Résumé de l'arrêt du 2 février 2018

Document Number
150-20180202-SUM-01-00-EN
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
2018/1
Date of the Document
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
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Résumé
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Résumé 2018/1
Le 2 février 2018
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua)  Question de l’indemnisation Résumé de l’arrêt du 2 février 2018
I. OBSERVATIONS LIMINAIRES (PAR. 21-28)
La Cour commence par rappeler que, conformément aux conclusions auxquelles elle est parvenue dans son arrêt du 16 décembre 2015, et compte tenu de l’absence d’accord entre les Parties et de la demande formulée par le Costa Rica, il lui revient de déterminer le montant de l’indemnité due à celui-ci à raison des dommages matériels causés par les activités illicites du Nicaragua en territoire costa-ricien. La Cour rappelle tout d’abord certains faits sur lesquels repose cet arrêt.
Les questions dont la Cour est saisie trouvent leur origine dans un différend territorial entre le Costa Rica et le Nicaragua concernant une zone jouxtant la partie la plus orientale de leur frontière terrestre commune. Cette zone, dénommée par la Cour le «territoire litigieux», a été définie par celle-ci dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires du 8 mars 2011 comme «la partie septentrionale d[’]Isla Portillos, soit la zone humide d’environ trois kilomètres carrés comprise entre la rive droite du caño litigieux [de 2010], la rive droite du fleuve San Juan lui-même jusqu’à son embouchure dans la mer des Caraïbes et la lagune de Harbor Head».
Le 18 octobre 2010, le Nicaragua a entrepris le dragage du fleuve San Juan afin d’en améliorer la navigabilité. Il a également effectué des travaux dans la partie septentrionale d’Isla Portillos, creusant dans le territoire litigieux un chenal (ou «caño», ci-après dénommé le «caño de 2010») entre le fleuve San Juan et la lagune de Harbor Head. Le Nicaragua a également envoyé certaines formations militaires et d’autres agents dans cette même zone.
Dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires du 22 novembre 2013, la Cour a constaté que deux nouveaux caños avaient été construits par le Nicaragua sur le territoire litigieux (ci-après dénommés les «caños de 2013»). Le Nicaragua a reconnu que le creusement des caños emportait manquement aux obligations lui incombant au titre de l’ordonnance de 2011.
La Cour relève également que, à la suite de son ordonnance de 2013, le Costa Rica, après avoir consulté le Secrétariat de la convention relative aux zones humides d’importance internationale, particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau, signée à Ramsar le 2 février 1971 (ci-après dénommée «la convention de Ramsar»), a procédé pendant une brève période, à la fin mars et au début d’avril 2015, à la construction d’une digue destinée à barrer celui des deux caños de 2013 qui se trouvait le plus à l’est (ci-après dénommé le «caño oriental de 2013»).
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Dans son arrêt du 16 décembre 2015, la Cour a adjugé au Costa Rica la souveraineté sur le «territoire litigieux» et a, en conséquence, déclaré que les activités du Nicaragua, notamment le creusement de trois caños et l’établissement d’une présence militaire sur ce territoire, emportaient violation de la souveraineté territoriale du Costa Rica. Elle a estimé que le Nicaragua était dès lors tenu de réparer les dommages causés par ses activités illicites et que le Costa Rica était fondé à recevoir une indemnisation pour les dommages matériels découlant des violations dont elle avait constaté la commission par le Nicaragua. Dans le présent arrêt, la Cour détermine le montant de l’indemnité due au Costa Rica.
II. PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES À L’INDEMNISATION DUE AU COSTA RICA (PAR. 29-38)
Avant de passer à l’examen de la question de l’indemnisation due dans la présente affaire, la Cour rappelle certains des principes pertinents en la matière. Elle relève ainsi que, selon un principe de droit international bien établi, «la violation d’un engagement entraîne l’obligation de réparer dans une forme adéquate». La Cour relève ensuite qu’elle a reconnu l’obligation de réparer intégralement les dommages causés par un fait illicite dans plusieurs affaires. Elle a également dit que l’indemnisation pouvait constituer une forme appropriée de réparation, en particulier dans les cas où la restitution était matériellement impossible ou emportait une charge trop lourde. L’indemnisation ne doit toutefois pas revêtir un caractère punitif ou exemplaire.
La Cour estime que, pour accorder indemnisation, elle doit analyser si, et dans quelle mesure, chacun des chefs de dommages dont le demandeur fait état peut être considéré comme établi et s’il est la conséquence du comportement illicite du défendeur, en recherchant «s’il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le fait illicite … et le préjudice subi par le demandeur». Elle doit enfin déterminer le montant de l’indemnité due.
Dans le cas de dommages environnementaux allégués, la question de leur existence et du lien de causalité peut soulever des difficultés particulières. Il se peut en effet que le dommage soit attribuable à plusieurs causes concomitantes, ou encore que l’état des connaissances scientifiques ne permette pas de le relier avec certitude au fait illicite par un lien de causalité. Ces difficultés doivent être examinées au moment où elles surviennent, à la lumière des faits propres à l’affaire et des éléments de preuve présentés à la Cour.
S’agissant de l’évaluation des dommages, la Cour rappelle que l’absence d’éléments de preuve suffisants quant à l’étendue des dommages matériels n’exclut pas dans tous les cas l’octroi d’une indemnisation pour ces derniers.
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La Cour note que, dans la présente affaire, le Costa Rica demande à être indemnisé pour des dommages quantifiables causés à l’environnement ainsi que pour divers frais et dépenses occasionnés par les activités illicites du Nicaragua, notamment des dépenses liées aux mesures de surveillance ou de remise en état rendues nécessaires par les dommages causés à l’environnement.
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III. L’INDEMNISATION DES DOMMAGES ENVIRONNEMENTAUX (PAR. 39-87)
1. Le caractère indemnisable des dommages environnementaux (par. 39-43)
La Cour fait observer qu’elle n’a jamais auparavant statué sur une demande d’indemnisation pour dommages environnementaux. Il est cependant conforme aux principes du droit international régissant les conséquences de faits internationalement illicites, et notamment au principe de la réparation intégrale, de conclure que les dommages environnementaux ouvrent en eux-mêmes droit à indemnisation, en sus de dépenses engagées par l’Etat lésé en conséquence de tels dommages.
La Cour est donc d’avis que les dommages causés à l’environnement, ainsi que la dégradation ou la perte consécutive de la capacité de celui-ci de fournir des biens et services, sont susceptibles d’indemnisation en droit international. Cette indemnisation peut comprendre une indemnité pour la dégradation ou la perte de biens et services environnementaux subie pendant la période précédant la reconstitution, et une indemnité pour la restauration de l’environnement endommagé.
La Cour ajoute que l’indemnité de restauration répond au fait que la régénération peut parfois ne pas suffire à rétablir l’environnement en son état antérieur au dommage. En pareil cas, des mesures de restauration active peuvent être requises afin de rétablir, autant que possible, l’environnement en son état d’origine.
2. Méthode d’évaluation des dommages environnementaux (par. 44-53)
La Cour présente brièvement la méthode d’évaluation des dommages environnementaux proposée par chacune des Parties en la présente espèce. Le Costa Rica estime que la méthode la plus appropriée à cet égard est celle qu’il appelle la «méthode des services écosystémiques», qui suit les recommandations d’un rapport d’experts établi à sa demande par la Fundación Neotrópica, une organisation non gouvernementale costa-ricienne. Il soutient que cette méthode d’évaluation des dommages environnementaux est largement reconnue sur le plan international, qu’elle est moderne et aussi adaptée à la zone humide dont la convention de Ramsar impose la protection et à laquelle le Nicaragua a porté atteinte. Le Costa Rica expose que, suivant la méthode des services écosystémiques, la valeur d’un environnement se compose de biens et services susceptibles ou non d’être commercialisés.
Le Nicaragua estime pour sa part que le Costa Rica a droit à une indemnisation pour le coût du «remplacement des services environnementaux qui soit ont été perdus soit risquent de l’être tant que la zone touchée n’est pas reconstituée», qu’il appelle le «coût de remplacement des services écosystémiques» ou les «frais de remplacement». Il convient selon lui, pour en calculer le montant, de se référer au prix qui devrait être payé pour financer la conservation d’une zone équivalente jusqu’à ce que les services fournis par la zone touchée soient rétablis.
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La Cour reconnaît que les méthodes proposées par les Parties sont parfois utilisées pour évaluer des dommages environnementaux dans la pratique d’organes nationaux et internationaux, et qu’elles ne sont donc pas dénuées de pertinence aux fins de la tâche qui lui incombe en la présente espèce. Elle souligne néanmoins que ces méthodes ne sont pas les seules suivies par lesdits organes à cet effet et ne sont pas non plus réservées à l’évaluation des dommages, puisqu’elles peuvent également être employées pour mettre en balance les coûts et bénéfices de projets ou programmes environnementaux à des fins de détermination de politiques publiques. La Cour indique qu’elle s’abstiendra donc de choisir entre ces deux méthodes ou d’utiliser
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exclusivement l’une d’elles pour évaluer les dommages subis par la zone humide protégée qui est située au Costa Rica. Elle empruntera cependant à l’une ou à l’autre chaque fois que leurs éléments offriront une base raisonnable d’évaluation. Cette démarche obéit à deux considérations : premièrement, le droit international ne prescrit aucune méthode d’évaluation particulière pour l’indemnisation de dommages causés à l’environnement ; deuxièmement, la Cour estime nécessaire de tenir compte des circonstances et caractéristiques propres à chaque affaire.
La Cour expose que, en vue d’établir le montant de l’indemnité due à raison des dommages environnementaux, elle estimera le coût de la restauration de l’environnement endommagé ainsi que celui de la dégradation ou perte de biens et services environnementaux subie tant que l’environnement n’est pas reconstitué.
