
formulé un certain nombre d’assertions en se fondant sur la convention de Palerme comme base de
compétence. La demanderesse allègue que la France n’a pas exécuté les obligations de consultation
et de coopération lui incombant en vertu du paragraphe 5 de l’article 15 et de l’article 18 de la
convention de Palerme, respectivement, d’une manière compatible avec les principes de l’égalité
souveraine, de l’intégrité territoriale des Etats et de la non-intervention dans les affaires intérieures
d’autres Etats, tels que visés à l’article 4. Elle expose que, ayant ouvert une enquête sur les
infractions principales associées à l’infraction de blanchiment d’argent prétendument commises en
Guinée équatoriale, son procureur général a conclu qu’aucune de ces infractions n’avait jamais été
commise. La demanderesse fait valoir que, bien que cette information ait été communiquée aux
autorités françaises compétentes, celles-ci n’en ont tenu aucun compte et ont mis en examen
M. Teodoro Nguema Obiang Mangue pour blanchiment d’argent en France. La Guinée équatoriale
soutient qu’elle possède ce qu’elle qualifie de compétence exclusive, en vertu de la convention de
Palerme, pour déterminer si les infractions principales alléguées ont été commises. En
conséquence, elle affirme que la France était tenue de prendre en considération, conformément à
l’obligation de consultation et de coopération lui incombant en vertu de la convention de Palerme,
le rapport adressé par le procureur général de la Guinée équatoriale, et de se plier également aux
conclusions dudit rapport, en application des principes de l’égalité souveraine et de la nonintervention,
en «mett[ant] fin aux procédures pénales».
72. La France soutient, en réponse, que ces assertions n’ont pas été présentées dans la
requête de la Guinée équatoriale et procèdent, qui plus est, d’une tentative de la demanderesse
d’étendre l’objet du différend entre les Parties. Elle affirme par ailleurs que l’obligation de
coopération figurant au paragraphe 5 de l’article 15 de la convention de Palerme n’impose pas à un
Etat partie de mettre fin aux procédures en cours à la demande d’un autre Etat, et que ni
l’obligation de consultation visée au paragraphe 5 de l’article 15, ni l’obligation de coopération
prévue par l’article 18 ne sauraient être interprétées comme ayant une incidence sur la compétence
des juridictions françaises pour engager des poursuites à raison de faits de blanchiment d’argent
commis sur le territoire français.
73. La Cour fait observer que la Guinée équatoriale a mentionné les obligations
conventionnelles de consultation et de coopération pour la première fois dans son mémoire.
Cependant, la demanderesse n’a fait aucune référence, dans les conclusions figurant au terme de
son mémoire, à des demandes liées au manquement supposé à pareilles obligations. En
conséquence, selon la Cour, de telles assertions ne peuvent être considérées que comme des
arguments supplémentaires qui ne constituent pas des demandes distinctes formulées au titre de la
convention de Palerme.
- 25 -
IV. PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : COMPÉTENCE EN VERTU
DE LA CONVENTION DE PALERME
74. Selon la première exception préliminaire soulevée par la France, la Cour n’a pas
compétence au titre de la convention de Palerme car le différend qui l’oppose à la
Guinée équatoriale, tel qu’il a été soumis à la Cour, ne concerne nullement l’interprétation ou
l’application de cet instrument.
*
75. A titre préliminaire, la Cour note que l’article 35 de la convention de Palerme énonce
certaines conditions de nature procédurale auxquelles les Etats parties sont tenus de satisfaire avant
de pouvoir la saisir d’un différend. Ces Etats doivent ainsi s’efforcer de régler le différend par voie
de négociation pendant une période raisonnable puis, si l’un d’eux en fait la demande, soumettre ce
différend à l’arbitrage et s’employer à organiser celui-ci dans un délai de six mois à compter de la
date de cette demande.
76. La Cour relève en outre que la Guinée équatoriale et la France ont échangé des notes
verbales concernant les poursuites engagées contre M. Teodoro Nguema Obiang Mangue ainsi que
l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris, et qu’elles ont tenu en janvier 2016 une réunion pour
discuter du différend. Le 26 octobre 2015, la Guinée équatoriale a proposé que les deux Parties
recourent à l’arbitrage. Cette offre, qui a été faite plus de six mois avant le dépôt de la requête de la
Guinée équatoriale le 13 juin 2016, a été réitérée dans les notes verbales en date du 6 janvier 2016
et du 2 février 2016. Par note verbale du 17 mars 2016, la France a répondu que «les faits
mentionnés par la note verbale de [la Guinée équatoriale avaient] fait l’objet en France de décisions
de justice et [qu’ils faisaient] encore l’objet de procédures judiciaires en cours», concluant qu’elle
n’était «pas en mesure d’accepter l’offre de règlement par les voies proposées par la République de
Guinée équatoriale». La Cour considère donc qu’il avait été satisfait aux conditions de nature
procédurale prévues à l’article 35 avant le dépôt de la requête de la Guinée équatoriale.
* *
77. La Cour en vient maintenant à la question de savoir si l’aspect du différend décrit au
paragraphe 68 entre dans les prévisions de la convention de Palerme. La Guinée équatoriale fait
valoir que cet aspect du différend pose des questions qui concernent l’interprétation et l’application
de l’article 4 lu conjointement avec d’autres articles de cet instrument.
78. L’article 4 de la convention de Palerme dispose ce qui suit :
«Protection de la souveraineté
1. Les Etats Parties exécutent leurs obligations au titre de la présente
[c]onvention d’une manière compatible avec les principes de l’égalité souveraine et de
l’intégrité territoriale des Etats et avec celui de la non-intervention dans les affaires
intérieures d’autres Etats.
- 26 -
2. Aucune disposition de la présente [c]onvention n’habilite un Etat Partie à
exercer sur le territoire d’un autre Etat une compétence et des fonctions qui sont
exclusivement réservées aux autorités de cet autre Etat par son droit interne.»
* *
79. La France soutient que les règles du droit international coutumier, en particulier celles
relatives aux immunités des Etats et de leurs agents, ne sont pas incorporées dans cet article. Elle
affirme en outre qu’il n’existe aucun différend entre les Parties mettant en cause l’une quelconque
des obligations au titre de la convention.
80. A l’allégation selon laquelle elle aurait étendu de manière excessive sa compétence à des
infractions relevant de la compétence exclusive de la Guinée équatoriale, la France répond que la
convention ne reconnaît nullement à la Guinée équatoriale une compétence exclusive.
*
81. La Guinée équatoriale invoque l’article 4 à deux égards. Premièrement, elle avance que
les règles relatives à l’immunité ratione personae de certaines personnes occupant un rang élevé et
à l’immunité d’exécution des biens d’Etat découlent directement des principes de l’égalité
souveraine et de la non-intervention visés à l’article 4. Elle soutient que l’article 4 impose aux Etats
parties une obligation conventionnelle de respecter les règles du droit international coutumier
relatives aux immunités des Etats et de leurs agents lorsqu’ils appliquent la convention de Palerme.
S’appuyant sur cette interprétation de l’article 4, elle affirme que la France, en omettant de
respecter l’immunité à laquelle a droit le vice-président et l’immunité de toute mesure de contrainte
dont jouit l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que bien d’Etat, n’a pas exécuté
certaines obligations qui lui incombent en vertu de la convention de Palerme d’une manière qui soit
compatible avec l’article 4.
82. Deuxièmement, la Guinée équatoriale se fonde sur les principes expressément visés à
l’article 4 pour affirmer que la France n’a pas exécuté certaines obligations qui lui incombent en
vertu de la convention de Palerme d’une manière qui soit compatible avec ces principes. Elle
soutient en particulier que la France a violé l’article 4 en exerçant sa compétence, conformément
aux articles 6 et 15 de la convention de Palerme, à l’égard de prétendues infractions qui relevaient
de la seule compétence des juridictions équato-guinéennes.
83. La Guinée équatoriale reconnaît que l’article 4 n’exige pas le respect des principes de
l’égalité souveraine et de la non-intervention (en ce compris les règles relatives aux immunités des
Etats et de leurs agents qui, selon elle, en découlent) de manière générale. Elle ne cherche pas à
dissocier cet article des autres dispositions de la convention. Elle soutient plutôt que le respect de
ces principes devient une obligation conventionnelle pour un Etat partie lorsque celui-ci applique
les autres dispositions de cet instrument. Selon la Guinée équatoriale, la France aurait violé
l’article 4 dans la mise en oeuvre de l’article 6 (Incrimination du blanchiment du produit du crime),
- 27 -
l’article 11 (Poursuites judiciaires, jugement et sanctions), l’article 12 (Confiscation et saisie),
l’article 14 (Disposition du produit du crime ou des biens confisqués), l’article 15 (Compétence) et
l’article 18 (Entraide judiciaire).
* *
84. La Cour examinera d’abord l’article 4 afin de déterminer si la demande formulée par la
Guinée équatoriale concernant les immunités des Etats et de leurs agents entre dans les prévisions
de cet article. A moins que la Cour ne conclue que tel est le cas, l’aspect du différend opposant les
Parties au sujet des immunités invoquées à l’égard du vice-président équato-guinéen et de
l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que bien d’Etat ne saurait être considéré
concerner l’interprétation ou l’application de la convention de Palerme.
85. La Cour examinera ensuite l’argument de la Guinée équatoriale selon lequel la France
aurait violé l’article 4 de la convention en n’exécutant pas les obligations qu’elle tient de celle-ci
concernant l’incrimination du blanchiment d’argent et l’établissement de sa compétence à l’égard
de cette infraction (en vertu des articles 6 et 15) d’une manière compatible avec les principes de
l’égalité souveraine et de la non-intervention, tels que visés à l’article 4. La Cour recherchera si les
actes accomplis par la France dont la Guinée équatoriale tire grief sont susceptibles d’entrer dans
les prévisions de la convention de Palerme. A moins que la Cour ne conclue que tel est le cas,
l’aspect du différend opposant les Parties au sujet de la compétence excessive que la France se
serait attribuée ne saurait être considéré concerner l’interprétation ou l’application de la convention
de Palerme.
A. La violation alléguée des règles relatives aux immunités des Etats
et de leurs agents par la France
86. Le contexte factuel des poursuites engagées en France contre M. Teodoro Nguema
Obiang Mangue est rappelé plus haut aux paragraphes 23 à 41.
87. La France considère l’article 4 comme une clause générale rappelant des principes
fondamentaux du droit international, qui établit un but ou un objectif et non une obligation
autonome. A cet égard, elle renvoie à l’article premier du traité d’amitié, de commerce et de droits
consulaires entre les Etats-Unis et l’Iran (ci-après le «traité d’amitié»), qui relève, selon elle, du
même type de «formulation conventionnelle» que l’article 4. Elle rappelle que, dans l’affaire des
Plates-formes pétrolières, la Cour avait constaté que l’article premier du traité d’amitié devait être
regardé comme fixant «un objectif à la lumière duquel les autres dispositions du traité [devaient]
être interprétées et appliquées» (Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran
c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 814,
par. 28).
88. La France soutient que la convention de Palerme ne vise nullement à organiser de
manière générale les rapports juridiques entre Etats au regard des principes de l’égalité souveraine,
de l’intégrité territoriale et de la non-intervention, ni à poser un régime d’immunité ou à établir le
statut des biens des Etats parties. Elle fait valoir en outre que le paragraphe 2 de l’article 4 est une
- 28 -
reformulation, sous une forme négative, du principe d’intégrité territoriale mentionné dans le
premier paragraphe de ce même article, dans le contexte de la coopération judiciaire.
*
89. Comme la Cour l’a rappelé, la Guinée équatoriale fait valoir que M. Teodoro Nguema
Obiang Mangue a droit à l’immunité ratione personae de poursuites pénales devant les tribunaux
français et que l’immeuble du 42 avenue Foch à Paris est un bien d’Etat qui bénéficie de
l’immunité d’exécution en France (voir les paragraphes 54 et 56).
90. La Guinée équatoriale soutient que les règles du droit international coutumier relatives
aux immunités des Etats et de leurs agents ainsi qu’à l’immunité d’exécution des biens d’Etat sont
incorporées dans l’article 4 par référence dans cette disposition aux principes de l’égalité
souveraine et de la non-intervention. Dans ses écritures, elle affirme que «les règles relatives aux
immunités de juridiction étrangère auxquelles les Etats ont droit» sont «consacrées par le principe
de l’égalité souveraine» (les italiques sont de la Cour). Lors des plaidoiries, elle a avancé que «les
règles du droit international relatives à l’immunité de l’Etat, de ses représentants et de ses
biens … [étaient] incluses dans les principes visés à l’article 4» (les italiques sont de la Cour). Elle
soutient en outre que le paragraphe 2 de l’article 4 doit être considéré comme une protection
additionnelle de la souveraineté de l’Etat et qu’il ne restreint pas la portée du paragraphe 1 de ce
même article.
* *
91. Conformément au droit international coutumier, tel que reflété aux articles 31 et 32 de la
convention de Vienne sur le droit des traités, les dispositions de la convention de Palerme doivent
être interprétées de bonne foi suivant le sens ordinaire de leurs termes lus dans leur contexte et à la
lumière de l’objet et du but de ladite convention. Pour confirmer le sens ainsi établi, éliminer une
ambiguïté, un point obscur ou éviter un résultat manifestement absurde ou déraisonnable, il peut
être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, comme les travaux préparatoires de
la convention et les circonstances dans lesquelles celle-ci a été conclue (Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 109 et 110, par. 160).
92. Le paragraphe 1 de l’article 4 dispose que «[l]es Etats Parties exécutent leurs obligations
[«shall carry out their obligations» en anglais] au titre de la … [c]onvention [de Palerme] d’une
manière compatible» avec les principes auxquels il fait référence. La Cour estime que le terme
«shall» impose une obligation aux Etats parties. Le paragraphe 1 de l’article 4 n’est ni un
préambule ni la simple formulation d’un but général, comme la Cour l’avait déclaré au sujet de
l’article premier du traité d’amitié en l’affaire des Plates-formes pétrolières. Toutefois, l’article 4
n’est pas indépendant des autres dispositions de la convention. Son but est de garantir que les Etats
parties à la convention s’acquittent de leurs obligations conformément aux principes de l’égalité
souveraine, de l’intégrité territoriale des Etats et de la non-intervention dans les affaires intérieures
d’autres Etats.
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93. Comme la Cour l’a déjà constaté, les règles relatives à l’immunité de l’Etat procèdent du
principe de l’égalité souveraine des Etats (Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne
c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 123-124, par. 57). Cependant,
l’article 4 ne fait nullement référence aux règles du droit international coutumier, en ce compris
celles de l’immunité de l’Etat, qui découlent de l’égalité souveraine, mais au principe même de
celle-ci. L’article 4 se contente de renvoyer à des principes généraux du droit international. Lu dans
son sens ordinaire, le paragraphe 1 de l’article 4 n’impose pas aux Etats parties, par sa référence à
l’égalité souveraine, l’obligation de se comporter d’une manière compatible avec les nombreuses
règles de droit international qui protègent la souveraineté en général, ainsi qu’avec toutes les
conditions dont ces règles sont assorties.