3. Détermination de l’étendue des dommages causés à l’environnement et du montant de l’indemnité due (par. 54-87)
La Cour en vient à la détermination de l’étendue des dommages causés à l’environnement et du montant de l’indemnité due. Elle relève que le Costa Rica demande à être indemnisé i) pour la dégradation ou la perte de biens et services environnementaux résultant des activités nicaraguayennes, et ii) pour ses frais de restauration, à savoir le coût de remplacement du sol des deux caños et le coût de la restauration de la zone humide.
La Cour fait observer que, bien qu’il dénombre 22 catégories de biens et services susceptibles d’avoir été dégradés ou perdus en conséquence des activités illicites du Nicaragua, le Costa Rica ne demande d’indemnisation que pour six d’entre elles, à savoir : le bois sur pied, d’autres matières premières (fibres et énergie) ; la régulation des gaz et de la qualité de l’air ; l’atténuation des risques naturels ; la formation du sol et la lutte contre l’érosion ; et la biodiversité, du point de vue de l’habitat et du renouvellement des populations.
La Cour indique que, avant d’attribuer une valeur pécuniaire aux dommages occasionnés aux biens et services environnementaux par les activités illicites du Nicaragua, elle vérifiera l’existence et l’étendue des dommages en question, et recherchera s’il existe un lien de causalité direct et certain entre lesdits dommages et les activités nicaraguayennes. Elle établira ensuite le montant de l’indemnité due.
La Cour est d’avis que le Costa Rica n’a pas démontré que la zone touchée ait, du fait d’un changement de ses caractéristiques écologiques, perdu sa capacité d’atténuer les risques naturels ou que pareils services aient été dégradés. Au sujet de la formation du sol et de la lutte contre l’érosion, le Nicaragua ne nie pas avoir enlevé environ 9500 mètres cubes de sol des sites où il a creusé le caño de 2010 et le caño oriental de 2013. Cela étant, il ressort des éléments dont dispose la Cour que les deux caños se sont ensuite comblés à nouveau et que la végétation a largement repoussé. La Cour conclut en conséquence que les prétentions du Costa Rica pour le coût du remplacement de la totalité du sol enlevé par le Nicaragua ne peuvent être accueillies. Si certains éléments tendent à démontrer que le sol enlevé par le Nicaragua était de meilleure qualité que celui qui comble désormais les deux caños, le Costa Rica n’a cependant pas apporté la preuve que cette différence ait une incidence sur la lutte contre l’érosion, et la Cour ne dispose pas d’éléments suffisants quant à la qualité des deux types de sol pour lui permettre d’apprécier la perte éventuellement subie par le Costa Rica.
La Cour examine ensuite les quatre autres catégories de biens et services environnementaux à raison desquelles le Costa Rica demande à être indemnisé (arbres, autres matières premières, régulation des gaz et de la qualité de l’air, et biodiversité). Elle conclut qu’il ressort des éléments versés au dossier que, lorsqu’il a creusé le caño de 2010 et le caño oriental de 2013, le Nicaragua a abattu près de 300 arbres et dégagé 6,19 hectares de végétation. La Cour estime que ces activités ont sensiblement affecté la capacité des deux sites touchés de fournir les biens et services
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environnementaux susmentionnés. Elle considère dès lors que la dégradation ou la perte de ces quatre catégories de biens et services est établie et qu’elle est la conséquence directe des activités du Nicaragua.
Pour ce qui est de la valeur à attribuer aux dommages causés aux biens et services environnementaux, la Cour indique qu’elle ne peut retenir les évaluations proposées par les Parties. S’agissant de l’évaluation proposée par le Costa Rica, la Cour éprouve quelques doutes quant à la fiabilité de certains aspects de la méthode sur laquelle elle repose. Le Costa Rica postule, par exemple, qu’une période de cinquante ans représente le temps nécessaire pour que l’écosystème recouvre son état antérieur aux dommages. Cependant, d’une part, le dossier ne donne pas d’indications claires au sujet de l’état d’origine de l’ensemble des biens et services environnementaux qui existaient dans la zone concernée avant les activités du Nicaragua. D’autre part, la Cour fait observer que le délai de reconstitution varie selon les composantes de l’écosystème.
La Cour considère qu’il convient, pour estimer les dommages environnementaux, d’appréhender l’écosystème dans son ensemble en procédant à une évaluation globale de la dégradation ou perte de biens et services environnementaux avant reconstitution, plutôt que d’attribuer une valeur à telle ou telle catégorie de biens et services environnementaux et d’estimer la période de reconstitution applicable à chacune.
Premièrement, la Cour fait observer, s’agissant des biens et services environnementaux dégradés ou perdus, que le dommage le plus important qui ait été causé à la zone, et qui semble être à l’origine d’autres dommages environnementaux, concerne les arbres abattus par le Nicaragua lors du creusement des caños. Une évaluation globale permet de rendre compte de la corrélation existant entre l’abattage des arbres et les dommages causés à d’autres biens et services environnementaux. Deuxièmement, la nécessité d’une évaluation globale est dictée par les caractéristiques particulières de la zone touchée par les activités du Nicaragua, celle-ci faisant partie de la zone humide du nord-est des Caraïbes, qui bénéficie d’une protection au titre de la convention de Ramsar et où coexistent divers biens et services environnementaux qui sont étroitement liés. Troisièmement, une telle évaluation globale permettra à la Cour de tenir compte du potentiel de régénération de la zone endommagée.
Ces considérations amènent également la Cour à conclure, au sujet du délai de reconstitution, qu’une même durée ne peut être fixée pour l’ensemble des biens et services environnementaux touchés.
Aux fins de son évaluation globale, la Cour prend en considération les catégories susmentionnées de biens et services environnementaux dont la dégradation ou la perte a été établie.
La Cour rappelle que, outre les deux évaluations soumises respectivement par le Costa Rica et le Nicaragua, ce dernier propose encore une autre évaluation des dommages, calculée sur la base des quatre catégories de biens et services environnementaux. Pour ce faire, le Nicaragua utilise la méthode des services écosystémiques préconisée par le Costa Rica mais en procédant à des ajustements non négligeables. Il qualifie cette évaluation d’«analyse corrigée». La Cour considère toutefois que l’«analyse corrigée» du Nicaragua tend à sous-estimer la valeur à attribuer à certaines catégories de biens et services avant reconstitution.
La Cour rappelle également que l’absence de certitude quant à l’étendue des dommages n’exclut pas nécessairement l’octroi d’une somme qui, selon elle, reflète approximativement la valeur de la dégradation ou de la perte de biens et services environnementaux subie. Dans la présente affaire, la Cour, tout en retenant certains des éléments de l’«analyse corrigée», estime raisonnable d’ajuster, aux fins de son évaluation globale, le montant total figurant dans ladite analyse de manière à tenir compte des insuffisances de cette dernière. Elle accorde en conséquence
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au Costa Rica une indemnité de 120 000 dollars des Etats-Unis à raison de la dégradation ou de la perte de biens et services environnementaux subie par la zone touchée jusqu’à sa reconstitution.
S’agissant de la restauration, la Cour rejette la demande d’indemnité de 54 925,69 dollars des Etats-Unis que le Costa Rica a formulée à raison du remplacement du sol, pour les motifs exposés plus haut. En revanche, la Cour estime que le versement d’une indemnité pour les mesures de restauration concernant la zone humide est justifié eu égard aux dommages causés par les activités du Nicaragua. Le Costa Rica demande à ce titre une indemnité de 2708,39 dollars des Etats-Unis. La Cour accueille cette demande.
IV. L’INDEMNISATION DEMANDÉE PAR LE COSTA RICA AU TITRE DES FRAIS ET DÉPENSES (PAR. 88-147)
La Cour relève que, outre l’indemnisation qu’il réclame pour les dommages causés à l’environnement, le Costa Rica demande une indemnité pour les frais et dépenses que lui ont occasionnés les activités illicites du Nicaragua.
1. Frais et dépenses engagés du fait des activités illicites du Nicaragua dans la partie septentrionale d’Isla Portillos entre octobre 2010 et avril 2011 (par. 90-106)
La Cour passe à l’estimation du montant de l’indemnité due à raison des frais et dépenses engagés par le Costa Rica en conséquence de la présence du Nicaragua dans la partie septentrionale d’Isla Portillos entre octobre 2010 et avril 2011 et des activités illicites que celui-ci y a menées. Après examen de l’ensemble des justificatifs et documents pertinents, elle considère que le Costa Rica a, pour deux chefs de dépenses, produit des éléments démontrant en effet l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct et certain entre une partie des frais engagés et le comportement internationalement illicite du Nicaragua.
Le premier chef de dépenses que la Cour juge partiellement susceptible d’indemnisation a trait au carburant et à la maintenance des aéronefs de la police utilisés pour atteindre et survoler la partie septentrionale d’Isla Portillos. Il ressort des éléments de preuve versés au dossier que le service de surveillance aérienne du Costa Rica a effectué plusieurs survols de la zone pertinente au cours de la période en question. Estimant établi que certains de ces survols visaient à assurer une inspection concrète de la partie septentrionale d’Isla Portillos, la Cour considère que ces frais connexes sont directement liés à la surveillance de cette zone qui avait été rendue nécessaire par le comportement illicite du Nicaragua.