94. Le paragraphe 1 de l’article 4 de la convention de Palerme doit être lu dans son contexte.
Aux termes du paragraphe 2, «[a]ucune disposition de [ladite] [c]onvention n’habilite un Etat Partie
à exercer sur le territoire d’un autre Etat une compétence et des fonctions qui sont exclusivement
réservées aux autorités de cet autre Etat par son droit interne». Le paragraphe 2 de l’article 4 ne
renvoie pas aux règles du droit international coutumier relatives aux immunités des Etats et de leurs
agents. Qui plus est, aucune des dispositions de la convention de Palerme ne se rapporte
expressément auxdites immunités.
95. Le paragraphe 1 de l’article 4 doit également être lu à la lumière de l’objet et du but de la
convention, tels qu’énoncés en son article premier, qui sont de promouvoir la coopération afin de
prévenir et de combattre plus efficacement la criminalité transnationale organisée. L’interprétation
de l’article 4 avancée par la Guinée équatoriale, selon laquelle les règles coutumières relatives aux
immunités des Etats et de leurs agents seraient incorporées dans la convention en tant
qu’obligations conventionnelles, est sans rapport avec l’objet et le but déclarés de l’instrument en
question.
96. La Cour conclut que, suivant son sens ordinaire, l’article 4, lu dans son contexte et à la
lumière de l’objet et du but de la convention, n’incorpore pas les règles du droit international
coutumier relatives aux immunités des Etats et de leurs agents. Cette interprétation est confirmée
par les travaux préparatoires de la convention de Palerme. Le comité spécial sur l’élaboration d’une
convention contre la criminalité transnationale organisée s’est réuni à treize reprises entre
janvier 1999 et février 2004 afin d’élaborer la convention et ses protocoles. Pour autant qu’en
témoignent ces documents, il n’a pas été fait référence, durant ce processus, aux immunités des
Etats et de leurs agents en relation avec la rédaction de l’article 4.
97. Il ressort des comptes rendus des réunions préparatoires du comité spécial que la
question de l’immunité de l’Etat a été soulevée à deux reprises, mais à propos d’autres dispositions.
La première fois, une proposition tendant à inclure un article relatif aux mesures de lutte contre la
corruption des agents publics étrangers, entre autres, a conduit certaines délégations à faire part de
leurs préoccupations quant à l’immunité accordée par les instruments internationaux à certains des
agents visés. Cette proposition n’a pas été retenue dans le texte final de la convention.
98. La seconde fois, la question de l’immunité des biens d’Etat s’est posée dans le cadre
d’une proposition de Singapour tendant à inclure une disposition relative à l’immunité d’exécution
des biens d’Etat dans l’article relatif à la confiscation et à la saisie (devenu l’article 12 de la
convention de Palerme). Là non plus, cette proposition n’a pas été retenue dans la version finale du
texte de la convention. En revanche, il a été convenu que les travaux préparatoires devraient
préciser, dans les notes interprétatives se rapportant à l’article 12, que
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«l’interprétation de l’article 12 devrait tenir compte du principe de droit international
selon lequel un bien appartenant à un Etat étranger et utilisé à des fins non
commerciales ne peut être confisqué sans l’autorisation dudit Etat. La convention n’a
pas pour objet d’imposer des restrictions aux règles régissant l’immunité diplomatique
ou l’immunité des Etats, ainsi que celle des organisations internationales.» (Travaux
préparatoires, p. 119.)
Cette note interprétative précise que la convention de Palerme ne restreint pas les règles régissant
l’immunité des Etats. Elle est sans rapport avec l’article 4 de la convention de Palerme et ne donne
pas à penser que ces règles sont incorporées par référence à la convention de Palerme.
99. Le paragraphe 1 de l’article 4 de la convention de Palerme est une transposition du
paragraphe 2 de l’article 2 de la convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances
psychotropes de 1988 (ci-après «la convention contre le trafic illicite de stupéfiants»). Le
paragraphe 1 de l’article 4 de la convention de Palerme est identique au paragraphe 2 de l’article 2
de la convention contre le trafic illicite de stupéfiants, tandis que le paragraphe 2 de l’article 4 du
premier instrument est très semblable au paragraphe 3 de l’article 2 du second. Le commentaire de
la convention contre le trafic illicite de stupéfiants relatif au paragraphe 2 de l’article 2 présente
donc un intérêt aux fins de l’examen par la Cour de l’article 4 de la convention de Palerme.
100. Dans le commentaire, il est indiqué que le paragraphe 2 de l’article 2 de la convention
contre le trafic illicite de stupéfiants «réitère des principes bien établis et universellement acceptés
du droit international touchant à l’égalité souveraine et à l’intégrité territoriale des Etats et à la
non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats» (commentaire, par. 2.12). Selon le
commentaire, s’il a été jugé nécessaire de réaffirmer ces principes à l’article 2, c’est parce que la
convention contre le trafic illicite de stupéfiants «va beaucoup plus loin que les traités précédents
concernant le contrôle des drogues dans des domaines comme la répression et l’entraide judiciaire»
(commentaire, par. 2.13). Là encore, l’accent est mis sur la répression et sur l’entraide judiciaire, et
non sur l’immunité.
101. Le but de la convention contre le trafic illicite de stupéfiants, énoncé en son article 2,
est de promouvoir la coopération entre les Etats parties pour qu’ils s’attaquent efficacement au
trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes ayant une dimension internationale. Cette
convention ne comporte pas de disposition assurant aux individus soupçonnés de trafic de
stupéfiants une protection au titre de l’immunité des Etats. Le paragraphe 2 de l’article 2 de ce
même instrument a pour but de protéger la souveraineté, l’intégrité territoriale et la compétence
nationale de l’Etat. C’est également le but du paragraphe 1 de l’article 4 de la convention de
Palerme. Aucune de ces dispositions ne porte sur la question, apparentée mais distincte, de
l’immunité des individus ou des biens d’Etat en territoire étranger.
102. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que les règles du droit international
coutumier relatives aux immunités des Etats et de leurs agents ne sont pas incorporées dans
l’article 4. En conséquence, l’aspect du différend opposant les Parties au sujet de l’immunité
invoquée en faveur du vice-président équato-guinéen et de l’immunité de toute mesure de
contrainte invoquée en faveur de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que bien d’Etat
ne concerne pas l’interprétation ou l’application de la convention de Palerme. Dès lors, la Cour n’a
pas compétence pour connaître de cet aspect du différend. La Cour note que sa conclusion selon
laquelle les règles du droit international coutumier relatives aux immunités des Etats et de leurs
agents ne sont pas incorporées dans l’article 4 est sans préjudice de l’applicabilité de ces règles.
- 31 -
103. La Guinée équatoriale formule une autre demande fondée sur la convention de Palerme,
qui est indépendante de la thèse selon laquelle les règles relatives à l’immunité des Etats et de leurs
agents seraient incorporées dans l’article 4. La Cour va maintenant examiner cette demande.
B. La compétence excessive que la France se serait attribuée
104. La Guinée équatoriale affirme que la législation française qui incrimine le blanchiment
d’argent et qui établit la compétence de la France à l’égard de cette infraction (en vertu des
articles 6 et 15 de la convention de Palerme), telle qu’interprétée et appliquée par les tribunaux
français, ne respecte pas les principes de l’égalité souveraine et de la non-intervention. Partant,
selon la Guinée équatoriale, cette législation n’est pas en harmonie avec l’article 4 de la
convention. La Guinée équatoriale soutient que la Cour a compétence pour connaître de cet aspect
du différend qui l’oppose à la France parce que ces faits entrent dans le champ de la convention de
Palerme.
105. Ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, la France soutient qu’il n’existe aucun différend
entre les Parties mettant en cause l’une quelconque des obligations de la convention.
106. La Cour doit déterminer si l’aspect du différend opposant les Parties au sujet de
l’incrimination par la France du blanchiment d’argent et de l’établissement de sa compétence à
l’égard de cette infraction, tel que décrit ci-dessus, «concerne l’interprétation ou l’application» de
la convention de Palerme. Pour ce faire, il lui faut rechercher si les violations que la
Guinée équatoriale reproche à la France sont susceptibles d’entrer dans les prévisions de la
convention de Palerme et si, par suite, cet aspect du différend est de ceux qui relèvent de la
compétence de la Cour en vertu du paragraphe 2 de l’article 35 de cet instrument (voir le
paragraphe 46 plus haut).
107. L’article 6 de la convention de Palerme, dans ses parties pertinentes, dispose ce qui
suit :
«Incrimination du blanchiment du produit du crime
1. Chaque Etat Partie adopte, conformément aux principes fondamentaux de son droit
interne, les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère
d’infraction pénale, lorsque l’acte a été commis intentionnellement :
a) i) A la conversion ou au transfert de biens dont celui qui s’y livre sait qu’ils sont
le produit du crime, dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite
desdits biens ou d’aider toute personne qui est impliquée dans la commission de
l’infraction principale à échapper aux conséquences juridiques de ses actes ;
ii) A la dissimulation ou au déguisement de la nature véritable, de l’origine, de
l’emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété de biens ou
de droits y relatifs dont l’auteur sait qu’ils sont le produit du crime ;
b) Et, sous réserve des concepts fondamentaux de son système juridique :
i) A l’acquisition, à la détention ou à l’utilisation de biens dont celui qui les
acquiert, les détient ou les utilise sait, au moment où il les reçoit, qu’ils sont le
produit du crime ;
- 32 -
ii) A la participation à l’une des infractions établies conformément au présent
article ou à toute autre association, entente, tentative ou complicité par
fourniture d’une assistance, d’une aide ou de conseils en vue de sa commission.
2. Aux fins de l’application du paragraphe 1 du présent article :
a) Chaque Etat Partie s’efforce d’appliquer le paragraphe 1 du présent article à
l’éventail le plus large d’infractions principales ;
b) Chaque Etat Partie inclut dans les infractions principales toutes les infractions
graves telles que définies à l’article 2 de la présente convention et les infractions
établies conformément à ses articles 5, 8 et 23. S’agissant des Etats Parties dont la
législation contient une liste d’infractions principales spécifiques, ceux-ci incluent
dans cette liste, au minimum, un éventail complet d’infractions liées à des groupes
criminels organisés ;
c) Aux fins de l’alinéa b), les infractions principales incluent les infractions
commises à l’intérieur et à l’extérieur du territoire relevant de la compétence de
l’Etat Partie en question. Toutefois, une infraction commise à l’extérieur du
territoire relevant de la compétence d’un Etat Partie ne constitue une infraction
principale que lorsque l’acte correspondant est une infraction pénale en vertu du
droit interne de l’Etat où il a été commis et constituerait une infraction pénale en
vertu du droit interne de l’Etat Partie appliquant le présent article s’il avait été
commis sur son territoire».
108. L’article 15 de la convention de Palerme, dans ses parties pertinentes, se lit comme
suit :
«Compétence
1. Chaque Etat Partie adopte les mesures nécessaires pour établir sa compétence à
l’égard des infractions établies conformément aux articles 5, 6, 8 et 23 de la
présente [c]onvention dans les cas suivants :
a) Lorsque l’infraction est commise sur son territoire …
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
6. Sans préjudice des normes du droit international général, la présente [c]onvention
n’exclut pas l’exercice de toute compétence pénale établie par un Etat Partie
conformément à son droit interne.»
* *
109. La France reconnaît que l’article 6 impose aux Etats parties à la convention l’obligation
d’incriminer les actes de blanchiment d’argent dans leur législation nationale. Elle affirme s’être
acquittée de cette obligation puisque l’infraction de blanchiment d’argent est visée et réprimée par
son code pénal. Elle relève du reste que la Guinée équatoriale ne conteste pas que la législation
française soit conforme à l’obligation d’incrimination découlant de la convention. La France
- 33 -
soutient qu’elle disposait déjà d’une législation adéquate en matière de blanchiment d’argent et
d’établissement de sa compétence à l’égard de cette infraction au moment où elle a ratifié la
convention de Palerme, et qu’il n’y avait pas lieu pour elle de promulguer une législation
spécifique afin de donner effet à cet instrument.
110. S’agissant de l’argument de la Guinée équatoriale relatif à l’étendue de la compétence
de la France, cette dernière indique que, étant donné que les procédures engagées contre
M. Teodoro Nguema Obiang Mangue ne concernent que des faits commis sur le territoire français,
elles ne procèdent pas d’une extension extraterritoriale de la compétence des juridictions
françaises. Elle affirme en outre que le différend entre les Parties, tel qu’il est défini dans la requête
de la Guinée équatoriale, ne porte pas sur l’établissement par la France de sa compétence à l’égard
des infractions visées par la convention.
*
111. La Guinée équatoriale ne prétend pas que la législation française n’incrimine pas
l’infraction de blanchiment d’argent conformément aux prévisions de l’article 6, ni que la France
n’a pas établi sa compétence pénale de sorte qu’elle puisse engager des poursuites pour
blanchiment d’argent en application de l’article 15. Ce qu’elle soutient, c’est que la législation
française portant mise en oeuvre des articles 6 et 15 est incompatible avec les principes de l’égalité
souveraine et de la non-intervention visés à l’article 4.
112. La Guinée équatoriale affirme que la France n’a pas respecté les principes de l’égalité
souveraine et de la non-intervention, tels que garantis à l’article 4, en permettant que ses
juridictions engagent des procédures pénales sur la base de prétendues infractions qui, lors même
qu’elles seraient établies, relèveraient de la seule compétence des juridictions équato-guinéennes.
Elle affirme, en particulier, que la France a étendu de manière excessive sa compétence au titre de
l’article 15 de la convention de Palerme à des infractions principales qui auraient été commises en
Guinée équatoriale par des Equato-Guinéens et dont les victimes auraient été des Equato-Guinéens
ou l’Etat équato-guinéen.
* *
113. De l’avis de la Cour, un Etat peut donner effet à un traité en recourant à sa législation
préexistante et il peut y avoir un différend quant à la mise en oeuvre d’un tel traité au moyen de
pareille législation. En conséquence, quand bien même la France n’aurait pas adopté de législation
spécifique visant à mettre en oeuvre les exigences de la convention de Palerme, cette circonstance
ne serait pas décisive aux fins de l’application de la convention, et partant, de la compétence de la
Cour à l’égard d’un tel différend.
114. En revanche, pour apprécier si la France agissait en application de la convention
lorsqu’elle a pris des mesures contre M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, il convient de noter que
la convention de Palerme reconnaît que la définition des infractions et des règles juridiques et
procédures y afférentes relève du droit interne de l’Etat qui exerce les poursuites. En particulier, le
paragraphe 6 de l’article 11 est ainsi libellé :
- 34 -
«Aucune disposition de la présente [c]onvention ne porte atteinte au principe
selon lequel la définition des infractions établies conformément à celle-ci et des
moyens juridiques de défense applicables ainsi que d’autres principes juridiques
régissant la légalité des incriminations relève exclusivement du droit interne d’un Etat
Partie et selon lequel lesdites infractions sont poursuivies et punies conformément au
droit de cet Etat Partie.»
Conformément à ce principe général, la convention aide à coordonner, mais ne régit pas, les
mesures prises par les Etats parties dans l’exercice de leur compétence nationale. Le paragraphe 9
de l’article 12, le paragraphe 4 de l’article 13, les paragraphes 1 et 2 de l’article 14 et le
paragraphe 6 de l’article 15 sont également pertinents à cet égard ; ils prévoient eux aussi que les
Etats parties sont libres d’exécuter les obligations qu’ils tiennent de la convention conformément à
leur droit interne. Ce qui relève de l’application de la convention est donc limité.