Pour en venir au calcul du montant de l’indemnité, la Cour relève que le Costa Rica réclame 37 585,60 dollars des Etats-Unis «pour le carburant et la maintenance des aéronefs de la police utilisés» afin d’atteindre et de survoler le «territoire litigieux» à diverses reprises en octobre et en novembre 2010. A cet égard, le Costa Rica a produit comme éléments de preuve les journaux de bord pertinents et une communication officielle en date du 2 mars 2016, qui font apparaître un montant total de 37 585,60 dollars des Etats-Unis. La Cour note que le Costa Rica a calculé les dépenses comprises sous ce chef en se basant sur le coût d’exploitation horaire de chaque aéronef utilisé, coût réparti entre quatre postes : «carburant», «révision», «assurance» et «divers». S’agissant des frais d’«assurance», la Cour considère que le Costa Rica n’a pas démontré avoir dû faire face à un quelconque surcroît de dépenses en raison des missions particulières effectuées par les aéronefs de la police au-dessus de la partie septentrionale d’Isla Portillos. Ces frais d’assurance ne sont dès lors pas susceptibles d’indemnisation. Quant aux frais «divers», le Costa Rica n’en a pas spécifié la nature. La Cour estime en conséquence que ces frais divers ne sont pas susceptibles d’indemnisation.
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La Cour exclut également les frais liés aux vols effectués pour transporter des cargaisons ou des membres de la presse, ceux liés aux vols dont la destination n’était pas la partie septentrionale d’Isla Portillos, ainsi que ceux liés aux vols dont le journal de bord ne donne aucune indication quant aux personnes embarquées. Elle estime que le Costa Rica n’a pas démontré en quoi ces missions étaient nécessaires pour répondre aux activités illicites du Nicaragua, et qu’il n’a donc pas établi l’existence du lien de causalité requis entre lesdites activités et les dépenses afférentes à ces vols.
La Cour juge en outre nécessaire de recalculer le montant des dépenses susceptibles d’indemnisation sur la base des informations fournies dans la communication officielle du 2 mars 2016 susmentionnée et dans les journaux de bord, en se référant au nombre et à la durée des vols réellement effectués en octobre et en novembre 2010 aux fins de l’inspection de la partie septentrionale d’Isla Portillos, et en tenant uniquement compte des frais de «carburant» et de «révision». Elle conclut en conséquence que, pour ce chef de dépenses, le Costa Rica a droit à une indemnité de 4177,30 dollars des Etats-Unis pour le mois d’octobre 2010, et à une indemnité de 1665,90 dollars des Etats-Unis pour le mois de novembre 2010, ce qui donne un montant total de 5843,20 dollars des Etats-Unis.
Le deuxième chef de dépenses que la Cour estime susceptible d’indemnisation a trait aux prétentions du Costa Rica concernant le coût d’un rapport de l’UNITAR/UNOSAT daté du 4 janvier 2011. Il ressort des éléments de preuve que le Costa Rica a engagé cette dépense afin de détecter et d’évaluer l’effet sur l’environnement de la présence et des activités illicites du Nicaragua en territoire costa-ricien. La Cour a examiné ce rapport et constate que l’analyse qu’il renferme constitue une analyse technique des dommages occasionnés par les activités illicites du Nicaragua dans la partie septentrionale d’Isla Portillos.
Pour en venir au calcul du montant de l’indemnité, la Cour note que le Costa Rica a présenté comme élément de preuve une facture de l’UNITAR/UNOSAT numérotée et datée d’un montant de 15 804 dollars des Etats-Unis, à laquelle est joint un tableau de répartition des coûts. La Cour considère qu’il existe entre les activités du Nicaragua et les frais d’obtention du rapport un lien de causalité suffisamment direct et certain. Elle estime en conséquence que le Costa Rica a droit au remboursement intégral de la somme ainsi dépensée.
La Cour passe ensuite aux chefs de dépenses à l’égard desquels elle considère que le Costa Rica ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve lui incombant.
Elle note que trois chefs de dépenses (engagées entre octobre 2010 et avril 2011) dont le Costa Rica demande à être indemnisé ont trait à la rémunération d’agents costa-riciens qui auraient participé à des activités de surveillance dans la partie septentrionale d’Isla Portillos. Le montant total de l’indemnité réclamée par le Costa Rica pour cette catégorie de dépenses est de 9135,16 dollars des Etats-Unis. La Cour considère à cet égard que la rémunération des agents publics affectés à une situation résultant d’un fait internationalement illicite ne peut ouvrir droit à indemnisation que si elle présente un caractère temporaire et extraordinaire. Autrement dit, un Etat n’a pas, en règle générale, droit à une indemnisation pour la rémunération ordinaire de ses agents. Il peut cependant avoir droit à une indemnisation dans certains cas, par exemple lorsqu’il a dû verser à ses agents davantage que leur traitement ordinaire ou qu’il a dû recruter de nouveaux agents dont la rémunération n’était pas initialement inscrite à son budget. La Cour note que cette approche est conforme à la pratique internationale.
La Cour fait observer que le Costa Rica n’a fourni en l’espèce aucun élément prouvant que, entre octobre 2010 et avril 2011, il aurait engagé la moindre dépense extraordinaire pour rémunérer des agents publics. Elle conclut en conséquence que le Costa Rica n’a pas droit à une indemnisation pour la rémunération des agents employés par le service de surveillance aérienne, la garde côtière nationale ou la zone de conservation de Tortuguero (dénommée l’«ACTo», selon son acronyme espagnol).
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La Cour fait par ailleurs observer que trois autres chefs de dépenses ont un rapport étroit avec les fonctions exercées par les agents de l’ACTo (aux fins de missions de surveillance de l’environnement dans la partie septentrionale d’Isla Portillos ou à proximité), le Costa Rica réclamant à cet égard une indemnité d’un montant total de 801,69 dollars des Etats-Unis couvrant ses dépenses d’approvisionnement en eau et en vivres (446,12 dollars des Etats-Unis), de carburant pour transport fluvial (92 dollars des Etats-Unis) et de carburant pour transport terrestre (263,57 dollars des Etats-Unis). Après examen des éléments versés au dossier, la Cour note, au sujet des dépenses de transport terrestre et d’approvisionnement en eau et en vivres, qu’aucune information précise n’est fournie pour indiquer en quoi ces dépenses étaient liées à la surveillance effectuée par le Costa Rica en conséquence directe des activités illicites menées par le Nicaragua dans la partie septentrionale d’Isla Portillos entre octobre 2010 et avril 2011. De plus, le dossier ne fournit absolument aucune information sur les dépenses engagées pour le transport fluvial.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que le Costa Rica n’a pas produit d’éléments suffisants à l’appui de ses prétentions relatives aux dépenses qu’il affirme avoir engagées sous ces trois chefs.
La Cour en vient enfin à la somme de 17 600 dollars des Etats-Unis réclamée par le Costa Rica relativement à l’acquisition de deux images satellite dont il estime qu’elles étaient nécessaires pour vérifier la situation concernant la présence et les activités illicites du Nicaragua dans la partie septentrionale d’Isla Portillos. Après examen des justificatifs produits par le Costa Rica à l’appui de sa réclamation –– à savoir deux factures ––, la Cour note que ni l’une ni l’autre de ces factures ne fournit quelque indication que ce soit sur la zone couverte par les deux images satellite. Il s’ensuit que la Cour ne peut conclure, sur la base de ces documents, que les images en question couvraient la partie septentrionale d’Isla Portillos et qu’elles ont été utilisées pour vérifier la situation concernant la présence du Nicaragua et ses activités illicites dans cette zone. La Cour conclut en conséquence que le Costa Rica n’a pas présenté d’éléments de preuve suffisants à l’appui de ses prétentions pour ce chef de dépenses.
En conclusion, la Cour considère que le Costa Rica a droit à une indemnité d’un montant de 21 647,20 dollars des Etats-Unis à raison des dépenses qu’il a engagées en rapport avec la présence du Nicaragua dans la partie septentrionale d’Isla Portillos entre octobre 2010 et avril 2011 et avec les activités illicites que celui-ci y a menées. Ce montant comprend 5843,20 dollars des Etats-Unis pour le carburant et la maintenance des aéronefs de la police utilisés afin d’atteindre et de survoler la partie septentrionale d’Isla Portillos et 15 804 dollars des Etats-Unis pour l’obtention d’un rapport de l’UNITAR/UNOSAT afin de vérifier la situation concernant les activités illicites menées par le Nicaragua dans cette zone.
2. Frais et dépenses engagés pour assurer la surveillance de la partie septentrionale d’Isla Portillos à la suite du retrait du personnel militaire nicaraguayen ainsi que l’exécution des ordonnances en indication de mesures conservatoires rendues par la Cour en 2011 et 2013 (par. 107-131)
En ce qui concerne l’indemnisation du Costa Rica pour les activités de surveillance qu’il affirme avoir menées en application des ordonnances rendues en 2011 et en 2013, la Cour considère que, pour trois chefs de dépenses, le Costa Rica a produit des éléments démontrant en effet l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct et certain entre une partie de ces dépenses et le comportement internationalement illicite du Nicaragua qu’elle a constaté dans son arrêt de 2015.
Premièrement, la Cour estime que le Costa Rica a droit à une indemnisation partielle des dépenses qu’il a engagées à l’occasion de l’inspection de la partie septentrionale d’Isla Portillos qu’il a effectuée pendant deux jours, les 5 et 6 avril 2011, en coordination avec le Secrétariat de la convention de Ramsar et en compagnie de représentants de celui-ci. Cette inspection a été menée
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aux fins d’évaluer l’état de l’environnement dans le secteur et de déterminer les mesures à prendre pour empêcher que cette partie de la zone humide subisse d’autres dommages irréparables en conséquence des activités illicites du Nicaragua. Sur la base du rapport technique établi par les représentants du Secrétariat de la convention de Ramsar, la Cour est d’avis que cette inspection était directement liée à la surveillance de la partie septentrionale d’Isla Portillos qui avait été rendue nécessaire par le comportement illicite du Nicaragua.