* *
115. La Cour en vient maintenant à la question de la compétence excessive que la France se
serait attribuée à l’égard des infractions principales du blanchiment d’argent. Elle note que, selon
l’alinéa h) de l’article 2 de la convention de Palerme, l’expression «infraction principale» désigne
«toute infraction à la suite de laquelle un produit est généré, qui est susceptible de devenir l’objet
d’une infraction définie à l’article 6 de la présente [c]onvention». Le paragraphe 2 de l’article 6
impose aux Etats parties l’obligation de «s’efforce[r]» de conférer le caractère d’infraction pénale,
tel que visé au paragraphe 1, à «l’éventail le plus large d’infractions principales», en ce compris les
infractions commises à l’extérieur du territoire relevant de leur compétence. Cette obligation est
circonscrite par l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 6. Aux termes de celui-ci, une infraction
principale commise à l’extérieur du territoire relevant de la compétence d’un Etat partie doit
nécessairement se rapporter à un acte constitutif d’une infraction pénale en vertu du droit interne de
l’Etat où il a été commis, et qui constituerait en outre une infraction pénale en vertu du droit interne
de l’Etat partie prenant des mesures en application de l’article 6 s’il avait eu lieu sur son territoire.
116. La Cour fait observer que l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 6 ne concerne pas la
question de savoir si un individu a commis une infraction principale à l’étranger, mais celle,
préalable et distincte, de savoir si l’acte prétendument commis à l’étranger est constitutif d’une
infraction pénale en vertu du droit interne de l’Etat où il a été commis. Elle note également que
cette même disposition n’envisage pas la compétence exclusive de l’Etat sur le territoire duquel une
telle infraction a été commise. Il appartient à chaque Etat partie d’adopter des mesures pour
incriminer les infractions visées par la convention conformément à l’article 6, et pour incriminer
notamment «l’éventail le plus large» d’infractions principales commises à l’intérieur et à l’extérieur
du territoire relevant de sa compétence. Il appartient de même à chaque Etat partie d’adopter les
mesures nécessaires pour établir sa compétence à l’égard des infractions visées par la convention,
en vertu de l’article 15. Pareille approche est conforme au principe énoncé au paragraphe 6 de cet
article, qui dispose que, «[s]ans préjudice des normes du droit international général», la convention
de Palerme n’exclut pas l’exercice de toute compétence pénale établie par un Etat partie
conformément à son droit interne.
117. En conséquence, la Cour constate que les violations que la Guinée équatoriale reproche
à la France ne sont pas susceptibles d’entrer dans les prévisions de la convention de Palerme, et
- 35 -
notamment de ses articles 6 et 15, et que, partant, elle n’a pas compétence pour connaître de
l’aspect du différend concernant la compétence excessive que la France se serait attribuée.
* *
118. Ayant analysé l’aspect du différend à l’égard duquel la Guinée équatoriale invoque la
convention de Palerme comme base de compétence (voir le paragraphe 68 plus haut), la Cour
conclut que celui-ci n’est pas susceptible d’entrer dans les prévisions de cette convention. En
conséquence, la Cour n’a pas compétence au titre de la convention de Palerme pour connaître de la
requête de la Guinée équatoriale et doit retenir la première exception préliminaire soulevée par la
France.
119. Du fait de sa conclusion concernant la première exception préliminaire, point n’est
besoin pour la Cour de déterminer plus avant le champ ou le contenu des obligations des Etats
parties au titre de l’article 4 de la convention de Palerme (voir le paragraphe 102).
V. DEUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : COMPÉTENCE EN VERTU DU
PROTOCOLE DE SIGNATURE FACULTATIVE À LA
CONVENTION DE VIENNE
120. La Cour rappelle que l’aspect du différend entre les Parties, à l’égard duquel la
Guinée équatoriale invoque le protocole de signature facultative à la convention de Vienne comme
base de compétence, porte sur la question de savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris fait
partie des locaux de la mission de la Guinée équatoriale en France et s’il peut, par suite, bénéficier
du traitement prévu par l’article 22 de la convention de Vienne. Il porte également sur le point de
savoir si les mesures prises par les autorités françaises à l’égard de cet immeuble emportent
violation par la France de l’obligation lui incombant en vertu dudit article (voir le paragraphe 70
plus haut). La Guinée équatoriale entend fonder la compétence de la Cour sur l’article premier du
protocole de signature facultative à la convention de Vienne, dont le texte est reproduit plus haut,
au paragraphe 45.
121. La Cour rappelle également que, en vertu des articles II et III du protocole de signature
facultative à la convention de Vienne, les parties à un différend relatif à l’interprétation ou à
l’application de la convention de Vienne peuvent convenir, dans un délai de deux mois après
qu’une partie a notifié à l’autre qu’il existe à son avis un différend, d’adopter, au lieu du recours à
la Cour internationale de Justice, une procédure d’arbitrage ou de conciliation. Une fois ce délai
écoulé, chaque partie peut, par voie de requête, saisir la Cour du différend. Ainsi que la Cour l’a
relevé,
«si le texte des articles II et III est examiné en même temps que celui de l’article I et
du préambule des protocoles, il tombe sous le sens qu’il ne faut pas y voir une
condition préalable à l’applicabilité de la disposition précise et catégorique de
l’article I qui prévoit la compétence obligatoire de la Cour pour connaître des
différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la convention de Vienne»
(Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis
d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 25-26, par. 48).
- 36 -
La Cour a aussi précisé que
«les articles II et III se bor[naient] à stipuler que les parties [pouvaient] convenir de
recourir à l’arbitrage ou à la conciliation comme procédure de remplacement de la
saisine de la Cour. Il s’ensuit que, premièrement, les articles II et III ne s’appliquent
que si l’une des parties au différend a proposé un recours à l’arbitrage ou à la
conciliation et si l’autre partie s’est déclarée prête à étudier cette proposition.
Deuxièmement, c’est seulement en ce cas que les dispositions de ces articles
concernant un délai de deux mois entrent en jeu et font intervenir une limite de temps
pour la conclusion de l’accord sur l’organisation de la procédure de remplacement.»
(Ibid., p. 26, par. 48 ; les italiques sont dans l’original.)
122. Ainsi que la Cour l’a constaté plus haut, au paragraphe 76, si la Guinée équatoriale a
proposé à la France de recourir à la conciliation ou à l’arbitrage, celle-ci ne s’est pas déclarée prête
à étudier cette proposition et a même expressément indiqué qu’elle ne pouvait y donner suite. Les
articles II et III du protocole de signature facultative à la convention de Vienne n’affectent donc en
rien une éventuelle compétence de la Cour au titre de l’article premier de celui-ci (Immunités et
procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du
7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1164, par. 64). Compte tenu de ce qui précède, la
Cour s’intéressera, sur la base de l’article premier dudit protocole, à la question de savoir si l’aspect
du différend concernant le statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris, en tant que locaux
diplomatiques de la Guinée équatoriale (voir les paragraphes 70 et 120 plus haut), est relatif à
l’interprétation ou à l’application de la convention de Vienne et si, par suite, il entre dans le champ
de cette disposition.
* *
123. La Cour rappelle que la France conteste sa compétence en vertu de l’article premier du
protocole de signature facultative à la convention de Vienne au motif que le différend concernant le
statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris, en tant que locaux diplomatiques de la
Guinée équatoriale, n’est pas relatif à l’interprétation ou à l’application de la convention de Vienne
(voir le paragraphe 65 plus haut). La Cour rappelle en outre l’argument de la France qui expose que
le régime d’inviolabilité prévu par l’article 22 ne peut s’appliquer et être mis en oeuvre «que s’il est
préalablement établi que le local en question avait bel et bien un caractère diplomatique». La
France soutient également que les autorités françaises n’ont jamais reconnu l’immeuble du
42 avenue Foch à Paris en tant que locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale.
Selon elle, le différend porte ainsi en réalité sur la question de savoir si, au moment où il a été
perquisitionné et saisi, il convenait de considérer que cet immeuble était utilisé aux fins de la
mission équato-guinéenne en France (voir le paragraphe 65 plus haut). La défenderesse soutient
que ce différend sort du champ de la convention de Vienne et, par suite, de celui de la compétence
de la Cour.
124. La France fait valoir que, par note verbale du 28 mars 2012, elle a rappelé à la
Guinée équatoriale sa pratique constante en matière de reconnaissance des locaux d’une mission
diplomatique. Dans les termes employés par le service du protocole du ministère des affaires
étrangères,
- 37 -
«conformément à une pratique constante de la France, une Ambassade qui envisage
d’acquérir des locaux pour sa mission en informe au préalable le Protocole et s’engage
à affecter lesdits locaux aux fins de l’accomplissement de ses missions ou pour la
résidence du chef de mission.
La reconnaissance officielle de la qualité de «locaux de la mission», au sens de
l’article [premier], alinéa i), de la convention de Vienne sur les relations
diplomatiques … , s’apprécie à la date de réalisation de l’affectation desdits locaux
aux services de la mission diplomatique, soit au moment de l’installation effective. Le
critère de l’affectation réelle doit donc être rempli.
Ce n’est qu’à compter de cette date, notifiée par note verbale, que les locaux
bénéficient des protections idoines prévues notamment par l’article 22 de la
[c]onvention de Vienne.»
125. La France soutient que, puisqu’elle n’a jamais reconnu que le bâtiment faisait partie des
locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale, conformément à sa «pratique
constante», celui-ci ne bénéficie pas du régime de protection garanti par l’article 22 de la
convention de Vienne.
126. La France expose encore que la définition des «locaux de la mission», telle qu’énoncée
à l’article premier, alinéa i), de la convention de Vienne, est «essentiellement descriptive» et non
prescriptive, car «elle ne comporte aucune précision normative quant aux modalités ou procédures
par lesquelles il pourrait être établi qu’un immeuble entre effectivement dans la catégorie des
locaux diplomatiques». Elle ajoute que, s’il énonce le régime juridique des locaux diplomatiques,
l’article 22 est silencieux quant aux critères ou à la procédure d’acquisition d’un tel statut. Selon la
France, dès lors que la convention de Vienne ne comporte aucune disposition fixant les conditions
dans lesquelles un immeuble peut recevoir la qualification de locaux diplomatiques, cette question
n’entre pas dans le champ de ladite convention et, partant, comme il est prévu dans son préambule,
«les règles du droit international coutumier doivent continuer à régir les questions qui n’ont pas été
expressément réglées dans les dispositions de la ... convention».
*
127. La Guinée équatoriale affirme que le différend concernant le statut juridique de
l’immeuble du 42 avenue Foch à Paris, en tant que locaux diplomatiques de la Guinée équatoriale,
est relatif à «l’interprétation et l’application de plusieurs dispositions de la [convention de Vienne],
y compris, sans s’y limiter, l’article [premier], alinéa i), et l’article 22», et que la Cour a donc
compétence pour en connaître en vertu du protocole de signature facultative à la convention de
Vienne. La demanderesse soutient, en particulier, que l’immeuble fait partie de la mission
diplomatique de la Guinée équatoriale au sens de l’alinéa i) de l’article premier de la convention de
Vienne et que, à ce titre, il devrait bénéficier du régime d’inviolabilité et d’immunité contre les
perquisitions et saisies prévu par ladite convention. La Cour rappelle, à cet égard, les arguments
présentés par la Guinée équatoriale à l’appui de sa thèse selon laquelle l’immeuble ferait partie des
locaux de sa mission diplomatique (voir les paragraphes 57-58 plus haut).
- 38 -
128. La Guinée équatoriale soutient que l’article premier, alinéa i), de la convention de
Vienne n’est pas simplement «descriptif», comme la France le prétend, mais aussi «déclaratif», car
«[a]ussitôt que l’immeuble est affecté par l’Etat accréditant à des fins de mission diplomatique, au
moins en l’absence de conditions claires et incontestées imposées par l’Etat accréditaire à tous les
Etats accréditants, sans discrimination, l’Etat accréditaire devrait lui reconnaître l’inviolabilité». De
surcroît, même si la demanderesse reconnaît que certains pays adoptent des procédures internes qui
«soumettent l’affectation des locaux d’une mission diplomatique à l’approbation de l’Etat
d’accueil», elle soutient que la France ne possède pas de législation spécifique sur les immunités de
l’Etat ou sur les missions diplomatiques.
* *
129. La Cour rappelle que la France et la Guinée équatoriale sont toutes deux parties à la
convention de Vienne ainsi qu’au protocole de signature facultative (voir le paragraphe 43 plus
haut). Elle rappelle également que la convention de Vienne est un traité sur «les relations,
privilèges et immunités diplomatiques» des Etats parties et que «le but desdits privilèges et
immunités est non pas d’avantager des individus mais d’assurer l’accomplissement efficace des
fonctions des missions diplomatiques en tant que représentants des Etats» (voir préambule à la
convention de Vienne). L’article premier, alinéa i), de la convention de Vienne dispose :
«Aux fins de la présente convention, les expressions suivantes s’entendent
comme il est précisé ci-dessous :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
i) L’expression «locaux de la mission» s’entend des bâtiments ou des parties de
bâtiments et du terrain attenant qui, quel qu’en soit le propriétaire, sont
utilisés aux fins de la mission, y compris la résidence du chef de la mission.»
130. L’article 22 de la convention de Vienne dispose :
«1. Les locaux de la mission sont inviolables. Il n’est pas permis aux agents de
l’Etat accréditaire d’y pénétrer, sauf avec le consentement du chef de la mission.
2. L’Etat accréditaire a l’obligation spéciale de prendre toutes mesures
appropriées afin d’empêcher que les locaux de la mission ne soient envahis ou
endommagés, la paix de la mission troublée ou sa dignité amoindrie.
3. Les locaux de la mission, leur ameublement et les autres objets qui s’y
trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission, ne peuvent faire l’objet
d’aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d’exécution.»
131. Afin d’établir sa compétence pour connaître de l’aspect du différend tel qu’elle l’a
défini plus haut au paragraphe 70, la Cour doit déterminer si celui-ci est relatif à l’interprétation ou
à l’application de la convention de Vienne, comme l’exigent les dispositions de l’article premier du
protocole de signature facultative à ladite convention (voir le paragraphe 45 plus haut). Elle doit,
- 39 -
pour ce faire, analyser les dispositions pertinentes de la convention de Vienne en appliquant les
règles du droit international coutumier en matière d’interprétation des traités, telles que décrites
plus haut au paragraphe 91.
132. L’article premier, alinéa i), de la convention de Vienne commence par cette phrase :
«Aux fins de la présente [c]onvention, les expressions suivantes s’entendent comme il est précisé
ci-dessous». Cette disposition ne fait donc que définir ce que désigne l’expression «locaux de la
mission», utilisée plus loin, à l’article 22. Sont considérés comme des «locaux de la mission», au
titre de la convention de Vienne, les bâtiments ou parties de bâtiment qui, quel qu’en soit le
propriétaire, sont «utilisés aux fins de la mission» diplomatique, y compris la résidence du chef de
la mission.