Pour en venir au calcul du montant de l’indemnité, la Cour note que le Costa Rica réclame 20 110,84 dollars des Etats-Unis «pour le carburant et la maintenance des aéronefs de la police utilisés» et 1017,71 dollars des Etats-Unis «pour la rémunération des agents du service de surveillance aérienne», sur la base des journaux de bord pertinents et d’une communication officielle datée du 2 mars 2016 émanant du bureau administratif du service de surveillance aérienne (département des opérations aéronautiques du ministère de la sécurité publique). La Cour juge nécessaire d’évaluer le montant des dépenses susceptibles d’indemnisation en se référant aux informations fournies dans la communication officielle susmentionnée et dans les journaux de bord, en tenant uniquement compte des frais de «carburant» et de «révision». Elle conclut en conséquence que, pour ce chef de dépenses, le Costa Rica a droit à une indemnité de 3897,40 dollars des Etats-Unis. S’agissant des prétentions du Costa Rica concernant les salaires et les prestations connexes versés aux agents du service de surveillance aérienne ayant participé à des missions aériennes, la Cour considère que le Costa Rica ne saurait demander à être indemnisé du coût des rémunérations versées aux fins de la mission d’inspection d’avril 2011. Comme elle l’a déjà fait observer précédemment, un Etat ne saurait se faire rembourser la rémunération d’agents publics qu’il aurait dû de toute façon payer indépendamment de toute activité illicite menée sur son territoire par un autre Etat.
Deuxièmement, la Cour estime que le Costa Rica a droit à une indemnisation partielle pour l’acquisition, pendant la période allant de septembre 2011 à octobre 2015, d’images satellite destinées à lui permettre de surveiller et de vérifier effectivement les répercussions des activités illicites du Nicaragua. Dans la mesure où ces images satellite couvrent la partie septentrionale d’Isla Portillos, la Cour considère qu’il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le comportement internationalement illicite du Nicaragua, tel que constaté dans son arrêt sur le fond, et le chef de dépenses pour lequel le Costa Rica demande à être indemnisé.
Pour en venir au calcul du montant de l’indemnité, la Cour note que le Costa Rica a présenté comme éléments de preuve des factures numérotées et datées ainsi que des bons de livraison correspondant à l’achat d’images satellite auprès des sociétés INGEO innovaciones geográficas S.A. et GeoSolutions Consulting, Inc. S.A. Pour ce chef de dépenses, le Costa Rica réclame une indemnité d’un montant total de 160 704 dollars des Etats-Unis. Ayant examiné attentivement ces factures et bons de livraison, la Cour estime que trois catégories peuvent être distinguées s’agissant du lieu photographié. La première catégorie vise les images satellite couvrant la partie septentrionale d’Isla Portillos ; la deuxième concerne les images satellite couvrant la zone générale de la frontière septentrionale avec le Nicaragua ; et la troisième ne donne aucune indication quant à la zone photographiée.
La Cour considère que, les images satellite visées par les première et deuxième catégories de factures couvrant toutes la partie septentrionale d’Isla Portillos, les frais engagés pour les acquérir sont, en principe, susceptibles d’indemnisation. Cela étant, la Cour note que la plupart de ces images satellite montrent une zone bien plus vaste que la partie septentrionale d’Isla Portillos, couvrant souvent jusqu’à 200 kilomètres carrés environ. En outre, ces images sont facturées au kilomètre carré, généralement au prix unitaire de 28 dollars des Etats-Unis. La Cour estime qu’il ne serait pas raisonnable d’indemniser le Costa Rica pour l’intégralité de ces images. Compte tenu de la superficie de la partie septentrionale d’Isla Portillos, elle est d’avis que la couverture d’une zone de 30 kilomètres carrés suffisait au Costa Rica pour surveiller et vérifier effectivement la situation concernant les activités illicites nicaraguayennes. La Cour accorde donc au Costa Rica, pour chacune des factures relatives à des images satellite couvrant la partie septentrionale
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d’Isla Portillos, une indemnité correspondant à une image couvrant une zone de 30 kilomètres carrés, au prix unitaire de 28 dollars des Etats-Unis au kilomètre carré.
S’agissant de la dernière catégorie de factures, qui ne donne aucune indication quant à la zone photographiée, la Cour considère que le Costa Rica n’a pas établi l’existence du lien de causalité nécessaire entre les activités illicites du Nicaragua et l’acquisition des images satellite concernées.
La Cour conclut en conséquence que le Costa Rica a droit à une indemnité de 15 960 dollars des Etats-Unis à raison des dépenses qu’il a engagées pour acquérir des images satellite.
Troisièmement, la Cour estime que le Costa Rica a droit à une indemnisation partielle pour le coût d’un rapport de l’UNITAR/UNOSAT daté du 8 novembre 2011. Le Costa Rica a engagé cette dépense pour détecter et évaluer les répercussions sur l’environnement de la présence et des activités illicites du Nicaragua en territoire costa-ricien. La Cour a examiné ledit rapport (composé de trois sections) et note que l’analyse contenue dans la section 2, intitulée «Mise à jour relative à l’état du nouveau chenal construit le long du fleuve San Juan (carte 4)», constitue une analyse technique des dommages occasionnés par les activités illicites du Nicaragua dans la partie septentrionale d’Isla Portillos. La Cour conclut que le Costa Rica a prouvé l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le comportement internationalement illicite du Nicaragua, tel que constaté dans son arrêt sur le fond, et l’acquisition de ce rapport de l’UNITAR/UNOSAT.
Pour en venir au calcul du montant de l’indemnité, la Cour note que les trois sections du rapport de l’UNITAR/UNOSAT peuvent être dissociées (en ce sens que chacune est indépendante), et que seul le contenu de la section 2 est directement pertinent. Elle considère en conséquence que le montant total de l’indemnité doit être limité à un tiers du coût total du rapport et conclut, sur cette base, que le Costa Rica a droit à une indemnité de 9113 dollars des Etats-Unis à raison de ce chef de dépenses.
En ce qui concerne les autres chefs de dépenses pour lesquels une indemnisation est réclamée, la Cour relève que les prétentions du Costa Rica peuvent être divisées en trois catégories, à savoir : i) les prétentions relatives aux deux nouveaux postes de police de Laguna Los Portillos et Laguna de Agua Dulce ; ii) les prétentions relatives à la station biologique de Laguna Los Portillos ; et iii) les prétentions relatives à la rémunération des agents ayant participé à des activités de surveillance, ainsi qu’aux frais connexes d’approvisionnement en eau et en vivres et aux frais de carburant pour le transport des agents de l’ACTo. La Cour considère qu’aucun des frais en rapport avec l’équipement et le fonctionnement des postes de police n’est susceptible d’indemnisation étant donné que l’objectif desdits postes concernait la sécurité de la zone frontalière de manière générale et n’était pas, en particulier, de permettre la surveillance des activités illicites du Nicaragua dans la partie septentrionale d’Isla Portillos. Qui plus est, le Costa Rica n’a présenté aucun élément attestant l’existence d’un lien suffisant entre ces dépenses d’équipement ou de fonctionnement et la mise en oeuvre des mesures conservatoires prescrites par la Cour. S’agissant des frais en rapport avec la maintenance de la station biologique, la Cour constate là encore qu’aucun n’est susceptible d’indemnisation étant donné qu’il n’existait pas de lien de causalité suffisamment direct entre la maintenance de cette station et le comportement illicite du Nicaragua dans la partie septentrionale d’Isla Portillos. En ce qui concerne la troisième catégorie, pour les raisons déjà exposées à propos de prétentions similaires du Costa Rica, la Cour ne saurait accueillir l’idée qu’un Etat ait le droit d’être indemnisé pour la rémunération ordinaire de ses agents. Elle considère également que le Costa Rica n’a fourni aucune information précise montrant en quoi les frais dont il demande le remboursement concernant l’approvisionnement en eau et en vivres, ainsi que le carburant utilisé pour transporter les agents de l’ACTo, étaient liés à sa surveillance de la partie septentrionale d’Isla Portillos à la suite du retrait du personnel militaire nicaraguayen.
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En conclusion, la Cour considère que le Costa Rica a droit à une indemnité d’un montant de 28 970,40 dollars des Etats-Unis à raison des dépenses qu’il a engagées pour assurer la surveillance de la partie septentrionale d’Isla Portillos à la suite du retrait du personnel militaire nicaraguayen ainsi que l’exécution des ordonnances en indication de mesures conservatoires qu’elle a rendues en 2011 et en 2013. Ce montant comprend 3897,40 dollars des Etats-Unis pour les survols effectués par le service de surveillance aérienne les 5 et 6 avril 2011, 15 960 dollars des Etats-Unis pour l’achat d’images satellite de la partie septentrionale d’Isla Portillos pendant la période allant de septembre 2011 à octobre 2015 et 9113 dollars des Etats-Unis pour l’obtention d’un rapport de l’UNITAR/UNOSAT contenant, notamment, une évaluation technique des dommages occasionnés par les activités illicites du Nicaragua dans la partie septentrionale d’Isla Portillos.
3. Frais et dépenses engagés pour empêcher qu’un préjudice irréparable soit causé à l’environnement (construction d’une digue et vérification de son efficacité) (par. 132-146)
La Cour rappelle que, dans son ordonnance du 22 novembre 2013 relative à la demande en indication de nouvelles mesures conservatoires présentée par le Costa Rica, elle a déclaré en particulier que,
«[a]près avoir consulté le Secrétariat de la convention de Ramsar et préalablement informé le Nicaragua, le Costa Rica pourra[it] prendre des mesures appropriées au sujet des deux nouveaux caños, dès lors que de telles mesures ser[aient] nécessaires pour empêcher qu’un préjudice irréparable soit causé à l’environnement du territoire litigieux».
La Cour rappelle tout d’abord certains éléments du contexte factuel. Du 10 au 13 mars 2013, une équipe du Secrétariat de la convention de Ramsar s’est rendue dans la partie septentrionale d’Isla Portillos pour y évaluer les dommages résultant de la construction, par le Nicaragua, des deux nouveaux caños. A la suite de cette visite, le Secrétariat a établi en août 2014 un rapport dans lequel il recommandait des mesures d’atténuation portant exclusivement sur le caño oriental de 2013 (mission consultative Ramsar no 77). Il demandait au Costa Rica de lui soumettre un plan d’action et recommandait la mise en place d’un programme de surveillance. Comme suite à cette demande, le ministère costa-ricien de l’environnement et de l’énergie a établi un plan d’action daté du 12 août 2014. Ce plan exposait en détail les mesures proposées, qui consistaient à construire une digue destinée à empêcher que les eaux du fleuve San Juan soient détournées via le caño oriental de 2013.
Le Costa Rica a proposé d’entreprendre les travaux en septembre 2014 et prié le Nicaragua de lui faciliter la tâche en lui permettant d’emprunter le fleuve San Juan. Les Parties n’étant pas parvenues à s’entendre, le Costa Rica a affrété un hélicoptère civil privé aux fins des travaux de construction. Selon lui, cet affrètement était nécessaire car son service de surveillance aérienne ne possédait aucun aéronef adapté à un tel chantier. Le Costa Rica expose que ses policiers ainsi que des agents de l’ACTo ont apporté leur concours au sol à cette opération. Les travaux de construction de la digue ont duré sept jours, du 31 mars au 6 avril 2015. Des agents costa-riciens chargés de la protection de l’environnement ont surveillé les travaux en procédant périodiquement à des inspections. Le Costa Rica a ensuite effectué des survols de la partie septentrionale d’Isla Portillos en juin, juillet et octobre 2015 afin de vérifier l’efficacité de la digue ainsi construite.
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La Cour conclut qu’une partie des dépenses engagées par le Costa Rica dans le contexte de la construction, en 2015, d’une digue destinée à barrer le caño oriental de 2013 est susceptible d’indemnisation. De son point de vue, le Costa Rica a prouvé avoir engagé des dépenses qui avaient un lien direct avec les mesures de remise en état qu’il a prises pour empêcher qu’un préjudice irréparable soit causé à l’environnement de la partie septentrionale d’Isla Portillos à la suite des activités illicites du Nicaragua. À ce sujet, le Costa Rica dénombre trois chefs de dépenses : i) le coût d’un survol préalable à la construction de la digue ; ii) les frais liés à la construction concrète de la digue ; et iii) le coût des survols effectués a posteriori.
La Cour relève, en ce qui concerne le premier chef de dépenses, que le Costa Rica déclare avoir affrété un hélicoptère civil privé le 25 juillet 2014 aux fins d’une visite de la partie septentrionale d’Isla Portillos qui devait permettre d’évaluer l’état des deux caños de 2013 et, ainsi, de déterminer les mesures à prendre pour empêcher qu’un préjudice irréparable soit causé à l’environnement de cette zone. Selon lui, le coût du vol effectué aux fins de cette mission s’est élevé à 6183 dollars des Etats-Unis. La facture soumise à cet égard par le Costa Rica indique que le vol en question avait pour but d’«acheminer des agents à Isla Calero (vol d’observation et à des fins logistiques)». Il ressort en outre du descriptif du vol que l’aéronef n’est jamais passé à proximité du site de construction. Compte tenu de ces éléments, le Costa Rica n’a pas, de l’avis de la Cour, apporté la preuve que cette mission de 2014 par hélicoptère avait un lien direct avec le projet de construire une digue destinée à barrer le caño oriental de 2013. Partant, selon elle, le coût de ce vol n’est pas susceptible d’indemnisation.
La Cour relève ensuite, s’agissant du deuxième chef de dépenses, que le Costa Rica fait référence aux frais qu’il a engagés pour acheter des matériaux de construction et affréter un hélicoptère civil privé en vue de transporter le personnel et les matériaux nécessaires à la construction de la digue destinée à barrer le caño oriental de 2013. Le Costa Rica a réparti les frais relevant de ce deuxième chef en deux postes, dont le premier correspond aux heures de vol d’hélicoptère (131 067,50 dollars des Etats-Unis) et le second, à l’«achat de fournitures facturées» (26 378,77 dollars des Etats-Unis). A propos du premier poste, la Cour constate que les justificatifs produits étayent pleinement la réclamation du Costa Rica. Au sujet du second poste, elle est d’avis que les frais engagés pour acheter des matériaux de construction doivent, en principe, être remboursés dans leur intégralité. Pour ce qui est des matériaux de construction excédentaires, elle considère que, vu la difficulté de l’accès au site où la digue devait être construite, au sein d’une zone humide, le Costa Rica avait tout lieu de prendre ses précautions et de veiller dès le départ à ce que les matériaux de construction achetés et transportés soient suffisants pour que les travaux puissent être menés à bien. Les frais engagés pour acheter les matériaux de construction qui se sont finalement révélés excédentaires sont, dans les circonstances de l’espèce, susceptibles d’indemnisation. De l’avis de la Cour, le critère important, aux fins de l’examen de la demande y afférente, est celui du caractère raisonnable. La Cour ne considère pas que la quantité de matériaux achetée par le Costa Rica soit déraisonnable ou disproportionnée par rapport à celle réellement requise par les travaux de construction. En conséquence, après un nouveau calcul, la Cour conclut que le Costa Rica a droit à une indemnité d’un montant total de 152 372,81 dollars des Etats-Unis pour les frais de construction de la digue (soit 131 067,50 dollars des Etats-Unis pour le coût des heures de vol d’hélicoptère et 21 305,31 dollars des Etats-Unis pour l’achat de fournitures facturées).
Enfin, en ce qui concerne le troisième chef de dépenses, la Cour rappelle que le Costa Rica demande à être indemnisé des dépenses qu’il a engagées pour les survols effectués les 9 juin, 8 juillet et 3 octobre 2015 afin de vérifier l’efficacité de la digue après achèvement des travaux. La Cour considère que ces dépenses sont susceptibles d’indemnisation puisqu’il existe un lien de causalité suffisamment direct entre les dommages causés à l’environnement de la partie septentrionale d’Isla Portillos, du fait des activités illicites du Nicaragua, et les missions de survol accomplies par le Costa Rica pour vérifier l’efficacité de la digue nouvellement construite. Elle ajoute que le Costa Rica s’est également acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait en produisant des justificatifs du coût des heures de vol effectuées par l’hélicoptère civil privé qu’il
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avait affrété pour atteindre la partie septentrionale d’Isla Portillos. Il a produit trois factures ainsi que des informations de vol indiquant que l’aéronef est effectivement passé au-dessus de la digue. Il apparaît évident à la Cour que l’hélicoptère affrété pour ces missions devait survoler d’autres parties du territoire costa-ricien pour atteindre le site où la digue avait été construite. En outre, la Cour relève qu’aucun élément versé au dossier n’indique que ces survols aient eu quelque autre destination que la zone de la digue, ni que les missions par hélicoptère aient eu quelque autre objet que la vérification de l’efficacité de la digue. La Cour conclut en conséquence que le montant total des frais supportés par le Costa Rica sous ce chef de dépenses, soit 33 041,75 dollars des Etats-Unis, est susceptible d’indemnisation.
En conclusion, la Cour considère que le Costa Rica a droit à une indemnité d’un montant de 185 414,56 dollars des Etats-Unis à raison des dépenses qu’il a engagées en rapport avec la construction, en 2015, d’une digue destinée à barrer le caño oriental de 2013. Ce montant comprend 152 372,81 dollars des Etats-Unis pour la construction de la digue et 33 041,75 dollars des Etats-Unis pour les vols de contrôle effectués une fois la construction achevée.
4. Conclusion (par. 147)
Il découle de l’analyse faite par la Cour des frais et dépenses susceptibles d’indemnisation qui ont été engagés par le Costa Rica en conséquence directe des activités illicites du Nicaragua dans la partie septentrionale d’Isla Portillos que le Costa Rica a droit à une indemnité d’un montant total de 236 032,16 dollars des Etats-Unis.
V. INTÉRÊTS COMPENSATOIRES ET INTÉRÊTS MORATOIRES DEMANDÉS PAR LE COSTA RICA (PAR. 148-155)
La Cour note que le Costa Rica estime que, vu l’étendue des dommages qu’il a subis, la réparation ne pourra être intégrale sans le paiement d’intérêts. Il demande ainsi que lui soient versés à la fois des intérêts compensatoires et des intérêts moratoires.
La Cour rappelle que, selon la pratique des juridictions internationales, des intérêts compensatoires peuvent être alloués s’ils sont nécessaires pour assurer la réparation intégrale du préjudice causé par un fait internationalement illicite. Elle ajoute néanmoins que les intérêts ne constituent pas une forme autonome de réparation, et ne sont pas non plus nécessairement présents dans le contexte de l’indemnisation.
La Cour fait observer que, dans la présente affaire, l’indemnisation due au Costa Rica comprend deux volets : une indemnité pour les dommages causés à son environnement, et une indemnité pour les frais et dépenses que lui ont occasionnés les activités illicites du Nicaragua. La Cour considère que le Costa Rica n’a pas droit à des intérêts compensatoires sur le montant de l’indemnité due pour les dommages environnementaux ; l’évaluation globale qu’elle a faite de ces dommages tient pleinement compte de la dégradation ou de la perte de biens et services environnementaux subie pendant la période précédant la reconstitution.
S’agissant des frais et dépenses que le Costa Rica a dû supporter en conséquence des activités illicites du Nicaragua, la Cour relève que la plupart de ces frais et dépenses ont été engagés pour la prise de mesures destinées à prévenir de nouveaux dommages. La Cour accorde au Costa Rica, pour les frais et dépenses qu’elle a jugés susceptibles d’indemnisation, des intérêts compensatoires courant, comme celui-ci l’a demandé, à compter du 16 décembre 2015, date à laquelle l’arrêt sur le fond a été rendu, jusqu’au 2 février 2018, date du prononcé du présent arrêt. Le taux d’intérêt annuel est fixé à 4 %. Le montant des intérêts s’élève à 20 150,04 dollars des Etats-Unis.