133. L’article 22 de la convention de Vienne assure un régime d’inviolabilité, de protection
et d’immunité aux «locaux d[’une] mission [diplomatique]» en faisant obligation à l’Etat
accréditaire, notamment, de s’abstenir de pénétrer dans de tels locaux sans le consentement du chef
de la mission, et d’empêcher que lesdits locaux soient envahis ou endommagés, ou la paix de la
mission troublée, par ses agents. Il garantit en outre que les locaux de la mission, leur ameublement
et les autres objets qui s’y trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission, ne puissent
faire l’objet d’aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d’exécution.
134. Dès lors qu’il existe, comme en l’espèce, des positions divergentes sur la question de
savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris, dont la Guinée équatoriale prétend qu’il est
«utilisé [aux] fins de sa mission diplomatique», peut être considéré comme «locaux de la mission»
et, partant, s’il convient ou non de lui accorder la protection prévue par l’article 22, il y a lieu de
considérer que cet aspect du différend est «relatif à l’interprétation ou à l’application de la
convention de Vienne», au sens de l’article premier du protocole de signature facultative à ladite
convention. La Cour estime donc que cet aspect du différend entre dans le champ de la convention
de Vienne.
135. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a compétence au titre de
l’article premier du protocole de signature facultative à la convention de Vienne pour connaître de
cet aspect du différend.
136. La Cour doit maintenant déterminer l’étendue de sa compétence. La France fait valoir, à
titre subsidiaire, que si la Cour devait conclure à sa compétence pour connaître de la demande de la
Guinée équatoriale relative au statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que
locaux diplomatiques, cette compétence «serait strictement limitée à l’examen de la licéité de la
saisie pénale immobilière de l’immeuble … à l’exclusion de toute question relative aux biens
mobiliers qui se trouvaient dans l’immeuble avant sa saisie le 19 juillet 2012».
137. Si elle a jugé qu’un demandeur ne pouvait, en cours d’instance, formuler une demande
nouvelle qui aurait pour effet de modifier l’objet du différend initialement porté devant elle
(Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 695, par. 108), la Cour n’est pas
convaincue que la Guinée équatoriale ait agi de la sorte lorsqu’elle a présenté son argumentation
concernant les biens mobiliers saisis au 42 avenue Foch à Paris. L’aspect du différend, tel que la
Cour l’a défini au paragraphe 70 plus haut, est relatif à l’inviolabilité et à l’immunité des locaux en
- 40 -
question en tant que conséquences juridiques de leur statut diplomatique. Les Parties conviennent
que l’article 22 de la convention de Vienne assure l’inviolabilité des bâtiments ayant le statut de
locaux diplomatiques. Aux termes du paragraphe 3 de cette disposition, les locaux de la mission,
mais aussi «leur ameublement et les autres objets qui s’y trouvent, ainsi que les moyens de
transport de la mission», ne peuvent faire l’objet d’aucune perquisition, réquisition, saisie ou
mesure d’exécution. La Cour estime que toute demande de la Guinée équatoriale relative aux biens
mobiliers se trouvant dans les locaux du 42 avenue Foch à Paris et fondée sur la violation alléguée
de l’immunité dont jouirait cet immeuble relève de l’objet du différend, et que, partant, la Cour est
compétente pour en connaître.
138. En conséquence, la Cour conclut qu’elle a compétence pour se prononcer sur l’aspect
du différend relatif au statut de l’immeuble en tant que locaux diplomatiques, compétence qui
inclut toute demande relative aux pièces d’ameublement et autres objets se trouvant dans les locaux
du 42 avenue Foch à Paris. La deuxième exception préliminaire soulevée par la France doit donc
être rejetée.
VI. TROISIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE :
ABUS DE PROCÉDURE ET ABUS DE DROIT
139. Dans ses exceptions préliminaires, la France conteste la compétence de la Cour au
motif, notamment, que «la demande de la Guinée équatoriale procède d’une utilisation abusive [de]
droits», se référant à cet égard à un «corollaire nécessaire du principe de bonne foi, tant sous la
forme de l’abus de procédure que de l’abus de droit». Elle avance que le comportement de la
Guinée équatoriale procède d’un abus de droit et que la saisine de la Cour constitue un abus de
procédure. A l’audience, la France a fait valoir que, peu importe que la Cour considère son
argumentation relative à l’existence d’un abus de droit et de procédure comme une exception
d’incompétence ou d’irrecevabilité, elle devrait refuser de connaître du différend au fond.
140. Pour ce qui est de l’abus de droit, la France mentionne des incohérences contenues dans
les correspondances et déclarations de la Guinée équatoriale, concernant la date d’acquisition par
celle-ci de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris et l’usage auquel il était destiné. Elle affirme
que la Guinée équatoriale a, de manière «soudaine et inattendue», transformé une résidence
particulière en locaux destinés à sa mission, et nommé «son propriétaire», M. Teodoro Nguema
Obiang Mangue, «à des responsabilités politiques de plus en plus éminentes» à mesure que
progressait l’enquête des autorités françaises. Elle soutient que l’objectif de la Guinée équatoriale
était de soustraire M. Teodoro Nguema Obiang Mangue et l’immeuble en question aux poursuites
pénales engagées. La France écrit à ce propos que le président de la République de
Guinée équatoriale a «explicitement reconnu que l’invocation du caractère diplomatique de
l'immeuble sis au 42 avenue Foch [à Paris] découlait de la volonté de faire échapper l’immeuble
aux poursuites pénales». Dans une lettre du 14 février 2012 adressée au président français, le
président équato-guinéen indiquait que, «à cause des pressions exercées contre [l]a personne [de
Teodoro Nguema Obiang Mangue], du fait d’une supposée acquisition illégale de biens, [celui-ci
avait] décidé de revendre [l’]immeuble [du 42 avenue Foch à Paris] au Gouvernement» équatoguinéen.
- 41 -
141. S’agissant de l’abus de procédure, la France prétend que la requête par laquelle la
Guinée équatoriale a saisi la Cour constitue un abus de cette nature en ce qu’elle a été formée «en
l’absence manifeste de toute voie de droit et en vue de couvrir des abus de droit commis par
ailleurs».
*
142. Dans ses observations écrites, la Guinée équatoriale avance que l’allégation d’abus de
droit «soulève des questions qui relèvent du fond de l’affaire et qui ne peuvent pas être abordées
dans le cadre de cette procédure incidente» et conteste formellement avoir commis un quelconque
abus de droit.
143. A propos de l’allégation d’abus de procédure avancée par la France, la
Guinée équatoriale affirme avoir saisi la Cour de bonne foi et conformément aux conditions et
prescriptions des conventions sur lesquelles elle base sa compétence. Elle accuse la France de
chercher à la dissuader de régler le différend par la voie judiciaire et soutient par ailleurs qu’il est
de jurisprudence constante que la saisine de la Cour, même si elle intervient immédiatement après
l’acceptation de sa compétence, ne constitue pas un abus de procédure. Enfin, elle estime qu’il est
«parfaitement légitime» pour elle d’avoir recours à la Cour pour mettre fin aux poursuites pénales
engagées devant les juridictions françaises contre son vice-président puisque, selon elle, la justice
française exerce sa compétence d’une manière qui est contraire au droit international.
* *
144. Ayant conclu qu’elle n’avait pas compétence au titre de la convention de Palerme (voir
le paragraphe 118 plus haut), la Cour n’examinera l’exception soulevée par la France qu’au regard
de la convention de Vienne.
145. La Cour est d’avis que la troisième exception préliminaire de la France doit être
qualifiée d’exception d’irrecevabilité de la requête. C’est d’ailleurs ce qui est reflété dans les
conclusions finales de la France, qui font référence non seulement à l’incompétence de la Cour,
mais également à l’irrecevabilité de la requête.