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En ce qui concerne les intérêts moratoires demandés par le Costa Rica, la Cour rappelle qu’elle en a accordé en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), dans laquelle elle a fait observer que «l’octroi d’intérêts moratoires est conforme à la pratique d’autres juridictions internationales». Elle ne voit aucune raison de procéder autrement dans la présente affaire. Partant, et bien qu’elle ait tout lieu de s’attendre à ce que le paiement soit effectué en temps voulu par le Nicaragua, la Cour décide que, en cas de retard, des intérêts moratoires courront sur le montant total de l’indemnité due. Ces intérêts seront calculés au taux annuel de 6 %.
VI. TOTAL DE L’INDEMNITÉ (PAR. 156)
La Cour conclut que le montant de l’indemnité à verser au Costa Rica s’élève à un total de 378 890,59 dollars des Etats-Unis, payable le 2 avril 2018 au plus tard. Ce montant comprend la somme principale de 358 740,55 dollars des Etats-Unis et le montant des intérêts compensatoires sur les frais et dépenses jugés susceptibles d’indemnisation, soit 20 150,04 dollars des Etats-Unis. Elle ajoute que, en cas de retard de paiement, des intérêts moratoires sur la somme totale due courront à compter du 3 avril 2018.
VII. DISPOSITIF (PAR. 157)
Par ces motifs,
LA COUR,
1) Fixe aux montants suivants l’indemnité que la République du Nicaragua est tenue de verser à la République du Costa Rica à raison des dommages environnementaux qu’elle lui a causés par les activités illicites auxquelles elle s’est livrée sur le territoire costa-ricien :
a) Par quinze voix contre une,
120 000 dollars des Etats-Unis pour la dégradation ou la perte de biens et services environnementaux ;
POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka, Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Gevorgian, juges ; M. Guillaume, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Dugard, juge ad hoc ;
b) Par quinze voix contre une,
2708,39 dollars des Etats-Unis pour l’indemnité réclamée par la République du Costa Rica à raison des frais de restauration de la zone humide sous protection internationale ;
POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka, Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mme Xue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Gevorgian, juges ; MM. Guillaume, Dugard juges ad hoc ;
CONTRE : Mme Donoghue, juge ;
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2) A l’unanimité,
Fixe à 236 032,16 dollars des Etats-Unis le montant de l’indemnité que la République du Nicaragua est tenue de verser à la République du Costa Rica à raison des frais et dépenses qu’elle lui a occasionnés en conséquence directe des activités illicites auxquelles elle s’est livrée sur le territoire costa-ricien ;
3) A l’unanimité,
Dit que, pour la période allant du 16 décembre 2015 au 2 février 2018, la République du Nicaragua devra verser des intérêts, au taux annuel de 4 %, sur le montant de l’indemnité due à la République du Costa Rica conformément au point 2 ci-dessus, intérêts qui s’élèveront à 20 150,04 dollars des Etats-Unis ;
4) A l’unanimité,
Dit que le montant intégral dû conformément aux points 1, 2 et 3 ci-dessus devra avoir été acquitté au 2 avril 2018 et que, en cas de non-paiement à la date indiquée, des intérêts courront sur la somme totale due par la République du Nicaragua à la République du Costa Rica, à compter du 3 avril 2018, au taux annuel de 6 %.
M. le juge CANÇADO TRINDADE, Mme la juge DONOGHUE et M. le juge BHANDARI joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle ; M. le juge GEVORGIAN joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ad hoc GUILLAUME joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ad hoc DUGARD joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
___________
Annexe au résumé 2018/1
Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade
1. Dans son opinion individuelle, composée de treize parties, le juge Cançado Trindade expose tout d’abord que, bien qu’ayant voté en faveur de l’adoption du présent arrêt portant indemnisation, il estime que la Cour n’a pas abordé dans son raisonnement certaines questions connexes qui sous-tendent pourtant sa décision. Ayant une conception bien plus large des réparations dues à raison de dommages causés à l’environnement, il estime de son devoir de préciser et de consigner par écrit les fondements de sa position personnelle à cet égard. Il s’agit en définitive de la toute première affaire dans laquelle la Cour est appelée à se prononcer sur des réparations pour dommages environnementaux.
2. Ces questions concernent, pour commencer, a) le principe neminem laedere et le devoir de réparer les dommages causés ; b) le tout indissociable que forment la violation et la prompte réparation ; c) le devoir de réparation en tant qu’obligation fondamentale et non «secondaire» ; d) les réparations dans la pensée des «pères fondateurs» du droit des gens et l’héritage impérissable de ceux-ci ; e) la réparation sous ses différentes formes (indemnisation et autres) ; f) la réparation des dommages causés à l’environnement, la dimension intertemporelle et les obligations de faire prévues par les régimes de protection.
3. Le juge Cançado Trindade analyse ensuite, selon un enchaînement logique : g) la place centrale de la restitutio et les insuffisances de l’indemnisation ; h) l’incidence des considérations d’équité et l’enrichissement mutuel des jurisprudences ; i) les dommages causés à l’environnement, et la nécessité ainsi que l’importance de la restauration ; puis j) la restauration au-delà de la simple indemnisation et la nécessité des réparations non pécuniaires. Il expose enfin ses considérations finales, et récapitule dans l’épilogue l’ensemble des points développés dans son opinion individuelle.
4. Le juge Cançado Trindade fait tout d’abord observer que, dans son raisonnement, la Cour aurait dû adopter une vision bien plus vaste, allant au-delà de la simple indemnisation, pour envisager également des mesures de restauration ainsi que d’autres formes de réparation. De son point de vue, «[l]a Cour aurait dû faire encore un pas en avant dans ce domaine, comme elle l’avait fait dans son précédent arrêt sur la question, rendu (le 19 juin 2012) en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo)» ; il ajoute que les réparations devaient, dans les deux affaires, «être envisagées dans le cadre d’un régime international de protection  relatif aux droits de l’homme dans l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, et à l’environnement dans la présente instance» (par. 2-3).
5. Rappelant la jurisprudence constante de la Cour, le juge Cançado Trindade relève ensuite que, conformément à un principe de droit international bien établi, la réparation doit mettre fin à l’ensemble des conséquences du fait illicite et rétablir la situation qui existait avant la commission de la violation. Il convient, poursuit-il, de rechercher en priorité la restitutio in integrum puis, lorsque celle-ci n’est pas possible, de se tourner vers l’indemnisation. La notion de devoir de réparation des dommages est profondément ancrée dans l’histoire, ses origines remontant à l’antiquité et au droit romain ; elle est inspirée du principe général de droit naturel neminem laedere (par. 7-11).
6. Le juge Cançado Trindade souligne que la violation qui cause des dommages génère immédiatement le devoir de les réparer, les deux notions  violation et prompte réparation  se complétant et formant un tout indissociable (par. 12-13). Il ajoute que, en matière de dommages
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environnementaux et de réparation, la responsabilité ne saurait occulter la dimension temporelle : en définitive, pareille responsabilité s’inscrit inévitablement dans la durée. Selon lui :
«Ainsi que le montrent les affaires ayant trait à des dommages causés à l’environnement, le tout indissociable que forment la violation et la réparation a une dimension temporelle dont il ne saurait être fait abstraction. Il est, à mon avis, indispensable d’envisager à la fois le passé, le présent et l’avenir. La quête de la restitutio in integrum, par exemple, nécessite de tourner son regard vers le présent et le passé, tout autant que vers le présent et l’avenir. S’agissant des dimensions passée et présente, si la violation n’a pas été couplée à la réparation correspondante, cela donne lieu à une situation continue de violation du droit international.
Pour ce qui est des dimensions présente et future, la réparation vise à mettre fin à tous les effets cumulés, au fil du temps, du dommage causé à l’environnement. Il peut arriver que le dommage soit irréparable, rendant la restitutio in integrum impossible, auquel cas l’indemnisation trouve à s’appliquer. En tout état de cause, la responsabilité à l’égard des dommages causés à l’environnement et de leur réparation ne saurait, de mon point de vue, occulter la dimension intertemporelle … Pareils dommages s’inscrivent, en définitive, dans la durée.» (Par. 14-15.)
7. Le juge Cançado Trindade souligne également que le devoir de prompte réparation est une obligation fondamentale, et non «secondaire» ; il s’agit d’un impératif de justice, ainsi qu’il l’a déjà fait observer dans son opinion individuelle (par. 97) en la précédente instance tranchée par la Cour en matière de réparations, à savoir l’affaire Ahmadou Sadio Diallo ((République de Guinée c. République démocratique du Congo), arrêt du 19 juin 2012). C’est le courant de pensée jusnaturaliste qui a, au cours des siècles, accordé à la notion de prompte réparation l’attention voulue (par. 29). Allant bien au-delà du raisonnement suivi par la Cour dans le présent arrêt sur la question de l’indemnisation due au Costa Rica par le Nicaragua, le juge Cançado Trindade estime, en premier lieu, qu’il convient d’apprécier les réparations dans le cadre conceptuel de la justice réparatrice et, en second lieu, que la notion de réparations exemplaires non seulement existe mais prend de l’importance au sein des régimes de protection et dans le contexte des dommages causés à l’environnement (par. 16-19).
8. Dans la suite de son opinion, le juge Cançado Trindade fait observer que, en droit des gens, la réparation est nécessaire pour préserver l’ordre juridique international, répondant ainsi à un réel besoin universel, conformément à la recta ratio. Les «pères fondateurs» du droit des gens s’intéressaient déjà (dès le XVIe siècle) à cette dernière, ainsi qu’à la raison d’être de la réparation, dont ils ont également, dans leurs écrits, examiné les différentes formes (restitutio in integrum, satisfaction, indemnisation, réhabilitation et garantie de non-répétition des actes ou omissions emportant violation du droit international). Tous ces éléments font partie de l’héritage impérissable que constituent leurs enseignements sur la notion de prompte réparation, dans le droit fil de la pensée jusnaturaliste (par. 20-27). Le juge Cançado Trindade ajoute ce qui suit:
«La pensée des «pères fondateurs» du droit des gens constitue, de par sa clairvoyance, un héritage impérissable qui demeure d’une grande actualité aujourd’hui encore, dans cette deuxième décennie du XXIe siècle. Les enseignements tirés de leur réflexion jusnaturaliste ont, de mon point de vue, contribué à façonner la place accordée à certains principes (tels que ceux qui sous-tendent le devoir de réparation) dans la doctrine juridique des pays d’Amérique latine, particulièrement influente dans le cadre du développement progressif du droit international.» (Par. 28.)
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9. Le juge Cançado Trindade affirme ensuite que, pour dire ce qu’est le droit (juris dictio) s’agissant du devoir fondamental de réparation, la Cour ne saurait se limiter à la seule question de l’indemnisation, même si les parties en litige n’examinent que celle-ci. La restitutio in integrum est le mode de réparation par excellence, celui qu’il convient de rechercher en premier lieu. Les différentes formes de réparation (restitutio in integrum, satisfaction, indemnisation, réhabilitation et garantie de non-répétition des actes ou omissions emportant violation du droit international) sont complémentaires.
10. Le juge Cançado Trindade rappelle que, comme dans son opinion individuelle en l’espèce, il a maintes fois exposé, dans ses opinions individuelles en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (par. 11-16 de l’opinion jointe à l’ordonnance du 6 décembre 2016) et en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (par. 50-51, 54, 80, 83 et 90 de l’opinion jointe à l’arrêt du 19 juin 2012) –– et même avant cela, dans plusieurs opinions individuelles qu’il a jointes à des décisions de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (ci-après la «CIADH») ––, que la simple quantification des dommages (aux fins d’indemnisation) est parfois insuffisante et que d’autres formes de réparation s’imposent alors (par. 29-37).
11. Le juge Cançado Trindade soutient en outre que les obligations de faire  essentielles à la restauration  revêtent une importance particulière lorsqu’il s’agit d’examiner la question des réparations dans le contexte de régimes de protection (tel que celui applicable à l’environnement) ; les obligations de faire sont essentielles à la restauration (par. 38-41). La justice réparatrice englobe toutes les formes de réparation, qui doivent toutes être gardées à l’esprit. Selon lui, seules des mesures de restauration permettront de rendre à l’environnement endommagé son état antérieur (c’est-à-dire de remédier aux dommages), dans la mesure du possible (par. 42-46, 53-58 et 80).
12. Le juge Cançado Trindade fait ensuite valoir que, lorsqu’il s’agit de prescrire des mesures de réparation (quelles qu’elles soient) pour dommages environnementaux, il y a lieu de recourir à des considérations d’équité dont on ne saurait amoindrir l’importance (comme s’y efforcent en vain les tenants du positivisme juridique) ; pareilles considérations aident en effet les juridictions internationales à statuer ex aequo et bono (par. 47-48, 52 et 78). Il souligne la nécessité de faire plus grand cas de l’enrichissement mutuel des jurisprudences, et notamment de la jurisprudence de la CIADH et de la CEDH concernant les différentes formes de réparation. Les juridictions internationales, en particulier celles qui statuent dans le cadre de régimes internationaux de protection (essentiellement la CIADH), ne manquent pas de recourir à des considérations d’équité (par. 39-51).
13. Et le juge Cançado Trindade de formuler la mise en garde suivante : «[l]’indemnisation, en somme, n’est pas une fin en soi ; elle est indissociable d’autres formes de réparation et de la restauration de manière générale» (par. 53). En l’espèce, il ne peut être remédié aux dommages environnementaux sans aller au-delà de la simple indemnisation, d’où la nécessité d’envisager des mesures de restauration (par. 58). Dans une affaire comme celle-ci, la réparation intégrale ne peut être obtenue que dans le cadre de la justice réparatrice.
14. Le juge Cançado Trindade souligne par ailleurs que les dommages causés à l’environnement touchent également les populations ; il importe donc de se préoccuper de la vulnérabilité environnementale si l’on veut préserver la santé humaine (déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le développement) et le droit de vivre (par. 60 et 74-77). La réalisation de la justice peut être perçue en soi comme une forme de réparation, en ce qu’elle apporte satisfaction aux victimes. Selon lui, les dommages environnementaux ne peuvent être précisément évalués et
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quantifiés de manière exclusivement financière ou pécuniaire ; la réparation intégrale ne peut être obtenue par la seule voie de l’indemnisation.
15. Partant, estime le juge Cançado Trindade, il convient de ne pas perdre de vue combien il est important, pour remédier aux dommages causés à l’environnement, d’envisager, au-delà de l’indemnisation pécuniaire, des mesures de restauration (comme, par exemple, la plantation d’arbres aux fins de la restauration de la biodiversité). Des mesures de réparation non pécuniaires doivent également être envisagées (par. 59-64). Il ajoute que
«la réalisation de la justice, en ce qu’elle vise à faire cesser les effets des actes préjudiciables, peut être considérée en elle-même comme une forme de réparation, apportant satisfaction aux victimes. La justice réparatrice est fondamentale : même si la restitutio in integrum est impossible, d’autres formes de réparation, telles que la réhabilitation et la satisfaction, doivent être envisagées dans une démarche de restauration. La réhabilitation et la satisfaction constituent des formes de réparation non pécuniaires, imposant des obligations de faire (voir supra section VII) en vue de la restauration. A celles-ci peut s’ajouter la garantie de non-répétition des violations en cause.» (Par. 65.)
16. Les mesures de restauration peuvent, à terme, faire cesser les conséquences des dommages environnementaux. Le juge Cançado Trindade insiste en outre sur la nécessité de garder à l’esprit «la valeur intrinsèque de l’environnement pour les populations» ; ainsi, s’agissant de la question de la réparation des dommages causés aux zones humides, la convention de Ramsar de 1971 relative aux zones humides d’importance internationale, particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau, met en relief l’interdépendance de l’homme et de son environnement, ce qui «oblige en l’espèce à dépasser la dimension strictement interétatique pour s’intéresser aux communautés locales concernées» (par. 70).
17. Dans ses considérations finales, le juge Cançado Trindade estime important de préciser que les sommes dont la Cour prescrit le versement dans le présent arrêt pourraient servir «à planter des arbres et d’autres végétaux aux fins de restaurer la biodiversité ainsi que d’améliorer la capacité future de l’environnement de fournir, entre autres, des services de régulation des gaz et de la qualité de l’air ou des matières premières, en sus d’autres mesures de restauration» (par. 79). De fait, ajoute-t-il, pour ce qui est du devoir de réparation, «les enseignements du passé n’ont tout simplement pas été tirés pour le moment» ; la mise en oeuvre de ce devoir dans le droit international contemporain semble n’en être encore qu’à ses débuts (par. 93). Pour l’heure, conclut-il, il reste un long chemin à parcourir afin d’assurer, dans le contexte plus large de la restauration, le développement progressif du droit international en matière de réparations (par. 93).
Opinion individuelle de Mme la juge Donoghue
La juge Donoghue joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle afin de préciser les raisons de son vote concernant l’indemnité accordée au Costa Rica pour la dégradation ou la perte de biens et services environnementaux (point 1) a) du paragraphe 157) et pour les frais de restauration (point 1) b) du paragraphe 157).
Si elle a voté en faveur de l’octroi au Costa Rica d’une indemnité pour la dégradation ou la perte de biens et services environnementaux (point 1) a) du paragraphe 157), la juge Donoghue considère cependant que les éléments versés au dossier ne justifiaient qu’une indemnisation comprise entre 70 000 et 75 000 dollars des Etats-Unis. S’agissant de la demande du Costa Rica
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concernant le coût de la restauration de la zone humide, la juge Donoghue estime qu’elle n’est pas étayée par le dossier, ce pourquoi elle a voté contre le point 1) b) du paragraphe 157.
Opinion individuelle de M. le juge Bhandari
S’il souscrit à l’arrêt rendu par la Cour sur la question de l’indemnisation, le juge Bhandari n’en tient pas moins à exposer ses vues sur certaines questions que celle-ci n’a pas examinées en détail. Selon lui, c’est à juste titre que la Cour a indiqué que la restitution constitue le mode de réparation privilégié en l’état actuel du droit international, tel que reflété aux articles 35 et 36 du projet d’articles de la Commission du droit international (ci-après la «CDI») sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite. Le juge Bhandari expose que, en l’espèce, la Cour a accordé une indemnisation plutôt qu’une restitution pour deux raisons. La première est que la présente affaire relève de l’une des exceptions prévues à l’article 35 du projet d’articles de la CDI, à savoir que la restitution serait «matériellement impossible». La seconde est qu’un Etat lésé peut choisir de préciser le mode de réparation qu’il préfère en en avisant l’Etat responsable, ainsi que le prévoit l’article 43 du projet d’articles de la CDI. Dans sa requête introductive d’instance déposée devant la Cour le 18 novembre 2010, le Costa Rica a demandé que le Nicaragua soit condamné à lui verser une indemnisation à raison des activités illicites menées par celui-ci dans la zone touchée.
Le juge Bhandari est d’avis que la Cour aurait dû expliciter davantage la méthode qu’elle a employée pour déterminer le montant de l’indemnisation. Il estime que les éléments de preuve présentés par les Parties ne permettaient pas de procéder à cette détermination et que, lorsque la Cour ne dispose pas d’éléments de preuve suffisants, l’indemnisation accordée doit être fondée sur des considérations d’équité. Il eût donc été souhaitable, selon le juge Bhandari, que la Cour indique plus clairement que le montant de l’indemnité due a été déterminé sur la base de considérations d’équité.