146. Dans la jurisprudence de la Cour et de sa devancière, une distinction a été établie entre
abus de droit et abus de procédure. Si la notion fondamentale d’abus est peut-être la même, les
conséquences qu’emportent, d’une part, l’abus de droit, et de l’autre, l’abus de procédure, peuvent
varier.
147. La Cour permanente de Justice internationale a, en plusieurs occasions, rejeté des
arguments concernant un abus de droit au stade du fond, faute d’éléments de preuve suffisants.
Ainsi, en l’affaire relative à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, elle a conclu
comme suit :
- 42 -
«L’Allemagne a conservé jusqu’au transfert effectif de la souveraineté le droit
de disposer de ses biens, et ce n’est qu’un abus de ce droit ou un manquement au
principe de la bonne foi qui pourraient donner à un acte d’aliénation le caractère d’une
violation du Traité ; un tel abus ne se présume pas, mais il incombe à celui qui
l’allègue de fournir la preuve de son allégation.» (Fond, arrêt no 7, 1926, C.P.J.I.
série A no 7, p. 30.)
148. En l’affaire relative à la Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissau
c. Sénégal), la Cour de céans s’est trouvée devoir examiner un argument relatif à un abus de
procédure. Aux dires du Sénégal,
«la requête de la Guinée-Bissau [était] irrecevable, dans la mesure où elle vis[ait] à
utiliser la déclaration du président Barberis dans le but de jeter le doute sur la validité
de la sentence … Le Sénégal sout[enait] que cette déclaration ne fai[sait] pas partie de
la sentence et qu’en conséquence toute tentative de la Guinée-Bissau pour utiliser cette
déclaration dans un tel but «d[evait] être qualifiée d’abus de procédure, abus visant à
priver le Sénégal des droits qui lui rev[enaient] aux termes de la sentence». Le Sénégal
sout[enait] aussi qu’il y a[vait] disproportion entre les moyens invoqués et les
conclusions présentées et que l’instance a[vait] été introduite à l’effet de retarder la
solution définitive du litige.» (Arrêt, C.I.J. Recueil 1991, p. 63, par. 26.)
La Cour a rejeté cet argument au motif que «la requête de la Guinée-Bissau a[vait] été présentée de
manière appropriée dans le cadre des voies de droit qui lui [étaient] ouvertes devant la Cour dans
les circonstances de l’espèce» (ibid., p. 63, par. 27).
149. En l’affaire de Certaines terres à phosphates à Nauru, l’Australie a soutenu que Nauru
avait agi sans constance ni bonne foi en matière de remise en état des terres à phosphate et que,
«dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et pour servir la bonne règle judiciaire, la Cour
devrait … refuser de connaître des demandes de [celle-ci]» (exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 255, par. 37). La Cour a
«consid[éré] que la requête de Nauru a[vait] été présentée de manière appropriée dans
le cadre des voies de droit qui lui [étaient] ouvertes … [qu’elle] n’a[vait] pas à ce
stade à apprécier les conséquences éventuelles du comportement de Nauru sur le fond
de l’affaire … [et qu’i]l lui su[ffisait] de constater que ce comportement n’équi[valait]
pas à un abus de procédure.» (Ibid., p. 255, par. 38.)
150. Un abus de procédure se rapporte à la procédure engagée devant une cour ou un tribunal
et peut être examiné au stade préliminaire de ladite procédure. En la présente affaire, la Cour ne
considère pas que la Guinée équatoriale, qui a établi une base de compétence valable, devrait voir
sa demande rejetée à un stade préliminaire s’il n’existe pas d’éléments attestant clairement que son
comportement pourrait procéder d’un abus de procédure. Or, pareils éléments n’ont pas été
présentés à la Cour. Seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier que la Cour rejette
pour abus de procédure une demande fondée sur une base de compétence valable. La Cour estime
ne pas être en présence de telles circonstances en l’espèce.
151. En ce qui concerne l’abus de droit invoqué par la France, il reviendra à chacune des
Parties d’établir les faits ainsi que les moyens de droit qu’elle entend faire prévaloir au stade du
fond de l’affaire. La Cour est d’avis que l’abus de droit ne peut être invoqué comme cause
d’irrecevabilité alors que l’établissement du droit en question relève du fond de l’affaire. Tout
argument relatif à un abus de droit sera examiné au stade du fond de la présente affaire.
- 43 -
152. Pour les raisons exposées ci-avant, la Cour n’estime pas devoir déclarer irrecevable
pour abus de procédure ou abus de droit la présente demande de la Guinée équatoriale. La
troisième exception préliminaire soulevée par la France doit par conséquent être rejetée.
VII. CONCLUSIONS GÉNÉRALES
153. La Cour conclut qu’elle n’a pas compétence en vertu de la convention de Palerme pour
connaître de la requête de la Guinée équatoriale. Elle se déclare par ailleurs compétente au titre du
protocole de signature facultative à la convention de Vienne pour connaître des conclusions de la
Guinée équatoriale afférentes au statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que
locaux diplomatiques, sa compétence incluant toute demande relative aux pièces d’ameublement et
autres objets se trouvant dans les locaux susmentionnés. Enfin, la Cour ne juge pas la requête de la
Guinée équatoriale irrecevable pour abus de procédure ou abus de droit.
*
* *
154. Par ces motifs,
LA COUR,
1) Par onze voix contre quatre,
Retient la première exception préliminaire soulevée par la République française, selon
laquelle la Cour n’a pas compétence sur la base de l’article 35 de la convention des Nations Unies
contre la criminalité transnationale organisée ;
POUR : M. Yusuf, président ; MM. Owada, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade,
Mme Donoghue, MM. Gaja, Bhandari, Crawford, Gevorgian, Salam, juges ;
CONTRE : Mme Xue, vice-présidente ; Mme Sebutinde, M. Robinson, juges ; M. Kateka,
juge ad hoc ;
2) A l’unanimité,
Rejette la deuxième exception préliminaire soulevée par la République française, selon
laquelle la Cour n’a pas compétence sur la base du protocole de signature facultative à la
convention de Vienne sur les relations diplomatiques concernant le règlement obligatoire des
différends ;
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3) Par quatorze voix contre une,
Rejette la troisième exception préliminaire soulevée par la République française, selon
laquelle la requête est irrecevable pour abus de procédure ou abus de droit ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Owada, Abraham, Bennouna,
Cançado Trindade, Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian,
Salam, juges ; M. Kateka, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Donoghue, juge ;
4) Par quatorze voix contre une,
Déclare qu’elle a compétence, sur la base du protocole de signature facultative à la
convention de Vienne sur les relations diplomatiques concernant le règlement obligatoire des
différends, pour se prononcer sur la requête déposée par la République de Guinée équatoriale le
13 juin 2016, en ce qu’elle a trait au statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que
locaux de la mission, et que ce volet de la requête est recevable.
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Owada, Abraham, Bennouna,
Cançado Trindade, Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian,
Salam, juges ; M. Kateka, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Donoghue, juge.
Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le
six juin deux mille dix-huit, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour
et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République de
Guinée équatoriale et au Gouvernement de la République française.
Le président,
(Signé)Abdulqawi Ahmed YUSUF.
Le greffier,
(Signé) Philippe COUVREUR.
Mme la vice-présidente XUE, Mme la juge SEBUTINDE, M. le juge ROBINSON et M. le juge
ad hoc KATEKA joignent à l’arrêt l’exposé de leur opinion dissidente commune ; M. le juge
OWADA joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ABRAHAM joint à l’arrêt l’exposé de son opinion
individuelle ; Mme la juge DONOGHUE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ;
MM. les juges GAJA et CRAWFORD joignent une déclaration à l’arrêt ; M. le juge GEVORGIAN joint
à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle.
(Paraphé) A.A.Y.
(Paraphé) Ph.C.
___________

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Exceptions préliminaires

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Arrêt du 6 juin 2018

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