Le juge Bhandari est également d’avis que l’approche de précaution aurait dû jouer un rôle plus central dans l’instance opposant le Costa Rica et le Nicaragua. Il relève qu’un nombre croissant d’instruments internationaux intègre désormais cette approche, et que plusieurs juridictions internationales s’y sont, dans des décisions récentes, référées en estimant qu’elle pouvait être considérée comme relevant du droit international coutumier.
Le juge Bhandari souligne ensuite l’importance cardinale de la protection de l’environnement. La préservation du milieu naturel étant dans l’intérêt supérieur de l’humanité, il appelle de ses voeux une évolution du droit international autorisant l’octroi de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires en cas d’atteinte grave à l’environnement. Rappelant que les Etats ont expressément créé des obligations internationales visant la protection et la préservation de l’environnement, le juge Bhandari relève que la science a démontré sans l’ombre d’un doute que toute dégradation irrémédiable causée au milieu naturel par la main de l’homme sera source de souffrances incommensurables pour l’humanité tout entière. Selon lui, une évolution du droit international en faveur des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires irait également dans le sens de la démarche adoptée par les juridictions internes d’un certain nombre d’Etats, du principe «pollueur-payeur» et répondrait à la nécessité de dissuader les Etats de nuire à l’environnement dans l’avenir. Il importe toutefois que de tels dommages-intérêts ne soient pas disproportionnés par rapport aux dommages effectivement causés par l’Etat fautif.
Déclaration de M. le juge Gevorgian
Le juge Gevorgian expose que, bien qu’il soit d’accord avec le dispositif de l’arrêt, souscrivant à la fois au montant de l’indemnité due par la République du Nicaragua à la République du Costa Rica et à l’approche «holistique» adoptée aux fins de l’évaluation des dommages environnementaux, il tient à faire état des réserves qu’il éprouve au sujet de certains aspects du
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raisonnement de la Cour, étant donné qu’il s’agit du premier arrêt rendu par celle-ci sur des dommages environnementaux en tant que tels.
Premièrement, la Cour reconnaît la possibilité d’appliquer avec une certaine «souplesse» la règle générale selon laquelle la charge de la preuve incombe à la partie demandant l’indemnisation ; toutefois, elle n’a pas fait le choix de la souplesse dans la présente affaire. Ainsi, en l’espèce, la charge de la preuve pesait sur le demandeur.
Deuxièmement, sur les six catégories de dommages potentiels recensées par le Costa Rica, la Cour conclut que quatre d’entre elles –– concernant le bois sur pied, d’autres matières premières (fibres et énergie), la régulation des gaz et de la qualité de l’air, et la biodiversité, du point de vue de l’habitat et du renouvellement des populations –– étaient étayées par des éléments de preuve suffisants pour justifier l’octroi d’une indemnisation. Or, le juge Gevorgian n’est pas convaincu par les éléments produits par le Costa Rica tant en ce qui concerne la régulation des gaz et de la qualité de l’air qu’au sujet de la biodiversité.
En ce qui concerne la régulation des gaz et de la qualité de l’air, le juge Gevorgian note que, comme le Nicaragua l’a fait valoir, tout dommage causé à de tels services par la libération de dioxyde de carbone dans l’atmosphère aura eu des conséquences à l’échelle de la planète. Ainsi, pour autant qu’il a été touché par un tel dommage, le Costa Rica n’a droit qu’à une minuscule part de sa valeur estimée au niveau mondial.
A propos de la biodiversité, le juge Gevorgian relève l’absence de données de référence permettant de mesurer les dommages éventuellement causés à la zone humide. S’il reconnaît que diverses études ont été présentées, il considère toutefois que celles-ci, portant sur des zones distinctes à vocation différente, n’offraient pas sur l’environnement d’origine des indications claires à l’aune desquelles les dommages occasionnés par les activités nicaraguayennes auraient pu être mesurés. Partant, le juge Gevorgian estime que le Costa Rica ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait s’agissant de ce chef de dommages.
Enfin, le juge Gevorgian, bien qu’il approuve le montant total de l’indemnité accordée, fait observer qu’il importe de ne pas tirer des généralités du présent arrêt et d’éviter que l’«évaluation globale» des dommages environnementaux puisse être interprétée comme revêtant un caractère «punitif ou exemplaire», afin de ne pas compromettre le règlement pacifique des règlements internationaux.
Déclaration de M. le juge ad hoc Guillaume
1. Etant donné que le Costa Rica évaluait les dommages matériels causés par le Nicaragua à 6 711 685,26 dollars des Etats-Unis, le juge ad hoc Guillaume note que la Cour, en fixant l’indemnité due au principal à 358 740,55 dollars, a rejeté la majeure partie des conclusions du Costa Rica. Il souscrit à l’appréciation de la Cour, même s’il la trouve à certains égards généreuse, mais souhaite préciser sa pensée sur quelques points.
2. Concernant l’indemnisation des dépenses envisagées par le Costa Rica en vue de la «restauration de la zone humide» protégée, le juge ad hoc Guillaume, tout en se ralliant à la solution retenue par la Cour, exprime l’espoir que ces travaux, mal définis au dossier, seront effectivement planifiés et exécutés.
3. Concernant l’indemnisation des dommages à l’environnement, le juge ad hoc Guillaume souligne les erreurs que présente l’évaluation des dommages soumise par le Costa Rica, notamment pour ce qui est du calcul des dommages liés à l’abattage d’arbres, ainsi qu’à la régulation des gaz et
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la qualité de l’air. Il constate que la méthode d’évaluation avancée par le Nicaragua, encore que préférable, ne va pas, elle aussi, sans difficultés. Il en conclut que l’évaluation du préjudice ne peut en l’espèce qu’être approximative.
4. Le juge ad hoc Guillaume salue la décision de la Cour de ne pas donner droit aux demandes du Costa Rica concernant le remboursement des dépenses liées notamment à l’établissement de postes de police. De telles dépenses n’étaient pas en lien direct avec les activités illicites du Nicaragua. En outre, la réaffectation du personnel concerné n’a pas engendré de dépenses supplémentaires pour le Costa Rica.
5. Enfin, le juge ad hoc Guillaume note que la Cour a pour la première fois accordé des intérêts compensatoires au demandeur et estime que la solution retenue est judicieuse au cas particulier, compte tenu de la nature des dépenses engagées par le Costa Rica. Il souligne qu’elle laisse la place pour l’avenir à des appréciations diverses selon les cas.
Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Dugard
Le juge ad hoc Dugard se dissocie de l’arrêt tant en ce qui concerne la méthode employée par la Cour pour déterminer le montant de l’indemnité à attribuer qu’en ce qui concerne la somme à laquelle elle parvient dans son estimation des dommages causés à l’environnement.
La Cour a accordé une indemnité de 120 000 dollars des Etats-Unis à raison du préjudice causé à l’environnement. Selon le juge ad hoc Dugard, ce montant devrait être autrement plus élevé, à l’instar de l’estimation des dommages causés aux arbres, aux matières premières, à la biodiversité et à la régulation des gaz, et compte tenu également du préjudice en matière de formation des sols et d’environnement, de l’incidence sur le changement climatique de l’abattage d’arbres et de la destruction du sous-bois, ainsi que de la gravité du préjudice intentionnellement causé par le Nicaragua à l’environnement d’une zone humide.
Il est impossible de déterminer avec précision les dommages causés par le Nicaragua à l’environnement du Costa Rica. Evaluer le préjudice causé à un environnement n’est pas chose aisée, et la tâche est d’autant plus difficile qu’il n’existe pour ce faire aucune méthode scientifique convenue.
Celle qu’a suivie la Cour à cet égard laisse fort à désirer. Celle-ci semble en effet s’être appuyée sur l’«analyse corrigée» de Payne et Unsworth (les experts du Nicaragua), ce qui soulève plusieurs problèmes, que le juge ad hoc Dugard détaille dans son opinion dissidente. Tout d’abord, dans le cadre de cette «analyse corrigée», une valeur pécuniaire est attribuée à chaque chef de dommages individuellement. Ensuite, on ne peut voir dans certains éléments de ladite analyse une «base raisonnable» sur laquelle la Cour pourrait légitimement fonder sa propre évaluation. Enfin, si elle conteste l’application, prônée par le Costa Rica, d’un délai de reconstitution de cinquante ans pour les biens et services, la Cour n’indique pas quel serait, selon elle, le temps nécessaire à cette reconstitution.
En l’espèce, la Cour aurait pu et dû inclure dans son évaluation un certain nombre de considérations d’équité, et tenir compte, notamment, de la nécessité de protéger l’environnement, de l’importance accordée dans le monde d’aujourd’hui à la lutte contre le changement climatique et de la gravité des actes de l’Etat défendeur.
En ce qui concerne la perte de la capacité d’assurer la régulation des gaz, le Nicaragua a fait valoir que le piégeage du carbone était un service écologique rendu à la population du monde entier, et que, partant, le Costa Rica ne pouvait exiger d’être indemnisé à hauteur de la totalité de la
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valeur estimée du dommage causé. Or, l’obligation de ne pas se livrer de manière illicite à une déforestation ayant pour effet de libérer du carbone dans l’atmosphère et d’entamer la capacité de stockage des gaz est une obligation erga omnes.
Pour évaluer le montant de l’indemnité due en l’affaire, la Cour aurait dû tenir compte de la gravité des activités illicites du Nicaragua, en calculant la somme en conséquence. Le comportement du Nicaragua, en l’espèce, est marqué par une mauvaise foi caractérisée et une volonté de bafouer le droit international et l’autorité de la Cour. Sans aller jusqu’à préconiser le paiement d’une indemnité de nature punitive, le juge ad hoc Dugard estime qu’il aurait été possible de prendre en considération la gravité des actes du Nicaragua en cherchant à rétablir pleinement la situation dont jouissait le Costa Rica avant que l’Etat défendeur ne commette ses violations.
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Résumé de l’arrêt du 2 février 2018

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